ligue des droits de l’homme et du citoyen de nouvelle-calédoniegitpa.org/autochtone gitpa...
TRANSCRIPT
1
Ligue des Droits de l’Homme et
du citoyen
de Nouvelle-Calédonie
CONFERENCE-DEBAT
Mercredi 1er août 2007 à 18 h. à la F.O.L.
ETRE CITOYEN
en Nouvelle-Calédonie
Elie Poigoune, président LDHNC
Mathias Chauchat, Jean-Paul Caillard, Pascal Hébert, Gérard Sarda
-------------
LA CITOYENNETE CALEDONIENNE
MATHIAS CHAUCHAT
Professeur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie [email protected]
Directeur du Laboratoire d’Etudes Juridiques et Economiques de l’UNC
Publié en ligne sur le site du LARJE http://larje.univ-nc.nc/
« Individu, national, citoyen et électeur ». Ces mots, couramment confondus puisque le plus
souvent réunis dans la même personne, ne se recouvrent pourtant pas. Ils se hiérarchisent et la
Nouvelle-Calédonie y amène sa singularité.
La distinction du national et de l’étranger est la base de la construction des Nations et la
nationalité conditionne l'exercice de la citoyenneté. Cependant, c'est une condition qui n’est
pas toujours nécessaire comme en témoignent les débats sur la citoyenneté européenne ou le
droit de vote des étrangers. C'est une condition non suffisante. Tous les nationaux n'ont pas
toujours les mêmes droits ; ainsi le droit de vote des femmes n’a été reconnu que tardivement
ou encore celui des jeunes mineurs. Et on peut perdre sa citoyenneté par une condamnation,
sans pour autant devenir apatride.
Déjà l’histoire calédonienne diverge. Comme le souligne Dominique Colas, « la démocratie
française, fière de sa fondation par une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, n'a
eu de cesse, au long de son histoire - notamment coloniale -, de manquer à sa parole et de
soigneusement distinguer les deux : l'homme, le citoyen. Au prétexte que la citoyenneté
2
procurerait, ou exigerait, une élévation et une grandeur, dont seuls les Français seraient les
détenteurs »1. Les Kanak ont ainsi été longtemps absents de l’histoire institutionnelle. Ils ne
sont devenus universellement électeurs que le 7 mai 1946.
La nation française, c’est le « vouloir vivre ensemble » collectif. Rien ne remplace les mots de
Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. (…) Une nation est une grande
solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a fait et de ceux qu'on est disposé
à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent, par un fait
tangible : le désir clairement exprimé de continuer la vie commune... (…) Je me résume.
L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves,
ni de la direction des montagnes. Une grande réunion d'homme saine d'esprit et chaude de
coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation »2.
A l’opposé, l’identité kanak se fonde d’abord sur la terre à laquelle on appartient, comme le
rappelle le préambule de l’accord de Nouméa3 : « L'identité kanak était fondée sur un lien
particulier à la terre. Chaque individu, chaque clan se définissait par un rapport spécifique
avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière, et gardait la mémoire de
l'accueil d'autres familles. Les noms que la tradition donnait à chaque élément du paysage,
les tabous marquant certains d'entre eux, les chemins coutumiers structuraient l'espace et les
échanges ».
Le terme « citoyenneté » a eu des hauts et des bas. « Jugé passéiste il y a 20 ans, il est
aujourd’hui comme un nouveau talisman que l’on brandit pour appuyer toute revendication.
Le terme a pourtant un sens historiquement précis : l’appartenance à une communauté
politique autonome, définissant des droits et des devoirs », nous rappelle Dominique
Schnapper4. Il a l’avantage aujourd’hui d’être « un terme juridique affectivement neutre »
5. Il
laisse ouverte la question du national. La dissociation citoyenneté et nationalité devient
possible. Et le mot continue de porter avec lui la notion de participation à la vie de la cité, la
notion de droits politiques. Citoyenneté et droit de vote ont une relation nécessaire.
Est-ce tout et seulement cela ?
La tradition britannique est fondée sur l’idée que, pour assurer la véritable liberté des hommes
contre le pouvoir qui risque toujours de devenir arbitraire, il faut respecter la diversité des
appartenances et des attachements particuliers. Le citoyen à la française, héritier de
l’absolutisme royal qui avait construit une relation directe entre le roi et ses sujets, est d’abord
un démocrate disposant de la liberté politique par la participation à la souveraineté collective.
On oppose ainsi traditionnellement le pluralisme de la tradition libérale anglaise, qui fait sa
place aux ordres, aux corps, aux classes et aux groupes particuliers à la conception unitaire et
totale de la citoyenneté qui s’est imposée brutalement en France par la révolution6.
Pour Anicet Le Pors, « la France apparaît comme une Nation fortement politique, et c’est
pourquoi, plus que partout ailleurs, elle a affirmé le principe de citoyenneté dans une
1 Colas (Dominique) Citoyenneté et nationalité Gallimard Folio histoire 2004.
2 Renan (Ernest), Qu'est-ce qu'une nation ? Conférence faite en Sorbonne, le 11 mars 1882.
http://www.19e.org/documents/troisiemerepublique/nation/renan.htm 3 Accord sur la Nouvelle-Calédonie, signé à Nouméa le 5 mai 1998, J.O.R.F. n° 121 du 27 mai 1998, page 8039.
4 Schnapper (Dominique) Qu’est-ce que la citoyenneté ? Gallimard Folio actuel 2000.
5 Oriol (Paul) La lettre de la citoyenneté n° 64 juillet août 2003.
6 Schnapper (Dominique) Ibid, p. 39 et suivantes.
3
production politique et philosophique abondante, mais aussi par de grandes manifestations
collectives concernant, notamment, la laïcité, le service public, l’intégration et la
souveraineté nationale »7.
La citoyenneté ne saurait ainsi s’identifier au seul droit de vote. L’accord de Nouméa8 est à la
croisée de la tradition du Pacifique, anglo-saxonne et libérale qui sait reconnaître les
différences, et de la philosophie politique française. L’accord fait la part belle à « l’identité
kanak », dont la graphie invariable montre l’éloignement même des règles orthographiques les
plus établies de l’Académie. On y confirme la reconnaissance d’un état-civil particulier, le
« statut coutumier », évidemment distinct du statut de droit commun. Le « peuple kanak » y
est explicitement reconnu dans le préambule de l’accord dont on sait qu’il a acquis
aujourd’hui valeur constitutionnelle9. Nous sommes pleinement aux antipodes de la remarque
du Conseil constitutionnel sur le peuple corse10
. L’accord rend possible l’émergence de droits
culturels, économiques et sociaux liés à cette citoyenneté concrète.
La position constitutionnelle de la Nouvelle-Calédonie confirme enfin son originalité et
même, d’un mot plus fort, son étrangeté. Celle-ci ne relève pas des dispositions permanentes
du titre XII de la Constitution « Des collectivités territoriales », mais du titre XIII dont le
caractère transitoire est clairement affiché « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-
Calédonie ». Le Conseil d’Etat vient clairement de rejeter la tentation d’un double
rattachement constitutionnel du « Pays », principal au titre XIII et supplétif au titre XII, en
refusant de considérer que la Nouvelle-Calédonie puisse être une collectivité territoriale au
sens de l’article 72 de la Constitution11
. La Calédonie est ainsi « ailleurs », pas encore
souveraine, mais déjà plus collectivité territoriale, faisant revivre le spectre de la
Communauté française de 1958.
En réalité, comme le souligne le constitutionnaliste Guy Carcassonne12
, « il s'agit moins de
dispositions constitutionnelles particulières que d'une autre Constitution, celle de la
Nouvelle-Calédonie, que notre texte de 1958, bien accueillant, abrite dans son titre XIII ».
La citoyenneté calédonienne qui en est issue assume d’abord le lien évident avec le droit de
vote et la restriction ainsi apportée au corps électoral. Elle organise ensuite, de manière
progressive, la dissociation des statuts de résident français et citoyen calédonien.
7 Le Pors (Anicet) La citoyenneté Que sais-je ? PUF1999.
8 Le 8 novembre 1998, avec près de 72 % de "oui" et un taux de participation de plus de 74 %, en progression de
11 points sur le précédent référendum de 1988, la population calédonienne a été favorable à cet accord qui
entérine l’évolution à long terme vers l’autodétermination. Le "oui" a été massif dans les deux provinces à
majorité kanak et indépendantiste et solide dans le Sud (62,99 %), un résultat qui tranche avec la réserve
négative de 1988. 9 Sur le plan juridique, la mention particulière selon laquelle l’article 77 de la Constitution stipule que la loi
organique détermine « dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires
à sa mise en oeuvre » les transferts de compétence, règles d’organisation, citoyenneté, régime électoral ou
emploi a pour effet de constitutionnaliser l’accord dans sa lettre et dans son esprit. Il s’agit donc d’obligations
constitutionnelles et pas de formules creuses. 10
Conseil constitutionnel, décision n° 91-290 DC du 9 mai 19991, Loi portant statut de la collectivité
territoriale de Corse. 11
Conseil d’Etat n° 279323 du 13 décembre 2006 M. Genelle, AJDA 19 février 2007, p. 363. 12
Cité par le député René Dosière lors de son intervention devant le congrès de Versailles le 19 février 2007,
sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l’article 77 de la Constitution.
4
I – LE LIEN NECESSAIRE DE LA CITOYENNETE ET DU
CORPS ELECTORAL
Citoyenneté et droit de vote ont une relation nécessaire. Le citoyen, c’est celui qui vote. Et
cette définition sommaire prend un tour particulièrement brutal en Nouvelle-Calédonie,
puisque l’accord de Nouméa a organisé une déconnection « transitoire » entre nationalité
française et citoyenneté calédonienne. C’est la question du droit de vote (A).
Le constituant est même intervenu une seconde fois, par la révision constitutionnelle du 19
février 2007 pour geler ou cristalliser le corps électoral calédonien. Ce gel se présente comme
un acquis institutionnel définitif (B).
A - La déconnection « transitoire » de la citoyenneté calédonienne
et de la nationalité française : la question du droit de vote
Si la citoyenneté européenne offre « quelque chose en plus », la citoyenneté calédonienne se
présente, au moins pour un nouveau résident, comme « quelque chose en moins ». Les
conditions historiques du peuplement de la Nouvelle-Calédonie, aujourd’hui insérée dans un
processus de décolonisation par le double effet de la résolution 41/41 A du 2 décembre 1986
de l’Assemblée Générale des Nations Unies et des accords de Matignon et Nouméa,
l’expliquent amplement. Mais c’est cette déconnection, même « transitoire » selon les termes
mêmes du titre XIII de la Constitution, entre nationalité française et citoyenneté calédonienne
qui suscite un certain émoi.
1 – les corps électoraux calédoniens
L’accord de Nouméa distingue deux corps électoraux différents, le corps électoral des
consultations sur l’accession à la pleine souveraineté, qui relève de l’article 218 de la loi
organique, et le corps électoral des élections au congrès et aux assemblées de province, issu
de l’article 188 de cette même loi organique. Ceux qui ne votent pas à ces consultations sont
les résidents. Ils forment le « tableau annexe ». Il peuvent s’exprimer par le vote aux élections
présidentielles, législatives, européennes, aux référendums nationaux ainsi qu’aux
municipales, dans la mesure où le congrès ne leur vote pas un statut propre13
. Suivant la
logique indépendantiste, Français et non citoyens, ils votent aux seules élections qui les
concernent. Suivant la logique opposée, ils sont privés d’un droit fondamental14
.
Deux corps électoraux ; une seule citoyenneté. Il reste à répondre à cette ambiguïté potentielle
sur le corps électoral qui doit être pris en compte pour la citoyenneté. Est-ce celui du vote de
sortie ou celui des provinciales ? C’est l’article 4 de la loi organique qui tranche
définitivement la question et le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à y redire : « Il est
institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de
nationalité française qui remplissent les conditions fixées à l'article 188 », soit le corps des
électeurs provinciaux. Le citoyen, c’est très clairement l’électeur des provinciales.
13
Accord de Nouméa, point 2.2.1 : « Le corps électoral restreint s'appliquerait aux élections communales si les
communes avaient une organisation propre à la Nouvelle-Calédonie ». 14
Gohin (Olivier) Quand la République marche sur la tête, AJDA 16 avril 2007, p. 800.
5
Pour voter sur l’accession du Pays à la pleine souveraineté, il faut pouvoir justifier d’une
relation particulière avec la Nouvelle-Calédonie. La restriction apportée au corps électoral
débute avec l’accord de Matignon où il fallait dix ans. Elle se prolonge avec l’accord de
Nouméa. Ceux qui ont voté lors du référendum local sur l’accord de Nouméa du 8 novembre
1998 pourront voter à la consultation de « sortie ». On y ajoute ceux qui n’étant pas inscrits
sur la liste électorale auraient pu l’être et voter. C’est essentiellement ici un critère de
résidence, fondé sur le droit du sol.
Mais l’origine calédonienne est également prise en compte : Avoir eu le statut civil coutumier
(kanak) ou, né en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de ses intérêts matériels et moraux
; ou bien encore avoir l'un de ses parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de ses
intérêts matériels et moraux. C’est essentiellement ici un critère d’origine, fondé sur le droit
du sang.
On y ajoute deux dispositions balais qui règlent les problèmes divers :
- Celui des personnes arrivées après Matignon, mais avant Nouméa, et qui résident
encore en Calédonie à la sortie de l’accord. C’est une concession politique
supplémentaire des indépendantistes. Il faut à ces personnes justifier d’une durée de
20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date des consultations et « au
plus tard le 31 décembre 2014 ». Il faut donc être résident au plus tard depuis le 31
décembre 1994 pour voter à ces consultations.
- La question des enfants qui, fils de métropolitains ou de couples mixtes, ne
connaissent que le Pays ; ces enfants nés en Nouvelle-Calédonie ou dont l’un des
parents est né en Nouvelle-Calédonie, ayant atteint l‘âge de la majorité et ayant le
centre de leurs intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, pourront
également voter.
Ce corps électoral est donc déjà bien identifié. Hormis les jeunes qui accèdent à la majorité,
c’est pratiquement celui des provinciales de mai 2004. Fondé pourtant à la fois sur la
résidence et l’origine, il alimente un débat polémique sur le droit du sang calédonien…
Ce corps électoral de sortie est bien « gelé » par l’accord de Nouméa, sans contestation depuis
sa signature par les partenaires le 5 mai 1998, en ce qu’il n’inclut pas de nouveaux arrivants
depuis 1994, quelle que soit d’ailleurs la date réelle des consultations qui peuvent
s’échelonner de 2014 à 2018.
L’autre corps électoral, des « provinciales », et partant du congrès qui est la réunion des trois
assemblées de provinces, à quelques sièges près, suit une définition différente.
Il est bien entendu composé de ceux qui votent aux consultations de sortie. Qui peut le plus
peut le moins. Mais sa définition est moins rude. Le seuil est fixé à 10 ans de résidence
continue. L’article 188 dit très exactement ceci : « Etre inscrits sur le tableau annexe et
domiciliés15
depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux
15
En outre, afin en effet de tenir compte de certaines contraintes liées à l'insularité et à l’éloignement, le
législateur organique a prévu que « les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le
service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou
médicales ne sont pas pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en
considération pour apprécier la condition de domicile » Articles 188 II et 218 in fine de la loi organique n° 99-
209 du 19 mars 1999. L’interprétation de cette disposition a été en question devant la Cour de Cassation (Cour
6
assemblées de province ». On notera particulièrement l’expression « à la date de l’élection »,
expression reprise dans l’accord lui-même au point 2.2.1, et non pas « à une certaine date »
qui serait par hypothèse précisée. C’est l’origine immédiate de l’imbroglio du corps électoral
et de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel : « Doivent (…) participer à
l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection,
(…) sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur
établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 199816
».
Son interprétation fait corps avec le texte interprété. Le corps électoral est devenu
« glissant ». Ainsi, une personne arrivée en 2003, après approbation de l’accord de Nouméa
le 8 novembre 1998, aurait pu voter aux provinciales de 2014 par la condition de résidence
continue de 10 ans, sans pouvoir d’ailleurs s’exprimer sur la consultation de sortie. Cette
réserve d’interprétation a été vigoureusement et immédiatement dénoncée par les partis
indépendantistes, vite rejoints par l’Etat.
Demeure une interrogation plus lourde. Les personnes résidentes, figurant sur le tableau
annexe, sont-elles privées, d’une manière déraisonnable, d’un droit fondamental ?
2 – Restriction du corps électoral et droits fondamentaux
Avec la restriction du corps électoral, on déroge immédiatement à l’article 3 de la
Constitution qui dispose que « sont électeurs tous les nationaux français ». On semble
toucher également à des textes internationaux solennels applicables localement et invocables
dans un procès de droit interne17
. La justice internationale a tranché la controverse.
Le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, dit de New York du 19 décembre
1966, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales sont bien applicables18
localement et bénéficient en outre de l’effet direct. On
dispose ainsi d’un socle de garantie internationale des droits fondamentaux très fourni. Ces
restrictions au droit de vote peuvent-elles être interprétées comme « déraisonnables » selon la
terminologie de l’article 25 du Pacte ou entrent-elles dans le champ d’application des
« nécessités locales » pour l’Outre-mer résultant de la réserve française à la ratification de la
convention européenne ?
La question a été éludée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Sarran19
en proclamant la
supériorité des dispositions impératives de la Constitution sur le droit international, comme
par la Cour de Cassation dans l’arrêt du 2 juin 2000 Fraisse20
, qui, à la nuance près du droit
communautaire, reprend le même raisonnement.
de Cassation n° de pourvoi : 05-60166 du 26 mai 2005, Kilikili, AJDA 24 octobre 2005 p. 2014, commentaire
Carine David). 16
Conseil constitutionnel, décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-
Calédonie 17
Chauchat (Mathias) « L’accord de Nouméa condamné par le droit international ? » Dalloz, n° 44 du 17
décembre 1998. 18
article 63 : « (...) la convention s’appliquera (...) aux Territoires désignés dans la notification (...). Dans
lesdits Territoires les dispositions de la présente convention seront appliquées en tenant compte des nécessités
locales ». 19
Conseil d’Etat, assemblée n° 200286 du 30 octobre 1998, M. Claude Sarran. 20
Cour de Cassation, assemblée plénière n° 99-60274 du 2 juin 2000, Melle
Fraisse.
7
Le comité des droits de l’homme des Nations unies a rendu ses constatations en date du 15
juillet 200221
. Il commence par rappeler deux évidences : ces scrutins s'inscrivent dans le
cadre d'un processus d'autodétermination des populations de Nouvelle-Calédonie ; toute
différenciation ne constitue pas en elle-même une discrimination, si elle est fondée sur des
critères objectifs et raisonnables et si le but visé est légitime au regard du Pacte.
Le comité finit par conclure que les critères établis sont raisonnables dans la mesure où ils
s'appliquent strictement et uniquement à des scrutins s'inscrivant dans un processus
d'autodétermination.
La Cour européenne des droits de l’homme a également été saisie. Elle a rendu son arrêt le 11
janvier 200522
. Le recours était cette fois centré sur le corps électoral provincial. La Cour
constate également que le statut actuel de la Nouvelle-Calédonie correspond à une phase
transitoire avant l'accession à la pleine souveraineté et s'inscrit dans un processus
d'autodétermination. Il s'agit d'un « système inachevé et transitoire » et elle estime, en
conséquence, « que l'histoire et le statut de la Nouvelle-Calédonie sont tels qu'ils peuvent être
considérés comme caractérisant des nécessités locales de nature à permettre les restrictions
apportées au droit de vote du requérant ».
L’épineuse question d’une violation alléguée des droits de l’homme étant, au moins
provisoirement surmontée, la contestation demeurait sur la réserve d’interprétation du Conseil
constitutionnel et prenait localement parfois un tour violent.
Tout le débat porte en effet sur l’interprétation à donner au « tableau annexe » des résidents de
moins de 10 ans. S’il reste identique à celui de 1998, ne pourront voter à partir de 2009 que
les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie avant 1999. Le corps électoral serait donc figé.
Au contraire, la mise à jour annuelle du tableau permettrait d’inclure tous les nouveaux
arrivants depuis 1999. Le corps électoral deviendrait alors glissant. C’est l’interprétation du
Conseil constitutionnel.
Et pour surmonter l’interprétation du Conseil, il fallait une révision constitutionnelle. Ce sera
le gel du corps électoral.
B - Le gel « définitif » du corps électoral
Le préambule, qui donne tout son sens à l’accord lui-même, recèle une ambiguïté. Il indique
que le corps électoral sera restreint aux personnes établies en Nouvelle-Calédonie « depuis
une certaine durée » : il n’est pas question d’une certaine date. La réforme va trancher. Ce
sera le gel. Et cette réforme est irréversible.
1 – La réforme constitutionnelle de 2007
Le clivage politique est net, dans un Pays qu’on présente couramment comme celui « du non
21
Le Pacte ne confère au comité des droits de l’homme qu’un pouvoir d’adresser des constatations à l’Etat
intéressé et au particulier. 22
Cour européenne des droits de l’homme, arrêt no 66289/01 du 11 janvier 2005, Py Bruno c/ France. Les
constatations du comité des droits de l’homme des Nations unies du 15 juillet 2002 figurent dans les faits
rappelés dans la décision.
8
dit »23
, et il recouvre l’attitude face aux flux migratoires venus de la Métropole et aujourd’hui
aussi du reste de l’outre-mer. La définition du corps électoral aurait été l’ultime compromis.
Pascal Naouna, au nom de l’Union calédonienne, l’une des composantes du FNLKS, avait
développé méticuleusement le point de vue indépendantiste, à l’occasion du boycott actif et
mouvementé du troisième comité des signataires24
, lors de la visite du président de la
République à Koné, la capitale du Nord, en juin 2003 : « Je rappellerai que les « indigènes »
de la Calédonie, à l’instar des femmes françaises, n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1946 ;
que la circulaire Messmer de 1969 organisait la colonisation de peuplement en préconisant «
un accroissement de l’immigration venue de Métropole afin d’éviter qu’à terme les
autochtones ne soient majoritaires et se laissent tenter par l’indépendance » ; qu’à Nainville-
les-Roches, nous avons néanmoins pris en compte « les victimes de l’histoire » dans les
populations intéressées par le devenir de notre Pays ; que, lors de l’accord de Matignon de
1988, nous avons accepté une notion encore plus large du corps électoral basée cette fois-là
sur 10 ans de résidence ; que, lors de l’accord de Nouméa signé en 1998, nous avons encore
accepté de considérer les 8000 nouveaux électeurs inscrits sur les listes électorales, issus de
l’immigration des 24 000 personnes entrées sur le Territoire depuis 1988. Tout ceci pour dire
que son ultime concession de 1998 relative au corps électoral, fondant une souveraineté
partagée dans une communauté de destin, a été actée et figée par la Constitution française en
son article 76 alinéa 2 ».
Pour les indépendantistes, colonisation et peuplement sont deux notions étroitement mêlées.
Si on décolonise, on arrête le peuplement. Pour les non indépendantistes, les deux
mouvements paraissent pouvoir être disjoints. Le compromis de 1998 a alors justement porté
sur la restriction apportée au corps électoral. La formulation, sans doute volontairement
ambiguë, contenue dans l’accord avait été le dernier point d’achoppement avant sa signature
par le Rassemblement pour la Calédonie dans la République et la réserve d’interprétation du
Conseil constitutionnel avait alors révélé publiquement les arrière-pensées.
Le gouvernement français avait également rapidement réagi et proposé une alternative à la
réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, la révision
constitutionnelle. L’Assemblée nationale, le 10 juin 1999, et le Sénat, le 12 octobre 1999,
avaient ainsi adopté en termes identiques un projet de loi constitutionnelle destiné à compléter
l'article 77 de la Constitution sur la question du corps électoral calédonien. Toutefois, le texte
du projet de révision adopté par les deux assemblées comportait, en ses articles 2 à 4, une
réforme du statut de la Polynésie française. Le décret de convocation du Congrès du 3
novembre 1999 comprenait en sus une autre révision relative au Conseil supérieur de la
magistrature. L’échec politique de cette réforme, la divergence en période de cohabitation
portant sur le degré d’indépendance des magistrats du parquet général, a entraîné l’abrogation
le 20 janvier 2000 par le Président de la République du décret de convocation.
On attendra 7 ans. Tout a dû être repris. Le nouveau projet, proposé le 29 mars 2006 par le
gouvernement, sera voté en termes identiques par l’Assemblée nationale le 13 décembre 2006
et par le Sénat le 16 janvier 2007. Il est soumis rapidement au vote des deux assemblées
réunies en Congrès à Versailles le 19 février 2007.
23
Barbançon (Louis-José) Le Pays du Non-Dit, Regards sur la Nouvelle-Calédonie, 1992, 133 p. 24
Le point 6.5. de l’accord de Nouméa précise « qu’un comité des signataires sera mis en place pour prendre en
compte les avis qui seront formulés par les organismes locaux consultés sur l'accord ; participer à la
préparation des textes nécessaires pour la mise en oeuvre de l'accord ; veiller au suivi de l'application de
l'accord ».
9
Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois du Sénat, rapporteur sur le projet de
loi constitutionnelle au Congrès, et qui rapportait déjà sur la loi organique de 1999, au surplus
membre de l'Union pour un Mouvement Populaire, a fidèlement retracé les deux principaux
arguments échangés. Le premier est relatif à la cohérence et à la compréhension de l’accord
lui-même et le second est relatif à la parole donnée par l’Etat.
Cette disposition interprétative, qui contredit formellement la réserve d’interprétation du
Conseil constitutionnel, figure ainsi à l’article 77 nouveau dernier paragraphe de la
Constitution : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des
assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se
réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-
209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du
scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer ».
La lecture est aride et la réforme a quelque chose de byzantin.
Le tableau annexe, visé au point 2.2.1 de l'accord de Nouméa et auquel fait ensuite référence
l'article 188 de la loi organique, doit donc être arrêté à la date de la consultation du
8 novembre 1998, celle de l’approbation de l’accord de Nouméa et qui est mentionnée par
l’article 76 de la Constitution.
Traduits en mots simples, les conséquences en sont les suivantes : le corps électoral provincial
est « gelé » au 8 novembre 1998. Ceux qui sont arrivés après cette consultation sur l’accord
de Nouméa ne voteront ni aux provinciales de 2009, ni à celles de 2014, ni aux consultations
sur l’accession à la pleine souveraineté. Ce sont les « résidents ». Il peuvent s’exprimer par le
vote aux élections présidentielles, législatives, européennes, aux référendums nationaux ainsi
qu’aux municipales.
Pour les personnes arrivées avant le 8 novembre 1998, et qui ne remplissaient pas encore la
condition de 10 ans, le corps électoral demeure « glissant ». Ces personnes atteindront 10 ans
de résidence continue au plus tard le 8 novembre 2008. Ainsi, une personne résidente de
manière continue depuis juillet 1997, qui n’a pu voter aux provinciales de mai 2004, pourra
ainsi voter à celles de 2009. Elle ne fera toutefois pas partie du corps électoral de sortie, lui-
même gelé au 31 décembre 1994.
Cette réforme a un caractère irréversible.
2 – Le caractère irréversible du gel du corps électoral
Cette irréversibilité est rarement avouée, parce qu’elle joue de la confusion entre les
expressions « transitoire et provisoire », qui ne sont en rien synonymes. Ensuite, cette
irréversibilité est constitutionnellement garantie.
Ce corps électoral figé apparaît lié aux deux mandats du congrès commençant en 2009 et
2014, ainsi qu’aux consultations sur l’accession à la pleine souveraineté qui pourront
s’échelonner de 2014 à 2018. Et on entend un discours dédramatisant. Ainsi du Premier
Ministre Dominique De Villepin devant le congrès de Versailles : « le projet de loi dont vous
êtes aujourd'hui saisis concerne exclusivement la période transitoire qui couvrira les
10
élections provinciales et territoriales de 2009 et, le cas échéant, de 2014. Ces dispositions
sont donc strictement limitées dans le temps et dans leur objet ».
L’illusion du provisoire, dont on abreuve localement les nouveaux arrivants, relève de la
dénomination même du titre XIII de la Constitution qui qualifie le système applicable à la
Nouvelle-Calédonie de « transitoire ». Or, il ne faut pas s’illusionner sur les mots : il faut bien
lire « transitoire avant l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté ». Il
convient donc de distinguer avec soin « provisoire » et « transitoire » qui ne sont en rien
synonymes. Penser qu’après l’échec du référendum d’autodétermination, les compteurs du
corps électoral, voire même des institutions, seront remis à zéro comme si de rien n’était, par
l’effet d’un caractère provisoire, relève d’un vœu pieux.
Bien sûr, rien n’est éternel en ce monde et on ne peut pas tout garantir par des barrières de
papier. Mais l’accord de Nouméa précise que « si la réponse est négative, les partenaires
politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée. Tant que les consultations
n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique
mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans
possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie ».
Bien sûr, le texte ne parle pas explicitement des listes électorales, ce qui peut faire débat…
Mais le gel du corps électoral n’est-il pas une condition essentielle de l’organisation politique
mise en place par l’accord de Nouméa ?
Cette irréversibilité est « constitutionnellement » garantie. Il faudra ainsi nécessairement une
révision de la Constitution pour acter d’un nouvel équilibre politique, consensuel et par
hypothèse dans la France, si l’indépendance n’était pas retenue. Trouvera-t-on une majorité
des Kanak et des indépendantistes pour acter de leur « noyade » démocratique sous l’afflux
des nouveaux arrivants européens ? Trouvera-t-on une majorité des 3/5 du Parlement français
pour tout bousculer en modifiant la Constitution ? Ce que le constituant a fait, il peut certes le
défaire, mais cette hypothèses est la plus improbable. Ce n’est pas le moindre des
enseignements du débat sur le gel du corps électoral et « le respect de la parole donnée par la
France », dont l’expression inondait les débats.
Pierre Frogier, député de la Nouvelle-Calédonie dans la discussion à l’Assemblée nationale,
ne s’y est pas trompé : « il ne s’agit pas d’une disposition transitoire : des milliers d’électeurs
seraient définitivement privés du droit de vote. En effet, en 2018, si l’indépendance est
choisie, ceux dont on n’aura pas encore reconnu la citoyenneté resteront des étrangers, et si
elle ne l’est pas, l’accord de Nouméa prévoit que la structure politique existante soit
constitutionnellement garantie sans possibilité de retour en arrière, en attendant la fondation
ultérieure d’un nouveau système ».
Finalement, ceux qui aujourd’hui misent sur le caractère temporaire du gel du corps électoral
parient ainsi sur une nouvelle concession politique kanak comme en 1998. Les autres
demeurent campés sur une ligne pure et dure d’irréversibilité constitutionnelle… Il s’agit de
frontières, sinon de positions de négociation, très classiques.
La citoyenneté doit alors compter pour s’enraciner sur une autre dynamique que la seule
agrégation du corps électoral. Cette citoyenneté de l’accord de Nouméa se veut concrète et
détone par les droits politiques, culturels, économiques et sociaux qu’elle institue. Sa
reconnaissance progressive devrait nécessairement entraîner une dissociation des situations,
11
sinon des statuts, de résident français et de citoyen calédonien ; ce sera sans doute l’un des
enjeux politique et juridique majeurs des prochaines années.
II – LA DISSOCIATION PROGRESSIVE DU CITOYEN
CALEDONIEN ET DU RESIDENT FRANÇAIS
L’accord de Nouméa, au travers de la mise en place d’une citoyenneté calédonienne, dont la
vocation est de pouvoir s’ériger en nationalité, vise à fonder une nation calédonienne, même
si l’expression n’y figure pas expressément. L’objectif est souvent présenté, dans le langage
imagé courant des indépendantistes, et parfois d’autres, comme « la construction d’une
grande case commune25
». Comme dans la citoyenneté européenne, la citoyenneté précède la
nation. Il s’agit progressivement de remplacer la coexistence d’ethnies, d’origines et
d’histoires diverses, et même opposées, par un même sentiment d’appartenance à « la
communauté de destin choisie » de l’accord de Nouméa. Suivant les termes exacts du
préambule de l’accord de Nouméa, « au cours de cette période, des signes seront donnés de la
reconnaissance progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci devant
traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la
période, en nationalité, s'il en était décidé ainsi ».
Cette citoyenneté n’est pas nécessairement homogène et assimilatrice, comme on l’imagine en
France, mais sans doute plus diverse, plus respectueuse des identités et des représentations
intermédiaires comme peut l’être le modèle anglo-saxon. Elle a un contenu social affirmé,
bien au-delà des seuls droits politiques qu’elle fonde (A). Sa transformation potentielle en
nationalité exige qu’on s’interroge sur « la sortie » de l’accord de Nouméa (B).
A – La citoyenneté sociale
Dans l’accord, les mots ne sont pas neutres. Il sait utiliser des expressions fortes auxquelles
chacun s’accoutume avec le temps, « le Pays » au lieu du Territoire, la « loi du pays », le
« peuple kanak », mais aussi évite celles qui seraient inutilement blessantes, « pleine
souveraineté » plutôt qu’indépendance. On utilise la périphrase de « communauté humaine
affirmant son destin commun » pour éviter de dire une nation calédonienne et chacun finit pas
les utiliser. Le « destin commun » est devenu très usité. Le statut prépare ainsi les esprits à
une dissociation en douceur des notions de résident et de citoyen.
Cette citoyenneté concrète se mesure à l’aune des droits politiques, culturels, économiques et
sociaux qu’elle institue. « Les langues kanak sont, avec le français, des langues
d'enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie ». La rupture est de taille avec la tradition
française d’indivisibilité rappelée par le Conseil constitutionnel en 1999 à propos de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires26
». Nous ne sommes ni en Corse, ni à la
Réunion, ni même en Polynésie, où le simple usage du Reo Maohi en 2006 à l’assemblée
territoriale, alors dominée par une coalition indépendantiste, a déclenché un scandale et
25
Gorodey (Dewe), vice-présidente UNI-FLNKS du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au congrès le 11
avril 2007 à propos de la constitution du comité de pilotage sur les signes identitaires. 26
Conseil constitutionnel décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires
12
nécessité l’intervention du Haut-commissaire de la République27
!
Les dérogations constitutionnelles qui suivent sont de même ampleur. « La taille de la
Nouvelle-Calédonie et ses équilibres économiques et sociaux ne permettent pas d'ouvrir
largement le marché du travail et justifient des mesures de protection de l'emploi local ». On
mesure dans cette accumulation la véritable originalité de la citoyenneté de l’accord de
Nouméa.
Faute de pouvoir différencier notablement, en raison du partage en commun de la nationalité
française, les statuts de résident français et de citoyen calédonien, l’accord assure en théorie
une différenciation notable en matière de droits économiques et sociaux au bénéfice des
citoyens. C’est sous cet aspect novateur de la « discrimination positive » que le statut du
citoyen calédonien peut prêter à la polémique.
1 - L’enjeu de la discrimination positive au bénéfice des citoyens calédoniens
C’est à cause de son inconvenance que la réflexion sur le statut du résident, habituellement
réservé aux étrangers, s’est arrêtée. Il lui a été préférée l’inexistence. Et la question a été
contournée par une redéfinition très novatrice du principe d’égalité.
Par tradition républicaine, seuls les droits politiques sont spécifiquement liés à la citoyenneté
française. En effet, un résident, étranger par nature en Métropole, bénéficie des autres libertés
et droits fondamentaux, comme les droits sociaux, et doit s’acquitter des mêmes obligations.
Et le résident continue à bénéficier d’un statut personnel, notamment familial, lié à sa
nationalité d’origine28
.
Là encore, l’ancienne société coloniale, dont est directement issue la Nouvelle-Calédonie,
diverge du modèle. Le « statut personnel » qui était un puissant facteur de protection pour les
émigrants français partis à la conquête de territoires lointains, était devenu parallèlement un
élément local d’exclusion. Le refus de donner aux peuples colonisés la citoyenneté française
se traduisait par le maintien du statut personnel et confessionnel traditionnel auquel étaient
soumis les autochtones. La Calédonie, du fait de l’histoire, vit ainsi à fronts renversés de la
tradition française : les métropolitains aux antipodes vivent en Calédonie de la solution
américaine comme des immigrants, puisqu’on leur applique les lois de résidence. Et le statut
personnel divise les citoyens calédoniens, puisque statut coutumier kanak et statut de droit
commun cohabitent.
Cette absence de dissociation du statut personnel entre citoyens calédoniens et résidents
français peut être illustrée par l’affaire du PACS, le pacte civil de solidarité. Les nouveaux
arrivants métropolitains s’étonnaient que le PACS ne puisse être reconnu en Nouvelle-
Calédonie. Classique interprétation du statut personnel français qu’on emporte, contrairement
au mot de Danton, à la semelle de ses souliers… On pouvait ainsi se « pacser » au consulat de
France à Sydney, mais pas à la mairie de Nouméa… La loi du 23 juin 2006 portant réforme
des successions et des libéralités, entrée en vigueur le 1er
janvier 2007, a modifié cette
situation puisque la quasi-totalité du dispositif relatif au PACS est devenu applicable en
27
CE n° 299649 du 22 février 1987 Fritch et autres, RFDA n° 2/2007 p. 425. 28
La loi du 5 mars 1803 a inséré à l’article 3 du code civil : « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux
qui habitent le territoire. (…) Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français,
même résidant en pays étranger ». Ce principe adopté pour les Français s’applique ainsi par réciprocité aux
étrangers en France.
13
Nouvelle-Calédonie. L’aspect fiscal, de compétence locale, a été réglé par la loi du pays n°
2007-3 du 16 janvier 2007 portant diverses dispositions d’ordre fiscal à l’impôt sur le revenu
et à l’impôt sur les sociétés. Résidents et citoyens en bénéficieront dorénavant. Mais, on ne
manquera pas de noter que le PACS ne concerne que les personnes relevant du statut de droit
commun, celles de statut coutumier kanak continuant d’être régies par la coutume.
Sans doute ne faut-il pas ajouter encore de la complication en permettant aux résidents
français de conserver leur statut personnel métropolitain en Nouvelle-Calédonie, mais cette
piste de réflexion ne peut pas être ignorée pour l’avenir.
Il existe pourtant curieusement un statut de « résident », mais réservé pour les seuls
fonctionnaires de l’Etat et qui leur permet de rester sans limitation de séjour en faisant valoir
un « rattachement » au pays. Ce sont les intérêts moraux et matériels, les fameux IMM qu’il
faudrait entièrement repenser. ». Les surrémunérations29
versées lors des séjours outre-mer
n’y sont pas étrangères… Mal précisé, mal identifié, ce statut permet surtout à l’Etat de
justifier d’économies de bout de chandelle au détriment de la nécessaire mobilité de ses
personnels30
. Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a utilement contribué à cette
réflexion31
en liant parfois IMM et citoyenneté. Si, a priori, la catégorie juridique des IMM
reconnue par le décret de 1996, antérieur à l’accord de Nouméa, paraît étrangère à la notion
de citoyenneté, rien n’empêcherait aujourd’hui la jurisprudence comme l’administration d’en
faire un élément déterminant du lien au Pays, à défaut qu’il puisse être exclusif.
Faute d’un statut de résident, l’optique de l’accord de Nouméa a été de favoriser le citoyen
calédonien, ce qui pose d’une manière renouvelée la question de l’égalité.
Autant le principe d’égalité est identifié, autant celui de la discrimination positive apparaît
incertain32
.
Depuis la décision « Taxation d’office » de 197333
, le principe d’égalité a fait l’objet de
plusieurs centaines d’application par le juge constitutionnel. C’est le motif
d’inconstitutionnalité le plus invoqué. Le Conseil s’appuie principalement tant sur l’article 1er
de la Constitution par lequel « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens »
que sur l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen suivant lequel la loi
« doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Comme l’égalité
absolue n’est pas concevable, le juge constitutionnel affirme, selon un considérant désormais
classique, que « le principe d’égalité ne s’oppose, ni à ce que le législateur règle de façons
différentes des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des motifs d’intérêt
général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport avec l’objet de la loi qui l’établit »34
. Il ne s’agit pas d’une formule « de langue de
bois » : la progressivité de l’impôt, à la différence de sa proportionnalité, constitue ainsi une
29
Chauchat (Mathias) Vers un développement citoyen ; perspectives d’émancipation pour la Nouvelle-Calédonie
PUG 2006, p. 137 et suivantes. Les traitements sont majorés du coefficient 1,73 à 1,94 en Nouvelle-Calédonie et
les pensions d’Etat, alors même qu’aucun impératif de qualité de recrutement ou même d’intérêt général n’est
opposable, de 1,75. 30
Avis n° 10/7 SSR du Conseil d’Etat du 22 mars 1999. 31
Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie n° 9900082 du 16 septembre 1999, M. Daniel Quere. 32
Le Pourhiet (Anne-Marie) Pour une analyse critique de la discrimination positive, revue Le Débat, n°114,
mars-avril 2001 http://www.esethi.com/ 33
Favoreu (Louis), Philip (Loïc), les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz. 34
Conseil constitutionnel, décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998 Loi d'orientation relative à la lutte contre
les exclusions
14
distinction justifiée par un motif d’intérêt général, qui est la réduction des inégalités35
. D’une
manière générale, l’application que fait le Conseil constitutionnel du principe d’égalité à la loi
est moins rigide que celle qu’effectue Conseil d’Etat à l’égard de l’acte administratif, car il y a
des garanties dans la norme législative.
Devant le Conseil d’Etat36
, l’égalité est relativisée de trois manières : soit, elle est la
conséquence nécessaire d’une loi parce que le Conseil d’Etat, serviteur de la loi, ne dispose
pas (encore ?) de l’exception d’inconstitutionnalité ; soit, elle repose sur une différence de
situation appréciable. On peut multiplier à l’infini les différences de situation, mais si on
multiplie trop, le principe d’égalité disparaît et le juge apprécie cette différence de situation ;
soit, elle résulte d’une nécessité d’intérêt général en rapport avec la mesure.
La discrimination positive, parfois encore présentée sous l’appellation de droit à la différence,
va très loin. Venue de la politique d’affirmative action du président Kennedy, à l’origine à
l’égard des afro-américains, le mot « discrimination » conserve cependant, dans le contexte
français, une connotation extrêmement négative. La tentation est parfois d’utiliser l'expression
« égalité réelle des chances » pour désigner autrement cette politique. D'autres estiment
encore que l'on devrait plutôt employer l'expression « action positive », traduction littérale de
l'expression américaine.
En posant à son article 1er
que « la République assure l’égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », la Constitution n’interdit pas
seulement les discriminations, c’est-à-dire les distinctions qui désavantagent une catégorie de
citoyens par rapport à une autre, mais bien toute « distinction ». Cette règle solennelle a pu
être qualifiée de « principe de cécité volontaire »37
.
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ajoute que « tous les
citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et
emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de
leurs talents », ce qui fonde la règle « méritocratique ».
Présentée comme un corollaire moderne du principe d’égalité, la discrimination positive
s’appuie d’abord sur le « droit à la différence ». Celui-ci signifierait, dans une première
acception liée à la différence de situation, « l’interdiction d’établir une assimilation entre des
personnes se trouvant dans des situations différentes ». Cette interdiction reviendrait à
reconnaître aux usagers « un droit à la création de catégories différentes, dès lors qu’ils
pourraient justifier de la particularité de leur situation »38
. La discrimination, de facultative,
devient alors obligatoire.
Le Conseil constitutionnel ne reconnaît guère ce droit, se limitant le plus souvent à sa position
traditionnelle : à situations semblables, règles égales. Mais une affaire au moins a conduit le
Conseil au-delà de cette limite. Lors de la tentative d’abrogation implicite de la loi Falloux en
1994, dont l’article 69 limitait à 1/10ème
des dépenses annuelles de l’établissement privé les
35
Question soulevée plus récemment à l’occasion du taux unique de cotisation sociale généralisée (CSG) ;
Conseil constitutionnel, décision n° 90-285/DC du 28 décembre 1990, loi de finances pour 1991. 36
CE, 9 mars 1951, Société des concerts du Conservatoire et Denoyez et Chorques du 10 mai 1974 in Long
(Marceau), Weil (Prosper), Braibant (Guy), les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz. 37
Biville (Yves), Armées et populations à problèmes d’intégration. Le cas des jeunes français d’origine
maghrébine, Ministère de la défense ; Rapport de la documentation française 1990. 38
Carbajo (Joël), Droit des services publics, Mémentos Dalloz.
15
subventions qu’il pouvait recevoir des pouvoirs publics, le Conseil constitutionnel a déclaré
l’article 2 de la loi contraire à Constitution, en jugeant qu’elle ne comportait pas « de
garanties suffisantes pour éviter que ces établissements d’enseignement privé puissent se
trouver dans une situation plus favorable que celle des établissements publics, compte tenu
des charges et obligations de ces derniers »39
. En faisant « obligation » au législateur de tenir
compte d’une différence de situation, c’est-à-dire en l’espèce de servitudes plus lourdes pour
l’école publique que pour l’école privée, le juge constitutionnel est allé au-delà du point
d’équilibre traditionnel40
. Ce raisonnement, dès lors qu’il a été admis une fois, pourrait
trouver de nombreux autres points d’application.
Le Conseil d’Etat reste méfiant : la différence de situation n’oblige pas l’administration à
soumettre les usagers à des règles différentes. Au contraire, l’existence d’un traitement
identique entre deux catégories empêche que soit invoquée une méconnaissance du principe
d’égalité41
. Il a d’ailleurs confirmé sa position à propos d’une subvention à un établissement
privé agricole postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel. Suivant sa
jurisprudence, dans le silence des textes, une collectivité est libre d’accorder une aide à un
établissement d’enseignement situé hors du champ de la loi Falloux et il n’a pas à imposer de
tenir compte d’une éventuelle différence de situation42
.
Dans une seconde acception du principe d’égalité, connectée plus directement à la notion
d’intérêt général, l’appartenance à un groupe particulièrement identifié43
, par exemple
socialement, culturellement ou historiquement défavorisé, conférerait un avantage pour tendre
vers une plus grande égalité de fait. L’intérêt général justifierait alors l’atteinte à l’égalité
formelle au profit de l’égalité réelle.
Mais le Conseil d’Etat reste très réticent à différencier les droits des individus. Il est d’autant
plus vigilant qu’il ne leur reconnaît pas d’appartenance collective ou communautaire, dans la
lignée de l’unicité du peuple français rappelée par le Conseil constitutionnel44
. Son attitude est
justifiée « par le souci particulier de protéger chaque individu contre les risques de son
appartenance à sa propre communauté »45
.
C’est donc la loi qui a été utilisée en France, à quelques reprises et malgré les contraintes
constitutionnelles peu engageantes, pour tenter de concrétiser ce principe de discrimination
positive. On notera ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, la loi du 10 juillet 1987 en faveur de
l'emploi des travailleurs handicapés46
qui impose ainsi à toute entreprise de 20 salariés ou plus
d'employer au moins 6 % de travailleurs handicapés. Ou encore, dans l’éducation, la loi
d’orientation du 10 juillet 1989 sur les zones d’éducation prioritaires (ZEP)47
qui autorise des
39
Conseil constitutionnel, n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, Loi relative aux conditions de l'aide aux
investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales. 40
Rapport public 1996, in Etudes et documents du Conseil d’Etat, la Documentation française, le principe
d’égalité, égalité et équité, p.93. 41
Conseil d’Etat n° 79162 du 13 février 1970 Dame Vigan, Krasnick et autres. 42
Conseil d’Etat, n° 102922 du 28 avril 1995, Mme Diard et M. Tessier. 43
Jouanjan (Olivier) Egalité in D. Alland, S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, PUF Lamy 2003, p.
585-589. 44
Conseil constitutionnel n° 91-290 DC, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, « (13) la
mention faite par le législateur du "peuple corse, composante du peuple français" est contraire à la Constitution,
laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de
race ou de religion ». 45
Rapport public 1996, in Etudes et documents du Conseil d’Etat, la Documentation française, précité, p.73. 46
Loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés. 47
Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation.
16
moyens renforcés, comme la loi du 17 juillet 2001 qui, en vue de permettre la diversification
de l'accès des élèves du second degré aux formations dispensées par l'Institut d'études
politiques de Paris, a permis à des lycéens issus d'une zone d'éducation prioritaire d'intégrer
cette grande école sans avoir à passer le même concours d'admission48
ou encore la loi n°
2003-400 du 30 avril 2003 relative aux assistants d'éducation et la priorité d’emploi aux
boursiers49
.
L’autorité administrative n’est ainsi jamais affranchie du respect de la règle méritocratique
issue de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme. Comme l’avait rappelé déjà par le
passé le Conseil constitutionnel, elle doit s’assurer, au minimum, de ce que « le choix des
candidats soit effectué en fonction des capacités nécessaires à l’exercice des attributions qui
[leur] seront confiées »50. Le juge administratif y veille également51. Cette règle a pour
conséquence que les mesures de discrimination positive ne sont constitutionnellement
admissibles qu’à la condition de s’appliquer « à mérites égaux », ce qui représente
indéniablement un contrepoids très fort à une telle politique.
Plus récemment, une loi contrôlée par le Conseil constitutionnel a permis d’accéder à de
nouveaux indices : la loi sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes52
. Le sexe était
pourtant devenu depuis la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 une possibilité de
distinction, puisque le constituant a inséré dans l’article 3 de la Constitution que « la loi
favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives ». Mais cette mention ne concernait que les élus. Le titre III sur l’accès des femmes à
des instances délibératives et juridictionnelles de la loi sur l’égalité salariale imposait une
proportion contraignante de femmes et d’hommes dans de nombreux organes publics ou
privés (conseils d’administration et de surveillance des établissements publics, représentants
aux comités d’entreprise ou délégués du personnel, conseils des prud’hommes, organismes
paritaires de la fonction publique). Le Conseil constitutionnel l’a nettement refusé53
.
A l’inverse, les autres dispositions de la loi qui ne fixaient qu’une obligation de moyens
« favoriser un accès équilibré » et non pas de résultat, a montré, au contraire, « les
discriminations positives autorisées54
». Pour résumer, les quotas, les priorités absolues et
inconditionnelles sont interdits. Les discriminations positives ne peuvent tendre qu’à l’égalité
des chances55
. Et encore plus simplement, oui aux obligations de moyens, non aux obligations
de résultat.
Il est sans doute difficile d’aller très loin dans le contexte métropolitain, tant l’égalité abstraite
est fondatrice.
Dans un contexte calédonien différent, puisque le fondement de la discrimination positive va
pouvoir être recherché dans des normes explicites à valeur constitutionnelle, la jurisprudence
48
Loi nº 2001-624 du 17 juillet 2001 art. 14 et loi nº 2005-380 du 23 avril 2005 art. 43, sur l’article L 621-3 du
code de l’éducation. La décision du Conseil constitutionnel n° 2001-450 est du 11 juillet 2001. 49
Conseil constitutionnel, décision n° 2003-471 DC du 24 avril 2003, Loi relative aux assistants d’éducation,
cons. 10. 50
Conseil constitutionnel, décision n° 84-179 DC du 12 septembre 1984, Loi relative à la limite d'âge dans la
fonction publique et le secteur public, cons. 17. 51
CE Assemblée n° 77713 du 16 décembre 1988, Bléton. 52
Loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. 53
Conseil constitutionnel, décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006 Loi relative à l'égalité salariale entre les
femmes et les hommes. 54
Geslot (Christophe) Egalité devant la loi sociale et discriminations positives, AJDA n° 35/2006, p. 1963. 55
Ibid, p. 1967.
17
pourrait bien se construire différemment et avancer concrètement en Nouvelle-Calédonie sur
deux des objectifs de l’accord de Nouméa : la citoyenneté calédonienne et « le rééquilibrage
économique, social et culturel56
» en faveur des Kanak au sein même de la population
calédonienne. Cette jurisprudence novatrice serait alors l’occasion d’introduire un contrôle de
proportionnalité rigoureux sur les discriminations ainsi opérées, en utilisant la mise en balance
des coûts et des avantages, comme la doctrine l’a déjà suggéré57
.
Il est maintenant temps de recenser « les signes qui seront donnés de la reconnaissance
progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie », mais aussi de mesurer parfois leur
ambiguïté.
2 – les signes de la reconnaissance progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-
Calédonie
Les grands domaines de la reconnaissance, au delà du seul droit de vote, de la citoyenneté de
la Nouvelle-Calédonie, relèvent de l’économique et du social avec l’emploi local et la
formation, de la culture avec les langues et les signes identitaires et enfin de la souveraineté
avec l’association des Calédoniens aux compétences régaliennes. Mais le débat est parfois allé
au-delà des seuls domaines visés dans l’accord, pour donner un contenu concret à la
citoyenneté, mais sans pouvoir aboutir jusqu’à présent. Dans l’ensemble, c’est une impression
de lenteur, mais pas d’immobilisme, qui prédomine dans la mise en œuvre de la citoyenneté.
Si pour l’accord de Nouméa, l’emploi local s’effectue au bénéfice de ses « habitants » et
« des personnes durablement établies », la citoyenneté est « une référence pour la mise au
point des dispositions qui seront définies pour préserver l'emploi local », la loi organique
l’organise « au bénéfice de ses citoyens », mais en y ajoutant la notion de « personnes
justifiant d’une durée suffisante de résidence ».
L’expression « personnes justifiant d’une durée suffisante de résidence » est couramment
sollicitée pour nier tout lien avec la citoyenneté et donner des assurances aux nouveaux
arrivants. Cette interprétation n’est assurément pas la bonne. D’abord, parce que l’article 24
utilise expressément le mot « citoyen », même s’il n’est pas exclusif ; ensuite, parce que la
cohérence politique peut être recherchée par rapport à la définition même de la citoyenneté.
Le corps électoral étant glissant pour les personnes établies avant le 8 novembre 1998, il
paraît raisonnable de les inclure dans la protection de l’emploi local, puisque, à échéance de
10 ans de résidence continue, elles vont bénéficier de la citoyenneté.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, avait néanmoins
soulevé une réserve d’interprétation sur cet article 24 de la loi organique : « qu'il appartiendra
aux "lois du pays" prises en application de l'article 24, et susceptibles d'être soumises au
contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer, pour chaque type d'activité professionnelle et
chaque secteur d'activité, la "durée suffisante de résidence" (…) en se fondant sur des critères
objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l'emploi local, sans imposer de
restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord de
56
Le mot irrigue l’accord de Nouméa et est un des éléments d’évaluation des politiques publiques. Le
rééquilibrage vise à mettre à terme à une inégalité historique entre les communautés. La loi organique y consacre
son titre VIII. 57
Le Pourhiet (Anne-Marie) Discriminations positives ou injustice ? Revue française de droit administratif
1998, p. 523. Elle suggère un contrôle inspiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat Ville nouvelle Est du 28 mai
1971.
18
Nouméa ».
La durée ne saurait ainsi excéder les 10 ans. Mais cette interprétation paraît s’éloigner de
l’impératif de citoyenneté en liant étroitement la durée de résidence avec la promotion de
l’emploi local et en semblant faisant l’impasse sur la notion de citoyenneté. Le renvoi en
deuxième partie de phrase aux « restrictions strictement nécessaires à la mise en oeuvre de
l'accord de Nouméa » qui n’exclut pas la nécessité de respecter d’autres normes ou principes
de valeur constitutionnelle, tel le principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics,
paraît montrer une hiérarchisation inverse des priorités dans les choix politiques à accomplir
sur l’emploi local. Il est vrai que l’affaire du corps électoral a déjà démontré que
l’interprétation que le Conseil donne de l’accord ne coïncidait pas toujours avec la volonté des
trois partenaires politiques qui en sont à l’origine.
Un premier projet de loi du pays a néanmoins été transmis au Conseil d’Etat pour l’avis
préalable obligatoire. L’idée générale était de réserver l’accès aux concours de la fonction
publique de la Nouvelle-Calédonie pour les catégories B, C et D aux citoyens ou à ceux
justifiant de 10 ans de résidence et de leur donner une priorité de nomination pour les
catégories B+ (dont le niveau de diplôme requis est supérieur au baccalauréat) et A. Le
dispositif était élargi aux conjoints de citoyens calédoniens. Le Conseil d’Etat a rendu son
avis le 17 novembre 200558
.
Il a estimé que l’exclusion totale pour les catégories B, C et D allait au-delà des restrictions
strictement nécessaires à la mise en œuvre de l’accord. Il ajoute qu’elles seraient
incompatibles avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui
protège « l’accès aux fonctions publiques ». La priorité de nomination des citoyens dans les
emplois de catégorie A et B+ ne serait conforme aux exigences constitutionnelles qu’à égalité
de mérites. L’épuisement nécessaire d’une liste des citoyens ou assimilés par recrutement
avant de puiser dans la réserve « métropolitaine » risquerait ainsi de contredire l’ordre de
mérite individuel. Enfin, il ajoute que la protection du conjoint d’un citoyen n’a aucun
fondement dans l’accord. Il suggère néanmoins l’organisation de concours doubles, dotés de
jurys communs et de quotas justifiés et invite à permettre à ce que le jury puisse modifier la
répartition des quotas en fonction des résultats obtenus.
Le Conseil d’Etat, dans son avis sur la loi, reprend finalement l’analyse assez classique de la
discrimination positive, en veillant à rappeler la règle méritocratique et la prohibition des
interdictions absolues. Toutefois, sa prise en compte de l’impératif constitutionnel est réelle,
bien qu’elle relève de l’implicite. En ne s’interrogeant pas sur l’objectif de tendre vers une
égalité des chances entre les deux groupes de citoyens et non citoyens, le Conseil respecte la
règle constitutionnelle particulière à la Nouvelle-Calédonie. Ce point a été tranché et il relève
d’une logique politique et historique de construction d’un pays plus que d’une volonté de
réduire les inégalités.
L’emploi local devrait également toucher le secteur privé. Du fait du nouveau boom du nickel
et de la construction des usines, l’emploi se diffuse dans l’économie et engendre un
phénomène d’immigration conséquent. Les métropolitains font valoir diplôme, expérience et
motivation. Leur extériorité aux solidarités sociales, familiales et syndicales leur procurent un
avantage d’embauche paradoxal. Les tensions sont vives sur la question de l’emploi local et la
majorité des conflits sociaux débutent sur ce thème.
58
Conseil d’Etat, avis n° 372237 du 17 novembre 2005 relatif au soutien et à la promotion de l’emploi local dans
les fonctions publiques de Nouvelle-Calédonie.
19
Les entreprises calédoniennes avaient souhaité élaborer leurs propositions librement par le
dialogue social. Un moratoire d’un an leur avait été concédé par le gouvernement élu en 2004.
En août 2006, le forum social, organisé par l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la
Formation Professionnelle, sous le double patronage de l’Etat et du gouvernement, relançait
la discussion des partenaires. L’idée est de s’appuyer sur une loi du pays, qui fixerait le cadre
général et les bénéficiaires de la protection de l’emploi local, en s’appuyant sur la référence à
la notion de citoyen et assimilé, et sur un dispositif partenarial au niveau de chaque branche
pour la mise en oeuvre. La problématique juridique est similaire à celle de l’emploi public,
mais les difficultés sont plus grandes, par le triple effet de la variété des emplois, de l’égalité
de mérites et de la liberté de l’entrepreneur.
Les signes de reconnaissance de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie concernent, après
l’économique et le social, le culturel et l’identitaire.
L’accord de Nouméa, en son point 1.5. consacré aux symboles, déclare : « Des signes
identitaires du pays, nom, drapeau, hymne, devise, graphismes des billets de banque devront
être recherchés en commun pour exprimer l'identité kanak et le futur partagé entre tous. La
loi constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie prévoira la possibilité de changer ce nom, par
« loi du pays » adoptée à la majorité qualifiée. Une mention du nom du pays pourra être
apposée sur les documents d'identité, comme signe de citoyenneté ». La loi organique l’a
traduit à l’article 5 et précisé la majorité des 3/5ème
des membres du congrès. Une procédure
de navette est expressément mise en place avec le sénat coutumier par l’article 142.
Les choses bougent avec lenteur. La constitution du gouvernement, à l’issue des élections de
2004, avait donné un tout premier signe. Mme Déwé Gorodey, vice présidente UNI- FNLKS
du gouvernement, est chargée « de la culture, des affaires coutumières, de la condition
féminine et de la citoyenneté ». Le congrès a solennellement lancé le 11 avril 2007 une
démarche de réflexion progressive. Un « comité de pilotage des signes identitaires » a été
créé, sans qu’il y ait lieu à une délibération formelle du congrès. Ce comité comprend 5
collèges : celui des politiques, des coutumiers, des communautés, de la société civile et des
experts. Les critiques du communautarisme noteront que le métissage n’est guère pris en
compte59
. L’objectif est d’aboutir à des propositions concrètes au gouvernement, puis au
congrès, en décembre 2008.
Depuis la déclaration de politique générale de la présidente du gouvernement, Marie-Noëlle
Thémereau le 17 août 2004, où la proposition avait été formalisée, la mise en place de la
« carte d’identité du citoyen calédonien » est au point mort. Il est vrai que l’Etat et le
Rassemblement avaient semblé découvrir, à cette occasion, le point 1.5 de l’accord de
Nouméa.
Enfin, s’agissant des langues kanak, la délibération n° 265 du 17 janvier 2007 du congrès a
créé et organisé une académie des langues kanak sous la forme d’un établissement public qui
a pour mission de fixer les règle d’usage et de concourir à la promotion et au développement
de l’ensemble des langues et des dialectes kanak. Il existe 8 académiciens, un pour chacune
des aires coutumières et 8 sections régionales de l’académie.
La citoyenneté calédonienne déborde aussi ce cadre et on ne cesse de voir surgir de nouvelles
59
Un particularisme de la Nouvelle-Calédonie est la faiblesse du métissage culturel. Le métis s’intègre pour
l’essentiel à une communauté.
20
occasions de donner un contenu concret à la citoyenneté calédonienne. S’agit-il alors d’une
avancée citoyenne ou d’un encouragement aux discriminations ?
Ces tentatives ne sont pas issues de lois du pays, mais plus simplement de délibérations du
congrès ou des assemblées de provinces.
L’affaire de la continuité territoriale a été la toute première escarmouche, dans un domaine
ultrasensible, celui du lien à la Métropole. La loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 avait créé
une dotation de continuité territoriale, « destinée à faciliter les déplacements des résidents de
ces collectivités entre celles-ci et le territoire métropolitain » et qui « contribue à financer
une aide au passage aérien des résidents dans des conditions déterminées par la
collectivité ». L’instauration de cette aide et d’autres similaires avait quelque chose de
triplement provoquant : financée par un Etat désargenté sur le seul déficit public60
, pouvant
bénéficier à tous sans aucun critère social, elle favorise les flux entre la Métropole et un pays
d’outre-mer que l’Etat s’est engagé dans l’accord de Nouméa à accompagner vers
l’émancipation… Le congrès de la Nouvelle-Calédonie avait alors cru opportun de limiter
l’octroi de cette aide aux personnes physiques justifiant de 10 ans de résidence. Le vote avait
été multiethnique et parfois même enthousiaste. Ce sera annulé par le tribunal administratif de
Nouvelle-Calédonie au motif « que le législateur n’a entendu attribuer compétence aux
collectivités concernées que pour déterminer les conditions du versement de l’aide au
passage aérien aux résidents et qu’il ne leur a pas reconnu en outre le pouvoir de restreindre
le champ des résidents bénéficiaires de cette aide ».61
. Le président du congrès a fait appel,
puis s’est désisté de l’instance en avril 2007.
Le gouvernement, puis le congrès, dans le souci de ne pas interrompre le versement de l’aide
ont alors délibéré en urgence en août 2005 en supprimant la clause de 10 ans. Mais les
majorités ont été clairement inversées : d’un côté le Rassemblement, l’Avenir ensemble et le
Front national, c’est-à-dire les partis « loyalistes », le mot ayant opportunément réapparu dans
les Nouvelles calédoniennes du 12 août, et de l’autre, les trois partis indépendantistes (UNI-
FLNKS, UC et LKS). A quelques exceptions près, un vote qui a réparti le congrès par couleur
ethnique.
Cette première expérience permet de comprendre la règle juridique applicable pour ces
prochaines années. Sans le secours explicite de la loi, la référence à la citoyenneté risque de
n’être pas considérée par le juge comme une nécessité d’intérêt général en rapport avec la
mesure. Le juge ne saurait accepter de priver de tout droit les résidents. Il faut alors revenir au
principe d’égalité. L’appréciation portée sur le principe d’égalité devrait d’abord résulter de la
différence de situation, puis s’appuyer sur l’intérêt général pour, si nécessaire, déroger à
l’égalité, en le déduisant d’une situation globale à laquelle il convient de remédier (une
inégalité de fait, par exemple). Or, la Calédonie, qui est un pays particulièrement inégalitaire,
se prêterait bien à ce retour vers l’égalité réelle. En ciblant bien les objectifs, en diminuant les
inégalités, en assurant une politique plus solidaire, on construit aussi la communauté de destin
citoyenne. Elle prêterait alors bien moins le flan aux critiques et à l’accusation de « préférence
nationale ».
60
On se reportera pour l’anecdote à l’examen le 13 mars 2007 par la commission des finances de l’Assemblée
nationale d’un rapport d’information sur le passeport mobilité, qui est une aide similaire (M. Michel Bouvard,
Rapporteur). Compte rendu n° 37 disponible sur le site de l’Assemblée (http://www.assemblee-nat.fr/) 61 Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, affaire n° 04358, 04364, 04400, 04438 du 4 août 2005 « Jean-
Michel Barnathan, Georges Favero et autres ».
21
Il serait également possible, sinon souhaitable, d’assortir cette approche nouvelle d’une
discrimination positive en faveur des populations kanak, là où cela s’avérerait expressément
nécessaire dans le souci du rééquilibrage. A la grande différence de la Métropole, le texte
aujourd’hui constitutionnel reconnaît explicitement « le peuple kanak », et l’accord fait
mention des autres « communautés »62
. Il n’existe ainsi pas d’impossibilité à reconnaître
juridiquement ces appartenances collectives, qui peuvent être le fondement de la
différenciation des droits des individus, pourvu que ces mesures de discriminations positives,
même adoptées par la voie d’actes administratifs, ne tendent qu’à l’égalité des chances et ne
fixent pour l’essentiel que des obligations de moyens, en évitant les interdictions et autres
mesures inconditionnelles. Ce serait même un devoir suivant le point 4 de l’accord de
Nouméa : « l'accession des kanak aux responsabilités demeure insuffisante et doit être accrue
par des mesures volontaristes ». Même si la question doit être longuement débattue au plan
local, ce raisonnement juridique pourrait être élargi aux wallisiens et futuniens63
qui partagent
parfois avec les kanak des difficultés similaires.
Le principe d’égalité, par le rééquilibrage, est ainsi la réponse paradoxale à la question
citoyenne, pour ces domaines qui ne sont pas expressément mentionnés par l’accord de
Nouméa. C’est une autre manière de construire la citoyenneté au travers du partage des
richesses et de la solidarité concrète entre les communautés.
La transformation potentielle de la citoyenneté en nationalité, qui mettrait fin à une
déconnection transitoire, exige qu’on s’interroge sur « la sortie » de l’accord de Nouméa
B – La sortie de l’accord de Nouméa ; la transformation
potentielle de la citoyenneté en nationalité
Le droit de la décolonisation, qu’il ne faut pas écarter sommairement d’un revers, s’applique
toujours à la Calédonie. C’est à partir de ces bases que peut s’écrire l’avenir de la citoyenneté,
intimement lié à celui du Pays.
1 - L’environnement juridique international de la Nouvelle-Calédonie
L’environnement international de la Nouvelle-Calédonie est constitué des résolutions de
l’assemblée générale des Nations unies sur la décolonisation. Il ne s’agit pas ici d’un
quelconque militantisme. L’accord de Nouméa lui-même, c’est-à-dire aujourd’hui le droit
constitutionnel de la France, reconnaît ce phénomène historique et juridique de la
décolonisation pour la Nouvelle-Calédonie. Notre droit constitutionnel s’établit donc ainsi,
sans incertitude juridique et sans nécessairement repentance, dans le cadre d’un mouvement
historique de colonisation qu’il constate et proclame la nécessité contemporaine de la
décolonisation.
L’assemblée générale des Nations unies, dont la compétence, aux termes de l’article 10 de la
62
Accord sur la Nouvelle-Calédonie, point 4. « La décolonisation est le moyen de refonder un lien social
durable entre les communautés qui vivent aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie ». 63
La communauté wallisienne et futunienne est la troisième communauté du Pays, dont une partie, d’installation
récente, ne dispose pas de la citoyenneté calédonienne.
22
Charte, s’étend à « toutes les questions ou affaires relatives au buts et principes des Nations
unies » énumérés à l’article 1er
et dans lequel on trouve justement « le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes », est à la fois le lieu du contrôle du droit relatif aux territoires et
peuples dépendants et celui de l’affirmation du droit à la décolonisation. En témoigne la
résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, sous-titrée « déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », qui affirme le droit à la libre
détermination des peuples colonisés et reste interprété comme un droit à l’indépendance.
La Nouvelle Calédonie a été réinscrite sur la liste des territoires non autonomes par la
résolution 41/41 A du 2 décembre 1986 de l’assemblée générale des Nations Unies. Cette
résolution relative à la réinscription renvoie explicitement à la déclaration 1514, et déclare
qu’il incombe au gouvernement français de communiquer des renseignements sur la
Nouvelle-Calédonie en application du chapitre XI de la Charte.
L’accord de Nouméa, en ses points 5 et 3, apporte deux garanties essentielles, l’organisation
d’un vote d’autodétermination à une période donnée et l’assurance que « le cheminement vers
l'émancipation sera porté à la connaissance de l'ONU ».
Il faudra sans doute bien bouger entre 2014 et 2018. Le système politique, indépendamment
de son irréversibilité constitutionnelle, pourra difficilement rester figé en l’état. Un risque
juridique demeure en effet pour les indépendantistes et il est lié aux flux migratoires. Tous
n’en ont pas encore pleinement conscience, alors que sa concrétisation est attendue de certains
non indépendantistes. La Cour européenne des droits de l’homme, on le sait, a rendu son arrêt
sur la question du corps électoral le 11 janvier 200564
et il semblait bien qu’une durée de 10
années lui paraissait longue.
Imaginons la situation en 2020. Les référendums auraient abouti par hypothèse à un rejet de la
question posée et la situation demeurerait en l’état, faute d’une solution politique et en vertu
du principe d’irréversibilité constitutionnellement garanti. Une personne, arrivée en 1999 et
résidant de manière continue sur le Caillou, resterait privée de son droit de vote. 20 ans se
seront pourtant écoulés pour elle. Et si elle demandait au juge judiciaire son inscription sur la
liste électorale spéciale et que, toujours par hypothèse, les recours juridictionnels de droit
interne échouent, alors, elle saisirait la Cour européenne dans un contexte nouveau. Même les
paisibles retraités, qui semblent si inoffensifs au regard de l’emploi local, représentent
potentiellement alors une menace politique sur le système. La violation serait là et elle
pèserait politiquement sur la sortie de l’accord, donnant des arguments forts pour trouver une
solution dans un nouvel élargissement du corps électoral. Cette perspective est de nature à
ranimer les craintes et l’agitation politique. Ce sont toujours sur des questions
démographiques que les affrontements se sont noués en Calédonie.
Sans doute faut-il plutôt s’interroger sur le contexte des relations futures avec la France ?
2 - La Calédonie avec la France
Peut-on, à ce jour, voir au-delà des dispositions « transitoires » du titre XIII de la
Constitution ? Celle-ci serait prête juridiquement, si les Calédoniens y consentent, à accueillir
une forme rénovée d’indépendance. C’est le titre XIV et son article 88 unique : « La
République peut conclure des accords avec des Etats qui désirent s'associer à elle pour
64
Précité, affaire Py c/ France.
23
développer leurs civilisations ».
De ce point de vue et par incidente, les déclarations suivant lesquelles, en ce qui concerne la
France, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne peut s’inscrire dans le cadre du droit
international public pour la simple et bonne raison que les peuples dont la France a pris la
charge ne sont plus colonisés depuis 1946, voire ont choisi librement de rester français en
195865
, sont passées de mode et ne reflètent plus, au moins pour la Nouvelle-Calédonie, le
droit positif. Le statut de département, parfois proposé comme signe d’une décolonisation
réussie dans la France, est pour la Nouvelle-Calédonie une incongruité.
La question a de fortes chances d’être posée dans un autre contexte international et national.
L’analyse du contexte particulier de la situation calédonienne a déjà été faite66
et les courbes
économiques sont faites pour ne pas être prolongées indéfiniment. La Calédonie connaît
actuellement un triple pic qui tend à fausser une perception rationnelle de la réalité : sommet
des cours du nickel, sommet des transferts de l’Etat aux particuliers, sommet de la bulle
immobilière. Cette situation, couplée à la concrétisation des grands chantiers de Prony énergie
et de Goro nickel, se traduit par une activité exceptionnelle, des recettes fiscales abondantes et
jamais atteintes et une amélioration de la situation de l’emploi, qu’il est facile d’attribuer au
contexte politique.
L’Etat n’a pas encore cherché à réformer l’outre-mer et les aides publiques se sédimentent les
unes aux autres, sans arbitrage ni remise en cause. La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à la
règle pour ses propres politiques67
. En cas de retournement de conjoncture, la perception des
réalités risque d’être brutalement modifiée. La question de la sortie de l’accord de Nouméa
doit ainsi être préparée et accompagnée de réforme économiques et sociales.
Suivant le point 5 de l’accord de Nouméa, « au cours du quatrième mandat du Congrès, une
consultation électorale sera organisée. La date de cette consultation sera déterminée par le
Congrès, au cours de ce mandat, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes ». Et trois fois
de suite, s’il le fallait, selon l’accord de Nouméa. C’est donc le congrès qui jettera les bases de
la fameuse question, à la majorité renforcée des trois cinquièmes. A défaut, l’Etat y pourvoira.
Et on ajoutera qu’il n’y a pas lieu de reposer la question de la sécession d’un territoire aux
Français, puisqu’ils y ont consenti en 1988 dès l’accord de Matignon… Cette question est du
seul ressort des Calédoniens.
Certains éléments de rupture doivent être conservés à l’esprit. Le contrôle des flux migratoires
notamment sera un des enjeux de la solution statutaire. Certains éléments, au contraire, de non
rupture paraissent envisageables : la Calédonie n’aura pas raisonnablement la capacité
d’exercer convenablement les compétences régaliennes (défense, police, justice, monnaie et
même diplomatie). Comme micro Etat du Pacifique, elle aura du mal à s’assumer seule
économiquement. Ces Etats n’ont souvent que le choix entre une puissance tutélaire et
l’assistance internationale.
Dès lors, une réflexion sur certains compromis peut s’engager. Il ne doit pas être exclu que le
congrès délibère du texte d’une question complexe qui donnerait des signes contradictoires
65
Gohin (Olivier, précité, AJDA 2007, p. 800. 66
Chauchat (Mathias) Vers un développement citoyen ; perspectives d’émancipation pour la Nouvelle-
Calédonie, PUG 2006. 67
Chauchat (Mathias), les niches fiscales à l’IRPP in Vers un développement citoyen, précité, PUG 2006, p. 100
et suivantes.
24
aux communautés : acceptation des compétences régaliennes et signature conjointement d’un
accord avec la France pour les exercer pendant au moins 20 ans. Rien ne change pour que tout
change. On en donnera ici simplement les prémisses.
Pascal Naouna, président de l’Union calédonienne et composante du FNLKS, proposait en
2006 lors du 37ème
congrès du plus vieux parti calédonien68
« l’idée d’un Etat associé à la
France, pour tenir compte des réalités de la mondialisation ». L’idée générale serait de
conclure un accord avec la France qui serait alors un accord de droit international, c’est-à-dire
« extrait » de la Constitution française et fondé sur son titre XIV. Les relations entre les deux
Etats seraient basées sur un accord qui en fixerait les modalités, particulièrement la pérennité
d’une aide financière de la France pour la gestion de certaines compétences, l’exercice par la
France des compétence régaliennes au titre de la coopération, le maintien aux citoyens de la
double nationalité française et calédonienne…
Paul Néaoutyine, pour le Palika, composante également du FNLKS, tient dans un livre
d’entretiens69
, des propos assez proches.
De l’autre côté de l’échiquier politique, Pierre Brétégnier, du Rassemblement-UMP, plaide
pour un Etat fédéral : « Dans un Etat fédéré, on s’associe avant le terme du processus
d’indépendance, et des compétences fédérales demeurent. C’est ce à quoi on aboutirait avant
les derniers transferts de compétences dans notre statut actuel, mais avec ce quelque chose en
plus qui s’appellerait « Etat ». C’est un pas vers les indépendantistes et en même temps une
manière de conforter notre ancrage dans la France ».
Il ne faudrait ainsi pas voir dans la situation actuelle la perspective d’une prorogation à l’infini
d’un statut transitoire, malgré les nombreuses de garanties de stabilité qu’il contient. Sans
doute bien des Calédoniens n’ont-ils accepté l’Accord de Nouméa que pour que rien ne
change. Mais l’immobilisme dans un monde qui bouge est une politique impossible. Un pari
constitutionnel raisonnable de la citoyenneté calédonienne, gage de la construction d’une
communauté de destin, a été engagé. Il sera en passe d’être gagné lorsque la citoyenneté
deviendra une valeur partagée, « le désir clairement exprimé de continuer la vie
commune70
»...
68
Les Nouvelles calédoniennes, 9 novembre 2006. 69
Néaoutyine (Paul) L’indépendance au présent ; identité kanak et destin commun, entretiens avec Jean-François
Corral et André Némia, Syllepse 2006, p. 68 et 74. 70
Renan (Ernest), Qu'est-ce qu'une nation ? Conférence faite en Sorbonne, le 11 mars 1882, précitée.