l’ingénierie des compétences - université de rouen

113
2 UNIVERSITE DE ROUEN UFR de Psychologie, Sociologie et Sciences de l’Education Département des Sciences de l’Education Master 2 professionnel Ingénierie et Conseil en Formation L’ingénierie des compétences : la mise en oeuvre d’un environnement favorable pour faire évoluer le rapport au savoir des jeunes dans un Institut Médico-Educatif Présenté par Antoine AGRAZ Sous la direction de Laurent LESCOUARCH Maître de Conférences en Sciences de l’Education Septembre 2007

Upload: others

Post on 18-Jun-2022

5 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

2

UNIVERSITE DE ROUEN

UFR de Psychologie, Sociologie et Sciences de l’Education Département des Sciences de l’Education

Master 2 professionnel Ingénierie et Conseil en Formation

L’ingénierie des compétences : la mise en œuvre d’un environnement favorable pour faire évoluer le rapport au

savoir des jeunes dans un Institut Médico-Educatif

Présenté par Antoine AGRAZ Sous la direction de Laurent LESCOUARCH

Maître de Conférences en Sciences de l’Education

Septembre 2007

Page 2: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

3

Page 3: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

4

REMERCIEMENTS

Tous mes remerciements à Laurent LESCOUARCH pour la qualité de son accompagnement. A mon père, A toute ma famille.

Page 4: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

5

Introduction p.6 I) Contexte p.8 1) Présentation de l’établissement p.8 2) Le rapport au savoir p.15 Problématique et hypothèses p.18 II) Le concept de compétence p.19

1) L’approche par compétences p.19 2) Approche opérationnelle du concept de compétence p.23

III) Vers une ingénierie des compétences p.28

1) De l’ingénierie de formation à l’ingénierie du développement des compétences p.28 2) Le management du dispositif de professionnalisation p.37

IV) Compétence et organisation qualifiante p.39

1) Quelques caractéristiques liées à l’organisation qualifiante p.39 2) Grille d’analyse des voies de la professionnalisation selon Wittorski p.43

Mise en œuvre d’un dispositif en IME p.44

1) Méthodologie de recherche p.44 2) Analyse des données p.48

Conditions d’amélioration de la formation p.64

1) niveau politique de formation p.65 2) niveau organisationnel p.69 3) niveau pédagogique p.74

Conclusion générale p.81 Annexes p.85 Glossaire p.113

Page 5: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

6

INTRODUCTION J’exerce actuellement la fonction d’éducateur au sein d’un Institut Médico-Educatif qui accueille des adolescents et adultes de 14 à 20 ans. Ces jeunes sont tous en échec scolaire et certains d’entre eux présentent des troubles du caractère et du comportement qui perturbent leur intégration au sein de la société. La prise en charge de ces jeunes en situation de handicap pose constamment la question de l’accompagnement à la fois individuel et collectif de cette population. Il s’agit en effet d’interroger précisément l’efficience du dispositif de formation en prenant en compte l’ensemble des facteurs agissant sur les compétences au travail, domaine intéressant l’ingénierie des compétences. Notons dès à présent que deux lois sont venues redessiner le paysage du champ médico-social ces dernières années, et réinterroger de facto le dispositif de formation à l’IME dans son efficacité potentielle : il s’agit des lois du 2 janvier 2002 et du 30 décembre 2005 (nous y reviendrons). Dans le cadre d’une recherche précédente1 portant sur la manière dont les jeunes de l’IME envisagent leur projet d’avenir, nous avons montré que les sujets concernés par notre enquête choisissaient dans la majorité des cas une formation pratique courte (CAP, Apprentissage) débouchant rapidement sur un métier artisanal. Ces jeunes essaient de se faire reconnaître dans la vie professionnelle à travers leur activité manuelle. Gibello2, qui a étudié de près cette population relevant de l’éducation spécialisée, souligne le retard de structuration des outils de pensée essentiellement au niveau logique mais aussi au niveau des processus cognitifs. C’est l’ensemble de ce qui permet de donner un sens à ce que l’on perçoit. Il souligne l’importance des difficultés de conceptualisation que rencontre cette population. Les difficultés rencontrées par les jeunes de l’IME posent la question de leur rapport au savoir, et partant à la formation en général. Les professionnels de la formation à l’IME sont quotidiennement interpellés par la question suivante : comment les jeunes de l’IME appréhendent-ils le savoir et quels sont les moyens organisationnels à mettre en œuvre pour accompagner les jeunes dans une perspective d’évolution de leurs relations avec la formation ?

Dans une organisation de type IME, l’apprentissage passe par l’action et dans ce cadre la situation de stage est un outil d’évaluation intéressant car elle permet de nous éclairer a priori sur la logique dans laquelle semble s’inscrire les jeunes : il leur est difficile de dégager des savoirs théoriques à travers leurs expériences de stage. En effet, il semble que ces mises en situation sont importantes dans l’esprit des jeunes dans la mesure où elles sont vectrices de socialisation (« je dois bien me comporter en stage ») et de valorisation (« je dois bien travailler en stage»). Ces deux dimensions témoignent également de la reconnaissance d’une valeur personnelle au regard d’un contexte d’éducation spécialisée souvent perçu comme stigmatisant de la part des jeunes en IME d’une part, et de la société en général d’autre part. Le retour de stage, synonyme parfois de difficultés et de réactivation des troubles du comportement, corrobore l’aspect contenant du stage au niveau des deux dimensions citées précédemment. En ce qui concerne les jeunes orientés en A.F.P.A (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes) ou sur un Contrat d’Apprentissage, l’échec aux épreuves théoriques, qu’il s’agisse des tests d’entrée à l’A.F.P.A ou de l’obtention du C.A.P (Certificat d’Aptitude Professionnelle), vient sans doute témoigner de la fragilité des savoirs théoriques de base.

1 A.Agraz, Les perspectives temporelles à l’adolescence, mémoire de maîtrise en Sciences de l’Education, Université de Limoges, 2004 2 B.Gibello, L’enfant à l’intelligence troublée, Paris, Le Centurion, 1984

Page 6: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

7

La réussite organisationnelle de l’IME passe obligatoirement par une capacité à

comprendre et à approfondir ces phénomènes observés sur le terrain des stages pour y apporter des réponses à la fois individuelles et collectives. En ciblant le stage comme un outil propice à un développement de compétences, le constat précédent interroge la formation au sein de la structure qui m’emploie, et ceci à deux niveaux : � côté organisation, dans la logique de fonctionnement du dispositif de formation à des fins de développement de compétences, � côté individu, dans la dynamique du développement c'est-à-dire la façon d’apprendre (mise en œuvre et gestion de situations porteuses de sens et d’apprentissages).

Le travail qui suit est consacré à la réflexion autour de la mise en œuvre d’une ingénierie

des compétences de manière à faire évoluer le rapport au savoir des jeunes en IME. Dans une première partie, nous avons souhaité d’abord présenter les différentes dimensions organisationnelles à l’IME de manière à ce que le lecteur puisse bien s’imprégner de ce type d’organisation, cette partie débouchant ensuite sur l’apport d’éléments théoriques ayant pour objectif de clarifier notre hypothèse explicative liée aux stratégies d’appropriation du savoir de la part des jeunes.

La deuxième partie présente le concept de compétence en le confrontant à notre contexte. Dans la troisième partie, la vision « macro » de l’ingénierie des compétences permet selon nous de répondre à notre questionnement sur l’environnement favorable à un développement des compétences. Enfin, cette première grande partie consacrée au champ théorique se termine par une réflexion autour de l’articulation entre l’organisation du travail et le développement des compétences, laquelle intéresse le concept d’organisation qualifiante.

La deuxième grande partie de ce mémoire concernant la mise en œuvre d’un dispositif en IME, s’attache à l’analyse des représentations des jeunes sur la formation dont ils disposent dans le cadre du dispositif de formation de l’IME.

Enfin, dans la dernière partie de ce mémoire, nous proposons un certain nombre de préconisations de formation dans une perspective d’amélioration de l’existant, à l’aune des conclusions que nous avons tirées de l’analyse de terrain.

Page 7: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

8

(Concours de peinture organisé le 17 Juin 2007 à la R.)

I) CONTEXTE Cette partie va se structurer en deux étapes. Nous avons choisi de présenter dans un premier temps les différentes caractéristiques liées à l’organisation IME de manière à bien s’imprégner de l’environnement dans lequel notre questionnement prend sa source. Il s’agit de comprendre les ressources sur lesquelles peut s’appuyer cet établissement pour développer des compétences au niveau de l’accompagnement de la population accueillie. Dans le cadre de la prise en charge en IME, ces compétences ne peuvent être effectives qu’à partir d’une réflexion autour du rapport à la formation des jeunes, ce qui nous a amenés à étudier sur le plan théorique le concept de rapport au savoir, qui fera l’objet de la deuxième étape de cette première partie. 1) Présentation de l’établissement

L’Institut Médico-Educatif de la R. à G.-B. a ouvert ses portes en 1966 et, depuis 1972, il

est géré par l’A.P.A.J.H. (Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés régie par la loi 1901 et déclarée « Association reconnue d’utilité publique »). Il dispose actuellement de 50 places, 45 en internat et 5 semi-internat. Il est agréé pour recevoir des jeunes filles et garçons de 14 à 20 ans atteints de déficiences intellectuelles légères ou moyennes en vue de leur donner une formation professionnelle et une éducation leur permettant une intégration et une entrée dans la vie active avec la plus grande autonomie possible. Le recrutement s’effectue prioritairement à l’échelon départemental.

L’I.M.E est un établissement médico-social tel que défini par la loi n° 2002-2 du 02 Janvier 2002. Il est agréé pour apporter une aide éducative, pédagogique, thérapeutique aux adolescents en situation de handicap. Par convention avec la caisse régionale d’assurance maladie, l’établissement est financé par prix de journée versé par les caisses d’assurance maladie (C.P.A.M., M.S.A, M.G.E.N…)

Il a vocation d’assurer l’organisation, la coordination et la prise en charge des soins en rapport avec l’affection ayant justifié l’orientation. A ce titre, les relations avec l’assurance maladie régies par convention prévoient notamment l’application du tiers payant ainsi que le prix de journée.

Page 8: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

9

L’Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés

L’Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés (A.P.A.J.H.) se donne la mission

d’accueillir les personnes en situation de handicap de tous âges et toutes catégories : déficients mentaux, moteurs, sensoriels ou atteints de troubles associés. Elle considère que tout enfant handicapé a droit comme les autres à l’éducation gratuite et obligatoire adaptée à son état. Elle rassemble, au sein de ses comités et des ses organismes gestionnaires (parents, enseignants, médecins, psychologues, assistantes sociales, spécialistes et techniciens de l’enfance inadaptée), toute personne concernée par les problèmes et l’adaptation à une vie sociale ouverte. Son option fondamentale est extraite de la déclaration des droits de l’enfant énoncée à l’O.N.U (Organisation des Nations Unies). L’enfant, physiquement, mentalement ou socialement désavantagé doit recevoir le traitement, l’éducation et les soins spéciaux que nécessite son état ou sa situation…Il a le droit à une éducation gratuite et obligatoire.

L’A.P.A.J.H. œuvre pour instaurer, réinstaurer toute personne handicapée dans sa

citoyenneté, c’est-à-dire sa pleine appartenance, avec égalité de dignité, de droits et de devoirs, à la société globale.

Comment est-on admis dans l’établissement ? Les parents doivent saisir la Commission Départementale de l’Autonomie (loi 2005), qui,

après examen du dossier par son équipe technique, propose des établissements correspondants au type de difficultés reconnues de l’adolescent (déficience intellectuelle, …). Les familles choisissent alors l’établissement qui admettra le jeune en fonction des priorités définies par les places disponibles.

Nos engagements à l’égard des usagers Notre légitimité se fonde sur la déclaration individuelle des droits de l’homme, les valeurs républicaines humanistes, les notions de laïcité et de justice sociale. Notre objectif premier est de rendre ou de faciliter l’accès pour les adolescents à une capacité citoyenne. Notre mission est de s’engager dans une solidarité active par la mise en place d’un projet institutionnel et des projets individuels, dont l’évaluation en est un corollaire.

Les objectifs Mener à bien le projet éducatif, pédagogique et thérapeutique individualisé par une prise en

charge pluridisciplinaire et diversifiée. � Favoriser une autonomie maximale

� Préparer et accompagner l’adolescent vers une insertion sociale et professionnelle, la plus

ordinaire possible

� Permettre à l’adolescent de s’assumer le plus possible

Page 9: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

10

� Réduire les éventuels problèmes de langage, de communication, difficultés motrices et

troubles psychologiques

� Développer les acquisitions scolaires

� Participer au monde du travail, des loisirs

� Offrir un cadre de vie adapté

� Entretenir une collaboration active avec les parents.

Les méthodes et outils que nous mettons en œuvre sont le fruit de réflexion constante et

permanente. Ils sont régulièrement réinterrogés et adaptés aux besoins des adolescents et jeunes adultes accueillis. Ces méthodes ne se veulent, en aucun cas, uniques, exclusives ou partisanes, elles ont le souci du respect de la personne et sont constamment soumises à évaluation.

Les moyens Un personnel qualifié :

• éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, éducateurs techniques

• enseignants spécialisés

• médecin généraliste, médecin pédopsychiatre, psychologue, infirmière,

• assistante sociale

• personnels administratifs, personnels des services généraux.

Au total 49 personnes concourent à la réalisation du projet d’établissement. Le cadre de vie :

• les bâtiments sont implantés dans un très beau parc de plus de 17 ha, dont 2 ha d’étang,

• la conception architecturale de l’établissement permet l’accueil des adolescents dans

des lieux différents selon les moments de la journée et la nature des activités.

Le temps d’externat Le temps d’internat L’action thérapeutique :

• versant institutionnel

• versant individuel

• versant familial

Page 10: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

11

La formation continue Les concertations et travaux de réflexions institutionnels.

L’accueil Après la visite préalable de l’institution et après avoir reçu la notification de la C.D.A

(Commission Départementale de l’Autonomie), les parents et leur enfant sont convoqués pour un entretien d’accueil dans les locaux de l’institution. Peuvent être présents à cet entretien, les parents, l’enfant, un éducateur, un enseignant, le coordonnateur de projet, l’infirmière, l’assistante sociale, le médecin psychiatre et la psychologue. Cet entretien a pour but de présenter le jeune, sa famille et les difficultés rencontrées à l’ensemble de l’équipe.

Le projet individualisé Tous les adolescents n’ont pas les mêmes besoins. L’établissement élabore un projet

individualisé pour chacun des adolescents accueillis. Ce projet est élaboré à partir des réunions interprofessionnelles dites « de synthèse » ou « de projet ». C’est par excellence, l’endroit où l’adolescent est le plus pris en compte dans sa complexité, dans sa singularité par les éclairages différents qui sont apportés sur lui.

Le projet détermine les moyens d’intervention et rassemble l’ensemble des actions éducatives, pédagogiques, thérapeutiques élaborées en commun et mises en place pour aider le jeune à évoluer, progresser, s’épanouir. Ce projet individuel se trouve donc être le fruit d’une réflexion et d’une implication collective (parents, enfants, partenaires). Ce projet est formalisé sous forme d’un document écrit commun à l’établissement, à l’adolescent et à la famille. Ce document est soumis à l’approbation des parents, dans le trimestre suivant l’admission de l’enfant. Ce document servira de base pour l’évaluation.

Le projet individuel est évalué et ajusté au minimum tous les ans, ou plus si le besoin s’en fait ressentir.

Relations famille et IME L’évolution des adolescents nécessite une étroite collaboration entre l’institution et sa

famille. Il est indispensable de se rencontrer régulièrement afin que les objectifs du projet se mettent en place en liaison avec la responsabilité des parents. Un coordonnateur de projet est désigné parmi les professionnels de l’établissement et doit être le lien entre la famille, l’adolescent et l’institution.

Une réunion de rentrée, entre parents et professionnels, est organisée par groupe pour présenter le projet de travail de l’année. Cette réunion est suivie d’un moment de rencontre individuelle avec les professionnels de l’I.M.E. Il est bien sûr possible de rencontrer tout membre de l’institution qui intervient dans le déroulement du projet individuel du jeune (éducateur, enseignant, psychiatre, psychologue, …)

Page 11: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

12

Notre fonctionnement L’Institut Médico-Educatif est ouvert 250 jours pour les internes et 210 jours pour les

semi-internes. Le retour en famille est organisé et financé par l’établissement tous les 15 jours (du Vendredi après les activités de l’après-midi au Lundi matin) et pour les périodes de congés. Un retour en famille est possible les autres fins de semaine mais à la charge de celle-ci.

L’accueil des internes de semaine s’effectue du Lundi matin au Samedi après-midi et les internes de quinzaine du Lundi au Vendredi après-midi de la semaine suivante.

Les semi-internes sont accueillis tous les jours de la semaine du Lundi au Vendredi.

Horaires hebdomadaires :

Lundi 8h30 à 16h30 Mardi 8h00 à 16h30 Mercredi 8h00 à 16h30 Jeudi 8h00 à 16h30 Vendredi 8h00 à 16h30

Le projet individuel de l’adolescent peut modifier les horaires d’accueil dans l’établissement (participation à des activités éducatives ou de loisir…).

Le temps d’externat Un bâtiment « classes » et 6 ateliers permettent d’organiser la prise en charge pédagogique,

éducative et professionnelle des jeunes pendant le temps d’externat. Les jeunes sont répartis par atelier :

• Atelier d’observation et d’orientation

• Espaces verts – horticulture

• Employé technique de collectivités

• Maçonnerie

• Peinture – vitrerie

• Soudure – métallurgie

Ils sont pris en charge, suivant leur âge et leurs possibilités, par 6 éducateurs technique et 4

enseignants spécialisés. Tous les adolescents bénéficient de temps pédagogique et professionnel, adaptés à leur niveau d’acquisition en respectant un programme personnalisé. Leurs compétences sont régulièrement évaluées.

Page 12: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

13

Les activités proposées tendent à : � Consolider et améliorer les acquisitions scolaires en favorisant le transfert dans

l’apprentissage professionnel

� Stimuler la curiosité et donner des méthodes de travail et de recherche

� Découvrir et pratiquer des activités liées à la formation générale et aux loisirs

� Favoriser l’intégration du jeune dans le monde du travail par une qualification compatible avec ses capacités.

Le temps d’internat 3 lieux de vie d’internat (2 au château et 1 à la résidence) permettent d’organiser la vie des

jeunes en dehors du temps scolaire et professionnel suivant leur âge et leurs possibilités. 3 groupes sont encadrés par 10 éducateurs spécialisés ou moniteurs éducateurs qui assurent une animation et une prise en charge constante des adolescents permettant de répondre aux besoins et de développer leur autonomie, leur insertion sociale.

Ce secteur se situe sur le terrain d’apprentissage de la vie quotidienne, de la socialisation, des acquisitions culturelles mais représente aussi un support d’intervention sur la vie relationnelle et la structuration de la personnalité des jeunes.

Cette préparation à la vie d’adulte vise l’épanouissement le plus large possible de chacun permettant d’être citoyen à part entière, responsable de ses actes, capable d’organiser sa vie de travail et de loisirs, capable de maîtriser ses conduites et de les adapter aux circonstances.

L’action thérapeutique Elle concerne le médecin psychiatre, la psychologue, l’infirmière. Il faut distinguer trois

types d’interventions : Le versant institutionnel Il s’agit de l’élaboration du Projet Educatif Pédagogique et Thérapeutique individuel. L’équipe rassemblée analyse les difficultés, les carences de chaque enfant et détermine un plan de travail qui est actualisé aussi souvent que nécessaire. Le versant individuel Lors du projet réalisé par l’équipe, des entretiens et suivis peuvent être envisagés avec le médecin psychiatre ou la psychologue. Le versant familial Des entretiens avec la famille accompagnent le travail mis en œuvre avec l’adolescent. Ces entretiens prennent diverses formes : � Implication de la famille dans le projet, � Guidance familiale, � Entretiens à visée thérapeutique.

Page 13: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

14

Les soins Tous les jeunes ont un suivi médical mis en place en accord avec les familles et en liaison

avec le projet individuel. Le médecin psychiatre, le médecin généraliste, l’infirmière peuvent donner aux familles des informations relatives à l’état de santé de leur enfant.

Le médecin psychiatre intervient sur : � La prescription et la surveillance des traitements � Le soutien plus spécifique et individuel par des entretiens � La mise en œuvre et le suivi du projet thérapeutique Le médecin généraliste intervient sur : � Les visites médicales annuelles � Le suivi des vaccinations, de l’hygiène, des menus � Le traitement de toute pathologie L’infirmière prend en charge : � L’accueil des adolescents à l’infirmerie � Les premiers soins, les soins aux malades alités � La mise en place, la distribution et la surveillance des traitements médicamenteux � Les examens complémentaires � L’accompagnement chez les médecins spécialistes et au centre hospitalier

L’orientation et sortie de l’I.M.E. La sortie de l’institution peut se faire à tout moment de l’année, après étude du dossier par

la Commission Départementale de l’Autonomie (C.D.A.) à la demande des parents, du jeune adulte, de l’établissement. Les jeunes peuvent être orientés, en fonction du projet individuel, vers :

� Un autre établissement médico-social : I.M.E., … � Un centre de formation professionnelle � Le milieu ordinaire avec ou sans Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé � Un ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) � Le retour en famille Toutefois, les jeunes adultes ayant atteint l’âge limite d’agrément (20 ans), peuvent être

maintenus dans l’institution. Ce maintien ne peut s’effectuer qu’après orientation par la C.D.A vers une structure pour adultes acceptée par le jeune et sa famille et en l’absence d’une place disponible. Tout refus de la part du jeune ou de sa famille de répondre favorablement à une proposition de place en établissement pour adulte correspondant à son orientation entraînera une sortie de l’établissement.

L’établissement assure l’accompagnement de l’insertion sociale et/ou professionnelle du jeune adulte à sa sortie, en liaison avec les services administratifs et sociaux compétents sans s’y substituer sur une durée minimum de 3 ans.

Page 14: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

15

Ces éléments généraux liés à l’imprégnation du dispositif organisationnel dans son intégralité

nous amènent maintenant à nous intéresser à la manière dont les jeunes de l’IME s’approprient la formation en général. Nous avons choisi, comme hypothèse explicative, une approche du rapport au savoir dans sa dimension didactique.

2) Le rapport au savoir La raison pour laquelle nous avons choisi le concept de rapport au savoir vient de ce qu’il

engendre en termes de « lecture en positif »3 de la réalité sociale. La théorie du handicap socioculturel pratique une lecture « en négatif » de la réalité sociale, qu’elle interprète en termes de manques. L’analyse du rapport au savoir implique au contraire une lecture en positif car elle s’attache à l’expérience des élèves, à leur interprétation du monde, à leur activité.

Pratiquer une lecture en positif nous dit Charlot, « c’est lire autrement ce qui est lu comme manque par une lecture en négatif ». C’est une véritable posture épistémologique et méthodologique.

La lecture en positif, c’est comprendre comment l’élève pense face à une situation, comment il s’y prend et non ce qui lui manque.

a) Le choix de l’approche épistémologique du rapport au savoir L’épistémologie se définit comme une réflexion critique sur les principes, les méthodes et

les conclusions d’une science. Selon Develay4, le rapport aux savoirs scolaires réside dans la compréhension des enjeux

disciplinaires qui leur sont enseignés. Le rapport au savoir de l’élève dans sa dimension épistémologique se construit tout au long de la scolarité, à travers sa capacité à prendre du recul vis-à-vis des disciplines qu’il côtoie pour en apprécier les caractéristiques logiques, les transformations historiques et les caractéristiques sociologiques.

Cette approche que l’on nomme didactique du rapport au savoir est liée aux éléments suivants :

� le savoir est construit par le sujet, à travers l’élaboration et l’usage d’une formalisation

théorique (Astolfi5) ; � le savoir équivaut à « avoir de la saveur », c'est-à-dire c’est ce qui est susceptible de donner un goût nouveau au réel qui nous entoure (Astolfi) ; � le savoir permet de lire de façon nouvelle la réalité empirique (Astolfi) ; � la réflexion sur le savoir, comme occasion de développer chez l’apprenant des stratégies métacognitives (Giordan6)

3 B.Charlot, Du rapport au savoir Eléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997 4 M.Develay, Donner du sens à l’école, Issy-Les-Moulineaux, Esf, 1996 5 J.P. Astolfi, L’école pour apprendre, Esf, Paris, 2004 6 A.Giordan, Apprendre, Belin, Paris, 1999

Page 15: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

16

Les recherches en didactique prennent comme point de vue directeur celui des contenus

enseignés (celui de chaque savoir disciplinaire qui construit sa didactique propre) et non pas le point de vue de l’enfant ni celui de l’enseignant. Néanmoins, point de vue directeur ne signifie pas intérêt exclusif pour les savoirs et dénégation du reste : c’est bien l’ensemble du système didactique avec son fonctionnement qui se trouve éclairé d’un jour nouveau, à partir de la question des contenus. Et ce jour nouveau, ce sont les concepts originaux que les didactiques ont développés. C’est en raison du lien que nous postulons entre le contexte et certains de ses concepts (présentés ci-après) que notre choix s’est porté sur l’approche didactique du rapport au savoir.

La didactique s’intéresse aux stratégies d’appropriation, telles que les élèves les mettent en œuvre pour apprendre, lorsqu’ils sont aux prises avec un problème, un exercice, une activité qu’on leur propose. Le concept didactique qui règne ici est celui de représentations des élèves (encore appelées souvent conceptions), avec celui d’obstacle à l’apprentissage qui lui est lié.

b) Le concept d’obstacle épistémologique

Astolfi7 distingue l’information, la connaissance et le savoir. Ces trois notions, bien

qu’employées de manière interchangeable, ne sont pas synonymes. L’information est sous le primat de l’objectivité : elle est extérieure au sujet. La connaissance est sous le primat de la subjectivité : elle est le fruit intériorisé et globale de l’expérience individuelle, telle quelle informulable et intransmissible. Le savoir, quant à lui, résulte d’un processus d’objectivation de la connaissance : il est construit par le sujet au travers d’une formalisation théorique, moyennant l’élaboration d’un langage approprié.

Selon Astolfi, le passage de la connaissance au savoir résulte d’un mécanisme pour lequel il s’agit d’abandonner le confort de la certitude intime, de s’affranchir de l’expérience première en construisant et en s’appliquant à soi-même un cadre conceptuel rigoureux. C’est évidemment de rupture épistémologique dont il est question ici. Bachelard a montré comment l’accès à la pensée scientifique nécessite un processus de « détachement », une sorte de « catharsis » intellectuelle. Il parle de « psychanalyse de la connaissance objective ». Sur le mode de la connaissance commune, en effet, l’esprit dispose toujours de réponses globales et spontanées à ses interrogations, réponses qui se confortent mutuellement et arrêtent tout questionnement. Or le savoir commence quand une question peut être posée là où régnait l’évidence. Le passage de la connaissance au savoir implique qu’on sache réfréner les explications qui nous viennent de façon trop immédiate et qui fonctionnent comme un arrêt de la pensée.

Dès à présent, nous faisons l’hypothèse d’un obstacle épistémologique dans l’approche que les jeunes ont des stages, dans la mesure où semblent se constituer des « nœuds de difficultés » dans leur mobilisation sur des savoirs théoriques. L’erreur est bien dans l’objet de savoir et non dans l’esprit cognitif. L’obstacle épistémologique détermine ce qui dans la structure du savoir fait obstacle de façon longitudinale.

7 J.P.Astolfi, op.cité

Page 16: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

17

De très nombreuses recherches en didactique ont montré qu’avant l’enseignement d’un concept, les élèves disposent souvent déjà d’une représentation qu’ils s’en sont construites. Surtout, ces représentations s’avèrent extrêmement résistantes à l’enseignement. On peut comprendre l’origine et le mode de fonctionnement de ces représentations notamment à partir des travaux épistémologiques de Bachelard (rupture avec la connaissance commune). Voilà plus de cinquante ans, Bachelard8 expliquait qu’ « on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même fait obstacle ».

Pour expliquer ce concept d’obstacle épistémologique, Fabre9 décline six caractéristiques complémentaires des obstacles ainsi conçus :

� l’intériorité de l’obstacle : les obstacles ne sont pas ce contre quoi viendrait buter la

pensée, mais ils résistent dans la pensée elle-même, dans les mots, l’expérience quotidienne, l’inconscient…. L’erreur est donc constitutive de l’acte même de connaître

� la facilité de l’obstacle : avant d’être une difficulté affrontée, l’obstacle est d’abord une

facilité que l’esprit s’octroie. Il renvoie au confort intellectuel, à une « certitude de l’intime ». L’obstacle selon Astolfi10, « c’est une façon de penser dans ses charentaises »

� la positivité de l’obstacle : l’obstacle n’est pas le vide de l’ignorance, mais bel et bien

une forme de la connaissance comme une autre. C’est même un « trop plein » de connaissances disponibles et déjà là, qui empêche d’en construire de nouvelles. Le sens commun, c’est le fait de disposer d’une réponse immédiate à toute chose, là où il faudrait suspendre le jugement

� l’ambiguïté de l’obstacle : de surcroît, l’obstacle est ambigu, car tout mode de

fonctionnement mental présente la double dimension d’outil nécessaire et de source potentielle d’erreurs. C’est un mode de pensée qui n’est pas récusable en lui-même, mais seulement dans les modalités de son usage

� la polymorphie de l’obstacle : l’obstacle n’est pas « chosifié », mais il ne peut non plus

être parfaitement délimité ni circonscrit. On ne saurait en faire le tour car ses adhérences sont souvent multiples. Cela renvoie à deux aspects : d’abord à la dimension transversale des obstacles, et puis au caractère protéiforme des obstacles, en relation avec de multiples dimensions. Ils ne se limitent pas au domaine rationnel mais poussent des ramifications au plan affectif, émotif,… . Autrement dit, l’obstacle possède une charge symbolique

� la récursivité de l’obstacle : la conséquence de tout cela, c’est que les erreurs ne sont

reconnaissables qu’après coup, une fois que les obstacles ont pu être franchis. Un tel ensemble de caractéristiques permet de mieux comprendre le pourquoi de la

résistance des obstacles et, à travers eux, le caractère récurrent des représentations des jeunes de l’IME. La résistance est dans la nature même d’obstacle. Ce n’est pas un blocage du système de pensée (on a vu que c’était même plutôt le fruit d’un certain confort intellectuel). Il est l’indice et le témoin des lenteurs, des régressions, des analogies qui caractérisent toute pensée en train de se construire.

8 G.Bachelard, in L’erreur, un outil pour enseigner, J.P.Astolfi, Esf, 2006 9 M.Fabre, Bachelard éducateur, Paris, Puf, 1995 10 J.P.Astolfi, ibidem

Page 17: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

18

Nous souhaitons dès à présent annoncer l’objet de notre problématique et les deux hypothèses

qui s’y rattachent.

PROBLEMATIQUE :

Dans quelle mesure une ingénierie des compétences constitue-t-elle un environnement favorable à une évolution du rapport au savoir de la part des jeunes en IME ?

Nos deux hypothèses s’appuient sur le cadre théorique de l’action compétente que Le Boterf11

a schématisé par le triangle suivant :

agir)

Au regard du contexte, (mobilisation des jeunes sur savoir-faire et savoir-être), il semble donc

que ceux-ci s’inscrivent dans une relation binaire à l’action compétente en investissant les deux pôles vouloir agir et pouvoir agir dégagés par l’auteur. Le pôle savoir agir relatif notamment à la faculté de mobiliser, combiner, prendre du recul et mieux connaître ses propres ressources semble difficile à atteindre pour la population concernée.

� hypothèse 1 : il existe un obstacle épistémologique dans la perception des stages de la part des jeunes, qui semblent l’investir en termes de vouloir-agir et pouvoir-agir, au détriment du savoir-agir.

� hypothèse 2 : en situation de stage, les jeunes perçoivent leurs tuteurs comme des personnes pouvant les aider au niveau du vouloir-agir et du pouvoir-agir, au détriment du savoir-agir.

Dans le choix de ces hypothèses, il y a un aspect plus didactique (la première) et un aspect

relevant davantage de l’organisation (la seconde), bien qu’elles soient liées sur ces deux plans (ingénierie des compétences, ingénierie didactique).

La problématique s’inscrit donc dans un questionnement autour du développement de compétences pour faire évoluer le rapport au savoir. Nous allons nous attacher dans la partie suivante à clarifier le concept de compétence et le confronter à notre analyse contextuelle. Les différentes dimensions précédentes vouloir agir, pouvoir agir, et savoir agir seront détaillées dans les parties suivantes.

11 G.Le Boterf, L’ingénierie de la formation, in Traité des sciences et techniques de la formation, P.Carré et P.Caspar, Paris, Dunod, 2004

Savoir-être (Vouloir agir) Savoir-faire (Pouvoir Agir)

Savoir (Savoir agir)

Page 18: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

19

II ) LE CONCEPT DE COMPETENCE 1) L’approche par compétences

Nous choisissons de présenter cette approche car elle est d’une part en lien avec l’approche

didactique présentée ci-avant, et d’autre part sa mise en œuvre nous semble compatible avec les difficultés rencontrées par les jeunes de l’IME, et particulièrement sur le plan cognitif. En effet, loin de tourner le dos aux savoirs, l’approche par compétences leur donne une force nouvelle, en les liant à des pratiques sociales, à des situations complexes, à des problèmes, à des projets. Ce faisant, elle peut, sans s’attaquer à toutes les causes de l’échec scolaire, prétendre au moins traiter de façon décidée de la question du rapport au savoir et du sens du travail scolaire.

a) Qu’entend-t-on par approche par compétences ?

Il apparait de plus en plus clairement qu’on ne saurait, pour développer des compétences professionnelles, se fier aux simples vertus d’une immersion dans la pratique. S’il faut des stages et de l’expérience (ce qui nous concerne ici), il faut aussi des dispositifs pointus d’alternance et d’articulation théorie-pratique. L’approche par compétences affirme que sans tourner le dos aux savoirs12, sans nier qu’il y ait d’autres raisons de savoir et de faire savoir, il importe de relier les savoirs à des situations dans lesquelles ils permettent d’agir, au-delà de l’école. Agir, c’est ici affronter des situations complexes, donc penser, analyser, interpréter, anticiper, décider, réguler, négocier. Une telle action ne se satisfait pas d’habiletés motrices, perceptives, verbales. Elle exige des savoirs, mais ils ne sont pertinents que s’ils sont disponibles et mobilisables à bon escient, au bon moment. La compétence n’est pas un état ou une connaissance possédée. Elle ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire. Elle n’est pas assimilable à un acquis de formation. Posséder des connaissances ou des capacités ne signifie pas être compétent. Chaque jour, l’expérience montre que des personnes qui sont en possession de connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment opportun, dans une situation de travail. L’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier (marqué par des relations de travail, une culture institutionnelle, des aléas, des contraintes temporelles, des ressources…) est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action. Elle ne lui préexiste pas.

L’approche par compétences traite les savoirs comme des ressources à mobiliser, donc les lient rapidement à des situations et à des pratiques sociales. Si les problèmes pratiques sont ceux qui se posent dans la vie extrascolaire, les solutions sont toujours en partie théoriques et font appel à des savoirs, et non seulement à des habiletés. L’approche par compétences transforme une partie des savoirs disciplinaires en ressources pour résoudre des problèmes, réaliser des projets, prendre des décisions. On postule ainsi qu’une mise en relation des savoirs et des pratiques sociales permettra aux sujets qui n’ont pas acquis ce sens de la culture pour la culture, de trouver d’autres clés pour donner du sens aux savoirs enseignés13, des clés qui leur manquent cruellement dans les systèmes éducatifs centrés sur les savoirs disciplinaires. Pour faire comprendre que les savoirs sont des outils indispensables, il faut partir non d’une illustration mais d’un problème.

12 P.Perrenoud, Raisons de savoir, Vie Pédagogique, n°113, novembre-décembre, 1999 13 J.Y.Rochex, Interrogation sur le « projet » : la question du sens, in Projets d’avenir et adolescence, les enjeux personnels et sociaux, Adapt, 1993

Page 19: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

20

Travailler, dans le cadre d’une discipline, la mobilisation des savoirs qui la constituent, c’est

faire ce qu’Astolfi14 appelle « un vrai travail de pratique théorique ». La pratique sociale de référence est alors interne à la discipline, faite d’expérimentation, d’observation, d’élucidation, de formulation d’hypothèses et de débat contradictoire. En outre, si l’on vise véritablement des compétences, il faut les évaluer, de façon formative et certificative, seule façon de les rendre crédibles. Cette approche par compétences ne peut être mise en œuvre qu’à partir d’une pédagogie différenciée.

b) Approche par compétences et pédagogie différenciée Selon Perrenoud, cette approche s’inscrit dans la mise en place de dispositifs permettant de

placer chaque apprenant, aussi souvent que possible, dans des situations didactiques à sa mesure. Il décline ainsi quatre stratégies conjuguées, que nous allons détaillées :

� créer des situations didactiques porteuses de sens et d’apprentissages � les différencier pour que chaque apprenant soit sollicité dans sa zone proximale de

développement � développer une observation formative et une régulation interactive en situation, en

travaillant sur des objectifs-obstacles � individualiser les parcours de formation � Des situations didactiques porteuses de sens et d’apprentissages : idéalement, l’approche

par compétences offre de meilleurs chances de créer des situations porteuses de sens, du simple fait qu’elle relie les savoirs à des pratiques sociales. Il reste à construire de telles situations au quotidien et à les rendre productives d’apprentissages. Il convient donc de ne pas les borner à un rôle de motivation ou de sensibilisation, mais de s’en servir pour favoriser des apprentissages fondamentaux. Il s’agit de projeter les apprenants dans de vraies situations, des démarches de projet, des problèmes ouverts.

� Solliciter chaque apprenant dans sa zone de proche développement : différencier, c’est

organiser les activités et les interactions de sorte que chaque apprenant soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations les plus fécondes pour lui. Pour cela, il faut le « saisir » dans une zone qui rend une progression à la fois nécessaire et possible. Nécessaire en cela qu’il ne peut faire face à la tâche en se servant simplement de ce qu’il sait déjà. Il doit apprendre pour réussir et comprendre. Apprendre du neuf, ou au minimum affiner, consolider, compléter ses acquis ou entraîner leur transfert et leur mobilisation. Il faut aussi qu’il puisse apprendre : si le défi est démesuré, la mission devient impossible, le sujet abandonne ou fait semblant de travailler ; dans les deux cas, il n’apprend rien. Une pédagogie différenciée cherche constamment la distance optimale, dans deux registres :

14 J.P.Astolfi, L’école pour apprendre , op.cité

Page 20: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

21

- celui du développement intellectuel : le concept de zone proximale proposé par Vygotski15

ne fait plus du développement opératoire un préalable absolu des apprentissages. Des situations didactiques peuvent entraîner un développement intellectuel ou l’accélérer ; mais il faut évidemment qu’il soit en quelque sorte « à portée de main », accessible.

- celui des connaissances, compétences et attitudes disponibles. L’apprenant aborde toujours

une situation avec un capital culturel qui, s’il est trop pauvre ou décalé, ne lui permet pas d’entrer dans la tâche, de comprendre le problème et les enjeux, de participer à une démarche collective.

L’approche par compétences complexifie et simplifie à la fois ce problème. Elle le

complexifie parce que les situations d’apprentissage ne sont pas des exercices scolaires individuels, mais des tâches ouvertes et souvent collectives, inscrites de préférence dans une démarche de projet ou une conduite de recherche. En même temps, cette inscription simplifie l’ajustement des situations d’apprentissage aux possibilités et intérêts de chacun, dans la mesure où s’opère une division du travail spontanée et négociée qui propose à chacun une tâche à sa mesure et à son goût.

� Développer une régulation interactive articulée aux objectifs-obstacles : Perrenoud nous

rappelle que nous savons maintenant qu’il est inutile d’espérer optimiser le « traitement pédagogique » d’un sujet en accumulant à son propos toutes les informations disponibles, sur son profil psychologique, son QI, sa façon d’apprendre, son style cognitif, ses acquis, etc. Sans doute n’est-il jamais inutile de connaître les apprenants, mais il faut se déprendre du fantasme de pouvoir décider d’avance de ce qui leur convient. Une pédagogie différenciée évite de proposer des tâches absurdes, parce que trop faciles ou trop difficiles, mais elle investit, une fois la situation lancée, dans une régulation constante de la tâche collective et de la part qu’y prend chacun. Autrement dit, en jouant sur l’étayage et le désétayage, l’aide méthodologique, la division du travail, la structuration du problème en sous-problèmes à traiter séparément, l’enseignant fait évoluer la tâche, l’ajuste et fait des choix décisifs :

- d’un côté, les obstacles cognitifs (théoriques et méthodologiques) qu’il décide de lever,

parce qu’ils sont dans l’immédiat insurmontables pour les sujets ou que leur dépassement n’est pas prioritaire. Dans ce cas, l’enseignant renonce à l’apprentissage correspondant et aide lucidement les apprenants à contourner l’obstacle, par exemple en prenant lui-même en charge certaines opérations qui ne sont pas encore à leur portée.

- de l’autre, les obstacles qui ne doivent pas être évités, parce qu’ils sont au cœur du projet de

formation. Du coup, ils deviennent des « objectifs-obstacles »16, des occasions de construire des savoirs nouveaux ou d’élargir ses compétences. Le rôle de l’enseignant n’est pas alors de faire à la place ou de faciliter, mais de forcer la confrontation à l’obstacle en l’aménageant de façon optimale.

� individualiser les parcours de formation : plus on vise à former des compétences, plus il

faut espacer les échéances, prendre le temps de construire les apprentissages par des démarches de recherche et de projet. En effet, l’approche par compétences commande des espaces-temps de formation plus larges, plus propices à l’individualisation des parcours de formation.

15 P.Perrenoud, op.cité 16 J.P.Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, op.cité

Page 21: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

22

Nous avons vu qu’en travaillant par compétences, on accroît le sens des savoirs scolaires,

parce qu’on les met en connexion avec les pratiques sociales et avec la vie. Cette démarche paraît aller dans le sens de notre questionnement puisque les éléments du présent contexte, avant toute investigation, semblent orienter des besoins de formation sur des dimensions largement théoriques.

Néanmoins, il faut également reconnaître que cette approche n’est pas la panacée et peut s’avérer inadaptée pour certains jeunes, ayant par exemple des difficultés d’élaboration trop importantes. En effet, l’approche par compétences exige, d’une certaine manière, plus d’abstraction, plus d’initiative, plus d’autonomie que certains exercices classiques.

c) Selon Meirieu17 L’approche de Meirieu nous parait complémentaire de l’approche par compétences. Cet

auteur fait une distinction entre la compétence et la tâche, la première relevant du processus de formation et la seconde davantage du processus de production.

Nous pouvons schématiser cette distinction à partir du tableau suivant :

Processus de formation � Accent mis sur l’action d’apprendre

Processus de production � Accent mis sur la réalisation de la tâche

Selon Meirieu, la tâche c’est ce que le sujet veut « faire », parce qu’il il l’a déjà vu, qu’il en

a une représentation mentale, qu’il sait ce qu’on attend de lui. La tâche, c’est ce qui va fournir, en cas de succès, la satisfaction narcissique, et, en cas d’échec, engendrer la déception et contribuer à la dégradation de l’image de soi. La tâche est liée par exemple à la production de biens matériels ou culturels dans l’usine, l’atelier….Dans le circuit productif, même si les individus continuent, tout au long de leur carrière, à se perfectionner, leurs compétences préexistent plus ou moins à leurs actions.

A l’Ecole en général, c’est l’action d’apprendre qui permet d’acquérir des compétences. C’est pourquoi il y est encore plus important de « savoir qu’on sait » que de « savoir ». Car, celui qui sait sans savoir qu’il sait doit attendre qu’on lui demande de restituer ce qu’il a appris pour l’utiliser. Celui qui « sait qu’il sait », en revanche, peut prendre l’initiative de mettre ses compétences en action.

Au regard du contexte et notamment des difficultés à élaborer que rencontrent ces jeunes de l’IME, il nous semble particulièrement important de mettre l’accent sur cette dimension métacognitive dans la construction de compétences c'est-à-dire d’accompagner l’apprenant sur l’action d’apprendre en mettant en place des procédures de réflexion sur son activité. La métacognition redonne au sujet la certitude de l’exercice de sa pensée, lui permet de prendre conscience de ses images mentales, au moment de l’acte de pensée. Elle l’autorise à penser et l’amène à devoir s’arrêter sur ses processus cognitifs, sur leurs produits, sur les erreurs qui prennent une dimension formatrice particulière ; elle renvoie à cette idée fondamentale que, dans l’évolution cognitive, ce qui est important, ce sont les processus, non les contenus (Moal18).

17 P.Meirieu, Les compétences, contribution à l’ouvrage collectif sous la direction de J.L. Ubaldi, Edition Revue EPS, 2005 18 A.Moal, De la médiation en pédagogie, Cahiers de Beaumont, janvier 1991

Page 22: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

23

Nous allons maintenant nous intéresser à la clarification du concept de compétence dans le

cadre d’une approche davantage opérationnelle. Les définitions de la compétence abondent au point que Le Boterf19 a pu parler à ce sujet d’ « attracteur étrange ». Le terme de compétence est désormais un des termes les plus employés mais aussi un terme peu conceptualisé qui incite même à parler de « mot valise »20.

2) Approche opérationnelle du concept de compétence

a) Tentative de clarification de ce concept

De nombreux débats et écrits ont été consacrés à la notion de compétence. Cette notion

englobe diverses acceptions. On parle parfois indifféremment de savoirs théoriques (Barbier, 1996), de savoirs d’action (Argyris, 1995 ; Barbier, 1996), de connaissances-en-actes (Vergnaud, 1994, 1995, 1996), de savoirs d’usage (Malglaive), de savoirs tacites (Nonaka) voire de savoirs d’expérience pour décrire les éléments constitutifs de la compétence. Elle reste peu aisée à cerner comme en témoigne la difficulté des auteurs à la définir.

Malgré l’abondance des définitions proposées, il semble qu’un certain consensus se soit progressivement installé en une dizaine d’années dans le champ de la formation21 qui permet de s’accorder sur un certain nombre d’éléments :

� le lien existant entre la compétence et l’action. La compétence permet d’agir et c’est là que

l’on peut la repérer; � la compétence est contextuelle : elle est liée à une situation professionnelle donnée et

correspond donc à un contexte ; � les « rubriques » constitutives des compétences : même si les catégories divergent, chacun

s’accorde finalement à y mettre un peu de savoir, beaucoup de savoir-faire et souvent, mais pas toujours, du savoir-être. De même, on retrouve très fréquemment la notion de « compétence cognitive » avec des acceptions diverses ;

� la notion d’intégration de ces contenus : il ne s’agit pas d’une somme dont on ne sait par

quel miracle elle déboucherait sur l’action réussie, mais bien de capacités intégrées, structurées, combinées, construites.

19 G.Le Boterf, De la compétence, essai sur un attracteur étrange, Paris, Ed d’organisation, 1994 20 P.Gilbert, M.Parlier, La compétence : du « mot valise », au concept opératoire, Actualité de la formation permanente, n°116, p.14-18 21S.Bellier, La compétence est-elle un concept nouveau ? in Traité des sciences et des techniques de la Formation, P.Carré et P.Caspar, Paris, Dunod, 2004

Page 23: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

24

A partir de ces éléments, Bellier22 avance l’idée que « la compétence permet d’agir et/ou

de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier en mobilisant diverses capacités de manière intégrée ». Il faut noter que dans tous les cas de figure, la compétence a un lien avec l’expérience, et que leur développement est toujours lié à de l’action.

Revenons de manière plus détaillée sur les éléments caractéristiques de ce concept. � la compétence se définit dans l’action : la compétence individuelle se construit dans

l’action à travers l’expérience, l’appropriation et la mise en œuvre concrète de tous les savoirs nécessaires, à commencer par ceux qui sont spécifiques au poste de travail

� la compétence se déploie en contexte professionnel réel : elle est indissociable des

situations de travail. La compétence ne se construit pas uniquement en centre de formation mais également en situation de travail (Barbier, 1996). Les compétences sont acquises dans le cadre d’apprentissages professionnels en situation de travail. L’activité professionnelle (le stage pour ce qui nous concerne) est alors conçue comme lieu de mobilisation, de production, de transmission des compétences professionnelles, permettant ainsi d’acquérir ce qui constitue l’essentiel de la compétence : l’expérience du travail réel

� la compétence se fonde sur un ensemble de ressources : des ressources sont mobilisées

pour mettre en œuvre les compétences, ce sont globalement tous les savoirs théoriques et savoirs pratiques. Selon Le Boterf23 en décline quatre catégories :

- les savoirs théoriques : ils correspondent à la compréhension d’un phénomène (« savoir

que ») - les savoirs procéduraux : ils correspondent aux méthodes, aux modes opératoires

(« comment s’y prendre pour ») - les savoirs expérientiels : ce sont des savoirs issus de la pratique, des leçons de

l’expérience pratique (boucle de retour) - les savoir-faire sociaux : ils correspondent au « savoir-être », aussi appelés compétences

relationnelles � la compétence est reconnue par autrui : c’est un construit social. La compétence a une

dimension collective. Elle a aussi une dimension socioculturelle, c'est-à-dire un système de valeurs socialement partagées (socialisation professionnelle)

� la compétence est définie par le champ d’application des savoirs : il est nécessaire de

spécifier les « champs de pratiques professionnelles » dans lesquels la compétence s’exerce.

22 ibidem 23 G.le Boterf, De la compétence, essai sur un attracteur étrange, op.cité

Page 24: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

25

� la compétence est définie par le niveau de la compétence du sujet : débutant, maîtrise

professionnelle, expert. Le rôle de l’expérience acquise peut être appréciée par les cinq stades dans l’acquisition d’un savoir-faire : du novice à l’expertise (Dreyfus, 199224). Le modèle, aussi connu sous le nom « d’échelle de Dreyfus » établit que dans l’acquisition et le développement d’une compétence, le sujet passe par cinq stades successifs :

- stade 1 : le novice - stade 2 : le débutant avancé - stade 3 : la compétence - stade 4 : la maîtrise - stade 5 : l’expertise. Au regard des difficultés que les jeunes de l’IME rencontrent sur le plan de la

conceptualisation, il nous a paru opportun de trouver des éléments théoriques en lien avec la construction des compétences dans sa composante cognitive25. Du point de vue cognitif, les compétences se construisent notamment par l’acquisition de schèmes et la construction de représentations chez le sujet, pertinentes « pour l’action ». Construire des compétences est inséparable de la démarche de former des schèmes de mobilisation des connaissances à bon escient (approche par compétences), en temps réel pour une action efficace, et donc par la pratique, l’entraînement.

Pastré26 donne plusieurs spécifications à la notion de construction des compétences : � une compétence se construit à partir d’une situation prototypique ; il est difficile de repérer

ce qui différencie la conceptualisation de la simple utilisation de règle d’action � la compétence se développe par le fait que le sujet prend en compte des conditions de plus

en plus variées qui s’éloignent de la situation prototypique. Il faut distinguer le niveau des règles d’action, en fonction des classes de situation et le niveau des concepts pragmatiques ou scientifiques, qui sert d’organisateur de l’activité

� la compétence se désincorpore (Leplat, 1995) : prise de distance par rapport aux situations,

explicitation des concepts mobilisés. Etre compétent revient à savoir faire et à savoir comprendre ce que l’on fait, savoir appliquer les règles ne suffit pas

� la construction d’une représentation de la structure conceptuelle de la situation correspond

à la démarche de schématisation (en ne retenant que des données pertinentes) permet de se libérer et de prendre de la distance avec son propre fonctionnement mental.

24 H.L.Dreyfus, in Pédagogie, dictionnaire des concepts clés : apprentissage, formation, psychologie cognitive, F.Reynal et A.Rieunier, Paris, Esf, 1997 25 J.F.Levy, « Etat de l’art » sur la notion de compétence, INRP, 2000 26 P.Pastré, L’analyse des compétences en didactique professionnelle, colloque AECSE, 1998

Page 25: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

26

Les compétences permettent une souplesse dans l’adaptation aux circonstances, autour d’un noyau invariant qui organise l’action en fonction de la structure conceptuelle de la situation de référence. De ce point de vue, il existera toujours un écart entre ce que l’on sait faire et ce que l’on connaît de son savoir-faire. Leplat appelle « compétences incorporées » les compétences qui ne savent s’exprimer que dans l’action, et pour lesquelles le sujet n’est pas capable d’analyse. L’analyse d’une compétence ne se réduit pas à mettre des mots sur un savoir-faire : en accédant à l’analyse, le sujet reconstruit son savoir en acte et en l’exprimant il le met à distance, lui donne une forme objective donc le rend capable de s’investir ailleurs que dans la situation présente (possibilité de transférer).

Toutes ces remarques peuvent être synthétisées dans l’idée que l’acquisition de compétences correspond à l’élargissement de son champ de réflexion et d’action, à la mise en œuvre de capacités de transfert, à conceptualiser et à abstraire.

b) Tentative de définition de la compétence en appui sur les travaux de Le Boterf Nous avons vu précédemment que nous retrouvons dans la définition de la compétence le

triptyque savoir – savoir-faire – savoir-être. Nous avons vu précédemment que Le Boterf27 a proposé un triangle schématisant l’action compétente :

Nous avons choisi volontairement de présenter dans la partie suivante (ingénierie des

compétences) les différents éléments constitutifs des trois pôles Savoir agir – Vouloir agir – Pouvoir-agir tels que Le Boterf les définit.

27 G.Le Boterf, L’ingénierie de la formation, in Traité des sciences et techniques de la formation, op.cité

VOULOIR AGIR

SAVOIR AGIR

POUVOIR AGIR

Page 26: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

27

La partie précédente a permis d’identifier ce qu’on entend par compétence. La prise en

charge des jeunes à l’IME impose une approche opérationnelle du concept de compétence dans un versant pédagogique (optimiser l’accompagnement individualisé). Nous allons maintenant en venir à une approche « macro » c'est-à-dire analyser les dimensions socio-organisationnelles et de politiques de formation (niveau ingénierie de formation). Il s’agira de réfléchir à la réunion d’un ensemble de conditions favorables pour agir avec compétence. En effet, se réclamer de l’ingénierie nécessite d’indiquer à quel dispositif on se réfère. Nous traiterons donc de l’ingénierie des compétences appréhendée comme l’écologie favorable pour faire évoluer les relations qu’entretiennent les jeunes de l’IME avec le savoir.

Page 27: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

28

III - Vers une ingénierie des compétences 1) De l’ingénierie de formation à l’ingénierie du développement des compétences

L’ingénierie des compétences peut se définir comme l’ensemble des démarches et des modalités destinées à transformer les compétences mobilisées par les personnes pour agir dans leur travail. Il s’agit de prolonger les pratiques d’ingénierie de formation en agissant non seulement sur les situations de formation mais aussi sur les situations professionnelles pour les rendre plus apprenantes. La fin des années 80 a marqué une tendance qui s’est peu à peu dégagée dans les entreprises et les organisations : l’ingénierie de la formation a vu sa place relativisée par rapport à une approche plus large de l’ingénierie du développement des compétences. Deux grandes pratiques se rattachent à l’ingénierie du développement des compétences :

- l’ingénierie des parcours de professionnalisation28 ; - l’ingénierie d’une organisation professionnalisante.

Précisons qu’elles se caractérisent toutes les deux par le fait d’être des « ingénieries de

contexte29 ». a) L’ingénierie des parcours de professionnalisation Plusieurs facteurs explicatifs sont à l’origine de cette évolution : � la place de premier plan accordée aux compétences dans les préoccupations des entreprises

et des individus. Une convergence d’intérêt se manifeste à leur égard : les directions opérationnelles reconnaissent davantage que par le passé que la compétence peut être une ressource clé dans l’obtention de la performance et d’un avantage compétitif. Pour faire face aux exigences croissantes de qualité, de réactivité et d’innovation, les procédures ne suffisent plus et peuvent même, si elles sont portées à l’excès, devenir contre-productives. Il faut faire confiance aux acteurs de l’entreprise, aux salariés et non seulement aux cadres : cela suppose que l’on puisse compter sur leur professionnalisme. Face à des évènements imprévus, face à l’inédit qui ne peut jamais être éliminé, ils devront élaborer et mettre en œuvre des réponses appropriées, prendre des initiatives pertinentes. Ils auront à construire des compétences adéquates.

Mais la compétence n’est pas seulement la préoccupation des directions. Elle est également recherchée par les individus. Dans un contexte économique difficile où l’emploi stable devient incertain, posséder un portefeuille de compétences et pouvoir en faire état devient un atout non négligeable, même s’il n’est pas suffisant. Le capital de compétences devient né pour gérer au mieux sa mobilité professionnelle et son employabilité ;

28 G.Le Boterf, op.cité 29 G.Le Boterf, op.cité

Page 28: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

29

� l’accent mis sur le développement de l’individualisation. L’importance donnée à la validation des acquis professionnels puis aux acquis de l’expérience (cf loi de modernisation sociale de janvier 2002 en est une illustration). Le développement de recherches et pratiques sur l’auto-formation (Carré, Moisan, 2002) ont largement contribué à faire considérer l’apprenant comme « acteur » de ses projets de formation et de développement professionnel, et disposant de ressources cognitives et affectives qui lui sont propres et qu’il peut mobiliser à cet effet.

Cet aspect individualisation fait partie intégrante de la loi du 2 janvier 2002 et nous en détaillerons certains enjeux par rapport au champ médico-social qui nous intéresse ici.

� le développement des formations par alternance. Il devient largement admis que les

situations de travail peuvent constituer des situations d’apprentissage. La diversité des situations et des modalités d’apprentissage est reconnue. S’engager dans la réalisation d’un projet transversal innovant, réaliser une nouvelle mission professionnelle, contribuer à un atelier d’échange de pratiques, participer à des dispositifs d’analyse de retours d’expériences, etc, autant de situations qui peuvent être des opportunités pour développer son professionnalisme.

� l’extension du modèle de la « navigation » dans les démarches d’apprentissage. Les recherches par navigation font école : on acquiert des connaissances en allant visiter des sites et en utilisant des moteurs de recherche. L’accès au savoir s’effectue par des voies multiples et dans des « parcours ». � l’importance croissante donnée à la professionnalisation. On ne peut professionnaliser les personnes : seules celles-ci peuvent se professionnaliser si elles en ont la motivation et le pouvoir, et si elles trouvent un contexte favorable pour s’engager dans une telle entreprise. Cette évolution n’est pas seulement une affaire de mode : elle traduit réellement un changement d’attitude et de façon de raisonner : le développement de compétences des professionnels n’est plus seulement considéré comme relevant de la formation, mais comme résultant de parcours individualisés incluant le passage par des opportunités de professionnalisation (situations de formation, situation de travail, situations sociales, activités rémunérées ou bénévoles…).

En premier lieu, l’ingénierie des parcours de professionnalisation est une « ingénierie de

contexte » et non plus une ingénierie de programme. Elle repose sur le principe qu’on ne peut professionnaliser les personnes mais que celles-ci peuvent « se professionnaliser » si elles en ont la motivation et les moyens, ce qui suppose l’organisation d’un contexte favorable. La logique des parcours « à la carte », même s’ils doivent prendre en compte des « points de passage obligés » va donc prévaloir sur des cursus identiques pour tous.

A ce stade du travail et au regard de notre contexte, il semble que des ressources soient présentes au niveau d’une dynamique motivationnelle pour accéder aux stages, mais cela n’est pas suffisant pour faire évoluer le rapport au savoir des jeunes à l’IME : l’ensemble du dispositif de formation est de fait interrogé.

Page 29: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

30

En second lieu, l’ingénierie des parcours de professionnalisation est une ingénierie qui prévoit

une offre diversifiée de situations professionnalisantes pour qu’une population donnée progresse vers une cible de professionnalisation (référentiel de compétences, répertoires de situations professionnelles, descriptif de métiers….). Cette cartographie d’opportunités de professionnalisation comporte des situations de formation (modules, stages, etc), des situations de travail organisées pour être professionnalisantes. Cette ingénierie reconnaît la diversité possible des situations d’apprentissage.

C’est dans cette perspective que Le Boterf30 a proposé une modélisation de l’approche précédente en termes de « navigation professionnelle », dont le tableau suivant présente les principaux éléments :

Une « destination » à atteindre Des « cibles de professionnalisation » Une « carte » pour naviguer et tracer des itinéraires Une carte des « opportunités de

professionnalisation » Un plan de route Des projets concertés de parcours de

professionnalisation Des « escales possibles » Des « situations de formation » et des « situations

de travail professionnalisantes » Des instruments pour « faire le point » Des « bilans concertés de positionnement »

Un livre de bord Des récits et des carnets de professionnalisation Une liaison radio et des contrôleurs au sol Un dispositif d’accompagnement Des conditions et des règles de navigation Des conditions favorables et des règles de

professionnalisation L’idée sous-jacente est de rendre possible et gérer des parcours de professionnalisation

comme on rend possible et on gère des parcours de navigation. Cela suppose des cibles de professionnalisation qui constituent des destinations à atteindre, des bilans de compétences initiaux et périodiques pour faire le point, des objectifs qui ponctuent les escales, des projets qui soient des plans de route négociés, une identification des opportunités de professionnalisation (mises en situation professionnelle, parcours professionnels, formation….) qui donnent lieu à une cartographie représentant un espace à parcourir, des récits de professionnalisation qui permettent d’enrichir les atlas d’opportunités, des règles de fonctionnement qui soient des règles de navigation. L’individu et le management auront des rôles respectifs, réciproquement indispensables. Il y aura copilotage, tout comme entre le commandant de bord et le contrôle aérien. Les projets d’apprentissage par navigation professionnelle seront des projets concertés.

30 G.Le Boterf, op.cité

Page 30: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

31

En outre, à partir d’un positionnement initial, des projets concertés et individualisés de

professionnalisation pourront être élaborés et pilotés. Ils passeront par des points de passage obligés mais aussi par des points de passage à options qui prendront en compte les caractéristiques particulières de chaque apprenant.

Bien que Le Boterf s’inscrive dans une approche managériale paraissant peu adaptée en milieu d’éducation spécialisée, notre démarche consiste à repérer quelques éléments du dispositif proposé par cet auteur de manière à le confronter au dispositif de formation de l’IME. D’ores et déjà, cette notion de « cibles de professionnalisation » est intéressante car elle indique un objectif à atteindre, elle pointe la direction vers laquelle chaque personne doit construire de façon singulière ses propres compétences.

Une des caractéristiques liées à cette ingénierie des parcours de professionnalisation est qu’elle doit veiller à réunir les conditions nécessaires à une bonne coopération entre les acteurs. Les dispositifs inducteurs de parcours de professionnalisation ne peuvent fonctionner efficacement que si les divers acteurs qui y interviennent (formateurs, managers, tuteurs, etc) coopèrent entre eux. Ce lien est sans cesse menacé de se relâcher. La coopération est toujours prête à disparaître au profit d’un retour vers un système d’acteurs se limitant à additionner leurs rôles et leurs contributions. Des fonctions de coordination et des outils de traçabilité doivent être mis en place pour qu’un véritable travail d’articulation puisse exister entre les acteurs. Dans un dispositif de professionnalisation par alternance, les apprenants ont à réaliser des parcours qui constituent des « trajectoires » individualisées d’apprentissage. Une telle alternance les fait passer entre plusieurs acteurs. Il ne suffit pas alors que chacun d’entre ces derniers joue son rôle dans son domaine ou la spécialité qui le concerne, encore faut-il qu’il coopère avec les autres pour que les apprentissages se construisent de façon cohérente et prennent du sens.

Il s’agira pour ce qui nous concerne d’interroger le dispositif de formation à l’IME sur sa capacité à articuler les différentes compétences professionnelles entre les acteurs (éducateurs techniques, les enseignants et les tuteurs), dans le cadre d’une politique de formation efficace.

Enfin, l’ingénierie des parcours de professionnalisation est une ingénierie induisant une nouvelle conception du plan de formation. Cette dernière devrait porter en particulier sur :

� la confection de l’architecture d’une offre modulaire de formation se caractérisant par la

souplesse de son utilisation � l’identification des modules devant constituer des points de passage obligés pour les

diverses catégories de personnel � la réunion des conditions à réunir pour assurer la qualité de l’offre de formation.

Page 31: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

32

b) L’ingénierie d’une organisation professionnalisante Cette ingénierie est née du constat selon lequel il ne suffit pas, pour que les personnes

agissent avec compétence, qu’elles sachent agir, mais également qu’elles puissent agir et veuillent agir. Il est donc progressivement apparu comme nécessaire de créer un milieu ou un environnement favorable à l’émergence des actions compétentes. En effet, c’est en créant une « écologie » favorable qu’on maximisera les chances que les sujets agissent avec compétence et qu’on minimisera les risques qu’ils ne le fassent pas. Il importera donc de veiller à la cohérence à établir entre les divers éléments constitutifs d’un contexte (organisation du travail, règles de mobilité, formation, management, rémunération….).

Une telle approche avait été anticipée par Viallet31, un des pionniers dans le domaine de l’ingénierie de la formation, dans son ouvrage consacré à ce thème en 1987. Après avoir distingué l’ingénierie concernant la conception d’un dispositif de formation professionnelle initiale, l’ingénierie d’un dispositif de formation continue, et l’ingénierie visant à réhabiliter une pratique de formation en proie à des dysfonctionnements, il ouvrait la voie à de nouvelles pratiques d’ingénierie « consistant à faire du milieu de travail un milieu éducatif ».

L’action compétente sera considérée comme la résultante d’un savoir agir, d’un vouloir agir et d’un pouvoir agir, comme l’illustre le schéma suivant :

SAVOIR AGIR VOULOIR AGIR POUVOIR AGIR Nous allons reprendre en détail les caractéristiques de chaque dimension.

31 F.Viallet, cité par Le Boterf, op.cité

Page 32: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

33

� le savoir agir peut être développé par : - la formation, qui enrichira l’équipement en savoirs et savoir-faire

- l’entraînement, qui consolidera la faculté de mobiliser, de combiner et de transposer

- la mise en place et le fonctionnement de boucles d’apprentissage, qui développeront la capacité à prendre du recul et de mieux connaitre ses propres ressources (méta-connaissances, méta-cognition) et façons d’agir (analyse des pratiques)

- la construction de représentations opératoires, qui orienteront la sélection et la combinaison des ressources à mobiliser (connaissances, savoir-faire, capacités cognitives, ressources émotionnelles, ressources physiques….) pour agir avec compétence

- le passage par des situations professionnalisantes et les parcours professionnels qui permettront d’acquérir des savoirs et savoir-faire et d’apprendre à gérer des situations de travail. � le vouloir agir sera encouragé par : - une image de soi lucide et positive, qui incitera le sujet à mobiliser et enrichir son équipement en ressources, et à s’engager à agir - un contexte de reconnaissance et de confiance, qui facilitera la prise de risque et l’engagement - un contexte incitatif, qui valorisera les progrès en développement du professionnalisme � le pouvoir agir sera rendu possible par : - une organisation du travail ouvrant des champs de développement de compétences et cohérente par rapport aux types de compétences à mettre en œuvre (une organisation taylorienne n’autorisera que la mise en oeuvre de compétences réduites à des savoir-faire morcelés) - un contexte facilitateur, qui fournira les moyens appropriés à la mise en œuvre de compétences (équipement, information, management, etc) - des attributions ou des missions, qui reconnaîtront la marge de liberté et d’initiative nécessaire à la création de compétence - des réseaux (relationnels, d’information, documentaires, etc), qui élargiront l’équipement en ressources (connaissances, savoir-faire, capacités, etc) auquel le sujet peut faire appel pour agir avec compétence.

Page 33: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

34

Nous souhaitons clarifier ici ce qu’on entend par organisation taylorienne du travail. Le

Boterf32 nous en donne quelques caractéristiques. Il s’agit de situations professionnelles à prescription stricte et dans ce cas la compétence se

définit en termes de « savoir-faire ». Elle se réduit en effet à exécuter une opération ou un ensemble d’opérations, à appliquer des instructions, à respecter étroitement les consignes. Le savoir-faire peut être considéré comme le degré élémentaire de la compétence. Cette organisation correspond également aux situations où la prescription devient stricte pour des raisons de sécurité.

Cette organisation du travail à prescription stricte s’oppose à un pôle marqué par une

prescription ouverte dans laquelle la compétence tend à se définir en termes de savoir agir et réagir, ce qui semble faire défaut à notre population, nous l’avons vu précédemment.

Dans ces circonstances, être compétent, c’est « savoir quoi faire » et « quand ». Face aux imprévus et aux aléas, face à la complexité des systèmes et des logiques d’action, le professionnel devra savoir prendre des initiatives et des décisions, négocier et arbitrer, faire des choix, prendre des risques, réagir à des pannes, innover au quotidien et prendre des responsabilités. Pour être reconnu comme compétent, il ne suffit plus d’être capable d’exécuter le prescrit, mais d’aller au-delà du prescrit.

Nous avons synthétiser les différents aspects des deux approches précédentes dans le tableau

suivant :

PRESCRIPTION STRICTE : ORGANISATION TAYLORIENNE

PRESCRIPTION OUVERTE : « METIER COMPLET »

Exécution

Exigence unidimensionnelle (technique) Répétition Simplicité

� Savoir-faire : exécuter une opération prescrite

Initiative

Exigences pluridimensionnelles (techniques, économiques, qualité, relationnelles…)

Innovation Complexité

� Savoir-agir et interagir : gérer des situations complexes et événementielles, prendre des

initiatives, faire face à des évènements, coopérer

32 G.Le Boterf, Construire les compétences individuelles et collectives, Editions d’Organisation, Paris, 2001

Page 34: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

35

c) De l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante L’ingénierie séquentielle va de pair avec l’ingénierie « classique » de la formation. Elle

consiste en effet à suivre de façon linéaire un ensemble d’étapes successives pour produire un ouvrage ou un dispositif. Dans cette démarche, les diverses étapes sont balisées et planifiées : cahier des charges de la demande, cahier des charges de la formation, dossier pédagogique, scénarios de séances de formation…. Des rôles stables et successifs sont attribués au maître d’ouvrage, au maître d’œuvre et aux opérateurs ou prestataires. Comme dans une course de relais, chaque acteur passe le témoin à l’acteur qui doit prendre la suite dans la chaîne de confection d’un dispositif.

Pour être pertinente et efficace, une telle ingénierie suppose un contexte relativement stable : croissance régulière et assurée de l’économie (ce qui était le cas lors de la période dite des « Trentes Glorieuses »), une relation quasi mécanique entre la formation et l’emploi (cela correspondait aux thèses de Fourastié dans les années 60), la possibilité d’un certain « contrôle » par le maître d’œuvre sur les acteurs de la formation qui partagent une même logique de formation (ce qui existe dans les dispositifs de formation par alternance). L’ingénierie séquentielle fonctionne bien dans un milieu stable. Nous verrons dans la dernière partie de ce travail que même le milieu dit « protégé » est soumis à des contraintes de productivité, dont la loi 2005 réaffirme la logique.

Cette ingénierie suppose également une claire distinction entre les acteurs, notamment en ce qui concerne le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Le premier est censé définir avec précision le problème à traiter. Il est supposé savoir exactement ce qu’il veut et fournir toutes les informations nécessaires au maître d’œuvre. A ce dernier revient la recherche d’une solution sur la base d’un énoncé de problème délimité une fois pour toutes. Les rôles sont clairs et ne souffrent pas d’ambiguïté : l’un demande et l’autre fournit la réponse. L’un se situe en amont, l’autre se positionne en aval. La chronologie de leurs interventions respectives est nécessairement séquentielle : le maître d’œuvre prend le relais du maître d’ouvrage. Les prestataires n’interviendront qu’au terme du processus.

Le début des années 1990 a vu émerger une nouvelle approche de l’ingénierie orientée sur

la recherche d’une meilleure compétitivité des processus de conception. Le concept d’ingénierie concourante ou d’ingénierie simultanée tente d’en rendre compte. Cette approche consiste à ne plus raisonner en termes de déroulement séquentiel d’un projet. Ce qui est recherché, c’est la contribution simultanée et interactive des acteurs et des métiers qui « concourent » à la réalisation du processus de conception. L’interaction continue doit permettre de réduire les coûts et de traiter à temps les conflits en intégrant les contraintes et critères spécifiques aux divers métiers. C’est en trouvant progressivement des solutions, en les capitalisant et en les diffusant que l’entreprise et les métiers qui concourent à l’ingénierie simultanée développent un processus « d’apprentissage organisationnel ».

Christophe Midler (1997), un des meilleurs spécialistes et observateurs de cette évolution, explique l’émergence de cette nouvelle démarche d’ingénierie par les raisons suivantes :

� la nécessité croissante de fonctionnement en réseau, confortée par les technologies

informatiques, permet de mettre en relation directe, transversale, des offres et demandes de compétences � le maître d’ouvrage n’a pas nécessairement raison au départ et il ne sait pas toujours avec

précision ce qu’il souhaite

Page 35: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

36

� l’incertitude et l’innovation permanente, caractéristiques des processus de conception ne

permettent plus de s’en remettre aux dispositions contractuelles définies au préalable � la distinction entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre est remise en cause. Il devient

de plus en plus difficile de séparer le processus de formulation du problème et celui de sa résolution. Ces fonctions évoluent dans le temps

� les expertises ne préexistent pas totalement au départ d’un projet : elles se constituent et se

développent au cours de l’avancée du projet �le chef de projet ne s’inscrit plus dans une coupure stricte entre le maître d’ouvrage et le

maître d’œuvre : il est à la fois responsable de la construction des objectifs et de la bonne réalisation du projet.

Ainsi, les contextes qui étaient favorables à une ingénierie séquentielle en formation tendent à

se faire rares : l’introuvable relation emploi-formation a remis en cause une certaine conception de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences où avaient été confondues anticipation et prédiction ; l’environnement des organisations devient de plus en plus incertain.

De manière à synthétiser notre propos, nous avons choisi de présenter les éléments caractéristiques d’une ingénierie concourante dans le tableau suivant :

Les principales caractéristiques d’une ingénierie concourante � Une avancée non plus séquentielle mais par compromis successifs entre les acteurs et les métiers � Un rôle essentiel dévolu au chef de projet � Une capitalisation progressive de l’expérience du projet, « chemin faisant » � Une prédominance du concept de pilotage sur celui de contrôle � Une remise en cause de la distinction traditionnelle entre maître d’ouvrage et maître d’oeuvre : ces fonctions évoluent dans le temps

Pour élaborer et conduire ce projet complexe de professionnalisation, il apparaît nécessaire de

mettre en place une fonction de management de la professionnalisation consistant à piloter le dispositif d’ensemble de développement des compétences.

Page 36: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

37

2) Le management du dispositif de professionnalisation Ce management va se structurer en différentes étapes33 : � Assurer la formalisation et l’actualisation des référentiels de compétences : c’est une

mission d’observatoire et d’animation. Elle peut donner lieu à des modalités d’application distinctes selon le contexte des organisations. Cependant, il faut tenir compte de certains invariants, tels que :

- traiter ces référentiels avec une démarche d’anticipation - rechercher et expliciter ce qui fait la cohérence du professionnalisme - animer, conseiller et accompagner les démarches locales de construction de référentiels - veiller à la mise en place et au fonctionnement de procédures d’actualisation - prendre en compte les projets, les métiers de l’organisation et les exigences d’évolution � Promouvoir la réunion des conditions favorables aux effets de professionnalisation des

situations, et enrichir la carte des opportunités : il s’agit d’un travail de consultation interne et de mémorisation. Comme nous l’avons vu précédemment, les situations de travail ne sont pas automatiquement des opportunités de professionnalisation : elles doivent faire l’objet d’un certain traitement.

� Elaborer et proposer une offre de formation apportant une contribution spécifique aux

processus de professionnalisation : le plan de formation constitue un élément essentiel du dispositif de formation professionnelle. L’élaboration, la réalisation et l’évaluation des actions de formation supposent une concertation d’acteurs. Les prestataires de formation sont progressivement intégrés au dispositif dans le cadre d’une ingénierie concourante (« chemin faisant »). Il nous semble que le plan de formation doit s’articuler autour des fonctions suivantes :

- mettre à disposition une offre modulaire d’actions ou de situations de formation - développer les ressources qui sont nécessaires pour agir avec compétence - contribuer au développement du professionnalisme des individus, à la fois en les aidant et en

les entraînant à construire des combinatoires pertinentes de ressources pour gérer des situations professionnelles

- accroître la capacité à transposer les acquis dans des situations professionnelles nouvelles

33 G.Le Boterf, Développer la compétence des professionnels. Construire les parcours de professionnalisation, Editions Liaisons, 2002

Page 37: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

38

� Mettre en place un dispositif et des règles de reconnaissance et de validation des acquis de

formation et des acquis professionnels : c’est une des missions les plus délicates de la fonction management. Si la pertinence d’une telle validation est reconnue, les modalités pratiques sont loin d’être mises au point et d’avoir atteint un niveau suffisant de crédibilité et d’acceptation sociale. Un travail de consultation interne sera important pour aider à nommer, à formaliser les compétences et les savoirs.

� Assurer la coopération entre les acteurs intervenant dans le dispositif de

professionnalisation : l’efficacité d’un dispositif de professionnalisation alternant des situations de formation et des situations professionnelles ne dépendent pas seulement des méthodes et outils utilisés. Il est essentiel que soit prévue une fonction attachée à relancer la coopération, à faire fonctionner les outils de liaison, à veiller à la circulation des flux d’informations entre les acteurs, à la qualité de leurs interfaces.

Nous pouvons synthétiser les conditions d’efficience du dispositif dans le tableau suivant :

PRINCIPALES CONDITIONS DU DISPOSITIF A METTRE SOUS CONTROLE L’élaboration des cibles de professionnalisation

L’élaboration, le contenu et la conduite des projets de parcours Les dispositifs de reconnaissance et de validation des acquis

La carte des opportunités La réunion des conditions favorables aux projets de professionnalisation

La qualité du plan et de l’offre de formation

Nous venons de voir dans le cadre de cette troisième partie, les conditions dans lesquelles une

écologie favorable à un développement de compétences pouvait être mise en œuvre. Cette écologie dépend donc de trois pôles, dont un que nous avons peu développé jusqu’ici : le pouvoir agir, et partant l’organisation du travail. Dans l’organisation de type IME, la formation ne peut être efficace que si elle est articulée à l’organisation du travail. Ce sera l’objet de la dernière partie de notre champ théorique : nous traiterons donc de l’articulation entre l’organisation du travail et le développement des compétences, articulation qui intéresse précisément le concept « d’organisation qualifiante ».

Page 38: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

39

IV – COMPETENCE ET ORGANISATION QUALIFIANTE

Il va s’agir ici de traiter du lien entre l’organisation du travail et le développement de

compétences. L’organisation qualifiante vise le développement de compétences en agissant sur l’organisation. Ce concept constitue la figure emblématique de la relation organisation du travail et développement des compétences en avançant l’idée que le travail peut être tout à la fois productif et formateur. Minvielle (1992) en donne la définition suivante : « L’organisation est dite qualifiante dès lors que l’organisation des postes et des situations de travail permet une maîtrise progressive des gestes professionnels par les opérateurs ».

L’organisation qualifiante se distingue de l’organisation apprenante. La première est française alors que la seconde est anglaise. Elles sont en fait très différentes car dans l’organisation apprenante, l’organisation s’appuie sur les apprentissages de ses membres pour apprendre : c’est l’organisation qui apprend et se transforme ou qui modifie ses comportements en fonction des apprentissages qui ont lieu. Elle se caractérise par sa capacité à intervenir sur elle-même, à modifier ses logiques d’organisation et d’action. Avec l’organisation qualifiante, c’est l’organisation qui s’organise pour que ses membres apprennent : l’acte de production se confond avec l’acte de formation. Nous reconnaissons que la frontière est relativement étanche pour distinguer ces deux concepts.

Notre but n’est pas tant de rechercher la nature précise de la distinction de ces approches que de réfléchir et de repérer les facteurs organisationnels participant au développement des compétences.

1) Quelques caractéristiques liées à l’organisation qualifiante Zarifian34 donne deux visions complémentaires de cet apprentissage par l’organisation du

travail : � la première met l’accent sur l’acquisition de routines et d’habitudes de travail, qui feront

qu’un individu maîtrisera mieux les situations qu’il a à gérer. Cette acquisition n’est pas passive au départ ; il ne suffit pas d’occuper un emploi ou d’imiter des gens plus expérimentés. L’acquisition de routines suppose un processus relativement intense de rectifications d’erreurs, un certain retour réflexif sur ses propres manières de travailler, de sorte qu’il acquiert les habitudes que le milieu professionnel considère comme les plus adaptées.

Cette vision de l’apprentissage suppose une condition majeure : une assez grande stabilité et prévisibilité des situations professionnelles qui assure une pertinence durable aux habitudes ainsi acquises. Or manifestement, cette condition est de moins en moins remplie, les situations et les métiers évoluant à vitesse accélérée dans un marché de l’emploi dont l’endémique instabilité ne fait que s’accentuer.

� la seconde met l’accent, à l’inverse, sur l’instabilité et la capacité d’évolution des

situations qui deviennent perçues comme source et occasions d’apprentissages. Ce ne sont pas des habitudes dont il s’agit d’apprendre ici mais une adaptabilité réussie à des situations changeantes.

34 P.Zarifian, Objectif compétence, Editions liaisons, 2001

Page 39: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

40

Zarifian insiste bien sur le fait de ne pas opposer ces deux modalités d’apprentissage, mais

bien de saisir leur complémentarité dans la mesure où toute situation professionnelle comportera toujours une part de permanence et une part de changement. Une des différences majeures dans le fonctionnement organisationnel est que la première modalité peut reposer sur une large part d’implicite, tenant aux habitudes que la simple répétitivité et accoutumance à la situation professionnelle génèrent, comme au flux d’informations qui spontanément l’irriguent. C’est le sens que l’on peut donner à l’ « apprentissage sur le tas » : on apprend en se frottant aux situations. La seconde modalité, au contraire, est exigeante : elle suppose des démarches spécifiques permanentes, si l’on veut éviter que l’instabilité des situations, loin d’avoir des effets qualifiants, ne fasse perdre à la personne ses acquis et ses repères professionnels.

Dans tous les cas, s’il faut reconnaître une opportunité évolutive dans la présentation de ces deux modalités d’apprentissage, le contexte qui nous intéresse nous invite à réfléchir à la mise en œuvre organisationnelle et pédagogique de ces modalités à l’IME. C’est davantage le cadre conceptuel qui nous intéresse dans le sens de rendre le travail formateur, si important pour notre population.

L’auteur insiste davantage sur la deuxième modalité compte tenu du caractère instable du

marché du travail aujourd’hui. A partir de là, il décline trois formes d’apprentissages inhérentes à cette seconde modalité :

� une première forme d’apprentissage consiste à exploiter systématiquement les évènements

relativement imprévus qui peuvent survenir dans une situation de travail, de manière à comprendre les causes et implications de ces évènements, et donc à apprendre des choses nouvelles. On sait grâce à des travaux de psychologie cognitive, que les personnes mobilisent, pour agir efficacement, des schèmes d’action35. On désigne par schème l’organisation invariante de la conduite de l’individu face à une classe de situations. L’analyse de l’activité montre qu’un schème est composé de buts et d’anticipations, d’une orientation de l’action, de règles génératrices de la conduite que l’individu va adopter (action, prise d’information, contrôle) ainsi que de possibilités d’inférences (par exemple sur les conséquences de l’action engagée). Ce sont ces possibilités d’inférence qui permettent de sélectionner, en situation professionnelle, les buts les plus opportuns, les règles les mieux adaptées et de générer ainsi les actions nécessaires.

� une seconde forme consiste à explorer un éventail de choix de solutions possibles pour

répondre à une catégories de problèmes. Avoir à explorer et à faire des choix est un puissant moyen d’apprentissage, nous l’avons vu précédemment. Il s’agit de laisser les options ouvertes le plus longtemps possible, et laisser la latitude de les essayer. Selon l’auteur, la pratique montre que le temps supplémentaire que les individus peuvent y consacrer – dans des limites qu’il faut savoir apprécier, mais qui sont toujours bornées par des contraintes de délai – est largement compensé par le gain en expérience professionnelle qui en seront retirés et qui pourront être réinvestis.

� une troisième forme consiste à appréhender avec succès une diversité de situations

professionnelles, chacune comportant des éléments partiellement nouveaux. Il est effectivement prouvé que plus une personne apprend à affronter, avec succès, une diversité de situations, plus ses capacités d’apprentissage elles-mêmes se développent : elle « apprend à apprendre » ce qui s’apparente à une approche métacognitive, que nous avons traitée précédemment.

35 G.Vergnaud, in Le savoir-être dans l’entreprise, S.Bellier, Editions Vuibert, 1998

Page 40: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

41

La caractéristique commune à ces trois formes est qu’ « elles exploitent les propriétés

d’instabilité et d’évolutivité des situations professionnelles36 », mais à condition que soient garantis des cadres rigoureux et systématiques d’apprentissage et de capitalisation des acquis cognitifs. Elles reconnaissent que l’apprentissage professionnel est une composante essentielle du fonctionnement organisationnel, qu’il est particulièrement de la responsabilité de l’organisation et de son encadrement de favoriser cette démarche compétences.

Dans cette perspective, le cadre organisationnel se doit d’intégrer les difficultés de la population qui nous concerne et partant, de réfléchir à l’adaptation pédagogique et à la mise en oeuvre de ces configurations d’apprentissage. Nous évoquons ici les conditions dans lesquelles les jeunes de l’IME sont en mesure de traiter les différentes formes d’apprentissage proposées ci-dessus. Il s’agit de mettre en œuvre, à partir de cette configuration de situations professionnelles, une pédagogie de la médiation c'est-à-dire, comme nous l’avons étudiés précédemment, d’aménager les tâches proposées de manière à ce qu’elles soient compatibles avec les possibilités des apprenants.

Dans le cadre d’un travail de thèse37, Oudet a identifié six types de situations qualifiantes : � les situations collaboratives/coopératives : ce sont des moments de construction de liens

entre agents en vue de réaliser une œuvre commune (c’est par exemple le travail en binôme, les groupes de projets, etc)

� les situations intercompréhensives : moments d’intégration de l’activité des autres dans sa

propre pratique (polyvalence, tutorat, etc) � les situations communicationnelles/informationnelles : moments de diffusion

d’information, d’échanges, de discussion (réunions, élaboration de tableaux de bord, etc) � les situations de bilan : ce sont des moments privilégiés d’arrêt et de reconsidération de la

manière de travailler (groupe de travail, management des situations, etc) � les situations événementielles : ce sont des moments problématiques signifiants ayant été

l’occasion d’apprentissages nouveaux (changement d’organisation, de procédures) � les situations formatrices : ce sont des moments de formalisation et de transmission du

savoir-faire à d’autres (tutorat, accueil nouveaux arrivants, co-tutorat). En outre, Oudet a repéré certaines caractéristiques des modes de situation d’apprentissage

dans le cadre d’une organisation qualifiante, résumées dans le tableau suivant :

Conditions d’apprentissages dans le cadre d’une organisation qualifiante on apprend quand on réfléchit le travail on apprend quand on est avec les autres

on apprend quand on a « envie » d’apprendre

36 P.Zarifian, Op.cité 37 S.Oudet, Organisation du travail et développement des compétences : le cas des organisations qualifiantes, Transmission des savoirs professionnels en entreprise, in Centre d’Etude de l’Emploi, www.cee-recherche.fr, 2005

Page 41: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

42

Les résultats de l’enquête de Oudet38 amène cette auteure à interpeller notre attention de

manière à prendre quelque peu de distance par rapport au concept d’organisation qualifiante. En effet, ses résultats montrent que les personnes interrogées lors de son étude ont le sentiment que c’est souvent dans « les interstices de l’organisation » qu’ils apprennent ou développent des compétences, que leurs apprentissages ont lieu surtout par mimétisme et autoformation. Ces « espaces interstitiels » favorisant l’acquisition de compétences, c’est souvent dans l’organisation informelle qu’ils existent, c’est souvent par hasard que cela arrive ou bien ce sont des effets secondaires selon l’auteure. Cette prise de distance par rapport au concept d’organisation qualifiante permet à Oudet de formuler l’hypothèse selon laquelle l’organisation qualifiante relève davantage d’un parti pris idéologique que de données empiriques. Elle opère ainsi un changement de paradigme qui repose sur le passage d’une logique de formation à une logique de professionnalisation. La logique de formation est une logique d’adaptation, elle cible des compétences, des choses que l’on fige. La logique de professionnalisation cible un mouvement, une dynamique , une posture, un état d’esprit avance l’auteure. Ce changement de paradigme nous parait en phase avec les éléments que nous avons développés précédemment sur l’ingénierie des compétences, et nous permet d’aborder la dernière partie de ce chapitre.

Sachant que le savoir ne se transmet pas mais se construit par l’apprenant lui-même, il faut que ce dernier soit en mesure de comprendre comment il a fait et c’est bien ce paramètre là qui semble faire défaut chez notre population. Nous avons choisi de présenter ici la typologie de transmission des savoirs telle que Wittorski39 l’a développée. Elle porte sur les processus de professionnalisation et sur le rapport réflexion/action dans la production de compétences. Elle s’intéresse donc à l’articulation de l’organisation du travail et du développement de compétences au même titre que le concept d’organisation qualifiante, et c’est pour cette raison que nous l’avons intégré ici. Cet auteur propose un modèle de développement de compétences qu’il appelle « développement de la professionnalisation », selon le degré et la place de la réflexion par rapport à l’action.

Cette grille nous permet un repérage de ce qui peut être mis en œuvre, dans le cadre d’un dispositif de professionnalisation, pour accompagner de manière individuelle et collective des apprenants dans le développement de leur professionnalité.

38 S.Oudet, op.cité 39 R.Wittorski, « La place du tutorat et de l’accompagnement dans les voies de professionnalisation », colloque du 23 et 24 novembre 2006, R.Wittorski, www.irtsaquitaine.fr

Page 42: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

43

2) Grille d’analyse des voies de la professionnalisation selon Wittorski Wittorski décline six voies de professionnalisation que nous avons choisies de résumer ici. � La première voie de professionnalisation correspond au modèle de la formation sur le tas :

les situations professionnelles nouvelles exigent de l’individu la production – par tâtonnement et essais-erreurs - de compétences dans l’action : il s’agit d’ « une logique de l’action »

� la deuxième voie de professionnalisation renvoie au schéma de la formation alternée : il y a

itération entre la transmission de savoirs théoriques, et la production de compétences en stage : il s’agit d’une « logique de la réflexion et de l’action »

� la troisième voie de professionnalisation correspond aux situations où « l’analyse des

pratiques » est mise en œuvre dans l’organisation ou en centre de formation. Elle consiste à formaliser les compétences implicites produites dans l’action (voie 1) et ainsi à les transformer en savoirs d’action (les compétences sont mises en mots et transformées en savoirs communicables validés par le groupe, ils deviennent ainsi transmissibles à d’autres), il s’agit d’une « logique de réflexion sur l’action »

� la quatrième voie de professionnalisation se caractérise par des moments de prise de recul

individuel et collectif à propos des situations vécues, mais dans la perspective de définir par anticipation une nouvelle façon de faire de manière à être plus efficace. Il s’agit d’une « logique de la réflexion pour l’action »

� la cinquième voie de professionnalisation correspond aux situations de travail (par

exemple) où un tiers (tuteur ou consultant) accompagne des salariés dans la réalisation d’une activité. Ce tiers assure une fonction de transmission de savoirs ou de connaissances mais aussi une fonction de mise à distance de l’action, de modification des façons de voir et de penser l’action et la situation. Il s’agit d’une « logique de la traduction culturelle par rapport à l’action »

� la sixième voie de professionnalisation se caractérise par certaines situations

d’autoformation, lorsque les individus utilisent par exemple des ressources documentaires écrites ou visuelles pour acquérir des savoirs ou des connaissances. Il s’agit d’une logique de l’intégration-assimilation.

Au travers des différentes approches théoriques précédentes, nous avons tenté de montrer le lien existant entre un environnement propice au développement des compétences (ingénierie des compétences) et la perspective d’une évolution du rapport au savoir des jeunes en situation de handicap. Cet environnement résulte, nous l’avons vu, de l’interaction de différents facteurs. La suite de notre travail va maintenant s’attacher à soumettre les hypothèses que nous avons avancées à la réalité du terrain, dans le cadre du travail d’enquête que nous avons réalisé auprès des jeunes de l’IME.

Page 43: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

44

MISE EN ŒUVRE D’UN DISPOSITIF EN IME

1) METHODOLOGIE DE RECHERCHE PREAMBULE : QUELQUES ELEMENTS RELATIFS AUX CONDITIONS GENERALES DE DEROULEMENT DES ENTRETIENS Les entretiens, au nombre de dix, se sont déroulés la semaine du 11 au 15 juin 2007. Ils ont été enregistrés au dictaphone et ont eu lieu dans une salle annexe à l’hébergement des jeunes, de sorte qu’un climat de tranquillité puisse être instauré pour favoriser les interactions. Tous les entretiens ont fait l’objet d’une retranscription intégrale et sont présentés dans les annexes (annexe n°1). Dans un respect d’anonymat, les deux premières lettres des prénoms ont été conservées, suivies du numéro de chaque entretien selon l’ordre croissant (à titre d’exemple, le premier entretien concerne RE n°1). En outre, nous sommes conscients que les difficultés d’élaboration rencontrées par ces jeunes « en situation de handicap » peuvent venir obturer le recueil de données. C’est pour cette raison qu’il a été parfois nécessaire de faire preuve d’adaptation, et ce à différents niveaux :

� au niveau de la reformulation de certaines questions, qui, manifestement, ont été mal comprises et nous ont amenés à modifier certaines formulations (nous y reviendrons plus loin) ;

� au niveau de la durée des entretiens (certains ont dû être écourtés de par un manque de

consistance dans les propos), durée variant entre 12 et 20 minutes. Quoiqu’il en soit, nous avons veillé à ce que le caractère un peu plus cadré de certains entretiens ne modifie pas la dynamique générale des entretiens semi-directifs, et partant, la récurrence des différents thèmes abordés avec les jeunes.

Page 44: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

45

JUSTIFICATION DE LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE

- Population concernée Les entretiens ont concerné 10 jeunes de l’IME, dont la répartition au sein des ateliers pré-professionnels de l’établissement se présente comme suit :

� 3 sont intégrés à l’atelier Maçonnerie (il s’agit de AR n°4, RA n°8 et FA n°9) � 4 sont intégrés à l’atelier Peinture (il s’agit de AN n°3, DI n°5, FL n°6 et GW n°10) � 3 sont en Contrat d’Apprentissage, l’IME assurant leur formation théorique en vue de

la préparation du CAP (il s’agit de RE n°1 et AU n°2 en Peinture, et JM n°7 en Maçonnerie).

Bien que les jeunes soient inscrits dans un atelier ayant trait à un domaine précis, certains ont choisi d’évoquer spontanément au cours des entretiens des actions professionnelles concernant d’autres domaines que la peinture et la maçonnerie (par exemple, la pose du placoplâtre, l’installation de tuyaux de plomberie), ce qui témoigne sans doute de la résonance que ces actions représentent pour les sujets concernés.

- Limites de notre démarche Le choix des deux domaines précités (maçonnerie et peinture) nous permet de garder un certain niveau de généralité à travers l’analyse des actions professionnelles de sorte que l’on puisse y puiser des éléments susceptibles d’étayer des perspectives d’ingénierie de formation. Néanmoins, ce choix constitue également les limites de notre travail dans la mesure où notre échantillon est constitué d’une population restreinte : en effet, l’effectif des ateliers à l’IME (environ une dizaine de jeunes par atelier) ne nous permet pas de fait d’interroger un nombre important de jeunes. Nous reconnaissons que l’utilisation d’un seul outil de production de données apporte beaucoup moins de consistance à notre travail que si nous avions pu confronter plusieurs outils méthodologiques dans une perspective convergente de données (questionnaires, entretiens, observation). La temporalité inhérente à la soutenance de ce mémoire nous a en quelque sorte contraints à choisir la première option. De plus, nous nous situons dans une zone géographique relativement isolée par rapport à laquelle les fonds de la formation sont relatifs à l’importance de la région. Certaines institutions n’en sont qu’au stade des balbutiements de l’ingénierie de formation. L’accès à la formation n’est pas toujours évident pour les jeunes de l’IME qui sont souvent dans l’obligation de quitter le département pour accéder à une formation (CAP maçonnerie par exemple). Il nous parait donc clair que cette recherche ne pourra atteindre un certain niveau de validité qu’à la condition qu’elle puisse s’intégrer au sein d’une véritable politique de formation impulsée par la direction de l’établissement, de telle sorte que les conclusions puissent faire l’objet d’une appropriation organisationnelle et apporter une valeur ajoutée par rapport à l’approche actuelle de la formation à l’IME. Enfin, le fait que notre étude s’adresse à un seul établissement limite le caractère généralisable de nos conclusions.

Page 45: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

46

Pourquoi avoir choisi une entrée qualitative ? La méthode d’analyse qualitative la plus classique à savoir l’analyse catégorielle de contenu, a été déterminée car nous pensons que cette entrée est adaptée à notre approche compréhensive, herméneutique. Nous avons donc constitué une grille d’évaluation dont l’unité de signification s’est composée de différents thèmes de manière à repérer des « noyaux de sens »40, dont la présence et la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose au vu de l’objectif analytique choisi. Dans le cadre de cette analyse thématique, nous avons cherché, tel que Blanchet41 nous y invite, une « cohérence thématique inter-entretiens ». Cette analyse thématique est donc, selon nous, cohérente avec la mise en œuvre de modèles explicatifs de pratiques ou de représentations, et non pas de l’action. Il s’agit d’étudier et de comparer les sens des discours pour mettre à jour les systèmes de représentations véhiculés par ces discours. Le choix de l’outil de production de données s’est focalisé sur les entretiens semi-directifs. Pour les avoir déjà pratiqués dans une précédente recherche (mémoire de maîtrise), ceux-ci me semblent relativement bien adaptés à la population car ils permettent de centrer quelque peu le thème, ce qui peut aider ce type de population particulièrement au regard des difficultés de conceptualisation. Ce genre d’entretien permet à mon sens une mise en confiance des interviewés à travers les relances nécessaires. De surcroît, ma fonction d’éducateur de vie sociale et son corollaire, les interactions quotidiennes avec les jeunes, m’a permis également d’obtenir d’eux une situation de mobilisation de par l’instauration d’un climat de confiance. Néanmoins, la dimension « situation de handicap » constitue peut-être un biais dans notre travail, à tel point que l’établissement d’un lien entre les difficultés cognitives et l’altération au niveau du recueil de données apparaisse comme faisant l’objet d’une évidence. Sur ce point, Blanchet42 n’apporte t-il pas un élément de réponse en indiquant que le biais fait partie intégrante de la validité de la méthode, et soulignant ainsi que « la reconnaissance d’un biais fondamental n’est pas la marque de l’invalidité de la méthode mais, au contraire, la condition nécessaire pour que cette méthode atteigne un statut scientifique. Une méthode étant précisément caractérisée par la maîtrise des distorsions auxquelles elle soumet les faits ». Nous situons les limites de notre entrée qualitative à partir de ce que dit Bardin43 au sujet des limites d’une telle approche. Cette approche pose en effet des problèmes au niveau de la pertinence des indices retenus puisqu’elle sélectionne ces indices sans traiter exhaustivement tout le contenu. Il y a des risques, nous dit Bardin, de laisser des éléments importants ou de prendre en compte des éléments non significatifs, la compréhension exacte du sens étant capitale dans ce cas. Ayant fait le choix de l’analyse thématique, notre travail s’est ensuite concentré sur la structuration d’un processus de catégorisation dont la démarche a consisté à mettre l’accent sur un aspect de la réalité du phénomène étudié. Ce processus de catégorisation s’est matérialisé par la construction d’une grille d’évaluation thématique (présentée ci-après) dont les catégories s’articulent à la fois autour du paradigme de l’ingénierie des compétences et se présentent à notre sens comme susceptibles de répondre aux hypothèses. Il s’agit de la présentation des thèmes et des sous-thèmes que nous allons analyser et interpréter au regard de notre cadre théorique et conceptuel.

40 L.Bardin, L’analyse de contenu, PUF, 2007 41 A.Blanchet et A.Gotman, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Nathan, 2001 42 ibidem 43 L.Bardin, op.cité

Page 46: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

47

Grille d’évaluation thématique : présentation des thèmes et sous-thèmes

1 - PARCOURS ANTERIEUR - STAGES EFFECTUES 2 - MOTIVATIONS 3 - REPRESENTATIONS DU STAGE 4 - APPRENTISSAGES DANS LE CADRE DU STAGE :

- SAVOIRS MIS EN ŒUVRE DANS L’ACTION

- GESTES PROFESSIONNELS (AU SENS D’UN CONTINUUM D ’ACTES

INTEGRES = LA COMPETENCE )

5 - REPRESENTATIONS DU TUTORAT

6 - PROCESSUS DE TRANSMISSION DES SAVOIRS DE LA PART DES TUTEURS

- ORGANISATION DU TRAVAIL

7 - OUTIL DE REFERENTIALISATION POUR POSITIONNER LES COMPETENCES ?

- PROCESSUS D’EVALUATION

Nous allons nous attacher maintenant à répondre à chacun des thèmes et sous-thèmes.

Page 47: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

48

2) ANALYSE DES DONNEES

1 - Parcours antérieur ���� 4 jeunes évoquent la transition entre deux I.M.E, c’est-à-dire le 1er établissement spécialisé

fréquenté et l’actuel (AU n° 2 ; AR n° 4 ; DI n° 5 ; FA n° 9). ���� 4 jeunes évoquent le changement d’orientation, en passant du collège à l’I.M.E actuel (AN

n° 3 ; FL n° 6 ; JM n° 7 ; GW n° 10). ���� RE n° 1 évoque quant à lui les classes de l’école élémentaire (CP, CE1) puis son

orientation dans un 1er établissement spécialisé (I.M.E) avant d’intégrer l’actuel. ���� RA n° 8 remonte à l’école maternelle (à 3 ans), évoque le passage d’une C.L.I.S (classe

d’intégration spécialisée) à un 1er I.M.E avant de rejoindre l’actuel. Nous observons d’emblée que ce qui caractérise le parcours antérieur de l’ensemble des

jeunes interrogés, c’est bien l’aspect chaotique de ce dernier. On note en effet un parcours scolaire jalonné de ruptures diverses, et très tôt orienté vers les classes spécialisées. Certains font référence uniquement aux établissements spécialisés (alors qu’ils ont dans la très grande majorité des cas fréquenté le primaire et le collège en classes adaptées), ce qui peut témoigner de la prégnance de cette orientation à leurs yeux, qu’ils semblent avoir intériorisé au point même de n’en retenir que ces éléments dans leur parcours antérieur. Il nous parait déjà intéressant de nous interroger sur les conséquences de ce parcours antérieur par rapport à l’accès à la formation.

Mais avant cela, pour situer plus clairement le profil des jeunes, nous avons choisi de synthétiser les données des deux catégories « stages effectués » et « motivations » dans un tableau présenté ci-après :

Page 48: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

49

TABLEAU SYNTHETIQUE

PARCOURS ANTERIEUR MOTIVATIONS

RE n° 1

� CP, CE1, 1er IME puis 2ème IME (l’actuel),

� en Contrat d’Apprentissage Peinture

� 4 stages effectués

CAP Peinture ou travailler dans le Bâtiment

AU n° 2

� 1er IME puis 2ème IME (l’actuel),

� en Contrat d’Apprentissage Peinture

� Une dizaine de stages effectués

CAP Peinture

AN n° 3 � 3ème SEGPA44 collège puis IME (l’actuel)

� 3 stages effectués Travailler dans la Peinture

AR n° 4 � 1er IME puis 2ème IME (l’actuel)

� 4 stages effectués

CAP de Plaquiste et travailler dans une entreprise

(A décroché un Contrat d’Apprentissage Plaquiste à partir de septembre 2007

DI n° 5 � 1er IME puis 2ème IME (l’actuel)

� 2 stages effectués CAP Peinture

FL n° 6 � SEGPA collège puis IME (l’actuel)

� Pas de stage mentionné CAP de plomberie à l’AFPA

JM n° 7

� SEGPA collège puis IME (l’actuel),

� en Contrat d’Apprentissage Maçonnerie

� 2 stages effectués

CAP Maçonnerie et travailler comme « ouvrier maçon »

RA n° 8

� Maternelle, CLIS primaire, 1er IME puis 2ème IME (l’actuel)

� Pas de stage mentionné

CAP Maçonnerie à l’AFPA et travailler en classe et en atelier

FA n° 9 � 1er IME puis 2ème IME (l’actuel)

� Pas de stage mentionné CAT (milieu protégé) Espaces Verts

GW n° 10 � 3ème SEGPA collège puis IME (l’actuel)

� 2 stages effectués

Travailler en Espaces Verts dans un CHS

(embauché dans un CHS en CAE à partir de septembre 2007)

44 Section d’Enseignement Général et Professionnel Adaptée

Page 49: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

50

La majorité des jeunes ont déjà effectué des stages avant leur rentrée à l’I.M.E, mais on

observe certaines dispersions entre eux sur le plan de la richesse de l’expérience professionnelle. En effet, certains jeunes ont effectué de nombreux stages (au nombre de 4 pour RE n° 1, AU n° 2, AR n° 4) alors que d’autres n’en ont effectué qu’un seul, voire 2 (il s’agit de DI n° 5, AN n° 3, JM n° 7, GW n° 10). Nous verrons par la suite s’il est possible d’établir un lien entre la richesse du parcours antérieur et le développement de compétences. Nous constatons que les motivations des jeunes sont en phase avec d’une part, leur niveau scolaire (obtention d’un C.A.P.) et s’inscrivent toutes dans les orientations proposées par l’I.M.E d’autre part, à l’exception de FL n° 6 (CAP de plomberie). En outre, les motivations exprimées par tous les jeunes s’inscrivent dans une temporalité correspondant à du court terme (2 ans au maximum pour un CAP) et ils semblent appréhender le CAP comme une finalité définitive. Ainsi, il semble que les jeunes ne conçoivent pas la formation (antérieure et actuelle) comme un levier pouvant leur permettre d’évoluer vers d’autres perspectives, dans le cadre d’un parcours. Au contraire, la formation envisagée est très centrée sur l’orientation actuelle, à l’I.M.E pour la grande majorité d’entre eux, et cette orientation parait constituer un véritable ancrage. Notons qu’uniquement un jeune envisage une formation que l’IME n’assure pas (FL n°6 : la plomberie). Cette observation est intéressante en ce qu’elle montre une logique d’ouverture sur des formations n’existant pas à l’IME ce qui pourrait laisser augurer d’une vision périphérique de l’accès à la formation dans toutes ses dimensions. Cependant, cette démarche concerne un jeune sur l’ensemble de nos interlocuteurs, ce qui nous invite à interroger le dispositif de formation actuel dans son efficacité d’ouverture aux différentes formations existantes. Il semble donc que nous nous écartions des conceptions de Le Boterf45 au sujet d’une véritable démarche individuelle de professionnalisation, qui consiste à expliquer que l’on ne professionnalise pas des personnes mais que seules celles-ci peuvent se professionnaliser à travers un investissement personnel et la mise en place de moyens pour développer une distanciation critique vis à vis des pratiques professionnelles.

Néanmoins, nous pouvons dès à présent en tirer quelques conséquences au plan de l’organisation de la formation. Nous pensons effectivement que l’organisation de la formation à l’I.M.E doit être en mesure de compenser le déséquilibre existant entre d’un côté les jeunes ayant engrangé une expérience professionnelle au travers des différents stages effectués et les autres, arrivant à l’I.M.E en en ayant effectué qu’un ou deux (DI n° 5 ; AN n° 3 ; JM n° 7 ; GW n° 10). Ces aspects « correctifs » au niveau de l’organisation de la formation feront l’objet de la partie « Préconisations » : cahier des charges de la formation à l’I.M.E, et nous ne souhaitons pas anticiper cette dernière ici. Ajoutons uniquement, dans ce même ordre d’idées, qu’on peut s’interroger sur le fait que seulement 2 jeunes sur 10 (DI n° 5 et AN n° 3) ont évoqué des stages effectués dans le cadre de leur formation actuelle à l’I.M.E (alors que tous les 10 en ont déjà effectué plusieurs depuis leur entrée à l’IME), ce qui peut peut-être signifier que le stage effectué dans le cadre de la formation actuelle (à l’opposé du stage effectué dans le cadre du parcours antérieur) n’aurait pas véritablement valeur à leurs yeux de tremplin, d’étape pour engranger de l’expérience, au sein de leur parcours (hypothèse explicative). Pour être véritablement nuancé, il faut dire que la question sur le parcours antérieur était posée de telle manière qu’ils répondent au regard du passé (« j’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’I.M.E »), et non de leur orientation actuelle, ce qui n’enlève en rien le fait que DI n° 5 et AN n° 3 aient évoqué des stages effectués dans le cadre de leur formation actuelle.

45 G.Le Boterf, L’ingénierie et l’évaluation des compétences, Editions d’organisation, 2002

Page 50: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

51

De telles données qualitatives alimentent notre réflexion autour de notre problématique, à savoir que l’environnement actuel ne parait pas favoriser une approche de la formation qui puisse faire évoluer le rapport au savoir. Cet environnement ne semble pas en mesure de traiter de manière efficace les difficultés liées au parcours antérieur chaotique des jeunes en ne leur permettant manifestement pas d’intégrer un processus de formation synonyme de véritable développement personnel.

3 - Représentations du stage ���� 5 jeunes conçoivent le stage comme la découverte du milieu professionnel et de son

fonctionnement :

• RE n° 1 : « ça m’a vraiment fait voir ce que c’était de travailler » • FA n° 9 : « ça sert à travailler »

• GW n° 10 : « ça sert à découvrir le métier », « et si on va à l’extérieur c’est pour voir

leur manière, comment ils travaillent »

• FL n° 6 : « et à voir comment c’est dans la vraie vie »

• JM n° 7 : « on apprend la vraie vie », « à observer les gens qui travaillent »

���� 2 jeunes conçoivent le stage comme l’apprentissage de tâches pratiques :

• DI n° 5 : « j’ai appris à peindre, à poser du papier » • RA n° 8 : « m’apprendre aussi, euh… à se servir des outils »

���� 2 jeunes conçoivent le stage comme une approche des relations professionnelles avec le supérieur hiérarchique :

• RE n° 1 : « ce que c’était de se faire engueuler par le patron si tu bosses pas » • RA n° 8 : « à connaître les patrons »

���� FA n° 9 ajoute également l’aspect rémunérateur que le stage peut procurer : « ça sert à gagner sa paie, à gagner son mois… »

���� 3 jeunes ne se sont pas prononcés sur le sujet : AU n° 2, AN n° 3 et AR n° 4.

Page 51: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

52

A ce stade de l’analyse, nous avons jugé nécessaire d’intégrer à nouveau le triangle de la

compétence, tel que le Boterf l’a présenté :

A l’aune des différents éléments du triangle ci-dessus, il semble que les conceptions relatives au stage s’articulent autour de la dimension du triangle « Vouloir Agir ».

En effet, les aspects « découverte du milieu professionnel et de son fonctionnement » et « approche des relations professionnelles avec le supérieur hiérarchique » sont liés à l’idée de mise en place d’un contexte de reconnaissance et de confiance qui facilitera la prise de risque et l’engagement, en somme un contexte incitatif inhérent à la dimension « Vouloir Agir » du triangle de Le Boterf .

L’aspect « rémunération que le stage peut procurer », évoqué également par les jeunes, renvoie sans doute au lien existant entre l’organisation du stage et sa rémunération, c’est-à-dire au pôle « Pouvoir Agir » du triangle. Quant à l’aspect « apprentissage de tâches pratiques » présent dans les conceptions des jeunes, nous serions tentés à première vue, d’intégrer cet élément au sein du pôle « Savoir Agir », ce qui précisons-le dans cette perspective viendrait infirmer notre hypothèse n° 1.

Cependant, ce n’est qu’un leurre car les apprentissages évoqués par les jeunes (« j’ai appris à peindre » : DI n° 5 ; « à poser du papier, apprendre euh… à se servir des outils » : RA n° 8), qui relèvent de la formation certes, n’en sont pas moins dépourvus d’une réelle « essence » métacognitive, c’est-à-dire d’une capacité à prendre du recul par rapport à sa propre action. C’est pour cette raison que nous sommes amenés à postuler que les apprentissages pratiques évoqués par les jeunes ne s’inscrivent pas au sein du « Savoir Agir », et la suite de l’analyse viendra corroborer cette idée.

SAVOIR AGIR •••• la formation ;

•••• l’entraînement : faculté de mobiliser, de combiner et de transposer ;

•••• prendre du recul et mieux connaître ses propres ressources : (méta-connaissances, méta-cognition) et façons d’agir (analyse des pratiques)

VOULOIR AGIR

• avoir du sens • image de soi lucide et

positive • contexte de reconnaissance

et de confiance • contexte incitatif

POUVOIR AGIR

• Organisation du travail (une organisation du travail taylorienne = mise en œuvre de compétences réduites, tâches répétitives)

• Moyen : contexte facilitateur • Réseaux de ressources (relationnels,

documentaires…) • conditions de travail

Page 52: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

53

4 - Apprentissages dans le cadre du stage

Nous avons choisi de synthétiser les données de cette catégorie dans le tableau suivant :

Apprentissages

évoqués RE n°1

AU n°2

AN n°3

AR n°4

DI n°5

FL n°6

JM n°7

RA n°8

FA n°9

GW n°10

Maçonnerie X X Peinture X X X Travaux

d’isolation X X X X

Carrosserie X X Couverture X Carrelage X

Revêtement de sol

X

Menuiserie X Plomberie-

chauffagerie X

Electricité X Conduite d’engins

X

Nous constatons, en observant les éléments ci-dessus, une certaine densité dans les apprentissages évoqués par les jeunes interrogés (maçonnerie, peinture, travaux d’isolation, carrosserie, etc) qui s’apparentent a priori à montrer que les stages sont porteurs d’apprentissages variés constituant un cadre favorable à la construction des compétences. Cette variété pourrait en l’occurrence laisser présager d’une mobilisation des jeunes sur la formation à la faveur de l’importance des apprentissages formulés, mais encore une fois, ce n’est qu’un leurre. En effet, à y regarder de plus près, et à l’exception de AR n° 4 concernant la carrosserie et AN n° 3 concernant le revêtement de sol, qui tous les 2 font référence à des savoirs, on se rend bien compte que les apprentissages exprimés sont très peu détaillés et ne relèvent pas encore une fois de la dimension métacognitive, au sens de réflexion sur l’action (la catégorie suivante « savoirs mis en œuvre dans l’action » nous éclairera précisément sur ce point). Deux jeunes (AN n° 3 et AR n° 4) font référence à ce qu’on serait susceptible de considérer comme des savoirs, le premier concernant le revêtement de sol (« après il y a des sortes pour clouer le parquet. Y’en a une à la française, une à l’anglaise. L’anglaise, c’est à l’intérieur du bois, la française c’est sur la languette. ») et le second concernant la carrosserie (« passer la voiture sur le marbre. »). Néanmoins, ne nous y trompons pas : il convient de constater que nous sommes très largement en présence d’apprentissages dont il est difficile d’assimiler à ce qu’on peut attendre d’un recul réflexif par rapport à l’action.

Page 53: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

54

SAVOIRS MIS EN ŒUVRE DANS L ’ACTION

Pour cette catégorie, nous avons repris les éléments exprimés par les jeunes dans la

catégorie précédente. Il nous semble que le lien entre les deux catégories « apprentissages dans le cadre du stage » et « savoirs mis en œuvre dans l’action » est évident dans la mesure où selon nous, les apprentissages font référence à des domaines sur un plan général (maçonnerie, peinture, carrosserie…), alors que les savoirs font davantage référence à la mise en œuvre de compétences en situation réelle, de manière beaucoup plus précise.

Ainsi, il paraît clair, au regard des formulations exprimées par l’ensemble des jeunes, que les savoirs mis en œuvre dans l’action relèvent de ce que Le Boterf46 appelle des « savoir-faire empiriques ». Les savoir-faire empiriques sont issus de l’action. Ils font souvent appel à une mobilisation des savoirs du corps et des sens (AU n° 2 : « poser le papier peint, euh, poncer, rechampir » ou AR n° 4 : « … à bien boucher les trous dans les bois quoi, à le mastiquer, à le poncer correctement, à passer les angles, à le vernir et puis c’est bon » ou encore GW n° 10 : « à monter du placo, à faire du placo et puis de l’isolation »).

Cette mobilisation corporelle inhérente à ces savoir-faire empiriques est bien réelle lorsque RA n° 8 évoque l’activité de ponçage en ajoutant : « euh le ponçage, des fois il fallait gratter beaucoup, beaucoup, ça me faisait des ampoules des fois alors j’arrêtais », ou bien AR n° 4 qui explique que « là je touche la matière ». Le primat du corps et des sens, au travers de l’exécution de l’action est flagrant dans l’explication de DI n° 4 : « il faut que tu décolles le papier, faut que tu colles, tu mets de la colle sur le papier, après tu plis en quatre, … t’en refais d’autres, tu colles le premier, après tu prends ta brosse jusqu’en bas, tu coupes en haut, après tu fais le deuxième et ainsi de suite… » ainsi que celle de FA n° 9 : « à l’œil, t’avais le laser et à l’œil fallait que tu vois si c’était au milieu ou pas ». De surcroît, GW n° 10 confirme le propos en indiquant la possibilité d’une embauche en tant que manœuvre, terme renvoyant à des conceptions corporelles : « si on travaille bien, ils peuvent nous embaucher comme manœuvre par exemple ».

Le Boterf précise un certain nombre d’aspects caractérisant ces savoir-faire empiriques. Ils sont inséparables du faire, validés par l’efficacité pragmatique et immédiate plutôt que par leur cohérence interne. Ce sont des savoirs résultant de la formation sur le tas ou de la relation de compagnonnage (le sujet apprend par l’interprétation lente et progressive du métier), et sont limités à des situations particulières et donc peu généralisables. Ces savoirs sont difficilement exprimables et formalisables, pris dans l’opacité de l’expérience. Encapsulés dans l’action ces savoir-faire empiriques servent sans que l’on sache comment. Bien évidemment, nous sommes conscients de l’importance de la dimension pratique dans l’apprentissage des jeunes. Dans une organisation de type I.M.E, l’apprentissage passe précisément par l’action, à travers les stages particulièrement, et c’est l’objet de notre réflexion ici. Cependant, ce qu’il est évident à constater, c’est l’absence quasi-totale (nous l’avons vu) de référence à des savoirs théoriques (ou exprimés de telle manière qu’ils dégagent une teneur métacognitive).

46 G. Le Boterf, Développer la compétence des professionnels. Construire les parcours de professionnalisation, op.cité

Page 54: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

55

Sur ce dernier point, l’utilisation du « ON » (le passage du JE au ON) dans les réponses exprimées par les jeunes témoigne précisément de cette difficulté à formaliser les termes de l’action, en corrélation avec le Savoir-Agir : par exemple AU n° 2 : « j’ai peint un plafond d’un HLM. Avec le patron on a amené un escabeau, on a poncé, on a enduit,… » ou bien AN n° 3 : « avec GW et PH, on en posait quelques uns contre le mur, on clouait devant et après on revenait jusqu’à l’autre mur », ou encore FA n° 9 : « ben on tournait la plaque, d’abord on mesurait la longueur qui nous fallait, puis on reportait sur la plaque, on traçait le morceau qui nous fallait, puis on coupait la plaque puis après on la montait sur les rails… ».

Ainsi, les savoirs exprimés, qui s’apparentent à des savoirs occultant « l’enchaînement d’opérations mentales »47 semblent s’orienter dans la direction de notre hypothèse n° 1.

47 G.Le Boterf, op.cité

Page 55: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

56

5 – Représentations du tutorat Nous avons choisi de présenter les données de cette catégorie dans le tableau suivant :

Représentations du tutorat

RE n°1

AU n°2

AN n°3

AR n°4

DI n°5

FL n°6

JM n°7

RA n°8

FA n°9

GW n°10

Rôle pédagogique du

tuteur

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Dimension socialisante

apportée par le tuteur

X

X

X

Importance du tuteur par

rapport à des choix futurs

X

X

X

X

Notons, en premier lieu, que tous les jeunes reconnaissent le rôle pédagogique dévolu au

tuteur : RE n°1 : « il prend le temps de t’expliquer », AR n°4 : « c’est là où je peux apprendre », DI n°5 : « ils nous apprennent plein de choses », etc. Trois jeunes reconnaissent un aspect de socialisation dont le tuteur peut être porteur : RE n°1 : « j’ai jamais eu de patron aussi gentil quoi, il est très gentil…. », AR n°4 : « Ben J-C et Ph, ça va, ben le courant il passe bien quoi…. », FA n°9 : « ah bien, ils étaient bien, ils rigolaient…., on rigolait avec ». Parmi les 10 jeunes reconnaissant le rôle pédagogique du tuteur, 4 jeunes précisent un aspect projectif dans leurs conceptions de ce dernier : AN n°3 : « ouais, c’est pour apprendre un métier », DI n°5 : « …pour avoir un travail plus tard », RA n°8 : « ….à savoir quel métier tu veux faire », GW n°10 : « ….à apprendre plus le métier qu’avant, si on travaille bien, ils peuvent nous embaucher comme manœuvre par exemple». Nous observons que tous les jeunes conçoivent le tutorat comme un processus de transmission pédagogique, et dans cette perspective, le tuteur peut-être déterminant dans leurs choix futurs d’orientation (RA n° 8 et GW n° 10). Il semble que l’approche tutorale des jeunes se situe à deux niveaux ici :

� un niveau « pédagogique » � un niveau « socialisation ».

Page 56: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

57

6 – Processus de transmission des savoirs de la part des tuteurs

���� 8 jeunes sur les 10 conçoivent une approche mimétique par rapport à l’action du tuteur :

• RE n° 1 : « il me fait voir et j’essaye de le faire » • AU n° 2 : « il me faisait voir et après il m’a dit d’essayer de faire la même chose quoi »

• AN n° 3 : « il me faisait montrer comment on mettait le parquet,… Et après je faisais

ce qu’il avait fait. »

• AR n° 4 : « …il me fait montrer pour la première fois et puis après je le refais. »

• DI n° 5 : « ils me faisaient voir tout doucement, et puis après je faisais pareil qu’eux. »

• RA n° 8 : « …il me montrait déjà et après des fois je le faisais. »

• FA n° 9 : « …il me montrait sur quelque chose. »

• GW n° 10 : « … il me faisait voir comment fallait faire, une fois que j’avais vu comment c’était, et ben, il me disait de recommencer et il regardait si c’était bon ».

L’analyse des conceptions des jeunes par rapport à la catégorie présentée ci-dessus montre une très large propension chez eux (8 sur 10) à s’inscrire dans un processus tutoral caractérisé par la reproduction de pratiques, par transmission des façons de faire existantes.

���� 2 jeunes sur les 10 conçoivent davantage une approche pédagogique fondée sur les explications du tuteur :

• FL n° 6 : « il me ré – expliquait et après, j’essayais de me débrouiller. Il me ré –

expliquait et je ré – essayais. » • JM n° 7 : « …il m’explique comment faut faire pour la première fois… et puis je

l’écoute et je le fais… » Bien que FL n° 6 et JM n° 7 reconnaissent une certaine dimension pédagogique de la part du tuteur, nous sommes contraints de constater que globalement, selon les explications fournies par les jeunes, la finalité de l’action du tuteur ne se situe pas du côté de l’apprenant (approche par compétences) mais bien du côté de l’exécution de l’action. En effet, le tutorat ne semble pas être ici dans une logique d’appui au service des apprentissages, c’est-à-dire que le processus tutoral se réfère davantage à une logique de production (exécution de la tâche) qu’à une logique de formation visant le développement de compétences, de savoirs et savoir-faire chez les individus (relevant de l’action d’apprendre selon Meirieu cf. première partie).

Page 57: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

58

Pour argumenter notre propos, un retour du côté de Wittorski48 nous a paru éclairant en ce que cet auteur décline en termes de grille d’analyse des voies de la professionnalisation. La première voie de professionnalisation qu’il nomme « logique de l’action » nous semble en phase avec nos analyses précédentes au sujet du processus tutoral appréhendé par les jeunes interrogés dans le cadre de notre enquête. Cette première voie de professionnalisation, selon Wittorski, caractérise des sujets en situation de travail, en prise avec une situation professionnelle qui leur est connue mais qui peut, à certains moments, présenter un caractère de nouveauté (utilisation de nouveaux outils, par exemple « le laser » pour AR n° 4 et FA n° 9) qui les conduit à modifier leurs façons de faire le plus souvent sans qu’ils ne s’en rendent compte. La notion de compétences incorporées (Leplat) étudiée précédemment (cf. partie théorique) caractérise les process d’action en jeu dans cette voie : les ajustements progressifs « au fil de l’action » sans que l’auteur ne s’en aperçoive réellement, conduisent à produire des « routines » d’après Wittorski, qui deviennent très attachées aux situations qui suscitent leur recours ou leur développement. Il s’agit de compétences d’action (finalisées par la réalisation d’une action immédiate de transformation du réel) dans les logiques de l’action (compétences incorporées).

En outre, il nous semble important de préciser également qu’aux yeux des jeunes, le tuteur ne représente pas l’un des acteurs du dispositif. En effet, aucun élément dans les entretiens n’est susceptible de démontrer que le tuteur se situe par rapport à d’autres intervenants dans le cadre d’un dispositif organisationnel. Cette remarque est intéressante selon nous en ce qu’elle permet d’appréhender les conceptions des jeunes au niveau du tutorat, qu’ils semblent concevoir de telle manière que le tuteur n’est pas à même d’apporter sa valeur ajoutée au niveau du processus de formation (savoir-agir), mais bien sur les deux autres dimensions du triangle : le tuteur peut être utile socialement (nous l’avons vu) d’une part, et au plan de la pratique (reproduction du modèle tutoral) d’autre part.

Les constats liés à la catégorie précédente « Processus de transmission des savoirs de la part

des tuteurs » nous amènent maintenant à interroger de manière globale l’organisation du travail. En effet, c’est dans le cadre de celle-ci que le processus tutoral est mis en œuvre sous les formes que nous venons d’analyser. Cette sous-catégorie « organisation du travail » apparait dans notre configuration comme un élément déterminant et en interaction avec deux autres dimensions (savoir agir et vouloir agir), comme l’indique le triangle de la compétence présenté précédemment.

48 « La place du tutorat et de l’accompagnement dans les voies de la professionnalisation », R. Wittorski, op.cité

Page 58: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

59

QUELLES CONSEQUENCES POUVONS-NOUS EN TIRER SUR LE PLAN DE L ’ORGANISATION DU TRAVAIL ? Il apparaît que l’organisation du travail n’est pas propice à la mise en œuvre d’une véritable

ingénierie des compétences. Le tutorat ne semble pas représenter ici un moyen de préparer ou d’accompagner des changements sur le plan organisationnel, changements qui, dans cette perspective, s’inscriraient dans une logique anticipatrice c'est-à-dire une réflexion autour de l’évolution des métiers par exemple. Il s’agit ici d’une configuration tutorale dans laquelle les individus apprennent, en travaillant, des « tours de mains » sans que l’organisation n’ait prévu, ni organisé d’ailleurs réellement ces apprentissages, l’organisation du travail laissant peu de marges d’autonomie (cf. le caractère de transmission des savoirs de la part des tuteurs « par imitation », qui, en extrapolant quelque peu pourrait être traduit par l’expression suivante : « regarde comment je fais et fais pareil »). Dans cette perspective, l’analyse du métier peut apparaître comme une conceptualisation inutile alors qu’elle fournit la clé de la construction de l’apprentissage.

Ainsi, nous pensons être en mesure d’avancer, en termes d’hypothèse explicative, que l’organisation du travail dans le cadre des stages semble se rapprocher fortement d’une organisation d’inspiration taylorienne49, dont Le Boterf indique un certain nombre de caractéristiques, en confrontant ce type d’organisation au concept de compétence. L’auteur en dégage ainsi deux orientations sur le plan de l’organisation du travail :

� un pôle des situations de travail caractérisé par la répétition, le routinier, le simple,

l’exécution des consignes, la prescription stricte, � un pôle des situations caractérisées par l’affrontement aux aléas, l’innovation, la

complexité, la prise d’initiative, la prescription ouverte. Selon Le Boterf, lorsque le « curseur de la compétence » se trouve proche des situations à

prescription stricte (c’est la configuration que nous postulons), la compétence se définit en termes de « savoir-faire ». Elle se réduit en effet à exécuter une opération ou un ensemble d’opérations, à appliquer des instructions, à respecter étroitement les consignes. Nous sommes ici dans une définition correspondante parfaitement aux organisations tayloriennes du travail et le savoir-faire peut être considéré comme le degré élémentaire de la compétence.

A l’inverse, lorsque le « curseur de la compétence » est voisin du pôle marqué par une prescription ouverte, la compétence tend à se définir plutôt en termes « savoir agir », ajoute l’auteur. Dans ces circonstances, être compétent, c’est alors « savoir quoi faire » et « quand ». Pour être reconnu comme compétent, il ne suffit plus d’être capable d’exécuter le prescrit, mais d’aller au-delà du prescrit.

Ces éléments vont dans le sens de notre hypothèse n° 2, car bien que Le Boterf reconnaisse qu’il peut y avoir coexistence des deux pôles au sein d’une organisation, les données qualitatives que nous avons en notre possession nous permettent de considérer une corrélation à caractère prospectif entre l’ingénierie des compétences que nous souhaitons mettre en œuvre (cf partie Préconisations) et certaines caractéristiques inhérentes au second pôle concernant l’organisation du travail, à partir du cadre de référence proposé par Le Boterf.

49 Le Boterf, Développer la compétence des professionnels. Construire les parcours de professionnalisation, op.cité

Page 59: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

60

7 - Outil de référentialisation pour positionner les compétences Sur les 10 jeunes, aucun n’a mentionné de manière formelle l’utilisation d’un référentiel de

compétences. ���� 4 jeunes mentionnent l’utilisation d’un document relatif à l’écrit :

• RE n° 1 : « j’ai une feuille où je dois marquer tout ce que j’ai fait et …… . C’est le compte-rendu du mois en Apprentissage »

• AU n° 2 : « oui, ce qu’on fait la semaine oui. On a réunion le matin, et puis il nous dit

ce qu’on a à faire et puis on doit faire ce qu’on a à faire. Il l’a change chaque semaine après ».

• DI n° 5 : « …….. . Il m’a dit, si tu arrives, tu marques ce qui te plairait de faire avec

nous et y’avait un plus et un moins ».

• RA n° 8 : « Euh, oui y’avait ça. ……….. . J’expliquais qu’est-ce-que je faisais en travail le matin et l’après-midi, et puis après je la faisais signer par le maître de stage, et le nombre d’heures que tu fais aussi ».

���� 4 jeunes semblent confondre le référentiel avec un autre outil, c'est-à-dire : • Un plan, concernant AN n° 3 : « non, y’avait pas de plan », JM n° 7 : « non, non, on a

pas ça. On a un plan….. », et FA n° 9 : « oui, ça nous montrait le plan …. ». • Un devis, concernant AR n° 4 : « Un devis ? »

���� enfin, 5 jeunes reconnaissent a priori l’utilité de l’outil référentiel : il s’agit de AN n° 3, FL

n° 6, JM n° 7, RA n° 8 et GW n° 10 :

• 2 jeunes expriment l’inutilité d’un tel outil : il s’agit de RE n° 1 et AU n° 2 • 3 jeunes ne se prononcent pas (AR n° 4, DI n° 5, FA n° 9).

Page 60: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

61

En premier lieu, le fait qu’aucun jeune n’ait exprimé verbalement, ne serait-ce qu’une seule

fois, le mot référentiel, a provoqué dans notre esprit de sérieux doutes quant à la compréhension effective d’un tel terme de la part de l’ensemble des sujets interrogés. De notre côté, ces doutes se sont traduits, au cours des entretiens et précisément sur cette question du référentiel, par une nécessité permanente de reformulations de telle manière que les jeunes soient en mesure de s’approprier ce terme. Les nombreuses hésitations (verbales et non-verbales) quant aux réponses nous laissent plus que perplexes concernant l’intégration cognitive de ce terme.

Cette observation n’est bien entendu pas sans conséquence par rapport à la question de l’utilité de l’outil référentiel. Il est évident, dans cette hypothèse, qu’interroger des personnes sur l’utilité d’un outil dont ils ne connaissent pas la définition, s’avère être dénué de sens.

En second lieu, ce qui est bien réel, c’est l’absence de l’outil référentiel en tant que tel, dans le cadre des stages. Par là-même, nous constatons à ce sujet, un non-positionnement clair sur les compétences dans la mesure où, lorsque des documents écrits sont mentionnés, leur utilisation s’inscrit exclusivement dans l’énumération des tâches à réaliser (RE n° 1, AU n° 2, DI n° 5 et RA n° 8).

En outre, bien que notre scepticisme soit véritable quant à la compréhension du terme référentiel, il n’en reste pas moins qu’à la lumière des réponses exprimées par rapport à la question sur l’utilité de l’outil, la confirmation d’un défaut de positionnement sur les compétences se fait jour. Ces réponses sont effectivement toutes centrées sur les dimensions « travail », « productivité » et non dans une perspective de développement de compétences (au sens d’une réflexion sur l’action) :

���� AN n° 3 : « ouais, ça m’aiderait un peu mieux à faire. C’est mieux pour poser le parquet,

comme ça, j’arrive » ���� FL n° 6 : « oui, pour qu’on arrive pour lire, pour voir le travail qu’il y a à faire » ���� JM n° 7 : « ça me ferait voir comment, sur la feuille comme ça y’aurait les dimensions et le

modèle du mur » ���� RA n° 8 : « oui, parce que je les ai encore chez moi d’ailleurs, ça me permet de, de me

souvenir de ce stage là et si j’ai la même chose à faire » ���� GW n° 10 : « pour nous expliquer mieux, pour comprendre mieux le travail ».

Il faut noter ici l’observation intéressante de RA n° 8, en ce sens que celui-ci semble

appréhender l’outil référentiel en tant qu’outil de capitalisation de l’expérience dans la perspective d’effectuer d’autres stages. Néanmoins, sa démarche parait faire illusion au regard d’une approche par compétences, dans le sens où seule prime l’exécution de l’action : « …….. et si j’ai la même chose à faire …». Nous sommes contraints de constater le réel décalage avec une véritable démarche compétence, dont le cadre d’intelligibilité s’attache à la réflexion autour de la mobilisation d’un certain nombre de ressources (en termes de savoirs, savoir-faire, savoir-être…), à travers la réalisation de l’action.

Page 61: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

62

En outre, l’utilité du référentiel vue par GW n°10 vient pondérer quelque peu les

explications précédentes si bien qu’il est possible d’observer des aspects relevant de la formation théorique : « pour nous expliquer mieux, pour comprendre mieux le travail. Parce que y’a des moments, ils nous expliquent mais on a du mal à comprendre ». Le référentiel semble appréhender comme un outil favorisant les interactions entre le tuteur et le stagiaire, et susceptible de remédier à des difficultés de compréhension de la part du second, dans l’hypothèse où celui-ci n’aurait pas saisi des explications fournies par celui-là.

Cette remarque faite par GW n°10 nous invitant à faire preuve de prudence dans notre réflexion témoigne selon nous du caractère complexe du phénomène que nous étudions. En effet, il s’agit sans doute d’apporter des nuances dans notre propos quant à une vision globale de la formation qui ne saurait être aussi catégorique que nos conclusions semblent le montrer jusqu’ici. Ce type de données qualitatives indique que les jeunes investissent également la formation dans certaines de ses dimensions théoriques.

Il s’agit maintenant pour nous d’en tirer des conséquences au plan du processus

d’évaluation en tant que sous-système de la catégorie « outil de référentialisation pour positionner les compétences » (selon des modalités qui se rapprochent de ce que nous avons réalisé précédemment concernant l’organisation du travail).

QUELLES CONSEQUENCES AU NIVEAU DU PROCESSUS D’EVALUATION ?

A la faveur des éléments en notre possession à ce stade de l’analyse, nous pouvons constater

que le fonctionnement du tutorat, au sein du dispositif qui nous concerne, repose sur un manque patent de structuration de la fonction tutorale. Ce manque de structuration se caractérise par une absence « d’outils de traçabilité »50 favorisant un véritable travail d’articulation entre les acteurs concernés.

Cette situation, se cristallisant dans sa distinction avec une ingénierie concourante recherchant elle, la contribution simultanée et interactive de tous les acteurs, s’inscrit selon nous dans le sens de la validation de notre hypothèse n° 2 : en effet, le fonctionnement tutoral, tel qu’il semble être perçu par les jeunes de l’IME, est loin d’intégrer toutes les dimensions de la compétence.

En l’occurrence, le processus formatif en tant que tel (correspondant dans notre réflexion au savoir-agir) semble faire largement défaut, comme viennent en témoigner un certain nombre d’exemples tels que : une pédagogie non centrée sur l’apprenant, l’absence d’outil opérationnel de développement de compétences, une organisation du travail fondée sur un fonctionnement routinisé.

Nous nous sommes interrogés précédemment sur un éventuel lien entre la richesse de l’expérience antérieure (en termes de stages) et la construction de compétences. Nous souhaitons y apporter ici quelques éléments de réponse en nous appuyant notamment sur la situation de AR n° 4 qui montre que les nombreux stages effectués antérieurement à son arrivée à l’IME (au nombre de 4) peuvent sans doute expliquer l’utilisation d’un vocabulaire assez riche en termes techniques (cf.son entretien). Néanmoins, cette hypothèse est contredite par la situation de RE n° 1, qui, en ayant la même expérience antérieure (4 stages), ne semble pas développer ce même type de compétences (vocabulaire relativement pauvre).

50 G.Le Boterf, L’ingénierie de la formation, in Traité des sciences et techniques de la formation, op.cité

Page 62: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

63

Nous sommes tout à fait conscients de la nature des différences interindividuelles inhérentes à la subjectivité de chacun, chaque sujet développant des compétences singulières en fonction de ses potentialités propres. Néanmoins, notre préoccupation autour du lien entre les deux variables précédentes confirme le cadre théorique et conceptuel de notre propos, à savoir que c’est bien la mise en place d’un environnement propice qui engendre la compétence, environnement pouvant être favorisé postérieurement par des éléments périphériques tels que la richesse du parcours antérieur en nombre des stages par exemple. Ces informations, analysées dans le cadre de la partie précédente, sont selon nous l’expression d’indicateurs témoignant d’un défaut d’articulation entre deux espaces : l’espace du travail et l’espace de la formation. Bien que nous ayons déjà précisé que l’IME était une organisation privilégiant l’apprentissage par l’action, il semble en revanche que la réflexion sur l’action ne soit pas, elle, privilégiée.

Les données qualitatives que nous possédons ne paraissent pas en mesure de s’intégrer au sein de « l’écologie » favorable dont se réclame une ingénierie des compétences encline à faire évoluer le rapport au savoir et à la formation. En effet, nous situons un certain nombre de difficultés antagonistes à la mise en place de cet environnement propice, et ce à différents niveaux :

1ER NIVEAU : nous observons une configuration organisationnelle dans laquelle le court

terme est privilégié au travers de la recherche d’une efficacité pragmatique dont les entreprises bénéficient. En effet, les jeunes ne perçoivent pas le stage comme un moyen d’acquérir du savoir. Le caractère apprenant du stage semble être mis entre parenthèses dans le sens où il s’agit moins d’apprendre à développer des compétences en maçonnerie ou en peinture que de répondre à une commande et de s’intégrer à un collectif de travail. Or, nous avons indiqué dans la première partie de ce mémoire que pour qu’une situation ait du sens pour l’apprenant, il faut que celui-ci y reconnaisse un problème.

2EME

NIVEAU : bien que la majorité des jeunes interrogés reconnaissent la dimension pédagogique incombant au tuteur, l’examen de la catégorie « transmission des savoirs de la part des tuteurs » révèle une défaillance sur le plan de la formalisation du tutorat, caractérisée par l’absence d’outil de traçabilité. Dans cette perspective, cette situation ne peut que s’opposer à la mise en oeuvre d’une véritable compétence collective telle que Wittorski51 la définit, c'est-à-dire comme « un processus de co-élaboration au sens où il s’agit de produire quelque chose de nouveau (pour les acteurs) dans une dynamique de co-action ».

Cette démarche de formalisation sur le plan organisationnel va se traduire de manière

opérationnelle par la production d’outils (référentiels) de manière à faciliter l’articulation entre les acteurs. Cette réflexion sera l’un des objets de la partie suivante (Préconisations) dans le cadre du management d’un dispositif de professionnalisation.

Dès à présent, nous paraissons en mesure de nous saisir de l’ensemble des données qualitatives pour constater de réelles difficultés d’investissement d’un processus de formation efficient dans toutes ses formes intrinsèques. Le caractère endémique de ces difficultés rend caduque le dispositif de formation actuel à l’IME et l’interroge fortement sur son niveau d’efficacité.

De ce fait, ce constat laisse ouvert une perspective d’amélioration de la formation à travers un espace que l’ingénierie de formation, en tant que valeur ajoutée, se doit d’investir pour réadapter le dispositif actuel et l’inscrire dans une démarche d’optimisation de la formation.

51 R.Wittorski, op.cité

Page 63: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

64

CONDITIONS D’AMELIORATION DE LA

FORMATION

PREAMBULE Il va s’agir dans cette partie d’apporter un certain nombre de réponses en termes de préconisations de formation au regard des conclusions que nous avons tirées de l’enquête précédente. L’analyse a bien montré toutes les difficultés des jeunes à investir la formation en elle-même. Ce constat réinterroge de fait la politique de formation de l’IME. En gardant comme cadre d’intelligibilité le triangle de la compétence, notre travail va s’inscrire dans une démarche de management d’un dispositif de professionnalisation des acteurs de la formation à l’IME. Ce dispositif de professionnalisation s’appuiera dans sa formalisation sur le référentiel d’activités du stagiaire à l’IME, cet outil devant être en mesure de préciser les conditions de réalisation et les résultats attendus du stage. Nous entendons utiliser le référentiel d’activités au sens où Ardouin52 le définit c'est-à-dire comme une « information de synthèse sur une activité professionnelle ou sur un métier ». Il est obtenu à partir du référentiel des tâches actuelles (description du poste de travail, modalités d’exercice, compétences observées, relations avec l’environnement….), et du référentiel des tâches futures (prévision d’évolution des activités et des compétences requises à court et moyen terme). En somme, il s’agit pour nous d’une analyse de la situation professionnelle du stage à l’IME. Nous situons trois niveaux de réflexion dans le cadre du management de ce dispositif de professionnalisation qui correspondront aux différentes parties traitées : � un niveau stratégique et décisionnel dans lequel il s’agit de définir la politique de formation, l’intérêt étant de maintenir et de développer les compétences actuelles et à venir au sein de l’organisation � un niveau organisationnel dans lequel il s’agit de développer le dispositif de formation adéquat et d’assurer sa mise en œuvre optimale � un niveau opérationnel dans lequel il s’agit d’adapter les méthodes pédagogiques, les outils et les pratiques au contexte qui nous intéresse ici.

52 T.Ardouin, L’ingénierie de formation pour l’entreprise, Op.cité

Page 64: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

65

1ère PARTIE : niveau politique Nous nous inscrivons ici dans un type d’ingénierie lié à l’ingénierie des politiques de formation. Les systèmes de formation comme les pratiques pédagogiques prennent corps au sein de cadres plus généraux, qui renvoient à des décisions politiques, qui elles-mêmes témoignent de choix plus fondamentaux dans le domaine du social et des ressources humaines. Sur le plan de l’ingénierie politique du champ médico-social, deux lois récentes sont venues transformer le paysage des pratiques professionnelles des différents intervenants auprès des personnes en situation de handicap. La mise en œuvre de ces lois nécessite de nouveaux modes de coopération ainsi que de nouvelles méthodes de travail. Une des grandes orientations dégagée par la loi de janvier 200253 rénovant l’action sociale et médico-sociale est, entre autre, d’affirmer la place et le droit des usagers. Il s’agit du passage d’une logique d’institution à une logique fondée sur les besoins de la personne. Cette loi, dans son article 7 parle « d’une prise en charge et d’un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement de son représentant légal doit être recherché… ». En confrontant cette loi à notre contexte, une des traductions pouvant être faite est que le développement de projets individuels inhérents à cette loi, pose la problématique de la gestion des compétences individuelles et impulse le développement de la formation comme un moyen de les accroître. En outre, la loi du 11 février 200554, a pour objectif essentiel de garantir à toute personne handicapée l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens. Cette loi modifie le cadre de la réflexion en priorisant l’accès aux dispositifs de droit commun, tant en matière de formation professionnelle qu’en matière d’accès à l’emploi. Il s’agit notamment de placer la personne handicapée au centre des dispositifs qui la concernent en substituant une logique de service à une logique administrative. La loi réaffirme le droit à compensation de la personne handicapée qui recouvre l’ensemble des réponses collectives et individuelles aux besoins de ces personnes. Citons-en un extrait ici : « Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu’il s’agisse de la petite enfance, de la scolarité, de l’enseignement, de l’éducation, de l’insertion professionnelle…….. ». De surcroît, inspiré par le principe de la non-discrimination, l’accès à l’emploi est un des temps forts de la loi 2005, laquelle repose sur le postulat que toutes les personnes handicapées qui le peuvent ont vocation à travailler, fût-ce de façon réduite, en milieu ordinaire. Le législateur met en place, en conséquence, différents mécanismes afin, d’une part, d’inciter les entreprises ordinaires à embaucher des personnes handicapées, et d’autre part, de permettre aux travailleurs handicapées en ESAT (milieu protégé) de tenter leur chance en milieu ordinaire avec la garantie d’un retour en milieu adapté en cas d’échec. Ce système de passerelles crée une certaine souplesse au niveau du dispositif et vise ainsi à faciliter l’intégration professionnelle des intéressés en milieu ordinaire.

53 Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, dont un extrait est présenté en annexe n°2 54 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, www.handicap.gouv.fr, un extrait de cette loi est présenté en annexe n°3

Page 65: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

66

En matière de formation, la loi indique que les différents partenaires (Etat, service public de l’emploi, conseils régionaux, fonds de développement pour l’insertion professionnelle……) mettent en œuvre des politiques concertées d’accès à la formation et à la qualification professionnelle des personnes handicapées qui visent à créer les conditions collectives d’exercice du droit au travail des personnes handicapées. Ces politiques ont pour objectif de recenser et de quantifier les besoins de formation des personnes handicapées ainsi que la qualité des formations dispensées. Nous reconnaissons l’apport de cette loi pour les personnes en situation de handicap mais celle-ci réinterroge fortement, a fortiori au regard de nos conclusions précédentes, l’organisation de la formation à l’IME. La logique de passerelles entre milieu protégé et milieu ordinaire favorisée par cette loi remet en question le travail effectué en amont de l’accès à l’emploi, au niveau de la construction des compétences des personnes en situation de handicap. Or, nous avons constaté que le rapport à la formation des jeunes à l’IME entravait fortement leurs possibilités d’accéder à un processus de formation, tel qu’il pourrait être source de développement de véritables compétences. Ce système de passerelles prendrait toute sa vigueur si les personnes handicapées bénéficiant de ce dispositif étaient en mesure d’investir la formation de telle manière que celle-ci puisse représenter un levier pour s’engager dans une logique de parcours professionnel. Précisons qu’il ne s’agit pas là de faire preuve de démagogie consistant à dire que toutes les personnes en situation de handicap ont potentiellement les capacités d’accéder à ce type de dispositifs. Néanmoins, certaines de nos observations précédentes, montrant que nombre de jeunes réussissent dans l’action et non dans la formalisation de celle-ci, nous invitent à réfléchir à la perspective d’une réorientation de la politique de formation actuelle à l’IME, si bien que celle-ci puisse être davantage en phase avec les orientations de ces lois. Dans le même ordre d’idées, la logique productive à laquelle l’emploi dans les ESAT est aujourd’hui contraint, entretenue par un marché du travail dont l’instabilité devient le corollaire, nécessite de facto d’interroger l’organisation des formations antérieures dans leur dimension d’efficacité, pour accéder à ces emplois. En effet, sur ce point, la loi 2005, bien qu’affirmant la « vocation sociale d’intégration » de ce type de structure, n’en réaffirme pas moins la «vocation économique de production de biens et de service ». Il est question ici de bien prendre la mesure du caractère complexe de la conjoncture actuelle. D’un côté, à la faveur de dispositifs mis en place permettant un rapprochement entre le milieu ordinaire et le milieu protégé, la personne en situation de handicap a l’opportunité d’optimiser son intégration. De l’autre, il n’en reste pas moins que cette perspective d’intégration en milieu ordinaire questionne la formation sur le versant « parcours antérieur », dans la mesure où une intégration n’a de sens que si elle s’inscrit dans la durée.

Page 66: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

67

En nous mettant dans la posture d’un manager de la formation, les constats précédents nous incitent à faire quelques préconisations au plan de la politique de formation au sein de l’environnement qui nous intéresse. Ces préconisations relèvent du truchement de deux démarches : la démarche descendante et la démarche ascendante, tel qu’Ardouin les définit55. Dans la démarche descendante, le responsable de formation tire de la politique générale les implications en termes de formation. Il s’agit ici de tirer les enseignements des deux lois 2002 et 2005 sur le plan de la politique de formation à l’IME, en observant que la politique actuelle ne semble pas accompagner les changements inhérents à ces lois : d’une part la formation, au travers du stage, est appréhendée à partir d’une temporalité privilégiant le court terme, et d’autre part les formations envisagées (CAP) sont davantage considérées dans une logique « contraignant » les jeunes à acquérir un diplôme perçu comme finalité définitive, qu’à l’inverse comme une base de départ pour se constituer un parcours professionnel. La formation est effectivement vécue comme une contrainte dans le sens où elle ne semble pas investie en elle-même et pour elle-même en faisant l’objet d’une appropriation personnelle. Elle apparait plutôt dans un aspect injonctif où le diplôme tant convoité (le CAP) constitue la fin du parcours professionnel. Dans la démarche ascendante, l’analyse que nous avons effectué précédemment a permis de mettre en relief un certain nombre de dysfonctionnements, et globalement, un défaut d’articulation entre le travail et la formation. La question que nous devons nous poser est alors la suivante : quels types d’enjeux la loi 2005 mobilise-t-elle au plan de l’organisation du dispositif de formation à l’IME ? Le truchement des deux démarches descendantes et ascendantes indique qu’il existe actuellement un certain nombre de défaillances dans l’accompagnement de ce public en situation de handicap, et ce à deux niveaux : � au niveau de l’accompagnement individuel : les conclusions de l’enquête montrent un défaut de positionnement clair sur les compétences individuelles, caractérisé par une pédagogie non centrée sur l’apprenant � au niveau de l’accompagnement collectif : les conclusions de l’enquête révèlent des difficultés liées à la formalisation des pratiques, caractérisées par une absence d’outils d’évaluation. La préconisation de formation s’alimente donc des conclusions précédentes et s’inscrit à la fois dans une réorientation de la politique de formation actuelle ainsi que dans une logique de « formation investissement »56, c'est-à-dire de concevoir davantage la formation comme un moyen d’accompagnement efficace de la mise en œuvre de projets de développement. Nous pensons que la réorientation de la politique de formation doit coïncider avec une volonté de professionnalisation à la fois des professionnels et de l’organisation. Nous avons dégagé trois axes nous paraissant prioritaires et que la formation peut accompagner selon nous :

55 T.Ardouin, L’ingénierie de formation pour l’entreprise, op.cité 56 ibidem

Page 67: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

68

PRECONISATION 1 : REDEFINITION DES OBJECTIFS GENERAUX DE LA POLITIQ UE DE FORMATION

� assurer la compétence et la qualification des personnels : cet objectif désigne toutes les actions de formation visant à l’actualisation des connaissances professionnelles, l’adaptation aux nouvelles techniques, l’acquisition d’un meilleur savoir-faire professionnel et au développement de savoir-être spécifiques � améliorer l’efficacité des services : cet objectif vise à favoriser le développement, et l’adaptation optimale, des différents services par une réflexion sur l’organisation et la mise en œuvre de nouveaux outils ou nouvelles démarches � connaître l’organisation et développer une politique de communication : il s’agit de promouvoir une meilleure connaissance de l’institution, et de favoriser différentes formes d’échanges et de communication entre les services, chacun pouvant ainsi mieux se situer et situer son travail dans un ensemble. Dans le cadre du management du dispositif, ces trois grands axes devront se traduire de manière opérationnelle par des actions de formation inscrites au plan de formation (partie 2), et sont en phase avec l’idée de Meignant57 selon laquelle l’institution n’a pas de problème de formation mais « elle a des problèmes que la formation peut contribuer à résoudre ». 57 A.Meignant, Manager la formation, Paris, Editions Liaisons, 1991

Page 68: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

69

2ème PARTIE : niveau organisationnel Nous nous situons ici au niveau de l’ingénierie des systèmes de formation coïncidant avec la construction et l’ossature du projet traduit en dispositif. Cette dimension désigne le système organisé de toute action de formation avec la finalité d’optimiser l’acte d’apprendre. Ce niveau s’inscrit dans le cadre contractuel et juridique en tenant compte des organisations. Notre objectif de formation relève d’une double professionnalisation : celle des acteurs de la formation à l’IME et celle de l’organisation elle-même, dans une double optique de recherche de performance. Il s’agit d’améliorer les performances des professionnels à l’endroit des jeunes en situation de handicap tout en améliorant les performances sur le plan de l’institution spécialisée en elle-même. Formation et organisation sont ensemble dans un processus dynamique où le développement de compétences est lié au développement de l’organisation et réciproquement. A partir de la figure proposée par Ardouin58 concernant la dynamique de l’ingénierie de formation, nous souhaitons justifier notre positionnement quant au type d’ingénierie préconisée ici. Mais auparavant, rappelons cette figure :

58 T.Ardouin, op.cité

FORMATION

PRODUCTION

INDIVIDU COLLECTIF ORGANISATION

INGENIERIE DE PARCOURS ET

PROFESSIONNALISATION INGENIERIE DU PLAN

INGENIERIE DES COMPETENCES

INDIVIDUELLES INGENIERIE DES COMPETENCES

COLLECTIVES

Page 69: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

70

Au regard des conclusions précédentes indiquant des lacunes importantes quant à l’accompagnement à la fois individuel et collectif du public de l’IME, nous préconisons de mettre l’accent, dans le management du dispositif, sur les deux domaines d’ingénierie suivants : � l’ingénierie des compétences individuelles dont la finalité est le développement des compétences individuelles � l’ingénierie des compétences collectives dont la finalité est le développement des compétences collectives et des groupes de travail. Nous sommes tout à fait conscients que les deux autres domaines (l’ingénierie de parcours et l’ingénierie du plan de formation) sont en interaction permanente avec les deux domaines préconisés. Néanmoins, le présent contexte nous invite à proposer des actions de formations liées à l’ingénierie des compétences individuelles et à l’ingénierie des compétences collectives, ce positionnement n’excluant pas bien entendu une transversalité des actions. Nous pensons en effet que cette posture consistant à choisir ces deux types d’ingénierie s’apparente davantage à notre configuration de formation, selon laquelle une optimalisation individuelle et collective de l’accompagnement est recherchée. Si la priorité reste l’organisation d’actions de formation visant la mise en œuvre d’une pédagogie ayant pour objectif l’individualisation de l’apprentissage (ingénierie des compétences individuelles), le but recherché au travers de ces actions étant ici une adaptation à l’emploi, toutes les actions futures à vocation d’optimisation de l’accompagnement seront les bienvenues (ingénierie des parcours et professionnalisation). Ce positionnement sur l’ingénierie des compétences individuelles (et les actions de formation correspondantes) se justifie selon nous par un besoin d’accompagner l’apprenant dans une perspective d’évolution de son rapport à la formation. Il s’agit ici, au niveau du macro dispositif, de professionnaliser les acteurs de la formation à l’IME de sorte qu’ils aient des outils pédagogiques pour atteindre cet objectif d’évolution du rapport au savoir des jeunes en IME, dans le cadre d’une démarche d’accompagnement individualisé. Nous ne pouvons que rappeler toute la prégnance des relations pragmatiques que les jeunes entretiennent avec le savoir, entravant de fait, un accès à la formation dans toutes ses dimensions. La justification de notre positionnement sur l’ingénierie des compétences collectives coïncide avec une volonté de professionnaliser l’organisation. Il s’agit là de réfléchir à la mise en place de dispositifs recourant à la réflexion rétrospective sur les actions entreprises, de manière à construire des repères organisationnels. Des données qualitatives sont en mesure d’apporter des éclaircissements sur ce point : il peut s’agir par exemple de l’observation selon laquelle le tuteur ne semble pas situer sa place par rapport aux autres intervenants du dispositif, ou bien encore l’absence manifeste d’outil de traçabilité.

PRECONISATION 2 : POSITIONNER LE CURSEUR DU DISPOSITIF DE PROFESSIONALISATION SUR L’INGENIERIE DES COMPETENCE S INDIVIDUELLES ET SUR L’INGENIERIE DES COMPETENCES COLLECTIVES

Page 70: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

71

Ces deux types d’ingénierie, adaptés à notre contexte, nous amènent en tant que manager de la formation, à décliner un certain nombre d’actions de formation à l’intérieur du plan de formation59. Nous proposons de synthétiser ces éléments dans le tableau suivant :

DOMAINES FINALITE ACTIONS DE FORMATION

Ingénierie des compétences individuelles

Développement des compétences individuelles

- adaptation à l’emploi

- formations techniques

Ingénierie des compétences collectives

Développement des compétences collectives

- formations internes

- formation-action d’équipe ou de projet

Le choix de formations techniques et d’adaptation à l’emploi dans la perspective d’une ingénierie du développement des compétences individuelles se justifie par une recherche d’opérationnalité dans les actions professionnelles. En effet, il s’agit d’apporter des éléments théorico-pratiques aux professionnels de sorte qu’ils puissent être plus efficaces dans l’accompagnement individualisé du public en situation de handicap. L’ingénierie du développement des compétences collectives appelle à notre sens, un choix de formation orienté vers la mise en œuvre de formations internes dans la mesure où les tuteurs n’ont pas un statut de salarié à l’IME, et par conséquent ne peuvent pas bénéficier de formations externes inscrites au plan de formation.

En l’occurrence, la formation-action représente selon Le Boterf60 « une modalité de formation permettant de s’approcher le plus possible de la construction de compétences ». Par sa finalisation sur le traitement de problèmes ou de projets réels, elle constitue une opportunité intéressante pour entraîner à la combinaison et à la mobilisation des ressources pertinentes (savoirs, savoir-faire….) pour créer et mettre en œuvre des compétences. La formation-action n’est pas seulement une formation pour l’action mais aussi une formation en action. Les problèmes ou les projets retenus sont considérés comme des points de départ, des portes d’entrée du processus éducatif. Une alternance est réalisée entre des temps de formation, d’action et d’étude : il s’agit d’une articulation réelle entre des moments qui s’alimentent mutuellement : la théorie oriente l’expérience pratique et celle-ci interroge la théorie. La pratique n’est pas la seule application de théories ou de méthodes, elle en est aussi la source.

59 Rappelons que le plan de formation est un document plus ou moins fourni et stratégique établi par l’employeur, comprenant a minima des actions de formation qui sont organisées au bénéfice du personnel de l’institution. 60 G.Le Boterf, L’ingénierie et l’évaluation des compétences, op.cité

Page 71: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

72

Le plan de formation devant être finalisé sur des objectifs de formation identifiés où chaque action est décrite par un cahier des charges, la préconisation de formation va donc s’attacher à la structuration du cahier des charges de la formation à l’IME. Notre travail consiste moins à décliner de manière exhaustive toutes les modalités d’exécution inhérentes au cahier des charges qu’à dégager les axes généraux de la formation, pouvant par là-même constituer une trame. Cette décision émane d’une part du fait que nous souhaitons rester centrés en priorité sur notre objectif d’élaboration du référentiel d’activités du stagiaire à l’IME. D’autre part, il s’agit au travers de cette démarche, de laisser toute marge de manœuvre à un éventuel prestataire de formation dans la constitution de sa réponse. La préconisation de formation vise donc à définir les objectifs généraux du cahier des charges.

PRECONISATIONS 3 : DEFINIR LES OBJECTIFS GENERAUX D U DISPOSITIF DE PROFESSIONNALISATION

Nous proposons les objectifs généraux suivants :

� Professionnaliser les professionnels de la formation à l’IME de manière à mieux répondre au public en situation de handicap

� Professionnaliser l’organisation au travers de l’apport d’outils d’analyse du travail, des

pratiques � Favoriser la construction d’une culture commune et l’expression d’interrogations

collectives sur la question du travail au travers notamment de la construction d’outils d’évaluation

� Apporter un certain nombre d’outils pédagogiques et méthodologiques aux

professionnels de la formation dans le but de la mise en œuvre d’une démarche d’accompagnement individualisé.

Page 72: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

73

En outre, les conclusions de notre enquête ont mis à jour l’absence d’outils de traçabilité favorisant l’articulation des différents acteurs, et le manager de la formation se doit d’apporter des réponses à vocation opérationnelle sur ce sujet. Ardouin61 situe la démarche de référentialisation comme un « processus inhérent aux logiques de formation et de management par les compétences, et les référentiels comme un outil de professionnalisation ». Figari62 propose lui la définition suivante : « la référentialisation consiste à repérer un contexte et à construire, en le fondant sur des données, un corps de références relatif à un objet (ou une situation) par rapport auquel pourront être établis des diagnostics, des projets de formation et des évaluations ». Il poursuit en disant : « La référentialisation veut être une méthode de délimitation d’un ensemble de référents et se distingue en cela du référentiel qui désigne, lui, un produit fini, et plus exactement une formulation momentanée de la référentialisation ». Ce « corps de références » dont parle Figari, coïncide dans la démarche de management du dispositif de professionnalisation dont nous avons la responsabilité, avec le constat d’une carence au plan de la formalisation de la formation au sein de l’organisation qui nous concerne, se caractérisant par l’absence d’outil d’évaluation. Sur le plan de l’institution, la référentialisation donne des outils, des instruments et plus globalement des moyens de régulation, de contrôle et d’évaluation de la profession et participe donc à la professionnalisation. La professionnalisation est entendue ici, au sens de Jobert63, à savoir comme « le processus faisant évoluer une catégorie de praticiens d’un statut occupationnel vers un statut professionnel ». Il y a là la reconnaissance d’un métier comme entité sociale nécessaire répondant à un besoin de la société, possédant des savoirs spécifiques et s’inscrivant dans une éthique professionnelle. Le travail consiste à inscrire le dispositif au sein d’un double processus de formalisation et de référentialisation qui sera traduit de manière opérationnelle par la construction de référentiels, cette mission étant dévolue au versant pédagogique de l’ingénierie.

PRECONISATION 4 : INSCRIRE LE DISPOSITIF DE PROFESSIONNALISATION DANS UN PROCESSUS DE REFERENTIALISATION

61 T.Ardouin, op.cité 62 G.Figari, Evaluer, quel référentiel?, De Boeck-Wesmael, 1994 63 G.Jobert, « La professionnalisation des formateurs, approche sociologique », Actualité de la Formation Permanente, Centre Inffo, 1989, n°103

Page 73: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

74

3ème partie : niveau pédagogique Nous retrouvons ici ce qui caractérise le travail pédagogique : le choix des supports, des contenus, des formateurs, le choix des logiques d’exposition et des méthodes d’apprentissage. Cette dimension renvoie directement aux pratiques pédagogiques des formateurs. C’est précisément dans cette dernière posture que nous allons nous inscrire maintenant dans la mise en œuvre des préconisations pédagogiques. Pour expliquer notre première préconisation, nous souhaitons nous arrêter précisément sur un concept : le concept de « geste professionnel ». Celui-ci nous paraît éclairant en ce qu’il est lié aux processus de professionnalisation. Les travaux traitant de ce concept ont concerné le métier d’enseignant ou de formateur64. Le geste professionnel est « ce geste emblématique du métier, duquel se dégagent des éléments hautement significatifs, des images symboliques qui servent à représenter les capacités de celui ou celle qui l’exerce ». C’est en ces termes qu’Y. Minvielle65 définit les gestes professionnels. Echappant à une lecture mécaniste, techniciste, presque décontextualisée, à la frontière de l’ergonomie du travail, le geste professionnel se présente comme un continuum d’actes intégrés. Nous pouvons parler dès lors de séquences d’activités, pouvant être identifiées et analysées comme une unité. Les pratiques professionnelles seraient composées de ces unités, les gestes professionnels étant constitutifs et symboliques de ces unités. Le geste professionnel médiatiserait ainsi une pratique. Il permettrait dès lors de repérer l’identité professionnelle de celui ou de celle qui la met en œuvre. Dans une perspective pédagogique, le geste professionnel apparait comme l’élément caractéristique d’une pratique. Le geste professionnel devient un instrument d’appréciation de la construction d’une pratique.

Pour illustrer notre réflexion et puisque nous nous situons dans le cadre pédagogique, nous avons relevé par l’intermédiaire du tableau suivant, quelques exemples de gestes professionnels concernant deux de nos interlocuteurs précédents (RE n° 1 et GW n° 10), exemples qui nous paraissent éclairer notre propos. Les gestes professionnels sont appréhendés par ces derniers en termes de ce qui est bien réussi et ce qui l’est moins, dans le cadre des stages.

CE QUE J’AI BIEN REUSSI EN STAGE

CE QUE J’AI MOINS BIEN REUSSI

EN STAGE

Selon RE n° 1

- Pose de rangées de parpaings

- Vérifier (au moyen du regard) si les parpaings sont de niveau

- Faire les coupes avec la meuleuse

- Anticiper sur le travail à venir

Selon GW n° 10

- Pose du placo lorsque les plaques sont entières

- Mettre les vis

- Les découpes

- S’organiser seul dans l’action

64 P.Perrenoud, en collaboration avec L.Paquay, M.Altet, E.Charlier, Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies, quelles compétences ?, De Boeck, Bruxelles, 1996 65 Y.Minvielle, in La lettre confidentielle d’Yvon Minvielle et Henri Vacquin, avril 1996

Page 74: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

75

Ce que nous observons, à l’aune des réponses formulées par RE n° 1 et GW n° 10, c’est le

caractère antinomique des variables en présence. En effet, nous observons que la réussite, à leurs yeux, passe par les travaux d’exécution alors que ce qu’ils estiment comme moindre réussite relève du domaine de la réflexivité.

Dans cette même perspective, arrêtons-nous quelques instants sur les explications fournies par GW n° 10 au sujet de ses difficultés face aux découpes : « ……..les découpes par exemple, j’y arrive pas trop, parce que faut calculer et puis réussir après ».

Interpellés par cette dernière phrase, nous nous référons ici à Piaget qui, dans son ouvrage de 197466, décrit la dynamique des compétences comme le passage progressif d’une coordination agie de l’action vers sa coordination conceptuelle. Ce premier axe de l’action vécue et de l’intelligence pratique correspond à ce que Piaget appelle « la connaissance en acte », c'est-à-dire la connaissance mise en action de façon non nécessairement réfléchie. C’est l’axe des actions « automatiques », non réfléchies, mais qui peuvent être efficaces, la pratique pouvant être « aveugle » et réussir. On a vu précédemment que sur cet axe, peuvent prendre place et se développer la formation sur le tas et l’apprentissage par imitation. Le sujet peut y apprendre des choses mais dans les limites de la répétition, de la reproduction de l’identique (cf approche mimétique des tuteurs). Les propos de GW n°10 (« parce que faut calculer et puis réussir après »), correspondants ici à la configuration « comprendre et réussir », l’opposé de l’axe présenté ci-avant, montrent manifestement les difficultés d’accès à la « coordination conceptuelle de l’action » et partant, à une démarche compréhensive. De surcroît, en évoquant la perspective d’être embauché en tant que « manœuvre » : (« Vu que c’est des patrons, ils nous apprennent le métier. Ben…. à apprendre plus le métier qu’avant, si on travaille bien, ils peuvent nous embaucher comme manœuvre par exemple »), GW n° 10 fait référence à un exemple révélateur selon nous de l’obstacle épistémologique car il s’agit d’un exemple renvoyant à des conceptions pratico-pratiques, la fonction de « manœuvre » ne nécessitant pas a priori de qualification spécifique au regard de la formation.

L’entrecroisement des deux concepts, le concept d’obstacle épistémologique et le concept de geste professionnel vient alimenter notre réflexion car si Perrenoud explique que le geste professionnel devient « un instrument d’appréciation de la construction d’une pratique », le geste professionnel dépasse la pratique dans la mesure où il se nourrit du contexte social d’usage du métier. Il se ressource d’une épistémologie du métier et des nouveautés socio-techniques. Il s’ancre dans la reconnaissance des pères et des pairs, ce qui en fait un instrument de médiatisation de la compétence professionnelle. Ainsi, un professionnel compétent est celui qui met en œuvre une pratique, analysée au regard de cette épistémologie du métier et mise en perspective par rapport aux évolutions du contexte socio-technique, précise l’auteur.

Bien qu’il faille reconnaitre, au regard de notre analyse, que les évolutions du contexte socio-technique soient guère propices, dans les conditions actuelles, à un développement de réelles compétences (tel que nous l’entendons dans ce travail), GW n° 10 se trouve dans une configuration telle que la nature de sa pratique professionnelle semble prendre sa source au niveau de l’épistémologie du métier de manœuvre, indiquant par là la résistance longitudinale de l’obstacle épistémologique.

66 J.Piaget, Réussir et Comprendre, Paris, Puf, 1974

Page 75: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

76

Ainsi, si nous tentons de questionner les conditions du processus d’apprentissage des

savoirs professionnels, dans et par les situations de travail, le geste professionnel peut constituer, selon nous, un indicateur pertinent des stratégies mises en œuvre par l’apprenant pour mettre en œuvre une pratique. Le geste professionnel peut servir de base pour élaborer une pédagogie des savoirs professionnels.

Dans le cadre de l’actualisation de sa pratique, le professionnel est amené à utiliser des méta-connaissances. Celles-ci sont mobilisées dans l’action et orientent la pratique dans l’élaboration de la compétence professionnelle. Le « bon » professionnel est celui qui dresse l’inventaire des étapes de l’action (pour faire cela, je dois….) mais qui envisage aussi l’ensemble des procédures qu’il peut développer et ajuster au regard d’un nouveau contexte de travail (pour cela, je peux…).

Pour conclure sur ce point, nous nous situons résolument dans une configuration de formation, où la place du travail « en situation » constitue le cœur du process de formation. Pour l’ensemble des raisons évoquées jusqu’ici, nous pensons que ce type de pédagogie peut avoir une portée opérationnelle dans l’environnement qui nous intéresse.

PRECONISATION 5 : METTRE EN ŒUVRE UNE PEDAGOGIE DES SAVOIRS PROFESSIONNELS

L’importance des tuteurs dans la mise en œuvre de cette pédagogie s’apprécie

particulièrement selon nous au travers de leur position (en situation d’apprendre à quelqu’un d’autre le métier), car le geste professionnel questionne le processus de transmission du métier, interpelle le processus de professionnalisation. C’est sans doute à partir des signes visibles de sa pratique, le geste professionnel, que le tuteur peut engager cette réflexion sur son rôle potentiel de formateur. En effet, la pédagogie ne doit pas à notre avis représenter l’unique apanage des professionnels à l’IME (enseignants spécialisés et éducateurs techniques).

Dans le cadre maintenant de la formation interne préconisée dans la partie 2, nous proposons

une formation-action de projet à l’endroit à la fois des professionnels de l’IME et des tuteurs sur l’analyse des pratiques, et s’inscrivant dans la perspective de l’ingénierie du développement des compétences collectives. Il s’agit, rappelons-le, de professionnaliser l’organisation au travers d’une formalisation des règles de fonctionnement du tutorat.

Plus précisément, le travail pourra être orienté, dans le cadre du groupe de projet (tuteurs, éducateurs techniques, enseignants spécialisés) vers la formalisation orale ou écrite, des « compétences incorporées » de manière à les transformer, selon les cas, en connaissances ou savoirs sur l’action : les compétences sont mises en mots et prennent alors le statut de connaissances ou de savoirs s’ils sont validés par le groupe. L’orientation pédagogique correspond donc à la réalisation d’un travail de formalisation de pratiques qui sont produites dans l’action sans qu’elles n’aient jamais ou partiellement fait l’objet d’une formalisation collective. Le processus d’élaboration collective des savoirs est ici au centre de la pratique réflexive collective, le processus à l’œuvre s’apparentant à la mise en mots des compétences développées dans l’action.

Page 76: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

77

L’analyse et l’organisation du travail étant le cadre théorique et conceptuel de cette

formation-action, il s’agira également d’inscrire le groupe dans le paradigme de l’activité professionnelle « qualifiante » c'est-à-dire une activité qui demande et permet de s’informer, de résoudre des problèmes, de choisir entre plusieurs solutions (tout en respectant une difficulté croissante et permettant une maîtrise progressive des différentes dimensions relevant de la tâche), logique se différenciant nettement de l’organisation taylorienne du travail. Le groupe doit pouvoir se constituer des éléments de réponse à la question : comment organiser le travail pour qu’il soit l’occasion d’apprendre ?

PRECONISATION 6 : METTRE EN PLACE AU NIVEAU INTERNE UNE FORMATION-ACTION DE TYPE GROUPE DE PROJET SUR L’ANALYSE DES PRATIQUES EN DIRECTION DES PROFESSIONNELS DE LA FORMATION A L’IME ET DES TUTEURS

Notre contexte s’inscrit dans une perspective d’ingénierie concourante (« chemin faisant »). Voyons maintenant de manière plus opérationnelle, à partir de quelles articulations le dispositif élaboré pourrait-il être mis en œuvre selon notre approche. En premier lieu, le tryptique éducateurs-techniques, enseignants et tuteurs de stage a besoin d’être en étroite synergie car c’est la coordination de ces différents acteurs qui va rendre la démarche opérante. L’éducateur technique doit être en phase avec les objectifs de formation qu’il s’est fixé pour l’apprenant et sur l’organisation du travail (travail formateur), d’où un travail collaboratif avec le tuteur de stage pour réfléchir aux différentes tâches adaptées et personnalisées à confier aux apprenants en fonction des besoins de ces derniers. L’observation des éducateurs techniques en atelier à l’IME pourra influer sur l’organisation du travail dans le cadre du stage et réciproquement. En effet, l’apport d’un stage pourra engendrer une organisation du travail différente en atelier à l’IME, davantage en phase avec la réalité du milieu du travail. Nous pensons que les tuteurs de stage, à partir des informations qu’ils recueillent sur le terrain des stages, doivent contribuer à la réélaboration des objectifs de formation en collaboration avec les professionnels de l’IME. L’apport des tuteurs dans cette réélaboration peut s’entrevoir notamment à l’aune des conséquences liées à un marché du travail en mutation constante. Chaque travailleur, y compris des stagiaires en IME, doit s’adapter à ces mutations (cf. la logique productive dans laquelle les ESAT sont obligés de s’inscrire aujourd’hui). La mission pédagogique des enseignants doit consister selon nous, en collaboration avec les acteurs précédents, à la reprise des situations-problèmes rencontrées par les jeunes en stage. Plus précisément, il s’agira de travailler sur les savoirs qu’ils soient internes (savoirs, savoir-faire, savoir-être, stratégies) ou externes (documents, internet, autres élèves…), en tant qu’ensemble de ressources à mobiliser en vue de traiter une situation (approche par compétences). L’axe à privilégier, nous l’avons vu précédemment, concerne les méta-connaissances.

Page 77: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

78

L’entrée dans le processus de référentialisation préconisé précédemment va se traduire par la production de référentiels, cette démarche s’inscrivant selon Ardouin67 « dans un travail qui permet de passer du champ professionnel au champ éducatif, par la transposition du métier en référentiel d’activités ou d’emploi puis en référentiel de compétences pour aboutir au référentiel de formation ». Actuellement, le processus d’évaluation en vigueur à l’IME fait apparaître l’utilisation d’outils d’évaluation des stages peu opérationnels au regard des besoins de la population. En effet, le référentiel utilisé en maçonnerie68 décline une liste d’activités proches du « faire » mais sans parvenir à expliquer ce qui permet d’agir ou de réussir : on reste purement descriptif de ce qui est fait. Dans le référentiel utilisé en peinture69, l’évaluation porte uniquement sur le comportement du jeune en stage au travers de la détermination de cinq indicateurs : le travail, le groupe, l’autonomie sociale, le comportement avec l’éducateur, le potentiel physique. A l’instar du précédent référentiel, celui-ci n’explique pas ce qui permet d’atteindre ces objectifs et quelles sont les ressources à mobiliser pour les atteindre.

PRECONISATION 7 : ELABORER LES REFERENTIELS DE COMP ETENCES ET DE FORMATION, A PARTIR DU CADRE D’INTELLIGIBILITE QUE REPRESENTE LE PRESENT REFERENTIEL D’ACTIVITES DU STAGIAIRE A L’IME

REFERENTIEL D’ACTIVITES = ce qui est fait par ceux qui agissent. Ce référentiel a permis de dégager les lignes directrices quant à la fois aux conditions de réalisation et aux résultats attendus du stage.

REFERENTIEL DE COMPETENCES = ce qu’il faut savoir pour réaliser l’activité. Le travail doit consister ici à reprendre les référentiels d’activités au sein de l’IME dans chaque domaine étudié (Peinture et Maçonnerie), puis de préciser pour chaque action listée dans le référentiel, quelles sont les ressources à mobiliser (savoirs, savoir-faire, savoir-être……) pour réaliser l’action avec compétence.

REFERENTIEL DE FORMATION = ce qu’il faut apprendre pour savoir. Le travail devra s’articuler autour de la sélection des différents savoirs constitutifs des compétences (connaissances c'est-à-dire ce qu’il faut savoir pour comprendre, les capacités cognitives, de savoir-faire, de modalités pédagogiques, de savoir-être….). Il sera nécessaire de formaliser les objectifs de formation en fonction des compétences visées (degré de précision des objectifs) et les moyens pour atteindre ces derniers (élaboration des contenus et choix des méthodes pédagogiques). Dans la construction de l’outil, nous recommandons de s’appuyer sur les référentiels existants (cf. Education Nationale par exemple).

67 T.Ardouin, op.cité 68 Un extrait de ce référentiel est présenté en annexe n°4 69 Un extrait de ce référentiel est présenté en annexe n°5

Page 78: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

79

Notre démarche paraitrait inachevée si un processus d’évaluation n’y était pas associé. Nous avons pris l’option de présenter sous forme de tableau les intérêts et les limites de notre action, à partir d’un jugement critique sur cette dernière, tel qu’un manager de la formation se doit de le faire.

INTERETS LIMITES

� Professionnaliser les professionnels

� Subjectivité de l’ingénieur formation

� Nouvelle approche du référentiel d’activités : « rupture » avec pédagogie de la maîtrise (néo-behaviorisme)

� Ingénierie concourante

� Lisibilité des référentiels pour les jeunes d’IME vigilance pour éviter d’utiliser les référentiels

de manière normative (recul par rapport à l’outil)

� Professionnaliser l’organisation � Conformité avec la loi � Démarche opérationnelle � Appui sur les ressources existantes

� Difficultés cognitives de la population peuvent entraver une appropriation de ces outils, qui font beaucoup référence à l’écrit

� Didactique des situations-problèmes : risque � Pédagogie centrée sur l’apprenant

pour l’enseignant de « prescrire » le problème70

L’utilité du référentiel d’activités du stagiaire à l’IME réside principalement dans l’apport de nouvelles perspectives d’orientation au niveau des conditions générales de réalisation du stage. Les nouvelles orientations dégagées permettent d’appréhender de manière opératoire les attendus du stage, ce qui situe notre action dans la formalisation d’objectifs de formation. Nous pouvons dire que ce référentiel d’activités du stagiaire à l’IME constitue un premier document de capitalisation des savoirs constitutifs des stages. Il reste à articuler ce référentiel, comme indiqué précédemment, à un référentiel de compétences puis à un référentiel de formation. Nous en arrivons ainsi, à l’issue de nos préconisations de formation, à proposer la nouvelle configuration de notre référentiel d’activités du stagiaire à l’IME, vue au travers du triangle de la compétence :

70 Et de s’enfermer dans la spirale de la «didactique de la commande » tel que l’exprime J.P Astolfi, in Analyser et gérer les situations d’enseignement-apprentissage, Paris, INRP, 1992

Page 79: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

80

SAVOIR AGIR

SAVOIR AGIR

L’ingénierie de formation se trouve à l’interface de l’ingénierie politique et de l’ingénierie pédagogique. L’ingénierie de formation est la concrétisation d’une politique (savoir agir). Le manager de la formation, dans sa recherche d’optimalisation du dispositif, doit s’appuyer sur les ressources existantes (vouloir agir). L’ingénierie de formation consistant à faire l’analyse complète du travail et à monter un projet de formation adapté, nous ne pouvions ici faire l’économie d’une réflexion autour de l’organisation du travail (pouvoir agir).

Ce triangle de la compétence ne peut fonctionner de manière optimale que si les trois pôles se trouvent en interaction, l’ensemble constituant l’écologie favorable d’une ingénierie des compétences encline à faire évoluer le rapport au savoir et à la formation. A l’issue de cette partie, nous considérons nos deux hypothèses validées.

INGENIERIE DES

COMPETENCES

• Politique de formation :

• Ingénierie de formation :

• Ingénierie pédagogique :

Professionnaliser les acteurs de la formation à l’IME

Professionnaliser l’organisation

Ingénierie des compétences individuelles (formations techniques sur pédagogie des savoirs professionnels)

Ingénierie des compétences collectives (formations-action internes : analyse des pratiques)

Accent mis sur l’action d’apprendre (métacognition)

Approche didactique des situations-problèmes

S’appuyer sur les ressources existantes :

• Sens donné au stage • Motivation à aller en stage • Image de soi positive en

stage

VOULOIR AGIR

• Organisation du travail : travail formateur, tâches qualifiantes

• Ingénierie concourante (référentiels)

POUVOIR AGIR

Page 80: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

81

CONCLUSION GENERALE Au sortir de ce travail de recherche, il convient sans doute d’en rappeler les termes : il s’agissait d’analyser le rapport à la formation des jeunes en IME, démarche interrogeant de facto l’efficience du dispositif de formation qui était à l’œuvre jusqu’à présent. Nous étions en effet interpellés a priori par une surestimation des apprentissages professionnels au détriment d’un regard associant les savoirs généraux et les savoirs pratiques. Tout semblait se passer comme si la centration du regard des jeunes de l’IME sur les apprentissages professionnels et sur la pratique occultait les savoirs décontextualisés. Nous avons vu que l’accès à la formation des jeunes de l’IME est limité par le caractère chaotique de leur parcours antérieur qui pèse très lourd, et par conséquent le savoir est investi selon des dimensions pratiques utiles pour gérer l’immédiateté de la tâche à exécuter dans le cadre du stage. Les apprentissages effectués sont effectivement largement dépourvus d’une capacité à prendre du recul par rapport à sa propre action, laquelle relève de la métacognition. En outre, les conceptions de l’approche tutorale confirment les réflexions précédentes à savoir que les jeunes perçoivent l’aide du tuteur à la fois sur le plan social et sur le plan de la pratique elle-même (reproduction du modèle tutoral). Le tuteur n’est en effet pas appréhendé dans la valeur ajoutée qu’il peut apporter au niveau du processus de formation (apprendre à apprendre). La catégorie « organisation du travail » a permis d’une part, de faire le constat d’une organisation se rapprochant de l’inspiration taylorienne caractérisée par la prescription stricte et l’exécution des consignes, et d’autre part d’observer une absence d’outil de traçabilité. Les conclusions de notre enquête pointent donc l’existence d’un certain nombre de lacunes au niveau de l’efficacité du dispositif de formation fonctionnant actuellement à l’IME. Elles se traduisent par : � une politique de formation qui n’anticipe pas les orientations stratégiques définies par les lois 2002 et 2005, redessinant le paysage du médico-social � des défaillances au niveau de l’accompagnement à la fois individuel et collectif du public (pédagogie non centrée sur l’apprenant et absence d’outil d’évaluation) Ces défaillances indiquent des difficultés d’articulation entre deux espaces : l’espace du travail et l’espace de la formation. Il conviendrait comme nous y invite Wittorski71 de « considérer l’espace du travail aussi comme un espace de formation et l’espace de formation aussi comme un exercice de travail et ne plus séparer les deux, mais penser sur un continuum les savoirs théoriques et les savoirs liés à l’action ». 71 R.Wittorski, La place du tutorat et de l’accompagnement dans les voies de professionnalisation, op.cité

Page 81: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

82

Ces différents constats témoignant d’un besoin de professionnalisation, donc de compétences au sein de l’organisation, nous ont amenés dans le cadre du management d’un dispositif de professionnalisation, à avancer quelques perspectives d’amélioration de la formation de manière à optimiser l’accompagnement à la fois individuel et collectif du public en situation de handicap. Ces préconisations se situent à trois niveaux : � au niveau stratégique dans la redéfinition des objectifs généraux de la politique de formation actuelle à l’IME (professionnalisation à la fois des professionnels et de l’organisation) � au niveau organisationnel, c'est-à-dire au niveau du dispositif de formation, se traduisant d’une part par un positionnement des actions de formation sur l’ingénierie des compétences individuelles et sur l’ingénierie des compétences collectives, et d’autre part en inscrivant le dispositif de professionnalisation dans un processus de référentialisation � au niveau pédagogique, dans la mise en œuvre d’une pédagogie centrée sur l’apprenant, la mise en place d’une formation-action sur l’analyse des pratiques en direction des professionnels de l’IME et des tuteurs, et l’élaboration des référentiels de compétences et de formation. Pour conclure, ou plutôt pour ne pas conclure, nous voudrions alerter l’attention du lecteur sur la nature de la conjoncture économique et sociale actuelle du champ médico-social. Le contexte législatif (lois 2002 et 2005) tend à enjoindre les dispositifs de formation du secteur à favoriser une intégration efficiente à travers des logiques privilégiant l’individualisation de la formation (logique de passerelles entre milieu ordinaire et milieu protégé). Sur ce point, nous ne pouvons que constater les réelles difficultés de mise en œuvre des dispositifs de validation des acquis de l’expérience (VAE) à l’endroit des populations en situation de handicap (les travailleurs en ESAT en sont les premières victimes). Il est donc bien question d’interroger sur le plan opérationnel la traduction des orientations de la loi 2005, si intéressantes soient-elles. En effet, nous pensons que la mise en œuvre de tels dispositifs, au regard de l’importance de l’accompagnement individuel et collectif qu’ils requièrent par rapport aux populations concernées, enjoindra à l’avenir les établissements médico-sociaux (IME, ESAT…) à réorienter les dimensions stratégiques de leur politique de formation.

Page 82: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

83

BIBLIOGRAPHIE

A.Agraz, Les perspectives temporelles à l’adolescence, mémoire de maîtrise en Sciences de l’Education sous la direction de P.Arnaud, Université de Limoges, 2004 J.P. Astolfi, L’école pour apprendre, Esf, Paris, 2004 J.P.Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, Paris, Esf, 2006 A.Blanchet et A.Gotman, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Nathan, 1992 L.Bardin, L’analyse de contenu, Puf, 2007 P.Caspar et P.Carré, Traité des sciences et techniques de la formation, Paris, Dunod, 2004 B.Charlot, Du rapport au savoir Eléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997 M.Develay, Donner du sens à l’école, Issy-Les-Moulineaux, Esf, 1996 H.L.Dreyfus, in Pédagogie, dictionnaire des concepts clés : apprentissage, formation, psychologie cognitive, F.Reynal et A.Rieunier, Paris, Esf, 1997 M.Fabre, Bachelard éducateur, Paris, Puf, 1995 B.Gibello, L’enfant à l’intelligence troublée, Paris, Le Centurion, 1984 A.Giordan, Apprendre, Belin, Paris, 1999 P.Gilbert et M.Parlier, La compétence : du « mot valise » au concept opératoire, Actualité de la formation permanente, n°116, p.14-18 G.Le Boterf, L’ingénierie et l’évaluation des compétences, Editions d’organisation, 2002 G.Le Boterf, De la compétence, essai sur un attracteur étrange, Paris, Ed d’organisation, 1994 G.Le Boterf, Construire les compétences individuelles et collectives, Editions d’Organisation, Paris, 2001 G.Le Boterf, Développer la compétence des professionnels. Construire les parcours de professionnalisation, Editions Liaisons, 2002 J.F.Levy, « Etat de l’art » sur la notion de compétence, INRP, 2000 P.Meirieu, Les compétences, contribution à l’ouvrage collectif sous la direction de J.L Ubaldi, Edition Revue EPS, 2005 A.Moal, De la médiation en pédagogie, Cahiers de Beaumont, janvier 1991

Page 83: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

84

S.Oudet, « Organisation du travail et développement des compétences : le cas des organisations qualifiantes », Centre d’Etude et d’Emploi, www.cee-recherche.fr, 2005 P.Pastré, L’analyse des compétences en didactique professionnelle, colloque AECSE, 1998 P.Perrenoud, « Raisons de savoir », Vie Pédagogique, n°113, novembre-décembre, 1999 J.Y.Rochex, Interrogation sur le « projet » : la question du sens, in Projets d’avenir et adolescence, les enjeux personnels et sociaux, Adapt, 1993 G.Vergnaud, in Le savoir-être en entreprise, S.Bellier, Editions Vuibert, 1998 R.Wittorski, « La place du tutorat et de l’accompagnement dans les voies de professionnalisation », www.irtsaquitaine.fr, colloque du 23 et 24 novembre 2006 P.Zarifian, Objectif compétence, Editions Liaisons, 2001

Page 84: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

85

ANNEXES ANNEXE N°1 : les entretiens ANNEXE N°2 : extrait de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale ANNEXE N°3 : extrait de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ANNEXE N°4 : extrait d’un référentiel utilisé en maçonnerie ANNEXE N°5 : extrait d’un référentiel utilisé en peinture GLOSSAIRE CONVENTION DE STAGE RESUME EN 4ème DE COUVERTURE LE « 4 PAGES »

Page 85: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

86

ANNEXE N°1

Entretien n°1 RE n° 1 âge : 19 ans Contrat d’Apprentissage Peinture en Bâtiment - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME . J’étais à T. L’H. au CP, CE1 et après j’ai atterri à La R72. Puis de La R., j’ai euh …j’ai fait des conneries, puis après j’ai arrêté mes conneries, puis j’ai tout fait pour décrocher un apprentissage, puis je suis arrivé là. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Euh, réussir mon CAP pour avoir un boulot plus tard, ou le bâtiment ou au moins décrocher un CAP dans la peinture. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Peux-tu m’en parler ? Ouais, j’ai fait un stage en Mécanique Agricole, après j’ai fait un stage en Carrosserie, et après j’ai fait deux stages en Peinture, et entre les deux j’ai fait une alternance 2 jours à l’entreprise et la semaine à l’école. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? Ouais euh, en carrosserie parce que c’était mon premier stage, ça m’a vraiment fait voir ce que c’était de travailler, ce que c’était de se faire engueuler par le patron si tu bosses pas, c’est tout. Et après, t’apprends tu connais les choses et tout, et après tu sais que tu peux donner des conseils. - As- tu appris autre chose ? J’ai appris à faire plein de choses, en maçonnerie, en couverture, en carrelage, en tout, c’est bien après t’es content. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour monter un mur ? Ouais, déjà si le sol il est de niveau, je pose des ficelles d’abord, je prends des rangées de parpaings, je les pose. Je les mets de niveau, ensuite je monte la suite, je les mets de niveau, je regarde et ainsi de suite. - Y-a-t-il des choses que tu trouves difficiles quand tu montes un mur ? Euh ouais si des fois quand tu te trompes, t’es obligé de tout défaire c’est un peu énervant. Faire les coupes aussi avec la meuleuse parce que j’ai pas confiance en moi.

72 Institut Médico-Educatif

Page 86: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

87

- Autre chose ? Ouais, j’ai un gros problème, c’est que quand j’ai fini ce que j’ai à faire, j’arrive pas à trouver le travail d’après pour prendre la suite. C’est un de mes gros défauts. Mon patron me dit : « tu fais ça, ça » et après y’a plein de choses que je pourrais faire et de moi-même je vois pas, ça éviterait qu’il me le dise et…. Comme une fois, il m’a dit que je devais peindre un mur, je l’ai peint et après j’aurais pu passer un coup de balai, et c’est pas fait parce que j’y pensais pas. - J’aimerais maintenant que nous parlions des maîtres de stage, des tuteurs. Peux-tu m’en parler ? J’ai jamais eu de patron aussi gentil quoi, il est très gentil, c’est pas lui qui viendra t’engueuler, ou… il prend le temps de t’expliquer et tout, parce que nous il nous a dit il veut pas qu’on l’appelle « patron », des trucs comme ça, du moment qu’on fait le travail comme il faut et tout, on n’a rien à se reprocher. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Et ben, il vient, je lui explique pourquoi j’y arrive pas, il me donne des petits conseils et des astuces, il me fait voir et j’essaye de le faire. Si j’y arrive, il me dit : « tu continues », si j’y arrive pas et ben il me refait voir. - Est-ce que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ? Par exemple, si tu dois monter un mur, tu dois savoir ça, savoir faire ça…. Ah non, si je le fais mais ici73, j’ai une feuille où je dois marquer tout ce que j’ai fait et, je le fais chez moi avant de venir ici comme ça j’ai juste à recopier. C’est le compte rendu du mois en Apprentissage. - Mais sur le lieu de stage, vous avez un référentiel ? Non, Non. - Est-ce que tu penses que ça pourrait t’aider dans ton travail ? Non, non, parce que ça serait juste de me dire « tu fais ça, ça, ça », ça va pas m’apprendre à trouver le travail qu’il y a à faire quand j’aurais fini. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. - Merci beaucoup RE n° 1.

73 A l’IME

Page 87: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

88

Entretien n°2 AU N° 2 âge : 19 ans Contrat d’Apprentissage Peinture en Bâtiment - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. J’étais à l’IME La R. je faisais des stages, j’en ai fait plusieurs à la commune de La S. et 1 chez monsieur R., dans la Peinture en Bâtiment. - Quelles sont tes motivations actuellement ? La Peinture. Avoir le CAP aussi pour avoir un diplôme. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? J’ai fait 6 stages de peinture quand j’étais à l’IME La R. . - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? Poser le papier peint, euh, poncer, rechampir. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du papier peint ? Ben, je mesure le mur, et après je mesure le papier sur une table, après je mets de la colle sur le papier, puis je le colle sur le mur et après je le tapisse avec…. une brosse. - Y-a-t’il des choses que tu trouves difficiles quand tu poses du papier peint ? Quand on coupe, quand je coupe y’a comme des zig-zag parce que je mets pas de spatule pour couper. - oui… J’ai peint un plafond d’un HLM. Avec le patron, on a amené un escabeau, on a poncé, on a enduit. Après on a laissé sécher. Le lendemain, on y est retournés. Après les finitions après. - J’aimerais maintenant que nous parlions des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Je préfère mieux la commune que où j’étais chez monsieur R. . Parce que au début, on nous fait voir et après c’est nous qui le fait. Ils me font voir, ils m’expliquent, et puis… - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Il me faisait voir et après il m’a dit d’essayer de faire la même chose quoi.

Page 88: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

89

- Est-ce que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ?Par exemple, pour poser du papier peint, tu dois savoir ça, savoir faire ça… Oui, ce qu’on fait la semaine oui. On a réunion le matin, et puis il nous dit ce qu’on a à faire et puis on doit faire ce qu’on a à faire. Il l’a change chaque semaine après. - Est-ce que tu penses que le référentiel pourrait t’aider dans ton travail ? Non. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. Merci beaucoup AU n° 2.

Page 89: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

90

Entretien n°3 AN n° 3 âge : 17 ans et demi Atelier Peinture - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. J’étais au collège B.V. à L., je faisais de la Plomberie. On faisait des objets, des bougies, des cadres. J’avais commencé la 3ème et j’ai pas pu continuer parce que j’avais des problèmes de comprendre la-bàs. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Faire la Peinture. J’aime bien peindre. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? J’en ai fait un de 15 jours chez les Artisans. A V., j’en avais fait un en 4ème et un en 3ème en Plomberie. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? J’ai appris à poser du parquet dans une maison, après il y a des sortes pour clouer le parquet. Y’en a une à la française, une à l’anglaise. L’anglaise, c’est à l’intérieur du bois, la française c’est sur la languette. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du parquet ? Ben, avec Gw. et Ph., on en posait quelques uns contre le mur, on clouait devant et après on revenait jusqu’à l’autre mur. Les mesures, j’y arrivais pas trop, parce que j’arrivais pas trop à mesurer sur le mur. - J’aimerais maintenant que nous parlions des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Ouais, c’est pour apprendre un métier. Il explique ce qu’il faut faire. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Il venait m’expliquer comment fallait faire, comment le parquet se mettait et tout. Il me faisait montrer comment on mettait le parquet, de quel côté fallait mettre le parquet pour qu’il tienne. Et après, je faisais ce qu’il avait fait.

Page 90: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

91

- Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ? Par exemple, si tu poses du parquet, tu dois savoir ça, savoir faire ça…. Non, y’avait pas de plan. - Est-ce-que tu penses que ça pourrait t’aider dans ton travail ? Ouais, ça m’aiderait un peu mieux à faire. C’est mieux pour poser le parquet, comme ça, j’arrive. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Sinon, on montait des plaques de placo. On les montait au 2ème étage de la maison. Après on les avaient mis au toit. Je les montais et c’est lui qui les posait parce que j’y arrivais pas tout seul. Voilà c’est tout. Merci AN n° 3.

Page 91: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

92

Entretien n°4 AR n° 4 âge : 18 ans Atelier Maçonnerie et en Contrat d’Apprentissage Plaquiste à partir de septembre 2007 - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME ; Euh, j’étais au M. au V.74 pendant 5-6 ans. J’ai fait plusieurs stages : CAT d’A. dans la Menuiserie, un mois à la commune d’A. . Après, j’ai fait 3 semaines dans une entreprise du Bâtiment, puis après j’ai fait que de la Carrosserie presque un an, en panaché. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Travailler dans une entreprise, passer un CAP, un diplôme, un CAP de plaquiste. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? Ben, en menuiserie, à bien boucher les trous dans les bois quoi, à le mastiquer, à le poncer correctement, à passer les angles, à le vernir et puis c’est bon. En carrosserie, à changer les ailes, découper, passer la voiture sur le marbre. En peinture, du placo, ben, on mesure, on pose les rails, la laine de vert et après on plaque. - Justement, peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du placo ? Ben au début on regarde le sol s’il est droit avec un niveau. Après, si c’est au plafond ben on ses sert d’une tige avec un laser pour essayer de tirer le placo au plus droit possible. Puis après, on fixe les fixations, on met les rails, la laine de vert, l’électricité évidemment, la lumière. On prend la gaine généralement au milieu de la salle et on la tire jusqu’au compteur. - A ton avis, qu’est-ce-que tu réussis bien et qu’est-ce-que-tu réussis moins bien ? Ben, je réussis bien à poser les rails parce que c’est bien rentrer dans la tête quoi. L’isolation aussi, c’est facile enfin, c’est pas trop compliqué, découper, poser, faut pas avoir de trous, faut faire attention quoi. Le placo aussi enfin pratiquement parce que y’a certaines coupes, des endroits où c’est un peu balèze quoi. - Oui… Le moins bien, on le fait à deux avec J.-C., mon patron quoi, et euh… Les découpes, euh, avec le compas et tout pour bien déligner la plaque précis et tout, c’est pas….. L’enduit, enfin les bancs, c’est pour coller les deux plaques ensemble quand elles sont côte à côte, c’est pour éviter qu’elles bougent. J’y arrive bien au début mais quand ça saute, ça bloque, parce que je charge pas assez mes plateaux quoi, je charge pas assez d’enduit. Le carrelage aussi, les découpes, il faut être précis encore.

74 Institut Médico-Educatif

Page 92: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

93

- J’aimerais maintenant que nous parlions des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Ben J.-C. et Ph., ça va, ben le courant il passe bien quoi, comme on dit quoi, et comme j’ai fait aussi plein de stages, d’autres c’est moins la fête que ça, c’est « passes le balai » tout le temps, « touches à rien ». Là je touche la matière et tout, c’est là où je peux apprendre, où ça m’a poussé à faire ce boulot là. Avant, sur certaines entreprises euh, c’était que les boulots qu’ils aimaient pas faire quoi, comme les nettoyages, les trucs comme ça quoi, des petites bricoles quand c’est simple à faire et ben ils laissent, ou quand c’est chiant pour eux, ils le font pas aussi. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Ben, il m’explique ben, on le fait tous les deux, il me fait montrer pour la première fois et puis après je le refais. - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ? Par exemple, pour poser du placo, tu dois savoir ça, savoir faire ça… Un devis ? - Non, un référentiel qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire. Non, on a pas ça. - Est-ce-que tu penses que ça pourrait t’aider dans ton travail ? Je sais pas. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. - Merci beaucoup AR n° 4.

Page 93: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

94

Entretien n°5 DI n° 5 âge : 19 ans et demi Atelier Peinture - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME J’étais au M.75, j’ai fait un stage pendant un mois en boulangerie euh…, j’ai fait que du boulangerie. Là76, j’ai fait un stage chez les Artisans. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Peintre, passer mon CAP si je peux. - J’aimerais que nous parlions des stages. Qu’en penses-tu ? J’ai appris à peindre, à poser du papier, à décoller, euh…, à poncer, à enduire. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du papier peint ? Ben, faut mesurer la salle, euh…, combien il faut de papier déjà, de lés, euh… après il faut que tu décolles le papier, faut que tu colles, tu mets de la colle sur le papier, après tu plis en quatre, après tu laisses pendant deux secondes, t’en refais d’autres, tu le colles le premier, après tu prends ta brosse jusqu’en bas, tu coupes en haut, après tu fais le deuxième et ainsi de suite…. - Oui…. J’ai peint une maison chez les Artisans de la M., euh J.-C., Ph. et …. J’ai poncé une porte, j’ai un peu enduit pour les trous, après j’ai peint, après j’ai poncé, j’ai euh…. Peint, après j’ai regardé là où il y avait des coulures, j’ai un peu poncé, j’ai repeint et puis de l’autre côté aussi….euh. - J’aimerais maintenant que nous parlions des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Ils nous apprennent plein de choses, pour avoir un travail plus tard. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Je leur disais « excusez-moi, j’ai du mal à le faire, est-ce-que tu peux m’expliquer ? ». Ils me faisaient voir tout doucement, et puis après je faisais pareil qu’eux. - As-tu un exemple ? Comment décoller le papier plus vite.

75 Institut Médico-Educatif 76 Dans l’IME fréquenté actuellement

Page 94: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

95

- Oui… Fallait prendre un espèce de râcle, il mettait plus d’eau, il en mettait plein, et puis il grattait et puis ça mettait pas un heure, ça mettait un quart d’heure . - Peux-tu me dire ce que tu réussissais bien et ce que tu réussissais moins bien ? Le plus, c’est le papier que j’arrivais bien, poncer, reboucher, peindre, et …., moins bien, c’est que fallait que je mette une bâche et que j’en avais pas mis par terre pour protéger le sol, c’est qu’après j’ai nettoyé le sol et puis après à la fin j’ai balayé c’est tout… - Oui… C’est que je rangeais mal mes affaires aussi. - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ? Par exemple, pour poser du papier peint, tu dois savoir ça, savoir faire ça…. Ouais, j’en avais un ouais. Il me faisait voir comment ça marche. Il m’a dit, si tu y arrive, tu marques ce qui te plairait de faire avec nous et y’avait un plus et un moins. Ce que j’y arrivais pas, je marquais à côté. Quand j’avais fini de manger, de une heure à une heure et demi, je faisais ça. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. - Merci beaucoup DI n° 5.

Page 95: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

96

Entretien n°6 FL n°6 âge : 18 ans et demi Atelier Peinture - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. J’étais au collège R.L. à La S. et j’ai fait de la Menuiserie, de la Cuisine, de la classe (mathématiques, français), après je suis arrivé à La Ribe. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Je veux travailler en Plomberie-Chauffagiste, je veux essayer d’aller à l’AFPA pour un CAP de Plomberie. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? C’est très bien, ça apprend beaucoup de choses, à travailler surtout, et à voir comment c’est dans la vraie vie. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? J’ai appris comment installer les tuyaux de cuivre pour l’eau, le chauffage, c’était un peu les Artisans de la Marche et surtout avec P. à La S. . Plomberie, chauffage, installer les tuyaux, mesurer, mettre de niveau. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour installer des tuyaux ? Le collègue me disait de tracer un trait sur le mur, et on devait percer des trous tous les un mètre pour mettre des chevilles, pour mettre des fixations pour les tuyaux, et après pour percer le mur, et après la même chose jusqu’au chauffage. - Qu’est- ce- que tu réussissais bien et qu’est-ce-que tu réussissais moins bien à ton avis ? Moins bien, mettre de niveau la plomberie, les tuyaux, je décalais le trait toujours. - Et ce que tu réussissais bien selon toi ? Mettre les tuyaux, mettre les chevilles, les fixer, souder les coudes. Chez les Artisans aussi, j’ai fait du placo, un peu de plomberie, peinture volets, portes. Fallait poncer les volets, après finir de décaper pour que ça soit bien, après faire une couche d’abord, après une autre….. après attendre que ça sèche, après les remettre sur le dessus. - Oui… Faire des cloisons, installer les rails, mesurer. Le placo, j’y arrivais pas beaucoup parce que j’aimais pas. La peinture, moyen, parce qu’il y avait des coulures.

Page 96: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

97

- J’aimerais que nous parlions maintenant des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Ils sont très bien, pour apprendre à travailler. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Il me ré-expliquais et après, j’essayais de me débrouiller. Il me ré-expliquais et je ré-essayais. - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ? Par exemple, si tu dois poser du placo, tu dois savoir ça, savoir faire ça…. Non, aucune. - Est-ce-que tu penses que ça pourrait t’aider dans ton travail ? Oui, pour qu’on arrive pour lire, pour voir le travail qu’il y a à faire. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. - Merci beaucoup FL n° 6.

Page 97: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

98

Entretien n°7 JM n° 7 âge : 18 ans et demi En Contrat d’Apprentissage Maçonnerie - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. J’étais à La P., au collège M.-N., j’ai fait des stages. J’avais fait un stage en Cuisine, puis un autre stage en Agriculture, 3 semaines à Guéret. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Je prépare mon CAP de maçon. Je vais faire ouvrier maçon. J’ai un patron, si j’ai mon CAP, il me prend, si j’ai pas mon CAP, il me reprend un an et après je repasse mon CAP. On est deux ouvriers et y’a le patron. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? Ca nous apprend le vrai métier du……, ben le vrai travail. On apprend la vraie vie, à travailler, à observer les gens qui travaillent. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? J’ai appris à faire des enduits, à monter des parpaings, à faire euh… du bêton pas trop mou, pas trop dur, faire des fondations que j’avais jamais fait, à apprendre le métier. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour monter un mur ? Ben, au début on trace le niveau là, les fondations, on coule du bêton et on pose nos parpaings dessus. On attend un jour pour euh bien que ça prenne, et après on peut commencer à construire le mur. - Selon toi, qu’est-ce-que tu réussis bien et qu’est-ce-que tu réussis moins bien ? Je réussis bien les enduits, les joints sur les pierres, le bêton, le dosage du bêton. Je regarde mon patron comment il fait une première fois, et puis après je refais pareil. - Et le moins bien ? La colle, pour monter les parpaings, j’y arrive pas trop. - Oui…. Préparer la colle parce que je mets jamais assez d’eau. Je mets le sable avant l’eau moi, il faut mettre l’eau avant le sable. Le carrelage j’y arrive pas trop, à les positionner les carreaux bien droits.

Page 98: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

99

- Oui… Parce que je le fais trop vite. J’arrive pas trop à m’organiser à mon poste de travail. J’amène pas assez d’outils. - C'est-à-dire…. J’emmène pas la masse euh…, je vais toujours chercher des outils que j’ai besoin dans la caisse. - J’aimerais que nous parlions maintenant des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Il nous apprend à connaître leur métier et à apprendre le fonctionnement du travail, faire le travail correctement, propre. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Il vient me voir et puis il me dit euh…, il m’explique comment faut faire pour la première fois. Il me dit : « mets un peu plus d’eau, y’a pas assez d’eau, plus de sable, plus de ciment ». Et puis je l’écoute et je le fais, je remets du sable ou du ciment. Il m’explique le dosage, en me disant : « tu mets 15 pelles de sable et la moitié d’un sac de ciment », ça fait telle dose, et deux seaux d’eau. - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire. Par exemple, pour monter un mur, il faut savoir ça, savoir faire ça… Non, non, on a pas ça. On a un plan, et puis il nous fait voir ce qu’il faut faire et puis on le fait. - Est-ce-que tu penses que ça pourrait t’aider dans ton travail ? Oui, ça m’aiderait oui. - Pourquoi ? Ca me ferait voir comment, sur la feuille comme ça y’aurait les dimensions et le modèle du mur. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. Merci beaucoup JM n° 7.

Page 99: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

100

Entretien n°8 RA n° 8 âge : 17 ans et demi Atelier Maçonnerie - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. Euh, à 3 ans j’étais à l’école de F. des C., une petite école à La S. . J’ai appris à compter là-bas, à lire un peu. Après j’ai été à T. l’H., en CLIS, c’est à La S. . Après j’ai été à La R.77, j’ai passé 6 ans là-bas…. J’ai euh…., et je suis arrivé à La Ribe78. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Mes motivations, c’est de travailler en classe et en atelier pour aller à l’AFPA euh faire un CAP en Maçonnerie. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? Pour moi, ça sert à connaître le métier qu’on veut faire déjà, à apprendre aussi euh… à se servir des outils, à connaître les patrons. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? J’ai appris à peindre un mur, à mettre du placo euh sur des murs, euh à poncer, à faire des enduits. J’ai appris aussi à se servir de la scie circulaire, scie sauteuse. - Peux-tu me dire comment tu t’y prends pour peindre un mur ? Ben déjà, s’il y a du papier peint, il faut l’enlever, faut passer un produit spécial pour l’enlever. Après qu’il est enlevé le papier, on regarde s’il reste pas de bouts de papiers, après on lessive pour enlever la colle, après on le ponce et on le rebouche, et après on le lessive encore une fois pour enlever la poussière, après on fait la première couche, la sous-couche et la couche de finition. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du placo ? Je m’y prends euh…en fait, j’en ai posé qu’une fois, c’était sur un mur d’intérieur, un petit mur, déjà j’ai posé des rails sur, sur un mur euh, d’abord j’ai percé le mur et j’ai mis des chevilles, après j’ai coupé des rails pour y mettre dessus, pour les fixer dessus et après on a tracé sur le placo pour voir qu’est-ce-qu’il faut mettre comme placo, et après on a rebouché les trous où c’est qu’on avait mis les vis et on a fait les bandes, les bandes qu’on met dans les coins euh, et pour le joint d’une plaque à l’autre plaque.

77 Institut Médico-Educatif 78 Institut Médico-Educatif fréquenté actuellement

Page 100: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

101

- Peux-tu me dire ce que tu réussis bien et ce que tu réussis moins bien selon toi ? Je réussis bien à peindre les murs, à lessiver, poncer aussi. Le moins bien, c’est l’aspirateur, des fois quand c’est en dessous des tapis…. et après c’était euh le ponçage des fois il fallait gratter beaucoup, beaucoup, ça me faisait des ampoules des fois alors j’arrêtais. - Au niveau du placo ? Euh, la coupe des fois je la faisais pas très droite, des fois les traits ils étaient pas d’équerre. Je réussissais bien, c’est mettre du plâtre dans des trous et à le poser et à le visser. - J’aimerais que nous parlions maintenant des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Ben que, c’est bien qu’ils prennent des stagiaires, parce qu’ils t’apprennent à travailler, à savoir quel métier tu veux faire. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Il m’aidait, quand j’avais de la peinture à faire, il me disait que, que je veux t’aider. Lui, il faisait la plus grande partie et moi je, je rechampissais euh les coins, le plafond, des fois il le faisait lui-même, il me montrait déjà et après des fois je le faisais. - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire ? Par exemple, pour monter un mur, tu dois savoir ça, savoir faire ça….. Euh, oui y’avait ça. C’était marqué la date, de tel jour à tel jour. J’expliquais qu’est-ce-que je faisais en travail le matin et l’après-midi, et puis après je la faisais signer par le maître de stage, et le nombre d’heures que tu fais aussi. - Est-ce-que c’était important d’avoir cette feuille pour toi ? Oui, parce que je les ai encore chez moi d’ailleurs, ça me permet de, de me souvenir de ce stage là et si j’ai la même chose à faire…. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. - Merci beaucoup RA n° 8.

Page 101: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

102

Entretien n° 9 FA n° 9 âge : 19 ans Atelier Peinture - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. J’étais à La R.79, moi je faisais de l’Espaces Verts moi, j’ai travaillé dans une commune euh…. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Moi, je veux rentrer dans un CAT80, dans l’Espace Vert. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? Ca sert à travailler, à se motiver, à gagner sa paie, à gagner son mois pour s’acheter des affaires, des chaussures, à manger, à s’acheter si tu veux passer le code. - Peux-tu me dire ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? En gros j’ai appris euh…., chez les Artisans à faire, à poser du placo, à poser des rails, à poser du PVC, à poser de l’électricité. - Du PVC… Non, on a fait des trous et puis on a posé du PVC pour faire, pour rejoindre des conduites de robinet tout ça. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du placo ? Ben, on tournait la plaque, d’abord on mesurait la longueur qui nous fallait, puis on reportait sur la plaque, on traçait le morceau qui nous fallait, puis on coupait la plaque puis après on la montait sur les rails, puis après on la fixait, avec des vis. - Peux-tu me dire ce que tu réussissais bien à faire à ton avis ? A mon avis, j’arrivais bien à poser les plaques parce que j’ai vu faire chez ma famille d’accueil. Euh, à poser les rails, les aligner, t’as un truc, t’as un montant, faut les aligner bien droit, à l’œil, t’avais le laser et à l’œil fallait que tu vois si c’était au milieu ou pas. - Des choses que tu réussissais moins bien ? Le tracé, pour tracer la longueur, j’aimais pas ça, ça m’agace, j’aime mieux le poser.

79 Institut Médico-Educatif 80 Centre d’Aide par le Travail dont la nouvelle dénomination depuis la loi 2005 est ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail)

Page 102: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

103

- J’aimerais maintenant que nous parlions des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Ah bien, ils étaient bien, ils rigolaient…., on rigolait avec. Quand on faisait pas bien, ils nous reprenaient. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Il me ré-expliquais, il me montrait sur quelque chose. Ph., il m’a dit : « C’est pas compliqué, c’est simple » et il m’a montré. C’était pour monter les plaques en haut, il fallait en laisser quelques-unes en bas, ça c’était la galère, j’arrivais pas à le faire. Fallait les monter à l’étage, fallait en laisser en bas sur le sol, et fallait en monter pour les poser. - Oui… Fallait en monter 24 en haut, j’y arrivais pas… - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire. Par exemple, pour poser du placo, tu dois savoir ça, savoir faire ça…. Oui, ça nous montrait le plan et ça nous montrait le travail qu’on fait. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. - Merci beaucoup FA n° 9.

Page 103: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

104

Entretien n°10 GW n° 10 âge : 19 ans et demi Atelier Peinture, embauché à partir de septembre 2007, en Contrat d’Accompagnement dans l’Emploi (CAE) en Espaces Verts dans un Centre Hospitalier Spécialisé - J’aimerais que tu me parles de ton parcours avant d’arriver à l’IME. J’étais à G. à M.-N. depuis 2000, et puis j’ai fait 4ème, 3ème. J’ai fait deux stages, un dans le collège et un chez J. à G. en Carrosserie et tout, et je suis arrivé ici en 2003. - Quelles sont tes motivations actuellement ? Ben, travailler à La V.81 dans le jardin. - J’aimerais que nous parlions maintenant des stages. Qu’en penses-tu ? Ca sert à découvrir le métier, parce que si on reste tout le temps là à La Ribe, on sait pas c’est quoi le métier. Si on reste là par exemple tout le temps, on tond, on fait ça mais on voit pas les stagiaires comment ils font. Parce que nous, on a une manière et si on va à l’extérieur, c’est pour voir leur manière comment ils travaillent. - Peux-tu m’expliquer ce que tu as appris lorsque tu as été en stage ? Déjà mon comportement, à dire bonjour, au revoir, à être gentil avec le client, être serviable avec tout le monde. - Oui… A monter du placo, à faire du placo et puis de l’isolation. Parce que je savais un peu le faire mais j’ai appris mieux qu’avant. A se servir mieux des engins, à respecter tout le matériel, parce qu’on respecte quand même ici mais là-bas à La V., on respecte mieux parce que c’est un truc un peu handicapé, faut faire gaffe aux malades et tout, parce qu’ils se jettent sur les véhicules et tout. - Peux-tu m’expliquer comment tu t’y prends pour poser du placo ? Ben, par exemple si on veut monter un faux plafond, faut mettre des barres pour que ça tienne. Je crois que c’est 30, 60 et puis 120 je crois. - Oui… C’est pour mettre les vis. Parce que le milieu c’est 60. Et après je crois que là c’est 30, 60 et 120 pour que ça soit bien mis, parce que si on respecte pas les cotes, ça sert à rien de le monter. Après, tu prends le placo et tu le poses.

81 Centre Hospitalier Spécialisé

Page 104: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

105

- Oui… Avec des escabeaux, une échelle puis après on a des vis, une perceuse puis on met une vis sur le placo pour que ça tienne. Si par exemple, y’a des trous à faire pour les ampoules, faut calculer où tu les mets euh, si tu les mets au milieu, faut calculer entre, ça fait 250 je crois, 2m50, faut calculer la moitié et tout. - Selon toi, qu’as-tu bien réussi ? Cela où que j’ai réussi le mieux, c’est quand elles sont entières, les découpes par exemple, j’y arrive pas trop, parce que faut calculer et puis réussir après. Mettre les vis, je trouve que c’est plus facile et les poser entières. - Et qu’as-tu moins bien réussi ? Le plus dur, c’est euh quand t’es tout seul par exemple faut tenir la plaque au mur, c’est dur, faut mettre la vis et aller de l’autre côté, si tu la mets mal, elle peut casser en 2, ça j’ai pas trop réussi, c’était raide. - J’aimerais que nous parlions des tuteurs. Qu’en penses-tu ? Vu que c’est des patrons, ils nous apprennent le métier. Ben…à apprendre plus le métier qu’avant, si on travaille bien, ils peuvent nous embaucher comme manœuvre par exemple. - Peux-tu m’expliquer comment ton tuteur s’y prend pour t’aider quand tu as besoin d’aide ? Et ben, il m’expliquait, il me faisait voir comment fallait faire, une fois que j’avais vu comment c’était, et ben il me disait de recommencer et il regardait si c’était bon. - Est-ce-que vous utilisez avec ton tuteur une grille d’évaluation, ce qu’on appelle un référentiel c'est-à-dire un document qui explique ce que tu dois faire et comment tu dois le faire. Par exemple, pour poser du placo, tu dois savoir ça, savoir faire ça…. Non, c’est lui qui m’expliquait. - Est-ce-que tu penses que ça pourrait t’aider dans ton travail ? Ouais, je pense. - Pourquoi ? Pour nous expliquer mieux, pour comprendre mieux le travail. Parce que y’a des moments, ils nous expliquent mais on a du mal à comprendre. - Veux-tu rajouter quelque chose ? Non. Merci beaucoup GW n° 10.

Page 105: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

106

ANNEXE N°2 : extrait de la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale

Page 106: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

107

ANNEXE N°3 : extrait de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la

participation et la citoyenneté des personnes handicapées

Page 107: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

108

Page 108: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

109

ANNEXE N°4 : extrait d’un référentiel utilisé en maçonnerie

Page 109: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

110

Page 110: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

111

ANNEXE N° 5 : extrait d’un référentiel utilisé en peinture

Page 111: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

112

Page 112: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

113

GLOSSAIRE

AFPA : Association pour la formation professionnelle des adultes APAJH : Association pour adultes et jeunes handicapés CAE : Contrat d’accompagnement dans l’emploi CAP : Certificat d’aptitude professionnelle CAT : Centre d’aide par le travail CDES : Commission départementale d’éducation spéciale CHS : Centre hospitalier spécialisé CLIS : classe d’intégration spéciale COTOREP : Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel CPAM : Caisse primaire d’assurance maladie ESAT : Etablissements et services d’aide par le travail IME : Institut médico-éducatif IMPRO : Institut médico-professionnel MGEN : Mutuelle générale de l’éducation nationale MSA : Mutuelle sociale agricole SEGPA : Section d’enseignement général et professionnel adaptée VAE : Validation des acquis de l’expérience

Page 113: L’ingénierie des compétences - Université de Rouen

115

RESUME EN 4ème DE COUVERTURE

Université de Rouen Département des Sciences de l’Education

Mémoire de Master 2 Ingénierie et Conseil en Formation

Nom : AGRAZ Prénom : Antoine Titre du mémoire : L’ingénierie des compétences : la mise en œuvre d’un environnement favorable pour faire évoluer le rapport au savoir des jeunes dans un Institut Médico-Educatif Mots clés : ingénierie des compétences, Institut Médico-Educatif, rapport au savoir, obstacle épistémologique, dispositif de professionnalisation, organisation qualifiante Résumé : L’accompagnement du public en situation de handicap dans un Institut Médico-Educatif nécessite d’interroger régulièrement l’efficience du dispositif de formation à l’endroit de cette population. Les difficultés de conceptualisation inhérentes à ce public engendrent a priori un rapport au savoir (et à la formation) dont le registre pragmatique est largement dominant. L’IME étant une organisation privilégiant l’apprentissage par l’action, la situation de stage est un bon outil d’analyse des stratégies d’appropriation du savoir de la part des jeunes. L’objet du questionnement s’articule autour de la mise en œuvre d’une ingénierie des compétences pour faire évoluer le rapport au savoir. Il s’agit de réfléchir à « l’écologie » favorable c'est-à-dire à la réunion de l’ensemble des conditions pour agir avec compétence dans l’accompagnement de ce public en situation de handicap. Notre modèle d’analyse tourne autour du concept d’ « obstacle épistémologique » emprunté à Bachelard. Nous postulons en effet que les jeunes rencontrent un obstacle épistémologique dans leur approche du stage et du tutorat. Nous avons choisi une entrée qualitative en interrogeant, dans le cadre de dix entretiens semi-directifs, une population de maçons et de peintres à l’IME (âges variant de 17 à 19 ans). Nos conclusions montrent un rapport à la formation largement dominé par le registre pragmatique et dépourvu d’une capacité métacognitive de réflexion sur sa propre action. Un certain nombre de lacunes sur le plan de l’efficience du dispositif de formation actuel sont mises à jour, et indiquent des défaillances d’articulation entre deux espaces : l’espace du travail et l’espace de la formation. Des perspectives d’amélioration de la formation sont proposées à différents niveaux : ingénierie politique de formation, ingénierie du dispositif de formation, ingénierie pédagogique.