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Tous droits réservés © Groupe de recherche diversité urbaine et CEETUM, 2007 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 11/29/2020 2:11 a.m. Diversité urbaine Les jeunes et la marginalisation à Montréal : la culture hip-hop francophone et les enjeux de l’intégration Marie Nathalie LeBlanc, Alexandrine Boudreault-Fournier and Gabriella Djerrahian Volume 7, Number 1, été 2007 URI: https://id.erudit.org/iderudit/016267ar DOI: https://doi.org/10.7202/016267ar See table of contents Publisher(s) Groupe de recherche diversité urbaine et CEETUM ISSN 1913-0694 (print) 1913-0708 (digital) Explore this journal Cite this article LeBlanc, M., Boudreault-Fournier, A. & Djerrahian, G. (2007). Les jeunes et la marginalisation à Montréal : la culture hip-hop francophone et les enjeux de l’intégration. Diversité urbaine, 7 (1), 9–29. https://doi.org/10.7202/016267ar Article abstract Hip hop culture appeared and flourished in Quebec during the 1980’s. A variety of ethnic and cultural groups in Montreal have appropriated rap music as a vehicle for expressing the realities of their daily lives, and as such, hip hop has become a central reference point in the construction of identity. In this article we explain how hip hop culture offers a space where youth of diverse ethnic and cultural backgrounds, who are often marginalized from the dominant Québécois culture, can integrate and adapt to their environment. Rather than analyzing hip hop as a form of global contestation and resistance customized to a local setting, we interpret Québécois rap as a strategy for integration whereby young artists work to make their culture more visible in the public sphere and within the framework of media institutions of the larger society.

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Tous droits réservés © Groupe de recherche diversité urbaine et CEETUM, 2007 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can beviewed online.https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit.Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is topromote and disseminate research.https://www.erudit.org/en/

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Diversité urbaine

Les jeunes et la marginalisation à Montréal : la culture hip-hopfrancophone et les enjeux de l’intégrationMarie Nathalie LeBlanc, Alexandrine Boudreault-Fournier and GabriellaDjerrahian

Volume 7, Number 1, été 2007

URI: https://id.erudit.org/iderudit/016267arDOI: https://doi.org/10.7202/016267ar

See table of contents

Publisher(s)Groupe de recherche diversité urbaine et CEETUM

ISSN1913-0694 (print)1913-0708 (digital)

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Cite this articleLeBlanc, M., Boudreault-Fournier, A. & Djerrahian, G. (2007). Les jeunes et lamarginalisation à Montréal : la culture hip-hop francophone et les enjeux del’intégration. Diversité urbaine, 7 (1), 9–29. https://doi.org/10.7202/016267ar

Article abstractHip hop culture appeared and flourished in Quebec during the 1980’s. Avariety of ethnic and cultural groups in Montreal have appropriated rap musicas a vehicle for expressing the realities of their daily lives, and as such, hip hophas become a central reference point in the construction of identity. In thisarticle we explain how hip hop culture offers a space where youth of diverseethnic and cultural backgrounds, who are often marginalized from thedominant Québécois culture, can integrate and adapt to their environment.Rather than analyzing hip hop as a form of global contestation and resistancecustomized to a local setting, we interpret Québécois rap as a strategy forintegration whereby young artists work to make their culture more visible inthe public sphere and within the framework of media institutions of the largersociety.

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LES JEUNES ET LA MARGINALISATION À MONTRÉAL :LA CULTURE HIP-HOP FRANCOPHONE ET LES ENJEUX DE L’INTÉGRATION1

Marie-Nathalie LeBlancAlexandrine Boudreault-FournierGabriella Djerrahian

RÉSUMÉ / ABSTRACT

La culture hip-hop est apparue au Québec dans les années 1980. À Montréalen particulier, différents groupes ethniques et culturels se sont approprié lerap et l’emploient comme un mode d’expression de leurs réalités quotidiennes,le transformant ainsi en un référent identitaire. Nous proposons que la culturehip-hop offre un espace d’intégration et d’adaptation à des jeunes de diversesorigines ethniques et culturelles, souvent marginalisés au sein de la culturequébécoise dominante. Loin d’être un instrument de résistance et decontestation mondialisé, adapté et manipulé sur le plan local, le rap québécoisnous apparaît comme une stratégie d’intégration mise en place par de jeunesartistes qui visent ainsi à rendre leur culture davantage visible au sein de lasociété majoritaire, tant au niveau public que médiatique.

Hip hop culture appeared and flourished in Quebec during the 1980’s. A varietyof ethnic and cultural groups in Montreal have appropriated rap music as avehicle for expressing the realities of their daily lives, and as such, hip hop hasbecome a central reference point in the construction of identity. In this articlewe explain how hip hop culture offers a space where youth of diverse ethnicand cultural backgrounds, who are often marginalized from the dominantQuébécois culture, can integrate and adapt to their environment. Rather thananalyzing hip hop as a form of global contestation and resistance customizedto a local setting, we interpret Québécois rap as a strategy for integrationwhereby young artists work to make their culture more visible in the publicsphere and within the framework of media institutions of the larger society.

Mots clés : jeunes, culture populaire, hip-hop, intégration, média.

Keywords : youth, popular culture, hip hop, integration, media.

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Introduction

EN 2003, À LA FIN D’UN DE LEURS

SPECTACLES, les membres de Muzion(Impossible, Dramatik et J-Kyll), ungroupe de rap d’origine haïtienne issudu quartier St-Michel à Montréal etqui connaît une certaine notoriété,s’adressent à la foule : « Y-as-tu desHaïtiens dans la salle? ». Lesspectateurs, d’origine haïtienne pourla plupart, hurlent en guise deréponse. Un des artistes enchaîne etprécise que la musique hip-hop « c’estpour tout le monde, on est tous desQuébécois, nous autres on est tous nésici »2. Un troisième ajoute : « le hip-hop est pour toutes les races ». Bienqu’ils affirment « on est tous desQuébécois », les références auxmarqueurs ethniques et immigrantssuscitent des réactions parti-culièrement vives de la part del’audience, composée en grandemajorité d’adolescents. Pour cesjeunes d’origine haïtienne, l’appellancé par Muzion représente unmoyen de s’emparer d’un espacesocial et culturel, au sein de la sociétédans laquelle ils vivent.

Jusque récemment, la littératurescientifique analysait la culture hip-hop à l’extérieur des États-Unis entermes global/local, examinantessentiellement les modes deréinterprétation locale et contextuellede la culture hip-hop globale. Cetteapproche globalisante a généré desétudes sur l’appropriation etl’adaptation de la culture hip-hop,notamment au Japon (Cornyetz 1994;

Condry 2001), dans la région basque(Urla 2001), aux Pays-Bas (Krims2002) et au Québec (Schweiger 2004).Contrairement à cette hypothèse selonlaquelle le rap francophonemontréalais3 représente une formelocale d’appropriation et d’adaptationde la culture hip-hop globale, noussuggérons, quant à nous, que pour lesjeunes rappeurs — souventmarginalisés du fait de leur âge, deleur origine ethnique ou parce qu’ilss’expriment par l’intermédiaire duhip-hop (un vecteur souvent associéà la violence, aux gangs de rue et à ladrogue dans l’imaginaire public) —la culture hip-hop québécoise fournitun espace grâce auquel ils tentent des’insérer dans la société dominante,tant sur un plan identitaire que social,politique et économique.

Ainsi, le hip-hop marque un nouvelespace urbain au sein duquel il estpossible pour les jeunes rappeursfrancophones « to think andexperience their own being in amanner or modality that previouslyhad left them feeling denied »(Maxwell 2001 : 265). Dans cetarticle, contrairement à plusieursétudes sur le mouvement hip-hopmenées aux États-Unis (voir parexemple Martinez 1997 et Forman2002), nous soutenons que, dans lecontexte montréalais, la culture hip-hop peut difficilement être considéréecomme un phénomène de résistanceet de contestation en réaction à laculture dominante. En fait, lesrappeurs francophones semblent avoircréé un réseau d’intégration au sein

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de la société majoritaire. En effet,malgré la difficulté à percer l’industrieculturelle du Québec, plusieursrappeurs de diverses originesethniques et raciales travaillent, selonnous, à construire un alter-espace4.

Du Bronx au gangster rap :historique du hip-hop

La culture hip-hop a émergé dansle Bronx à New York, au début desannées 1970 avec les « block party »,ces fêtes dansantes organisées par despiliers du hip-hop, tels un de ses pères,DJ Kool Herc (d’origine jamaïcaine).De nature improvisée, ces événementsse déroulaient dans les quartiers duBronx et rassemblaient les jeunes quidansaient sur les rythmes des DJs.Dans un premier temps, l’innovationtechnique de « mixer » et« scratcher »5 les disques vinylesdonnera à la musique hip-hopl’originalité qu’on lui reconnaît encoreaujourd’hui. Initialement en effet,l’expression verbale du hip-hop6, lerap, ne se situait pas au centre de cestyle musical (Henderson 1996). C’estavec l’apparition de chansons rapsengagées telles que « The Message »(Grandmaster Flash et MC Melle Mel1982)7, dénonçant la condition desNoirs aux États-Unis, que le rapdevient progressivement une force derassemblement pour bon nombred’Afro-Américains des ghettos et desmilieux urbains8. Rapidement, lemouvement hip-hop9 s’est ensuiteétendu à plusieurs quartiers et régionsdes États-Unis.

Dans les années 1990, la culturedu « hood » de la côte ouest des États-Unis ainsi que les tensions des« crews » et gangs des côtes est etouest, ont provoqué une avalanche deviolence qui a touché la communautéhip-hop. Ces bouleversements, ainsique le désir accru de commercialiserla culture hip-hop, ont favorisé ledéveloppement d’un sous-genre durap appelé gangsta rap (rap degangster). Connu pour son caractèreviolent et misogyne, et associé à laculture du bling-bling (une emphasesur la surconsommation de biensmatériels et leur étalage dans l’espacepublic), ce phénomène du gangsta rapva progressivement venir occuper uneplace centrale dans lacommercialisation de la culture hip-hop, commercialisation qui s’étendbien au-delà des frontières de l’Étataméricain.

Le hip-hop dans la métropolequébécoise10

La culture hip-hop est apparue surl’île de Montréal à la fin des années80 et au début des années 90. Avecplusieurs groupes, « clicks »,entrepreneurs et artistes qui œuvrentau développement d’une cultureoriginale et économiquementrentable, Montréal est depuis lorsdemeurée la capitale québécoise duhip-hop, malgré l’émergence de diversrappeurs dans bon nombre de villesde plus petite taille ailleurs au Québec.L’accès satellite aux chaînes de radioet de télévision américaines captées à

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Montréal n’explique qu’en partie lapropagation du hip-hop au Québec.En effet, il faut se rappeler que dansles années 1980, le rap américain nebénéficiait pas de la couverturecommerciale dont il disposeaujourd’hui. Ainsi, le hip-hop asurtout pénétré l’île de Montréal, etle Québec en général, grâce à deséchanges culturels qui ont pris placeà travers les réseaux migratoires :ayant des amis et/ou de la famille auxÉtats-Unis, des Jamaïcains et desHaïtiens établis à Montréal serendaient régulièrement à New Yorkpour copier sur cassettes la musiqueet les vidéoclips des groupes de l’heureou en émergence. Ces jeunesMontréalais les faisaient ensuitecirculer informellement dans les ruesde Montréal. Ce sont ces jeunes,parmi lesquels on comptait des b-boyset b-girls (danseurs), des rappeurs, desgraffitistes et des DJs, qui ont forméla première génération de la culturehip-hop au Québec. Les groupes KCLMNOP, MRF (Mouvement RapFrançais) (Laabidi 2006) ainsi queShades of Culture constituentquelques exemples de cette premièregénération de rap typiquementquébécois. Leur entrée sur la scènemusicale québécoise a ainsi forgé uneplace pour les groupes des années 90tels que Dubmatique (qui a connu unfranc succès commercial), EleventhReflektah (groupe de Québec, connusous le nom de La Constellation),Academia (aujourd’hui Muzion) etSans Pression.

À cette époque, le rap montréalaisétait surtout anglophone et sesprotagonistes s’inspiraient davantagedu rap américain que du rap français.C’est avec l’apparition de rappeursfrançais comme MC Solaar et IAMque plusieurs groupes de Montréal etde la ville de Québec ont eux aussicommencé à rapper en français. Cettetendance s’est accentuée lorsque cesgroupes ont cherché à toucher un plusgrand auditoire dans la province duQuébec, et notamment un public plusfrancophone.

À l’heure actuelle, il faudraitdavantage parler de culture semi-marchande, car très peu d’artistesmontréalais génèrent suffisamment derevenus pour vivre de leur musique.Au-delà de la production artistique àdes fins commerciales, à Montréal, laculture hip-hop connaît une certaineexpansion dans le cadre de l’actioncommunautaire et de l’interventionsociale et culturelle, ce qui représenteune source potentielle de financementpour les artistes en devenir, aussiminime soit-elle.

Au cours des années 1990,plusieurs centres jeunesses et centrescommunautaires de l’île de Montréal,dont le Park Extension YouthOrganization, le Centre St-Damase etla Maison des jeunes Côte-des-Neiges,ont en effet développé desprogrammes hip-hop afin d’aider lesjeunes en situation de précarité oumême de marginalisation. Lesprogrammes de hip-hop procurent unespace organisé au sein duquel les

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jeunes peuvent s’exprimer par le rap,le graffiti et/ou le breakdance. Cesateliers, workshops ou drop-inarticulés autour de la culture hip-hopont pour principal objectif depermettre aux jeunes en situation demarginalisation de s’exprimer, deprendre conscience de leur identité.Aussi, dans certains cas, il s’agit depermettre un transfert deconnaissances artistiques ettechniques avec la création de studiosd’enregistrement et de divers réseauxde distribution.

Une approche anthropologiquede l’étude du hip-hop àMontréal

Afin de tenir compte de laspécificité de la culture hip-hop, soitson omniprésence dans la culturepopulaire des jeunes, la vitesse àlaquelle elle se développe et setransforme ainsi que son caractèreclandestin, nous avons mené une sériede « mini-ethnographies »11 dansdivers espaces urbains, incluant descentres de jeunes de quartier offrantdes ateliers de hip-hop, des salles despectacle, des lieux de rencontrehebdomadaire ou mensuelle, des barset des stations de radio alternatives.En participant à plusieurs reprises auxmêmes types d’ateliers et/oud’événements, nous avons développédes contacts qui ont facilité notreinsertion auprès des jeunesproducteurs de la culture hip-hop quiœuvrent auprès des jeunesmarginalisés.

Les données empiriques présentéesdans cet article, recueillies en 2003-200412, traitent principalement desquartiers Parc Extension, Saint-Michel13 et Côte-des-Neiges. Durantcette période, nous avons assisté àplusieurs événements au centre-villede Montréal, par exemple deslancements de disques, des spectacles,des concours et festivals hip-hop.Notons que les quartiers couverts parl’article comptent une grande diversitéethnique et raciale. Nous avonsrencontré des jeunes francophones,pour la plupart capables de s’exprimeren français et provenant de paysappartenant à la francophonie. Cesprécisions méthodologiques sontd’autant plus importantes que lescatégories (identitaires) ethniques et/ou linguistiques définissent égalementles frontières le long desquelles seforment les scissions au sein même dela communauté hip-hop de Montréal.Rappelons que la communauté hip-hop montréalaise est fragmentée : lesdifférents « clicks» et « crews » 14 quila composent ne semblent pastoujours s’entendre et évoluentsouvent dans des espaces socio-géographiques distincts.

Plusieurs entrevues et séancesd’observation ont également étémenées lors d’événements et ateliersdits « underground ». Bien que lesartistes reconnus au sein de la culturehip-hop demeurent relativementaccessibles, nos champs d’intérêtportent davantage sur l’interface entreles artistes et les amateurs, ou encoreentre les artistes reconnus et les

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artistes en devenir. Nos principauxquestionnements explorent le rôle dela culture hip-hop dans le contexte desdynamiques d’inclusion et d’exclusionraciale, ethnique et linguistique quimarquent la société cosmopolitemontréalaise, ainsi que la constitutionde réseaux artistiques et defréquentation parmi les jeunesrappeurs. Au cours de notrerecherche, nous avons découvert quele milieu de l’interventioncommunautaire — à travers lesateliers, les workshops ou les drops-ins — est un espace privilégié dans lamesure où dans la majorité des cas,les animateurs sont des artistesreconnus dans le milieu hip-hop.

Le rap francophone à Montréal

Le rap montréalais s’articuleautour de deux influences majeures :d’un côté le rap américain – influenceliée à sa proximité géographique et àsa forte représentation dans les médiasde masse – et de l’autre, le rap français– en raison du partage d’une languecommune. Toutefois, le rapfrancophone montréalais ne seprésente pas comme la simplecombinaison de ces deux mouvementsmusicaux : il reflète également desréalités politiques, économiques etculturelles propres au Québec15.D’ailleurs, bien que le hip-hopaméricain soit une sourced’inspiration pour les rappeursmontréalais, la production de rap destyle gangsta est très faible àMontréal16. En effet, chez les jeunes

rappeurs francophones, amateurs etartistes, dont l’âge varie entre 15 et22 ans, l’authenticité du discours està la base du rap; en d’autres termes,un rappeur doit parler du quotidiende son quartier. Or, puisque les ghettosaméricains et le type de criminalité quiy est associé — principalement enrelation à la côte ouest du pays — sontabsents de l’espace urbainmontréalais, un rappeur qui se veutcrédible ne peut y faire référence etprétendre à leur existence17. Ainsi, lerap francophone montréalais traiteplutôt de thèmes tels que la vie dequartier, la pauvreté, le racisme, lesinjustices sociales, les échecs dusystème scolaire, les industriesculturelles québécoises, le stress, lerespect de l’environnement, ou encorel’amour et ses déceptions.

De plus, le fait hip-hop montréalaisest caractérisé par son contenumulticulturel, multilingue etmultiethnique. Il est incontestablequ’une forme de métissagelinguistique est apparue au sein mêmede la culture hip-hop18. Certains clickset crews sont égalementpluriethniques dans leur composition.Toutefois, ce croisement masque unefragmentation au sein des rappeursmontréalais qui reflète, dans unecertaine mesure, les divisionsethniques et linguistiques qui existentsur le territoire urbain. Par exemple,au niveau de la langue, les jeunesrappeurs sont distribués entre lesscènes francophone et anglophone :elles ont chacune leurs propresentrepreneurs, événements, artistes et

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publics qui, en plus de connaître desréalités économiques distinctes,entrent rarement en contact (LeBlancet Djerrahian à paraître). Il est à noterque la référence à ces deux groupeslinguistiques ne correspond pas auxcatégories historiques des Canadiensfrançais et des Canadiens anglais. Ellese rapporte plutôt à des ensemblespluriethniques constitués autour desdeux langues officielles au Canada.Par exemple, dans le milieu du rapfrancophone, les artistes sontd’origines très variées avec unedominance haïtienne et les lyriques deleur rap incluent du français, del’anglais, du créole, du lingala, voiremême de l’espagnol dans certains cas.

Outre la langue, l’ethnicité et larace sont aussi des éléments desegmentation au sein des rappeursmontréalais. Par exemple, parmi lesjeunes rappeurs francophones, cesdeux éléments jouent un rôle centraldans la formation des clicks et dansla constitution de réseaux defréquentations. Dans le quartier St-Michel, entre autres, les rappeurs sontainsi divisés entre les jeunes d’originehaïtienne et ceux d’origine latino-américaine. Même s’ils peuvent êtreappelés à fréquenter les mêmesespaces de création, tel que le drop-indu Centre St-Damase, ils rappentrarement ensemble et ils socialisentséparément. Nous avons d’ailleurs puconstater cette division au cours denombreuses observations, tant auCentre St-Damase qu’au ParkExtension Youth Organization. Defaçon globale, les jeunes rappeurs

d’origine haïtienne constituent uneprésence saillante au sein du rapfrancophone montréalais.

Au-delà de ces distinctionslinguistiques, ethniques et raciales, lesrappeurs francophones montréalaissont aussi confrontés au dilemmeentre être « real » et « street » d’unepart, et réussir commercialementd’autre part. Les jeunes rappeursentretiennent la conviction qu’enrestant « street » – c’est-à-direspontanés, proches du quartierd’origine et sans intérêt commercialprimaire – ils demeurent « real » et« authentiques », deux attributsfondamentaux pour établir lacrédibilité d’un rappeur. Cependant,la plupart d’entre eux rêvent de percerdans le domaine commercial et devendre plusieurs disques pour ainsiaméliorer leur situation économiqueprécaire. Pour être authentique etcrédible, le rappeur doit parler desréalités de la rue et faire référence àson quartier d’origine, tout en sachantque s’il devenait populaire, il pourraitperdre son statut de porte-parole.

Être street et real : lamarginalisation de la jeunesseimmigrante et des « minoritésvisibles » à Montréal

De plus en plus, le hip-hopmontréalais fait état de ladiscrimination et du racisme quicaractérisent le quotidien de sesprotagonistes, ce dont le discours dumulticulturalisme officiel témoigne

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pourtant peu. Dans cette section, nousnous penchons sur la réalité socio-économique de la jeunesse immigranteà Montréal. Précisons que les troisquartiers à l’étude ici, soit ParcExtension, St-Michel et Côte-des-Neiges, sont majoritairement habitéspar des jeunes d’origine immigranterécente.

Parmi la population totale deMontréal, 33 % des plus de 15 anssont immigrants de premièregénération; en d’autres termes, le tiersde la population montréalaise, âgéede plus de 15 ans, n’est pas née auCanada (Ville de Montréal 2004 : 5).La population immigrante depremière génération ne s’estévidemment pas répartie également àtravers toute la métropole. Ainsi, danscertains quartiers où sont rassembléesdes populations d’origine étrangère,des « niches ethniques et culturelles »se sont développées. Par exemple, àParc Extension, 60 % de lapopulation totale est née hors duCanada (Parc Extension en Santé 2000). Une portion significative decette population immigrante estcomposée de membres des « minoritésvisibles ». Avant d’élaborer davantagequant à nos données et notre analyse,il convient de clarifier ce que nousentendons par « minorité visible ».

Étant donné la difficulté à ladéfinir avec précision, cette catégoriede « minorité visible » estproblématique19. Par conséquent,dans le contexte canadien et québécoisen général, nous supposons qu’un

individu appartenant à une « minoritévisible » correspond à une catégoriephénotypique raciale autre que lacatégorie majoritaire, c’est-à-direblanche. On ne peut en effet ignorerqu’idéologiquement, le Canada estconçu et vécu comme un État-nationde phénotype racial blanc (Walcott1999). Le terme « minorité visible »inclut donc les Canadiens nés au pays,mais de phénotype racial autre queblanc20. Le groupe des Noirs est le plusimportant, représentant 30 % des« minorités visibles », suivi par lesArabes qui constituent 15 % de cettepopulation (Ville de Montréal 2004).Tel que mentionné plus haut, lesquartiers dans lesquels nous avonsconduit les mini-ethnographiesrassemblent essentiellement desgroupes d’origines ethniques et decultures variées, avec un fortpourcentage d’individus appartenantà la catégorie des « minoritésvisibles » : par exemple, en ce quiconcerne le quartier St-Michel, le tauxs’élève à 38,1 % comparativement àune moyenne montréalaise de 21 %(Martineau, Apparicio et Mongeau2004).

Par ailleurs, les statistiquesmontrent que les jeunes immigrantsde la catégorie des « minoritésvisibles » ont beaucoup plus dedifficultés à se placer sur le marchédu travail que les jeunes immigrantsissus de « minorités non visibles »21.Les observations concernant les jeunesnés au Canada et appartenant à une« minorité visible » sont encore plusfrappantes. En effet, bien qu’ils soient

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nés au Canada et y aient grandi, leursituation en matière d’accès à l’emploin’est pas meilleure que celle desimmigrants récents appartenant à lacatégorie des « minorités visibles »22.Ces données prouvent que les jeunesCanadiens appartenant à une« minorité visible » ont consi-dérablement moins de chances detrouver un emploi qu’un « Québécoisde souche » ou qu’un immigrantrécent de phénotype racial blanc(Garnett 2004).

Indirectement, ces donnéessuggèrent également que lesimmigrants récents et les jeunes des« minorités visibles » sont plus enclinsà vivre sous le seuil de la pauvreté queles « Québécois de souche »23 . Parexemple, plus de la moitié de lacommunauté haïtienne de Montréalvit dans des conditions économiquesprécaires (Consulat général de laRépublique d’Haïti à Montréal 1997)et plus de 62 % de la population duquartier Parc Extension vit sous leseuil de la pauvreté (Parc Extensionen Santé 2000). En fait,l’arrondissement Villeray-St-Michel-Parc-Extension est la région deMontréal qui compte la plus forteproportion de familles défavorisées(Saint-Jacques et Sévigny 2003, dansViens, Dubé et al. 2004).

En outre, les statistiques indiquentqu’en plus de subir les préjugés, leracisme et la pauvreté, les jeunes issusde l’immigration ou appartenant aux« minorités visibles » sont aussifréquemment marginalisés sur le plan

politique. D’ailleurs, ils s’investissentrelativement peu dans les associationspolitiques conventionnelles ou dansles organisations nationales de lajeunesse québécoise pour défendreleurs droits et idées (Lemieux 2004),ce qui reflète encore une fois uncertain degré d’exclusion.

Néanmoins, le fait que ces jeunesne participent pas directement auxgroupes politiques conventionnels nesignifie pas pour autant qu’ils soientapolitiques. Bien que le rapfrancophone montréalais ne soit pasouvertement politique dans la mesureoù il fait rarement la promotion d’uneidéologie partisane (sauf dans le casexceptionnel et isolé de Loco Locass,un groupe souverainiste qui apopularisé une chanson contre le Partilibéral provincial), il reste queplusieurs des réalités sociales que lesrappeurs dénoncent sont directementliées aux politiques provinciales,fédérales et même globales, telles quela pauvreté et le décrochage scolaire,la mobilisation contre la guerre, oul’appui à des mouvements de grèveétudiants.

Ces exemples démontrent que lesjeunes rappeurs ne restent pas passifsface à leur situation. Au contraire, ilsréagissent de diverses manières,originales et significatives. Labelle,Salée et Frenette affirment à proposde l’intégration citoyenne des jeunesde deuxième génération issus del’immigration haïtienne et jamaïcaine,âgés de 18 à 24 ans :

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« Ces jeunes adultes ont soifd’intégration, mais ils rencontrentbeaucoup d’obstacles, que cesderniers soient objectifs ou qu’ilssoient subjectifs et intériorisés. Ilsvivent une situation de minoritairesissus de l’immigration, sans avoir,à proprement parler, connul’expérience de l’immigration »(2001, dans Lemieux 2004 : 33).

Lors d’une entrevue que nousavons dirigée à l’automne 2004, unjeune homme d’origine haïtienneappartenant à la culture hip-hopconfiait son expérience personnellerelativement à l’exclusion :

« (…) qui sommes-nous? À qui onappartient? Est-ce que on est d’ici?Est-ce que on est d’ailleurs? J’suisQuébécois, j’suis Haïtien, j’suisAfricain, qu’est-ce que je suis?Parce que quand je parle auxQuébécois ils me pointent commeautre, comme ne faisant pas partied’ici. »

Ainsi, envers et contre les préjugéset le racisme, le hip-hop offre lapossibilité aux jeunes de diversesorigines ethniques et culturellesd’afficher leur appartenance. Commele suggère l’exemple de Muziondiscuté en introduction, l’appar-tenance ethnique des rappeurs estsouvent annoncée en spectacle ou surles sites web des groupes, ce qui leurpermet non seulement de créer un effetrassembleur, mais aussi de définir leuridentité au sein de la sociétéquébécoise.

Marginalisation et productionculturelle

La radio commerciale!On n’est pas choyéDes employés enfoirésQui nous font foirerFaut arrêter çaIls bloquent notre musiqueMême notre stock plus vide,Ils sont stuck up stupides(Muzion 2002, J’rêvolutionne, LeConcept [Tome 4])

Les effets de la marginalisationdes jeunes issus de l’immigration etdes minorités visibles influencentd’ailleurs directement ledéveloppement de la culture hip-hopmontréalaise. Nous proposonsd’examiner ici la source principale defrustration des rappeurs donttémoigne éloquemment l’extrait d’unepièce de Muzion rapporté ci-dessus,soit la marginalisation du rap dans lesmédias de masse et au sein del’industrie culturelle québécoise.

En réalité, très peu de rappeursquébécois parviennent à vivre de leurmusique, car depuis ses débuts, leprojet d’insertion du hip-hopmontréalais dans la culture de massequébécoise s’est vu confronté à denombreuses difficultés liées, en grandepartie, au financement public et àl’accès aux médias de masse. LeQuébec, tout comme dans unecertaine mesure le Canada, a unepolitique culturelle très forte, baséesur le financement de la culture àtravers diverses formes deprogrammes gouvernementaux. Nous

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pensons ici aux principaux espaces dediffusion (télévision, radio), auxévénements publics24, aux bourses decréateurs et aux systèmes de créditd’impôt proposés aux producteurs etaux diffuseurs, entre autres mesuresde support politique à la culture. Ladénonciation publique des membresdu groupe hip-hop francophone LocoLocass quant à l’absence dereconnaissance des artistes hip-hop auGala de l’ADISQ 2005 (Associationquébécoise de l’industrie du disque, duspectacle et de la vidéo) est un exemplede cette résistance à la politiqueculturelle de l’État et à l’accès auxmédias de masse.

Bien que la diffusion du rap surles chaînes radiophoniques fran-cophones, commerciales etpubliques25 tende à augmenter, elledemeure très faible sur les chaînesmontréalaises à haute écoute. Seulesquelques stations de radiocommunautaires et universitaires àMontréal et dans la région offrent desémissions à saveur hip-hop ou urbaine(ou Black, qui comprend le R&B,soul, Drum & Base, etc.)26. En fait, iln’existe pas de station de radio hip-hop commerciale en tant que telle auQuébec27. Les difficultés à s’insérer ausein des médias de masse ne touchentpas exclusivement le rap puisqued’autres styles musicaux dits« alternatifs » comme le hard rock, lepunk et le heavy metal en sontaffectés, se trouvant ainsi relégués auxpostes de radio universitaires etcommunautaires. Sans visibilitémédiatique, le rap montréalais (et

québécois) demeure, pour sa part, engrande partie « underground » ouclandestin. Par conséquent, lesrappeurs doivent avoir un emploistable, en dehors de leurs activitésartistiques, mais celui-ci ne leur laisseque « le soir et les fins de semaine »pour écrire et pratiquer leur musique.

On observe d’ailleurs un décalageentre ce que les jeunes Québécoisécoutent et ce que la radio diffuse. Ilest effectivement démontré qu’auQuébec, « l’anglais est la langued’écoute qui domine chez les jeunesde 15 à 24 ans, particulièrement chezles adolescents qui cherchent às’identifier à un style musical quireflète leurs idées et leurs goûts et nonceux de leurs parents » (Boily, Duvalet Gauthier 2000 : 30). Or, bien quela musique en langue anglaise soit trèspopulaire auprès des jeunes, les règleslinguistiques du Conseil de laradiodiffusion et des télé-communications canadiennes(CRTC) imposent le français auxartistes. Les groupes de rap Muzion,La Constellation et plus récemmentCat Burglaz ont ainsi décidé de rapperen français, de façon à augmenterleurs chances de s’insérer dans lemilieu artistique québécois. Toutefois,la réglementation linguistique de laradiodiffusion au Québec n’expliquequ’en partie l’absence du hip-hop àla radio. Plusieurs rappeurs, dont SansPression et Yvon Krevé, rappent enfrançais depuis leurs débuts, sansavoir pour autant reçu d’intérêtmédiatique.

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Expliquant l’absence de rap sur lesondes radiophoniques francophonesmontréalaises, le directeur artistiquede K103, la station de radioamérindienne qui fut, en 1994, lapremière à diffuser la musique urbainenoire, nous confie en entrevue :

« Les autres stations de Montréalsont très white bread, ce qui veutdire que c’est très homogène, ilsmettent pas mal plus des choses‘white’. Il y a beaucoup de racisme.Donc si tu combines ça avecl’histoire de quota, il y a donc plusde Céline Dion et de AlanisMorrissette que de groupes hip-hopdu Canada ou de l’étranger » (notétextuellement, 19 juin 2003).

Ces propos mettent en évidence undeuxième facteur, souvent mentionnépar nos informateurs pour expliquerl’absence de rap francophone au seindes médias québécois : le racisme etles stéréotypes qui touchent le rap etles rappeurs. Ces préjugés inciteraientles radiodiffuseurs à ne pas s’associerau rap afin de ne pas ternir leur imageau sein de la population en général.En effet, les médias associentcouramment le rap à la violence, lesgangs de rue, la drogue et l’illégalité.À titre d’exemple, un journaliste duquotidien La Presse décrit une gangde rue de Saint-Michel en ces termes :ces jeunes « font de la musique hip-hop, vendent des drogues… » (Bérubé2003). En outre l’image du gangstarap américain, très présente dans lesdivers médias, renforce ces préjugéssi bien que, même si le gangsta rapn’existe quasiment pas au Québec, le

rap est souvent perçu comme violentet misogyne.

Les stéréotypes associés à laculture hip-hop sont liés aux originesethniques et culturelles des jeunes quila composent. En effet, commedémontré dans la section précédente,les jeunes issus de l’immigration etappartenant à la catégorie des« minorités visibles » sont davantageexposés à la discrimination sociale,économique et politique ce qui, parricochet, affecte la culture hip-hopquébécoise. En fait, selon nosobservations, la marginalisation durap dans l’industrie culturellequébécoise serait davantage le produitd’une combinaison de facteurs, soitles règles de radiodiffusion et lespolitiques culturelles lourdes quientraînent une « sélectiondiscriminatoire » de la musique, baséesur des critères d’âge, de langue, decontenu, d’image et de potentielcommercial. Excluant les rappeurs du« star-système québécois », cescritères pourraient indirectementrenforcer les préjugés et stéréotypesque subit ce style musical.

Par le passé, la musique rapproduite au Québec a pourtant déjàété diffusée sur les ondes de radiocommerciales. Ainsi, vers la fin desannées 1990, un groupe a su dépasserles barrières de la marginalisation durap dans les radios commerciales etauprès des institutions culturelles,mais ce, pour la première et la dernièrefois. À cette époque, le groupeDubmatique, qui a finalement vendu

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plus de 125 000 copies de l’album« La force de comprendre » (1996),était parvenu à attirer l’attention dela radio et des autres médias de massequébécois, et même anglophones.Jusqu’à aujourd’hui, Dubmatique estle seul groupe de rap ayant bénéficiéd’une couverture radiophonique etvidéo en France. Plus récemment, lesuccès du groupe souverainiste deQuébec, Loco Locass, a démontré lanécessité de cibler un large auditoirefrancophone « de souche » pouratteindre une certaine popularité auQuébec28.

Outre les « chansons populaires »et les « chansons romantiques », lapolitique de la « sélectiondiscriminatoire » amène le « star-système québécois » à favoriser desstyles musicaux dits « soft », ainsi quedes groupes dont l’image est« respectable », qui utilisent unfrançais soigné et qui rassemblent unlarge auditoire. Dénonciateur,provocateur et spontané, le style durap ne correspond pas toujours auxcritères de sélection desradiodiffuseurs. Moins visibles, lesgroupes de rap montréalais n’ont parailleurs pas la possibilité dedéconstruire les préjugés etstéréotypes qui pèsent sur eux.

Malgré cette quasi-exclusion,divers réseaux de production et dedistribution underground se sontconstitués à partir de la fin des années1990. Grâce aux transformationstechnologiques et aux possibilités deproduction sur support numérique

(par exemple, l’accès à des mini-studios numériques), ces réseauxclandestins ne nécessitent pas ungrand déploiement de capitaléconomique. Plusieurs maisons deproduction, des sites web, des réseauxd’événements et des festivals (commela Ligue d’improvisation hip-hop auQuébec) œuvrent ainsi en tant querassembleurs spontanés et partiels. Enoutre, en créant des sites webfrancophones sur le hip-hopquébécois, les acteurs de la culturehip-hop montréalaise visentégalement à rendre cette culture plusaccessible, grâce au partage de fichiersvidéos et sonores, aux échangesinteractifs que permettent ces sites(voir par exemple www.hhqc.com etwww.hiphopfranco.com) et à ladiffusion d’éditoriaux et d’entrevuesauprès d’artistes locaux.Dernièrement, des compagnies deproduction destinées au rap se sontinstallées à Montréal. Unistar Média,par exemple, regroupe une émissionde télévision urbaine, un magazine,une maison de production et unfestival hip-hop29. Des émissionsvidéo, des magazines et des labelsindépendants (par exemple BBT, IroProductions, ICM, AT Musique,HLM) sont également diffusés ensimultané sur Internet(www.broadbeat.ca).

La culture hip-hop montréalaisedispose donc d’un réseau qui lui estpropre et qui permet aux rappeurs dese promouvoir hors des industriesculturelles dites conventionnelles.Cependant, les rappeurs francophones

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désirent également s’initier auxméthodes conventionnelles, dans lebut d’obtenir un support médiatiqueplus large. En réalité, leur stratégied’élaboration d’un système deproduction alternatif représenteprincipalement une réaction à lamarginalisation que subit le hip-hopmontréalais dans son environnementsocial immédiat.

Culture hip-hop à Montréal :un alter-espace d’intégration?

Tel que mentionné précédemment,le discours des membres de la culturehip-hop est basé sur le principe del’authenticité. Il s’appuie aussi surcelui de la diversité. Ainsi, parmi lesrappeurs montréalais, il estgénéralement reconnu que n’importequi peut faire partie de la culture hip-hop. Cependant, ce principed’inclusion n’est pas aussi flexibledans la réalité. En effet, afin delégitimer leur appartenance à laculture et à la tradition globale hip-hop, les rappeurs francophones ontadopté un discours similaire à celuide la tradition américaine qui vise, dumoins dans les années 1970 et 1980,à dénoncer les problèmes de pauvretéet de racisme30. Dramatik, rappeur dugroupe Muzion, illustre bien cediscours dans sa chanson « I live, Ilove, I leave » sur la compilation dedisque intitulée One Way (2004) :

« Je rap pour les élèves têtus enretenu, les détenus, les ethniessans revenu les rues t’ont prévenu

/ Mais où est-ce qu’ils sont? Tousles chats de rues, les marginaux /Investissons, on fera des avenuesde casinos / Yeah non-stop je voisles p’tits frères bumrushent / Tuvois les misères sans cob, c’estcomme passer l’hiver sans botte /… ».

Quoique rarement manifestéeexplicitement, l’appartenance à ungroupe ethnique autre que celui de« souche québécoise » constitue unautre critère d’inclusion à la culturehip-hop, notamment en ce quiconcerne le quartier St-Michel.Chamberland rappelle également lanécessité de faire partie d’un groupeethnique et/ou culturel minoritairepour être reconnu comme membre àpart entière de la communauté hip-hop. Dans son article « The CulturalParadox of Rap Made in Quebec »(2001), l’auteur explique que l’espacecommun partagé par l’ensemble de lacommunauté se divise en fait en deuxterritoires distincts : l’un caractérisépas la culture blanche, et l’autre parla ou les culture(s) des nouveauximmigrants et des minorités visiblesau Québec.

À Montréal, c’est le quartier quiconstitue le marqueur d’appartenanceidentitaire des rappeurs et ils s’yréfèrent constamment. Par exemple,un des albums de l’artiste SansPression intitulé « 514-450 dans monréseau » fait allusion aux deux codesrégionaux téléphoniques qui couvrentla communauté urbaine de Montréal,celui de Montréal (514) et de ses zones

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périphériques (450). Dans d’autrescas, on utilise le numéro de l’autobusqui traverse les rues principales dansles lyriques ou les intitulés deschansons, inscrivant ainsil’appartenance à un quartier. Lesrappeurs s’identifient également à desrégions de la grande métropole,comme la Rive-Sud.

Pour plusieurs rappeurs, cela vaau-delà d’une simple identification àleur quartier, souvent ils souhaitentaussi s’y impliquer et y améliorer lasituation des jeunes en utilisant le rapcomme vecteur de rassemblement.Cette identification au quartier et ledésir d’y apporter des changementssont, selon nous, tout à fait spécifiquesau milieu du rap montréalais. Il existeaux États-Unis une forme de« raptivisme », c’est-à-dire unmélange de nationalisme noir,d’activisme et de rap (Henderson1996). Cependant, ce typed’implication ne peut être qualifiéd’intervention auprès des jeunespuisqu’il demeure plutôt discursif oubien il se déploie à travers desspectacles thématiques. L’engagementdes rappeurs au niveau local pourraitprovenir de leur difficulté à s’imposerau sein de l’industrie culturellequébécoise, si bien que l’interventioncommunautaire auprès des jeunesdeviendrait une façon de vivre de leurrap et de valoriser leur savoir. Cetteimplication correspond à unchangement quant à la mission de laculture hip-hop : plutôt que de servirde vecteur de dénonciation et derésistance aux modèles offerts par la

société dominante, elle devient unoutil de changement social. À traversle rap et d’autres formes artistiquesdu hip-hop, les jeunes visent às’affranchir des étaux de lamarginalisation raciale, économiqueet politique. Dans certains cas, le rapest aussi présenté comme une formede « rédemption » ou de sauvegardequant aux effets de la pauvreté et dela marginalisation, notamment ledanger de tomber dans certainesactivités illicites.

Conclusion

Notre étude de terrain nous porteà croire que la culture hip-hopmontréalaise ne peut être considéréecomme une forme de résistance à lasociété dominante. Évoluant dans uncontexte multiculturel et plurilingue,la culture hip-hop montréalaise sedéveloppe plutôt en réaction à sonstatut marginal en établissant un alter-espace destiné à faciliter sonintégration et son inclusion au sein dela culture dominante. Nous croyonsqu’elle se caractérise par une politiqueet une économie alternatives, qui nerejettent toutefois pas le système dela culture dominante. Les artistes dela culture hip-hop reconnaissentl’importance de mettre ces dernièresà profit de façon à augmenter lavisibilité du rap dans les médias demasse et dans l’industrie culturelle engénéral. Lors de la conférenceorganisée par Park Extension YouthOrganization (27 juillet 2004), un

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membre de la culture hip-hopexpliquait :

« On fait de la musique et on a unecarrière, mais ça c’est de la business.Si on veut faire partie du système,tu veux vendre des disques, tu doisapprendre comment ça marche situ veux que ça fonctionne. »

Conscients que la promotion duhip-hop au sein de la sociétéquébécoise doit inévitablement passerpar le système conventionnel, laplupart des rappeurs ne sont pourtantpas familiers avec les différentespossibilités qu’offre ce système. C’estdonc la volonté de développercommercialement le rap qui pousse lesmembres de la culture hip-hop àexpérimenter et à considérer lespolitiques et subventions étatiques.Cependant, certains membresexpriment leurs réticences face auxinstitutions culturelles et soutiennentle projet d’une industrie hip-hoptotalement indépendante. Cesinitiatives sont malheureusementsouvent vouées à l’échec, par manquede fonds, de support médiatique ouen raison de la mauvaise organisationdu groupe en charge.

De plus, la culture hip-hop auQuébec englobe plusieurs groupesethniques et culturels, si bien qu’onne peut analyser le rap uniquementcomme une forme de « blackempowerment ». L’image de la« négritude » évoquée à l’initial parle mouvement hip-hop américaintraverse, à Montréal, les barrières

dichotomiques raciales de Noirs et deBlancs. On y relève par ailleurs desdivisions linguistiques importantesainsi qu’une forte démarcation entreles scènes hip-hop francophone etanglophone, ce qui impliquenotamment des réseaux, desévénements, des bars et des quartiersdistincts. Dans un autre article, nousavons comparé les réseauxfrancophones et anglophones, ainsique leur inscription dans unemouvance de mondialisation,montrant que les enjeux qui marquentces deux réseaux sont très différents,notamment en ce qui a trait auxdynamiques de la marginalisation(LeBlanc et Djerrahian à paraître).

Finalement, la particularité du faitquébécois (double majoritélinguistique) ainsi que des politiquesculturelles directives façonnent unenvironnement bien différent de celuides États-Unis où la culture sedéveloppe dans des conditions demarché libre. Au Québec, l’États’implique davantage dans le domaineculturel et propose diversessubventions et politiques à vocationprotectionniste. D’autre part, commenous l’avons vu avec l’exemple desstations de radio commerciales,certaines politiques culturelles ont lepouvoir d’inhiber le développementde mouvements culturels. Cependant,il semble que les artistes de la culturehip-hop apprennent de plus en plus àcomposer avec ces variables,augmentant ainsi leurs chances des’intégrer dans le « star-systèmequébécois ». Plusieurs rappeurs

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s’informent et apprennent à jongleravec les mécaniques des politiquesculturelles, certains arrivent àbénéficier de bourses de subventiondédiées aux jeunes artistes, d’autresentretiennent des contacts qui leurpermettent de s’intégrer dans desréseaux d’artistes et de producteursquébécois. Plusieurs groupes décidentégalement de rapper en français pourainsi rejoindre un auditoire extérieurà l’île de Montréal.

Le terme alter-espace que nousemployons fait référence à unestratégie collective d’inclusion etd’intégration développée par desgroupes de jeunes souventmarginalisés qui se rassemblent ets’organisent pour créer un systèmeclandestin à l’intérieur d’une culturedominante. Il ne s’agit ni d’unmouvement révolutionnaire, nicontestataire puisque les membres dela culture hip-hop projettent des’intégrer aux systèmes institutionnelset culturels québécois et, surtout, dedévelopper une production culturelleéconomiquement rentable. Pourplusieurs, le hip-hop leur permetd’assumer leur identité de jeunes issusde l’immigration ou appartenant àune « minorité visible », tout endéveloppant des moyens alternatifsd’intégration dans la culturequébécoise dominante. Néanmoins,les effets réels de ces stratégies neporteront probablement leurs fruitsqu’à long terme. Et, il est toujourspossible de se demander si le désir decommercialisation est une « porteexutoire » vers l’émancipation face

aux dynamiques de lamarginalisation.

Notes biographiques

MARIE-NATHALIE LEBLANC estprofesseure agrégée au départementde sociologie et d’anthropologie del’Université Concordia (Montréal).Depuis le début des années 1990, elletravaille sur la question des jeunes etdu changement social en Afrique del’Ouest et au Québec.

ALEXANDRINE BOUDREAULT-FOURNIER

termine la rédaction d’un doctorat enanthropologie sociale et visuelle àl’Université de Manchester (Grande-Bretagne) portant sur les politiquesculturelles et le mouvement hip-hopà Santiago de Cuba.

GABRIELLA DJERRAHIAN est doctoranteà l’Université McGill (Montréal) audépartement d’anthropologie. Sarecherche pose une réflexion surl’appropriation de la culturepopulaire, particulièrement le hip-hop, et le processus de ‘racialisation’parmi les Juifs éthiopiens en Israël.

Notes1 Cette recherche a été possible grâce aufinancement du Conseil de recherche ensciences humaines du Canada (CRSH, 2004-2007).2 Ces propos furent notés textuellement aucours d’une séance d’observation àCélébration Jeunesse au Stade olympique deMontréal, le 16 mai 2003.3 Notons l’existence d’un réseau d’artisteship-hop anglophone à Montréal qui ne figurepas parmi les données présentées dans cetarticle. Voir LeBlanc et Djerrahian (àparaître).

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4 Nous articulons cette notion d’alter-espaceen relation au concept de counter-nationdéveloppé par Jean et John Comaroff. Ilsutilisent l’idée de counter-nation afin dedécrire les contre-espaces d’identification etd’expression construits par les jeunes ensituation de marginalisation politique etéconomique, dont le hip-hop et l’Internet(voir Comaroff et Comaroff 2000).5 Le « scratch » est une des diverses méthodesutilisées par les DJs.6 Le hip-hop comprend quatre formesprincipales : le rap, le breakdance, le DJismeet le graffiti.7 « The Message » fut grandement influencépar les enseignements d’Afrika Bambataa,une légende du hip-hop oeuvrant pourpromouvoir le nationalisme noir, la créativitépositive, la pratique de la vision, laspiritualité et la guérison (Henderson 1996 :311).8 Plusieurs auteurs tels Flores (1994) etSmitherman (1997) soulignent l’importancedes Latinos dans l’émergence de la culturehip-hop aux États-Unis. Smitherman (1997)affirme par exemple que les Latinosconstituent une minorité significative de lanation hip-hop aux États-Unis.9 Alors que dans les années 1980, le hip-hopétait devenu un des vecteurs essentielsd’expression et de dénonciation du racismepour les Afro-Américains, aujourd’hui, auxÉtats-Unis, 70 % des albums de rap sontconsommés par des Blancs (Farley, Augustet al. 1999).10 Voir Laabidi (2006) pour un survolsimilaire du développement du hip-hop auQuébec.11 La spécificité de ces « mini-ethnographie»réside dans le fait que les enquêtes étaientmenées généralement par un(e) seul(le)enquêteur(se) et divisées autour d’espacesgéographiques, principalement des quartiershistoriquement associés aux vaguesmigratoires et où l’on retrouve uneconcentration d’activités hip-hop.12 L’étude de terrain menée en 2003-2004,et sur laquelle repose cet article, fut financéepar l’Université Concordia et le Groupe derecherche ethnicité et société (CRSH etFQRSC).13 Les quartiers Parc Extension, St-Michelet Villeray forment un arrondissement

montréalais; Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce en forment un autre.14 Les clicks ou crews font référence à ungroupe d’ami(e)s ou de connaissances, c’est-à-dire aux réseaux sociaux.15 Certaines manifestations culturelles sontspécifiques au hip-hop québécois, parexemple la formation de la première ligued’improvisation hip-hop au monde(www.lihq.ca), un phénomène original qui,depuis décembre 2004, a atteint unepopularité impressionnante à Montréal. Uneculture hip-hop d’intervention qui se veutproche des jeunes s’est égalementdéveloppée. 16 Cependant le gangsta rap américain estconsommé par la grande majorité des jeunesqui écoute du rap (voir Miranda 2002).17 Il est évident que certains jeunes cherchentà reproduire les images et styles véhiculéspar le gangsta rap. Toutefois, nosobservations sur le terrain entre 2003 et2004 ne confirment nullement le discoursmédiatique actuel sur les gangs de rues, lesHaïtiens et le hip-hop – dont l’équation entreces trois éléments a souvent été réalisée parles médias dans le contexte du procès de la« gang de la rue Pelletier ».18 Voir Sarkar et Allen (à paraître); Sarkar etal. (2007); Sarkar et Winer (2006).19 Le questionnaire du recensement 2001 deStatistique Canada (question #19) définit 11catégories phénotypiques raciales (outre lacatégorie « autres ») incluant : Blanc, Noir,Chinois, Philippin, Latino-américain,Asiatique du Sud-Est, Arabe, etc. On compteégalement des « immigrants appartenant auxminorités visibles » et des « immigrantsn’appartenant pas aux minorités visibles ».20 Nous devons spécifier que la catégorie« minorité non visible » fait référence auxCanadiens d’origine immigrante récente (2e

génération et plus), et de phénotype racialblanc.21 Le taux de chômage des jeunes immigrantsappartenant à la catégorie des minoritésvisibles s’élève à 17,8 % tandis qu’il est de12 % pour les jeunes immigrants récents dephénotype racial blanc (Lemieux 2004 : 41).22 Par exemple, « le groupe des jeunes Noirsdépasse la barre des 20 % [20,7], tandis queles jeunes Arabes et Asiatiques occidentaux[19,7] s’en rapprochent » (Lemieux 2004 :44).

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23Le taux de chômage moyen de lapopulation montréalaise de plus de 15 ansoscille entre 9 et 10 % (Direction de la santépublique 2003).24 Le Festival international hip-hop 4 Ever,qui était central dans le passé, n’a pas eulieu cette année.25 Nous consacrons cette section à la radiopuisqu’elle constitue un médium tremplinpour la visibilité des groupes musicaux.Cependant, il convient de noter que latélévision, l’Internet et les magazines ont unrôle important dans la diffusion du rap auQuébec.26 Par exemple, la radio communautaire deMontréal (101,5 FlM), Radio Centre-Ville(102,3 FM), CISM (89,3 FM, la stationétudiante de l’Université de Montréal) et lesradios Internet diffusent plusieurs émissionship-hop en français.27 La station de radio commerciale quipropose le plus d’émissions de style urbain(ou Black) dans la grande région de Montréaldiffuse depuis la réserve amérindienne deKahnawake, qui n’est pas soumise aux loisde quotas imposées par le Conseil de laradiodiffusion et des télécommunicationscanadiennes (CRTC). Beaucoup de nosinformateurs considèrent cette radioindépendante et anglophone comme unpilier dans la diffusion de la musique hip-hop (et Black en général) à Montréal. K103diffuse en grande partie du rap américain, etce, depuis 1994. En tant que station de radioprivée, elle ne reçoit aucun financement, cequi, selon le directeur artistique de la station,lui permet d’émettre ce « que les gens aiment,ce qui est à la mode » (noté textuellement,notre traduction, 19 juin 2003, Kahnawake).28 Le groupe Loco Locass a vendu plus de25 000 copies de l’album « Amour oral »(2004).29 L’émission, intitulée « Vibe Plus », arécemment été retirée de l’antenne à la suitede la faillite d’Unistar, qui a égalementsupprimé son gala, son magazine et sonfestival.30 Maxwell (2001 et 2003) a noté unphénomène semblable parmi les membres dela culture hip-hop à Sydney.

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