l'impossible pensée_deleuze et la question de la bêtise - dario giugliano

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L'IMPOSSIBLE PENSÉE. DELEUZE ET LA QUESTION DE LA BÊTISE Dario Giugliano Collège international de Philosophie | « Rue Descartes » 2008/1 n° 59 | pages 104 à 111 ISSN 1144-0821 ISBN 2130566939 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2008-1-page-104.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Dario Giugliano, « L'impossible pensée. Deleuze et la question de la bêtise », Rue Descartes 2008/1 (n° 59), p. 104-111. DOI 10.3917/rdes.059.0104 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 37.133.1.129 - 27/06/2015 20h49. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 37.133.1.129 - 27/06/2015 20h49. © Collège international de Philosophie

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L'Impossible Pensée_Deleuze Et La Question de La Bêtise - Dario Giugliano

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  • L'IMPOSSIBLE PENSE. DELEUZE ET LA QUESTION DE LA BTISEDario Giugliano

    Collge international de Philosophie | Rue Descartes 2008/1 n 59 | pages 104 111 ISSN 1144-0821ISBN 2130566939

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2008-1-page-104.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Dario Giugliano, L'impossible pense. Deleuze et la question de la btise , Rue Descartes2008/1 (n 59), p. 104-111.DOI 10.3917/rdes.059.0104--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    F.P., en signe dun devenir ami

    Pour la philosophie, la btise est linopportun. Laphilosophie elle-mme en effet, y compris quandelle prend ses distances une prise de distancepar rapport ce qui dfinit le sens commun , neparvient pas sloigner de fait des lieux de ladoxa. Il y aurait donc un geste radical qui traver-serait luvre tout entire de Deleuze, un gestecaractris par un paradoxal investissement dunedynamique de lavance, puisque la philosophie,toujours selon le sens commun, se caractriseraitcomme cheminement de la pense, laquelle sex-pliciterait travers lexpression formelle desconcepts au moyen du langage1. Or, si pourHeidegger la philosophie, en ralisant, et justetitre, linstance la plus authentique de la scientifi-cit, ne se reconnat qu partir de la condition demarquer le pas, pour Deleuze, sil y a uneprogression de la pense, elle doit assumer sansquivoque la forme dune allure boiteuse, dunbalbutiement de la langue, ce qui, pour nous,implique forcment une rvision du conceptmme de progression comme de celui de progrs tche indissociable de lexigence de remettredaplomb ce qui, aujourdhui lenvers, marchesur la tte. Renverser lidalisme, autre nom duplatonisme, en le remettant sur ses pieds, tel estle vritable devoir de la philosophie, conditiontoutefois dadmettre que la marche ne pourrajamais progresser avec rgularit le long dunparcours linaire. Or, ce renversement ne pourrapas ne pas reconsidrer le rapport que la philoso-

    phie entretient depuis son origine avec son autreabsolu, linhumain, ou encore, ce qui nest pas lamme chose, la bte ou lanimal.Depuis les prsocratiques jusqu Heidegger,lanimal est lautre du philosophe et celui-ci, pourtre ce quil est, doit se confronter de faonncessaire et constante son autre absolu et radi-cal. Au moment o sinitie ce rapport, il se consti-tue selon la mthode de la philosophie(diairesis-synagoge), partir dune individuationsur fond de diffrenciation qui permette le fonc-tionnement correct de la rgle dialectique. Si lephilosophe se caractrise donc comme opposition lanimal, il y aura toujours un animal pour enincarner lessence et le chien sera cet animal. Il ya un pathos philosophique dans la nature decelui-ci qui caractrise et souligne le trait princi-palement domestique, oikeios2, de ses disposi-tions positives face une figure amie (opsisphile)3, de mme qu linverse, son tre violentenvers celui quil ne connat pas4. Le chien,comme le philosophe, est un animal domestiqueet donc social, naturellement vou aller vers laconnaissance, en un mot, philomathes5. traverslenseignement antique selon lequel les chiensen effet aboient contre ceux quils ne connaissentpas, kynes gar kai bauzousin on an me gignos-kosi6, enseignement que Platon apprend, dansune dialectique ascendante, du matre de sonmatre, il faut reconnatre alors la pratique de lau-toaffliction comme une consquence directe delabsence de connaissance de soi dont le philo-sophe tire le plus grand soutien comme fonde-ment principal de lexercice philosophique. Jai

    1. Puisque le langage est un systme de commande-ments, pas un moyen dinformation, (G. Deleuze,Pourparlers, Minuit, Paris, 1990, p.60), la tchede la philosophie sera donc dlaborer des stra-tgies de rsistance pour librer les forces que

    ce systme mme voudrait rprimer. |2. Platon,Rpublique, 376 a-b; cf., en particulier, le pas-sage 376 a 5-b 6. |3. Op. cit., 376 b3. |4. Op.cit., 376 a 5. |5. Op. cit., 376 b 5. |6. Hraclite,DK 22 B 97.

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    recherch moi-mme, edizesamen emeouton7,tel est le mot dordre de toute philosophie qui,cependant, au moment mme o elle jette lesbases dune lgitimation comme loignement delidioti(sm)e, se reconnat elle-mme encore ettoujours partir de cette mme idiotie (ce mmeidiotisme), en un cercle dautophagocytage o lonretrouve nouveau comme protagoniste le chienqui serre entre ses dents sa propre queue.Pour Deleuze, ici, il ne sagira pas seulement dunchangement dobjet. Pour que le renversementfonctionne, il faudra porter lbranlement au curmme de la dialectique. Il ne suffira donc pas dechanger danimal, en remplaant par exemple lechien par la tique, le pou ou la puce oprationqui dailleurs est loin dtre insignifiante ; sancessit, en effet, dcoule entirement du carac-tre imprescriptible dune phase dite de renverse-ment, phase certes encore interne ladialectique, mais phase ncessaire dans lamesure o elle permet, au moyen de linvestisse-ment dune certaine condition de parasitisme,lmergence mme dune forme de paradoxalelogique parasitaire qui, en y insistant, pourraporter exaspration le point de crise de lida-lisme. Afin que cette phase dite de renversementne savre pas en dernire instance confirmedans sa dynamique de fonctionnement, il faudraacclrer le cours de sa dsagrgation en faveurdune rvision gnrale des conditions do lonest parti. Ce qui savre finalement prdiqu, dansune histoire comme celle que nous venons deraconter, qui est dj une histoire dialectique, ausens propre dune histoire de la dialectique avec

    son mouvement linaire ou circulaire, du matre llve et vice-versa (quand, par exemple, llveentend le matre reprendre son gard la fati-dique formule millnaire : Dsormais, je nai plusrien tapprendre ; je ne peux quapprendre detoi), le dernier finissant toujours par tre lepremier, cest encore en dernire instance unedialectique historique. Comme toute histoire,mme cette Histoire a besoin de son autre radicalet absolu pour pouvoir tre. Nature sera le nomde cette altrit qui, son tour, pour pouvoir fonc-tionner correctement lintrieur du mcanismedialectique, au sens de permettre un fonctionne-ment correct de soi-mme, devra prvoir sadomestication partir du paradigme mimtique.La nature, quelle soit naturata ou naturans,obira ncessairement, au sens o tout bon lvedoit obir son matre, au systme gnral de lamimesis. Or, branler cet ordre mimtiqueimplique trs exactement un investissement corr-latif sur le plan de limmanence tendant faireaffleurer la crise sur laquelle sappuie chaquesystme didentification, partir duquel un sujettel que le chien-philosophe aboie ou fait fte celui qui se trouve devant lui. Cet exemple duchien nest pas un exemple parmi dautres.Fonctionnant, comme tout exemple, lintrieurdun ordre mimtique qui est toujours lordrehistoriographique, il renvoie au principe charnireautour duquel pivote laxe portant de la gnosolo-gie idaliste : le principe dindividuation. Ce quonveut voquer ici travers la dialectiqueami/ennemi8 nest rien dautre que lexpositionmimtique de cette mme condition qui permet la

    |7. Id., DK 22 B 101. 8. Pour un approfondissement de la question dia-lectique ami/ennemi par rapport luvre deDeleuze, voir F. Polidori, Fuori della filoso-fia, in Passi indietro. Su verit, soggetto,altro, Galiani, Napoli, 2007.

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    reconnaissance dun objet partir de la possibilitden reprer les caractristiques correspondant lide, la pense, au concept, au sens. Cequvoque cette dialectique nest son tour riendautre quune exposition de la mimesis elle-mme en tant que mcanisme de fonctionnementdun renvoi universel et totalisant auquel toutphilosophe ne peut pas ne pas obir, de mmeque tout bon chien se doit dobir avec empresse-ment son matre. Si lon sort de cette logique delobissance, dans lirrmdiable dsagrgationdu principe dindividuation, ce qui sera rcuprest le concept mme dindividu, lequel ne seraplus reprsent par le socius abstrait, sujet ouobjet dun quelconquisme9 scientiste dont largle gnrale se doit dtre vraie quoi quil arriveet pour quiconque, cest--dire finalement pourtout individu quelconque.Si bien que chaque individu est une multiplicitinfinie, et la Nature entire une multiplicit demultiplicits parfaitement individue. Le plan deconsistance de la Nature est comme une immenseMachine abstraite, pourtant relle et individuelle,dont les pices sont les agencements ou les indi-vidus divers qui groupent chacun une infinit departicules sous une infinit de rapports plus oumoins composs. Il y a donc unit dun plan denature, qui vaut aussi bien pour les inanims quepour les anims, pour les artificiels et les naturels.Ce plan na rien voir avec une forme ou figure, niavec un dessein ou une fonction. Son unit narien voir avec celle dun fondement enfoui dans

    la profondeur des choses, ni dune fin ou dunprojet dans lesprit de Dieu. Cest un plan dtale-ment, qui est plutt comme la section de toutesles formes, la machine de toutes les fonctions, etdont les dimensions croissent pourtant avec cellesdes multiplicits ou individualits quil recoupe.Plan fixe, o les choses ne se distinguent que parla vitesse et la lenteur. Plan dimmanence oudunivocit, qui soppose lanalogie. LUn se diten un seul et mme sens de tout le multiple, ltrese dit en un seul et mme sens de tout ce quidiffre. Nous ne parlons pas ici de lunit de lasubstance, mais de linfinit des modificationsqui sont parties les unes des autres sur ce seul etmme plan de vie10.

    Des passages comme ceux-ci ont conduit et sansdoute juste titre la majorit des commenta-teurs11 de Deleuze, se prononcer en faveur duneunivocit de ltre comme trait principal de sarflexion philosophique, concept dailleurs prsent lintrieur de ses textes12 o lon peut lire, parexemple, ceci : Lunivocit de ltre signifie queltre est Voix, quil se dit, et se dit en un seul etmme sens de tout ce dont il se dit. Ce dont il sedit nest pas du tout le mme. Mais lui est lemme pour tout ce dont il se dit. Il arrive donccomme un vnement unique pour tout ce quiarrive aux choses les plus diverses, Eventumtantum pour tous les vnements, forme extrmepour toutes les formes qui restent disjointes enelle, mais qui font retentir et ramifier leur disjonc-

    9. Note du trad.: qualunquismoen italien renvoie lorigine un mouvement dopinion n dans limm-diat aprs-guerre qui, prtendant reflter lesaspirations du citoyen moyen (de lhomme quel-conque), soutenait que ltat idal devait tre depure administration, inspir par des critres debon sens, sans la ncessit des partis politiques.Par extension: indiffrence affiche devant les

    questions politiques ou sociales. |10. G. Deleuzeet F. Guattari, Mille plateaux, Minuit, Paris,1980, p.311. |11. Voir entre autres les essais deA. Badiou, Deleuze. La clameur de ltre,Hachette, Paris, 1997 et de A. Gualandi, Deleuze,Les Belles Lettres, Paris, 2003. |12. Voir parexemple le chapitre de lunivocit dans Logiquedu sens, Minuit, 1969, p.208-211.

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    tion. Lunivocit de ltre se confond avec lusagepositif de la synthse disjonctive, la plus hauteaffirmation: lternel retour en personne, ou comme nous lavons vu pour le jeu idal laffir-mation du hasard en une fois, lunique lancer pourtous les coups, un seul tre pour toutes les formeset les fois, une seule insistance pour tout ce quiexiste, un seul fantme pour tous les vivants, uneseule voix pour toute la rumeur et toutes lesgouttes de la mer. Lerreur serait de confondrelunivocit de ltre en tant quil se dit avec unepseudo-univocit de ce dont il se dit. Mais, dumme coup, si ltre ne se dit pas sans arriver, siltre est lunique vnement o tous les vne-ments communiquent, lunivocit renvoie la fois ce qui arrive et ce qui se dit. Lunivocit signi-fie que cest la mme chose qui arrive et qui sedit : lattribuable de tous les corps ou tats dechoses et lexprimable de toutes les propositions.Lunivocit signifie lidentit de lattribut noma-tique et de lexprim linguistique: vnement etsens. Aussi ne laisse-t-elle pas ltre subsisterdans le vague tat quil avait dans les perspectivesde lanalogie13.

    Ceci ne veut pas dire que ltre est Un, mais aucontraire quil ny a pas dtre qui nexiste autre-ment que dans la voix. Or, lunivocit de ltre estjustement cette possibilit quil a dtre et de nepas tre autrement que dans la voix, dtre, parconsquent, dit dune manire univoque: une seulevoix. La mme prise de distance envers le mca-nisme de lanalogia entis comme systme prdicatifde ltre et de ses notions transcendantales (unum,

    verum, bonum) ne doit pas nous induire en erreuren nous incitant conclure une ligne scotisteprsente lintrieur de la pense de Deleuze.Si lon dcide de ne pas avoir recours aux servicesde la machine mtaphysique de lanalogie, dans lamesure o on ne la considre pas en accord avecune rflexion philosophique qui entend mettre dect toute vision thologique, lerreur la plus gravedans laquelle puisse tomber la pense serait depenser raliser cette mise de ct partir dunusage du concept dunivocit tel quil apparatchez un philosophe comme Duns Scot (cf. OpusOxoniense, I, d.3, q.3, n.9), dont le systme lanotion dtre tant considre comme commune tous les tres se modle de toute faon partirdun dterminisme de la connaissance selonlequel il est toujours possible, par causalit, deremonter des cratures Dieu et daboutir par l mais pas plus que ce que lon pouvait dj suppo-ser une thologie entendue comme sciencepratique, guide par excellence de toute craturevers son (propre) salut.La philosophie se confond avec lontologie, maislontologie se confond avec lunivocit de ltre(lanalogie fut toujours une vision thologique,non pas philosophique, adapte aux formes deDieu, du monde et du moi). Lunivocit de ltrene veut pas dire quil y ait un seul et mme tre :au contraire, les tants sont multiples et diff-rents, toujours produits par une synthse disjonc-tive, eux-mmes disjoints et divergents, membradisjuncta14. Cette synthse disjonctive qui permet aux membradisjuncta dentrer en relation les uns avec les

    13. Ibid., p.210-211. 14. Ibid., p.210.

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    autres nest autre que la manifestation dun logosdont les primtres dborderont ncessairementvers les limites dun grand Animal dont lesparties se runissent en un tout et sunifient sousun principe ou une ide directrice15. Ce logosnest certainement pas la reprsentation dunsimple hylozosme, car il nest pas plus animalque vgtal ou minral, en accord avec un prin-cipe de transformation fluide des tats et desstades quil sera possible de penser partir dunephilosophie reconnaissant dans la relation lacondition de possibilit de chaque identit relle.Do lexemple du bourdon qui fait communi-quer les fleurs, et qui perd sa valeur animalepropre, pour ntre plus par rapport celles-ciquun morceau compos part, lment disparatedans un appareil de reproduction vgtale16. Oncomprend partir de l la raison pour laquelle laphilosophie de Deleuze (et cest coup sr lunedes raisons qui en signifient aujourdhui linactua-lit17 inactualit qui, bien entendu, la manirede Nietzsche, est toujours propre chaque philo-sophie) est loigne plus quon peut limaginer dela thologie, de mme que de toute pense de ousur la transcendance.En ce sens, notre tche actuelle, et ceci en accordprcisment avec une suggestion prsente danstoute luvre de Deleuze, ne pourra tre que deretourner lui, avec force et dcision, mais enaucun cas dans le but de rcuprer quelqueinstance de sa pense afin de la faire fonctionnerensuite sur le plan historiographique : un philo-sophe ne fait jamais de philosophie pour manuel

    de philosophie. ce point, notre objectif nepourra tre quun retour Deleuze pour unereprise ou un prolongement de sa tentative,aujourdhui, en rapport avec les transformationsde la vie et de la socit18. Cet objectif, qui estlobjectif de toute philosophie, ne pourra se mesu-rer quau modle historique en gnral, dans laconfrontation duquel natra pour nous unenouvelle considration de lhistoire en gnral, partir dune condition dimmanence radicale quisera lautre face dune praxis existentielle dontlactivit servira de champ lextension dunemancipation vitale. Cest l quils font leurpropre histoire, et la prise de conscience de cetteactivit est comme la conqute de la libert19. Or, pour que ce projet puisse se dvelopper dansson sens le plus complet, il faudra lvaluer dansses limites les plus larges, au-del de toutepossible interprtation humaniste. Une prise deconscience philosophique de sa propre activit dela part de lhomme devra donc ncessairementconcider avec une prise de conscience plus large,de sa part, de lactivit en gnral, de lactivitcomme cration mme qui finira par entraner lesespaces infinis au-del de lhumain. CommeDeleuze lui-mme le relvera pour Bergson, latche de la philosophie na jamais t et ne serajamais celle de dterminer les conditions dqui-libre propres lhumain. Nous ouvrir linhu-main et au surhumain (des Dures infrieures ousuprieures la ntre), dpasser la conditionhumaine, tel est le sens de la philosophie, pourautant que notre condition nous condamne vivre

    15. G. Deleuze, Proust et les signes, PUF, Paris,1983, p.210. |16. Ibid., p.211. |17. Inactualitdont le drame se fait de plus en plus criant unepoque de profond reflux idologique comme lantre, poque o ce qui reste de la rflexion phi-losophique se consume en une inutile confronta-tion aux instances dune thologie dont les pr-

    ceptes nont plus rien dire un monde (depuistoujours) livr sa drive substantielle. |18.G. Deleuze, Deux rgimes de fous. Textes et entre-tiens 1975-1995, dition prpare par DavidLapoujade, Minuit, Paris, 2003, p.313. |19. LeBergsonisme, PUF, Paris, 1968, p.5.

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    parmi les mixtes mal analyss, et tre nous-mme un mixte mal analys 20. Dans cette tche philosophique il y a aussi toutelimpossibilit mme dune pense qui, en sedployant hors de ses limites, devra ncessaire-ment compter avec sa propre impossibilit, aumoment prcis o, forant ses limites, elle setrouve en prsence de la radicalit de son altritabsolue et irrductible. Voil pourquoi les philo-sophes ont cherch laborer un matriau depense trs complexe pour rendre sensibles desforces qui ne sont pas pensables par elles-mmes21. Pour expliquer cet aspect, Deleuze lui-mme, comme son habitude, trace un parallleentre la philosophie et la musique ou lart en gn-ral. Chez ces derniers, ce qui compte ce ne sontpas les modalits de production proprementhumaines qui, en se rverbrant sur elles-mmes,tendent sonder les possibilits de ces mmesmodalits de production et de rception, mais cequi permet louverture dun discours, qui, enforant les limites de lhumain, ouvre une possi-bilit de contact de forces qui sinon ne seraientpas recevables en elles-mmes, pas recevables enun sens humain. En philosophie, il sagit dunepense impossible, cest--dire de rendre pensablepar un cheveau de penses trs complexe, desforces qui ne sont pas pensables22. Le discoursphilosophique qui en drive sera form par unlangage qui devient mineur, qui projette dtreminor au lieu de se corriger dans lorthopdielinguistique du sens exact23.Or, dans cette pratique philosophique qui, simul-tanment, tout en se plaant lintrieur, au cur

    mme de lexercice philosophique occidental, etplus encore, pour cette raison mme, finit par lebouleverser intimement, en jouant le platonisme,autre nom de la philosophie, contre lui-mme,laccent est dplac sur linopportun, sur les tatsde minorit.

    Renverser, avec Deleuze, le platonisme, cest sedplacer insidieusement en lui, descendre duncran, aller jusqu ce petit geste discret, maismoral qui exclut le simulacre ; cest aussi sedcaler lgrement par rapport lui, ouvrir laporte, droite ou gauche, pour le bavardage dct ; cest instaurer une autre srie dcroche etdivergente ; cest constituer, par ce petit saut lat-ral, un paraplatonisme dcouronn. Convertir leplatonisme (travail du srieux), cest lincliner plus de piti pour le rel, pour le monde et pour letemps. Subvertir le platonisme, cest le prendrede haut (distance verticale de lironie) et le ressai-sir dans son origine. Pervertir le platonisme, cestle filer jusquen son extrme dtail, cestdescendre (selon la gravitation propre lhumour)jusqu ce cheveu, cette crasse sous longle qui nemritent point lhonneur dune ide [].Plutt que de dnoncer le grand oubli qui auraitinaugur lOccident, Deleuze, avec une patiencede gnalogiste nietzschen, pointe toute unefoule de petites impurets, de mesquines compro-missions. Il traque les minuscules, les rptitiveslchets, tous ces linaments de sottise, de vanit,de complaisance qui ne cessent de nourrir, au jourle jour, le champignon philosophique. Ridiculesradicelles, dirait Leiris. Nous sommes tous de bon

    20. Ibid., p.19. |21. G. Deleuze, Deux rgimes,op. cit., p.146. |22. Ibidem. |23. P. A.Rovatti, Nel mondo di Alice [Dans le mondedAlice], in aut aut n276, 1996, p.84.

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  • DARIO GIUGLIANO110 |

    sens; chacun peut se tromper, mais nul nest bte(nul dentre nous, bien sr) ; sans bonne volont,point de pense; tout vrai problme doit avoir unesolution, car nous sommes lcole dun matrequi ninterroge qu partir des rponses toutescrites de son cahier ; le monde, cest notre classe.Infimes croyances Mais quoi? la tyrannie dunevolont bonne, lobligation de penser encommun avec les autres, la domination dumodle pdagogique, et surtout lexclusion de labtise, cest l toute une vilaine morale de lapense, dont il serait facile sans doute de dchif-frer le jeu dans notre socit. Il faut nous enaffranchir. Or, pervertir cette morale, cest toutela philosophie quon dplace24.Cest ainsi que Foucault, dans un essai clbrequi rendait compte de Diffrence et rptition etLogique du sens, mettait laccent sur les lmentsautour desquels tourne la rflexion de Deleuze. Or,il faut souligner que le fait de repenser lexclusionde la btise ou de la bestialit, loin de reprsenterlun des motifs, quoique primum inter pares, dunbouleversement moral, devient le pivot autourduquel faire tourner le dplacement auquelDeleuze soumet lexercice philosophique, pratiquethorique lintrieur de laquelle une activitthortique nest plus sparable dun ethos de lapense dont lobjectif reste datteindre une zonepr-individuelle et absolument impersonnelle audel de toute ide de conscience25. Il sagit eneffet dun travail interminable qui investit princi-palement la condition mme de la mthode philo-sophique comme chemin de la pense, do cetaspect de boiterie qui modlera nouveau la

    structure mme du cheminement majestueux dela pense, entendu comme cheminement majes-tueux de la pense et comme pense du chemine-ment majestueux mme, qui ne se constitueraplus partir dune tlologie linaire.Ce qui est une incertitude selon le modle tlolo-gique devient dans la philosophie de Deleuze laplus grande occasion, mesure selon le paradigmede lusage qui imposera la question de lutilisa-tion de lhistoire de la philosophie26 comme detoute autre histoire, de lHistoire en gnral. Sidans Logique du sens Deleuze montre que le sensest un effet, la production dune pratique signi-fiante lorigine de laquelle on ne trouvera quuneconcatnation infinie de pratiques et de jeux designification, sans points fixes ni origine du sensdo pouvoir partir, alors lhistoire mme, commehistoire du sens et lhistoire de la philosophiecomme pratique du sens est exactement lhistoirede ce sens , se dcomposera sous leffet de cettenouvelle loupe prismatique qui nous permettra denredcouvrir un effet kalidoscopique que des mill-naires de platonisme avaient essay de nouscacher.Lhistoire est toujours plurielle, dans la mesure oelle nexiste pas, si ce nest partir de la possibi-lit quelle a dtre raconte. La meilleureressource laquelle nous pourrons alors avoirrecours, en relisant lhistoire selon le paradigmede lusage, sera den faire merger la multiplicitde sens possibles en dcomposant et recomposantles lments qui nexistent par eux-mmes quecomme effet de signification, pour former denouvelles units signifiantes.

    24. M. Foucault, Theatrum philosophicum, inDits et crits II, Gallimard, 1994, p.78-87. |25. G. Agamben, Limmanenza assoluta[Limmanence absolue], in aut aut n276, 1996,p.43.

    26. G. Deleuze, Diffrence et rptition, PUF,1968, p.4.

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  • PRIPHRIES | 111

    Il nous semble que lhistoire de la philosophiedoit jouer un rle assez analogue celui duncollage dans une peinture. Lhistoire de la philoso-phie, cest la reproduction de la philosophiemme. Il faudrait que le compte rendu en histoirede la philosophie agisse comme un vritabledouble, et comporte la modification maximapropre au double. (On imagine un Hegel philoso-phiquement barbu, un Marx philosophiquementglabre au mme titre quune Joconde mousta-chue). Il faudrait arriver raconter un livre rel dela philosophie passe comme si ctait un livreimaginaire et feint27.

    Ce travail interminable comme tout travail de cra-tion vise moins la ralisation, comme le suggreAgamben, dune zone pr-individuelle que (juste-ment parce quil est interminable) la dsagrgationde toute dialectique individuelle/pr-individuelle,consciente/inconsciente, humaine/animale Il nesagit pas ici de substituer, dans une logique derenversement, un ple dialectique un autre,action qui aurait comme rsultat immdiat deconfirmer cette mme tradition de la pensephilosophique que lon prtend solliciter, maisplutt de suivre et de prolonger une saison decration philosophique pour les btes, pour lesanimaux, pour tout ce qui jusqu prsent a tconsidr comme appartenant un rgne mineur.

    27. Ibid.

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