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Les inégalités en question

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Collection "Alternatives Economiques" animée par Denis CLERC

Maquette de couverture : Maxence SCHERF

Denis CLERC a publié aux éditions Syros

- Déchiffrer l'économie, 7 édition 1986. - La crise (en collaboration avec A. Lipietz et J. Satre- Buisson), 4 édition 1986 - L'inflation, 1984. En préparation : - Inflation et croissance

© 1987, by Syros Syros 6, rue Montmartre 75001 Paris

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Denis Clerc Bernard Chaouat

les inégali tés en q u e s t i o n

SYROS

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DANS LA MÊME COLLECTION :

Série « Synthèse »

Déchiffrer l'économie, Denis Clerc ( 7 édition remise à jour). Le mirage de la croissance (la politique économique de la gauche, t. 1), Michel Beaud. Le grand écart (la politique économique de la gauche, t. 2), Michel Beaud. L'avenir a changé, Jacques Belleville. Nord-Sud: les enjeux du développement, Philippe Norel.

Série « Analyse »

La crise, Denis Clerc, A. Lipietz et J. Satre-Buisson (3e éd.). La faim ? Pourquoi..., François de Ravignan ( 2 éd.). Les trous du commerce extérieur, Jacky Chatelain. L'aide alimentaire, association Solagral. La crise de l'agriculture industrielle, Yves Chavagne ( 2 éd.). L'inflation, Denis Clerc. Comprendre l'économie soviétique, Christine Durand et Philippe Frémeaux. Un adieu aux arbres, Jean-Roger Mercier. Les entreprises alternatives, Philippe Outrequin, Anne Potier, Patrice Sauvage.

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Nous tenons à remercier Jacques Salvator pour son active participation à notre réflexion et ses con- tributions à l 'élaboration de ce livre.

Il n 'aurai t pas pu voir le jour sans le Colloque sur les inégalités * organisé par le PARI (Pour l 'Autogestion : Recherches et Initiatives) et présidé par le professeur Jean-Jacques Dupeyroux les 17 et 18 juin 1985 : la richesse des rapports présentés, des interventions et des débats a permis d 'en ébaucher le projet. Les auteurs remercient tous ceux qui l 'ont ensuite enrichi par leurs suggestions et leurs criti- ques amicales, notamment Jean-Michel Belorgey, Roland Bourglan, Philippe Frémeux, Didier Garel, Georges Gourguechon, Eliane Mossé, Jacques Rigaudiat, Danielle Sacriste.

Nous ne saurions oublier tous ceux qui ont œuvré à son achèvement : Elie Chaouat, Mireille Pansieri, Anne Prudhon, Jean-François Régnier, Evelyne Yonnet.

* Les actes du Colloque sur les inégalités sont parus dans un numéro spécial de la revue Citoyens (n° 208-209, avril 1986, disponible au PARI et à VIE NOU- VELLE, 69 rue de Dunkerque 75009 PARIS, 20 F.).

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I N T R O D U C T I O N

C e l i v r e e s t l e f r u i t d ' u n c o n s t a t e t d ' u n e

c o n v i c t i o n .

L e c o n s t a t : d e p u i s p l u s i e u r s a n n é e s — u n e

d i z a i n e a u m o i n s — , l e s i n é g a l i t é s s ' a c c r o i s s e n t d e

n o u v e a u e n F r a n c e . L ' a f f i r m a t i o n s u r p r e n d r a p e u t -

ê t r e : n o m b r e u x s o n t c e u x q u i o n t m i s e n é v i d e n c e

l e r e s s e r r e m e n t s é c u l a i r e d e l ' é v e n t a i l d e r e v e n u s .

E n 1 8 3 0 , l e c o n s e i l l e r d ' E t a t e n f i n d e c a r r i è r e

g a g n a i t q u a r a n t e c i n q f o i s p l u s q u e l e m a n œ u v r e d e

p r o v i n c e , n o u s d i t J e a n F o u r a s t i é . U n s i è c l e e t d e m i

a p r è s , l ' é c a r t n ' e s t p l u s q u e d e s e p t à u n . L o u i s X I V

s e f a i s a i t c o n s t r u i r e V e r s a i l l e s , l e b o u r g e o i s d u X I X

s i è c l e s e p a y a i t u n e o p u l e n t e m a i s o n a u m i l i e u d ' u n

p a r c , c e l u i d ' a u j o u r d ' h u i s e b o r n e à u n d u p l e x a v e -

n u e H e n r i - M a r t i n . M i e u x : d e p u i s 1 9 4 5 , l e m o u v e -

m e n t s é c u l a i r e d e r é d u c t i o n d e s i n é g a l i t é s s ' e s t a c c e n -

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tué, sous le double effet de l'instauration d'un salaire minimum qui progresse plus vite que la moyenne ( au moins depuis 1968 ) et des retombées de l'Etat- Providence : le minimum vieillesse, les prestations familiales et l'assurance-chômage, même si elle est de plus en plus chichement mesurée, fournissent un filet de sécurité pour bien des ménages .

Tout cela est vrai, et nous n'allons pas reprendre le vieil air de la paupérisation, absolue ou relative, qui a fait les délices d'une génération persuadée de la nocivité absolue du capitalisme.

Pourtant, nous persistons : les inégalités s'accrois- sent dans la France d'aujourd'hui. Les inégalités de revenus : car la crise frappe de plein fouet les plus fragiles, et leur enlève parfois le peu qu'ils avaient. La grande pauvreté, celle des gens qui n'ont rien, pas même de domicile, réapparaît. Sous prétexte de trop d'Etat, certains des filets qui empêchaient la dégringolade se relâchent. On parle même d'en sup- primer certains. Mais s'accroissent aussi les inéga- lités devant l'emploi, avec le chômage sélectif qui frappe rarement au hasard et les inégalités devant la formation, avec une école qui laisse sur le car- reau, en situation d'échec, environ un jeune sur deux.

Le libéralisme ambiant accentue ces tendances spontanées, car la consigne, désormais, est de lais- ser faire davantage le marché. Quoiqu'en disent ses partisans, le renard libre a toujours eu raison des poules dans le poulailler libre. On sait bien que les mécanismes du marché récompensent peut-être les battants, les sur-doués, les astucieux et les gagneurs. Mais les autres ? Il n'y a pas d'exemple d'une société libérale qui n'ait vu les écarts s'accroître entre les catégories extrêmes.

Notre conviction naît de ce constat : une société qui procède par exclusion, qui marginalise ceux qui

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ne lui sont pas — ou plus — utiles est une société qui se défait. La solidarité — entre générations, entre voisins, entre citoyens — est le ciment qui per- met à un agglomérat de gens de devenir une com- munauté. Il ne peut y avoir de projet commun lors- que l'activité de tous bénéficie à certains seulement, tandis que d'autres sont exclus.

Nous ne pouvons fermer les yeux sur le retour des inégalités sur la scène publique. Nous ne pouvons faire comme s'il s'agissait d'un phénomène secon- daire ou temporaire.

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CHAPITRE 1

La crise, un révélateur

Qui aurait cru que, dans un pays où le revenu moyen par actif occupé est de 13 000 F. par mois (1), qui aurait cru que l'on pourrait un jour lancer un appel angoissé : « Chacun dans ce pays doit man- ger à sa faim. Plus une seule famille avec enfants ne doit se trouver à la rue » ? C'était le 17 octobre 1984, au cours du Conseil des ministres : M. Fran- çois Mitterrand soulignait ainsi la résurgence de la grande pauvreté et annonçait une série de mesures sociales destinées à la limiter.

1. Il s'agit du revenu disponible brut de 1985, c'est-à-dire du revenu après impôts, mais y compris les revenus sociaux (retraites,allocations familiales, rembourse- ments de sécurité sociale, etc). Ce revenu est dit brut parce qu'il ne prend pas en compte la nécessité pour les travailleurs indépendants, de renouveler leur outil de travail en y affectant une part de ce revenu.

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La production des inégalités

A vrai dire, l'étonnant est qu'il ait fallu attendre la fin 1984 pour que les hautes autorités françaises s'émeuvent d'un problème qui ne date pas d'aujourd'hui . En 1980, déjà, le rapport Oheix, commandé à un conseiller d'Etat par le Premier ministre de l'époque, constatait la persistance, voire l'extension de poches de pauvreté. L'analyse sug- gérait que la pauvreté est issue d'un cumul de han- dicaps : emploi, âge, formation, niveau culturel, revenu, santé..., l'ensemble déterminant ainsi une plus ou moins grande fragilité à l'égard des pertur- bations sociales de la vie. Pour peu que plusieurs causes de fragilité coexistent, le moindre incident provoque la chute dans la marginalité. Cette analyse à peine esquissée dans le rapport Oheix, les cher- cheurs de la fondation pour la recherche sociale (FORS) l'ont approfondie pour un rapport destiné à la C.E.E. et dont ils ont tiré un livre sous la direc- tion d'Antoine Lion et de Pierre Maclouf, L'insé- curité sociale (2). Ils y montrent les processus de pro- duction de la pauvreté, au sein même de nos socié- tés d'abondance, durant les « trente glorieuses », années de forte croissance économique. Car c'est la croissance elle-même, inlassablement, qui crée de « nouveaux pauvres » par les transformations qu'elle produit, par la mobilité qu'elle exige. Le mécanisme est simple : les transformations techni- ques qui accompagnent ou qui tirent la croissance économique déclassent, marginalisent ou font dis- paraître des métiers, supprimant ainsi le support éco- nomique et social qui permettait à leurs titulaires

2. Aux Editions Ouvrières, Economie et humanisme, coll. « politique sociale », 1982.

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d ' o b t e n i r u n r e v e n u r é g u l i e r ( m ê m e f a i b l e ) e t d ' ê t r e

i n s é r é d a n s u n t i s s u p r o d u c t i f . L a m a r é e m o n t a n t e

d e l a c r o i s s a n c e s a p e c e r t a i n e s c a t é g o r i e s d ' e m p l o i s

c o m m e d e s c h â t e a u x d e s a b l e : l o r s q u ' i l s d i s p a r a i s -

s e n t , l e s « v i c t i m e s d u p r o g r è s » q u i n ' o n t p a s

l ' a s s i s e n é c e s s a i r e — e n t e r m e s d e r e v e n u s , d e r e l a -

t i o n s o u d e q u a l i f i c a t i o n s , l e s t r o i s a l l a n t s o u v e n t

d e p a i r — t o m b e n t d a n s l a p r é c a r i t é . E t , à l ' i n v e r s e ,

c e u x q u i o n t l a p o s s i b i l i t é — p e t i t c a p i t a l a c c u m u l é ,

r é s e a u d e r e l a t i o n s , f o r m a t i o n a d é q u a t e — d e p r o -

f i t e r d u t r a i n q u i p a s s e , p e u v e n t g r i m p e r e n m a r -

c h e : l e f i l s d e p a y s a n d e v i e n t i n s t i t u t e u r , l e p e t i t -

f i l s p r o f e s s e u r , p u i s b a n q u i e r o u h o m m e d ' a f f a i r e s .

A i n s i , l e m ê m e m o u v e m e n t q u i p r o p u l s e l e s u n s

d é c l a s s e l e s a u t r e s . C ' e s t l a m ê m e é v o l u t i o n é c o n o -

m i q u e q u i e n r i c h i t l e s c é r é a l i e r s d u B a s s i n p a r i s i e n

e t a p p a u v r i t l e s é l e v e u r s d e m o y e n n e m o n t a g n e q u i

o n t p a r i é — u n p e u t r o p t a r d , u n p e u t r o p

m o d e s t e m e n t — s u r l ' é l e v a g e i n t e n s i f . L a c r o i s -

s a n c e é c o n o m i q u e , o n l ' o u b l i e t r o p , b o u l e v e r s e

l e s p a y s a g e s s o c i a u x à l a f a ç o n d ' u n b u l l d o z e r .

D u r a n t t r e n t e a n s , n o u s a v o n s é t é s e n s i b l e s s u r t o u t

a u m o u v e m e n t : l e p o u v o i r d ' a c h a t q u i a u g m e n t a i t ,

l e s t a u x d ' é q u i p e m e n t e n p r o d u i t s d u r a b l e s —

a u t o m o b i l e , t é l é v i s e u r , r é f r i g é r a t e u r , m a c h i n e à

l a v e r . . . — q u i p r o g r e s s a i t , l ' u r b a n i s a t i o n q u i s e

r é p a n d a i t , e n t r a î n a n t d e r r i è r e e l l e l a r o n d e d e s g r u e s

e t d e s m a r t e a u x - p i q u e u r s . Q u e d e s l a i s s é s - p o u r -

c o m p t e , v o i r e d e s v i c t i m e s d u p r o g r è s , p a s s a i e n t à

t r a v e r s l e s m a i l l e s d e l a s o c i é t é d ' a b o n d a n c e q u i é t a i t

e n t r a i n d e s e c o n s t r u i r e , c ' é t a i t l ' é v i d e n c e . M a i s o u t r e

l e r ô l e d e v o i t u r e - b a l a i j o u é p a r l e s P o u v o i r s p u b l i c s

— l e s a l a i r e m i n i m u m , l e s a i d e s s o c i a l e s , l e m i n i m u m

v i e i l l e s s e . . . — c e n ' é t a i t , p e n s a i t - o n , q u ' u n e q u e s -

t i o n d e g é n é r a t i o n : s i l e s p è r e s n e p a r v e n a i e n t p a s

à ê t r e i n t é g r é s d a n s c e t t e s p i r a l e a s c e n d a n t e , l e u r s

e n f a n t s l e s e r a i e n t . A u p i r e , l ' a b o n d a n c e e n g e s t a -

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tion permettrait de se montrer plus large, plus géné- reux, en un mot plus fraternel, à l'égard des exclus : le social s'alimente aux bornes de la prospérité géné- rale. Quand les caisses sont pleines, on peut puiser sans problèmes dedans. Et il est vrai que, somme toute, le sort des exclus de l'abondance des années 50 et 60 a été sans doute moins pitoyable que celui du « lumpen-prolétariat » du XIX siècle. Quoi qu'on en pense, Job serait inéluctablement mort de faim s'il avait dû se contenter des miettes des pau- vres, car les pauvres, à la différence des riches, ne laissent pas de miettes. Nous pensions naïvement qu'un jour les miettes de l'abondance, gonflées par l'action redistributrice des Pouvoirs publics, attein- draient une taille suffisante pour, sinon rendre envia- ble le sort de Job, du moins le rendre supportable.

Comparaison n 'est pas raison

C'était oublier deux points importants. Le premier est que la pauvreté est chose relative.

Ceux du bas de l'échelle ne sont plus réduits à quê- ter le pain — encore que ce ne soit pas toujours évi- dent —, leur sort s'est amélioré depuis un siècle, ou même depuis vingt ans. C'est peut-être vrai, mais pas toujours, on le verra. Quand bien même ça le serait, la belle affaire : le modèle de consommation de masse, celui que tout le monde, tout le temps, a sous les yeux, c'est celui que nous décrivent la publicité, le cinéma, les médias. C'est celui qui s'étale à longueur de vitrines et de carrosseries, dans la rue. C'est celui des kilomètres de rayonnage, débordants, dans les grandes surfaces. Restaurants de luxe, bel- les voitures, toilettes somptueuses, quartiers chics, d'un côté. Quart-monde, nouveaux pauvres, HLM dégradées, chômage et petit boulot, de l'autre. De l'extrême pauvreté — celle des exclus de toutes sor-