lignes de crêtes - chrétiens dans l'enseignement public · 2018. 3. 16. · ii ldc2 (p...

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Lignes de crêtes Janvier - Février - Mars 2009 8 € Chrétiens dans l’Enseignement Public n ° 2 Vulnérabilités Métier Et ailleurs ? Église et Foi Société Vie culturelle Vie de l’association ISSN 0294-0531 Chrétiens dans l’Enseignement Public

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  • Lignes de crêtes

    Janvier - Février - Mars 20098 €

    Chrétiens dans l’Enseignement Public

    n° 2 VulnérabilitésMétier

    Et ailleurs ?

    Église et FoiSociété

    Vie culturelleVie de l’association

    ISSN 0294-0531

    Chrétiens dans l’Enseignement Public

    ii LdC 2 couv 01.qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:32 Page 1

  • Site de CdEP : www.cdep-asso.org/

    Éditorial ........................................................................p 3Vulnérables... à la suite de... (Daniel Moulinet) ........p 4

    MétierLes savoirs des Petits... (Anne-Marie Kervinio) .........p 5Soutien en maternelle (Odile Désire).........................p 6Les réformes vécues à l’école… (Claire Carton) .......p 6Ça bouge à l’Université (Isabelle Tellier)....................p 7Les danseuses de... (C. Lambert, C. Laprugne) ........p 8Entendu à Bayeux .......................................................p 9Savoir se ménager pour tenir (Sylvie Blanchet) ........p 10Brèves... de salles des profs... (Cathy Réalini) ..........p 14Enseignant-chercheur (Isabelle Tellier) .....................p 15Supplique du travailler pauvre (De Moacir)...............p 16La vulnérabilité comme vertu... (Agata Zielinski)......p 17Église et FoiOuvrir à l’espérance (Jeannine Fringant)...................p 23Un Dieu bien plus grand... (G. et P. Davienne) .........p 24Chemins bibliques de fragilité (Isabelle Carlier) .......p 27J’ai excommunié Benoit XVI (Gérard Bessière) .........p 31

    SociétéAvec RESF (Sylvie Blanchet) .......................................p 32

    Et ailleurs ?Etre enseignante au Chili (I.D.N) ................................p 34La gestion du stress (Rosalinda Francia) ..................p 35Vie professionnelle, vie privée (W. & M. Friese) ........p 37Des convictions... (Wolfgang Ranke)..........................p 40Sens du développement (Michèle Bourguignon)......p 40

    Vie culturelleLu, Vu, Entendu ..........................................................p 41Dialogue interculturel (Claude Ollivier) .....................p 44

    Vie de l’associationDaniel Moulinet, premier aumônier de CdEP............p 45Sessions d’été ............................................................p 45Rapport d’orientation .................................................p 46Rencontres locales* Marseille ..................................................................p 47* Paris .........................................................................p 48* Saint Étienne ...........................................................p 49

    IconographieVulnérabilité (Christine Pellistrandi)...........................p 50

    Sommaire

    2 Lignes de crêtes 2009 - 2

    Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans

    l’Enseignement Public, résultat de lafusion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

    Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

    Drecteur de publication : Anne-Marie Marty - Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 1109 G 81752 du 8 novembre 2007Imprimeur INDICA - 24-26 rue de l’Industrie 92400 Courbevoie

    Dans les prochains numéros•Institution – instituer•Laïcité, vivre ensemble•Professionnalisation

    Abonnement à Lignes de crêtesnormal (cotisants,

    aumôniers) 25 €

    soutien etnon cotisants 35 €

    étranger 40 €

    Cotisation à Chrétiens dansl’Enseignement Public

    Merci de libeller votre chèque à l’ordrede Chrétiens dans l’Enseignement Publicet de l’envoyer à :Chrétiens dans l’Enseignement Public

    170 boulevard du Montparnasse75014 Paris - tél : 01 43 35 28 50

    traitement mensuel cotisation

    1000-1400 € 70 €

    1400-2000 € 110 €

    + de 2000 € 150 € ou plus

    Cotisation minimale annuelle de 30 €.Cependant, nous vous proposons de déterminer le montant de votre cotisationen fonction de vos possibilités. Vous trou-verez ci-dessous un tableau donnant desindications de montant.

    Photo de couverture : Simone Fischer

    02_Mise en page 1 03/12/09 09:19 Page2

  • “Il y a des gens dont les convictions géné-reuses ne font pas long feu. Il faut savoirles alimenter au quotidien“, nous disaitSylvie Blanchet à Bayeux fin août 2008.

    Ces convictions, les jeunes enseignants pré-parant la “session d’actifs“ n’en man-quaient pas. Et c’est à leur initiative que lethème choisi fut l’équilibre entre vie profession-nelle, engagements et vie privée. Choix fait en2007 alors que des projets de réforme dansl’Éducation Nationale, certains annoncés dès2003, se concrétisaient et fragilisaient le mondeenseignant. Deux ans plus tard, une crise éco-nomique ne fait que renforcer le sentiment devulnérabilité et élargir les craintes de beaucoup.

    Ce deuxième numéro de Lignes de crêtesporte la volonté d’aider à inventer des so-lutions, même modestes, à trouver l’équi-libre espéré. Il part de questions loin d’êtreouvertement abordées dans l’institution sco-laire : la fatigue professionnelle, la difficulté dese renouveler au cours de quarante ans de car-rière. Les panneaux réalisés en ateliers au débutde la session (vous pouvez en voir en page 4 decouverture) comprennent tous par exemple unordinateur, symbole de renouvellement commede remise en cause : moyen de se décentrerdans la classe, outil intéressant, valorisant ouangoissant selon les gens et les circonstances,et cependant chronophage ; lien utile mais par-fois aliénant quand l’inspecteur ou le conseillerpédagogique n’hésite pas à envoyer un rappel àonze heures le soir ou cinq heures du matin !

    Quand le credo actuel de la société pousseà être des battants, non des “fonction-naires rassis“, quitte à refuser ou évacuertout questionnement, comment assumer cetteexigence affirmée en réunion de CdEP : “Si on

    sort la difficulté scolaire de l’école ordinaire, sion l’en exclut, l’école publique n’a plus lieud’être“ ? Si “c’est le refus de reconnaître pro-blèmes et questions qui démolit“, s’il est “vitalde savoir préserver la bienveillance, car quandon l’a perdue, on ne travaille plus bien“(1), alorssanté physique, travail d’équipe et passion en-tretenue sont importants.

    Dans une société plus orientée vers le loisir et lasatisfaction de besoins privés, la question dela vulnérabilité assumée est aussi fondamen-tale pour l’engagement et le bénévolat. “Aujourd’huiles gens vivent trop dans la crainte. Crainte dene plus avoir de travail, de moyens, de vieillir,d’être malade, d’être attaqué ou… constammentcontrôlé. Forcément, au boulot, ils travaillentpour l’argent, individuellement. Rarement pourêtre ensemble… On risque de n’être ensembleque dans le malheur… Or ce qu’on fait ensembledans un groupe, on ne le ferait pas forcémentindividuellement“(2).

    Il a été dit à Bayeux qu’il fallait penser le travailen équipe autrement que comme “moyen desurvie”. Pour ne pas être fardeau ou tempsperdu, il nécessite d’être préparé, construit,théorisé. Il est à penser avant tout comme outilde réussite, pour le jeune en situation d’élèvecomme pour l’adulte dans son travail et ses en-gagements.

    C’est pourquoi nous sommes reconnais-sants à Sylvie Blanchet de nous avoiraidés, sans crainte d’évoquer ses propresvulnérabilités, à prendre en compte “la bonnehygiène de soi de l’enseignant” ; et à Agata Zie-linski de nous permettre de creuser la différencefragilité - vulnérabilité, et d’y trouver du sens, enparticulier grâce au regard d’Emmanuel Levinas.

    Mireille NicaultFévrier 2009

    3Lignes de crêtes 2009 - 2

    Éditorial

    1) Sylvie Blanchet2) Extraits d’une interview de Josiane Balasko

    ii ldc2 (p 3).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:40 Page 3

  • Dans un monde qui apparaît souventdur et inhumain, ne conseille-t-on pasde “se blinder si l’on veut survivre” ? Etnous faisons l’apologie de la vulnérabi-lité, non pas subie, mais choisie ! N’est-ce pas une forme d’inconscience, quede se livrer sans armure aux coups del’adversaire ? Mais voilà, “l’autre“ doit-il être considéré comme un adversaire,ou comme un frère ? Dans la Psycho-machie du poète latin Prudence, c’estla foi qui est représentée comme cou-rant au combat sans armure. Le choixde la vulnérabilité n’est-il pas un actede foi, une forme de pari sur laconfiance ?

    Certes, il y a un risque, pas négligeable,que l’autre ne soit pas prêt à entrerdans ce “rapport de mutualité“ de lavulnérabilité. Que l’enseignant vienne àdire : “Je ne sais pas“, qu’il apparaissehésitant dans l’exercice de son pouvoir,dans ses options, cela ne sera-t-il pasdéstabilisant pour son interlocuteur –l’élève ou l’inspecteur – qui le percevaitcomme “droit dans ses bottes“, dansles domaines du savoir ou du pouvoir ?

    Et pourtant, paradoxalement, il arriveque la vulnérabilité de l’un “touche l’au-tre“, révèle chez lui une connivencequ’on n’attendait pas, le fasse apparaîtrelui aussi comme vulnérable et conduiseles interlocuteurs à com munier dansune vulnérabilité reconnue et acceptée.

    Toute une vision de l’homme est enjeu dans cette attitude. Loin d’exalterle surhomme, la Bible ne voile pas la

    faiblesse de la créature (Je suis unhomme faible, dont l’existence estbrève, Sg 9,5), qui met sa confiance enDieu, refuge pour le faible (Za 12,8).

    Saint Paul a traversé cette expériencede la vulnérabilité. Tout autant formé àla foi juive qu’à la culture grecque, il estarrivé devant l’Aréopage avec son sa-voir, avec la cuirasse de l’art rhétorique.Et c’est l’échec qui l’atteint dans laconscience même qu’il a de sa mission.C’est désarmé dans sa foi qu’il se pré-sente aux Corinthiens. Et les cœurss’ouvrent au message du Christ. Aussipeut-il leur écrire : Ce qu’il y a de fai-ble dans le monde, voilà ce Dieu achoisi pour confondre ce qui estfort (1 Co 1,27). Paul refuse toutesuperbe et choisit l’humilité del’amour qui se propose : Qui estfaible, que je ne sois faible, quivient à tomber, qu’un feu ne mebrûle ? S’il faut se glorif ier, c’estdans mes faiblesses que je meglorif ierai (2 Co 11,29-30).

    C’est dans sa vulnérabilité et dans savérité que le Christ nous apparaît dansla scène du retour de Lazare à la vie(Jn 11). Il est profondément touchépar le chagrin de Marie et des juifs pré-sents, au point qu’il pleure avec eux,suscitant les interrogations de cer-tains : Ne pouvait-il pas faire que La-zare ne meure pas ? Ils attendent unemanifestation de pouvoir, mais, en ré-ponse – saint Jean insiste –, c’est uneimmense compassion qui envahitJésus. Se révèle alors ce qui fait lecœur de son identité : cette relation fi-liale à l’égard de Dieu qui le conduit àse tourner vers lui avec une confianceabsolue et à appeler Lazare à revenirau jour, demandant dans la prière quece retour conduise aussi les assistantsà entrer dans la lumière de la foi.

    Daniel MoulinetAllier

    Vulnérables…à la suite de Jésus et de Paul

    4 Lignes de crêtes 2009 - 2

    ii ldc2 (p 4).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:41 Page 4

  • Métier

    5Lignes de crêtes 2009 - 2

    Vous trouverez dans cette rubrique “Métier” de nombreux témoignages sur les questions d’actualité touchant divers niveaux de l’Éducation dans notre pays.

    Ces questionnements et remises en cause sont particulièrement source de “Vulnérabilités“ pour les personnes comme les équipes impliquées dans une éducation au service de tous. Les contributions de Sylvie Blanchet et Agata Zieliinski nous aideront à garder force et distance au fil du quotidien.

    Cette année, à l’école maternelle :

    Suppression du samedimatin !

    N’ayant pas ou peu d’élèves, lesamedi était l’occasion de se réunir,de se parler, de rencontrer les parents, le tout dans une atmo-sphère plus calme qu’en semaine.Nous tenons à garder des samedistravaillés pour les réunions de parents, la remise des livrets, lafête de Noël et celle de fin d’annéescolaire.

    Suppression desRASED !

    Nous avons organisé le soutiendes élèves en difficulté les mardiset jeudis de 16 h. 30 à 17 h. 15.Le goûter avec les enfants est l’occasion de se retrouver entre enseignants, de pouvoir se direenfin bonjour tellement noussommes pris par nos classes.

    Avec le petit groupe d’enfants,nous avons joué à la marchandeet à des jeux de société. Les en-fants qui avaient besoin d’acquérirde la confiance en eux n’ont plusbesoin de soutien au 2ème trimes-tre. Ceux qui ont des difficultés delangage ont besoin surtout d’or-thophonie.

    De nouveaux élèves viennentpour progresser en graphisme etnous proposons jeux dansés etpeinture. Mais que dire de J. et R.,deux enfants dont nous prévoyonsle maintien en grande section ?Impossible pour eux d’apprendreà lire l’année prochaine ! Noussommes démunis face à leursdifficultés ; il leur faut un maî-tre spécialisé qui les prenneen charge régulièrement, sur letemps scolaire… Nous attendonsavec impatience la venue de lapsychologue scolaire qui déclen-chera le protocole de maintiendont la commission se réunit enavril !

    Pour tous, enfants et ensei-gnants, ce soutien rallonge la journéescolaire ; nous l’avons suspendudeux semaines avant les vacances deNoël, plus personne n’était efficace…

    Où se trouve “L’exigence de qua-lité - portée par le désir d’atteindrela perfection d’humanité - qui entout distingue ce qui vaut“ ?

    Suppression de laPetite section !

    Cette année, nous avons ac-cueilli à la Toussaint, cinq enfants,dits Tout-Petits, nés début 2006.La liste d’attente est pleine. L’ins-pecteur nous a assuré que la Petite section (enfants de 3-4 ans)n’est pas menacée ; jusqu’àquand ?

    Ce serait bien dommage que lesinégalités se creusent encore plusavant l’école ! Mais de mon pointde vue, là où je travaille, en zonebanale, je ne défends pas l’accueildes Tout-Petits ; je pense que l’enfant doit être suffisammentmature, avoir trois ans, pour tirerprofit de la vie de la classe avecvingt-neuf copains.

    “Nous vivons tous dans unécart, difficile à accepter, entrenotre idéal et notre quotidien”.

    Anne-Marie KervinioVal-de-Marne

    “Les savoirs des Petits ne sont pasde petits savoirs”

    Dans son témoignage, Anne-Marie Kervinio reprend des citations de Philippe Meirieu Lettre à unjeune professeur (numéro 1 de Lignes de crêtes).

    RASED : Réseau d’Aides Spécialisées,aux Élèves en Difficulté

    ii ldc2 (p 5).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:42 Page 5

  • Soutien enmaternelle

    Institutrice à Nanterre,dans une école maternelleclassée en REP (Réseaud’Éducation Prioritaire), jetravaille en Grande Sectionavec 25 élèves. Les difficul-tés sociales des famillesque nous côtoyons sontnombreuses.

    Depuis cette année, la réforme de l’enseignementest mise en place. Cinq modules de soutien ont lieude 8 h. 20 à 8 h. 50 tous les matins devant quelquesélèves. Les modules sont du13 octobre au 25 novembre2008, puis du 4 décembre2008 au 20 janvier 2009,puis du 2 février au 24 mars2009, puis du 6 avril au 26 mai 2009 et enfin du 4 juin au 26 juin 2009.

    À cette époque de l’an-née, je ne peux me fonderque sur les deux premiersmodules pour faire un bilan.

    Ce qui a été positif, c’estque quelques élèves ont faitdes petits progrès grâce àcette mise en place d’untemps spécifique pour eux.

    Ce qui a été plus négatif,c’est que cette réforme nesuscite pas l’adhésion glo-bale des familles. Très peude parents ont mis leur en-fant régulièrement. C’estplutôt un échec. Sur unevingtaine d’enfants inscrits,une dizaine d’enfants estvenue. Cela complique la viedes parents. Personnelle-ment, je pense que dans lesannées à venir, cela nepourra pas continuer decette façon.

    Odile DésireVal-de-Marne

    Ce texte a été écrit avant lesgrandes manifestations des ensei-gnants.

    Nous, les enseignants du primaire,sommes abasourdis par des réformesmenées sans aucune concertation, nipréparation, dans la hâte... ; souventles enseignants les apprennent par lesmédias !La suppression du samedi matin :

    Elle ne s’imposait pas : il y a très peud’absentéisme. Le samedi matin étaitun moment où on reprenait, pour lesapprofondir, des notions vues pendantla semaine. C’était aussi utile pour desmanifestations où les parents d’élèvesétaient invités.

    Nous avons donc deux heures demoins par semaine pour mener à bienun programme qui n’a pas été élagué.

    Pour occuper les enseignants pen-dant ces deux heures, on leur a de-mandé d’organiser un soutien auxélèves en difficulté. Chaque école doit “sedébrouiller” pour l’organiser, en lien avecles mairies, ce qui occasionne beau-coup de problèmes : cantine, retour enramassage scolaire....

    Les mairies des communes ruralesse sont plaintes de ces charges nou-velles. Le ministre leur a dit : “Dé-brouillez-vous !” On sait très bienque les élèves en difficulté ne sont pasdu tout la préoccupation du Ministèrede l’Éducation Nationale.

    Plus grave : on fait passer l’idée quel’aide aux élèves en difficulté doit sefaire hors de la classe ! Ces enfantssont stigmatisés, et doivent rester unedemi-heure de plus à l’école alors quece sont les plus fatigables !Les nouveaux programmes :

    Mensonges et mensonges- avec deux heures de moins, il fautfaire autant de français et de math,donc moins d’histoire, de géogra-phie, de sciences, d’art plastique,de musique...- les programmes sont définis par année.On ne peut se concerter par cycle.- c’est le grand retour à l’école de nosgrands-parents. On a oublié de nous

    fournir la blouse grise ! On nous de-mande de retourner à la leçon suiviedes exercices d’application. Finies lesdécouvertes par l’enfant, l’observationde la langue, la manipulation... Lesélèves doivent appliquer des règles, etnon plus comprendre !Mensonges et contre-vérités sur l’écolematernelle :

    Les enfants n’y sont admis que pro-pres : les enseignants n’y changent pasles couches, contrairement à ce qu’adit notre ministre ! ! !

    L’école maternelle est essentiellepour apporter aux enfants de famillesdéfavorisées les bases nécessaires auxapprentissages scolaires. Il ne faut pasla supprimer, ce que nous redoutons.Atteinte au droit de grève :1 - les enseignants doivent prévenirl’administration 48 heures à l’avance2 - ils doivent prévenir les familles (cequi se faisait déjà)3 - les mairies doivent organiser unaccueil des élèves.Les RASED sont en danger :

    Ces Réseaux d’Aide et de Soutienaux Élèves en Difficulté sont constituésd’enseignants spécialisés qui vien-nent chercher pendant la classe lesélèves en difficulté, pour les épaulerdans les apprentissages de base.Il n’y a plus de proposition de stagesde formation continue.

    C’est grave.Nous, les enseignants, nous sommes

    dans la déprime d’exercer un métier auquelnous croyons, d’une façon qui ne forme pasdes enfants actifs, réfléchis, mais des en-fants passifs et exposés à la compétition lesuns contre les autres.

    Nous sommes déprimés d’être sanscesse dévalorisés, suspectés d’être “tire-au-flanc”. On doit maintenant notertoutes les heures que l’on fait en dehors dela classe : réunions, rencontres avec lesparents, les services sociaux… LeMinistre ne va pas en revenir !

    Claire CartonRevue Lien 3 novembre 2008

    Nancy

    Les réformes vécues à l’école primaire

    Métier

    6 Lignes de crêtes 2009 - 2

    ii ldc2 (p 6).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:42 Page 6

  • Á l’heure où j’écris ces lignes, jene connais pas encore l’issue duconflit qui oppose les universi-taires à leur chère ministre. Jesuis en grève depuis plus de troissemaines, je n’assure qu’une par-tie de mes enseignements (ceuxqui s’adressent aux étudiants quipartent en stage en avril), j’ai défilédans la rue quatre fois et assisté à unemultitude d’assemblées générales.

    Peut-être mal comprises audébut, les motivations des gré-vistes commencent à être demieux en mieux relayées par lesmédias. Elles concernent troispoints fondamentaux : la réformedu statut des enseignants-chercheurs, les suppressionsde postes dans les universités etle nouveau calcul des moyens quileur sont alloués, la “masterisation”du recrutement des enseignants duprimaire et du secondaire. Repre-nons brièvement ces points.

    Le projet de décret (actuelle-ment déjà bien mal en point)concernant le statut des ensei-gnants-chercheurs prévoyait de“moduler” leurs services d’ensei-gnement en fonction de leurs activitésde recherche, et ceci à la discrétion duprésident de leur université, seulmaître à bord depuis le passagede la loi LRU dite aussi “loi d’auto-nomie des universités”. L’idée n’estprobablement pas de retirer desheures aux chercheurs performants,mais plutôt d’en ajouter à ceux dont larecherche marque le pas. Certes, il yen a, j’en connais, mais j’enconnais très peu qui ne compen-sent pas un moindre investissementen recherche par un engagementpédagogique ou administratif accru(quand ce n’est pas ce dernier quiest à l’origine de l’autre, d’ailleurs).L’enseignement serait donc la punition des mauvais chercheurs,surtout de ceux qui ont la malchanced’enseigner une discipline où les

    besoins ne sont pas tous pourvus- surtout en tenant compte du faitque de nombreux postes sontsupprimés -, ou qui manqueraientd’appuis à la direction de leuruniversité ; on voit les effets du“fait du prince” à l’échelle dupays... Ce n’est sans doute pasainsi qu’on va les remettre enselle.

    Le nœud du problème, en fait,c’est le manque chronique demoyens attribués aux universités,malgré les bonnes intentions offi-cielles affichées par le ministère.Certes, certains crédits nouveauxleur sont alloués, mais ils ne suffi-sent même pas à compenser lesnouveaux frais qui leur incombentdu fait de leur toute nouvelle “auto-nomie”. Je connais une grande uni-versité de la région parisienne qui,pour assurer la gestion des fiches depaie de son personnel, doit mainte-nant la sous-traiter (moyennant fi-nance bien sûr) auprès du servicede l’État qui s’en occupait aupara-vant... Avec la LRU, ce que chaqueuniversité recevra dépendra désor-mais de son “efficacité”, évaluée parde savantes et obscures pondérations.Quelques-unes (les dix heureusesgagnantes du “plan campus”) serontfavorisées aux dépens de toutes lesautres. Mais toutes devront faireavec moins de personnels, à chargepour elles de gérer la pénuriecomme elles le pourront.

    Enfin, le projet de remplacer laformation dispensée dans lesIUFM par des filières universitairesde niveau bac+5 (les “masters”)ne serait pas nécessairementmauvais en soi s’il n’était pasmonté dans une précipitation in-croyable et ne s’accompagnait dela suppression de l’année destage en situation (et rémunérée)prévue après succès au concours.Et que deviendront les bataillonsd’étudiants titulaires d’un master

    Ça bouge à l’UniversitéMétier

    7Lignes de crêtes 2009 - 2

    d’enseignement de leur disciplinemais pas reçus à leur CAPES ouagrégation ? Des vacataires cor-véables à merci...

    Pour attiser les rancœurs, leprésident de la République a pro-noncé fin janvier devant le gratin dela recherche française un discoursindigne et méprisant qui a suscitéune réprobation unanime, y comprisde la part de ceux qui, initialement,soutenaient ses projets de réforme(il est très facile d’en voir les pires ex-traits sur Internet ; on en trouveaussi de nombreuses et édifiantesanalyses critiques).

    Ce qui me choque dans l’en-semble de ce dispositif, c’est qu’ilmodifie l’esprit d’indépendance etde service public auquel les uni-versitaires sont si attachés : aulieu de chercher à compenser lesinégalités (tant au niveau national,entre universités, qu’au niveaulocal, entre les personnels d’unemême université), le ministère secharge au contraire de les mettreen avant et de les exacerber. A-t-on assez remarqué que les uni-versitaires ne manifestent mêmepas pour leurs salaires, pourtantdérisoires au vu de leurs qualifi-cations ? Ce qui leur tient à cœur,c’est autre chose...

    Isabelle TellierLoiret

    Quelques sites Web pour vous informer :- site de l’association la plus en pointedans le débat sur la LRU- site de la « Coordination Nationaledes Universités », née plus récemment- site d’un des blogs qui relaie le mieuxtoutes les actions en cours :http://sciences.blogs.liberation.fr/home/politique/- sites d’universitaires en lettres quirendent compte des débats :http://www.fabula.org/actudebats.phphttp://www.nonfiction.fr

    ii ldc2 (p 7).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:43 Page 7

  • C’est désormais une évidence : lamission de Titulaire sur Zone de Rem-placement est de moins en moins unstatut choisi par les enseignants. Il estle plus souvent subi par les néo-titu-laires ou des collègues dont le poste aété supprimé. L’enseignant TZR estdonc un enseignant à part entière, dontles compétences ont reçu la même va-lidation que celles des autres ensei-gnants. Il est affecté sur une zone deremplacement à titre définitif, et effec-tue des suppléances de durées varia-bles selon les besoins de l’académie.Même si chaque situation est très par-ticulière, être TZR entraîne de nom-breuses contraintes, et on constate unevraie dégradation de la mission ces der-nières années

    * Dans de nombreuses académies,les zones de remplacement se sontélargies et la note de service n°99 –152 du 7 octobre 1999 stipule que “lesintéressés peuvent être amenés à intervenir au sein d’une zone limitropheà leur zone d’affectation“ ce qui signi-fie par exemple qu’un collègue, rattaché administrativement dans ledépartement “central” de l’académie,dans une discipline dont la zone est départementale, peut être amené à en-seigner n’importe où dans l’académie.De même, certains TZR se retrouvent àenseigner sur deux, trois, voire quatreétablissements.

    * Même dans ces conditions, lesdélais de préparation laissés à l’ap-préciation des chefs d’établissementsont souvent très courts : au mieux, ils’agit de quarante-huit heures ; au pire,de quelques minutes quand la sup-pléance a lieu dans l’établissement derattachement du TZR. Les textes res-tent très flous sur ce point, et aucundélai légal n’est spécifié. Paradoxale-ment, l’administration envoie très tar-divement les arrêtés d’affectation, unepièce administrative pourtant essen-tielle afin d’être couvert légalement ausein de son établissement, et qui pour

    les TZR, revêt une importance capitalepour faire valoir ses droits, notammentle versement de l’ISSR (Indemnités deSujétion Spéciale de Remplacement).

    * En outre, les ISSR n’ont pas étéaugmentées depuis de nombreuses an-nées et un collègue affecté à l’annéedans son établissement de rattache-ment ne peut prétendre à leur verse-ment... ce qui fait réfléchir sur laprétendue cupidité du TZR !

    La situation apparaît inextricable, etl’on craint de voir les missions se pé-renniser : en effet, depuis 2004, dansde nombreuses académies(1), aucunpoint de bonification n’est attribué auxTZR (contre 20 points par an précé-demment) et les points acquis avant2004 ont été définitivement supprimésau mouvement 2008 (certains col-lègues perdant jusqu’à plus de 200points !). C’est ainsi que les possibilitésd’obtenir un poste fixe se restreignentnettement, alors que la difficulté de latâche augmente. Passer, en une seuleannée scolaire, de l’enseignement enclasse de BTS à celui en classes de 6ème

    et de 5ème, avant de devoir découvrir lesspécificités de l’enseignement profes-sionnel ; reprendre les fonctions de professeur principal une semaine avantles conseils de classes, ou les projetslaissés par les collègues absents ;s’adapter à la politique de chaque établissement (en termes de sanctions,de suivi des élèves) le plus rapidementpossible ; courir chercher – et acheter –les manuels scolaires ; trouver un loge-ment pour assurer une suppléance trèsloin de son domicile, ou parcourir 200 kilomètres pour aller travailler...

    Les danseuses de l’enseignementMétier

    8 Lignes de crêtes 2009 - 2

    (1) Les académies deCréteil et Versailles ontconservé les attribu-tions des points de bonification. Après unemobilisation des collec-tifs et des syndicats, lesacadémies de Lyon etde Rennes ont récupérétout ou partie despoints.

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  • tout cela suppose une charge de travailconsidérable, de nombreux frais et unefatigue aisément compréhensible. Deplus, en termes de progression de car-rière, il faut reconnaître que les inspec-tions se font attendre très longtemps,les IPR recevant parfois les arrêtés d’af-fectation une fois la suppléance termi-née. Enfin, d’un point de vueadministratif, les TZR se retrouvent éva-lués par un chef d’établissement qui neles a parfois pas vus d’une année sco-laire. Que penser de l’appréciation :“TZR. N’a pas exercé dans l’établisse-ment. Maintien de la note” ?

    Lorsqu’on impose à des enseignantsde telles conditions de travail, hélas desplus classiques(2), comment imaginerqu’ils puissent exercer convenablementet mener à bien des projets pédago-giques avec leurs classes ? Les “dan-seuses”, comme sont parfois appelésles TZR, ont souvent mal aux pieds ets’inquiètent de toutes les cassures ap-portées au statut de titulaire...

    Pour pallier ces difficultés, pour par-tager les questionnements pédago-giques et administratifs, pour romprel’isolement souvent inhérent à leur mis-sion, les TZR se sont organisés en col-lectifs, relayés par des forums dediscussion :

    → forum unitaire, regroupant descollègues de toute la France.

    → tzrauvergne.infodiscussion.net :créé par des collègues auvergnats, ceforum est ouvert à tous les TZR et àtous ceux qui sont intéressés par lesconditions des missions de TZR.

    Christelle LambertClarisse Laprugne

    Allier

    Entendu à Bayeux

    Métier

    9Lignes de crêtes 2009 - 2

    (2) Nous n’insisterons pas ici sur les arrêtés d’affectation antidatés, ne permettant pas de prétendre au verse-ment de l’ISSR, sur les activités entredeux remplacements, sur les affecta-tions dans une autre discipline que cellede recrutement, sur le mépris de la fameuse “prise en compte descontraintes personnelles” par les Rec-torats…

    “Depuis que je ne rêve plus de la classe parfaite,je me sens mieux”.

    “Il faut peut-être avoir été soi-même un enfantqui aurait aimé être regardé différemment pourcomprendre les enfants en difficulté…”

    “Il est très difficile de travailler dans une institu-tion en laquelle on n’a pas confiance…”

    “Il est très difficile d’avoir des ressources d’adap-tation collective. Chez nos responsables hiérar-chiques, il faut prendre ce qui vient”.

    “Il faut bien savoir qu’on ne gère pas son temps ; ilpasse - malgré nous. Au mieux, on peut “gérer” sa vie,mais il y a beaucoup d’éléments qu’on ne maîtrise pas”.

    “Il y a une différence entre “faire la classe” et“faire des leçons dans une ou plusieurs disciplines”.

    “Faut-il se donner à la chose publique ousimplement s’y prêter ?”

    “La liberté pédagogique est sans cesse rappelée dans lestextes. Son appréciation personnelle est largement prédomi-nante. Cette liberté est un cadeau qu’il faut savoir apprécierà sa juste valeur. Mais c’est aussi un fardeau : on a l’obligationd’opérer seul ses arbitrages. On n’attend pas l’avenir commeon attend le train, on le fait”.

    “Quelle règle dégager pour définir le bonenseignant en équilibre entre ce qu’il doit àlui-même et ce qu’il doit à l’institution ?”

    “Il ne faut pas craindre d’aller dans les recoinsdes maisons où on ne va pas toujours, d’y ôterquelques toiles d’araignées”.

    “Ce métier nous fait grandir énormément ;il est difficile, mais c’est un vrai chemin”.

    “Il y a une soif, autre chose quemétro/boulot/dodo/fric/piscine”.

    “Ce besoin du monde moderne de se confierparce qu’il n’y a pas de lieux pour parler”.

    “Cela apaise d’avoir des groupes où on peutse formuler. Si on est apaisé, moins dansl’étouffement, on peut alors mieux reconnaîtreaux collègues leur couleur et leur rythme à eux”.

    “L’institution est défaillante à l’égard des jeunes collègues.Il faut qu’ils puissent trouver ce que nous avons trouvé”.

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  • Savoir se ménager pour tenir

    10 Lignes de crêtes 2009 - 2

    Qu’est ce qui nous fait tenirquand on a un travail psychique-ment fatigant ? Qu’est ce qui nousfait craquer ? Qu’est ce qui faitque des gens perdent en routeleurs convictions et basculentdans l’aigreur quand d’autres per-sistent à être convaincus du bien-fondé de ce qu’ils font ? Commentfait-on, au quotidien, pour se mé-nager et recharger ses batteries ?C’est une alchimie compliquée,sans doute très variable d’unepersonne à une autre. J’ai pourma part souvent peur, dans lesmoments de lassitude, de perdrece que j’appelle le “feu sacré”, cefeu sacré qui me permet d’avoirenvie d’aller travailler le matin…C’est donc une question qui mé-rite qu’on s’y arrête !

    Trajectoire

    Actuellement et depuis une di-zaine d’années, j’ai une fonctionde ré-éducatrice en RASED sur unsecteur urbain très populaire, engrande partie classé ZEP. Au coursde ces dernières années : pas-sage de quatre à deux ré-éduca-trices. J’exerce donc sur quatregroupes scolaires, soit huit écolesprimaires et maternelles.

    La fonction du ré-éducateurchercher à nouer un lien privilégiéavec des enfants “normaux” maisqui peinent à trouver leur place àl’école et/ou qui n’entrent pasdans les codes de comportement“attendus“ (instables, agressifs,trop peu autonomes, peuconfiants en eux, trop préoccupéspour être disponibles pour ap-prendre, peu concernés parl’école et/ou la culture française,porteurs de traumatismes…). Àmon sens, c’est d’abord la qualité

    du lien qui peut aider les enfants àfranchir le pas. Mon métier re-quiert donc beaucoup moins detechnicité (je ne suis pas psycho-thérapeute) que d’attention, dedisponibilité… de cœur !

    Travail également avec les col-lègues enseignants : ce sont euxqui ont les enfants tout au long dela semaine… Ce sont eux qui fontle plus gros du travail ! Il est doncindispensable de beaucoupéchanger avec eux, de croiser nosregards.

    Travail avec les familles, ce quirequiert aussi des efforts d’ouver-ture et de disponibilité : il faut fairela démarche d’aller au-devantd’elles, de créer un lien deconfiance, de saisir leurs logiqueset leurs approches éducatives…Beaucoup ne sont pas d’originefrançaise, l’école française ne leurest pas toujours familière, une cer-taine méfiance existe parfois.

    Mon travail est donc nettementdifférent de celui de la classe. Ilest sans doute moins fatigantmais il requiert du dynamisme etbeaucoup de disponibilité au planpsychologique… En ce sens il peutêtre usant, d’autant que les situa-

    tions “lourdes” ne sont pas rares :parents dépressifs, à la dérive ouporteurs de traumatismes lourds ;précarité matérielle ; situationstrès incertaines (familles sans pa-piers, qui ne savent pas de quoi lelendemain sera fait) ; familles enrupture vis à vis de la société fran-çaise… Elles ne sont certes pas lamajorité, mais les situations inex-tricables absorbent beaucoupd’énergie !

    Coups de blues

    Deux au cours de l’année 2007-2008.

    Le premier a eu lieu en octobre,à la suite des synthèses de signa-lement de début d’année sco-laire : inventaire, dans chacunedes écoles, des enfants en échecet/ou allant mal… La liste estlongue et beaucoup de noms sontarchi-connus… Sentiment d’échecet d’impuissance, d’usure etd’épuisement : sentiment de viderla mer avec une petite cuillère,très grande fatigue ! Je comptaissur les congés d’octobre pour meremettre… Aucune amélioration…Jusqu’à ce que je comprenne quema thyroïde devait y être pourquelque chose ! Après adaptationdu traitement, retour d’une cer-taine énergie et sentiment d’êtreà même de pouvoir faire face :même si l’on n’est pas assuré deréussir, il faut essayer !

    Moralité : il faut être en bonnesanté !

    Métier

    RASED (Réseau d’Aides Spéciali-sées aux Élèves en Difficulté)

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  • Troisième trimestre : réceptionde mon rapport d’inspection, où jelis que je suis découragée et queje dois prendre de la distance…Sentiment de n’avoir pas du toutété comprise. Sentiment que nosdifficultés à exercer ne sont abso-lument pas perçues ni prises encompte. Sentiment de n’obteniraucune reconnaissance pour untravail qui me semble, objective-ment, assez dur… Doute quant àma place au sein de cette institu-tion ; sentiment d’avoir les jambescoupées ; envie de partir au plusvite à la retraite. À noter que beau-coup de mes collègues partagentces sentiments et vivent très malleurs relations avec leur hiérar-chie.

    Moralité : la responsabilité de lahiérarchie et l’image renvoyée parle corps social (notamment lesmédias) sont extrêmement impor-tantes… On peut se sentir littéra-lement usé si on a le sentimentde n’être jamais reconnu ni grati-fié, même si on aime par ailleursson travail et même si on s’y sentà son aise ! Ceci me semble vala-ble pour tous les métiers (cf. SergePaugam ; cf. Alain Ehrenberg).

    PerspectivesActuellement, j’ai envie de trou-

    ver un poste un peu plus paisible(et j’aspire aussi à achever macarrière !) ; il est donc probableque je quitte le secteur à la fin del’année scolaire à venir :�parce que c’est usant ;�parce que j’ai le sentiment de

    n’avoir plus beaucoup d’empathievis-à-vis des familles les plus“lourdes”, dont j’ai suivi, sansgrand résultat, tous les enfants lesuns après les autres ;�pour me renouveler, découvrir

    d’autres milieux sociaux.Mais j’ai, dans le même temps,

    une forte appréhension à l’idée departir :

    �parce que je crains de ne pasretrouver ailleurs la même pas-sion ; parce que je crains de m’en-nuyer ;�parce que je crains de ne pas

    retrouver un travail d’équiped’aussi bonne qualité ;�parce que je crains de ne pas

    me sentir autant à ma place, au-tant en phase avec un secteur ;�parce qu’enfin j’ai noué avec

    bon nombre de familles des lienstrès privilégiés et parce que j’auraide la peine à penser que je lesperdrai de vue.

    Tout cela est donc très ambiva-lent, comme sans doute tous lessentiments humains. Il s’y mêlebeaucoup d’affects. Ce n’est pasaffaire de “plan de carrière”, ça nese “gère” pas comme un plancomptable… Il ne faut pas, à monsens, nier ces affects ni les mini-miser ; il faut en revanche essayerde les décortiquer pour savoir unpeu où l’on en est, ce qui nousmotive ou ce qui nous épuise.

    Au jour le jour, se préserver

    Je ne pense pas qu’il y ait desrecettes : je crois assez peu auxtechniques pour rester zen (sielles marchaient vraiment, onn’en parlerait pas tant !). La ma-nière dont la fatigue se manifesteet la manière de la traiter sont dif-férentes chez chaque individu…Ce qui signifie qu’il faut moinschercher des recettes universellesqu’essayer de se connaître, demanière à être capable de garderun œil sur soi-même, et de recti-fier la direction quand on sentqu’on approche du fossé.

    Quelques règles d’hygiène quo-tidienne à adapter selon sonmode de fonctionnement propre :�s’obliger à des moments de

    rupture… Les enfants ont besoinde fiches pédagogiques bien

    pensées mais ils ont aussi besoin,à mon sens, d’adultes qui nesoient pas toujours stressés. Êtreà peu près reposé le matin mesemble indispensable dans cemétier ; donc il faut savoir lever lepied sur les préparations !�repérer ce qui fait du bien, ce

    qui délasse : jardin, ciné, marche,tricot ou piscine, peu importe,mais il est bon que chacun sachece qui est efficace pour lui per-mettre de décompresser.�repérer les signes d’alerte qui

    montrent que la machine est ensurchauffe : irritabilité, insomnies,rêves autour du travail, douleurserratiques… Tout cela montre quele corps et le psychisme en ontassez… Si l’on refuse de les écou-ter, ils devront crier plus fort !�garder la fenêtre ouverte sur

    d’autres choses : autres centresd’intérêt, autres liens sociaux, quipermettent de changer d’air et des’aérer la tête. Dans le mêmeordre d’idées, éviter de ne côtoyerque des gens du même milieu pro-fessionnel : entendre d’autres his-toires de lassitude permet derelativiser les siennes et de regar-der les choses à la bonne échelle(sachant que, lorsque l’on est fati-gué, on perd complètement cettenotion d’échelle).�admettre, enfin et surtout, qu’il

    n’est pas anormal d’être affecté.Nous vivons dans une société trèscompétitive et très intolérante àtoutes sortes de dysfonctionne-ments humains. Il faut être jeune,beau, joyeux et en bonne santé. Ilfaut “gérer ses affects”, et il est debon ton d’afficher un air resplen-dissant même quand on traverseune phase difficile. Tout se passecomme s’il était anormal d’êtreéprouvé par des événements pénibles, comme si ces événe-ments devaient glisser sur nouscomme l’eau sur les plumes d’uncanard. Cette idéologie me sembletrès contre-productive (cf. PascalBruckner, L’euphorie perpétuelle) et

    Métier

    11Lignes de crêtes 2009 - 2

    ii ldc2 (p 10-13).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:46 Page 11

  • très douteuse au plan moral. Niernotre humanité, donc notre fragi-lité, donc nos doutes, c’est nier lameilleure part de nous- mêmes.�en cas de choc, éviter de rumi-

    ner tout seul… Parler permet de seré-intégrer dans la société deshommes, parler soulage. Parlerpermet aussi, souvent, de mettrede l’ordre dans sa tête. Pour au-tant, il n’est pas indiqué de“gaver” son entourage avec sessoucis ! Une modalité peut être des’échafauder une version tant soitpeu cocasse de l’affaire qui nousremue et de la livrer, avec cet en-robage humoristique, à différentespersonnes : on “videra son sac”mais on ne fera pas suer lemonde ! L’étape suivante peut êtrela mise en forme (dessin, texte…) :les symbolisations de cet ordrepeuvent aider à évacuer.

    Sur le long cours

    Je pense que l’on ne peut, sur lelong cours, assumer un travail psy-chiquement usant que si l’on a ensoi un moteur qui s’apparente à lafoi ou à la conviction idéologique :que si l’on a la volonté de s’enga-ger, que si l’on croit qu’on peut,voire qu’on doit, essayer d’influersur le cours des choses… On re-joint là la notion de vocation. Je di-rais qu’il faut se sentir à sa placeet être convaincu d’avoir un rôle àjouer. Cela ne se pose pas néces-sairement, particulièrement au-jourd’hui, sur le terrain politiqueou religieux : très peu de mes col-lègues sont croyants et encoremoins, curieusement, sont mili-tants politiques. Il y a néanmoinschez eux une fibre humaniste quisouvent leur fait dire “je préfèretravailler avec ces enfants-là parceque les autres, ceux auxquels lavie a tout donné d’emblée, n’ontpas grand besoin de moi”.

    Moralité : il y a tout de même,dans l’engagement dans ce tra-vail, une part de conscient et derationnel !

    Ceci étant, la raison seule nemène pas l’homme… Il ne suffitdonc pas d’être convaincu dubien-fondé de sa tâche pour par-venir à la mener à bien ! Il est à cetitre très important de ne pas bou-der ni sous-estimer les gratifica-tions que l’on reçoit… Il m’arrivede recevoir des petits cadeaux ; ilest fréquent que des mères, à larentrée de janvier, viennent m’em-brasser pour me souhaiter labonne année… Il ne faut pas sous-estimer tout cela : ce sont des mo-ments de bonheur qu’il fautsonger à savourer… On a aussi ledroit, de temps en temps, d’êtresatisfait de soi-même ! Exemple :je repense à une période, il y aquelques années, marquée pardes grosses difficultés avec plu-sieurs familles… Je me sentaisvidée et découragée, j’avais lesentiment de n’arriver à rien,jusqu’au moment où j’ai été assezlucide pour reprendre la liste desenfants que je suivais et pour exa-miner où j’en étais pour chacund’eux… Je me suis alors aperçueque les difficultés ne concernaientqu’un très petit nombre d’entreeux, qu’avec la très grande majo-rité tout se passait bien !

    Métier

    12 Lignes de crêtes 2009 - 2

    Moralité : ne pas oublier de regarder aussi ce qui va bien etd’être fier de ce que l’on réussitbien !

    Il faut “sortir le nez du guidon“.Pour cela il n’est pas mauvais defaire appel, de temps en temps, àdes modèles positifs… En se creu-sant un peu la tête, on peut trou-ver, dans son entourage, parmises ancêtres… des exemples depersonnes qu’on a en très hauteestime et qui peuvent être pournous des exemples à suivre.Exemple : en tant que militante deRéseau d’Éducation Sans Fron-tière, je me suis occupée, ces dernières années, de plusieurs familles de sans-papiers. Le cou-rage de plusieurs mères, que j’aicôtoyées de très près, m’a beau-coup impressionnée… J’ai pensé àla suite que si elles étaient capa-bles de tant de détermination,j’étais sans doute quant à moi ca-pable d’un peu plus que ce que jepensais au préalable. Dans desmoments difficiles, j’ai convoqué,à plusieurs reprises, leur image :elle m’a revigorée.

    Éviter, en tout cas, de se noyerdans l’introspection… La réflexionsur soi est utile… si elle a une fin !Il est aujourd’hui de bon ton decréer des groupes de parole à toutbout de champ. Je ne suis pas cer-taine que ce soit justifié.

    Exemple : j’ai fait partie, durantplusieurs années, d’une associa-tion qui s’occupait d’accueillir et

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  • d’héberger des malades en traite-ment ambulatoire à l’hôpital d’Orléanset des familles de personnes hospita-lisées dans ce même hôpital. Celieu d’accueil était tenu par desbénévoles, qui effectuaient aumaximum trois heures de perma-nence hebdomadaire. Un jour, dé-cision a été prise d’instituer ungroupe de parole au prétexte queces trois heures de permanenceéprouvaient durement les béné-voles… À ce compte-là, combienles infirmières ou les pompierspasseraient-ils d’heures en groupede parole ???

    Moralité : il faut accepter d’êtrebousculé : c’est la preuve que l’onest vivant ; et c’est peut être aussil’occasion de grandir ! Pour uneéquipe, un moment convivial au-tour de la cafetière peut au reste,à mon sens, être largement aussi“requinquant” qu’un groupe deparole : la joie et le rire sont éga-lement très thérapeutiques, nel’oublions pas !

    Accepter, de même, qu’il y aitdes moments creux : nous nesommes pas des robots, nous nesommes pas toujours opération-nels, nous ne sommes pas toujourssouriants… Nous ne sommes quedes humains, mais c’est à des humains que les enfants peuvents’identifier, non à des technocratesde la pédagogie, et c’est une parole humaine qu’ils ont besoin

    d’entendre… Je note que les en-fants que je rencontre me parlentsouvent de leurs enseignants, ilssont très attentifs à ce qui leur ar-rive (exemple : “le fils de la maî-tresse est malade”) : je crois quec’est aussi très formateur poureux de voir que les adultes sontdes êtres en chair et en os, avecde bons et de mauvais moments.

    Pour pallier ces moments creux,il me semble indispensable deprendre appui sur l’équipe profes-sionnelle… Dans une équipe, il estrare que tout le monde flanche enmême temps : les plus toniquessoutiennent donc les plus fati-gués… Mais il ne faut pas oublier,quand on a remonté la pente, derenvoyer l’ascenseur !

    Autant que possible, tirer profit,cette fois-ci de manière tout à faitpersonnelle, de ces expériencesparfois difficiles en construisantles choses au plan intellectuel…Lire, s’informer, aide d’abord àcomprendre, à mettre du sens, às’apercevoir qu’on n’est pas seul.Ensuite, dans un second temps, ily a le plaisir de progresser dans lesavoir et de participer soi-même àl’élaboration des contenus : c’estune démarche très gratifiante.Exemple : le fait de rédiger deschroniques pour La Croix est pourmoi un exercice dynamisant ;chaque soir, j’essaie de me repas-ser le film de la journée pour voirsi tel ou tel petit événement mé-rite d’être noté ou peut donnerlieu à un article… C’est assuré-ment une motivation supplémen-taire pour aller travailler et pourêtre attentive à ce qui se passeautour de moi !

    Pour aller plus loinQuelques lectures pour approfondir laréflexion :* Le déclin de l’institution, FrançoisDubet (Seuil, 2002). F. Dubet examinecinq corps de métiers (instits, profs,travailleurs sociaux, infirmières et média-teurs) qui ont en commun d’œuvrer dans

    le champ de la relation. Il examinepour chacun d’eux la relation à l’insti-tution. Cette relation peut être un tu-teur, un point d’appui : si l’institutionfonde le “métier”, les professionnelsont un socle sur lequel bâtir leur pra-tique. Si au contraire l’institution estdéfaillante, si précisément elle n’ins-titue plus, elle renvoie les profession-nels au doute et à la solitude : elle neles autorise plus à se recommanderque d’eux- mêmes, ce qui est bienpeu !* La fatigue d’être soi, Alain Ehrenberg.(O. Jacob, 1998). Les places ne sontplus, aujourd’hui, questions d’héri-tage : on n’est plus cordonnier de pèreen fils ; chacun est censé être l’arti-san de lui-même. La rançon de cettedémocratisation de la distribution desplaces, c’est qu’il n’est plus possible,en cas d’échec, d’invoquer le sort oude s’en prendre à quelqu’un d’autreque soi-même… C’est ainsi que A. Eh-renberg explique, d’une manière toutà fait convaincante à mon sens, “l’épi-démie” contemporaine d’addictions etde dépressions : quand on touche aunarcissisme, à l’estime de soi, c’est-à-dire à ce qui constitue le fondementde l’être humain, les conséquencespeuvent être très sérieuses.* L’euphorie perpétuelle, PascalBruckner (Grasset, 2000). Plus légermais non moins stimulant… PascalBruckner dénonce les effets perversde l’utopie, née selon l’auteur dansles années 1960, de la “jouissanceperpétuelle” et du “bonheur perma-nent”… Ou comment on se rend mal-heureux en voulant, à toute force, donnerl’impression et se persuader soi-mêmequ’on est heureux !* Le salarié de la précarité, SergePaugam (PUF, 2000). Le titre n’estpas, à mon avis, très adéquat. À travers une série d’entretiensmenés avec des professionnels dedomaines très di f férents, SergePaugam dist ingue quatre catégo-ries de salariés, selon que ceux-ci bénéficient ou non d’une part d’unemploi stable, d’autre part d’un travaildans lequel ils se sentent reconnus etvalorisés... On peut y piocher despoints de repère pour analyser sa propre relation au travail.

    Sylvie BlanchetLoiret

    Métier

    13Lignes de crêtes 2009 - 2

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  • Réflexion : En lycée, certains de mes collègues me font parfois penser à des “distributeurs automatiques

    de cours” : ils sont là, disent-ils, pour “dispenser un enseignement, transmettre des connais-sances, un savoir ou un savoir-faire” dans leur matière, et semblent peu se soucier des êtres humains qui sont en face d’eux. Leur credo : il faut “rester avant tout professionnel“ et refuser de poserle pied sur le terrain glissant des “questions ou problèmes personnel(le)s”.

    D’où cela vient-il ? Peur de l’autre ? C’est vrai qu’on peut se sentir “fragile et vulnérable” si l’onentr’ouvre ou qu’on quitte un moment l’armure du savoir...

    Et pourtant les élèves sont des personnes... Nous aussi d’ailleurs ! Et parfois la vie personnellefait irruption de façon imprévue dans l’heure de cours.

    Expérience vécue :Un jour, j’étais en classe avec des étudiants

    de BTS 2ème année ; ce sont des jeunes sou-vent issus de Bac Pro ou Techno, qui ont entre19 et 22 ans, et qui sont assez vite agités,assez peu motivés (euphémisme !) par le“français et la culture générale” (tel est l’inti-tulé de ma matière avec eux) ; c’est une classedans laquelle je me sens parfois un peu “fra-gile”, vite débordée : je ne leur et je ne me faispas trop confiance pendant ces deux heuresde cours à passer avec eux. Ce jour-là, donc, ilse trouve que, depuis longtemps, j’avais prévud’étudier un groupement de documents sur“la mort et ses représentations dans notre so-ciété occidentale” qui figure dans notre ma-nuel. Parmi les textes, il y en a un, fortclassique, de Philippe Ariès, que je lis à voixhaute, mais... d’une voix... de plus en plus fai-ble et chevrotante... jusqu’à m’arrêter, leslarmes aux yeux. Stupéfaits, les étudiants mefixent sans comprendre... Je me demande quoifaire, puis je choisis de leur expliquer briève-ment que ma mère a fait récemment un AVC,qu’elle ne va pas bien, que mon père (méde-cin) est pessimiste, et... que cela me perturbe,évidemment... Alors, ce texte sur la mort : siquelqu’un veut bien le lire à ma place ?

    Bienveillants et apparemment touchés, lesétudiants lisent ce texte, les autres, travaillenten petits groupes sur les documents, et semontrent exceptionnellement attentifs et cha-leureux, cherchant visiblement à me faciliterles choses. Quel cadeau que ces deux heuresde cours là ! Quelle gentillesse dans leur sou-rire quand ils m’ont dit “Au revoir Madame, à lasemaine prochaine !”. Rien d’autre ne s’est

    Brèves... de salle des profs... de couloir...

    Métier

    14 Lignes de crêtes 2009 - 2

    fait ou dit cette fois-là. Ils étaient encore unpeu “différents” et “autres” le cours suivant. Ils sesont à nouveau montrés plus ou moins dissipésles fois d’après ; retour à la “normale”...

    Mais quelque chose était passé... et ils m’ontfait un beau cadeau... malgré (ou à cause de ?)ma vulnérabilité ce jour-là. Nous avons vécu deuxheures entre “êtres humains” d’abord, et passeulement entre prof et étudiants ; entre per-sonnes qu’un texte “touchait”, à qui il avait“parlé”, ensuite. Perle à garder dans ma besacede “prof de français”...

    Vulnérabilité de l’élève qui voulait jouer au“dur”, se faire remarquer, se venger de sa“médiocrité” en classe, et qu’un mot cinglant,une remarque ironique de l’instituteur ou duprofesseur a tout à coup humilié. Les mots :armes dérisoires... et si meurtrières, qu’onpeut se lancer de part et d’autre du bureau...J’ai parfois regretté une ironie qui m’avait per-mis de “casser” (comme ils disent) un fauteurde troubles et d’avoir la paix... Mais pas lapaix intérieure, le soir, en y repensant.

    “Les mots et la parole ont une force in-soupçonnée : ils sont la tourmente ou labrise ; la pluie qui dévaste ou l’eau qui irrigue”Martin Gray.

    Vulnérabilité du parent, “convoqué” (quel vi-lain mot !) pour être mis au courant des der-nières bêtises de son fils, ou s’entendre direque sa fille “a vraiment du mal”... Il a du malaussi, le parent, à franchir la grille et à ne pass’enfuir, en sachant ou en devinant ce qui l’at-tend : le sourire de façade, apitoyé ou accusateur,les remarques acerbes, ou désabusées, le tonvindicatif, ou impuissant...

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  • Vulnérabilité de l’enseignant quand soudainun père explose, ou... se met à pleurer. Celam’est arrivé. On se sent tout à coup si nus, siseuls, tous les deux, dans cette petite salle, de-vant un dérisoire cahier de notes étalé sur latable !

    Fragilité du COP (le conseiller d’orientationpsychologue) qui doit recevoir un élève “àproblèmes” à qui il s’agit de trouver uneorientation... Va-t-il pouvoir d’abord “entrer encontact“ avec cet élève ? Ne pas le renvoyerles mains pleines de brochures, les oreillespleines de “yaka...”, la tête pleine de ques-tions, et le cœur broyé sous le sentiment desa propre nullité ? Va-t-il pouvoir déceler uncentre d’intérêt, une motivation ? Compatibleavec les résultats de l’élève ? Pourra-t-il luientr’ouvrir un chemin vers demain ?

    Solitude de l’infirmière, qui entend tout àcoup, après un comprimé et un verre d’eaupour de vagues maux de ventre, des confi-dences... terribles ! Si terribles qu’elle se de-mande comment la frêle jeune fille assise enface d’elle peut supporter cela, plier et ne pascasser dans la tempête de sa vie, sourirequand même et dire “Merci” en repartant...

    Mes vulnérabilités (étymologie : vient dulatin “vulnerabilis” : qui peut être blessé, ouqui blesse.... double sens intéressant)d’enseignant, tantôt impuissant, tantôttout-puissant ; celles des élèves ; cellesdes parents ; celles de....

    Mais : ce n’est que lorsqu’on “s’occupe”d’une blessure... qu’elle peut cicatriser.

    Et pour les enseignants chrétiens que noussommes, une phrase à méditer : “Je le pan-sai ; Dieu le guérit” Ambroise Paré.

    Cathy RéaliniYvelines

    Métier

    15Lignes de crêtes 2009 - 2

    Enseignant-chercheur

    Un petit mot personnel sur mes conditionsde travail. Je suis professeur des universités.Certes, j’ai au plus une dizaine d’heures d’en-seignement par semaine. Mais je dois établirmoi-même l’emploi du temps de la filière pro-fessionnelle dont je suis responsable (on necompte qu’une secrétaire pour tout le dépar-tement dont je fais partie) et réserver les sallesnécessaires. J’encadre dans le cadre de monservice une multitude de stages. Mais le pireest la gestion de la recherche, censée occuperune moitié de mon temps. L’essentiel du bud-get dont j’ai besoin pour l’achat de matériels etde documentation, le financement de stages,de thèses et de “post-docs” pour travailler avecmoi, la participation à des colloques et desconférences... provient de ma participation àdes projets rédigés en réponse à des appelsd’offres gouvernementaux. Je suis actuelle-ment responsable d’un tel projet, regroupantune dizaine de personnes de trois laboratoiresdifférents. J’ai rédigé pour cela un documentd’une cinquantaine de pages expliquant les te-nants et aboutissants du thème de rechercheque je proposais, sa pertinence dans lecontexte international, anticipant les dépenseset les résultats attendus, promettant la pro-duction de “délivrables“ (articles scientifiques,documents, logiciels informatiques) plus dedeux ans à l’avance. Mon projet a eu la chanced’être parmi les 20% retenus dans l’appel d’of-fres où je l’avais soumis. Depuis, j’organisedes réunions de coordination, j’essaie de tenirles promesses et les délais. Chaque année, jedois rendre un bilan d’avancement. Et quandle budget sera épuisé, je devrai préparer unautre projet... Quand j’ai choisi de devenir en-seignant-chercheur, je ne pensais pas que lemétier ressemblerait de plus en plus à celuid’un chef d’entreprise qui doit en outre être unresponsable de ressources humaines, uncomptable et un stratège.

    Isabelle Tellier

    Voir aussi l’article p. 7

    ii ldc2 (p 14-15).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:47 Page 15

  • 16 Lignes de crêtes 2009 - 2

    Supplique du travailleur pauvre

    Bénissez, ô Seigneur,ces mains calleuses d’un homme aigri

    qui ne trouve pas de travail.Les temps ne sont déjà plus les mêmes,

    ils sont passés les jours oùje prenais dans le poids lourd :

    manche de houe, charrette,et même du béton armé,

    tout ce qui étaittravail digne et honorable,

    j’affrontais avec disposition et joie.

    Je suis du tempsoù les valeurs humainesétaient plus respectées.

    Aujourd’hui, tout est technologie,tout est informatisé.

    Je n’ai pas eu l’occasiond’accompagner cette évolution,

    mais je sais lire et écrire.À cause de mon âge, ils ne m’acceptent dans aucun emploi.

    Voyez, Seigneur, comme est grande mon affliction !Qu’adviendra-t-il de moi, Seigneur ?

    Qu’adviendra-t-il de ma famille ?En cet instant si difficile, j’ai recours à vous,

    en qui je mets toute ma confiance et toute mon espérance.Gardez-moi intègre, aussi grandes

    que soient mes aigreurs et mes souffrances.Ne m’abandonnez pas, Père éternel !

    Amen.De Moacir

    Brésil(CCFD)

    Prière extraite de “Prier - sagesse des pauvres”hors série n° 87

    ii ldc2 (p 16).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:48 Page 16

  • que si elle vise le Bien ! Commentcette vulnérabilité peut-elle porterdes fruits dans larelation pédago-gique ? Commentl’expérience et lareconnaissancede certaines denos limites peuvent-elles être l’oc-casion d’enrichir la relation péda-gogique ?

    De quoi s’agit-il ?La vulnérabilité, c’est la possibi-

    lité d’être blessé, être exposé à lablessure. Du latin vulnus : la bles-sure, mais aussi ce qui cause lablessure (l’arme, la flèche). On estdans le registre du combat, peut-être du combat moral, de la déci-sion, du choix. Une image àretenir : être vulnérable, c’est êtresans armure. À cet égard, il fautdistinguer vulnérabilité et fragilité.

    Être sans armure, ça n’est pasêtre blessé, sans force, être cou-

    ché, sans éner-gie, être détruit ;c’est être exposéet le savoir, êtredans le combat. Ilfaut comprendre

    la vulnérabilité dans une dyna-mique : il ne s’agit pas de résigna-tion. L’humaine vulnérabilité peutn’être pas simplement subie : ils’agit, sur fond de vulnérabilité, dedécouvrir ses capacités, ses pos-sibilités de décision et d’engage-ment concret, d’action.

    Deux autres précisions dans leregistre de la blessure.

    Peut-être la première bles-sure à laquelle nous sommes ex-posés est-elle une blessure“narcissique” : celle de ne pas êtretout-puissant, ne pas pouvoir tout,ne pas tout savoir, ne pas toutavoir. Nous ne sommes pas Dieu.Notre liberté de mouvement,d’initiative, n’est pas illimitée ;elle peut être réduite (notre quêteéperdue d’autonomie se heurte àcette réalité de nos limites). Elleest liée à la contingence : limitestemporelles et spatiales, limitesphysiques, horizon de la mortalité. En

    ce sens, la vulnérabilitéest l’inversede la toute-puissance,

    La vulnérabilité comme vertupédagogique et voie spirituelle

    Métier

    17Lignes de crêtes 2009 - 2

    La vulnérabilité,c’est la possibilité

    d’être blessé

    Il ne s’agit pas de faire l’apologie dela vulnérabilité pour elle-même, audétriment des compétences et del’autorité du professeur, au détri-ment du savoir, du savoir-faire, etmême du pouvoir, nécessaires etconstitutifs de l’exercice de notremétier d’enseignant et plus large-ment de toute vie humaine, maisde montrer comment la recon-naissance de sa propre vulnérabi-lité peut être une verturelationnelle, peut nous aider àentrer en relation. Et en retourc’est dans le rapport à autrui quela vulnérabilité reconnue ne serapas apitoiement, dépit ou résigna-tion. Cependant, si la vulnérabilitéest une vertu, elle n’en est qu’uneparmi d’autres, et elle doit se com-biner avec, par exemple, le désirde progresser et d’améliorer, lavertu de prudence, celle d’en-thousiasme. Elle n’est une vertu

    ii ldc2 (p 17-22).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:52 Page 17

  • ou plus précisément du rêve, del’illusion de la toute-puissance. Lavulnérabilité est donc aussi l’in-verse de l’illusion : elle est du côtédu “principe de réalité”, du réa-lisme. Elle fait partie de notrecondition humaine, de la conditioncommune. Nous naissons sans ar-mure, c’est un fait. La vulnérabilitéest ce que nous avons en partage.�Autre dimension de la bles-

    sure : c’est moins la fragilité (manquede solidité, facilité à se casser) que lasensibilité : sensibilité à l’événe-ment, à ce qui se passe dans lemonde, à autrui. La blessure à la-quelle nous sommes exposés,c’est la différence d’autrui. Autruin’est pas moi, alors que je suissans cesse tenté de le considérerà partir de moi. Autrui n’est pasmoi ; il est et demeure un mystère,pour une part toujours incompré-hensible. En ce sens, la vulnérabi-lité s’oppose à une certaineindifférence envers autrui.

    Une double source d’usage duterme : le philosophe EmmanuelLevinas et l’éthique médicale.�Levinas : À propos du visage,

    Levinas dit que c’est ce qui reste

    toujours dénudé, ce qu’il y a deplus exposé à la blessure. Ma vul-nérabilité, c’est d’être exposé àautrui, au bouleversement quetoute rencontre introduit dans

    mon existence, à l’appel que l’exis-tence des autres est pour moi.Nous ne pouvons pas échapper àla relation aux autres. Cette “ex-position à autrui” est en mêmetemps “découverte risquée de soi-même”. “Nous sommes sans pro-tection”. “Je suis noué aux autresavant d’être noué à moi-même”.Par exemple, je suis mis au mondepar d’autres, un père et unemère… Cette vulnérabilité est ca-pacité à être affecté, touché parautrui. Pour Levinas, il s’agit d’unecapacité éthique. C’est là que ré-side la responsabilité. Être touchépar la vulnérabilité de l’autre, c’estentendre un appel et y répondre ;c’est ça être responsable : répon-dre à l’appel que m’adresse l’exis-tence d’autrui. Si la vulnérabilitéest “exposition à autrui” (Levinas),elle est notre capacité fondamen-tale à être “affecté”, touché parautrui, à voir autrui à partir de sapropre fragilité, de ses difficultés,de ses blessures. Et elle est vertuéthique dans la mesure où, étantaffectés, elle ne nous laisse passatisfaits de cette fragilité, decette blessure, de cette difficultéd’autrui. Elle me rend capabled’avoir du souci pour autrui, de lasollicitude, capable d’une relationbienveillante, et d’une bienveil-lance agissante. La vulnérabilitéest cette capacité à être affecté,exposé à la blessure du monde età l’existence même d’autrui.Éprouvé dans le corps et dans la

    conscience, à ce point où le bou-leversement ne me retourne passur moi-même, m’ouvre à uneautre existence. Je fais l’expé-rience d’être vulnérable à l’exis-

    tence d’autrui, affectépar ce qu’il est. Et ce quim’apparaît d’autrui etqui me touche, c’est sapropre capacité à êtreaffecté par les chosesdu monde, les événe-ments, les autres… ce

    qui survient dans sa propre exis-tence. Je le découvre vulnérable,je me découvre vulnérable. “LeMoi, de pied en cap, jusqu’à lamoelle des os, est vulnérabilité”(1).Je ne peux véritablement rencon-trer autrui qu’à partir de ma pro-pre vulnérabilité, alors même queje suis affecté par la sienne. Si lesvécus de notre expérience dumonde demeurent incommensu-rables, la capacité à être affectépar ce qui est extérieur nous estcommune. Vulnérables l’un à l’au-tre, vulnérables l’un par l’autre.“Être avec” n’est pas seulement“exposition à l’autre”, mais aussiet dans un même mouvement“découverte risquée de soi”(2).Nos existences exposées l’une àl’autre. Même s’il n’y a pas réci-procité effective, celle-ci doit êtrepossible ; rien dans la relation nedoit venir l’empêcher. Autre ma-nière de m’exposer à l’autre :consentir à ce qu’il veuille bienêtre “avec” moi, qu’il devancemon propre souci. Condition quiempêche l’asymétrie où l’un nefait que donner et l’autre recevoir.�L’éthique médicale : Il s’agit de

    respecter la personne dans son inté-grité et donc respecter la personnedans sa vulnérabilité. Cela impliquela reconnaissance des limites duprincipe d’autonomie totale du pa-tient. Sans cela il y a risque deconflit entre la bienveillance ducorps médical et l’autonomie dupatient. La reconnaissance de la

    Métier

    18 Lignes de crêtes 2009 - 2

    1) Levinas, Humanisme de l’autrehomme, Livre de Poche, p.104.2 ) Ibid., p.82

    Être touché par lavulnérabilité de l’autre,c’est entendre un appel

    et y répondre

    ii ldc2 (p 17-22).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:52 Page 18

  • réelle vulnérabilité du maladenous conduit alors dans un regis-tre de confiance, de dialogueconfiant. Cela étant, pour les en-seignants et pour les élèves, ils’agit normalement de la vulnéra-bilité des bien-portants, vulnérabi-lité qui est notre lot commun. Alorsquelles capacités nous ouvre la re-connaissance de la vulnérabilité ?Elle permet d’affiner notre intelli-gence de la condition humaine eten particulier des relations.

    La vulnérabilitécomme verturelationnelle

    Comment la vulnérabilité est-elleune des conditions de possibilité dela relation, et de l’action envers etavec autrui ? Nous sommes expo-sés à la relation, à ce que la ren-contre peut provoquer, bouleverseren nous, à ce qu’il peut y avoird’inattendu, de surprenant – pourle meilleur et pour le pire – danstoute rencontre (cf. Levinas). C’estprécisément dans une relation dis-symétrique, où l’un semble plus as-suré, ou mieux doté, ou moinsdémuni que l’autre, que l’on a inté-rêt à se souvenir de sa propre vul-nérabilité. Cela permet de nuancercette dissymétrie de la relation –non de l’effacer – pour laisser sachance à l’autre. Il s’agit de recher-cher ce qui nous est commun, ce àpartir de quoi on peut entrer en re-lation, élaborer une relation quinous mette du côté de la vérité etde la vie.

    Deux éléments à ce propos :�La vulnérabilité, comme cela a

    déjà été dit, fait partie de notrevie, est notre fonds commun d’humanité. L’homme est unanimal raisonnable… vulné-rable ! La vulnérabilitén’est pas un universelthéorique, mais se révèle dans l’expé-rience. Dans quelstypes d’expérience ?Dans des situations oùquelque chose du sensde la vie est en jeu. Si-tuations de question-nement où la réponsen’est pas connue àl’avance, ne va pas de soi,doit composer avec la diversité, lacomplexité, l’ambivalence, voire lacontradiction des paramètres.Quand on s’interroge sur le sensde la vie, on s’expose à l’absenceou à l’in-évidence de la réponse.Absence d’évidence qui peut êtrevécue sur le mode de l’inquiétude.Le sens de ma vie n’est pas écrit àl’avance : j’ai à faire des choix, età construire ce sens – seul et avecd’autres. S’interroger et vouloirdonner un sens à notre vie nousdynamise et nous fragilise à lafois. �C’est un travail de vérité, et

    d’abord un rapport de vérité en-vers soi-même. Nous faisons l’ex-périence fondamentale de noslimites, de nos incapacités, autantque des limites dues à la multipli-cité des possibles, où se révèlentnos capacités à choisir. Le renon-cement qui fait partie du choix estaussi une expérience de vulnéra-

    bilité. Reconnaître celaest bénéfice de vérité,au sens de l’Évangile oùnous trouvons cette in-vitation à la vérité quinous rend libres. Recon-naître notre vulnérabi-lité a des effets delibération.

    Comment la vulnérabilité nouspermet-elle d’entrer en relation ?

    Elle est cequ’autrui etmoi avonsen partage,et qui nouspermet denous ren-

    contrer sansnous menacer.La reconnais-sance de mapropre vulnéra-bilité dans une

    relation asymé-trique “pose une

    limite à la dispro-portion”, à la tenta-

    tion de la “hauteur” excessive quiva être un jugement sur l’autre.Reconnaître sa propre vulnérabi-lité peut nous éviter de mettre autrui dans une situation d’humi-liation.

    Trois choses à retenir :�Un rapport de mutualité : autrui

    est vulnérable, je le suis aussi.C’est ce que nous avons en com-mun, c’est ce qui nous permet dene pas nous menacer, d’éviter lessituations d’humiliation, c’est cequi nous permet de nous recon-naître en vérité pour ce que noussommes. Pour autant, cette mu-tualité n’efface pas les diffé-rences.�Un décentrement de soi : la vul-

    nérabilité m’expose à autrui, quipeut aussi bien être cause desouffrance que de joie. La joiecomme la souffrance est uneforme d’affect causé par autrui.�Une relation d’attention, de sol-

    licitude envers autrui : si la vulné-rabilité est capacité à être affectépar un autre, à s’adresser à unautre, elle nous rend capablesd’entrer en relation avec autrui àpartir de ce que nous avons encommun, à désirer le meilleurpour l’autre.

    Métier

    19Lignes de crêtes 2009 - 2

    Reconnaître sa proprevulnérabilité peut nouséviter de mettre autrui

    dans une situationd’humiliation

    ii ldc2 (p 17-22).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:52 Page 19

  • La vulnérabilitécomme vertupédagogique

    L’enseignant est continuelle-ment exposé ! (C’est bien pourcela qu’enseigner fatigue, d’ail-leurs !) Continuellement exposé,et en même temps dans une posi-tion asymétrique. Regardez sim-plement le corps : debout ou surune estrade ou seul face à laclasse, marchant alors que les au-tres sont assis… tous les regardssur lui. Ce moment où l’on entreen classe et où l’on ne sait pasquelle ambiance on va trouver,

    D’une réflexion menée plutôt audépart dans le milieu médical,avec des soignants et en particu-lier des médecins, où la blouseblanche recouvre la figure d’auto-rité, le médecin debout, le maladecouché, situation asymétrique parexcellence, on dégage trois caté-gories que l’on pourra reprendredans la relation pédagogique :�Le savoir (connaissances, ca-

    pacité d’établir un diagnostic… etun pronostic : mise en situation desujet “supposé savoir”).�Le savoir-faire (compétences,

    maîtrise d’une technique commemoyen d’aboutir à la fin désirée :la guérison).

    Deux points à retenir avant depasser à la relation pédagogique :�La relation de soin est une si-

    tuation où vie et mort sont en jeu.La relation pédagogique n’est pasde cet ordre. Néanmoins, elle esttraversée, et pour une part ani-mée, par la question du sens de lavie, question qui nous met en si-tuation de vulnérabilité. �Elle nous renvoie aux raisons

    du choix du métier d’enseignant.Qu’est-ce que je peux dire du sensque je souhaite donner à ma vieen rapport avec ce que je souhaitevivre dans le métier d’ensei-gnant ? Quel désir oriente cela ?(La réponse d’aujourd’hui peutêtre différente de celle d’hier !!!)

    Métier

    20 Lignes de crêtes 2009 - 2

    �Le pouvoir (de décision, dejuger des bons – des meilleurs –moyens, de trancher, fantasmécomme pouvoir de vie et de mort),autorité réelle, et aussi pour unelarge part fantasmée ou exagéréepar le malade, les proches. Le mé-decin est souvent investi d’espoirsdémesurés.

    �Elle nous place face au ques-tionnement des élèves (questionsd’orientation, d’avenir). Et mêmesi ce questionnement n’est pasformulé, l’enseignant a le souci deleur donner les moyens, même dif-férés, d’élaborer une vie qui ait dusens.

    quel pacte pédagogique va pou-voir se reconstruire, se gagner,quel dialogue va s’établir, chahutou écoute, intérêt ou ennui… ! Est-ce que ça va “marcher” ? L’ensei-gnant est celui qui estcontinuellement exposé au possi-ble échec de la relation pédago-gique !

    ii ldc2 (p 17-22).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:52 Page 20

  • �Quant à l’autorité, sans doute,dans l’imaginaire collectif, l’ensei-gnant aujourd’hui n’en est-il plusdoté. Sans doute cette autoritéest-elle plutôt minorée que majo-rée, réduite qu’exagérée. Nousavons affaire au manque de re-connaissance, et l’absence de re-connaissance peut être vécuecomme l’expérience d’une vulné-rabilité sociale au regard de la so-ciété ; nous sommes exposés à unregard apitoyé sinon dépréciatif.

    À partir de là, quelles pratiquespédagogiques la reconnaissancede la vulnérabilité (non tant desélèves que celle de l’enseignantlui-même) peut-elle générer ?Quelle manière de s’exposer(peut-être en étant le seul à savoirqu’on s’expose) qui soit en mêmetemps une manière de s’engager,d’engager sa personne ? Notremanière d’enseigner ne se réduitpas à la fonction d’enseignement.Enseigner non seulement quelquechose, une matière, mais ensei-gner “avec soi-même”.

    Reconnaître notre vulnérabilitéd’enseignant ou de soignant nouspermet de dire pour ces trois ca-tégories, savoir, savoir-faire, pou-voir : je ne sais pas tout, je nemaîtrise pas tout, je ne peux pastout !

    SavoirNous savons ce que la déclara-

    tion d’ignorance de Socrate peutavoir d’artificiel. Néanmoins, quelibère, que rend possible la décla-ration de non-savoir, ou du moins,de ne pas tout savoir ? Que sepasse-t-il lorsque l’enseignants’autorise à répondre “je ne saispas” ? Sans doute une telle ré-ponse ne peut-elle produire d’effetpositif que si une autorité a été aupréalable reconnue à l’ensei-gnant. C’est fort de son autorité –de son savoir déjà expérimentépar la classe – qu’il peut se per-mettre, après avoir senti si la

    classe est ou non capable de re-cevoir une telle réponse, d’expo-ser cette limite sans la déguiser,sans fuir.

    Cela peut se monnayer de diverses façons :

    - Essayer de construire ensem-ble une réponse sur le mode hy-pothétique.

    - Différer la réponse : appel à laréflexion ou à la recherche de lapart des élèves. Participation à untravail commun : “Je chercherai,cherchez de votre côté. Nous ver-rons bien ce que nous trouveronscomme réponse, ce que nouspourrons mettre en commun”.Cela permet de laisser un espacede liberté de réponse élaboréeaux élèves.

    Pour nous, c’est une expériencede liberté intérieure. Notre auto-rité ne réside pas dans l’imageque nous donnerions de tout sa-voir. Notre identité d’adulte ne ré-side pas dans une récompensenarcissique : “Moi, je sais, confir-mez que je sais”.

    Savoir-faireUn « maître » d’école : que maî-

    trise le maître ? Non seulementdes savoirs mais les moyens deles transmettre. Question desmoyens pédagogiques, des mé-thodes et de leur mise en œuvre.Même ayant acquis beaucoup de« techniques », il y a ce que l’onmaîtrise, et ce que l’on ne maîtrisepas. Les effets de tel ou tel exer-cice sur une classe ou sur certainsélèves ne sont pas toujours prévi-sibles. Dans quelle mesure valoriserla part d’imprévu, d’imprévisible,dans la relation pédagogique ?

    Terrain ouvert pour l’inventivité, lacréativité, l’adaptation... S’il fautchanger de moyens, ne pas ou-blier le but, la visée, qui n’est passeulement la transmission d’unsavoir mais d’aider les élèves àentrer dans une autonomie éclai-rée. Et surtout, point d’attentioncrucial : ne pas humilier.

    PouvoirNon pas le pouvoir de guérison

    pour l’enseignant, mais celui detransmission et de formation. Et iln’est pas négligeable, ce pouvoirde décision ou d’influence surl’avenir des élèves, qui passe parun pouvoir d’évaluation (notes, ap-préciations) et de sanction. Sansculpabiliser, mais conscients desincidences, reconnaissons ce pou-voir que nous avons sur l’avenirdes élèves.

    Aider à construire une vie qui aitdu sens ne veut pas dire savoir àla place de l’autre ce qui est bienpour lui (renoncement à une ten-tation parfois bien installée).

    Il faudrait aussi parler de la vio-lence, verbale ou physique, oùl’enseignant peut avoir l’impres-sion de la perte de tout pouvoir.

    Pour clore cette partie, je proposetrois éléments à retenir :�Accepter de recevoir. Vertu dia-

    logale de la pédagogie ! Qu’est-ce quej’accepte de recevoir de la part desélèves qui soit dans l’ordre de la trans-mission ? Que me permettent-ils dedécouvrir ? Quelle est la part dumonde qui sans eux me resteraitinconnue ?�La bienveillance : “Sauver la pro-

    position du prochain” (Saint Ignace).Présupposé de bienveillance, pointd’attention aussi bien avec les élèvesqu’avec les collègues !�La vulnérabilité est aussi ce qui

    nous met du côté des plus faibles,nous permet “d’être avec” et passimplement d’être au-dessus ou àcôté, mais dans une communevulnérabilité aussi aux choses du

    Métier

    21Lignes de crêtes 2009 - 2

    Je ne sais pas tout,je ne maîtrise pastout, je ne peux

    pas tout !

    ii ldc2 (p 17-22).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:52 Page 21

  • monde, aux événements. Com-ment réagir face à ce qui endeuillela classe par exemple ? Ou à unévénement social ou politique ?

    Vulnérabilité de Dieu –

    vulnérabilitéde la foi

    Le Dieu de Jésus Christ est unDieu vulnérable : exposé aumonde, exposé à la blessure et àl’échec, exposé à la relation.

    Par l’incarnation, le Dieu chré-tien s’est fait vulnérable. L’incar-nation est l’entrée de Dieu dans lavulnérabilité de la chair. Non seu-lement dans la contingence hu-maine, dans l’horizon de la mort,mais aussi dans cette capacité àêtre affecté par autrui. Dieu a prisen lui, sur lui, cette capacité à selaisser toucher par l’existence hu-maine, dans ses détresses etdans ses joies (guérisons et nocesà Cana). La théologie a un motpour dire cela : kénose.

    Notre Dieu est un Dieu qui selaisse affecter par l’humanité :“j’ai vu la misère de mon peuple”(Ex 3,7). Dieu qui s’expose au pirede l’humanité, qui va jusqu’à selaisser bafouer. Chemin du servi-teur, exposé à l’incompréhension,à l’outrage, à la blessure, “jusqu’àla mort et la mort de la croix” (Ph2,8). Dieu assume en lui l’huma-nité, de la naissance à la mort. Lavulnérabilité se lit à la crèche et àla croix, lieux de “l’humilité deDieu” (François Varillon). La vulné-rabilité est un des aspects de l’humilité de Dieu. Le Christ estl’image de la vulnérabilité de Dieu.

    Dieu s’est rendu capable de vul-nérabilité. Non pour valoriser lavulnérabilité en tant que telle,mais pour rejoindre l’homme danssa fragilité, jusque dans “l’en bas”(Maurice Bellet). Pour “être avec”

    l’humanité, l’incarnation est com-passion.

    Quelle est la vulnérabilitédu croyant ?

    Un certain mouvement de doutefait partie de la foi, doute purifica-teur, de vigilance, chemin de re-noncement à des images de Dieuqui peuvent être mortifères (cf.Paul Ricœur), chemin de la religion à la foi passant parl’athéisme, être athée d’un Dieurétributeur. On peut dire que ceDieu-là est mort. Ce n’est pas ence Dieu-là que nous croyons. Ilnous faut entrer dans la foi tra-gique et amoureuse de Job.

    Respecter le doute en l’autre, ledoute de l’autre. Que flattons-nousen flattant le besoin de certitude– en parlant du haut et du ton denos certitudes ? N’est-ce pas lerêve de toute-puissance ? Ne pasconfondre foi et certitude. La foi,c’est la relation à Dieu. La certi-tude nous tourne vers nous-mêmes et non vers un autre.

    Accepter – et même peut-êtrepréférer – de n’avoir pas réponseà tout !

    Nous ne convertissons pas !Vulnérabilité plus particulière du

    chrétien : Il s’agit de rejoindre etvivre la vulnérabilité de ce Dieu“qui pour nous s’est fait homme”.C’est-à-dire être du côté des plusvulnérables (cf. Mt 25 : le Christ selaisse plus particulièrement ren-contrer à travers l’accueil de ceuxqui sont dans des situations devulnérabilité extrême : affamés,assoiffés, étrangers, emprison-nés…), du côté des Béatitudes,s’exposer à un bonheur paradoxal.

    Comme chrétiens, nous sommesliés à un Dieu exposé. Suivre leChrist, c’est emprunter un cheminpascal de mort et résurrection, c’estrendre compte de la foi en un Dieucrucifié !

    Nous retrouvons là la dimensionde combat. La vulnérabilité du

    chrétien, c’est d’accepter de vivreun combat spirituel : apprendre àreconnaître la présence agissantede Dieu dans nos vies, ce qui n’arien d’évident. Cela se passe entreombres et lumières, à travers desalternances. Le combat spirituel,c’est d’être attentif à ces alter-nances, reconnaître ce qui vadans le sens d’un surcroît de vie.

    Deux citations pour terminer :Didier Rimaud : “La vulnérabilitéest une grâce, c’est-à-dire qu’elleest un don de Dieu, parce qu’ellerend semblable au Christ, parfaiteimage du Père”. (La Maison Dieu,Fragilités humaines et liturgie,n°217, 1999/1, p.87).Xavier Thévenot : “Dieu ne sauvepas l’homme de sa vulnérabilité, ille sauve dans sa vulnérabilité”(ibid., p.34).

    Questions :�De quoi la vulnérabilité nous

    rend-elle capable ? Comment lavulnérabilité apparaît-elle commeune capacité, comme ce qui per-met un engagement, une action ?�Comment la vulnérabilité dans

    le rapport avec les collègues, l’ad-ministration peut-elle être uneaide ?�Quelles spécificités de la vul-

    nérabilité du chrétien ?

    Agata Zielinskiprofesseur de philosophie

    Créteil

    Métier

    22 Lignes de crêtes 2009 - 2

    ii ldc2 (p 17-22).qxp:Mise en page 1 6/03/09 8:52 Page 22

  • Ouvrir à l’espéranceDes obsèques en région parisienne

    Église et foi

    23Lignes de crêtes 2009 - 2

    Je ne pensais pas, en répondant à un ami qui me de-mandait mon concours pour les obsèques, que ceserait si prenant et si attachant ! Mon curé, qui tientbeaucoup à célébrer lui-même les obsèques, considèreque c’est un lieu privilégié de contact avec les gens et unextraordinaire moment de catéchèse et d’évangélisa-tion.

    Un moment très riche est le moment de l’entretienpréparatoire à l’organisation de la célébration.Pas question de prendre une « figure d’enterre-ment » ! Il s’agit d’être simple, ouvert, plein de bien-veillance pour ces gens dans la peine. Pour engager ledialogue, on demande ce qui s’est passé, les circons-tances de la mort, puis on cherche à connaître le dé-funt. La plupart du temps les gens sont heureux deparler de leur disparu, de ses origines, de sa famille,enfants, petits-enfants et même arrière petit-enfants,de son métier, de ses occupations, de ses goûts… desa vie de foi (ou pas). Tout cela nous est indispensablepour que le mot d’accueil et la célébration soient vrai-ment personnalisés. On n’enterrepas n’importe qui ! Ces rencontres nesont jamais les mêmes. Certains par-lent beaucoup, spontanément, d’au-tres peu, puis davantage une fois misen confiance. Certains déclarentd’emblée : je ne dirai rien et finissentpar en dire beaucoup sur le défunt…et sur eux-mêmes. Presque toujours rev