les relations entre parlement et conseil constitutionnel
TRANSCRIPT
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THSE PRSENTE POUR OBTENIR LE GRADE DE
DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE BORDEAUX
COLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41)
SPCIALIT DROIT PUBLIC
Par Olivier BONNEFOY
LES RELATIONS ENTRE PARLEMENT ET
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Les incidences de la question prioritaire de constitutionnalit sur lactivit normative du Parlement
Thse dirige par
M. Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN
Professeur lUniversit de Bordeaux
Soutenue le 12 juin 2015
Membres du jury :
Mme Julie BENETTI, Professeur lUniversit de Reims Champagne-Ardenne, rapporteur
M. Georges BERGOUGNOUS, Professeur associ lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne
Directeur du service des ressources humaines de lAssemble nationale
M. Julien BONNET, Professeur lUniversit de Montpellier, rapporteur
M. Jean-Louis DEBR, Prsident du Conseil constitutionnel
M. Fabrice HOURQUEBIE, Professeur lUniversit de Bordeaux, prsident du jury
M. Ferdinand MLIN-SOUCRAMANIEN, Professeur lUniversit de Bordeaux, directeur de la recherche
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3
LES RELATIONS ENTRE PARLEMENT ET CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Les incidences de la question prioritaire de constitutionnalit
sur lactivit normative du Parlement
Rsum :
L'instauration de la question prioritaire de constitutionnalit permet d'ancrer dfinitivement la justice
constitutionnelle au sein du rgime politique de la Cinquime Rpublique. En dconnectant le contrle de la
loi de la procdure lgislative, le nouveau mcanisme induit un renouvellement de la relation unissant le
Parlement au Conseil constitutionnel. Il acte un dsquilibre institutionnel inhrent la fonction
juridictionnelle du Conseil. Seule cette volution tait susceptible de renforcer l'quilibre fonctionnel entre
les deux institutions. Le processus conduit s'interroger sur la place accorde aux juges au sein d'un rgime
dmocratique.
Mots cls : droit parlementaire ; contentieux constitutionnel ; dmocratie.
THE RELATIONS BETWEEN PARLIAMENT AND CONSTITUTIONAL COUNCIL
The impact of the priority preliminary rulings on the issue of constitutionality
on Parliaments legislative activity
Abstract :
The implementation of the priority preliminary rulings on the issue of constitutionality definitely installs
the constitutional justice in the political system of the Fifth Republic. The new mechanism induces a renewal
of the relationship between Parliament and the Constitutional Council. It causes an institutional imbalance
inherent in the judicial function of the Council. This change reinforces the functional balance between the
two institutions. The process raises questions about the place given to the judges in a democratic regime.
Keywords : parliamentary law ; constitutional review ; democracy.
Unit de recherche
[CERCCLE-GRECCAP ; EA 4192 ; 4 rue du marchal Joffre, 33 075 Bordeaux cedex]
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5
Remerciements
La rdaction de cette thse doit beaucoup lensemble des personnes qui ma entour et soutenu
tout au long de mes recherches. Leur prsence mes cts a t dterminante dans la bonne
ralisation de ce travail. Je leur adresse mes plus sincres remerciements.
ce titre, je tiens tout dabord exprimer ma profonde gratitude lgard de Monsieur le
professeur Ferdinand Mlin-Soucramanien pour mavoir accord sa confiance tout au long de ces
annes. Quil me soit permis de le remercier pour sa disponibilit, ses prcieux conseils mais
galement pour ses qualits dcoute et de comprhension pendant les moments de doute.
Mes remerciements vont galement tous les membres du C.E.R.C.C.L.E. pour leur gentillesse,
leur bonne humeur et leur soutien sans faille. Je souhaite adresser un remerciement tout
particulier Madame Martine Portillo pour sa disponibilit et son efficacit qui mont permis de
ne pas mgarer dans les mandres administratifs de lUniversit.
Je tiens ensuite remercier chaleureusement toutes les personnes qui se sont directement investies
dans la confection de cette thse, que ce soit par leurs conseils ou par leurs relectures. La place
me manque pour toutes les citer mais elles se reconnaitront. Je ne peux toutefois oublier Carolina
Cerda-Guzman et Jrmie Saiseau qui ont sacrifi un temps considrable pour relire et corriger
lensemble de ces dveloppements. Leurs connaissances juridiques et leur rigueur scientifique ont
t dune prcieuse aide dans laboutissement de ce travail.
La rdaction dune thse ne se limite pas la seule sphre professionnelle. Aussi, je souhaiterais
remercier toutes les personnes qui, hors de lUniversit, mont accompagn pendant ce travail.
Ma famille, tout dabord, a t dun soutien inoxydable tout au long de mes tudes. Je la remercie
pour sa confiance qui a t un moteur quotidien. Mes amis, ensuite, qui ne mont pas beaucoup vu
ces dernires annes. Eux, ont toujours t prsents et je les en remercie.
Enfin, et surtout, je tiens exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance Capucine pour sa
prsence, sa comprhension et sa patience. Son support quotidien a largement facilit la poursuite
de ces recherches. Jen suis parfaitement conscient. Un grand merci galement Zacharie pour
mavoir donn un rythme de sportif de haut niveau et pour mavoir appris relativiser bien des
choses.
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7
Sommaire
Introduction gnrale
Premire partie
LA PERTE DE LQUILIBRE INSTITUTIONNEL :
le nouvel essor du contrle de constitutionnalit des lois
Chapitre 1 : Le renforcement de la contrainte constitutionnelle pour le Parlement
Chapitre 2 : Laffaiblissement de linfluence parlementaire sur le Conseil constitutionnel
Seconde partie
LA QUTE DUN NOUVEL QUILIBRE FONCTIONNEL :
lapport de la dmocratie constitutionnelle
Chapitre 1 : Le perfectionnement de lquilibre fonctionnel entre Conseil constitutionnel
et Parlement lgislateur
Chapitre 2 : La persistance dun dsquilibre fonctionnel entre Conseil constitutionnel
et Parlement constituant
Conclusion gnrale
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Table des abrviations
9
Table des abrviations
A.F.D.C. Association franaise de droit constitutionnel
A.I.J.C. Annuaire international de justice constitutionnelle
A.J.D.A. Actualit juridique droit administratif
Al. Alii (autres)
A.N. Assemble nationale
A.P.D. Archives de philosophie du droit
Art. Article
Art. cit. Article cit
Ass. Assemble du contentieux du Conseil dtat
C.C. Conseil constitutionnel
C. Cass. Cour de cassation
C.E. Conseil dtat
C.E.D.H. Cour europenne des droits de lhomme
Cf. Confer (reportez-vous )
Ch. crim. Chambre criminelle
Circ. Circulaire
C.J.C.E. Cour de justice des communauts europennes
C.J.U.E. Cour de justice de lUnion europenne
C.N.R.T.L. Centre national de ressources textuelles et lexicales
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
10
Coll. Collection
Com. Communication
Cons. Considrant
Coord. Coordinateur(s)
C.P.J.I. Cour permanente de justice internationale
C.R. Compte-rendu
C.R.D.F. Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux
C.U.R.A.P.P. Centre universitaire de recherches administratives et politiques de
Picardie
Dir. Directeur(s)
D.P.S. Documents pour servir lhistoire de llaboration de la Constitution
du 4 octobre 1958 (voir bibliographie)
Dr. adm. Droit administrative
Dr. fisc. Revue de droit fiscal
Ed. Edition
Fasc. Fascicule
Gaz. Pal. Gazette du Palais
G.D.C.C. Les grandes dcisions du Conseil constitutionnel (17e d. de 2013,
voir bibliographie)
Ibid. Ibidem (dans l'ouvrage prcdemment cit et la mme page)
Id. Idem (dans l'ouvrage prcdemment cit)
J.C.P. Juris-classeur priodique (Semaine juridique)
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Table des abrviations
11
J.O.F.L. Journal officiel de la France libre
J.O.N.C. Journal officiel de Nouvelle-Caldonie
J.O.R.F. Journal officiel de la Rpublique franaise (utilise seule cette
abrviation renvoie ldition Lois et dcrets )
J.O.U.E. Journal officiel de lUnion europenne
L.G.D.J. Librairie gnrale de droit et de jurisprudence
L.P.A. Les petites affiches
N Numro
Op. cit. Opus citatum (ouvrage cit)
Ord. Ordonnance
Paragr. Paragraphe
P.U.A.M. Presses universitaires dAix-Marseille
P.U.F. Presses universitaires de France
P.U.L. Presses universitaires de Laval (Canada)
P.U.LIM. Presses universitaires de Limoges
P.U.R. Presses universitaires de Rennes
Q.P.C. Question prioritaire de constitutionnalit
R.D.P. Revue du droit public et de la science politique en France et
ltranger
Rec. C.C. Recueil des dcisions du Conseil constitutionnel
Rec. Leb. Recueil Lebon
R.F.D.A. Revue franaise de droit administratif
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
12
R.F.D.C. Revue franaise de droit constitutionnel
R.F.S.P. Revue franaise de science politique
R.I.D.C. Revue internationale de droit compar
R.R.J. Revue de la recherche juridique Droit prospectif
R.T.D. Civil Revue trimestrielle de droit civil
R.T.D.H. Revue trimestrielle des droits de lhomme
Sect. Section du contentieux du Conseil d'tat
T. Tome
Vol. Volume
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Le propre de la dmocratie est
dadmettre comme fondement du
pouvoir politique ces dsirs, ces
gots, ou ces volonts qui existent
dans le groupe social. Le
gouvernement du peuple par le
peuple suppose que le peuple est
invit exprimer ses vues sur la
conduite des affaires publiques. [...]
On reconnaitra lauthenticit dune
dmocratie la multiplicit des
moyens lgaux dexpression et
lorganisation de ces moyens
dexpression de manire leur
permettre de remplir leur rle.
G. BURDEAU, Lvolution des
techniques dexpression de lopinion
publique dans la dmocratie ,
in Lopinion publique, P.U.F., Paris,
1957, p. 138.
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Introduction gnrale
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Introduction gnrale
17
1. Sans remettre en cause la lgitimit du Conseil constitutionnel ni le bien-fond
de la mise en uvre des questions prioritaires de constitutionnalit, je pense quil faudra
apprendre grer, utiliser ces nouvelles armes. Nous sommes dans une socit o
lexigence de transparence na dgal que la suspicion qui entoure tout dtenteur dun
pouvoir. Le juge constitutionnel devient, dans ce contexte, lunique garant de la
dmocratie contre les reprsentants que le peuple a lus Le peuple, les lus eux-mmes
remettent entre les mains des neuf Sages les destines de la dmocratie ! Ce paradoxe doit
nous conduire nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec le suffrage
universel et sur la confiance que nous prouvons envers les instances qui en sont issues. 1
2. Par ces mots, le snateur du Vaucluse, Alain Milon, illustre toute la substance de la
problmatique souleve par les relations unissant le Parlement au Conseil constitutionnel.
La citation est issue de dbats lgislatifs sur une proposition de loi dont lobjet tait de
tirer les consquences dune censure prononce a posteriori par le juge constitutionnel2.
Elle met en lumire une diversification des enjeux poss par le contrle de la conformit
des lois la Constitution. Les incidences de lentre en vigueur de la question prioritaire
de constitutionnalit ne se limitent pas la sphre contentieuse. En perfectionnant
lexamen juridictionnel des normes lgislatives, le nouveau mcanisme induit une
intervention accrue du Conseil dans le processus dlaboration et dadoption des lois.
Lensemble des interactions entre le Parlement et la juridiction constitutionnelle sen
trouve affect. Lextension de loffice du juge provoque une redfinition de la place
occupe par chaque institution au sein du rgime politique. Elle renouvelle les armes
stratgiques leur disposition. Les assembles reprsentatives, tout comme le Conseil
constitutionnel, doivent apprendre grer, utiliser ces nouvelles armes .
1 A. MILON, sance du mercredi 22 octobre 2014, J.O.R.F., d. Snat Dbats parlementaires, srie C.R.,
n 94, 23 octobre 2014, p. 7310. Citation extraite des dbats en sance publique lors de la premire
lecture au Snat de la proposition qui deviendra la loi n 2015-264 du 9 mars 2015 autorisant l'accord
local de rpartition des siges de conseiller communautaire, J.O.R.F., n 58, 10 mars 2015, p. 4360.
2 C.C., n 2014-405 Q.P.C., Commune de Salbris [Rpartition des siges de conseillers communautaires
entre les communes membres d'une communaut de communes ou d'une communaut
d'agglomration], 20 juin 2014, Rec. C.C. en attente de publication, J.O.R.F., 22 juin 2014, p. 10316.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
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3. Au-del des mutations rcentes, les propos dAlain Milon illustrent lvolution des
liens unissant le Parlement et le Conseil. Ils dvoilent la persistance dune vision franaise
de la justice constitutionnelle. Le snateur du Vaucluse sous-entend une opposition de
principe entre les comptences du juge et la dmocratie. Le contentieux de la
constitutionnalit des lois est implicitement prsent comme la possibilit reconnue
quelques personnalits nommes de censurer la volont exprime par la reprsentation
nationale. Historiquement marque, cette perception de la justice constitutionnelle
ressurgit intervalles rguliers. En 2012, la censure de linstauration dun taux marginal
dimposition de 75 %3, mesure phare de la majorit nouvellement lue, en est un exemple
rvlateur. Le professeur Martin Collet a cherch interroger la signification de cette
dcision. Par une tribune publie dans un quotidien national, il voque un contrle de
lopportunit politique conduisant substituer la dfinition de lintrt gnral retenue par
le juge celle consacre par les reprsentants de la Nation4. La raction politique
labrogation du mcanisme fiscal sest double dune remise en cause de la neutralit de la
juridiction. Jean-Christophe Cambadlis, dput de Paris, a publiquement dnonc un
Conseil constitutionnel de droite 5. Le prsident du Conseil a rpondu, par mdia
interpos, la controverse. Sur une chaine dinformation en continu, le prsident Jean-
Louis Debr a dclar, le 7 janvier 2013, que le Conseil constitutionnel est une
institution indpendante qui na de leon recevoir de personne 6. La persistance des
dbats relatifs la lgitimit de la juridiction charge de contrler la loi est une singularit
franaise. Elle traduit un hritage historique.
4. Lorganisation constitutionnelle de la France sest longtemps distingue par la
prpondrance institutionnelle de la reprsentation nationale et par la supriorit
normative de la loi. Conformment aux thories rvolutionnaires, cette dernire est perue
3 C.C., n 2012-662 D.C., Loi de finances pour 2013, 29 dcembre 2012, Rec. C.C. p. 724, J.O.R.F.,
30 dcembre 2012, p. 20966 ; G.D.C.C. p. 534.
4 M. COLLET, Les Sages en font-ils trop ? , Le Monde, 3 janvier 2013. Lauteur conclut que cette
dcision interroge la conception de la dmocratie , Gouvernement des juges, dites-vous ? .
5 J.-C. CAMBADLIS, Le Conseil constitutionnel de droite ragit comme la droite , 29 dcembre 2012,
http://www.cambadelis.net/2012/12/29/le-conseil-constitutionnel-de-droite-reagit-comme-la-droite/.
6 Citation rapporte par C. TUKOV, La 5 mue du Conseil constitutionnel ? Point sur ltat de droit et le
gouvernement des juges , J.C.P. - Edition Gnrale, 18 fvrier 2013, n 8, p. 378.
http://www.cambadelis.net/2012/12/29/le-conseil-constitutionnel-de-droite-reagit-comme-la-droite/
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Introduction gnrale
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comme lexpression de la volont gnrale 7. Elle formalise juridiquement la
souverainet du peuple qui sexerce par lintermdiaire de reprsentants lus. Une telle
perception a empch de penser linstauration dune justice constitutionnelle indpendante
des assembles reprsentatives et de la procdure lgislative. La norme fondamentale
adopte en 1958 se place en rupture avec la souverainet parlementaire et son corollaire, le
lgicentrisme. Elle ninstitue pas pour autant un vritable contrle de la constitutionnalit
des lois. Les comptences du Conseil constitutionnel sont uniquement envisages sous le
prisme de la rationalisation du Parlement. Sa fonction nest pas de procder un examen
juridictionnel de la conformit des actes lgislatifs la Constitution mais de veiller ce
que les parlementaires nexcdent pas les bornes fixes par le pouvoir constituant. Le rle
institutionnel accord au Conseil se place dans une certaine continuit historique. Il induit
lmergence et le dveloppement dune relation spcifique, unique au regard des droits
trangers, entre le Parlement et le Conseil constitutionnel (1).
5. Ce dernier sest mancip de son carcan dorigine pour devenir un rouage essentiel
du rgime politique de la Cinquime Rpublique. Le dveloppement de sa jurisprudence et
lintervention dcisive du pouvoir de rvision de la Constitution ont particip la mutation
de son office. Le rgulateur de lactivit normative des pouvoirs publics 8 sest rig en
gardien des liberts. Au fil des annes, lintervention du Conseil constitutionnel face au
lgislateur a t de plus en plus accepte. Sa relation avec le Parlement sest
progressivement normalise pour caractriser lexistence dun dialogue institutionnel.
Conflictuelle sous certains aspects, elle est galement lorigine dun enrichissement
mutuel. Les propos dAlain Milon prennent acte de cette volution. Le snateur du
Vaucluse ne souhaite pas remettre en cause la lgitimit de la juridiction mais il
linterroge au regard des exigences dmocratiques. Le discours est paradoxal. Il rvle
lambigit caractristique de la relation noue entre les parlementaires et le juge
constitutionnel (2).
7 Art. 6, Dclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 aot 1789.
8 L. FAVOREU, Le Conseil constitutionnel rgulateur de lactivit normative des pouvoirs publics ,
R.D.P., 1967, n 1, p. 5.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
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6. Ladoption, en 2008, de la question prioritaire de constitutionnalit a boulevers le
cadre institutionnel dun dialogue amorc cinquante ans plus tt. Lvolution interroge la
place respective du Parlement et du juge constitutionnel dans le systme de production des
normes. Par ses propos, Alain Milon met en lumire la diversit des enjeux poss par le
renouvellement de la relation unissant les deux institutions (3). Louverture du
contentieux de la constitutionnalit des lois intresse tout autant la pratique de la
production normative que la nature du rgime politique. Elle invite repenser
lorganisation dmocratique des institutions de la Cinquime Rpublique.
1) Les spcificits franaises de la relation entre
Parlement et Conseil constitutionnel
7. Depuis 1958, la relation entre le Parlement et le Conseil constitutionnel se
distingue par une spcificit en comparaison la situation des systmes juridiques
trangers. Lhistoire constitutionnelle de la France est dterminante pour apprhender
cette singularit, elle en est lune des clefs dexplication 9. Le cadre conceptuel et les
traditions juridiques issus de la Rvolution de 1789 ont irrigu la pense constitutionnelle
franaise. Certains traits caractristiques de cet hritage se retrouvent dans les modalits
retenues en 1958 pour organiser la justice constitutionnelle (A). Leur combinaison avec le
contexte de lpoque explique la place institutionnelle rserve au Conseil constitutionnel.
Vritable exception en droit compar10
, cette dernire amende en 1974 reprsente la
structure dans laquelle se dveloppera le lien unissant les reprsentants de la Nation avec
le gardien de la Constitution11
(B).
9 G. DRAGO, Contentieux constitutionnel franais, 3e d., coll. Thmis, P.U.F., Paris, 2011, p. 129.
10 Sur ce point, se rfrer M. FROMONT, La diversit de la justice constitutionnelle en Europe ,
in BORGETTO (M.) (Coord.), Mlanges Philippe Ardant Droit et politique la croise des cultures,
coll. Les mlanges, L.G.D.J., Paris, 1999, p. 47 et s.
11 Les formules de reprsentants de la Nation et de gardien de la Constitution sont respectivement
utilises en tant que synonymes de parlementaires et de Conseil constitutionnel . Ces notions
incluent, en principe, le prsident de la Rpublique qui reprsente la Nation depuis 1962 et que
larticle 5 de la Constitution charge de veiller au respect de la norme fondamentale. Le lecteur excusera
un manque de rigueur ncessaire pour viter de trop nombreuses rptitions.
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Introduction gnrale
21
A) Linfluence du contexte historique dans lapparition du
Conseil constitutionnel
8. Lhistoire constitutionnelle franaise se compose dune diversit de rgimes
politiques avec lexprimentation des traditions rvolutionnaire, csariste et
parlementaire12
. Au-del de lhtrognit institutionnelle, certaines constantes qui
intressent directement la notion de justice constitutionnelle peuvent tre observes.
Lidologie rvolutionnaire, dveloppe en 1789, est la source dune interprtation
particulire de la sparation des pouvoirs. Cette interprtation traversera les sicles. La
conception prne par les Lumires repose notamment sur une dfiance envers les
autorits juridictionnelles ; dfiance qui se concrtisera par une interdiction absolue de se
prononcer sur la conformit juridique des lois au regard de la norme fondamentale (1). La
position adopte participe un processus plus large de sacralisation de la loi, expression
de la volont gnrale par les reprsentants lus du peuple. Une fois en vigueur, les actes
lgislatifs doivent tre incontestables par principe (2). Ces traits caractristiques de la
pense rvolutionnaire se retrouvent tout au long de lhistoire constitutionnelle franaise.
Ils sont des facteurs structurels mme dinterroger le contexte de production du
Conseil constitutionnel en tant quinstitution13
. En dterminant la cration de ce dernier,
ils psent de tout leur poids sur la formalisation de ses relations avec le Parlement.
1) Le refus dun contrle juridictionnel de la loi
9. Les institutions franaises mises en place depuis 1789 se distinguent par une
mfiance absolue envers la figure du juge. Il en rsulte une application particulire de la
sparation des pouvoirs au sein de laquelle toute autorit juridictionnelle ne saurait jouir
12 M. MORABITO, Histoire constitutionnelle de la France de 1789 nos jours, 13e d., coll. Domat droit
public, L.G.D.J., Paris, 2014, p. 14.
13 Sur le recours lHistoire dans lapprhension des institutions contemporaines, se rfrer D. DULONG,
Sociologie des institutions politiques, coll. Repres, La Dcouverte, Paris, 2012, p. 24.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
22
que dun pouvoir neutre14
. Les tribunaux doivent se borner appliquer le droit en vigueur
sans disposer daucune marge de manuvre son gard15
. Selon Montesquieu, les juges
de la Nation ne sont [...] que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des tres
inanims qui nen peuvent modrer ni la force ni la rigueur 16
. Limportance et la
persistance de la limitation impose aux juges est le fruit de lHistoire. Les parlements de
lAncien Rgime staient vus reconnaitre un droit de remontrance leur permettant de ne
pas appliquer un acte royal considr comme contraire aux lois fondamentales du
royaume. compter de laccord pass entre le Rgent et le Parlement de Paris en 171517
,
souvre un sicle dopposition entre le pouvoir monarchique et les juges. Lavnement de
Louis XVI scellera la victoire des seconds sur le premier18
. Les rvolutionnaires
souhaitent oprer une nette rupture avec cette situation. Ils refusent que les juges puissent
sopposer aux normes dictes par le corps lgislatif19
. Linterdiction est en parfaite
harmonie avec la volont populaire exprime dans les cahiers de dolances. La lgitimit
des parlements de lAncien Rgime y tait conteste car ils staient mus en gardiens de
lordre ancien tout en se considrant comme les reprsentants de la Nation20
.
14 Sur la perception et le rle de la justice en France, se rfrer J. KRYNEN, Ltat de justice France,
XIIIe-XXe sicle Lidologie de la magistrature ancienne, T. I, coll. Bibliothque des histoires, Gallimard, Paris, 2009, 336 p. et J. KRYNEN, Ltat de justice France, XIIIe-XXe sicle Lemprise
contemporaine des juges, T. II, coll. Bibliothque des histoires, Gallimard, Paris, 2012, 448 p.
15 Dans la conception rvolutionnaire, fortement anti-robine, le juge doit tre cantonn un rle subalterne
de confrontation du cas despce une loi parfaite, en se gardant de linterprter, et a fortiori la juger .
F. SAINT-BONNET, La double gense de la justice constitutionnelle en France La justice politique
au prisme des conceptions franaises , R.D.P., 2007, n3, p. 758.
16 MONTESQUIEU, uvres de Montesquieu : Lesprit des lois, A. Belin, 1817, p. 136. La rfrence
MONTESQUIEU sur cette question est une convention acadmique dont il convient de relativiser
la porte : J. BONNET, Le juge ordinaire franais et le contrle de constitutionnalit des lois
Analyse critique dun refus, coll. Nouvelle bibliothque de thses, Dalloz, Paris, 2009, p. 255 et s.
17 J.-P. ROYER et al., Histoire de la justice en France du XVIIIe sicle nos jours, 4e d. revue et mise
jour, coll. Droit fondamental, P.U.F., Paris, 2010, p. 72 et 73 : la suite du dcs de Louis XIV, le Rgent dune part et [le] Parlement de Paris de lautre ont conclu un pacte dapaisement, ils ont
"chang" lannulation de celles des clauses du testament du roi dfunt juges contraires aux lois
fondamentales du royaume contre la restitution dun vrai droit de remontrances, antrieur et non pas
postrieur lenregistrement .
18 Idem, p. 198.
19 Interdiction formalise lart. 10 du titre II des lois des 16 et 24 aot 1790 sur lorganisation judiciaire :
Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part lexercice du pouvoir
lgislatif, ni empcher ou suspendre lexcution des dcrets du corps lgislatif, sanctionns par le Roi,
peine de forfaiture.
20 G. DRAGO, Contentieux constitutionnel franais, op. cit., p. 132 et s.
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Introduction gnrale
23
10. Le contrle juridictionnel des lois est refus par principe en 1789. La dfiance
envers les autorits juridictionnelles pour connaitre de la conformit constitutionnelle des
actes lgislatifs se retrouvera dans lensemble des textes adopts par la suite21
. Certaines
propositions sont formules ds la priode rvolutionnaire. Elles intgrent le refus de
confier lexamen des lois aux juges ordinaires en imaginant une institution spcialise et
charge de sanctionner soit des actes22
, soit des titulaires du pouvoir23
. Elles ne seront pas
suivies deffets. Il faudra attendre le Premier Empire, puis le Second, pour voir apparaitre
une premire institutionnalisation de la protection de la Constitution. Les rgimes
bonapartistes ne confient toujours pas cette fonction aux juridictions ordinaires. Ils mettent
en place une forme de contrle parlementaire qui savrera trop dpendante du pouvoir
excutif24
. Les expriences du Snat conservateur et du Snat permettront dimaginer une
alternative lexamen juridictionnel des lois tout en la discrditant aussitt. Elles sont le
point de dpart dune tradition visant confier le contrle des actes lgislatifs une
autorit place sous un rapport de dpendance organique avec lauteur des normes
contestes.
11. compter de la Troisime Rpublique, le dbat sur la ncessit dinstaurer une
justice constitutionnelle prend de lampleur. De nombreuses solutions sont imagines tant
par la doctrine que par certains parlementaires25
. Le point de dpart de la rflexion sur le
sujet semble tre la parution de lHistoire des tats-Unis dont lauteur,
21 Refus exprim de maintes reprises par les juges ordinaires eux-mmes. Pour une vision densemble de la
question, se rfrer J. BONNET, Le juge ordinaire franais et le contrle de constitutionnalit des
lois Analyse critique dun refus, op. cit.
22 La proposition de SIEYES dinstituer un jury constitutionnaire (la jurie constitutionnaire dans une
premire version francise laquelle Sieys renoncera) se place dans cette optique ; se rfrer
F. SAINT-BONNET, La double gense de la justice constitutionnelle en France La justice politique au prisme des conceptions franaises , art. cit., p. 759 et s.
23 Plusieurs propositions peuvent tre voques : la mise en place dun collge des
conservateurs (SIEYES), dun grand lecteur (SIEYES) ou encore dun pouvoir
prservateur (Benjamin CONSTANT). Ces propositions sont dtailles par F. SAINT-BONNET,
La double gense de la justice constitutionnelle en France La justice politique au prisme des
conceptions franaises , art. cit., p. 769 et s.
24 Le constat sapplique autant au Snat conservateur du Premier Empire quau Snat du Second Empire.
Voir sur ce point G. DRAGO, Contentieux constitutionnel franais, op. cit., p. 138 et s.
25 Sur lensemble de cette question, lire R. BAUMERT, La dcouverte du juge constitutionnel, entre science
et politique, coll. des Thses, Fondation Varenne L.G.D.J., Paris, 2009, 612 p.
-
Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
24
douard Laboulaye, y prsente le contrle diffus exerc par les juridictions amricaines26
.
Si la doctrine se concentre sur lopportunit de voir les juges judiciaires et administratifs
sarroger le contrle de constitutionnalit de manire diffuse, les propositions
institutionnelles envisagent davantage un systme concentr27
. Lampleur du dbat tient
la prsence de lois liberticides et la remise en cause des excs du lgislateur28
. Aucune
des propositions envisages ne se concrtisera sous la Troisime Rpublique. De
nombreuses solutions continueront dtre imagines au fil du temps, notamment par les
organisations de la rsistance29
, mais jamais un contrle juridictionnel tout du moins
voulu et pens comme tel ne sera adopt.
12. Le Comit constitutionnel en 1946, tout comme le Conseil constitutionnel en 1958,
ne reprsentent en aucun cas lillustration dune volont politique dorganiser un examen
juridictionnel de la loi. Linstitution mise en place par la Constitution de 1946 est,
linstar des snats bonapartistes, sous la dpendance organique de lauteur des actes
contests. Le Comit constitutionnel est prsid par le prsident de la Rpublique et
comprend les prsidents de chaque assemble. Ses autres membres sont lus, tous les ans,
la proportionnelle des groupes prsents au sein des chambres lgislatives30
.
Lindpendance propre aux organes juridictionnels, selon lapproche propose par le
26 Idem, p. 32 et s. Se rfrer galement F. SAINT-BONNET, La double gense de la justice
constitutionnelle en France La justice politique au prisme des conceptions franaises , art. cit.,
p. 783 et s.
27 Concentr mais nanmoins juridictionnel, Charles BENOIST propose ainsi en 1903 linstauration dune
Cour juridictionnelle spciale pendant que Jules ROCHE voque la possibilit de confier ce contrle
la Cour de cassation toutes chambres runies. Voir R. BAUMERT, La dcouverte du juge
constitutionnel, entre science et politique, op. cit., p. 41 et s. et G. DRAGO, Contentieux
constitutionnel franais, op. cit., p. 142 et 143.
28 J. BONNET, Le juge ordinaire franais et le contrle de constitutionnalit des lois Analyse critique
dun refus, op. cit., p. 208.
29 Peuvent tre cits les projets dinstitutionnaliser une Cour suprme de lgalit (Organisation civile et
militaire) ou encore un tribunal spcial compos de parlementaires et de magistrats (Comit gnral
dtudes). Pour lensemble des propositions de contrle de constitutionnalit des lois avances, lire J.-
E. CALLON, Les projets constitutionnels de la Rsistance, La documentation franaise, Paris, 1998,
p. 55 et 56 ; p. 72 et p. 80 et s.
30 Art. 91, alinas 1 et 2, Constitution du 27 octobre 1946 : Le Comit constitutionnel est prsid par le
prsident de la Rpublique. Il comprend le prsident de l'Assemble nationale, le prsident du Conseil
de la Rpublique, sept membres lus par l'Assemble nationale au dbut de chaque session annuelle
la reprsentation proportionnelle des groupes, et choisis en dehors de ses membres, trois membres lus
dans les mmes conditions par le Conseil de la Rpublique.
-
Introduction gnrale
25
professeur Hans Kelsen31
, nest pas caractrise en pratique. Llection annuelle des
membres du Comit instaure un contrle indirect du Parlement sur son activit. Elle
rend les juges constitutionnels responsables devant la reprsentation nationale32
. En
dfinitive, la France ne sest jamais rsolue jusqu il y a peu abandonner un juge,
ft-il politique, la moindre parcelle de lexpression de sa souverainet mme si celle-ci a
pu tre capte voire accapare soit par le lgislatif, soit par lexcutif, soit par le peuple
insurg 33
.
2) Le refus dun contrle de la loi promulgue
13. La conception de la loi dfendue par Jean-Jacques Rousseau est lorigine de
limportance du lgicentrisme dans la culture constitutionnelle franaise. Le philosophe
des Lumires peroit lacte lgislatif comme tant lexpression de la volont gnrale. La
formule est consacre larticle 6 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen
du 26 aot 1789, toujours en vigueur lheure actuelle. Les rvolutionnaires, en adoptant
cette position, instituent le dogme de lincontestabilit de la loi. Une telle sacralisation
repose, lpoque, sur une double gnralit [...] indispensable pour garantir la rectitude
de la volont gnrale 34
. Gnralit tant de la source que de lobjet de lexpression de la
volont gnrale puisque la loi est considre tre la formalisation normative de la volont
de tous les citoyens simposant tous les citoyens. Le lien reprsentatif unissant les
gouvernants aux gouverns nest donc pas le seul lment au fondement de la toute-
puissance de la loi chez les rvolutionnaires.
31 Le professeur Hans KELSEN fait de lindpendance des juridictions leur critre de distinction avec les
autorits administratives ; H. KELSEN, Thorie pure du droit, coll. Philosophie du droit, Dalloz, Paris,
1962, p. 351 et H. KELSEN, Thorie gnrale du droit et de ltat suivi de La doctrine du droit
naturel et le positivisme juridique, coll. La pense juridique, Bruylant-L.G.D.J., Paris, 1997, p. 323 et s.
32 J. LEMASURIER, La Constitution de 1946 et le contrle juridictionnel du lgislateur, L.G.D.J., Paris,
1954, p. 150.
33 F. SAINT-BONNET, La double gense de la justice constitutionnelle en France La justice politique au
prisme des conceptions franaises , art. cit., p. 778.
34 C.-M. PIMENTEL, Les trois checs de la volont gnrale : dlibration rousseauiste et procs
symbolique britannique , Jus Politicum, juillet 2013, n 10, article en ligne.
-
Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
26
14. Si certaines propositions dun examen de la conformit des actes lgislatifs la
Constitution sont formules, elles ne visent ds lorigine quun contrle opr a priori35
.
Dans lesprit des auteurs mmes de ces propositions, et en particulier chez Sieys,
transparait l ide [...] selon laquelle la loi est la fin dont la Constitution nest que le
moyen ; celle-ci est essentiellement une machine, une mcanique, une manire
dorganiser des pouvoirs et non une norme suprme : elle est essentiellement une loi
spciale, qui concerne la rpartition des pouvoirs afin de confectionner une bonne loi 36
.
Les justifications du refus oppos la possibilit de contester la validit juridique des
actes lgislatifs peuvent tre discutes37
. Il nen demeure pas moins que la vision de la loi
hrite de la Rvolution a perdur au fil des sicles. Elle tend incorporer le contrle de la
loi son processus dadoption. Une fois promulgue et en vigueur, une norme lgislative
est juridiquement incontestable. la dpendance organique de lautorit de contrle,
sajoute la subordination de lexamen des lois lexercice de la fonction lgislative.
15. Le lgicentrisme connaitra, en France, une seconde naissance lie
lenracinement politique et institutionnel du rgime dassembles sous la Troisime
Rpublique38
. Qualifi de rpublicain, le lgicentrisme de cette poque se trouve formalis
dans les crits du professeur Raymond Carr de Malberg. Ce dernier se place dans la
ligne des rvolutionnaires en reprenant son compte la formule de larticle 6 de la
Dclaration de 1789. Selon lui, cette disposition se constituait de ces deux propositions :
1 La loi a pour fondement la volont gnrale, elle doit donc tre lexpression de cette
35 propos du jury constitutionnaire (la jurie constitutionnaire lorigine) imagin par SIEYES, proposition
la plus aboutie, se rfrer F. SAINT-BONNET, La double gense de la justice constitutionnelle en
France La justice politique au prisme des conceptions franaises , art. cit., p. 763.
36 Idem, p. 760.
37 P. PASQUINO, Le contrle de constitutionnalit : gnalogie et morphologie , Cahiers du Conseil constitutionnel, 1er juillet 2010, n 28, p. 37 : En ralit, le vote quasiment unanime de l'Assemble
ex-jacobine contre cette proposition trs ambitieuse [d'instituer une jurie constitutionnaire, prsente
lors des dbats constitutionnels de l'an III,] occulte la ralit du vaste dbat que le problme du contrle
provoqua dans la France rvolutionnaire. Des dizaines, peut-tre des centaines, de pamphlets furent
publis concernant cette question, mais la volont de la classe politique thermidorienne de conserver
sans partage la mainmise sur le pouvoir lgislatif touffa dans l'uf une cration institutionnelle que,
beaucoup plus tard, Carr de Malberg devait appeler de ses vux, la fin de sa longue carrire
intellectuelle.
38 P. BLACHR, Contrle de constitutionnalit et volont gnrale, coll. Les grandes thses du droit
franais, P.U.F., Paris, 2001, p. 34.
-
Introduction gnrale
27
volont ; 2 Elle lest aussi, rellement, puisque la volont gnrale est exprime par le
Corps lgislatif, celui-ci reprsentant la totalit des citoyens 39
. Seulement, la question de
lobjet des lois a disparu. Il ne subsiste que lorigine dmocratique du Parlement,
institution charge dadopter lesdites normes. Le lgicentrisme rpublicain retient un
critre strictement formel de lacte lgislatif, le vote par les reprsentants lus de la
Nation. Il fonde sa lgitimit sur la souverainet parlementaire. Cette vision structurera
jusquen 1958 la perception des institutions rpublicaines, ce qui empchera lmergence
dune justice constitutionnelle effective.
16. De toutes les formes dexamen de la loi institues en France suite la Rvolution,
seul le Snat conservateur, en place sous le Consulat, se voit reconnaitre la comptence de
contrler des lois en vigueur40
. lexception de cet piphnomne, lventualit dune
contestation a posteriori des normes lgislatives reste ltat de proposition41
. Plus
gnralement, les rgimes successifs de la France postrvolutionnaire norganisent
majoritairement pas le moindre contrle de la loi. Suite la Seconde Guerre mondiale, le
projet de lOrganisation civile et militaire dnonait la situation : Ce pouvoir que
dtenait autrefois le Roi, la Constitution la remis entre les mains de mandataires nomms
par le peuple. Mais une fois les mandataires nomms, ceux-ci se trouvaient former la
nouvelle entit qui gouverne avec en face deux, de lautre ct, la mme autre entit
quautrefois : la masse gouverne. Et lexprience a montr qu peu de choses prs, les
mmes excs du pouvoir se reproduisaient ; une justice [...] protgeant [lindividu]
contre larbitraire du pouvoir lgislatif na mme pas t conue. 42
39 R. CARR DE MALBERG, La Loi, expression de la volont gnrale, coll. Classiques srie politique et
constitutionnelle, Economica, Paris, 1999, p. 18 et 19.
40 Art. 21, Constitution du 22 frimaire an VIII : Il [le Snat conservateur] maintient ou annule tous les actes qui lui sont dfrs comme inconstitutionnels par le Tribunat ou par le Gouvernement : les listes
d'ligibles sont comprises parmi ces actes. noter que le Snat institu par la Constitution du
Premier Empire ne recevra quune simple comptence de contrle a priori. Sur ce point, art. 71,
Constitution du 28 floral an XII : Le Snat, dans les six jours qui suivent l'adoption du projet de loi,
dlibrant sur le rapport d'une commission spciale, et aprs avoir entendu trois lectures du dcret
dans trois sances tenues des jours diffrents, peut exprimer l'opinion qu'il n'y a pas lieu
promulguer la loi. La dcision finale revient, comme lon peut sen douter, lEmpereur.
41 Propositions provenant tant de la doctrine que de certains parlementaires. Sur ce point, lire
R. BAUMERT, La dcouverte du juge constitutionnel, entre science et politique, op. cit.
42 J.-E. CALLON, Les projets constitutionnels de la Rsistance, op. cit., respectivement p. 82 et 83.
-
Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
28
17. La justice constitutionnelle connait une timide avance en 1946 avec linstauration
du Comit constitutionnel dont la saisine tait troitement ouverte et les comptences
strictement encadres. Le dclenchement du contrle supposait lintervention conjointe du
prsident de la Rpublique et du prsident du Conseil de la Rpublique, lassemble ayant
statu la majorit absolue de ses membres, avant le terme du dlai de promulgation43
.
Loffice du Comit tait de provoquer un accord entre l'Assemble nationale et le
Conseil de la Rpublique 44
. dfaut, il statuait sur la question de savoir si les lois
votes par l'Assemble nationale [supposaient] une rvision de la Constitution 45
.
Lencadrement juridique de ses comptences ne lui permettait pas dassurer un contrle
effectif de la constitutionnalit des lois. Ce ntait pas son rle. Dans les faits, le Comit
est intervenu une fois par la dlibration du 18 juin 1948 visant les prrogatives du
Conseil de la Rpublique lgard de lAssemble nationale dans le cadre de la procdure
durgence46
. Linstitution a, par la suite, servi de modle au pouvoir constituant de 1958
lors de la mise en place du Conseil constitutionnel. Ce dernier connaitra une ascension
fulgurante mais il ntait pas envisag, lorigine, comme un organe juridictionnel. Il ne
pouvait pas plus juger les lois en vigueur.
B) La singularit de la place institutionnelle du Conseil
constitutionnel
18. Dtermine en partie par lhritage de lhistoire constitutionnelle franaise, la place
institutionnelle reconnue au Conseil constitutionnel structure de manire dterminante la
relation quil entretient avec le Parlement. Les constituants de 1958 nont jamais pens le
Conseil comme une juridiction. Ils y voyaient un instrument supplmentaire du
parlementarisme rationalis (1). Le constat nest pas sans consquences pour linstitution.
En perptuelle qute de lgitimit, le Conseil est contraint davancer avec prudence.
43 Art. 92, alina 1, Constitution du 27 octobre 1946.
44 Art. 92, alina 2, idem.
45 Art. 91, alina 3, id.
46 G. DRAGO, Contentieux constitutionnel franais, op. cit., p. 159.
-
Introduction gnrale
29
Il ne peut sappuyer sur une mission clairement dfinie, et assume, pour dvelopper sa
jurisprudence. Sa position au sein du rgime politique est prcise en 1974 grce
louverture de la saisine aux parlementaires47
. Seconde naissance du Conseil
constitutionnel aprs lextension des normes de rfrence du contrle opre en 197148
cette tape consacre la spcificit du contentieux franais. Loffice du Conseil est
intgralement enserr dans la procdure lgislative. Son intervention dpend de lexistence
dune volont politique de le saisir (2). Le schma, en vigueur jusquen 2008, favorise
lapparition dune relation privilgie entre le Parlement et le gardien de la Constitution.
Un quilibre institutionnel se met en place. Il dterminera lensemble de la question.
1) La cration instrumentalise du Conseil constitutionnel
19. Exception faite du rgime de Vichy, les institutions franaises saxent autour de la
suprmatie du Parlement depuis 1879 et la volont de Jules Grvy de ne pas entrer en
conflit avec les chambres lgislatives. La Troisime et la Quatrime Rpublique
connaissent une importante instabilit gouvernementale empchant la poursuite dune
politique efficace. La Constitution du 4 octobre 1958 entend rompre dfinitivement avec
cette situation. labore dans un contexte de conflits en Algrie, lensemble de ses
dispositions a pour objectif de rationaliser le Parlement et de renforcer le pouvoir
excutif49
. La mise en place du Conseil constitutionnel ne fait pas exception50
. Il est conu
comme un rouage de la nouvelle limitation des chambres lgislatives. Sa mission est de
veiller la bonne application de la norme fondamentale afin que le Parlement ne sorte
47 Loi constitutionnelle n 74-904 du 29 octobre 1974 portant rvision de larticle 61 de la Constitution,
J.O.R.F., 30 octobre 1974, p. 11035.
48 C.C., n 71-44 D.C., Loi compltant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative
au contrat d'association, 16 juillet 1971, Rec. C.C. p. 29, J.O.R.F., 18 juillet 1971, p. 7114 ;
G.D.C.C. p. 331.
49 Constat largement partag, voir notamment M. MORABITO, Histoire constitutionnelle de la France de
1789 nos jours, op. cit., p. 435 et s.
50 D. MAUS, La naissance du contrle de constitutionnalit en France , in Lesprit des institutions,
lquilibre des pouvoirs Mlanges en lhonneur de Pierre Pactet, Dalloz, Paris, 2003, p. 731.
-
Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
30
pas des limites troites que la nouvelle Constitution allait lui imposer 51
. Lensemble des
dbats le concernant font tat de cette volont. Lattention des constituants est
immdiatement concentre sur le contrle des lections lgislatives et prsidentielles52
, sur
la protection du domaine rglementaire et sur lexamen systmatique des lois organiques
et des rglements des assembles. Selon les termes de Michel Debr, la Constitution
cre ainsi une arme contre la dviation du rgime parlementaire 53
.
20. Le Conseil constitutionnel nest en aucun cas pens comme une vritable
juridiction constitutionnelle. Toute proposition permettant lmergence dune telle
institution est rejete au nom de la peur du Gouvernement des juges 54
. La mfiance
envers le pouvoir juridictionnel, hrite de lHistoire, est clairement exprime par le
commissaire du Gouvernement, Raymond Janot. Face aux tenants de linstauration dun
contrle a posteriori de la constitutionnalit des lois actionn par les citoyens, il prcise la
vision gouvernementale de la comptence des membres du Conseil : Autant il parait sain
de leur donner la possibilit de faire en sorte quune loi ne soit pas promulgue, autant,
vraiment, permettre ce collge dannuler des lois, l, cest un pas qui est tellement
contraire toutes nos traditions constitutionnelles que le Gouvernement na pas cru devoir
le franchir. 55
Un second argument est mobilis. Il est allgu quune procdure
permettant au Conseil dannuler les lois en vigueur rejaillirait [...] sur le rle du
Parlement, qui se trouverait abaiss dans des conditions qui ne paraissent pas
51 R. JANOT et J. MASSOT, Les intentions du constituant , in C.C. (Dir.), Le Conseil constitutionnel a
40 ans, L.G.D.J., Paris, 1999, p. 20.
52 noter que cette dernire nest pas encore organise au suffrage universel direct.
53 M. DEBR, Discours devant le Conseil dtat , 27 aot 1958.
54 Selon lexpression consacre par E. LAMBERT, Le gouvernement des juges, rimpression de ldition de
1921, coll. Bibliothque Dalloz, Dalloz, Paris, 2005, 298 p. Le titre initial de louvrage est plus prcis :
Le gouvernement des juges et la lutte contre la lgislation sociale aux tats-Unis Lexprience
amricaine du contrle judiciaire de la constitutionnalit des lois.
55 Compte rendu de la sance du 31 juillet 1958 (aprs-midi) du Comit consultatif constitutionnel ,
in D.P.S. II, p. 104. Michel DEBR, garde des Sceaux, ne dit pas autre chose lors du discours prononc
devant le Conseil dtat : Il n'est ni dans l'esprit du rgime parlementaire, ni dans la tradition
franaise, de donner la justice, c'est--dire chaque justiciable, le droit d'examiner la valeur de la
loi. ; M. DEBR, Discours devant le Conseil dtat , prcit.
-
Introduction gnrale
31
convenables 56
. Paul Coste-Floret nest pas convaincu. Il estime quil serait plus juste
davouer que ce contrle gnerait le Gouvernement 57
. Raymond Janot expliquera,
quarante ans plus tard, que lobjectif en 1958 tait dviter dinstituer une vritable Cour
constitutionnelle 58
.
21. La position des rdacteurs de la Constitution sur la porte du contrle de
constitutionnalit mis en place rvle une certaine ambigit59
. Pour certains, en
particulier le professeur Franois Luchaire, il est vident que la procdure institue ne peut
aboutir qu la rsolution de conflits de comptence entre les pouvoirs publics. Les
intentions du garde des Sceaux sont moins claires. Michel Debr estime quaucun
organe de ltat ne doit se considrer comme souverain et que par consquent des lois
contraires la Constitution doivent pouvoir tre censures 60
. Un lment demeure
certain, le Gouvernement nentend pas doter dune valeur constitutionnelle les textes
auxquels se rfre le prambule61
. Il sagit dviter que le Conseil puisse sappuyer sur ces
dispositions pour les opposer la loi62
. Dfinitivement, lide dinstitutionnaliser une
justice constitutionnelle au sein des institutions de la Cinquime Rpublique est rejete par
principe en 1958.
22. La norme fondamentale porte toutefois en germe le dveloppement du contrle de
la constitutionnalit des lois. La volont de rationaliser le rgime parlementaire conduit
rompre tout lien organique entre le Conseil constitutionnel et les assembles
reprsentatives. Certes, les deux-tiers des membres du Conseil sont nomms par les
56 Compte rendu de la sance du 31 juillet 1958 (aprs-midi) du Comit consultatif constitutionnel ,
art. cit., p. 104. Largument ne manque pas dtonner au regard de lesprit de la Constitution en cours
de rdaction et de lampleur des restrictions imposes au Parlement.
57 Idem, p. 107.
58 R. JANOT et J. MASSOT, Les intentions du constituant , art. cit., p. 23.
59 D. MAUS, La naissance du contrle de constitutionnalit en France , art. cit., p. 733.
60 Compte rendu de la runion du groupe de travail du 8 juillet 1958 , in D.P.S. I, p. 382.
61 Compte rendu de la sance du 7 aot 1958 (aprs-midi) du Comit consultatif constitutionnel ,
in D.P.S. II, p. 254 et s.
62 Idem, p. 256.
-
Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
32
prsidents des chambres lgislatives. La situation demeure incomparable avec le systme
lectif instaur en 1946. Il sagit dune nomination, et non dune lection permettant de
respecter la composition des assembles, assortie de gages dindpendance. Un long
mandat est institu. Il est non-renouvelable. Surtout, aucun parlementaire en fonction ne
sige au sein du Conseil constitutionnel. Pour la premire fois en France, le contrle de la
loi sexternalise rellement. Linnovation conditionne leffectivit de la porte normative
des exigences constitutionnelles. dfaut, les dispositions de la norme fondamentale
ont le caractre de dispositions simplement alternatives laissant le choix de leur
respect au lgislateur63
.
23. Les modalits retenues par les constituants pour organiser les comptences du
Conseil sont dterminantes. Elles fixent la marge de manuvre de ce dernier. Elles ont
galement des rpercussions sur la perception de sa fonction par les autres organes
tatiques. Au fur et mesure de son mancipation, puis de son dveloppement, le Conseil
constitutionnel apparaitra, pour certains, comme un usurpateur. Son manque de lgitimit
sera rappel de nombreuses reprises, impliquant un exercice mesur de son office. La
comparaison avec la Cour de Karlsruhe, par exemple, est sans concession. Cre et conue
ds lorigine comme une juridiction part entire, elle cherchera affirmer sa spcificit
pour apparaitre comme une juridiction sans pareille 64
. linverse, lobjectif du
Conseil est de voir reconnaitre son caractre juridictionnel. Avant de dvelopper une
jurisprudence plus audacieuse, et plus adapte lobjet de son contrle, lenjeu est pour
lui dtre peru comme un juge, une simple juridiction. La relation noue par chaque
institution avec leur Parlement respectif est ncessairement impacte.
63 H. KELSEN, Thorie pure du droit, op. cit., p. 360 et s., spc. p. 363.
64 Sur la comparaison tablie, se rfrer C. SCHNBERGER, Le Conseil constitutionnel vu
dAllemagne : une marche difficile vers le sommet juridictionnel , Cahiers du Conseil constitutionnel,
1er
aot 2009, n 25, p. 63.
-
Introduction gnrale
33
2) Lutilisation politise de la saisine du Conseil constitutionnel
24. Louverture de la saisine soixante dputs ou soixante snateurs en 197465
modifie la place institutionnelle du Conseil constitutionnel en la rapprochant du
Parlement. Le succs de la rforme permet le dveloppement quantitatif de la
jurisprudence66
. La justice constitutionnelle sinscrit dans la dure. Lappropriation de la
saisine du Conseil par les membres de lopposition parlementaire devient la cl de voute
du contentieux de la constitutionnalit des lois. Le contexte politique et juridique de la
Cinquime Rpublique est dterminant pour comprendre lampleur du processus.
25. Le rgime institu en 1958, perfectionn en 1962 avec llection du prsident de la
Rpublique au suffrage universel direct67
, a produit un profond clivage de la vie politique
franaise. Le choix du scrutin majoritaire joue un rle de premier plan. Surtout, la
mainmise de lexcutif sur la procdure lgislative reprsente le principal facteur de la
promptitude de lopposition recourir au contrle de constitutionnalit. Cette
prdominance favorise la proposition et ladoption de textes controverss, suscitant
lintrt agir des parlementaires68
; intrt renforc par la position institutionnelle de
lopposition. La saisine du Conseil constitutionnel apparait comme lunique instrument
sa disposition pour peser un tant soit peu sur le processus lgislatif. Elle permet la dfense
dune position politique sur un terrain juridique. La controverse est objective. Elle est
appele tre tranche sur un critre ncessairement diffrent de celui induit par le
65 Loi constitutionnelle n 74-904 du 29 octobre 1974 prcite.
66 Dune dcision maximum par an, en ce qui concerne les lois ordinaires, le Conseil passe rapidement une
dizaine, voire une vingtaine. Se rfrer M. FATIN-ROUGE STFANINI et A. ROUX, Elments
statistiques , in ROUX (A.) et MAUS (D.) (Dir.), 30 ans de saisine parlementaire du Conseil constitutionnel : colloque et publication en hommage Louis Favoreu (22 octobre 2004 au Conseil
constitutionnel), coll. Droit public positif, Economica-P.U.A.M., Paris et Aix-en-Provence, 2006,
p. 152.
67 Loi n 62-1292 du 6 novembre 1962 relative l'lection du Prsident de la Rpublique au suffrage
universel, J.O.R.F., 7 novembre 1962, p. 10762.
68 linverse, dans tous les systmes o la mainmise de lexcutif est faible, le processus lgislatif tend
diluer, ou bloquer, les initiatives politiques les plus controverses ; A. STONE SWEET,
La politique constitutionnelle , in MOLFESSIS (N.), DRAGO (G.) et FRANOIS (B.) (Dir.),
La lgitimit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : colloque de Rennes, 20 et 21 septembre
1996, coll. tudes juridiques, Economica, Paris, 1999, p. 126.
-
Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
34
rapport de force majorit/opposition 69
. Le transfert dun conflit lorigine politique sur
la scne contentieuse provoque une redistribution de l environnement stratgique des
forces en prsence70
. Lopposition est linitiative et le bloc majoritaire sur la dfensive.
En cas de censure de dispositions lgislatives par le Conseil constitutionnel, la victoire
politique est de taille. Il sagit de la conscration, chaud, de lillgalit des choix
gouvernementaux71
. Pour les membres de lopposition, le rapport cout-utilit de la
saisine est gnralement favorable72
. Imagin en tant quinstrument du parlementarisme
rationalis, le contrle de la constitutionnalit des lois en est devenu le principal correctif.
26. Lexclusivit du contentieux a priori, jusquen 2010, matrialise la spcificit
franaise en matire de justice constitutionnelle. Loffice du Conseil se dveloppe dans ce
contexte. Il sen trouve ncessairement et minemment politis. La saisine se positionne
entre ladoption des dispositions contestes et leur promulgation. Elle ne peut tre active
que par des autorits politiques. Le contentieux sapparente une poursuite du dbat
lgislatif sur la scne juridique. Il caractrise un jugement objectif et immdiat des choix
du bloc majoritaire73
. Le contrle de constitutionnalit des lois est intgralement enserr
dans les contraintes de la procdure lgislative, quelles soient dordre temporel, matriel
ou organique. Dconnect organiquement des assembles reprsentatives, il reste sous la
dpendance du Parlement. Lexercice de la fonction juridictionnelle dpend de lexercice
de la fonction lgislative. En cela, la relation entretenue par le Conseil constitutionnel et le
Parlement est unique.
69 B. MERCUZOT, Les saisines parlementaires dans le contrle de constitutionnalit des lois ,
in ASSOCIATION FRANAISE DES CONSTITUTIONNALISTES, Vingt ans de saisine
parlementaire du Conseil constitutionnel : journe dtudes du 16 mars 1994, coll. Droit public positif,
Economica-P.U.A.M., Paris et Aix-en-Provence, 1995, p. 141.
70 A. STONE SWEET, La politique constitutionnelle , art. cit., p. 121.
71 La censure peut tout autant concerner des dispositions dorigine parlementaire. Cependant, limportance
de la maitrise gouvernementale de la procdure lgislative permet doprer un tel raccourci.
72 J. MEUNIER, Pour une approche "conomique" de la saisine , in ASSOCIATION FRANAISE DES
CONSTITUTIONNALISTES, Vingt ans de saisine parlementaire du Conseil constitutionnel : journe
dtudes du 16 mars 1994, coll. Droit public positif, Economica-P.U.A.M., Paris et Aix-en-Provence,
1995, p. 154. La mme ide est dfendue par A. STONE SWEET, La politique constitutionnelle ,
art. cit., p. 121.
73 Sur le caractre politique de la saisine a priori, se rfrer notamment J. BENETTI, La saisine
parlementaire (au titre de larticle 61 de la Constitution) , Nouveaux cahiers du Conseil
constitutionnel, 1er janvier 2013, n 38, p. 85 et s.
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Introduction gnrale
35
27. Un quilibre institutionnel sinstaure entre le Conseil et les assembles lgislatives.
Le quasi-monopole de fait dont [les membres de] la minorit [disposent] en matire de
saisine dtermine une permanence des requrants et au-del de leurs personnes, la
permanence des intrts de lopposition parlementaire [qui] leur donne un poids
considrable dans le procs fait la loi 74
. La politisation de la saisine place lavenir de la
jurisprudence constitutionnelle sous la dpendance du Parlement, ou tout du moins de ses
reprsentants. Pareil quilibre est inconnu des autres systmes juridiques. Il conditionne
lensemble de la problmatique du contrle de la constitutionnalit des lois et, par
consquent, la perception de loffice du Conseil constitutionnel. La juridiction
caractrisait, antrieurement lentre en vigueur de la question prioritaire de
constitutionnalit, davantage un contre-pouvoir au sein du parlementarisme rationalis75
quun organe de dfense et de promotion des droits et liberts du citoyen76
. Une analyse
strictement institutionnelle de linteraction entre le Parlement et le Conseil constitutionnel
met en lumire une certaine ambigit, ou plutt une ambigit certaine.
2) Les ambigits de la relation entre Parlement et
Conseil constitutionnel
28. La relation entre le Parlement et le Conseil constitutionnel est loin dtre linaire.
Au regard de lobjet du contrle de constitutionnalit des lois, il existe un antagonisme
entre les deux institutions (A). Rsumer linteraction entre les reprsentants lus de la
Nation et le gardien de la Constitution un affrontement continu serait rducteur. Le
Conseil nest pas rest cantonn un rle de protection des comptences du pouvoir
74 B. MERCUZOT, Les saisines parlementaires dans le contrle de constitutionnalit des lois , art. cit.,
p. 143.
75 Sur la notion de contre-pouvoir, se rfrer F. HOURQUEBIE, Sur lmergence du contre-pouvoir
juridictionnel sous la Vme Rpublique, Bruylant, Bruxelles, 2004, 678 p. et F. HOURQUEBIE,
Le contre-pouvoir, enfin connu. Pour une analyse de la dmocratie constitutionnelle en terme de
contre-pouvoirs , in de GAUDUSSON (J.), CLARET (P.), SADRAN (P.) et VINCENT (B.),
Dmocratie et libert : tension, dialogue, confrontation, coll. Mlanges, Bruylant, Bruxelles, 2007,
p. 99.
76 Pour une analyse compare de divers systmes de justice constitutionnelle, lire P. PASQUINO,
Le contrle de constitutionnalit : gnalogie et morphologie , art. cit., p. 35 et s.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
36
excutif. Les orientations de sa jurisprudence tmoignent, bien au contraire, dune volont
de garantir galement les prrogatives parlementaires. Par son office, le Conseil
constitutionnel reprsente, ce titre, un alli naturel des assembles. Rciproquement, le
Parlement est intervenu en faveur du Conseil, se muant ainsi en partenaire inattendu de la
juridiction. Un rapprochement entre les deux institutions a t observ en pratique (B). Il
ne sagit pas de retenir une approche chronologique, les deux processus tant
paralllement luvre, mais de mettre en vidence lambigit des rapports
institutionnels entre le Parlement et le Conseil constitutionnel.
A) Lantagonisme entre Parlement et Conseil
constitutionnel
29. Le Parlement et le Conseil constitutionnel exercent des fonctions antagonistes.
Linstitutionnalisation dun contrle de constitutionnalit des lois fait naitre une
concurrence entre ces institutions dans la mesure o le second a notamment pour mission
de contrler les actes du premier. Par essence, ce contentieux participe la remise en
cause de la souverainet parlementaire opre en 1958 (1). Il en est mme le principal
obstacle. Il sattaque au fondement de la toute-puissance lgislative, la confusion entre la
volont des reprsentants et celle des reprsents. cela sajoute la sparation des
pouvoirs, laquelle les deux institutions sont particulirement attaches, suscitant une
volont de marquer et de prserver la plus grande autonomie institutionnelle possible.
Dans cette optique, le Parlement a us de ses comptences pour brider la monte en
puissance du Conseil constitutionnel (2).
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Introduction gnrale
37
1) Le Conseil constitutionnel, obstacle la souverainet
parlementaire
30. Lmergence et le dveloppement dun contentieux de la constitutionnalit des lois
en France a boulevers la structure de lordre juridique. Lintervention dun juge charg de
vrifier la conformit des dispositions lgislatives vis--vis de la norme fondamentale a
consacr leffectivit normative de cette dernire. Le principe de constitutionnalit sest
substitu au principe de lgalit pour lenglober : La lgalit est dsormais une simple
composante de la constitutionnalit. 77
La monte en puissance du constitutionnalisme
moderne a mis mal la souverainet parlementaire et son corolaire, le lgicentrisme78
. Par
dfinition, loffice du Conseil constitutionnel met un terme lintangibilit de la loi. La
ncessaire validit juridique des dispositions lgislatives reprsente une contrainte
supplmentaire celles d'ordre politique dcoulant du fonctionnement d'un systme
dmocratique 79
. Conformment aux souhaits des constituants, et suivant une volont de
marquer son autonomie institutionnelle lgard du Parlement, la premire orientation
jurisprudentielle sera dassurer la dfense des prrogatives gouvernementales. Le contrle
des rglements de chaque assemble permet en outre de veiller ce que les parlementaires
ne contournent pas les obligations constitutionnelles. Le Conseil se place demble dans
loptique de se conformer sa fonction initiale. Il se montre mme plus royaliste que le
Roi , sattirant les foudres de la reprsentation nationale et tout particulirement du
Snat80
.
77 L. FAVOREU, Lgalit et constitutionnalit , Cahiers du Conseil constitutionnel, premier semestre
1997, n 3, p. 77. Sur cette question, se rfrer galement L. FAVOREU, Le principe de
constitutionnalit. Essai de dfinition daprs la jurisprudence du Conseil constitutionnel , in Recueil
dtudes en hommage Charles Eisenmann, d. Cujas, Paris, 1975, p. 34.
78 A. STONE SWEET, La politique constitutionnelle , art. cit., p. 119.
79 A. STEVENS, Le Conseil constitutionnel vu doutre-Manche : une nigme ? , Cahiers du Conseil
constitutionnel, 1er aot 2009, n 25, p. 58.
80 A. DELCAMP, Le Conseil constitutionnel et le Parlement , R.F.D.C., 2004, n 57, p. 40 et s.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
38
31. Plus encore, en intgrant les droits et liberts fondamentaux dans les normes de
rfrence de son contrle, le Conseil constitutionnel interroge le fondement de la
souverainet parlementaire. En procdant un examen de la constitutionnalit interne des
lois, il vrifie la conformit juridique des choix substantiels oprs par les reprsentants
lus de la Nation. La logique sous-jacente est celle dune mise distance des
gouvernants et des gouverns 81
. Le lgicentrisme rpublicain reposait sur un transfert de
souverainet, du peuple vers les reprsentants de ce dernier. Llection des parlementaires
au suffrage universel consacrait une lgitimit incontestable, tout du moins juridiquement
inconteste, leur permettant dexprimer la volont gnrale au nom de la Nation. Le
Parlement tait souverain82
. Le professeur Dominique Rousseau dmontre comment
lintervention du Conseil constitutionnel opre une rupture entre les reprsents et les
reprsentants. Il sappuie notamment sur la dcision relative aux lois de nationalisation
dans le cadre de ce raisonnement83
. Le Conseil y recherche expressment la volont du
peuple en se fondant sur les diffrents rfrendums constituants organiss depuis 1946. Il
en dduit lattachement de la socit franaise au droit de proprit tel que dfini aux
articles 2 et 17 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen84
. Il oppose en
lespce la volont des reprsents aux dispositions contrles exprimant, ds lors,
uniquement la volont des reprsentants.
81 Thse particulirement dfendue par le professeur Dominique ROUSSEAU. Voir notamment
D. ROUSSEAU : La jurisprudence constitutionnelle : quelle "ncessit dmocratique" ? ,
in MOLFESSIS (N.), DRAGO (G.) et FRANOIS (B.) (Dir.), La lgitimit de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel : colloque de Rennes, 20 et 21 septembre 1996, coll. tudes juridiques, Economica, Paris, 1999, p. 367 ; Pour une cour constitutionnelle ? , R.D.P., 2002, n 1/2, p. 364 et s.
ou encore Droit du contentieux constitutionnel, 10e d., coll. Domat droit public, Montchrestien, Paris,
2013, p. 540 et s.
82 Cette ide ressort explicitement de louvrage de R. CARR DE MALBERG, Contribution la Thorie
gnrale de ltat Spcialement daprs les donnes fournies par le droit constitutionnel franais,
Dalloz, Paris, 2004, 1526 p.
83 D. ROUSSEAU, La jurisprudence constitutionnelle : quelle "ncessit dmocratique" ? , art. cit.,
p. 367.
84 C.C., n 81-132 D.C., Loi de nationalisation, 16 janvier 1982, cons. 14 et 15, Rec. C.C. p. 18, J.O.R.F.,
17 janvier 1982, p. 299 ; G.D.C.C. p. 366.
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Introduction gnrale
39
32. La simple existence du contentieux constitutionnel met donc un terme la
souverainet parlementaire85
. La substitution du constitutionnalisme au lgicentrisme est
parfaitement illustre par la formule du Conseil selon laquelle la loi vote [...] n'exprime
la volont gnrale que dans le respect de la Constitution 86
. Les reprsentants lus de la
Nation nexpriment plus seuls la volont gnrale, leur apprciation est susceptible dtre
remise en cause par le juge. Les droits et liberts fondamentaux sont garantis contre le
lgislateur et non plus par ce dernier. Avant linstauration de la question prioritaire de
constitutionnalit, les parlementaires disposaient encore dune importante marge de
manuvre. Lexclusivit de la saisine a priori, son caractre facultatif et le monopole des
autorits politiques maintenaient lintervention du juge lentire discrtion de
personnalits intervenant au cours du processus lgislatif. Sans volont politique de saisir
le Conseil, la loi suffisait dtre vote par le Parlement pour tre rpute exprimer la
volont gnrale. Seul le contrle de conventionalit pouvait conduire ne pas appliquer
telle ou telle disposition lgislative, et ce tout en la laissant en vigueur au sein de lordre
juridique87
. Par leur totale maitrise, en pratique, de lintervention du juge constitutionnel,
les parlementaires conservaient la mainmise sur les modalits dexpression de la volont
gnrale.
33. En outre, le dveloppement du contrle de constitutionnalit des lois ne rompt pas
dfinitivement avec toute forme de confusion entre les gouvernants et les gouverns. Le
paradigme lgicentriste sest simplement dplac au niveau normatif suprieur. Il sest
dplac dans toutes ses dimensions, du fondement de la souverainet , savoir la
reprsentation des citoyens, ses implications et en particulier lintangibilit de la norme
adopte. De la toute-puissance de la loi vote par le Parlement lgislateur ,
85 noter galement que la Constitution de 1958 contient nombre dinstruments du parlementarisme
rationalis qui, eux-aussi, remettent en cause la souverainet du Parlement.
86 C.C., n 85-197 D.C., Loi sur l'volution de la Nouvelle-Caldonie, 23 aot 1985, cons. 27,
Rec. C.C. p. 70, J.O.R.F., 24 aot 1985, p. 9814.
87 Les arrts de principe admettant lexercice dun contrle diffus de la conventionalit des lois sont pour
chaque ordre juridictionnel : C. Cass., chambre mixte, n 73-13.556, Jacques Vabre, 24 mai 1975 et
C.E., ass., Nicolo, 20 octobre 1989, Rec. Leb. p. 190.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
40
un glissement sest opr vers la toute-puissance de la Constitution rvise par le
Parlement constituant 88
.
2) Le Parlement, obstacle la lgitimit du Conseil constitutionnel
34. Le Parlement, tout comme le Conseil constitutionnel par ailleurs, est trs attach
la sparation des pouvoirs. Ainsi, il a eu cur de prserver son autonomie face une
institution dont linfluence normative grandissait de manire exponentielle. Les
parlementaires peroivent parfois souvent ? les dcisions du Conseil constitutionnel
comme une ingrence dans lexercice de la fonction lgislative89
. Cette ingrence leur
semble dautant plus illgitime que les membres de la juridiction ne sont pas lus par le
peuple mais nomms par des autorits politiques. Le pouvoir de nomination nest mme
pas limit par lexigence dune comptence particulire. Il sexerce librement. Ce
sentiment produit en raction une volont de brider la monte en puissance du contrle de
la constitutionnalit des lois. Le rejet du projet de rvision constitutionnelle dpos en
mars 1990 en est une premire illustration90
. Les parlementaires se prononcent contre la
mise en place dun mcanisme de contrle a posteriori actionn par les justiciables au
cours dun litige principal, projet officieusement91
impuls par le Conseil constitutionnel
88 La distinction entre Parlement lgislateur et Parlement constituant se fonde sur lexpression
consacre par le professeur Louis FAVOREU. Se rfrer L. FAVOREU, Le Parlement constituant
et le juge constitutionnel , in Mlanges en lhonneur de Pierre Avril La Rpublique, Montchrestien,
Paris, 2001, p. 235.
89 J.-L. WARSMANN, La place du Conseil constitutionnel dans les institutions de la Ve Rpublique ,
Cahiers du Conseil constitutionnel, 2009, hors-srie, p. 17.
90 Les propositions de revalorisation du contrle de constitutionnalit des lois antrieures 1974 sont
volontairement laisses de ct ; ces propositions manant de parlementaires, en grande majorit de
dputs, nont pas conduit la manifestation dune volont de brider la monte en puissance du
contrle de constitutionnalit des lois. Lire sur ce point P. JUILLARD, Difficults du changement en
matire constitutionnelle : la rvision de larticle 61 de la Constitution , R.D.P., 1974, p. 1703.
91 Plus ou moins car le prsident du Conseil constitutionnel, Robert BADINTER, avait publiquement pris
position sur ce point dans un article de presse. Voir G. DRAGO, Contentieux constitutionnel franais,
op. cit., p. 425.
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Introduction gnrale
41
lui-mme92
. Une procdure identique sera nouveau propose en 1993. Elle connaitra le
mme sort, sans trop de surprise93
.
35. La dfense de largumentation dveloppe par les opposants la rforme saxe
principalement autour des avantages du contrle a priori94
. Le souci de maintenir la
scurit juridique y figure en bonne place. Linstauration du contrle envisag tait perue
comme faisant planer une constante incertitude sur la validit des lois en vigueur95
.
Malgr lopposition du R.P.R. et du parti communiste, le projet est adopt par la majorit
socialiste de lAssemble nationale en 1990. Il ne passera pas lexamen snatorial au cours
duquel il se voit amend de nombreuses modifications totalement trangres lobjet
initial du texte et inacceptables tant pour lexcutif que pour la majorit lgislative96
. Le
refus nest pas assum mais il est bel et bien prsent. Les snateurs percevaient dans le
mcanisme en cours de discussion une atteinte supplmentaire porte l'autorit de la
loi et une condamnation en creux du systme reprsentatif 97
. De manire gnrale, les
parlementaires ne voyaient pas dun bon il le dveloppement du Conseil au regard des
consquences sur le travail lgislatif. Ils ne souhaitaient pas connaitre un nouvel
abaissement du Parlement, dont linfluence a dj t srieusement corne depuis
1958 98
. Pour les reprsentants de la Nation, louverture de laccs au juge en faveur des
justiciables conduisait lui consacrer une lgitimit au moins gale celle du Parlement99
.
En 1993, larrive au pouvoir dune nouvelle majorit enterre de facto le projet de
modification de la saisine du Conseil constitutionnel dpos peu de temps auparavant.
92 J. BENETTI, La gense de la rforme de 1990 2009 , A.J.D.A., 2010, n 2, p. 75.
93 G. CARCASSONNE, Le Parlement et la QPC , Pouvoirs, 2011, n 137, p. 73 et 74.
94 D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 42.
95 D. CHAUVAUX, Lexception dinconstitutionnalit, 1990-2009 : rflexions sur un retard , R.D.P.,
2009, n 3, p. 570.
96 Le professeur Guy CARCASSONNE illustre lattitude snatoriale par lajout dune disposition tendant
amputer massivement le droit de "dernier mot" des dputs. G. CARCASSONNE, Le Parlement
et la QPC , art. cit., p. 74.
97 J. BENETTI, La gense de la rforme de 1990 2009 , art. cit., p. 76.
98 L. DESCOT et S. RAPIN, Les parlementaires et la modification du champ organique de la saisine du
Conseil constitutionnel , in JAN (P.) et ROY (J.-P.) (Dir.), Le Conseil constitutionnel vu du
Parlement, Ellipses, Paris, 1997, p. 149.
99 A. DELCAMP, Le Conseil constitutionnel et le Parlement , art. cit., p. 61.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
42
36. Les reprsentants de la Nation considrent, lpoque, que le meilleur moyen de
prserver leur autonomie fonctionnelle est de laisser le Conseil constitutionnel en prise
exclusive avec la dmocratie parlementaire100
. Les rsultats dune enqute mene auprs
des dputs et des snateurs, publie en 1997, illustrent leur souci de ne pas tre
concurrencs dans laccs au juge constitutionnel. La position de chaque parlementaire
dpend dune srie de facteurs lappartenance telle ou telle chambre, tel ou tel
groupe, tel ou tel parti mais un intrt catgoriel se dessine sur la question. La saisine
du Conseil y est perue de manire gnrale comme un instrument normal de larsenal
parlementaire , instrument forte connotation politique 101
. Au-del dune volont de
brider la monte en puissance du contrle de constitutionnalit des lois, les reprsentants
de la Nation ont certainement souhait prserver leur monopole de saisine. Ceci
expliquerait quaprs avoir particip au dveloppement de loffice du juge constitutionnel,
en 1974, ils soient apparus comme un obstacle ce processus. Derrire lambigit
apparente de ces prises de positions opposes, le critre de distinction serait in fine la
dfense de lintrt parlementaire. En 1974, il sagissait plus de confrer un nouveau droit
lopposition que de participer lmergence dune justice constitutionnelle effective. En
1990 et 1993, les parlementaires avaient peu gagner et beaucoup perdre en acceptant
douvrir le prtoire du juge aux justiciables102
. Cest se demander si lchec de la
rvision de 1974 naurait [...] pas permis le succs du projet Badinter de 1989 ? Ou, dit
autrement, la transformation du rle du Conseil constitutionnel provoque par la rvision
de 1974 na-t-elle pas inquit les parlementaires au point quils refusent daccroitre
encore son pouvoir par le jeu de lexception dinconstitutionnalit 103
?
100 Sur lensemble de cette question, lire L. DESCOT et S. RAPIN, Les parlementaires et la modification
du champ organique de la saisine du Conseil constitutionnel , art. cit., p. 133 et s.
101 P. JAN et J.-P. ROY (Dir.), Le Conseil constitutionnel vu du Parlement, Ellipses, Paris, 1997,
respectivement p. 17 et 16.
102 La formulation parle delle-mme.
103 D. ROUSSEAU, La rforme du 29 octobre 1974 vue en 1994 : le "big bang" de la dmocratie
constitutionnelle ?, in ASSOCIATION FRANAISE DES CONSTITUTIONNALISTES, Vingt ans
de saisine parlementaire du Conseil constitutionnel : journe dtudes du 16 mars 1994, coll. Droit
public positif, Economica-P.U.A.M., Paris et Aix-en-Provence, 1995, p. 67.
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Introduction gnrale
43
B) Le rapprochement du Parlement et du Conseil
constitutionnel
37. Lantagonisme entre le Parlement et le Conseil constitutionnel semble
insurmontable. Comment rapprocher ces institutions alors que le second est charg de
contrler la composition, les rgles dorganisation et de fonctionnement ainsi que les actes
vots par le premier ? Derrire les apparences, des ponts se sont dresss entre les
reprsentants lus de la Nation et le gardien de la Constitution. Lintensit de la
rationalisation du parlementarisme opre en 1958 a conduit repenser la fonction
lgislative. La procdure dadoption des lois dont le domaine dintervention est
dsormais encadr est principalement impulse et conduite par le Gouvernement.
Lefficacit du rgime, tant recherche par les constituants, est atteinte. Lenjeu a volu
et la question se pose de savoir comment protger les intrts parlementaires face un
pouvoir excutif aux comptences renforces. Le Conseil constitutionnel a peru
lvolution. Une partie de son office consiste garantir le respect des prrogatives
constitutionnelles du Parlement (1). Il est le gardien de toute la Constitution.
38. Les parlementaires ont galement particip ce mouvement de rapprochement
institutionnel. La marge de manuvre dont le Conseil dispose aujourdhui doit beaucoup
lintervention des assembles lgislatives. Lorsque le Parlement se mue en pouvoir de
rvision de la norme fondamentale, le rapport de force avec le juge constitutionnel se
renverse. Dans ce contexte, ce sont les reprsentants de la Nation qui fixent les contraintes
encadrant le travail du Conseil. Si lexercice du pouvoir de rvision a pu conduire brider
le dveloppement de la justice constitutionnelle104
, il sest avr tout autant dterminant
pour en assurer la promotion. Sans lintervention du Parlement, le Conseil ne serait pas ce
quil est aujourdhui (2).
104
Cf. supra, 2) Le Parlement, obstacle la lgitimit du Conseil constitutionnel, paragr. 34 et s.
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Les relations entre Parlement et Conseil constitutionnel
44
1) La protection constitutionnelle du Parlement
39. La protection constitutionnelle du Parlement se manifeste en premier lieu par la
revalorisation de sa comptence matrielle. Figurant au nombre des innovations les plus
marquantes de la Cinquime Rpublique, le domaine de la loi a t encadr par la
combinaison des articles 34 et 37 de la Constitution. Lobjectif des rdacteurs de la norme
fondamentale tait toujours dans lide de rationaliser le parlementarisme de renverser
le paradigme des rgimes prcdents en dotant le pouvoir rglementaire dune comptence
de principe, et le pouvoir lgislatif dune comptence dattribution. Or, la rvolution na
pas eu lieu 105
. Le Conseil constitutionnel, avec le consentement tacite du Gouvernement,
sest employ vider de sa substance la distinction opre en 1958. Llargissement du
domaine dintervention de la loi a t favoris par une lecture extensive des prescriptions
de larticle 34106
. Surtout, le juge a refus de sanctionner dinconstitutionnalit les
dispositions lgislatives intervenant dans le domaine rglementaire107
. Le raisonnement
tient en la prise en compte des procdures permettant au Gouvernement de veiller au
respect de la rpartition des comptences assure par les articles 34 et 37 de la
Constitution. Ces procdures sont compltes. Le pouvoir excutif peut sopposer, en cours
de discussion, ladoption par le Parlement de dispositions lgislatives relevant du
domaine du rglement. De plus, si de telles dispositions taient en vigueur, il pourrait
saisir le Conseil en vue de procder la reconnaissance de leur caractre rglementaire.
tout moment, le Gouvernement peut recouvrir sa comptence. En ne sanctionnant pas,
dans le cadre du contrle de constitutionnalit des lois, limmixtion du pouvoir lgislatif
105 J. RIVERO, Rapport de synthse , in FAVOREU (L.) (Dir.), Le domaine de la loi et du rglement,
2e d., coll. Droit public positif, Economica, Paris, 1981, p. 263.
106 Le juge a utilis plusieurs biais. Il a annihil la diffrence entre les rgles et les principes fondamentaux,
distinction pose par larticle 34 de la Constitution. Il a galement combin les dispositions de larticle
34 pour tendre et renforcer la comptence du lgislateur . Il a enfin interprt largement la notion
de garanties fon