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Page 1: L'expansion   Entretien Bernard Darty
Page 2: L'expansion   Entretien Bernard Darty

"OUI, JE SUIS CAPITALISTE, PUISQUEJ'AI DU CAPITAL,

ET JE VOUS MENTIRAIS EN PRÉTENDANTNE PAS EN ÊTRE SATISFAIT"

ENTRETIEN AVEC

BERNARD DARTYpar Chantal Bialobos

Des yeux bleus très clairs, unvisage souriant sous une chevelureprécocement grisonnante qui ne par­vient pas à le vieillir, Bernard Dartyest le même que nous avions rencon­tré en 1974, à une époque où lapresse ne s'intéressait pas encore àlui. L'Expansion fut en effet le pre­mier journal - il s'en souvient ­à révéler au public les visages destrois frères Darty, qui commençaienttout juste à faire parler d'eux dansla distribution.

Mais, à l'époque, Bernard Dartyparaissait emprunté, ne sachant quoifaire de ses mains, quelle contenanceadopter. Pour tirer les trois frères deleur raideur, notre photographe avaitdû leur raconter des histoires drôles ...A vec le succès - consacré par l'in­troduction du titre en Bourse à lafin de 1976 - sont venues la décon­traction, une simplicité plus recher­chée dans le vêtèment, une nouvelleaisance dans le-geste et la parole.

La pensée aussi a pris plus d'am­pleur, une dimension nouvelle. Ber­nard Darty confie désormais volon­tiers ses idées sur les relations socia­les, le rôle de l'entreprise dans l'éco­nomie, l'héritage ou les nationalisa­tions. Des idées pas forcément ori­ginales, mais bien typées: celles d'unpatron heureux de l'être, maisconnaissant les limites de son pou­voir et conscient que l'entreprise doittenir pour des égaux tous ses par­tenaires, qu'il s'agisse des fournis­seurs, des travailleurs, des concur­rents, des consommateurs ou despouvoirs publics.

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Un mot vient même dans sa bou­che, qu'on n'attend guère de la partd'un chef d'entreprise: le mot « mo­destie ». Est-ce l'atavisme du petittailleur de la porte de Montreuil, sonpère? Bernard Darty montre unsouci permanent de conserver un« profil bas ». De la part de quel­qu'un qui a si bien et si honorable­ment réussi, c'est incontestablementsympathique. Même si cette attituderecouvre un fonds de superstition ...

Chantal Bialobos : Vous avez 42 ans.Vous êtes PDG d'une entreprise dontle chiffre d'affaires dépasse le milliardde francs. On estime qu'en région pari­sienne un foyer sur six possède desappareils achetés chez vous. Le portraitest-il exact?Bernard Darty : Oui. Notre groupe desociétés réalisera cette année 1,3 mil­liard de francs de chiffre d'affaires,toutes taxes comprises, et nous déte­nons, .en effet, 18 % du marché enrégion parisienne.C.B. : Vous avez brûlé les étapes, puis­que vous avez commencé avec 25 m2à la porte de Montreuil. Pourriez-vousnous raconter rapidement vos débuts?B.D. : En 1957, nous avons en effetacquis, mes frères et moi, un petit ma­gasin d'électroménager.

A cette époque, la distributionétait totalement différente de ce qu'elleest aujourd'hui. Les hypermarchésn'existaient pas encore, le libre-servicebalbutiait, et on ne connaissait pas lescentres commerciaux. La distributionétait assurée par les grands magasins,les magasins populaires et de petitsmagasins de quartier.

De 1957 à 1965, t'lOus ;iVons déve-

loppé notre affaire. Ce fut une périoded'apprentissage. En 1965, nous avonsacheté un deuxième magasin. Etape trèsimportante, pour nous, parce que nousnous trouvions brusquement confrontésà des problèmes de gestion et de décen­tralisation. Il est plus difficile d'ouvrirun deuxième magasin qu'un trente­deuxième!

C'est par un effet du hasard queBernard Darty s'est lancé dans l'élec­troménager. Son père, ouvrier tailleur,aidé du fUs aîné Nathan, confectionnaitdes vêtements que Marcel vendait dansun petit magasin à la porte de Mon­treuil. Lorsque leur voisin, qui tenaitcommerce de lampes, de postes deradio et de téléviseurs (une demi­douzaine par an 1) décide de céder sonfonds de commerce, Marce! se porteacquéreur pour agrandir son magasinde vêtements. Or la ville de Paris ­propriétaire des boutiques - refuse latransformation du bail, afin de sauve­garder l'équilibre des commerces. Mar­cel, aidé de Bernard, qui rentre duservice militaire, se met donc à vendrele stock du voisin, et, pour attirer leclient (on était en 1957), sort les télévi­seurs sur le trottoir. En quelques jours,le stock sera liquidé ... et les vocationsdécidées 1

B.D. : Deux périodes ont donc marquéces vingt années. 1967, c'est le tournant.Nous décidons de transférer notreentrepôt de Bagnolet à Bondy, et nousachetons un terrain avec un bâtimentbien trop grand par rapport à nosbesoins. Ce qui nous a permis de met­tre en application une idée qui mûris­sait en nous : ouvrir une grande sur­face spécialisée.C.B. : Avez-vous acheté ce terrain en

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Lorsqu'une entreprise, est petite, ses animateursse fient surtout à leur intuition. Mais, à partir

d'un certain stade, il faut planifier le développement

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ayant un but précis, ou parce qu'il setrouvait disponible?B.D. : Surtout parce que nous avionsl'envie --,- plus que la ,volonté - d'ou­vrir une grande surface spécialisée. Acette époqùe; notre magasin (400 m2)était sans. doute l'un des plus grandspour ce secteur d'activité; Nous l'avonsouvert en mai 1968. C'était, pour nous,un événement plus import'ant que« l'autre ».' Le succès, a été immédiat.Cela nous a confirmés dans notre sen­timent, et l'envie s'est transformée envolonté.C.B. : La., croissance que vous avezconnue était-elle planifiée, mûrementréfléchie, ou, est-elle le résultat d'uneligne de conduite empirique, dictée parles événements?B.D. : ,Lorsqu'une entreprise est petite,la plupart du temps, ses animateurs sefient surtout à leur intuition, parcequ'ils n'ont pas à leur disposition d'ou­tils de gestion suffisants. Mais à partird'un certain stade, il faut naturellementplanifier le" développement. Cela a étéle cas pour notre deuxième période,c'est-à-dire après 1968-1969.C.B. : Quelle est votre formation?B.D. : Secondaire. Je suis allé au lycéejusqu'à l'âge de 18 ans. J'ai passé unbrevet d'études commerciales, un di­plôme qui ne,doit plus exister aujour­d'hui: c'est l'équivalent du BT.C.B. : Et puis, c'est le voyage auxEtats-Unis? " .B.D. : Oui, en 1967. Rien n'est déter­minant, mais tout s'additionne.C.B. : Vous êtes allé aux Etats-Unisavec quelle idée précise?B.D. : J'y suis" allé à l'occasion d'unvoyage de dix jours organisé par unfournisseur, qui avait pour objet defaire connaître la distribution améri­caine. Et j'ai pu voir ce qu'était vrai­ment une grande •.surface spécialisée.Cela correspondait parfaitement àl'idée que je me. faisais d'un magasincapable de distribuer à bas prix ungrand choix de, marchandises nécessi­tant l'action d'un service après-vente.C.B. : Aujourd'hui; Darty, c'est quoi?B.D. :, Globalement, c'est trente-deuxmagasins sous l~enseigne Darty, septmagasins sous l'enseigne Odiovox, etune société qui est la centrale d'achat

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du groupe: Caprofem. Nous comptonsactuellement 2 300 employés; nousétions 2000 au début de l'exercice etdevrions être 2 500 à la fin de févrierprochain. Vous voyez, nous créons500 emplois. Pour certaines entreprises,on le relève' plus volontiers; quandc'est Darty, il me semble que c'estpassé plus inaperçu.

Nous avons une opération à Lyon,il s'agit d'une filiale, Darty Rhône­Alpes, exploitant elle-même sept maga­sins. Mais l'implantation dans la régionRhône-Alpes n'est pas encore achevée.Ces magasins détiennent eux aussi entre15 et 18 % du marché.C.B. : Comme en région parisienne?B.D. : Oui. A Lille, l'opération ne faitque démarrer, puisqu'elle a commencédébut avril. L'estimation de notre partde màrché est voisine du chiffre pré­cédent.C.B. : A combien estimez-vous le nom­bre de vos clients?B.D. ,: De l'ordre de 1,3 million declients par an.C.B. : Vous avez finalement opté pourdes filiales, alors qu'en 1974 vous sem­bliez pencher pour des franchises.B.D. : Cela correspondait surtout à unetendance générale. A l'époque, le fran­chisage était un peu la recette-miracle.Nous n'y avons jamais beaucoup cru.Ce peut être un excellent levier pouraccélérer le développement; mais, en

même temps, il faut savoir qu'il y adeux partenaires pour partager lesrésultats; .. Ce qui complique un peules choses. Comme nous n"avons jamaiseu de véritables problèmes de finance­ment, et que nous ne sommes pas desfanatiques du développement forcé, ilm'a semblé que le franchisage n'étaitpas nécessaire. Aujourd'hui, nous pen­sons avoir eu raison d'avoir opté pourles filiales.C.B. : Quel est le pourcentage devotre croissance annuelle?B.D. : De 1972 à 1976, en quatre ans,Darty a multiplié son chiffre d'affairespar 6 et ses bénéfices par 7,5. Pourles prochaines années, le rythme deprogression devrait être de l'ordre de25 %.C.B. : Dès le départ, lorsque vousétiez porte de Montreuil, vous avezfondé votre affaire sur le service après­vente, et vous lui devez une large partde votre succès.

Là aussi, la vocation est venue parla force ... Porte de Montreuil, les clientsavaient le coup de poing facile, etmieux valait, pour les frères Darty,

avoir un service après-vente impecca­ble s'ils ne voulaient pas se retrouveravec un œil poché!

C.B.,: Ce qui se conçoit à partir d'undépôt parisien ne pose-t-il pas de pro­blèmes en province?B.D. : Il faut raisonner, pour le serviceaprès-vente, en termes de temps et nonde kilomètres. Les problèmes, nous neles avons pas rencontrés pour la pre­mière fois à Lyon, mais à Paris, quandnous avons commencé à nous dévelop­per en dehors de notre première zonede chalandise. Et nous avons alorsdécidé - dès 1969 - de décentra­liser la fonction service après-vente.

Notre service après-vente était gérépar une filiale : Darty-Service. Cettesociété a continué de se développer aumême rythme que Darty, pour attein­dre une taille respectable, puisqu'ellecomptait, en 1975, près de 600 per­sonnes. C'est presque trop pour uneentreprise industrielle; c'est beaucouptrop pour une entreprise de service.

Nous avons alors décidé de décen­traliser Darty-Service, l'objectif étantd'avoir une ou deux sociétés de ser­vice par département et par ligne deproduit. Nous avons commencé cetteopération il y a deux ans. Aujourd'hui,nous sommes à la moitié du chemin,puisqu'il existe quatorze sociétés deservice décentralisées.

En mars prochain, Darty-Servicesera entièrement décentralisé et aura,en quelque sorte, disparu. La missionde service après-vente sera confiée àdes sociétés qui sont toutes égalementdes filiales à 100 %, juridiquementautonomes. Cette formule permet unebonne lisibilité de chaque compte d'ex­ploitation; elle permet aussi - élé­ment fondamental dans une société deservice - de créer des entités dontles effectifs ne sont jamais supérieursà 25-30 personnes, et donc d'éviter desstructures hiérarchiques trop lourdes.Il n'y a pas d'échelon intermédiaireentre le technicien et le directeurgénéral. Elle permet, enfin, une pro­motion interne importante.

L'idéal serait d'avoir un technicienDarty par îlot d'habitation, pour gérerchaque îlot. C'est utopique, bien sûr.Nous avons donc arrêté la décentra­lisation au département ou au demi­département; pour Paris, à des ensem­bles de quatre ou cinq arrondissements.Dans ce domaine, il n'y a pas d'éco­nomie d'échelle. Chaque action de ser­vice après-vente est une opération iso­lée, dont le prix de revient est pres-

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Le service après vente est une fonctiontrès difficile à assumer...

ToUs les matins, on retrouve 2 500 problèmes

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que en totalité composé de frais depersonnel.C.B. : La gestion des magasins est­elle également décentralisée, ou gérez­vous tout à partir de Paris?B.D. : Pour le négoce, le concept estpresque opposé. La décentralisation estcomplète entre Paris, Lyon, Lille etles prochaines opérations de province.Mais il faut savoir qu'à Paris, parexemple, pour les produits lourds no­tamment, nos magasins sont surtoutdes lieux d'exposition, ce qui signifieque nous n'avons pas besoin d'avoirde stocks importants sur place (aussi,nos magasins nécessitent des investis­sements relativement faibles).

L'organisation est donc obligatoire­ment centralisée, ce qui nous permet,s'agissant principalement de flux demarchandises, d'obtenir justement deséconomies d'échelle à tous les niveaux:stockage, allégement des stocks, gestiondes livraisons, achats, etc.C.B. : Qui dit organisation centraliséedit obligatoirement circulation intensede l'information?B.D. : Oui. Si nous sommes très cen­tralisés, notre système de circulation del'information est conçu de telle manièreque nos directeurs de magasin aient lesentiment d'être complètement indé­pendants, puisqu'ils détiennent, à leurniveau, plus d'informations qu'ils nepourraient en détenir s'ils étaientcomplètement décentralisés. Cela, grâceà un puissant système informatiquefonctionnant en temps réel.

Déjà, en 1974, Bernard Darty avaitmontré avec un grand enthousiasmel'embryon de système informatique qu'ilpossédait alors; indiquant que c'est àl'aide d'un outil informatique sophis­tiqué qu'il pourrait assurer son déve­loppement. L'avenir lui a donné raison.

B.D. : Ce système de gestion de l'in­formation - je préfère cette expres­sion à système informatique - reposaitautrefois sur un réseau privé de télé­scripteurs. Aujourd'hui, les moyensvenant et la taille s'accroissant, nousavons remplacé ce système par un outilinformatique. Au niveau du point devente, le directeur de magasin détient

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plus d'informations qu'un grand nom­bre de directeurs d'entreprise.

Nous avons été amenés à faire descomparaisons avec un concept complè­tement opposé au nôtre, c'est-à-direfondé sur un stock propre à chaquemagasin, et excluant, pour réaliser deséconomies, la livraison chez le client.Nous nous sommes aperçus qu'ainsinon seulement on donnait un servicemoins bon au client, mais que celarevenait presque deux fois plus cher.

Notre organisation stockage-magasi­nage-livraison chez le client coûte26 millions de francs par an ; le budgetpour une organisation décentralisées'élève à 43 millions de francs.

Bernard Darty fait allu.rion à sonconcurrent Conforama, dont le systèmerepose sur la vente à emporter, et quidoit donc supporter le financement d'unstock très lourd. En période de conjonc­ture difficile, les risques sont plusgrands, comme Conforama en a faitl'expérience il y a deux ans. '

C.B. : Vous annoncez l'ouverture dequarante nouveaux magasins d'ici à1982. C'est beaucoup.B.D. : Nous prévoyons l'ouvertured'au moins six magasins par an, enmoyenne. Cette année, nous en avonsdéjà ouvert dix, et deux viendronts'ajouter avant la fin de l'exercice.

Compte tenu des filiales qui, elles­mêmes, génèrent leurs propres ouver­tures, le rythme de six magasins l'an,au niveau du groupe, est tout à faitraisonnable.C.B. : Comment comptez-vous finan­cer tout cela ?B.D. : Principalement par autofinance­ment. Nous avons, cette année, un pro­gramme d'investissement· maximal de36 millions de francs, et nous auronspeu recours à des emprunts extérieurs.L'investissement nécessaire pour unmagasin se situe entre 1,5 et 3 mil­lions de francs. Cela n'a absolumentrien à voir avec les investissementsnécessaires pour l'ouverture d'un hy­permarché, par exemple.C.B. : Pourtant, il y a trois ans, vousme disiez que l'expansion allait devenirplus difficile? .B.D. : Si j'ai dit cela' au sens général,je ne me suis pas trompé; si je l'aidit pour Darty, c'était par modestie.C.B. : Votre publicité est fondée surdeux arguments : les prix et le contratde confiance. Quel pourcentage devotre chiffre d'affaires représente lapublicité?

B.D. : Toujours le même: 3,3 %, fonc­tionnement et frais techniques inclus.C.B. : Comment faites-vous pour quevos prix soient les plus bas et pour lesmaintènir à ce niveau? Continuez-vousà payer vos fournisseurs comptant,comme vous le faisiez il y a quelquesannées? Est-ce toujours possible avecautant de magasins?B.D. : Oui, notre politique n'a pasvarié. Nous bénéficions ainsi d'escomp­tes pour paiement comptant.C.B. : On dit aussi que les salaires devos employés sont relativement élevés.Alors, comment faites-vous?B.D. : C'est un problème de producti­vité. Nous avons, dans chaque domaine,des ratios de productivité élevés, quece soit en termes de chiffre d'affairespar mètre carré, de chiffre d'affairespar vendeur ou de chiffre d'affaires paremployé. C'est notre organisation cen­tralisée s'agissant de la gestion des pro­duits, décentralisée s'agissant des ser­vices, qui nous permet d'atteindre cesimportants ·rendements. Et comme unmagasin se rentabilise dès son premierexercice, nous avons la possibilitéd'avoir une politique de prix bas' etde verser des salaires relativement éle­vés.C.B. : Il y a bien des gens qui saisis­sent au mot votre publicité et vousdemandent le « remboursement de ladifférence »?

B.D. : Naturellement, et avec toujoursle champagne à la clé, qui est le petitclin d'œil sympathique. Nous voulonsque nos clients sachent, et observenteffectivement, que nos prix sont, à toutle moins, alignés sur les prix les plusbas proposés par nos concurrents.C.B. :On dit qu'il y a aussi des récla­mations concernant le service?B.D. : Nous faisons 2500 interventionsà domicile par jour. 2 500 interventionsprovoquent inéluctablement des ratés,des manques, parce que ce sont deshommes qui les effectuent. Si, dans lajournée, 1 % des clients n'ont pas étésatisfaits, en valeur -relative, c'est vrai­ment très faible. En valeur absolue, c'estquand même 25 clients mécontents.C'est pourquoi nous avons créé unestructure « Consommateurs Service »pour réparer très rapidement les défail­lances humaines. Parce que nous nesommes pas infaillibles! Souvenons­nous que le service ,après-vente est unefonction très difficile à assumer ... Celarecommence tous les matins. Tous lesmatins, on retrouve 2 500 problèmes.C.B. : Et la garantie étendue à quatreans? Une garantie qui coûte 990 francs

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Pour une petite entreprise qui veut devenir grande,le fait d'être dirigée par trois frères

qui s'entendent bien est probablement décisif

"

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pour un téléviseur couleur, par exem­ple, c'est un peu cher. Combien devos clients la choisissent?B.D. : Environ 20 %. Mais, contrai­rement à ce qu'on pourrait penser, nousne réalisons pas de bénéfice sur cetteprestation. Les prix de cette assurancefacultative sont calculés après exploita­tion de nos statistiques de pannes.C.B. : Il y a quelques mois, un fabri­cant important - Thomson - a pro­testé contre certaines grandes surfacesqui « bradaient » ses produits avecdes prix d'appel pour mieux vendre lesproduits de la concurrence. Ce fabri­cant a même menacé de pratiquer àl'avenir le refus de vente. Qui visait­il?B.D. : Personne en particulier. Ce n'estlà que la conséquence d'un systèmede distribution fortement imprégné parla concurrence, par le fait que diversesformes de distribution s'affrontent.L'élément primordial qui fait se dépla­cer le client est le prix. Toutes lesformes de distribution cherchent doncà se donner une image de bas prix.Pour cela, elles doivent faire à leursclients des propositions qui permettentles comparaisons.

Donc, sur des articles aisément iden­tifiables, comparables, et à forte noto­riété. L'électroménager est le produittype pour ce genre d'opération.

Ces opérations de prix d'appeldéclenchent une réaction immédiate dela part des spécialistes qui, pour nepas se laisser distancer, viennent s'ali­gner sur les propositions des non-spé­cialistes. Et on arrive à des situationsquelquefois très dégradées.

Des constructeurs, effectivement, sesont émus de cette situation, parcequ'ils constatent un affaissement desmarges de leur réseau spécialisé, lequelassure la très grande majorité de leurchiffre d'affaires - environ 80 %. Ilsse sont émus aussi du moins grandintérêt des spécialistes en faveur deleurs marques.C.B. : Vous-même, comment réagissez­vous à ce genre d'affaires?B.D. : Je constate et je m'adapte. Jesuis respectueux de la réglementation.Je comprends très bien les problèmesdes autres, des hypermarchés, des

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constructeurs. Il faut que ceux-ci com­prer,nent aussi nos problèmes. Le com­me;rce, en général, c'est la faculté de~;adapter au quotidien.

Cela dit, quoi qu'on ait déclaré parailleurs sur notre manque de nationa­lisme en nous accusant de contribuerau déséquilibre de la balance commer­ciale, je dis que c'est nous faire beau­coup d'honneur, mais que c'est faux.Le profil de nos ventes est plus « na­tional » que le profil moyen des ventesdu secteur. J'ai d'ailleurs envoyé undossier à ce sujet à l'administrationcompétente. Je réfute donc toutes cesaccusations.

Nous devons payer la rançon du suc­cès. Le développement très rapide d'uneentreprise comme la nôtre ne va passans soulever quelque animosité.C.B. : Pour vos fournisseurs, vous êtesdes clients de poids!B.D. : Le mot client convient bien.Nous pensons être des partenairessérieux pour nos fournisseurs. Noussommes effectivement organisés pouradditionner notre propre valeur ajoutée(capacité de stockage, réceptions uni­tairement importantes et planifiées, ser­vice après-vente, etc.) aux produits desindustriels.

Le mot poids a une connotation quine convient pas. Si l'on considère lataille de nos principaux fournisseurs,nous ne sommes naturellement pas

(quand bien même le voudrions-nous)en mesure de leur dicter nos condi­tions.C.B. : Votre campagne « ils ont toussigné )} pour le contrat de confianceme semble à la limite du matraquagepublicitaire. Croyez-vous que le clientse soucie de savoir si le livreur ou latéléphoniste de chez Darty ont signéle contrat de confiance? Ce qui m'in­téresserait davantage, c'est de savoirsi le patron, lui, a signé.B.D. : Le patron a effectivement signé.Par ailleurs, vous me dites ne pas êtrecertaine que le thème soit bon. Pournous, il nous a semblé surtout inté­ressant sur le plan interne. Nous avonsmonté une importante opération d'in­formation dans l'entreprise, pour sensi­biliser l'ensemble du personnel. Nousavons réussi. En effet, tout le mondea signé. Cela dit, si vous, vous réagis­sez mal, c'est une mauvaise campagne.C.B. : Avez-vous des réactions de vosclients à ce sujet?B.D. : Oui, car sans rien promettre deplus, nous avons réussi quand mêmeà accroître l'impact publicitaire de lapromesse commerciale. Et plus vous

accroissez cette promesse, plus il fautl'assumer. Cela représente donc de plusgrandes obligations pour nous. Le clientest plus exigeant. C'est à nous desavoir si nous sommes capables desatisfaire cette exigence. Nous, prenonsdes risques.

Pour nous, la campagne nous a sem­blé très bonne; elle l'est peut-être moinsque nous ne le pensions.C.B. : Qui décide les campagnes depublicité?B.D. : Un groupe d'hommes, mais jesuis personnellement avec beaucoupd'attention ce domaine. Je pense quel'ensemble de la communication d'unesociété doit transiter par la directiongénérale.C.B. : Comment se répartissent lestâches entre les trois frères? Il y atrois ans, c'est votre frère Marcel quiétait le PDG.B.D. : Si j'ai succédé à mon frère àla présidence, n'y voyez aucune signifi­cation particulière. Il a assumé - avecle succès que vous savez - cette res­ponsabilité, depuis la création de l'en­treprise jusqu'en 1975.

Cela dit, l'entreprise est dirigée encommun par les trois frères, bien sûr,mais aussi par une équipe de cadresremarquablement compétents, dont jesuis certain qu'un grand nombre seraitcapable d'assumer les plus hautes res­ponsabilités. Mais, au démarrage de

notre entreprise, ce qui nous ,a permisde fixer des objectifs relativement am­bitieux, c'est probablement le fait quenous étions trois.

Pour une PME qui veut se donnerdes dimensions de « moyenne entre­prise », et de « grande » plus tard,le fait d'avoir une direction composéede trois frères qui s'entendent bien estprobablement décisif. Pour une petitesociété, il y a généralement une super­position complète entre les objec­tifs personnels du chef d'entreprise etles objectifs qu'il fixe à sa firme.Pour lui, c'est un peu la même chose,c'est un tout. Le fait d'être trois apermis à chacun de vivre sa vie privéenormalement. /C.B. : Il y a six épaules au lieu dedeux.B.D. : Absolument. Depuis vingt ans,nous sommes toujours partis en vacan­ces, de manière très régulière, et nousquittons le bureau à des heures toutà fait décentes. Nous n'emmenons pasnos dossiers chez nous. Je pense quec'est important.C.B. : Comment travaillez-vous?B.D. : J'arrive au bureau à 9 heures

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Le commerce est un référendum permanent : quand le clientvote pour vous, il y a du chiffre d'affaires ;

s'il ne vote plus, il n'y a plus de chiffre d'affaires

BERNARD DARTY / SUITE1

et j'en repars vers 19 h 30. Je ne suispas un bourreau de trav·ail. Il m'est trèsdifficile de travailler seul, parce que jesuis probablement plus homme d'actionqu'homme de réflexion, que la réflexionme vient à travers l'action.C.B. : Une pareille réussite peut sem­bler du domaine du rêve. Pensez-vousque ce rêve soit encore réalisable en1977 ?B.D. : Je l'espère. Sinon, ce seraitangoissant. Des facteurs extérieurs peu­vent compliquer, ou, au contraire, faci­liter les choses. Je crois qu'un hommeanimé par une grande volonté peutencore trouver un certain nombre desecteurs où son esprit d'entrepreneurlui permettra de réaliser son projet.

C.B. : Percevez-vous un changementdans le comportement des consomma­teurs ?B.D. : Bien sûr. Nous avons toujourseu le plus grand respect pour nosclients, parce que nous sommes obligésd'aller aux urnes tous les jours. Lecommerce est comparable à un référen­dum permanent ; quand le client votepour vous, il y a du chiffre d'affaires;s'il ne vote plus, il n'y a plus dechiffre d'affaires.

Je n'ai pas le sentiment que notreentreprise soit différente de ce qu'elleétait il y a quelques années. Le compor­tement du consommateur, lui, est dif­férent, comparé à ce qu'il était il ya vingt ans. D'abord, le consommateuraccepte de se déplacer, parce qu'il aune voiture, qu'on lui propose des par­kings ... Et puis, dans les relations entrele client et le vendeur, le client étaità ce moment-là en état d'infériorité;on a l'impression aujourd'hui que larelation est inversée. Enfin, il existedésormais des associations de consom­mateurs, des journaux spécialisés, uneplus grande information, davantage depublicité, etc.

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C.B. : L'an dernier, vous avez tentéd'ouvrir un dialogue avec les consom­mateurs ...

Bernard Darty avait en effet offertdes espaces publicitaires, dans les jour­naux, aux associations de consomma­teurs, afin qu'elles puissent s'y expri­mer.

B.D. : ...Je n'ai pas tenté d'ouvrir undialogue. Mon objectif était moins am­bitieux. En lisant les déclarations desassociations de consommateurs, il m'estapparu qu'un de leurs problèmes étaitle manque de possibilité de s'exprimertrès largement, faute de moyens finan­ciers peut-être, Nous avons pensé qu'ilserait intéressant de pouvôir réalisercette opération.C.B. : Et cette offre a été plutôt malperçue,B.D. : Oui, par la moitié d'entre elles,qui estimaient avoir affaire à une opé­ration de récupération. Alors que cen'était vraiment pas l'objectif. Mais sielles l'ont perçu comme tel, il fallaitalors arrêter. Et j'ai bien compris leurréticence.

Certaines associations ont effectivementutilisé l'espace offert, d'autres sontallées jusqu'à faire un procès en référéà Bernard Darty pour qu'il retire leurnom.

C.B. : J'ai lu que vous aviez étécondamné, en juin 1977, pour avoirrefusé de rendre des arrhes à unecliente qui n'avait pas été livrée àtemps.B.D. : C'est faux. Je n'ai pas voulufaire de démenti, parce que ça n'auraitfait qu'aggraver le mal. Ce n'était pasDarty, mais Real, qui n'avait pas livréà temps une chambre à coucher. Etc'est Real qui a été effectivementcondamné. Real et Darty sont deuxsociétés complètement distinctes. Lejournaliste aurait dû s'informer.

Darty s'était associé avec Real, undistributeur de meubles qui vend àla fois des meubles et de l'électroména­ger, parce que Conforama s'était ins­tallé en face de chez lui. Par la suite,le négoce du meuble a connu des dif­ficultés, et les frères Darty ont étéconduits à secourir leur associé et àprendre une participation financière.Mais il s'agit des frères Darty en tantque personnes privées, et non de l'en­treprise.

C.B. : Grâce à l'introduction de vos

Techmav.Llétiquetteadhésive.

L'étiquette est une chose simple.Si simple qu'on la considère tropsouvent comme un "détail ". Pour­tant, c'est elle qui identifie le produit,qui indique sa composition, Elle estl'ambassadrice de la marque.L'étiquette est une chose essentielle.Et l'étiquetage estun métier, Celui deTechmay.

Car il ne suffit pas de savoir impri­mer de belles étiquettes. Il faut aussique chacune se détache parfaitementde son support, qu'elle s'appliquejuste là où il faut, quand il le faut.Ce que fait l'étiqueteuse Mark, deTechmay.Chaque jour, des centaines d'instal­lations - de la plus simple à la pluscomplexe - étiquettent leur produc­tion avec Techmay. Ponctuellement.Aussi quel que soit votre systèmeactuel d'étiquetage, demandez àTechmay ce que ses techniciens enpensent.

Techmay

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J'habite toujours la mêmemaison.

Je la trouvais bellequand je l'ai achetée,

je la trouvetoujours aussi belle

actions en Bourse, vous avez récupéréune partie de votre patrimoine. Qu'enavez-vous fait?

L'élargissement du capital horsfamille remonte à 1973, quand Paribaset la Compagnie bancaire en avaientpris 14 %, puis l'UAP 8 % en 1974,

enfin des investisseurs institutionnels10 % en 1975. Aujourd'hui, 33 %des actions sont dans le public, 51,5 %à la famille Darty, 6,2% à Paribas,6 % à l'UAP et 3,3 % à la Compa­gnie bancaire.

B.D. : 23 % du capital ont été intro­duits, mais notre groupe familial n'ya participé que pôur la moitié. L'uti­lisation que j'en ai fait est tout à faitbanale : -des placements classiques ...d'ailleurs pas très glorieux! Commetout le monde. Ce n'est pas la peined'en parler.C.B.: Avez"vous l'impression quandmême d'être devenu un capitaliste, oule terme vous gêne-t-il?B.D. : Absolument pas. Oui, je suiscapitaliste, puisque j'ai du capital, etje vous mentirais en prétendant ne pasen être satisfait. Posez cette questionà n'importe quel Français: préférez­vous posséder un patrimoine ou non?Qu'est-ce qu'il devrait répondre?

Capitaliste, ce n'est pas un étatd'âme, ni un statut politique, c'est leterme qui est utilisé pour désigner celuiqui possède des biens. Mais ce motn'est pas toujours utilisé seul. On ditcapitalisme monopolistique ou capita­lisme d'Etat, capitalisme sauvage, oucapitalisme éclairé, etc. Il y a touteune littérature là-dessus.C.B. : Votre vie personnelle' a-t-elle

beaucoup changé depuis 1967?B.D. : Non. J'ai toujours pu satisfairemes besoins et, à quelque chose près,je vis de la même manière. J'habitetoujours la même maison. Je la trou­vais belle quand je l'ai achetée, je latrouve toujours aussi belle. Je suis trèsbien où je suis. J'ai deux filles. Je lisenviron deux livres -par semaine, et unpeu de tout. En ce moment, je lisle livre de De Closets, « La Franceet ses mensonges ".C.B. : Vos filles sont-elles tentées parune carrière dans l'entreprise familiale?B.D. : Non, je ne le pense pas. Dureste, je ne les pousserai pas à travail­ler dans cette entreprise. A la limite,je suis contre l'idée de transmission dupatrimoine industriel ou commercial.Bien sûr, je ne suis pas contre la trans­mission du patrimoine familial; mais,pour les entreprises, il faudrait trouverun système, afin de libérer le paysagede façon permanente et de donner auxjeunes la possibilité de créer. Mais jesais bien qu'il n'est pas facile de dé­manteler les entreprises tous les trenteans.C.B. : Avez-vous lu « Les patrons JO,

de-Harris et Sédouy? Que pensez-vousdes patrons?B.D. : J'ai lu ce livre. Je ne m'identi­fie pas à certains d'entre eux. Je n'airien à dire sur les patrons. Chacunest comme il est, c'est son problème.

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Dans notre entreprise,les relations

entre partenaires sociauxfonctionnent. Je n'ai pas dit

bien ou mal,mais fonctionnent

C.B. : Cela ne vous tenterait pas d'avoirdes responsabilités, par exemple- auCNPF?B.D.. : Non. Cela me prendrait trop detemps. Il faut choisir.C.B. : Avez-vous des hobbies, des pas­sions ?B.D. : Non. Je suis un peu touche-à-

tout. Je fais un peu de sport, je regardela télévision, je vais au cinéma, au théâ­tre, je rencontre des amis. C'est fina- .lement très banal, mais je suis contentcomme cela. Je ne fais pas de collec­tion, je ne joue pas très bien au ten­nis, ni aux échecs, ni au rami ...

C'est vrai qu'il ne joue pas au « su­perman ». Mais cette volonté constanted'apparaître comme' un Français« moyen » est curieuse : a-t-il peurde prêter le flanc à la critique?

C.B. : Croyez-vous que si la gauchearrive au pouvoir, lors des prochaines

-élections, le contexte changera pourvous dans votre entreprise?B.D. : Je crois surtout -qu'il faut queles élections aient lieu, car ces longuespériodes d'attente ne me semblent pasfavorables pour la vie économique etpolitique de notre pays.

Mais, en toute hypothèse politique,je crois que les gens auront toujoursbesoin de machines à laver, ou de télé­viseurs, pour autant qu'ils conserventla possibilité d'en acheter.

A l'intéri~ur de notre entreprise, lesrelations entre les différents partenairesso'ciaux fonctionnent. Je n'ai pas ditfonctionnent bien, ou mal, mais fonc­tionnent. Il ne m'appartient pas d'enjuger seul. Je n'ai pas l'impressioncependant que demain les représentants

du personnel viendront voir si un tré­sor est caché sous mon bureau. Ilpourrait y avoir des mesures réglemen­taires qui modifieraient le fonctionne­ment des entreprises, mais comme onn'a jamais dit ce qu'elles seraient, atten­dons.

Puisque vous me demandez monpoint -de vue sur les nationalisations,je pense que jamais personne ne pro­posera de nationaliser le secteur dis­tribution et commerce. Mais je croisque l'objectif essentiel d'une entrepriseest de sécréter des richesses. Ainsi, ellepeut à tout le moins satisfaire lesbesoins matériels des hommes et desfemmes qui y travaillent, et ceci direc­tement. Les effets s'en font égalementsentir de matière indirecte sur la collec­tivité. L'entreprise doit également pren­dre en compte certains besoins psycho­logiques et sociaux dans le cadre de lavie professionnelle.

Mais imaginer et dire que l'entre­prise soit capable de créer et gérer lebonheur des hommes, c'est se moquerdu monde. Il faut laisser éventuelle­ment ces objectifs aux associationssportives, aux groupes de scouts ou auxpatronages, par exemple. Cela dit,l'entreprise peut aussi devenir une sortede patronage ...C.B. : En tant que citoyen, vous n'êtesdonc ni pour ni contre les nationalisa­tions.

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La dimensiondes entreprises, leur forme

d'organisation,importent plus

que de savoir à quiappartient le capital

B.D. : Ce qui crée chez moi un senti­ment d'angoisse, c'est le risque de voirse créer des entreprises dont la taillesera monstrueuse, gigantesque. Car, àmon sens, et inéluctablement, les entre­prises nationalisables -qui sont déjàgéantes - seraient au moins, par sec­teur d'activité, probablement amalga-

mées à certains niveaux, et ce, mêmecontre la volonté du pouvoir politique.Je frissonne pour l'homme et son« bien-être professionnel ».

En ce qui concerne les entreprisesqui resteraient dans le secteur privé,il me semble qu'il faudra beaucoup decourage et d'habileté à leurs respon­sables, quand on songe que leurs four­nisseurs, leurs banquiers et (pour cer­taines d'entre elles) leurs clients pour­raient être ces entreprises nationaliséesmastodontes. Vous avez compris quece qui me préoccupe avant tout, c'estd'être certain que les hommes conserve­raient le pouvoir de faire, de créer,sinon de réaliser une œuvre. Et c'estplus le problème de la dimension desentreprises, de leur forme d'organisa"tion, qui me semble posé, que de savoirà qui doit appartenir le capital.

A cet égard, il m'apparaît qu'ildevrait être plutôt rassurant pour untravailleur de savoir que « son pa­tron » sera doublement pénalisé, danssa vie professionnelle, mais aussi dansson patrimoine, en cas d'échec. Ilserait à mon avis plus profitable pourla collectivité de responsabiliser encoreplus l'entrepreneur propriétaire de toutou partie du capital, plutôt que dechercher à diluer les responsabilités.

Mais, en contrepartie, il seraitnécessaire, pour mieux saluer la réus­site, de modifier nombre de schémas

intellectuels qui font que, souvent, cer­tains entrepreneurs sont des capitalisteshonteux de leur succès.C.B. : Changer l'homme, en quelquesorte. N'est-ce pas là un vaste pro­gramme?B.D. : Je sais qu'un long chemin resteà parcourir pour que les règles souventautocratiques appliquées sur les lieuxde travail soient en meilleure adéqua­tion avec les droits démocratiques dontjouissent les citoyens dans la société.Mais je suis intimement persuadé quedoit se maintenir l'identité propre àchaque face de l'individu : citoyen,consommateur, travailleur. L'individu, àtravers ces différents états, doit avoirla plus large possibilité de faire valoirses revendications, par l'intermédiairede ses structures représentatives, dansla plus large concertation, mais à condi­tion qu'aucun amalgame n'existe entreelles : élection au suffrage universelpour les citoyens, libre choix et asso­ciations de défense pour les consom·mateurs, syndicats pour les travail­leurs.

Et c'est au travers même de laconfrontation de ses intérêts et de sesbesoins souvent contradictoires que l'in­dividu se trouvera le mieux assuré depouvoir jouir de la liberté commecitoyen, du respect comme consomma­teur et de la dignité comme travail­leur .•

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