les semences forestières : un outil d'adaptation aux changements climatiques · 2013. 12....

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Les semences forestières : un outil d’adaptation aux changements climatiques Catherine Périé Direction de la recherche forestière, ministère des Ressources naturelles, 2700, rue Einstein, Québec (Québec) G1P 3W8 [email protected] Catherine Périé a obtenu une maîtrise de physiologie végétale à l’Université Paul Sabatier (Toulouse, France) en 1993. Elle a poursuivi ses études à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (France) où, en 1994, elle a obtenu un diplôme d’études supérieures approfondies. En 2003, l’Université Laval lui décernait un doctorat en sciences forestières. Depuis 2001, elle est à l’emploi de la Direction de la recherche forestière à titre de chercheuse. Ses travaux de recherche portent sur l’étude de l’impact des perturbations d’origine anthropique ou naturelle sur les écosys- tèmes forestiers du Québec. Ces dernières années, elle s’intéresse plus particulièrement à l’étude de l’impact des changements climatiques sur la composition des forêts du Québec afin d’évaluer leur vulnérabilité au réchauffement du climat.

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Page 1: Les semences forestières : un outil d'adaptation aux changements climatiques · 2013. 12. 17. · n’est plus garant de l’avenir. Les forêts de demain pourraient présenter un

Les semences forestières : un outil d’adaptation aux changements climatiques

Catherine Périé

Direction de la recherche forestière, ministère des Ressources naturelles, 2700, rue Einstein, Québec (Québec) G1P 3W8

[email protected]

Catherine Périé a obtenu une maîtrise de physiologie végétale à l’Université Paul Sabatier (Toulouse, France) en 1993. Elle a poursuivi ses études à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (France) où, en 1994, elle a obtenu un diplôme d’études supérieures approfondies. En 2003, l’Université Laval lui décernait un doctorat en sciences forestières. Depuis 2001, elle est à l’emploi de la Direction de la recherche forestière à titre de chercheuse. Ses travaux de recherche portent sur l’étude de l’impact des perturbations d’origine anthropique ou naturelle sur les écosys-tèmes forestiers du Québec. Ces dernières années, elle s’intéresse plus particulièrement à l’étude de l’impact des changements climatiques sur la composition des forêts du Québec afin d’évaluer leur vulnérabilité au réchauffement du climat.

Page 2: Les semences forestières : un outil d'adaptation aux changements climatiques · 2013. 12. 17. · n’est plus garant de l’avenir. Les forêts de demain pourraient présenter un

Avec l’influence des changements climatiques, le passé n’est plus garant de l’avenir. Les forêts de demain pourraient présenter un aspect bien différent de celui d’aujourd’hui. L’adaptation du secteur forêts aux chan-gements climatiques est un défi de taille, tant ces derniers ont le potentiel de modifier considérablement l’éco système forestier.

Les changements climatiques anticipés au Québec pour la fin du 21e siècle (2071-2100)En combinant plusieurs scénarios d’émissions de gaz à effet de serre et en utilisant plusieurs modèles de simu-lation du climat, Logan et al. (2011) ont produit un Atlas de scénarios climatiques pour la forêt québécoise. Par rapport aux étés de la fin du 20e siècle, ceux de la fin du 21e siècle seront considérablement plus chauds (valeur médiane = +3,2 °C ; Tableau 1) ; les précipitations, quant à elles, diminueront très faiblement (valeur médiane  = -1,5 % ; Tableau 1), ce qui laisse entrevoir une augmenta-tion des risques de sécheresse, surtout dans la partie la plus méridionale de la province.

Les impacts potentiels, à la fin du 21e siècle (2071-2100), des changements climatiques sur l’habitat des espèces ligneuses actuellement présentes au QuébecÀ la fin du 20e siècle, 49 espèces ligneuses étaient présentes au Québec. D’ici la fin du 21e siècle, 14 d’entre elles pourraient être mésadaptées aux nouvelles condi-tions climatiques sur plus de la moitié du territoire qu’elles occupent actuellement au Québec (Figure 1a). Certaines, comme le pin gris (Pinus banksiana Lamb.), l’épinette blanche (Picea glauca [Moench] Voss), le mélèze laricin (Larix laricina [Du Roi] K. Koch) et le sapin baumier (Abies balsamea [L.] Mill.), présenteront même des risques de dépérissement sévères sur plus de 20 % de leur territoire actuel. De façon générale, ce sont les secteurs les plus méridionaux des aires de répartition qui, avec le réchauf-fement du climat, deviendront les plus défavorables au maintien de ces espèces. Cependant, à l’exception du pin gris et de l’épinette noire, toutes pourraient avoir, à la fin du 21e siècle, de nouveaux territoires favorables à leur présence (Figure 1b). En outre, pour la plupart, les secteurs les plus septentrionaux de leur aire de réparti-tion leur demeureront favorables (Figure 1c).

Tableau 1. Estimation des valeurs futures (2071-2100) de températures moyennes et de précipitations totales par rapport à la période de référence (1971-2000), pour les forêts sous aménagement au Québec. Les valeurs indiquées sont celles de la valeur médiane, accompagnées de celles du 10e et du 90e centiles entre parenthèses (N = 139 scénarios climatiques).

Anomalies climatiques1Périodes

Annuel Hiver (DJF) Été (JJA)Température moyenne (°C) +3,71 (+2,28 à +5,14) +4,94 (+3,01 à +6,88) +3,24 (+1,79 à +4,68)Précipitations totales (%) +14,04 (+7,02 à +21,06) +23,02 (+8,98 à +37,06) -1,51 (-2,71 à + 0,31)

Adapté de Logan et al. (2011)1 Une anomalie climatique se définit comme l’écart entre la valeur projetée et la valeur de référence.

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magnolia à grandes feuillestilleul blanc

pin grisérable noir

épinette blanchemélèze laricinsapin baumierépinette noire

bouleau à papierépinette rouge

thuya occidentalpeuplier baumier

frêne noirsorbier d’Amérique

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Aire de répartition1961-1990 au Québec (%)

M+P M- M

magnolia à grandes feuillestilleul blanc

pin grisérable noir

épinette blanchemélèze laricinsapin baumierépinette noire

bouleau à papierépinette rouge

thuya occidentalpeuplier baumier

frêne noirsorbier d’Amérique

GAire de répartition1961-1990

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100% de l’aire d’étude au Québec

60°W

60°W

65°W

65°W

70°W

70°W

75°W

75°W80°W

50°N

50°N

45°N

45°N

MRN | DRF | Partington & Périé | Projet #112959220

Épinette noire - Projection 2080

Perte (P)

Maintien (M-)

Davantagedéfavorables

cc futurespar rapport à 1990

Davantagefavorables

Similaires Maintien (M)

Absence (A) Gain (G)

Maintien (M+)

Figure 1. Effets anticipés, à la fin du 21e siècle, des changements climatiques sur l’aire de répartition1961-1990 (a) et sur l’habitat poten-tiel au Québec à la fin du 21e siècle (b) des 14 espèces les plus vulnérables. L’épinette noire est ici utilisée à titre d’exemple pour illustrer la spatialisation de ces effets (c) (adapté de Périé et al. [soumis]). Les codes de devenir des espèces sont : A (Absent) : l’habitat n’était pas favorable à la présence de l’espèce durant la période de référence et continuera à ne pas l’être dans le futur ; P (Pertes) : l’habitat était favorable à la présence de l’espèce durant la période de référence mais ne le sera plus dans le futur ; M- (Maintien) : l’habitat était favorable à la présence de l’espèce durant la période de référence et continuera à l’être dans le futur, mais les conditions climatiques (cc) lui seront moins favorables que pendant la période de référence (écart de plus de 15 %) ; M (Maintien) : l’habitat était favorable à la présence de l’espèce durant la période de référence et continuera à l’être dans le futur, et les conditions climatiques ne lui seront ni plus ni moins favorables que pendant la période de référence (écart de moins de 15 %) ; M+ (Maintien) : l’habitat était favorable à la présence de l’espèce durant la période de référence et continuera à l’être dans le futur, et les conditions climatiques lui seront davan-tage favorables que pendant la période de référence (écart de plus de 15 %) ; G (Gain) : L’habitat n’était pas favorable à la présence de l’espèce durant la période de référence, mais le deviendrait dans le futur.

a c

b

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0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Aire de répartition1961-1990 au Québec (%)

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100% de l’aire d’étude au Québec

épinette bleueérable rougeorme rouge

charme américaincaryer codiforme

frêne de Pennsylvaniepeuplier deltoides

chêne rougemagnolia acuminé

caryer ovalecyprès blanc de l’Atlantique

chêne bicolorechêne ellipsoïdal

saule noir

épinette bleueérable rougeorme rouge

charme américaincaryer codiforme

frêne de Pennsylvaniepeuplier deltoides

chêne rougemagnolia acuminé

caryer ovalecyprès blanc de l’Atlantique

chêne bicolorechêne ellipsoïdal

saule noir

60°W

60°W

65°W

65°W

70°W

70°W

75°W

75°W80°W

50°N

50°N

45°N

45°N

MRN | DRF | Partington & Périé | Projet #112959220

M+M

GAire de répartition1961-1990

Chêne rouge - Projection 2080par rapport à 1990

Perte (P)

Maintien (M-)

Davantagedéfavorables

cc futures

Davantagefavorables

Similaires Maintien (M)

Absence (A) Gain (G)

Maintien (M+)

Figure 2. Effets anticipés, à la fin du 21e siècle, des changements climatiques sur l’aire de répartition1961-1990 (a) et sur l’habitat poten-tiel au Québec à la fin du 21e siècle (b) des 14 espèces les moins vulnérables. Le chêne rouge est ici utilisé à titre d’exemple pour illustrer la spatialisation de ces effets (c) (adapté de Périé et al. [soumis]). Les codes de devenir des espèces sont les mêmes qu’à la figure 1.

D’autres, au contraire, pourraient être avantagées par les changements climatiques sur quasiment la totalité du territoire qu’elles couvrent actuellement au Québec; 13 de ces 14 espèces sont des espèces feuillues actuelle-ment peu répandues au Québec (à l’exception de l’érable rouge [Acer rubrum L.]), et une est une espèce rési-neuse, l’épinette bleue (Picea pungens Engelm.), égale-ment marginale au Québec (Figure  2a). Les conditions

favorables à leur présence couvriront de nouveaux terri-toires, situés au nord de leur aire de répartition actuelle (Figure 2b). En outre, même dans la partie la plus méri-dionale de leur aire de répartition actuelle au Québec, les conditions climatiques de la fin du 21e siècle leur demeu-reront au moins aussi favorables qu’elles l’étaient à la fin du 20e siècle (Figure 2c).

a c

b

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Le Québec, terre d’asile ?À la fin du 21e  siècle, 41 nouvelles espèces pourraient trouver au Québec des conditions géoclimatiques favo-rables à leur installation. Si toutes étaient capables de s’installer et de croître dans ces nouveaux territoires, le nombre d’espèces ligneuses présentes au Québec pour-rait quasiment doubler en un siècle. Cependant, la grande majorité d’entre elles demeureront marginales (Figure 3) à l’exception du chêne à feuille de houx (Quercus illifolia Wangenh.), du pin rigide (Pinus rigida Mill.) et du bouleau flexible (Betula lenta L.) qui pourraient occuper plus du quart de la superficie de la forêt sous aménagement au Québec.

La plantation : un outil d’adaptation aux changements climatiques L’adaptation aux changements climatiques désigne l’en-semble des initiatives et mesures qui visent à réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains contre les effets réels ou attendus des changements clima-tiques. La plantation est très vraisemblablement l’une des mesures les plus efficaces pour adapter les forêts au climat de demain, car le choix judicieux des espèces ou des provenances qui seront plantées permet de diminuer la sensibilité des peuplements aux changements clima-tiques. Cependant, reboiser en pensant à ce que pourrait être la forêt de demain soulève de nombreuses questions et nous oblige à faire des choix parmi l’ensemble des mesures d’adaptation possibles.

• Espèces traditionnelles du programme de reboisement :

– Dispose-t-on des connaissances suffisantes pour l’en-semble des espèces résineuses (nouveaux territoires d’utilisation des sources de semences; projet d’André Rainville) ?

– Faudrait-il dès aujourd’hui récolter et conserver les semences qui seront utilisées au cours des prochaines décennies ?

– Très peu d’espèces feuillues sont actuellement plan-tées. Pourtant, en général, les conditions futures leur semblent davantage favorables qu’elles ne le sont pour les espèces résineuses indigènes…

Figure 3. Nombre de nouvelles espèces qui auront un habitat favorable à leur présence au Québec, par classe de superficie. Ces espèces sont actuellement absentes du Québec.

0

5

10

15

20

< 1 % 1-5 % 5-10 % 10-20 % > 30 %Superficie du Québec forestier

Nom

bre

d'e

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• Nouvelles espèces : Migration assistée

– Pour des espèces indigènes  comme le chêne rouge, devrait-on réaliser des plantations dans les nouveaux secteurs qui leur deviendraient favorables dans le futur (au nord de la limite septentrionale de leur aire de répar-tition actuelle) ?

– Pourquoi ne pas commencer à introduire des espèces non indigènes (ou très marginales au Québec)  comme le pin rigide ?

• Conservation de la biodiversité du Québec :

– Très peu d’espèces sont conservées dans les banques de semences. Veut-on remédier à cela ? Que faire pour la conservation des espèces non orthodoxes ?

Le défi posé par les changements climatiques réside dans le fait que les conditions environnementales (pollu-tion atmosphérique, conditions climatiques, nouvelles perturbations naturelles) qui prévaudront à la fin du siècle seront très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Même si ce constat soulève de nombreuses questions, il ne faudra pas attendre de répondre à toutes avec certi-tude avant de commencer à agir, car c’est dès aujourd’hui que l’on façonne le visage de la forêt de demain.

Bibliographie

Logan, T., I. Charron, D. Chaumont et D. Houle, 2011. Atlas de scénarios climatiques pour la forêt québécoise. Rapport produit par Ouranos pour le ministère des Ressources natu-relles et de la Faune du Québec. 124 p.http://www.ouranos.ca/media/publication/162_AtlasForet2011.pdf

Périé,  C., S.  de  Blois, M.-C.  Lambert et N.  Casajus (soumis). Effets anticipés des changements climatiques sur l’habitat des espèces ligneuses du Québec. Gouvernement du Québec, Ministère des Ressources naturelles, Direction de la recherche forestière. Mémoire de recherche forestière.

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