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Les vagues stratégiquesBrève histoire de la stratégie
L’art de la guerrePour Sun Tzu, auteur de « L'art de la guerre » (Ve siècle av.J-C.), le but d’un général en guerre est de forcer l'ennemi à abandonner la lutte, y compris sans engager le combatL’art de conduire l’armée invite à employer la surprise, la ruse et l'espionnage (conquête de l'information). Cinq principes à retenir :• Viser la victoire : n’engagez le combat que si vous avez des atouts
offensifs et défensifs• Concentrer ses moyens sur les forces et sur les alliés : ne perdez pas
votre temps à pleurer vos faiblesses• Estimer le risque de la stratégie choisie• Être capable de se remettre en cause• Se détacher ou décrocher si la situation évolue défavorablement
L’art de la guerre
Pour Carl Von Clausewitz (général prussien auteur de « De la guerre », traité de stratégie militaire rédigée en majeure partie après les guerres napoléoniennes, entre 1816 et 1830), la stratégie repose sur trois piliers : • la concentration des forces• l'économie des moyens• la liberté d'action des individus
Histoire de la stratégie en entrepriseUtilisation du mot « stratégie » en gestion d'entreprise après la Seconde Guerre Mondiale
Émergence d'un environnement d'affaires plus concurrentielEnvironnement mondialisé de plus en plus complexe
L'histoire contemporaine de la stratégie peut être résumée autour de trois grands moments :
1. Naissance (1950-1970)2. Critique (1970-1980)3. Eclectisme (1980-)
La naissance (1950 – 1970)
Contexte :Paradigme de la planifica/on stratégiqueLes grandes entreprises diversifient leur ac/vité sur plusieurs secteurs
Les conglomérats industriels américains, après une période de forte croissance sSmulée par l'économie de guerre, découvrent qu'ils ne peuvent plus assigner des objec5fs uniformes à des domaines d'ac5vité disparates et que des ou5ls d'analyse sont nécessaires
Big is beau/fulLes premiers enseignements datent de la fin des années 1950 à l’université de HarvardLa fin des années 1960 est marquée par la proposi@on d'ou@ls pour op@miser les poli@ques d'inves@ssement
Boston Consul/ng GroupMcKinsey & Co
La naissance (1950 – 1970)
Trois ouvrages de référence :Strategy and structure (1962) de A. Chandler è Structure follows strategy : Comprendre le bon environnement pour restructurer et réagir à l'environnementBusiness Policy (1965) de Learned, Christensen, Andrews et Guth è L'environnement créé des opportunités et des menaces auquel l'entreprise s'adapte en définissant une stratégie fondée sur les forces et faiblessesCorporate strategy (1965) de I. Ansoff è La stratégie doit servir à mettre en relation les objectifs, les voies et les modes de développement, les avantages concurrentiels et les synergies ; surtout dans des entreprises qui développent plusieurs métiers
Le modèle de Harvard
Se base sur l’analyse stratégique è planificationÉtablissement d’objectifs, de programmes et de budgets
Face aux besoins des entreprises, proposition de Learned, Christensen, Andrews et Guth (Harvard, 1965) :
Il faut articuler heureusement les forces et les faiblesses de l'entreprise aux opportunités et menaces de l'environnementLa matrice SWOT est née !
Weil, 2008 p. 87 et suivantes
L’équilibre du portefeuille d’activitésLes consultants en stratégie ont conseillé aux grandes entreprises de diversifier leur ac/vité sur plusieurs secteurs et segmenter l’entreprise en portefeuille d’ac/vités (DAS)
Chaque DAS = une probléma4que spécifique, des objec4fs de croissance et de rentabilité adaptés Processus lourd d'analyse stratégique è bonheur des consultants
La fin des années 1960 a été marquée par la proposi/on d'ou/ls par des cabinets de consultants :
Le Boston Consul4ng Group (BCG) cherchait à op4miser les poli4ques d'inves4ssementAutres matrices (ADL, McKinsey…) ont été très u4lisés jusqu'aux années 1980
Mais :Les opéra4onnels répondent pour se faire assigner les objec4fs désirésLes éléments qui auraient poussé un manager à saisir une opportunité ou à se méfier étaient sous-es4més s'ils rentraient mal dans les cadres d'analyse des matrices (qui connaissent mal les spécificités historiques et sectorielles de l'entreprise et de son environnement)
Weil, 2008 p. 87 et suivantes
Crise des modèles stratégiques (1970 - 1980)
Contexte :Années postrévolutionnaires (Vietnam, Algérie, mouvements de 1968)Crises économiques liées à deux chocs pétrolières (1973, 1978)
Les travaux précurseurs sont attaqués sur le manque de flexibilité face aux ruptures stratégiques auxquelles les entreprises sont confrontées (depuis le premier choc pétrolier)Le monde des affaires vit alors une rupture : il y a eu une déréglementation du marché et les marchés qui étaient stables se mettent à évoluer rapidement
Crise des modèles stratégiques (1970 - 1980) Enquête de General Electric (destinataire de la matrice BCG)è la part de marché n'est qu'un des facteurs de profitabilité
La qualité du produit, la maitrise de coûts et des investissements, la position dans le cycle de vie, la croissance du marché, les dépenses de marketing) jouent aussiApparition d'un livre "Le prix de l'excellence" (1983) par deux anciens consultants de McKinsey...
Les entreprises les plus performantes sont celles dont le patron va sur le terrain et prend en compte les suggestions de ses employés (management by wandering around) è Le retour du manager charismatique et intuitif qui « tire plus vite » que son ombre sur
le technocrate d'état major è problèmes financiers de certaines entreprises dites « excellentes »
(Business Week, "Who is excellent now?", 5/11/1984)
Intérêt pour le système Toyota et l’excellence opérationnelle
Weil, 2008 p. 87 et suivantes
La littérature de la stratégie s’est scindé en deux courants :
L'un fondé sur les contenus (le quoi)L'autre sur les processus (le comment)
L’approche par les contenusCeTe approche s'intéresse aux relaSons entre stratégie et performances :
Quelles sont les conséquences des différentes op4ons stratégiques sur la performance ? Quelles sont les stratégies payantes ?Dans quel cas meXre en place une stratégie de diversifica4on, ou quels sont les facteurs de réussite
Ce courant est inspiré par l'économie industrielle è On y retrouve le déterminisme de l'environnement qui détermine les choix de l'entreprise.Stratégie = Choix relaSfs aux couples produits-marché
Des décisions de diversifica*on : Élargir la gamme de bien et service proposé en développant de nouveaux mé4ers (avec de nouveaux savoir-faire). Implique de nouveaux marchés concurren4els.
Ex : General Electric (service financier, de la santé, des turbines (rachat de Alstöm)Des décisions de spécialisa*on ou de recentrage : Concentrer ses efforts ou ses ressources sur les ac4vités des mé4ers les plus porteurs ou les mieux adaptés à ses compétences.
Ex : Danone (Alimenta>on, Santé)Des décisions d'innova*ons : Modifier les modes de produc4on.
Ex : Dell nouvelle diffusion du produit, renforcer la réac>vité par rapport au consommateur.Des décisions d'interna*onalisa*on : Extension géographique des marchés à travers différentes modalités : l'exporta4on, l'implanta4on d'unité commerciale, mise en place de structure de produc4on
L’approche par les processus
Auteurs comme Henry Mintzberg, P Petigrew, Queens'intéressent aux processus stratégiques
Comment établir une bonne stratégie ?Inspiré par les enseignements de la sociologie et de la psychologie pour dénoncer la rationalité substantive des modèles fondateursMet l’accent sur le caractère émergent ou incrémental de la stratégie ; il tient compte de l'individuL’apprentissage peut être un accélérateur, voire un moteur.
Ecoles descriptives VS écoles prescriptives
Une des défini/ons de la stratégie à ce]e époque disait qu’elle était un « plan d'u3lisa3on et d'alloca3on des ressources disponibles dans le but de modifier l'équilibre concurren3el et de le stabiliser à l'avantage de l'entreprise considérée » (Sallenave, 1984
• Un plan ? è Univers suffisamment stable (les condi/ons restent valables dans le temps)• Les ressources ? è lesquels sont plus cri/ques (argent, informa/on, compétences,
vigilance…) ?• Ressources disponibles ? è qu'est-ça veut dire ? quand ? dans un marché ouvert ?
grâce à des partenariats ?• Équilibre concurren/el ? è n'existe pas, surtout dans des secteurs dynamiques• Stabiliser ? è Non ! Il faut innover !• Concurrent ? è les chaînes de valeur se modifient constamment, des technologies se
subs/tuent mutuellement• Avantage ? è selon qui et pour qui ? Intérêts contradictoires.
L’éclectisme et la conciliation (depuis 1980)
Recours de nouveaux cadres théoriques, par nombreux courants de pensée qui trouvent leur origines dans le domaine de la sociologie, la psychologie, et l'économieAujourd’hui, on parle de stratégiesDeux grandes courants dominants :
La théorie des coûts de transactionL'approche fondée sur les ressources
La théorie des coûts de transaction
No]on de Ronald CoaseOliver Williamson (Prix Nobel 2009) è toute transac]on économique engendre des coûts préalables à sa réalisa]onDans la quête d’alterna]ves, jus]fier les décisions :
« Faire ou faire faire » InternalisaTon o externalisaTonIntégraTon avant ou après
Théorie des ressources-compétences
Ressources-based viewpopularisé par C. Prahalad, G. HamelInnovationConnaissance
Il faut donc choisir quelles compétences sont longues à acquérir ou à imiter et qui seront au cœur de l’avantage concurrentiel de l’entreprise
L’éclectisme et la conciliation (depuis 1980)La compé//vité
Contre-réforme è Harvard è M. PorterRetour du SWOT avec un cadre d'analyse structuré
L'enjeu de la stratégie est de construire des barrières à l'entrée, de se rendre incontournable et inimitable dans son segment d'ac8vité afin de négocier en posi8on de force avec clients et fournisseurs
Les compétences pour une stratégie de croissanceDans quels domaines l’entreprise pourrait être un nouvel entrant ?Toute entreprise peut se posiSonner n’importe où ?
Penrose (1959) è une entreprise se dis8ngue par la maîtrise de certaines compétences spécifiques sur lesquelles elle peut fonder sa croissance
Gary Hamel et C. K. Prahalad (1994) è l’entreprise doit choisir de développer quelques compétences longues à acquérir ou à imiter qui seront au cœur de son offre et se déclineront sur des marchés divers
Weil, 2008 p. 87 et suivantes
L’éclectisme et la conciliation (depuis 1980)
L’organisation apprenanteDévelopper des compétences n’est pas suffisant è identifier signaux d’évolution et s’y adapter
è apprentissage organisationnelJames March (Stanford), Donald Schon (MIT), Chris Argyris (MIT) Peter Senge (MIT)…
L’extraction de valeur pour l’actionnaireLes entreprises délaissent souvent des gisements de création de valeur pour leurs actionnaires
è les raiders (acheteurs des titres en Bourse pour prendre le contrôle d'une entreprise) identifient ces entreprises
Le livre « Valuation » de McKinsey explicite une démarche pour optimiser la structure financière
Turbulences et incertitudes– Outils traditionnels è univers relativement stable– Livres traitant de la réactivité et la caractérisation de l’incertitude
Weil, 2008 p. 87 et suivantes
Yves Morieux, de la BCG présente « Smart Simplicity » pour gérer la complexité
Pourquoi les entreprises sont-elles devenues compliquées ?
BCG in France29 mai 2015https://www.youtube.com/watch?v=sl34srE7SeU
Développements récents
- Mintzberg (1939 - ) sépare :- Écoles de la tradi-on prescrip-ve :
Ø Design – Démarche intellectuelleØ PlanificaPon – Hypothèses prévisionnelles / IndicateursØ PosiPonnement – Concurrence et Prix/Volume
- Écoles de la tradi-on descrip-ve :Ø Entrepreneuriale – Saisir les opportunitésØ CogniPve – MulPples grilles de lectureØ ApprenPssage – FormulaPon/ExécuPonØ PoliPque – NégociaPons d’intérêts
- Avenier et MarVnet (~1950 - ) : Pensée complexe et stratégie chemin faisant
Lehmann-Ortega et al (2016) Strategor, Paris : Dunod. Page 8-9
Scepticisme individuel et dévotion collective
Emergence è Complicité è SédimentationCaractéristiques d’un modèle stratégique à succès :
Répond à un besoinConcepts simplesFormulation pédagogiqueMode d’emploi assez simpleCaution intellectuelle prestigieuse (Ex. Harvard)Citation des applications (Entreprises leaders qui l’utilisent)Peur d’y rester, et avidité pour gagner
13/09/2021Stratégie(s) des entreprises | Aramis MARIN
104
Weil, 2008 p. 92 - 93
ScepJcisme individuel et dévoJon collecJve
La connivence (complicité) des acteurs(pour quoi adoptons-nous une mode stratégique ?)
Managers : Opportunité de remettre en cause leur organisation sans humilier les troupesEx.: l’informatisation est l’occasion de remettre à plat les habitudes
consacrées…Consultant : Opportunité de se constituer un nouveau « véhicule
commerciale »Ex.: vendre une expertise plus poussée…
Enseignant : Opportunité de montrer un impactAnalyste : Opportunité de relire avec une autre grille
13/09/2021Stratégie(s) des entreprises | Aramis MARIN
105
Weil, 2008 p. 94
Scepticisme individuel et dévotion collective
La sédimentationLa maitrise de modes = avantage comparatif
Révéler un aspect négligé des déterminants de succèsA la fin, il ne reste que de traces des modes stratégiques
Ex.: on parle de vache à lait, compétence-clé, etc., sans avoir recours aux modèles complets
13/09/2021Stratégie(s) des entreprises | Aramis MARIN
106
Weil, 2008 p. 94
La stratégie d’entreprise, aujourd’hui
La stratégie ne peut pas se limiter à un plan Plan è Univers suffisamment stable (les condiTons restent valables dans le temps)Stratégie = prendre des opTons :
organisa/on de la réac/vité par la construc/on de scénariifaire des paris lorsque des inves/ssements sont en jeu (ou u/liser des op/ons)
La stratégie implique se poser une vrai ques]on sur les ressources et les compétences ainsi que le processus d’acquisi]on, traitement, stockage et exploita]on
Conclusion
« Chacun est individuellement sceptique, mais manifeste en public une certaine dévotion aux modèles populaires, dont la diffusion et le renouvellement servent ses intérêts »