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Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL) Secrétariat Exécutif : Kigali – Rwanda B.P. 3042 Kigali Tel. (250) 58 3 6 86 E-mail : [email protected] , site web/ www.ldgl.org Trente ans après l’adoption de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples - l’impunité face aux violations des droits des défenseurs des droits de l’homme a atteint son comble dans les Grands Lacs : Cas du Rwanda Par Joseph Sanane, président de la LDGL. Mesdames, messieurs et chers collègues défenseurs des droits de l’homme, la LDGL, à travers ma personne, est ravie d’être associée à cette activité afin de partager avec vous les obstacles que nous rencontrons au quotidien dans notre travail et les violations subséquentes. L’espoir suscité par la fin de la guerre froide il y a vingt ans présageait de nouvelles perspectives pour la construction des Etats de droit notamment en Afrique. Mais hélas ! Cet espoir s’est vite estompé. Et pour cause ! En dépit de l’avènement du multipartisme et l’adoption des Constitutions garantissant les droits de l’homme et libertés fondamentales, force est de constater que leur jouissance est loin d’être effective. Les défenseurs des droits de l’homme dans la Région des Grands Lacs et au Rwanda sont contraints à évoluer dans un environnement hostile à l’émergence des valeurs démocratiques. Au lendemain du génocide, le gouvernement rwandais avait mis en place un arsenal juridique afin de conjurer le génocide et promouvoir la réconciliation entre les rwandais. Au regard de l’urgence à restaurer l’autorité de l’Etat et de faire face aux conséquences du génocide, certaines lois post génocide n’ont pas pris en compte les standards internationaux relatifs aux droits de l’homme. C’est le cas notamment de la législation sur les juridictions Gacaca et tant d’autres. Si cette violation des principes était explicable en son temps, rien ne justifie le maintien de ces lois aujourd’hui, seize ans après le génocide. Avant de lister ces obstacles à l’origine des violations des droits des défenseurs des droits de l’homme au Rwanda, il me parait opportun de commenter quelques lois dont l’application débouche sur le déni des droits des Défenseurs des Droits de l’Homme.

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  • Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL) Secrétariat Exécutif : Kigali – Rwanda B.P. 3042 Kigali Tel. (250) 58 3 6 86

    E-mail : [email protected] , site web/ www.ldgl.org

    Trente ans après l’adoption de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples - l’impunité face aux violations des droits des défenseurs des droits de l’homme a atteint son comble dans les Grands Lacs : Cas du Rwanda Par Joseph Sanane, président de la LDGL. Mesdames, messieurs et chers collègues défenseurs des droits de l’homme, la LDGL, à travers ma personne, est ravie d’être associée à cette activité afin de partager avec vous les obstacles que nous rencontrons au quotidien dans notre travail et les violations subséquentes. L’espoir suscité par la fin de la guerre froide il y a vingt ans présageait de nouvelles perspectives pour la construction des Etats de droit notamment en Afrique. Mais hélas ! Cet espoir s’est vite estompé. Et pour cause ! En dépit de l’avènement du multipartisme et l’adoption des Constitutions garantissant les droits de l’homme et libertés fondamentales, force est de constater que leur jouissance est loin d’être effective. Les défenseurs des droits de l’homme dans la Région des Grands Lacs et au Rwanda sont contraints à évoluer dans un environnement hostile à l’émergence des valeurs démocratiques. Au lendemain du génocide, le gouvernement rwandais avait mis en place un arsenal juridique afin de conjurer le génocide et promouvoir la réconciliation entre les rwandais. Au regard de l’urgence à restaurer l’autorité de l’Etat et de faire face aux conséquences du génocide, certaines lois post génocide n’ont pas pris en compte les standards internationaux relatifs aux droits de l’homme. C’est le cas notamment de la législation sur les juridictions Gacaca et tant d’autres. Si cette violation des principes était explicable en son temps, rien ne justifie le maintien de ces lois aujourd’hui, seize ans après le génocide. Avant de lister ces obstacles à l’origine des violations des droits des défenseurs des droits de l’homme au Rwanda, il me parait opportun de commenter quelques lois dont l’application débouche sur le déni des droits des Défenseurs des Droits de l’Homme.

  • La Constitution de 2003 consacre un multipartisme sui generis, imposant aux formations politiques à adhérer au forum des partis politiques, où toutes les questions seraient débattues sans tabou. Mais, ce forum est critiqué par l’opposition qui estime que le Front Patriotique Rwandais s’y impose, les autres partis ne jouant que le rôle de figurant. Au sein de ce forum, un seul parti politique de l’opposition, le « PS IMBERAKURI », a été enregistré bien avant le scrutin présidentiel, mais il fut aussitôt affaibli par des querelles intestines ayant abouti à la scission du parti et à l’arrestation de son Président fondateur Me Bernard Ntaganda. La Constitution de 2003, qui a été révisée à plusieurs reprises, garantit les libertés publiques, mais elles ne sont pas effectives. Des lois particulières sont en contradiction avec cette Constitution et des entraves majeures à leur jouissance s’en suivent. A titre d’exemple, nous pouvons citer :

    - La loi numéro 18 / 2008/ du 23 juillet 2008 portant répression du crime d’idéologie du génocide et la loi numéro 47/2001 du 18/12/2001 portant répression des crimes de discrimination et pratiques du sectarisme. Cette dernière étant caractérisée par la nature ambiguë des éléments constitutifs de ses incriminations. Cela ouvre bien la voie à beaucoup d’abus suite à la libre appréciation des faits constitutifs laissée à la présumée victime.

    - La loi régissant l’enregistrement des associations locales et ONG

    internationales prévoit un régime de reconnaissance annuelle avec à la clé une procédure administrative complexe, ce qui menace l’existence des ONG de défense des droits de l’homme.

    - La loi sur la presse n’offre pas non plus de garantie à l’émergence d’une

    presse libre et indépendante. Il en est de même de la loi n° 48/2008 du 09/09/2008 portant sur l’interception des communications qui permet aux services de sécurité de mettre des citoyens sous écoute, ce qui entame le libre exercice des libertés d’opinion et d’information.

    La justice étant le rempart des droits de l’homme et des libertés publiques, elle est appelée à jouer pleinement son rôle, mais force est de constater qu’elle est au service de l’Exécutif pour réprimer les voix discordantes et même celles des Défenseurs des Droits de l’Homme. C’est le cas de notre collègue François Xavier Byuma , condamné par la juridiction Gacaca à 17 ans de prison ferme pour faits du génocide. A la manière des partis politiques, la majorité des ONG de la Société civile rwandaise font partie de la Plate Forme de la Société civile dont les animateurs sont critiqués par leurs pairs d’être pro-gouvernementaux.

  • Celles qui n’y font pas partie sont assimilées aux opposants au régime, alors que les Organisations de la Société Civile ne sont efficaces en tant qu’acteurs du développement que lorsqu’ elles soutiennent et mettent en œuvre des stratégies, des activités et des pratiques afin de promouvoir les droits de l’homme en toute indépendance. Vous vous rendrez compte avec moi que dans cet environnement quadrillé par des lois sus mentionnées, le travail des défenseurs des droits de l’homme devient difficile. En conséquence, à l’absence d’une opposition classique, d’une justice et d’une société civile indépendantes au service des sans voix, les défenseurs des droits de l’homme, du moins ceux qui sont indépendants, sont qualifiés de « igipinga » ou opposants en Kinyarwanda. Face à cette législation comportant des goulots d’étranglement au travail des Défenseurs des Droits de l’Homme, les violations des droits des défenseurs des droits de l’homme sont fréquentes. Faute de temps, il serait prétentieux de vous en donner la liste exhaustive ; En avril de cette année, soit quelques mois avant les élections présidentielles, deux journaux indépendants, UMUSESO et UMUVUGIZI ont été suspendus- pour une durée de six mois - pour « diffamation, propagation de fausses rumeurs ». Leurs responsables sont actuellement en exil (Charles Kabonero et Jean Bosco Gasasira). Même si le dernier cité a été acquitté en appel par contumace, il refuse de rentrer au Rwanda, rappelant le cas de son collaborateur, Jean Léonard Rugambage, rédacteur en chef adjoint de Umuvugizi, qui a été assassiné à son domicile à Kigali en juin 2010 et dont les deux inculpés viennent d’écoper d’une condamnation à perpétuité par la justice rwandaise. En juillet 2010, la directrice du journal UMURABYO, Agnès Uwimana, et sa collaboratrice Saidath Mukakibibi accusées de « diffamation et propagation d’idéologie de génocide »furent arrêtées et placées en détention à la prison centrale de Kigali sans jugement jusqu’à ce jour. Nous pouvons ajouter sur la liste l’arrestation pendant quelques semaines, en mai dernier, de l’Avocat américain Peter Erlinder, venu au Rwanda pour la défense de l’opposante Victoire Ingabire. Les organisations de défense des droits de l’homme sont aussi victimes de violations. A titre illustratif, le cas de la Ligue pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme au Rwanda (LIPRODHOR) qui a été l’objet des menaces ces dernières années. Ce qui avait poussé plusieurs de ses animateurs à prendre le chemin de l’exil. En 2008, la Commission nationale électorale avait refusé les accréditations à ses observateurs aux élections législatives. Selon la

  • Commission Nationale Electorale, la LIPRODHOR devait rejoindre le Forum de la Société civile et y observer sous la supervision des animateurs de la Plate Forme de la Société Civile. L’organisation Association rwandaise pour la défense des droits de la personne et des libertés publiques (ADL) est, quant à elle, menacée de dissolution parce qu’elle n’a pas réussi à renouveler son agrément. En marge de l’Examen Périodique Universel du Rwanda par le Conseil des droits de l’homme, prévu en janvier 2011, la LDGL avait accompagné 35 organisations pour rédiger un rapport à soumettre à la TROIKA, chargée des préparatifs de cet examen. Le processus a abouti à l’adoption du rapport et sa soumission à la troïka en juillet 2010. Entre août et septembre 2010, une dizaine d’organisations ayant librement participé au processus, avaient dénoncé le rapport au motif que leurs représentants n’avaient pas qualité pour engager leurs structures. Cette fronde a été commanditée par quelques organisations qui auraient un lien avec les structures gouvernementales. Des menaces d’arrestation furent proférées aux agents de la LDGL impliqués dans le processus. Le secrétaire exécutif de la LDGL était directement mis en cause par les représentants des organisations frondeuses à travers les medias locaux. Le président du comité de pilotage, mis en place par ses pairs pour l’EPU, Monsieur Paul Mutagoma de l’organisation Association des Jeunes pour la Promotion des Droits de l’Homme et le Développement (AJPRODHO), a été mis en cause alors qu’il se trouvait en mission en Belgique. Vous constaterez au regard de ce tableau que la situation des Défenseurs des Droits de l’Homme au Rwanda est préoccupante et mérite une attention particulière de la part de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. La LDGL recommande aux défenseurs des droits de l’homme à plus d’actions concertées et de renforcer le réseautage ; car, plus on travaille ensemble, moins on est vulnérable. La LDGL invite la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples à organiser des missions d’établissement des faits au Rwanda en rapport avec les violations des droits des Défenseurs des Droits de l’Homme et d’engager un dialogue constructif avec le gouvernement rwandais sur le rôle des Défenseurs.

  • La LDGL propose à la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples étudier et d’adopter des stratégies protégeant les défenseurs des droits de l’homme coopérant avec les mécanismes régionaux prévus par la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples. Enfin, que la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples puisse inviter les Etats parties à lever les obstacles au travail des DDH et plus spécifiquement d’alléger en leur faveur les procédures d’ obtention des visas à l’occasion des réunions sur les droits de l’Homme organisées sur le continent. Fait à Banjul le 12 novembre 2010