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Daniel Durandet Les Explorateurs de la Guyane

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Page 1: Les Explorateurs de la Guyane

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----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 362 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 22 ----------------------------------------------------------------------------

Les Explorateurs de la Guyane

Daniel Durandet

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Daniel Durandet

Les Explorateurs de la Guyane

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Du même auteur :

– Le Passeur : Editions Ramsay 1981

– Les livres de nos cartables : Editions du Layeur 2006

– Sur les bancs de l’école : Editions du Layeur 2007

– Les livres de nos cartables : Editions Giletta 2013

– L’école d’antan en 300 images : Editions Massin 2014

– Illustrations scolaires : Editions Massin 2015

– L’école enchantée de Raylambert : Editions Belin 2016

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« Explorer l’Amazonie, c’est tenter de pénétrer dans les grands bois et de démêler l’Histoire en friche de la Grande forêt de la pluie, espaces fabuleux et terrifiants de nos imaginaires, lieux originels de toutes ces folles légendes issues d’un lointain passé comme de tous ceux de tous ces rêves à venir ».

*** Henri Anatole Coudreau (1859-1899), dernier explorateur français en Amazonie de Sébastien

Benoit. Editions L’Harmattan Paris 2011 ***

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Introduction

Ils ont été plusieurs centaines de Français, en près de 4 siècles, à tenter de percer les secrets de cette terre « défendue » par sa forêt profonde et à essayer « d’apprivoiser » ses mystérieuses tribus d’indiens qui l’habitaient alors. Depuis les premières incursions des européens au XVIIe siècle, une cinquantaine de ces ethnies a disparu définitivement de la carte, anéanties essentiellement par les maladies transmises par ces conquérants d’infortune.

Pour la plupart de ces découvreurs téméraires, la mission était noble : effacer les « taches blanches » de ces lieux encore inconnus des géographes en cartographiant les contrées découvertes, en répertoriant la flore et la faune primitives et en tentant de dialoguer avec les populations autochtones rencontrées. Pour d’autres, les Missionnaires, Jésuites essentiellement, le but était principalement d’ouvrir, à travers les forêts et les solitudes de la Guyane, « un chemin à l’évangile », vecteur de conversion des populations primitives à la religion catholique. Enfin, pour d’autres « défricheurs », l’objet ultime de leur quête était tout autre : soit d’assujettir, malgré elles, les peuplades rencontrées aux « bienfaits » de la

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civilisation occidentale, soit de les asservir au seul profit de ces dominateurs peu glorieux.

Ce sont, à partir de textes rares, les exploits authentiques d’une trentaine des plus valeureux d’entre eux, les principaux acteurs Français de cette « domestication » de la Guyane, que Daniel Durandet vous propose de suivre. Grand reporter à France-Télévision pendant près de 40 ans, journaliste scientifique spécialiste des questions spatiales, il s’est rendu plusieurs dizaines de fois en Guyane, pour suivre la naissance et le développement du programme de la fusée européenne Ariane. Lors de ses différents séjours dans ce département français d’Amérique du sud, il a eu l’occasion de rencontrer et de partager le quotidien des habitants des tribus indiennes encore présentes en foret profonde : les Wayampis et les Tekos (anciennement appelés Emérillons), établis sur le fleuve Oyapock dans le village de Camopi et les Wayanas (appelés anciennement Roucouyennes) à Eloïke et Malavate sur le haut-Maroni, en amont de la commune de Maripasoula.

* * *

« A tous de DDO, attention pour le décompte final : 5, 4, 3, 2, 1, 0… Allumage… Décollage… ». D’un ton assuré, cachant l’émotion de l’énorme enjeu de ce premier lancement d’Ariane, Jean-Pierre Rouzeval, le DDO (directeur des opérations de lancement d’Ariane) à l’abri d’un bunker climatisé, enchaîne : « propulsion et pilotage correctes… trajectoire normale… tous les paramètres du vol sont normaux… ». La première fusée européenne Ariane appelée L01 et ses 210 tonnes de métal et de matière grise,

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plus lourde qu’un Boeing 747, s’éloigne maintenant insensiblement du sol de la Guyane et du sol d’Amérique du sud d’où elle vient de décoller pour la toute première fois…

Nous sommes le 24 décembre 1979, il est 17h14 en cette veille de Noël, à Kourou en Guyane Française, il fait déjà nuit en métropole. « Acquisition Natal (au Brésil)… Acquisition Ascension (une île de l’Atlantique Sud, entre l’Afrique et l’Amérique du Sud)… Séparation… ».C’est la fin de cette 1e mission d’Ariane qui aura duré moins d’un ¼ d’heure, mais qui aura permis à l’Europe spatiale de pouvoir enfin faire jeu presque égale avec les 2 grands de l’Espace, Russes et Américains.

Pour être au rendez-vous de cet évènement et de ce reportage qu’avait confié la télévision française, FR3 Nationale, à un journaliste débutant, j’avais quitté à la nuit noire, ma chambre du Cric-crac, un ensemble de cases disséminées dans la forêt guyanaise du petit bourg de Rémire, dans la banlieue de Cayenne. J’avais diné la veille au soir, dans le restaurant guyanais typique de l’hôtel, ouvert aux 4 vents alizés, tiédis par l’équateur tout proche de Monsieur et Madame Metton, les propriétaires, des guyanais pures souches, tellement heureux, j’allais dire fiers, d’accueillir le jeune touriste-journaliste, que j’étais. Singe, caïman, maïpouri (sorte de cochon sauvage), en civet ou en brochette avec un riz blanc du Surinam et du « pilipili » pour embraser et en même temps adoucir ces gibiers fraîchement abattus…

La nuit est noire… il fait presque frais… Qu’est devenu la matoutou que j’ai chassée de mon oreiller à mon retour de restaurant ? Une énorme mygale velue et inoffensive pour un œil averti, mais pas pour celui d’un jeune journaliste métropolitain débarqué il y a peu pour le reportage de sa vie… qu’importe, je n’y pense plus, mais en

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revanche une image m’obsède, celle de l’énorme trou dans la route près de Tonate-Macouria, à mi-chemin entre Cayenne et Kourou, et surtout à ces yeux perçants des caïmans vus la veille, pataugeant dans cette énorme marre qui aurait pu avaler un minibus. Mais qu’importe, je ne peux pas attendre la levée du jour, le jour où Ariane va décoller. Je veux être là à ses cotés, l’accompagner pendant ses derniers instants de vie terrestre pour l’admirer, la humer, la palper des yeux pour la dernière fois et l’encourager à ne pas décevoir l’Europe de l’espace qui vient de naître…

La formidable réussite d’Ariane, au delà des énormes enjeux scientifique et économique qu’elle représente, aura permis en 40 ans de changer le visage de la Guyane, de conjurer le sort qui s’acharnait sur elle depuis sa découverte et de laver définitivement l’affront fait à ce territoire longtemps maudit symbole jusqu’alors de bannissement, de déportation et d’abandon.

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Le mythe de l’Eldorado

« Une contrée féérique croulant sous des montagnes d’or… » : Tel est le récit, fait avec lustre détails en 1498 par Christophe Colomb, des côtes septentrionales de l’Amérique du sud, au retour de sa première expédition. Cette description oh combien prometteuse et enchanteresse va enflammer, comme une trainée de poudre, l’imagination débordante et la soif de richesses de bien des esprits aventuriers du vieux continent. Parmi eux, Francisco Lopez de Gomara, un prêtre-historien espagnol qui va émettre l’hypothèse qu’à l’arrivée des premiers conquistadors, les derniers incas auraient fui leur pays en emportant avec eux tout l’or amoncelé dans leurs palais. Ils auraient alors fondé à l’intérieur des terres, à l’abri des chemins et des regards des envahisseurs, un nouveau Royaume, celui de Païtiti et les 7 cités d’or de Cibola ayant comme capitale, Manoa.

Le premier des aventuriers à se lancer à la découverte du précieux trésor, ce sera en 1536, le Capitaine espagnol Sébastian de Belalcázar, l’un des seconds du Conquistador Francisco Pizarro. Il s’appuie pour cela sur le récit de voyage du navigateur Francisco de Orellana recueilli par le

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missionnaire dominicain espagnol Gaspar de Carvajal. : si l’on en croit les propos d’un Inca qu’il dit avoir rencontré, « lors de la fête du soleil, son grand Maître, oint d’huile et de senteurs parfumées, le corps entièrement recouvert de poudre d’or s’immerge tout entier dans une sorte de mer dorée. Au même instant, tous les membres de sa tribu rassemblés, jettent dans l’eau du bain sacré, en signe d’offrande, une multitude d’objets en or ».

Mythe ou réalité, toujours est-il que le missionnaire Gaspar de Carvajal, pressé de toutes parts, va préciser que le Royaume de Païtiti se situerait quelque part entre les fleuves Orénoque et Amazone, soit sur les actuels territoires du Brésil, du Venezuela ou de la Guyane.

La découverte et la conquête de ce pays de cocagne et les richesses fabuleuses qu’il est censé renfermer va désormais hanter les nuits et l’imaginaire de très nombreux explorateurs qui auront hâte de s’approprier le trésor.

Ce sera le cas notamment pour un explorateur anglais, Sir Walter Raleigh qui en 1594, se lancera dans l’aventure, avec la bénédiction de la Reine Elisabeth 1e d’Angleterre. Le récit de sa recherche du fameux « El Dorado », on le trouve dans le livre de l’espagnol François Coreal, « Voyages de François Coreal aux Indes occidentales contenant la Relation de la Guyane découverte par le chevalier Walter Raleigh ».

Récit : « On raconte que Guaynacapae, un des fils de l’Inca Atahualpa, fuyant l’arrivée des Conquistadors, s’était réfugié, avec quelques milliers de fugitifs dans une vaste région comprise entre l’Amazone et l’Orénoque, et qu’il y avait fondé un empire dont les richesses n’avaient rien de comparable au monde. Quelques Espagnols m’ont raconté des choses fort merveilleuses sur la capitale de ce royaume, Manoa connue chez eux sous le nom d’El Dorado. Ils m’assuraient qu’elle surpasse de beaucoup en grandeur et en richesses toutes les villes que

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notre Nation a conquises dans le vieux et dans le nouveau Monde, et que ces richesses auraient rendu le roi d’Espagne un des plus grands monarques de l’univers, de pauvre petit roi de Castille qu’il était auparavant. Selon eux, Manoa, située sur les bords d’un lac d’eau salée, qu’on peut appeler une mer puisqu’il a deux cent lieues de longueur, renfermait des maisons aux colonnades incrustées d’émeraudes et des temples dont les toits étaient d’or massif.

Dans le palais du prince, se trouvaient des statues d’une taille gigantesque et toutes sortes d’oiseaux, de bêtes, d’arbres, de poissons et de plantes, grandeur nature, toutes faites d’or. Egalement d’or et d’argent, les ustensiles, comme la vaisselle dont on se servait à la table, ou à la cuisine de ce Prince. A côte de la ville, l’Inca possédait un jardin dont les arbres, les fleurs et les herbes étaient en or et en argent. Dans la campagne, les diamants tenaient lieu de cailloux. Si tout cela est véritable, il ne doit y avoir rien de comparable à cette Monarchie, qui nous est encore inconnue »…

Extrait de « Voyages de François Coreal aux Indes occidentales, contenant la Relation de la Guyane découverte par le chevalier Walter Raleigh ». Amsterdam 1722. On peut retrouver la totalité du texte à l’adresse : http://www.manioc.org/patrimon/GAD11002

Revenu bredouille de ce premier voyage, Raleigh perdra ainsi tout crédit auprès de la Couronne d’Angleterre et le nouveau souverain, Jacques 1e, l’accusera même de conspiration. Jeté en prison dans la Tour de Londres, il n’en sortira que 12 ans plus tard pour repartir à la recherche des fameuses mines d’or du lac Parimé.

Jusqu’à la fin du XVIe siècle le nom « Guyane » restera absent des cartes de Géographie. On ne le trouve ni sur la carte de Mercator en 1569, ni sur celle d’Ortelius en 1670. Mais les noms de Manoa, d’El Dorado et de Guyane sont associés pour la première fois sur celle que Walter Ralegh publie, vers 1596, immédiatement après sa 1e expédition.

Malgré ce premier échec de Sir Walter Raleigh, l’Eldorado était né et bien né ! « Eldorado », contraction du nom espagnol « El Dorado » signifiant « Le doré ou l’homme

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revêtu d’or », va désigner d’abord le mystérieux personnage, à la fois prêtre et souverain, puis le lac sacré dans lequel il s’immerge, le lac Parimé et enfin l’ensemble de ce nouveau royaume. Cette contrée mythique va une seconde fois attirer l’aventurier anglais, Sir Walter Raleigh :

Récit : « Jusqu’à présent les Indiens ignorent absolument nos vues, et le projet que nous faisons de nous établir dans le Pays pour l’amour de l’or qu’il produit : dans la suite, quand ils seront accoutumés à nous, ils préféreront nôtre voisinage à celui des Espagnols, qui ont traité leurs voisins avec toute la cruauté imaginable. Je priai mon interlocuteur de me dire, qui sont ceux qui fabriquent les plaques d’or, et comment on le tire des pierres ; à quoi il me répondit : « la plus grande partie de l’or, dont on fait les plaques et les images, ne se sépare pas des pierres, mais se tire du lac de Manoa et de plusieurs rivières où on le prend en grains et quelquefois en petits morceaux. On y ajoute parfois une portion de cuivre pour le travailler. Voici comment cela se fait. On prend un grand pot de terre plein de trous, où le cuivre et l’or sont mêlez ensemble. On garnit les trous du pot avec des pipes, pendant que le pot est sur le feu, et l’on y souffle continuellement, jusqu’à ce que le métal soit fondu ; ensuite de quoi on le verse dans les moules de terre ou de pierre ». J’ai apporté deux figures en or faites par les Indiens de ce Pays-là, pour en faire voir la façon, plutôt que pour leur valeur : car il m’en a plus coûté que je n’ai reçu, puisque j’ai régalé plusieurs d’entre eux de médailles d’or, où était le portrait de Sa Majesté.

J’ai rapporté aussi des morceaux de roches de la mine d’or, dont il y a quantité en ce quartier-là, plus que nulle part ailleurs au monde : mais, comme je l’ai déjà dit, la découverte que nous en avons faite nous est devenue inutile, faute d’ouvriers et d’instruments, et autres choses nécessaires pour séparer l’or. Nous avons trouvé quantité d’endroits où l’or et l’argent reluisaient. Ce n’était nullement de la Marcassite, mais véritablement ce que les Espagnols appellent El Madre de l’oro ».

A l’issue de ce second voyage aussi infructueux que le premier, Raleigh sera la victime de nouvelles accusations du pouvoir qui le condamnera à mort et il sera exécuté peu après.

L’espagnol François Coreal qui relate les péripéties de l’aventurier anglais, fera, lui aussi, plusieurs voyages dans la même région. Après une première tentative infructueuse de

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pénétrer à l’intérieur du continent sud-américain par l’Orénoque, arrêté dans sa navigation par les nombreuses cataractes du fleuve, le prêtre-historien revient deux ans plus tard, mais cette fois, sur le territoire de l’actuelle Guyane Française. Dans le récit de son périple, il décrit ainsi « La découverte du grand, riche et magnifique Empire de la Guyane en relation avec la grande ville dorée de Manoa que les espagnols appellent – El Dorado – » :

Récit : « Je parle de ce que j’ai vu moi-même. Toutes ces terres sont riches en or. Si l’on veut faire quelque attention aux agréments naturels du climat, on y voit quantité de vallées et de rivières, beaucoup de gibier et de poisson. Le pays est propre à la culture, et l’air y est généralement fort pur. Aussi les gens y vivent très souvent au delà d’un siècle. Nous y avons toujours couché sans autre couverture que celle du ciel, et cependant aucun de mes gens n’y a été malade en tout mon voyage. Il y a au Sud de la rivière beaucoup de bois de Brésil ; on y trouve beaucoup de coton, d’herbe à soie, de baume et de poivre, diverses sortes de gommes, du gingembre.

Il faut regarder la Guyane comme un pays vierge. Personne ne l’a encore touchée. Aucun Prince chrétien n’a essayé jusqu’à maintenant de la conquérir. Si l’on bâtissait seulement deux Forts vers la mer à l’entrée du pays, il n’y a qui que ce soit qui puisse oser nous disputer ce riche terrain. Aucun vaisseau ne pourrait entrer sans essuyer le feu d’un des Forts. Outre cela, les vaisseaux chargés n’y sauraient aborder facilement qu’en un seul endroit, et l’on ne peut approcher de la Côte qu’avec de petits bateaux et des canots. Il y a sur la rivière des bois de deux cent milles pour le moins, et fort épais. La route de terre est aussi fort difficile. On a de tous côtés des hautes montagnes, et les vivres y font difficiles à trouver, à moins que d’avoir pour amis les naturels du pays ».

Malgré la découverte de ce pays « riche en or », aucune trace en Guyane du Lac Parimé, ni de l’Eldorado, ce pays désormais imaginaire dans lequel l’or est sensé couler à flot. Faute d’avoir découvert l’Eldorado, les conquérants ne repartiront cependant pas les poches vides, car ils parviendront à arracher aux Incas des monceaux d’or.

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Cette absence d’existence réelle ne va cependant pas décourager les utopistes pour qui ces contrées vont devenir des lieux de prédilection, inspirant notamment à voltaire deux chapitres de son célèbre « Candide ».

Récit : « Il mit pied à terre avec Cacambo auprès du premier village qu’il rencontra. Quelques enfants du village, couverts de brocarts d’or tout déchirés, jouaient au palet à l’entrée du bourg ; nos deux hommes de l’autre monde s’amusèrent à les regarder : leurs palets étaient d’assez larges pièces rondes, jaunes, rouges, vertes, qui jetaient un éclat singulier. Il prit envie aux voyageurs d’en ramasser quelques-uns ; c’était de l’or, c’était des émeraudes, des rubis, dont le moindre aurait été le plus grand ornement du trône du Mogol. – Sans doute, dit Cacambo, ces enfants sont les fils du roi du pays qui jouent au petit palet – Le magister du village parut dans ce moment pour les faire rentrer à l’école. – Voilà, dit Candide, le précepteur de la famille royale – Les petits gueux quittèrent aussitôt le jeu, en laissant à terre leurs palets et tout ce qui avait servi à leurs divertissements. Candide les ramasse, court au précepteur, et les lui présente humblement, lui faisant entendre par signes que Leurs Altesses Royales avaient oublié leur or et leurs pierreries. Le magister du village, en souriant, les jeta par terre, regarda un moment la figure de Candide avec beaucoup de surprise, et continua son chemin. Les voyageurs ne manquèrent pas de ramasser l’or, les rubis et les émeraudes… Ils entrèrent dans une maison fort simple, car la porte n’était que d’argent, et les lambris des appartements n’étaient que d’or, mais travaillés avec tant de goût que les plus riches lambris ne l’effaçaient pas. L’antichambre n’était à la vérité incrustée que de rubis et d’émeraudes ; mais l’ordre dans lequel tout était arrangé réparait bien cette extrême simplicité. Le vieillard reçut les deux étrangers sur un sofa matelassé de plumes de colibri, et leur fit présenter des liqueurs dans des vases de diamant ».

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Chapitre 1 1604-1637 – Les premiers colons

débarquent en Guyane

« Guyane », nom d’une tribu indienne aujourd’hui disparue qui vivait alors sur les rives de la rivière portant le même nom, affluent du fleuve Orénoque (actuel Venezuela) entre 2 et 5°30 de latitude Nord.

Dès la fin du IIIe siècle, on trouve les premières traces d’une présence humaine sur le littoral Guyanais. Il s’agit des Indiens Arawak et Palikur, originaires des rives de l’Amazone. Ils y seront rejoints cinq siècles plus tard par les Indiens Caraïbes, Galibis et Wayanas.

A l’arrivée des premiers Européens, au début du 17e siècle, on peut évaluer à trente mille le nombre des Amérindiens présents sur place. Originaires d’Asie orientale, ils traversèrent, on ne sait pas trop comment l’Océan Pacifique, avant de s’installer au nord du continent sud américain où ils se répartissaient alors en trois groupes :

Les Arawak (Arawak et Palikur) venus il y a plus de trois mille ans d’Amazonie centrale, suivis il y a environ mille ans par les Karib (Galibis et Wayanas), en provenance du bassin de l’Amazone et enfin, les derniers arrivants, les

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Tupi Guarani (Wayampis et Émérillons) qui s’y installent peu avant l’arrivée des blancs.

Dès la première incursion des Européens, la rencontre est fatale aux indigènes, non à cause d’une quelconque animosité ou de heurts entre les deux communautés, mais essentiellement en raison des maladies que les nouveaux arrivants importent, bien malgré eux, en terre indienne. Le nombre des autochtones est rapidement divisé par 100 et chute à seulement trois mille individus qui sont alors menacés de façon irréversible, de disparition. Repliées à l’intérieur des forêts, certaines ethnies comme les Wayanas, les Émerillons et les Wayampis, seront pratiquement « oubliées » pendant des siècles et ne seront « redécouvertes » que bien plus tard, par les explorateurs.

C’est un des compagnons de Christophe Colomb, le navigateur espagnol Vincent Yanez Pinçon, qui restera dans l’Histoire de la Guyane à avoir été le premier « explorateur », en 1500, à fouler son sol.

Si on ne connaît pas la date précise du débarquement des premiers colons Français en Guyane, on a des traces de leur présence dès la fin des années 1590, par les espagnols, mais surtout par le navigateur anglais Sir Walter Raleigh qui rapporte que « les Français y faisaient depuis longtemps de fréquents voyages pour en rapporter de l’or ; mais aussi pour d’aller y charger des bois colorés et notamment des bois de campêche ainsi que des espèces de bois précieux qu’on ne trouve qu’au Brésil ».

La Guyane, appelée alors « la France équinoxiale » (car nuit et jour y ont toute l’année pratiquement la même durée), est un immense territoire inexploré, compris alors entre Orénoque et Amazone, bien au-delà des frontières actuelles : de vastes étendues de terres inviolées d’Amérique

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du sud qui vont être le terrain d’affrontement des compagnies anglaises, françaises et hollandaises, toutes attirées par les différents récits accréditant la présence en Guyane du fameux « Eldorado ».

Pendant de nombreuses années, tous ceux qui vont tenter de prendre pied en Guyane ne pourront y demeurer de façon durable, vaincus, la plupart du temps, par les multiples épidémies de maladies, inconnues alors, et dont on n’avait pas, à l’époque, l’antidote. De ces premiers colons, constitués, le plus souvent, d’émigrants n’ayant plus rien à perdre ou de protestants pourchassés, on ne possède aujourd’hui aucune trace de leur présence.

Le récit des premières incursions françaises à l’intérieur de la Guyane, on le doit à Jean Mocquet, naturaliste et apothicaire du Roi de France, qui décrit avec moult détails la première expédition française, on pourrait dire « officielle ». Elle est ordonnée par Henri IV qui, au nom de la couronne de France, revendique désormais la possession de ces terres lointaines. Il charge pour cela le capitaine Daniel de La Touche, Sieur de la Ravardière, protestant comme lui, de prendre le chemin de la Guyane pour y porter haut et fort le pavillon royal.

Le Sieur de la Ravardière quitte Cancale le 12 janvier 1604 et arrive, 3 mois plus tard, en vue de l’embouchure de l’Amazone. « La côte, fort belle, est remplie d’une infinité d’arbres verts qui rendent les lieux si plaisants et si agréables ». Puis vient l’heure de la première rencontre avec les populations primitives des lieux, les Caripous qui selon Mocquet « vivent nus, sauf leur chef. Ils sont beaux, vifs, hardis et belliqueux, leur visage gai fait de cette tribu indienne des êtres doux et sociables ».

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Récit : « Nous arrivâmes sur cette terre le matin du mardi 10 avril 1604. C’était la terre de Yapoco. Nous laissions la rivière des Amazones, à main gauche, au-delà de laquelle vers le midi est le grand pays du Brésil et deçà, vers le nord, sont les Caripous et les Caribes. Voulant savoir ce que nous pourrions profiter en cette terre, nous descendîmes pour troquer serpes, haches, couteaux, bimbeloteries de verres de différentes couleurs et autres choses semblables. Tous les Indiens, de la tribu des Caripous, étaient accourus là de leurs habitations et y avaient tendu leurs hamacs ou lits pendants faits de cordes de palmiers. Ils étaient en grand nombre hommes, femmes et enfants tout nus comme quand ils sortent du ventre de leurs mères, sinon de quelques bimbeloteries dont ils se parent le corps. En leurs oreilles, les Caripous ont des bois longs et des pierres rondes. Ils avaient apporté mille bagatelles pour troquer comme gommes, plumes d’aigrettes et de perroquets, du tabac et autres choses que le pays produit. Je fis mon devoir de troquer et pris de leurs marchandises le plus qu’il me fût possible. Nous faisions nos marchés sans parler, montrant par signes ce que nous voulions avoir ou donner… Les Caripous sont les grands ennemis des Caribes et ils se font une guerre mortelle. Les Caribes mangent les Caripous, mais les Caripous ne mangent pas les autres. Le petit fils du Roi d’Yapoco qui m’accompagnait, me montrait par signes comme les Caribes avaient de grandes dents, et mordant son bras, il me donnait à entendre qu’ils les mangeaient quand ils les avaient faits prisonniers ».

Extrait de « Voyages en Afrique, Asie, Indes orientales et occidentales faits par Jean Mocquet. Paris 1617. On peut retrouver la totalité du texte à l’adresse : http://gallica.bnf.fr/ark : /12148/bpt6k86205b

Après ce premier contact « amical » avec les Caripous, deux d’entre eux acceptent de leur servir de guide et de leur faire découvrir l’embouchure de l’Oyapock, puis celle de la rivière de Cayenne. Le petit groupe se met aussitôt en route pour en atteindre sa source.

Récit : « Nous avions avec nous, deux Indiens pour nous montrer quelque bois du Brésil de quoi ils font leurs arcs et ayant pris un baril de breuvage et de biscuits pour vivre, nous courûmes tout ce reste du jour et de la nuit en ramant toujours le long de la côte qui est fort plaisante, et il y a mille sortes d’oiseaux qui mènent un tel bruit que c’est chose épouvantable. Surtout, il ya force petites mouches comme une

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espèce de cousins qui sont fort importuns qui nous donnent de grandes peine le jour et la nuit mais plus encore la nuit. Le lendemain matin, nous arrivâmes au fond de cette rivière, voyant un torrent qui descend d’une montagne en un vallon, où il fait au bas comme un lac. Puis il vient à passer au dessus d’un rocher plat et fort large et de là va tomber comme en une fosse creuse qui se va peu à peu élargissant jusqu’à ce qu’il se jette en pleine mer : la marée va jusqu’en ce lieu où il commence à tomber. Nous ne trouvâmes pas grand-chose en ce voyage sinon plusieurs sortes d’animaux et des poules d’Indes d’une autre façon que celles de notre Europe. Ces poules ont des plumes sur la tête qui sont noires et très belles et semblables à celles d’un héron. Nous en apportâmes en notre navire mais nous ne les pûmes conserver toutes jusqu’en France ».

Après avoir aidé, un temps, leurs compagnons de rencontre, les Caribous, dans leur guerre permanente contre les Indiens Caribes, une tribu anthropophage redoutable, le Sieur de la Ravardière et tout son petit monde font voile vers la France, les cales remplies de bois de santal et de bois de rose. Ils veulent, dès leur retour, conforter le Roi dans sa volonté d’établir une implantation française durable, en Guyane.

Le récit que Jean Mocquet, le futur garde du cabinet des Singularités du Roi, fait de son voyage, va immédiatement enchanter Henri IV et renforcer sa volonté d’hégémonie. Reste que le tableau dressé de ces terres lointaines paraît un peut trop idyllique au Souverain :

Récit : « Ce qu’entendant sa Majesté avec un grandissime contentement et d’autre part doutant de la vérité de ce discours pour les merveilles qu’il lui disait de ce pays, pour vérifier tout ceci, le Roi commande au Sir de La Ravardière (fort expert en marine, ayant déjà voyagé plusieurs fois en ces contrées et prêt d’y retourner) de mener avec lui ledit des-Vaux au Brésil et en l’ile de Maragnan pour voir si tout le bien qu’il lui en disait y était en effet, le chargeant expressément de lui faire à son retour une fidèle relation avec promesse d’entreprendre l’affaire à ses coûts et dépens, au cas que le dire dudit des-Vaux fut trouvé véritable ».

Témoignages de 2 moines Capucins, Claude d’Abbeville et Yves d’Evreux, dans « l’Histoire de la mission des pères Capucins en l’Isle de

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Maragnan ». 1614. On peut retrouver ce texte en suivant le lien : http://gallica.bnf.fr/ark : /12148/bpt6k8705156k/f5.item.zoom

Nommé Lieutenant général « en la terre d’Amérique depuis la rivière des Amazones jusqu’à l’île de la Trinité », La Ravardière mènera à bien la mission qui lui avait été confiée par Henri IV et de retour à Cancale, il se prépare, comme convenu, à venir lui en rendre compte. Mais, en Mai 1610, Henri IV vient d’être assassiné.

La très catholique Marie de Médicis, désormais Régente, va confirmer, au nom de son fils âgé de 9 ans, le futur Louis XIII, l’intérêt de la France de fonder une colonie, « dans un rayon de 50 lieues autour de Upaon Açu, la grande île du Maranhào et d’y convertir les indigènes ».

Elle va, pour ce faire, reconduire le protestant La Ravardière dans ses fonctions, mais le contraindre d’accepter de partager son commandement avec 2 nobles catholiques, François de Razilly et Nicolas de Harlay, chargé de financer l’expédition. Ces 3 « Lieutenants généraux pour Sa Majesté aux Indes occidentales et Terres du Brésil » seront accompagnés par une cohorte disparate de 500 hommes, à la recherche de jours meilleurs et de 4 membres de l’Ordre des Capucins, demande expresse de Razilly à la Régente « pour implanter la foi catholique au Brésil ». Une présence dont ne put que se louer Marie de Médicis, fondatrice du Couvent des Capucins de Paris. Ces 4 prêtres, suivis plus tard par des Jésuites, seront les premiers d’une longue liste envoyés en mission pour tenter de convertir « les sauvages » à des croyances moins barbares.

Récit : « Au matin du 19 mars 1612, le port de Cancale connaît une agitation inhabituelle. En effet, depuis plusieurs jours, trois navires achèvent leurs préparatifs de départ. La monarchie est très impliquée dans ce projet puisqu’elle a fourni une partie des fonds qui