les missions cathoiques françaises au xix. - père j.b. piolet s.j. tome i

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  • LA FRANCK AU DEHORS

    Les MissionsCatholiques Franaises

    au xix u Sicle

  • ONT COLLABORE A CE VOLUME :

    Le Et. I'. Alfred, Suprieur gnral des Missions d'Orient

    les Augustins de I Assomption.

    M^i AlLTMayer, archevque de Babvlone, Dlgu apostolique de Msopotamie.

    Le R. 1'. Andr, S. J., Suprieur gnral de la Mission de la Petite Armnie.

    Le El. I'. Bernard, de I Ordre des Carmes, missionnaire Bagdad.

    M. Bray, lazariste, ancien missionnaire en l'erse

    l.e Et. I'. Galland, des Frres Prcheurs, Suprieur gnral

    de la Mission de Mossoul.

    Le R. I'. Giannantonio, capucin, Suprieur gnral de la Mission de Mardin.

    M . Etienne I.\mi .

    M. Paul Pisani, chanoine de Paris.

    M. l'abb \ic Touz.

    i7!io, Imprimerie Laiiure, rue de Fleurus, 0, Paris.

  • LA FRANCE AU DEHORS

    Les MissionsCatholiques Franaises

    au xix SiclePublies sous la direction du

    Pre J.-B. PIOLET, S. J.

    Avec la collaboration de toutes les Socits de Missions

    ILLUSTRATIONS D'APRS DES D0C1 MENTS 0RIGINA1 X

    TOME PREMIER

    MISSIONS D'ORIENT

    ~.

    -a

    \3

    .S)

    Librairie Armand ColinParis, r>, rue de Mzires

  • INT KO IH CTION

    L'APOSTOL \ I

    La |iln> grande misre de l'homme n'esl pas la pauvret, ni la maladie,ni ['hostilit des vnements, ni les dceptions du cur, m la morl : c esl

    le malheur d'ignorer pourquoi il nat, souffre ri passe.

    Dissiper ce mystre ;i t le souci univi rse] ri passionn des sicles.La lumire ;i t demande aux philosophie* cl aux religions.Ds les premiers jours, el partout o les socits se formrent, des

    foyers furent allums par la ra-Lsn humaine au milieu de ces tnbres.L'Egypte, l'Inde, la Chalde, la Perse, la Chine, la < rce, Rome mi\ rirent

    tour ;'i tour des coles de sagesse, o l'on essayait d'expliquer la vie.

    Malgr la diffrence des races, des lieux el des ges, ci s coles se com-

    battirent moins qu'elles ne se compltrent, el leurs langues diverses redi-

    rent la mme docl rine.I )c> temps si loigns que nous ne savons rien de leur histoire nous

    ont transmis leur pense. Les lgers el indestructibles papyrus enferms

    dans des cercueils gardent le tmoignage que, l renie sicles avant noire

    re, l'Egypte n'ignorai! pas le Dieu incr el crateur, immatriel el matre

    de l.i matire, indivisible el partageant sa providence entre h Itilude

    ilr> tres ''l la succession des ges. Elle ne doutait pas de la vie future,

    sjour >\r malheur ou de joie pour chaque homme selon pouvaient racheter les fautes des

    dfunts, elle possdail la foi consolatrice en la communion des saints. ^

    croyances de l'Egypte ont le mme aspecl de solidit simple cl de puis-sance calme que ses mments. Elles sont trangres aux incertitudes

    qui accompagnent les philosophies moins anciennes, comme si, prs det. t. A

  • ivriionrcTioN

    l'heure premire o il avait t form par son Crateur, l'homme n'etpas eu encore le temps de perdre le souvenir.

    Par contre, les philosophies venues ensuite, el moins fortes de qui-tude, onl cherch pntrer plu> ;'i fond le secrel de la vrit. Si Dieuesl bon el si I homme esl destin au bonheur, pourquoi les preuves del:i vie prsente el l'preuve suprme, la mort? L'Egypte ne s'tait pastrouble de ce problme. I, Inde le pose el le rsout. Ses antiques colesde sagesse sonl unanimes enseigner une science nouvelle qui esl leurconqute : I nomme doil souffrir parce

  • L'APOSTOLAI tu

    une suite indfinie d'preuves nouvelles, mais la stabilit dans la rcom-pense ou le chtiment; la pit qu'il rtabli! en l'honneur des morts

    s'adresse des l res dlivrs des imperfecl ions dans une vie incorruptible.

    Il accepte des Brahmanes l'ide que l'preuve terrestre esl la ranond'une faute, des Bouddhistes l'ide que le temps ne saurai! lui seul

    effacer le mal, mais se refuse admettre avec eux que le repentir mmeml cette puissance. 11 \>ul que le regret n'empche pas la faute, une foiscommise, d'tre jamais; que les larmes mme, souilles par la fangedu corps el de l'me, ne sauraien! tre offertes en compensation Dieu;

    que si. dans les redoutables balances de la justice divine, le mal peuttrouver un contrepoids, ce privilge appartienl une perfection pure

    de toul mal, doue trangre l'homme; que, par suite, si les remords ont

    cette puissance absolutoire, ce n'es! pas par leur propre vertu, mais par

    le mrite d'un propitiateur surhumain. Et, comme le philosophe jugele pardon ncessaire au monde, il tien! pour ncessaire l'avnemenl d'un

    Rdempteur, annonce sa venue e! l'espre prochaine.Le nie li'i-cc parle son Unir. Si Dieu offens par 1 homme lui pr-

    pare, au lieu ilu chtiment, le pardon, la rcompense, el ne veul se

    venger qu'en le rendant nie il leur, l'adoration cl la crainte doivent-elles tre

    les seuls sentiments de l'homme envers Dieu? Avec Socrate ri Platon, la

    lui d'amour, le Nouveau Testamen! de la philosophie, commence. Ils ne

    se contenten! pas de reconnatre v la divinit immuable, ternelle, se

    suffisant souverainement elle-mme, el communiquant le mouvementel la vie tout le reste 1 . Us se sentent attirs par l'attrait dsintress,

    pur el invincible des perfections qui sont en elle. Il> onl pour bonheur

    en ce monde de fuir le monde

  • IV INTHDL'CTIOXl >,-i vocation d'universalit; concluait de l'existence divine la dpen-dance humaine, de la sagesse divine ;'i nue morale certaine, de l'unit

    divine ;'i une rgle unique pour 1 1 1 1 - les hommes. Le plus illustre chefde cette cole, Cicron, proclamai! la suprmatie de la loi divine sur 1rsluis humaines, el en termes don) la nettet n ;i jamais t dpasse : Iln \ aura pas une loi Rome el une autre ;'i Athnes, une aujourd'hui elune autre demain; mais la mme, ternelle el immuable, rgnera sur Ionsles peuples dans tous les temps, el celui qui a voulu, rvl, promulgucelle loi, Dieu, sera le seul matre commun el le souverain monarque detous' ...

    < '.erles. une raison capable de ces efforl s u esl pas impuissante, et, s'il ya s'tonner, c'csl qu'elle ait, par sa seule lumire, tanl clair du grandinconnu. Mais si la philosophie ;i donn au genre humain ces tmoignagesen Paveur les vrits qn il cherche; ils ne suffsenl pas.

    La philosophie :i pour guide unique la raison.

  • L'APOSTOLAT v

    Aucune cole ne s'esl montre gn'reuse de ce qu'elle avait dcouvert.Les plus anciennes onl voulu garder comme un secrel el un monopole lebien qui appartient l plus ;'i Ions, la vrit. Les savants d'Egypte

    cachaient leurs doctrines sous le triple sceau de leurs hiroglyphes, cri-

    ture destine non rpandre, mais cacher la pense. Les Brahmaness'taient rserv le droit de lire les \ das, crits dans une lanajuc morte

    qu'eux-mmes avaient peine a comprendre. Les mages de I Assyrie el dela l'erse furent nu>>i avares le leurs doctrines. La moins occulte, el laplu-, fconde en disciples, lui celle le Confucius, mais encore ne m 1

    rpandit-elle en ( Ihine que parmi les lettrs. \\ee Platon le gnie humainavait jet sa plus haute el sa plu-* pure flamme, mais il manqua celle

    flamme In chaleur le la divine charit. L'amour d Dieu n'avait pas

    appris au philosophe le vritable hommage d'amour que Dieu prescritcl qui est, pour chaque homme, le souci le ses frres.. Platon disait :" Connatre le crateur el le pre le Imites choses est une entreprise diffi-

    cile, el. quand on l'a connu, il est impossible le le dire tous' .

    Les sicles mil pass sniis effacer le pch originel le la phuoso-

    phie : dans tous les gs, dans toutes les races, die est oligarchique.

    Mme en chacune le ces familles si restreintes, chacun rve le gravir dessommets inaccessibles ses compagnons, de graver son nom sur In cime

    de quelque vrit immortelle, cl le vu secret du philosophe srail de

    dpasser de si haut les autres intelligences, qu'il ft seul se comprendre.

    gosme trange die/, les amis de la sagesse, orgueil le plus injustifi desorgueils! Car si quelque chose tait lad pour rendre humble la raison

    humaine, c'esl bien l'impuissance qu'elle avoue de rpandre parmi les

    hommes les vrits dcouvertes par die. L'intelligence lui a manqumoins que le cur : voil pourquoi die a t si strile.

    Il

    Le genre humain ne >'\ est pas Iromp. El pas plus que les philo-sophes ne [ravaillenl pour lui. il n'a espr en eux. Sr dune seulechose, de ne pas s'tre cr lui-mme, cl que toutes ses facults lui

    taient des dons de son crateur, il a considr que la croyance gnrale

    de l'homme une puissance tutlaire et souveraine tait une rvlation

    de la divinit chaque homme. Ds lors, il tait contraire la raison

    I. Platon, Time.

  • vi INTRODUCTION

    faite par Dieu mme, qu'il et donn tous le dsir de le connatre Hrserv ;'i un petit nombre la facult de le dcouvrir. Il tail contraire lajustice que l'homme avide de foi en Dieu fl rduit avoir foi ces

    quelques hommes en dsaccord les uns avec les autres, el parfois eucontradiction avec eux-mmes. Il tail conlraire la sollicitude de l'Etrequi avait donn l'homme la vie de lui refuser l'intelligence de la vie.La raison, la justice, la misricorde exigeaienl que chacun lini d Dieu

    mme la vrit sur Dieu. Seule, cette infaillible autorit pouvait fournirles certitudes absolues, immdiates, permanentes, doni chaque jour elchaque acte onl besoin. El par cela mme que l'homme sentait le besoinde cette rvlation, il a t sr do la possder. Un acte de foi en la bontdivine n t l'origine de la foi religieuse. Cette croyance en un ensei-

    gnement donn par Dieu lui-mme sa crature a t la certitude la plusgnrale des socits. El depuis que le monde es) monde, il n'a pasopt entre des philosophies, il a opt entre des religions.

    Mais au moment o les familles humaines s'essayrenl crer unculte, il lui primitif el grossier comme elles, et d'indignes objets sur-prirent l'hommage de ces simples. < !eux qui cherchrenl Dieu ne connais-saient pas mme la terre. Ils affrontaient la nature encore nouvelle sansavoir appris en dompter les forces, sans avoir eu le temps d'apprendreses lois. Or, I ignorance est la grande cole d'idoltrie, parce que pourI ignorance tout esl prodige. La premire tentation de l'ignorance devailtre de prendre pour dieu les forces de la nature. L'homme, sentanl sonimpuissance les dominer, trembla devant elles, el son dsir qu'elleslui fussent propices se changea bientt en prire. Il ne sail pas distinguer,derrire les phnomnes terribles ou bienfaisants qu'il contemple, l'treinvisible qui les gouverne, et, au lieu d'adorer Dieu dans ses uvres, ilrend ces uvres le culte d Dieu. La crainte est le fondemenl de ceculte.

    Quand il crut ainsi s'tre protg contre la nature, l'I ne vouluts'armer contre les autres hommes. Aprs la religion de la peur, vinl lareligion de l'gosme. Menac par les mmes liassions qui, en lui, s'le-vaienl contre le repos et les droits le ses semblables, il avait, dans cellelutte qui esl la forme la plus constante d ses rapports avec ses sem-blables, besoin de protecteurs. Son imagination, force de les chercher,les cra. Comme les enfants savent trouver dans les objets les plusinformes une reprsentation parfaite de toul ce qu'ils onl en tte, l'enfantqu'esl l'homme des socits rudimentaires attacha aux ftiches crspar -a fantaisie superstitieuse toutes les puissances donl il a besoin

  • L'APOSTOLAT

    pour '"ii commerce, ses hritages, ses amours el ses limes, se hl des

    dieux domestiques, complices de ses fautes et, au besoin, de ses crimes.

    Enfin, comme l'homme esl contradiction, en mme temps qu'il tra-vaillai! dominer, tromper, supprimer ses semblables, il se gentil

    solidaire d'eux. Les flaux communs, les guerres trangres, parfois 1 lan

    d'une pit dsintresse dvelopprenl en lui le besoin de supplications

    auxquelles pl s'unir un peuple entier. De l un culte public en faveur

    de dieux, eux aussi imaginaires, niais symboles de sentiments, il intrts,

    d'espoirs collectifs. Ces cultes son) comme un miroir o les races se

    reconnaissent, une synthse o leurs passions gnrales trouvent leur

    expression religieuse. Ils varient donc selon la place qu'occupent ces

    peuples dans le temps, sur le sol, selon leurs dangers, leurs besoins, leur

    caractre. La forme dernire el la plus parfaite de l'idoltrie fui le culte

    de l'orgueil national.

    L'idoltrie, sous toutes ses formes, devin! l'obstacle la civilisation

    du genre h mua m.

    Le commencemenl de celte civilisation esl le dressage de la nature

    par l'homme, la lutte < ntre l'intelligence qu'il possde el les nergies

    qu'elle lui oppose, el la mtamorphose des forces hostiles ou perduesen forces dociles el fcondes. Or, pour que l'homme devienne un matre

    sur son domaine, il faul avanl toul qu'il ne doute pas le son droil

    diriger les puissances aveugles des lments, capter les richesses de

    la terre, dtruire les animaux nuisibles el traiter les utiles en servi-

    teurs. Alors il lui reste lutter contre 1rs rvoltes de ces foi-ces. mais

    coi e il ne se mprend pas sur leur destination tre soumises, il

    accrot, par ses tentatives de les dominer, son exprience, el tend peu

    peu sa souverainet sur sa demeure. Mais si dans ces lments, dansesanimaux, dans ces piaules, il adore des dieux, il ne se seul plus le droil

    de les discipliner son gr, c'esl lui qui doil toul supporter d'eux, connue

    l'esclave du matre. Toute tentation de s'en dfendre lui devienl une

    impit; toul efforl pour les dtruire un dicide. Sa foi le tien) enchan

    aux maux donl il se dlivrerai! s'il ne se trompait pas sur leur origine,

    elle perptue la sauvagerie de la terre el l'impuissance de l'homme.

    Libres de superstitions, les gyptiens d'autrefois el les sauvages d \-

    frique el d'Amrique auraient fait la chasse aux crocodiles qui pullulent

    dans leurs fleuves, les Indiens auraient dtruit les serpents venimeux qui

    habitent leurs plaines. Mais, transforms en dieux, les sauriens ej les

    reptiles infesten! la terre el les eaux, et depuis des sicles celle idoltrie

    condamne chaque anne prir des milliers d'tres humains. Plus

  • vin INTRODUCTION

    l'homme se cre de dieux dans la nature plus s'accrol le nombre doschoses sur lesquelles il abdique son empire.

    En mme temps que cette premire forme d'idoltrie le dpossdede son autorit naturelle sur sa demeure, la seconde espce d idoltrie,

    la crdulit aux influences puremenl imaginaires el soi-disant protec-

    trices mi ennemies de chaque homme, la religion des divinits domes-tiques, des amulettes, des malfices, le dprave. lentes contre-mines d'une habilet suprieure, s'il suffil

    d'opposer leurs amulettes des amulettes plus puissantes? Cette croyanceque les affaires humaines doivent se rsoudre par des interventions sur-humaines, que celle i nlervenl Ion peill lre olilelllie par des nies el desdons, el que les dieux sol vendre, dveloppe en I Ilolllllie lollles lesfolies de l'orgueil dans la prosprit, un fatalisme stupide dans les revers

    ;

    elle le l'ail incrdule aux ressources de son intelligence, de sa volont,

    de sa persvrance, elle le fait rebelle au travail qui esl la loi mme dupii igrs.

    La troisime forme de I idoltrie, la foi aux dieux publics et natio-

    naux, dtruil un autre lment essentiel de la civilisation, la paix. < liespar chaque peuple el par des peuples divers d'ge, de caraclre el (1:1111-

    bitions, ils reprsentent partoul ces diversits. Comme chacun de cespeuples les a crs non seulemenl avec ses craintes, ses dsirs, mais avecses prjugs, d estime ses dieux suprieurs a ceux des autres races, et|e^ dieux trangers lui semblenl les ennemis de sa fortune. Loin d'leverau-dessus des divisions nationales un asile o l'unit du genre humainpt prendre conscience d'elle-mme, ces idoltries effacent le sentimentel I intelligence de la parent entre Ions les hommes, elles ne metlenl quel'isolemenl farouche de chaque Liai sous la garde des dieux. Aucune

  • L'APOSTOLAT

    de ces religions bornes la race n'est faite pour s'tendre, aucune n'en-

    tend tre dtruite : elles perptuent l'ingalit, la haine, la guerre entre

    les peuples.

    Si l'on envisage enfin les traits communs de toutes les idoltries,

    nu reconnat que par leurs caractres essentiels toutes font obstacle

    la en ilisal ion.

    La civilisation ne peut avoir pour fondements le mensonge. < >r.

    l'erreur des idoltries est dmontre par leur nmllilude mme, car Dieuesl insparable de l'unit. La souveraine puissance ne saurail tre en

    mme temps accorde plusieurs : s ils l'exercent ensemble, elle est 1 1 \ i

    -

    se entre eux et Dieu a des bornes; s ils prtendent la possder chacun

    tout entire, c'est Dieu

  • \ INTRODUCTION

    deuil que, mme dans les champs lyses, les ombres vertueuses portentde ne plus habiter la terre, achvent de persuader les vivants qu il faut,

    duranl l'existence trop courte, cueillir du moins Ions les fruits de la vie.

    Une telle religion dtruisait les bases du devoir et les hommes y taientcorrompus par 1rs dieux'.

    La civilisation ne saurait avoir pour gouvernement dfinitif et garan-

    tie suprme la tyrannie. < )r toute idoltrie tant une uvre humaine, leshommes assez habiles pour la prsenter comme divine acquirent sur lespeuples un droit surhumain. El soil que les usurpateurs de cette omni-potence religieuse l'emploient prendre le pouvoir politique, soit que les

    matres de la force matrielle s'en servent pour se rendre matres du

    pouvoir religieux, la confusion des deux puissances accompagne ou suit

    l'tablissement de toute idoltrie. La logique des ambitions tend invinci-

    blement ce rsultat. < le fut la rgle sans exception du paganisme anti-que; elle se perptue partout o il dure. Il a donc pour consquence leplus oppressif des despotismes. Ceux qui obissent n'ont, contre les ini-

    quits les plus odieuses, nul recours ni en eux-mmes ni au-dessus d eux,puisque la mme autorit est matresse des corps el des mes. Ceux quicommandent ne connaissent aucun frein, puisqu'ils ont mis Dieu mmeau service de leurs caprices, de leurs passions, de leurs crimes. I n tel

    pouvoir, galement redoutable pour les peuples et pour les princes, avihlla soumission et corrompl l'autorit.

    La civilisation ni' doit pas rserver pour quelques privilgis tous

    les avantages de la vie cl offrira presque tous les hommes, comme leurseule pari de droits, la souffrance du travail, les mpris el la servitude.Or les idoltries, impuissantes maintenir les socits cl les individuseu ordre par des lois morales, od di'i assurer cel ordre par l'artifice

    dune hirarchie Toile el qui liai les peuples immobiles. Il est digne deremarque, en effet, que tous les peuples idoltres, si divers de croyances,

    oui reu la mme organisation sociale. Tous les avantages, honneurs,richesses, sont remis une minorit. Le premier corps de l'Etat esl celui

    des prtres

  • L'APOSTOl \l si

    il-- ont donn la seconde place aux guerriers qui, par la luire, main-tiennenl en soumission la plbe de ceux qui Iravaillenl el produisent, lesagriculteurs el les artisans. Enfin, pour que ceux-ci ;'i leur tour aienl aumaintien de cette socit l'intrt d'un privilge, elle leur abandonne unpouvoir absolu sur leurs esclaves, choses vivantes, tres humains quison! dnis tous les droits des hommes.

    Cette domination du prtre el du soldat sur le travailleur mpris, elde tous sur I esclave, esl le caractre commun de toutes les socits qui,

    dans le monde antique, onl tabli et, dans le moment prsenl perp-tuent le polythisme. Cette similitude domine 1rs divergences des supers-titions el des rites, elle donne 1 idoltrie son unit.

    Dans l'Egypte, la hirarchie des castes parait constitue aussitt quele culte. Elles sonl ingales en dignit, diverses en fonctions, immuables,el l.'i guerre fournit ;'i celle socit les esclaves qui, levant la grandeursurhumaine des tombeaux el les temples, onl fait l'antique Egypte sonimmortalit. Ers mmes divisions de classes et la servitude se retrou-venl chez les Assyriens, les Mdes, les Perses. I );ms l'Inde, le mal inspa-rable de la socit paenne devint plus audacieux encore. Les castes nefurent pns seulement tablies comme la forme ncessaire de l'ordre social;

    ce lui un article de foi que Brahma ;i\;iil fait sortir les brahmes de satte, les guerriers le s,-i poitrine, les artisans de son ventre, el les diff-

    rences entre les castes devinrent d'essence divine. Aussi elles se sonl con-

    serves intactes jusqu' nus jours partout o la religion brahmanique asurvcu. Et non seulemenl elles ne laissent esprer au paria aucun adou-cissement ses humiliations terrestres, non seulemenl par l'interdiction

    de tout contael entre les classes pures el la classe vile elles abandonnenlcelle-ci n In fange, mais elles perptuent jusque dans l'infini des existencesfutures celle condamnation. Les castes jamais onl des demeures di-verses, et, pour les misrables, le ciel est aussi inhospitalier que la terre.

    Cette loi d'ingalit immortelle tait une si horrible injustice, que ledsir d'y porter remde suscita le Bouddhisme. Bouddha enseigne que leshommes de toutes castes onl droil au respect de tous en ce mondeet,aprs la \ ie prsente, la rcompense suprme, s'ils sonl appels par leursmrites ;\ I tal le plus parfait, celui de bonze, c'est--dire de suint, lui

    opposanl a la vocation parla race, l; n immobilisait ds la naissance elpour jamais chaque homme dans la prison de son origine, la vocation parla vertu, qui apprenait aux uns ne pas s'enorgueillir el aux autres ne

    pas dsesprer, il a accompli une uvre vraiment libratrice, vraimentdigne d'une me religieuse. Mais s il tempra l'iniquit 1 1< -- castes, il n'osa

  • xii INTRODUCTION

    pas la dtruire, il ne l'abolii qu'en faveur les bonzes, In moins nom-breuse des lites. Ei malgr qu' l'cole de Bouddha el de Confucius laChine ail mis dans -es livres, dans sa langue gouvernementale les plusbeaux prceptes de morale, bien que ces prceptes aieni eu de l'influencesur les actes, que la cruaut asiatique s'y soil endormie sous une douceurhabituelle, pic l'esclavage tari dans sa source par la raret des guerress'y sinl maintenu seulemenl sous le nom de puissance paternelle el depuissance maritale, que nulle pari peut-tre le despotisme les princesn ail t moins malfaisant, l'immense empire a gard la marque detoute civilisation idoltrique : la frocit native a parfois de terribles

    rveils, el la sparation ne s'esl jamais comble entre nue oligarchieaccapareuse d tous les avantages el loul le reste des multitudes mpri-ses, loul le progrs a t que celle lite, au lieu d'tre hrditairecomme dans I Inde, fui viagre. Au lieu d'appartenir une caste denobles, la (dune apparlinl une caste de lettrs el tous le-, droits appar-tinrent l'intelligence. Mais cette intelligence, indiffrente au sorl despeuples el mprisante pour la grossiret des multitudes, ne travaillaque pour elle-mme. Les lettrs mirenl leurs efforts n'avoir pas la mmereligion que les ignorants; ils mil gard jalousement pour eux la doctrinede Confucius,

  • L'APOSTOL VI xiii

    rveur pour se demander si un rgime o un dixime ;'i peine de I huma-nit il *-e. ilroil> il Iiiiiiiuir ri rdllse ers HllllCS droits illlX neuf aull'CS

    diximes peul durer. Aristole dclare l'esclavage e conforme la nature,

    car le droil de commander el le droil >l obir, ayanl pour objel le ~~ ; 1 1 1commun, sonl conformes ;'i lii nature. Celui l seulement, comme le corps, capable d'exculer, esl fail pour la

    servitude . El l'auteur de la Logique ne se demande pas si. prcis-ment, il 'csl pas contre lii nature que la plus grande partie des hommessoienl rduits ;'i n'tre

  • \e N TRODUC TI OiN

    de renseignement parl, soit par la simplicit d'une criture facile com-

    prendre. Cette loi enseignait l'homme des devoirs prcis el imprieux.

    Elle avait f l la famille sur le respect des parents el la monogamie,

    prescrit l'inviolabilit de la vie humaine el adouci l'esclavage; elle avait

    interdit non seulement le vol mais la cupidit du bien d'aulrui; elle

    dfendait le mensonge.

    ( ;e tte loi ordonnait au nom d'un matre suprme, unique, ternel, invi-

    sible el tout-puissant. L'homme tail averti de n'adorer ni les ouvrages de

    ses mains, ni les fantmes de son imagination, ni les forces de la nature.

    Pour le mieux prserver de toute idoltrie, cette religion lui apprenait

    comment el dans quel ordre le ciel, les eaux, la terre, les plantes, les nui-

    maux avaient t laits de rien. Non moins formelle dans ses enseigne-

    ments sur l'homme, elle disait l'unit de l'espce par la cration d Ailam.

    le premier pre; la premire faute, la dsobissance el son chtiment, la

    yie doul euse el mortelle qu'Adam a transmise sa postrit; la

    seconde faute, la corruption punie par le dluge, el l'unit de la race con-

    tinue dans la survivance d'une seule famille : la troisime faute, l'orgueil

    de celle famille devenue multitude, qui, pour s'tre runie dans le travail

    d'atteindre le ciel, est disperse par toute la terre, et, pour avoir concert

    de s'galer Dieu, devient incapable de se comprendre ; enfin la rbellion

    perptue sous toutes les formes el dans tous les ges par le peuple que le

    Seigneur s'csi choisi mire les peuples, el la dlie hrditaire accrue par

    l'iniquit de chaque gnration. Ainsi cette loi donnait ses fidles con

    science qu'il fallait, pour compenser ce poids Ion jours plus lourd d ini-

    quits, une plnitude de mrites et, pour soustraire l'humanit la jus-

    tice divine, nu secours surhumain; 'Ile montrait ncessaire le Sauveur

    qu'elle annonait.

    Non seulement elle tait sans gale par la hauteur el l'enchanement

    de ses leons, mais des signes extraordinaires semblaienl attester sa vnl.

    Elle avait des prophtes : leurs livres, qui accroissaient le t rsor de 1 Ecri-

    ture sainle. racontaient leurs visions d'avenir et, voir s accomplir les

    faits annoncs par les morts, chaque gnration de vivants se sentaitaffermie dan- sa foi. D'autres preuves, traversant les ges, sont venues

    attester, mme au scepticisme du prsent sicle, l'autorit de la llilde. Cer-tains vnements raconts par elle mlaient la \ie il Isral celle d autrespeuples. L'histoire de ces peuples, inconnue jusqu ici, a t rvle nosjours, les caractres tracs il y a des milliers d'annes sur les marbres

    gyptiens el les briques assyriennes nous sont maintenant intelligibles;

    or ils confirment les rcits bibliques. Cela tablirait seulement l'exacti-

  • I \ P0S1 OL \l

    Lucie de l'crivain sacr rapporter ce que son temps pouvait connatre.Mais la Bible ihl aussi par quelle succession tic travaux divins a t crI univers : cl le rcil de la Gense esl conforme aux rcentes dcouvertesde la science. Or jusqu' nos jours quel regard avail cherch dans les pro-fondeurs de la terre le secrel de sa formation? Kl quel liomme avail puassister ces uvres antrieures l'homme'? Dieu n'avail pour tmoinque Dieu. Kl m le hasard n'a pu instruire l'ignorance, qui l'a inspiresinon celui qui seul sa\ ail ?

    Ces certitudes de vrit dans les affirmations qui onl t soumises uncontrle, contiennenl la vraisemhlance que la Bible n'est pas plus Irom-pi'ii c dans ses enseignements sur I origine de I homme cl sur la rvla-tion iln Dieu vritable toute la famille humaine, avanl la dispersion despeuples. Kl ds lors quelles clarts sur les paganismes el les philoso-phies! Les similitudes qu'on s'tonne de trouver entre 1rs idoltries, cl

    leurs fables diverses comme l'imagination, leur croyance universelle

    une chute originelle, un dluge, un efforl des hommes pour esca-lader le .ciel, deviennenl l'indice de la premire el commune croyance. Klde mme les philosophies qui s'essaienl en vain n dmler un chaos declarts el de tnbres, n'inventent pas seulement, elles se souviennentsans en avoir conscience : elles n'onl tir d'elles-mmes que leurs erreurs.

    leur concorde el leur sagesse sont un cho lointain de la voix divine quiavail instruil I homme ;'i l'origine du monde

    El pourtant, la religion juive elle-mme n'a p;is tous les signes dunereligion dfinitive el parfaite. D'abord, elle aussi esl nationale. Le peuple

    juif se considre comme une race privilgie que Dieu ;i choisie pourfaire avec elle alliance. Il forme une noblesse mystique dont on ne saurailfaire partie si l'on n'a dans le-- veines le sang de ceux qui onl soufferl l^i il, le dsert, bti le temple, el entendu s'lever la voix des prophtes.Isral ne reconnail aucune race galit avec lui, cl ce sentiment esl si

    vif ipi il survivra mme chez les Juifs convertis ;'i la mort du Christ, quirefuseront d'admettre le> Gentils au bnfice du salut; cette avarice

    orgueilleuse sera un des premiers cl des plus constants soucis des

    aptres !.;i religion juive manqui d'amour, non seulement pour I homme,mais pour Dieu. Elle le craint; elle attend avanl de livrer son cur lagrande preuve de misricorde que Dieu .'i promise, I envoi d un Sauveur.El enfin, cause de cette esprance, la religion juive ne peul devenir lareligion universelle el unique du genre humain. Car, pur celle attentemme, clic atteste que sa perfection esl incomplte el sa destine provi-soire, et, mre qm doit mourir en enfantant le lil>. < -

    1

    1 < porte dans ses

  • XV1 INTRODUCTION

    prophties la prescience de sa lin. elle chante dans ses psaumes ses

    funrailles.

    C'est alors, quanti toutes les philosophies el toutes les religions se

    sont montres impuissantes expliquer la vie el commander le devoir,que le < '. 1 1 1 i -- 1 paral

    .

    Aussitt, les deux forces qui depuis le commencemenl du monde, laraison el la foi, cherchaienl isoles leur voie el s'garaient, s'unissent.

    Par lui, la foi apparal fonde sur la raison, et la raison s'lve aux certi-

    tudes de la foi. Toul ce que les plus grands penseurs ont souponn sur[a nature divine, toul ce qu'ils oui entrevu sur la destine humaine, ii

    l'affirme. Il n'invoque|i;i >. en faveur de cette religion les lumires mles

    d'ombre qui guideraienl un sage el autoriseraient ses conseils : il ordonne

    ,iu nom de Dieu, en Dieu, et ne laisse aucune crature le droil ;'i la

    dsobissance. De la religion juive il garde el consacre l'antique doctrine

    sur l'unit de Dieu, la faute originelle de l'homme H la rdemption.Il rattache ;'i la vrit rvle ds le commencement

  • L'APOSTOLAT xvn

    prouver son amour de Dieu : > Aimez votre prochain comme vous-mmes i).

    Par l esl condamne l'inique prfrence que chacun se garde audtrimenl de Ions, ta plus universelle el la plus vivace des idoltries,

    Faites aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fit. a Voil la rgle,

    simple ;'i comprendrej difficile observer, qui interdil non seulement lesentreprises -uns scrupules sur 1rs biens el les intrts d'autrui, mais

    les excs d'autorit, les abus d'influence, les mauvais exemples, les con-

    seils suspects, les moindres scandales, toute complicit, ft-ce celle

    d'un souffle, dans un dommage caus au prochain.A ceux qui se sentent capables de monter plus haut encore, le Christ

    indique la voie des parfaits; servir les autres plus que soi-mme, s'oublier.Dans le renoncement jusque-l entrevu par 1rs sages survivait un gosmesubtil,

  • XVI 11 NTRODUCTION

    Celle rforme enfin n'es) pas prpare un seul peuple. L'gosme

    de la nation est combattu par le Christ comme l'gosme de l'individu.

    Les reprsentants les races mprises, le Samaritain, la Chananenne, le

    centurion, deviennenl des modles proposs ;'i l'imitation il Isral. Par ces

    leons esl condamne toute prtention superbe qui tendrai! diviser les

    peuples. Les diffrences de la place qui leur a t assigne dans l'univers.

    de la couleur que le soleil laisse sur leur peau, de la langue qu'ils parlent,

    des murs qu'ils se transmettent, ne sauraienl effacer le caractre

    commun de cratures faites par un seul auteur, formes des mmesinstincts, claires de la mme conscience, appeles la mme destine.La marque de Dieu imprime sur son uvre, el qui esl la seule dignit

    vraie de l'homme, destine le genre humain pratiquer la mme murale, vivre sous la mme loi. El le Chrisl indique l'universalit de cette loi parsa dernire parole ses aptres : Allez, enseignez toutes les nations .

    III

    L'effort accompli depuis lors pour substituer l'erreur des crdu-

    lits, l'inimiti des races et l'gosme des passions celle morale civi-

    lisatrice, esl devenu le grand fait de l'histoire. Depuis le Christ jusqu'

    l'heure prsente, il s'est travers les sicles continu sans arrt par

    l'apostolat

    .

    L'apostolat n'a pas cess d'avoir une double tche : rpandre la vrit

    chez les peuples qui ne la coiinaissenl pas encore, la maintenir chez ceux

    ,|ni ['ont reue. Les deux leuvres sonl solidaires, el c'est la su rahondance

    du chritianisme qui se verse des pays chrtiens dans les pays infidles.

    Que la charit du zle ou la puret de la doctrine diminuent dans lespremiers, les autres ne recevront plus la vie morale que d'une source

    trouble ou tarie. L'histoire de l'apostolat esl donc l'histoire de l'Eglise

    elle-mme.

    Un Juif a annonc' trois ans une doctrine qu'il nomme la bonne nou-

    velle dans quelques villes de Jude. Accus par la puissance sacerdotale,

    condamn par la puissance politique, il est mort sur une croix aux applau-

    dissements de la multitude; ses disciples taient assez peu n breux

    pour tenir avec lui dans sa barque de Gnsareth cl autour de la table i>

    il prit son dernier repas. Ces douze hommes, parmi lesquels s'est trouv

    un tratre, taient par leur pauvret cl par leur ignorance des hommes de

  • L'APOSTOLAl xix

    rien dans leur propre pays. C'est eux que le supplici avani de dispa-

    railre a, d'un mol qui enveloppe le monde, lgu les nations.

    La docilit des aptres n'esl pas moins surprenante que la parole du

    matre. Ds qu'il les a quitts ils se dispersent, certains de se rapprocher

    de lui par les routes de l'obissance. El 1 impossible conqute esl com-

    mence.Les aptres commencent leur uvre avec le sentimenl de leur infinie

    faiblesse et nue foi sans bornes en la puissance divine. Comme le ( ,ln-:sl aagi envers

  • xx INTRODUCTION

    sacrifier aux idoles tail leur seule faute : celle rsistance fut punie comme

    les plus grands crimes. Elle dtruisait en effet tout l'ordre de la socit

    antique : elle niait le droit universellement reconnu au pouvoir politique

    de gouverner tout dans le monde, elle tablissait la distinction des puis-

    sances, et le devoir pour l'homme d'obir la volont divine, malgr tout

    homme, malgr tous les hommes.( lomment la faire triompher?

    Par la mort. Une race de victimes volontaires et prfrant celle mort ;'i

    une soumission accepte de tous les autres tait ncessaire pour que 1 uni^-

    vers consentt se demander s'il se trompait surles droits du prince. Alors

    apparut quelle sagesse avait pouss les aptres prfrer aux puissants,

    aux riches, aux doctes, aux habiles, les dsintresss et les courageux.

    Grce eux. le monde en voyant rebelles jusqu' la perte de la vie les plushumhles et les plus obissants des hommes, fut contraint de chercher leurs

    raisons. Ds qu'il admit qu'il pt y avoir une raison de rsister Csar, la

    distinction des puissances tait faite, et ds qu'il coi ma comparer

    les doctrines pour lesquelles les uns tuaient et les autres mouraient, la

    cause du Christianisme tait gagne.

    Enfin, aprs trois sicles, les empereurs comprennent que le Christia-

    nisme est trop fort pour tre dtruit, trop sage pour tre dangereux, et

    l'hostilit de l'tat se change en bienveillance. Tel fui le premier apostolat,

    celui des martyrs. Le prodige de sa dure et de son succs a suspendu

    l'ironie jusque sur les lvres du xvnie sicle. L'histoire de ces premierstemps, crit Rousseau, est un prodige perptuel 1 . Ces amis les plus

    orgueilleux de la raison ne reconnaissent par l son uvre cl Bayle avoue :

    L'vangile, prch par des gens sans nom, sans lude, sans loquence,

    cruellement perscuts cl destitus de tous les appuis humains, ne larda

    pas de s'tablir en peu de temps sur toute la terre. C'est un l'ail que per-

    sonne ne peu! nier cl qui prouve que c'est l'ouvrage tic Lieu12

    IV

    La paix offerte par les matres de l'empire donna l'Eglise la mesure

    de sa propre force et l'espoir de transformer vite ce monde qui n'avail pula dtruire et qui lui faisait place. Mais de mme que ses craintes venaientd'tre trompes, ses espoirs allaient l'tre. Tandis que les souffrances

    I. J.-J. Rousseau, Rponse au roi de Pologne.1. Bayle, Dictionnaire, au mol Mahomet.

  • L'APOSTOLAT xxi

    s populations catholiques, la contrainte

  • XXV1 INTRODUCTION

    el puisail la race. Malgr ses apparences de philosophie, 1 Islam tad

    l'une des plus redoutables el des plus grossires erreurs qui eussent jamaisusurp le titre de religion; malgr ses invocations perptuelles Dieu, il

    tait une idoltrie de la matire, qu'elle s'appelt la force ou la volupt;

    malgr les vertus sociales de ses sectateurs, il tait fond sur le mpris

    des hommes. Par l il l'en Ira il dans le droit coin ni un de I oues les religions

    fausses, et menaait la civilisation.

    Le mme peuple qui avait par les armes sauv le Catholicisme de laviolence arienne, le sauva de la violence musulmane.

    L'Islam lui vaincu Poitiers.

    Si lgitime que lui la victoire, celle dfense de la foi par la force

    laissai! toujours le dernier moi la brutalit des armes. Mais la France

    au mme instant fournissait la preuve des transformations que le Chris-tianisme sait oprer dans l'me des peuples : la race qui se trouvail la pre-

    mire par la force travaillait introduire dans le inonde un droit sup-

    rieur la force. A Poitiers ce n'tail plus la famille de Clovis qui condui-

    sait les Francs. Elle s'tait nerve : des maires du Palais avaient charge

    de continuer les vertus royales, tandis que les princes fainants gardaient

    les honneurs. Aprs Poitiers, entre les descendants de Mrove e| le lils

    (le Charles Martel, la prminence semblail prs de se disputer par les

    armes. Ainsi avaient t tranches jusqu'alors les rivalits cuire les chels,

    et ce moyen devait plaire la plus guerrire des races. Mais c'tait celle

    aussi qui avait reu avec le plus de simplicit cl d'obissance la doctrine

    catholique : elle y avait appris que la force ne suffit pas crer la lgiti-

    mit d'un gouvernement. In scrupule nouveau veill en ces barbares

    d'hier leur rvla que chacun d'eux deviendrai! coupable s il ne se don-

    nait pour matre le meilleur serviteur t\u bien gnral, et qu'un tel choix

    appartenail non pas l'pe mais la conscience. Et cherchant le juge leplus capable de reconnatre les vertus qui rendent digne de la premire

    place, ils demandrent au Pape de les mettre d'accord par -on avis. Celle

    intervention d'un arbitrage pacifique dans les difficults de l'Etat, cet

    appel l'ail par des hommes de guerre, cl dans une socit toute violente,au reprsentai d'une puissance toute morale, furent une premire nou-

    veaut. La France ne se contentai! pas de dfendre le Christianisme contre

    les ennemis du dehors, elle en faisait la loi de ses institutions natio-

    nales.

    La dynastie carolingienne, tablie sans lutte sur les Francs (pie la

    rponse pontificale avait rendus unanimes, ne lui par moins novatrice

    par la guerre mme. On la vit, chose encore inconnue, acqurir des

  • L'APOSTOLAT xxvn

    royaumes non pour les prendre mais pour les donner, on la vil faire desexpditions sans autre intrl que d'accrotre dans l'Europe les chancesde la justice et de la paix. La Papaut qui reprsentai! ces grandescauses tait dans Rome la merci de tous se-- adversaires. Assurera laPapaut l'indpendance esl l'uvre de Ppin. El comme cette poque ilh y a d'indpendance que dans une souverainet territoriale, le roi deFrance donne la Papaut un domaine temporel, lieu d'asile o l'Eglise,hors des colres H des corruptions humaines, nommera ses Papes, aurale centre inviolable de son activit, o, mme duranl les maux qui para-lyseraienl ici ou l les membres de l'Eglise, la tte demeurera libre. Ella France, mandataire arme de ce! intrl universel, garanti! au Saint-Sige la possession de son domaine. Ce besoin d'assurer contre Loutecontrainte l'autorit qui reprsente la vrit e! la justice esl encore unesemence du ( Ihristianisme.

    Charlemagne est la preuve vivante e! magnifique de ce que cette foinouvelle peut ajouter aux vertus des princes H leur action bienfaisante.Persuads que l'glise doil son caractre surhumain son autorit surle monde, les prdcesseurs de Charlemagne se son! gards d'asservirpar un contrle usurpateur la libre action de celle puissance. File a

    enseign dj un commencemenl de respec! pour la vie humaine, abolila polygamie, transform l'esclavage. Charlemagne s'inspire plus com-pltement de cel esprit, compare l'idal de civilisation contenu dans cesprincipes et l'tat prsent de la socit, mesure la pari de perfection que

    peut supporter la faiblesse des contemporains, ordonne dans ses lois lebien (pi il espre obtenir, cl dfend celle civilisation. C'esl elle qu il

    ('tend par --es conqutes. Il avait voulu l'aire mieux qu'un tal : unesocit. La France, l'Italie et presque toute l'Allemagne se trouvrent

    unies. Ce n'tait ni par la langue ni par les coutumes, qui demeuraient

    distinctes et soumises au gnie particulier de chaque race. Mais ce futpar une intelligence semblable des devoirs communs toutes les races,et o apparaissait l'unit du genre humain.

    L'Eglise songea grandir son tour la puissance qui la servait etemploya au profil de Charlemagne ci tte autorit religieuse dont le roi deFrance avait respect l'indpendance et assur le prestige. Pourquoi, au-

    dessus des rois ayant charge chacun d'un tat, n'y aurait-il pas un sou-verain charg de maintenir cuire ces tats le lien d'une civilisation unique,et reprsentant de leur bien commun, la civilisation chrtienne? Ensacrant Charlemagne empereur, la Papaut voulut donner une originereligieuse la premire des puissances humaines, marquer la rvolution

  • XX viii INTRODUCTION

    accomplie et, l'ancien Empire qui prtendait dominer l'Eglise, substituer

    un Empire nouveau ([iii se contentai de la dfendre.Toutefois l'Empire ne pouvait agir que par la force. La force contraint,

    elle ne persuade pas. Que l'pe s'mousst, toui l'ordre extrieur garantipar l'pe tait dtruit, et ces peuples maintenus malgr eux en civili-

    sation comme en esclavage, retourneraient la barbarie comme i ind-

    pendance. Cette conqute des consciences et des volonts au profil de la

    i 'aie et de la civilisation chrtienne ne pouvait tre accomplie que par

    l'Eglise elle-mme. Mais comment l'exercer dans ces contres tout coup

    ouvertes? Evques et prtres se devaient aux populations dj chrtiennes,et les clergs des divers pays taient retenus par toutes les attaches

    humaines dans leurs contres d'origine.Une fois de plus le besoin cra l'organe. A 1 apostolat par les mar-

    tyrs, l'apostolat par les docteurs, succda 1 apostolat par les moines.

    L'Orient avait peine entendu glisser leurs sandales et vu passer

    sous leur bure ces ombres

  • L'APOS nu at wi\

    elles mu' autre el plus prcieuse culture tenter. A peine Chrtiensmalgr le baptme, ayani gard encore les murs de leurs pres, lesbarbares ignoraienl les institutions ncessaires la vie sociale : secourir

    la pauvret, soulager la maladie, leur tail aussi impossible que d'clairer

    eux-mmes les tnbres de leur intelligence ; ils restaienl vraiment esclavesde toutes les misres humaines. Sur ces misres descendil la charit desnu >i ns. L'abbaye, hors de ses cltures, se prolongea en coles, en hpitaux,en hospices pour les lpreux, pour les voyageurs, en asiles o non seulc-menl la science divine, mais aussi les lettres, les arts el les mtiers taientenseigns. Les services publics de l'ducation el de la bienfaisance, dansune socit qui n'avail pas mme de gouvernemenl rgulier, furenl assu-rs. Ainsi les hommes qui avaienl renonc au monde acquirenl une auto-rit prpondrante sur leur temps. Car l'uie 'les barbares, violente elsimple, passai! toul entire dans leurs affections comme dans leurs

    haines, el elle aima, pour les transformations opres autour d'elle el enelle, ces hommes qui rendaienl toujours des service s sans en demanderjamais.

    f'.'isi celle arme de moines qui donna l'Eglise les aptres desrgions vangliser. Comme ils cherchaienl la plnitude des renonce-ments, quitter la terre natale el chrtienne, la sret des jours clines, ldouceur de la langue maternelle, les clotres devenus chers de l'abbaye,el celle accoutumance du cur si bien dfinie par le moine de l'Imitationen ces mois : o Cella continuata clulcessit , accepter en une seule rsolu-tion toutes les preuves, s'enfoncer en des contres inconnues, par d-vouemenl pour des races trangres, s'exposer toutes les cruauts dela nature et les hommes, fui pour les moines la forme de vertu laplus douloureuse, donc la plus couronne leur vocation d'hrosme.C'esl par eux que sous Grgoire le Grand, la Grande-Bretagne el les pro-vinces le la Germanie les plus voisines du Rhin avaienl t gagnesau Christianisme. Ils suivirent les armes de Charlemagne : en Saxe,une pari ie des I erres leur fut donne ; ils s'y tablirenl cl . recommenanll l'uvre

  • 1 N TRO D U < : T 1 \

    luegande les ressources ncessaires pour agir et durer. La richesse uniqi

    de l'poque es! la terre. La libralit les particuliers dote gnreusement

    les moines de biens-fonds, mais c'est < l;ms les pays dj chrtiens que

    ces dons se multiplient el ils n'assureraient pas la vie les Religieux dans

    les contres encore infidles. Les souverains seuls offrent l, sur les rgions

    qu'ils viennent de conqurir, de vastes domaines, parfois les provinces

    entires aux Religieux dont il faut attirer le zle et assurer la vie. Les prin-

    cipauts ecclsiastiques de l'Allemagne, encore survivantes la fin du

    sicle dernier, n'avaient pas une autre origine. Et toul semblait, comme

    celle richesse, tabli pour les sicles.

    VI

    Mais une fois encore le reflux succda au flux, el le reflux emporta

    autanl d'esprances que le flux en avait amenes.L'Occident s'esl uni, l'Orienl se spare. Les empereurs grecs avaient

    vu avec jalousie une grande puissance natre en Gaule el s'tendre. Le

    titre imprial qu'elle vient de prendre menace les souverains de Byzance

    jusque dans les rgions encore sous leur sceptre. La Papaut n a consti-tu par un premier acte que la moiti lu pouvoir destin la dfendre ;

    comme il n'y a qu'un Pape il ne doit y avoir qu'un Empereur; elle com-

    pltera un jour l'uvre, au dtriment des Csars ses matres, el au profilde parvenus dociles. La mme jalousie qui inquite les empereurs agiteles Patriarches. Accoutums se croire les premiers dans I Eglise parcequ'ils reoivent le refiel le plus proche de la majest impriale, ils dtes-tent l'clat grandissant d'une Papaut qui les clipse.

    L'lvation de Photius au patriarcal par la volont de l'Empereur

    seul, el malgr les rgles canoniques, ligue en N.">7 les deux pouvoirscontre Rome. I ne querelle sur le mystre ilu Saint-Espril prte un pr-texte thologique les ambitions toul humaines. La fissure mil deuxsicles s'tendre, jusqu'au jour de 1059 o le souille les mmes sophis-mes dans la bouche de Michel Crulaire suffi! achever la rupture les

    Eglises. Elle enlevait au Catholicisme le tiers le ses fidles el rtablis-

    sait les religions nationales que l'Evangile avait abolies.

    El au moment o l'Orienl se sparai) par peur de l'Occident, l'Occi-ilenl perdail l'unit puissante qui avait caus ces alarmes.

    Les premiers Carolingiens taient de grands hommes. L'Eglise avaitfait la couronne impriale leur mesure. Mais le> grands hommes ne sonl

  • L'APOSTOLAT xxxi

    qu'une courte prodigalit de la nature. Comme ces lils qui cotenl la vie;'i leur mre, ils puisent la race donl iU sortent. Celle qui venait de pro-duire Charles Martel, Ppin et Charlemagnc avait droit au repos et ladcadence. Dr s princes entre lesquels lui partage la succession de Char-lemagne, l'un continua porter le litre

  • xxxii INTRODUCTION

    trop lourd, les vques el les clercs irrguliers, pour changer leurs fai-blesses en droit, soutiennent que le mariage des prtres n'a jamais cessd'tre lgitime. Le sacerdoce incontinenl el voluptueux vole l'Eglise les

    ressources qui seules cette poque dotenl les services publics de la civi-lisation^! perd sur les [peuples sou autorit murale. La dcadence reli-

    gieuse est aussi rapide, aussi profonde que la dcadence politique.11 appartient la Papaut de veiller sur 1rs vertus du sacerdoce. Mais

    la Papaut dans ses propres Etats devienl impuissante prvenir l'usur-pation des intrts humains qui attentent la libert de l'Eglise elmme de sou chef. Faute du dfenseur arm qui veillai! nagure sur elle,le patrimoine reconnu au Saint-Sige par les grands princes es! morcelpar les petits seigneurs qui se son! rendus indpendants. Jusque dans

    Rome quelques maisons patriciennes disputent le pouvoir aux pontifes,et parfois tuent les papes qui leur dplaisent et, pour qu'ils ne dplaisent

    plus, les prennent dans leur propre famille.

    Au milieu de cette anarchie cependant, une rac< de princes sembles'lever en Allemagne. L'un deux, Othon, sollicita du Pape la couronne

    impriale, 'I sul si bien mler les promesses aux menaces, que le Pape

    subit la contrainte avec l'espoir de s'assurer la protection, el rtablit au

    profil du prince allemand la dignit impriale en 962.Mais en passant sur une tte germanique celle dignit changea de

    nature. Pour les Carolingiens, l'Empire avait t un mandat confi libre-ment par l'glise au prince le plus capable de dfendre l'avantage communde la socit. Pour les souverains germaniques, l'Empire devient un ins-trument de domination au profil de leur famille. Eux, comme les sei-

    gneurs fodaux, prtendent changer le mandai personnel en appropriationhrditaire. Leur ambition n'esl pas d'accrotre les prrogatives de l'au-

    torit pour substituer l'anarchie un ordre civilisateur; ils veulent

    accrotre l'tendue des rgions sur lesquelles ils seront suzerains. Pourvu

    que l'arme des vassaux h-nr soit obissante pendant la guerre, peu

    importe de quelle Faon elle exploite ses domaines cl usurpe les dignitsde l'glise, durant la paix. Pour soutenir cl reconnatre le zle, il faut l'Empereur lui-mme des rcompenses distribuer: l'investiture des seulsfiefs

  • L'APOSTOLAT mm

    rielle de l'glise en Allemagne el sa puissance morale dans l'univers tra-

    vailleronl tablir partout la suprmatie des princes allemands.

    Ds le premier de ces empereurs, ces nouveauts s'affirment auda-

    cieuses el impatientes. L Saint-Sige rsiste; Othon, un an aprs son

    couronnement, s'empare de Rome, dpose le Pape qui 1 a sacr empereur

    el se fait reconnatre par un concile d'vques, amens avec ses bagages,

    toutes les prrogatives qu'il revendique. Avant la fin du \" sicle, l'usur-

    pation (1rs empereurs es! si bien tablie qu'ils n'ont plus besoin de dsi-

    gner eux-mmes les candidatures au Saint-Sige. Ils se reposent de ce

    soin sur nue famille de petits seigneurs dvous leur cause dans la

    campagne romaine : 1rs comtes de Tusculum deviennent les grands lec-

    teurs de la Papaut. Ils y lvent un des leurs eu 1012, son frre en 1024,

    et, en 1055, le neveu de celui-ci, qui devient, onze ans, l pape Benoil XIV.

    Le gouvernement de l'glise universelle est attach comme un bnfice

    accessoire un petil fief. L'Empire germanique, au lieu de dfendre

    l'glise, l'asservit, et la corruption gagne l'autorit tablie pour prserver

    toutes les autres de corruption.

    Sous cet assaut de toutes les violences humaines, l'Eglise pourtanl ne

    succomba pas. Elle trouva le remde en elle-mme, en une l'ore intrieure

    et toute morale.

    Tandis que le pouvoir se dispersait partout ailleurs, il se concentrai!

    daus la socit monastique. En 909, le lue Guillaume, souverain d'Aqui-

    taine, donnait un Bndictin bourguignon, pour y former un monastre,

    le domaine et le village de Cluny, que la charte de fondation affranchis-

    sait de toute puissance sculire, ft-ce royale, et de toute puissance

    ecclsiastique, sauf celle du Souverain Pontife -. Au moment o, scu-

    lires et mme ecclsiastiques, les puissances menaaient la libert del'glise, la socit de ces Religieux se trouva soustraite toutes les

    influences corruptrices. La saintet de son premier chef, rendue plus

    clatante par le contraste avec la vie d'autres abbs, attira sur Cliiny

    l'attention. Le spectacle du mal produit ce bien qu'il rend la vertu plus

    chre aux lions. Les couvents qui dsiraienl pratiquer la perfection reli-

    gieuse adoptrent 1res vite ces * coutumes de Cluny , el non contents de

    se soumettre ses rgles, ils se soumirent son chef. Des abbs en grand

    nombre se subordonnrent l' - Archi-Abb . qui runit presque toute

    la famille monastique sons son bton pastoral. Au moment o la solidarit

    chrtienne tait brise par l'anarchie desgos s particuliers, o le clerg

    mme des diverses contres se sentait le captif de la terre et des pouvoirspolitiques, une immense socit de Religieux rpandus en France, en Aile-

  • XXXIV INTRODUCTION

    magne, en Angleterre, en Italie, assembla des hommes de lous les pays,

    de toutes les conditions, sous le pouvoir d'un seul Religieux qui ne dpen-

    dait d'aucun pouvoir humain. Dans le morcellement fodal, l'ordre bn-

    dictin reconstitua la puissance unitaire de l'Eglise.

    Le premier bienfail que la discipline de cette arme assura au monde

    fui la continuation de l'apostolal dans les contres encore paennes de

    l'Europe. Grce aux Bndictins, mme dans les jours les plus sombres dece x" sicle que l'glise a appel son Age de Fer . ni les enseignements,

    ni les souffrances qui forment la propagande ne furenl interr pus. el

    la conqute catholique se poursuivit.

    En mme temps que ces moines supplent le sacerdoce, ils le rfor-ment. Contre les dsordres de l'argenl el les dsordres le la chair, une

    rprobation ardente, continue, retentissante, s'leva de Cluny. Recueillie

    el rpte par lous les monastres que Cluny gouvernait, elle retentit

    la l'ois dans toute l'Europe, inspira les prdications, les crits, les entre-

    tiens, e) cra une opinion publique, l'opinion des exemplaires, des dsint-

    resss el des bienfaisants.

    ( hiand fui branl dans les consciences le rgime d'iniquits qui gou-

    vernail encore les faits, les moines virent que l'heure venail d apporter

    leurs conseils el leur force la Papaut elle-m En 1048, l'empereur

    d'Allemagne, honteux de l'abaissemenl o elle esl tombe, croil porter

    remde au mal en choisissant lui-mme un Souverain Pontife; il nomme

    mi vque irrprochable. Celui-ci, en se rendanl Rome, passe par

    Cluny. La vrit l'j reoit, qui esl envers les grands la forme la plus

    utile du respect. On lui montre l'tal de l'Eglise, la dcomposition que le

    concubinage el la simonie acclrent, le devoir qui s'impose au Pape de

    combattre l'un el l'autre. Ou ne crainl pas d'ajouter qu'un pape ne saurai!

    les combattre s'il leur doil la tiare. Lui-mme, appel la chaire de

    sain! Pierre par le dcrel d'un prince, n'es! que le bnficiaire de l'usur-

    pation impriale sur la souveraine magistrature de l'glise, el va continuer

    l'asservissemenl de la puissance spirituelle. Pour entreprendre la rforme

    du sacerdoce el de l'piscopat, la Papaut doil se dlivrer d'abord elle-

    mme.Lon IX tail digne d'entendre ce langage. 11 emmne, symbole

    vivant de l'alliance entre la papaut el la force monastique, un Religieux de

    Cluny, Hildcbrand, futur inspirateur de cinq pontificats. Leur brivet

    insolile miilliplic le> occasions de reprendre ce qui a t indmenl enlev

    l'indpendance du Saint-Sige. Une habile collaboration avec les circon-

    stances carte tour tour l'ingrence impriale, puis l'autorit qui sous le

  • L'APOSTOLAT xxxv

    nom de " clerg el peuple romains , tail usurpe par 1rs factions ila-

    liennes : la nomination des papes est, ;'i dater de 1058, confie aux cardi-

    naux. A mesure que ces papes deviennent plus libres, ils deviennenl plusrformateurs. Les conciles tenus par eux ou sous leur inspiration dans

    toute la Chrtient frappent les clercs scandaleux el dfendenl contre

    l'aristocratie fodale l'indpendance de l'Eglise. La rapidit du mouvemeulqui ramne au devoir la plus grande partie du sacerdoce, oblige les sou-verains germaniques entamer la lutte s'ils veulenl trouver encore des

    auxiliaires parmi les favoris ambitieux de bnfices ecclsiastiques el

    parmi les clercs incapables de renoncer au concubinage. Avec l'empereur

    Henri IV. la pit sincre qui temprait, au moins par instants, les cupi-

    dits de ses prdcesseurs, a disparu : la logique du pouvoir qu'ils avaient

    tabli court sa consquence, la libre disposition de toutes les charges

    ecclsiastiques par l'Empereur dans ses Etats. Mais, en 107.", Hildebrand

    devient Grgoire VII, ol avec lui la logique du devoir religieux court la

    rsistance inflexible. C'esl la guerre violente

  • INTRODUCTION

    \ Il

    La victoire de l'Eglise tail autre et plus grande que son premier

    dessein. En faisant l'Empire, l'glise avail voulu instaurer mi pouvoir

  • L'APOSTOl \ I xxxvn

    de la paix les instincts batailleurs de l'poque. A travers une Europeprive d force publique el o chaque seigneur, quoi qu il fit, n avail rien

    craindre sur ses domaines, I Eglise hune lu chevalerie, d'origine encorefranaise, le premier tics ordres militaires. Elle oblige par la pit des

    serments ces redresseurs de loris , qui prennenl leur pc sur l'autel,

    ,

    ;i employer uniqemenl leur force la protection des faibles; elle entre-

    I i en I la fidlit de cette gendarmerie hroque en demandanl ;'i l'opiniongnrale, pour cette vertu dsintresse, la rcompense immatrielle del'honneur.

    La violence a envahi jusqu' la justice. Les preuves judiciairesel la torture donnent, mme l'heure el la place qui devraienl treau droit seul, l'avantage la force tendre et lever l'intelligence. Le savoir, recueilli par les clercs, esl

    plus que jamais distribu par eux, et toutes ces sciences vie ml serattacher la science suprme, clbrent leur auteur, s'honorent de leur

    sujtion, reconnaissent leurs limites, et plus la pense monte, plus elle se

    seul rapproche de la foi; Au-dessus des coles, aussi nombreuses dans

    chaque contre que les glises el les couvents, quelques grands foyers

    sont allums par l'Eglise, ce sont les universits : Bologne le droit,

    Salerne la mdecine, Paris la thologie et les arts, attirent les hommesdoctes de tous les pays, les aecoulunienl se sentir frres non seule

  • xxxvm INTRODUCTION

    menl par la foi, mais par l'intelligence, et servent l'unit de la civilisation.

    Il ne s'agit pas seulemenl de former cette civilisation les peuples

    conquis au < latholicisme, il s'agii de la rpandre sur les peuples qui ne le

    connaissenl pas encore ou qui sonl spars de lui. Non moins que l'apos-

    tolat intrieur, cet apostolat extrieur occupe les papes. Alors ils conoi-

    venl leur plus vaste dessein. L'Islam tail toujours matre de l'Espagne,

    et, s'il ne tentait plus le passer les Pyrnes, c'est par le Bosphore qu'il

    menaait de rentrer en Europe. Les papes considrrent qu'arrter 1 Is-

    lam, devenir conqurant contre lui. lui reprendre les Eglises d'Afrique et

    d'Asie Mineure dtruites par la violence, accrotre par le retour de ces

    familles rachetes la communaut des races chrtiennes, tait le devoir

    et l'intrt du Catholicisme.

    La politique non moins que la loi leur conseillait l'entreprise. Ils

    avaient par leurs institutions civilisatrices impos de permanents sacri-

    fices l'aristocratie militaire qui trouvait plus lourde l'pe au fourreau et

    un jour ou l'autre, lasse d'une paix sans gloire ni gain, succomberait la

    tentation de la guerre. En ouvrant ces ambitions l'tendue immense des

    pays occups par l'Islam, les papes affermissaient la paix de l'Europe, ils

    offraient aux princes cl aux grands aventuriers la chance de se crer des

    royaumes en dlivrant les peuples. Ceux-ci ne contesteraient pas les

    droits de leurs sauveurs leur obissance, les Musulmans subiraient la

    loi du Ici- comme ils l'avaient impose, peu peu ils comprendraient que

    la civilisation de leurs vainqueurs tail la bonne, et l'Islam, comme un

    fleuve tari, retournerait se perdre dans les dserts o il tait n.

    Quelle destine s'ouvrait au monde si, ds le xne sicle, la Mditer-

    rane lui devenue la roule sre entre l'Europe, l'Asie cl l'Afrique clin-

    tiennes, si le commerce ft devenu la seule rivalit des peuples qu'il aurait

    unis, si l'ambition humaine, par del le littoral civilis des continents

    encore inconnus dans leur profondeur, et employ explorer leurs

    richesses et civiliser leurs multitudes les nergies des combattants et

    des pacificateurs!

    Deux sicles et huit croisades se succdrent sans puiser l'influence

    de la Papaut ni la gnrosit de la France, qui flll le soldat de celle lutte

    Les premiers rsultats prouvrent que le succs tait possible. Elle

    choua par la faute de l'empire grec et de l'empire allemand.

    Les Grecs axaient appel l'aide les Catholiques contre les Musul-

    mans. Secourus, ils se demandrent s'ils avaient plus craindre leurs

    ennemis ou leurs librateurs. La victoire de l'Islam tait la fin de leur

    empire, la \ ictoire de la croix tait la lin de leur schisme ; ils ne tenaient

  • L'APOSTOLAT xxxix

    pas moins leur croyance qu' leur pouvoir. Us garderaient l'une elI autre tanl que les succs de la guerre demeuraienl balancs : maintenircet quilibre, en s'abstenanl toujours de se joindre aux croiss el parfois en1rs trahissant, fui toute la politique les Grecs.

    Nanmoins ces perfidies el ces reprsailles de l'Orient fussenl demeu-res impuissantes, si l'entente et rgn dans l'Occident. Celte ententemanqua par la faute de l'Allemagne. Les croisades trouvrent dans lesempereurs, au lieu de chefs, des obstacles. Elles ne pouvaient russirque si les princes occups en Orient avec leurs forces taienl certains(I une paix inviole en Europe. El il appartenait aux empereurs de garantircette paix. Or, ce sont eux qui la rompirent. Tue bassesse originelle deconvoitises leur lil voir dans ce) exode de l'Europe arme l'occasiond'usurper la maison vide. Celle permanente el tratresse ambition ne filpas chouer seulement la dlivrance de l'Asie el de l'Afrique chrtiennes,elle ruina tout l'ordre el l'unit de l'Europe. Le chef d'une institutioncomme l'Empire ne trahit pas en vain la mission qu'il a reue: sonexemple devient corrupteur. Ses tentatives de conqutes sur des paysqu'il devait prserver contre les injustes attaques, accoutumrent lesprinces ;'i se dfier, leur donnrent la tentation d'imiter le plus grandd entre eux. Il dchirai! le pacte social, car si pacte social exista jamais,ce fui au moyen ge cidre les tats chrtiens.

    Mais landis ipie laposlolal par la force s'inoussail aux gosmesdes calculs humains, l'Eglise dirigeait elle-mme un autre apostolat, celuide la persuasion. Les croisades avaient valu au Catholicisme dans toutl'Orient un prestige extraordinaire. Les Musulmans, lions juges du cou-rage, mprisaient moins une religion

  • XL INTRODUCTION

    humaine ne se retira qu'aprs avoir submerg les plaines russes, [a Po-logne cl la Hongrie. El l'Europe qui s'pouvantait de cette puissance des-

    tructrice n'en contemplait pas mme la moiti. De l'Asie centrale. le toitdu monde , la race la ri are avait roul avec une gale force la l'ois surtoutes les pentes. Ainsi s'taient forms, sous Genghis, un immense em-pire, et, aprs lui, une fdration de royaumes peu prs indpendants,

    mais allis les uns aux autres, tous subordonns un souverain, le grand

    Khan. Celle organisation de barbares ressemblait fort celle que l'Europe

    s'tait donne par l'tablissement du Saint-Empire. El eux aussi prten-daient la primaut dans l'univers.

    L'Eglise seule, mme avant le xm' sicle, avait tent de nouer desrelations avec celle race. L'glise seule savait que du v' au vin'' sicle ladoctrine nestorienne avait eu une priode d'expansion puissante vers

    l'Inde et vers la Perse; que, fort suprieure aux idoltries de ces peuples.

    elle v avait l'ail des progrs, et de proche en proche s'tait propage chez

    les Tartares;que certains de leurs Khans gardaient un clerg nestorien

    leur cour et passaient pour avoir eux-mmes reu le sacerdoce. Mais,soit impuissance

  • L'APOSTOLAT \u

    l'amiti avec les Tartares. Ceux-ci accomplirenl en I"J.">n l'entreprise qu'ils

    avaienl annonce. I n petit-fils de Genghis, Houlagou, qui avail pour sapari la Perse, ruina en Asie Mineure la puissance des kalifes el pril Bag-dad. En mme temps, smi frre Koubla, qui dominail le centre de I Asie,en conquil l'Orient. L'Asie, sauf l'Inde, fui tartare, el Koubla, par l'exten-

    sion de s;i conqute, se trouva la fois chef de tous les Kl m us el fondateur

    de la dynastie tartare en ( Ihine. La ( Ihine lail encore inconnue en Europe.

    Le Vnitien .Marco Polo, pouss par l'audace des voyages jusqu' cesrgions, revinl aprs plusieurs annes rvler l'Occident la contre laplus vaste el la plus peuple du Palais imprial. En ITillT. Clment V pouvait riger l'glise

    de Khan-Baleck en mtropole, et, sous l'autorit de Monlecorvino comme

    premier archevque, sacrer sept voques franciscains pour lui servir de

    suffragants : preuves des progrs faits par le catholicisme jusque dans cesextrmits

  • xlii INTRODUCTION

    publics au service de la foi el accrditait, auprs des nations 1rs plus

    lointaines le Catholicisme par toul le prestige de l'Occident, donna toutes

    les entreprises religieuses un lan, une confiance, une solidit jusque-linconnues. L'autorit du Christianisme sur les peuples d'Europe el sa

    diffusion parmi les peuples d'Asie grandirenl comme deux manifestations

    de la mme force, el furenl les caractres dominants de la seule poqueo sur les diffrences de race el les diversits d'intrl ail rgn l'unit

    du devoir.Proclame la fin du xie sicle au concile de Clermonl qui tabli! la

    l'aix de Dieu , celle unit se maintien! sole :llement, en 1245, au

    concile de Lyon contre des adversaires intrieurs, l'gosme el l'orgueil des

    princes catholiques, el par la dposition de l'empereur Frdric II qui

    menaait, au lieu de le dfendre, l'ordre chrtien ; elle contempla sa victoire

    en 1274 ce second concile de Lyon qui vil se joindre aux reprsentantsdes princes catholiques les ambassadeurs de l'empereur grec Palologue,

    cl les envoys de l'empereur tartare. L'empereur grec s'lail rtabli : il

    avail attendu que les Latins fussent, faute de renforts, rduits quitter la

    place, el il lail rentr, ds 1261, dans Constanlinople abandonne pareux : mais il craignail de n'avoir recouvr son Irne que pour le reperdre.

    Le dsir d'un accord militaire avec les Latins l'aidt-il penser comme

    eux mit la procession du Saint-Esprit, le rsultat n'tail pas mince pour la

    rpublique chrtienne d'avoir obtenu que toul l'orienl de l'Europe entrai

    avec elle en union de croyances, d'inlrls, de conduite, el ce n tail pas

    payer trop cher d'une lutte nouvelle contre l'Islam le bienfait de celle

    concorde. El pour rendre cette guerre contre les Turcs moins onreuse,

    plus courte el pins dcisive, il suffisait de la concerter avec l'empereur

    tartare qui par son ambassade proposai! contre eux une alliance. Leur

    crasement tail certain, le jour o la chevalerie europenne aurai! sonservice les rserves d'hommes qui lui faisaienl dfaul en Asie el quel'Asie elle-mme s'oll'rail fournir inpuisables. El une communaut delutte el de victoire avec les races tartares dj imprgnes de notionschrtiennes tail la propagande la plus universelle cl la plus retentissante

    qui pl tre faite auprs d'elles eu faveur du Catholicisme La consquencedernire de l'autorit prise par la Papaut sur l'Europe tail 1 tablisse-ment de la civilisai ion en Asie.

  • L'APOSTOLAI

    VIII

    Pourtanl cette autorit politique touchai! son tenue. L'homme selasse de lnl ce qui dure, ft-ce le bonheur. I n tel gouvernemenl n'avaitpu s'tablir el ne pouvail se perptuer que par l'unit des esprits : cetteunit avail sa loi dans les enseignements de l'Eglise, sa sanction dans lescontraintes de l'Etal contre les dissidents. Ce concours des pouvoirshumains usa la thocratie en la servant. L'Eglise cherchai! la vrit avectoul le scrupule de la conscience, l'Etat prtait main-forte avec les bruta-

    lits des rpressions matrielles, el parfois cette main laque se trouvai!dure, partiale, haineuse, cupide, e! sur 1rs uvres qu'elle accomplis-sait laissail des (races d'inutiles violences. L'Eglise porta la peine des

    excs commis par les hommes d'ta! les hommes d'pe, les hommes deloi, dans la dfense de sa cause. On ne voyait pas le tort que les doctrinesrduites par eux au silence auraient l'ait au monde si elles fussen! restesimpunies, n voyait les sectateurs de ces croyances ptir dans leurs biensel dans leurs corps pour des erreurs de pense, et parfois ces souffrancesparurent cruelles. Nul vnement ne prpara celle rvolte de misricordecomme la guerre des Albigeois. L c'esl toutes les cruauts de la foule, toutes les fureurs des armes, toutes les ambitions les princes qu'onvit confie la cause de Dieu, el l'erreur fut noye dans le sang d'unpeuple. Alors la Chrtient senti! un scrupule : elle ne douta pas de son

    droil el de son intrt maintenir l'unit de foi; mais elle douta que lacontrainte ft le moyen efficace de parvenir cette unit. Elle eu! obscu-rment conscience que, Ions les partisans d'une erreur eussent-ils labouche jamais ferme par la mort, si l'erreur n'a t transperce morlelle-mme par le rayon d'une vrit contraire, cette erreur garde sapuissance d'illusion, son aptitude sduire de nouvelles victimes, el quele repos du monde esl prcaire. L'Eglise seule pouvail pourvoir sa vri-table scurit :'n dpensant plus de force persuasive que ses adversairesn'avaient d'obstination el de malice. Kl les mes mystiques reconnurentdans l'Ancien Testament o tout avail t figure, l'image de l'Eglise, cellearche d'alliance confie aux prtres seuls, et qu'eux excepts, nulle mainhumaine ne pouvail toucher sans profanation.

    En mme temps s'levaient certaines dfiances contre l'Eglise elle-mme. Partoul o il y avail apparence qu'elle et dpass les limites deson domaine, les intrts entamrent avec elle leur procs en bornage.

    Adhranl aux vieux des peuples, lgislatrice de leur jeunesse barbare,

  • cxliv INTRODUCTION

    l'Eglise avail de son droil form le leur. 1rs lgistes se crurenl assez de

    savoir pour tracer eux-mmes des rgles leur temps et leur pays. Larestauration ilu droil romain n'eut pas de plus ardents propagateurs : il

    les faisail indpendants du droit canonique. Comme la loi romaine enson dernier tal donnail omnipotence au prince, il fui ais de gagner les

    grands seigneurs el surtoul les monarques au droil qui leur reconnaissait

    le plus de droits.

    Enhardie chercher hors de l'Eglise la vrit, mme en ce

  • L'APOSTOLAT xi.v

    S'il 1 1 1 -- riches, o la nation, soumise avec leplu-, de continuit el de plnitude auK influences religieuses, ;i\;iil l plu^

    lass el pour ainsi dire us sa facult il obir : c'tail la France.La France commena le conflil au momenl o elle allail recueillir le

    Fruit de sa fidlit. La Papaut avail appris faire la diffrence entre lesrace-, royales; loul lui avait t obstacle de la pari des souverains germa-

    niques, toul lui avait t secours de la pari des souverains franais. Au

    commencemenl du xive sicle, Boniface A 111 travaillai! grandir danstoute l'Europe la maison de France; il avail obtenu que le roi d'Aragoncdai la Sicile au lils de Charles d'Anjou. Sun amiti pour cette maison clsa dfiance pour la bonne foi des Grecs el leurs promesses de conversiontoujours ludes, l'avaienl l'ail sortir de la rserve jusque-l garde parlesSouverains Pontifes; il favorisail la restauration d'i mpire latin

    Constantinople au profil d'un prince franais. Pour l'empire d'Occident,

    il songeail la mme famille el dsirail rendre la couronne de Charle-magne la race de sainl Louis. .Mais alors rgnai! Philippe le Bel, etce petit-fils de saint Louis tail un Hohenstauffen franais.

    Rsolu attaquer le roi d'Angleterre, il ne s'arrta pas devanl l'appell'ail par celui-ci l'arbitrage du Pape, afin de payer la guerre il imposa|e> biens ecclsiastiques, et falsifia les monnaies. C tail attenter la cou-tume tablie cidre les couronnes, au droit indiscut encore de l'Eglise,

    l'honntet publique. Boniface \ III. en avertissant le roi, exerait le minis-

    tre reconu alors la Papaut. Le roi opposa l'action pontificale lamaxime emprunte au droil csarien que. roi, il n avail soumettre personne les affaires de sa couronne. C'tail dire que la civilisation chr-

    tienne n'avail plus de garanties contre les Princes. El pourtanl les trois

    ordres de l'Etat, convoqus pour la premire fois en Etats gnraux 1 oc-casion de celle querelle, soutinrent contre l'autorit conservatrice lu

    pacte chrtien le pouvoir absolu du monarque. L'immobilit de I Europe,

    o pas un prince ne se leva pour venger le souffle! d Anagni, annona

    mieux encore la venue de temps nouveaux.Par une contradiction commune tous les ambitieux en conflil avec

    l'Eglise, Philippe le Bel, non contenl d'humilier la Papaut, voulut,

    comme si. avilie, elle demeurait la mme, se servir d elle pour dominer lemonde. Il russit . en 1505, mettre dans la chaire apostolique Bertrand de

    Got, sa crature, el obtinl le transfert de la papaut Avignon. Celle

    \ieloire devint au>>itt strile pour la France qui, pendant cenl ans, n cul

  • xlvi INTRODUCTION

    pas lni|i de toutes ses loi-ces pour disputer son propre sol ;'i l'Angleterre

    et ne joua plus de rle hors de ses frontires. Il n'y Mil de durable que

    le mal l'ail la Papaut.

    Elle a laiss dans la terre romaine la fcondit de son magistre

    universel : il n'a pouss Avignon que les piaules parasites, le luxe,les vaines recherches de l'esprit, la mollesse, parfois le scandale

    des moeurs. Aprs soixante ans, un retour de conscience ramne Gr-goire IX Rome, et sa mort les cardinaux lisent un pape romain : mais

    cinq mois aprs, sous la pression de la Fiance, ils dclarenl n avoir pas

    'l libres, proclament la vacance du sige apostolique el l'lection d'un

    autre pape, qui retourne Avignon. Le schisme d'Occident commence.

    Pour le terminer, une partie du Sacr Collge s'assemble Pise, dpose

    les deux lus el leur donne un successeur. Au lieu de deux papes on en a

    trois. Celui d'Avignon esl toujours reconnu parla France el l'Espagne,celui de Home par l'Italie, celui de Pise par le reste de l'Europe. Ces chefs

    qui s'excommunienl enseignenl au m le douter d'une religion divise

    contre elle-mme.

    Il a suffi que les passions terrestres usurpassenl sur le gouverne-

    menl de l'Eglise pour que la Papaut ail perdu son magistre sur les

    affaires publiques

  • L'APOSTOLAT jclvii

    sailles des paysans, des ouvriers, qui sonl le nombre. I ne imperceptible

    minorit de privilgis, comme s'ils taienl seuls des hommes, usedu genre humain comme d'un animal domestique: l'animal devienl une

    bte froce qui se venge. La guerre sociale clate.

    Enfin l'esprit de rvolte se hausse jusqu atteindre la puissancemorale qui dorl sur cel abme de maux. Avec la vigueur destructrice qu'onlseuls les hommes trangers aux compromis de l'action, un professeurd'Oxford, Wiclef, nie avec la hirarchie sociale la hirarchie religieuse.

    Point de papes, point d'vques; nul n'a autorit dans I Eglise, sinon par

    le droil divin de la vertu. C'esl cette vertu qui dsigne el consacre le

    prtre, el s'il la perd, il esl dchu

  • xlyiii INTRODUCTION

    avait suffi vaincre, niais il comprenait que pour changer son invasion

    on gouvernement , il avait besoin d'une aide. En I 02, l'anne mme oil avait vaincu Bajazet, il envoya des ambassadeurs proposer une ententenu ci Grand roi de France . Mais ce grand roi tait Charles VI, un fan-

    tme de souverain, sans raison, presque sans Etals. Cette lois encore,

    faute que la barbarie Lartare et appris des peuples civiliss l'arl de

    rgner, la puissance de Tamerlan l'ut viagre. D'abord rduits la Perse,

    la Transoxiane et au nord de l'Hindoustan, ses successeurs perdirent la

    Perse, cl. chasss du nord de l'Asie, fondrent dans l'Inde l'empire

    mongol. Dus dans toutes leurs tentatives de collaboration avec l'Europe,

    ces princes bornrent leurs dsirs durer, et pour cela acceptrent la loi

    musulmane, qui tait la plus rpandue parmi leurs sujets. Les contres

    o ils dominaient furent interdites au Catholicisme.Ramen de la Chine cl de l'Asie centrale o il s'tait introduit grce

    la collaboration du Pape cl des princes chrtiens, il semble une armequi bat eh retraite. 11 ne garde que ses positions anciennes sur les bords

    de la .Mditerrane. Mais ni les armes de l'Europe voue ses querelles

    intrieures, ni l'autorit d'une Papaut diminue de zle cl de pouvoir, ne

    le recommandent plus la tolrance des Turcs et la bienveillance des

    Grecs. O le fanatisme musulman ne coupe pas court la propagande,elle semble s'teindre par une maladie de langueur. Les Eglises orientales

    oui suspendu leur mouvement de retour vers l'unit*''. Les maux de la

    Chrtient catholique, les dsordres et les divisions de la Papaut con-firment ces glises dans leurs hrsies et leurs schismes.

    L'vanglisation ne lil d progrs qu'en Europe. En deux pays le zle

    des missionnaires se trouvait second par celui de deux princes. Les roisWladislas de Pologne et Louis d Hongrie aident l'un les Dominicains

    rendre chrtiennes les dernires parties de l'Europe qui fussent encore

    paennes, la Lithuanie et la Prusse Orientale alors appele Samogitie;

    l'autre, les Franciscains combattre le schisme orthodoxe chez les

    Valaques, les Serbes cl les Bulgares.

    Malgr ces gains, l'apostolat du xiv' sicle est pauvre. Si h' zle

    monastique n'a pas dgnr, ses vertus ne reoivent plus de la Papautune direction constante, elles ne reoivent plus des gouvernements une

    aide matrielle cl elles ne se sont pas encore instruites agir seules. I le l

    quelque chose d'inexpriment, de surpris, d'irrsolu, d inerte dans les

    missions.

    Rien donc n'chappe l'anarchie que le pouvoir politique a dchanepour avoir prtendu la domination sur l'Eglise. La socit a encore

  • .'APOSTOLAT

    gard assez de traditions chrtiennes pour tre trouble de ce dsordre.

    Elle comprend que pour porter remde au mal de I Eglise, il faul lui rendrel'unit. El puisque la tte, au lieu de gouverner, s'est divise contre elle-

    mme, ce n'est plus d'elle qu'on peul attendre la rforme. C'esl doncl'Eglise toul entire qui doil pourvoir a son salut. Le scnlimenl public

    impose un concile gnral. 11 s'ouvre ;'i Constance. Il dcide que les I mis

    papes doivenl faire la paix de l'Eglise le sacrifice de leur titre. Deux

    se dmettent, le troisime rsiste, on le dpose, il accepte la sentence, cl

    Martin V ''si lu en MIS. L'unit doil tre rtablie non seulement dans

    le chef mais dans les membres . Les doctrines de Wiclef s'taicnlrpandues en Allemagne, elles y avaient trouv pour propagateurs

    Jean lluss et Jrme de Prague; Ions deux laienl de ers hommes (pic lasaintet del vie semble dfendre contre les erreurs de la doctrine, [es disciples taient nombreux autour de leurs vertus destructrices. Djcensur par le Saint-Sige, Jean lluss fui mand Constance. Il \ paratavec un sauf-conduit de l'Empereur et soutient devanl le concile les doc-

    trines qui sniil condamnes. Lui-mme, malgr le sauf-conduit, esl livr

    au bcher par l'Empereur, et l'unit de la foi dfendue par le parjure duprince. Il faul entreprendre contre 1rs [Iussites une guerre d'extermination,

    cl celle guerre, continuant la le lonne par la guerre des Albigeois,

    rend plus odieux aux consciences l'apostolal par les supplies.

    t ne soumission plus volontaire attire les Eglises dissidentes d'< trient.

    Celle paix esl l'un les objets ilu long eoneile qui, aprs avoir commenci Baie en 1431, se continua Florence et s'acheva Rome. De 1459

    ;'i li.'il toutes les chrtients dissidentes trenl retour au catholicisme.

    Mais cette rconciliation de l'Orient, toul c ne en Occidenl la

    reconnaissance de l'autorit pontificale, avait plus d'clal que de solidit.

    (les (li u\ apparences se trompaient l'une l'autre. La runion les eon-

    eile- o l'Europe avait sembl rtablir sa vie commune, donnait esprer

    l'Orienl que la politique chrtienne allait ressusciter les croisades. Le

    'l'un- oubli par les discordes de l'Europe avail grandi grce elles el

    n'avail plus prendre que Constantinople pour possder toul I empire

    byzantin. Pour chapper au joug, l'Orient n'avail plus qu bure, le

    temps d'appeler au secours; plus qu'une l'ore. ['( tccidenl : plus qu un ami,

    le Saint-Sige. Cel intrt, joint l'attrail de la vrit, sollicita ecl

    instant l'oscillante volont les Patriarches et des princes. Mais, faute que

    le secours appart aussitt, ce i vemenl religieux ne fui ni gnral ni

    durable (1 le perptuel pendule rel -lia bientt vers se- traditions

    d'autonomie nationale. Tandis que le pape Eugne l v essayail d'armerT. I. Il

  • L INTRODUCTION

    contre le pril ottoman les souverains de l'Asie el de l'Europe, la haine

    des Grecs contre Rome se trouva la plus vivante de leurs croyances.

    L'Empereur el le Patriarche, pour avoir sign l'union, devinrent si impo-

    pulaires qu'ils durenl la rvoquer. On entendil dans Constantinople ce

    cri : Plull le turban que la tiare! Le vomi fui exauc; les Turcs

    prirent Constanl inople en I 155.

    Les Turcs s'emparenl de Constantinople au i enl mme o s'ache-vail la guerre de Cenl Ans. La libration du sol franais rendait matresse

    d'agir la race qui avait t l'me de la lutte contre l'Islam. Celle lutte

    tail toujours dans le vomi des peuples, c'est--dire de ceux qui ne

    dirigenl rien. Les souverains avaient les yeux fixs sur la France, rede-

    vei nar sa victoire la premire en Europe, el ci attendaient la volont

    iln Grand Loi >.. [I dpendit de lui que la pense fconde I emportt. Mais

    nos monarques, autrefois unis par une constante adhsion il intelligence

    aux desseins de la papaut, subissent maintenant l'influence germanique,

    el cdent aux mmes ambitions

  • L'APOSTOLAT u

    contre l'ambition croissante des princes les droits les clergs nationaux

    el les richesses de l'Eglise. Le roi de France s'assura ce qu'il voulait

    prendre par nue transaction avec Rome. Il rendil la Papaut une parisur le> revenus ecclsiastiques du royaume, el s'assura la mainmise surtoui le reste de celle richesse el sur le clerg lui-mme en se faisanl

    reconnatre par la papaut le droil de choisir les dignitaires ecclsias-

    tiques. Ce fui le Concordai le l">|.">. Lon X en le signant abandonnai!nue des prrogatives les plus utiles l'indpendance de l'Eglise, il tran-

    sigeai! sur ces investitures si nergiquement refuses aux empereursd'Allemagne. < Ibtenir ces traits lonins fut l'exigence les princes qui se

    disaient les plus catholiques. D'autres rvaient de prendre davantage

    encore l'Eglise. La Rforme leur fournil l'occasion.

    IX

    Auprs les simples et les purs, la Rforme se recommanda par smim m > i qui pr 'Mail la fin des dsordres religieux. Mais, malgr ces esp-

    rances, la Rforme, u'et t qu'une vaine tentative sans le secours 'les

    pouvoirs politiques. Elle ne russil que l

  • lu INTRODUCTION

    domaine l'aposlolal catholique. Jamais l'Eglise n'avai) fail de siimmenses perles.

    Surprise par la violence du mal, la Papaut lu moins n'hsita pas surle remde. Avanl toul il fallail purifier I Eglise des abus qui avaientfourni le prtexte a la rupture el dfinir aussi avec plus de prcision la

    doctrine que le Protestantisme corrompait. Ce fui l'uvre

  • L'APOSTOLAT lui

    leurs premiers desseins, ni selon les secrtes prfrences d'mes surloulattires vers la retraite, les longues prires, 1rs mortifications, le silence

    el l'oubli. Plus tard, 1rs Mis de sainl Franois el de saint Dominiqueavaient voulu rpondre la luis aux besoins de leur pit el de leurtemps, ils s taienl propos, comme le double el gal lu il de leur vocationreligieuse, d'tre utiles aux autres el eux-mmes. Mais, persuads quetoute efficacit de l'action humaine pour le bien esl nue grce

  • ,,,v INTRODUCTION

    des offices nocturnes et des austrits corporelles qui auraient enlev du

    temps el des forces l'apostolat. De plus, ils considrrenl que, si Dieu

    crai'de le secret de ses miracles el de ses illuminations extraordinaires,

    il a donn aux hommes une intelligence capable de reconnatre parmi lespartis prendre le plus probablement sage, et que ses serviteurs * 1 < > i \ 1

    1

    1

    employer cette facult. Ils rsolurent de s'assurerau profil du bien toutes

    1rs chances que donnent la rflexion, la mesure el l'habilet lgitime. Et,

    comme certains hommes sonl plus que d'autres riches de ces dons, ilsconclurenl que la Compagnie devait donnera ceux-l le pouvoir de diri-ger les mouvements de tous. Ainsi l'obissance devint la vertu particu-

    lire, la grande force du nouvel ordre. Cr par un soldat et pour l'action,

    il fut fond sur la discipline, une discipline inconnue encore clans les

    socits religieuses. Chaque membre de la Compagnie mit son principalmrite se dgager de son sentimenl personnel, suivre avec la fidlitde la conscience les impulsions de ses chefs. Celle nouveaut suffisaitpom- produire de grands rsultats. L'unit allai! apparatre dans les

    desseins, l'esprit le suite dans les entreprises, la mthode dans l'efforlpour mettre au service de l'uvre divine toutes les ressources del raison

    humaine. El la Compagnie nouvelle allait avoir une influence plusprompte que les ordres prcdents, parce qu'il n'y en avail pas un o la

    volont de chacun montrai la fois tanl d'abdication el tanl d'ardeur.

    Dpouilles des sentiments particuliers qui les avaienl rendues diver-

    gentes el faibles, ces volonts ne gardaient intact que leur courage au ser-

    vice des uvres qui sembleraient les meilleures aux plus sages.

    De mme, les gouvernements prts maintenir par la force l'unitde la socit chrtienne n'taienl plus ceux qui avaienl gr cel office

    dans le pass. Jusque-l dsignes l'hgmonie par leur position au

    centre de l'Europe, la France cl l'Allemagne formaient, entre le Nord

    dj protestanl el le Midi toujours catholique, une rgion dispute parles ides, indcise connue ces rivages que couvrent el dcouvrent les

    lais el les relais de la nier, elles n'taienl plus celle heure les pays

    d'un seul el vigoureux dessein.

    La rsistance l'hrsie du Nord lui mene par les Etats du Midi.Elle eut pour champions deux peuples, petits la veille encore cl favo-riss tout coup parle plus (''norme accroissement de fortune, I Espagne

    el le Portugal. P