livre libres contributions economiques tome 1
DESCRIPTION
Tome 1 du livre : " Libres contributions économiques "TRANSCRIPT
Préface de Edouard SALUSTRO Président honoraire de l’Ordre des Experts-‐Comptables Président honoraire de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes Président honoraire de la Section Professions Libérales du Conseil Economique et Social
Crise et libres contributions
économiques
2
PREFACE DE MONSIEUR EDOUARD SALUSTRO : Définir un ouvrage aussi riche que celui que nous propose aujourd’hui Jean-Yves Archer relève de la gageure. Au fond, je dirais pour tenter de le résumer, qu’il s’agit là de l’œuvre combinant la recherche de sagesse de l’honnête homme du Grand Siècle et la faim de savoir(s) des Encyclopédistes. Rassemblée autour d’un thème ô combien important, la portée de la crise actuelle, cette série d’essais fixe, par touches successives, le portrait d’une société et d’une économie occidentales qui commencent seulement à prendre conscience aujourd’hui qu’elle sont entrées, vers 2007, dans une crise structurelle dont elle ont du mal à saisir la portée et l’amplitude réelle. Sans doute n’y a-t-il rien que de très normal, et l’histoire économique des deux derniers siècles, au moins, nous montre que la myopie est un mal commun à l’histoire économique comme à l’histoire tout court. Dès lors, une mise en perspective comme nous l’offre ici Jean-Yves Archer est-elle un vademecum indispensable, non seulement pour comprendre l’histoire des cinq dernières années, mais aussi pour anticiper, a minima, les cinq années qui viennent. Le thème de la régulation apparait en filigrane dans cet ouvrage. Ce thème, devenu un mantra de nos gouvernants, montre ici toute son ambivalence et la nécessité de le replacer dans le cadre plus large de la légitimité politique. En effet, un régulateur ne tire pas de lui-même sa légitimité mais des pouvoirs politiques qui l’ont mis en place. Ceux qui l’oublient tendent d’ailleurs à perdre rapidement le sens du réalisme et de la réalité (notamment économique) et perdent ainsi toute efficacité. La régulation est donc le thème cher à la plupart des politiques, européens (beaucoup), américains (un peu) et asiatiques (pas encore). Régulation des marchés, régulation des comportements sociaux, la notion est séduisante. Pour autant, la longue mutation dans laquelle nous sommes entrés depuis 2007 a démontré également les limites d’une régulation qui avait pourtant été un leitmotiv de toutes les réformes économiques menées depuis le milieu des années 1980 : le seul exemple français atteste de la prolifération des autorités de régulation, parfois les plus surprenantes (régulation des jeux en ligne ou régulation de la publicité). Or ces mêmes autorités de régulation , depuis 2007, n’ont pas anticipé les bouleversements issus des crises successives du secteur bancaire et de la dette publique, voire ont contribué à les amplifier ou à rendre inopérant une partie de leur traitement. Ainsi, les superviseurs bancaires européens n’ont-ils pas anticipé la révolution qu’allait introduire la réforme des ratios prudentiels, véritable bombe à retardement qui oblige les établissements à une mutation inédite, comparable à celle des années de crise des années 30 ou de prospérité des années 60. En matière comptable, l’émergence tardive des instances d’auto-régulation et de normalisation en Europe en général et en France en particulier, n’a pas permis là non plus d’anticiper le choc que constituaient les IFRS, en particulier pour le secteur financier où leur entrée en vigueur se combinait avec les nouveaux ratios prudentiels mentionnés plus haut.
3
En quelque sorte, même si la comparaison est osée, la régulation financière et comptable a manqué, comme la dette publique européenne, d’une instance de gouvernance qui préexiste à l’instauration des disciplines : le Mécanisme européen de stabilité est arrivé trop tard, comme va l’être l’émergence d’un régulateur comptable et financier européen (à travers l’ESMA). L’intérêt de l’ouvrage de Jean-Yves Archer est certes de nous inviter à cette analyse rétrospective. Il est aussi un appel à restaurer l’efficacité et donc la légitimité de l’action publique. Loin des libertariens dont la pensée est limitée, il nous incite à nous demander comment améliorer l’intervention de l’Etat et comment la repenser dans un cadre de refonte radicale de nos structures économiques. L’Etat « modeste » dont M. Crozier s’était fait le chantre, n’est pas l’Etat minimal, pas plus qu’il n’est l’Etat Gargantua dont l’action se résume à produire de la dépense publique et (mais on s’en est aperçu un peu tard) de la dette publique. C’est un Etat qui s’affirme, qui agit, mais qui assume sa vocation de stratège. En ce sens, la réflexion de Jean-Yves Archer est véritablement gaullienne car elle remonte à l’essentiel : que doit faire l’Etat, c’est-à-dire le pouvoir politique, qui ne se résume pas à l’action technocratique. Le manque d’efficacité de la Commission européenne dans la gestion de la crise, la reprise en main par les politiques (même si on a critiqué le couple Merkel-Sarkozy) démontrent que, contrairement à l’idéal saint-simonien ou marxiste, l’administration des choses ne peut pas se substituer au gouvernement des hommes. En ce sens, l’ouvrage de Jean-Yves Archer, très réaliste sur les « années d’angoisse » qui nous attendent, est aussi une leçon d’optimisme et de volontarisme : l’action collective, publique ou citoyenne, est la condition de l’émergence d’un modèle nouveau, au terme de ce qui s’annonce déjà comme une « très longue crise ». Mais c’est justement par la lucidité sur la profondeur du mal que se mesure la capacité à rebondir. Edouard SALUSTRO – 14/09/2012
4
En guise d’introduction : La crise économique qui sévit actuellement présente des points de similitude avec un concert dont les instruments seraient tenus par des personnages aux gestes erratiques.
La cacophonie de la crise a un coût social que nous déplorons et que nous sommes dans l'envie de dénoncer tant les souffrances sont omniprésentes et multiples.
Que la crise atteigne les plus fragiles de nos sociétés occidentales semblent hélas d'une certaine normalité et les mécanismes d'amortisseurs sociaux sont là pour parer aux urgences et grandes détresses.
Mais la crise de 2008 a des prétentions de destruction sociale plus établies : elles attaquent sans détours ni ambages les classes moyennes.
L'Insee a instauré le concept de travailleurs pauvres et qui ne saurait oublier les dizaines de salariés qui, faute de pouvoir honorer un loyer, dorment dans leur voiture sur des aires de stationnement pour forains ou sur des parkings de supermarchés.
L'humiliation sociale et le peu d'hygiène la nuit à deux pas de rayons richement achalandés le jour.
Tel est le constat.
A l'échelle de l'Union européenne, si laborieusement construite, nous voilà confrontés à une crise monétaire ( fragilité de la zone €uro et situations grecque et espagnole : retour au bullionnisme ? ), à un tassement sérieux de la croissance accompagné de délocalisations ( crise économique ) et bien évidemment à une crise sociale ( pouvoir d'achat, chômage, développement du temps partiel mal rémunéré, mouvements de lutte contre l'austérité : les Indignés ). Nulle personne ayant accompli quelques bribes de scolarité économique ne peut rester indifférent à cet ensemble de mines dérivantes qui encerclent notre Europe.
Nul ne peut ignorer l'histoire de notre Continent : il y a nettement moins de cent ans, ce fût autant Lord Keynes que le réarmement qui ont eu raison de la crise alors venue des Etats-‐Unis d'Amérique. La crise plurielle que nous connaissons est une fabrique à exclusion sociale et sociétale : elle déclenche de sourds et diffus phénomènes de jalousies sociales, de rejets ethniques, de découragements individuels. Par la crainte de l'avenir qu'elle déclenche, cette crise nous fait voir des taux d'épargne hors-‐norme : on remplit autant son livret d'épargne que son armoire de pharmacie qui regorge d'anxiolytiques. Le cadre supérieur, pris dans son jet-‐lag, l'opérateur pris dans une restructuration suite à un LBO ( Leveraged Buy Out ), la caissière d'hypermarchés exténuée ont un point commun : l'angoisse voire la peur.
Il n'est pas crédible d'envisager vivre dans une société au sein de laquelle 5 millions de gens sont précaires et dix millions dans la crainte d'être déclassés en commençant par la perte de leur capacité à conserver leur logement.
Bien des économistes ont commis bien des écrits intéressants mais là il nous faut penser avec l'urgence sociale comme carburant de la plume.
5
Il ne s'agit pas de définir le scénario X ou Y comme le faisait la Datar ( " scénario de l'impossible " ) mais il convient d'aborder diverses questions économiques avec le compas dans l'œil : autrement dit, avec précision et engagement. La crise étant partie du monde bancaire, plusieurs contributions de cet ouvrage sont en rapport avec les banques. Avec leur situation générale, avec leur besoin d'adaptation pour les banques privées, avec un peu de recul historique pour les banques d'affaires par référence à feu André Meyer ( Lazard Frères ).
Nous sommes en effet convaincus qu'une des conséquences de cette crise quasi-‐planétaire va être la relance d'un mouvement de concentration sans précédent que les vertiges du pouvoir bancaire sont loin d’être soumis à la moindre asymptote.
Bnp et Fortis, accord Peugeot et Gm, Gan et Allianz après Axa et Uap, etc vont être les signaux précurseurs de la constitution de firmes véritablement transnationales.
Le capitalisme ne sait sortir que par le haut : que par l'incessante massification des moyens de production. Ces futures opérations de croissance externe seront un des leviers de la reprise conjoncturelle d'ici à 5 ans.
D’autant que les acquisitions de firmes venues des pays émergents ( exemple Arcelor Mittal ) vont venir renforcer cet état de faits.
Notre réflexion posée nous fait en effet estimer que nous sommes confrontés à une crise du type de celles que Clément Juglar avait examinées. Leur récurrence est de 8 à 11 ans. Autrement dit, des sub-‐primes à l'éclaircie : il faudra estimer une amplitude de type 2007 – 2018 dans la pire des configurations. Plusieurs facteurs militent pour cette durée ( qui va être un supplice pour le corps social occidental ) : il faut du temps pour que le système absorbe le déplacement vers l'Est des foyers de production ( Inde, Chine, etc ). Il faut du temps pour les cigales étatiques redeviennent réalistes et tentent de faire entrer leurs déficits publics dans des zones acceptables et keynésiennement pertinentes. Il faut du temps pour que nous absorbions cette fantastique rupture technologique de l'ère numérique et des autres volets du progrès technologique ( voir écrits de Schumpeter ou de Rostow sur les étapes du développement ). Enfin, il faudra du temps pour atteindre un début de palier de croissance démographique car on sait désormais que la nature ne pourrait pas absorber, par exemple, 12 milliards d'êtres humains. ( nourriture, pollution, dérèglements climatiques et obligations géographiques de lieux sûrs de peuplement ). Ayant été formé par le Doyen Henri Bartoli, Juste parmi les Nations, il m'est impossible d'oublier la large section de son ouvrage ( Economie et création collective ) dédiée à la question terrible de la faim. Ici, nous serons davantage focalisés – pour le moment – sur des questions concernant l'Occident.
L'estimé et regretté Doyen a écrit que " l'économie s'inscrit au cœur d'un fait social infiniment plus complexe " et nous adhérons pleinement à cette affirmation. Interpréter comme le Professeur Alain Touraine l'a fait certains mouvements de la Société a pour nous au moins autant de pertinence qu'un modèle économétrique dont les fondements sont parfois contestables.
Songeons aux stress tests des banques européennes effectués avec sérieux et minutie par des cohortes d'auditeurs qui n'ont pas retenu pour hypothèse, dans un premier temps, le risque de dépréciation sur créances étatiques. En étant un peu familier : on se pince tellement on croit faire un cauchemar.
6
Dans un entretien du 18 Mai 2012, Monsieur Alain Minc évoque la campagne de vaccination H1N1 et indique avoir prévenu le Président de la République des dysfonctionnements. Il ajoute " La capacité d'alerte du système est très faible ". On pourrait risquer un sourire et rappeler que l'urgentiste Patrice Pelloux avait dit la même chose lors de la canicule : Pelloux – Minc, le nouveau duo improbable....
Plus sérieusement, il est bien évidemment aisé de démontrer à l'infini que l'Etat, en France, a des capacités de remontées d'information très puissantes et qui s'inscrivent en contradiction avec les dires du " visiteur du soir " de l'ancien Président Sarkozy. Ainsi, comment celui-‐ci aurait-‐il énoncé son exceptionnel discours de Toulon en 2008 sur la garantie des dépôts ? Il fallait bien que le Chef de l'Etat fut informé, par exemple, par notre camarade le Gouverneur Christian Noyer. Cette histoire d'Etat qui n'entend rien est véhiculé par des gens qui n'entendent plus les bruits et les vents du XXIème siècle. Même le bon porto peut devenir vintage et madérisé.
L'Etat entend mais est désormais face à des complexités de choix publics que Messieurs Crozier et Friedberg ont démontré dans " L'acteur et le système ", il y a trente ans. La décision publique nationale est contenue tandis que la décision européenne est complexe et souvent hybride. Elle relève de compromis qui dessine une politique économique incertaine ou étirée dans le temps tel l’opportun projet d’union bancaire. Les Trente Glorieuses, issues du mot célèbre de Jean Fourastié, ont été un moment de forte intervention étatique. Sans le plan Marshall, l'Europe n'aurait atteint le même visage que deux décennies après.
Sans l'implication gaullienne dans des grands programmes nationaux, sans le schéma Delouvrier pour Paris, etc, les choses auraient été très différentes et moins à notre avantage.
Notre parti pris pour un Etat qui intervient est établi : à condition que les politiques disposent du bon périscope et sachent lever les yeux pour voir loin.
On préfère entendre un Président évoquer le futur technologique du plateau de Saclay plutôt que de se voir infliger le nombre d'amphores entourant la piscine de la maison de l'acteur Clavier en Corse.
Quand on préside, chaque nano-‐seconde compte sauf à savoir prendre du temps pour aller marcher près des forestiers d'Avallon ou de Château-‐Chinon. Ou encore pour relire tel ou tel Encyclopédiste pour accumuler ce recul qui donne à l'homme politique les capacités d'initiative que seuls les hommes d'Etat – comme feu François Mitterrand -‐détiennent.
En France, il y a une redéfinition de certains services d'Etat à conduire car la crise a démontré avec voracité leur inertie et le peu de portée des théories holistes. L'approche par la seule Rgpp ( Révision générale des politiques publiques ) gomme trop l'analyse des besoins stratégiques à réaliser en amont, l'analyse par fine capillarité des attentes du citoyen-‐acteur. Dans bien ces cas, la Rgpp s'est trouvée ravalée au rang de l'antique Rcb ( Rationalisation des choix budgétaires ) chère à Michel Debré.
7
Certains auteurs – parfois en mal d'écritures sensationnelles – laissent leur plume flirter dangereusement avec l'Histoire et évoque 33 : 1933 en Allemagne et ses suites.
Pour notre part, il nous semble que la référence à l'an 33 suffit. Elle est une date fondamentale pour les Chrétiens mais elle est aussi une date intéressante en matière d'histoire économique.
C'est en effet en 33 que survint à Rome un effondrement du prix des terres, une aggravation des conditions de crédit et une crise de confiance marquée par la spéculation et le peu de monnaie en circulation. L'Empereur Tibère est alors dans l'obligation de constituer un fonds d'intervention de 100 millions de sesterces qui accorde des emprunts à trois ans sans perception d'intérêts.
Il serait audacieux d'établir un parallèle avec les mois à venir pour la zone euro mais il demeure étonnant que nul ne parle des mouvements de déplacements d'épargne qui voient des détenteurs de patrimoine s'alléger d'emprunts d'Etat lambda pour acquérir des emprunts d'Etat allemands.
Selon certaines sources, on parlerait en milliards.
La confiance monétaire en zone euro a donc un barycentre et il faut ici se reporter à la Loi de Gresham qui expose que la bonne monnaie est thésaurisée ( le futur nouveau mark ) et que seule circule la " mauvaise " monnaie ( celle des autres anciens de l'euroland ). Si les coups de butoir finissent par emporter cette noble construction qu'est cette monnaie commune, nous considérons qu'une thésaurisation venue de plusieurs pays se portera sur la zone allemande au détriment d'une ou plusieurs autres monnaies d'échange à valeur érodée.
Gardons en mémoire la phrase de feu François Mitterrand ( prononcée le 7 Janvier 1995 lors de ses vœux à la presse ) : " l'argent circule, il fuit les places où il ne se sent pas en sécurité ". De là, nous parvenons à plusieurs pistes de réflexion dont nous souhaitons livrer au lecteur le cadre interprétatif.
1 ) Nous nous inscrivons, à titre principal, dans deux courants de pensée d'origine française : l'école de la régulation ( Robert Boyer et Jacques Mistral ) et l'école des conventions ( Robert Salais et Olivier Favereau, notamment ).
2 ) Parallèlement, nous respectons les sciences économiques et sociales mais dans la droite ligne de l'interprétation faite par Raymond Barre et surtout par Condillac, nous raisonnons en termes d'économie politique tellement l'Etat est un acteur majeur et tellement la politique économique est une variable motrice de rang 1.
3 ) Sur ce dernier point, mais aussi avec les autres agents économiques, nous militons pour la poursuite des travaux sur l'asymétrie d'informations qui détermine fortement l'acte d'échange.
4 ) A l'heure où la mondialisation représente le même type de bouleversements que celui des " enclosures " au XVIIIème siècle au Royaume-‐Uni, nous sommes inquiets de la prolifération du low-‐cost qui masque une régression sociale dite des biens Giffen. Autrement dit, ces biens dont la demande augmente quand le revenu baisse et que le consommateur est tiré vers le bas.
8
5 ) Société dangereuse où le peu d'ethos ( Max Weber ) de certains les conduit à étaler un effet Veblen : celui qui concerne les biens dont la demande augmente d'autant plus que leur prix augmente ( voitures de grand luxe, produits Lvmh, etc ). 6 ) Société en transition délicate par le brassage des populations survenu en 30 ans et qui mérite d'être lu à travers des analyses d'Emile Durkheim et d'autres tenants de l'acculturation. ( partage des cultures et mixité sociale ). 7 ) Société démocratique où la " logique de l'action collective " ( Mancur Olson ) pousse certaines structures représentatives à s'émanciper du message initial de leurs mandants pour se tourner vers une logique bureaucratique propre.
8 ) Société politique où il y a plus de chances de rencontrer un disciple d'Alain Madelin ou Jean-‐Michel Fourgous que William Beveridge ou Bismarck ( en première période : lois sociales ).
9 ) Société d'ensemble où le " Paradoxe d'Anderson " va altérer la portée des mesures du Président Hollande en matière d'éducation. Rappelons qu'il s'agit de travaux réalisés par Charles Anderson en 1961 qui avait démontré que le fait d'obtenir un diplôme de rang supérieur à celui de ses parents ne garantit pas d'acquérir un statut socio-‐professionnel supérieur. Ce blocage de cette mobilité ascendante est souvent nommé la panne de l'ascenseur social et il englobe aussi bien les exclus du système ( qui sortent non diplômés ) que ceux qui ont réussi ( Bac + 5 travaillant dans un fast-‐food ou en tant que coursier ).
10 ) Nous nous interrogeons sur la pertinence de la Loi de Verdoorn qui pose que la croissance économique est à l'origine des gains de productivité et non l'inverse. Autrement dit, tout un pan de certitudes économiques serait à revisiter comme l'indiquait l'article de Frédéric Lemaître dès le 5 Septembre 2009 dans Le Monde. 11 ) A l'heure où des formes spéculatives attaquent l'euro, nous sommes très intéressés par les travaux rigoureux de Richard Thaler mais aussi de Daniel Kahneman en matière de finance comportementale et d'application de l'hédonisme aux choix des opérateurs de marché.
12 ) Enfin, dans une société de plus en plus imprévisible où l'immaîtrisable se dresse souvent face à nous, il convient de lire posément " Morale et chaos " de Pierre Caye dont certaines pistes semblent – selon notre entendement – fructueuses.
Ces douze pistes de réflexion permettront aux professionnels de l'économie de situer le cercle dans lequel s'insère notre volonté de recherches futures et notre réflexion.
En conclusion de ces prolégomènes, nous émettons une parole à valeur – après d'intenses réflexions – de postulat :
La crise est là. Elle apporte détresses et difficultés autant que perspectives d'un nouveau monde. Si le cycle Juglar se vérifie, nous avons entre quatre à sept ans d'épreuves : peut-‐être pas sept ans de malheurs mais sept ans d'angoisses.
Ce n'est jamais bon que des millions de gens aient peur de demain et perdent la foi dans l'idée du progrès humain décrit par nos amis des Lumières et par leurs successeurs.
Vite, que les politiques fassent jaillir l'arc-‐en-‐ciel que le peuple espère tant !
9
Comment aborder ce livre ? Par la liberté.... Depuis des années la vie économique et sociale – essentiellement de notre Continent européen -‐ m'a fait prendre des notes et griffonner des idées éparses.
Sur la suggestion insistante de quelques amis, l'écriture s'est mise en marche récemment notamment du fait de cette crise économique, monétaire et sociale qui fait souffrir tant de personnes.
Cette crise est une inflexion de trajectoires : elle brise les rêves du jeune ménage qui allait s'installer et acquérir sa première maison, elle est un foyer de stress aigu pour le travailleur et pour l'entrepreneur, elle est un vecteur d'inquiétudes pour les anciens qui sont légitimement soucieux de l'avenir de leur descendance tout autant que de l'évolution de leurs retraites.
Face à cette crise qui érode tant de projets de vie, des contributions économiques ont été élaborées et diffusées via des sites web – que je tiens à remercier pour leur confiance.
Beaucoup réfléchissent en matière de sciences économiques et sociales : notre option est la fidélité à notre ancien Professeur, le regretté Raymond Barre, qui parlait d'abord d'économie politique. Chacun comprend qu'il ne s'agit pas là d'une nuance sémantique mais d'une représentation différente des questions à résoudre, d'un paradigme distinct face aux mêmes faits.
Parallèlement, nombre d'études sont la résultante de traitements statistiques parfois dignes du suivi d'un audimat télévisuel. Pour notre part, nous posons que l'économie politique contemporaine doit avoir l'histoire triplement au cœur de sa démarche. D'abord, Fernand Braudel et d'autres ont démontré avec talent et conviction qu'il existe des séries longues, des faits pluri-‐décennaux et qu'il faut donc savoir lever les yeux pour voir loin. Puis, l'histoire est peuplée de penseurs dont tous ne sont pas à écarter des problématiques actuelles. Certains livres ont vu leur papier jaunir mais l'encre ne s'est pas ternie et demeure parfois un lieu d'interrogations fertiles. Relire Condillac a plus de portée que bien des newsletters d'économistes réputés ou médiatiquement reconnus.
Enfin, l'histoire est là sous nos yeux : cette crise est de nature historique par son ampleur, sa vigueur et sa durée. Elle condamne à réfléchir sur son sens historique en gardant en mémoire – face aux souffrances – le mot de Victor Hugo : " L'histoire a pour égout des temps comme les nôtres ". ( in Les Châtiments ). Ancien élève et disciple du Doyen Henri Bartoli en Sorbonne, le fait social imprègne notre réflexion et ce Professeur, de surcroît Juste parmi les Nations, aura largement contribué à développer cette dimension de nos approches.
Ces libres contributions économiques sont marquées du sceau de la liberté : de leur auteur dont la plume est indépendante et du lecteur. Chaque partie est détachable du moins en apparence car l'examinateur attentif pourra y voir un fil rouge, une amorce de pensée structurée.
Une séquence de six premières contributions est dédiée aux banques dont nul ne saurait vider de son sens leur responsabilité dans la crise de 2008.
10
Plusieurs angles d'approche seront offerts au lecteur qui pourra ainsi prendre du recul face à une question désormais polémique ( " la faute aux banques " ? ) et toujours placée en zone critique. Si l'on devait interroger l'homme ou la femme de la rue, leur vision de la crise passerait essentiellement par les difficultés du pouvoir d'achat, la hausse des prix et les délocalisations : à cet effet, le lecteur trouvera une contribution sur les salaires en France, une dédiée au " made in France " notion pleine de faux-‐sens et deux autres contributions d'ordre conjoncturel dont une traite du retour inexorable de l'inflation. Trois autres contributions évoqueront avec une certaine gravité les chantiers de la Présidence de la République de 2012 et le nécessaire réexamen de la politique économique. Trois contributions traiteront de professions-‐clefs au milieu de cette crise : les avocats et les commissaires aux comptes. Elles sont en première ligne de la gestion des difficultés des PME ( difficultés contractuelles, plans sociaux, procédure d'alerte ).
Une dernière série de trois contributions visera à aborder la situation de l'industrie, de la crise et de ses itérations et enfin de l'usage toujours risqué des métaphores en Economie.
Il sera alors temps d’évoquer des questions de gestion publique notamment le rôle du Parlement face à la dépense publique et l’effet boomerang de la ponction fiscale décidée pour 2013.
En guise de conclusion ouverte et provisoire, il sera soumis au lecteur un texte qui traite de la rémanence de cette crise et de son influence durable sur nos choix collectifs et individuels de demain.
Enfin, très sensible à la question des Libertés publiques, ce livre comportera une Annexe unique concernant les lignes d'alerte éthique ( " whistleblowing " ) et la C.N.I.L
La question des Libertés publiques a hélas de beaux jours devant elle et nous faisons le serment de nous y consacrer dans la mesure de nos moyens face aux risques des nouvelles technologies ou autres paramètres.
" Au train où vont les choses, bientôt, la seule liberté qui nous sera tout à fait indispensable sera la liberté de la réclamer "
Marcel Jullian, in " Courte supplique au Roi pour le bon usage des énarques ". Mazarine.
Avec l'expression de mon dévouement, Mars 2013.
11
Sommaire :
LA QUESTION BANCAIRE :
I Réflexions sur la crise bancaire : les banques ne sont pas mortelles mais blessées II Quatre ans après : désarroi et maintien de l'industrie bancaire III L'indispensable reconstruction des banques privées IV Les banques d'affaires : " Prendre un bouton pour en faire un costume " V Banques : sérieux dangers et péril possible VI LIBOR : Un îlot de pertes dans un océan de profits CINQ QUESTIONS D'ACTUALITE : VII La délicate question des salaires en France VIII " Made in France " : gare aux faux-‐sens IX Conjoncture économique : où en sommes-‐nous ? X Le boulevard de la Slumpflation XI L'inexorable retour de l'inflation ETAT ET POLITIQUE ECONOMIQUE : XII Le Président du 15 Mai : labeur et épreuves XIII Politique économique et attractivité : un duo gagnant XIV Revisitez d'urgence la politique économique ! XV PEUGEOT et la Nation XVI Le Parlement et les milliards de l’évaluation publique XVII La pression fiscale de 2013 et l’effet boomerang
12
DES INTERVENANTS AU COEUR DE LA CRISE : XVIII L'avocat d'affaires : le vent en poupe XIX Les avocats pénalistes : un bien pour le mal ? XX Le commissaire aux comptes et ses sept défis INDUSTRIE, ITERATIONS DE LA CRISE, METAPHORES EN ECONOMIE : XXI L'Europe a tiré une balle dans le pied de notre industrie XXII La crise et ses itérations contradictoires : un vrai danger ! XXIII De l'usage risqué des métaphores en Economie EN GUISE DE CONCLUSION : XIV Crise et rémanence ANNEXE : LIBERTES PUBLIQUES La C.N.I.L face à un risque de QPC : où se dira le droit ?
13
-‐ I -‐
Les banques ne sont pas mortelles mais blessées : risque systémique surévalué, autres risques négligés...
Feu le Sénateur Etienne DAILLY – dont les bordereaux sont familiers à bien des employés de banque – avait eu de nombreuses occasions de répéter en grande sagesse au Gouverneur Bernard CLAPPIER ( Banque de France ) que la confiance bancaire était une matière délicate : qu'il convenait que l'architecture du système bancaire national soit en cohérence avec les besoins de l'économie.
Celle que l'on appelle, selon un terme rapide et impropre, l'économie réelle. Comme si le secteur tertiaire financier n'était pas une activité économique tangible comme pourrait le démontrer un stagiaire de l'I.N.S.E.E.
L'objet de notre propos est de considérer que le risque dit systémique ( de défauts en chaîne d'établissements ) est largement surévalué consécutivement à la peur de 2008 directement et légitimement issue de la faillite de LEHMAN BROTHERS.
Tout d'abord, l'enseignement d'évidence de 2008 est qu'aucun haut décideur public occidental ne prendra le risque de laisser choir une banque tant les entrelacs des unes avec les autres peuvent engendrer un véritable séisme. La leçon a été assez rude pour que le coup de dés ne soit plus tenté même en cas de conseils insistants d'un concurrent de la future victime du lâchage...
Puis, le monde a changé avec cette dure et satanée crise : les décideurs sont en passe d'apprendre une certaine prudence et d'éviter les engagements hors-‐bilan aux configurations incertaines de même que les financements croisés aux débouclages hasardeux. Enfin, les Régulateurs publics sont à l'œuvre avec minutie et méthode ce qui est un gage de dilution progressive de l'intensité du risque systémique. Incontestablement. L'espace nous manque pour un développement assez consistant mais nous suggérons vivement aux lecteurs de relire " L'Europe financière de demain " de la très estimée Alice Pezard ( Cour de Cassation ) et notamment les sections où elle évoquait les risques de la titrisation....en 1995.
Par bien des aspects, le risque systémique en Occident nous semble dorénavant un risque mais un process de dimension maîtrisable. De surcroît, un détour par le droit des affaires s'impose.
Toute entité commerciale est, par essence, soumise aux risques de cessation des paiements. Toutes ? Est-‐on certain que lors de la réunion de crise entre Messieurs
14
Bouton et autres et notre camarade le Gouverneur Christian Noyer lors de l'affaire dite Kerviel une cessation des paiements de la Société Générale ait été sérieusement envisagée ? Il est des moments dans l'histoire des pays où la notion de solidarité de Place existe et il faut relier cet état de faits parfaitement vérifiable à la quantification du risque systémique. Les banques ont donc un statut particulier qui nuance la rédaction de leurs Statuts au chapitre usuel " Dissolution – Liquidation ". Selon notre analyse – seulement évoquée ici -‐, nous affirmons que les banques ne sont pas mortelles. NATIXIS l'esquisse. DEXIA et sa future nationalisation le démontre avec éclat et quelques fracas.
Si elles ne sont pas mortelles frontalement comme un simple sous-‐traitant de l'industrie automobile, les banques n'en sont pas moins blessées.
En premier lieu, elles sont blessées car la confiance inter-‐bancaire, clef de voûte du système moderne, est atteinte. Probablement durablement ce qui n'est pas un facteur de croissance mais une grave déséconomie externe dans l'allocation du capital.
Deuxièmement, les banques sont blessées par des contraintes de rentabilité qui s'ajoutent à la délicate question des exigences en fonds propres. Selon nous, les années à venir vont voir l'hémorragie du produit net bancaire ( notamment du fait de la dégradation de la qualité des créances détenues ) et la coagulation des regards vers les questions de haut de bilan et questions Bâlistiques.
Troisièmement, les banques opèrent ici ou là des saignées dans leurs effectifs ce qui posera à terme des questions de niveau de qualité du service rendu. Or la qualité de service est primordiale dans le tertiaire comme l'a souvent démontré et écrit le publicitaire David Ogilvy. Là encore, le produit net bancaire sera effrité après une illusion d'amélioration liée à la compression de personnels.
Quatrièmement, les banques suscitent une immense méfiance du public et des réticences de leurs Clients. Les frais sont jugés excessifs, la sécurité des dépôts est en filigrane de bien des inquiétudes et le produit de l'épargne est parfois englouti – en ces temps de bourrasque sur les marchés – au détriment de tous les profils de gestion.
Ce point nous semble crucial car il conduit les Clients à être multi-‐bancarisés ( effet de protection ) ce qui nuit à la taille unitaire de leur surface dans un Etablissement donné donc à leur rentabilité nette. Dernier point, les banques sont blessées dans leur noblesse de fonctionnement : elles sont devenues le bouc émissaire d'un monde pressé et superficiel qui a oublié La Fable des Abeilles de Mandeville sur le vice et la vertu. Durablement, les banques vont se voir imputer un chapeau encore plus large que celui que le Président Mitterrand arborait à la Conférence de Cancùn en 1982......
Ce n'est pas satisfaisant au plan de l'histoire économique, c'est périlleux pour qui cherche à retrouver les chemins de la croissance économique.
15
Ultime point qui aura valeur de conclusion provisoire – tant la matière est mouvante – il convient de se poser une véritable question d'Economie.
La mondialisation est caractérisée par la mobilité du facteur capital et par sa capacité à se localiser là où la combinaison productive est sinon optimale du moins optimisée en apparence ( risque de sous-‐estimation des malfaçons, coûts complets de la logistique mal appréhendés, etc ). Parallèlement, l'époque présente est caractérisée par la mobilité intense et véloce des capitaux sur laquelle le Président français tente d'avoir prise dans l'intérêt de ses concitoyens.
Suite à une controverse issue des travaux de Feldstein et Horioka, l'idée d'une intégration croissante des marchés de capitaux nationaux a été remise en cause. A l'heure où des effets d'éviction viendront des conditions du refinancement des dettes souveraines, nous sommes convaincus que le système bancaire va être soumis à un mouvement de concentration d'une véritable intensité voire d'une brutalité sans ambages.
Comme l'aurait pensé Dominique de La Martinière ( auteur d'un raid avorté sur la Banque STERN il y a plusieurs décennies ), il " va y avoir des coups à faire pour certains et des coups à prendre pour les autres " ( sic ).
16
-‐ II -‐
Quatre ans après : désarroi et maintien de l’industrie bancaire. Quatre années après la crise de 2008, l'industrie bancaire rencontre des foyers de désarroi ( relations clients, normes comptables, etc ) et une obligation de maintien car il n'est pas pensable de réaliser une réforme d'envergure transnationale et simultanée. Le phasage calendaire du projet d’Union bancaire européenne le montre : nous sommes dans un secteur à digestion lente ( voir futurs retards d’applications de Bâle III ). Il est usuellement admis en sciences humaines que l'individu impressionné par une information d'envergure garde un souvenir fidèle et précis de l'instant. Il en va ainsi de l'assassinat du Président Kennedy, du premier pas sur la Lune et plus récemment des attentats de Septembre 2001, il y a presque dix ans.
En économie, cette capacité à mémoriser notre localisation est un phénomène fort rare et généralement limité à la sphère monétaire : ainsi, les citoyens se souviennent généralement bien de ce qu'ils " faisaient " au moment de l'annonce d'une dévaluation. Il n'est donc pas infondé d'observer – à titre introductif -‐ que les évènements bancaires de Septembre 2008 ont marqué l'opinion et que le risque systémique a bel et bien été perçu par des millions d'épargnants et d'acteurs économiques qui se sont quasi-‐simultanément posé les mêmes questions : Que faudrait-‐il faire ? Que dois-‐je décider hic et nunc ? Sans la confiance en la signature des Etats dispensateurs de garanties, nous savons tous que des milliers de gens n'étaient pas loin de basculer vers l'irrationnel : depuis les files d'attente devant les banques de dépôt jusqu'à des micro-‐décisions qui auraient relevé de l'absurde. Par la matière première qu'elle a pour mission de traiter et de pétrir, l'industrie bancaire est donc – qu'on le veuille ou non – une agrégation hétéroclite d'opérateurs économiques singuliers. Par l'ampleur des relations inter-‐établissements, sorte d'immense linkage croisé cher aux biologistes, elle constitue un réseau spécifique érigé au rang mal nommé de "
17
système " financier là où il n'y a que suite et empilement de décisions aboutissant à une construction disparate. Traiter ce pan de la question en utilisant la notion de système revient à présupposer un ordre, une cohérence là où il n'y a en réalité qu'une suite d'initiatives privées ( et parfois publiques ) qui matérialisent in fine l'existence d'un secteur économique. Ce point n'est pas d'ordre sémantique, il est intrinsèquement analytique et porte en lui – au-‐delà de ce rapide énoncé – les raisons des limites actuelles des actions des régulateurs publics.
Comment contrôler un secteur mal identifié, mal " détouré " sous prétexte d'une taxinomie erronée ? Comment réguler un secteur objectivement truffé d'asymétrie d'informations et de montages comptables à visée excessivement exonératrice ? Pourquoi écarter les avancées de la méso-‐économie là où les approches systémiques ne sont, en réalité, que guère opérantes ?
Pourquoi se fonder sur des présentations de comptes fréquemment dérogatoires du fil commun mais dépassées par les réalités des exploitations ?
Qui ne voit que le débouclage des positions de Lehman brothers – qui prendront selon les experts, a minima, plusieurs années – ne sonne le glas des espoirs des contrôleurs publics quotidiennement inondés par le véritable flot d'écritures comptables et les flux financiers permanents que ceux-‐ci sont censés refléter ? Face à ce besoin de refondation en amont du démarrage de l'analyse ( du raisonnement hypothético-‐déductif cher aux économistes ), il nous paraitrait vraiment approprié que les Pouvoirs publics ne soient pas plus longtemps abusés. En effet, que la profession bancaire soit organisée pour la défense de ses intérêts immédiats et qu'une pyramide puisse être factuellement établie à la lecture des poids relatifs des bilans des grands établissements est un point à concéder. Ceci ne permet toutefois pas intellectuellement ( ou statistiquement, etc ) de conclure à l'existence d'un système. Cette première approximation – hélas fort répandue et commode – pollue l'action publique et altère la portée opérationnelle de la régulation : j'en suis personnellement convaincu depuis des années ( cf. Tribune libre dans ENA-‐mensuel d'Avril 1993 ). Fort de ce premier constat brièvement énonçé – constitutif de ce que Madeleine Grawitz nommait en sciences sociales une " réification " -‐, il convient de dresser un état des lieux à la fin de 2011 suivant trois temps forts. 1 ) Tout d'abord, les banques sont pour longtemps dans un lien délicat avec la notion de confiance. Les enquêtes d'opinion rapportent l'ampleur de la césure et le slogan " la crise c'est eux mais c'est nous qui la payons ! " ne cesse de prospérer tel un poison dont l'anti-‐démonstration relève de la gageure. Les épargnants – incontestablement atteints – en viennent à mélanger un peu tout et confondent parfois leurs pertes objectives sur les marchés boursiers avec le risque de banqueroute financière que le monde a sérieusement croisé il y a quatre ans. Ils
18
stigmatisent leur conseiller d'agence en omettant que le plus jeune étudiant en droit pourrait leur confirmer l'abîme tangible qui existe entre l'effective obligation de moyens et la non-‐contractuelle obligation de résultats. Confrontés au risque absolu qu'aurait représenté une crise d'illiquidité de plusieurs banques, les épargnants désormais rassurés par la garantie publique opportunément apportée se sont à nouveau focalisés sur l'évaporation des rendements de leurs actifs, sur le " return " qu'ils escomptaient de leurs stocks d'épargne. Si les banques doivent de facto œuvrer pour restaurer la confiance de leurs clients ( voir exemples espagnols dont Bankia ou franco-‐belge Dexia), ces derniers ne doivent pas céder à des assimilations de comptoir qui n'ont rien à voir avec les liens contractuels et commerciaux qui ont été effectivement tissés. Sur ce sujet où le vent est favorable, le mutisme de l'industrie demeure surprenant. Il y aura des améliorations car le temps a – ici comme ailleurs – des vertus curatives mais les décideurs des établissements financiers savent in concreto – dans leurs livres -‐ le coût du doute des clients et leur appétence chaque jour plus installée pour les litiges dans des sociétés occidentales où cette tendance est relevée dans de nombreux secteurs économiques. 2 ) Par-‐delà cette confiance émoussée ( cf. l'augmentation d'ores et déjà décelable des montants de la monnaie fiduciaire : " cash is back in the race " ) et désormais soumise à forte conditionnalité, les banques ont un quadruple défi interne. Premier côté de ce carré pour l'instant périlleux, la crise a révélé le véritable format de l'échelle des rémunérations au sein des établissements. Pour ceux des personnels qui sont en mesure de l'accepter, cette échelle des gains demeure choquante car chacun a bien compris qu'elle n'est nullement couplée avec une échelle de responsabilités en cas de mise en péril de l'exploitation. Sur ce sujet, il faut avancer avec prudence et veiller à la méthode d'analyse. Ainsi, il n'y a pas que dans le secteur bancaire que les virtuoses de l'essor commercial sont très rétribués sans pour autant avoir une échelle de responsabilités comme celle qui est usuellement dévolue par le droit des affaires au mandataire social. Au prix de modifications de formes organisationnelles évidemment admissibles et gérables, l'industrie bancaire pourrait aisément élargir le nombre de ses mandataires sociaux dans le but avoué d'une diffusion de la responsabilité. Cette extension numérique – que les Pouvoirs publics pourraient quant à eux sans difficultés majeures requérir – permettrait ainsi d'intégrer les rémunérations – par exemple des traders – sous le coup des dispositions de l'article L 225 – 102 – 1 du Code de commerce ( traitant du Rapport annuel sur les rémunérations et avantages ) dont on observera au demeurant que leur respect est soumis à attestation ( en exactitude et sincérité ) des commissaires aux comptes depuis la promulgation du décret de 2006. ( D. 2006 – 1566 du 11 Décembre 2006, article 54 ).
19
Notre proposition a certes un impact organisationnel à calibrer ( créations de filiales thématiques dédiées entrainant la création de mandats sociaux ) mais peut être déployée à strict droit constant ce qui constitue un atout au regard de deux éléments bien identifiés : d'une part, l'encombrement parlementaire post-‐présidentielle... ) du fait d'autres réformes à mettre en œuvre, d'autre part, la nécessaire recherche d'une quote-‐part maximale de stabilité des situations juridiques. Si décisions il y a dans le secteur bancaire, notre analyse nous conduit à énoncer qu'elles seront tôt ou tard transposées à d'autres secteurs ce qui n'altère pas la faisabilité opérationnelle de la proposition.
Une certitude demeure ancrée : ce n'est pas le montant nominal des rémunérations qu'il faut soumettre à la toise, c'est l'exposition au risque que l'exercice irrationnel d'un métier fait courir à l'ensemble.
Deuxième côté du carré actuellement funeste, la crise a révélé à quel point la hiérarchie la plus ultime des établissements bancaires méconnaissait le fonctionnement concret des salles de marché et leur évolution récente. Pour ne pas dire plus. Il est hélas inutile de développer ce point car la sagacité du lecteur est ici présupposée voire postulée et que nous sommes assez nombreux à conserver en mémoire des déclarations publiques de dirigeants qui suffisent à nourrir notre affirmation à valeur de strict rappel sur un mode retenu.
Nous serions heureux de pouvoir intellectuellement nous en abstenir mais comme se plaisait à le rappeler Jacques Delors dans d'autres circonstances financières – elles aussi difficiles -‐ : les faits sont têtus… D'ailleurs, il serait pour le moins contradictoire de nier cette réalité car cela reviendrait à dire que les dirigeants avaient pleine conscience des risques encourus, de ce que j'appelle le cordeau Bickford constitué par le poids et le contenu mutuellement sans cesse croissants des engagements hors-‐bilan des établissements. Il y a eu de lourdes erreurs que les soutiens publics vont aider à gommer dans des silences lourds de sens car les parties en présence n'ont guère d'autres choix. La question qui demeure ouverte pour l'acteur public et pour les historiens à venir de la sphère financière est celle du degré exact ET préalable de connaissances du volume des risques. Par obligation et fort de notre expérience d'ancien commissaire aux comptes, il nous revient ici de rappeler que le mandataire social doit rechercher la continuité d'exploitation et ne pas déroger aux règles que le Doyen Pierre Bézard a nommé avec netteté dans plusieurs ouvrages ( et jurisprudences…) la loyauté du dirigeant. Il serait de bonne intelligence que les décideurs de l'industrie bancaire gardent présent à l'esprit le vaste soupçon de baraterie qui plane sur leur gestion dans la dernière période. Comme toute soupçon, il charrie ses vérités et ses excès outranciers. Troisième côté du carré, les banques sont en dernier ressort face à une crise de rentabilité que les états de synthèse de leurs profits ont parfois tendance à sous-‐refléter voire à occulter.
20
Pour le grand public, la messe est dite et les banques font à nouveau des " sous ".
Pour qui prend le temps et le soin de lire des états comptables récents, la situation est nettement plus contrastée ce qui a une conséquence méta-‐sectorielle que notre estimé ancien confrère René Ricol a affronté durant de longues semaines dans ses fonctions de Médiateur du crédit. L'économie va être confrontée pour une période longue à une sélectivité accrue des banquiers prêteurs directement découlée de leur crise interne de rentabilité. Ceci dans un contexte où le refinancement régulier et accentué des Etats ne manquera pas de provoquer des effets d'éviction ( " crowding-‐out " ) sur les marchés financiers d'où des tensions durables en matière de dettes souveraines.
A ce stade, j'ignore si l'analyse économique sera en mesure d'apporter sa contribution à la crise d'efficience allocative des banques mais dans la mesure où l'importance des économistes travaillant pour celles-‐ci est connue et établie ( voir les éminents Jean-‐Hervé Lorenzi ou Christian de Boissieu ) il est légitimement permis d'espérer. Quatrième et dernier côté du carré, les normes comptables. Sur cette question technique fondamentale, souvenons-‐nous d'abord avec stricte exactitude et un rien de malice entendue que ce fût Charles de Croisset ( alors Président du C.C.F devenu HSBC France ) le premier à souligner deux faits d'importance. D'une part, la sous-‐représentation de la France voire de l'Union européenne dans les instances investies du pouvoir de validation de la réforme des référentiels normatifs. D'autre part, l'ampleur du big bang que constituerait l'adoption pleine et entière de la " fair value " alors en cours de définition finale. Il ne fût guère entendu des dirigeants d'alors de notre pays dont la condescendance vis-‐à-‐vis du chiffre et des comptables est historiquement et presque judiciairement établie. Le premier point qui surprend concernant les normes réside dans la brutalité du changement digne d'une " migration ", d'un basculement cher aux développeurs de logiciels informatiques.
Le monde a accepté de quitter – telle une mue reptilienne – une rive pour une autre sans chercher à quantifier les vertus du panachage voire du régime transitoire.
En effet, nous étions quelques uns à avoir tenté de murmurer qu'il y aurait pertinence à ce que les valeurs au bilan fussent calculées par une exacte moyenne entre la valeur de marché et la valeur historique. Si l'on songe aux aberrations des immeubles totalement amortis qui valaient un €uro symbolique en plein Paris haussmannien ou Londres victorien, chacun comprend qu'il y aurait déjà eu un immense progrès vers la notion pivot de toute comptabilité: à savoir, l'image fidèle. Au lieu de fidélité, le travail collectif des normalisateurs – par ailleurs qualifiable de considérable – s'est attaché à la notion d'exactitude des comptes en remettant cette quête dans les seules mains de la trompeuse appellation de " fair value " qui comporte –
21
en creux -‐ en anglais une connotation subjective qui apparaît lorsque le terme d'unfair est utilisé en droit ou en économie. Or là, il y a eu recul conceptuel préjudiciable. En effet, le Code de commerce n'introduit à bon escient aucun lien de cause à effet entre les obligations de régularité et de sincérité comptable d'une part et l'image fidèle d'autre part. Si l'image fidèle est effectivement présente ( L 123-‐14, alinéa 1er ), c'est bien parce qu'elle est une notion distincte et exogène aux deux autres obligations. Pour les professionnels du chiffre, la comptabilité est intrinsèquement un outil où la technicité va de pair avec une dimension conventionnelle. Celle-‐ci est quasiment exponentielle depuis l'adoption de certaines normes qui aboutissant à des non-‐sens en termes de valorisation obligent alors à des retraitements et à l'utilisation de modèles par essence soumis à subjectivité et non-‐universalité. Sur ce point précis et vraiment décisif, il faut ici rappeler que l'alinéa 3 de l'article L 123-‐14 du Code de commerce énonce une disposition impérative : toute dérogation rendue obligatoire par la situation de fait doit être explicitée dans l'annexe des comptes annuels. Rappel du texte exact : " Si, dans un cas exceptionnel, l'application d'une prescription comptable se révèle impropre à donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ou du résultat, il doit y être dérogé. Cette dérogation est mentionnée à l'annexe et dûment motivée, avec l'indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l'entreprise. " Autrement dit, le Code de commerce et ses prescriptions règlementaires attachées ne font aucune place aux conversations d'antichambre dignes d'un " bargaining " suspect et posent clairement les seules règles devant présider aux travaux d'arrêté des comptes annuels. L'image fidèle est donc la pierre angulaire dont la pleine validité est à remettre au cœur des pratiques des acteurs de l'industrie bancaire et de leurs Comités d'audit.... Un exemple factuel vient étayer cette affirmation au moment où des esquisses de quasi-‐récession menacent : les banques sont les seuls agents économiques ayant obtenu en France une dérogation de facto au principe de prudence qui régit usuellement les règles comptables. Ainsi, il leur est possible pour les seuls titres de transaction de tenir compte des moins-‐values potentielles mais aussi des plus-‐values potentielles. Nul besoin d'expertise approfondie pour mesurer l'effet d'aubaine au point conjoncturel où nous semblons être. L'image fidèle est le seul concept dont la densité exogène pourra contraindre l'industrie bancaire à la rigueur que l'essence de ses métiers rend obligatoire. Pour citer – à fin de plus ample démonstration – un auteur reconnu des praticiens :
22
" Une activité notable du banquier est la prise ou réception d'engagements significatifs ( opérations de hors-‐bilan ) sans qu'il y ait transfert de fonds. Il peut en découler que ces engagements ne génèrent pas d'écritures comptables dans les systèmes généraux. La non-‐prise en compte de ces éléments peut être difficile à déceler. " Jean-‐Luc Siruguet, in " Le contrôle comptable bancaire ". ( Revue Banque : page 86 ). En peu de mots, l'essentiel est rapporté. En si peu de temps de lecture, on mesure l'ampleur des risques et la taille du présent chantier de reconformation qui va au-‐delà des renforcements de régulation obtenus par la BCE et Monsieur TRICHET.
L'industrie bancaire cumule des foyers d'innovation vecteurs de progrès mais parfois d'ordre tératogène : il faut que les pratiques de présentation comptable qui sont, à ce jour, parcellaires reflètent bien davantage l'exhaustivité des exploitations par essence toujours imaginatives.
Le deuxième point concernant les normes appartient désormais à l'histoire humaine : conçues pour être un mieux, elles ont été un moins dans les bilans.
Leur application frontale, hors sérieux régime de transition qui eût valeur probatoire, a coincidé avec une crise conjoncturelle dont l'impact sera profond et durable.
L'adoption un rien naïve et peut-‐être totalitaire d'un seul concept technique endogène ( la " fair value " ) représente ainsi un gâchis collectif dont le chiffrage ne se limite pas aux billets d'avion des membres de l'IASB ou à leurs heures de travail.
Selon moi, du fait des spirales baissières pro-‐cycliques que les normes ont induit sur les trois dernières années, elles sont analytiquement éligibles au rang de déséconomie externe majeure, d'anti-‐externalité sans précédent à occurrence séculaire. Face à l'importance des destructions combinées de valeur, il faudrait les patiences et les ardeurs cumulées de feu Edmond Malinvaud ( INSEE ) et d'un estimé Edouard Salustro pour suggérer à une instance internationale une quantification de cette balle tirée dans le pied du monde. Le résultat serait probablement effrayant mais il contribuerait à ouvrir les yeux en matière de dévoiement d'intentions. A ce propos de quantification, si l'information est diffusée ( car rendue publique ), il serait instructif de lire les travaux actuellement en cours du FCAG ( Financial Crisis Advisory Group ) qui doit poursuivre, dans les mois à venir, un opération vérité vis à vis de l'IASB mais aussi de la FASB ( US Financial Accounting Standards Board )… On sait que Clémenceau pensait avoir raison en énonçant que la guerre est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls militaires. On sait désormais que les plus fins spécialistes comptables peuvent verser dans un isolement fautif par-‐delà leurs nobles intentions de départ.
23
Madame Christine Lagarde – incontestablement déçue par la tournure des choses et les réponses ( fin Août 2009 ) de l'IASB – avait alors posé avec quelques bruits que la myopie et la surdité de l'IASB étaient établies.
Pour notre part, nous voyons dans l'aboutissement présent des IFRS une approche monaurale où certains Etats n'ont pas assez initialement pris conscience de la révolution de papier qui était en marche. Des validations publiques sont par conséquent intervenues dans des conditions imparfaites. Donc, regrettables.
Désormais, il est clair qu'il faut un changement de statut juridique de l'IASB sinon les forces en présence joueront globalement dans le même sens.
Comme aimait à me le dire vivement le Préfet de Région Claudius Brosse ( sur d'autres sujets…) : " Vous avez déjà vu quelqu'un de puissant se déjuger ? "…
Selon notre entendement de la situation, il faut – selon une voie minimale – élargir le nombre de trustees ( et partant leur " représentativité " ) qui composent la Fondation IASCF, organe de surveillance de l'IASB.
Selon notre approche préférée – certes plus maximaliste – il faut arrêter de s'en remettre à une simple association de droit privé pour traiter de telles matières qui relèvent – qui songerait à le contester ? – de l'intérêt général.
Sans tenir éloignée de notre pensée l'expérience française dite de nationalisation-‐sanction ( Exemple des usines Renault à la Libération ), il nous paraît sincèrement soutenable de préconiser l'adoption d'un statut international de type UPU : Union postale universelle.
Cette modification de statut est probablement un point de passage obligé pour réorienter valablement les travaux de l'IASB et ainsi donner sa chance à la notion d'image fidèle.
Notre vive préconisation formulée à l'aune de notre compétence forcément contenue est en effet d'insérer la préoccupation d'image fidèle de manière normativement faîtière et de l'endogénéiser.
Il en va ici de la crédibilité des états comptables de toute entité et singulièrement de celles qui traitent de matière financière. A quoi servirait – par exemple non fortuit – une comptabilité en " fair value " largement dépassée par la réalité des opérations de titrisation et autres évènements hors-‐bilan là où l'image fidèle engage davantage en fait et en droit la responsabilité des opérateurs et des dirigeants. Sans responsabilité, pas de solution normative crédible. Comme la métaphore ici développée du carré le préfigure, les quatre côtés sont égaux en intensité de question à résoudre.
24
Couple rémunération-‐risques encourus, maîtrise réelle des métiers par les top-‐décideurs et des process par une compliance enfin reformatée, crise d'efficacité allocative, refonte incertaine de l'IAS 39 et autres normes applicables forment la matrice du désarroi des banques au début de la deuxième décennie de notre nouveau siècle. A l'heure où il n'est pas improbable qu'un jeu collectif subi ou voulu aboutisse à la résurgence de tensions inflationnistes – soulagement de la dette publique et concomitamment amélioration faciale des résultats d'exploitation en " fair value " – il nous revient d'affirmer que les banques ont un devoir d'envergure : celui de juguler progressivement les quatre sources précitées de leur désarroi. C'est une nécessité impérieuse qui supposera que certains segments-‐clefs des règles de présentation des états comptables soient à nouveau personnalisés, " customizés " pour les établissements financiers. Sans adaptation sectorielle sérieuse, pas de sincérité idoine. Des personnalités du rang et de la compétence de Jacques de Fouchier ou de Maurice Pérouse ont démontré de manière incontestable – il y a déjà bien des années – que le bon exercice du métier de banquier suppose la confiance des agents environnants. S'il a pu être reproché aux capitaines de l'industrie bancaire des actes de baraterie, il revient aux Etats de leur fournir des rails de navigation et des outils de surveillance de bon format. 3 ) Parallèle au désarroi explicité supra dans ce document, il y a la notion de maintien. Elle se décline selon deux axes symétriques qui mériteraient – dans un idéal hors de portée – de constituer des forces de bijection. 3.1 Tout d'abord, les banques ont à maintenir l'existant : nul ne peut décréter un grand soir, une sorte de tabula rasa du secteur financier en vue d'une chimérique reconstruction depuis un " ground zéro " de la finance mondiale.
Puisqu'il s'agira donc de réformes graduelles, cela signifie que le temps sera une variable d'importance. Or, nous avons déjà établi que le temps ne sait être qu'un allié déclaré du " crédit crunch " en cours de déploiement et que les crises grecque et irlandaise ont illustré.
Tel est le nœud gordien du G20 en cette seule matière. Autrement dit, si la qualité de définition des réformes est importante, leur vitesse d'implantation sera un paramètre crucial afin d'éviter la cristallisation des difficultés actuelles. L'idéal serait de construire à législation quasi-‐constante. 3.2 En matière d'occurrence d'aboutissement des projets humains, de sélection normale des programmes d'investissements, les banques ont un cap à tenir qui relève de la devise de Guillaume d'Orange : " Je maintiendrai " doit être un leitmotiv transmis aux exploitants par des managers conscients des enjeux.
25
Si le " pouvoir de dire oui " s'évapore du champ des possibles, la crise sera sporadiquement auto-‐entretenue. Symétriquement, le politique doit savoir garder une distance réaliste afin de ne pas générer des poursuites d'exploitation dans des conditions irrémédiablement compromises selon la formule judiciaire usuelle. La crise provoque en effet une réaction mixte et parfois contradictoire de l'Etat. D'un côté, défenseur obligé des secteurs et entités victimes du " crédit crunch " au prix d'éventuelles approximations de droit et de fait. De l'autre, défenseur de l'industrie bancaire qui ne saurait souffrir d'un effet-‐domino et être irrémédiablement altérée. 3.3 Si le maintien des banques se parcourt selon les deux axes ci-‐dessus abordés, il faut revenir sur le rôle des économistes et poser qu'il n'est ni offensant ni dégradant de leur confier une fonction de maintenance. Elle est toujours préférable au rôle de simple aristarque. Or, à l'instar de l'industrie ou de la médecine, la maintenance ne vit que par la qualité du diagnostic, que par la recherche étiologique préalable. S'agissant de la crise de 2008, elle impose à l'économiste lucide une concession de taille et imprévue : la hiérarchie des risques qui se sont effectivement matérialisés est désormais connue et place au centre de la collision le risque d'illiquidité. En amont de celui d'insolvabilité. Là encore, les travaux et efforts déployés par les bâtisseurs ( Cooke, Mc Donough ) se sont brisés face à la vague du risque dit systémique. Il faut être vigilant et relever pour longtemps que le spectre des risques de défaillances a été plus large que la couverture radar fournie par les ratios prudentiels en vigueur. Cette déduction vient des faits qui viennent de se dérouler sous nos yeux ébahis et il faut donc admettre – avec humilité – que la réalité du déroulement de l'Automne 2008 a fait voler en éclats les certitudes de plusieurs décennies de quêtes prudentielles. Pour ma part, au nom des heures de recherches que cette question m'a inspiré dans un passé somme toute récent, je suis dans l'obligation de rappeler l'existence d'une étude de 2002 financée et publiée par la Fondation Banque de France hautement présidée par le Gouverneur Christian Noyer. Son titre est explicite : " L'efficacité technique peut-‐elle contribuer à l'évaluation du risque d'insolvabilité ? " ( Mai 2002, Gunther Capelle-‐Blancard et Thierry Chauveau ). Son objet défini par les deux auteurs est d'offrir une " identification des banques en difficulté fondée sur la seule modélisation stochastique des postes du bilan " et de " tester, pour la première fois …/… les performances prédictives d'un indicateur avancé de faillite ". Sa relecture est porteuse d'enseignements ( indicateur CAMELS adopté fin 2011 par la Société Générale ) et on peut valablement conclure qu'il est de l'ordre de la nécessité
26
que de faire vivre, de manière enfin déterminée, les indicateurs proposés à la lumière de la distinction cruciale ( évoquée supra ) à établir entre insolvabilité et illiquidité. A l'heure où les banques ont obtenu une sorte de pare-‐feu public qui induit une forme d'immortalité de telles sociétés commerciales, il est d'évidence que l'apporteur d'une telle protection est en droit d'avoir la faculté de mesurer ce que bon lui semble dans l'environnement législatif et règlementaire d'un Etat de droit. Au moment même où plusieurs courants de pensée économique sont à l'unisson pour stigmatiser les risques de tension monétaire du monde présent, gardons à l'esprit que – pour l'instant – les opérations en devises demeurent inscrites dans le hors-‐bilan des banques… Ceci atteste, une fois encore, du vrai chemin à parcourir loin de l'usage répété, galvaudé et confortable du terme de " transparence " des comptes. Compte-‐tenu de la consolidation du secteur bancaire consécutive à des opérations de fusions-‐acquisitions ( qui est là et sera encore plus vigoureuse demain ) et du nombre limité d'acteurs publics à la recherche de solutions consistantes et pérennes, une chose semble certaine dans cet univers d'incertitudes : l'actualité criante de la phrase du 20 Août 1940 de Winston Churchill ( qui évoquait les valeureux pilotes de la R.A.F ) : " Never was so much owed by so many to so few ". Loin des polémiques qui vont aller croissantes sur la trajectoire de l'IASB, combien seront-‐ils à décider vraiment ? Jusqu'où auront-‐ils la volonté d'aller pour épauler la résilience actuellement décelable mais grandement fragile de la machine économique ? Condamneront-‐ils une large partie du monde à la récession ?
27
-‐ III -‐
L'indispensable reconstruction des Banques privées :
La crise économique est sévère pour les plus démunis : c'est l'évidence. Mais elle est aussi un cap délicat à franchir pour les détenteurs de patrimoine dont les nouvelles attentes obligent à une véritable reconstruction des banques privées.
Tout le monde a en tête une approche de la notion de banque privée alors que la réalité de celle-‐ci peut être plus fine à cerner qu'il n'y parait.
Pour les auteurs du Vernimmen, une banque privée est " un Etablissement qui se spécialise dans la gestion de fortune ou de patrimoine de clients fortunés à qui des produits et des services spécifiques sont proposés. Déclaration d'impôt, accès à des hedge funds ou fonds de private equity, conseils patrimoniaux, conseils pour l'achat d'œuvres d'art, architecture du patrimoine personnel, organisation des successions, etc. Selon les banques, le minimum d'actifs financiers liquides détenus permettant d'obtenir des services de banque privée sont compris entre 250.000 et 1.000.000 d'€uros. "
Selon cette approche, la banque privée serait proche des travaux de l'expert fiscal ( voire de l'expert-‐comptable ) pour les obligations fiscales déclaratives et du notaire ( hors aspect réglementé de l'Officier ministériel ) pour l'organisation des successions.
En fait, les banques privées ont un rôle principal et des missions connexes ( ce qui ne signifie pas accessoires ).
La mission principale des banques privées a longtemps été de faire fructifier la portion de patrimoine qui leur était confiée par leurs clients. C'était leur job. La crise aidant – et notamment celle des marchés actions ( décrite par le dernier bulletin d'HSBC Private Banking ) – a fait migrer la question du rendement vers celle – autrement plus délicate – de la sécurité des actifs confiés.
Si le client attend bien évidemment un retour sur fonds confiés en gestion, il attend surtout une sécurité qui l'éloigne du risque exceptionnel de type Madoff ou du risque plus fréquent du type valorisation de Dexia ou de Natixis qui fut présentée ( lors de son introduction ) comme une valeur de pater familias.
Combien d'épargnants sont-‐ils collés avec du papier tellement dévalorisé qu'ils pourraient presque en faire du papier peint si les titres n'étaient pas dématérialisés ?
A ce stade, il faut convenir que la tâche des gérants est complexe : par exemple lorsqu'on voit défiler les valeurs du CAC40 sur LCI et que le professionnel Thomas Blard nous
28
invite à constater qu'AXA est désormais souvent sous la barre des 10 €uros, il y a de quoi comprendre l'effroi des clients et le coup de chaud des gérants.
On ne peut réécrire l'histoire mais la crise de l'assurance est devant nous : elle impliquera la consolidation du secteur ( GAN / ALLIANZ ) et des dépréciations d'actifs que les normes comptables pro-‐cycliques viendront accentuer.
L'impact de la crise sectorielle assurantielle induit d'ores et déjà une onde de choc sur les marchés.
La première étape de la reconstruction des banques privées tient donc à une modification sérieuse et durable de la hiérarchie des attentes des détenteurs de patrimoine : le passage en " pole position " de la sécurité des actifs par rapport au rendement. La deuxième étape de la reconstruction des banques privées tient à l'émergence du taux net de rentabilité de l'€uro confié. Traditionnellement, on distingue trois types de gestion : la gestion autonome ( couplée à des services de Bourses en ligne où le client agit pour son compte ), la gestion conseillée où le client conserve une certaine maîtrise mais se voit prodiguer avec plus ou moins d'insistance des conseils et enfin – en haut de la pyramide de la relation de confiance – la gestion sous mandat avec définition obligatoire des profils de risques : de prudent à dynamique. Pour ces trois types de gestion, le " return " avant imposition n'est pas le même et certains Etablissements ( l'ex-‐BNCI par exemple ) ont parfois des pulsions de fringale qui obèrent le rendement en temps de crise.
De la même façon que l'on ne peut pas demander des TRI de 15 % à nos amis porteurs de projets industriels, il est troublant de voir certains mandats de gestion décorés comme un sapin de Noël de frais annexes généralement peu explicités à l'entrée en relation. Au demeurant, nos recherches nous ont fait aboutir à une seule grille tarifaire publiquement dévoilée sur un site internet : le Crédit Agricole.
En numéro 2 bis de la reconstruction des banques privées, une meilleure approche des charges réelles demandées aux clients finira par s'imposer.
Troisième étape du chantier de reconstruction des banques privées : la segmentation de la clientèle. A ce jour, chacun s'accorde à distinguer la gestion privée correspondant à des montants autour d'un million d'€uros de la gestion de fortune qui démarre au-‐delà du seuil de 5 voire 10 millions d'€uros.
D'où la distinction usuelle entre " private banking " et " wealth management " ( voir sur ce point le site d'U.B.S ). Dans une autre et ultime catégorie figure l'exceptionnel " Family office " où la banque privée est un interlocuteur quasi-‐quotidien et s'occupe aussi bien des avoirs que des conditions de vie de ses clients. Une coalition harmonieuse entre des gestionnaires hors-‐pair et une sorte de service de conciergerie digne de l'Hôtel de CRILLON.....
La segmentation est, selon nous, tristement mécanique et ne prend pas en considération la fluidité des patrimoines modernes.
29
Certains accidents de la vie font descendre le client de " gamme ". D'autres évènements ( cession d'une entreprise ) lui font transcender positivement et significativement la catégorie à laquelle il appartenait. Autrement dit, nous considérons que l'évolution de la cartographie des patrimoines va plus vite que l'adaptation des segmentations marketing de certains Etablissements.
L'évolution de la surface du client est plus véloce que le suivi de bien des " private banking ".
Quatrième étape : le rapport aux temps. Nous considérons que le sablier qui s'écoule et ses conséquences matérielles ne sont maîtrisées de manière crédible que par un nombre limité d'Etablissements.
Première dimension du sablier : bien évidemment l'horizon de placements qui est une variable capitale pour le choix des classes d'actifs mais qui est parfois fort mal appréhendé par l'interlocuteur du client. Deuxième dimension du sablier : la révolution intergénérationnelle que les pays occidentaux sont en train d'expérimenter. D'une part, avec des enfants qui restent à charge plus longtemps. D'autre part, avec de grands anciens qui sont parfois une charge complexe à anticiper et honorer.
" La générosité souffre des maux d'autrui, comme si elle en était responsable ".
( Vauvenargues, Réflexions et maximes ). Les temps des clients sont des objets fragiles où il faut un accompagnement humain pétri de délicatesse : des Maisons comme Jean-‐Philippe HOTTINGUER, Banque 1818 ou OBC ( devenu NEUFLIZE OBC ) ont manifestement donné instructions et formations à leur gestionnaire de fortune.
Que dire de telle ou telle conseillère qui vous rappelle avec un sourire pseudo-‐complice que vos propres parents ont plus de 80 ans et qu'un " bilan patrimonial " pourrait être fait à titre préventif ? Non, pour être plusieurs à l'avoir vécu voire subi, il y a des êtres qui sont bavards comme des garçons coiffeurs alors que l'on tente de trouver ses mots, par delà une légitime émotion, pour expliquer ce que le temps accomplit.
Ce mépris indirect des anciens et cette flatterie du client de 50 ans est tout simplement obscène.
Troisième dimension du sablier : l'entendement des donations. Sur le papier, posons que tous les banquiers privés soient incollables en matière de donations. Point à valider mais prenons un instant ce présupposé. Cette connaissance livresque issue de fiches-‐types oublient là encore que le client peut être plus mobile et vouloir donner davantage que prévu à ses enfants.
Certains Etablissements – dont La Banque postale pourtant regardée avec un sourire par les authentiques private bankers – enregistrent très bien les volontés de leur client. Par opposition, d'autres Etablissements – piégés par leur approche normative – ne comprennent rien et exigent ( nous répétons exigent ) du client un contact informel avec le rédacteur d'acte : avec le notaire. S'il ne s'agissait de matières délicates, on pourrait en rire. Là, il s'agit de la redéfinition spatio-‐temporelle d'un patrimoine à l'échelle de deux ou trois générations. Ce rapport aux temps est un chantier urgent pour près de la moitié de la profession.
30
" Quand l'homme est misérable, il s'aigrit; mais quand il est à la fois propriétaire et misérable, il s'aigrit davantage. Il a pu se résigner à l'indigence, il ne se résigne pas à la spoliation " TAINE ( Les origines de la France contemporaine, L'ancien Régime, IV ). Détenir un patrimoine est un atout et un enjeu : ces deux variables sont sub-‐déléguées à la notion de confiance que suscite la banque privée sous réserve de former ces cadres au sablier et à la délicatesse oratoire. Jongler de rendez-‐vous en rendez-‐vous, en pensant à ces mails, ne fera jamais une bonne alchimie pour l'exploitant bancaire. " Des choses anciennes procèdent les nouvelles " ( e veteris nova, Sénèque , De Clementia XXV ) rappelle opportunément une page du site de NEUFLIZE OBC.
Cela tranche avec des banquiers confirmés qui nous ont dit, " face to face ", que les choses " se précisaient " en évoquant le nombre de printemps de nos ascendants.
Quant on voit que certaines banques se vantent de pouvoir proposer un choix de visuel sur une Carte VISA ( dans la section private banking ) on se dit que l'on a peu envie de parler de détentions d'actions cycliques sur les marchés émergents ou de comptes à terme d'une certaine maturité.... Cinquième étape : par-‐delà la requise Muraille de Chine, les banques privées vont être confrontées – par ricochets – à la question du refinancement des dettes souveraines et l'effet d'éviction ( " crowding-‐out " ) que tout ceci va engendrer. Elles trouveront probablement des produits d'émission publique valables pour leur clientèle mais elles vont surtout devoir approfondir encore leurs travaux d'optimisation fiscale dans un contexte où la future instabilité législative est acquise.
Ce pan de la reconstruction va supposer une réactivité sans précédent : aux milliards que l'Etat va devoir ponctionner, il va falloir bâtir des stratégies légales innovantes dans un temps record.
Les banques privées sont sur un marché contestable au sens où l'économiste Baumol l'a défini en 1982 : un marché est contestable s'il existe une liberté d'entrée ( libre concurrence ) et une liberté de sortie. Internet a vu éclore des pure players avec plus ou moins de réussite et il est probable que les règles issues de la nouvelle régulation bancaire ( Bâle III ) vont changer la donne et provoquer des sorties.
De surcroît, la crise ( comme nous l'avons déjà écrit ) va engendrer un mouvement de concentration : songeons ici à FORTIS et la dynamique BNP. Francis Bouygues fût un collaborateur talentueux et efficace du Ministre de la Reconstruction Robert Duchet : il est impératif que les banques prennent dans leurs filets de recrutement des hommes et des femmes d'exception capables de mener le chantier de reconstruction que nous avons abordé dans cette contribution.
Par-‐delà certains aspects sulfureux de la première génération, convenons avec intérêt que les banques privées de notre pays ont besoin de davantage de personnes ayant la carrure de Carlos MARCH qui fut un actionnaire clairvoyant de CARREFOUR comme de HAVAS. Bel exemple, in concreto, de gestion de patrimoine. Et même de gestion de fortune pour rester englué dans une segmentation à faible portée efficiente.
31
-‐ IV -‐
Banques d'affaires : " Prendre un bouton pour en faire un costume "
Les banques d'affaires sont à la croisée des chemins d'un nombre important d'opérations capitalistes : fusions-‐acquisitions, recomposition de l'actionnariat, OPA hostiles, etc. Pour certains, elles sont l'ennemi. Pour d'autres, elles sont des partenaires d'affaires fiables et reconnus. Après avoir évoqué leur rôle, nous passerons à la question-‐clef de cette contribution : mais où est donc passé André MEYER et son slogan : " prendre un bouton pour faire un costume " ?
Les banques d'affaires ne laissent jamais indifférents. Pour certains, notamment l'ancien ministre Anicet LE PORS ( voir " Les béquilles du capital " ), elles sont globalement néfastes et ne servent que le mouvement tendanciel de concentration du capitalisme. Pour d'autres, elles sont méconnues car ces banques avancent à pas comptés dans notre univers médiatisé : elles savent demeurer aussi discrètes que prospères. Enfin, pour d'aucuns elles représentent tout simplement leur gagne-‐pain : elles sont leur employeur et savent parfaitement fédérer des talents et des ambitions ! Au démarrage de cette contribution, il est opportun de citer le glossaire VERNIMMEN qui indique, à la rubrique, banque d'affaires : " Une banque d'affaires est une banque qui a un rôle d'intermédiaire dans les opérations financières : introduction en Bourse, augmentation de capital, placement d'emprunt, opération de fusion-‐acquisition... Elle ne prête quasiment pas. Elle a donc des besoins en capitaux propres plus réduits que les banques commerciales. Par contre, il peut lui arriver de prendre des participations minoritaires ou majoritaires dans des affaires industrielles ou commerciales afin de les aider à se développer et de réaliser à terme une plus-‐value en recédant cette participation ".
Cette définition exhaustive est d'ordre statique : elle ne cherche pas à inclure les banques d'affaires dans un mouvement historique auquel elles appartiennent comme les autres agents économiques. Dans " La guerre des capitalismes aura lieu " ( publié par le Cercle des Economistes présidé par le Professeur Jean-‐Hervé LORENZI ) de nombreuses pages retiennent l'attention. Particulièrement le passage suivant : " Deux grands débats sont aujourd'hui au cœur de ces tensions en Europe. Le premier concerne la nationalité des entreprises et la crainte que les fusions et acquisitions ne mènent à la disparition des " champions nationaux." (...) Le processus aura nécessairement pour conséquence des fusions, la disparition de grandes marques nationales et la délocalisation de grands sièges sociaux. Les tenants des champions nationaux n'ont pas réussi à identifier les fondements économiques de leur résistance, au-‐delà de leur souhait purement mercantiliste de procéder à des acquisitions unilatérales ".
32
Sempiternel jeu de rôles entre le chasseur et le gibier, entre le prédateur et la cible.
Les banques d'affaires – sans leur faire injure – ont un rôle assimilable à celui du chargeur lors d'une partie de chasse. Elles tendent l'arme dûment préparée à leur donneur d'ordre qui n'a plus qu'à suivre visuellement le gibier et l'atteindre.
Autrement dit, nous contestons formellement les analyses qui affirment – sans démontrer – que les banques d'affaires n'ont qu'un carnet d'adresses et pas de savoir-‐faire.
Pour avoir travaillé avec des banques d'affaires du temps de CLUNY FINANCE ou de nos fonctions de Commissaire aux comptes, nous pouvons attester que de vraies heures de travail se déroulent derrière les jolies façades des banques d'affaires.
Non, on ne monte pas un MBO ( Management Buy-‐out ) en claquant des doigts à la sortie d'un restaurant réputé : il faut du travail et de la méthode pour recenser les variables motrices de l'opération, les hiérarchiser et choisir, si besoin, des co-‐traitants ( Cabinet d'avocats d'affaires ) pour assurer le bouclage du deal.
Les banquiers d'affaires ont été à l'origine de bien des opérations réussies. Il faut toutefois rapporter ici un fiasco fameux : l'OPA ratée de BSN ( futur DANONE ) en décembre 1968 sur le Groupe SAINT-‐GOBAIN. Le paradoxe industriel savoureux étant que cet indéniable échec a précipité le génial Antoine RIBOUD vers l'agro-‐alimentaire avec le succès que l'on sait ! " L'esthétique de l'échec est la seule durable. Qui ne comprend pas l'échec est perdu " Jean COCTEAU ( Opium ). Chez BSN, un stratège hors-‐pair finement épaulé par la Banque LAZARD a su assimiler l'échec.
En étude d'impact, il est clair que la banque d'affaires la plus connue demeure LAZARD Frères. Cette Maison a su, depuis des années, réussir à faire travailler vers un but commun des personnages aussi différents que le truculent et redoutable Antoine BERNHEIM comme le très respecté et regretté Jean-‐Claude HAAS dont notre personne peut témoigner de l'élégance par-‐delà les contingences qu'imposent les aléas de l'action.
Fortes de leurs individualités ( voir ROTHSCHILD ), les banques d'affaires sont parfois sous les feux de l'actualité ( et le regrettent sûrement ) : pensons ici à GOLDMAN SACHS dont les ennemis font chœur avec les " indignés " de l'ancien Ambassadeur Stéphane HESSEL. Cela étant, business as usual et " G.S " se porte toujours aussi bien....
Selon nous, les équipes de GOLDMAN SACHS pourraient prendre pour devise celle de LATECOERE : " Lorsque Pierre LATECOERE a lancé la ligne d'Amérique du Sud, tout lui indiquait qu'il se trompait : " Les calculs de mes ingénieurs sont formels : le projet est irréalisable. Il ne nous reste plus qu'une chose à faire : le réaliser " ( Marcel JULLIAN, Délit de vagabondage ).
L'actualité récente rapporte des deals exécutés avec brio par " G.S " qui doivent fatiguer leurs concurrents à commencer par la JP MORGAN.
Bien entendu, rien n'empêche le donneur d'ordres de s'adresser – essentiellement par souci d'économies sur les fees – à des structures dynamiques et intéressantes mais plus petites : Banque LEONARDO, ODDO & Cie ou à des Maisons de tradition qui savent, de génération en génération, travailler aussi silencieusement que nettement : voir Banque Jean-‐Philippe HOTTINGUER, par exemple.
33
Le spectre de la concurrence comprend aussi des " boutiques " en corporate finance montées par des individualités reconnues : MESSIER Partners, BUCEPHALE ( Jean-‐Marc FORNERI ) ou WEINBERG Partners ( initié par l'efficace Serge WEINBERG dont la discrétion va de pair avec la succession de présidences d'entreprises du CAC 40... )
Du travail, de l'appétit commercial, du talent d'exécution, un bouche à oreille primordial sont les ingrédients de la réussite d'une banque d'affaires. Pour les anecdotes et pour l'ambiance interne parfois électrique, le lecteur pourra prendre connaissance avec gourmandise du livre alerte d'Anne SABOURET : " MM. Lazard Frères et Cie, une saga de la fortune " ( 1990 ).
Pour une ambiance nettement plus virile, il est requis de se rapporter à la tentative de raid sur la Banque RIVAUD mené au nom de GAZ et EAUX ( filiale de LAZARD Frères ) par l'impétueux Dominique de LA MARTINIERE avec l'appui de la Banque STERN.
Si cette opération fût un échec, Vincent BOLLORE sût reprendre ce dossier et le faire aboutir. Question de timing peut-‐être, question de talent sûrement.
Jean-‐François REVEL cite dans son ouvrage Mémoires ( Le voleur dans la maison vide ) le philosophe du XiXème siècle Charles RENOUVIER qui mis en lumière le terme d'uchronie. Comme l'indique Wikipédia, l'auteur d'une uchronie part d'un fait présent et réel et poursuit l'histoire selon différents scénarios d'évolution possible.
Loin d'être anachroniques dans ce monde où la concentration des moyens de production est un trait dominant, les banques d'affaires réalisent des simulations, des spéculations intellectuelles pour voir si le deal est faisable. Ainsi, nous posons qu'un des piliers de leurs travaux repose sur la notion d'uchronie qui ne peut prospérer que chez des esprits féconds voire créatifs.
Dans " Un prince des affaires " consacré à feu Ambroise ROUX, Anne de CAUMONT rapporte le propos convergent de plusieurs patrons : " On ne compte aujourd'hui sur la place de Paris qu'un homme capable d'avoir une influence en France et Outre-‐Atlantique : Michel DAVID-‐WEILL ( LAZARD Frères ) Et il faudra au moins une génération pour former d'autres Michel DAVID-‐WEILL " ( écrit en 1996. )
A l'heure de l'AIRBUS A 380 parfois rempli de jeunes banquiers d'affaires, cette phrase peut sembler écrite sur du papier jauni. Personnellement, nous ne le pensons pas car il ne faut pas confondre quelques deals réussis avec une capacité d'influence hors-‐pair, avec un téléphone aussi efficace que des pinces de homard dans l'océan de la haute finance.
Bien des gens ont parlé d'argent ou d'art à propos de Monsieur DAVID-‐WEILL, bien des gens ont cherché sa " patte " derrière telle ou telle opération financière sucrée. Pour notre part, nous préférons nous réfugier à la page 120 de son livre ( L'esprit en fête ) :
" Il y a peu de choses que je ne supporte pas, il n'y en a vraiment qu'une : l'impolitesse. Je trouve que de ne pas prendre de précaution en parlant à quelqu'un est insupportable ".
Rien à ajouter, Monsieur le Président !
Rien sauf que votre vie ne fut pas morne plaine particulièrement avec un américain nommé André MEYER qui avait commencé par travailler avec votre père à New-‐York.
André MEYER, 1898 – 1979, fût un des banquiers les plus influents que le monde occidental a connu. Dans une de ses rares biographies – impressionnantes à lire – l'auteur Cary REICH a retenu un titre évocateur : " Un financier de génie ". ( 1983 ).
34
Cet homme fût le conseiller d'André CITROEN, celui occulte de Jean MONNET ( propos rapportés par Monsieur Jean GUYOT, LAZARD Paris ), celui de la famille AGNELLI, etc.
Bref, le lecteur parvient à la question du départ : mais où est donc passé André ?
35
-‐ V -‐
Banques : sérieux dangers et péril possible. Les banques semblent en voie de retrouver une situation améliorée. Mais une analyse plus précise des stress tests, des PRA ( plans de reprise d'activité ), de la conjoncture révèle plusieurs dangers sérieux qui pourraient amener, comptabilité aidant, à une situation de péril.
En apparence, la situation semble plus favorable pour les banques qu'au moment de la trop fameuse crise de 2008. Pourtant l'observateur économique est dans l'obligation de constater que des zones de difficultés persistent ; d'une part, le renforcement des fonds propres est une affaire moins simple que prévue à mener. D'autre part, la méfiance entre établissements se manifeste encore par les mouvements erratiques du marché inter-‐bancaire. Enfin, la distribution de crédit est loin d'être aussi fluide que ne l'affirment certains banquiers.
L'état bilanciel des banques est donc encore une zone de danger que les engagements hors-‐bilan, parfois toujours mal appréhendés, vient accroître en intensité du risque.
Face à cet état de faits, la communauté de place s'est trouvée rassurée par le succès de la plupart des stress tests réalisés parmi les grands établissements européens. Cet optimisme issu d'un outil technique suppose que le manche du marteau du commissaire-‐priseur de la sécurité bancaire ait eu le bon format. Or, il a été révélé en information publique que certains stress tests n'avaient pas intégrés le risque de dégradation des créances sur dettes souveraines : ces dernières étant frappées du sceau de la sécurité absolue par la littérature économique et par les faits depuis des décennies. Ici réside un point que le bon sens censure : si le cours de bourse du Crédit Agricole a connu des revers, c'est principalement du fait de son exposition à des créances privées mais aussi publiques sur la Grèce dont l'instabilité politique récente va très probablement venir ajouter une variable supplémentaire de complexité négative.
Ces stress tests ont été réalisés comme des scintigraphies parcellaires et ne donnent pas, selon nos conclusions, une approche valable de la cartographie des risques.
Pour prendre une terminologie comptable, ils ne restituent pas une image fidèle de la situation et on ne peut manquer de s'étonner que le Régulateur n'ait pas imposé une plus grande exhaustivité des paramètres examinés.
Pour recourir à une image de la vie de tous les jours, ce contrôle technique ( obligatoire pour nos véhicules automobiles ) a vérifié les freins mais pas les amortisseurs : de tout ce travail important des stress tests se dégage une impression de fiabilité mais la sortie de route demeure possible.
36
Par le champ d'investigation des stress tests effectués dans les banques, on a une approche des reliefs pas des densités de roches. On a une vision de type holographique pas pétrographique, autrement dit l'écume des risques et pas leurs noyaux durs. A côté des stress tests qualifiables de très perfectibles, il doit être examiné un danger a priori de nature plus physique.
La dématérialisation s'est largement répandue dans le secteur bancaire et le " paper-‐free" progresse. Pour les particuliers ( relevés sur site web, etc ) comme pour les entreprises ( multiplicité de documents contractuels scannés, etc ). Tant mieux pour nos forêts d'Europe dont celle du Morvan qui sont moins sollicitées, tant mieux pour les volumes requis d'archivages qui sont mieux maîtrisés voire en possible réduction. Corollaire de cette innovation, cela suppose des systèmes informatiques bien dimensionnés, techniquement fiables et sécurisés : intrusions malveillantes, incendies, etc.
Les banques sont ainsi dans l'obligation d'élaborer puis d'entretenir régulièrement des PRA : plans de reprise d'activité. Ceux-‐ci ont un objectif simple à rapporter mais complexe à exécuter : en cas de souci majeur, l'exploitation doit pouvoir reprendre même en mode légèrement dégradé.
La résilience du système repose sur plusieurs approches techniques qui doivent, in fine, répondre à l'exigence posée par le Comité de la règlementation bancaire et financière, le PRA est " un ensemble de mesures visant à assurer, selon divers scénarios de crise, y compris face à des chocs extrêmes, le maintien, le cas échéant de façon temporaire selon un mode dégradé, des prestations de services essentielles de l'entreprise puis la reprise planifiée des activités ". Tout un chacun imagine le degré de sophistication d'une telle démarche : il faut détecter l'univers des possibles en termes de risques, il faut alors concevoir des parades et des protocoles de secours ( de vrais plans B ) et enfin il faut actualiser en permanence le fruit de cette démarche.
Les embûches sont nombreuses : les décideurs peuvent être tentés de minorer l'occurrence d'un risque pour minimiser le coût corrélatif du segment de PRA. La crise de 2008 a montré – hélas – que les mandataires sociaux ne savaient pas tout ce qui se passait dans leurs salles de marché. Pour ne pas dire plus. Sait-‐on vraiment la pleine architecture de systèmes informatiques enchevêtrés et complexes ? De surcroît, un vrai PRA implique nécessairement des co-‐contractants, des prestataires extérieurs à l'entreprise bancaire d'où un maillage de relations qui ne simplifie pas la question.
Tel le système Julia de la Société Générale, certains établissements optent pour un voie radicale : celle de la réplication. Autrement dit, il y a une sorte de duplication instantanée ( synchrone ) ou légèrement différée ( asynchrone ) des flux d'information de l'ensemble du groupe bancaire.
Pour visualiser respectueusement l'état de l'art, on peut dire que c'est la banque et son miroir ou la banque et son pur dédoublement de personnalité.
Le coût de ces réplications est certainement important : chacun voudra bien constater qu'il est peu décrit dans les documents financiers et comptables et qu'il serait pourtant de bonne loyauté que de disposer d'une appréhension crédible de ce coût.
37
En effet, il y a forcément le coût du matériel redondant assurant la possibilité technique de la réplication mais il y a aussi des charges plus délicates à identifier : combien coûtent les tests de PRA réalisés sans interruption de service ? Où sont-‐ils placés en comptabilité ? En provisions pour risques ou en charges faute de capacités réelles et sérieuses de recensement des dépenses ?
A l'heure des normes IFRS et de leur strict cadre validé par des centaines d'heures d'auditeurs, nous posons qu'il existe là une zone d'incertitude d'imputation comptable et nous posons parallèlement l'hypothèse que chaque établissement doit avoir sa vision des choses ce qui finit par rendre les comparaisons inter-‐établissements réalisées par les analystes financiers sujettes à débat.
Tout le monde se souvient du dramatique incendie de l'immeuble Publicis sur les Champs-‐Elysées dans les années 1970, tout le monde se souvient du feu ayant atteint le siège social du Crédit Lyonnais : les PRA ne sont pas un gadget mais un gage de sécurité collective.
Du temps du remarquable Raymond Lévy, aucun cadre de chez Renault ( détenteur d'une information stratégique ) ne devait l'avoir " pour lui tout seul " : autrement dit, il devait y avoir un doublon en cas de " pépin " de santé ou autre.
La prévention parait toujours un luxe un peu teinté de paranoïa jusqu'au jour où le danger fait irruption. Risques d'attentats, violences urbaines, malveillances internes sont autant de dangers bien crédibles. Pour conclure, il faut une fois encore se plonger dans la comptabilité qui est d'autant plus importante – hic et nunc – que nous traitons de sociétés faisant appel public à l'épargne et travaillant de surcroît avec l'épargne de nos concitoyens. D'un côté, la sécurité de Place semble assurée par l'article L613-‐1 du Code monétaire et financier qui énonce que l'ACP ( Autorité de contrôle prudentiel ) a pour mission de contrôler le respect des règlements par les établissements de crédit.
De l'autre, nous sommes contraints de recourir à une analyse moins seyante qui concerne la notion de continuité d'exploitation. Si l'on prend pour hypothèse un sinistre plus grave que prévu dans le PRA ( une vague de tsunami plus haute que prévue comme chez nos amis du Japon ), le mode dégradé est certain voire la détérioration durable des conditions d'exploitation. Or, les établissements bancaires sont soumis au Code de commerce et notamment à sont article L123-‐20 qui énonce : " Pour l'établissement des comptes annuels, le commerçant, personne physique ou morale, est présumé poursuivre ses activités ".
Il y a donc, en droit des sociétés et corrélativement en comptabilité, un principe majeur relatif à la continuité d'exploitation. La NEP ( Norme d'exercice professionnelle ) N°570 des Commissaires aux comptes se place dans le cas où les difficultés d'exploitation sont liées à un risque de cessation des paiements. Toutefois, notre lecture minutieuse des textes nous force à conclure qu'une quasi-‐cessation d'activité suite à la réalisation d'un danger consistant et majeur serait bien un cas où la continuité d'exploitation serait attaquée. Les banques sont, comme des dizaines d'activités humaines, potentiellement en danger. Si le PRA ne devait pas être une digue suffisante, les équipes de maintenance et de
38
résilience auraient fort à faire. Tandis que la comptabilité aurait un relent de guillotine : chacun sait en effet que lorsque la continuité d'exploitation n'est pas assurée, il est de droit d'établir les comptes en valeur liquidative. Du danger, on passe alors clairement au péril et à la question de l'avenir.
A regret, il nous semble que des " dream teams " ont remplacé l'individualité hors-‐norme. Or l'homme seul est indivisible et, s'il ne verse pas dans l'erreur, il est plus cohérent qu'un comité Théodule.
André MEYER aimait à rappeler sa définition de la banque d'affaires : " L'art de l'investissement bancaire consiste à prendre un bouton pour en faire un costume ".
De nos jours, bien des banquiers d'affaires font du sur-‐mesure pour leurs honorables clients mais savent-‐ils prendre un bouton et suivre à la lettre le testament d'André MEYER ?
" Quel est le père de la gloire ? Le génie. Quelle est la mère du génie ? La solitude. " ( HERAULT DE SECHELLES, Pensées et anecdotes ).
André MEYER a souvent travaillé seul.
Il laisse un pan de la profession bancaire comme orpheline. A propos, combien de banquiers d'affaires dits influents connaissent effectivement son existence ?
Chez les artisans, le compagnon âgé est un modèle pour le plus jeune : alors pourquoi ne pas appliquer ce savoir-‐vivre en banque d'affaires pour améliorer le savoir-‐faire ?
39
-‐ VI -‐
Libor ? Un îlot de pertes dans un océan de profits !
Les manipulations avérées qui ont certainement concernées le taux Libor et peut-‐être l'Euribor sont véritablement préoccupantes. Si nous étions il y a cinquante ans, on se gausserait de ces banquiers indélicats dont le sort final ne serait guère enviable. Là, où en sommes-‐nous ? En bonne logique, commençons l'analyse par les personnes morales : de la Barclays à UBS en passant par plusieurs autres acteurs majeurs de la finance mondiale. Tout d'abord, l'observateur a beau se doter de jumelles de haute définition, nul ne sait exactement combien d'Etablissements ont été concernés. Des noms sont certains, d'autres se murmurent en pointillé. Cette indétermination du nombre de " bad guys " est une vraie question dans la mesure où le Libor est un taux fondé sur des déclarations unilatérales des banques à la BBA ( British Banking Association ) et n'est pas la résultante d'une offre et d'une demande sur un marché. Autrement dit, rien ne prouve que plus de 10 banques aient commis des manipulations répréhensibles : à l'inverse rien ne prouve qu'elles n'étaient pas plus nombreuses à dévoyer la réalité quantifiée du Libor.
Puis, une autre question se pose : ces manipulations étaient-‐elles régulières voire habituelles ou s'agissait-‐il seulement de pratiques isolées et finalement assez rares. Le peu que l'on sache semble attester du contraire : nous sommes donc en face d'une pratique quasi-‐institutionnalisée par les acteurs majeurs de la Place. Là où les difficultés arrivent ( voir notre contribution précédente sur ce site : " Les banques et l'archipel de la cupidité " ), c'est lorsqu'on se pose la banale mais cruciale question de l'intérêt à agir. Le casseur de vitrines qui dérobe un écran plat ou un iPad a un intérêt à agir qui est manifeste. Quel était celui des banques ? Dans un article paru ici ( Libor, la chute d'une star ), l'estimé Pascal Ordonneau ( Ex-‐dirigeant d'HSBC ), se demande pourquoi manipuler ce taux " puisque cela se traduit par une baisse des revenus des Etablissements concernés " et que " Le vrai enjeu, à partir de 2006, mais plus encore en pleine crise de 2008, était de ne pas faire apparaître les vrais coûts de refinancements des banques, c'est à dire le fait que ces coûts s'élevaient de plus en plus ". Selon cette approche, les manipulations sur le Libor auraient été de type conservatrice et auraient eu pour objectif de préserver la qualité bilancielle des banques. Cette explication a certainement sa part de vérité. Mais rien ne permet de s'interdire de penser que, parfois, le Libor a été inflaté et que son augmentation artificielle issue d'un cartel assez funeste n'avait pour autre objectif que de développer les marges des banques puisque des millions de prêts sont déterminés à partir d'un taux égal à Libor plus alpha. Pour résumer cette ambivalence de la situation ( Libor minoré ou majoré ), nous empruntons à un homme célèbre dans la grande distribution du début des années 60 – Bernardo Trujillo – sa célèbre phrase : " Un îlot de pertes dans un océan de profits ". En tête de gondole promotionnelle l'hypermarché peut perdre de l'argent ( dans cet îlot du magasin ) par opposition aux confortables profits qu'il fait ailleurs.
40
D'instinct et en pensant à la notion jurisprudentielle d'intérêt à agir, nous estimons que les banques ont vaguement perdu sur le Libor ( from times to times ) et qu'elles ont globalement gagné en l'alourdissant ce qui générait mécaniquement des profits en cascade. Oui, selon nous, c'est l'îlot de pertes contenues dans un océan débridé de profits.
En demeurant focalisé sur la question des personnes morales, deux problématiques doivent être posées et une question additionnelle évoquée.
La première problématique relève de l'existence des auditeurs internes. Ceux-‐ci sont des gens sérieux et dévoués, force est de constater que la fiesta sur le Libor s'est jouée sans eux ce qui signifie que des référentiels méritent d'être revus. Pour ne pas dire plus.
La deuxième problématique est hélas encore plus savoureuse : si vous opérez dans le milieu de la finance, vous ne cessez de recevoir des invitations – parfois issues de prestigieux intervenants – pour venir assister à des conférences sur les progrès en matière de compliance, c'est à dire de conformité aux Lois et règlements. Où est l'univers de la compliance dans la boite de Pandore qu'a ouvert cette affaire du Libor ? Où est cette notion fourre-‐tout de déontologie alors qu'on trompe une Place et par itérations un volume potentiel de 350.000 milliards de dollars de transactions ?
Audit et compliance ont du " homework " à effectuer sous peine de passer pour des notions très étriquées au regard des enjeux de la régulation interne des Etablissements. Concernant la régulation externe, la cause est entendue : il y a eu carence car une fois de plus les acteurs du terrain se sont mis sur le banc de touche pour bricoler leurs affaires loin des yeux de l'arbitre. La violence est dans les stades, elle est aussi dans cette gigantesque tricherie face à la BBA qui n'est pas une petite institution.
Manifestement – et toujours au plan des personnes morales – il y a des discussions entre la Puissance publique et les banques sur le thème du paiement d'amendes importantes en valeur absolue et l'abandon de poursuites judiciaires. Ce type d'arrangement transactionnel laisse toujours le goût amer de l'inachevé d'autant que les amendes sont peut-‐être ridicules en valeur relative, c'est à dire rapportées aux gains de la fraude.
Aucun analyste ou armée d'auditeurs ne pourra jamais établir le gain de cette machination aussi simple que dynamique puisque tête de pont d'une large section de la notion de crédit en Occident. Alors le montant des amendes agité comme un chiffon rouge pour apaiser le public revêt l'aspect pastel de certains foulards Hermès. Là où le chiffon rouge digne d'une cape de toréador réside, c'est dans la notion outrageusement bafouée d'image fidèle qui est une des clefs de la comptabilité. En osant des torsions inexactes sur le Libor, les banques ont faussé leurs bilans et ont induit des coûts d'endettement externe inexacts dans des milliers de bilans. Avec de l'essence frelatée, c'est tout votre moteur qui est atteint. Avec un Libor faussé, c'est toute l'inscription bilancielle des clients qui est altérée et que des petits actionnaires pourraient avoir, dans un futur proche, l'idée de contester judiciairement.
Cette question additionnelle doit être évoquée et nos amis Commissaires aux comptes être associés aux arbitrages rendus sur ce dossier. Pourquoi seraient-‐ils les seuls face au vent ? A côté de ses développements sur les personnes morales, il y a la question des personnes physiques. Il y a eu collusion en bande organisée et organisation d'une entente illicite. Si les transactions aboutissent par de véritables abandons des poursuites
41
judiciaires, alors l'exemple sera terrible pour des dizaines de futurs CEO de banques qui connaîtront par cœur l'orthographe du mot impunité.
" Elément moral de l'infraction pénale intentionnelle constitué par la volonté de commettre l'infraction ou par la connaissance de ce que l'acte risquait d'entraîner le dommage ".
Ceci est, en droit français, la définition du dol et nous considérons que les informations publiées sur le " Liborgate " rapporte l'ampleur et la vigueur des pratiques dolosives.
Régulateurs publics, prenez garde : " people is watching you ! " Si les transactions finissent avec le fair-‐play d'une partie de cricket, ce sera naturellement charmant mais générateur de futures émancipations morales.
Nous n'avons, à l'instar de l'éminent Robert Badinter, jamais été convaincu par la supposée vertu dissuasive de la peine de mort : en revanche, ici, si tout le monde sort indemne du trouble, c'est un blanc-‐seing pour l'émergence de futurs décideurs qui n'auront ni scrupule ni boussole autre que le profit par tous les moyens y compris les pratiques illicites.
Ne soyons pas étonnés ou faussement choqués si d'ici une décennie, d'autres pratiques financières illégales nous font tomber du haut de l'armoire : elles seront un océan de profits pour quelques uns et une marée d'embêtements pour le plus grand nombre.
Quant à l'îlot de pertes, le contribuable français – par exemple -‐ sait encore écrire, avec sa sueur, le nom de Crédit Lyonnais millésime 1994.
42
-‐ VII -‐
La délicate question des salaires en France.
Le Dimanche 6 Mai 2012 fut jour d'élection présidentielle. A la fin du mois, les choses n'auront guère changé pour des millions de salariés en termes de " net à payer " sur la fiche de paye. Que penser de cette délicate question des salaires en France ?
Un point d'évidence partagé par les statisticiens ou les nombreux économistes de banques, les salaires sont dans une quasi-‐stagnation. Leurs niveaux augmentent un peu plus vite que l'inflation mais chacun sait que l'indice des prix pose question depuis des années en France comme le disent des spécialistes ou des tribuns tels que Monsieur Mélenchon qui devait comparer à un carambar quotidien la hausse du Smic décidé par le Gouvernement de Monsieur Ayrault. Même le regretté et éminent Francis-‐Louis Closon ( Directeur Général de l'I.N.S.E.E de 1946 à 1961 ) et ancien Directeur des finances de La France Libre ( à Londres ) l'a admis : l'indice est techniquement fiable mais l'échantillon d'articles le composant ne recouvre pas une fréquence identique d'achats. Pour caricaturer, le prix du beurre et autres denrées alimentaires devraient être davantage surpondérés que des achats exceptionnels ou à tendance déflationniste structurelle tels que les produits hi-‐tech importés dont le prix relatif n'a cessé de baisser. Souvenons-‐nous du prix des premiers magnétoscopes VHS des années 1980 ( autour de 5.500 Francs ) rapportés au SMIC de 1982 : 3980 Francs par opposition à une tablette iPad qui coûte la moitié du SMIC actuel. Si l'indice et les personnes qui l'élaborent sont sûrs, il est aussi sûr que l'introduction de produits numériques à forte décélération de prix unitaire apporte un biais cognitif qui influe le résultat final. Depuis la rentrée de Septembre dernier, tout le monde a pu constater la reprise d'une inflation assumée ( le prix est visiblement plus cher ) ou dissimulée ( changement de poids à l'occasion d'un nouveau packaging, etc ). Parallèlement, tout le monde a ressenti le ralentissement économique en France, en Grande-‐Bretagne mais aussi en Chine et hélas en Grèce, peuple cobaye de l'austérité victime des cigales qui le dirigèrent pendant des décennies. Nous répétons notre conviction déjà énoncée : nous marchons hardiment vers une phase de " slumpflation " où inflation et foyers de récession se coaliseront. Dans ce contexte difficile, la question des salaires est délicate mais leur seul alignement légèrement supérieur au chiffre contestable de la hausse des prix pose question.
43
Le salaire est un moyen de subsistance et de nombreuses études intellectuelles ou des remontées d'information sur le terrain montrent que les " gens ne s'en sortent pas ": même Laurent Fabius a eu cette formule : " pour certains, la fin du mois commence vers le quinze ". L'auteur du livre déjà ancien " La France inégale " pourrait le réécrire mot pour mot des décennies plus tard ce qui montre la résistance à l'évolution sociale, au progrès inter-‐générationnel ( Serge Lacrampe ) de notre pays même en temps de conjoncture convenable. En temps de crise, nous devons loyalement convenir que l'analyse marxiste s'applique sur deux points : d'une part, il y a pression à la baisse des salaires tant la crainte du chômage et du déclassement social est grande. D'autre part, bien des ménages sont soumis à la Loi d'Airain qui postule que le travailleur voit son salaire fixé au niveau de son seul seuil de subsistance. Sur ce sujet, sans même traiter la question du surendettement des ménages qui mobilise chaque jour davantage les commissions Banque de France, on doit noter l'explosion en flèche des crédits à la consommation. De la même manière que l'Espagne, emprunteur à 6 voire 8 %, aura des difficultés à honorer sa dette sans une pression fiscale accrue ou des coupes budgétaires frontales, on voit mal comment un jeune ménage qui voit ses salaires augmenter de 2 % pourra honorer des crédits à 10 ou 15 %.....
La question salariale est donc ardue pour le bénéficiaire mais elle est délicate aussi pour l'entreprise qui voit sa trésorerie obérée par le choc récessif.
Qui pourrait valablement nier que la paye est une charge d'exploitation pour l'entreprise qui la verse ? Qui pourrait nier que chaque société est un cas particulier ? La question du salaire est souvent centralisée ( Décret d'évolution du Smic ) là où la réalité économique et financière impose une fine capillarité de type micro-‐économique et éventuellement sectorielle ( méso-‐économique ).
Essayons de clarifier un débat tendu et délicat.
De prime abord, la question des salaires est souvent présenté au grand public comme simple et binaire : le chef d'entreprise veut les minimiser et les travailleurs les voir augmentés.
Les économistes néo-‐classiques sont à leur aise et peuvent appliquer des courbes simples sur une matière humaine complexe.
Pris au dépourvu, le décideur ou l'homme de la rue convergent pour dire que les salaires sont trop élevés en France dans le contexte de mondialisation que nous connaissons voire que nous avons à subir.
44
Tout le monde comprend qu'un couteau abusivement baptisé Laguiole fabriqué au Pakistan est préférable à un vrai couteau de Thiers ou de Laguiole.
La crise aidant, les Français ne veulent plus de cette mondialisation-‐là chère au brillant Pascal Lamy ( OMC ) mais dans l'inconscient collectif, l'idée que " nous " serions trop chers et trop payés chemine.
Focalisés sur le prix, les élites et le grand public regardent le miroir aux alouettes du low-‐cost ( cher à Charles Beigbeder ) et gomme le talent français.
Des viticulteurs du Languedoc se sont battus pour élever la qualité de leur production et ainsi séduire plus de consommateurs avec des prix réajustés et des marges restaurées.
Les talentueux exploitants de notre belle Bourgogne exportent des flacons d'exception et pas du rouge en bouteille plastique. Où sont passés les travailleurs de Matra et Renault de Romorantin ( qui avait réussi la production de l'Espace ) à qui on a donné l'ordre de fabriquer une voiture invraisemblable ( Avantime ) ?
Pourquoi Renault fabriquait-‐il plus d'un million de véhicules en France contre un peu plus de 400.000 désormais ? Pourquoi son dernier modèle haut de gamme ne va pas continuer à être référencé par une célèbre compagnie de taxis parisiens ?
Pourquoi avoir abusé le public, les salariés et l'Etat actionnaire en indiquant qu'aucune Dacia ne serait jamais importée en France ?
Non seulement, on a raté la fusion Renault et Volvo qui aurait pu réunir le volume de Volkswagen et le haut de gamme d'Audi, mais désormais cette firme au losange dégage quelques petites centaines d'€uros par véhicule vendu.
Notre déception, face à un tel misleading management, nous fait suggérer que Renault vende des fers à repasser à 35 €uros l'unité.... là doit résider la marge comme dirait BMW ou autres avec compassion et vrai cynisme. La question des salaires – et ce triste exemple le démontre de manière aveuglante – est d'abord issu d'un choix stratégique patronal : celui du mix produit et celui du segment de marché choisi. Chez Faiveley industries, chez Alstom, chez L'Oréal, etc l'effet gamme et la qualité sont au rendez-‐vous. Ceci donne du " grain à moudre " aux travailleurs pour reprendre la célèbre phrase du syndicaliste André Bergeron. Par-‐delà cette condition de nature stratégique, la question des salaires suppose un détour instrumental par la vie observée car il y a confusion. En matière de salaires, la première confusion analytique vient du fait que les salariés parlent du salaire net alors que l'employeur ne parle même pas du salaire brut mais fait systématiquement référence au coût du travail avec son ensemble de charges à la fois salariales et patronales.
Autrement dit, l'incompréhension est profonde puisque les deux parties ont une lecture optique simplifiée de deux documents distincts : la fiche de paye " en bas de page " pour l'un et les comptes de classe 64 pour l'autre et leurs impacts sur le Résultat Brut d'Exploitation.
45
La méfiance est accrue par la tendance continue à la hausse des charges sociales qui n'est pas assez explicitée aux travailleurs.
L'effort social de la Nation qui porte sur le facteur travail – depuis 30 ans -‐ lui est très largement méconnu ou sous-‐estimé.
Nous considérons qu'il y a une vraie carence en matière de pédagogie du bulletin de paye qui est un document fondamental mais digne d'un iceberg. Cet iceberg dérive et frappe la coque du navire baptisée " confiance sociale " : il avance masqué par le brouillard de la complexité que les taux d'erreurs sur bulletins de paye ( rapportés par les contrôles Urssaf ) illustrent avec netteté.
Bien des Commissaires aux comptes savent que les comptes de personnels sont inexacts mais demeurent en-‐deçà des seuils de signifiance. Le compte 6412 ( congés payés ) donnent lieu à des provisions anticipatrices souvent erronnées. Le compte 6451 ( cotisations à l'Urssaf ) est devenu très complexe à suivre du fait de la sédimentation des régimes dérogatoires et des exonérations de charges ( pour tout ou partie du salaire, etc ). Le compte 6214 ( Personnel détaché ou prêté à l'entreprise ) est parfois un casse-‐tête dans les groupes ( relations inter-‐filiales ). Autre angle d'approche qui permet d'apporter des éléments de preuve à notre propos : les Liquidateurs judiciaires sont de plus en plus contraints de soumettre aux Tribunaux des reprises d'écritures parfois pluri-‐annuelles en matière de salaires tant les contestations sont fondées.
La somme de ces approximations ( généralement de bonne foi ) rapportent l'ampleur du défi, la taille du " glaçon " qui se promène au-‐dessus d'un volet crucial du contrat de travail à savoir la rémunération.
Après ce premier point matériel mais sincèrement non négligeable ( et très rarement évoqué...), il convient de se poser une vraie question économique : Quelle est la part des salaires dans le total des charges d'exploitation ? Pour faire sourire quelques amis banquiers, nous pourrions dire que cette part est systématiquement minorée dans les Business Plans où les Fondateurs tirent ce poste vers le bas dans des proportions parfois ridicules car irréalistes. Comme l'a montré Alfred Sauvy, nous sommes dans une ère où le progrès technique est récessif pour l'emploi. On peut se souvenir de feu Antoine Riboud inaugurant une usine de Danone près de Lyon et expliquant qu'il fallait quatre fois moins de personnel à équivalence d'unités produites.
La crise économique actuelle, le niveau relatif très défavorable des salaires en Europe militent pour une " réduction de la voilure " ou des accords de co-‐traitance avec l'Asie.
Tentons néanmoins une démonstration en prenant le cas du Groupe Lvmh : sur 23.659 millions d'€uros de Chiffre d'affaires, il ressort des éléments comptables que les charges de personnels en coûts complets ( salaires, charges, pensions ) représentent la somme de 4.074 M€ là où le coût des ventes est de 8.092 et les charges commerciales de 8.360 M€ Autrement dit, les salaires pèsent un peu moins de 25% des deux postes principaux de charges. Un effort de 2% sur ces coûts ( matières, publicités, etc ) pourraient autoriser une hausse de 6 à 8 % de la masse salariale soit une hausse du salaire net de 4%. Tout ceci sans altérer le Résultat opérationnel : 5.154 M€
46
Dans le cas de L'Air Liquide, les charges de personnel s'élèvaient en 2011 à 2.482 millions d'€uros, le résultat opérationnel étant voisin : 2436,5 M€ pour un C.A de 14.457 M€ renvoyant à près de 8 M€ d'achats et assimilés. La même analyse peut être généralisée : quand les achats et autres représentent 50 % du montant H-‐T du C.A, les salaires chargés dépassent rarement 22 à 25 % dudit C.A.
Un effort soutenu en amont de la production pourrait autoriser de desserrer l'étau du pouvoir d'achat de milliers de familles.
Dans le cas de L'Air Liquide, il convient de surcroît de rappeler que leurs effectifs mondiaux sont passés de 31.900 en 2003 à 46.200 en 2011....
Comme dirait le brillant dirigeant de Renault " citoyen du monde " ( selon le titre de son ouvrage ), on peut donc être un leader mondial, développer l'emploi et ne pas courir voir l'Etat pour un plan de secours de plus de trois milliards pour la filière. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Pour rencontrer nombre de Pme qui sont sur le fil du rasoir, il est patent qu'une augmentation généralisée, brutale et significative des masses salariales n'est pas crédible. En revanche, il est impératif d'effectuer un salutaire détour par la recherche économique et d'évoquer la loi du salaire d'efficience issue des travaux de Stiglitz et Yellen en 1982 : il y a pile 30 ans. Puis Shapiro. Cette théorie du salaire d'efficience postule qu'il existe une relation croissante entre l'effort consenti par les salariés – dont dépend leur efficience ( ou productivité ) – et leur rémunération.
En vertu de cette relation, le coût salarial par unité produite ( salaire / productivité ) n'évolue plus comme le seul salaire. Le surcroît perçu de rémunération est précisément perçu ( en psychologie ) comme une reconnaissance du travailleur et son efficience s'en ressent. L'estime de soi devant son poste de travail est, selon nous, un élément du nouveau facteur résiduel de la croissance économique. Cette estime est un atout pour l'Occident dont la main-‐d'œuvre est très qualifiée, en-‐dehors de ceux qui hélas n'ont pas réussi leur intégration scolaire puis professionnelle ( illéttrisme, etc ).
La théorie du salaire d'efficience est fondée sur l'hypothèse ( assez évidente ) d'asymétrie d'information : l'anti-‐sélection ( un salaire plus élevé attire les meilleurs ) et sur le fait qu'un salarié bien payé est plus fidèle.
Cette fidélité a plusieurs ressorts positifs : d'abord, elle réduit les coûts d'embauche ( qui sont moins nombreuses ). Puis, elle rejoint l'effet d'expérience que les matrices du Bcg ont démontré depuis des années et qui est un foyer ardent de productivité. Enfin, elle permet à l'entreprise d'avoir des idées bottom-‐up car un opérateur qui connait bien son job est mis en mesure de faire remonter des propositions d'amélioration technique ou de gestion.
En matière de salaires, les choses sont délicates. ( rôle de la négociation collective, etc ) mais les chiffres demeurent " têtus " comme aimait à le répéter le Président Jacques Delors. Gagner sur l'achat, c'est donner de l'air au pouvoir d'achat.
47
Indispensable alors que l'inflation revient.
Et que la slumpflation " est au coin de la rue " pour paraphraser le Président Hoover.
Donner du pouvoir d'achat quasi-‐gelé depuis les années des 35 heures dites de " modération salariale ", c'est éviter les tensions sociales et les drames humains.
Notre conviction vous est confiée : la notion de salaire d'efficience fait sens.
Il restera toujours les délocalisations, la désintégration spatiale du facteur travail mais il y aura une nouvelle appétence pour " aller bosser " chez des milliers de travailleurs.
Décideurs, prenez garde à l'idée durable d'austérité à l'efficacité plus qu'hasardeuse et à cette hérésie du low-‐cost comme spécialisation ricardienne pour la France.
Ces deux concepts – sous-‐jacents à de beaux esprits – ne seraient pas validés par la vie de la Nation devenue couverte d'esquarres de paupérisation. " La Société est composée de deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d'appétit et ceux qui ont plus d'appétit que de dîners ". CHAMFORT, in Maximes.
48
-‐ VIII -‐
Made in France : gare aux faux-‐sens !
Le slogan forcément sympathique du " made in France " requiert de la prudence. En apparence, il est simple à adopter. En réalité, il est d'un maniement plus complexe car des notions connexes lui font de l'ombre. Tentons de clarifier les choses.
De prime abord, il est toujours vérifié qu'un concept économique qui devient un slogan politique est une source de confusion. Ce que la notion gagne évidemment en extension médiatique, elle le perd la plupart du temps en signification précise. Rapidement, d'un concept clairement détouré, on peut aboutir à un fourre-‐tout où tout un chacun ne met pas le même sens au même mot. Autrement dit, l'extension de notoriété provoque la polysémie et le danger du faux-‐sens.
Danger pour l'analyse, danger aussi pour le citoyen qui peut finir abusé à son corps défendant. Ainsi, il faut d'abord relever que le thème du " made in France " est un slogan assez ancien qui traite de deux questions différentes et complémentaires. D'un côté, il y a une revendication traditionnelle du Parti Communiste Français qui appelle dès 1977 par la voix de Georges MARCHAIS à " produire français ". Voix inoubliable de Monsieur MARCHAIS qui est alors finement relayée par l'économiste Philippe HERZOG.
D'un autre côté, il y a une revendication de pur chauvinisme national qui appelle à " Acheter français " comme le Premier ministre britannique Madame Margaret THATCHER le fit avec son fort célèbre " Buy British " du début des années 1980.
Sans excès d'analyse fastidieuse, force est de constater que les deux versants de l'idée ne sont pas superposables.
De surcroît, le " made in France " reçoit une définition juridique ce que ne sous-‐entend pas le slogan par construction un peu réducteur. Lorsqu'un objet porte la mention de " Fabriqué en France " ou de " Made in France ", il faut savoir que les services des Douanes et de la Répression des Fraudes ( DGCCRF ) ont pour mission expresse de faire respecter les règles de marquage d'origine des produits. S'il n'y a plus d'obligation complète de spécifier l'origine des produits mis en vente sur le territoire fraçais, différents textes prohibent le marquage inexact. La santion est importante puisque l'encadrement législatif fait relever cette apposition indûe au rang de fraude.
Ainsi, l'article 39 du Code des douanes – que peu d'entre nous maîtrisent tant il est complexe – prohibe l'importation de produits étrangers " qui portent une indication quelconque de nature à faire croire qu'ils ont été fabriqués en France ou qu'ils sont d'origine française ".
49
L'approche juridique conduit à citer l'article L121-‐1 du Code de la consommation qui définit la pratique commerciale trompeuse comme " les allégations, indications ou présentations de nature à induire en erreur et portant sur son origine ". Une telle infraction est généralement sévèrement sanctionnée : l'article L121-‐6 du Code précité prévoit une amende maximale de 37.500 €uros qui peut être alourdie jusqu'à la moitié des dépenses de la pratique constituant l'infraction. En sus, une peine d'emprisonnement maximal de deux ans complète l'arsenal répressif.
Les articles L213-‐1 et L217-‐6 du Code de la consommation parachèvent le dispositif. Le " made in France ", slogan d'hommes politiques au destin incertain, est donc verrouillé par un encadrement strict.
Pourtant, il est impératif de signaler que l'approche française est contestée par la trop fameuse OMC ( Organisation Mondiale du Commerce ) qui y voit une entrave à la liberté du commerce et voudrait limiter les choses aux seules mentions de marques commerciales de fabrique.
A titre de respiration après ce rappel juridique, il faut donc convenir que " produire français " suppose l'existence de capacités de production en France. ( compétitives ou non ? ) alors "qu'acheter français " signifie que la demande se porte sur des produits fabriqués en France.
Si l'on songe à l'industrie de la télévision, on produisait français chez PHILIPS à Evreux mais le consommateur achetait SAMSUNG ou SONY. Un des faux-‐sens de ce " made in France " est là : produire pour être en surcapacités nationales alors que la demande s'oriente vers des produits importés n'a guère de sens. A moins d'imaginer – en changeant de régime politique et de paradigme économique – la préférence nationale du Front National qui souhaite imposer le fait " d'acheter français ". Toujours dans la polysémie de la notion étudiée ici, un ancien Premier ministre ( peu clair avec la jeunesse : voir le CPE ), Monsieur Dominique de VILLEPIN a eu recours à une expression haute en couleurs et esthétique : celle de " patriotisme économique ".
Hélas, par-‐delà le caractère alléchant du slogan, il n'est pas compatible avec des Traités issus du GATT et de l'OMC. En effet, le principe dominant que nous avons collectivement accepté est la libre circulation des biens ( et des hommes ) ainsi que la libre concurrence.
Alors Ministre de la Défense, Hervé MORIN l'avait clairement rappelé lors d'achats de produits étrangers par l'Armée. Le droit l'emporte sur l'envie de préserver nos emplois.
A ce propos, on demeure interdit à l'idée que des normes écologiques imposées aux produits vendus en France ne soient toujours pas largement répandues.
L'expression " perdant-‐perdant " est l'opposé de l'expression américaine " win-‐win " chère à Marie-‐Ségolène ROYAL en 2007. Dans le cas du " made in France ", il y a des faux-‐sens terribles. En dix ans RENAULT sera tombé en-‐dessous du cap du million de véhicules assemblés dans son pays d'origine et a stabilisé sa production locale à un peu plus de 400.000 unités. La fabrication est partie vers la Turquie ou en Roumanie sous la marque-‐ombrelle DACIA qui ne devait pas être importée en France selon les déclarations formelles des dirigeants de la firme au losange. Quadrature du cercle, RENAULT a ouvert une usine-‐paquebot à Tanger qui va bientôt rimer avec danger pour les emplois de Sandouville et autres sites.
50
Le " made in France " qui fonctionnait a été excessivement bradé par des calculs financièrement contestables. L'ancien Ministre Gérard LONGUET s'est battu avec énergie et détermination pour obtenir à la fin des années 1980 la fusion RENAULT-‐VOLVO. En fermant les yeux pour rêver un peu, on se dit qu'il fallait réaliser une firme du type VOLSKWAGEN ( volumes ) et AUDI ( haut de gamme ). Au lieu de celà, à force d'économies sordides, on a fusillé la qualité de bien des véhicules produits et on a désormais un constructeur sans véritable haut de gamme et une stratégie de low-‐cost.
Même un poissonnier débutant sait qu'il vaut mieux vendre un Saint-‐Pierre qu'une tranche de cabillaud....
Démonstration trop frontale ? Alors songeons au succès de TOYOTA à Valenciennes où la voiture est largement française et appréciée du public. Démonstration trop frontale ? Alors que penser de cette publicité ( pour OPEL ) qui est réalisée pour moitié en langue allemande ( diffusée sur nos antennes ) devenue symbole de l'excellence destinée à séduire le client potentiel.
Quand on cherche, on trouve. La récente reconversion de l'usine BOSCH à Vénissieux est un bel exemple. Fabriquant des pompes diesel devenues non concurrentielles, le site est passé à la production de panneaux solaires (Cf. Le Monde du 20/12/2011 ).
Voilà le "made in France " combiné à la réindustrialisation : voilà le cap.
De triste mémoire, la visite de GUILLAUME II à Tanger en 1905 fût un pseudo-‐succès militaro-‐diplomatique mais n'a pas préparé les conditions de l'amitié franco-‐prussienne. Pour ne pas dire plus. Pour les gens du losange, le carré magique de l'usine de Tanger se fera au détriment des mains des ouvriers de France : ce n'est pas un pari obscène, c'est une prévision que nous assumons. Il faut seulement dire tant mieux pour nos amis marocains. La mondialisation et ses contraintes juridiques sont à moduler. Songeons que malgré le sentiment de l'état-‐major de l'estimé Jean-‐Paul BAILLY, " nos " postiers ne rouleront plus en scooters PEUGEOT mais sur des engins venus d'Asie.
Le respect des normes fonde l'Etat de droit. L'effondrement du bon sens remplit Pôle Emploi et accessoirement les déficits de l'UNEDIC. L'élite de France ne pense plus production, elle pense assemblage.
L'emblématique patron ( boss ) d'ALCATEL, Serge TCHURUK avait déclaré sans ambages en 2000 que son objectif stratégique était la " fabless company " : autrement dit le passage d'un producteur à un assemblier. Cette approche a anéanti l'emploi dans cette grande firme et malgré la fusion avec LUCENT, le cours de bourse et d'autres éléments montrent que le choix n'était pas idoine.
Là encore, par dogme plus que par méthode d'analyse méso-‐économique raffinée, on a tiré dans le dos du " made in France ". " La France va-‐t-‐elle se résigner à sortir définitivement de l'Histoire pour devenir un simple parc d'attractions, à l'extrémité occidentale d'une Europe elle-‐même marginalisée ? " Jean-‐Pierre CHEVENEMENT ( La France est-‐elle finie ? 2011 ). L'économiste RICARDO a écrit sur les avantages comparatifs et la France en est dotée.
Ses dirigeants ultimes ( publics et privés ) doivent se réapproprier des valeurs de production et le faire avec gravité. Le temps qui régit notre corps social ne saurait
51
attendre encore longtemps face à l'hémorragie productive qui touche aussi les travaux d'expert-‐comptable parfois délocalisés en Inde.
La gravité pousse à conclure qu'aucun secteur ne peut se prétendre épargné. Cette contribution se termine par un appel où le ciel de France est noirci par les nuages.
" Je crois que le progrès dans l'ordre de la connaissance fait de nous tous des mille-‐pattes de plus en plus vulnérables. Plus nous en savons sur ce qui nous fait courir, moins nous savons courir avec allégresse " Françoise GIROUD ( Ce que je crois ).
Contribution " made in France " pour partie à Paris et pour partie dans le Morvan....
52
-‐ IX -‐
Conjoncture économique : où en sommes-‐nous ? Le Continent européen subit la crise économique et vit avec le risque majeur d'une crise financière. Beaucoup d'auteurs, parfois de grand renom, ont pris la parole. Pour notre part, nous nous posons une question simple : où en sommes-‐nous ? Quel scénario d'évolution prévisible à ce phénomène historique baptisée crise ?
La crise économique – perçue à l’été 2011 -‐ est une réalité pour des millions d'Européens : elle est une inflexion de trajectoires pour le jeune qui ne parvient pas à démarrer dans la vie active. Comble de la tristesse sociale. Elle est aussi la négation d'une prospérité escomptée dans bien des secteurs comme par exemple celui de la construction en Espagne.
Aborder l'état de l'art de la crise économique est un exercice délicat. Pour que ces lignes soient aussi fluides que requis, il conviendra tout d'abord de préciser la notion de crise. Puis, d'en exposer – avec le risque évident d'imperfections – les ressorts et le trend dynamique. Enfin, il s'agira de prendre nos marques : autrement dit, de soutenir le scénario d'évolution prévisible qui semble le plus faire sens à quelques jours de l'élection présidentielle française du 6 Mai 2012. L'introduction de la Revue Histoire ( Hachette N°6 ) de Décembre 1980 mérite d'être soumise au lecteur : " La crise dont on nous entretient, à défaut de nous en délivrer, atteint cette année l'âge de sept ans ( ndlr : crise de 1973 et guerre du Kippour ). (...) Entrée subrepticement dans nos existences, elle fait maintenant partie de la famille. (...) le temps est à présent venu de lui demander des comptes, tant il est généralement souhaitable de savoir avec qui l'on vit ".
La crise économique module profondément les destinées : elle est omniprésente et telles ces maladies chroniques au long cours, elle ne révèle pas ses spasmes ni même sa durée. La crise économique joue gravement avec les nerfs du corps social qu'elle affecte et se joue de nos esprits largement démunis face à son nécessaire entendement. Au demeurant, nul ne formule vraiment l'étiologie de la crise actuelle : on part de l'histoire spéculative des sub-‐primes, on y ajoute la crise bancaire consécutive à la faillite de la banque LEHMAN BROTHERS en 2008 et on termine par les conséquences : croissance atone, chômage de masse, périls des dettes souveraines.
Pour l'instant, l'économiste doit savoir attendre l'épaule protectrice de l'historien pour être à même d'identifier les véritables racines causales de la crise de 2008. Fernand BRAUDEL manque à l'appel : peut-‐être aurait-‐il, dans le silence mesuré de sa fine réflexion, trouvé la série longue à laquelle notre époque appartient. Peut-‐être ses travaux auraient-‐ils pris une dimension pleinement opérationnelle et donc utile aux décideurs publics.
53
Gardons efficacement en mémoire l'analyse de Louis de Bonald : " Dans les crises politiques, le plus difficile pour un honnête homme n'est pas de faire son devoir, mais de le connaître ".
Que nous le voulions ou non, il y a bien eu les Trente glorieuses chères à Jean FOURASTIE et ses taux de croissance insolents mais mal équilibrés. Le recul du temps révèle en effet certains déséquilibres et des travaux de Michel AGLIETTA ( et autres ) ont montré que l'accumulation du capital a connu une crise de rentabilité dès la fin des années 1960 : avant le choc pétrolier de 1973.
Si l'on prend le temps de se plonger dans des séries statistiques et des études économiques remarquables ( Fondation Banque de France ) on aboutit à une conclusion que le grand public ressent : la crise est là depuis bien longtemps ( voir niveaux de chômage ) mais n'a pas empêché une évolution favorable du niveau de vie depuis bien des décennies. La crise n'exclut pas le paradoxe.
Pour conclure cette première section, notre conviction est établie : la crise économique vient de loin, son étiologie reste à faire et " faisant partie de la famille " elle est comme un oncle grognon dont on ne peut prévoir les réactions. En revanche, de nombreux observateurs savent voir les impacts de la crise un peu comme un voyageur tardif de TGV qui, ayant manqué son train, voit les deux beaux feux rouges arrières s'éloigner tandis qu'il reste à quai. Toute une école de pensée n'a-‐t-‐elle pas été tardive en se calant sur les travaux de Paul SAMUELSON sur l'oscillateur, c'est à dire en fondant leurs raisonnements sur un modèle d'interprétation dépourvu de choc exogène et à caractère non monétaire....
De même, d'autres penseurs n'auraient-‐ils pas été bien inspirés de creuser les apports de la théorie des contrats qui nous semble pertinente dans un monde de plus en juridique et interpénétré. Deuxième temps fort de cette contribution : les ressorts et le trend dynamique de la crise. La crise économique présente des résultantes : le sous-‐emploi et sa tendance à être unitairement de plus en plus long à juguler ( chômeurs plus souvent et plus longtemps ). Celle de 2008 nous parait ressortir du modèle énoncé dans l'après-‐guerre par DOMAR. ( 1948 ). Selon son analyse, l'investissement revêt un effet de revenu ( création de richesse par le jeu du multiplicateur keynésien ) et une augmentation des capacités de production. Dès lors, il est fondamental que ces deux effets soient dans une relation quasi-‐égale. En situation optimale, la demande nouvelle induite par l'accroissement des revenus permettant l'ouverture de débouchés retrouve fidèlement l'offre additionnelle issue de l'augmentation des capacités de production. DOMAR a hélas démontré, il y a exactement 60 ans avant la crise de 2008, que cette égalité n'est pas durable dans le temps et que le système capitaliste est marqué du sceau du déséquilibre puis soumis à des formes de stagnation.
La crise n'est donc pas dans le jardin ( not in my back-‐yard...) mais bien à la table de la famille. Elle affecte l'emploi du jeune, érode le salaire du couple et menace le niveau des revenus de nos anciens. La crise nous pousse à l'habileté comme à un gigantesque défi à nos neurones. La crise actuelle nous appelle à un sursaut de volitions pas à des proclamations plus ou moins pathétiques pour leurs auteurs.
54
La crise conduit à relire VOLTAIRE ( dont la bibliothèque fût acquise par Catherine II de Russie à l'époque d'un certain rayonnement " à la française " ) : " L'habile homme est celui qui fait un grand usage de ce qu'il sait; le capable peut et l'habile exécute ". ( in Dictionnaire philosophique "). Pour recourir à un exemple historique, c'est bien-‐là que se situe la différence entre l'ancien élu du Morvan et celui adepte de Corona.
Si les ressorts de la crise peuvent mériter raisonnablement explication par le modèle de DOMAR, il reste à constater son trend historique. Mondialisation oblige, 2008 a été une affaire planétaire. Jamais autant de millions d'hommes et de femmes n'ont été concernés par ces Jeux Olympiques de la quasi-‐récession.
GENARAL MOTORS en danger absolu, SONY en contraction d'emplois, etc sont des faits d'une virulence que peu d'entre nous n'auraient pu concevoir même dans un mauvais rêve.
Le trend historique de la crise de 2008 est sa capacité inouïe à s'auto-‐alimenter : on la croit à peu près maîtrisée à tel endroit, elle ressort à un autre. De cette martingale de la crise, peu de pays sont indemnes et leur corps social – pris isolément -‐ souffre. Beaucoup. En guise de développements à risques, nous souhaitons proposer au lecteur de contribuer à répondre à la question : where do we stand ? Où en sommes-‐nous ?
Premier élément, une situation qualifiable de très périlleuse a été évitée par l'appui des Etats aux banques en 2008. Pour notre pays, le discours de Toulon du Président SARKOZY restera dans l'histoire financière pour avoir porté haut et clair la notion de garanties des dépôts. En 2012, les Français sont dans des files d'attente pour aller voir " Intouchables " et le talentueux Omar SY : ils ne sont pas devant leurs agences bancaires pour " récupérer " leur argent. La confiance a été maintenue lors de ce moment historique et a d'évidence rassuré des dizaines de décideurs micro-‐économiques. " L'oiseau construirait-‐il son nid s'il n'avait son instinct de confiance au monde ? " Gaston BACHELARD ( La poétique de l'espace ).
Et pourtant, les plans sociaux se sont poursuivis et le chômage vraiment augmenté.
Il y a bien entendu des données liées aux délocalisations expliquées avec soin par le Professeur Jean-‐Hervé LORENZI et aux fluctuations économiques sectorielles, de type méso-‐économique donc.
Pourtant, nous vous soumettons mezzo voce une explication additionnelle : dans un article fameux de 1974, Robert BARRO a démontré que l'accroissement des dépenses publiques entraîne celle de l'épargne des agents économiques qui anticipent les hausses à venir des prélèvements obligatoires.
Chacun connait le niveau très substantiel du taux d'épargne ( dite de protection ) de nos compatriotes : ils ont compris qu'ils vont devoir payer l'Etat mais aussi les jeunes générations hélas encore à leur charge.
Cette situation est un fait avéré et incontestable : un Etat cigale, des citoyens encore plus fourmis. Cette question de la dette souveraine a aussi été décrite par le modèle de DOMAR qui retenait trois paramètres : taux de financement de la dette, taux de croissance, déficit primaire en pourcentage du Produit intérieur brut.
55
Alors que les " indignés " chers au bouillant Stéphane HESSEL expriment sur notre Continent leur fureur, il y a la fureur destructrice de certains opérateurs du secteur financier. Quand l'Espagne emprunte à 6%, qui oserait faire tourner le modèle de DOMAR ? Pour en tirer quelles conclusions ? Oui, il est véritablement proposé à nos contemporains une équation complexe et dangereuse.
Sur cette question de dettes souveraines, l'effet d'éviction ( crowding-‐out ) sur les marchés provoqué par les Etats en quête de refinancement va bouleverser les conditions d'emprunt des agents privés, du secteur productif donc. Voilà un point de durée pour une faiblesse de la croissance, telle est notre certitude.
Voilà un point où le Général de GAULLE est démenti : " Le Gouvernement n'a pas de propositions à faire, mais des ordres à donner ". ( L'Appel ). Parallèlement, il faut garder à l'esprit la pertinence de la notion d'anticipations rationnelles. ( John MUTH, 1961 ). Elle nous paraît requise pour justifier analytiquement la résurgence des tensions inflationnistes qui sont fortes dans certains secteurs ( industries agro-‐alimentaires, etc ) et vont se propager selon les enseignements du raffiné Serge-‐Christopher KOLM. Oui, nous assumons de vous livrer que l'inflation est devant nous.
Comme parallèlement, l'austérité engendre la récession, cela veut dire que l'on aboutit à une de nos conclusions : l'Europe va retrouver une période de " slumpflation ". Pour ne pas achever cette libre contribution sur cette nouvelle préoccupante, il faut se référer à la chance que représente le progrès technique dont notre époque regorge. Les travaux de Paul ROMER, formé à Chicago, mais aussi de Robert LUCAS ont montré l'importance du know-‐how, de l'accumulation de la connaissance qui peut aller de pair avec des investissements publics ( Robert BARRO ). Nous serons probablement confrontés à des accidents ( défauts de paiement et dégradation corrélée de la qualité des créances détenues ) mais il faut que l'€uro tienne : cette monnaie gage de notre force continentale.
Quant à la slumpflation, et si elle devait être un adjuvent puissant à notre réflexion collective, une contrainte qui oblige à faire : qui pousse à retrouver l'esprit de Jean MONNET dans notre Europe : " Nous ne voulons pas coaliser des Etats mais unir des hommes "....
56
-‐ X -‐
Le boulevard de la slumpflation. L'Espagne est en face de difficultés sérieuses ( voir notre article sur le site web Le Cercle Les Echos : L'Espagne : le début de la tourmente ", le 29 Mai 2012 ) et nous avons esquissé les risques que tout ceci représentait pour la zone euro. Madrid n'est pas Athènes sur certains aspects mais les besoins de liquidités sont considérables.
Se pose alors la question de l'évolution vers la déflation ou vers l'inflation ?
Plusieurs économistes réputés et reconnus de l'OFCE ont récemment effectué sur le site des Echos une démonstration en caractérisant la situation d'un mot : " Déflation sous-‐jacente ".
Si l'on pense à l'effondrement des prix des terrains et des immeubles en Espagne, on doit immédiatement et sans retenue donner crédit à leurs propos : l'Europe serait au bord d'une phase déflationniste.
Autant être clair et loyalement respectueux, nous nous inscrivons dans une perspective inverse pour plusieurs motifs.
En premier lieu, nul ne saurait nier que l'eurozone est en grande difficulté. Si la Grèce sort, ou si l'Espagne s'enfonce dans une crise financière, il est hautement probable que la dépréciation de notre monnaie commune sera un fait. Autrement dit, plus la crise financière des banques espagnoles sera sévère ( par exemple ), plus l'euro sera attaqué sur le marché des changes ce qui renchérira nos importations et induira un premier type de mouvement inflationniste.
En deuxième lieu, des experts de matières premières comme le réputé Philippe Chalmin n'envisage pas d'effondrement du prix des matières premières. Les consommations exponentielles de la Chine, de l'Inde, etc et la rareté physique ( qui alourdit les coûts d'extraction ) de certaines matières premières vont induire un deuxième type de mouvement inflationniste.
En troisième lieu – lié à ce qui précède – la complexité croissante d'acquisition de la ressource pétrolière, la structure oligopolistique du marché, les tensions géo-‐stratégiques ( Iran, Irak, Nigéria, etc ) sont autant de facteurs qui militent pour une hausse tendancielle du prix du pétrole sans même évoquer longuement les pratiques spéculatives qui peuvent mener, selon certains experts, à un " peak oil " sans précédent.
En quatrième lieu, les pays européens ont – à pleine raison – engagé des politiques assez volontaristes de l'environnement. Or ceci se traduit le plus souvent par un renchérissement du prix des produits. Domotique, automobile, etc sont des secteurs où l'éco-‐label engendre des surcoûts. Si la France va vers un développement éolien et solaire, nous savons tous qu'il est globalement plus coûteux que la situation actuelle. De plus, l'absence de provision pour démantèlement des centrales nucléaires et d'autres
57
points ont clairement fait dire à Monsieur Proglio qu'EDF devait augmenter de 30 % ses tarifs d'ici à 5 ans.
Monnaie moins valorisée, coût croissant des matières premières, hausse du pétrole, coût de la croissance verte ne sont pas des hypothèses mais la route qui s'ouvre devant nous.
Parallèlement, il faut recourir à quelques notions d'analyse économique.
D'une part, il faut se souvenir de la pertinence jamais démentie des travaux de Serge-‐Christopher Kölm qui avait démontré que l'inflation était un phénomène trans-‐sectoriel : autrement dit, hautement transmissible d'un secteur à l'autre. Dans le cas présent, si l'euro s'affaiblit nous aurons à payer le pétrole plus cher et de surcroît, celui-‐ci se renchérira sur les marchés internationaux. Double peine, au total comme l'a déjà publiquement envisagé le Président Christophe de Margerie. Effets en cascade de ces hausses qui toucheront des produits omniprésents dans toute notre économie.
Ensuite, il faut noter l'actualité de l'étude de H. Aujac ( " L'inflation, conséquence monétaire du comportement des groupes sociaux " publié dans Economie appliquée en 1950 ) qui démontrait il y a plus de soixante ans un processus de type " fuite en avant " lorsque les agents économiques craignent pour leurs revenus. Le pilier de notre réflexion est ici le suivant : les chefs d'entreprise, les syndicats de salariés, etc vont exercer une pression à la hausse nominale des prix pour avoir une forme de certitude face au risque de déclassement que la crise comporte. Qui n'est pas objectivement stupéfait par la hausse des prix des produits de base dans un hypermarché ? En moins d'un an, certains relevés faits par des organismes de consommateurs évoquent des hausses moyennes de 8 à 12 %. On est loin des chiffres de l'Insee dont les équipes sont sérieuses mais les échantillons soumis à question. Pour avoir été le disciple puis l'ami de Francis-‐Louis Closon ( Fondateur puis Directeur de l'Insee de 1946 à 1961 ), j'ai quelques notions des impérities qui affectent certaines pondérations. A ce sujet, une récente interview d'un gestionnaire de sociétés d'autoroutes qui se plaignait – telle une ménagère – " que tout augmente " et qu'il fallait bien que sa société " répercute " ne manquait pas de saveur.
De plus, il y a la question du tertiaire dans nos sociétés développées : Albert Meister ( dans " L'inflation créatrice " 1975 ) cite une étude de Jean Charpy – là encore confortée par de nombreux travaux depuis – qui rapporte l'hypothèse d'une " relation directe entre le ralentissement de la productivité moyenne imputable au poids croissant des services dans l'économie et le développement de l'inflation " ( Le Monde, 8 Juin 1971 ).
Clairement, il est des zones du secteur tertiaire où l'inflation se nourrit des tassements de productivité et des conséquences de la concentration voire des ententes qui sont parfois percées au grand jour. ( Téléphonie, etc ).
Nous n'appliquons pas notre raisonnement à un pays comme la Grande-‐Bretagne qui pourrait connaître un vrai épisode de déflation : en revanche, s'agissant de la France nous ne parvenons pas à y adhérer d'autant que la nouvelle majorité politique va être dans l'obligation post-‐électorale de " faire changer les choses " d'où une anticipation inflationniste de nombre d'acteurs économiques, à commencer par les entrepreneurs inquiets de l'érosion de leurs marges. Après ces développements relatifs à l'inflation, la situation économique ne nécessitera que des rappels hélas connus. Même la Chine connaît désormais un ralentissement de sa croissance. Le Japon est aussi confronté à une érosion de la demande tandis que les
58
Etats-‐Unis ne connaissent pas une franche reprise. Quant à la zone euro, l'Espagne, le Portugal ou l'Italie sont en récession de fait et la France la frôle, trimestre après trimestre. De plus, il faut se souvenir que notre pays est destructeur net d'emplois lorsqu'il n'atteint pas 2 voire 2,5% de croissance économique. Ainsi, cela signifie que la machine à exclure du monde du travail est à l'œuvre ce qui pèse sur les comptes sociaux et nos besoins de refinancement. Au plan économique, la coexistence de pressions inflationnistes et de très faibles niveaux d'activité voire de récession se nomme : la slumpflation. Le Président Herbert Hoover avait dit, pour le moins malencontreusement, en 1929 : " La prospérité est au coin de la rue ". En assumant le risque intellectuel d'être démenti par les faits à venir, nous pensons – après recherches et analyses – que la slumpflation a un boulevard devant elle en France dans les 18 à 24 mois à venir. Autant pour des raisons intérieures liées à nos structures de fabrication des prix qu'en raison de chocs extérieurs.
A ceux qui verront ici ou là des segments de déflation, il faudra regarder le mètre-‐étalon de la création monétaire et le doublement du total de bilan de la Bce en quelques années. A ceux qui voudraient oublier l'inflation monétaire, il convient de se reporter au livre récent de Jean-‐François Serval et de notre camarade Jean-‐Pascal Tranié ( La monnaie virtuelle ) où il est démontré en page 85 l'importance de la vitesse de circulation de la monnaie et où il est énoncé : " Dans cet univers déjà sérieusement remis en question, la titrisation a définitivement fait exploser les limites conceptuelles de la monnaie, en fluidifiant la frontière entre biens réels et actifs liquides. (...) Des premières tentatives ont été faites dans ce domaine pour définir une monnaie élargie mais elles relèvent de la recherche. A ce stade, il est évident qu'il y a une course de vitesse entre la crise et notre capacité à la déchiffrer notamment par ce nouveau concept porteur de " broad money ". Pour qui songe aux injections de liquidités requises à Madrid, Rome ou Athènes et pour qui songe aux politiques restrictives menées dans ces pays, il ne parait pas hasardeux de voir se configurer, dans le futur proche, un boulevard pour la slumpflation.
59
-‐ XI -‐
L'inexorable retour de l'inflation.
Les économies européennes sont peu ou prou toutes soumises à l'austérité qui est d'abord caractérisée par une aggravation de la pression fiscale et par des coupes budgétaires parfois impressionnantes. Ceci est vrai en zone latine ( Espagne, Italie ) mais aussi chez les Britanniques.
Cette austérité atteint le processus de croissance et dès lors, la théorie classique enseigne qu'une pression à la baisse devrait s'exercer sur le niveau général des prix. Or, de nombreux foyers de hausses des prix apparaissent : ils posent par conséquent sérieusement question.
Dans un premier temps, nul ne saurait contester qu'un climat récessif et une pression fiscale accrue devraient mécaniquement peser à la baisse sur les prix. Or, bien des secteurs montrent à l'inverse une tendance très nette à la hausse des prix : produits alimentaires, produits transformés de première nécessité ( lessive, etc ), produits pétroliers et dérivés ( plastiques, etc ). Seuls semblent échapper à ces pressions inflationnistes les secteurs qui fournissent des produits d'investissement durable : automobile, produits numériques ( écrans plats, etc ). L'inflation est donc sur le point de reprendre une nouvelle vigueur du fait du choc sur l'offre y compris de produits importés ( exemple des tensions géostratégiques sur le prix du pétrole ). Mais comme l'a finement observé Serge Christophe Kölm dans les années 80, nous allons être confrontés à une inflation dite de productivité qui se définit par le fait que les entrepreneurs des secteurs où la productivité est faible restaurent leurs marges par une hausse des prix qui est supposée absorber les hausses salariales. Or il n'est pas absurde de poser pour hypothèse que le nouveau Président de la République et son équipe vont être obligés de " donner du grain à moudre " ( André Bergeron, FO ) et de faire plus qu'un geste pour les salaires.
Parallèlement, les économistes de la régulation ont montré que bien des entrepreneurs ont un réflexe lié à la marge nette escomptée. Boyer et Mistral ont démontré l'existence de comportements de " mark-‐up " selon lesquels le prix est fixé par un coefficient de marge frontalement appliqué au prix de revient des produits fabriqués. En période où tout un chacun envisage une hausse des prélèvements obligatoires, il nous semble très réaliste de conclure que des anticipations rationnelles conduisent les entrepreneurs à alourdir leur mark-‐up pour être en bonne position sur leur future marge nette après pression fiscale alourdie.
60
A côté de cette approche micro-‐économique, on doit se référer à la position de Milton Friedmann qui a toujours considéré " que l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire ". Or pour qui songe au doublement depuis 2008 du total de bilan de la Banque Centrale Européenne ( qui atteint désormais plus de 3.000 milliards d'€uros ), il y a matière à réflexion d'autant que la pression sur la demande de liquidités est généralisée à tout le continent pour la majorité des agents économiques : ménages ( endettement, crédits à la consommation ), banques ( renforcement des fonds propres ), entreprises ( financements d'investissement ou au contraire besoins de crédits de campagne pour pallier un risque de crise de trésorerie ), etc.
Cette inflation monétaire qui relève d'une inflation par la demande va se conjuguer avec le risque d'une inflation dite de structure : c'st à dire la hausse des prix issue de structures à dominante oligopolistique. Ce phénomène existe avec clarté : il suffit de se reporter aux jurisprudences du droit de la concurrence : lessiviers, cimentiers, opérateurs de téléphonie, etc. Autant de secteurs lourds qui ont été démasqués dans des pratiques d'ententes illicites sur les prix.
Au total des paragraphes qui précèdent, il ressort que la pression sur les prix va être multiforme et convergente dans une crise dont la récurrence montre que les travaux de Clément Juglar sont probablement applicables puisqu'il fixait la durée d'une crise entre 8 à 11 ans. Autant Kondratieff évoquait des cycles pluri-‐décennaux difficiles à valider, autant nous estimons que relire Juglar n'est pas une absurdité, loin s'en faut.
Chacun pressent qu'il faudra plusieurs années pour stabiliser ( nous ne disons pas normaliser ) les situations. Si l'on retient pour hypothèse de travail un délai très raisonnable de quatre ans, cela revient bien à placer la crise intense que nous traversons sur une période 2007 à 2016. Dans le meilleur des cas, tant les déséquilibres sont grands et que l'endettement des Etats les privent de la plénitude des outils keynésiens qui permettaient habituellement de mener victorieusement des politiques contra-‐cycliques.
L'inflation sera inexorablement de retour et va déclencher des phénomènes d'anticipations " auto-‐réalisatrices " qui ne vont pas simplifier la lourde tâche des responsables de la politique économique de la France et de l'Union.
On peut dire que l'on va bloquer trois mois le prix de l'essence mais que faire après ?
Souvenons-‐nous de " l'édit du maximum " de l'empereur Dioclétien qui fut un échec pour lutter contre l'inflation en 301, il y a 1711 ans.
61
-‐ XII -‐
Le Président du 15 Mai 2012 : labeur et épreuves. Quelques jours après son élection du Dimanche 6 Mai 2012, le Président de la République, François Hollande, aura la charge de Chef de l'Etat pour cinq années dont on sait qu'elles seront difficiles et cruciales.
De prime abord, le 15 Mai 2012 ne doit pas pouvoir être une journée comme les autres pour celui que des millions de suffrages ont porté à la magistrature suprême. Il y aura une triple fatigue corporelle et psychique : celle issue d'une campagne de marathonien, celle issue de l'émotion fort légitime de se dire que l'on est rentré dans l'Histoire d'un pays millénaire, celle enfin – digne d'un vertige – de visualiser ses obligations et autres promesses. Sans compter l'émotion de la passation des pouvoirs.
Le Président du 15 Mai n'aura pas la gueule de bois mais il aura la nuque raidie par les clameurs de la victoire qui auront été bien souvent des appels au secours tant la violence de la crise morale, économique et sociale est vivace et tenace.
Le Président sera vite à sa table de travail de fort bon matin et, une fois lus et décryptés les télégrammes diplomatiques, il jettera un œil rapide sur la presse et se fera résumer les messages de félicitations émis par les diverses chancelleries. Tout ceci – sauf évènement international d'envergure – ne devrait prendre que quelques instants à son esprit incontestablement brillant. Ce qui sera plus complexe sera le reste : d'un côté la composition du gouvernement avec l'aide du premier ministre nommé ce qui est toujours un exercice subtil d'équilibrisme. D'un autre, il y aura la situation financière avec probablement la visite de Monsieur le Gouverneur de la Banque de France.
Monsieur le Gouverneur Noyer, seul ou accompagné, parlera au Président de tous les Français de l'ampleur de la tâche en matière de dette souveraine qui échoit à chaque citoyen de notre pays. Le mot d'Agence France Trésor reviendra plusieurs fois dans l'échange.
Quand bien même, le Président – en vertu de l'adage " jamais le donjon en premier " – se ferait-‐il entourer de conseillers, le discours du Gouverneur sera invariant.
A cet instant précis, le Président vivra son quinze Mai : il saura exactement le lien entre des taux d'intérêts à la hausse sur emprunts publics et les efforts qu'ils imposeront, de facto, au corps social. D'une logique intellectuelle que les deux candidats dominaient parfaitement, le Président élu passera à une logique quasi-‐charnelle en mesurant au trébuchet la dérive de l'intérêt face à la pression fiscale accrue ou la dépense publique encore davantage contenue.
A cet instant, le Président aura devant lui l'équation de l'épreuve, la preuve que la part non domestique de notre endettement est un bloc détaché de la montagne sur la route
62
du bonheur de ses concitoyens, de ses millions d'hommes et de femmes dont il est physiquement responsable par la recherche du maintien de la paix et par la quête du maintien – a minima – du niveau de vie. La réforme constitutionnelle instaurant le quinquennat sera très probablement jugée sévèrement par l'histoire car elle ne laisse plus au Président un vrai pouvoir d'arbitrage.
L'arbitre est devenu un joueur : une sorte de capitaine d'équipe à la limite un chef de majorité parlementaire. Cette réforme allègrement soutenue par Messieurs Giscard d'Estaing et Jospin est déjà inscrite au tableau des erreurs : il faudrait peu de choses pour qu'elle bascule sur l'ardoise des fautes de nos politiques.
Car le Président du 15 Mai sera bel et bien pris en tenailles entre la notion axiomatique de continuité de l'Etat et celle du bilan de nombreuses années d'une démocratie laxiste du fait de sa propension trop aisée à dire oui à toutes les demandes du corps social.
Depuis les salles polyvalentes trop grandes en passant par des aménagements de centre ville séculaire que la nécessité n'inscrivait pas en tête de la rationalité.
Raymond Barre, avec sa lucidité brillante et corrosive, a dit avec maladresse aux Français qu'ils vivaient au-‐dessus de leurs moyens. Bien des années après, toutes les collectivités territoriales, tous les " quangos " ( quasi-‐non governemental organizations ) dénoncés par la dame de fer britannique n'ont pas mesuré la pleine portée du propos barriste. Notre France aime la dépense publique. Pourtant nos concitoyens ont parfaitement compris. A l'heure où l'inflation est déjà manifeste ( essence, produits alimentaires, etc ), ils économisent et présentent ainsi un taux d'épargne quasi-‐record. Des beaux esprits comme Alain Minc auront une explication que même Madame Christine Lagarde ne serait pas mise en état de comprendre face à la densité du verbiage. La réalité demeure, les Français ont compris ! Oui, ils ont bien compris qu'il allait falloir soutenir davantage leurs jeunes en mal d'emplois, financer une partie de la dépendance et payer des feuilles d'impôts sur papier recyclé avec du papier monnaie durement gagné.
Loin d'être ignares en économie, nos concitoyens sont nettement plus clairvoyants que nombre de politiques ne le pensent. A tort, donc de la part des élus. Pour le Président du 15 Mai, il faudra avoir une calculatrice branchée en permanence sauf à vouloir glisser vers une situation à l'espagnole et il faudra dominer un mot-‐clef que Pierre Mendès-‐France avait su apprivoiser en son temps : la pédagogie de l'action. Sans pédagogie, le coefficient d'acceptation des efforts sera moindre voire anéanti.
Le toujours surprenant Jean-‐Pierre Raffarin pourra alors continuer de gloser sur sa route droite et sur la célèbre pente raide. Ce qui sera raide, si le Président du 15 Mai ne veut pas prendre le temps d'expliquer, d'expliquer toujours, cela sera les tableaux de roulement des compagnies républicaines de sécurité. Conviendra-‐t-‐il de recourir à l'article 18 de la Constitution aux termes duquel le Président " peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès " ?
Ce point avec Monsieur le Gouverneur effectué, il faut espérer que le Président ira marcher dans le parc pour reprendre du souffle comme savaient le faire ses deux terriens que furent les Présidents Georges Pompidou et François Mitterrand.
63
Entre le Cantal et le Morvan, il y a bien des différences mais ces deux êtres d'exception avaient une force intérieure rare et une capacité de vraie distanciation, qualité sine qua none pour un Chef d'Etat digne de ce titre. On peut hélas craindre que le recul ne soit pas le mot magique de cette journée et que d'autres rendez-‐vous cruciaux ne se suivent notamment celui dédié au futur déplacement du nouvel élu vers la Chancellerie allemande. " Vaste programme " comme aurait dit le Général de Gaulle tant le chemin de l'entente fondamentale et névralgique est parsemé d'embûches pour ne pas dire de divergences conséquentes que La Chancelière a pris le soin de réitérer à plusieurs reprises en amont de ce premier contact de visu.
Un jour, Fidel Castro a dit : " L'Histoire est écrite par les vainqueurs ". Il nous restera donc à déchiffrer, avec patience, le communiqué final de la future rencontre qui va donner lieu à un texte ciselé et des propos choisis. La France a heureusement progressé dans sa relation franco-‐allemande et le temps où un certain Jacques Chirac avait omis de prévenir préalablement l'Allemagne de la reprise en Août 1995 de nos campagnes d'essais nucléaires semble loin.... Le Président du 15 Mai sera le gardien des règles du Texte suprême qu'est la Constitution.
Essayons d'en déduire quelques points d'actualité. La campagne électorale a évoqué les pratiques religieuses. Curieusement, on ne sait pas très bien la ligne directrice des uns et des autres. Pour résumer, si l'on veut assurer la dignité de la prière ( et lui faire quitter les trottoirs ), il faudra réfléchir à l'édification de lieux de culte.
" Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. " Article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Premier thème de labeur pour l'équipe du Président : faciliter l'émergence de solutions compatibles avec l'article 1er de la Constitution qui rappelle que la France est une République laïque. Ce thème contient d'ailleurs un sous-‐thème peu évoqué : celui du recours à la langue française ( article 2 ) alors même que certaines files de bureaux de poste sont en langue étrangère. Echouer sur ce sujet socialement sensible de l'intégration serait voir une recomposition des forces politiques de droite où la composante la plus importante serait alors la plus extrême. Autrement dit, un défi significatif et une forme de péril pour la paix civique sans même parler de la " douce France " chère à Charles Trenet et reprise par Les Enfants du Pays. L'article 3 traite de la souveraineté nationale exercée par les représentants du peuple et par la voie du référendum. Chacun sent bien que les Français rêvent d'un ou plusieurs débats référendaires. Mais comme l'ont magistralement démontré les politologues Roland Cayrol et Stéphane Rozès, dans un référendum le peuple choisit davantage de dire oui ou non au Président qui pose la question plutôt que de répondre précisément à la question.
64
Le Président du 15 Mai, de gauche tempérée ou accentuée, aura des envies de référendum. Le peuple aussi. Or, en césarisme démocratique issu de la cinquième République, le référendum semble vite un attrape-‐tout où la démocratie peut ne pas y trouver son compte.
Les élections législatives de Juin 2012 pourraient apporter un lot de surprises voire de déconvenues car les appareils politiques ( " Les partis concourent à l'expression du suffrage " Article 4 ) seront placés dans des configurations moins univoques que prévues. Et si ce quinquennat, soi-‐disant outil anti-‐cohabitation, en apportait une à l'homme du 6 Mai 2012 ?
Si tout mandat impératif est nul, on peut toutefois craindre la montée de la discipline interne des partis ( les consignes coercitives de vote ) et l'extension du rôle des lobbystes au sein de notre Parlement. Dans tous les cas de figures, le travail parlementaire restera marqué par l'urgence et l'inflation des lois votées ce qui pose question au regard de l'étranglement des rouages du Conseil d'Etat en matière de rédaction de décrets d'application. Par l'article 5, le Président est garant du respect des traités : quid de cette formulation alors que certains traités mériteront d'être revisités au plan européen : introduction de la notion de croissance pour tenter de juguler l'austérité, refonte partielle des accords de Schengen, etc.
Par l'article 38, le Gouvernement peut recourir, pour un temps limité, à la procédure des ordonnances. La crise aidant, il nous parait hautement probable que ce mécanisme ne soit mis en action du fait des contraintes temporelles.
L'article 40, bien connu des juristes comme l'éminent Guy Carcassonne, mérite une citation in extenso : " Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ".
Ce texte est clair et vise la vie parlementaire. Nous préconisons avec insistance que dès le 15 Mai, le Président de la République le transpose à la vie ministérielle.
Autrement dit, qu'une charte de fonctionnement de l'exécutif rassemble les idées forces du Président et qu'elle contienne une disposition du type : " Toute mesure proposée par un membre du Gouvernement devra tendre, à efficacité économique et sociale constantes, à contribuer au désendettement de la Nation. A défaut, l'alourdissement de la charge publique due à la nouvelle mesure devra être obligatoirement compensée par une ou des décisions d'allègement budgétaire ". L'ampleur des réformes à mener est immense : nous le savons tous.
Si le dernier des Secrétaires d'Etat peut prendre telle ou telle initiative défavorable aux finances publiques, alors la France ira vers des pages sombres de son Histoire économique et financière.
Il y a des contribuables riches. Mais pas tant que çà. L'Etat doit changer.
65
Le Président du 15 Mai sera à sa table de travail avec ardeur : il vivra le temps du dur labeur et celui des épreuves.
Parmi celles-‐ci, pourrait bien figurer la QPC ( Question prioritaire de Constitutionnalité ) définie par l'article 61-‐1 de la Constitution. N'aurait-‐elle pas été utilisée en 1982 pour contrecarrer les lois de nationalisation voulues et promulguées par l'ancien élu du Morvan : le Président Mitterrand ? De même ce quinquennat qui débutera en 2012 verra sûrement la montée en puissance du Défenseur des droits ( article 71-‐1 ). La journée du 7 Mai de notre nouvel élu pourrait être historique ( comme elle le fût en 1915 avec le naufrage du Lusitania ) en cas d'attaques spéculatives contre notre pays. D'ici fin Mai, l'Agence Française du Trésor a de lourdes procédures de recours aux marchés à élaborer avec finesse. Notamment le 16 Mai.
Quant au Président de la République, il pourra le lendemain matin même de son élection – l'espace d'un instant en ce 7 mai – penser à Olympe de Gouges ( née le 7 Mai 1748 ) et à sa " Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne " car la lutte pour l'égalité hommes-‐femmes demeure un vrai sujet. Ou alors, plus mélancolique, il repensera au discours de 1969 de Jacques Chaban-‐Delmas sur la " nouvelle société " où des esprits comme Jacques Delors, Simon Nora et Dominique de La Martinière s'étaient rencontrés pour soumettre un cadre qui fait encore sens dans bien des sections abordées.
Oui, le Président du 15 Mai – exténué par sa première journée – pourra enfin aller se reposer en murmurant la phrase de Chaban : " Le discours est moins important que le projet dont il était porteur. " ( in Mémoires pour demain, page 431 ).
La France veut un projet. La France compte, par millions, des hommes et des femmes en attente d'une pédagogie de l'action publique. Ne l'omettez pas, Monsieur le Président de la République. Et puis, gardez en filigrane que la pleine capacité d'action commencera le lendemain du deuxième tour des élections législatives des 10 et 17 Juin, soit le Lundi 18 Juin : date historique s'il en est. Parlant d'histoire, le Président du 15 Mai venu des terres rudes de Corrèze sait que les heures peuvent être parfois graves.
Nul homme de son rang ne saurait oublier le trop fameux 16 Mai : c'est à dire la crise institutionnelle profonde du 16 Mai 1877.
Celle qui opposa le Président Mac-‐Mahon à la Chambre des députés et notamment à Gambetta qui avait déclaré, à Lille, le 15 Août 1877 cette célèbre exclamation " Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-‐le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre ". Face aux marchés financiers et à l'appel de fonds du 16 Mai 2012, face à la Nation et à son vote législatif, le Président a les moyens de son action sous condition qu'elle soit pertinente, lisible et idoine et que le temps de la pédagogie ne soit pas englouti par le temps requis de l'action.
66
-‐ XIII -‐
Politique économique et attractivité : un duo gagnant.
La crise économique en Europe semble prendre une tournure très préoccupante : la Grèce et son peuple sont à bout et l'Espagne vacille. L'Histoire s'apprête peut-‐être à nous jouer un sale tour collectif et pourtant il faut continuer de réfléchir aux modalités de sortie de crise.
Un maillage plus dense entre les externalités et la politique économique nous semble être un outil opérant : examinons ensemble les lignes de force de ce binôme.
Tout d'abord, il convient de revenir sur le diagnostic de la crise. Le débat sur les externalités s'inscrit dans un moment historique particulier qu'il serait absurde de passer sous silence et qui mérite donc quelques paragraphes en guise de liminaire.
Si la Grèce est contrainte de quitter la zone euro, le choc sera sévère mais possible à absorber. Les vides juridiques des Traités fondateurs, les questions d'insertion d'une nouvelle monnaie sur notre continent, le risque avéré de décrochage de parité de la nouvelle monnaie sont autant d'éléments d'ordre technique qui ne sont pas insurmontables. Les poser comme absorbables ne revient nullement à dire que nous souhaitions leur survenance. Notre passion pour l'Europe est à la fois atteinte et inquiète.
En revanche, la situation espagnole ( où l'on vient d'apprendre la nationalisation d'une banque avec abandon pur et simple d'un prêt étatique antérieur de près de cinq milliards d'euros ) est d'une toute autre ampleur et l'onde de choc serait – selon nous – un super stress test pour la zone euro. En fait, le test d'une nuit en montagne sans couverture de survie. En effet, on voit mal la BCE pouvoir aller plus loin que son interprétation déjà " border-‐line " des traités pour soutenir la situation. D'autre part, nous sommes convaincus que des secteurs entiers de l'économie ibérique n'ont pas encore joué la carte de la sincérité des comptes. Le secteur de la construction doit avoir des réserves de besoins de provisions comptables qu'une paille de fer permettrait de débusquer. Avec son lot de conséquences, attachés que nous sommes à une vision des propagations inter-‐sectorielles et à une dimension holistique des sociétés occidentales modernes. En cas de crise des paiements sur dette souveraine espagnole, il est évident que les provisions pour dépréciation font fleurir comme des coquelicots dont le rouge se répandra sur les lignes des produits nets bancaires : l'impact serait important pour plusieurs établissements français et bousculerait à l'envie un quadrilatère dont les sommets sont les suivants : provisions pour dépréciations ( ou constatation directe de la
67
créance irrécouvrable sur un seul exercice...), déséquilibres bilanciels en pleine réforme de type Bâle III, réouverture de la défiance face à tel ou tel établissement, capacités restreintes des Etats. S'agissant de ces derniers, l'exemple de Dexia frôle la caricature : autant on voit mal l'état des finances publiques permettre un sauvetage en début de crise paroxystique ( nationalisation ) autant il serait loisible à un Etat d'acquérir – dans un deuxième temps -‐ la banque lorsque son action se compterait en centimes d'euros. Ce qui n'écarterait pas le coût budgétaire de la restructuration dudit établissement. Ce schéma est à notre porte sauf à imaginer l'hérésie de revenir sur le discours du Président Sarkozy sur la sécurité des dépôts ( Toulon, 2008 ).
Nous avons déjà écrit que nous récusions le terme de système bancaire qui supposerait un ordonnancement là où il n'y a qu'empilement d'acteurs indépendants aux stratégies hétérogènes. Le risque systémique est un terme impropre : la contagion par effet-‐dominos peut en revanche être une réalité.
Ce contexte de grande défiance financière et de risque sur dette souveraine étant rappelé dans ses lignes de force, il convient d'ajouter notre triple conviction : d'une part, nous sommes dans un phénomène de crise de type de celle de Juglar ( entre 8 à 11 ans de récurrence ), puis nous sommes convaincus que la slumpflation ( récession et inflation ) nous attend et non pas la déflation, enfin ces chocs vont libérer une force gigantesque de concentration de type Fortis absorbée par la Bnp.
Or les externalités ont un lien technique évident avec la taille unitaire des producteurs. Rappelons en premier lieu leur définition par Pigou en 1932 : il s'agit de " l'effet de l'action d'un agent économique sur un autre qui s'exerce en dehors du marché ".
L'externalité est positive lorsqu'elle entraîne des bénéfices pour tel ou tel agent. A l'inverse, elle est négative lorsqu'il s'agit – par exemple – de prendre en compte des atteintes à l'environnement. Ainsi, les externalités représentent l'impact réel mais fortuit de l'activité d'un agent économique sur les autres. On cite souvent le cas de l'usine papetière qui située en amont génère une externalité négative pour les agents vivant en aval du cours d'eau. Pour rentrer dans le vif du sujet et de notre lien entre politique économique moderne et externalités, cela revient à dire qu'il ne saurait être question de lire les comptes de résultat de l'activité Fret de la SNCF sans penser a-‐u-‐t-‐o-‐m-‐a-‐t-‐i-‐q-‐u-‐e-‐m-‐e-‐n-‐t que l'abandon de certaines dessertes est une externalité négative majeure du fait des milliers de camions qu'elle rajoute sur les routes. A choisir, que préfère le contribuable ? les rejets de Co2 des poids lourds et leurs taux d'accidentologie ou un peu de déficit public qui est digne d'epsilon rapporté aux déficits publics annuels que la France enregistre depuis des décennies. On se fait intellectuellement plaisir avec une calculette plantée dans le dos du valeureux Guillaume Pépy et on oublie le coût complet de la mesure ( usure des infrastructures routières, pollution directe, sécurité routière ).
Bref, l'Etat croit savoir compter là où il ne fait que des soustractions de surface générant des questions de fond plus graves.
A l'heure où une nouvelle majorité s'installe et un nouveau Président se prépare à conduire les affaires, nous appelons avec vigueur et insistance pour un nouveau calcul économique. La LOFL et la RGPP sont des outils de première approche qui doivent éviter les écarts dont l'analyse est le métier des contrôleurs de gestion. Au-‐dessus, il y a
68
l'intérêt collectif majoritaire ( voire l'intérêt général ) qui suppose ardemment le recours à des approches plus élaborées.
En matière d'externalités négatives, il a été réalisé des avancées selon le principe du polleur-‐payeur : tout ceci est connu.
Mais quid des externalités positives ? Les entreprises d'une certaine taille sont contraintes d'annexer à leurs comptes annuels un bilan social. Nous revendiquons qu'une Administration de mission comme la Datar ( ou autre ) reçoive mandat de faire un recensement analytique des externalités positives puis tente, avec l'aide de services de Bercy et de l'Insee, de quantifier les choses.
Le Président Hollande a dit avec clarté et détermination qu'il prendrait toutes ces décisions en se posant la question préalable de leur justice. Dans le cas du fret Sncf, cela fait des années que les décisions prises ne sont pas justes pour la Maison France mais seulement pour deux ou trois férus de comptabilité analytique que les pelotons autoroutiers devraient inviter, manu militari, à voir les conséquences d'un accident impliquant un camion.
D'ailleurs, notre contribution est ici totalement prête au défi des chiffres : on a économisé moins de 200 millions d'euros avec cette histoire de plan fret Sncf. Au prix de la vie d'autrui reconnu par les barêmes des assureurs ( et sans parler du préjudice moral et du gâchis humain ), combien d'accidents avec des camions ayant pour donneurs d'ordre des chargeurs anciens clients de la Sncf ? Combien ?
Combien de réunions où l'on veut s'évanouir devant le prix du ferroutage sans recourir à de l'analyse économique voire à la célèbre analyse juridique du Conseil d'Etat : le fameux bilan " coûts-‐avantages " .
Nous sommes dans une société aux ramifications sophistiquées et aux produits complexes, ne pas faire un effort d'appréhension des externalités, c'est dire aux Laboratoires Servier que leur bilan " bénéfices-‐risques " du Médiator avait été bien appréhendé....
Les enjeux sont trop lourds et il faut quantifier les externalités pécuniaires qui concernent la fonction de coûts ( Scitovsky, 1954 ) et impactent donc directement notre compétitivité, pierre angulaire recherchée par toute politique économique digne de ce nom. L'économie du gratuit – qui est une innovation récente liée aux nouvelles technologies ( logiciels, libres, journaux gratuits, téléchargements, etc ) sont des faits qui doivent être quantifiés quelque part dans le raisonnement des grands décideurs publics.
De même des efforts sont à poursuivre par les entreprises privées en matière de chiffrage de leurs efforts en matière de RSE ( Responsabilité Sociétale et Environnementale ).
A notre connaissance, les documents RSE évoquent parfois la sécurité au travail voire sa pénibilité mais demeurent silencieux sur le temps de trajet domicile-‐travail et leurs risques. ( accidents, stress, fatigue ). Plus le facteur travail est loin de son lieu de production, plus son risque de fatigue en cours de journée ( avec le taux d'erreur corrélé ) est grand. On peut gloser dans des colloques sur la qualité : il n'est pas viable d'omettre des variables. Pour conclure, nous sommes convaincus qu'un chantier sur les externalités permettrait une politique économique plus performante en termes de maîtrise réelle et sérieuse des coûts budgétaires et en matière d'emploi.
69
Avec une calculette, on ferme un hôpital de proximité. Avec de la " comprennette ", on mesure le coût des ambulances VSL ( et leurs petits arrangements...) et la fatigue pour des patients qui font parfois 140 kms ( aller et retour ) pour aller subir des séances fatigantes de radiothérapie.
Oui, une réflexion technique crédible s'impose sur l'externalité qui est un foyer de mieux-‐vivre et de dépenser juste. Deux piliers formant un binôme pour une politique économique digne de ce nom.
Et bien évidemment, ladite politique – last but not the least – constituerait alors un levier puissant en termes d'attractivité de la France : un duo gagnant, en somme.
70
-‐ XIV -‐
Revisitez d'urgence la politique économique ! La politique économique qui repose sur plusieurs instruments ( fiscalité, budget, soutien à la compétitivité, etc ) doit être revisitée à l'aune de la crise qui chamboule certitudes et habitudes. Pour être revisitée, il faut d'abord cerner ses objectifs avant d'énoncer mezzo voce quelques idées.
En 1974, défait par Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand avait dit à Françoise Giroud et quelques amis : " Décidément, l'Histoire ne m'aime pas ". En 1981, on connait son célèbre : " Les ennuis commencent, enfin ". A l'heure présente, nul n'a rapporté le concentré de la pensée du Président Hollande à l'exclusion du cri public : " Merci, peuple de France " prononcé avec panache à La Bastille. Amour, ennuis, merci : trois mots qui pourraient bien surgir sur le bureau du nouveau Chef de l'Etat selon une séquence brutale : les marchés ne vont pas aimer sa politique, le pays pourrait avoir des ennuis et nul ne viendra remercier cet homme estimable des efforts qu'il va demander à telle ou telle partie du corps social. En temps de guerre, le citoyen accepte Clémenceau ou Winston Churchill : en temps de paix, il les congédie comme ses deux illustres exemples viennent le confirmer avec force et ingratitude.
Autant dire que l'élaboration de la nouvelle politique économique de Monsieur le Président Hollande va être un acte fondateur de son quinquennat et nous ne parlons pas ici du doublement du plafond des dépôts sur le Livret A....
La politique économique forme un tout mais est généralement composée d'une série de mesures prises par l'Etat en fonction de sa perception de l'activité économique et de la situation sociale ( politique de redistribution ).
Qui dit perception des besoins dit qualité du périscope : or, l'Etat a négligé certains travaux internes très bien conduits par ses propres services pour recourir parfois à des officines aux raisons sociales d'inspiration anglo-‐saxonne qui n'étaient pas toujours frappées du sceau de l'exactitude. Dans les " mille sentiers de l'avenir ", l'estimé Jacques Lesourne avait donné des clefs pour identifier et planifier la prospective. Ces règles sont trop souvent foulées au pied par des personnes dont le bagage relève plus de la communication corporate plutôt que des sciences économiques et sociales. De plus, nous avons déjà écrit – en pleine fidélité à Raymond Barre – que la question centrale était l'économie politique et non les sciences économiques.
71
Concrètement, l'Etat doit d'urgence reprendre les rênes du périscope faute de quoi ses tirs – ses mouvements de politique économique – manqueront leurs cibles.
A l'heure où la France dispose d'éléments efficaces et dévoués, il est assez de céder à des modes – parfois venus des lobbys de Bruxelles – qui répandent des approximations économiques que le danger de la crise ne permet plus de s'offrir et de supporter.
Toujours aussi concrètement, quand le Commissariat au Plan ( ou un organisme équivalent ) sera tenu par un héritier de Paul Delouvrier ( et non par certains personnages transparents nommés du temps de Jacques Chirac ), la Présidence de la République et Bercy auront des interlocuteurs et non des succédanés d'économistes passés par le Conseil d'Etat dont la réputation juridique hautement établie ne prédispose sans doute pas, comme dirait notre camarade et ami Marc Lambron, à l'économie.
Il est toujours de bon ton de se gausser du Plan mais souvenons-‐nous avec droiture intellectuelle du rapport du Plan intérimaire de 1982 piloté par Michel Rocard : " Il n'y a pas de secteurs condamnés, il y a des technologies dépassées ".
Les farouches tenants d'une spécialisation ricardienne expliquaient à longueur de colonnes, de colloques, de réunions interministérielles qu'il fallait retenir une dizaine de spécialités et lâcher le reste, textile en tête.
Des années après, trois observations : d'une part la France excelle dans certains textiles thermiques et autres fort complexes, d'autre part, la Chine et autres BRICS nous font lourdement concurrence dans tous les secteurs, enfin Jean Riboud ( Président de Schlumberger et ex-‐visiteur du soir de l'ancien élu du Morvan : François Mitterrand ) a toujours dit que la concurrence mondiale serait omnisectorielle et qu'il fallait " tout tenter de défendre par la modernisation ". Concrètement, une conclusion opérationnelle s'impose : il ne devrait pas y avoir de politique sectorielle au sens de filière ( ferroviaire, électronucléaire ), il devrait être enfin mis sur pied un authentique Ministère de l'Industrie dédié à tous les secteurs même si évidemment le périscope imposera un panachage dans l'intensité de l'action publique. Autrement les torpilles de l'interventionnisme étatique feront de la godille et iront se perdre par-‐delà leurs objectifs initiaux.
Reconstruire un outil de veille et de prospective in situ est un axe fort. Il conditionne l'efficacité – le rapport qualité-‐prix – de l'intervention de l'Etat.
En effet, la politique économique est un sujet d'envergure pour quatre grandes raisons qu'il est impératif de lister.
En première approche, la crise ( monétaire, financière, économique ) n'est pas finie et on dirait qu'une course poursuite erratique s'est installée entre ses trois composantes et qu'une sorte de podium olympique se dresse face aux peuples. Parfois la crise monétaire est médaille d'or, parfois c'est la crise économique ( voir prévisions de croissance revues à la baisse ce jour et abandon du 1,7% ) qui l'emporte. Si la crise est d'ordre trinitaire, les réponses des Etats de l'Union ne sont pas unitaires ni même univoques. En deuxième approche, nous appartenons à un chemin de pensée qui estime que tout phénomène économique s'inscrit dans une dimension historique. Le prix Nobel 1993, le
72
remarquable Douglass North, a démontré l'importance de l'histoire économique ( Institutional Change et Economic Fundamentals, 1990 ).
" Notre " crise est historique et il faut lui répondre par des gestes de portée historique. Autrement dit, la nouvelle majorité aura – en droit -‐ les mains aussi libres que le jeu normal des Institutions le lui permettra mais elle doit avoir – en économie publique -‐ la tête libre et remplie de l'idée d'innover. Qui songerait à nier qu'un certain Monsieur Keynes a innové à la lumière de la crise des années 30 ? De nos jours ( troisième approche ) le peu de surface disponible des finances publiques prive l'Etat d'un levier-‐clef et du célèbre multiplicateur budgétaire.
Il faut donc écarter les politiques de " pur stop " ( austérité élargie ) et soutenir l'activité sans qu'une politique de " go " n'obère les finances publiques.
A ce jour, aucun Etat ou zone monétaire de dizaines d'Etats n'a réussi un tel pari : aller vers le stop pour les marchés et l'opinion allemande tout en soutenant parcimonieusement le go pour pallier les risques de profonde crise sociale.
Le Président Hollande ne doit pas forcément aller vers l'expérimentation qui pourrait aboutir à des effets contraires, il doit donner instruction à ces hommes du chiffre de lancer des javelots d'innovation.
Face aux plus de 200 milliards d'exonérations fiscales et sociales, il doit y avoir moyen de faire une sorte de BBZ ( budget base zéro ) et d'écrire en cohérence sur une nouvelle page de l'histoire économique de la France. Quatrième approche, la politique économique – de tous bords et menés par quiconque – ne saurait échapper à des principes qui ne sont pas fameux en temps de crise.
Premier principe, une loi votée au Parlement ( définitivement adoptée et promulguée ) issue d'une idée née préalablement lors d'une réunion à l'Elysée est connue à Tulle des semaines avant son entrée en vigueur du fait du temps requis à la rédaction des décrets d'application.
Cet effet retard, cette hystérésis est très dangereuse car elle laisse se développer des anticipations dites rationnelles chez les agents économiques et si ces anticipations sont erronées, on aboutit aux effets pervers du mauvais tâtonnement walrassien ( principe du cobweb et absence d'ajustement entre l'offre et la demande ).
La célèbre formule de Raymond Cartier : " La Corrèze avant le Zambèze " ( dénonçant le coût des colonies d'alors ) devient, en politique économique : " En Corrèze avant le trapèze de l'Etat " : autrement dit, le citoyen est au " parfum " avant que les jeux de trapèze ( navettes parlementaires, aller-‐retour au Conseil d'Etat, etc ) ne soient conclus.
Deuxième principe, l'existence avéré du théorème du no bridge ( de l'impossibilité ) où Kenneth Arrow ( in Choix collectif et préférences individuelles, 1951 ) démontre que l'on ne peut établir une relation de préférence collective cohérente à partir des relations de préférence de chacun des agents. Cela revient à énoncer qu'il n'y a pas de relation prévisible et quantifiable entre l'analyse microéconomique ( les ménages, etc ) et la pratique macroéconomique ( l'Etat ) .
Ce théorème de l'impossibilité est vérifié en France : ainsi différents calculs économiques apparemment pertinents ont volé en éclats sous le coup de la réalité
73
micro-‐économique. Par exemple, le coût bien plus élevé du R.M.I en 1990 par rapport aux quantifications de l'équipe Rocard parties d'un plan macro-‐économique.
Ce deuxième principe est une plaie car il peut brider le politique qui avance à pas comptés tellement il est peu certain de son chiffrage préalable. Ici se trouve une partie de l'étiologie des déficits budgétaires de la France....
Troisième principe, la présence d'oligopoles et de " zinzins " ( terme d'Olivier Pastré dans Les nouveaux piliers de la finance ) qui, par leur poids relatif, peuvent altérer la réalisation d'une politique économique. Soit de manière frontale ( menace de délocalisation, etc ) soit de manière plus feutrée par un jeu d'influences à la française que feu Ambroise Roux et désormais Claude Bébéar ou Henri Proglio savent inspirer et insuffler avec discrétion ou claire énonciation. On retrouve là la " théorie de la capture " énoncée dès 1971 par Stigler qui démontre que l'action normative de l'Etat est souvent influencée par les producteurs ( à leur profit bien évidemment ) au détriment des ménages au sens de consommateurs.
Par-‐delà la puissance de calcul des ordinateurs de Bercy, ces trois principes ( hystérésis et anticipations imparfaites, chiffrage préalable incertain, captation par les Institutionnels ) sont de sérieux obstacles à toute politique économique et celle conduite par l'ancien élu de Corrèze n'y dérogera pas.
Ce sont des lois d'économie politique issues de travaux crédibles et la nouvelle politique économique devra tenter de les domestiquer, non de les ignorer sous peine de graves revers porteurs de lourdes désillusions sociales. " Toute pensée qui se bornera aux combinaisons de l'économie politique sera infailliblement trompée dans les grandes affaires humaines ". Edgar Quinet ( La Révolution ). En termes de conjoncture, nous avons relevé l'évolution nominale haussière des prix et le tassement confirmé des prévisions de croissance. A regret pour le corps social, nous estimons que notre hypothèse d'apparition d'une phase de slumpflation est de plus en plus crédible.
Face au risque d'asymptote des capacités contributives de l'Etat englué dans le service de la dette, la politique économique suppose une série de six pistes de mouvement.
1 ) Nous ne parvenons pas à désespérer d'une initiative européenne même si les reliefs qui entourent la piste ne militent pas pour un soft landing. Au plan strictement économique ( et hors déversement des egos nationaux ) il convient de constater joyeusement le degré d'intégration européenne, d'interpénétration des économies qui conduit à rechercher une solution au niveau de l'Union qui doit retrouver l'esprit pionnier qu'avait la Communauté économique européenne.
Chercher d'éventuelles protections en matière de libre circulation des biens et des hommes aux frontières de l'Union n'est pas sacrilège mais réalisme.
Au plan monétaire, la situation est plus grave : nous détenons les mêmes billets mais ne jouons pas avec les mêmes billes. 2 ) Une cohérence budgétaire non établie sous monnaie commune est gageure pour l'équilibre de l'ensemble. Comment faire pour que les politiques – primus inter pares – l'entendent et s'entendent à ce sujet ?
74
Du résultat à cette question découlera le degré d'efficacité de la nouvelle politique économique qui ne saurait se déployer efficacement dans un univers instable.
3 ) Nous répétons notre position exprimée dans une contribution précédente : l'Etat doit œuvrer de manière résolue pour développer les externalités positives afin de faciliter la vie ( et les rendements ) des producteurs et des consommateurs.
Nous nous inscrivons ici à l'opposé radical des travaux de Coase et son anti-‐Etatisme quasi-‐obsessionnel.
4 ) Notre survie nationale viendra davantage d'un ou plusieurs Colbert lucides et ouverts au monde que de camarades de pensées d'Alain Madelin.
Coase a écrit sur les phares et s'est insurgé de leur nationalisation. Pour poursuivre cette métaphore, qui songerait aller tenir meeting en Bretagne pour annoncer que le rail d'Ouessant est aboli et que le Cross Corsen va être vendue aux enchères publiques ?
La réduction réalisée des risques de pollution par les hydrocarbures est une externalité positive : il faut multiplier ce type d'approche dans la sphère économique en stabilisant les situations juridiques, par exemple.
5 ) Nous militons pour une révision constitutionnelle qui élargisse les droits de l'exécutif en matière d'ordonnances ou qui instaure une procédure plus rapide encore que l'urgence pour les travaux parlementaires. Des dizaines d'auteurs dont le célèbre Georges Burdeau ont écrit sur le temps de la loi : nous savons maintenant que ce temps est en décalage avec la vitesse de réaction des agents économiques comme l'a montré Robert Lucas qui contestait de plus la valeur des séries statistiques du passé comme moyen d'extrapolation de l'avenir
Il est capital que la politique économique puisse se déployer plus promptement faute de laisser un champ exagérément libre aux anticipations imparfaites qui font dévier de sa trajectoire la balistique étatique.
6 ) Dernier élément de cette contribution, la France souffre, selon nos recherches, d'une excessive rigidité de sa fonction de production. Composée du facteur travail, du facteur capital et du complexe facteur résiduel, la fonction de production à la française est de type clay-‐clay. Autrement dit, une fois la décision prise, l'entrepreneur est très réticent à modifier profondément son mix. S'il y a besoins de capacités additionnelles, la crise montre la réticence à l'extension de capacités ou à une politique approfondie de recrutement. S'il y a besoin de repli, le facteur travail est la variable d'ajustement de manière très mécanique sans que des hypothèses de productions substitutives ne soient recherchées. En-‐dehors de toute expression d'une opinion politique, si la politique économique n'est d'ici douze mois que résumable à une réforme fiscale, les calculettes du Ministère auront gagné sur l'intensité neuronale contenue dans Bercy. La France sera alors loin de favoriser une fonction de production de type putty-‐putty et d'autres mesures vraiment innovantes.
Avec des ingrédients classiques, elle aura une réponse classique du corps social et ne pourra présenter qu'un fade bilan. A l'opposé, pour prendre un exemple de détente, de la cuisine du génial feu Bernard Loiseau ou du talentueux Dominique Bouchet. L'un comme l'autre savent que le résultat de leur politique culinaire provient de leur audace, de leur innovation et de leur passion.
75
Monsieur ou Madame le futur ministre de l'Economie, soyez audacieux, innovant et passionné comme le fut René Monory et " sa " libération des prix. S'il s'agit d'être seulement méthodique tel un sénateur de la Mayenne, alors nous sommes mal embarqués et comme chacun sait : " Le conformisme intellectuel vaut l'Inquisition " ( J de Bourbon Busset, in Tu ne mourras pas ).
76
-‐ XV -‐
La Nation doit-‐elle à Peugeot ?
Le Ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a été plus loin Jeudi 12 juillet au soir ( journal de 20 heures de France 2 ) que lors de sa réponse à une question au gouvernement posée au Sénat dans l'après-‐midi. Ainsi, il a affirmé que Peugeot " devait quelque chose à la Nation France " ( sic ). Cette phrase pourrait paraître grandiloquente de la part d'un ancien avocat dont nul ne conteste le talent oratoire et le sens de la répartie. Mais, véritablement, sur ce plateau de télévision, l'élu de Saône-‐et-‐Loire semblait crédible et à la limite de la pleine conviction émue.
Si Peugeot doit effectivement des explications, des justifications à la Nation au travers de l'acceptation d'expertises économiques contradictoires ( expert du gouvernement, expert mandaté par le comité central d'entreprise ), ce groupe ne peut gommer que la situation actuelle est très préoccupante et qu'il a fait beaucoup pour notre pays en tant qu'employeur.
Au demeurant, et sans être frontalement opposé au Ministre qui hérite d'un dossier industriel et social délicat, on peut se poser la question symétrique : et si la France devait quelque chose à Peugeot ?
Plusieurs motifs viennent étayer cette question. Premier motif, l'aspect fiscal. Par le montant de taxe professionnelle versée et par celui de la Tva ( notamment lorsqu'elle était à 33 % sur l'automobile contrairement à la plupart de nos concurrents européens ), Peugeot a été une entreprise largement contributive à l'effort national. Elle n'a jamais songé, contrairement à Alcatel, à mettre son siège aux Pays-‐Bas pour payer moins d'impôts. Toujours au plan fiscal, tous les experts avaient indiqué que la dernière prime à la casse serait une pompe aspirante pour des véhicules low cost et autres petits modèles de type coréen, etc. La Nation a-‐t-‐elle bien définie cette prime de sorte qu'elle puisse venir épauler – dans les règles communautaires – ses constructeurs ? Le bilan des analystes financiers du secteur ( dans les banques ) ne le démontre pas. A l'inverse. Contribuable normal, son ancienneté dans le paysage industriel français en fait un groupe contributeur à milliards pour la Nation. Les états financiers cumulés sur les dix dernières années l'attestent. Pendant ce temps-‐là, Peugeot a dû subir les hausses régulières de la vignette ( désormais abolie ), le coût proportionnellement croissant pour ses clients de la taxe sur les produits pétroliers ( Tipp ), l'augmentation des assurances souvent issues de hausses de taxes, etc. Autrement dit, l'automobile souvent rapidement qualifiée de " vache à lait " pour l'Etat ne pouvait laisser inerte la situation des comptes de Peugeot. Deuxième motif, la rectitude juridique du groupe Peugeot. A l'heure où 8.000 personnes risquent de connaître des épreuves incontestables, je mesure le caractère délicat des lignes qui vont suivre mais elles sont part de vérité et doivent être énoncées. En France, les Tribunaux et Cours d'Appel condamnent régulièrement des dirigeants qui ont
77
poursuivi de manière excessive une exploitation déficitaire. Ils condamnent ceux qui ont tenté de sauver " une situation irrémédiablement compromise " par des recours à un endettement dépassant de loin les facultés de remboursement de la firme. De même, elles poursuivent – devant les juridictions répressives cette fois – toute tentative de fraude bilancielle ou toute manœuvre visant à aveugler les commissaires aux comptes chargés d'éventuellement enclencher la procédure d'alerte près le Tribunal de commerce. En l'état actuel de nos informations, aucun fait de ce type n'est reproché au groupe PSA qui a donc, par voie de conséquences, fait preuve de rectitude juridique au regard du droit des sociétés et dont les dirigeants n'ont pas attendu de voir se développer une situation désespérée.
Le groupe PSA aurait pu, face à la Nation, joué la politique du pire et attendre une nationalisation de facto comme Dexia ou l'espagnole Bankia. De manière manifeste, le groupe a lucidement examiné les 18 mois à venir et compris qu'il fallait prendre des mesures socialement douloureuses.
Troisième motif, la consistance du plan social. Manifestement, Peugeot a décidé d'ouvrir son gousset et ne compte pas rechigner pour mettre à exécution un plan social exemplaire tant à Rennes qu'à Aulnay. Bien entendu, cela ne soignera qu'à la marge les douleurs et plaies humaines mais la Nation doit prendre en compte que le groupe va au-‐delà du strict minimum. Lorsque la Seita ( qui allait fusionner et devenir Altadis ) a fermé son site de Morlaix et restructuré celui de Lille, son détenteur ( l'Etat ) a-‐t-‐il été aussi large ? Mieux lorsque le Giat a subi plusieurs vagues de restructuration, pourrait-‐on loyalement se pencher sur le caractère correct de l'Etat employeur ? Quand Alcatel a cédé dans le début des années 2000 deux usines en Bretagne ( Laval et Brest ), est-‐on certain que le meilleur possible ait été proposé aux opérateurs et cadres concernés par les cessations de contrats de travail ?
Autrement dit, le choc des annonces de PSA est tel que la mémoire collective gomme la réalité du plan social annoncé et ne le remet pas en perspective au regard d'autres expériences douloureuses. Si Peugeot doit quelque chose à la Nation pour reprendre les termes du Ministre, la Nation ne doit pas l'oubli à Peugeot : ni l'oubli des emplois crées pendant des décennies, ni les modalités de sortie prévues pour le futur plan. L'oubli serait infamie pour un groupe qui joue peut-‐être sa survie car on voit mal quelle stratégie d'alliances pourrait désormais être conçue. Quatrième motif, le poids de l'histoire et de l'interventionnisme. Dans le milieu des années 70, les dirigeants de Citroën avaient envisagé une grande alliance avec Fiat. L'Etat s'y opposa et se tourna vers Peugeot qui n'était donc pas demandeur. Chacun sait, dans l'automobile, que cette fusion ( 1975 ) a été très difficile ( bureaux d'études, intégration industrielle ) et n'a probablement pas rapporté grand-‐chose à l'acquéreur. Autrement dit, la volonté de la Nation n'a pas été conforme aux intérêts de la firme au lion. Mais, il y a plus compliqué et beaucoup plus coûteux, l'Etat a imposé à Peugeot la reprise en 1979 de Chrysler-‐Europe : ex-‐Talbot et ex-‐Simca. Cette firme connaissait une panoplie de difficultés ( financières, gamme, qualité, pyramide des âges des personnels, etc ). Et si la Nation n'avait pas trop chargé la barque du constructeur de Sochaux ? Ce quatrième motif nous semble fondamental : voyant Peugeot prospère, la Nation a exigé de cette firme qu'elle devienne l'infirmier de deux sociétés complexes et en piètre état. Là, nous sommes en désaccord avec Monsieur Montebourg : c'est la Nation qui doit quelque chose à Peugeot.
78
Cinquième motif, les arguments dérisoires. Le jeudi 12 juillet 2012 restera un jour de grande morosité pour l'industrie française. Mais il y a quand même eu des arguments dérisoires. Ainsi, le versement des dividendes en Assemblée générale de 2011 statuant sur les comptes de 2010 aurait représenté un peu moins de 300 millions d'€uros. Vu d'Aulnay, c'est insupportable. Vu du petit actionnaire ( petit porteur ) qui complète sa retraite avec ce dividende, c'est déjà moins simple de juger. Mais surtout, l'essentiel est de savoir que le groupe PSA perd en ce moment un peu plus de 200 millions de trésorerie par mois ( je dis bien par mois ) : autant dire que les dividendes perçus en 2011 ne sont ni la cause ni l'objet du débat. Ce qui est en cause, ce sont les modèles et leurs ventes trop exclusivement européennes.
Sixième motif, la dimension européenne. Le brillant Arnaud Montebourg a pris un ton digne de celui de l'éminent Jean-‐Pierre Chevènement lorsqu'il a dit que Peugeot devait quelque chose à la Nation France. A y réfléchir posément, il y a effectivement quelque chose que Peugeot peut faire pour la France : c'est décider autrement. Décider autrement, cela veut dire – en toutes lettres – fermer ailleurs. Donc, fi de la construction européenne, que Peugeot aille faire son travail de chirurgie industrielle plus loin : en Espagne, par exemple. J'ignore si c'est techniquement possible mais il est clair que cette idée était sous-‐jacente aux propos du Ministre. Peut-‐on le faire ? Doit-‐on l'exiger ? Les plus hauts responsables de la Nation vont en décider mais qu'ils sachent qu'Unilever, Shell ou d'autres regarderont avec intérêt les injonctions du gouvernement car il y aura jurisprudence et amorce de détricotage de l'Europe des travailleurs. Là le terme Nation utilisé par le Ministre prendrait hélas tout son sens pour ceux qui ont en tête – et dans le cœur – la phrase d'un des pères fondateurs de l'Europe, Jean Monnet , qui aimait à répéter : " Nous ne voulons pas coaliser des Etats, nous voulons unir des hommes ". Septième motif : l'inflation textuelle. Au plus niveau du Conseil d'Etat ou en audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, il est fait mention de l'inflation textuelle : autrement dit de la multiplication des lois et des décrets d'application. On imagine, à l'échelle d'un groupe comme PSA, le coût du suivi des nouvelles lois ( environnement, social, fiscal, etc ) et la charge correspondant aux mises en conformité corrélatives. Oui, cette inflation textuelle vient impacter notre compétitivité d'autant qu'elle se rejoint avec la production de normes professionnelles d'origine européenne. Loin de nous l'idée – un peu simpliste – de nier l'apport de ces textes mais symétriquement dans un marché aussi concurrentiel que l'automobile, c'est souvent au constructeur de réaliser des efforts de compétitivité puisque le consommateur refuse les répercussions de prix. La Nation s'améliore en matière d'hygiène et de sécurité au travail mais ce n'est pas elle qui passe à la caisse. Là, la Nation doit peut-‐être quelque chose à Peugeot.
Huitième motif : l'évolution des déplacements. En 15 ans, il a été prouvé que les Parisiens utilisent moins ( ou n'ont plus de voitures ) leurs automobiles et que le kilométrage moyen baissait ( passant d'environ 15.000 à 11.000 kms par an ). Les radars ( liés à la légitime quête de sécurité routière ), le coût des contrôles techniques, la dimension écologique, etc sont autant d'éléments répulsifs pour un automobiliste. PSA a certainement méjugé que les ventes se font en Orient et est trop resté rivé à son Occident de naissance. Il n'en demeure pas moins que le TGV et d'autres initiatives publiques ont fait de la Nation un allié du lobby anti-‐automobile.
Neuvième motif : les comparaisons dangereuses. Il est de bon ton depuis une semaine de vanter la stratégie de Renault et de se gausser de celle de PSA. Pour Renault, il faut quand même avoir la lucidité de rappeler que cette firme au losange produisait 1,1 million de véhicules par an – il y a dix ans -‐ sur le sol hexagonal et qu'elle n'en produit
79
désormais plus que 400.000. Si l'alliance avec Nissan a été un coup de dés réussi, le reste est une stratégie implacable de délocalisation et de ventes "en retour" de véhicules bas de gamme sous marque ombrelle ( Dacia ). La Roumanie hier, le site de Tanger bientôt. Peut-‐on comparer cela avec Volkswagen ? ( Qualité, gamme, image, etc ). Bref, la Nation a beaucoup payé pour Renault ( plan de recapitalisation du temps de Monsieur Raymond Lévy, échec en 1988 de la fusion avec Volvo, etc ) alors que Peugeot n'a pas eu le même coût pour le contribuable. Quant au prêt de 3 milliards accordés il y a quelques années en plein début de crise, il est en ligne avec son échéancier de remboursement. Pour conclure, la famille d'Arnaud Montebourg vient du sud du Morvan : à Autun, là où les collants Dim ont longtemps été le fleuron industriel de la ville. Au fond de lui, le Ministre sait ce qu'impose la compétitivité et la voracité de la concurrence. Il saura bientôt, chiffres à l'appui, dans le secret de son bureau que PSA est sur une mauvaise ligne de crête. Pour ne pas dire plus. Alors, sa phrase sur ce que doit Peugeot à la Nation doit, quant à elle, être nuancée.
Telle était l'objet de cette contribution qui a fait référence aux ouvriers de Peugeot mais a aussi une pensée pour les sous-‐traitants dont les travailleurs ne connaîtront pas de conditions aussi avantageuses.
Peugeot n'a pas démérité de la Nation : il en est même un emblème industriel.
" Dans une Nation qui est dans la servitude, on travaille plus à conserver qu'à acquérir. Dans une nation libre, on travaille plus à acquérir qu'à conserver. " Montesquieu, ( in De l'Esprit des lois ). Puisse l'esprit de conquête revenir dans notre Nation et ses industries !
80
-‐ XVI -‐
Le Parlement et ces milliards à portée de main. Notre pays a déjà dû enregistrer une hausse d’un peu plus de 7 milliards de rentrées fiscales votées lors du collectif budgétaire. Sachant que 2013 sera plus sévère encore, n’est-‐il pas grand temps que le Parlement applique la Constitution et épaule ainsi le Gouvernement en quête de réduction, par milliards, de la dépense publique ? Le possible, c’est maintenant, selon une formule à la mode. Un effort de 33 milliards
Le rapport remis début Juillet au Premier ministre par le premier Président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, est clair : il faut réaliser un effort de 33 milliards de réduction de nos déficits publics. D’évidence, cela sera fait en accentuant la pression fiscale ( réduction des niches et suppression de différents effets d’aubaine, nouveau barême de l’impôt sur le revenu, efforts spécifiques demandés aux grands groupes, etc ) mais il conviendra aussi de s’atteler à une tâche plus délicate : la réduction de la dépense publique. Une inertie en matière de dépense publique
Cette tâche est plus délicate, comme l’ont démontré – à vingt ans d’intervalle, l’éminent Pierre Lalumière et Franck Mordacq car le poids des services votés ( ce qui a déjà été voté par une loi de finances précédente : exemple, les emplois dans la Fonction publique ) limite les capacités d’initiative. Par ailleurs, en temps de récession programmée ( 2013 ), il est éventuellement positif et contra-‐cyclique de maintenir des programmes d’investissement public. Enfin, chacun sait que bien des pans du secteur public – hospitalier notamment – manquent de moyens au regard du coût des innovations technologiques et de la vigueur de la demande sociale ( exemple : vieillissement de la population ). La loi de Wagner et le risque de récession aggravée
La France n’échappera pas à la loi économique mise à jour en 1872 ( dans Fondements de l’économie politique ) par Adolph Wagner selon laquelle : « Plus la société se civilise, plus l’Etat est dispendieux » car il répond à une demande des citoyens de plus en plus exigeante. Dès lors que la réduction de la dépense publique n’est guère un point fort de notre Nation et que les exemples espagnol et italien montrent que « serrer la vis » nuit de facto à l’évolution du PIB, il peut être opportun voire plus que fondé de se pencher sur la question ardue de l’évaluation des politiques publiques. La Constitution à l’aide de la Nation
Une réforme technique a été votée en 2001 et est entrée en vigueur de plein exercice depuis 2006 : il s’agit du remplacement de l’Ordonnance de 1959 sur le vote du budget par la LOLF : Loi organique de lois de finances. Elle a produit des effets favorables mais une pierre angulaire de notre arsenal juridique reste instable car peu utilisée.
81
La réforme constitutionnelle de 2008 a modifié l’article 24 du texte de 1958 en indiquant dans son premier alinéa : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » L’Etat est doté de toutes sortes de corps de contrôles à commencer par la prestigieuse Inspection des Finances : il est donc assez illusoire de tabler – en matière de strict contrôle -‐ sur les capacités réelles du Parlement comme l’ont toujours dit des personnalités aussi différentes que Michel Charasse ou encore le méthodique Philippe Marini. Selon la formule, un bon contrôle se fait sur place et sur pièces.
Le vrai sujet, le vrai trou d’air par lequel des centaines de millions sont dépensés mal à propos relève de l’évaluation des politiques publiques. En Juillet 2012, lors de la discussion en séance à l’Assemblée Nationale, il y a eu des passes d’armes entre le ministre Jérôme Cahuzac ( qui devra démissionner en mars 2013 pour avoir détenu illégalement des avoirs à l'étranger ) et le Président de la commission des finances Gilles Carrez. Sur des heures de discussions dûment retransmises par la chaîne parlementaire LCP, il n’y a eu que quelques allusions au volet évaluation des politiques publiques par opposition aux accrochages sur le provisionnement de la liquidation du précompte ou sur le fondement du chiffrage des contentieux de l’Etat. L’évaluation des politiques publiques : un enjeu démocratique
Un décret du 18 Novembre 1998 fournit la définition de la notion d’évaluation : « L’évaluation d’une politique publique consiste à comparer ses résultats aux moyens qu’elle met en œuvre, qu’ils soient juridiques, administratifs ou financiers, et aux objectifs initialement fixés. Elle se distingue du contrôle et du travail d’inspection en ce qu’elle doit aboutir à un jugement partagé sur l’efficacité de cette politique et non à la simple vérification du respect de normes administratives ou techniques ». Il y a donc un enjeu tridimensionnel : détermination des objectifs, résultats obtenus, écarts positifs ou négatifs et appréciation d’ensemble.
Un exemple de demain peut être ici rapporté : la SNCF a pour objectif d’augmenter de 20 à 30 kilomètres/heure la vitesse commerciale de ses trains TGV. Les résultats seront au rendez-‐vous mais bien des ingénieurs ont écrit que cette vitesse additionnelle allait faire déraper plusieurs centres de coûts : usure accrue des rails, fragilité des caténaires et risques d’interruption de trafic, coûts énergétiques, etc. Le bilan coût-‐avantages est loin d’être établi à une époque où le passager peut d’une part rester joignable dans le train ( ou travailler, lire, dormir, etc ) et où il met de plus en plus de temps pour parvenir jusqu’à son train du fait des congestions urbaines.
Cet exemple montre que derrière la dépense publique ( coûts pour la SNCF et éventuelles répercussions tarifaires sur les clients ) il devrait toujours y avoir un choix démocratique. « L’évaluation me paraît pouvoir très utilement contribuer à éclairer le dialogue public. Il ne s’agit évidemment pas de proposer une recette miracle capable de réaliser un hypothétique consensus. Il s’agit d’apporter des éléments à ce dialogue, de lui fournir des données de référence solides, pour qu’il se développe dans de bonnes conditions. Que les intérêts et les opinions s’y opposent, c’est dans l’ordre des choses. Mais on peut attendre de l’évaluation qu’elle éclaire des zones de négociation restées
82
jusque-‐là en friches faute d’information. » Jacques Delors ( Préface à L’évaluation des politiques publiques par Jean-‐Pierre Nioche et Robert Poinsard, 1984 ).
L’évaluation des politiques publiques : quel contenu ? Si l’on devait résumer, l’évaluation a pour fonction de valider les choix préalablement conçus et mis en place.
Le contenu de l’évaluation d’une politique publique s’inscrit dans un carré composé de quatre têtes de chapitre. L’évaluation permet de savoir si une politique est efficace, c’est à dire si les résultats sont en ligne avec les objectifs. Elle permet de situer son degré d’efficience c’est à dire le ratio existant entre les moyens dépensés et les résultats. Parallèlement, l’évaluation permet de vérifier si la politique poursuivie est cohérente avec d’autres décisions publiques. Enfin, l’évaluation concerne aussi les objectifs initiaux et valide leur degré de pertinence avec les questions qu’elle était supposée résoudre.
Dans notre exemple SNCF, on perçoit que la politique sera efficace ( les trains circuleront plus vite ), ne sera pas efficiente ( surconsommations de matériels et d’énergie ), ne sera guère cohérente avec l’idée de croissance verte et peu pertinente lorsqu’il s’agira de « gagner » moins de 12 minutes sur un Paris-‐Bordeaux ( si toute la ligne est sous format TGV ce qui n’est pas le cas ).
L’évaluation des politiques publiques : quelle boîte à outils ?
Au plan constitutionnel, l’article 48 prévoit : « Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques ». L’expérience rapporte que le rite parlementaire incline davantage à chercher à coincer l’Exécutif sur tel ou tel sujet ( contrôle ) davantage qu’à être force crédible de proposition. Les mentalités évolueront sans doute mais tel est aujourd’hui le constat. L’inscription dans le temps de l’évaluation est primordiale : notre exemple SNCF est encore dans le domaine du négociable. D’autres évaluations sont quasiment post-‐mortem lorsque le sinistre pour les finances publiques a eu lieu.
Nous sommes convaincus qu’un gisement de plusieurs milliards réside dans le lancement ex ante d’évaluations de politiques publiques qui pourraient juridiquement être associées aux clauses de revoyure que certaines Lois instituent.
L’évaluation est une boîte à outils qui bien utilisée par les Députés Charles de Courson, François Baroin, Pascal Terrasse ou les Sénateurs Gaëtan Gorce, François Marc, Jean-‐Vincent Placé ou Jean Arthuis pourraient utilement contribuer aux vrais choix de la Nation. Une zone de libre-‐réflexion où l’obligation de résultat primerait l’obligation de moyen qui marque encore trop la vie de notre Parlement et certains débats stériles.
Conclusion
Pour prendre des termes d’auditeur, l’Etat va chercher à faire des économies en 2013 et après, autrement dit à minimiser les inputs en s’appuyant sur l’article 7 de la LOLF qui définit une nomenclature budgétaire par destination.
L’efficience que nous appelons de nos vœux consisterait à maximiser le rapport outputs sur inputs. Quant à l’évaluation, elle permettrait – au prix d’un renouvellement cognitif – de valider si le ratio entre outputs obtenus et outputs initialement escomptés serait effectivement supérieur à un.
83
Sous réserve que l’information fournie au Parlement le soit en coûts complets ce qui est une autre dimension délicate de la question et relance le débat du degré de confiance entre les Administrations centrales et la Représentation nationale.
84
-‐ XVII -‐
Le choc fiscal de 2013 et l’impasse de 20 milliards.
Deux évènements financiers d’importance sont survenus cet été : d’une part, le vote du collectif budgétaire qui avait pour mission de parer au plus pressé et d’autre part la remise par Didier Migaud, Premier Président de la Cour des comptes de son rapport d’audit à Monsieur le Premier ministre. Depuis, nombre d’entre nous ont entendu parler du fameux chiffre de 33 milliards correspondant au solde net des économies budgétaires à effectuer en 2013.
Dès lors, peu de citoyens ont été surpris par l’entretien télévisé du Chef de l’Etat qui déclarait, il y a quinze jours, qu’il fallait réaliser un effort de 30 milliards. De manière posé et pédagogue, le Président a réparti en trois ses trente milliards.
Il y aura donc une ponction de 20 milliards sur les ménages et les entreprises tandis que l’Etat lancera un plan de 10 milliards d’économies.
Tout ceci semble clair, loyal et presque mathématique tant l’égalité semble respectée. A y regarder de plus près, l’observateur se doit de relever des éléments de surprise.
La position des ménages :
La modification à venir des tranches du barème de l’impôt sur le revenu et son non-‐gel ( sauf pour les deux premières tranches ) vont représenter une hausse non négligeable du taux d’imposition marginal et par conséquent de la propension à dépenser des classes supérieures mais aussi – ne nous y trompons pas – des classes moyennes.
Autrement dit, la ponction – socialement légitimée par la notion de solidarité – qui va s’opérer aura un effet de ralentisseur de la consommation des contribuables concernés. Parallèlement, les ménages vont être symboliquement et pécuniairement marqués par l’alignement des produits du capital sur le barème de l’impôt sur le revenu. Cela ne manquera pas d’induire, notamment chez les retraités, un frein quant à certaines dépenses. Même l’économiste, proche de la majorité, Thomas Piketty n’en disconvient pas. L’Etat aura donc un risque manifeste d’évaporation d’un segment de TVA qui, là encore, pourrait se chiffrer en centaines de millions voire en milliards si l’évasion fiscale s’ajoute à cette configuration délicate ce qui est hélas probable.
D’autre part, il ne faut pas oublier le fort impact psychologique d’une mesure qui consiste à assujettir à un même barème des sommes qui sont des produits d’épargne qui ont déjà subi, en revenus primaires, le mécanisme de l’impôt. Certains contribuables y verront une double peine insupportable et prendront tout type d’avis pout tenter de réduire leur exposition fiscale nette.
La position des entreprises :
85
La France présente effectivement une anomalie : l’inégalité entre le taux d’imposition moyen des PME et celui – nettement plus modéré – des grandes entreprises. Il y a sûrement matière à réflexion mais on peut escompter des mesures d’envergure de la part de la majorité parlementaire. D’ailleurs, a réécouter attentivement les propos télévisés du Président, on a compris que les entreprises allaient être appelées pour une contribution non détaillée ( à ce jour ) de 10 milliards d’euros. Or, chacun sait que lorsque le détail d’une future pression fiscale n’est pas explicité, cela laisse d’autant plus de marge de manœuvre au Parlement pour alourdir telle ou telle mesure. Là encore, l’équilibre devra être subtil – comme l’a démontré la courbe de Laffer – entre la hausse nominale de l’impôt ( plafonnement des niches, contributions exceptionnelles, etc ) et le rendement final et concret de celui-‐ci. La France ne saurait s’offrir le luxe de transferts de sièges sociaux ou de fusions transfrontalières diluant l’essentiel de l’impôt. De surcroît, après cette description et cette mise en perspective, plusieurs points d’analyse s’imposent.
Tout d’abord, le 13 Septembre, l’Institut IFW a réduit la prévision de croissance pour l’Allemagne en 2013 de 1,7% à 1,1%.
Parallèlement, nous connaissons le contexte récessif accentué de nos voisins : Espagne, Italie. Selon nous, il s’agit d’une tragique méprise ou d’une insulte à notre intelligence collective que d’oser avancer le chiffre de 0,8% de croissance du PIB en 2013. Bien des économistes de banque savent que le « vrai » chiffre sera en-‐dessous, proche de la récession.
Le manque à gagner : Selon nous, la croissance pour 2013 est actuellement surestimée du double par les Pouvoirs publics, au minimum. Nous n’avons aucun avantage sectoriel avéré suffisant nous permettant de pouvoir tabler sur une croissance tirée par les exportations ( voir le solde de notre balance des paiements...) et la récession est sérieusement là, en Europe.
Quant à la demande intérieure, l’effort de « redressement juste » demandé va étioler sa vigueur.
Dès lors, il faut reprendre les textes incontestables tels que le collectif estival de 7 milliards de pression fiscale additionnelle. Ainsi le compte-‐rendu du Conseil des ministres du 4 Juillet 2012 ( voir dans Assemblée Nationale : budget : loi de finances rectificative 2012 ) énonce sous la section « Assurer la réduction du déficit public » : « Le Gouvernement prend en compte une révision à la baisse de 7,1 mds des prévisions de recettes des administrations publiques pour 2012, dont 5,1 milliards pour l’Etat. Cette réduction est essentiellement due à la correction des prévisions exagérément optimistes des recettes retenues par le précédent Gouvernement, indépendamment de la croissance. »
Il y a donc un double chemin de difficultés : les exagérations liées à la future évolution du PIB et les exagérations liées aux recettes escomptées de la structure votée de la fiscalité.
86
Dans le cas de 2013, le réajustement – qui viendra – du taux de croissance pourrait conduire à dégrader le solde des finances publiques de près de 8 milliards. ( Variable 1 ). Parallèlement, le comportement vertueux des consommateurs qui vont se restreindre du fait de la hausse des impôts sur les personnes physiques conduira à un manque à gagner de 2% de rentrées de TVA soit 2,2 milliards ( Variable 2 ) rapportées aux 137,829 mds de TVA escomptée pour 2012 : article 64 de le Loi de finances initiale pour 2012. De même, la crise économique va affecter les revenus professionnels et on peut sérieusement douter du chiffrage actuel de l’IRPP. Ainsi, proche de 60 milliards dans la Loi de finances initiale, il ne serait pas improbable que le tassement d’activité ( voire l’entrée en récession que laissent augurer certains documents de la Banque de France ) n’atteigne ces perspectives de recettes d’au moins 3 milliards ( 5% en Variable 3 ). S’agissant des entreprises, l’Etat ne pourra qu’avoir une déconvenue. Il est connu que l’impôt sur les sociétés est le plus sensible à la conjoncture et des effondrements de plus de 10% ont déjà été enregistrés par le passé entre l’escompté et le réel. Dès lors que la Loi de finances tablait sur 44,876 mds de produit net et qu’il faut inclure certaines mesures du collectif de 2012, on sait que les recettes 2013 ne seront pas de 48 mds mais probablement de 44 milliards, soit un manque à gagner de 4 milliards ( Variable 4 ).
La notion de rétro-‐action : L’économie politique n’est pas une matière inerte : elle est dynamisme et ajustements incessants.
Les quatre variables listées ci-‐dessus sont parfaitement intégrées aux raisonnements tenus à Bercy à l’exception de l’ampleur de l’effondrement de la croissance du PIB qui semble encore sous-‐estimée par posture politique ou espoir un peu hasardeux. A côté de ces quatre variables, il y a longtemps que des courants économiques incontestables ont démontré qu’en période de crise, la demande anticipée ( de type keynésienne ) est d’autant plus réduite que les perspectives de croissance sont aléatoires. Dès lors, par effet de rétroaction la contraction relative de la demande des ménages va croiser la réponse des entreprises ( faiblesse de l’investissement ) et autoalimenter une dégradation additionnelle du PIB. ( Variable 5 ). C’est très exactement ce qui se passe en Italie malgré la gestion soi-‐disant remarquable de Monsieur Monti, ex commissaire européen qui refusa la fusion tri-‐nationale de l’aluminium qui amena, après, au démantèlement de Péchiney.
Cette variable 5 ne serait être inférieur à un manque à gagner de 2 milliards.
Feu le Professeur Pierre Lalumière avait eu l’occasion de démontrer le point supra à ces étudiants en Sorbonne. Un de ces condisciples, le Président Michel Bouvier ( Association pour la fondation internationale de finances publiques : www.fondafip.org ) a insisté sur la redéfinition du rôle du Parlement en matière de finances publiques. Pour notre part, sensible à la rédaction de l’article 24 de la Constitution , nous estimons que les deux Assemblées ont certes un rôle de « contrôle » mais aussi un rôle d’ » évaluation » des politiques publiques.
87
Derrière des contrôles souvent incomplets compte-‐tenu des lourdeurs administratives, on gâche un temps qui permettrait d’évaluer l’opportunité, la consistance de telle ou telle politique publique. Les comptes sociaux :
La France présente une situation financière préoccupante, comptes sociaux inclus. Or, la semaine dernière, la Cour des comptes a eu l’occasion d’écrire que le déficit ne semblait pas tenu d’où le dérapage de près d’un milliard sur un total de 14,7 mds.
La crise économique, par exemple chez PSA Aulnay, va d’abord impacter le pouvoir d’achat des futurs licenciés et parallèlement les comptes paritaires de l’UNEDIC. Puis, lorsque le chômage frictionnel ( durée de la longueur de passage au chômage ) aura fait sa triste besogne, c’est bien l’Etat et le département ( RSA et autres aides locales ) qui viendront matérialiser la notion d’Etat-‐providence.
Autrement dit, alors que nos projections en termes de chômage conduisent à estimer une augmentation de 350.000 personnes de septembre 2012 à septembre 2013, il faut intégrer le coût de cette variable sociale dans le glissement négatif des comptes publics.
Compte-‐tenu de l’étendue de la crise productive qui s’annonce, un chiffrage est complexe mais retenir le montant de 2 milliards ( sur les 9 que coûte actuellement le RSA ) parait fondé et réaliste. ( Variable 6 ).
Sur ce sujet, nous ne pouvons que suggérer au lecteur de prendre connaissance d’une étude de Pôle Emploi ( « Repères & Analyses » n°47 de Juillet 2012 ) qui montre, statistiques à l’appui, que l’ICDC ( indicateur conjoncturel de durée au chômage ) qui « consiste à évaluer la durée moyenne de chômage » est passé de 292 jours en 2008 ( quatrième trimestre ) à 359 jours en 2011 ( Q4 ).
Cet allongement du chômage frictionnel est une donnée absolument essentielle qui est une mine dérivante pour les comptes sociaux. Certains de nos calculs de la variable 6 ( supra ) aboutissaient à plus de 3,5 milliards. Dans ce domaine, il est urgent que les Pouvoirs publics affecte une équipe-‐commando à un suivi digne de la VACMA de la SNCF : veille automatique à contrôle de maintien d’appui ( « dispositif de l’homme mort »). A défaut de vérifier que le train des surcoûts sociaux est piloté, il est clair que les sages de la Rue Cambon ne pourront qu’être censeurs de la gestion ainsi dérivante.
En synthèse : En physique, la conjecture de protection chronologique ( issue des travaux de Stephen Hawking ) milite en faveur du principe de causalité et assure que les paradoxes temporels ne sont pas des variables-‐clefs.
En économie politique, nous estimons qu’il y a des principes de causalité : pas forcément celui qui consiste à dire que trop d’impôt tue l’impôt mais en revanche celui qui consiste à penser que trop d’impôt dans une économie ouverte engendre de multiples stratégies de réponse de la part des agents économiques.
Le Gouvernement de Monsieur Ayrault n’avait pas le choix pour la trentaine de milliards à percevoir : en revanche, il a assumé des choix ( un panachage ) qui semble porteur d’effet-‐boomerang. Le total des six variables que nous avons posément suggérées ce jour au lecteur sera peut-‐être démentie : rien n’est moins sûr tant la crise est sévère.
88
Ses six variables représentent un total de 21,2 milliards d’euros ce qui paraitra – sans aucun doute – frappé d’exagération à certains lecteurs.
Il faut rappeler que cette grave dérive vient du chiffre actuel du PIB retenu dans les hypothèses budgétaires qui va voler en éclat contre le mur de la réalité sous six mois et peut-‐être même avant. Posture ne saurait durer.
Les autres hypothèses ne sont alors qu’itératives. Pour conclure, on sait – tel le bouillant député socialiste René Dosière – que l’Etat pourrait s’atteler à un effort supérieur aux 10 milliards à comparer aux 294 milliards de charges nettes votées pour 2012. Il suffit de feuilleter le récent rapport de l’Inspection générale des Finances sur le coût des multiples « Agences ». ( près de 50 mds ).
Comme l’a écrit notre regretté ami le Préfet de Région ( et Trésorier-‐Payeur Général ) Claudius Brosse dans « L’Etat dinosaure » : « Mais si, sous la IIIème République, l’Etat absorbait un quart des revenus des Français, sous la IVème République, c’est le tiers qu’il prélevait, aujourd’hui, c’est la moitié qu’il retire au revenu national. Or à l’évidence, les Français n’ont pas envie de vivre sous un régime politique ressemblant à l’Egypte pharaonique ou à l’Empire des Incas. » Effectivement, la répartition tripartite ( 10 milliards d’efforts pour chacun ) laisse pantois quant à l’effort étatique d’autant que la crise va augmenter le coût des amortisseurs sociaux et éroder les rentrées fiscales. Moins d’une dizaine de hautes personnalités ont décidé de ce qui précède : formons vivement le vœu – pour tant de nos concitoyens que la crise affecte -‐ que les calculs d’impact macro-‐économique de niveau 2 aient été réalisés avec minutie et démarche accorte.
Sinon, la situation financière et sociale sera complexe. Pour ne pas dire plus.
89
-‐ XVIII -‐
L'avocat d'affaires : le vent en poupe. Dans bien des sociétés, même pour de modestes dossiers, on aperçoit la silhouette généralement étudiée et élégante d'un avocat d'affaires. Par-‐delà l'esthétique, des questions sérieuses se posent : quels sont leurs apports ? quelle est leur capacité de suivi des évolutions de leurs clients ? quels indicateurs de performances peut-‐on valablement leur appliquer ? Dans l'imagerie d'Epinal, l'avocat d'affaires est posé comme parisien et cher : il ne déjeune – à raison – que dans de grands restaurants tel le toujours accueillant Lasserre et sous-‐traite une large partie du dossier à un collaborateur dont l'expérience a le poids d'une délicieuse pomme de terre soufflée du restaurant précité.
Mais d'Epinal à la Cour d'Appel de Paris, il faut chausser ses bottes de sept lieues et revenir à la hauteur du plancher des vaches.
Non, tous les dossiers ne sont pas tenus par le dernier entré dans le cabinet.
Non, tout ne se passe pas autour d'un Margaux de belle année sans travailler auparavant.
Le métier d'avocats d'affaires souffre objectivement de caricatures préjudiciables à son exercice et les bâtonniers devraient avoir cette question davantage présente à leur agenda.
Première idée, la tendance à la judiciarisation de la vie économique et commerciale est un fait que le Président Canivet a souvent rapporté voire stigmatisé.
Ainsi, le moindre contrat peut-‐il être soumis à conflit interprétatif et à saisine judiciaire. Cette judiciarisation, d'origine apparemment anglo-‐saxonne, est une réalité qui touche tous les barreaux. Elle contribue à alimenter le volume d'affaires des avocats commercialistes et ne semble pas en voie de ralentissement. Premier élément du vent en poupe pour des cabinets aussi réputés que Jones Day ou Gide Loyrette.
Deuxième élément, l'inflation législative et son impact sur la stabilité des situations juridiques. Tout le monde dénonce cette inflation mais nul ne sait quel remède concret y apporter à commencer par les magistrats du Conseil d'Etat confrontés à une pluie de rédaction de décrets d'application rendue encore plus délicate par la présence supra-‐normative de textes européens.
Troisième élément, l'avocat d'affaires est désormais présent à tous les stades de la chaîne d'exploitation de l'entreprise. Fusions-‐acquisitions ? il est présent bien évidemment ( voir Bredin Prat ). Opérations et financements immobiliers ? Présent ! ( voir Salans ). Propriété intellectuelle et droit des marques ? Présent ! ( voir Clifford
90
Chance ). Arbitrage contentieux ? Présent ( voir Freshfields ). Droit social ( voir Jean-‐Pierre Mignard ). Droit de l'environnement ( voir Huglo Lepage ). Droit fiscal ( ReedSmith ). Droit boursier ( Georges Berlioz ). A cette liste de présents, nous ajoutons le cabinet August & Debouzy en ayant une pensée toujours émue pour le décès de notre camarade de promotion et ami Olivier Debouzy. Jeune stagiaire de l'E.N.A, il s'était fait remarquer à Pau lorsqu'il avait reçu pour instruction d'expliciter un plan de circulation à Lourdes pour la venue de Jean-‐Paul II. Un peu lassé par les questions de sens unique et autres aménagements, il avait osé dire à la presse : " C'est comme çà, les voies du Seigneur sont impénétrables ".
Autrement dit, être avocat d'affaires ne dispense pas d'auto-‐dérision contenue et d'humour de bon aloi. Oui, Olivier ton style nous manque ainsi qu'à des magistrats qui te respectaient. Tout comme François PLASSOUX, inexorablement parti avant 40 ans, vers l'Espérance ( Cabinet Denton & Co ).
Quatrième élément, l'avocat d'affaires a un rôle dans la procédure ( auxiliaire de justice ) et comme l'a dit Maître Georges Izard dans son discours de réception à l'Académie Française prononcé fin Septembre 1973 alors que la notion de justice disparaissait du Chili d'alors : " Le but de la plaidoirie est de convaincre. Sa règle suprême est la clarté, son idéal de constituer un enchaînement si limpide, un système si logique, un examen et une réfutation si complets des objections, que ce flot de continuité roule dans l'esprit des juges et n'y laisse aucune place pour une opinion contraire ". Mais fort de notre expérience, nous observons que les avocats d'affaires talentueux sont ceux qui ne vont pas jusqu'à la plaidoirie et savent trouver un gentleman agreement en amont pour le plus grand bien des deniers et de la tranquillité d'esprit de leurs clients. Savoir construire une négociation entre les parties est un art qui requiert plus de sagacité que d'enfoncer son client dans une procédure multi-‐dimensionnelle et étendue dans le temps.
On peut se vouloir le tempétueux Gilbert Collard, il n'est pas dénué de sens d'être le subtil Olivier Metzner.... ( brutalement disparu en Mars 2013 ). Cinquième élément, l'avocat d'affaires est un agent mutagène dans bien des firmes où ses conseils valent ceux d'un mandataire social à la fois en pertinence et en retentissement. Combien de chefs d'entreprise du CAC 40 se rendent-‐ils dorénavant avec leur avocat lors de meetings importants ? Combien d'heures d'avocats ont-‐elles été dédiées aux négociations relatives au départ de feu Philippe Jaffré ( ELF ) ? Idem pour Jean-‐Marie Messier ( Vivendi ).
Là encore, l'avocat d'affaires a le vent en poupe et son rôle ne se limite pas aux " montages en droit des sociétés " ( Jean-‐Philippe Dom, Joly ) : il est inséré dans bien des rouages de décision.
Sixième élément, le métier d'avocats d'affaires est attractif et se féminise progressivement comme l'a montré avec un succès éclatant Madame Christine LAGARDE lorsqu'elle était aux Etats-‐Unis.
91
De surcroît, il n'est pas un point invariant : un ancien maire de Neuilly Sur Seine et un ancien élu de Chicago sont la démonstration qu'avocat un jour, président quelques milliers de jours. Sur ce terrain, souvenons-‐nous qu'un élu célèbre du Morvan était un ancien avocat.
On lui prête une formule célèbre : " pour le droit, j'ai Badinter, pour le tordu, j'ai Dumas " digne de son éloquence et probablement teintée de véracité..... A ce sujet, l'ouvrage de Thierry Lévy et Jean-‐Denis Bredin ( Convaincre ) dédié à l'éloquence est une lecture gourmande et enrichissante qui rappelle – notamment -‐ la brillante plaidoirie de Maître Jean-‐Louis Tixier-‐Vignancour en 1962 pour la défense du Général Salan.
Si le métier a le vent en poupe comme nous l'avons établi, il faut garder en mémoire des cas de figures où l'Histoire ne permet pas à l'avocat d'exercer valablement ses fonctions.
Deux exemples significatifs méritent d'être rapportés : le cas du constructeur de camions Berliet et ses déboires juridiques après la Libération : ceux-‐ci s'étalèrent jusqu'à 1949 date à laquelle la famille pût retrouver la plénitude du droit de propriété de l'entreprise. L'autre exemple fait honte à notre belle Nation : il s'agit de la question des spoliations de biens juifs ( voir Commission présidée par Jean Mattéoli ) dont l'exemple le plus visible est réservé à la famille Camondo. Quand on entre dans ce ravissant musée Nissim de Camondo, on croit entendre les voix de personnes qui ont servi la France ( pilote de chasse pendant la première guerre mondiale ) et on a le sentiment indigeste ( pour ne pas écrire plus ) d'être là comme par effraction.
Alors que la France réfléchissait sur la dépénalisation du droit des affaires suite au Rapport de l'estimé Sénateur Philippe Marini ( Modernisation du droit des sociétés ), nos amis suisses se lançaient dans la délicate question des avoirs bancaires non réclamés : ce dossier a occupé bien des avocats d'affaires helvètes ce qui démontre que ce métier a le vent en poupe mais est aussi à la proue d'un navire nommé : Justice devant l'Histoire !
92
-‐ XIX -‐
Les avocats pénalistes : un bien pour le mal ? Le Maréchal Philippe Pétain, le docteur Petiot, le trop célèbre Patrick Henry, Henriette Caillaux, l'autocariste Emile Louis, Marie Besnard : autant de noms qui ont résonné dans les prétoires. Autant d'hommes et de femmes qui ont eu droit à un jugement et à une défense dignes de ce nom. L'avocat pénaliste est donc un homme ou une femme indispensable à l'Etat de droit que nous voulons voir vivre et prospérer dans notre Nation. Cela étant, les situations sont parfois complexes.
Une précision s'impose : cette contribution s'inscrit dans une réflexion volontairement centrée sur l'analyse de l'avocat pénaliste en temps ordinaire. Autrement dit, nous n'aborderons pas la question de la défense pénale en temps de guerre ou en temps exceptionnels ( Article 16 de la Constitution ). Loin des Sections spéciales de Vichy et des Tribunaux militaires d'exception, notre point central sera l'application du droit pénal sous un mode normal, c'est à dire tel que défini par le Code pénal ( refondu en 1994 ) et précisé par le Code de procédure pénale. Nous serons donc éloignés des temps difficiles que connut René-‐Nicolas de Maupeou ( 1714-‐1792 ). Tout d'abord, force est de constater la rémanence – parfois teintée d'un voyeurisme contestable – des grandes histoires judiciaires pénales. Un célèbre journaliste, Pierre Bellemare, en a fait des succès de librairie tandis que le médiatique Christophe Hondelate en a fait de jolis scores d'audimat ( Faites entrer l'accusé, France 2 ).
Toutes leurs émissions portaient sur ce que Pierre Lazareff appelait " du sang à la une " et pas sur des questions de droit pénal des affaires où seul Bernard Tapie fit recette au sens propre comme figuré ( évaluation du préjudice moral ).
Les faits et les hommes qui ont commis des crimes ( plus que de délits ) suscitent donc vivement l'intérêt du grand public. Ce point que nous rapportons d'emblée mérite d'être conservé en mémoire. S'il est normal qu'un citoyen délivre de la compassion pour une famille de victimes, il peut être plus périlleux d'être confronté à des mouvements d'opinion qui pourraient – selon une mauvaise dynamique des fluides – entamer une notion cardinale pour la Justice : la sérénité. Nul ne saurait contester les images troublantes d'un récent procès où les forces de police étaient mises en cause ( Villiers-‐le-‐Bel ) et où le Tribunal comptait des cordons de C.R.S à toutes fins utiles. Etre magistrat au pénal, c'est donc connaître le droit, maîtriser les faits, tenir l'audience et conserver sa pleine sérénité.
93
Si l'emportement peut accompagner la procédure pénale étant donné le lourd passif qui est parfois reproché à l'accusé ou au prévenu, cela signifie que l'avocat pénaliste doit avoir un comportement exemplaire, une maîtrise hors du commun afin de ne pas alourdir l'intensité des temps de crise.
Evoquant sa fille Léopoldine, Victor Hugo a écrit : " Le temps passe, le souvenir reste ".
Cette inscription figure sur de nombreuses plaques de marbre dans nos cimetières où reposent précisément les corps abîmés et stoppés des victimes. Le souvenir reste de Landru et du sang de ces innocents comme il restera pour des dizaines d'années le souvenir du gigantesque délit financier commis par Bernard Madoff.
Rémanence d'un côté, Self-‐control de l'autre : le pénaliste dont le talent peut raccourcir la durée d'écrou est une clef de voûte de notre Justice. Même si les actes sont insoutenables ( plus de 75 victimes en Norvège ), même si les circonstances relèvent de l'ignoble ( Emile Louis abusant de personnes mentalement déficientes ), l'humanité requiert une défense comme l'a démontré Maître Jean-‐Yves Leborgne en apportant son brillant concours à l'ancien dirigeant tunisien Ben Ali.
La clef de voûte qu'est le pénaliste pour la liberté privée est un verrou protecteur pour les Libertés publiques chères au Doyen Jacques Rivero ou à Jacques Robert.
Sans défense pénale construite, point de procès équilibré alors que l'affaire d'Outreau a notamment démontré crûment qu'une trop grande convergence de vues entre le Parquet et le juge d'instruction conduisaient sur le chemin dégradant et préjudiciable de l'erreur. A ce propos, une éventuelle réforme des conditions de l'instruction aurait rendu les situations plus complexes que le but recherché. Une situation de chaos aurait pu en découler, nous osons l'affirmer. " Le chaos définit l'imprévisibilité, l'imprédictibilité et l'incertitude de nos sociétés complexes et instables dont l'homme maîtrise de moins en moins l'évolution ". ( Morale et Chaos, Pierre Caye 2008 ). Cette notion d'imprévisibilité nous conduit à trois remarques distinctes mais complémentaires.
Premier point, il y a un temps de l'audience pour reprendre le mot du très estimé Robert Badinter : autrement dit, tout n'est pas dans le dossier et les confrontations publiques oratoires peuvent libérer le flot jaillissant de la vérité jusqu'alors resté dans l'ombre.
Ce temps de l'audience est un puzzle voire même un Rubrik's cube pour le pénaliste : il doit démonter point par point – pièces à l'appui – un enchevêtrement de faits pour porter le fer contre l'accusé ou au contraire pour accumuler, avec patience, des foyers d'exonération de responsabilités.
Ce temps de l'audience a d'ailleurs été souligné – à titre exceptionnel – par le Procureur Général Yves Bot qui avait présenté ( devant la Cour d'assises d'appel de Paris en novembre 2005 ) ses " regrets " aux accusés et confirmé la demande d'acquittement général. ( Affaire d'Outreau ).
Deuxième point, le temps de l'audience s'inscrit au terme d'un long processus que la technologie a commencé de bouleverser. Les analyses de la police scientifique et technique sont désormais un axe de développement d'une instruction moins aléatoire voire nettement moins faillible.
94
Pour caricaturer, une affaire Seznec pourrait toujours surgir ( pas de corps retrouvé ) mais probablement pas une affaire Dominici. Le progrès technologique est donc un atout pour le pénaliste mais un revers s'il accable son client car les jurés seront nécessairement plus sensibles à des fragments de preuves scientifiquement établies qu'à des effets de manche d'un avocat en mal d'arguments étayés et crédibles.
Troisième point, l'attitude de l'accusé. Pour son avocat, elle est parfois limpide, convenable et favorable à la cause à défendre. Parfois, il en va tout autrement : voir le procès de Youssef Fofana ( du gang des barbares ) qui ne cessa de revendiquer – avec tous les détails devant les parties civiles – ce qui s'était déroulé dans cette cave où un jeune de moins de 25 ans non seulement devait perdre la vie mais auparavant se voir, jour après jour, ôter sa dignité d'homme. Le cœur est serré à l'idée de ce que ce corps a traversé avant d'être glacé et enfin libéré du supplice.
On songe – un peu mécaniquement – à ces hommes de l'ombre qui composèrent la Résistance et à la cellule 359 de la prison de Fresnes où celui qui allait devenir l'immense Professeur Jean Bernard fût prisonnier. ( " Dans la prison que le France est devenue " 2003 ). Face à cette cruauté – pour ne pas dire plus – on songe au " Discours de la servitude volontaire " de La Boétie ( 1549 ) et au partage du butin des brigandages.
De surcroît, il faut ajouter sur ce gang des barbares que son accès, en détention, à des moyens de vidéo-‐transmission pose question et doit parachever le calvaire des proches du jeune Halimi.
Pour le pénaliste, il y a donc plusieurs variables : les faits bruts, la composition du Tribunal, la personnalité du Président, le talent de son confrère contradicteur, les pièces examinées, l'attitude ( the behaviour ) de son client, les réactions éventuelles de la salle.
Ces variables ne sont pas reliées par une équation linéaire, elles s'entrechoquent comme des molécules d'alcool dans un bon vin et suivant leur assemblage, elles pourront être présentées efficacement aux jurés. Avec pour objectif opérationnel de faire consensus : " Le consensus est une disposition de l'esprit collectif qui traduit un accord avec une situation " ( Doyen Georges Burdeau, in Pouvoirs : N° 5, 1978 ).
Le consensus peut être atteint quelques instants par l'avocat pénaliste : juste le temps requis pour emporter une conviction précieuse à l'avenir physique de son client.
Toutefois, l'attitude du public ( procès AZF, etc ) est parfois préoccupante car elle révèle que le pouvoir judiciaire se heurte à l'idée préconçue que la foule avait du verdict. " Quic quid multis peccatur insultum " Lucain, Pharsale : V 260
( " Tout délit commis par une foule est assuré de l'impunité " ). Allant à pas forcés vers une société à l'américaine, on peut craindre des sorties d'audience médiatiques et débridées voire risquées.
Souvenons-‐nous des menaces de mort que dut affronter Robert Badinter après le procès de Patrick Henry.
Mais l'avocat pénaliste n'est pas que l'homme ou la femme qui montre aux jurés l'arme du crime portant le sang séché de la victime. Il est aussi un auxiliaire de vie sociétale ( et pas seulement un auxiliaire de justice ) et nous revendiquons la pleine paternité de ce terme en ayant à l'esprit le fameux procès de Bobigny et la téméraire Gisèle Halimi venue défendre une jeune " avorteuse ". Sans
95
son combat relayé par le manifeste des 343, y-‐aurait-‐il eu une majorité pour le projet de loi porté peu de temps après par l'emblématique et Académicienne Simone Veil ?
Oui, le pénaliste est parfois élu et membre du Parlement et à ce titre vote la Loi. Oui, le pénaliste est aussi un puissant vecteur d'influence qui peut faire modifier la Loi et faire avancer les choses.
Ceci alors même que la phrase de Maupéou reste valable ( cité par J. Flammermont ) : " La dignité de chancelier n'est plus qu'un vain titre, depuis que la politique d'un côté, la finance de l'autre, sont devenus les deux pivots sur lesquels roulent toutes les affaires et toute l'administration ".
Loin de la maison de la Rue Harlay, l'avocat pénaliste talentueux a généralement ses propres réseaux de prescripteurs et son bouche à oreille. Les aptitudes reconnues sont souvent mêlées de complexes facteurs sociaux comme l'a démontré Eysenck en sciences sociales ( in Méthodes des sciences sociales de Madeleine Grawitz ) et les médias ne simplifient pas l'affaire : pour le grand public l'illustre Gilbert Collard surpasse le subtil Olivier Metzner. Dans les prétoires, c'est une autre histoire....
L'histoire retiendra certainement que notre pays a de justes et valables pénalistes tant sur le fond que sur la pure procédure : voir Question prioritaire de Constitutionnalité soulevée par l'admirateur de Joseph de Maistre qu'est l'estimé Jean-‐Yves Leborgne ( Mars 2011 ). Dans une récente interview ( Challenges, 27 Avril 2012 ), Robert Badinter reconnaît bien volontiers sa passion de collectionneur de documents judiciaires. Noble vice pour un homme de vertu aurait pu s'exclamer Mandeville ( La Fable des Abeilles ).
Evoquant le numérique, l'ancien éminent Président du Conseil Constitutionnel et ministre de l'abolition de la peine de mort, explique que " nous nous acheminons vers une dématérialisation et une uniformisation de tous les documents d'archives. Le travail de la pensée, qui s'inscrit sur le manuscrit, va disparaître. Nous ne verrons plus les hésitations et les corrections que révèlent les documents autographes. "
Nous ne partageons que partiellement cette analyse un peu sombre et s'appliquant aux textes des plaidoiries, nous optons intellectuellement pour l'analyse reflétée par Paul Claudel ( Poésies : L'architecte ) :
" L'architecte est celui qui a vocation par son art d'édifier quelque chose de nécessaire et de permanent. Non pas pour être regardé seulement ou compris, mais pour que l'on vive dedans ".
Oui, le pénaliste élabore une suite de pensées pour inviter son auditoire à vivre dedans et pas seulement pour le regarder béatement ou le comprendre sans adhérer à ses propos.
Cette dichotomie entre la nécessaire compréhension et la requise conviction est une des racines de l'arbre du talent de l'avocat pénaliste.
Dans un pays où l'affaire de Toulouse et de Montauban ( M. Merah ) est encore dans la tête de nos concitoyens, il faut se souvenir des propos de paix du philosophe Michel Serres qui pointe d'un doigt inquiet les programmes de télévision hyper-‐violents.
" Un enfant de 12 ans a pu assister à quelque dix mille meurtres et assassinats divers sur les écrans des chaînes de télévision, ou sur ceux des salles de cinéma ".
96
( Olivier Bardolle : Des ravages du manque de sincérité dans les relations humaines ).
Les derniers faits divers ont attesté de l'abaissement relatif de l'âge des personnes mises en examen : voilà un futur défi pour tous les pénalistes qui auront, entre leurs mains et leurs neurones, le sort du début de la vie d'adulte de jeunes prévenus.
Ayant été commissaire aux comptes pendant une décennie, le droit pénal des affaires nous est plus familier que le droit du crime, du viol, etc. Le pénaliste de Cour d'assises nous est connu mais pas à titre professionnel.
Nous savons que ce défenseur ( même de l'infâmie ) est un bien pour un mal qui ne peut souvent être réparé in vivo.
Nous gardons davantage en mémoire la très pertinente contribution de Maître Jean-‐Michel Darrois et de Marie-‐Noëlle Dompé sur l'évolution du droit des opérations boursières reproduite dans les Mélanges dédiés au Doyen Pierre Bézard.
Le pénaliste montre alors ses qualités d'homme d'action mais aussi d'homme de synthèse.
Loin des affres de Paul Lombard allant demander – il y a près de 40 ans -‐ la grâce de Christian Ranucci, des dizaines de pénalistes sont aussi des commercialistes redoutables tel Jean Veil.
Maître Olivier Metzner a été élu meilleur avocat français du droit pénal des affaires en 2010 ( Prix Best Lawyers – Les Echos ) et sa contribution à des avancées jurisprudentielles est reconnue : il a cette capacité à traiter des affaires comme celle de la malheureuse Laetitia ( Pornic, 2011 ) mais aussi des dossiers comme celui de la défense de l'ancien Président d'ELF : Loïk Le Floch-‐Prigent.
Unicité du pénaliste par-‐delà la diversité des sections du Code pénal....
A l'heure où Olivier DEBOUZY et Jean-‐François PRAT ont quitté famille et table de travail, il faut songer que la France sait produire de fins juristes.
Dès 1940, un certain René Cassin écrivit un texte démontrant l'inconstitutionnalité du régime de Vichy. Que les avocats qui utilisent la QPC ( Question prioritaire de Constitutionnalité ) se souviennent de cet illustre exemple et pensent à la future insertion dans le droit courant du Défenseur des droits, autre innovation récente qui pourrait surprendre lors de sa montée en puissance.
" Tiraillé d’un côté par la philosophie et de l’autre par les Lois, je crois que je m’échapperai par la diagonale..." Joseph de Maistre ( Lettre publiée par Clément de Paillette / La politique de Joseph de Maistre, 1895 ).
97
-‐ XX -‐
Le Commissaire aux comptes et ses sept défis.
En quelques années, le commissariat aux comptes a connu un profond bouleversement : refonte complète des normes d'exercice professionnel, actions minutieuses du Haut-‐Conseil ( H3C ), modifications des normes comptables, contrôles qualité, etc.
Ce bouleversement nous semble possible à résumer en sept lignes de force.
Le commissariat aux comptes est une fonction relativement essentielle au paysage des entreprises de France : ce contrôle légal externe des comptes garantit la sincérité des bilans et la fiabilité des états financiers dont nombre de décisions dépendent à commencer par le crédit inter-‐entreprise ou les conditions de recours à l'endettement externe ( bancaire ou non : comptes-‐courants d'associés ).
Le métier est désormais très concentré après la faillite d'ENRON qui devait entrainer la chute de l'emblématique ARTHUR ANDERSEN. Un commissaire comme Jean-‐Louis MULLENBACH ne cesse de rappeler à longueur d'interventions ou de colonnes ( voir Les Echos ou Option Finance ) les dangers de la concentration, du quasi-‐monopsone existant vis à vis des grands groupes du CAC40.
Le Président CAZES ( Compagnie Nationale des Commissaires aux comptes ) a repris avec méthode des dossiers que le Président Vincent BAILLOT avait laissé sinon en jachère du moins en ordre imparfait.
Ainsi, la refonte des NEP ( Normes d'exercice professionnel ) a été relancée avec énergie et pertinence : elles constituent un guide quotidien obligatoire pour le commissaire et ses collaborateurs. Bible de l'action, elles forment désormais un corpus cohérent qui a reçu l'aval du H3C conformément aux Textes en vigueur. Après avoir réussi ce premier défi, la profession a été confrontée à la délicate question de la révision des normes comptables. Cette opération lourde a lieu sous le contrôle efficace et respecté du Président de l'ANC, à savoir Monsieur Jérôme HAAS. Le chantier ressemble aux travaux du Grand Louvre sous feu François MITTERRAND et est une démarche véritablement conséquente où l'amateurisme est exclu. Dans ce contexte, l'ANC a opté pour une politique équilibrée : d'un côté, la rigueur et la transparence financière sont toujours activement recherchées. De l'autre, l'ANC a retenu de contribuer à la modernisation des Directives européennes ( voir Communication de la Commission européenne du 13 Avril 2011 relative aux 12 leviers prioritaires de " l'Acte pour le marché unique " ) sans toutefois imposer les normes IFRS aux milliers de PME. De la proposition de loi du Président de la Commission des Lois ( M. WARSMANN ), l'ANC a défini des mesures de simplification, notamment des informations à faire figurer en Annexes des comptes. Ce deuxième défi est encore sur l'agenda public et nul ne peut dire avec certitude quelles seront les obligations définitivement arrêtés. Pour paraphraser feu Chou-‐en-‐Laï, la profession et l'Etat " dorment ensemble mais ne font pas le même rêve " : il faudrait peu de conditions pour que les CAC ne se retrouvent à nouveau avec un Etat hyper-‐
98
régulateur quelque peu éloigné du terrain. Comptons sur la diplomatie haassienne pour éviter des travaux étirés et alourdis.
Le troisième défi concerne la documentation désormais requise des dossiers de travail qui constitue une gageure et un trou noir pour la marge des cabinets tant cet exercice requis est " time-‐consuming ". Dossier permanent et dossier de l'exercice sont deux piliers nécessaires à l'audit mais ils pèsent lourds sur la marge brute des exploitations car leur précision impose patience et méthode.
Le quatrième défi est souvent trop méconnu : il s'agit de la dématérialisation des pièces comptables à commencer par les factures ce qui peut prêter le flanc à la critique tant les fraudes informatiques sont encore accessibles à nombre d'entités. De surcroît, une discussion juridique existe sur le délai de conservation des pièces : trois ans selon l'article R 441-‐3 du Code Commerce mais dix ans selon l'article L 123-‐22......
On peut ici se demander à quoi servent les nombreux colloques sur la déontologie des CAC lorsqu'une question aussi simple et cruciale est l'objet d'un conflit textuel dans le même Code.
Ce quatrième défi de la dématérialisation nous parait mal engagé et source potentielle d'abus et de fraudes.
De son existence découle le cinquième défi : celui issu des conditions de la circularisation. Par cet acte de confirmation de solde, les CAC peuvent obtenir toutes informations utiles à leur mission auprès des tiers " qui ont accompli des opérations pour le compte de la personne ou de l'entité ". ( Article L 823-‐14, alinéa 2 du Code de Commerce ). Le secret professionnel ne saurait être opposé aux commissaires aux comptes ( sauf par les auxiliaires de justice ). Bien évidemment, le lecteur devine la réalité de la circularisation : les taux de réponse sont incertains tout comme le fond parfois. La NEP 505 ( " Demandes de confirmation des tiers " ) voit son application concrète être un vrai défi. " Définir, c'est savoir. Aussi la définition juste est-‐elle la plus rare des denrées ". Auguste BLANQUI ( in " Critique sociale " ).
Sur ce cinquième défi, notre expérience passée et révolue de CAC nous a enseigné les limités de la sincérité de certains écrits notamment en matière d'engagements hors-‐bilan ou d'ampleur quantifiée d'un litige en cours....
Le sixième défi est d'un maniement plus délicat et a trait aux ressources humaines des cabinets. S'il est clair que l'audit attire de beaux et jeunes papillons comme la lumière halogène, les conditions de travail souvent bouculées et hasardeuses induisent des taux d'erreurs non négligeables dans certains segments des dossiers. Nous sommes obligés de relever le taux désormais très majoritaire dans la profession et d'émettre l'hypothèse selon laquelle le salariat ne garantit pas toujours le dévouement de la profession libérale. Il ne s'agit pas ici d'une approche sentencieuse ou d'une affirmation capricieuse : seulement de l'énoncé d'un fait connu des plus grands managers des plus grands cabinets. On est loin du Livre vert sur l'audit du Commissaire européen Michel BARNIER qui – préconisant nombre d'actions dont le renforcement du Co-‐Commissariat – n'a pas traité cette question pourtant tendanciellement cruciale : voir le turn-‐over dans la Profession.
Le Livre vert a, en revanche, traité du septième et dernier défi -‐ retenu ici -‐ : la nomination de l'auditeur externe en insistant sur le rôle majeur du Comité d'audit.
99
Le choix du CAC est affaire simple ou complexe. Selon les attentes ultimes de l'entité contrôlée.
Dans " Grammaire de la Bourse " ( 1903, S Robert-‐Milles, E.Rey Libraire ), on note l'affirmation suivante relative aux " Commissaires vérificateurs des comptes appelés autrefois Commissaires de surveillance et Censeurs " :
" Sans doute, le mandat de commissaire est assez limité ; mais tel qu'il est défini et tel qu'on doit le concevoir, il est, pour un esprit droit et ferme ( sic ), bien suffisant pour rendre les services qu'on est en droit d'attendre. " Plus d'un siècle après ces lignes, les " créateurs de confiance " ( slogan publicitaire retenu par la CNCC ) sont supposés faire le " job ", rien de plus.
A la conception extensive des normes et des textes à appliquer, le commissaire doit demeurer dans une conception restrictive de ces fonctions. Joli paradoxe.
A ce stade, nous souhaitons formuler un souhait de praticien du monde des affaires. Les pages 585 et 586 du Journal Officiel, Sénat, Débats parlementaires ( terrain familier pour l'estimé Jean ARTHUIS ) de 1934 rapportent l'existence du projet n° 2416 ( Article 34 ) non adopté au sein du Décret-‐Loi de 1935. ( préalable à celui du 31 Août 1937 ) et la proposition intéressante du Sénateur de l'Aube Vincent LESACHE ( 1860 – 1938 ).
Cette proposition vise à exclure du vote sur la nomination et le choix des commissaires aux comptes en Assemblée Générale Ordinaire les Administrateurs actionnaires. A la réflexion, et après avoir assisté à d'importants travaux de l'I.F.A ( Institut Français des Administrateurs ) présidé par Monsieur Daniel LEBEGUE sur la " gouvernance ", on peut penser que cette proposition fait sens dans un univers où le conflit d'intérêts est parfois prospère.
A législation quasi-‐constante, nous avons établi que la proposition LESACHE peut être réactivée dans le but de modifier les rapports que décrit ( en sciences économiques ) la Théorie de l'Agence. ( Voir, par exemple, Vernimmen : Finance d'entreprise ). Ceci dans le but de renforcer la confiance qu'ont les apporteurs de capitaux ( en univers APE essentiellement ) dans les mandataires sociaux.
Comme aime à le dire l'éminent Edouard SALUSTRO : " La profession a de beaux jours devant elle si elle ne fait pas trop de grosses bêtises ".
A voir certains appels d'offres où les cabinets sortent laminés pour la même quantité de travail à fournir, il y a de quoi être inquiet. Le temps des libéraux part dans la nuit, celui des salariés plus ou moins mal rémunérés et motivés domine : vite, que revienne le temps des entrepreneurs comme le fort malicieux Edouard SALUSTRO, pour que les commissaires aux comptes puissent franchir les sept haies à valeur de défis décrites dans cette contribution.
100
-‐ XXI -‐
L'Europe a tiré une balle dans le pied de notre industrie ! Européen en premier et dernier ressort, force est de constater que notre adhésion à ce beau projet collectif se heurte au principe de réalité. L'Europe a contribué à fragiliser l'essor de nos industries. Prenons un peu de recul et sédimentons les faits avec minutie et tristesse.
Contribution dédiée à toi l'ouvrier européen qui ne demandait qu'à le rester !
Par attaches familiales qui remontent aux années 1920, par réflexion de type méso-‐économique chère au Professeur Pierre Bauchet, par volonté de voir aboutir une grande idée, oui nous voulons l'Europe. Comme l'a écrit Jean Monnet " nous ne voulons pas coaliser des Etats mais unir des hommes ". Or l'acte de production, le travail est fondateur : il ne doit pas voir sa " fin " comme l'a écrit l'estimé Michel Drancourt ou plus récemment l'éminent sociologue Michel Vacquin.
Dès lors que ce désir d'Europe – d'une essence différente du désir d'avenir de 2007 – est proclamé, il faut l'alimenter de ses succès en matière agricole, spatiale et géo-‐stratégique. Est-‐on sûr que notre immense joie de novembre 1989 ( chute du mur de Berlin ) aurait eu lieu si l'Europe n'avait pas été au rendez-‐vous, si notre Président d'alors et le Chancelier Kohl n'avait pas su élaborer une complicité allant au-‐delà de l'entente ? Par-‐delà l'admiration que l'on peut valablement porter à l'ancien élu de Château-‐Chinon, ce n'est pas être offensant vis à vis de sa mémoire que d'affirmer qu'il connaissait mal les questions industrielles. Des dizaines de décideurs du rang des Présidents Ambroise Roux, Georges Pebereau et Jean-‐Louis Beffa l'ont dit avec tact mais conviction.
L'Histoire économique retiendra, si elle a le temps dans ce monde où l'accélérateur semble alourdi, que feu Jean Riboud ( Schlumberger ) a eu un rôle prépondérant tel un de ces trop fameux visiteurs du soir à qui François Mitterrand parlait rarement du Morvan puisqu'il était alors en phase d'écoute et probablement de questionnement. N'étant pas féru de questions du secteur secondaire ( selon la typologie classique dûe à Colin Clark ) sauf lorsqu'il réussissait à implanter une usine DIM dans " son " ancienne terre d'élection ( en complément de celle d'Autun, ville chère à Arnaud Montebourg et sa démondialisation ), l' homme qui repose à Jarnac a laissé beaucoup de latitude aux rouages institutionnels de l'Europe, à ce que le Général de Gaulle aurait aussi pu nommer de " machin " tant les processus de décisions sont décevants voire contestables. Beaucoup d'exemples surgissent de notre mémoire.
101
Tout d'abord, parlons d'aluminium : un secteur important voire sensible depuis la cannette de sodas jusqu'aux berlines allemandes dernier-‐cri produites grâce à cette matière. Avant-‐hier, c'est à dire en 2000, la Commission européenne repousse un projet finement et méticuleusement défini : le projet de fusion entre Péchiney, le suisse Algroup et le canadien Alcan. Le motif technico-‐administratif invoqué au terme d'un dossier juridique impressionnant est simple : trop de risques d'abus de position dominante.
Un an après, en 2001 donc, le canadien persévérant procède au rachat du suisse Algroup : un deal rondement mené et conforme aux lois de la concentration capitaliste.
Lois qui s'appliquèrent en 2003 par le rachat de Péchiney et la perte d'un fleuron de notre industrie fondé en 1855. Fleuron dont les principaux cadres furent remplacés, le centre de formation de Janville vidé de son sens, etc. Bref, une perte de souveraineté et des futurs plans sociaux car c'est presque toujours la proie ( et non le conquérant ) dont les effectifs servent de variables d'ajustement.
Parfois le chasseur devient gibier : ainsi Alcan se fait racheter par le groupe minier anglo-‐australien Rio Tinto. Pour les amateurs de fusions-‐acquisitions, un coup de maître à enseigner à tous les seniors de banques d'affaires mûrs pour le statut tant convoité de " partner ".
Après des péripéties et des détourages d'activités, l'année 2010 a vu la création d'Alcan EP dont la stricte majorité ( 51 % ) sera vendue à Apollo ( fonds d'investissement nord-‐américain ) en 2011 tandis que notre fonds souverain ( le FSI ) prendra une participation de 10 %.
De cette page de notre histoire économique, il ne faut probablement blâmer personne mais seulement constater que l'application mécanique du droit de la concurrence ( un des piliers du droit de l'Union ) a privé le continent européen ( Suisse et France ) d'une fusion à trois avec une belle affaire : Alcan. Autrement dit, exécuter les directives à la lettre a fait perdre de vue l'esprit de conquête des pères fondateurs de la Communauté.
D'une fusion avec brio, on a fait un saut dans la précarité sociale et financière. Pauvres ouvriers de la vallée de la Maurienne dont le sort a été scellé par un homme brillant devenu Président du Conseil de son pays : seules les Alpes et une conception de l'Europe les séparent au moment où sont écrites ces lignes. La campagne électorale de la France de 2012 a évoqué à longueur de temps le " made in France ". Il est un secteur, lui aussi vital, où cette expression a eu un sens pendant des siècles : la sidérurgie. Après bien des déboires ( cf. plan Barre de 1978, etc ), ce pan d'activités avait été magistralement modernisé par des milliers d'heures de labeur des opérateurs et des ingénieurs. Là, une fusion aboutie ( sous des réserves formulées le 21 Novembre 2001 par la Commission européenne à nouveau par Monsieur Mario Monti ) avait donné naissance à Arcelor qui réunissait Aceralia ( Espagne ), Arbed ( Luxembourg ), et Usinor ( France ). L'Europe unie était ainsi devenue le premier producteur mondial d'acier et l'avenir semblait rose. Rose comme aurait aimé Arnaud Montebourg qui n'a certainement pas goûté le raid boursier réussi de Monsieur Mittal après des errements européens auprès de partenaires russes.
102
Des heures furent requises pour construire un empire : la mariée étant belle, elle eût vite un prétendant aux yeux de velours mais aux méthodes de prédateurs.
Alors tant pis pour l'ouvrier de Lorraine si l'Europe des fondateurs s'est évanouie au profit d'un grand marché qui piétine des segments du corps social.
Tant pis si tout se décide par une famille – probablement honorable – qui réside dans la maison réputée pour être la plus coûteuse de Londres. La Maurienne, la Lorraine, à qui le tour ?
Gueugnon ( capitale de l'inox ) située en Saône et Loire d'où nos références à son Président du Conseil Général ?
Combien d'heures de bureaucratie et d'avocats brillants pour d'aussi regrettables résultats méso-‐économiques. Rappelons-‐nous, avec amertume et un brin de sidération, de la complexité de la définition des pouvoirs d'un autre Commissaire européen à la concurrence : Sir Léon Brittan. En 1992, le Président Delors a été dans l'obligation de constater les tiraillements ( euphémisme ) entre le raffiné britannique et les hommes du Nord de l'Europe : Martin Bangemann ( Vice-‐président de la Commission chargé de l'industrie ) et Karel Van Miert. L'affaire De Havilland était passée par là.
Le passage du GATT à l'OMC a été un défi pour l'Europe qui est devenue dans bien des segments industriels davantage cliente du monde que fournisseur. N'est-‐il pas urgent de se doter d'outils raisonnablement maniables et acceptables par nos amis des autres continents ? L'Europe doit-‐elle se faire souffler sous le nez ses champions ( Arcelor ) et dire toujours non à de belles idées ( Fusion à 3 dans l'aluminium ) ?
Les analystes stratégiques Thierry de Montbrial et François Heisbourg ont répété à plusieurs reprises que l'Europe était plus forte lorsqu'elle avait un ennemi à ses portes. Quand le Pacte de Varsovie était vivace, Bruxelles voulait unir des hommes pour leur sécurité physique et leur bien-‐être.
De nos jours, la complexité étouffe l'idée de départ, les textes sont finalement des corsets qui équivalent à des barillets visant le pied de l'industrie européenne. L'Oréal, Suez, Danone ? On frissonne.
Laissons une conclusion provisoire à un homme que les sciences économiques ne passionnaient guère : Paul Valéry. " L'Europe n'aura pas eu la politique de sa pensée " ( in Regards sur le monde actuel ).
103
-‐ XXII -‐
La crise et ses itérations contradictoires : un vrai danger ?
Le Président du Cercle des Economistes, le respecté Professeur Jean-‐Hervé Lorenzi, a posté sur son blog de l'automne 2011 ( Jolpress.com ) le titre suivant : " La crise financière est un symptôme et non une cause de la crise économique ".
Près de six mois après, où en sommes-‐nous ? D'où vient le danger ?
Un semestre après la production de cet écrit, le Professeur LORENZI ne craint pas d'être démenti. Lorsqu'il avait affirmé qu'il convenait " de gérer sans drame excessif, pour plusieurs années, une croissance faible et la nécessité de remettre de l'ordre dans les finances publiques ". Tout est dit : la notion sociétale de drame excessif, la croissance atone et la rigueur dans les finances de la sphère publique finement pratiquée, in concreto, par un certain Professeur nommé Raymond Barre. Reprenons tout d'abord ces trois éléments. La notion de drame excessif est lourde de sens et ne place pas le débat au seul niveau des lecteurs du bouillant Stéphane HESSEL et de sa cohorte d'indignés. Comme l'a souvent écrit et démontré Raymond Aron, l'histoire peut porter révoltes et violences sociales relevant d'un certain absolu. C'est bien Raymond Aron qui avait dit du Président Giscard d'Estaing : " cet homme ne veut pas voir que l'Histoire s'écrit en lettres rouges, avec parfois le sang des peuples ".
Comme le Président Lorenzi, il nous faut espérer que le drame sera évité mais l'austérité a un coût social croissant que l'on peut même voir comme exponentiel. La crise du logement notamment symbolisé par ces travailleurs pauvres qui dorment dans leur voiture et bien d'autres exemples ne saurait inciter à l'optimisme. Le corps social parviendra-‐t-‐il à tenir les longs mois de ce que certains banquiers appellent un peu rapidement la " purge " ?
Depuis les travaux de Mancur Olson, ( Logique de l'action collective ), il est établi que les organisations poursuivent parfois leurs propres intérêts au détriment de celui initialement affiché pour leurs mandants. Comment les forces sociales olsoniennes vont-‐elles réagir dans la durée ?
Pourront-‐elles tenir la triple itération : contraction du pouvoir d'achat par reprise de foyers inflationnistes, poursuite de la rationalisation des effectifs ( émondage ), choc des hausses inévitables des prélèvements fiscaux et sociaux.
Enough is enough... pensent des millions de travailleurs sur notre Continent.
Parallèlement aux risques de grand dérapage social, il y a le niveau hélas bien faible de la croissance en zone €uro. D'aucuns avaient espéré que les nouvelles technologies, l'économie verte, etc seraient de puissants relais de croissance. Là encore, la prudence est de mise et les conjoncturistes de peu d'allant.
104
La croissance – dans une bonne vieille approche keynésienne – suppose une demande anticipée et solvable. Pour l'heure, la situation demeure incertaine mais nous voulons croire – tel un axiome – à la pertinence de la loi de Say : " l'offre crée sa propre demande ". Du micro-‐ondes inconnu à grande échelle il y a vingt ans en passant par les tablettes ou autres objets numériques, force est de constater que l'innovation trouve sa validation chez les consommateurs. Autrement dit, le caractère atone de la croissance nous semble renvoyer à la pertinence des produits fabriqués et mis " en rayon " devant les citoyens.
Dernier point du trio de notions à observer : la rigueur dans les finances publiques. Tout d'abord, nous sommes dans un véritable étonnement ! Nul n'évoque jamais la célèbre loi de Wagner qu'il convient donc de rappeler avec précision. Adolph Wagner a ainsi écrit : " plus la société se civilise, plus l'Etat est dispendieux ". ( Fondements de l'économie politique, 1872 ).
C'est l'évidence dans les grandes démocraties occidentales et les efforts louables de Madame la Ministre Valérie Pécresse se heurtent donc à un trend historique. C'est là qu'il faut tenter de parler de rupture et de la construire à partir d'un pacte social à redéfinir et dont le sentiment d'égalité devant l'effort serait la clef de voûte. Le Président de la République de notre pays issu du suffrage du Dimanche 6 Mai 2012 aura cette tâche complexe à réaliser. La démocratie parlementaire – celle où les élus disent vite oui aux demandes du corps social – sera confrontée à un défi : elle doit impérativement survivre ( comme aurait dit Winston Churchill ) mais profondément évoluer. Rationaliser l'action publique suppose le " juste investissement " ( le niveau adéquat ) pour reprendre un terme du méthodique Président Jean-‐Paul Bailly ( alors responsable de la RATP ). Nous – à nos rôles et places dans la société française – avons tous des exemples où les deniers publics ont été déversés davantage qu'attribués avec parcimonie. Notre Nation est parvenue à saturation et risque de sombrer dans un schéma à l'italienne où l'économie souterraine fait florès.
A nos brillants sujets de Bercy de faire preuve d'imagination : où sont les Maurice Pérouse et Lauré à l'heure où l'on ne sait critiquer que Maurice Lévy, créateur de valeur par labeur et talents.
Dans son texte, le Président Lorenzi évoque le transfert d'activités vers les pays émergents. Ses propos sont bien entendu appropriés.
Toutefois, si la migration des facteurs de production – essentiellement du capital ( voir investissements de CARREFOUR en Chine, etc ) – a permis le développement des pays émergents, il est vrai qu'elle nous a quasiment cantonné à un rôle de consommateur plutôt que de producteur. Un certain Anton Brender l'a dit et étayé des pertinences sur la finance. Un certain Philippe Seguin, mémorable contradicteur d'un Président dans un débat en Sorbonne, l'avait prédit.
Pour notre part, nous pensons que cette migration aurait été moins pénible si notre appareil productif avait prêté davantage d'attention à la qualité finale et au facteur résiduel cher à Edmond Malinvaud. Par itérations successives ( pas de facilités de crédit d'où peu d'investissements, faible pouvoir d'achat d'où demande moins soutenue qu'auparavant et taux d'épargne record, etc ) la crise économique est encore devant nous. Elle nous tient par nos contradictions
105
et ne nous laissera pas en paix sans de profondes transformations sociétales qu'un talent comme Cornélius Castoriadis a tenté d'établir sa vie durant.
Les réflexions du reconnu Président du Cercle des Economistes ont été publiées le 19 Octobre 2011 : soit 27 ans après l'assassinat du prêtre polonais Jerzy Popielusko et trente ans après le coup d'Etat en Pologne du 13 Décembre 1981.
Le combat clandestin fut rude mais vint Novembre 1989 et la liberté pour nos amis bloqués par le " rideau de fer " ( W. Churchill ).
Raymond Aron a tellement raison d'écrire que l'histoire est tragique mais ce détour polonais proposé au lecteur montre qu'en moins de dix ans ( de 1981 à 1989 ) la face des choses a changé.
Autrement dit ? Les itérations qui conduisent à la situation de crise sont un fait.
Tout comme l'exactitude pour tous nos grands décideurs publics de l'analyse de Louis de Bonald : " Dans les crises politiques, le plus difficile pour un honnête homme n'est pas de faire son devoir, mais de le connaître ".
106
-‐ XXIV -‐
De l'usage risqué des métaphores en Economie :
La crise économique est une souffrance pour des millions de gens par-‐delà les pays et les continents. Elle suscite de nombreuses interrogations et de vifs débats économiques où des métaphores viennent de plus en plus souvent émailler les propos. Est-‐ce pédagogique et positif ou réducteur et périlleux ? Dans une publication de l'IFRI ( Institut Français des Relations Internationales ) remontant à déjà plus d'une décennie, Thierry de MONTBRIAL avait opportunément rappelé cette citation d'Antonio GRAMSCI : " Avoir le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté ". Une vraie maxime pour les travaux de recherches économiques ou le management opérationnel de la crise. En parcourant diverses initiatives publiques récentes et notamment tel ou tel communiqué des principaux Chefs d'Etat de la planète ( G 20 du 2 Avril 2009 ) à valeur d'injonction voire d'ultimatum, l'intelligence trouve assurément son pessimisme à l'aune de la vigueur de la récession qui traverse depuis 2008 tant d'existences et modifie tant de desseins voire de destins. L'intelligence -‐ ou ce qui lui ressemble -‐ demeure même un peu interdite face à une crise digne du théâtre antique : unité de temps et de lieu sont en effet des éléments nouveaux qui aggravent la lourdeur du processus récessif. Jamais les cinq blocs continentaux n'avaient traversé à l'unisson le choc de la chute de croissance. Ce fait sans précédent est-‐il un marqueur de la mondialisation à valeur irréversible ? Ou plus simplement un accident historique sans risque de réapparition forcée ? Nul ne dispose du recul pour trancher. A cette primo-‐simultanéité universelle doit s'adjoindre un premier constat plus qualitatif et fondamental : tous les opérateurs et les analystes convergent en effet de manière nette et irrévocable pour énoncer qu'il s'est passé quelque chose d'impensable. La crise actuelle a démontré, grandeur nature et temps réel à l'appui, que l' impensable est possible comme l'affirment Matthieu PIGASSE et Gilles FINCHELSTEIN dès le début de leur récent ouvrage. ( in " Le monde d'après, une crise sans précédent " ). Dès lors, même le moins outillé des observateurs a ressenti puis compris que le monde économique et financier " dansait sur un volcan " ( ibid., page 78 ) fidèle en cela aux passions de Terpsichore, la muse de la danse.
107
Le mimétisme de certains acteurs économiques, l'idée de gagner encore sur un ultime coup ont été décrits et désormais décriés. Une sorte d'adage découle même de certains discours publics à valeur emblématique : " tant qu'il y avait de la musique, on a dansé " ( CITIGROUP ). Face à un tel choc frontal et effectivement sans précédent, pourquoi finalement s'interdire de songer à invoquer les Muses ? Pourquoi ne pas tenter de pallier le risque de manque de créativité en retournant voir les Muses ? Précisément celles qui ornent le toujours grandiose tableau de PUVIS DE CHAVANNES qui contribue à animer le grand amphithéâtre de la Sorbonne, celui-‐là même où résonnèrent les voix de ceux qui eurent la tâche de nous former. Par-‐delà les coups du sort que toute existence comporte et subi, je peux attester ici que les Professeurs Raymond Barre, Strauss-‐Kahn et Henri Bartoli m'ont vigoureusement enseigné d'être vigilant en matière de recherches économiques : ils ne goûtaient guère les métaphores filées habilement pour mieux emporter l'adhésion. Cette tendance néfaste de certains qui se cachent derrière une image, une illustration de bon aloi, pour acquérir votre conviction. Alors qu'il était Président de la Commission des Lois, Pascal Clément et le présent rédacteur ont eu l'occasion de sourire quant à ce travers que la crise de 2008 a revigoré au point d'être – selon notre approche – globalement négatif. Un ancien Président de la République a dit un jour : " Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ". Face aux traitements discursifs de la crise bancaire, on peut énoncer sans risque d'être démenti sur le fond : notre intelligence se brûle et nous pensons ailleurs… La crise est une réalité historique en mouvement qui échaude tant de certitudes et conduit à tant échafauder qu'il faut assurément se concentrer et faire preuve de talents conjugués. Telle est notre conviction et le sens de nos contributions. Au plan international, il y a un défi de gouvernance qui s'entrechoque avec les légitimes questions de souveraineté nationale. Défi accru par la dictature de l'évènementiel qui fait que notre monde moderne veuille des réponses de plus en plus rapides, des flux tendus de décisions publiques prises comme en rafales. " La gestion des affaires publiques, elle, ne souffre point d'interrègne. Et c'est pourquoi dans la vie des nations alternent la grandeur et la médiocrité. Dans ce dernier cas, il ne leur reste qu'à se consoler en se rappelant que les peuples heureux n'ont pas d'histoire. Du moins, c'est ce qu'on dit ".
108
( Texte de Georges Pompidou sur " Poésie et politique ", lu le lundi 28 avril 1969 par Jacques Toja, lors d'une soirée poétique de la Comédie-‐Française ). Sans chercher à déconcentrer le lecteur d'un propos à dominante économique, l'ampleur de la crise et la profondeur des blessures sociales qu'elle charrie tel un torrent de boue est un fait qui appartient – répétons-‐le -‐ à l'Histoire. Certaines affiches joyeusement placardées pendant Mai 68 disaient : " Arrêtez la terre, je veux descendre ". Convenons que ceci est de l'ordre du néant et de l'impossible, alors travaillons pour que des esquisses de solutions puissent articuler un chemin de sortie de crise, un corridor comme aurait dit un célèbre économiste. ( Leijonhufvud ). Là où certaines réflexions ont pour postulat l'éternelle quête du bouc émissaire cher à René Girard ( " C'est la faute à X ou Y " ), on doit loyalement enregistrer qu'elles ont pour trame plus ou moins visible l'esprit d'une phrase de Victor Hugo : " L'Histoire a pour égout des temps comme les nôtres ". ( in Les Châtiments ). Les anathèmes à l'égard d'une profession ( les traders ) ou d'un secteur ( la banque ) ou d'une profession ( les normalisateurs comptables et leurs satellites ) ne sont-‐ils pas un moyen peu ruineux pour se dispenser d'un regard sur le statut de l'argent ? Pour se distraire d'un fait qui contrarie la société matérialiste ? Pour notre part, nous préférons à ce point du débat une position apparentée à celle qu'Albert Camus avait eu la lucidité d'écrire : " L'Histoire n'est que l'effort désespéré des hommes pour donner corps aux plus clairvoyants de leurs rêves ". ( in Actuelles ). En effet, l'Histoire économique que l'on m'a enseignée conclut que la crise peut se résoudre par l'innovation féconde des dirigeants ou, à défaut et immenses regrets, par la résurgence de très mauvaises idées dans trop de beaux esprits. Sur ce sujet, la réflexion peut être vaste et j'y suis prêt. Dans le format présent, laissons la conclusion de cette introduction à l'élégante helléniste Madame Jacqueline de Romilly. " J'ai écrit ce livre ( Le sourire innombrable ) parce que je suis lasse du pessimisme vraiment sinistre de trop d'ouvrages qui se publient actuellement et de trop de propos qui s'échangent de façon quotidienne. Le monde ne va pas bien, c'est vrai ; les misères se révèlent chaque jour plus nombreuses dans bien des pays ; la situation même de la France n'est pas à tous égards excellente. Mais devons-‐nous nous laisser aller à ces perpétuelles descriptions de l'horreur et, qui plus est, à un découragement inutile ? Je reçois et je me fais lire trop de livres consternants pour ne pas avoir désiré, moi la vieille dame, inviter le lecteur pour une fois à un moment de détente, si futiles qu'en soient les causes. "
109
Prenons le risque d'être taxé de futile pour avancer notre idée-‐clef : si la rémanence de la crise est de bonne facture dans nos esprits respectifs et multiples, nous aurons les moyens de prévenir le risque de récidive par un travail collectif appuyé qui visera la machinerie ( les complexes rouages comptables et techniques notamment ) pour préserver l'essentiel. Notre siècle, vingt et unième du nom, a décidé de nous suivre dans notre goût immodéré pour la vitesse. Désormais, il faut tout faire vite. Il nous répond : chiche ! Alors en moins de douze ans, ce nouveau siècle nous propose – comme à des serfs éblouis – un choc des civilisations ( 11 Septembre 2001 et ses corrélations ), un défi démographique sans précédent, des déséquilibres écologiques de plus en plus insistants mais prégnants et une crise économique que l'on peut considérer comme plus profonde que la crise de 1929. 1929 et juste après, ce n'est pas autre chose qu'une crise d'un stade du développement économique analysé par Rostow ou Galbraith. 2008 et maintenant, c'est une mue : on passe d'un état à un autre marqué par une tangible et irréversible mobilité des facteurs de production. Le monde a changé de centre de gravité selon les leçons enseignées par I. Wallerstein et nous persistons à penser comme avant. De nos jours, les foyers de décision ont une capacité de migration que l'humanité n'a jamais connu au plan territorial et ceci bouleverse l'analyse des avantages comparatifs de Ricardo. Chez Siemens, on va assembler cette année davantage de matériels d'imagerie médicale en Chine que dans le reste du monde : on ne parle donc pas ici de faire quelques milliers de paires de chaussettes mal finies telles que celles décrites par un actionnaire ( lambda et très déçu ) en Assemblée Générale de Carrefour ( devant l'air interdit d'Amaury de Sèze ) il y a deux ans. Et pourtant nous parvenons à construire des outils communs à vocation universelle : les normes comptables, par exemple non fortuit… Alors, traitons des métaphores que la crise a inspirées. Après quelques lectures attentives, il appert que la métaphore la plus répandue semble être celle du naufrage du Titanic. Pour ne retenir qu'un exemple, citons opportunément l'article de M. Martin Wolf ( journal Le Monde du 1er Septembre 2009 ) intitulé " Contre la récidive bancaire " : " Que faut-‐il faire ? La réponse la plus courante recommande de bricoler quelques gardes-‐fous règlementaires. Autant se préoccuper d'aligner les transats : parfaitement futile ".
110
Sur le fond, nous sommes réservés par cette assertion car la redéfinition de la régulation du secteur bancaire nous semble un pré-‐requis en amont de la reconformation des normes comptables. Sur la forme, nous rapportons ici cette métaphore fétiche qu'est devenue le Titanic. Cet événement étant connu, nous ne revenons pas sur les faits sauf pour avoir, hic et nunc, une pensée pour ceux qui étaient à bord ( toutes classes confondues…) ou qui formaient le cortège des proches des victimes. En revanche, ce qui va être instructif – dans les paragraphes qui suivent – c'est de parler de construction maritime et de se souvenir à bon escient de l'épaisseur de la réalité d'alors. Le Titanic a sombré, seul, dans une nuit. Mais il ne fût pas seul de son " espèce " à être construit. En effet, il a appartenu à une famille de vaisseaux de la White Star Line composée de trois membres : le Titanic, le Gigantic et l'Olympic. Nul besoin voyeur de développer le destin du Titanic. Plus colorée est l'existence du Gigantic. D'abord, elle commence par la violation du principe selon lequel il n'est jamais heureux de changer le nom d'un navire ( n'en déplaise à notre Richelieu devenu Le Charles de Gaulle ). Le Gigantic fût appelé, après le naufrage du Titanic : RMS Britannic. Puis, déclaration de guerre mondiale oblige, il fût navire-‐hôpital et nommé : HMHS Britannic ( Her Majesty Hospital Ship ). En novembre 1916, il coula en moins d'une heure après avoir heurté une mine. L'intéressant ici, c'est qu'il avait été doté par l'homme en sa prudence d'une double coque suite à la catastrophe du Titanic. Pour filer la métaphore, comme d'aucuns à longueur de colonnes, devons-‐nous en conclure que lorsqu'on change les étiquettes de la régulation bancaire ( son appellation ) et décide de les renforcer ( double coque ), rien ne change vraiment ? Devons-‐nous prendre un indicateur ( la célérité du naufrage ) et nous extasier quant à la fragilité persistante de l'ensemble ? Pouvons-‐nous posément rallier le simple adage mécanique selon lequel " les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets " et craindre la récidive en matière de crise bancaire ?
111
Pour notre part – poursuivant décidément cette satanée métaphore de navires – nous formons le vœu qu'une reconformation des référentiels comptables obligatoirement combinée à l'action vigoureuse des régulateurs permettent au " bateau-‐bancaire " d'aller de port en port par-‐delà les houles et les marées. Historiquement, il en fût ainsi de l'Olympic " sistership " du Titanic et du Gigantic. Mis en service avant le navire de la tragédie, il termina sa carrière ( en 1935…) après les avatars usuels de la vie. Sans baraterie ni mutinerie. Ce qui est croustillant pour l'analyste et représente un clin d'œil dévoué au lecteur patient, c'est qu'il reçut le surnom de " Old Reliable " tant sa fiabilité fût avéré ! Si seulement le secteur bancaire qui a évité le risque systémique ( Titanic ) pouvait éviter le corset d'utilité incertaine ( la double coque du Gigantic ) et recevoir un jour d'une étude du FMI un satisfecit reposant sur le terme de fiabilité ( Olympic ). Ce détour maritime a été fécond et nous pouvons livrer en quelques lignes notre approche : les analogies et autres métaphores sont confortables mais compressent et prédéterminent trop souvent la pensée de gens par ailleurs compétents. " La reconstruction de l'enthymème ne force pas seulement le discours à se couler dans un moule préfabriqué qui exige souvent des transformations non négligeables, dont une réorganisation des énoncés et l'addition de propos implicites ". ( L'argumentation dans le discours, Ruth Amossy – page 132 ). La crise bancaire est affaire sérieuse et force le raisonnement à une trame serrée, à un treillage qui suppose un usage retenu des métaphores. Oui, les enjeux économiques et sociaux nous privent de l'usage " facile " des métaphores pour répondre avec netteté à la question de ce document. Pour ma part, je préfère la compagnie d'un livre clair ( " Souvenirs d'une longue carrière ", Jacques Georges-‐Picot / Comité pour l'histoire économique et financière de la France ) et les déjà anciennes injonctions de mes anciens Professeurs de la Sorbonne, de la rue Saint-‐Guillaume et de la rue de l'Université à des illustrations maritimes historiques plus ou moins bien inspirées. Cela dit, s'il faut en conclusion ultime parler d'un bateau, vite pensons à l'Hermione de LA FAYETTE qui voguait vers le nouveau monde comme nous allons tous vers la suite de ce XXIème siècle palpitant ! La crise – source de tant de maux -‐ réside en nos mots et en nos chiffres : let's get back to work…
112
En guise de conclusion :
Quels souvenirs de crise ? Quelle rémanence ?
Tout d'abord, nous avons tous – en nos lieux et vies respectifs – été marqués par la crise de 2008 : à la fois par son ampleur, sa vigueur et sa durée. Quels sont finalement nos souvenirs ? Quelles pistes de travail emprunter pour épauler la résilience économique encore fragile qui viendra après la récession ? L'Union européenne est constituée par une collectivité d'êtres qui sont – depuis déjà cinq ans -‐ largement et durablement soumis aux pressions de la quasi-‐récession en poursuite de déploiement. Et 2013 ne s’annonce que sous de mauvais auspices. Fatalement et mécaniquement, ce qu'il est convenu d'appeler la crise de 2008 est donc directement venue accroître le poids des fatigues sociétales et modifier nombre de projets, qu'ils fussent portés par des personnes physiques ou par des institutions. L'époque présente démontre en effet déjà avec certitude, à tout observateur attentif et patient, la pertinence de certains écrits déjà anciens de Michel FOUCAULT : "Désormais, les identités ne se définissent plus par des positions mais par des trajectoires ." La crise actuelle est d'abord et sera, a minima pour la décennie à venir, inflexion de trajectoires humaines. Inflexion de niveau de vie pour ceux qui souffrent. Inflexion de conditions d'exercice professionnel pour ceux qui ont la charge de décisions opérationnelles significatives, à commencer par les dirigeants bancaires. Inflexion du corpus cognitif pour les économistes qui ne goûtent guère cette crise et se font ici ou là vilipendés comme des apprentis de cuisine. Trop de sel, trop de poivre….. que faire ? Voir, à ce propos, l'article pénétrant de Frédéric Lemaître dans Le Monde du 5 Septembre 2009 relatif au savoir et au statut des économistes. Quant aux professionnels du chiffre, on leur tire les oreilles à longueur de colonnes ou de colloques sous prétexte que " leurs " normes expliqueraient une large part de la crise. Nul ne songe ici à nier que les normes IFRS et la " fair value " ont conduit à accentuer la spirale de dépréciations des actifs par un mécanisme digne de poupées gigognes.
113
Symétriquement, en bonne approche étiologique, qui pourrait nier que la crise est d'abord venue de pratiques professionnelles bancaires et financières ( sub-‐primes, traders, etc ) AVANT que de se trouver très accentuée par l'application mécanique ( et légale – nous répétons – légale ) des normes comptables internationales. A l'heure où tant de débats appellent à une régulation mondiale sur tel ou tel thème brûlant, n'est-‐il pas hallucinant de voir des commentateurs vertement critiquer la dimension mondiale des normes comptables ? Ce qui a véritablement été un travail patient et complexe est bafoué par des analystes qui devraient souligner le gap qualitatif franchi par les IFRS. La même information financière de Brest à Marseille, de Londres à Chicago : cela ne compte pas ? L'universalité comptable en économies ouvertes et taux de change flottants, c'est un luxe ou une nécessité ? Sur ce point, il peut y avoir débat. Nous sommes quelques confrères prêts à la contradiction car confiants du sens de l'histoire… Dans une première partie que nous affirmons comme indispensable, il sera donc examiné la question des " souvenirs " de la crise, la question relative à cet ensemble d'informations gravées dans nos mémoires et qui va avoir son rôle dans nos décisions de demain. Puis, nous essayerons de tracer quelques pistes possibles de travail avec tous les risques que comporte cet exercice -‐ pourtant indispensable -‐ à qui veut apporter sa pierre aux travaux à venir. 1 ) SOUVENIRS DE LA CRISE : 1.1 ) Que sont les souvenirs et que retenir sous le vocable de rémanence ? Selon notre définition – à valeur micro-‐économique – les souvenirs sont constitués d'un ensemble non maîtrisable en conscience de faits et chiffres qui sont assez puissants dans notre mémoire pour inféoder certaines de nos actions, pour conditionner – à raison ou hélas à tort -‐ notre " univers des possibles " pour prendre un terme de programmation linéaire. La rémanence en publicité ( concept des adstocks ), c'est le souvenir tenace que l'on a d'un slogan : Eleska c'est exquis ou la musique des films promotionnels pour DIM. Sans même parler de celle des spots DARTY. Plus fondamentalement, la rémanence se définit comme " le phénomène par lequel la sensation visuelle subsiste pendant un court instant après la disparition de l'excitation objective ( phénomène qui permet l'existence du cinéma ) " ( in le Dictionnaire culturel en langue française / Le Robert ).
114
1.2 ) Quelle échelle de temps ? Pleurant sa fille, Victor Hugo a posé avec sobriété : " Le temps passe, le souvenir reste ". Que seront les souvenirs à impact opérationnel de tel ou tel agent économique dans six semaines, six mois ou six ans ? Que retiendrons-‐nous dans nos carcasses et cervelles de cette crise de 2008 ? Quel tatouage invisible pour quel collier sournois à l'action de demain ? Les études récentes en neuro-‐sciences ( qui alimentent désormais un courant de recherche économique conséquent aux Etats-‐Unis ) qui nous ont été communiquées l'attestent avec une sérieuse vigueur : quand la rémanence est forte, notre intelligence se brûle et nous pensons ailleurs pour paraphraser le désormais célèbre " notre maison brûle et nous regardons ailleurs " d'un homme à qui l'Histoire de France avait fait un présent ( les plus de 80% de suffrages obtenus en 2002 ) qu'il aura dédaigné. Quand la pensée est ailleurs selon notre mot, il faut comprendre qu'elle est productrice à l'excès de biais cognitifs ( cf. Daniel Kahneman ) ce qui, en matière de crise bancaire n'est pas un atout… On retrouve en boucle de rétro-‐action les apports considérables de Richard Thaler aux questions que 2008 nous imposent sans ménagement ni round d'observation. La question de l'échelle de temps est de rang 1 : à partir de faits bruts comme des silex, le travail du sablier qui s'écoule rend ces faits presque lisses comme des galets. En gommant les aspérités, nous perdons du sens et nous n'y pouvons rien sauf à bâtir des opuscules à valeur d'aide-‐mémoire. Comment les écrire ? Comment les enseigner avec rectitude, devoir et passion ? Hors aléa de santé ( dégénérescence, etc ), notre mémoire économique est donc une zone de diffusionnisme où un stock d'informations malaxées l'emporte sur nos flux de pensée à prétention rationnelle. Ce que nous nommons ici la freinte neuronale ( hors cause médicale ) explique que parfois les erreurs économiques se répètent grossièrement… Et pourtant les scientifiques ( Phelps, Nature en 2001) ont mis en évidence ( grâce au suivi minutieux du clignement attentionnel ) l'abaissement du seuil de conscience pour des mots émotionnels. Alors la crise serait aussi, par-‐delà les maux sociaux tristement observables ( pour qui a de la compassion pour l'autre ), une crise de répercussion des mots forts dans nos têtes in fine plus fragiles que rationnelles.
115
1.3 ) Quel mode de gestion des souvenirs ? Face aux flots d'information qui nous assaillent, il ne faut pas toujours cet esprit de synthèse dont on privilégie l'enseignement dans les grandes écoles mais des capacités avérées de hiérarchisation. Plus précisément d'ordonnancement. La fonction ordonnancement en maintenance industrielle est un outil performant de rigueur intellectuelle qui peut être utilisé pour un travail de sensibilisation et de formation. Pour s'améliorer en " gestion adéquate de rémanence économique " ( G.A.R.E ). 1.4 ) Quels contenus en temps de crise ? A ce stade, nous souhaitons citer pour mémoire ( c'est le cas de dire….) un article du journal Le Monde dans son édition des 6 et 7 Septembre 2009 sous la plume de Pierre-‐Antoine Delhommais : " Reste à savoir pour quelles raisons la catastrophe totale a pu être évitée. Difficile à dire lorsqu'on sait que, quatre-‐vingts ans plus tard, les économistes ne savent toujours pas très bien comment l'économie mondiale avait basculé ainsi dans le vide. Chacun continue de proposer ses explications selon son école de pensée, ce qui a fait dire à Barry Eichengreen que la crise de 1929 constitue " le test de Rorschach " de la macroéconomie. Il n'y a pas d'accord sur les causes de la Grande Dépression, mais il existe un consensus sur les grandes erreurs de politique économique qui furent commises à l'époque, avec pour effet d'aggraver l'état du malade. Et qui n'ont pas été reproduites en 2008 ". Sur le fond, tout est dit en 8 petites lignes. Tentons une synthèse en deux lignes : en économie, l'étiologie est foyer de division alors que l'étude d'impact peut aboutir à la concorde des courants de pensée. Factuellement, la dernière phrase de la citation du journaliste passe sous silence l'hérésie de la décision publique qui a consisté à laisser choir la banque Lehman Brothers éventuellement ainsi punie de sa vigueur concurrentielle vis à vis d'un concurrent performant. D'aucuns disent que c'est un peu l'Etat fédéral qui a demandé le soutien des banques à sa vision de l'extension du nombre des foyers propriétaires, qui a poussé à bourrer les plans et programmes immobiliers. Nombreux disent que l'Etat a stimulé le risque systémique avec la faillite L.B précitée. Risque systémique sur lequel certains tentent de réfléchir depuis plus de 15 ans…
116
Citons en constructifs apports les travaux de Michel Aglietta ( publiés dès Mai 1992 au CEPII : " Comportement bancaire et risque de système " ) où le terme idoine est utilisé par l'auteur : " l'aveuglement au désastre ". 1.5 ) Et où ranger tous ces souvenirs dans notre maison ? Nous avons tenté – en vain – de comprendre des présentations scientifiques relatives à la géo-‐localisation de nos sources de mémoire. Puisse un avenir pas trop lointain nous venir en aide ! Alors, pour l'instant, il reste à filer à l'anglaise ou à filer une métaphore. Donc, voilà en guise d'illustration une citation de C. Bobin.
Les maisons sont comme les gens, elles ont leur âge,
leurs fatigues, leurs folies. Ou plutôt non : ce sont les gens qui sont comme des maisons,
avec leur cave, leur grenier, leurs murs et, parfois,
de si claires fenêtres donnant sur de si beaux jardins.
Christian BOBIN
( in Isabelle Bruges ).
1.6 ) En guise de conclusion de section : Ayant eu la délicieuse opportunité de converser avec feu Marcel JULLIAN à l'occasion de la sortie d'une collection de poésie subtilement nommé " Vagabondages " il y a plus de 25 ans, j'estime fondé de rapporter ici une phrase extraite d'un de ses ouvrages ( Délit de vagabondage ) : " Les souvenirs sont chiens courants. Ils ont, pour rejoindre la mémoire immédiate, des chemins d'odorat connus d'eux seuls ". Loin des neuro-‐sciences, la patte somptueuse d'un sincère littéraire nous transporte sans nous dévier du fond du sens. Il y a là une " sorte de démonstration cachée sous un récit fabuleux enveloppant la compréhension de la vérité " ( Bernard Silvestre : définition de la notion médiévale d'integumentum issue de Cicéron ). Et si on plongeait cette allégorie médiévale en recherches économiques ?
117
2 ) PISTES POSSIBLES DE TRAVAIL : 2.1 REMANENCE ET PROSPECTIVE COMBINEES : 2.1.1 L'historien Guy Pedroncini – spécialiste de la question des mutineries de 1917 – avait coutume de dire ( et de démontrer ) que le recul méthodologique nécessaire se mesure en années lorsqu'il s'agit de traiter un fait majeur. 2.1.2 La crise de 2008 est d'évidence vieille de moins de cinq ans et il faudrait être un jeune chien fou pour tenter une description taxable de crédible. Pourtant, par idiosyncrasie désormais figée voire ancrée, nous prenons le risque de parcourir les points de rémanence de la crise de 2008 en y ajoutant un travail prospectif. 2.1.3 Selon nos travaux en constante alimentation ( car la matière bouge comme de la gelée de coing ), la situation d'ensemble peut s'inscrire dans une figure à six pans. Le dernier traitant de l'inconscient collectif majoritaire, de ce qui passe par la tête du citoyen. a ) Les banques sont un secteur à part et leurs " wild cats " ont profondément altéré les choses. Il faut recapitaliser mais si on le fait sérieusement, on entame la rentabilité. Le régulateur demandera des fonds propres et les actionnaires des dividendes. Si l'Etat est appelé à trancher sous une forme ou sous une autre, il conviendra de remarquer que le secteur n'est pas nationalisé et que régulation ne vaut pas immixtion dans la libre détermination du dividende. ( Souveraineté des A.G annuelles ). b ) Si hoquet de la crise il devait y avoir ( récidive ), la sécurité de place ne consisterait pas à se caler sur les arrangements à la française connus par exemple dans le cas de la banque Pallas. On a changé d'échelle et pour reprendre l'opportune formule de notre camarade Alain Minc ( page 32, Dix jours qui ébranleront le monde ) " les problèmes ne sont jamais multiplicatifs mais exponentiels ". c ) De toutes les façons, l'Etat ( en France comme en Europe ) est marqué par le fer rouge de la crise et lutte en lui-‐même presque chaque semaine contre l'effet macédonien. Pour mémoire, l'effet macédonien ( hérité d'un célèbre sénatus-‐consulte sous l'Empereur Vespasien ) est le " phénomène par lequel le législateur est porté à restreindre la liberté de tous quand il constate que quelques-‐uns ont abusé de la liberté " ( Doyen Carbonnier ). La régulation sera sectorielle donc non discriminée selon les Etablissements ce qui pose question à certains décideurs bancaires. d ) Les travaux de clôture comptable 2012 vont être un exercice délicat où les commissaires aux comptes seront d'autant plus vigilants que l'impact conjoncturel sera
118
dans les " book-‐value " tandis que les dirigeants seront ( en PME, en industrie, etc ) très attentifs à la future lecture des états comptables par leurs partenaires bancaires. L'addition des légitimes rigueurs professionnelles aura – par conséquence non préméditée -‐un impact sur le taux de défaillances des firmes ou sur les conditions de consolidation des secteurs quand les fusions-‐acquisitions vont reprendre vraiment. Ce dont nous sommes convaincus. e ) Sans oublier les conflits interprétatifs entourant l'application des normes comptables qui ne seront pas une mince affaire. f ) Dernier point : le ressenti du citoyen. Parcourons-‐le à travers les phrases qui courent dans le pays : ◊ Ces traders plus ou moins fous gagnent trop d'argent. ◊ Les banques ont failli tout engloutir et en plus nous faire perdre tout notre argent. ◊ De toutes les façons, on y laisse des plumes car notre épargne a fondu. ◊ Demain, il faudra payer tout çà par nos impôts pour purger le paquet de dette publique que la crise a rajouté à l'addition de départ. 2.1.4 Dans notre esprit, nous insistons sur le fait que l'opinion croît donc in fine à ce que nous revendiquons d'avoir nommé, face à la crise bancaire, la commission du délit de baraterie qu'une ancienne rédaction du Code de commerce visait en son article 353. ( Voir Précis de droit maritime du Doyen Ripert : Dalloz, 1956. Page 421 ). Il n'est jamais loisible d'être aussi vilipendé plus ou moins ouvertement par l'homme ( ou la femme ) de la rue. 2.1.5 Le secteur bancaire n'a pas fini de payer cette crise de confiance. Par exemple, les épargnants s'en remettent à plusieurs Etablissements et le taux des clients mono-‐bancarisés mériterait d'être finement suivi, autrement que par des réunions de convenance. 2.1.6 Ce divorce peut amener le Politique à arbitrer et ainsi provoquer la survenance de ce que le Doyen Carbonnier et d'autres fins auteurs nomment l'effet assiduis. Pour mémoire, en citant bien évidemment le Doyen supra désigné, " on appelle ainsi, en sociologie de la législation du mot sur lequel s'ouvre une célèbre constitution de Justinien, le phénomène par lequel le législateur est porté à légiférer sous l'aiguillon des réclamations dont les catégories intéressées l'assaillent ". 2.2 PISTES DE TRAVAIL POSSIBLES :
119
2.2.1 Les pistes possibles de travail découlent de notre texte et la sagacité du lecteur est pré-‐supposée. 2.2.2 Au plan instrumental, ces pistes sont, à ce jour et en l'état actuel de la configuration de notre réflexion, au nombre de deux. 2.2.3 Dans les deux cas, il s'agit éventuellement d'apports en industrie comme diraient les juristes ou plus vraisemblablement de la fourniture d'un know-‐how conçu après réflexion collective mais responsabilité et émetteur unique. 2.2.4 C'est au demeurant tout le principe consubstantiel à la profession libérale contrairement à l'activité commerciale usuelle. Point que j'ai aimé développer à plusieurs reprises dans mes rencontres avec notre camarade Didier Pfeiffer. 2.2.5 La première piste consiste à proposer à plusieurs Etablissements bancaires de réunir un groupe de traders ( Cinq par Etablissements et cinquante au total ) pour une matinée unique de travail comportant une présentation sous le titre : " Concurrence, risques et image fidèle ". Ceci sur le modèle ( en ressources humaines ) que CLUNY FINANCE avait développé pour le groupe ALCATEL il y a quelques années voir wikipédia ALCATEL en 2002 ) et qui vient de recevoir actualisation. L'objectif – a minima -‐ étant un retour mutuel d'expérience. 2.2.6 La deuxième piste a pour objectif d'éclairer le débat " substance over form " des normes comptables IFRS à la lumière des pratiques des acteurs de la Place en matière de cash-‐pooling et d'exécution des conventions d'omnium. Un sujet où le risque se niche en ce moment. CONCLUSION : La population laborieuse est de plus en plus fourbue et pourtant veut pouvoir s'en remettre à un leadership ( privé ou public ) digne de ses attentes. Nous devons agir car le cordeau Bickford n'est pas que bancaire, il peut être social. Qui ne voit que les gens s'inquiètent vraiment pour leur devenir ? Il est temps qu'économistes et comptables quittent la célèbre phrase : " Un seul lit pour deux rêves " et que les professionnels se détendent pour mieux converger au bénéfice de tous. Il est temps que la rigueur intellectuelle revienne comme le printemps après l'hiver sinon cette crise, déployée dans un monde interconnecté et complexe, va perdurer. Quelqu'un a écrit : " Dieu a donné une sœur au souvenir et l'a appelé espérance ". Il n'était pas littéraire et se nommait MICHEL-‐ANGE….
120
Pour ma part, je dirai " espoir " tout en gardant toujours à l'esprit cette phrase d'Alfred Sauvy ( injustement oublié de notre panthéon des économistes français ) : " L'économie c'est la science du sordide, non de la pureté " ( in " La vie en plus " ). Un souvenir de cette assertion pour lire la crise ?
121
A N N E X E : Libertés publiques
La C.N.I.L face à une probabilité de QPC : où se dira le droit ? Un domaine intéressant les libertés publiques, à savoir le délicat sujet des lignes d'alerte professionnelle ( " whistleblowing " ), pourrait bien prendre une dimension judiciaire complexe par le recours à la procédure de QPC ( Question prioritaire de Constitutionnalité ). Qui dira alors le droit ? Les lignes d'alerte professionnelle correspondent à la notion anglo-‐saxonne de " whistleblowing " qui donne à un salarié le droit ( et parfois le devoir ) de prévenir son entreprise, de manière anonyme, d'un risque de fraude ( comptable, environnementale, etc ) qu'il a détectée. La frontière est mince entre la légitime révélation d'un délit et la délation. Alors ce système de " lançeur d'alerte ": péril manifeste ou bienfait certain ? Les grandes entreprises françaises -‐ tout autant que les firmes multinationales étrangères opérant dans notre pays -‐ désireuses d'êtres admises à la cotation aux Etats-‐Unis sont confrontées à la nécessité de respecter les dispositions de la Loi Sarbanes – Oxley votée en 2002. Dans la mesure où ce dispositif législatif puissant impose d'établir – par la lettre de son article " Section 301 " -‐ des procédures de traitement des informations pour tout comité d'audit, on en déduit mécaniquement que la C.N.I.L avait vocation à émettre une recommandation concernant " la réception, la conservation et le traitement des réclamations reçues par l'émetteur " ( § A de la section 301 ) tant il est hautement probable que tout ceci se fera essentiellement sous forme électronique et informatisée. Parallèlement, la délibération N° 2005 – 110 du 26 mai 2005 de la C.N.I.L rapporte d'ores et déjà " sa réserve de principe " au regard de tout type de dispositif qui pourrait -‐ intentionnellement ou progressivement -‐ s'apparenter à un " système organisé de délation professionnelle ". Si l'on songe -‐ de surcroît -‐ aux questions liées au droit à l'information des travailleurs tel qu'il est institué dans notre pays, on aboutit à un schéma où l'entreprise est confrontée à de telles divergences de fondements législatifs trans-‐nationaux qu'elle ne peut que finir par mener des pratiques illégales selon le mode dominant de solution opératoire qu'elle aura retenu.
122
Tout d'abord, un point d'histoire financière : du fait de graves malversations comptables et financières, la Société ENRON a été conduite à la faillite et a conduit à la chute de l'emblématique ARTHUR ANDERSEN. Face à d'autres cas de type WORLDCOM, ( etc ), le Législateur nord-‐américain a voté le Sarbanes – Oxley Act ( SOA ) en date du 29 Août 2002 soit 11 mois avant la Loi française dite de " sécurité financière " ( N° 2003 – 706 du 1er Août 2003 ) vigoureusement défendue en Commission des Lois par le trop souvent raillé Pascal CLEMENT ( qui devait devenir Garde des Sceaux ). La dynamique législative a donc eu pour origine causale des situations de détresse humaine ( épargnants spoliés ; salariés licenciés ; salariés – actionnaires ruinés ; fournisseurs plaçés en déconfiture ; etc ) et elle a abouti à quatre grandes zones de modifications : -‐ Accroissement des responsabilités des Dirigeants " qui signent le bilan " ; -‐ Qualité accrue de la communication financière ; -‐ Renforcement du contrôle de la profession comptable avec notamment la création du PCAOB ( Public Company Accounting Oversight Board ) chargé de définir les normes professionnelles relatives aux prestations d'audit et de certification pour les entreprises soumises au contrôle de la SEC ( Securities and Exchange Commission ) ; En France, création du H3C en superviseur des activités des commissaires aux comptes ( contrôles qualité ). -‐ Développement du rôle des comités d'audit dans le processus de contrôle des états financiers et des procédures comptables. La création du comité d'audit est obligatoire. Il devient notamment la structure qui choisit l'auditeur et sa rémunération, et doit superviser ses travaux. La dynamique opérationnelle va toutefois bien au-‐delà du chiffre : A lire un certain nombre de documents aux dénominations variées " guide de bonnes pratiques ", " chartes éthiques ", " règles déontologiques ", " code de bonne conduite ", etc, on ne peut qu'observer que le chiffre a été dépassé par d'autres préoccupations -‐ au demeurant fort respectables -‐ telles que la santé au travail, l'environnement, le développement durable, la propriété industrielle. Etc. A titre d'illustration de cette extension de finalités, on peut citer dans la présente contribution deux documents ALCAN ( Acquéreur de PECHINEY ) : -‐ " Code de conduite mondial des employés et de l'entreprise ALCAN ". -‐ " Code d'éthique des dirigeants financiers supérieurs ". Pour ne pas alourdir l'énonçé de ces codes mais apporter la preuve de leur caractère significatif, il suffit de se reporter au jugement du 17 Juin 2004 rendu par le TGI de Versailles et de constater que la Société concernée ( en l'occurrence
123
SCHINDLER ) avait établi un " code d'éthique " qui allait jusqu'à imposer que les salariés informent le directeur des ressources humaines de toute situation dans laquelle son conjoint ou un membre de sa famille serait impliqué. Le contenu des chartes éthiques est donc à vocation universaliste quant au fond et universelle quant à leur portée géographique dans le cas des firmes multinationales. Celà ne peut qu'interpeller deux authentiques défenseurs des Libertés publiques : le Sénateur Gaëtan GORCE et la Présidente de la C.N.I.L, Madame FALQUE-‐PIERROTIN. Autrement dit, à partir d'un " scandale " ENRON initialisé par des dirigeants pour le moins cupides et brouillés avec la Loi et l'Honneur, on aboutit à ce que le facteur travail soit confronté aux besoins des entreprises avec un degré de violence latente qui est clair. Le besoin des entreprises est pourtant réel : Les Dirigeants sont responsables de la protection des actifs et de la continuité d'exploitation ( qui est évidemment plus aléatoire ). A ce titre, les syndromes de la " stagiaire chinoise " trop curieuse ( VALEO et protection du know-‐how ; Mission d'intelligence économique confiée à M. Alain JUILHET auprès des Services du Premier Ministre ), du sous-‐traitant peu précautionneux ( Usine AZF et protection physique des actifs ), des commerciaux zappeurs ( protection des fichiers clients ), des collaborateurs efficaces au point que leur zèle soient répréhensibles ( Lyonnaise des eaux et corruption : Affaire de Grenoble ), etc sont autant d'éléments factuels qui militent pour la reconnaissance du besoin des entreprises. Le besoin étant établi et admissible, il faut -‐ selon nous -‐ émettre l'hypothèse qu'il appartient de surcroît au Principe de la liberté du commerce et de l'industrie et qu'il relève de la lucidité. La lucidité boursière : En matière boursière, il faut être lucide : l'attractivité de la Place de Paris en dépend. Clairement, l'A.M.F le sait. " Les évolutions mondiales ne sont pas moins importantes, d'autant qu'elles sont fortement influencées par les choix adoptés aux Etats-‐Unis et que la vie de nos marchés est particulièrement sensible à ces choix ". Revue mensuelle de l'A.M.F – N° 12 – Mars 2005 – Page 4. Déclaration de M. Gérard RAMEIX, Secrétaire Général de l'A.M.F lors de la 5ème journée d'information des RCSI / Déontologues.
124
Dans le contexte rapporté ci-‐dessus, il nous apparaît que le risque de sédimentation des différentes normes applicables est avéré tant par la multiplicité des sources de droit que par le calendrier de travail non homogène des hautes Instances considérées. A.M.F ; C.N.I.L ; Jurisprudences commerciales ; Jurisprudences liées au droit du travail ; Commission bancaire ( TRACFIN ) ; Projet de textes européens ; Haut-‐Conseil du Commissariat aux Comptes ( H3C ) ; etc. La charte éthique à usage interne et but financier externe : Pour des motifs de sécurisation de ses actifs ( lutte contre le pillage des process de production, risque d'abus de biens sociaux en complicité avec des salariés indélicats au sein des cellules comptables, etc ), les entreprises vont très vraisemblablement recourir fréquemment à l'énonçé de chartes éthiques à usage interne. De type managérial comme celle d'ALCAN, par exemple. Nous estimons que cette tendance concernera ( affectera ? ) bien des sociétés et que d'ici un délai de 3 ans, nombre de P.M.E non cotées y auront recours. Au demeurant, il est probable que ces chartes éthiques seront utilisées à des fins commerciales un peu à l'image des certifications ISO qui " rassurent " le donneur d'ordres dans un contexte où la sous-‐traitance continue de progresser parallèlement aux techniques d'externalisation dont les grands Groupes sont actuellement friands. Bien entendu, compte-‐tenu de l'importance pour ces Groupes de la communication financière ( imposée par les Autorités de régulation boursière ou par la quête d'attractivité : road-‐shows ), ces chartes éthiques auront une fonction, un but financier externe. Là encore, l'accord de place raisonne autour de l'idée que ceci ne visera que les firmes cotées. Qui peut – être certain qu'un banquier -‐ sous un délai indéterminé -‐ ne conditionnera pas certains de ses soutiens à l'existence opérationnelle d'une charte éthique dans une " belle " P.M.E à capital fermé ? Précisément ces P.M.E où un comité d'audit à majorité " familiale " ne paraitra pas suffisant en termes de transparence financière… Souvenons du temps pas si lointain où un prêt bancaire pouvait être conditionné au passage de S.A.R.L en S.A afin que l'entité soit dotée d'un CAC. La charte éthique de plein exercice : La charte éthique de plein exercice est celle qui est composée de quatre dimensions distinctes :
125
Charte à usage interne de type managérial ; Charte à but financier ( voire commercial ) externe ; Charte à usage interne de type patrimonial ; Charte à usage externe complet. Les deux premiers types de chartes ont fait l'objet de l'expression de notre opinion : elles concernent un volume beaucoup plus important que projeté de la population active. D'autant que les Top-‐executive managers ( déjà décrits par J K GALBRAITH ) auront beau jeu d'organiser des délégations de pouvoirs : voir ALCAN et le code destiné aux " dirigeants financiers supérieurs ". Le troisième type de charte, de type patrimonial, reçoit des degrés d'application variés. Or, il convient de garder à l'esprit que la société ENRON était parfaitement outillée, y compris en matière d'audit interne et de transparence vis à vis des actionnaires. L'outillage de façade ne garantit donc pas la réalité des finalités. Pour être plus explicite, le dispositif juridique formel ne garantira jamais une propension des responsables à le fraiser, à le polir jusqu'à ce qu'il soit pleinement ajusté à leurs hiérarchies des priorités, fûssent-‐elles inavouables et incompatibles avec la continuité d'exploitation de la firme. La charte de type patrimonial sera celle qui garantira, par exemple, la loyauté des managers dans leur négociations avec les banques dans une société comme EUROTUNNEL. Ainsi, si l'on cherche l'efficacité, il faudra bien envisager des rapports spécifiques circonstanciés du comité d'audit à l'Assemblée générale. Quid du reporting fait sur la base du " whistleblowing " ? S'agissant du dernier type de charte éthique, il s'agira de celui qui sera à usage externe complet. Autrement dit, celui qui permettra à tout salarié de signaler un process déviant ( volet interne ) et d'informer des tiers à la Société ( volet externe ) tels que des Autorités administratives indépendantes ou des Administrations. Sur ce sujet, il convient de se rapporter à la lecture de la Charte WAVECOM reproduite en page 64 du Rapport ELIET / Cercle Ethique des Affaires. " Bien que WAVECOM soit dotée d'organes internes propres à assurer le respect des principes énoncés dans le présent Code, rien dans ce code n'interdit à un
126
collaborateur de reporter à toute autorité extérieure toute violation d'une loi ou d'un règlement …/… ". Gageons que les entreprises et leurs Conseils d'administration inscriront leur charte au sein de notre esquisse de typologie. Le souci de transparence étant à géométrie variable tel un curseur plaçé entre des mains expertes. ( Asymétrie d'information ). Gageons surtout que le dernier type de charte sera peut-‐être affiché mais qu'il sera de portée limitée par un système d'auto-‐censure du salarié ou par sa crainte de mise en responsabilité personnelle à l'issue de l'enquête. Au demeurant, gardons à l'esprit la rédaction de l'article L 225 – 240 du Code de Commerce qui énonçe qu'en cas de révélation de faits délictueux par le commissaire aux comptes au procureur de la République, ceci se fait " sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation ". Le Législateur de 1966 n'a jamais été démenti dans cette rédaction opportune. On ne saurait tabler sur son existence ( au bénéfice du salarié auteur du signalement ) dans les chartes éthiques à quelques rares exceptions près toujours intellectuellement concevables. La multiplicité des parties prenantes risque d'altérer la lucidité requise : Semblables à des brochures d'agences de voyages vantant des destinations lointaines, certaines chartes éthiques -‐ éditées à grands frais -‐ ne sauraient être neutres au plan des relations sociales. " Au contrat, le salarié met à la disposition de l'employeur sa force de travail, mais non sa personne ". Cette phrase du Professeur Jean RIVERO ( " Les libertés publiques dans l'entreprise ", Droit social 1982, page 423 ) nous semble fixer le cap. Est-‐on certain que sa philosophie sous-‐jaçente soit unanimement présente à l'esprit des parties prenantes ? Est-‐on certain que les Directions financières soucieuses de lever des capitaux sur la place de New-‐York aient à l'esprit les dispositions de l'article L 120 – 2 du Code du Travail que je ne me lasse pas de relire : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ". Les divergences d'intérêts et de formation originelle des acteurs en présence ne manquera pas d'altérer leurs capacités de lucidité et les conditions matérielles du " whistleblowing ".
127
En effet, prenons l'hypothèse d'un fait contestable signalé par un collaborateur à son employeur : il y aura -‐ éventuellement -‐ une course poursuite entre des délais normaux d'enquête interne et la vitesse à laquelle des procédures répréhensibles peuvent être effacées ou minorées au point de devenir " non signifiantes " pour reprendre un terme d'audit légal reconnu dans l'exercice de la profession de commissaire aux comptes. Ainsi, le process du signalement doit être dans une unité de temps compatible avec le risque de destruction de preuves : risque d'autant plus avéré qu'il a été admis que le " mis en cause " par un signalement devait lui aussi être prévenu dans des délais brefs et raisonnables. ( Article 39 et droit d'accès direct ). Les chartes éthiques et le droit de la preuve : Nous avons évoqué la course poursuite, -‐ à l'ère des réseaux informatiques -‐ entre le signalement initial et le risque de destruction de preuves. Ce risque est d'autant plus net que la Loi de 1978 donne, de facto, des droits à la personne mise en cause qui peuvent avoir un effet boomerang sur la recherche de véracité. L'article 39, I. 1° : droit d'obtenir " confirmation que des données à caractère personnel la concernant font ou ne font pas l'objet de ce traitement ; " . L'article 39, I. 2° : droit d'obtenir " des informations relatives aux finalités du traitement, aux catégories de données à caractère personnel traitées et aux destinataires ou aux catégories de destinataires auxquels les données sont communiquées ; ". Le caractère trompeur du mot " alerte " : Pour avoir été confronté, à plusieurs reprises, à des confusions entre la notion de droit d'alerte dévolu au Comité d'entreprise et / ou au C.H.S.C.T ( en vertu de deux articles distincts du Code du travail ) et la procédure d'alerte imposée par les Textes au commissaire aux comptes en cas de risque affectant la continuité d'exploitation de l'entité, nous pensons qu'il est regrettable et très préjudiciable de recourir au mot " alerte " en guise de traduction du " whistleblowing ". A l'inverse, le milieu industriel exploite depuis longtemps le terme de signalement : l'importance de ce dernier selon une échelle de risques généralement pré-‐définie permettant -‐ selon les établissements -‐ le droit de retrait pour machines dangereuses ( Article L 231 – 8 ). De même, le milieu ferroviaire R.A.T.P, S.N.C.F est parfaitement familier du terme de " signalement ". Suivant -‐ là encore des indices croissants de gravité -‐ le signalement a tel ou tel type de répercussion.
128
Enfin, il ressort de la lecture de l'article L 231 – 8 du Code du Travail que le verbe " signaler " est utilisé et que la rédaction de cet article nous semble, finalement, intellectuellement transposable à la problématique que tente de cerner la présente contribution. Rappel de l'article considéré en son seul paragraphe UN : " Le salarié signale immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection ". Le pseudo-‐débat sur l'anonymat de l'alerte : On peut soutenir que la notion d'anonymat n'est nullement défini en droit français. On doit aussi soutenir que la France a connu le temps de la délation comme l'a souvent dénonçé l'ancien Sénateur Michel CHARASSE désormais membre du Conseil Constitutionnel. On peut cependant garder à l'esprit l'existence de l'article L 341 – 1 du Code civil relatif à l'accouchement " sous X " : " Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ". La référence à cet article permet de recourir à une notion – clef : celle de l'intérêt légitime. Si le Législateur a souhaité autoriser l'anonymat de la mère, c'est dans une quête d'intérêt légitime. Quant à la Loi de 1978, elle énonçe en son article 7 qu'un traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ( Nota : donc de tout salarié par le biais de son contrat de travail ? ) ou satisfaire à l'une des conditions suivantes : " N° 5 La réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée ". S'agissant de cette condition, nous estimons qu'elle renvoie -‐ du fait de la fin de sa rédaction -‐ à la notion de respect des droits de l'homme. Terme essentiel puisqu'il figure dans : la troisième phrase de l'article 1 de la Loi de 1978 ; la première phrase du Préambule de la Constitution du 4 Octobre 1958 ; la deuxième phrase du Préambule de la Constitution du 27 Octobre 1946.
129
A l'opposé, il convient de se rappeler que les dispositions de l'article L 226 – 10 du Code Pénal relatifs à la dénonciation calomnieuse trouveraient une stricte application. Pour notre part, et après nos recherches, nous estimons que le texte fondateur explicite est l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ". Autrement dit, le signalement fondé sur l'anonymat serait d'essence inconstitutionnelle puisqu'il ne permettrait pas d'engager des poursuites en cas d'abus de cette liberté, par exemple en cas établi de dénonciation calomnieuse mais alors dépourvu d'auteur. Ayant eu l'honneur de réfléchir avec le regretté Maître Olivier DEBOUZY en 2005 sur ce sujet ( voir Wikipédia : " lançeur d'alerte ", en section 3 ), il nous faut conclure par une conviction et une certitude. En l'état actuel de l'encadrement législatif et règlementaire du sujet traité ici, nous sommes convaincus qu'une QPC ( Question prioritaire de constitutionnalité : Article 61-‐1 de la Constitution du 4 Octobre 1958 ) viendra se greffer sur l'objet de cette contribution. Nous avons la certitude que les débats seront alors vifs au sein de la Puissance publique ( Bercy vs. C.N.I.L notamment, et C.N.I.L vs. Cour de Cassation ) et que les réflexions judiciaires seront complexes à mener. Qui dira le droit ? Le Conseil constitutionnel dûment saisi ou la Cour de Cassation ? L'historien Stanley HOFFMANN a démontré dans ses " Essais sur la France " notre tendance à la complexité. Cela aussi, il faudrait que le citoyen le chiffre.... D'autant que l'article 71-‐1 de la Constitution pourrait être concomitamment sollicité. Juridiquement tant la lettre que l'esprit de l'article précité donne une clef de compétences au Défenseur des droits. Même les non-‐juristes ( qui auront résisté à la lecture de cette contribution ) ont compris : un jour, un avocat connu et réputé ou anonyme et consciencieux, va utiliser la Constitution dans cette question des lignes d'alerte professionnelle. Cela sera complexe et suivi par l'opinion qui craint, si vous me permettez le terme, le flicage au bureau. Il faudra une décision juste et consensuelle. Or tout magistrat sait que cet exercice est subtil. " Le caractère de l'esprit juste, c'est d'éviter l'erreur en évitant de porter des jugements " CONDILLAC ( in L'art d'écrire ). Comme aurait dit le Général de Gaulle, fort inspirateur de notre Texte suprême : " vaste programme ! ".
130
End.