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es tamorphoses
du c lcul
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Gilles owek
es talllorphoses
u calcul
Une tonnante histoire
e
mathmatiques
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Merci Pablo Arrighi Sophie Bancquart Jacques Deschamps
Jolle Four Sophie
e
Callennec Guiseppe Longo Alexandre
Miquel Thierry Paul
t
Benjamin Werner
qui ont
bien voulu
relire certaines parties de
ce
livre.
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Sommaire
Les mathmatiques
la conqute de nouveaux espaces 9
Premire partie: une origine ancienne
1.
De la prhistoire des mathmatiques
aux mathmatiques grecques 15
2.
Deux mille ans
de
calcul
29
Deuxime partie: l ge classique
3 La logique des prdicats 49
4 u problme de la dcision au thorme
de
Church 67
5
La thse de Church 83
6 Une tentative
de
donner
sa
place
au
calcul
en
mathmatiques: le lambda-calcul 103
7 La constructivit 109
8 Les dmonstrations constructives et les algorithmes 121
Troisime partie: la crise de la mthode axiomatique
9 La thorie intuitionniste des types 131
10. La dmonstration automatique 141
11
La
vrification des dmonstrations 155
12. Des nouvelles du terrain 163
13. Les instruments 181
14. En inir avec1es axiomes? 195
u
terme
de
ce priple... . 199
Annexes
Repres biographiques 205
Bibliographie 215
Index
221
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INTRODU TION
Les mathmatiques
la
conqute de nouveaux espaces
n l a beaucoup dit, le sicle qui vient de s achever a t le
vritable ge d or des mathmatiques: les mathmatiques se
sont davantage dveloppes au cours du XX sicle que pendant
l ensemble des sicles qui l ont prcd. Il est probable, cepen
dant, que le sicle qui s ouvre sera tout aussi exceptionnel pour
les mathmatiques: un sicle au cours duquel elles se mtamor
phoseront autant, si
ce
n est davantage, qu au XX sicle. L un des
signes qui nous invitent
le penser est une transformation pro
gressive, depuis le dbut des annes soixante-dix,
de
ce qui
constitue le socle mme
de
la mthode mathmatique: la notion
de
dmonstration.
Et
cette transformation remet sur le devant de
la scne un concept mathmatique ancien, mais quelque
peu
nglig: celui de calcul.
L ide que le calcul puisse tre la cl
d une
rvolution peut
sembler paradoxale. Les algorithmes qui permettent,
par
exemple, d effectuer des additions et des multiplications sont
souvent perus comme une partie lmentaire du savoir math
matique, et effectuer ces calculs est souvent peru comme une
activit peu crative et ennuyeuse. Les mathmaticiens ne sont
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LES MTAMORPHOSES DU CALCUL
eux-mmes pas sans prjugs l gard du calcul, comme Ren
Thom qui dclarait:
Une grande partie
de
mes affirmations
relve de la pure spculation; on pourra sans doute les traiter
de
rveries. J accepte la qualification. [ .. ] Au moment o tant
de
savants calculent de
par
le monde, n est-il pas souhaitable que
d aucuns, s ils le peuvent, rvent?
Tenter de faire rver avec le
calcul constitue donc sans doute
un
dfi. ..
Ce prjug l encontre
du
calcul se retrouve malheureu
sement jusque dans la dfinition mme
de
la notion
de
dmons
tration mathmatique. Depuis Euclide, on dfinit, en effet, une
dmonstration comme un raisonnement, construit
l aide
d axiomes et de rgles de dduction. Mais rsoudre un problme
mathmatique demande-t-il uniquement de construire un rai
sonnement? La pratique des mathmatiques ne nous a-t-elle pas
plutt appris que cela demande une subtile articulation d tapes
de
raisonnement et d tapes
de
calcul? En se restreignant au rai
sonnement, la mthode axiomatique propose sans doute une
vision restreinte des mathmatiques. Et c est prcisment par la
critique de cette mthode axiomatique trop restrictive que le cal
cul rapparat dans les mathmatiques. Plusieurs travaux, non
toujours connects les
uns
aux autres, remettent progressive
ment en cause cette prminence
du
raisonnement
sur
le calcul,
pour proposer une vision plus quilibre dans laquelle
l un
et
l autre jouent des rles complmentaires.
Cette rvolution, qui nous amne repenser les rapports
entre le raisonnement et le calcul, nous pousse galement
repenser le dialogue entre les mathmatiques et les sciences
de
la
nature, telles la physique
ou
la biologie, en particulier la vieille
question de la draisonnable efficacit des mathmatiques dans
1
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INTRODUCTION
ces sciences, ainsi
qu une
question plus rcente relative la
forme logique des thories de la nature. Elle claire galement
d une
lumire nouvelle certains concepts philosophiques,
comme ceux de jugement analytique et synthtique. Elle nous
amne aussi nous interroger sur les liens entre les mathma
tiques et l informatique, et
sur
la singularit des mathmatiques,
qui semblent l unique science ne pas utiliser d instruments.
Enfin - et c est certainement le plus intressant -, elle nous
laisse entrevoir
de
nouvelles manires
de
rsoudre des pro
blmes mathmatiques, qui s affranchissent des limites arbi
traires que la technologie
du
pass a imposes la taille des
dmonstrations: les mathmatiques sont peut-tre en train de
partir la conqute d espaces jusqu alors inaccessibles.
Naturellement, cette crise de la mthode axiomatique n est
pas sortie de rien. Elle tait annonce, depuis la premire moiti
du
xx
e
sicle, par des signes prcurseurs, en particulier par le
dveloppement de deux thories qui, sans remettre en cause la
mthode axiomatique, ont contribu redonner une certaine
place au calcul au sein de l difice mathmatique: la thorie de la
calculabilit et la thorie de la constructivit. Ce rcit de la crise
de la mthode axiomatique sera donc prcd d une histoire
de
ces deux notions. Mais, auparavant, partons la recherche des
origines de cette notion de calcul, dans la lointaine Antiquit, et
intressons-nous
1
invention des mathmatiques par les
Grecs.
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Une origine ancienne
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CHAPITRE 1
e
l prhistoire des m thm tiques
ux m thm tiques grecques
e
rcit de l histoire des mathmatiques commence souvent
en
Grce au ye sicle avant notre re, quand Pythagore,
d un
ct,
Thals et Anaximandre, de l autre, ont fond les deux principales
branches des mathmatiques antiques: l arithmtique et la go
mtrie.
a
fondation de l arithmtique et
de
la gomtrie consti
tue, certes,
une
rvolution majeure dans l histoire des
mathmatiques. Cependant, le rcit ainsi commenc occulte une
priode importante que l on peut appeler la prhistoire des
mathmatiques. Les hommes n ont,
en
effet, pas
attendu
le
ye
sicle avant notre re
pour
tenter
de
rsoudre les problmes
mathmatiques, surtout les problmes mathmatiques concrets,
qui se posaient
eux.
es
compt bles et les
arpenteurs
L une des plus anciennes traces d activit mathmatique
consiste
en une
tablette trouve
en
Msopotamie qui date de
25
avant notre re. Elle prsente le calcul
du
nombre de per
sonnes auxquelles on
peut
donner 7 mesures
de
grain,
en
pui-
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LES MTAMORPHOSES DU CALCUL
sant dans un grenier qui en contient 1152000. Sans surprise, le
rsultat, 164571 personnes, s obtient en divisant 1152000 par 7
Les comptables msopotamiens savaient donc faire des divi
sions, bien avant la naissance de l arithmtique. l est mme
vraisemblable, quoiqu il soit difficile d avoir des certitudes en ce
domaine, que l criture ait t invente prcisment pour tenir
des livres de comptes et que les chiffres soient, de
ce
fait, ant
rieurs aux lettres. Mme si certains ont
du
mal l admettre, nous
devons probablement l ensemble de la culture crite
la bien
peu romantique profession de comptable.
Outre des multiplications et des divisions, les comptables
msopotamiens et gyptiens savaient effectuer de nombreux
autres calculs, comme rsoudre certaines quations
du
second
degr. Et les arpenteurs savaient calculer les aires de rectangles,
de triangles, de disques ...
L irruption
de l infini
Ces techniques dveloppes par les comptables et les arpen
teurs constituent donc une prhistoire de l arithmtique et de la
gomtrie. Que s est--il donc pass
de
si spcial en Grce,
au
y sicle avant notre re, pour justifier que l on fasse dmarrer
l histoire ce moment et non un autre? Pour tenter de le
comprendre, prenons l exemple d un problme rsolu par un
disciple de Pythagore dont le nom ne nous est pas parvenu:
trouver
un
triangle rectangle et isocle dont les trois cts
mesurent
un
nombre entier d units, disons
un
nombre entier de
mtres. Comme le triangle est isocle, ses deux petits cts ont la
mme longueur, appelons-la
x
et appelons y la longueur du
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mme jusqu un million, rien n assurerait, avec certitude, qu il
n existe pas de solution au-del ...
Essayons
de
reconstituer
un
cheminement possible de la
pense des pythagoriciens pour parvenir
ce
rsultat.
Tout d abord, quand on cherche une solution
ce
problme,
on peut se limiter chercher une solution telle qu au moins l un
des nombres et y soit impair, car si le couple
=202 =
214
par exemple, tait une solution, alors, en divisant les deux
nombres par
2
on obtiendrait une autre solution,
=
OI,
=
107
dont au moins l un des nombres est impair. Plus gnralement,
en partant
d une
solution quelconque et en divisant les deux
nombres
par 2
ventuellement plusieurs fois, on finirait
par
obtenir une solution dans laquelle au moins l un des nombres est
impair. Si le problme avait une solution, l en aurait donc gale
ment une dans laquelle l un des nombres et
y
est impair.
La seconde ide est
de classer les couples de nombres en
quatre ensembles:
-les
couples dans lesquels les deux nombres sont impairs,
- ceux dans lesquels le premier nombre est pair et le second
impair,
- ceux dans lesquels le premier nombre est impair et le
second pair,
- et enfin ceux dans lesquels les deux nombres sont pairs.
Muni de ces deux ides, on peut montrer, par quatre argu
ments spars, qu aucun de ces ensembles ne contient
de
solu
tion dans laquelle au moins l un des nombres et y est impair,
donc que le problme n a pas de solution dans laquelle au moins
l un des nombres est impair, donc que le problme n a pas de
solution du tout.
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UNE ORIGINE ANCIENNE
Commenons par le premier ensemble: une solution dans
laquelle x et sont l un et l autre impairs est impossible, car si le
nombre est impair, le nombre
y
2
1
est galement et l
n a
aucune
chance d tre gal 2 x
x
2
ncessairement pair. Cet argument
permet aussi d liminer le deuxime cas, dans lequel x est pair et
y impair. e quatrime cas s limine de lui-mme
car,
par dfini
tion,
l
ne peut pas contenir de couple dans lequel au moins l un
des nombres est impair. Reste le troisime, dans lequel
x
est
impair et
y
est pair. Mais dans ce cas, la moiti
de
2 x
x
2
est
impaire, alors que celle de
y
est paire: ces deux nombres ne
peuvent pas tre gaux.
Ce rsultat -
un
carr ne peut tre le double
d un
autre
carr
-,
obtenu
par
les pythagoriciens il y a plus de vingt-cinq
sicles, tient encore aujourd hui une place importante dans les
mathmatiques. Il montre que, quand on dessine
un
triangle rec
tangle isocle dont le petit ct mesure 1 m, la longueur de l hy
potnuse, mesure en mtres, est
un
nombre,
...J2
qui vaut
un
peu plus de
1,414,
mais qui ne peut pas tre obtenu en divisant
deux nombres entiers y et x
l un
par l autre. La gomtrie fait
donc apparatre des nombres que l on ne peut pas obtenir par
tir
des nombres entiers avec les quatre oprations: l addition, la
soustraction, la multiplication et la division.
Cette remarque a amen, plusieurs sicles plus tard, les
mathmaticiens construire
de
nouveaux nombres, les
nombres rels mais les pythagoriciens ne sont pas alls
jusque-l: ils n taient pas prts abandonner le caractre cen
tral qu ils supposaient aux nombres entiers, et ils ont plutt vcu
leur dcouverte comme une catastrophe que comme une incita
tion aller plus loin.
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LES
M ~ T M O R P H O S E S
DU CALCUL
Ce problme n est pas uniquement rvolutionnaire par ses
implications pour les mathmatiques futures.
T
l est aussi par sa
nature
et par la mthode employe pour le rsoudre. Tout
d abord, par comparaison avec celui de la tablette msopota
mienne qui consiste diviser 1152000 mesures de grain par 7
mesures, le problme des pythagoriciens est plus abstrait. Celui
des Msopotamiens concerne des nombres de mesures de grain,
celui des pythagoriciens concerne des nombres tout court. De
mme, dans sa forme gomtrique, le problme ne concerne pas
une surface agricole triangulaire, mais
un
triangle. Cette tape
d abstraction, qui consiste passer du champ triangulaire au
triangle
ou
du nombre
de
mesures
de
grain
au
nombre, est
moins anodine qu il
n y parat. En effet, la surface
d un
champ
ne peut pas dpasser quelques kilomtres carrs. Si le problme
concernait un champ triangulaire, et non un triangle abstrait, on
pourrait le rsoudre en essayant toutes les solutions dans les
quelles et y sont infrieurs 10
000
Or, la diffrence
d un
champ triangulaire, rien n empche un triangle de mesurer un
million ou un milli rd de kilomtres carrs.
La grande rvolution du
v
sicle avant notre re consiste
donc en la distance mise entre les objets mathmatiques, qui sont
abstraits,
et
les objets concrets
de
la nature, mme quand les
objets mathmatiques sont construits
par
abstraction partir des
objets concrets.
Cette distance entre les objets mathmatiques et les objets de
la
nature a incit certains penser que les mathmatiques ne per
mettaient pas de dcrire les objets de la nature. Cette thse est
reste vivace jusqu l poque de Galile, c est--dire jusqu au
dbut du
XVIt
sicle, o elle a t balaye par les succs de la
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UNE ORIGINE ANCIENNE
physique mathmatique. Elle est encore prsente, l'tat rsi
duel,
dans
certains discours qui dnient toute pertinence aux
mathmatiques dans le domaine des sciences humaines. Ainsi,
selon Marina Yaguello, le rle des mathmatiques
en
linguis
tique est
de
dguise[r] son complexe de science humaine ,
donc fondamentalement inexacte, sous des formules
.
Ce changement dans la nature des objets tudis - qui,
depuis cette rvolution, sont des figures gomtriques
et
des
nombres sans relation ncessaire avec les objets concrets - a
amen une rvolution dans la mthode utilise
pour
rsoudre les
problmes mathmatiques. Encore
une
fois, comparons la
manire de rsoudre les problmes
de
la tablette msopota
mienne et des pythagoriciens.
Le
premier est rsolu en effectuant
un
calcul:
une
simple division.
Pour
rsoudre le second,
en
revanche,
l
est ncessaire de construire
un
raisonnement.
Pour faire
une
division,
l
suffit d'appliquer
un
algorithme,
que l 'on apprend l'cole primaire et dont les Msopotamiens
connaissaient des analogues. Mais,
pour
construire le raisonne
ment des pythagoriciens, aucun algorithme connu ne prescrit de
classer les couples en quatre ensembles.
Les
pythagoriciens ont
d
faire preuve d'imagination
pour
parvenir cette ide.
On
peut
penser qu un premier pythagoricien a compris
que
le
nombre y ne pouvait pas tre impair puis, quelques semaines ou
quelques mois plus tard,
un
autre a fait progresser le problme
en
dcouvrant que
x
non plus ne pouvait tre impair. Et puis le
problme est peut-tre rest bloqu l pendant des mois ou des
annes avant
qu un
autre trouve encore
une
ide.
Quand
un
Msopotamien attaque une division,
l
sait qu'il va aboutir et il
peut
mme valuer pr or le temps que cette division lui pren-
2
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LES MTAMORPHOSES
DU
CALCUL
dra. En revanche, quand un pythagoricien attaque un problme
d arithmtique, il ne peut pas savoir combien de temps il mettra
pour
trouver
un
raisonnement qui permette
de
le rsoudre, ni
mme s il en trouvera un un
jour.
es
coliers se plaignent parfois que les mathmatiques sont
difficiles: il faut avoir de l imagination, il n existe pas de
mthode systmatique pour rsoudre les problmes. Ils ont rai
son, et les mathmatiques sont encore plus difficiles pour les
mathmaticiens professionnels: certains problmes sont rests
sans solution pendant des dcennies, voire des sicles, avant que
quelqu un les rsolve. Il n y a rien d extraordinaire scher
longtemps sur un problme mathmatique: les mathmaticiens
eux aussi schent, parfois longtemps, avant de rsoudre
un
problme. En revanche,
on
n imagine pas
de
scher des
heures sur une division, puisqu il suffit d appliquer l algorithme
bien connu.
Comment ce changement dans la nature des objets tudis
a-t-il amen
ce
changement dans la mthode utilise pour
rsoudre les problmes -
ce
passage du calcul au raisonnement,
qui caractrise les mathmatiques grecques? Qu est-ce qui fait
que le problme des pythagoriciens ne peut pas tre rsolu
par
un
calcul? Comparons-le encore une fois au problme de la tablette
msopotamienne. Ce dernier concerne un objet particulier, un
grenier rempli de grain, dont la taille est connue. Dans le pro
blme des pythagoriciens, en revanche, le triangle n est pas
connu: c est ce que l on cherche. Ce problme ne concerne donc
pas
un
triangle particulier mais, potentiellement, tous les
triangles possibles. En outre, comme il n existe pas de limite la
taille d un triangle, le problme concerne simultanment une infi
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UNE ORIGINE ANCIENNE
nit de triangles. Ce changement dans la nature des objets math
matiques s accompagne donc
d une
irruption de l infini dans les
mathmatiques: c est cette irruption qui a rendu
un
changement
de mthode ncessaire et a demand de substituer le raisonne
ment au calcul. Comme on l a dj remarqu, si le problme ne
concernait qu un nombre fini de triangles, par exemple tous les
triangles dont les cts mesurent moins de 10000 m, on pourrait
s en tirer par
un
calcul qui consisterait essayer tous les couples
de
nombres jusqu 10000. Ce calcul serait, certes, laborieux si
on
le faisait la main, mais l serait systmatique.
Ce passage du calcul au raisonnement a t retenu comme
l acte de naissance des mathmatiques,
en
Grce, au v
e
sicle
avant notre re.
Les premires rgles de
raisonnement:
les philosophes et les mathmaticiens
Qu est-ce donc qu un raisonnement? Si l on sait que tous les
cureuils sont des rongeurs, que tous les rongeurs sont des mam
mifres, que tous les mammifres sont des vertbrs et que tous
les vertbrs sont des animaux,
on peut
en dduire que tous les
cureuils sont des animaux. Un raisonnement, parmi d autres,
qui permet d arriver cette conclusion consiste dduire succes
sivement que tous les cureuils sont des mammifres, puis que
tous les cureuils sont des vertbrs et, enfin, que tous les cu
reuils sont des animaux.
Ce raisonnement est simple l extrme, mais sa structure ne
diffre
pas fondamentalement de celle d un raisonnement
mathmatique. Dans les
deux
cas, le raisonnement est form
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LES MTAMORPHOSES
DU
CALCUL
d une
suite
de
propositions dans laquelle chaque proposition
dcoule logiquement des prcdentes, c est--dire est construite
par
une
rgle
de
dduction
.
Dans ce cas, on applique la mme
rgle trois fois. Cette rgle permet, si l on sait dj que tous les Y
sont des X et que tous les Z sont des Y, de dduire que tous les Z
sontdesX.
n doit aux philosophes grecs les premiers recensements des
rgles de dduction, qui permettent de progresser dans les rai
sonnements, c est--dire
de
dduire une nouvelle proposition de
propositions avres. Par exemple, on doit la rgle prcdente
Aristote qui a propos une liste de rgles qu il a appeles syllo
gismes . Une deuxime forme de syllogisme introduit des
expressions de la forme:
certains ... sont des ...
et permet, si
l on sait dj que tous les Y sont des X et que certains Z sont des
Y,
de
dduire que certains Z sont des
X.
Aristote n est pas le seul philosophe de l Antiquit s tre
intress aux rgles de dduction. Les stociens, au
nf
sicle
avant notre re, ont propos d autres rgles,
par
exemple une
rgle qui permet de dduire la proposition B des propositions
si A alors B
et A
Ces deux tentatives
de
recensement des rgles
de
dduction
sont contemporaines
du
dveloppement de l arithmtique et
de
la
gomtrie grecques, aprs
la
rvolution mthodologique qu a
constitue le passage du calcul
au
raisonnement.
On
pourrait
donc s attendre ce que les mathmaticiens grecs se soient
appuys
sur
la logique d Aristote ou
sur
celle des stociens pour
formuler leurs raisonnements. Par exemple, ce que la dmons
tration
du
fait qu un carr ne peut pas tre le double d un autre
ait t construite comme une suite de syllogismes. Bizarrement,
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UNE ORIGINE
ANCIENNE
ce n est pas le cas, malgr la claire unit de projet entre les philo
sophes et les mathmaticiens grecs. Par exemple, Euclide,
au
m sicle avant notre re, a synthtis les connaissances de la go
mtrie
de
son poque dans un trait et organis ce trait d une
manire dductive en donnant un raisonnement pour dmontrer
chaque chose qu il affirmait, sans utiliser
n
la logique d Aristote
n celle des stociens pour formuler ces raisonnements.
On peut avancer plusieurs hypothses pour expliquer cela.
L explication la plus vraisemblable est que les mathmaticiens
n ont pas utilis la logique d Aristote
ou
celle des stociens parce
qu elles taient trop frustes. La logique des stociens permet
de
raisonner avec des propositions de la forme
si alors
B
les
entits et B tant des propositions qui expriment un fait
simple, comme Socrate est mortel
ou
il fait jour que l on
appelle des propositions atomiques . Les propositions de la
logique stocienne sont donc des propositions atomiques relies
entre elles par des conjonctions
si... alors
et
, ou ...
C est une conception trs pauvre du langage dans laquelle il
n y
a
que
deux catgories grammaticales: les propositions ato
miques et les conjonctions. Elle ne prend pas en compte le fait
qu une proposition atomique - comme
Socrate est mortel - se
dcompose en un sujet - Socrate - et un prdicat
ou attribut-
mortel.
La logique d Aristote, contrairement la logique des sto
ciens, donne une place
la notion
de
prdicat: les expressionsX
Y
Z qui apparaissent dans les raisonnements sont prcisment
des prdicats: cureuil, rongeur, mammifre ... En revanche, la
logique d Aristote ne comporte pas
de
noms propres c est-
dire de symboles pour dsigner des individus ou des objets,
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LES MTAMORPHOSES DU CALCUL
comme Socrate car,
pour
Aristote, la science ne concerne pas
les individus particuliers, comme Socrate, mais uniquement les
notions gnrales comme homme
mortel .. Ainsi, le syl-
logisme souvent donn
en
exemple Tous les hommes sont mor-
tels, Socrate est
un
homme, donc Socrate est mortel n a pas sa
place dans la logique d Aristote. Pour lui, le syllogisme est:
Tous les hommes sont mortels, tous les philosophes sont des
hommes, donc tous les philosophes sont mortels. Les proposi-
tions ne sont donc pas formes, dans la logique d Aristote, avec
un sujet et un prdicat, mais avec deux prdicats et
un
pronom
indfini tous ou
certains
.
L extension de la logique
d Aristote avec des symboles d individus, telle nom propre
Socrate
ne
date que de
la fin
du
Moyen ge. Mais, mme
ainsi tendue, la logique d Aristote reste trop fruste
pour
expri-
mer
certains noncs mathmatiques: avec le symbole
d indi-
vidu
4 et le prdicat pair on peut, certes, former la
proposition 4 est pair
mais il n y a pas
de
moyen
de
former la
proposition 4 est infrieur 5
dans laquelle le prdicat est
infrieur ne s applique pas un seul objet, comme le prdicat
pair mais deux objets, 4 et 5 qu il met en relation.
Pour la mme raison, il n est pas possible de former la proposi-
tion
la droite D passe
par
le point
t.
On comprend pourquoi les mathmaticiens grecs n ont
pas
utilis les logiques proposes par les philosophes de leur poque
pour formuler les raisonnements de l arithmtique et de la go-
mtrie naissante: parce que ces logiques n taient pas assez
riches
pour
le permettre. Pendant trs longtemps, ce problme
de construire une logique suffisamment riche
pour
formuler les
raisonnements mathmatiques ne semble pas avoir intress
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LES MTAMORPHOSES U CALCUL
tique, ce qui reflte l importance que les Grecs, mathmaticiens
et philosophes, accordaient
au
raisonnement.
On pourrait penser que les mathmaticiens grecs, dcou-
vrant avec la mthode axiomatique une nouvelle sorte de math-
matiques, ont cherch comprendre comment cette nouvelle
sorte de mathmatiques prolongeait les mathmatiques plus
anciennes des Msopotamiens et des gyptiens. S ils l avaient
fait, cela les aurait amens chercher comprendre comment
articuler le calcul et le raisonnement. Mais ce n est pas e qu ils
ont cherch faire: au contraire, ils ont fait table rase
du
pass et
abandonn le calcul pour le remplacer par le raisonnement.
De ce fait, aprs les Grecs, le calcul a peine eu une petite
place dans l difice mathmatique.
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CH PITRE l
eux mille ans
e
calcul
Aprs l adoption de la mthode axiomatique, le raisonnement
a souvent t prsent comme l unique outil utiliser pour
rsoudre
un
problme mathmatique. Dans le discours qu ils ont
tenu sur leur science, les mathmaticiens n ont quasiment plus
accord de place au calcul. Le calcul n a pourtant pas disparu de
la
pratique mathmatique:
toutes les poques, les mathmati-
ciens ont propos de nouveaux algorithmes pour rsoudre syst-
matiquement certains types de problmes. L histoire des
mathmatiques a donc sa part lumineuse, celle des conjectures,
des thormes et des dmonstrations, et sa part d ombre, celle
des algorithmes.
Ce chapitre est consacr trois moments de cette histoire.
Ces trois moments, qui se situent des poques diffrentes, nous
amneront discuter diffrentes questions.
Le premier nous amnera
nous interroger sur la manire
dont peut
se rsoudre l apparente contradiction entre le dis-
cours sur les mathmatiques, qui accorde peu de place au cal-
cul, et la pratique mathmatique, qui lui
en donne une
si
grande, ainsi que sur la faon dont la transition entre la prhis-
toire des mathmatiques et les mathmatiques grecques a pu
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LES MTAMORPHOSES
DU
CALCUL
s oprer. Le deuxime nous amnera nous interroger sur
la
part relative des hritages msopotamiens
et
grecs dans les
mathmatiques mdivales.
Le
dernier, enfin, nous fera rfl
chir
sur
la raison pour laquelle, alors que la gomtrie
de
l Antiquit tait centre
sur
un petit nombre de figures gom
triques le triangle, le cercle, la parabole ... -, de nombreuses
nouvelles figures gomtriques - la chanette, la roulette .. -
sont apparues au XVIIe sicle.
L algorithme d Euclide:
un calcul fond sur le raisonnement
Si le nom d Euclide est rest attach la gomtrie
et
la
mthode axiomatique, il est aussi, ironiquement, rest associ
un
algorithme qui permet de calculer le plus grand diviseur
co:_.nmn de deux nombres entiers: l algorithme d Euclide.
Une premire mthode pour calculer le plus grand diviseur
commun de deux nombres consiste dterminer les diviseurs de
chacun d eux en les divisant successivement par tous les
nombres infrieurs et en retenant ceux pour lesquels la division
tombe juste
.
Par exemple, pour calculer le plus grand divi
seur commun de 90 et 21, on peut dterminer les diviseurs de 90
(1,2,3,5,6,9, 10, 15, 18,
30,
45
et 90 et ceux de 21 (1,3,7 et 21); il
ne reste plus qu chercher le plus grand nombre qui se trouve
dans les deux listes:
3.
Pour rsoudre le problme: le plus
grand diviseur commun de 90 et
21
est-il gal 3?
ou
mme le
problme: quel est le plus grand diviseur commun de
90
et
21? , l n est donc nullement ncessaire de faire
un
raisonne
ment. Il suffit d appliquer cet algorithme, laborieux mais syst-
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UNE ORIGINE
NCIENNE
matique, qui est une simple paraphrase
de
la dfinition
du
plus
grand diviseur commun.
L algorithme d Euclide permet
de
calculer de manire moins
laborieuse le plus grand diviseur commun de deux nombres. Il
repose sur l ide suivante: quand on veut calculer le plus grand
diviseur commun de deux nombres et b par exemple 90 et 21,
on peut diviser le plus grand, a par le plus petit, b. Si la division
tombe juste et donne
un
quotient q alors est gal
b
x q Dans
ce
cas,
b
est
un
diviseur de
a
donc
un
diviseur commun de et
b
et c est le plus grand car aucun diviseur de
b
n est plus grand que
b
lui-mme. Ce nombre est donc le plus grand diviseur commun
de et b. Si, en revanche, la division ne tombe pas
juste
et
laisse
un
reste r alors est gal b x q r; dans ce cas, les divi
seurs communs de et b sont aussi ceux de b et r. De ce fait, on
peut remplacer les nombres et
b
par les nombres
b
et
r
qui ont le
mme plus
grand diviseur commun. L algorithme d Euclide
consiste rpter cette opration plusieurs fois jusqu obtenir
deux nombres pour lesquels la division tombe juste. Le nombre
recherch est alors le plus petit des deux nombres. Calculer le
plus
grand
diviseur des nombres 90 et
21
avec l algorithme
d Euclide consiste remplacer le couple
90,
21)
par
le couple
21,
6) puis par le couple 6,
3)
et, 6 tant
un
multiple de 3, par le
nombre 3 qui est le rsultat.
Dans le cas des nombres 90 et 21, l algorithme d Euclide
donne
un
rsultat aprs trois divisions. Plus gnralement, quels
que soient les nombres avec lesquels on dmarre, on obtient
un
rsultat aprs
un
nombre fini de divisions. En effet, en rempla
ant le nombre par le nombre r on fait dcrotre les nombres
qui constituent le couple dont on cherche calculer le plus grand
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LES MTAMORPHOSES
DU
CALCUL
diviseur commun, et une suite dcroissante
de
nombres entiers
est ncessairement finie.
Cet exemple montre que, loin de tourner le dos au concept
de
calcul, les Grecs, comme ici Euclide, ont particip la
construction de nouveaux algorithmes. Il montre galement
quel point le raisonnement et le calcul sont entremls dans la
pratique mathmatique. La construction
de
l algorithme
d Euclide, contrairement
au
premier algorithme de calcul du
plus grand diviseur commun, nous a demand de dmontrer
plusieurs thormes: premirement, si la division
de
par
tombe juste, alors le plus grand diviseur commun de et est
b;
deuximement, si r est le reste de la division de par b alors les
diviseurs communs de et sont les mmes que ceux de et r;
troisimement, le reste d une division est toujours infrieur au
diviseur; enfin, une suite dcroissante
de
nombres entiers est
finie. Ces rsultats sont tablis par des raisonnements, similaires
ceux utiliss par les pythagoriciens pour dmontrer qu un
carr ne peut pas tre le double d un autre.
La conception du premier algorithme ne demandait aucun
raisonnement. Mais cette situation est exceptionnelle. En gn-
ral, les algorithmes, comme celui d Euclide, ne se contentent pas
de paraphraser une dfinition et leur conception demande de
construire
un
raisonnement.
e thorme de Thals: l invention des mathmatiques
e
fait que la conception
d un
algorithme puisse demander
la construction
d un
raisonnement fait que les mathmatiques
msopotamiennes et gyptiennes posent rtrospectivement un
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UNE ORIGINE ANCIENNE
problme: comment les Msopotamiens, par exemple, ont-ils pu
concevoir un algorithme pour l division sans avoir recours au
raisonnement?
On
doit supposer que les Msopotamiens et les
gyptiens connaissaient une forme implicite
de
raisonnement.
Le fait que, contrairement aux Grecs, ils n aient pas rendu cette
activit explicite, par exemple en crivant leurs raisonnements
sur des tablettes, et qu ils n aient sans doute pas eu conscience
de
l importance
du
raisonnement dans la rsolution des problmes
mathmatiques abstraits n empche pas qu ils ont
pu
construire
des raisonnements, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose
sans le savoir.
Si l on remarque souvent la ncessit de construire des rai
sonnements mathmatiques pour concevoir des algorithmes, ce
qui amne supposer que les Msopotamiens construisaient des
raisonnements mme s ils
ne
les explicitaient pas,
on
remarque
plus rarement que cette ncessit
de
construire des raisonne
ments pour concevoir des algorithmes claire le miracle grec: le
passage
du
calcul
au
raisonnement.
On
peut, en effet, faire l hy
pothse que c est en construisant des raisonnements pour conce
voir
de
nouveaux algorithmes que les Grecs ont compris
l importance
du
raisonnement.
Par exemple, on attribue souvent le
premier raisonne
ment gomtrique Thals: pour mesurer la
hauteur
d une
pyramide trop haute
pour
une mesure directe, Thals a eu l ide
de mesurer la longueur de l ombre de la pyramide sur le sol et,
indpendamment, la hauteur et la longueur de l ombre
d un
petit bton, puis
de
faire une rgle
de
trois.
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LES MTAMORPHOSES
DU
CALCUL
..
longueur de l ombre
de la pyramide
hauteur de
la pyramide
-
ongueur de l ombre
du bton
On
peut faire l hypothse que le but
de
Thals tait de conce
voir
un
nouvel algorithme
pour
calculer la longueur
d un
seg
ment
et que, pour construire cet algorithme, il a eu besoin de
dmontrer que la pyramide avait avec son ombre le mme rap
port que le bton avec la sienne. Thorme dont on a compris,
par la suite, l intrt intrinsque et que l on appelle aujourd hui
le thorme de Thals .
Le discours et les actes
Une autre question souleve
par
l existence de l algorithme
d Euclide est la contradiction apparente entre le discours sur les
mathmatiques qui, depuis les Grecs, accorde peu de place au
calcul,
et
la pratique mathmatique,
qui
lui
en
confre
une
si
grande. Comment les Grecs et leurs successeurs ont-ils pu pr
tendre que le raisonnement seul suffisait, alors qu ils construi
saient des algorithmes, comme celui d Euclide?
Examinons encore une fois le calcul
du
plus grand diviseur
commun des nombres 90 et 21 au moyen
de
cet algorithme. Une
premire manire
de
dcrire ce
que
nous avons fait est
de
dire
que nous avons remplac successivement le couple 90,
21)
par le
couple
21,
6) puis par le couple
6,
3) et enfin par le nombre 3
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UNE ORIGINE ANCIENNE
l aveugle
, en
suivant les prescriptions
de
l algorithme,
dont
nous avons, par ailleurs, dmontr qu il calculait bien le plus
grand diviseur commun des deux nombres. Une autre manire
de
prsenter les choses consiste justifier
ce
remplacement
du
couple 90,
21) par
le couple 21,
6) par
une dmonstration
du
fait
que le plus grand diviseur commun de 90 et
21
est gal celui de
21
et 6. Pour cela, il suffit d utiliser
l un
des thormes que nous
avons voqus: le plus
grand
diviseur commun
de
deux
nombres et
b
est le mme que celui
de
b
et
r
o
le nombre
r
est
le reste de la division de par b. Dans cette manire de prsenter
les choses, nous pouvons taire le fait que nous avons utilis l al-
gorithme d Euclide, et simplement dire que nous avons dmon-
tr
que
le plus
grand
diviseur commun de
90
et
21
est 3 en
utilisant les deux thormes prcdents.
Plus prcisment,
en
plus
du
rsultat 3, l algorithme
d Euclide nous a permis de construire un raisonnement qui
montre que le plus grand diviseur commun de
90
et
21
est 3. Une
fois
que
le raisonnement est construit,
peu
importe sa prove-
nance: l est l et cela suffit. En supposant que les Grecs et leurs
successeurs concevaient le calcul comme un outil pour construire
des raisonnements, lequel outil doit rester dans l ombre de l objet
qu il sert
construire, on retrouve une certaine cohrence entre
leur pratique mathmatique, qui accorde une certaine place au
calcul, et leur discours, qui le mentionne peine.
L criture positionnelle
Passons un deuxime moment de l histoire des mathma-
tiques. Nous avons l habitude
de
penser que la manire
dont
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LES M ~ T M O R P H O S E S DU CALCUL
nous dsignons les objets mathmatiques, comme les objets de la
vie courante, est
un
dtail.
n n y
a
pas de
raison
d appeler
lion un
lion
ou tigre un
tigre.
Nous
aurions
pu
choisir
deux autres mots et, pourvu que nous employions tous
la
mme
convention, toutes les conventions se valent. Les linguistes,
pour
qualifier ce phnomne, parlent
du
caractre
arbitraire du
signe. De mme, nous aurions
pu
dcider d utiliser
un
autre nom
que
trois
pour
le nombre trois
et un
autre symbole que
3
pour l crire, sans que cela change grand-chose. D autres
langues utilisent bien d autres mots,
drei ou three et
leurs math
matiques sont pourtant les mmes que les ntres.
En poussant plus loin cette thse
du
caractre arbitraire
du
signe, on peut penser que le fait que l on crive le nombre trente
et
un
trente et un
,
XXXI
, 3X 11
ou 31 est indiffrent. Ce n est cependant pas tout fait le cas.
Tout d abord,
d o
nous vient ce besoin
d un
langage spcial
pour
crire les nombres? Dans les sciences, comme ailleurs,
on
donne des noms aux objets que
l on
utilise et,
en
gnral, cela
ne
ncessite pas l invention
d un
langage particulier. Par exemple,
pour nommer les lments chimiques, on a invent
un
nom if-
frent
pour
chacun
d eux:
hydrogne, hlium ..
tout en
conti
nuant
utiliser le franais. Mais les lments chimiques, mme
s ils sont nombreux, sont
en
nombre fini.
On
a,
de
mme, intro
duit un nom particulier pour chacun des petits nombres: un
,
deux ,
trois ...
et
mme
un
symbole spcial: 1
,
2
3 mais, contrairement
aux
lments chimiques, les
nombres sont
une
infinit: il est impossible
de
donner
un
nom
chacun, car
un
langage doit avoir un nombre fini de symboles t
de
mots.
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UNE ORIGINE ANCIENNE
Ainsi
est ne
l ide
d exprimer
les
nombres
non avec un
nombre infini de symboles mais en combinant
un
nombre
fini
de
symboles, c est--dire
d inventer
non
un
lexique
mais
une
grammaire, donc un langage. Or, si le lexique est arbitraire, la
grammaire l est beaucoup moins
et
certaines grammaires du lan
gage des nombres
sont plus
pratiques que
d autres pour rai
sonner et pour calculer.
Parmi
les critures
4