L.J.SMITH

JOURNAL

D’UN

VAMPIRE

Tome-4

LeRoyaumedesombres

Traduitdel’anglais(États-Unis)

MaudDesurvire

hachette

Illustrationdecouverture:©CarrieSchechter

L’éditionoriginaledecetouvrageaparuenlangueanglaise

chezHarperTeen,

animprintofHarperCollinsPublishers,sousletitre:

TheVampireDiaries:TheReturn:ShadowSouls

©2010byL.J.SmithandAlloyEntertainment

©HachetteLivre,2010,pourlatraductionfrançaise.

HachetteLivre,43quaideGrenelle,75015Paris.

ISBN:978-2-012-02210-2

ÀElizabethHarding,monmerveilleuxagent

littéraire.

PrologueCherJournal…,chuchotaElena.Jet’aioublié

danslecoffredelaJaguaretilestdeuxheuresdu

matin.Situsavaiscommec’estfrustrant!Elle

plantaledoigtsursacuissecommesielleponctuait

unephrase.Puis,baissantencoreunpeulavoix,elle

posalefrontcontrelavitre.J’aipeurdesortirdans

lenoirpourallertechercher.Vraimentpeur,tu

comprends?Leslarmesauxyeux,elleallumaà

contrecœur

son

téléphone

portable

pour

s’enregistrer.Elleallaitgaspillerbêtementdela

batteriemaisc’étaitplusfortqu’elle,elleenavait

besoin.

Alors,voilà,murmura-t-elle,jesuissurla

banquettearrièredelavoitureet…disonsque

cettevidéoferaofficedenotesdujour.Aufait,on

aétabliunerèglepourlevoyage:jedorsdansla

Jag,etMattetDamonàlabelleétoile.Aumoment

oùjeparle,ilfaittellementnoirdehorsquejene

voismêmepasMatt…Toutecettehistoiremerend

dingue,jepleuresansarrêt,jemesensperdue,si

seulesansStefan…

Ilfautqu’onsedébarrassedelaJaguar;elle

esttropgrosse,troprouge,tropvoyante,et

surtouttropreconnaissablealorsqu’onessaiede

retrouverincognitol’endroitoùestemprisonné

Stefan.Quandonl’aurarevendue,labagueetle

pendentifenlapis-lazulietdiamantqu’ilm’a

offerts,laveilledesadisparition,serontcequ’ilme

restedeplusprécieux.Mauditedisparition…tout

çaparcequ’onluiafaitcroirequ’ilpourrait

devenirunêtrehumaincommelesautres…

Commentnepaspenseràcequ’ilsluifont

peut-êtresubirencemoment,danscetteprison,ce

ShinoShi?Etd’ailleurs,c’estqui«ils»?Des

kitsunesansdoute,cesespritsmaléfiquesquiont

l’apparencederenards.

Maiscommentj’aifaitpourenarriverlà?

Secouantlatête,elletapadupoingsurlabanquette.

Sijelesavais,jepourraischercherune

solution.TrouverleplanA,çameconnaît,etmes

amisonttoujoursunplanBouCpourm’aider.Elle

plissalesyeuxenpensantàBonnieetMeredith.

Maisaujourd’hui,j’aipeurdeneplusjamaisles

revoir.EtjecrainslepirepourFell’sChurch.

Pendantquelquessecondes,ellegardalepoing

serrésursongenou,écoutantsapetitevoix

intérieure:Arrêtedetelamenter,Elena,et

réfléchis.Réfléchisbien.Enreprenantdepuisle

début.

Ledébut?Maisc’étaitquoi,ledébut?Stefan?

Non,elleavaitvécuàFell’sChurchbienavant

l’arrivéedeStefan.

Lentement,d’untonpresquerêveur,ellesemit

àparlerdanslemicroduportable:Pour

commencer:quisuis-je?ElenaGilbert,dix-huit

ans.Encorepluslentement,elleajouta:Je…jene

croispasquecesoitprétentieuxdedirequejesuis

jolie.Pourl’ignorer,ilfaudraitquejenemesois

jamaisvuedansuneglaceouqu’onnem’aitjamais

faituncompliment.Iln’yapasdequoiêtrefière;

c’estjustequelquechosequemesparentsm’ont

transmis.

Dequoij’ail’air?J’ailescheveuxblonds,mi-

longsetunpeuondulés,etdesyeuxbleusqu’on

compareparfoisàdulapis-lazuli:bleufoncé

tachetéd’or.Elleeutunrireàmoitiéétranglé.C’est

peut-êtrepourçaquelesvampiresm’aimentbien!

Puissonsouriresedurcitet,leregardplongé

dansl’obscuritécomplètequil’entourait,ellereprit

sérieusement.

Beaucoupdegarçonsontditquej’étaisun

ange,lafillelaplusdoucedumonde.Etjelesaifait

marcher.Jelesaiutiliséspourmerendre

populaire,pourm’amuser.Bon,OK,soyons

franche:jelesconsidéraiscommedesjouets,des

trophées.Ellemarquaunepause.Maisj’attendais

autrechose.J’aitoujourseucesentiment,sans

vraimentsavoirdequoiils’agissait;l’impression

dechercherquelquechosequejenetrouveraisde

toutefaçonjamaischezungarçon.J’avaisbeaules

manipuleroujoueraveceux,jamaisçaneme

touchaitauplusprofond…jusqu’àcequ’ungarçon

trèsspécialarrive.Elles’arrêta,lagorgeserrée,et

répéta:vraimentspécial.

Ils’appelaitStefan.

Etils’estrévélénepasêtreceluiqu’oncroyait,

àsavoirunsimpleélèvedeterminale,simplemais

craquant,auxcheveuxbrunsébouriffésetaux

yeuxaussivertsquedesémeraudes.

StefanSalvatoreétaitenfaitunvampire.

Unvraivampire.

Elenadutfaireunepauseetinspirerunbon

couppourpouvoirarticulerlesmotssuivants:Tout

commel’étaitsonsuperbefrèreaîné,Damon.

Ellesemorditlalèvreetuneéternitésembla

s’écouleravantqu’ellepoursuive:Aurais-jeaimé

Stefansij’avaissudepuisledébutquec’étaitun

vampire?Ohqueoui!Millefoisoui.Jeserais

tombéeamoureusequoiqu’ilarrive!Maisçaa

tout

changé,

à

commencer

par

moi.

Machinalement,sondoigtsuivitlatraced’unmotif

sursachemisedenuit.Voussavez,lesvampiresse

prouventleuramourenéchangeantleursang.Et

leproblème,c’estque…jel’aiaussifaitavec

Damon.Pasvraimentparchoixmaisparcequ’il

meharcelaitsanscesse,jouretnuit.

Ellepoussaunsoupir.Damonditvouloirfaire

demoisaprincessedesténèbres,traduisez:ilme

veutpourluitoutseul.Maisjenemesuisjamais

fiéeàlui,àmoinsqu’ilnem’aitauparavantdonné

saparolecarillatienttoujours…

Unsourirebizarrecrispaseslèvresmaiselle

parlaitcalmementàprésent,avecfacilité,sansplus

vraimentfaireattentionautéléphone.

Unefillequifréquentedeuxvampires…au

final,çaengendreforcémentdesproblèmes,non?

Alorsj’aipeut-êtreméritécequim’estarrivé.

Jesuismorte.

Passimplement«morte»commequandvotre

cœurcessedebattrequelquessecondesavant

qu’onvousréanime,etàvotreréveilvousracontez

quevousavezvulafameuse«lumière».

Non.Moi,jesuiscarrémentpasséedel’autre

côtédecettelumière.

Jesuisréellementmorte.

Etquandjesuisrevenue:surprise,j’étaisun

vampire!

Onpeutdire,jecrois,queDamonétait…gentil

avecmoi,lapremièrefoisquejemesuisréveillée

danslapeaud’unvampire.C’estsansdoutepour

cetteraisonquej’aitoujoursétéattachéeàlui.Il

auraittrèsbienpuprofiterdemoi,maisilnel’apas

fait.

Celadit,jen’aipaseuletempsdefairegrand-

chosedurantmonexistencedevampire,hormis

m’occuperdeStefanetl’aimerplusquejamais,car

àl’époquej’aivécuconcrètementtoutcequ’il

subissait.Etpuisj’aieul’occasiond’assisteràmon

propreenterrement.Ah!Toutlemondedevrait

pouvoirvivreça!J’aiapprisàtoujoursporterdu

lapis-lazuli,pournepasfinirenvampirecarbonisé.

J’aiditadieuàMargaret,mapetitesœurdequatre

ans,jesuispasséevoirBonnieetMeredith…

Presqueimperceptiblement,deslarmesse

mirentàglisserlelongdesesjoues.MaisElena

restacalme.

Ensuite,jesuismorteunedeuxièmefois.

Jesuismortedelafaçondontlesvampires

meurentquandilsneportentpasdelapis-lazulià

lalumièredujour.Jenemesuispasdésagrégée;

jen’avaisquedix-septans.Maislesoleilm’aquand

mêmeempoisonnée.Cefutpresqueunemort…

paisible.C’estlàquej’aifaitpromettreàStefande

veillersurDamon,pourl’éternité.Etjecrois

qu’intérieurementDamonajuréd’enfaireautant.

C’estcommeçaquejesuismorte,danslesbrasde

StefanavecDamonàmescôtés,tandisquejeme

laissaisemporter,commegagnéeparlesommeil.

Après,j’aifaitdesrêvesdontjenemesouviens

pas,ettoutàcoup,unbeaumatin,j’aisurpristout

lemondeenmeservantdemapauvreBonnie,qui

a

d’incroyables

dons

de

médium,

pour

communiqueraveceux.Jesupposequej’avais

décrochélejobd’angegardiendeFell’sChurch.Un

dangermenaçaitlaville.Ilsontdûlecombattreet,

sansquejesachecomment,quandleurdéfaitea

étéannoncée,onm’arenvoyéeenrenfortdansle

mondedesvivants.Ensuite…ehbien,onagagnéla

batailleetjemesuisretrouvéeaveccesétranges

pouvoirsquejenemaîtrisepasdutout.Mais

Stefanétaitlàaussi!Onétaitdenouveau

ensemble!

Elenas’enveloppadesesbras,commesielle

serraitStefancontreelle,imaginantlachaleurde

soncorpscontrelesien.Fermantlesyeux,ellese

mitàrespirerpluslentement.

Justement,mespouvoirs,parlons-en.Ilyala

télépathie,quimarcheuniquementsil’autre

personneestmédium,cequiestlecasdetousles

vampires,maisàdifférentsdegrés,enparticulier

lorsd’unéchangedesangavecl’und’eux.Etpuisil

yamesAiles.

Cenesontpasdeshistoires:j’aivraimentdes

Ailes!Ellesontdespouvoirsincroyables;leseul

problème,c’estquejenesaisabsolumentpasm’en

servir.Certainessefontsentir,parfois,exactement

commemaintenant:ellestententdesedéployer,

demettremoncorpsdanslabonneposition,etleur

nomessaiedeseformersurmeslèvres.Cesontles

AilesdelaProtectionet,àmonavis,ilsepourrait

bienqu’onenaitbesoinaucoursdecevoyage.

Maisjenesaismêmepluscommentjefaisais

avant,aveclesanciennesAiles,etjecomprends

encoremoinscommentmeservirdesnouvelles.Je

lesinvoquependantdesheures,jusqu’àcequeje

mesenteridicule…maisilnesepasseriendutout.

Jesuisdoncredevenuehumaine…autantque

Bonnie.Qu’est-cequejenedonneraispaspourque

Meredithetellesoientlà!Maisjemedistoutle

tempsque,àchaqueminutequis’écoule,jeme

rapprochedeStefan;dumoins,sionnetientpas

comptedufaitqueDamonnousfaitcourirdans

touslessenspoursemerquiconquetentedenous

fairedumal.

Vousvousdemandezpeut-êtrepourquoi

quelqu’unenauraitaprèsnous?Ehbien,ilfaut

savoirque,quandjesuisrevenuedel’Au-delà,ilya

euuneterribleexplosiondepouvoir,quetousles

êtresaumondecapablesdedétecterontperçue.

Maintenant,commentexpliquerlepouvoiren

question?C’estuneforcequetoutlemonde

possèdemaisdontleshumains–exceptélesvrais

médiumscommeBonnie–n’ontpasconscience.

Lesvampiresl’ont,c’estsûr,etilss’enserventpour

influencerleshumainsàleurguiseoupour

déformerlaréalité;tiens,commelafoisoùStefan

apoussélasecrétairechargéedesinscriptionsà

croirequesondossierde«transfert»aulycéede

RobertE.Leeétaitcomplet.Oubienilss’enservent

pouranéantird’autresvampires,descréaturesdes

ténèbres…oudeshumains.

Maisrevenons-enàlafameuseexplosionde

pouvoirquandj’airedébarquésurTerre.Elleaété

sipuissantequ’elleaattirédeuxhorriblescréatures

venantdel’autrecôtédelaplanète.Lephénomène

lesaintriguées,etellesontcherchéunmoyende

s’appropriercetteforce.

Quandjeparledel’autrecôtédelaplanète,ça

nonpluscen’estpasuneblague.C’étaientdes

kitsune,desespritsmaléfiquesayantl’apparence

derenards,quiviennentduJapon.C’estunpeu

commenosloups-garousenOccident,maisilssont

beaucouppluspuissants.Àtelpointqu’ilsont

utilisédesmalachs,devéritablescomplicesqui

ressemblentpourtantàdesimplesinsectes,tantôt

pasplusgrosqu’unetêted’épingle,tantôtassez

énormespourvousengloutirlebras.Cesmalachs

sefixentàvosnerfs,gangrènenttoutvotre

systèmenerveuxetfinissentparprendrele

contrôledevotrepersonne,del’intérieur.

Elenas’étaitmiseàfrissonneretsavoixétait

maintenantplusétouffée:

Damonenafaitlesfrais.Ilaétécontaminé

parunedecesbestioles,quis’estensuiteemparée

desonespritpourenfaireunpantindeShinichi.

J’aioubliédepréciserqueleskitsunes’appellent

ShinichietMisao.Misao,c’estlafille.Ilsonttous

lesdeuxlescheveuxnoirscommedel’encreavec

despointesrouges,maisceuxdeMisaosontplus

longs.Etilssontsoi-disantfrèreetsœur,même

s’ilsn’ontpasdutoutlecomportementapproprié.

UnefoisqueDamonaététotalementpossédé,

Shinichil’aincitéàcommettredesactes…

horribles.Ill’apousséànoustorturer,Mattetmoi,

etaujourd’huiencorejesaisqueMattaparfois

enviedesevengeretdeluifairelapeau.Mais,s’il

avaitvucequej’aivu,cedeuxièmecorpstout

blancettoutflasquequej’aidûarracherdubout

desonglesdelacolonnevertébraledeDamon,

Mattcomprendraitmieux.Jenepeuxpasen

vouloiràDamondecequeShinichil’aforcéàfaire.

Jenepeuxpas.Vousn’imaginezpasàquelpoint

Damonétait…différent.Ilétaitdétruit.Enlarmes.

Etmême…

Enfin,bref.Jenem’attendspasàlerevoirun

jourdanscetétat.Maissijamaisjerécupèreles

pouvoirsdemesAiles,Shinichiauradesérieux

ennuis.

Carvoussavez,jepensequec’estçal’erreur

qu’onacommise,ladernièrefois:quandonétait

enfinenpositiondeforcecontreShinichietMisao,

onnelesapastués.Parexcèsdeprincipesoude

bonté,jenesaispas.

Grossièreerreur.

CarDamonn’apasétéleseulàêtrepossédé

parlesmalachsdeShinichi.Ilyaeudesfillestrès

jeunes,quinze,quatorzeansetmêmemoins.Et

certainsgarçons,aussi.Ilssontdevenus…dingues.

Ilssesontfaitdumaletilsenontfaitàleurs

familles.Onavaitdéjàconcluunmarchéavec

Shinichiquandonadécouvertlagravitédela

situation.

C’estpeut-êtreplutôtunexcèsdevice,enfait,

quinousafaitpassercepacteaveclediable.En

mêmetemps,ilsavaientkidnappéStefan!Et

Damon,quiétaitdéjàpossédéàcemoment-là,les

avaitaidés.Quandilaretrouvésesesprits,ila

voulucoûtequecoûtequeShinichietMisaonous

disentoùsetrouvaitStefan,puisqu’ilsquittent

définitivementFell’sChurch.

Enéchange,ilalaisséShinichipénétrersa

mémoire.

Silesvampiressontobsédésparlepouvoir,les

kitsune,eux,sontobsédésparlessouvenirs.Et

ShinichivoulaitceuxdeDamon,lesplusrécents,en

particulierlemomentoùilétaitsoussonemprise

etnousatorturés…etceluioùmesAilesluiontfait

prendreconsciencedesactesqu’ilavaitcommis.Je

croisqu’aufond,Damonvoulaitoublier,autantce

qu’ilavaitfaitquelafaçondontilavaitchangé

quandilavaitdûserendreàl’évidence.Alorsila

laisséShinichiluiprendrecessouvenirs,en

échangedequoi,cedernierluiaindiquéoùse

trouvaitStefan.

Leproblème,c’estque,quandilajurédepartir

deFell’sChurch,onl’acrusurparole…alorsquela

paroledeShinichinevautrien.

Enplus,depuiscejour,ilsesertducanal

télépathiquequ’ilaouvertentresonespritetcelui

deDamonpourluivolerdeplusenplusde

souvenirsàsoninsu.

C’estarrivépasplustardqu’hiersoir,quandon

s’estfaitarrêterparunpolicierquivoulaitsavoir

cequetroisadolescentsfabriquaientdansune

voiturehorsdeprixàcetteheuredelanuit.

Damonl’amanipuléetfaitpartir.Mais,àpeine

deuxheuresplustard,ilavaitcomplètementoublié

l’incident.

Çaluifaitpeur.EtquandDamonapeur,même

s’ilnel’avouerajamais,moijesuismortede

trouille.

Aufait,aucasoùvousaimeriezsavoirceque

faisaientcestroisadosaumilieudenullepart

(danslecomtéd’Union,Tennessee,d’aprèsle

dernierpanneauquej’aivu),oncherchaitune

«Porte»pouraccéderauroyaumedesOmbres,

lieuoùShinichietMisaoontabandonnéStefan.

Shinichiasimplementrentrécetteinformation

dansl’espritdeDamon,etjen’arrivepasàlefaire

parlerpoursavoirdequelgenred’endroitils’agit.

Maisc’estlàquesetrouveStefanetjeme

débrouilleraipourleretrouver,mêmesiçadoitme

coûterlavie.

Etmêmesijedoisapprendreàôterlavie.

JenesuispluslagentillepetitefilledeVirginie

quej’étais.

Elenas’interrompitenpoussantunsoupir.Puis

ellerepritenserecroquevillantdavantage:

Quantàlaquestion:pourquoiMattestvenu

avecnous?Laréponseest:àcausedeCaroline

Forbes,monamied’enfance.L’andernier,quand

StefanestarrivéàFell’sChurch,onatoutesles

deuxétéattiréesparlui.MaisStefannevoulaitpas

deCaroline.Etparlasuiteelleestdevenuemapire

ennemie.

ParmitouteslesfillesdeFell’sChurch,Caroline

aaussiétél’heureuseélueàlaquelleShinichia

choisiderendrevisiteenpremier.Maissurtoutelle

aétélapetiteamiedeTylerSmallwoodunbon

moment,avantd’enêtrelavictime.J’ignore

combiendetempsilssontsortisensembleetoùse

trouveTyleraujourd’hui.Toutcequejesais,c’est

qu’aufinalCarolines’estcramponnéeàShinichi

carelleavait«besoind’unmari».Cesontses

propresmots.Donc,jeprésume…lamêmechose

queDamon,enfait:qu’ellevaavoirdespetits.

Voussavez,uneportéedeloups-garous,quelque

chosecommeça.CarTylerenestun.

D’aprèsDamon,mettreaumondeunloup-

garoudéclenchelatransformationencoreplusvite

qu’unemorsure.Àuncertainmomentdela

grossesse,vousavezlepouvoirdedevenir100%

créatureou100%humaine,mais,avantcestade,

c’estunpeun’importequoi.

Cequiesttristec’estque,lorsqueCarolinea

laissééchapperl’info,Shinichiaàpeinerelevé.

Seulement,avantça,elleétaittellement

désespéréequ’elleaaccuséMattdel’avoir

agresséeaucoursd’unrendez-vousquiauraitmal

tourné.Ellesavaitforcémentquelquechosedes

projetsdeShinichi,puisqu’elleaprétenduquece

rendez-vousavaiteulieupilelesoiroùMattaété

attaquéparundesmalachsavaleurs-de-bras,qui

luialaissédesmarquessemblablesàdesgriffures

d’ongles.

Bienentendu,Matts’estviteretrouvéavecla

policesurledos.Voilàpourquoi,enrésumé,jel’ai

faitvenir.LepèredeCarolineestunedesfiguresde

Fell’sChurch,sanscompterqu’ilestamiavecle

représentantduministèrepublicducomtéde

Ridgemont,etqu’ildirigeundecescerclesoùles

hommeséchangentpoignéesdemainsecrèteset

autrescachotteriesquifontdevousquelqu’unde

«trèsenvuedanslacommunauté»,vousvoyezle

genre?

Sijen’avaispasconvaincuMattdefuiraulieu

defairefaceauxaccusationsdeCaroline,les

Forbes

l’auraient

lynché.

Je

bouillonne

intérieurement,passeulementparcequejesuisen

colèreettristepourMatt,maisaussiparcequej’ai

lesentimentqueCarolineatrahitouteslesfillesde

laplanète.Carlamajoritéd’entreellesnesontpas

desmenteusespathologiquesetn’iraientpas

inventeruntrucpareilpourfaireaccuseràtortun

garçon.Enagissantainsi,elleafaitlahontede

touteslesfilles.

Elenas’arrêtaenexaminantsesmains.

Parfois,quandjesuisénervéecontreCaroline,

lestassestremblentoulescrayonsdégringolentde

latable.Damonditquec’estàcausedemonaura,

demaforcevitalequiachangédepuismonretour

del’Au-delà.Elledonneuneforceincroyableàceux

quiboiventmonsang.

Stefanétaittellementfortqu’ilneseserait

jamaisfaitavoirparcesmauditsrenardssiDamon

nel’avaitpaspiégédèsledépart.Ilsontdû

attendrequ’ilsoitvulnérableetentourédeferpour

s’enprendreàlui.Lefer,c’estmauvaispour

n’importequellecréaturesurnaturelle,sans

compterquelesvampiresdoiventsenourrirune

foisparjoursinonilss’affaiblissent,etjeparie,non

jesuissûre,qu’ilss’ensontserviscontrelui.

C’estpourçaquejenesupportepasd’imaginer

dansquelétatestStefan.Maisjenepeuxpas

laisserlapeuroulacolèrem’envahir,sinonje

perdrailecontrôledemonaura.Damonm’a

montrédequellefaçonladissimulerenpartie,

commeunefilleordinaire.Ellerestejolie,couleur

orblanc,sanspourautantêtreunebalise

lumineusepourlescréatures,notammentles

vampires.

Carmonsang,peut-êtremêmesimplement

monaura,aunautrepouvoir.Ilpeut…bon,je

peuxvraimenttoutdireici,n’est-cepas?Ehbien,

désormais,monauraprovoqueledésirchezles

vampires,commechezn’importequelgarçon.Pas

justeledésirdememordre,vousmesuivez?Mais

celuidem’embrasserettoutlereste.Donc,

naturellement,s’ilsladétectent,ilsselancentàma

recherche.C’estcommesilemondeétaitpeuplé

d’abeillesetquej’étaislaseulefleur.

Alorsjedoism’entraîneràmasquermonaura.

Siellesevoitàpeine,jepeuxpasserpourunêtre

humainordinaireetnonpourunerevenante.Mais

c’estdurdetoujourspenseràlacacher,etçafait

horriblementmaldeladissimulerd’unseulcoup

quandj’aioubliédelefaire!

C’estlàquejeressens…cequejevaisdireest

archipersonnel,d’accord?Damon,sijamaistu

visionnescettevidéo,jetemaudis.C’estlàquej’ai

enviequeStefanmemorde.Çasoulagelapression

etçafaitdubien.Unemorsuredevampireest

douloureuseuniquementsionsedébatousile

vampirechercheàfairemal.Autrement,onsesent

bien,etpeuàpeulesdeuxespritsentrenten

communion…

Bonsang,cequeStefanmemanque!

Elenatremblait.Elleavaitbeauessayerdefaire

tairesonimagination,ellen’arrêtaitpasdepenserà

cequelesgeôliersdeStefanluifaisaientpeut-être

subir.Laminesombre,elleserraleportabledanssa

main,laissantdeslarmestombersurl’écran.

Jenedoispaspenseràça,sinonjevais

vraimentdevenirdingue.Unecingléetoute

tremblanteetfutilequin’aqu’uneenvie,hurler

sansjamaiss’arrêter.Jedoislutteràchaque

secondepournepasypenser.CarseuleuneElena

calmeetdétendue,avecdesplansA,BetC,

sauveraStefan.Quandilseraàl’abridansmes

bras,jepourraim’autoriseràtrembler,pleurer…et

mêmehurler.

Ellemarquaunepause,riantàmoitié,latête

appuyéecontreledossierdusiègepassageretla

voixrauqued’épuisement.

Jesuisfatiguée,àprésent.Maisaumoinsj’ai

monplanA.Ilfautquej’obtiennedavantage

d’informationsdeDamonsurl’endroitoùonva,le

RoyaumedesOmbres,etsurcequ’ilsaitdesdeux

indicesqueMisaom’adonnésausujetdelaclé

ouvrantlacelluledeStefan.

Je…jecroisquej’aioubliédeparlerdeça.

Cetteclé,laclédeskitsunedontonabesoinpour

libérerStefan,estcomposéededeuxmorceauxqui

sontcachésàdeuxendroitsdifférents.Mêmesi

Misaom’anarguéecarjenecomprenaispas

grand-choseàsesénigmes,ellem’aquandmême

donnédesindices.Elleétaitloind’imaginerqueje

merendraisauRoyaumedesOmbres;ellefrimait,

c’esttout.Enattendant,jem’ensouvienstrèsbien.

Ilsdisaientceci:lapremièremoitiésetrouve

«dansl’instrumentdurossignold’argent».Etla

secondeest«enfouiesouslasalledebalde

Blodwedd».

IlfautquejevoieavecDamonsiçaluiévoque

quelquechose.J’aicommel’impressionqu’unefois

qu’onaurapénétrédansleRoyaume,onvadevoir

s’infiltrerdansdesmaisonsetunpeupartout.Or,

pourfouillerunesalledebal,mieuxvautêtreinvité

àlafête,non?C’est«unpeuplusfacileàdirequ’à

faire»mais,quoiqu’ilencoûte,jeleferai,c’est

aussisimplequeça.

Ellerelevalatêteavecdétermination,puis

chuchota,immobile:Vousn’allezpasmecroire.Je

viensd’apercevoirlespremièreslueursdel’aube

dansleciel:vertclair,orangecrèmeetunbleu

incroyablementpâle…J’aiparlétoutelanuit!Tout

estsipaisible.Lesoleilcommencetimidementàse

leverderrièreles…

NomdeDieu,qu’est-cequec’était?Quelque

chosevientdes’écrasersurletoitdelaJag!Çaa

faitunboucanÉNORME.

Terrifiée,Elenaarrêtal’enregistrement.Ce

choc,etmaintenantcesfrottementsau-dessusdesa

tête…

Ilfallaitillicoqu’ellesortedelavoiture.

1.

ElenasortitdelaJaguarentrombeet,par

précaution,courutquelquesmètresavantdese

retournerpourvoircequiétaittombésurla

voiture.

C’étaitMatt.

Mattquitentaitpéniblementdeserelever.

—Matt,çava?Tut’esfaitmal?

Ilbafouilla,complètementpaniqué:

—Elena…oh,c’estpasvrai!LaJagn’arien?

—Maisqu’est-cequeturacontes?Tut’es

cognélatêteouquoi?

—Elleestéraflée?Letoitouvrant,ilmarche

encore?

—Iln’yapasd’érafluresetletoitvatrèsbien.

Elenavoyaitbienqu’ildéliraitcomplètement.Il

essayaitdedescendresanssalirlaJag;

l’inconvénient,c’estqu’ilavaitdelabouepleinles

pieds.Plutôtdifficilededescendredutoitd’une

voituresansseservirdesesjambes…

Ellejetaunœilautourd’elle.Unjour,illuiétait

arrivédetomberduciel(littéralement,oui),mais

elleétaitnueetmortedepuissixmois;Mattne

répondaitàaucundecescritères.Non,elleavait

uneexplicationplusréalisteentête.

D’ailleurs,l’explicationétaitdevantelle:

appuyéparesseusementcontreletroncd’un

virgilien,observantlascèneavecunpetitsourire

malicieux.

Damon.

Ilétaitmassif;pasaussigrandqueStefan,mais

l’indescriptibleaurademenacequ’ildégageait

compensaitlargement.Commetoujours,satenue

étaitimpeccable:jeanArmani,chemise,vesteen

cuiretbottes,letoutennoirpouralleravecses

cheveuxbrunsnégligemmentébouriffésparlevent

etsesyeuxdejais.

Envoyantsonregardsurelle,Elenaprit

pleinementconsciencedufaitqu’elleétaitrevêtue

delalonguechemisedenuitblanchequ’elleavait

emportéedansl’idéedepouvoir,sibesoinétait,se

changerfacilementendessouspendantqu’ils

campaient.Leproblème,c’estqued’habitudeelle

s’habillaitàl’aube;maisaujourd’hui,tenirson

journall’avaitdistraite.Cen’étaitpaslevêtement

idéalpoursedisputerdebonmatinavecDamon.Le

tissun’étaitpasparticulièrementfin,maisilavait

desdentelles,notammentàl’encolure.D’aprèsles

diresdeDamon,pourunvampire,unjolicou

enveloppédedentelleestcommeunecaperouge

agitéesouslenezd’untaureaudéchaîné.

Elenacroisalesbras.Pourplusdesûreté,elle

essayaaussidedissimulerconvenablementson

aura.

—TuressemblesàWendy,ditDamon.

Sonsourireétaitnonseulementmalicieux,mais

aussiéclatant,etincontestablementjovial.Ilpencha

latêted’unairenjôleur.

Elenarefusadeselaisseramadouer.

—Wendyqui?

Mais,aumêmeinstant,elleserappelalenom

delajeunefilledansPeterPanetgrimaça.Elleavait

toujoursétédouéepourcegenredejoutesverbales.

Malheureusement,Damonétaitmeilleurqu’elleàce

jeu.

—Darling,voyons…,répliqua-t-ild’unevoix

caressante.

Ellefrissonna.Damonavaitpromisdenepas

l’influencer,autrementditdenepasutiliserses

pouvoirs

télépathiques

pour

embrouiller

ou

manipulersonesprit.Mais,parfois,elleavait

l’impressionqu’ilserapprochaitdangereusement

deslimites.C’étaitlui,lefautif.Ellen’éprouvaitrien

pourlui;enfin,rienquedessentimentsfraternels.

MaisDamonnerenonçaitjamais,quelquesoitle

nombredefoisoùellelerepoussait.

Unbruitsourd,puisdepataugeage,sefit

entendrederrièreElena,signeindubitablequeMatt

étaitfinalementdescendudutoitdelaJag.Il

intervintaussitôt:

—Nel’appellepasdarling!cria-t-ilense

tournantversElena.JetepariequeWendyestle

nomdesadernièreconquête!Tusaiscequ’ila

fait?Commentilm’aréveillécematin?

Matttremblaitd’indignation.

—Ilt’aattrapéetbalancésurletoitdela

voiture?hasardaElena.

Elleréponditsansseretourner,préférant

garderunœilsurDamoncarunepetitebrise

matinaleavaittendanceàplaquersachemisede

nuitcontresescuisses.

—Non!enfin,si!Ouietnon,enfait.Maisilne

s’estmêmepasfatiguéàlefaireàmainsnues,tu

sais!Ilajustefaitça…

Mattagitalebras.

—…etjemesuisd’abordretrouvédansune

flaquedebouepuis,deuxsecondesaprès,surletoit

delaJag.J’auraispucasserletoit…oumecasser

unecôte!Et…maintenantjesuiscouvertdeboue!

Ils’examinad’unairdégoûté.

Damonintervint.

—Est-cequetupeuxpréciserpourquoij’aimis

unpeudedistanceentrenous?Qu’est-cequetu

faisais,toi,àcemoment-là?

LevisagedeMatts’embrasa.Sonregardbleu,

d’ordinaireserein,devintincendiaire.

—Jetenaisunbâton,dit-ild’untondéfiant.

—Tiensdonc.Unbâton.Dugenredeceux

qu’ontrouveparterre?C’estbiença?

—Oui,c’estça:jel’airamasséauborddela

route!

Mêmetondéfiant.

—Pourtant,ondiraitqu’illuiestarrivéundrôle

detrucàcebâton,non?

Soudain,dederrièresondos,Damonsortitun

longpieu,visiblementrobuste,dontuneextrémité

étaittrèspointue.Aucundoute:ceboutdebois

–duchêne,àpremièrevue–avaitététailléparla

maindel’homme.

Tandisqu’ill’examinaitsoustouslesangles

d’unairperplexe,ElenasetournaversMatt,quise

raclaitlagorge,malàl’aise.

—Matt!cria-t-elled’untondereproche.

C’étaitvraimentuncoupbasdanslaguerre

froidequiopposaitlesdeuxgarçons.

—Jepensaisqueceseraitplutôtunebonne

idée,vuquejedorsàlabelleétoile,s’obstina-t-il.

Unvampire…unautrequelui,pourraitsurgir.

Elenas’étaitdéjàretournée,essayantdecalmer

Damon,quandMattexplosadenouveau:

—Dis-luicommenttum’asréveillé!

IlnelaissapasàDamonletempsderépondre.

—Jevenaisd’ouvrirlesyeuxquandilalaissé

tomberçasurmoi!

Ilpataugeadanslabouejusqu’àElenaen

brandissantquelquechose.Étonnée,ellepritl’objet

qu’illuitendaitetleretournadansunsens,puis

dansl’autre.Onauraitditunboutdecrayonmais

décoloré,brunrougeâtre.

—Ilmel’alancéendisant«J’enaiplanté

deux»,ajoutaMatt.Ilsevantaitd’avoir…tuédeux

personnes!

Aussitôt,Elenavoulutlâcherlecrayon.

—Damon!cria-t-elle,cettefoisd’unton

angoissé,enessayantdedéchiffrersonvisage

inexpressif.Dis-moiquetun’aspas…

—Inutiledelesupplier,Elena.Tusaiscequ’on

vafaire…?

—Sionvoulaitbienmelaisserparler,lescoupa

Damoncalmement,jepréciseraisqu’avantquej’aie

euletempsdem’expliquerpourlecrayon,ona

essayédemepoignarderbienavantl’aube.Et

j’ajouteraisquece«on»n’étaitpasn’importequi,

maisdesvampires,desêtrespossédés,sansdoute

leshommesdemaindeShinichi.Ilssontsurnotre

piste.IlsnousontsuivisjusquedansleKentucky,

sûrementenquestionnantlesgensducoinsurla

voiture.Ilvavraimentfalloirqu’ons’endébarrasse.

—Pasquestion!protestaMatt,surla

défensive.Cettevoiture…c’esttoutunsymbole

entreStefanetElena.

—Unsymbolepourtoi,rectifiaDamon.Etjete

rappelleque,sij’aiabandonnémaFerraridansun

ruisseau,c’étaitpourpouvoirt’emmeneravecnous

danscettepetiteexpédition.

Elenalevalamainensignedetrêve.Ellene

voulaitpasenentendredavantage.C’estvrai,cette

voitureavaitunevaleursentimentaleàsesyeux.

Elleétaitimposante,rougevif,tape-à-l’œil,gaie:

symboledetoutcequ’ilsavaientressentilejouroù

Stefanlaluiavaitoffertepourfêterledébutdeleur

nouvellevieensemble.Rienqu’enlaregardant,elle

sesouvenaitdecettejournée,dupoidsdubrasde

Stefansursesépaulesetdelafaçondontilla

regardait:sesyeuxvertspétillaientdemaliceetde

joieàl’idéedeluifairececadeaudontelleavaittrès

envie.

Àlafoismalàl’aiseetfurieuse,elleconstata

qu’elletremblaitunpeuetqu’elleavaitleslarmes

auxyeux.

—Tuvois?lâchaMattenfusillantDamondu

regard.Àcausedetoi,maintenant,ellepleure.

—Vraiment?Pourtantcen’estpasmoiquiai

évoquélenomdemoncherpetitfrèredisparu.

—Çasuffit!Arrêtezçaimmédiatement,tous

lesdeux!explosaElenaavantd’essayerde

retrouversonsang-froid.Et,Damon,reprendston

crayonsiçanetefaitrien,ajouta-t-elleenletenant

entredeuxdoigts.

QuandDamonl’eneutdébarrassée,elle

s’essuyalesmainssursachemisedenuit,

éprouvantunevagueimpressiondetournis,et

frémitenpensantauxcréaturesquiétaientsurleur

piste.

Alorsquelatêteluitournaitdeplusenplus,un

brasvigoureuxetchaudl’enveloppa,etlavoixde

Damonrésonnadanssondos:

—Elleabesoindeprendrel’air.Jem’enoccupe.

Elleseretrouvabrusquementenapesanteur

danslesbrasduvampire,quilasoulevaitdansles

airs.

—Damon,tuveuxbienmelâcher?

—Toutdesuite?Çafaithaut,tusais…

Elenacontinuadeprotester,maisellevoyait

bienqu’ilfaisaitlasourdeoreille.Et,aufond,l’air

fraisdumatinluiéclaircissaitlesidéesmêmes’illa

faisaitaussigrelotter.

Damonlaregardapuis,d’unairtrèssérieux,

commençaàenleversaveste.

—Non,non,occupe-toide…voler…jetiendrai

lecoup.

—Ettoi,surveillelesmouettesàbassealtitude,

dit-ilavecunpetitsourireaucoindeslèvres.

Elenadutdétournerlesyeuxpourréprimer

uneviolenteenviederire.

—Quandas-tuapprisàbalancerlesgenssur

lestoitsdesvoitures?

—Oh,c’esttrèsrécent.C’étaitundéfi,comme

d’apprendreàvoler.Ettusaisquej’aimeça,les

défis.

Illaregardaitd’unairespiègle,avecsesyeux

noirsauxcilssilongspourungarçonquec’enétait

presquedugâchis.Elenasesentaitaussilégère

qu’unpétale,maiségalementunpeugrisée,ivre.

Elleavaitbeaucoupmoinsfroidmaintenant,et

pourcause:Damonl’avaitenveloppéedesonaura,

quidégageaitunevraiechaleur.Passeulementen

termesdetempérature,d’ailleurs.Associéeau

regardqu’ilposaitsurelle,sursesyeux,surson

visageetsurlenuagedorédesescheveuxflottant

auvent,cettechaleuravaitaussiquelquechosede

capiteux,d’enivrantpresque.Elenaneput

s’empêcherderougiretsurpritaccidentellement

unedesespensées:çaluiallaitbien,cerosepâle

avecsonteintclair.

À

l’instar

de

cette

réaction

physique

involontaire,elleéprouvaalorsunsentiment

instinctifdegratitudepourcequ’ilavaitfait,poursa

bienveillanceetpourcequ’ilétait.Sachantqueles

malachsdeShinichiétaientdesbrutesépaisses,

Damonluiavaitsauvélaviecettenuit.Elle

n’arrivaitmêmepasàimaginercequedetelles

créaturesauraientpuluifaire,etellenevoulaitpas

lesavoir.Ellenepouvaitqueseréjouirqu’ilaitété

assezmalin,etcertes,assezimpitoyable,pourse

chargerd’euxavantqu’ilss’enprennentàelle.

Parailleurs,ilfaudraitqu’ellesoitaveugleou

carrémentidiotepournepasapprécierlabeautéde

Damon.Qu’ilsoitsongeurouentraindeluifaireun

decesraressouriressincèresquiluisemblaient

réservés,cettebeautén’enétaitpasmoinsréelle.

Leproblème,c’estqueDamonétaitunvampire

etqueparconséquentilpouvaitliredansses

pensées,surtoutquandelleétaitaussiprès,son

auramêléeàlasienne.Et,commeilétaitsensibleà

sagratitude,unesériederéactionss’ensuivit.Sans

vraimentréfléchir,Elenaselaissaattendrir,etson

corps,enapesanteurdanssesbras,seramollit.

Secondproblème:iln’étaitpasentrainde

l’influencer.Ilétaitaussitroubléqu’elleparce

tourbillond’émotions,d’autantplusqu’ilnerésistait

pas,alorsqu’Elenasi.Maissonboucliers’abaissait,

s’effritait,etellen’arrivaitplusàréfléchir

correctement.Damonlafixaitd’unairémerveillé,

d’unairqu’elleneconnaissaitquetrop.

N’ayant

plus

de

volonté,

elle

savoura

simplementcetélandetendresse,deproximité,

d’amouretd’attention,avecuneintensité

troublante.

EtquandElenas’abandonnait,ellenelefaisait

jamaisàmoitié.Presquesanslevouloir,elle

renversalatêteenarrièrepourmettresagorgeà

nuetfermalesyeux.

Avecdouceur,Damoninclinasonvisage,le

soutenantd’unemain,etl’embrassa.

2.

Letempss’arrêta.Instinctivement,Elena

cherchaàpénétrerl’espritdeceluiquil’embrassait

sitendrement.Ellen’avaitjamaisvraimentapprécié

unbaiseràsajustevaleuravantdemourir,avant

dedevenirunespritetd’êtrerenvoyéesurTerre

aveccetteauraquiluirévélaitlesenscachédes

penséesoudesproposdesautres.C’étaitcommesi

elleavaitacquisunmerveilleuxsixièmesens.

Quanddeuxaurassemêlaientaussiprofondément,

lesdeuxâmesseretrouvaientmisesànu.

Àmoitiéconsciente,ellelaissasonaura

s’infiltreraucœurdespenséesdeDamonet,

presqueaussitôt,elledistinguaunesilhouettequi,

bizarrement,eutunmouvementderecul.Cen’était

pasnormal.Elleréussitmentalementàs’y

cramponneravantquel’ombreseréfugiederrière

unegrossepierresemblableàunrocher.À

l’extérieurdecerocher(quilafitpenseràune

photodemétéoritecarboniséeetnoiredetrous),il

nerestaitplusquelesfonctionsdebaseducerveau,

ainsiqu’unpetitgarçon,enchaînéaurocherparles

poignetsetleschevilles.

Elenaeutunchoc.Pourtant,ellesavaitque

cettevisionn’étaitqu’unemétaphoreetqu’ellene

devaitpastirerdeconclusionstrophâtives.Elle

symbolisaitl’âmemiseànudeDamon,sousune

apparencequ’elleavaitlafacultédedéchiffrerà

conditiondel’observersouslebonangle.

Instinctivement,ellesentitqu’ellefaisaitfaceà

quelquechosed’important.Elleavaitressentile

bonheurfébrile,ladouceurvertigineusedela

communionentredeuxâmes.L’amouretla

sollicitudequiendécoulaientmaintenantla

poussaientàessayerdecommuniquer.

—Tuasfroid?demanda-t-elleàl’enfant.

Seschaînesétaientsuffisammentlonguespour

qu’ilpuissetenirsesjambesrepliéescontrelui.Il

étaitvêtudeguenilles,toutennoir.

Ilacquiesçaensilence.Sesgrandsyeuxbruns

semblaientluimangerlesjoues.

—D’oùviens-tu?demandaElenaencherchant

unmoyendeleréchauffer.De…ça?

Elleindiqual’énormerocherd’ungeste.

L’enfanthochaencorelatête.

—Ilfaitmeilleurdedans,maisilneveutplus

quej’yentre.

—Quiça,«il»?

Méfiante,Elenarestaitàl’affûtdumoindre

signedeShinichi.

—Qui,monange?Dis-le-moi.

Elles’étaitdéjàagenouilléepourprendrele

petitgarçondanssesbras.Ilétaittransi,etsesfers

étaientglacials.

—Damon,chuchotalegamin.

Pourlapremièrefois,sonregardjusqu’icirivé

surElenas’aventuracraintivementautourd’eux.

—C’estDamon…quit’aattachéici?

Elleavaitcommencésaphraseàvoixhauteet

l’avaitterminéetoutbas,commelui,enlevoyantla

supplierduregardettapoterseslèvresd’unair

affolé,commeunchatonauxpattesdevelours.

«Cenesontquedessymboles,serépétaElena.

C’estl’espritdeDamon,sonâme,queturegardes.»

Enes-tusûre?lacontreditsubitementsa

raison.Futuntempsoù…quandtuentraisen

communionavecl’espritd’unepersonne…tu

voyaistoutunmondeenelle,despaysagesentiers

d’amouretdebeautéauclairdelune,qui

représentaientlesrouagessainsetnormauxd’un

espritàlafoisordinaireethorsnorme.Elena

n’arrivaitpasàremettreunnomsurcette

personne,maisellesesouvenaitdecesimages.Elle

savaitquesonpropreespritétaitfrianddecetype

demétaphores.

Brusquement,elleeutunecertitude:l’âmede

Damonétaitquelquepartàl’intérieurdecet

énormeblocderoche.Illaséquestraitdanscette

horriblechose,etçaluiplaisaitcommeça.Toutce

qu’ilrestaitau-dehorsétaitunvieuxsouvenirde

sonenfance,unpetitgarçonquiavaitétébannidu

restedesonêtre.

—Sic’estDamonquit’aattachélà,alorsquies-

tu?demanda-t-ellelentement,pourtestersa

théorie.

Soudain,enobservantplusattentivementles

yeuxd’encredel’enfant,sescheveuxbrunsetles

traitsdesonvisage,ellecomprit.Ellecomprit,en

dépitdesonjeuneâge.

—Jem’appelleDamon,chuchota-t-il,leslèvres

livides.

«Rienqueçadoitêtrepénibleàavouerpour

lui»,supposaElena.Ellenevoulaitsurtoutpas

blessercesymboledel’enfancedeDamon,mais

plutôtluitransmettreladouceuretlebien-être

qu’elleressentait.Sil’âmedeDamonavaitétéune

maison,elleauraitaimélarangeretdécorerchaque

pièceavecdesbouquetsdefleursetuncielétoilé.

S’ils’étaitagid’unpaysage,elleauraitdessinéun

haloautourdelapleineluneoudesarcs-en-ciel

entrelesnuages.Mais,aulieudeça,l’âmede

Damonserévélaitsouslestraitsd’unenfantaffamé,

enchaînéàunrocherimpossibleàpercer,etElena

mouraitd’enviedeleconsoler,del’apaiser.

Elleberçalepetitgarçon,luifrottantlesbraset

lesjambes,etleblottissantcontresoncorpsirréel.

Audébut,ilétaittenduetméfiant.Maispeuà

peu,voyantquececontactrapprochén’entraînait

aucuncataclysme,ilsedétendit,etellesentitson

corpsfrêleseréchaufferets’assoupirlourdement

danssesbras.Elleéprouvaalorsunterriblebesoin

deprotégercepetitêtre.

Enquelquesminutes,l’enfants’endormitet

Elenacrutdevinerunfaiblesouriresurseslèvres.

Doucement,ellecontinuadelecâlineretsourit,elle

aussi.Ellepensaàquelqu’unquil’avaitréconfortée

autrefois,alorsqu’ellepleurait.Unepersonne

qu’ellen’avaitpasoubliée,jamais,maisdontle

souvenirluinouaitlagorge.Unepersonnetrès

importante…siimportanteque,àprésent,ellese

souvenait…etelledevaitabsolumentlaretrouver…

Soudain,latranquillitéquibaignaitl’espritde

Damonfutbrisée.Elenaavaitbeauêtreencore

novicefaceauxmystèresdusurnaturel,ellecomprit

qu’unebrèchevenaitd’êtreouverteparunbruit

assourdissant,unelumièreaveuglante,uneénergie

queseullesouvenird’unnomavaitpuprovoquer.

Stefan.

MonDieu,l’espacedequelquesminutes,elle

s’étaitlaisséhapperaupointd’enoublierStefan!

Aprèstoutescesnuitsd’angoisseetdesolitude

passéesàdéversersonchagrinetsespeursdans

sonjournal,lapaixetlebien-êtreoffertsparDamon

l’avaientfinalementpousséeàoublierStefan,à

oublierlessouffrancesqu’ilsubissaitpeut-êtreàcet

instantprécis.

Non!Pasça!

Elenasedébattitseuledansl’obscurité.

Laisse-moi…Jedoisleretrouver…Comment

ai-jepul’oublier…?

—Elena?

LavoixdeDamonétaitdouceetcalme,du

moinsellenetrahissaitaucuneémotion.

—Situcontinuesàremuercommeça,tuvas

tomber…Et,jetepréviens,laterreestbasse.

Elenarouvritlesyeux,laissanttousses

souvenirsderocheretdepetitgarçons’envoler,se

disséminerauventcommedesaigrettesdesoie,

puisellefixaDamond’unairaccusateur.

—C’est…c’étaittoi…?

—Oui,répondit-ilposément.Tupeuxmecrier

dessussiçat’amuse,maisjen’ysuispourrien.Je

net’ainiinfluencéenimordue.C’esttoutjustesije

t’aiembrassée.Tespouvoirsontfaitlereste;ils

sontpeut-êtreincontrôlables,n’empêchequ’ilssont

extrêmementconvaincants!Honnêtement,jen’en

demandaispastant,soitditsansironie,biensûr.

Endépitdesontonléger,Elenavisualisatoutà

coupl’imaged’unenfantenpleursetsedemandasi

Damonétaitvraimentaussidifférentqu’ille

prétendait.

«Aufond,c’estsaspécialité,non?pensa-t-elle,

brusquementamère.Vendredurêveetduplaisirà

sesdonneurs.»Elenasavaitquelesjeunesfemmes

victimesdeDamonl’adoraientetseplaignaient

uniquementdufaitqu’ilnevenaitpaslesvoirassez

souvent.

—

OK,

admit

Elena

tandis

qu’ils

se

rapprochaientdusolendouceur.Maisçanedoitpas

sereproduire.Leseulquipuissem’embrasser,c’est

Stefan.

Damons’apprêtaitàrépondrequandunevoix

sefitentendreau-dessousd’eux.Unevoixfurieuse

etaccusatrice.Elenasesouvintalorsqu’iln’yavait

pasqueStefanqu’elleavaitoublié.

—

Damon,espèce

de

salaud!Fais-la

redescendretoutdesuite!

Matt.

Ilsseposèrententournoyantavecélégance,

justeàcôtédelaJaguar.Mattseprécipitavers

Elenaetl’écartad’ungestevifpourl’examiner

commesielleavaiteuunaccident,enportantune

attentionparticulièreàsoncou.Unefoisdeplus,elle

futdésagréablementconscientedufaitqu’elle

portaitunechemisedenuitblancheendentelleen

présencededeuxgarçons.

—Toutvabien,jet’assure,Matt.J’aijustela

têtequitourneunpeu,maisçavapasser.

Mattpoussaunsoupirdesoulagement.Il

n’étaitpeut-êtreplusamoureuxd’ellecomme

avant,maisElenasavaitqu’ellecomptaitbeaucoup

pourluietqu’ellecompteraittoujours.Iltenaità

elleentantquepetiteamiedeStefan,maisaussi

poursesqualitéspropres.Jamaisiln’oublierait

l’époqueoùilsétaientensemble.

Quiplusest,ilavaitconfianceenelle.Donc,si

elleaffirmaitquetoutallaitbien,illacroyait.Ilétait

mêmedisposéàlancerunregardmoinsagressifà

Damon.

LesdeuxgarçonssedirigèrentverslaJaguar

pourprendrelevolant.

—Ah,non!protestaMatt.Tuasconduithier…

etregardelerésultat!Tul’asdittoi-même:ona

desvampiresauxtrousses.

—Tusous-entendsquec’estdemafautesides

vampiresontrepéréceboliderougecommeun

camiondepompiers?

Lesmâchoiresserrées,sapeaubronzée

écarlate,Mattnelâchapaslemorceau.

—Jedisjustequ’ondevraitserelayer.Chacun

sontour.

—Ahbon?Onétaitconvenusqueceserait

chacunsontour?M’ensouvienspas.

Lesmotsprirentunetelleinflexiondansla

bouchedeDamonqu’ilssemblaientavoirune

connotationperverse.

—Écoute,quandjemontedansunevoiture,

c’estpourlaconduire,ditDamon.

Elenatoussadoucementpourmanifestersa

présence;aucund’euxnefaisaitattentionàelle.

—Justement:moijenemontepasdansune

voituresic’esttoiquiprendslevolant,rétorqua

Mattavechargne.

—Non,c’estl’inverse:jenemontepassic’est

toiquiconduis.

Elenatoussaplusbruyamment,etMattse

souvintenfindesonexistence.

—Bon,onnevaquandmêmepasdemanderà

Elenadeconduiresurtoutletrajet?dit-ilavant

mêmequ’ellelepropose.Saufs’ilestprévuqu’on

arrivecesoir?

MattfixaDamond’unairdur.

Cederniersecouasatignassebrune.

—Non.Jevaisprendrel’itinérairetouristique.

Moinsilyauradegensaucourantdenotre

destination,plusonseraensécurité.Etmoinsvous

ensaurez,mieuxvousvousporterez.

Elenaeutl’impressionqu’onvenaitdelui

effleurerlanuqueavecunglaçon.Lafaçondont

Damonavaitprononcécesmots…

—Maisilssaventdéjàtousoùonva,non?

demanda-t-elleenseressaisissant.Ilssaventqu’on

veutlibérerStefan,etilssaventoùestStefan.

—Oui,biensûr:ilssaventqu’onessaie

d’accéderauRoyaumedesOmbres.Maisparquelle

Porte?Etquand?Sionarriveàlessemer,notre

seulsouciaprès,ceseraStefanetlesgardesdesa

prison.

Mattjetaunœilautourd’eux.

—CombiendePortesexiste-t-il?

—Desmilliers.Partoutoùtroislignesd’énergie

secroisent,ilsepeutqu’ilyenaitune.Mais,depuis

quelesEuropéensontchassélesIndiens

d’Amériquedechezeux,laplupartdesPortesne

sontplusutiliséesouplusaussibienentretenues.

Damonhaussatranquillementlesépaules.

Elena,elle,brûlaitd’impatience.

—Pourquoiest-cequ’onneprendraitpasla

premièrePortequ’ontrouve,alors?

—Pourensuitefairetoutletrajetsousterre

jusqu’àlaprison?Non,vousnecomprenezpas.

Premièrement,vousavezbesoindemoipour

franchirunedecesPortes;mais,mêmeunefoislà-

bas,çanevapasêtreunepartiedeplaisir.

—Pourqui?Toiounous?lâchaMattd’unair

sombre.

Damonluilançaunlongregardindifférent.

—Sivousessayezd’entrerseuls,le

désagrémentseratemporaire,maissurtoutsans

issue.Alorsqu’avecmoiçaserapeut-être

désagréableaudébut,maisensuitecenesera

qu’unequestiond’habitude.Quantàsavoirquel

effetçafaitdepasserrienquedeuxjourslà-

dessous…ehbien,vousjugerezparvous-mêmes,

ajoutaDamonavecunétrangesourire.Sans

compterqu’onperdramoinsdetempssionentre

parundesaccèsprincipaux.

—Pourquoi?

IlfallaittoujoursqueMattposeprécisémentles

questionsauxquellesElenan’avaitpasenviede

connaîtrelesréponses.

—Parcequelà-bas,soitc’estlajungle,oùles

sangsuesd’unmètrecinquantequitombentdes

arbressontledernierdetessoucis,soitc’estunno

man’slandoùn’importequelennemipeutvous

repérer…etoùtoutlemondeestvotreennemi.

Elenaméditacesrévélationspendantquelques

secondes.Damonn’avaitpasl’airdeplaisanter.

Manifestement,iln’avaitpastrèsenvied’allerdans

cetendroit,orpeudechosesrebutaientDamon

danslavie.Sebattre,ilaimaitça.Ilpouvaitmêmey

passertoutsontemps…

—Entendu,ditlentementElena.Onvasuivre

tonplan.

Aussitôt,lesdeuxgarçonss’approchèrentde

nouveaudelaportière,côtéconducteur.

—Parcontre,voussavezquoi?dit-ellesansles

regarder.JevaisconduiremaJaguarjusqu’au

prochainpatelin.Avant,jevaismonterdedanspour

enfilerunevraietenueetpeut-êtremêmedormir

unpetitquartd’heure.Ilvafalloirqu’ontrouveun

ruisseauouautrechosepourqueMattpuissese

nettoyer.Ensuite,jem’arrêteraidanslepremier

endroitoùonpourramangerunmorceau.Et

après…

—…onpourrarecommenceràsechamailler,

raillaDamon.Faisdoncça,monange.Quelquesoit

leboui-bouioùvousirez,jevousretrouverai.

Ellehochalatête.

—Tuessûr?J’essaiedemaintenirmonaura

auplusbas,tusais.

—Écoute,quelquesoitletrouàratsoùvous

échouerez,uneJaguarrougepétantdansles

paragesseraaussivisiblequ’unovni.

—Maispourquoiest-cequ’ilnevient…

LavoixdeMatts’estompa.Bizarrement,bien

quecefûtsonpiregriefcontreDamon,illuiarrivait

souventd’oublierquec’étaitunvampire.

—Enfait,tuparsdevantpourtetrouverune

fillesurlechemindel’école,hein?supposaMatt,

dontlesyeuxbleussemblèrents’assombrir.Etpuis

tuvastejetersurelleetl’emmenerdansuncoinoù

personnenel’entendrahurler,ettuluipencherasla

têteenarrièrepourluiplantertescrocsdansla

gorge,c’estça?

Ilyeutunsilence,plutôtlong.Puis,d’unton

légèrementvexé,Damonrépondit:

—Dutout!

—Pourtant,c’estbiencequevousfaites,toiet

tessemblables?D’ailleurs,tunet’espasgênéavec

moi.

Elenaestimaqu’ilétaittempsd’intervenirde

manièreradicale:

—Matt,çasuffit:Damonn’yétaitpourrien,

c’étaitShinichi.Tulesaistrèsbien.

Elleluipritdoucementlebraspourletourner

faceàelle.

Pendantunbonmoment,ilrefusadela

regarder.Letempsfilait,etElenacommençaità

craindrequ’ilneleurglisseentrelesdoigts.

Finalement,Mattrelevalatêteetlaregarda

droitdanslesyeux.

—OK,acquiesçacelui-citoutbas.Jesuis

d’accordsurcepoint.Maistusaiscommemoiqu’il

partsenourrirdesanghumain.

—

Certes,

mais

auprès

d’un

donneur

consentant,précisaDamon,quiavaitunetrèsbonne

ouïe.

Mattexplosaànouveau:

—Évidemment,tulesforcesàconsentir!Tu

leshypnotises…

—Dutout!

—Ah,pardon:tules«influences».C’est

mieux,commemot?

DansledosdeMatt,ElenafaisaitsigneàDamon

departird’ungestefrénétiquedelamain,commesi

ellechassaitunevoléedepoulets.Audébut,ilfit

celuiquinecomprenaitpas,puisilfinitparcéder,

haussantlesépaulesavecélégance,etsasilhouette

sedérobatandisqu’ilprenaitl’apparenced’un

corbeau.Trèsvite,ilnefutplusqu’unpoint

minusculefaceausoleillevant.

—Matt…,ditalorsElenad’unevoixapaisée,ça

t’ennuieraitdetedébarrasserdetonpieu?Çane

faitquerendreDamontotalementparano.

Leregardfuyant,Matthochalatête.

—Jelejetteraienallantmelaver.

Ilbaissalesyeuxsursesjambesboueuses,la

minesombre.

—Situallaistereposerdanslavoitureen

attendant?ajouta-t-il.Tuasl’aird’enavoirbesoin.

—OK.Réveille-moidansuneheure.

Elenaétaitloind’imagineràquelpointelleallait

regrettercettepetitesieste.

3.

—Tutrembles.Laisse-moiyallerseule,dit

MeredithdevantlamaisondeCarolineForbes.

Elleposalamainsurl’épauledeBonniequi

faillitcéderàlapressionmaiss’efforçadetenirbon.

C’étaithumiliantdetremblerautantparunebelle

matinéedefinjuillet,typiquedelaVirginie.

Humiliantd’êtretraitéecommeuneenfant,aussi.

MaisMeredith,quin’avaitquesixmoisdeplus

qu’elle,

faisait

plus

vieille

que

d’habitude

aujourd’hui.Avecsescheveuxbrunstirésen

arrière,sesyeuxparaissaientplusgrands,etson

visageauxpommettessaillantesetauteintmat

étaitmisenvaleur.

«Ellepourraitpresqueêtremababy-sitter»,

pensaBonnied’unairabattu.Meredithavaitaussi

troquéseshabituellesballerinescontredes

chaussuresàtalons.Comparéeàelle,Bonniese

sentaitpluspetitequejamais,danstouslessensdu

terme.Ellepassalamaindanssesbouclesrousses,

essayantdelesfaireboufferunpeu,pourgagnerun

précieuxcentimètre.

—J’aipaspeur,j’ai…froid,affirma-t-elleavec

touteladignitédontellefutcapable.

—Jesais.Turessensdemauvaisesondes,

n’est-cepas?devinaMeredithenindiquantla

maisond’unsignedetête.

Bonnieregardalabâtissedebiais,puistournala

têteverssonamiedetoujours.Subitement,soncôté

adulteluiparutplusrassurantqu’agaçant.

—C’estpourquoifaire,lestalonsaiguilles?

lâcha-t-elle,avantderegarderdenouveaula

maison.

—Oh,ça,murmuraMeredithenjetantuncoup

d’œilàsespieds,c’estjusteundétailpratique.Si

quoiquecesoitessaiedem’attraperleschevilles,

cettefois,illesentirapasser…

Elletapadupied,etilyeutunclaquement

réjouissantsurletrottoir,quifitpresquesourire

Bonnie.

—Tuasapportétoncoup-de-poingaméricain,

aussi?

—Paslapeine;siCarolinetentelemoindre

truc,jel’assommeàmainsnues.Maisarrêtede

changerdesujet.Jepeuxyallerseule.

Bonniefinitparposersapetitemainsurles

longsdoigtsfinsdeMeredithposéssursonépaule,

etlesserra.

—Jesaisquetupeux.Maisc’estmoiqui

devraisyaller.Ellem’ainvitée.

—C’estvrai,acquiesçaMeredithavecune

petitemouegracieuse.Elleatoujourssuappuyerlà

oùçafaitmal.Enfin,quoiqu’ilarrive,ellel’aura

voulu.D’abord,onessaiedel’aider,poursonbienet

pourlenôtre.Ensuite,onfaitensortequ’ellese

fasseaider.Etaprès…

—Après,dittristementBonnie,vasavoir…

Ellejetaunnouveaucoupd’œilàlamaison.Elle

paraissaitunpeu…tordue,commesiellelavoyaità

traversunmiroirdéformant.Etpuis,sonauraétait

sinistre:unevilaineombregris-vertbalafréede

noir.Bonnien’avaitjamaisvuunemaisondégageant

autantdemauvaisesondes.

Desondesnonseulementmauvaisesmaisaussi

glaciales,commelesouffled’unechambrefroide.

Bonnieavaitl’impressionqu’àlamoindreoccasion

ellespourraientlesviderdetouteforcevitaleetles

transformerenglaçons.

EllelaissaMeredithsonneràlaporte.Ilyeut

unlégeréchoet,quandMmeForbesrépondit,sa

voixsemblaseréverbérerunpeu.Bonnieremarqua

quel’intérieurdelamaisonaussiavaitdesairsde

palaisdesglaces,maisdefaçonencoreplusétrange.

Enfermantlesyeux,l’endroitluisemblaitbeaucoup

plusgrandetlesoldangereusementpenché.

—VousvenezvoirCaroline?

EnvoyantMmeForbes,Bonnieeutunchoc.On

auraitditunevieilledameavecsescheveux

grisonnants,sestraitstirésetlivides.

—Elleestdanssachambre.Jevous

accompagne.

—Cen’estpaslapeine,madame,onconnaîtle…

MeredithsetutensentantlamaindeBonnie

sursonbras.Éteinteetrabougrie,lafemmepassa

devantpourleurmontrerlechemin.Bonniene

percevaitpourainsidireaucuneauraémanant

d’elle,maisellesentaitquesoncœurétaitdévasté.

Commentavaient-ilspuenarriverlà?Elle

connaissaitCarolineetsesparentsdepuissi

longtemps…

«QuoiqueCarolinefasse,jenel’insulteraipas,

sepromit-elleensilence.Quoiqu’ilarrive…malgré

cequ’elleafaitàMatt.J’essaieraidepenseràelle

enbien.»

Mais,danscettemaison,mêmepenserétaitune

torture,quiplusestàquelquechosedepositif.

Bonniesavaitquel’escaliermontait;ellevisualisait

chaquemarchedevantelle.Maistoussesautres

sensluiindiquaientlecontraire,commesielle

descendaitunepenteraidetoutenvoyantsespieds

gravirdesmarches.Cettesensationhorriblelui

donnaunvertigemonstrueux.

Ilyavaitaussiuneodeur,étrangeetâcre,

d’œufspourris.Unepestilencepresquepalpable.

LaportedelachambredeCarolineétait

fermée,etdevant,poséeparterre,setrouvaitune

assiettedenourritureavecunefourchetteetun

couteau.MmeForbesseprécipitapourl’enlever,

ouvritlaported’enface,posal’assietteen

porcelainetendresurunmeubleetreferma

derrièreelle.Mais,justeavant,Bonniecrutvoir

quelquechosebougeraumilieudesaliments.

—Ellenemeparlequasimentplus,leurconfia

MmeForbesd’unevoixtoujoursaussicaverneuse.

Parcontre,elleaditqu’ellevousattendait.

Surce,lafemmes’éloignaenhâte,leslaissant

seulesdanslecouloir.L’odeurd’œufspourris,non,

desoufre,étaitdeplusenplusforte.

Dusoufre,c’étaitbiença:Bonniereconnut

l’odeurqu’elleavaitsentieencoursdechimiel’an

dernier.Maiscommentunepuanteurpareilleavait-

ellepuenvahirl’élégantemaisondesForbes?Elle

setournaversMeredithpourluiposerlaquestion,

maiscettedernièresecouaitdéjàlatête.Bonnie

savaitcequeçasignifiait.

Nedisrien.

Lagorgeserrée,Bonnieessuyasesyeux

embuésdelarmesetlaregardatournerlapoignée.

Lachambreétaitplongéedanslenoir.Ilyavait

suffisammentdelumièredanslecouloirpourvoir

quelesrideauxdelapièceavaientététiréset

recouvertsd’épaissescouverturesclouéesaumur.

Danslelit,aprioripersonne;nidessusnidessous.

—Entrez!Etfermez-moicetteporte!

C’étaitCaroline,avecsontontypiquement

hargneux.Unevaguedesoulagementsubmergea

Bonnie.Cen’étaitpasunevoixgraved’homme,

propreàfairetremblerlesmurs,niunrâledebête

sauvage,justelavoixdeCarolinequandelleétaitde

mauvaisehumeur.

Alorselless’avancèrentdansl’obscurité.

4.

Elenagrimpaàl’arrièredelaJaguarpour

enfileruntee-shirtbleu-vertpelucheuxetunjean

soussachemisedenuit,justeaucasoùunagentde

policepasseraitparlà,ouneserait-cequ’unpassant

désireuxd’aiderlespropriétairesd’unevoiture

manifestementenpannesuruneroutedéserte.Puis

elles’allongeasurlabanquette.

Mais,bienqu’ellefûtdésormaisauchaudetà

l’aise,elleneputfermerl’œil.

«Dequoij’aienvie?Dequoij’aivraiment

envie,là,toutdesuite?»sedemanda-t-elle.

Laréponseluivintimmédiatement.

«J’aienviedevoirStefan.Desentirsesbras

autourdemoi.Devoirsonvisage,sesyeuxvertset

ceregardparticulierqu’ilmeréserve.J’aienviede

l’entendredirequ’ilmepardonneetqu’iln’ajamais

doutédemonamour.Etj’aienviede…»

Elenasesentitrougirtandisqu’uneboufféede

chaleurlasubmergeait.

«J’aienviequeStefanm’embrasse.J’aienvie

desesbaisers,chauds,douxetréconfortants…»

Pourladeuxièmeoutroisièmefois,elleferma

lesyeuxetchangeadeposition,etunefoisdeplus

leslarmesmontèrent.Siseulementellearrivaità

pleurerunboncoup.Maisquelquechosel’en

empêchait.Ellearrivaitàpeineàverserunelarme.

Bonsang,elleétaitsifatiguée…

Ellefitunenouvelletentative.Ellegardales

yeuxfermésetsetortilladanstouslessensen

essayantdenepaspenseràStefanpendantau

moinsquelquesminutes.Ilfallaitqu’elledorme.

Désespérée,elleseretournaunedernièrefoispour

trouverunepositionplusconfortable…quand,tout

àcoup,revirementtotal,ellesesentitbien.Trop

bien,même.Elleseredressabrusquementetse

figea…danslevide.Satêtetouchaitpresquele

plafonddelaJaguar.

«J’aiencoreperdumoncentredegravité!»

pensa-t-elled’abordavecagacement.Non,cettefois

c’étaitdifférentdecequis’étaitpasséàsonretour

del’Au-delà,quandelleflottaitcommeunballon.

Ellenepouvaitpasl’expliquer,maiselleenétait

sûre.

Elleeutpeurdefairelemoindregeste.Ellene

savaitpastroppourquoiçal’inquiétaitmaiselle

n’osapasbouger.

Soudain,ellepritconsciencedecequisepassait.

Ellesevit,latêteenarrièreetlesyeuxfermés,

àl’arrièredelavoiture.Elledistinguaitlemoindre

détail,desplisdesontee-shirtàlanattequ’elle

avaittresséedanssescheveuxblonddoréetqui,

fauted’élastique,étaitdéjàentraindesedéfaire.

Elleavaitl’airdedormirsereinement.

C’étaitdoncainsiquetoutseterminait?Ils

diraientqu’ElenaGilbertétaitmortepaisiblement,

danssonsommeil,unmatind’été.Lacausedudécès

resteraitinexpliquée…

«Parcequ’enpratiqueonnemeurtpasd’un

chagrind’amour»,pensaElena.Dansungeste

encoreplusdésespéréqued’habitude,elleessayade

sejetersursonproprecorps,enappuyantdetoutes

sesforcessursatête.

Çaneservitàrien:entendantlebraspour

prendredel’élan,elles’étaitretrouvéeàl’extérieur

delaJaguar.

Elleavaittraverséletoitdepartenpartsans

riensentir!«Jeveuxbienquecesoitcequiarrive

quandonestunfantôme,raisonna-t-elle,maislà,ça

n’arienàvoiravecladernièrefois!Àl’époque,j’ai

vuletunnel.J’aisuivilaLumière…»

«Peut-êtrequejenesuispasunfantôme,en

fait?»

Soudain,Elenapoussauncridejoie.

«J’aicompris!C’estuneexpériencedesortie

horsducorps!»

Elleregardasoncorpsassoupiau-dessous

d’elle,etl’examinaendétail.«Maisoui,c’est

exactementça!»Unecordereliaitsoncorps–le

vrai–àsondoublespirituel.Elleétaitattachée!Où

qu’elleaille,ellepourraitrevenir.

Iln’yavaitquedeuxpossibilités.L’uneétaitde

retourneràFell’sChurch.Elleenconnaissaitla

directionapproximativeparrapportausoleil,etelle

étaitpersuadéequ’unepersonnefaisantune

«ESC»(commediraitfamilièrementBonnie,qui

étaitbranchéespiritualismeàuneépoqueetqui

avaitlupleindelivressurlesujet)seraitcapablede

repérertouslescroisementsdelignesd’énergie.

L’autreétait,évidemment,d’allervoirStefan.

Damonpensaitpeut-êtrequ’elleignoraitle

chemin,etilestvraiqu’elleavaitjustelavague

intuition,faceausoleillevant,queStefansetrouvait

àl’opposé,doncàl’ouest.Maiselleavaittoujours

entendudirequelesvraisamantsétaient,d’une

certainefaçonliés,corpsetâme,paruncordon

d’argent.

Parbonheur,elleletrouvapresqueaussitôt.

Unpetitfildelacouleurdelalunesemblait

s’étirerentrelecœurdel’Elenaassoupieet…Oui,

c’étaitbiença.Quandelleeffleuralefil,Elenasentit

laprésencedeStefanavecuneforcetellequ’elle

compritaveccertitudequ’illaconduiraitjusqu’àlui.

Depuisledébut,ellesavaitquelledirectionelle

allaitchoisir.Fell’sChurch,elleenvenait.Bonnie

étaitunemédiumauxdonsimpressionnants,tout

commelalogeusedeStefan,MmeThéophilia

Flowers.Ellesétaientlà-bas,aveclaperspicace

Meredith,pourprotégerlaville.

«J’espèrequ’ilscomprendront»,seditElena,

unpeudésarmée.C’étaitpeut-êtresaseulechance

devoirStefan.

Sansplushésiter,elleselaissaemporter.

Aussitôt,ellesemitàtraverserlesairsàtoute

vitesse,bientropvitepourfaireattentionaudécor.

Toutdéfilasoussesyeuxdansunmouvement

confus,oùseuleslacouleuretlatexturedifféraient,

etellecomprit,lagorgeunpeunouée,qu’elle

traversaitlesobjets.

Quelquessecondesaprès,elleseretrouvafaceà

unspectacledéchirant:Stefan,allongésurune

paillasseuséejusqu’àlacorde,l’airblêmeet

amaigri;autourdelui,uneignoblecelluleinfestée

devermine,avecsesmauditsbarreauxdefer.

Elenadétournalesyeuxunmoment,pourqu’il

nevoienisonangoisseniseslarmesquandellele

réveillerait.Elleétaitentraindeseressaisirquand

lavoixdeStefanlafitsursauter.Ilnedormaitpas.

—Tunerenoncesjamais,hein?dit-ild’unton

trèssarcastique.C’esttoutàtonhonneur,maisilya

toujoursundétailquicloche.Ladernièrefois,

c’étaientlespetitesoreillespointues.Aujourd’hui,ce

sontlesvêtements.Elenanesebaladeraitjamaisen

tee-shirtfroisséetlespiedsnusetsales,mêmesisa

vieendépendait.Alorsva-t’en!

Haussantlesépaulessoussacouvertureélimée,

iltournaledosàElena.

Ellefutsansvoix.Puis,bientropbouleversée

pourchoisirsesmots,ellevidasoncœuravec

fougue.

—Stefan!Situsavais!J’essayaisjustede

m’endormirsurlabanquettearrièredelaJag,la

Jaguarquetum’asofferte,etjesuisrestéetout

habilléeaucasoùunagentdepolicepasseraitdans

lecoin.Maisjenepensaispasqueçategênerait!

Mesvêtementssontfroissésparcequetoutceque

j’aitientdansunsacetjemesuissalilespieds

quandDamon…enfin,peuimporte.J’aiunevraie

chemisedenuit,maisjenelaportaispasquandmon

espritestsortidemoncorpsetjesupposeque,

quandonfaitcegenred’expérience,ongardela

mêmeapparence…

Elleagitalesbrasd’unairperduquandStefan

seretourna.Parmiracle,sesjouessemblaientavoir

reprisuntoutpetitpeudecouleur.

Deplus,sonregardn’étaitplusdédaigneux.

Ilétaitassassin.

Unelueurmenaçantebrillaitdanssesyeux

verts.

—Tut’essalilespiedsquandDamonafait

quoi?demanda-t-ilenarticulantavecsoin.

—Aucuneimportance.

—Ohsi…

Stefans’arrêtanet.

—Elena?

Il

la

dévisagea

comme

si

elle

venait

d’apparaître.

—Stefan!

Ellenerésistapasàl’enviedeluiouvrirses

bras.Plusriennelaretenaitmaintenant.

—Stefan,jenepeuxpasexpliquerpourquoini

comment,maisjesuislà.C’estmoi,jetejure!Jene

suisniunfantômeniunrêve.Jepensaisjusteàtoi

enm’endormantet…mevoilà!

Elleessayadeletoucherd’unemain

fantomatique.

—Tumecroismaintenant?

—Oui,jetecroisparceque…moiaussije

pensaisàtoi.Etjenesaispaspourquoi,maisçat’a

amenéeici.Çadoitêtrel’amour.Notreamour!

Ilprononçacesmotscommesic’étaitune

révélation.

Elenafermalesyeux.Siseulementelleétaitlà

enchairetenos,elleluimontreraitàquelpointelle

l’aimait.Mais,dansl’étatactueldeschoses,ils

devaientsecontenterdemotsmaladroits,declichés

quis’avéraientparticulièrementvrais.

—Jet’aimeraitoujours,Elena,chuchotaStefan.

Maisjeneveuxpasquetut’approchesdeDamon.Il

trouveraunmoyendetefairedumal…

—Jen’aipaslechoix.

—Si,illefaut!

—Maisilestmonseulespoir,Stefan!Ilneme

feraaucunmal.Iladéjàtuépourmeprotéger.Situ

savais,ils’estpassétellementdechosesàFell’s

Church!Onestenroutepour…

Elenajetadescoupsd’œilméfiantsautour

d’elle.

LeregarddeStefans’agrandit,commes’ilavait

deviné,maissonvisagerestademarbre.

—Unendroitoùtuserasensécurité.

—C’estça,mentit-elleavecflegme,consciente

quedeslarmesfantômesdévalaientsesjoues

immatérielles.Stefan…ilyatantdechosesquetu

ignores.CarolineaaccuséMattdel’avoiragressée

parcequ’elleestenceinte.Maisiln’yestpourrien!

—Jem’endoute!acquiesçaStefand’unton

indigné.

—Jecrois…quec’estlepetitdeTyler

Smallwood,parcequetoutcoïncideetparceque

Carolineestentraindechanger.D’aprèsDamon…

—L’enfantd’unloup-garoutransformetoujours

lamèrequileporte…

—Exactement.Maisildevracombattrele

malachquiestenelle.BonnieetMeredithm’ont

racontédeschosessurCaroline,safaçondedétaler

enrampantcommeunlézard,parexemple,etça

m’aterrifiée.Maisjemesuisrésignéeàleslaisser

gérerleproblèmepourpouvoir…pourallerdansun

endroitsûr.

—Desloups-garousetdeskitsune,murmura

Stefanensecouantlatête.Cesfoutusrenardsont

despouvoirsconsidérables,alorsquelesloups-

garousonttendanceàtuerd’abordetàréfléchir

après.

Ilfrappasongenoudupoing.

—Siseulementjen’étaispascoincéici!

Unviolentmélangedesurpriseetdedésespoir

agitaElena.

—Maisjesuislà,dit-ellepouressayerdele

réconforter.Jenemeseraisjamaiscruecapablede

ça!Malheureusement,jen’airienput’apporter,

mêmepasmoncorps.Etencoremoinsmonsang.

Elleeutungested’impuissance,maisunelueur

demaliceapparutdanslesyeuxdeStefan.

Ellecomprittoutdesuite.

IlavaitencorelevindeClarionqu’elleluiavait

passéclandestinement!Çanepouvaitêtrequeça!

C’étaitleseulbreuvagecapable,enuneprise,de

maintenirunvampireenviequandiln’apasde

sangàdisposition.

Ce«vin»,d’ailleurssansalcooletinterditaux

humains,étaitlaseuleboissonquelesvampires

appréciaientréellement,outrelesang.Damonavait

expliquéàElenaqu’ilétaitfabriquéselonun

procédéunique,àpartirdesraisinscultivéssurles

terresdeloessquibordentcertainsglaciers,et

ensuiteconservédansl’obscuritécomplète.D’après

lui,c’estcequiluidonnaitsonmystérieuxgoût

velouté.

—C’estpasgrave,ditStefand’untonassuré,à

l’attentiond’unéventuelespion.Maiscommentest-

cequec’estarrivé,exactement,cettehistoirede

sortiedecorps?Pourquoitunevienspasplusprès

pourm’expliquer?

Ils’accoudasursapaillasse,etluiadressaun

regardtriste.

—Désolédenepasavoirdemeilleurlità

t’offrir.

L’espaced’uninstant,l’humiliationselut

clairementsursonvisage.Depuisledébut,ilavait

réussiànerienluimontrer:cettehontequ’il

éprouvaitdeseprésenterdevantelledanscetétat,

enloques,dansunecellulecrasseuseetinfestéede

Dieusaitquoi.Lui,StefanSalvatore,quiavaitjadis

été…

Lecœurd’Elenasebrisapourdebon.Comme

duverre,ellelesentitvolerenéclatsdanssa

poitrine,etchaquetessonpointutranspercersa

chair.Ilsebrisaitcarellepleurait,degrosseslarmes

semblablesàdesgouttesdesang,translucidesdans

l’airmaisvirantaurougevifaucontactduvisagede

Stefan.

Dusang?Sepouvait-ilqu’elleaiteulafaculté

d’arriverjusqu’icienayant,enplus,dequoilui

redonnerunpeud’énergie?Non,ceseraittrop

beau.

Ellesanglotadeplusbelle,secouéedelarmes

quicontinuaientdetombersurStefan.

—Elena,teslarmes…Jemesens…

L’airstupéfait,illafixaavecunesortede

respectmêléd’admiration.

Elena,elle,étaitinconsolable.

—Jenecomprendspas…

Alorsilrecueillitunelarmedanslecreuxdesa

mainetlaportaàseslèvres.

—C’estdifficiled’enparler,montendre

amour…

Danscecas,n’utilisepasdemots,pensa-t-elle

endescendantlerejoindresurlapaillasse.

Commetut’enesdoutée,ilsnesontpastrès

généreuxaveclesrafraîchissementsparici,

expliqua-t-ilpartélépathie.Sanstonaide…je

seraismortàl’heurequ’ilest.Ilsnecomprennent

paspourquoijerespireencore.Ducoup,parfois…

ilspartentencourantquandilsmevoient.

Elenarelevalatête.C’étaitmaintenantdes

larmesderagequicoulaientsursesjoues.Oùest-ce

qu’ilssecachent,tous?Jevaislestuer!Etneme

dispasquec’estimpossible,jetrouveraiunmoyen.

Jelestuerai,mêmesijenesuisqu’unfantôme…

Illaregardaenagitantdoucementlatête.Mon

ange,tunecomprendsdoncpas?Tun’aspas

besoindelestuer.Carteslarmessontcellesd’une

jeunefemmepure…

Ellefronçalessourcils.Stefan,siquelqu’unsait

quejenesuispas«pure»,c’estbientoi…

…etleslarmesd’unejeunefemmepure,

continua-t-il,imperturbable,peuventguérirtous

lesmaux.J’aiessayédelecacher,maisj’étais

maladequandtuesarrivée,Elena.Etàprésentje

mesensmieux.Commeneuf!Ilsnepourront

jamaissel’expliquer!

Tuessûr?

Maisoui,regarde-moi!

Effectivement,levisagedeStefan,quiétait

encoreblafardetmarquéquelquesminutesplustôt,

n’étaitpluslemême.Biensûr,ilavaitsonteintpâle

habituel,maisàprésentsestraitsfinssemblaient

rougis…commes’ils’étaitattardédevantunfeude

joieetquelalumièreréfléchissaitencoreleslignes

puresetélégantesdesontendrevisage.

C’est…c’estmoiquiaifaitça?Ellerepensaà

seslarmesquiressemblaientàdesgouttesdesang

aucontactdelapeaudeStefan,etcompritqu’elles

avaientpénétrésachairpourluiredonnerdes

forces.

ElleenfouitsonvisagedanslecoudeStefan.

Jesuissiheureuse.Maisj’aimeraistantte

toucher.J’aienviedesentirtesbrasmeserrer

contretoi…

—Déjà,jepeuxtevoir,chuchotaStefanàvoix

haute.

Pourlui,ceslarmesétaientcommeuneoasisen

pleindésert.

Ils

continuèrent

à

parler

un

moment,

échangeantjustequelquesbêtisesd’amoureux,

mutuellementnourrisparlavoixetlevisagede

l’autre.Puis,avecdouceurmaisfermeté,Stefanlui

demandadetoutluiraconterausujetdeDamon,

depuisledébut.Elenaavaitsuffisammentretrouvé

soncalmepourluiraconterl’incidentavecMatt,

sanstropenfoncerDamonpourautant.

—Tusais,ilfaitvraimenttoutcequ’ilpeut

pournousprotéger.

Elleévoqualescréaturesquilesavaientsuivis,

etlafaçondontDamons’enétaitdébarrassé.

Stefann’eutpasl’airtrèssurpris.

—Lesgensseserventdecrayonspourécrireet

Damon,lui,s’ensertcontreeux,commenta-t-ilavec

ironie.Etpourquoitut’essalie?…

—Parcequej’aientenduunénormebruit,qui

s’estrévéléêtreMatttombantsurletoitdela

voiture.Mais,pourtouttedire,ilavaitessayéde

tuerDamonavecunpieu.Jeluiaidemandédele

jeter.

Ellebaissalavoix.

—Tusais,Damonetmoi,onestobligésde…de

passerbeaucoupdetempsensembleencemoment,

maisçanecomptepas,Stefan.Ilfautquetume

croies.Çanechangerienentrenous.

—Jesais.

Stefanavaitl’airsincère,etcetteconfiancequ’il

luitémoignaitilluminalevisaged’Elena.

Aprèsquoi,ilssecramponnèrenttantbienque

mall’unàl’autre,Elenablottieaucreuxdesesbras,

etcefutlebonheurabsolu.

Maisbrusquement,l’Universtoutentier

s’ébranlaausond’unchocbrutal.Elenasursauta:

cebruitn’avaitpassaplacedanscettebulle

d’amour,deconfianceetdedouceurqu’elle

partageaitavecStefan.

Unsecondfracaslaterrifia.Elles’agrippa

inutilementàStefan,quilafixad’unairinterloqué,

etcompritqu’iln’entendaitriendecebruit

métalliqueetassourdissant.

C’est

alors

que

le

pire

se

produisit.

Brusquement,ellefutarrachéedesesbraset

propulséeenarrière,traversantlesobjetsàtoute

vitesse,jusqu’àcequ’elleréintègresoncorpsdans

uneviolentesecousse.

Malgrésaréticence,elleseglissaparfaitement

danscetteenveloppecharnellequiluifitl’effet

d’unesecondepeau,puisseredressaetcomprit

d’oùprovenaittoutcebruit.

Matttapaitavecacharnementàlavitre.

—Çafaitplusdedeuxheuresquetudors!dit-

illorsqu’elleouvritlaportière.Commenttute

sens?

Elenafaillitnepasrésisteràl’enviedefondre

enlarmes.MaislesouriredeStefanluirevinten

mémoire.

Elleclignadesyeux,s’efforçantd’accepterce

brusquechangementdesituation.Elleétaitloin

d’avoirassezprofitédeStefan.Maislesouvenirde

cetinstantpassédanssesbrasluiréchauffalecœur

commeunbouquetdejonquillesetdelavande,

symbolesd’espoiretdetendresse,etrienne

pourraitleluifaireoublier.

***

Damonétaitagacé.

Tandisqu’ilcontinuaitdeprendredelahauteur

enagitantlentementsesgrandesailesnoires,le

paysagesedéroulaitencontrebascommeun

magnifiquetapisoùprairiesetcollinesvallonnées

rutilaientcommeuneémeraudesousl’aurore.

Iln’yprêtaaucuneattention,ilavaitdéjàvuça

desmilliersdefois.Cequ’ilcherchait,lui,c’étaituna

donnasplendide.

Maissespenséesn’arrêtaientpasdedériver.

Blatteetsonpieu…Damonnecomprenaittoujours

paspourquoiElenaavaitvouluemmenerunfugitif

aveceux.Ah,Elena…Ilessayad’éprouverenvers

ellelemêmeagacementqueluiinspiraitBlatte,mais

envain.Ilenétaitincapable.

Décrivantdescercles,ildescenditpeuàpeusur

laville,selimitantauquartierrésidentiel,àla

recherchedequelquesauras.Ilavaitenvied’une

personnalitéaussifortequebelle.Etilvivaiten

Amériquedepuisassezlongtempspoursavoirque,à

cetteheuresimatinale,seulstroistypesd’individus

étaientréveillés.Enpremier,ilyavaitlesécolières,

maisc’étaitl’été,donclechoixétaitrestreint.Et,

contrairementauxinsinuationsdeBlatte,Damon

s’abaissaitrarementàcetypedeproie.En

deuxième,c’étaientlesjoggeurset,pourfinir,des

personnesexactementcommecelle-ci,enbas…les

jardiniers.

Lajeunefemmeausécateurlevalatêteen

voyantDamontourneraucoindelarueet

approcherdelamaison,d’abordd’unairpressé,

puispluslentement.Chacundesesgestes

témoignaitdefaçonostensibledesonadmiration

pourlesfantaisiesfloralesquientouraientlajolie

maisonvictorienne.Audébut,lajeunefemmeparut

trèssurprise,presqueeffrayée.Réactiontypique:

Damonétaitennoirdespiedsàlatête,Ray-Ban

comprises.Maisilesquissaunsourire,etaumême

instantcommençasapremièreetdélicateintrusion

dansl’espritdelabelladonna.

Toutefois,bienavantdeliredanssespensées,il

avaitcomprisunechose:elleaimaitlesroses.

—Uneprofusionderosiersgrimpants,dit-il

d’untonadmiratifenobservantdestaillisroses

fuchsiaenpleinefloraison.EtcesWhiteIceberg,sur

vostreillis…Oh,regardez-moicesMoonstone,

quellemerveille!

Ileffleuradélicatementunefleurécloseaux

pétalesblanccrèmesefondantenrosepâlesurles

bords.

Krista,lapropriétairedeslieux,neput

dissimulerunsourire.Damoncaptasanseffortun

fluxd’informationsprovenantdesonesprit.Elle

venaitd’avoirvingt-deuxans,ellen’étaitpas

mariéeetvivaittoujourschezsesparents.Elleavait

exactementletyped’auraqu’ilrecherchaitet,pour

toutecompagnie,unpèreendormidanslamaison.

—Àpremièrevue,jen’auraispasditquevous

vousyconnaissiezenroses,avoua-t-elleavec

franchise.

Elleeutunrireunpeugêné.

—Désolée.Oncroisepasmaldefrimeursàla

FoiredelaRosedeCreekville.

—Mamèreestpassionnéedejardinage,mentit

Damonavecfacilitéetsanslemoindrescrupule.Je

doistenirçad’elle.Lesouci,c’estquejevoyagetrop

pourcultivermonproprejardin,maisl’espoirfait

vivre,commeondit!Vousvoulezconnaîtremon

plusgrandrêve?

Krystaavaitdéjàlasensationdeflottersurun

délicieuxnuageparfuméàlarose.Damoncaptait

toutessesémotionsjusquedansleursmoindres

nuances,s’amusantdevoirsesjouess’empourprer

etsoncorpstremblerlégèrement.

—Oui,répondit-elle.J’aimeraisbeaucoup.

Ilsepenchaetbaissalavoix:

—Jevoudraisfairepousserdesrosesbaptisées

BlackMagic.

Krystaeutunregardinterloqué,etunepensée

luitraversal’esprit–tropvitepourqueDamonait

letempsdes’ensaisir.

—Danscecas,ilfautquejevousmontre

quelquechose,chuchota-t-elle.Enfin…sivousavez

letemps.

Lejardinàl’arrièreétaitencoreplusbeau,et

Damonremarquaavecsatisfactionqu’unhamac

oscillaitdoucementprèsd’unetonnelle.Aprèstout,

ilauraitbientôtbesoind’unendroitoùallonger

Krysta…pendantqu’elleferaitunepetitesieste

«réparatrice».

Toutàcoup,quelquechosel’attiramalgrélui.

—

DesBlack

Magic!s’exclama-t-ilen

découvrantlesrosespourpres,presquenoires.

—Oui,ditdoucementlajeunefemme.J’en

obtienstroispousséesparan.

Submergéeparuneémotionquiemporta

presqueDamonavecelle,Krystaneseposaitplus

dequestionssurl’identitédujeunehomme.

—Ellessontmagnifiques,ditDamon.Jen’ai

jamaisvuunrougeaussiprofond.

Krystafrissonnaitdejoie.

—Vouspouvezenprendreune,sivousvoulez.

JelesemporteàlaFoiredeCreekvillelasemaine

prochaine,maisjepeuxvousendonnerunequiva

bientôtéclore.Voussentirezpeut-êtresonparfum.

—Ceserait…avecplaisir.

—Vouspourrezl’offriràvotrecopine.

—Jen’enaipas,ditDamon,ravideseremettre

àmentir.

LesmainsdeKrystatremblèrentunpeualors

qu’ellecoupaitunelonguetige,biendroite.

LorsqueDamontenditlamainpourlaprendre,

leursdoigtssefrôlèrent.

Ilsouritavecmalice.

Quand,deplaisir,lesjambesdeKrystase

dérobèrentsouselle,Damonlarattrapafacilement

etaccomplitcepourquoiilétaitvenu.

***

MeredithsuivitBonniedeprèsenentrantdans

lachambredeCaroline.

—Jevousaiditdefermercettefoutueporte!

Parréflexe,lesdeuxinvitéescherchèrentd’où

venaitlavoix.JusteavantqueMeredithlesprive

detoutesourcedelumièreenrefermantlaporte,

Bonnieaperçutunbureaud’angle.Lachaisequise

trouvaitjadisdevantn’étaitpluslà.

Carolineétaitdessous.

Celaauraitpufaireunebonnecachettepourun

gamindedixans,mais,pourrentrerlà-dessousà

dix-huit,Carolines’étaitcontorsionnéedansune

positionimpossible.Elleétaitaccroupiesurunepile

d’habitsenlambeaux:lesplusbeaux,constata

Bonnieendistinguantlescintillementfurtifd’un

boutdetissulaméorjusteavantquelaportese

ferme.

Ellesseretrouvèrenttouteslestroisdansle

noirtotal.Paslemoindrefiletdelumièrenefiltrait

ducouloir.

«Carlecouloirappartientàunautremonde»,

pensaBonnieavecagitation.

—Çat’ennuieraitd’allumerunpetitpeu,

Caroline?demandagentimentMeredith.

Savoixétaitferme,rassurante.

—Tunousasdemandédepassertevoir…mais

onn’yvoitquedalle.

—Jevousaidemandédepasserdiscuter,

corrigeaaussitôtCaroline,commeellel’avait

toujoursfaitaubonvieuxtemps.

Encoreundétailquiauraitdûêtrerassurant;

saufque…aujourd’huiBonnieentendaitsavoix

résonnerenéchosouslebureau,commesison

timbreétaitdifférent.Nonpasrauquemais…

«Mieuxvautnepasypenser.Pasdanscette

pénombre»,voulutseraisonnerBonnie.

Nonpasrauque…maisbestial.

OnauraitpresqueditqueCarolinegrognait.

Àencroirelespetitsbruitsqu’ellepercevait,

Bonniedevinaqu’ellesortaitdesouslebureau.Son

poulss’accéléra.

—Onaimeraitbientevoir,insistacalmement

Meredith.EttusaisbienqueBonnieapeurdunoir.

Tuveuxbienquej’allumejustetalampede

chevet?

Bonniesentitsoncorpscommenceràtrembler.

Mauvaiseidée:nejamaismontreràCarolinequ’on

avaitpeurd’elle.Maisrienàfaire,l’obscuritéla

rendaitnerveuse.Ellesentaitquelapièceformait

desanglesbizarres…àmoinsquecenesoitjuste

sonimagination?Etelleentendaitdeschosesquila

faisaientsursauterensilence,commecegrosdouble

clicdanssondos.Quiavaitfaitça?

—Terresbien:allumecellequiestperrésdu

lit.

Aucundoute:Carolinegrognaitcommeun

molosse.D’ailleurselleapprochait;Bonniepercevait

desbruissementsetunerespirationprèsd’elle.

Nelalaissepasm’attraperdanslenoir!

Dansunaccèsdepanique,Bonnietrébuchasur

lecôtécontre…

Uncorps.

Uncorpsimmense…etfiévreux.

Cen’étaitpasMeredith.Depuisletempsqu’elle

laconnaissait,jamaisellen’avaitsentilasueurrance

etlesœufspourris.

Alorsdesmainsbrûlantesetsècheslui

agrippèrentlespoignetsenproduisantd’étranges

cliquetisets’enfoncèrentcurieusementdanssa

peau…Maisunelumières’allumasurlatablede

nuit,etplusrien:lesmainsavaientdisparu.

LalampequeMeredithavaittrouvéediffusait

unelumièrecouleurrubis,trèsfaible,eton

comprenaitfacilementpourquoi:undéshabillé

rougeavaitéténouéautourdel’abat-jour.

—C’estdangereux,çapourraitprovoquerun

incendie.

Mêmelavoixd’ordinairesiposéedeMeredith

semblaitagitée.

Carolinesetenaitdevantelles,àcontre-jour.

PourBonnie,elleparutplusgrandequejamais,

minceetmusclée,exceptionfaitedesonventre

légèrementarrondi.Elleétaithabilléenormalement,

enjeanettee-shirtmoulant.Lesmainscachées

dansledos,elleaffichaitsonbonvieuxsourire

narquoisetinsolent.

«Pitié,jeveuxrentrerchezmoi»,pensa

Bonnie.

—Alors?lançaMeredith.

—Alorsquoi?répliquaCarolinesansperdre

sonsourire.

Meredithcommençaàs’impatienter.

—Dequoituvoulaisparler?

—Est-cequevousavezrenduvisiteàvotre

amieIsobel,aujourd’hui?Vousavezparléunpeu

avecelle?

Bonnieéprouvauneforteenvied’effacerson

sourireprétentieuxd’unegifle.Maisellen’enfit

rien.Cen’étaitsûrementqu’uneillusiond’optique,

maisonauraitditqueCarolineavaitlespupilles

rougesetbrillantes.

—Oui,onestpasséesvoirIsobelàl’hôpital,

réponditMeredith,ettusaistrèsbienqu’ellene

parlepas,pourl’instant.Mais…

Ellepassad’untonirritéàunairlégèrement

triomphant.

—…lesmédecinsdisentqueçareviendra.Sa

languevacicatriser.Ellegarderapeut-êtredes

marquesdetoussespiercings,maisellepourra

reparlersansproblème.

LesouriredeCarolineavaitdisparu,pour

laisserlaplaceàuneminedéfaiteetrageuse.Contre

qui?Bonnieseledemandait.

—Çateferaitdubiendesortirdecette

chambre,ditMeredith.Tunevaspasvivredansle

noir…

—Éternellement,non,lacoupaCaroline.Mais

aumoinsjusqu’àlanaissancedesjumeaux.

Lesmainstoujoursdansledos,ellesecambra

defaçonàfaireressortirsonventre.

—Les…jumeaux?répétaBonnieavecsurprise.

—Ouais,jevaislesappelerMattjunioret

Mattie!

Bonnienesupportaitplussonsouriremoqueur

etsonaireffronté.

—Tunepeuxpasfaireça!

—Àmoinsquej’appellelafilleHoney?

MatthewetHoney,ensouvenirdeleurpère,

MatthewHoneycutt.

—Tunepeuxpas!protestaBonnied’unevoix

plusperçante.Mattn’estmêmepaslàpourse

défendre…

—Effectivement,sondépartaétéassez

précipité,vousnetrouvezpas?Lapolicese

demandebienpourquoid’ailleurs.Bienentendu…

Carolinesemitàchuchoterd’unairentendu.

—…iln’étaitpasseul.Elenaétaitlà.Jeme

demandecommentilsoccupentleurtempslibre…

Ellericana,d’unpetitrireaiguetstupide.

—Elenan’estpasseuleavecMatt.

LavoixdeMeredithétaitmaintenantgraveet

menaçante.

—Ilyaquelqu’und’autre.Tutesouviensd’un

pactequetuassigné?Surlefaitdeneparlerà

personned’Elenaetdenepasfairedepubautour

d’elle?

Carolineclignalentementdesyeux,commeun

lézard.

—C’étaitilyalongtemps.Dansuneautrevie.

—Siturompsceserment,tupeuxfaireune

croixsurcetteviecarDamontetuera!Àmoins

que…tul’aiesdéjà…

Merediths’arrêtanet.

Carolinecontinuaitdeglousserbêtement,

commeunegaminededixans.

Bonnieeutsubitementdessueursfroidesdans

toutlecorps.

—Qu’est-cequiteprend,Caroline?

BonniesavaitqueMeredithessayaitderetenir

sonattention,maislafilleauxcheveuxcuivréslui

tournaledos.

—C’est…Shinichiquiterendcommeça?

Elles’avançabrusquementetluiempoignales

deuxbras.

—Avant,tulevoyaisettul’entendaisquandtu

teregardaisdanslemiroir.Maintenantilestavec

toienpermanence,c’estça?

Bonnieauraitaimél’aider,sincèrement.Mais

pourrienaumondeellenevoulaitbougerououvrir

labouche.

ElleremarquaqueCarolineavaitdesfils…gris

danslescheveux,commedescheveuxblancs;rien

àvoiravecl’auburnflamboyantdontelleétaitjadis

sifière.Etilyavaitaussidespoils,pourlecoup,

complètementternes.Bonnieavaitdéjàremarqué

cetypedemouchetureschezdeschiens;etelle

savaitplusoumoinsquecertainsloupsavaientce

genredepelage.Maisentrouverdanslescheveux

d’uneamie,çafaisaitundrôled’effet.Surtoutquand

onavaitl’impressiondelesvoirsehérisseret

frémir,commechezunchienprêtàmordre…

«Ellealarage.Pasausensmoral,maisausens

médicalduterme»,seditBonnie.

Carolinetournalatêteverselleetlafit

sursauter.Ellelafixad’unairdesedemandersielle

feraitunbondînerousielleétaitsansintérêt.

Merediths’avança,lespoingsserrés.

—Qu’est-cequevousrrregardez?lâcha

Carolineavantdeseretournerdenouveau.

Iln’yavaitplusdedoute:ellegrognaitcomme

unchienenragé.

—Tuvoulaisqu’onpasse,non?ditdoucement

Meredith.Tufaislafièredevantnous,maisjecrois

quec’esttafaçondenousdemanderdel’aide…

—Cerrrtainementpas!

Prised’unbrusqueélandepitié,Bonnietentasa

chance.

—Jet’enprie,Caroline,réfléchis.Tute

souviensquandtuasditqu’iltefallaitunmari?

Elles’interrompit,lagorgeserrée.Quivoudrait

épousercemonstre,quiressemblaitpourtantàune

adolescentecommelesautresquelquessemaines

plustôt?

—Jecomprendscequeturessens,termina-t-

ellesansconviction.Mais,franchement,çane

t’apporterariendet’acharnersurMatt!Personne…

Ellenepouvaitserésoudreàadmettrela

réalité.

«Personnenecroiraunloup-garou»,pensa-t-

elleensilence.

—Oh,maistunesaispasàquelpointjepeux

merendreméconnaissable!affirmaCaroline,moitié

grognant,moitiéricanant.

Bonnierepensaàl’insolencequibrillaitautrefois

danslesyeuxémeraudedeCaroline,àsonair

cachottieretsournois,auchatoiementdesa

chevelureauburn.

—PourquoiMatt?demandasèchement

Meredith.Commentas-tusuqu’ilavaitétéattaqué

parunmalachcesoir-là?Est-cequeShinichil’a

envoyéàsestroussespourtoi?

—OubienMisao?

Bonnievenaitdesesouvenirquec’étaitsurtout

lafemelledeskitsunejumeauxquiavaitparléà

Caroline.

—JesuissortieavecMattcesoir-là.

Toutàcoup,lavoixdeCarolinedevint

chantantecommesiellerécitaitunepoésie,sauf

qu’ellelefaisaitmal.

—J’étaisd’accordpourqu’ons’embrasse…il

fautdirequ’ilestvraimentmignon.Jepenseque

c’estdelàqu’iltenaitsonsuçon,j’aidûlemordiller

unpeu.

Bonnievoulutrépondremais,sentantMeredith

poserlamainsursonépaule,elleneditrien.

—Après,ilestdevenufou,acontinuéde

chantonnerCaroline.Ils’estjetésurmoi!Jel’ai

griffécommej’aipu,maisilétaittropfort.Beaucoup

plusquemoi.Etmaintenant…

«Maintenant,tuesenceinte»,eutenviede

continuerBonnie,maisMeredithluiserral’épaule

et,unefoisdeplus,ellegardalesilence.«Siçase

trouve,lesbébésaurontl’airnormaux,pensa-t-elle,

subitementinquiète.Ceserontpeut-êtredesimples

jumeaux,commeleprétendCaroline.Maisalors

qu’est-cequ’onfera?»

Bonniesavaitcommentfonctionnaientles

adultes.MêmesiCarolineessayaitenvaindese

reteindrelescheveuxenauburn,ilsferaientdes

réflexionsdutype:Regardezlestressqu’elle

endure,ellegrisonneavantl’âge!Et,mêmes’ils

remarquaientsonapparenceetsoncomportement

étranges,ilsmettraientçasurlecomptedu

traumatisme.Oh,lapauvreCaroline,elleachangé

dutoutautoutdepuiscejour.Elleatellementpeur

deMattqu’ellesecachesoussonbureau.Ellenese

laveplus,maispeut-êtrequec’estunsymptôme

fréquentquandonasubiuneagressioncommela

sienne.

Etpuis,quisaitcombiendetempscesbébés

loups-garousmettraientàveniraumonde?Peut-

êtrequelemalachàl’intérieurdeCaroline

contrôlaittoutetferaitensortequeçaaitl’aird’une

grossessebanale?

Brusquement,Bonnies’arrachaàsesréflexions.

Pourl’instant,Carolinenegrognaitplus.Onaurait

presqueditl’ancienneCaroline:vexéeetmauvaise.

—Jenecomprendsvraimentpaspourquoivous

lecroyezluietpasmoi?

—Parcequ’onvousconnaîttouslesdeux,

réponditMeredith,imperturbable.SiMattétait

sortiavectoi,onauraitétéaucourant,maiscen’est

paslecas.Etcen’estfranchementpaslegenreàse

pointerchezunefilleàl’improviste,surtoutquand

onsaitcequ’ilpensaitdetoi.

—Maisvousvenezdedirequelabêtequil’a

attaqué…

—Unmalach,Caroline.Retienscemot,une

bonnefoispourtoutes.Tuenasunentoi!

Avecunpetitsouriresuffisant,Carolinerejeta

cettethéoried’ungestedelamain.

—Vousavezbienditquecesbestioles

pouvaientvousposséderetvouspousseràfairedes

chosesquinevousressemblentpas,non?

Ilyeutunsilence.

«Sionl’adit,pensaBonnie,onnel’ajamaisfait

devanttoi.»

—Trèsbien…admettonsqu’onnesortaitpas

ensemble.Admettonsplutôtquej’aicroiséMattau

volantdesavoiture,quiroulaitdanslequartierà

dixkilomètresàl’heure,l’aircomplètementpaumé.

Samancheétaitdéchiquetée,etsonbrastout

mordillé.Alorsjel’aiemmenéchezmoipourluifaire

unbandage,maistoutàcoupilacomplètement

craqué.C’estvrai,j’aivoululegriffer,maisilyavait

lesbandagesetj’aifiniparlesluiarracher.Même

quejelesaiencore,ilssontcouvertsdesang.

Qu’est-cequevousditesdeça?

«J’endisquetutesteslacrédibilitédecette

versionsurnousavantdelaserviraushérif

Mossberg,pensaBonnieenfrissonnant.Etj’endis

quetuavaisraison:tupeuxêtreméconnaissable,

quandtuveux.Situarrêtaisdegloussercomme

unegamineetsitutedébarrassaisdetonair

sournois,tuseraisencoreplusconvaincante.»

—Caroline,lapoliceadestestsADNpourle

sang.

—Jelesais,qu’est-cequetucrois!

Elleparutsiindignéeque,l’espaced’une

seconde,elleenoubliadejouerlessournoises.

Meredithnelaquittaitpasdesyeux.

—Çasignifiequ’ilssontàmêmedediresiouiou

nonc’estlesangdeMattquisetrouvesurces

bandages.Et,defait,siçaconfirmetonscénario…

oupas.

—C’estpasunscénario.DusangdeMatt,iln’y

aqueçasurcesbandages!

Brusquement,Carolinepartitàgrandspasvers

unecommode,ouvrituntiroiretensortitun

rouleauqui,àl’origine,devaitêtreunebandede

contention.Elleavaitunecouleurbrunrougeâtre.

Envoyantletissurigidesouslalumièrerouge,

Bonniesutdeuxchoses.Primo,çan’avaitrienàvoir

aveclecataplasmequeMmeFlowersavaitposésur

lebrasdeMattlelendemaindesonattaque.

Secundo,lesangquiétaitdessusétaitduvrai,d’un

boutàl’autredelabande.

L’Universsemblavaciller.MêmesiBonnie

croyaitMattsurparole,cettenouvelleversion

l’effrayait.Ellepourraitsetenir,sipersonnene

retrouvaitMattpourluifaireuneanalysedesang.Il

étaitlepremieràadmettrequecertainsmoments

decettefameusesoiréerestaientflous,qu’ilnese

rappelaitpastout.

Pourautant,Carolinenedisaitpasforcémentla

vérité.Pourquoiest-cequ’ellecommenceraitpar

mentiretqu’ellechangeraitdeversionjustequand

çal’arrange?

Carolineavaittoujourseudesyeuxdechat.Les

chatsjouaientaveclessouris,poursedistraireou

parcruauté.Maisaussipourlesvoirs’enfuir.

EtMattavaitfui…

Bonniesecoualatête.Subitement,elleétouffait

danscettemaison.D’unecertainemanière,elles’y

étaithabituéedeforce,acceptanttouslesangles

impossiblesdesesmursdéformés.Elles’étaitmême

faiteàl’horribleodeuretàl’éclairagerouge.Mais

maintenantqueCarolineleurmettaitunbandage

pleindesangsouslenez,censéêtreceluideMatt…

—Jem’envais,annonça-t-ellesubitement.

Mattnet’arienfaitet…jenereviendraijamais!

Elleseretournabrusquementenévitantde

regarderlenidqueCarolines’étaitconstituésousle

bureau;desbouteillesvidesetdesassiettesde

nourritureàmoitiéentaméess’empilaientaumilieu

desvêtements.Ilpouvaityavoirn’importequoi

dessous…mêmeunmalach.

Ensetournant,Bonnieeutunvertigeterrifiant,

commesilapiècebougeaitenmêmetempsqu’elle,

tournoyantdeplusenplusviteaumoindredeses

mouvements.Auboutdedeuxtourscomplets,elle

réussitàretrouverl’équilibre.

—Bonnie,attends!Ettoiaussi,Caroline,

intervintMeredith,quiparutpresqueaffolée.

Carolineretournasoussonbureauense

tortillantcommeunecontorsionniste.

—EtTylerSmallwood,alors?Çanetedérange

pasqu’ilsoitlevéritablepèredetesenfants?

Combiendetempstuessortieavecluiavantqu’il

s’allieàKlaus?Oùest-cequ’ilestaujourd’hui?

—Àcequejesais,ilestmorrrt.Toiettesamis,

vousl’aveztué.

Ellerecommençaitàgrogner,maissans

agressivité.C’étaitplutôtunronronnement…de

triomphe.

—Maisqu’ilrestedanssatombe,ilneme

manquepas,ajouta-t-elleavecunpetitrireétouffé.

Ilnem’aurrraitpasépousée.

Bonniedevaitabsolumentsortirdecettepièce.

Ellecherchalapoignéedelaporteàtâtons,la

trouvaetfutaveuglée.Elleavaitpassétellementde

tempsdanscettedemi-obscuritéquelalumièredu

couloirluifitl’effetd’unsoleildemidienplein

désert.

—Éteignez-moicettelampe!vociféraCaroline,

souslebureau.

Mais,alorsqueMerediths’apprêtaitàlefaire,

Bonnieentendituneétrangedéflagrationetvit

l’abat-jouremmaillotés’éteindretoutseul.Alorsla

lumièreducouloirbalayalachambrecommeun

phare,etellesaperçurentCarolinequiétaitentrain

d’arracherquelquechoseavecsesdents;vula

texture,onauraitditdelaviandecrue.Puislaporte

serefermaviolemment.

Enreculantpours’enfuir,Bonniefaillit

renverserMmeForbes.Ellen’avaitpasbougéde

l’endroitoùellelesavaitlaisséesquandellesétaient

entréesdanslachambredesafille.Ellen’avait

mêmepasl’aird’avoirécoutéàlaporte.Ellese

tenaitsimplementlà,lesyeuxdanslevide.

—Ilfautquejevousraccompagne,dit-elle

d’unevoixtoujourséteinte.

Ellenelevamêmepaslatêtepourregarder

BonnieouMeredith.

—Sinon,vousrisquezdevousperdre.Ça

m’arriveparfois.

Lecheminverslasortieétaittoutdroitjusqu’à

l’escalieret,enbasdesmarches,seulsquatrepas

lesséparaientdelaported’entrée.MaisMeredith

avançasansprotester,etBonnielasuivitlagorge

nouée.

Unefoisdehors,Meredithsetournaverselle.

—Alors?Qu’est-cequilacontrôleleplus?Le

malachoulesloups-garousqu’elleadansleventre?

Dumoins,situaspuvoirquelquechosedeson

aura?

Bonnies’entenditrire;pourtantelleavait

plutôtenviedepleurer.

—Sonauran’ariend’humainetjenesaispas

quoienpenser.Quantàsamère,ondiraitqu’elle

n’apasd’auradutout.Touteslesdeuxsont

tellement…etcettemaison…

—C’estpasgrave.Tun’auraspasbesoind’y

retourner.

—C’estcommesi…

Bonnienesavaitpascommentexpliquerce

qu’elleavaitressenti,lesmursbancals,l’escalierqui

s’affaissaitalorsqu’ellemontaitlesmarches…

—Jecroisquetudevraispoussertes

recherches,dit-ellefinalement.Surlespossessions,

parexemple…enAmérique,j’entends.

—Pardesdémons?

Meredithluilançaunregardperçant.

—Oui.Sionveut.Enfait,jenesaispasparoù

commencerlalistedeschosesquiclochentchez

Caroline.

—J’aiquelquesidéeslà-dessus,répondit

calmementMeredith.Parexemple,tuasremarqué

qu’ellen’apasmontrésesmainsuneseulefois?J’ai

trouvéçatrèsbizarre.

—Jesaispourquoi.

Bonniesemitàchuchoter,s’efforçantde

réprimerunautrecrientrelerireetleslarmes:

—C’estparcequ’ellen’aplusd’ongles.

—Qu’est-cequeturacontes?

—Jelesaisentiesquandellem’aprislesbras.

—Tupeuxêtreplusclaire?

Bonnies’armadecourage.

—Carolineadesgriffes,maintenant.Desvraies,

Meredith.Commeunloup.

—Ou…commeunrenard.

5.

AssisefaceàMatt,Elenautilisaittousses

talentsdenégociatricepourlecalmer,uncoupen

l’incitantàcommanderunedeuxièmepuisune

troisièmegaufre,unautreenluiadressantungrand

sourire.Maisçaneservaitpasàgrand-chose.Matt

s’agitaitcommes’ilavaituntrainàprendreet,en

mêmetemps,ilnelaquittaitpasdesyeux.

«Ils’imagineencoreDamonentrainde

terroriserdesfilles,pensaElena,sanspouvoirrien

faire.»

Quandilsquittèrentlebar,Damonn’était

toujourspasarrivé.EnvoyantMattfroncerles

sourcils,Elenaeutsubitementuneidée.

—EtsionemmenaitlaJagdansungaragede

voituresd’occasion?Quitteàlarevendre,j’aimerais

bienavoirtonavissurlemodèlequ’onnous

proposeraenéchange.

—C’estvraiquejesuisbienplacépourdonner

desconseilssurlestasdeferrailledéglingués,

réponditMattavecunsourireironique,signequ’il

n’étaitpasdupe.

Elenalemenaitparleboutdunez,maisils’en

fichait.

L’uniqueconcessionautomobiledelavillene

semblaitpastrèsprometteuse.Etencore,cen’était

riencomparéàlaminedépressivedeson

propriétaire.ElenaetMattletrouvèrentendormi

dansunpetitbureauauxfenêtrescrasseuses.Matt

frappadoucementsurlavitreetauboutd’un

moment

l’homme

sursauta,

se

redressa

brusquementsursachaise,puisleurfitsignede

partird’ungesteagacé.

Ilcommençaitàserendormir,maisMatt

insista,tapotantencoresurlaporte.Cettefois,

l’hommeseredressatrèslentement,leurlançaun

regardempreintd’uncertaindésespoiret

s’approchadelaportevitrée.

—Qu’est-cequevousvoulez?

—C’estpourunereprise,lançaMattd’unevoix

forte.

Elenaauraitpréféréutiliserlamanièredouce,

maisellen’eneutpasletemps.

—Commesidesadosavaientunevoitureà

échanger,marmonnal’hommed’untonsinistre.En

vingtansdecarrière…

—Regardezvous-même.

Matts’écartapourlelaisserdécouvrirlaJaguar

rougevifderrièrelui,brillantsouslesoleildumatin

commeunerosegéanteàroulettes.

—UneJaguarXJRtouteneuve.Dezéroàcent

en3,7secondes!MoteursurcompriméAJ-V8

GENIIIRde550chevauxetboîteautomatiqueZF

àsixvitesses.Dynamiqueadaptativeetengrenage

différentielactifpouruneadhérenceetunconfort

deconduiteexceptionnels.LaXJRestuneperle

rare!

Ilterminasondiscoursnezànezaveclepetit

monsieur,

dont

la

mine

stupéfaite

s’était

progressivementdécomposéeàmesurequ’ilclignait

desyeuxenregardanttantôtlavoiture,tantôtle

garçon.

—Vousvoulezquejevousreprennecette

voiturepouracheterunedesmiennes?bafouilla-t-

il,franchementabasourdi.Commesij’avaisdequoi

vouspayerla…Attendezunpeu!

Ils’interrompit.Sonregardagitésefigeaet

devintceluid’unjoueurdepoker.Ilredressales

épaulesmaispaslatête,cequiluidonnadesairsde

vautour.

—

Pas

intéressé,

refusa-t-il

d’un

ton

catégorique.

Ilfitminederentrerdanssonbureau.

—Commentça,pasintéressé?Vousbaviez

dessusilyaencoredeuxminutes!

L’hommenebronchapas,levisagedemarbre.

«J’auraisdûm’enoccuper,pensaElena.Jene

seraispasentréeenconflitdèsledébut.C’esttrop

tardmaintenant.»Elletentadefaireabstractionde

leurdisputeetjetaunœilsurlesvéhiculesen

mauvaisétatgaréssurleparking,arborantchacun

unepancartepoussiéreusecaléesurlepare-brise:

10%deremisepourNoël!Facilitédepaiement!

Voiture

verte!Spécial

collectionneurs!Pas

d’acompte!Essayez-la!Elleétaitsurlepointde

fondreenlarmes.

—Cegenredevoituren’estpastrèsdemandé

danslecoin,disaitlepropriétairedeslieuxd’unton

monocorde.Quivoudraitmel’acheter?

—Vousplaisantez!Aucontraire:cettevoiture

vavousamenerunefouledeclients.Çavavous

fairedelapub!Plusquevotrehippyrouge,là-haut.

—Pasunhippy,unéléphant.

—Difficiledefaireladifférence,ilestàmoitié

dégonflé.

D’unairdigne,l’hommes’éloignapouraller

jeterunœilàlaJaguar.

—Pastouteneuve.Yatropdekilomètresau

compteur.

—Elleaétéachetéeilyaquinzejours.

—Etalors?Dansquelquessemaines,Jaguar

présenterasesnouveauxmodèlesdelarentrée.

Ilindiqualavoitured’ungestedédaigneux.

—Dépassée.

—UneJaguar,dépassée?

—Cesgrossesvoitures,çavousbouffede

l’essence…

—Vousfaitesplusd’économied’énergieavecça

qu’avecunehybride!

—Quivouscroyezqueçaintéresse?Lesgens,

cequ’ilsvoient…

—Écoutez,jepeuxtrèsbienemmenercebijou

chezleconcurrent…

—Ehben,faitesdonc!Mais,dansma

concession,jevousledis,votreJaguarvautàpeine

unevoiture!

—Deuxvoitures,s’interposaunenouvellevoix.

L’hommeécarquillalesyeuxcommes’ilvenait

devoirunfantôme.

Tournantlatête,Elenacroisaleregardnoir

énigmatiquedeDamon.SesRay-Banpenduesaucol

desontee-shirt,lesmainsdansledos,ildévisageait

leconcessionnaire.

Quelquessecondess’écoulèrent…

—La…laPriusgrismétalliséaufond,àdroite.

Sous…souslabâche,ditlentementl’hommed’unair

hébété.

Personneneluiavaitriendemandé,dumoins

pasàvoixhaute.

—Je…jevousaccompagne.

—Prenezlesclésavecvousetlaissezlegarçon

l’essayer,exigeaDamon.

D’ungestemaladroit,l’hommeluimontraun

trousseauaccrochéàsaceinture,puiss’éloignaà

petitspas,lesyeuxdanslevide.

ElenasetournaversDamon.

—Petitequestion:tuluiasdemandéquelétait

sonmeilleurmodèle,surleparking?

—Le«moinspourri»,pourêtreexact.

Illuifitunsourireéclatant,puisreprittrèsvite

sonairsombre.

—Maispourquoideux?JesaisbienquelaJag

lesvautlargement,maisqu’est-cequ’onvafaire

d’unedeuxièmevoiture?

—Uncortège.

—Ohnon…

Cependant,Elenacomprittrèsvitel’intérêtde

cetteidée;dumoinsunefoisqu’ilsauraientdébattu

pendantdesheurespourdéciderquiconduirait

quellevoiture.Ellepoussaunsoupir.

—Bon,siMattestd’accord…

—Illesera.

Pendantuneinfimefractiondeseconde,Damon

pritunairsiinnocentqu’onauraitditunange.Elena

nevoulutpaslequestionnerdavantagesurcequ’il

comptaitfaireàMatt.

—Toi,tuasuneidéederrièrelatête,jeme

trompe?

Damonsouritànouveau,maiscettefoisson

sourireétaitbizarre,légèrementcontractéàla

commissuredeslèvres.Sonregardlaissaitentendre

quec’étaittroisfoisrien.Maissamaindroite

apparutsoudainementpourluitendrelaplusbelle

rosequ’Elenaeûtjamaisvue.

Sacouleurrougeprofondétaitextraordinaire,

pure,sansaucundéfaut;laroseétaitd’unbordeaux

veloutéetfraîchementépanouie.Ellesemblait

douceautoucher,etsatigevertvif,biendroite,

justeornéedequelquesfeuillesdélicatesicietlà,

mesuraitaumoinscinquantecentimètres.

Àsontour,Elenamitlesmainsdanssondos

d’unairrésolu.Damonn’étaitpasdugenre

romantique,mêmequandilabordaitsonsujetde

prédilection,safameusehistoiredeprincessedes

ténèbres.Laroseétaitprobablementliéeàleur

voyage.

—Elleneteplaîtpas?demanda-t-il.

Ellesefaisaitpeut-êtredesidées,maisElena

auraitpresqueditqu’ilétaitdéçu.

—Biensûrquesi.Maisc’estenquelhonneur?

Prisdecourt,Damonparutblessé.

—C’estpourtoi,maprincesse.Rassure-toi,je

nel’aipasvolée.

Nooon,iln’auraitjamaisfaitça!Elenan’avait

pasbesoind’undessinpourimaginercommentil

s’étaitprocurécetterose…Enmêmetemps,elle

étaitsijolie…

Commeellen’avaittoujourspasl’airdevouloir

laprendre,Damonlaissasespétalesfraisetdoux

commedelasoieluicaresserlajoue.

—Arrête,Damon,murmuraElenaen

frissonnant.

Pourautant,ellesemblaitincapabledereculer.

Iln’arrêtarienetsuivitplutôtlecontourdeson

autrejoueenfaisantglisserlafleursoussonnez,

dansunlégerbruissement.Machinalement,Elena

respiraàfond,maiscequ’ellesentitn’avaitpasdu

toutuneodeurdefleur.Onauraitditl’arômed’un

mystérieuxvin,unnectarancienetodorantqui,un

jour,l’avaittoutdesuiterendueivre.Ivredevinet

d’émotionsressenties…enprésencedeDamon.

«Maisjen’étaispasmoi-même,protestaune

petitevoixdanssatête.C’estStefanquej’aime.

Damon,pourquoi…?»

—Tuveuxsavoirpourquoij’aichoisicetterose

enparticulier?

Trèsdouce,lavoixdeDamonsemêlaitàses

souvenirs.

—C’estàcausedesonnom.Onappellecette

variété

desBlackMagic.Çasignifie«Magie

Noire».

Elleavaitdevinéavantmêmequ’illedise.

C’étaitleseulnomadapté.

Damonsemitàfairetourbillonnerlarosesursa

joueenexerçantdetempsentempsunepetite

pression,commeunbaiser.Lespétalesplusfermes,

aucentre,s’imprimaientdanssapeau,tandisque

lesautresl’effleuraientsimplement.

Elenasesentitparticulièrementélectrisée.Il

faisaitsichaudetsilourd,commentcetterose

pouvait-elleêtresifraîche?Lespétalesextérieurs

traçaientmaintenantlecontourdeseslèvresetelle

voulaitdirenon,mais,pouruneraisonoupourune

autre,lemotnevoulaitpassortir.

C’étaitcommesielleavaitremontéletemps,à

l’époqueoùDamonluiétaitapparupourlapremière

fois,oùill’avaitréclaméepourluiseuletoùelle

l’avaitpresquelaissél’embrasser,avantmêmede

connaîtresonnom…

Depuis,ilavaittoujourslamêmeconceptiondes

choses.Elenaavaitlevaguesouvenirdes’êtredéjà

faitlaréflexion.Damonchangeaitlesautres,tandis

queluirestaitexactementlemême.

«Maismoi,j’aichangé,seditElenaensentant

lesolsedérobercommedusablemouvantsousses

pieds.J’aitellementchangédepuis.Assezpour

découvrirdeschosesenDamondontjen’aurais

jamaissoupçonnél’existence.Pasuniquementson

côtésauvageetnoir,maisaussisesbonscôtés.

L’honneuretlagentillesse,parexemple,quiétaient

enferméscommedeslingotsdanslerocherdeson

âme.Jenesaispascomment,maisjeme

débrouilleraipourl’aider,lui…etlepetitgarçon

enchaîné.»

Cespenséesluiétaientvenuesàl’esprit,sans

prévenir.Elleétaitsiabsorbéequ’elleenavait

oubliécequ’elleétaitentraindefaire,etelleprit

conscienceunpeutroptarddufaitqueDamon

s’étaitdangereusementrapproché.Elleétait

adosséeàl’unedesvoituresminables,tandisqu’il

parlaitd’unevoixenapparencelégèremaisaufond

trèssérieuse.

—Alors,uneroseenéchanged’unbaiser?

demanda-t-il.Jet’assurequejemelasuisprocurée

honnêtement.Onmel’aofferte.Comment

s’appelait-elle,déjà?…

Uninstant,unelueurdeperplexitéassombrit

sonvisage.Puisilsourit,maisdusouriredu

guerrier;cesourireéclatantqu’illançaitetqu’il

effaçaitaussisec,presqueavantquevousnesoyez

sûrdel’avoirvu.Elenapressentitlesennuis.Certes,

Damonneprononçaittoujourspascorrectementle

nomdeMatt,maisellenel’avaitjamaisvuoublierle

prénomd’unefilleetêtreincapabledes’en

rappeler.Surtoutsachantqu’elleavaitdûluiservir

derepaspeudetempsauparavant.

«EncoreunsalecoupdeShinichi?»se

demanda-t-elle.Est-cequ’ilcontinuaitàsubtiliser

lessouvenirsdeDamon,enpiochantbienentendu

parmilesplusmarquants?Danssesémotions,

bonnesoumauvaises?ElenacompritqueDamonse

posaitlesmêmesquestions.Sonregardnoir

s’embrasa.Ilétaitfurieux,maiscetterageavait

quelquechosedevulnérable.

Sansréfléchir,elleposalesmainssursesavant-

bras.Elleneprêtapasattentionàlarosequi

dessinaitlacourbedesapommette.Elleessayade

parleravecfermeté.

—Qu’est-cequ’onvafaire,Damon?

C’estaumilieudecettescènequeMattfitson

entrée,ouplutôtirruption.Ilsefaufilaitàtraversle

dédaledevoitures,etarrivaencontournantàtoute

vitesseunSUVblancauxpneusdégonflés.

—Hé!Voussavez,cettePrius…

Ils’arrêtanet.

Elenacomprittoutdesuitepourquoi:ilvoyait

Damonluicaresserlajoueavecunerosetandis

qu’ellel’enlaçaitpresque.Ellelâchalesbrasde

Damonmaissanspouvoirreculer,àcausedela

voiture.

—Matt…

Elles’apprêtaitàluidireCen’estpascequetu

crois.Onn’estpasentraindes’embrasser.Jenele

tienspasvraimentdansmesbras,maisellesetut.

Quoiqu’elledise,Mattauraittouteslesraisonsde

douter.

ElletenaitàDamon.

Commeunedécharge,cettepenséesepropagea

danssonespritaveclaforced’unraidelumière

transperçantlecorpsd’unvampiresansprotection.

ElletenaitàDamon.

Elleytenaitvraiment.Êtreavecluiétait

souventpénible,carilsétaientpareilssurde

nombreuxpoints:têtus,chacunvoulantn’enfaire

qu’àsatête,passionnés,impatients…

Damonetelleseressemblaient.

Sesentantdeplusenplusfaible,Elenafut

finalementcontentedepouvoirs’appuyercontrela

voiture.

«C’estStefanquej’aime!paniqua-t-elle.C’est

leseulquicompte.Maisj’aibesoindeDamonpour

leretrouveretonestpeut-êtreentraindele

perdre,luiaussi.»

Depuisledébut,elleregardaitMatt,lesyeux

embuésdelarmesquirefusaientdecouler.Elle

avaitbeauclignerdespaupières,ellesrestaient

obstinémentsursescils.

—Matt…,chuchota-t-elle.

Ilneditrien.C’étaitinutile.Sonregardparlait

pourlui:lastupéfactiondudébutavaitlaisséplace

àunsentimentqu’Elenan’avaitjamaisludansses

yeux,pasquandc’étaitellequ’ilregardait.

C’étaitunesortededistancequil’excluait

totalement,etrompaittouslesliensentreeux.

—Matt,non…

Maissoncrinefutqu’unchuchotement.

AlorsDamonintervint.

—Tusaisbienquetoutestdemafaute,n’est-

cepas?Onpeutdifficilementenvouloiràune

femmequiessaiedesedéfendre.

Elenaregardasesmainsquis’étaientmisesà

trembler.

—Réfléchis.Elenaneferaitjamais…

Là,ellecomprit:Damonétaitentrain

d’influencerMatt.Elleluipritlespoignetsetle

secoua.

—Nefaispasça!PasàMatt!

Lesyeuxnoirsquilafixaientn’étaient

certainementpasceuxd’unprétendant.Damon

avaitétéinterrompuenpleinedémonstrationde

force.N’importequid’autreauraitétéréduitàune

vulgairetachedegraisseparterre.

—Jefaisçapourtoi,dit-ilfroidement.Tu

refusesmonaide?

Ellehésita.Aufond,sic’étaitjusteunefois,et

uniquementdansl’intérêtdeMatt…

Maiselleeutbrusquementuneidée.C’étaitça

ouellecraquait,laissantsonaurairradieraugrand

jour.

—Nerecommencejamaisça,lâcha-t-elle.

Savoixétaitposée,maisglaciale.

—Net’avisepasd’essayerdem’influencer!Et

fichelapaixàMatt!

Unelueurd’approbationvacilladansl’obscurité

sansfinduregarddeDamon.Elledisparutavant

qu’Elenanefûtcertainedel’avoirvue,mais,quand

ilrepritlaparole,ilsemblaitmoinsdistant:

—D’accord,lança-t-ilàMatt.Alors,comment

ons’organisemaintenant?C’esttoiquidécides.

Mattréponditlentement,sanslesregarder.Il

étaittoutrouge,maisonnepeutpluscalme.

—J’allaisdirequecettePriusn’estpasmaldu

tout.Etlevendeurenauneautre.Elleestenbon

état.Onpourraitavoirdeuxvoituresidentiques.

Commeça,onpeutfaireuncortègeetseséparersi

jamaisquelqu’unnousfile.Ilsnesaurontpasqui

suivre!

Entempsnormal,Elenaseseraitjetéeaucou

deMatt.Maisilregardaitsespiedset,aufond,ce

n’étaitpeut-êtrepasplusmalcarDamonsecouaitla

têted’unairconsterné.

«C’estmonauraoucelledeDamonqu’ils

suivent,comprit-elle,et,àmoinsqu’ellesnesoient

pareilles,cen’estpasavecdeuxvoituresidentiques

qu’onarriveraàlessemer.»

Cequisignifiaitqu’elledevraitfairetoutle

trajetavecMatt.MaisDamonnel’accepterait

jamais.Etelleavaitbesoindeluipourretrouversa

véritableâmesœur,laseuleetl’unique:Stefan.

—Jeprendrailaplusvieille,j’ail’habitude,dit

Matt,quis’arrangeaitavecDamonsansfaire

attentionàelle.J’aidéjàconclul’affaireavecletype.

Onpeutsemettreenroute.

Ilcontinuades’adresseruniquementàDamon.

—Tuvasêtreobligédemedireoùonva.Au

casoùonseraitséparés.

Damonrestasilencieuxunbonmoment.

Puis,sanscriergare,ilrépondit:

—Pointdedépart:Sedona,enArizona.

Mattpritunairdégoûté.

—Tuveuxrire?Cettevilleestpleinedecinglés

NewAge!

—J’aiditpointdedépart.L’endroitoùonva

ensuiteestuncoinperduaumilieudenullepart;y

arien,àpartdescailloux.Onpeutseperdretrès

facilement.

Damoneutsonfameuxsourireaussiéclatant

quefugace.

—Rendez-vousàl’hôtelJuniper,àlasortiede

l’autorouteduNord89A,ajouta-t-ild’unevoix

suave.

—Compris.

Mattselaissaitrientransparaître,nisurson

visage,nidanssavoix,maisElenaperçutsonaura,

unhalorougeetbouillonnant.

—Tusais,Matt,dit-elle,ondevraitsedonner

rendez-voustouslessoirs,surlaroute,commeça…

Elles’arrêtaaubeaumilieudesaphrase,le

soufflebrusquementcoupé.

Mattavaitdéjàtournélestalons.Ilnese

retournapasquandelleluiparla.Ilcontinuaà

avancer,droitdevantlui,sansrienajouter.

Sansregarderenarrière.

6.

ElenaseréveillaenentendantDamonfrapper

avecimpatiencesurlavitredelaPrius.Elleétait

touthabillée,sonjournalfermementserrécontre

elle.C’étaitlelendemaindudépartdeMatt.

—Tuasdormitoutelanuitcommeça?

Damonlaregardadehautenbastandisqu’elle

sefrottaitlesyeux.Commed’habitude,ilétait

impeccablementvêtu:toutennoir,bienentendu.

Lachaleuretl’humiditén’avaientaucuneprisesur

lui.

—J’aidéjàprismonpetit-déjeuner,dit-ilen

s’installantauvolant.Maisjet’airapportéça.

Ça,c’étaitunegrandetasseenpolystyrène

pleinedecaféfumant,dontElenas’emparaavec

reconnaissance,ainsiqu’unsacenpapiermarron

quiserévélacontenirdesbeignets.Pasexactement

desplusnourrissants,maiselleavaitgrandbesoin

decaféineetdesucre.

—Ilfaudraqu’ons’arrêtesuruneairederepos,

prévint-elletandisqueDamondémarrait.Pourque

jemechangeetmedébarbouilleunpeu.

Ilsmirentlecapversl’ouest,cequiconcordait

aveclesinformationsqu’Elenaavaittrouvéesla

veilleenexaminantunecartesurleWeb.Lapetite

imagesurl’écrandesontéléphoneportableétaitla

mêmequecellequ’affichaitlesystèmedenavigation

delaPrius.Touteslesdeuxmontraientquelaville

deSedonasesituaitquasimentenlignedroite

depuislapetiteroutechampêtreoùDamons’était

garépourlanuit,dansl’Arkansas.Maistrèsvite,il

bifurquaendirectiondusud,prenantunchemin

bienàlui,quitroublerait–oupas–d’éventuels

poursuivants.

Letempsqu’ilstrouventuneairederepos,la

vessied’Elenaétaitsurlepointd’exploser.Elle

passaunebonnedemi-heuredanslestoilettespour

dames,faisantdesonmieuxpourserafraîchiravec

desserviettesenpapieretdel’eaufroide,sebrossa

lescheveux,enfilaunautrejeanetunpetithaut

blancproprequiselaçaitdevantcommeuncorset

(onnesaitjamais:undecesjours,ilsepourrait

qu’ellereviveuneESCpendantunpetitsommeet

qu’ellerevoieStefan).

Enattendant,ellepréféraitnepaspenserau

faitqu’avecledépartdeMattelleseretrouvait

seuleavecunvampireimprévisible,traversantle

centredesÉtats-Unisversunedestination

littéralementd’unautremonde.

***

Lorsqu’elleréapparutenfin,Damonavaitle

visageferméetdénuéd’expression.Ilprittoutde

mêmeletempsdejeterunœilàlatenued’Elenaqui

étaitentrainderéaliser:

«Oh,non,quelleidiote…j’ailaissémonjournal

danslavoiture!»

Elleétaitpersuadéequ’ill’avaitlu,autantquesi

ellel’avaitvufaire,maisheureusementiln’yavait

rienàproposdesesdédoublementscorporelsetde

sesescapadesauprèsdeStefan.Damonvoulaitlui

aussilibérerStefan,elleenétaitconvaincue(sinon,

elleneseraitpasdanscettevoitureaveclui),mais

ellesentaitqu’ilvalaitmieuxqu’ilignorequ’elle

avaitdéjàfaitl’étatdeslieuxdeleurdestination.

Commeelle,Damonaimaitavoirlecontrôledes

opérations.Etilaimaitinfluencerlesagentsde

policequil’arrêtaientpourexcèsdevitesse.

Maisaujourd’huiilétaitdemauvaisehumeur,

mêmeselonsesproprescritères.Parexpérience,

Elenasavaitqu’ilpouvaitêtred’excellente

compagniequandilvoulait,raconterdeshistoireset

desblaguesextravagantesjusqu’àcequeles

passagerslesplustaciturnesfinissentparrire

malgréeux.

Là,ilnerépondaitmêmepasàsesquestionset

riaitencoremoinsàsesplaisanteries.Laseulefois

oùelletentauncontactphysiqueenluieffleurantle

bras,ils’écartabrusquement,commesisamain

risquaitd’abîmerlecuirdesaveste.

«Génial»,pensa-t-elle,dépitée.Elleappuyala

têtecontrelavitreetfixalepaysage,quiétaitle

mêmedepuisdesheures.Sespenséessemirentà

vagabonder.

OùétaitMattàl’heurequ’ilétait?Devantou

derrièreeux?S’était-ilreposéunpeucettenuit?

Traversait-illeTexasencemoment?Se

nourrissait-ilcorrectement?Ellechassaquelques

larmesenclignantdesyeux,deslarmesqui

montaientdèsqu’ellerepensaitàlafaçondontil

étaitpartisansunregard.

Elenaétaitunefilledébrouillarde.Elleétait

capablededémêlern’importequellesituationtant

quelespersonnesquil’entouraientsecomportaient

en

êtres

sensés

et

normaux.

Elle

savait

particulièrements’yprendreaveclesgarçons,

c’étaitmêmesaspécialité.Ellesechargeaitd’eux,

lesdirigeait,depuislecollège.Maisaujourd’hui,à

peuprèsdeuxsemainesetdemieaprèsêtre

revenued’entrelesmorts,d’unmonded’esprits

dontellenesesouvenaitpas,ellen’avaitplusenvie

derégenterquiquecesoit.

C’étaitcequ’elleaimaitchezStefan.Dèslors

qu’elleavaitréussiàl’affranchirdesonréflexe

instinctifderenonceràtoutcequ’ilaimait,elle

n’avaitplusdutouteubesoindes’occuperdelui.Il

neparlaitjamaisdesacondition,exceptépourfaire

desallusionsdiscrètesaufaitqu’elleétaitdevenue

experteenvampires.Paspourlespourchasserou

lestuer,maispourlesaimerentoutesécurité.Elena

savaitquandc’étaitlebonmomentpourmordreou

êtremordue,quands’arrêteretcommentrester

humaine.

Mais,hormiscesparenthèses,ellen’avaitpas

enviedemanipulerStefand’unequelconquefaçon.

Ellevoulaitsimplementêtreaveclui.Lerestese

faisaittoutseul.

ElenapourraitvivresansStefan,dumoinselle

lecroyait.Mais,toutcommelefaitd’êtreloinde

MeredithetdeBonnieressemblaitàvivresansses

deuxmains,vivresansStefanseraitcommeessayer

devivresanssoncœur.Ilétaitsoncavalierdansla

grandevalsedelavie;sonégaletsonopposé,son

bien-aiméetsonamantausenslepluspurquel’on

puisseimaginer.Àsesyeux,ilfaisaitpartie

intégrantedesmystèressacrésdel’existence.

Depuisqu’ellel’avaitvulaveille,mêmesic’était

enrêve(cequ’ellen’étaitpasprêteàaccepter),son

absenceétaitencoreplusdouloureuse.Unedouleur

siviolentequ’ellenepourraitsupporterderester

assiselesbrascroisésàlaressasser,souspeinede

devenirfolle.

Ilsfirentunehaltedansunvillagesansnom

pourdéjeuner.Elenan’avaitpasfaim,etDamon

passatoutelapausesouslaformed’uncorbeau,ce

qui,bizarrement,larenditfurieuse.

Letempsqu’ilsreprennentlaroute,lemalaise

danslavoitureavaitgrandi,àtelpointquelevieux

clichéétaitinévitable:latensionétaitàcouperau

couteau,pournepasdireauscalpel.

Soudain,elledevinalanaturedecettetension.

LaseulechosequiretenaitDamon,c’étaitsa

fierté.

Ilsavaitqu’Elenaavaitcompriscequise

passait;elleavaitcessétoutetentativedecontact,

physiqueouverbal,etc’étaittantmieux.

Iln’étaitpascenséêtredanscetétat.Quandun

vampiredésiraitunefille,c’étaitpoursajoliegorge

blanche;quantaureste,Damonavaituntelsensde

l’esthétiquequeledonneurdevaitêtreaumoinsàla

hauteurdesesattentes.Maisaujourd’hui,même

l’aurad’Elena,pourtantdetaillehumaine,laissait

transparaîtrelaforcevitaleexceptionnellequi

coulaitdanssesveines.LaréactiondeDamonétait

involontaire.Iln’avaitpaspenséàunefilledecette

manièredepuisàpeuprèscinqcentsans.Les

vampiresenétaientincapables.

Saufque,là,Damonenétaitparfaitement

capable.Plusilserapprochaitd’Elena,plussonaura

lehappaitetmoinsilétaitmaîtredelui.

Grâceàtouslesdémonsdel’Enfer,safierté

étaitplusfortequeledésirqu’iléprouvait.Damon

n’avaitjamaisriendemandéàpersonnedetoutesa

vie.Pourdédommagerleshumainsdusangqu’il

leurprenait,ilavaitunemonnaiebienàlui:une

récompensefaitedeplaisiretderêves.MaisElena

n’avaitbesoinnidel’unnidel’autre.

Nidelui.

C’étaitStefanqu’ellevoulait.

Damonétaittroporgueilleuxpourdemanderà

Elenacequeseulsonfrèrepouvaitavoir;demême

qu’ilnetoléreraitpasdeluiprendrequoiquecesoit

sanssonconsentement,dumoinsill’espérait.

Ilyaencorequelquesjours,soncorpsétaitune

coquillevide,lepantindejumeauxmachiavéliques

quil’avaientpousséàfairedumalàElena,pardes

procédésquiaujourd’huilemettaientenrage.Àce

moment-là,Damonetlapersonnalitéqu’onlui

connaissaitn’existaientpas;seulsoncorpsservait

dejouetàShinichi.Mêmes’ilavaitencoredumalà

l’admettre,cetteempriseavaitétésifortequele

pantinavaitobéiàtouslesordres:ilavaittorturé

Elena…etilauraittrèsbienpulatuer.

Inutiledelenieroudedirequec’était

impossible.Questionmanipulation,Shinichiétaitun

brinplusfortquelui,et,contrairementaux

vampiresàl’égarddesjoliesfilles,lekitsunene

faisaitpaslafinebouchequantauchoixdeses

victimes.Sanscompterqu’ilétaitsadique.Ilaimait

lasouffrance:celledesautres,pourêtreprécis.

Damonnepouvaitnirenierlepassé,ni

s’expliquerpourquoiilnes’étaitpas«réveillé»

pourempêcherShinichides’enprendreàElena.Au

fond,iln’yavaitrienàréveiller.Etsiuneinfime

partdeluicontinuaitdeselamenterdumalqu’il

avaitcausé,ehbienDamonétaittrèsfortpourla

refouler.Ilneperdraitpassontempsavecdes

regrets,maisilétaitrésoluàcontrôlerl’avenir.Ça

nesereproduiraitjamais,pastantqu’ilseraitenvie.

Enrevanche,iln’arrivaitvraimentpasà

s’expliquerpourquoiElenaleprovoquait.Pourquoi

elleagissaitcommesielleavaitconfianceenlui.S’il

yavaitunepersonnesurTerrequiavaittousles

droitsdelehaïr,depointerundoigtaccusateurvers

lui,c’étaitbienelle.Maispasuneseulefoisellene

l’avaitfait.Iln’avaitmêmejamaisperçudecolèreà

sonencontredanssesyeuxbleumarinetachetés

d’or.Elleseuleavaiteul’airdecomprendreque,

sousl’emprisedumaîtredesmalachs,personne

n’avaitlechoixdesesactes.

Siellelecomprenaittant,c’étaitpeut-être

parcequ’ellel’avaitdébarrassédecemonstrequele

malachavaitengendré;cesecondcorps,albinoset

bienvivant,quis’étaitdéveloppéàl’intérieurdelui.

Damonseforçaàréprimerunfrisson.S’ilétaitau

courant,c’étaituniquementparcequeShinichiavait

prisunmalinplaisiràluienparlerpendantqu’il

emportaittoussessouvenirsdel’époque,depuisle

jourdeleurfunesterencontredanslavieilleforêt.

Damonétaitraviqu’onaitfaitunpeudeplace

danssamémoire.Dèsl’instantoùilavaitcroiséles

yeuxdorésetrieursdecemauditrenard,savie

étaitdevenueunenfer.

Etmaintenant…ilétaitseulavecElenaau

milieud’uneétenduesauvageetdésolée,bordéede

raresvillages.Seulavecellecommejamaisilsne

l’avaientété,etseulaveccedésirirrépressibleque

touslesgarçonsquil’avaientconnueavaient

éprouvé.

Lepire,c’étaitquelesfillescharmantes,voire

charmeuses,étaientpourainsidirelaraisond’être

deDamon,laseulepourlaquelleilavaitréussià

continuerdevivrependantprèsdecinqcentsans.

Néanmoins,ilsavaitquesousaucunprétexteilne

devaits’engageraveccellequiincarnaitpourluile

joyaudel’humanité.

Enapparence,ilétaitparfaitementmaîtrede

lui,glacialetméticuleux,distantetdésintéressé.

Mais,intérieurement,ilbouillonnait.

***

Cesoir-là,aprèss’êtreassuréqu’Elenaavaità

mangeretàboireetqu’elleétaitensécuritéà

l’intérieurdelaPriusferméeàclé,Damonfit

tomberunbrouillardhumideetdressaunàunses

bouclierslesplusmenaçants.C’étaitunefaçon

d’annonceràtouslesfrèresetsœursdesténèbres

quicroiseraientcettevoiturequelafillequise

trouvaitàl’intérieurétaitsoussaprotection,etque

quiconquetroubleraitlereposdesaprotégéeserait

étripévivant.Ilparcourutensuitequelques

kilomètresàvoldecorbeau,atterritdansunbouge

oùunemeutedeloups-garousétanchaitsasoif

grâceàdecharmantesserveusesetpassalanuità

sebagarrer.Malgrétout,çanesuffitpasàlui

changerlesidées,loindelà.

Lorsqu’ilrentraàl’aube,lesboucliersautourde

lavoitureavaientdisparu.Mais,avantmêmede

paniquer,ils’aperçutqu’Elenalesavaitdétruitsde

l’intérieur.Riennel’avaitalerté,carsesintentions

étaientpacifiquesetsoncœurinnocent.

Elleapparutenpersonne,remontantlarive

d’unruisseau,fraîcheetdétendue.Damonse

retrouvasansvoix,saisiparcespectacle:sagrâce,

sabeauté,soninsupportableproximité.Sentant

l’odeurdesapeautoutepropre,ilneput

s’empêcherd’inspirerdeplusenplusfortceparfum

exquis.

Ilnevoyaitpascommentilpourraittenirun

jourdeplusdanscetétat.

Maisbrusquementileutuneidée.

—Aimerais-tuapprendrequelquechosequi

t’aideraitàcontrôlertonaura?proposa-t-ilàElena

tandisqu’ellepassaitdevantlui.

Sedirigeantverslavoiture,elleluilançaun

regardenbiais.

—Tiens,tuasdécidédemereparler?Dis-moi,

jesuiscenséem’évanouirdejoie?

—Ehbien,ceneseraitpasderefus…

—Benvoyons!

Damoncompritqu’ilavaitsous-estiméla

tempêtequ’ilavaitdéclenchéedanslecœurdecette

fillemerveilleuse.

—Bon,soyonssérieux,dit-ilenlafixantdeson

regardnoir.

—Laisse-moideviner:tuvasmeproposerde

devenirunvampire?

—Maisnon,pasdutout.Çan’arienàvoiravec

lefaitd’êtreunvampire.

Damonrefusaitdeselaisserentraînerdansune

dispute,cequinemanquapasdesurprendreElena.

—Maisalorsdequoiils’agit?

—D’apprendreàfairecirculertonpouvoir.Le

sangcouledanslesveines,onestd’accord?Ehbien,

c’estpareilpourlepouvoir.Mêmeleshumainsle

saventdepuisdessiècles:ilsappellentçalaforce

vitale,chiouki.Dansl’étatactueldeschoses,ton

pouvoirsedispersesimplementdanslesairs.C’est

cequ’onappelleuneaura.Mais,situapprendsàle

canaliser,tupeuxl’accumulerpourlibérerquelque

chosed’énormeettupeuxaussipasserplus

inaperçue.

Elenaétaitvisiblementfascinée.

—Pourquoitunemel’aspasditplustôt?

«Parcequejenesuisqu’unidiot,pensaDamon.

Parceque,pourunvampire,c’estunréflexeaussi

instinctifquerespirerl’estpourtoi.»

Ilmentiteffrontément:

—Ilfautuncertainniveaudecompétencepour

yarriver.

—Ettupensesqu’aujourd’huij’ensuis

capable?

—Jecrois.

Ilprituneintonationlégèrementsceptiqueet,

naturellement,

Elena

en

fut

d’autant

plus

déterminée.

—Montre-moi!

—Quoi,toutdesuite?

Iljetaunœilautourdelui.

—Unevoiturepourraitnousvoir…

—Onestloindelaroute.Allez,Damon,s’ilte

plaît!

Elleleregardaaveclesgrandsyeuxbleusque

bientropd’hommestrouvaientirrésistibles.Ellelui

touchalebras,essayantunefoisdeplusd’établirun

contact,maisils’écartamachinalement.

—Jeveuxvraimentyarriver.Apprends-moi.

Montre-moijusteunefois,etjem’entraînerai.

Damonbaissalesyeux,etsentitsonbonsenset

savolontéchanceler.Maiscommentfaisait-elle?

—Bon,d’accord.

Ilyavaitaumoinstroisouquatremilliardsde

personnessurcetteplanètederiendutoutqui

donneraientn’importequoipourêtreavecElena

quandelleétaitdanscetétatd’esprit:pleinede

désir,enthousiaste,chaleureuse.Leproblème,c’est

qu’ilsetrouvaitêtrel’unedecespersonnes…et

qu’Elenan’enavaitclairementrienàfairedelui.

Évidemment,puisqu’elleavaitcecherStefan.

Ehbien,ilverraitsisaprincesseétaittoujoursla

mêmequandilsréussiraientàlelibéreretàrevenir

vivants…s’ilsréussissaient.

Enattendant,Damons’appliquaàrester

complètementdétaché,danssavoix,sonexpression

ousonaura.Ilétaitunpeurodédececôté-là.Cinq

sièclesd’entraînement,forcément,çaaidait.

—D’abord,ilfautquejetrouvelepoint

stratégique,expliqua-t-il,conscientquesavoix

manquaitdechaleuretquesontonétaitnon

seulementdétachémaisfroid.

Elenanebronchapas;elleaussisavaitêtre

détachéequandellelevoulait.Mêmesesgrands

yeuxbleussemblaients’êtrevoilésd’unelueur

glaciale.

—OK.Oùest-il?

—Prèsducœur,maisplusàgauche.

Iltouchalesternumd’Elena,puisdéplaçases

doigtssurlagauche.

Elenaluttait,illevoyaitbien,àlafoiscontresa

nervositéetcontreuneenviedefrissonner.Il

cherchaitàlocaliserl’endroitoùlachairsefaitmolle

surl’os,celuioùlaplupartdeshommessupposent

queleurcœursetrouveparcequec’estlàqu’ilsle

sententbattre.Çadevaitêtreàpeuprès…ici…

—Bon,maintenantjevaisdiffusertonpouvoirà

traversunoudeuxcanauxet,quandturéussirasà

lefaireseule,tuserasprêteàdissimulertonaura.

—Maiscommentjelesaurai?

—Tulesauras,crois-moi.

Commeiln’avaitpasenviequ’elleposedes

questions,illevaviteunemaindevantelle,sans

touchersapeaunimêmeseshabits,etamenaleurs

deuxforcesvitalesàsesynchroniser.Voilà.Et

maintenant:déclenchementduprocessus.Ilsavait

d’avancecequ’Elenaallaitressentir:unedécharge

électriqueàpartirdupremierpointdecontactqu’il

avaitétabliet,trèsvite,unesensationdechaleur

diffusedanstoutlecorps.

Puisunemosaïqueéclairdesensationspendant

qu’illuiferaitfaireunoudeuxtoursdepisteàblanc.

Crescendo,jusquedanslesyeuxetlesoreilles;là,

elleconstateraitsubitementquesavueetsonouïe

étaientnettementplusfines.Ensuitelelongdesa

colonneetjusquedanssesdoigts;alorsses

battementsdecœurs’accéléreraientetellecroirait

sentirdel’électricitéaucreuxdesesmains,qui

gagneraitlehautdesesbrasetlescourbesdeson

corps,stadeauqueluntremblementsurviendrait.

Pourfinir,l’énergiedévaleraitd’uncoupses

splendidesjambesjusqu’àlaplantedesespieds,où

sesorteilssecontracteraient,avantderemonter

verssasource,prèsducœur.

DamonentenditElenahaleterfaiblementàla

premièredécharge.Puisilsentitsonpouls

s’emballeretvitsescilss’agiteralorsquelemonde

devenaittoutàcoupbeaucoupplusclairpourelle:

lespupillesdilatées,lecorpsraidiaubruit

imperceptibled’unrongeurdanslesherbes,bruit

qu’elle

n’aurait

jamais

perçu

sans

cette

concentrationdepouvoirdanssesoreilles,etainsi

desuitejusqu’àcequ’elleaitpusefaireuneidéedu

processus.

PuisDamonlalâcha.

Elleétaitàboutdesouffleetépuisée.Direque

c’étaitluiquiavaitdépensédel’énergie!

—Jen’yarriveraijamaisseule…

—Maissi,çaviendraavecdutempsetde

l’entraînement.

—Situledis…

Elenaavaitfermélesyeux,sescilsformantdes

croissantsnoirssursesjoues.Visiblement,elleétait

àbout.Damonfuttentédelaserrercontrelui,mais

ilseretint;elleluiavaitclairementfaitcomprendre

qu’ellenevoulaitpasqu’illaprennedanssesbras.

«Jemedemandecombiendegarçonsellen’a

pasrepoussés»,pensa-t-ilbrusquement,assez

amer.Uneamertumequid’ailleurslesurprenaitun

peu.Qu’est-cequeçapouvaitluifairedesavoir

combiendegarçonsavaientsus’yprendreavec

Elena?Quandelleseraitdevenuesaprincessedes

ténèbres,ilspartiraienttouslesdeuxàlachasse

auxhumains,parfoisensemble,parfoischacunde

leurcôté.Iln’étaitpasjaloux.Peuluiimportaitde

savoircombiend’histoiresamoureuseselleavait

euesjusqu’ici.

Iln’étaitpeut-êtrepasjaloux,maisilétaiten

colère.Suffisammentpourluiparlerdurement:

—Jetedisquetuyarriveras.Entraîne-toi

justeàlefaireseule.

***

Danslavoiture,ilréussitàresterénervécontre

elle.C’étaitdifficile,carelleconstituaitune

excellentecompagnedevoyage.Ellenejacassait

pas,ellen’essayaitnidefredonnernidechanteren

chœuraveclaradio,ellenemastiquaitpasde

chewing-gumetnefumaitpas,ellen’assommaitpas

leconducteurdeconseils,n’avaitpasbesoinde

s’arrêtertouteslesdemi-heureset,surtout,ne

demandaitjamais:«Onarrivebientôt?»

Àvraidire,c’étaitdifficilepourn’importequi,

hommeoufemme,deresterfâchétrèslongtemps

contreElenaGilbert.Onnepouvaitdireniqu’elle

étaittropexubérante,commeBonnie,niqu’elle

étaittropsereine,commeMeredith.Elleétaitassez

doucepourcompensersonespritbrillant,vifet

toujoursenébullition,assezgénéreusepoursefaire

pardonnersonégocentrismeavoué,etasseztordue

pourêtresûrequepersonnenelaprendraitjamais

pourunefille«normale».Elleétaitprofondément

fidèleàsesamisetassezclémentepourne

considérerpresquepersonnecommeunennemi,

exceptionfaitedeskitsuneetdesAnciens.Elleétait

honnête,francheetaffectueuse,etbiensûrelle

avaituncôtésombre,quesesamisqualifiaient

simplement

de

sauvage

mais

que

Damon

reconnaissaitpourcequ’ilétaitréellement.Ça

contrebalançaitsontempéramentparfoisnaïf,doux

etsincère,desqualitésdontDamonseserait

volontierspassépourcevoyage.

Oh,etunedernièrechose:ElenaGilbertétait

d’unetellebeautéquetoussesdéfautsn’avaient

aucuneimportance.

MaisDamonétaitbiendécidéàresterfâché,et

engénéralilavaitsuffisammentdevolontépour

pouvoirdéciderdesonhumeurets’ytenir,queça

plaiseounon.Ilignoratouteslestentativesd’Elena

pourfairelaconversation,etellefinitpar

abandonner.Ildemeurafocalisésurlesdizaines

d’hommesquel’exquisejeunefemmeavaitdû

mettredanssonlit.Ilsavaitqu’Elena,Carolineet

Meredithétaientles«aînées»duquatuorà

l’époqueoùellesétaienttoutesamies,alorsque

Bonnieétaitlapetitejeunettequel’onestimaitun

peutropcandidepourêtrevraimentinitiée.

L’espaced’uneminute,ilsesurpritàse

demandercequ’ilfaisaiticiavecElena,soupçonnant

presqueShinichidelemanipulerenmêmetemps

qu’illuiprenaitsessouvenirs.

Stefannes’inquiétait-ildoncjamaisdupassé

d’Elena,surtoutsachantqu’unancienpetitami,ce

Blatte,étaittoujoursdanslesparages,prêtàdonner

saviepourelle?Sûrementquenon,sinonilyaurait

déjàmisunterme.Maiscommentpourrait-il

mettreuntermeaumoindredésird’Elena?Damon

avaitvuleursvolontésrespectivesentrerenconflit,

mêmequandElenan’étaitqu’uneenfant,aprèsson

retourdel’Au-delà.Quandils’agissaitdeleur

couple,elleétaitincontestablementlechef.Comme

disaientleshumains:c’étaitellequiportaitla

culotte.

«Ehbien,danstrèspeudetemps,onverrasi

elleseplaîtenfavoriteduharem»,pensaDamonen

riantsilencieusement,bienquesonhumeurfûtplus

noirequejamais.Enguisederéaction,leciel

s’assombritau-dessusdelavoitureetlevent

arrachaavantl’heurequelquesfeuillesd’étéaux

branches.Unerafaledepluieconstellalepare-brise,

puisvinrentlafoudreetlegrondementdutonnerre.

Malgréelle,Elenatressaillaitchaquefoisqu’il

éclatait.Damonobservalespectacleavecunplaisir

macabre.Tousdeuxsavaientqu’ilpouvaitcontrôler

letemps,maisaucunn’évoqualesujet.

«Elleesttropfièrepourmedemander

d’arrêter»,pensa-t-il.Ils’envoulaitd’êtreaussi

indulgentavecelle,maisc’étaitplusfortquelui.

Enpassantdevantunmotel,Elenasuivitdu

regardl’enseignelumineuseetfloue,regardantpar-

dessussonépaulejusqu’àcequ’elles’évanouisse

dansl’obscurité.Damonn’avaitpasenviede

s’arrêter.Iln’osaitpas,envérité.Ilsétaientpris

dansunvilainorage,àprésent,etdetempsen

tempslaPriusdérapaitenaquaplaning,maisil

parvenaitàgarderlecontrôle…enfin,toutjuste.Il

adoraitconduiredanscesconditions.

Plusloin,lorsqu’unpanneauindiquaquele

prochaingîtesetrouvaitàplusd’unecentainede

kilomètres,Damon,sansconsulterElena,s’engagea

dansl’alléeinondéed’unmoteletgaralevéhicule.

Leciel,maintenantdéchaîné,déversaitdestrombes

d’eau;Damontrouvarefugedansunepetiteremise

séparéedubâtimentprincipal.

Cettesolitudeluiconvenaitparfaitement.

7.

Ensortantdelavoiture,Elenafutforcéede

s’appuyerdetoutsonpoidssursesjambespour

garderl’équilibre.Unefoisdanslachambre,dèsque

laporteeutclaquédanssondos,ellealla

directementdanslasalledebains.Sesvêtements,

sescheveux,sespieds:toutétaittrempé.

Lesnéonsdelapièceétaientpresque

aveuglantsaprèsl’obscuritédelanuitetdela

tempête;àmoinsquecenefûtparcequ’elle

commençaitàsavoirfairecirculersonpouvoir.

Ça,çaavaitétéunesacréesurprise.Damonne

l’avaitpastouchée,maislechocqu’elleavait

ressentiserépercutaitencoreenelle.Quantaufait

desentirsaforcevitaleêtremanipuléeàl’extérieur

d’elle-même,ehbien,iln’yavaitpasdemotspour

décrirecettesensation.Mêmeencoremaintenant,

rienqued’ypenser,sesgenouxentremblaient.

MaisilétaitclairqueDamonnevoulaitrien

avoiràfaireavecelle.Elenaaffrontasonrefletdans

lemiroiretgrimaça.C’estbiencequ’ellepensait:

elleavaitunetêtedechienqu’onauraittraînédans

lecaniveausurunkilomètre.Aveclapluie,ses

cheveuxd’ordinaireondulésetsoyeuxétaient

devenusunemassehirsutedefrisottis;elleétait

blanchecommeuncachetd’aspirine,etelleavaitle

regardhagardd’unenfantépuisé.

Pendantuninstant,elleserappelaque,

quelquesjoursplustôt(oui,seulement),elleétait

dansunétatencorepireetqueDamons’était

occupéd’elleaveclaplusgrandedouceur,sansse

laissertroublerparsatenuenégligée.Maisces

souvenirsavaientétévolésparShinichiet,comme

toujours,Damonavaitagisuruncoupdetête.

Furieusecontreluietcontreelle-mêmede

sentirdeslarmesluipicoterlesyeux,Elenatourna

ledosaumiroir.

Lepasséétaitlepassé.Elleignoraitpourquoi

Damonavaitsubitementdécidédes’écarterdès

qu’elleletouchaitoudelascruteravecleregarddur

etfroidd’unprédateur.Quelquechoseavaitfait

qu’aujourd’huiilladétestait,qu’ilsupportaitàpeine

des’asseoiràcôtéd’elleenvoiture.Quelquesoitle

problème,

elle

devrait

apprendre

à

s’en

accommodercar,siDamonpartait,ellen’auraitplus

aucunechancederetrouverStefan.

Stefan.Enfinsoncœuragitépouvaittrouverun

peudereposenpensantàlui.S’ilétaitlà,ilse

ficheraitdesonapparence:sonseulsouciseraitson

bien-être.Ellefermalesyeuxenouvrantlerobinet

d’eauchaudedelabaignoire,puissedéshabillaen

pensantàStefan.

Lemotelfournissaitunéchantillondebain

moussant,maisellen’ytouchapas.Danssonsacde

voyage,elleavaitemportéunpetitsachetdoréet

translucidedecristauxdebainàlavanille,etc’était

lapremièreoccasionqu’elleavaitdes’enservir.

Soigneusement,elleagitaenvironuntiersdu

sachetenrubannéau-dessusdelabaignoirequise

remplissaitàvued’œil,etfutgratifiéed’unsouffle

devapeurvanilléequ’elleaspiraàpleinspoumons.

Quelquesminutesplustard,elleétaitplongée

dansl’eauchaude,sousunnuagedemousse

parfumée.Sesyeuxétaientfermés,etlachaleur

pénétraitpeuàpeusoncorps.Lentementlesselsse

dissolvaient,soulageantchacundesesmaux.

Cen’étaientpasdesselsdebainordinaires.Ils

luiavaientétédonnésparlalogeusedeStefan,

MmeFlowers,unesorcièrebienveillante,âgéeet

trèsrespectable.Lesremèdesàbasedeplantes

étaientsaspécialitéet,encetinstant,Elenaaurait

juréqu’ellepouvaitsentirtoutelatension

accumuléedanssoncorpscesderniersjours

absorbéeetévacuéeendouceur.

C’étaitexactementcedontelleavaitbesoin!

Jamaisellen’avaitautantappréciéunbain.

«Bon,leseulproblème,Elena,sedit-elleavec

fermetéencontinuantd’aspirerdesboufféesde

vanille,c’estquetuasdemandéàMmeFlowersdes

selsdebainquitedétendraient,ortunedoispas

t’endormirici.Tucouleraiset,questionnoyade,tu

asdéjàdonné:mêmepaseubesoind’acheterde

linceul.»

Maislespenséesd’Elenaétaientdéjàdeplusen

plusfloues,deplusenplusmorcelées,tandisque

l’eauchaudecontinuaitderelaxersesmuscles,etles

effluvesd’enveloppersonvisage.Elleperdaitlefil,

sonespritselaissaitgagnerparlarêverie…Elle

s’abandonnaàlachaleuretauluxedenerienavoir

àfaire…

Etelles’endormit.

Danssonrêve,elleétaitagitée.Ilfaisaitàpeine

jourmaisellesentait,pouruneraisonoupourune

autre,qu’elletraversaitunépaisbrouillard.Cequi

l’inquiéta,c’étaitqu’illuisemblaitentendredesvoix

quiparlaientvraisemblablementd’elle:

—Unesecondechance?Oui,jeluienaiparlé.

—Ellenesesouvientderien.

—Peuimporte.Çaresteraenfouidansson

inconscient.

—Etçagermera…jusqu’aumomentopportun.

Elenaignoraittotalementcequecelasignifiait.

Ensuite,cebrouillardsedissipa,lesnuages

s’écartèrentpourlalaisserpasser,etelledescendit,

portéeparlevent,jusqu’àcequ’onladéposeen

douceursuruntapisd’aiguillesdepin.

Lesvoixavaientdisparu.Elleétaitallongéepar

terredansuneclairière,maisellen’étaitpasnue.

Elleportaitsaplusjoliechemisedenuit,celleavec

delavraiedentelledeValenciennes.Elleécoutaitle

murmurenocturnequand,soudain,sonauraeut

uneréactionqu’ellen’avaitjamaiseue.

Ellelaprévenaitquequelqu’unarrivait.Une

personnequidégageaituneimpressiondesécurité

dansdesteinteschaudesdeterre,derosepâleetde

violet,etquienveloppaElenaavantmême

d’arriver.

Les

couleurs

représentaient…

les

sentimentsquecettepersonneavaitpourelle.Au-

delàdel’amouretdelasérénitéqu’elleéprouvait,

ellepercevaitdesombresvertsapin,destraitsde

lumièredoréeetunemystérieuseteintetranslucide,

semblableàunecascadescintillantequidéversait

uneécumedediamantsautourd’elle.

Elena,entendit-ellechuchoter.Elena.

Elleavaitdéjàentenducettevoixquelquepart.

Elena…Elena…

Oui,ellelaconnaissait…

Monange…

C’étaitlavoixdel’amour.

Danssonrêve,elleseredressaitetseretournait

enouvrantlesbras.Elleetcettepersonneétaient

faitesl’unepourl’autre.C’étaitsonbonheur,son

réconfort,celuiqu’ellechérissaitplusquetout.Peu

importaitlafaçondontilétaitarrivéjusque-làouce

quis’étaitproduitparlepassé.C’étaitpourtoujours

sonâmesœur.

Ensuite…

Depuissantsbrasl’enlaçanttendrement…

Uncorpstièdeprèsdusien…

Unbaiserlangoureux…

Puisunautre…

Cettesensationqu’elleconnaissaitsibiende

s’abandonneràcetteétreinte…

Ilétaitsidoux,maispresqueviolentdanssa

façondel’aimer.Ilavaitfaitlesermentdenepas

tuer,pourtantiltueraitpourlaprotégercarelle

étaitcequ’ilavaitdeplusprécieuxaumonde…Sa

sécuritéetsalibertévalaienttouslessacrifices.Sa

vien’avaitaucunsenssanselle,doncilyrenoncerait

volontiers,lesourireauxlèvres,endéposantun

baiseraucreuxdesamaindansunderniersouffle.

Lemerveilleuxparfumdefeuillesd’automne

quiimprégnaitsonpullréconfortainstantanément

Elena.Commeunbébé,elleselaissabercerpar

cetteodeurfamilièreetsimple,parlasensationde

sajouecontresonépauleetparleurbonheurd’être

touslesdeuxréunisdansunmêmesouffle.

Lorsqu’elletentadeverbalisercemiracle,un

motluivintimmédiatementàl’esprit.

Stefan…

Ellen’avaitmêmepasbesoindeleverlatête

poursavoirquelesyeuxvertsdeStefan

vacilleraientcommelasurfaced’unétangagitépar

leventetbrilleraientdemillefeux.Elleenfouitsa

têtedanssoncou,redoutantdelelâchersans

vraimentsavoirpourquoi.

J’ignorecommentjesuisarrivéelà,luisouffla-

t-elleparlapensée.Enfait,ellenesesouvenaitde

rien,exceptédesimagesconfuses.

Peuimporte.Jesuislà.

Ellepaniqua.Cen’estpas…unsimplerêve,si?

Aucunrêven’estsimple.Maisjeseraitoujours

avectoi.

Qu’est-cequ’onfaitici?

Chut…Tuesfatiguée.Jenetelaisseraijamais

tomber.Jelejuresurmavie.Repose-toi.Laisse-

moiteprendredansmesbrasrienqu’unefois.

Commentça«unefois»?Maisqui…

Elena

était

maintenant

aussi

inquiète

qu’interloquée;ilfallaitqu’ellelèvelatête,qu’elle

voielevisagedeStefan.

Enlevantlementon,elleseretrouvafaceàdes

yeuxrieursd’unnoirinfinidansunvisageauxtraits

ciselés,pâleetd’unebeautéorgueilleuse.

Ellefaillithurlerd’horreur.

Chut…Ducalme,monange.

Damon!

Leregardténébreuxquilafixaitétaitaimantet

joyeux.

Quicroyais-tuquec’était?

Commentoses-tu?…Qu’est-cequetufaisici?

Elenacommençaitàperdrepied.

Jen’aimaplacenullepart,fitremarquer

Damon,l’airsubitementtriste.Tusaisquejeserai

toujoursauprèsdetoi.

Non,jenesaisriendutout…Rends-moi

Stefan!

Maisilétaittroptard.Elenaavaitdéjà

consciencedubruitdel’eauquitombaitgoutteà

goutteetduliquidetièdequiclapotaitautourd’elle.

Elleseréveillajusteàtempspourempêchersatête

des’enfoncerdanssonbain.

Unrêve…

Ellesesentaitbeaucoupplusdétendue

physiquement,maiscerêvel’avaitquandmême

attristée.D’ailleurs,cetteexpériencen’avaitrienà

voiravecunesortiehorsducorps:c’étaitjusteun

rêvecomplètementdingue,commeellesavaitsi

bienenfaire.

Jen’aimaplacenullepart…Jeseraitoujours

auprèsdetoi.

Qu’est-cequ’elledevaitcomprendreàce

charabia?

Unepartd’ellefrissonnaenserépétantcet

échange.

Elles’empressad’enfilernonpassachemisede

nuitendentelle,maisunsurvêtementgrisetnoir.

Quandellesortitdelasalledebains,ellesesentait

énervée,irritableetprêteàdéclencherunedispute

siDamonluidonnaitl’impressiond’avoirfouiné

danssespenséespendantqu’elledormait.

Maisaucunindicedecetordre.Elenavit

simplementunlitquiréussitàcaptersonattention,

elles’avançaentrébuchantets’écrouladessus,

s’affalantsurdesoreillersquis’enfoncèrent

désagréablementsoussatête.

Ellerestaallongéequelquesminutes,savourant

lebien-êtreprocuréparlebaintandisquesapeau

échaufféerefroidissaitpeuàpeu,toutcommesa

tête.Damonétaitentré,maisilétaittoujoursaussi

silencieux.

Histoired’enfinirunebonnefoispourtoutes,

ellesedécidaàluiparler.Et,fidèleàelle-même,elle

n’yallapasparquatrechemins.

—C’estquoi,leproblème,Damon?

—Iln’yenapas.

Ilregardaitfixementparlafenêtre,feignant

d’êtreabsorbéparquelquechoseauloin.

—Alors?Réponds!

Ilsecoualatête.Bizarrement,mêmededos,on

devinaitassezbiencequ’ilpensaitdecettechambre

demotel.

Elenaexaminalapièceaveclavisiontroublede

quelqu’unquiafaitunterribleeffortphysique.

Mursbeiges,moquettebeiges,fauteuilbeige,

bureaubeigeet,biensûr,couvre-litbeige.«Ilne

faitquandmêmepaslatêteparcequeladécon’est

pasassortieàsacouleurfétiche?pensa-t-elle.Oh,

jesuisfatiguée,àlafin!Jenecomprendsrien.J’ai

peuret…etjesuisvraimentidiote,sedit-elletoutà

coup.Iln’yaqu’unlitdanscettechambreetjesuis

allongéedessus.»

—Damon…?appela-t-elleenseredressant

péniblement.Qu’est-cequetupréfères?Moiçane

medérangepasdedormirdanslefauteuil.

Iltournalégèrementlatêteet,àcegeste,elle

compritqu’iln’étaitnicontrariénientraindejouer

unjeu.Ilétaitfurieux.Toutétaitlà,danscecoup

d’œildecôté,fugaceetassassin,figédansl’instant

parunemaîtrisetotaledelui-même.

Damon,sesmouvementsbrusquesetsoncalme

effroyable.Ilregardaitencoredehors,comme

toujours,l’airdepréparerquelquechose.Là,il

semblaitprêtàsauterparlafenêtre.

—Lesvampiresn’ontpasbesoindedormir.

Iln’avaitpaseuuntonaussiglacialdepuisle

départdeMatt.

CeladonnaàElenal’énergiedeselever.

—Onsaittouslesdeuxquec’estfaux.

—Prendslelit,Elena,etdors.

Letonnechangeaitpas;Elenaseserait

attendueàunerépliqueexcédée,catégorique,mais

Damonsemblaitplustendu,pluscontenuque

jamais.Etparticulièrementperturbé.

Sespaupièress’abaissèrent.

—C’estàproposdeMatt?

—Non.

—DeShinichi?

—Non!

Ah,ah.

—Si,c’estça.TuaspeurqueShinichiréussisse

àtrompertavigilanceetprenneànouveau

possessiondetoi,n’est-cepas?

—Vatecoucher,Elena,répondit-ild’unevoix

blanche.

Ilcontinuaitdel’exclure,defairecommesielle

n’existaitpas.AlorsElenavitrouge.

—Qu’est-cequejedoisfairepourteprouver

quej’aiconfianceentoi?Jevoyageseuleavectoi,

sansavoirlamoindreidéedenotredestination

réelle.JemetslaviedeStefanentretesmains!

Elles’étaitapprochéedanssondos,surla

moquettebeigequisentait…rien,enfait,pasplus

quedel’eaubouillie.Çanesentaitmêmepasle

vieux.

C’étaitplutôtsondiscoursquiétaitvieillot.

Quelquepart,ilsonnaitfaux.Enfait,la

communicationentreeuxnepassaitpasdutout…

Ellepoussaunsoupir.ToucherDamonà

l’improvisteétaittoujoursuneaffairedélicate,qui

risquaitdedéclencherchezluidesinstincts

meurtriers,mêmequandiln’étaitpaspossédé.Elle

tenditlebrastrèsprudemment,poureffleurerle

coudedesavesteencuirduboutdesdoigts.Elle

parlaavecautantdeconcisionetdeflegmeque

possible.

—Tusaisquemaintenantj’aidéveloppé

d’autressens,enplusdescinqhabituels.Combien

defoisfaudra-t-ilquejeteledise,Damon?Jesais

quecen’estpastoiquinousastorturés,Mattet

moi,lasemainedernière.

Malgrésesefforts,ellesentitquesontonétait

légèrementsuppliant.

—Jesaisquetumeprotègesdepuisledébut,

quetuasmêmetuépourmoiquandj’étaisen

danger.Çacompte…énormémentàmesyeux.Tu

vaspeut-êtremerépondrequetunecroispasau

pardonhumain,maisjepensequeçatetrotte

toujoursdanslatête.Etquandonsaitquetun’as

rienàtefairepardonneràlabase…

—Çan’arienàvoiraveclasemainedernière!

Sonbrusquechangementdetonetlaviolence

quis’endégageaitfirentl’effetd’unegifleàElena.

Elleeutmal…ettrèspeur.Damonneplaisantait

pas.Etilsemblaitavoirlesnerfsàvif,unpeu

commequandilrésistaitàl’influencedeShinichi.

—Damon…

—Fiche-moilapaix!

«Tiens,j’aidéjàentenduçaquelquepart…mais

où?»L’espritembrouillé,lecœurbattant,Elena

fouilladanssessouvenirs.«Ah,jesais:Stefan.»

Stefanavaitditlamêmechosequandilss’étaient

retrouvésseulsdanssachambrepourlapremière

foisetqu’ilavaitpeurdel’aimer.Ilétaitsûrqu’à

causedelui,s’illuimontraitqu’iltenaitàelle,elle

seraitmaudite.

Sepourrait-ilqueDamonressemblâtautantau

frèredontilsemoquaittoujours?

—Tourne-toiaumoins,qu’onparleenface.

—Elena…

C’étaitjusteunchuchotement,maisonaurait

ditqueDamonétaitincapabledeprendreson

habituellevoixsuaveetmenaçante.

—Vadormir.Vaaudiable…vaoùtuveux,mais

net’approchepasdemoi.

—Tuesvraimentdouépourça,hein?

Elenaadoptaelleaussiuntonglacial.Avec

l’imprudencedelacolère,elleserapprocha

davantage.

—Tuesdouépourrepousserlesautres.Maisje

saisquetun’asrienmangécesoir.Envérité,c’est

çaquetuattendsdemoi,ettujouestrèsmalles

martyrsaffamés,comparéàStefan…

Elenasavaittrèsbienque,enfaisantcette

comparaison,Damonallaitréagir,etpascommeà

sonhabitudedanscegenredesituation,àsavoiren

s’appuyantnonchalammentcontreunmureten

faisantceluiquin’apasentendu.

Maiscequiseproduisitdépassatoutesses

attentes.

Damonfitvolte-face,l’attrapad’ungesteprécis

etlaserracontreluidansuneétreinte

indestructible.Puis,commeunfauconsurune

souris,ilfonditsurelleetl’embrassa.Ilétaitbien

assezmaîtredesaforcepourlatenirfermement

sansluifairemal.

Lebaiserfutlongetintense,etpendantunbon

momentElenarésista,justeparréflexe.Lecorpsde

Damonétaitfraiscomparéausien,quiétaitencore

tièdeetmoiteaprèslebain.Etcettefaçonqu’ilavait

delatenir…sielles’appuyaitunpeutroppar

endroits,ellepourraitsefaireparticulièrementmal.

Maisillarelâcherait,elleenétaitpersuadée.

Quoique.Est-cequ’elleétaitprêteàsecasserunos

pourlevérifier?

C’étaitvraimentinjustedeluicaresserles

cheveuxcommeillefaisait,enroulantlespointeset

lesserrantentresesdoigtsàpeinequelquesheures

aprèsluiavoirapprisàdécuplersesperceptions

sensorielles.Ilconnaissaitsespointsfaibles.Pas

seulementceuxdesfemmes,maisaussilessiens;il

savaitcommentéveillersondésiretcomment

l’apaiser.

Ellen’avaitdoncpasd’autresolutionquede

testersathéorieetdesefairepeut-êtrebroyerun

os.Iln’étaitpasquestionqu’ellelelaissepénétrer

sespenséesalorsqu’ellenel’yavaitpasinvité.Elle

necéderaitpas!

Maissubitement,rattrapéeparsacuriositéau

sujetdupetitgarçonetdugrosrocher,elleselaissa

délibérémentaller.Damontombadanssonpropre

piège.

Leursespritsentrèrentencommuniondansun

feud’artifice.Onauraitditdesexplosions,des

fusées,desnovaeendevenir.Elenas’efforçadefaire

abstractiondesoncorpsetsemitàchercherle

rocher.

Ilétaittoutaufond,danslapartielaplus

barricadéedesoncerveau,plongédansl’éternelle

obscuritéquiyrégnait.Maisc’étaitcommesiElena

tenaitunprojecteursursatête:dèsqu’ellese

tournait,desinistresguirlandesdetoilesd’araignée

tombaient,etdesvoûtesdepierresàpremièrevue

solidess’éboulaientàsespieds.

«Net’inquiètepas,ditElenasansvraimentle

vouloir.Lalumièreneteferaaucunmal!Rienne

t’obligeàresterenferméici.Suis-moi,tuverras

commec’estbeaudehors.»

Maisqu’est-cequejeraconte?Pourquoijefais

unepromessepareille…Etpuispeut-êtrequ’il

l’aime,sonobscurité!

Enquelquessecondes,elleseretrouvatoutprès

dupetitgarçon,siprèsqu’elleputdistinguerson

visagepâleetétonné.

—Tuesrevenue!dit-il,commesic’étaitun

miracle.

Touteslesbarrièresd’Elenatombèrenten

mêmetemps.Elles’agenouillaet,étirantseschaînes

aumaximum,lepritsursesgenoux.

—Tuescontentquejesoisrevenue?

Elleluicaressalescheveuxd’ungestematernel.

—Çaoui,alors!

Cecriducœurluifitpresqueaussipeurque

plaisir.

—Tueslapersonnelaplusgentille,laplus

belle…

—Chut,calme-toi.Ildoitbienyavoirunmoyen

deteréchauffer…

—C’estàcausedeschaînes,expliqua

humblementl’enfant.Leferm’empêchedeme

réchaufferetdeprendredesforces.Maisiln’apas

lechoix,sinonilnepeutpasmecontrôler.

—Jevois.

Ellecommençaitàcomprendrequelgenrede

relationDamonentretenaitaveccepetitgarçon.

Pousséeparsonintuition,elles’emparadeschaînes

àpleinesmainsettentadelesarracheraurocher.

Elleavaitbienunelumièresurpuissanteici,alors

pourquoipasdessuperpouvoirs?Mais,entordant

lesfersdanstouslessens,ellen’arrivaàrien,saufà

sefaireuneentailleentrelesdoigtssurunebavure

dumétal.

Lesgrandsyeuxnoirsdugarçonfixèrentla

perledesangquiseforma.Ilavaitl’airaussifasciné

qu’effrayé.

—Tulaveux?proposaElenaentendantla

mainversluiavechésitation.

Ilhochatimidementlatête,commes’ilétaitsûr

qu’elleallaitlegronder.Maisellesourit.Alorsilprit

sondoigtavecdélicatesseetaspirad’uncoupla

petitebullerouge,refermantseslèvresdessus

commedansunbaiser.

Lorsqu’ilrelevalatête,sonvisagelivide

semblaitavoirreprisuntoutpetitpeudecouleurs.

—L’autrejour,tum’asditquec’étaitDamon

quitegardaitprisonnierici…

Enleserrantànouveaucontreelle,ellesentit

soncorpsfrigorifiés’imprégneravidementdesa

chaleur.

—Est-cequetusaispourquoi?

L’enfantseléchaitencoreleslèvres,maisil

tournaaussitôtlatêteverselle.

—JesuisleGardiendesSecrets.Mais…

Savoixdevinttriste.

—…lessienssontdevenussilourdsquemême

moij’ignorecequ’ilscachent.

Elenaleregardahocherlatête.Saisie

d’angoisse,elleéprouvauneprofondepitiépource

corpssichétifenchaînéàunénormeboulet,etelle

sedemandacequ’ilpouvaitbienyavoiràl’intérieur

decerocherpourqueDamonlesurveilled’aussi

près.

Maisellen’eutpasletempsdeluiposerla

question.

8.

Elenaeuttoutàcoupl’impressiond’êtrehappée

paruncyclone.Elletentadesecramponnerà

l’enfantqu’onluiarrachaitdesbras,maiseut

finalementjusteletempsdecrier«Jereviendrai!»

etd’entendresaréponseavantd’êtreréintégréede

forcedansunmondeordinaire,faitdebains,de

manipulationsetdechambresdemotel.

«Jegarderainotresecret!»C’étaitcequele

petitgarçonluiavaitcriéauderniermoment.

Qu’est-cequecelapouvaitsignifier,sinonqu’ilne

diraitriendeleursentrevuesau«vrai»Damon

(ou,disons,àceluiqu’elleconnaissaitauquotidien)?

Elleseretrouvadanslachambremiteuse,

toujoursprisonnièredesbrasduvampire.Quandil

s’écartaenfin,ellesentitungoûtd’eausaléedanssa

bouche,etpourcause:leslarmescoulaientàflots

sursesjoues.

Damonn’avaitpasvraimentl’airdes’en

soucier.Ilsemblaitenproieàuneviolentedétresse,

tremblantcommeunadoquivientdedonnerson

premierbaiser.«Ilaperdulecontrôledelui-

même»,supposaElenademanièreconfuse.

Poursapart,elleavaitl’impressiond’êtreà

deuxdoigtsdes’évanouir.

Surtoutpas!Ilfallaitqu’elleresteconsciente.

Ellesedébattitcommeundiable,repoussantde

toutessesforceslesbrasd’acierquilaretenaient.

Àcausedequi?Shinichiencore,quiseserait

glissédansl’espritdeDamonetlepousseraità

agir…?

Ellesedébattitdeplusbelle,aupointqu’elle

auraitpuenhurlerdedouleur.Ellegémit,justeune

fois…

Etl’étreintesedesserra.

Quelquepart,ellesavaitqueShinichin’avait

rienàvoirdanstoutça.L’âmevéritabledeDamon

étaitincarnéeparunpetitgarçonenchaînédepuis

Dieusaitcombiendesiècles,quin’avaitjamais

connul’affectionetlacomplicitémaisquisavait

encorelesapprécier,mêmedansladouleur.Cet

enfantétaitundespluslourdssecretsdeDamon.

Elletremblaitmaintenantsifortqu’ellen’était

passûredepouvoirtenirdeboutencoretrès

longtemps,etl’imagedupetitgarçonl’obsédait.Est-

cequ’ilavaitfroid?Est-cequeluiaussipleurait?

Commentlesavoir?

Ilsrestèrentàseregardersansriendire,tous

deuxessoufflés.LescheveuxlissesdeDamon

étaientdécoiffés,cequiluidonnaitunaircanaille,

commeunpirate.Sonvisage,d’ordinairecalmeet

livide,avaitrougi.Illaregardasemasser

machinalementlespoignets;elleavaitdes

picotements

dans

les

bras,

mais

le

sang

recommençaitàcirculer.Iltournalatête,etsembla

ensuiteincapabledelaregarderdanslesyeux.

«Ah,non!Tunevaspast’entirercommeça»,

pensaElena.Déterminéeàlepousserdansses

retranchements,ellecherchaunechaiseàtâtons

danssondosettrouvalelit,justederrièreelle.Le

contactvisuel:unearmequ’ellemaîtrisaitbien.Et

desarmes,ellen’enavaitpasbeaucouppour

l’instant,alorsellenedevaitennégligeraucune.

Elles’assit,cédantàsoncorpsaffaibli,maissans

lequitterdesyeux.Ilavaitlaboucheenflée.Encore

unechoseinjuste:lamouedeDamonfaisaitpartie

desesplusbellesarmesdeséduction.Detoutesles

personnesqu’elleconnaissait,hommeoufemme,il

avaittoujourseulaplusjoliebouche.Sabouche,

maisaussisescheveux,sespaupièresmi-closes,ses

cilsabondants,ladélicatessedesonmenton…tout

étaitinjuste,mêmepourquelqu’uncommeElena

quiavaitcessédepuislongtempsdes’intéresserà

unepersonneuniquementpoursabeauté.

Cependant,ellen’avaitjamaisvucettebouche-

làenflée,nicescheveuxd’ordinaireimpeccablesen

bataille,nicescilsagitésetceregardfuyant.

—Alorsc’étaitàçaquetupensaisquandtu

refusaisdemeparler?demanda-t-elled’unevoix

assezferme.

Damonsefigeaparfaitement,àl’imagedeses

autresperfections.Sonregarddebraisesefixasur

unpointdelamoquettebeige,qui,enprincipe,

auraitdûprendrefeu.

Finalement,illevasesgrandsyeuxnoirsvers

elle.C’étaitvraimentdifficiledelesdécrire,carla

couleurdesesirisseconfondaitpresqueaveccelle

desespupilles,maislà,onauraitditqueces

dernièresétaientdilatéesaumaximumet

recouvraientcarrémentl’iris.Commentdesyeux

aussinoirsquelanuitpouvaient-ilscapteretretenir

lalumière?Elenaavaitl’impressiond’yvoirune

galaxied’étoiles.

—Sauve-toi,dit-ildoucement.

Ellesentitsesjambesseraidir.

—ÀcausedeShinichi?

—Non.Maissauve-toitantqu’ilenestencore

temps.

Sesmusclessedétendirentunpeu.Pourautant,

Elenafutcontentedenepasavoiràdémontrerses

talentsdesprinteusedansl’immédiat;ellen’aurait

mêmepaseulaforcederamper.Enrevanche,elle

serralespoings.

—Enfait,tufaisjustetonsalaudhabituel?Tu

asdécidéderecommenceràmedétester,c’estça?

Çat’amusede…

Damonfitvolte-face,passantdel’immobilitéau

mouvementplusvitequesonombre.Ilfrappaun

coupseccontrelechâssisdelafenêtre,sansretirer

sonpoingtoutdesuite.Dansunfracassuivid’un

millierdepetitséchos,unepluiedeverrebrisé

s’abattitcommedesdiamantsdansl’obscuritédela

pièce.

—Tudevrais…trouverd’autrespersonnes

pourt’aider.

Damonnecherchapasàêtreplusconvaincant.

Maintenantqu’ill’avaitrejetée,sauverles

apparencessemblaitêtreledernierdesessoucis.

—Àcetteheure-ci,enpleinetempêteetaussi

loindemesamis…jevaisavoirdumal,tusais.

Physiquement,ellenes’étaitpasremisedela

montéed’adrénalinequiluiavaitpermisde

s’arracheràlui.Elletremblaitdelatêteauxpiedset

devaitfaireuneffortsurhumainpourqueça

n’empirepas.

Ilsseretrouvaientdoncàlacasedépart:

Damonfaceàlafenêtre,scrutantlanuit,etElena

fixantledosqu’illuiprésentait.Mais,casedépartou

pas,ill’avaitcherché.

—Damon…iltesuffisaitdedemander.

Elleignoraitsiunvampireétaitcapablede

concevoirunetellenotion.Stefann’avaittoujours

pasapprisàlefaire.Ilseprivaitdechosesqu’il

désiraitparcequel’idéededemanderluiétait

complètementétrangère.Entouteinnocenceet

avecdebonnesintentions,ilrenonçaitjusqu’àce

qu’ellesoitforcéedeluiproposer.

Damon,lui,n’avaitgénéralementpasce

problème.Ilprenaittoutcequ’ilvoulait,avec

autantdedésinvoltureques’ilseservaitdansle

rayond’uneépicerie.

Ilétaitentrainderiresilencieusement,signe

qu’ilétaitvraimentaffligé.

—Jeprendraiçapourdesexcuses,dit

doucementElena.

Cettefois,ilsemitàrirebruyamment,cequila

refroiditaussitôt.Elleétaitlà,àessayerdel’aider

et…

—Parcequetucrois,lâcha-t-ilenlisantdans

sespensées,qu’iln’yaqueçaquim’intéressechez

toi?

Elenasentitsoncorpssefigerànouveautandis

qu’elleretournaitcetteréflexiondanssatête.

Damonauraittrèsbienpuboiresonsangpendant

qu’ill’empêchaitdebouger.Maisnon,biensûr,iln’y

avaitpasqueçaqu’ilvoulait.Sonaura…elleétait

conscientedesoneffetsurlesvampires.Etill’avait

protégéedepuisledébutcontrelesautresvampires

susceptiblesdeladétecter.

Ladifférence,reconnutElenaavecl’honnêteté

quilacaractérisait,c’estqu’ellesefichait

complètementdesautresvampires.AvecDamon,ce

n’étaitpaspareil;ellelesentait,intuitivement,

quandill’embrassait.Ellen’avaitjamaisressenti

ça…jusqu’àStefan.

C’estpasvrai!Était-elleréellemententrainde

trahirStefanenrefusantdefuircettesituation?

Pourunefois,Damonsemontraitplusraisonnable;

illuidisaitd’emporterloindeluisonauraettoutes

lestentationsqu’elleengendrait.

Maintesfois,Elenas’étaitretrouvéedansdes

circonstancesoùelleavaitjugébondepartiravant

quelasituationn’empire.Leproblème,danslecas

présent,c’estqu’ellenepouvaitallernullepartsans

risquerdefairemonterlatensiond’uncran,etdonc

desemettreencoreplusendanger.Et,soitditen

passant,deperdretoutesseschancesderetrouver

Stefan.

Est-cequ’elleauraitdûpartiravecMatt?Non,

Damonavaitététrèsclair:deuxhumainsne

pouvaientpasentrerdansleRoyaumedesOmbres,

passeulsentoutcas.Ilavaitditqu’ilsauraient

besoindelui.Mais,siellen’étaitpasconstamment

sursondos,sedonnerait-ilvraimentlapeinede

fairelaroutejusqu’enArizona,voirederetrouver

Stefan?Elleavaitencoredesdoutes.

Dureste,commentMattpourrait-illaprotéger

surcetteroutedangereusequ’ilssuivaient?Elle

savaitqu’ildonneraitsaviepourelle;d’ailleurs,il

n’auraitpastroplechoixfaceàdesvampiresouà

desloups-garous:ilylaisseraitlavie.Etlaisserait

Elenaseulefaceàsesennemis.

Évidemment,ellesavaittrèsbiencequefaisait

Damonchaquesoir,pendantqu’elledormaitdansla

voiture.Ilrépandaitunmystérieuxsortilègeautour

d’elle,signédesonnometmarquédesonsceau,

pourempêchertoutecréaturenocturnequi

passeraitparlàd’approcherdelavoiture.

Malheureusement,leurspiresennemisétaient

déjàduvoyage,harcelantleursespritsrespectifs:

ShinichietMisao.

Plongéedanssespensées,Elenareleva

finalementlatêtepourregarderDamondansles

yeux.Desyeuxqui,àcetinstant,luirappelaient

ceuxd’unenfantenhaillonsenchaînéàunrocher.

—Tunepartiraspas,n’est-cepas?chuchota-t-

il.

Ellesecoualatête.

—Jenetefaisvraimentpaspeur?

—Ohsi.

Ellefrissonnaintérieurement.Maiselleétait

lancéemaintenant,lecapétaitfixé,etiln’étaitpas

questionqu’ellefassemarchearrière.Surtout

quandDamonlaregardaitdecettefaçon.Çala

faisaitpenseràlajoieféroce,àlafiertépresque

modestequ’ilmanifestaitquandilsabattaientun

ennemiensemble.

—Jereste,maisjeneseraijamaistaprincesse

desténèbres,ajouta-t-elle.Tusaisquejene

renonceraijamaisàStefan.

LebonvieuxsourirenarquoisdeDamon

effleuravaguementseslèvres.

—J’aitoutletempsqu’ilfautpourtedonner

mavisiondeschosesàcesujetetteconvaincre.

Alorsmêmequ’elleavaitlesentimentdeperdre

pied,Elenaeutlaforcedeledéfierencoreunpeu.

—Tudisquecen’estpasShinichi,etjetecrois.

Alorsest-cequetoutça…estliéàcequeCarolinea

dit?demanda-t-elle,conscientedeladureté

soudainedesonton.

—Caroline?

Damonclignadesyeux,l’airdéstabilisé.

—Elleaditqu’avantmarencontreavecStefan,

j’étais…

Elenabloquasurlederniermot.

—Quej’étais…facile.

Damonserralesdentsetrougitviolemment,

commes’ilavaitprisuncoupdepoingqu’iln’avait

pasvuvenir.

—Cettefille,marmonna-t-il.Elleadéjàdécidé

desonsort.Avecn’importequid’autre,j’aurais

peut-êtreeuunsemblantdepitié.Maiselle…elle

dépasse…ellen’aaucunedécence…

Ilparlaitdeplusenpluslentement,levisage

assombri.IlobservaElenaet,envoyantleslarmes

danssesyeux,selevapourlesessuyerduboutdes

doigts.Ilportaunemainàseslèvrespourles

goûter,puisarrêtasongeste,l’airbrusquement

perplexe.

Quellequefûtlasaveurqu’ellesluilaissèrent

danslabouche,ilparutstupéfait.Elenaledévisagea

ouvertement,cequiauraitdûledécontenancer…

maispasdutout.Aulieudeça,unkaléidoscope

d’expressionsbalayasonvisage,tropvitepourque

leregard(trophumain)d’Elenapuissetoutesles

saisir.Toutefois,elleidentifiaentreautres

l’étonnement,ledoute,l’amertume,lastupeur

–encore–etfinalementunesortedechocjoyeuxet

unregardquidonnaitpresquel’impressionqu’il

avaitlui-mêmeleslarmesauxyeux.

Alorsiléclataderire.Unrirebref,empreint

d’autodérision,maissincère,euphoriquemême.

—Damon,qu’est-cequinevapas?ditElena,

refoulantdenouvelleslarmesd’unbattementde

cils.

—Rien,toutvabien!

Illevaundoigtsavantenl’air.

—Tunedevraisjamaisessayerdeduperun

vampire,Elena!Nouspossédonsbeaucoupdesens

queleshumainsn’ontpas,sanscompterceuxdont

onignorel’existencejusqu’aujouroùonenabesoin.

Ilm’afallupasmaldetempspourfairelepointsur

cequejesavaisdetoi.Car,bienentendu,toutle

mondemedisaitunechoseetmonintuitionme

soufflaitlecontraire.Maisj’aifiniparyvoirclair.Je

saisquituesvraiment,Elena.

Pendantunefractiondeseconde,Elenaresta

sansvoix.

—Quoiquetupenses,jeteprévienstoutde

suite:personnenetecroira.

—Peut-êtrepas,notammentlesmortels,

concédaDamond’unairénigmatique.Maisles

vampiressontprogramméspourreconnaîtrel’aura

d’unejeunefille.Tuescommel’appâtdeschasseurs

delicornes,Elena.J’ignorecommentoupourquoitu

t’esfaitcetteréputationetjem’enfiche.J’yaimoi-

mêmecrupendantlongtemps.Maisj’aifinipar

découvrirlavérité.

Toutàcoup,ilseretrouvapenchéau-dessus

d’elle,etElenanevitplusquelui,sonfrontbalayé

pardefinesmèches,seslèvrestoutprèsdes

siennes,sesyeuxnoirs,insondables,accrochantson

regard.

—C’estça,tonsecret,Elena,chuchota-t-il.

J’ignorecommenttuasfait,mais…tuesvierge.

Ilsepenchadavantage,effleurantsabouche,

partageantsonsoufflelent.Ilsrestèrentdanscette

positionunlong,trèslongmoment,durantlequelil

semblafascinédepouvoiràsontouroffriràElena

quelquechosedelui-même:l’oxygènedontils

avaienttouslesdeuxbesoin,maispourdesraisons

différentes.Bonnombredemortelsn’auraientpeut-

êtrepassupportécetteimmobilité,cesilenceetce

contactvisuelprolongé(caraucundesdeuxn’avait

cilléoufermélesyeux).C’étaitcommes’ilsétaient

absorbésparleurspersonnalitésrespectives,

commes’ilsperdaientleurindividualitéet

devenaientunepartsubliméedel’autre,avant

mêmequ’unbaisersoitéchangé.Emportéeparle

soufflequ’illuidonnait,Elenaflottait,ausens

propre.SilesmainsfinesetfermesdeDamonnelui

avaientpasagrippélesépaules,elleluiaurait

complètementéchappé.

Pourtant,ilexistaitunautremoyendela

retenir.Ilauraitpu«manipuler»lesloisdela

pesanteurpourcontrôlerElena.Maisellen’avait

pasressentilamoindretentatived’influence.À

croirequ’iltenaitencoreàluilaisserl’honneurdu

choix.Ilnelaséduiraitpasavecl’unedeses

habituellesméthodes,sesrusesdecharmeur

acquisesencinqcentsansd’existence.

Ilsecontenteraitdecesouffle,deplusenplus

saccadé,quicommençaitàfairetournerlatêteet

palpiterlecœurd’Elena.Était-ellevraimentsûre

queStefancomprendrait?Ensefiantàsonamour

etàsondiscernement,illuiavaitdonnélaplusbelle

preuved’amour.Maisellecommençaitàpercevoir

lavéritablepersonnalitédeDamon,sonbesoin

irrépressibled’êtreavecelle;savulnérabilité,aussi,

carcebesoindevenaitunesorted’obsessionpour

lui.

Sansessayerdel’influencer,Damoncontinuait

dedéployerdegrandesailesinvisiblesetdouces

autourd’elle,etellen’eutbientôtplusnullepartoù

aller,plusmoyendeluiéchapper.Ellesesentitpeu

àpeusuccomberàl’intensitédecettepassionqu’ils

avaientfaitnaîtreentreeux.Enguisedegestefinal,

nonpasderejetmaisd’invitation,ellepenchalatête

enarrière,exposantsagorgeànu,etlelaissa

devinersondésir.

Faceàcetabandondélibérédansl’obscurité

ouatée,lebonheurdeDamonrésonnacommeun

carillondeclochesdecristal.

Ellenesentitpaslesdentsquilui

transpercèrentlapeau;elleavaitdéjàlatêtedans

lesétoiles.Et,trèsvite,l’Universtoutentierfut

engloutiparlesyeuxnoirsdeDamon.

9.

Lelendemainmatin,Elenaselevaets’habilla

sansunbruitdanslachambredumotel,ravie

d’avoirunpeuplusdeplacequedanslavoiture.

Damonn’étaitpaslà,maiselles’yattendait.Depuis

ledébutduvoyage,ilprenaitgénéralementson

petit-déjeunerasseztôt,s’attaquantàdes

serveusesdansdesroutiersouvertstoutelanuitou

descafétériasauxhorairesmatinaux.

D’ailleurs,unjourelleauraitunepetite

discussionavecluiàcesujet,pensa-t-elleen

versantlecontenudusachetdecafémoulufourni

parlemoteldanslapetitecafetièreélectrique.Ça

sentaitvraimentbon.

Maisavant,ilyavaitplusurgent:ilfallait

qu’elleparleàquelqu’un,n’importequi,decequi

s’étaitpassélaveille.Évidemment,Stefanluivint

toutdesuiteàl’esprit,maiselleavaitcomprisque

lesexpériencesdesortiehorsducorpsnese

faisaientpassurcommande.Ilvalaitmieuxqu’elle

appelleBonnieetMeredith.Elledevaitabsolument

leurparler,etc’étaitcompréhensible,mais

aujourd’huiplusquejamaisc’étaitimpossible.

D’instinct,ellesentaitquelemoindrecontactentre

elleetFell’sChurchpourraitleurnuire.

QuantàMatt,iln’avaitjamaisfaitsigne.Pas

unefois.Ellen’avaitaucuneidéed’oùilenétaitdu

trajet,maisentoutcasilavaitintérêtàêtreà

l’heureàSedona.Ilvoulaitcoupertoute

communicationentreeux?Soit,commeilvoudrait.

Dumomentqu’ilvenaitcommepromis.

N’empêche…Elenaavaitquandmêmebesoin

deparler,devidersoncœur.

Ahmaisbiensûr!Quelleidiote!Elleavait

toujourssonfidèlecompagnonquinedisaitjamais

rienetnelafaisaitjamaisattendre.Toutense

versantunetassedecafénoirbrûlant,Elena

plongealamainaufonddesonsacdevoyagepour

ensortirsonjournal,etl’ouvritàunenouvellepage.

Riendetelqu’unepageviergeetunstyloplumequi

marchepoursemettreàécrire.

Quinzeminutesplustard,uncliquetissefit

entendreet,l’instantd’après,Damonentraiten

passantparlafenêtre.Ilavaitplusieurssacsen

papierdanslesbraset,sansraisonapparente,Elena

futsubitementd’humeurjoyeuseetaccueillante.

Elleavaitpréparélecafé,quin’étaitpasmauvais

malgrél’ersatzdecrèmeenpoudrefourniavec,et

Damonavaitfait…

—Lepleind’essence!dit-ild’unairtriomphant.

Illuilançaunregardlourddesensenposantles

sacssurlatable.

—Justeaucasoùnosennemisessaieraient

d’utiliserlanaturecontrenous.Nonmerci,ajouta-t-

ilenvoyantlatassedecaféqu’elleluitendait.J’en

aiprofitépourjeterunœilsouslecapotpendant

quej’étaisaugarage.Jevaisallermelaverles

mains.

Surce,ils’éclipsaenpassantdevantElenasans

rienajouter,sansunregard,malgrélefaitqu’elle

avaitenfilésadernièretenuepropre:unjeanetun

petithautdiscrètementcoloré,quiparaissaitblancà

premièrevuemaisqui,sousunelumièrevive,

révélaitdesubtilesnuancesarc-en-ciel.

«Sansmêmeunregard»,songeaElena,avecla

sensationétranged’êtreendécalagetotalavecsa

propreexistence.

Elles’apprêtaàjeterlecafé,maisdécida

finalementqu’elleavaitbienbesoind’unedeuxième

tasseetlabutàpetitesgorgées.

Puiselles’approchadelatableoùétaitposéson

journaletrelutlesdeuxdernièrespagesqu’elle

avaitécrites.

—Tuesprêteàyaller?luilançaDamon.

Danslasalledebains,onentendaitlebruitdela

douche.

—Oui…deuxminutes.

Ellepoursuivitsalecture,feuilletantlespages

encontinuantderemonterdansletemps.

—Autantfilertoutdroitversl’ouestàpartir

d’ici,lançaencoreDamon.Onpeutlefaireenune

journée.Sionestsuivis,ilspenserontquec’estune

feintepouraccéderàunePortespécifique,mais,

pendantqu’ilschercheront,nousoncontinuerade

suivreladirectionduKimonetonauraplusieurs

joursd’avancesureux.C’estparfait!

—Oui,oui,réponditElenasanss’arrêterdelire.

—Ondevraitêtreenmesurederetrouver

Blattedemain,peut-êtremêmecesoir.Tout

dépenddugenredetuilesqu’onauraenroute.

—Hm-hm.

—Aufait,petitequestion:tucroisquec’est

justeunecoïncidencequelafenêtredelachambre

soitcassée?Parcequed’habitudejemetsdes

boucliers,lanuit,etjesuiscertain…

Ilsepassaunemainsurlefront.

—Jesuissûrdel’avoirfaithiersoir.Pourtant,

quelquechosearéussiàpasser,àcasserlafenêtre

etàs’enfuirsanslaisserdetraces.C’estpourçaque

j’aiachetétouscesbidonsd’essence.S’ilstententde

nousfaireunsalecoupavecleursarbres,jeles

renverraitousàl’âgedelapierre.

«Etlamoitiédeshabitantsdel’Étatavec»,

pensaElena,quiétaitdansunétatdechoctelque

plusriennelasurprenaitvraiment.

—Qu’est-cequetufaisencore?

Visiblement,Damonétaitprêtetimpatientde

partir.

—Jemedébarrassed’untrucdontjen’aipas

besoin,dit-elleentirantlachassed’eau.

Elleregardalesboutsdéchirésdesonjournal

s’évacuerdansuntourbillonavantdedisparaître.

—Àtaplace,jenem’enferaispaspourla

fenêtre,ajouta-t-elleenrevenantdanslachambre.

Elleenfilaseschaussuresenvitesse.

—Assieds-toideuxsecondes,Damon.Ilfaut

quejeteparle.

—Çanepeutpasattendrequ’onsoitenroute?

—Non.Parceque,cettefenêtre,ilvafalloir

qu’onlarembourse,Damon.C’esttoiquil’ascassée

cettenuit.Maisjesupposequetunet’ensouviens

pas?

Illafixaavecdesyeuxronds.Elenadevinaque

sapremièreenviefutd’éclaterderire;maisla

seconde,àlaquelleilcéda,futdepenserqu’elle

délirait.

—Jesuistrèssérieuse,Damon.

Ilselevaetsemitàfairelescentpasdevant

laditefenêtrecommes’ils’apprêtaitàse

transformerencorbeaupours’échapper.

—Net’avisepasdefiler,carjen’aipasfini.

—Oh?J’auraisfaitd’autreschosesquej’ai

oubliées?

Damons’appuyanonchalammentcontrelemur,

enprenantunedesesbonnesvieillesposes

arrogantes.

—J’ailaissélaradioalluméejusqu’àquatre

heuresdumat’?

—Non.Çanedatepasforcément…decette

nuit,ditElenaendétournantlesyeux.

Subitement,elleavaitdumalàleregarderen

face.

—Çaconcerned’autreschoses,àd’autres

moments…

—Commelefaitquej’auraisessayédesaboter

cevoyagedepuisledébut?suggéra-t-ild’unton

sobre.

Illevalesyeuxaucielensoupirantlourdement.

—Siçasetrouve,jefaisçauniquementpour

êtreseulavectoi…

—Laferme,Damon!

Houlà…qu’est-cequiluiprenaitdes’énerver?

Oh,aufond,ellelesavaittrèsbien.Illuiprenait

qu’ellen’avaitpasencoredigérélasoiréedela

veille.Leproblème,c’estqu’elleavaitunautre

détailàrégler,unebonnefoispourtoutes,si

toutefoisDamonsemontraitcoopératif.

—Est-cequetupensesquetessentiments

enversStefanont…disons,changé,dernièrement?

—Quoi?

—Tucroisque…

Bonsang,cequec’étaitdurderegarderces

yeuxnoirs:unvraigouffreintersidéral!Surtout

sachantque,laveilleencore,ilsétaientpleins

d’étoiles…

—Tucroisqu’aujourd’huituenesvenuàle

considérerautrement?Àrespectersessouhaits

plusquetunelefaisaisavant?

Damonl’interrogeaouvertementduregard,de

lamêmefaçonqu’elle.

—Tuessérieuse?

—Complètement.

Nonsansmal,Elenarefouladeslarmesqui

n’avaientrienàfairelà.

—Ils’estpasséquelquechosehiersoir,

comprit-ilenlafixantattentivement.Jeme

trompe?

—Non,effectivement.C’était…pasvraiment…

Relâchantfinalementsonsouffle,elleluiraconta

presquetoutd’unetraite.

—Shinichi!Shinichi,

che

bastardo

!

Imbroglione!Cesalevoleur!Jevaisluiarracher

lesyeuxàlapetitecuillère!

Damonnetenaitplusenplace.Uncoup,ilétait

prèsd’Elena,lesmainsposéessursesépaules;un

autre,ilcriaitdesimprécationsparlafenêtre;puis

ilrevenaitàcôtéd’elleetluiprenaitlesmains.

Toutefois,unseulmotavaitsonimportanceaux

yeuxd’Elena:Shinichi.Cekitsuneauxcheveux

noirsetrougesquilesavaitforcésàrenonceràtant

dechoses,enéchanged’indicessurl’endroitoùétait

emprisonnéStefan.

—Mascalzone!Maleducato…

Elenaperditunefoisdepluslefildesjuronsde

Damon.C’étaitdoncbiencequ’ellecraignait:le

souvenirdelanuitdernièreluiavaitétévolé,effacé

delamémoire,autantqueceluidujouroùelleavait

utilisélesAilesdelaRédemptionetdela

Purificationsurlui.Saufque,pourleprécédent,il

étaitd’accord;alorsqu’hier…Qu’est-cequece

mauditrenardluiavaitprisd’autre?

Supprimertouteunesoiréeettouteunenuit…

enparticulierhier…celasupposaitforcément…

—Iln’ajamaisvraimentfermélecanal

télépathiquequ’ilaouvertentremonespritetle

sien,conclutDamon.Ilpeutencorepiocherdans

messouvenirsquandçaluichante.

Ilavaitfinalementarrêtédejureretdes’agiter

ets’étaitassissurlecanapéenfacedulit.Lesmains

ballantes

entre

les

genoux,

il

avait

l’air

particulièrementmisérable.

—Elena,jedoissavoir.Dis-moicequej’aifait

cettenuit.S’ilteplaît!

Onauraitditqu’ilallaittomberàgenouxàses

pieds.

—Si…sic’estcequejecrois…

Elenasourit,endépitdeslarmesquis’étaient

misesàcoulersursesjoues.

—Cen’étaitpasexactement…cequ’onpourrait

penser,jetrouve.

—C’est-à-dire?

—Disonsjustequecemoment…m’appartenait,

ajoutaElena.S’ilt’avoléquelquechosed’autreou

s’ilessaiedelefaireàl’avenir,alorsilestplusfacile

àpiégerquejenelepensais.Disonsquec’est…mon

secret.

«Etçaleresterajusqu’àcequ’unjour,peut-

être,tudémolissestonénormerocher»,ajouta-t-

elleensilence.

—Jusqu’àcequejeluiarrachelalangueetla

queue!grondaférocementDamon.

Onauraitditungrognementbestial;elleétait

biencontentequ’ilneluisoitpasadressé.

—Net’inquiètepas,Elena.

Sontonétaitmaintenantsiglacialquec’était

presqueencorepluseffrayant.

—Oùqu’ilsecache,jeleretrouveraietjelui

reprendraicequit’appartient.J’enprofiteraiaussi

pourluiarrachersonespècededéguisementen

faussefourrureetjetefabriqueraidesmitaines

avec,qu’est-cequetuendis?

Elenaessayadesourireetnes’ensortitpas

tropmal.Elle-mêmeparvenaittoutjusteàaccepter

lasituation,bienqu’ellenecrûtpasunesecondeque

Damonlalaisseraitréellementtranquillesurlesujet

tantqu’iln’auraitpasreprisdeforcecesouvenirà

Shinichi.Alorselleserenditcompteque,dansune

certainemesure,c’étaitDamonqu’ellepunissaiten

luicachantlavérité,etnonShinichi.«Jejureque

personnenesaurariendecettesoirée,sedit-elle.

PastantqueDamonnes’ensouviendrapas.Jen’en

parleraimêmepasàBonnieetàMeredith.»

Cela

rendit

les

choses

beaucoup

plus

éprouvantespourelle,etdefaitpluséquitables.

Tandisqu’ilsramassaientlesdébrisdudernier

accèsdecolèredeDamon,iltendittoutàcouple

braspouressuyerunelarmeisoléesurlajoue

d’Elena.

—Merci…

Elles’arrêtanetenrelevantlatête:Damon

portaitsesdoigtsàseslèvres.

Illaregarda,l’airtrèssurprisetunpeudéçu.

Puisilhaussalesépaules.

—Toujoursungoûtd’appâtàlicorne,lança-t-il

platement.Tiens,jen’auraispasdéjàditça,hier

soir?

Elenahésita,puisestimaquesaquestionne

tombaitpasencoredansleslimitesdusecret.

—Si.Mais…tun’enparlerasàpersonne,hein?

ajouta-t-elle,soudainnerveuse.J’aipromisàmes

amiesdeneriendire.

Damonlafixaittoujours.

—Pourquoivoudrais-tuquej’ailleraconterçaà

quelqu’un?Àmoinsquecenesoitliéàlapetite

rouquine?

—Jetel’aidit:tunesaurasrien.Exceptéque

Carolinen’estpasvierge,maiscen’estpasunscoop,

vutoutlegrabugeautourdesagrossesse…

—Maissouviens-toi,lacoupagentiment

Damon.JesuisarrivéàFell’sChurchavantStefan;

jesuisjusterestétapidansl’ombreunpeuplus

longtempsquelui.Tamanièredeparler…

—Oui,jesais.Àl’époque,ons’intéressait

beaucoupauxgarçons,etviceversa,etonavaitdéjà

nosréputations.Ducoup,onracontaitcequ’on

voulait.Certaineschosesétaientenpartievraies,

maislaplupartpouvaients’interpréterdedeux

façons…etévidemment,tusaisàquelpointles

garçonsontlalanguependue…

Oui,Damonlesavait.

Ilacquiesça.

—Etdonc,trèsvite,lebruitacirculéqu’on

avaittoutfaitavectoutlemonde.Ilyamêmeeuun

articledanslejournaldulycée,etdeschosesontété

écritesdansl’almanachetsurlesmursdestoilettes.

Maisonavaitnotrepetitpoèmeànous,etparfoison

l’écrivaitenlesignantpersonnellement.Cequ’il

disait?

Elenasereplongeadanslepassé,une,voire

deuxannéesplustôt.Puisellerécita:

«Cen’estpasparcequ’ontel’aditquec’est

vrai.

Cen’estpasparcequetul’asluquec’estjuste.

Laprochainefoisquelarumeurcourt,méfie-

toi,

Elleteconcernepeut-être.

Necroispasquetupuisseslesfairechanger

d’avis,

Justeparcequetucroissavoir!Compris?»

Elleterminaenéprouvanttoutàcoupunbesoin

urgentderetrouverStefan.

—Onyestpresque,dit-elleàDamon.

Dépêchons-nous.

10.

L’Arizonaétaitaussichaudetaridequ’Elena

l’avaitimaginé.Ilsroulèrentd’unetraitejusqu’à

l’hôtelJuniper,etElenafuttriste,sinonsurprise,de

voirqueMattn’étaitpasarrivé.

—Iln’yapasderaisonqueçaluiaitprisplus

detempsqu’ànousd’arriverjusqu’ici,dit-elleen

entrantdansleurchambre.Saufsi…Imagineque

Shinichis’ensoitprisàlui?

Damons’assitsurunlitetobservaElenad’un

œilsombre.

—J’espéraisquejen’auraispasàteledire…

quecetabrutiauraitaumoinslapolitessedete

prévenirlui-même.Maisj’aisuivilatracedeson

auradepuissondépart:ellen’apasarrêtéde

s’éloignerdenous…endirectiondeFell’sChurch.

Parfois,quandunenouvellevraimentmauvaise

arrive,onmetuncertaintempsàimprimer.

—Tuveuxdirequ’ilneviendrapas?

—Jeveuxdireque,àvoldecorbeau,la

distanceentrelelieuoùonachangédevoitureet

Fell’sChurchn’étaitpasénorme.Ilestpartidans

cettedirection,sansrevenirenarrière.

—Maispourquoi?demandaElena,commesila

logiquepouvaitd’unecertainefaçonsupplanterles

faits.Pourquoim’avoirlaisséeseule?Etsurtout,

pourquoiretourneràFell’sChurchalorsqu’ilest

recherchélà-bas?

—Concernantlepourquoidesondépart:je

croisqu’ils’estfaitdefaussesidéessurtoietmoi…

oudisonsqu’ilavujuste,maisunpeutroptôt…

Damonhaussaunsourcilenluilançantun

regardpleindesous-entendus.Elenaluienvoyaun

oreilleràlatête.

—…etqu’iladécidédenouslaisserunpeu

d’intimité.QuantaupourquoideFell’sChurch…

Ilhaussalesépaules.

—Écoute,tuleconnaisdepuispluslongtemps,

maismêmemoijevoisbienqu’ilestdugenre

Galaad.L’exemplemêmeduparfaitchevalier,sans

peuretsansreproche.Situveuxmonavis,jedirais

qu’ilestpartiaffronterlesaccusationsdeCaroline.

—Oh,non.Iln’apasfaitçaalorsquejeluiaidit

etrépété…

Enentendantfrapper,Elenasedirigeaversla

portepourouvrir.

—Ehsi,insistaDamonens’avachissantunpeu.

Mêmesitesbonsconseilsretentissentencoreàses

oreilles…

Laportes’ouvrit…surBonnie!Maisoui,c’était

bienelle:Bonnieetsapetitesilhouette,sesboucles

roussesetsesgrandsyeuxmarronsiexpressifs.

Sansencroiresesyeuxetencoreabsorbéeparsa

discussionavecDamon,Elenarefermalaporte

derrièreelle.

—Mattvasefairelyncher!reprit-elle,

vaguementagacéed’entendreencorefrapperàla

porte.

Damonserelevaetpassadevantellepouraller

ouvrir.

—Jepensequetuferaismieuxdet’asseoir.

Illapoussaàprendreplacesurunechaiseetla

maintintd’unemaindoucemaisferme,jusqu’àce

qu’ellesetiennetranquille.

Puislaportes’entrouvrit.

Cettefois,c’étaitMeredith.Grandeetélancée,

lescheveuxtombantencascadesbrunessurles

épaules,ellesemblaitdéterminéeàcontinuerde

frapperjusqu’àcequelaportesoitgrandeouverte.

Elenaeutenfinledéclicetassimilatoutàcouples

deuxsituations.

MeredithetBonnieétaientlà!EnArizona!

Elleselevad’unbonddelachaisesurlaquelle

Damonl’avaitfaitasseoiretsejetaaucoude

Meredithens’écriantdemanièreincohérente:

—Tuesvenue!Tusavaisquejenepouvaispas

t’appeler!C’estpourçaquetueslà!

Bonnielescontournatimidementets’approcha

deDamonenluiparlantàvoixbasse.

—Elles’estremiseàembrassertoutesles

personnesqu’ellecroise?

—Malheureusement…non.Maisattends-toià

cequ’elleteserreàmort.

Elenasetournaverslui.

—J’aientendu!Oh,Bonnie!Jen’arrivepasà

croirequetoiaussitusoislà.J’avaistellementenvie

devousparler!

Ellespassèrentunbonmomentdanslesbras

lesunesdesautres.Cefaisant,elleséchangèrent

quelquessignauxdiscrets,typiquesdelasolidarité

des

vélociraptors

:

sourcil

arquéici,

léger

hochement

de

têtelà,puispetitegrimace,

haussementd’épaulesetsoupir.Sanslesavoir,

Damonvenaitd’êtreaccusé,jugé,acquittéetrétabli

danssesfonctions,nonsansqueladécisionaitété

prisedeleteniràl’œil.

Elenafutlapremièreàsereconnecterau

présent.

—VousavezforcémentvuMatt…poursavoir

qu’onseraitici.

—Oui,ilnousaparlédecetteville.Ilavendula

Prius,etnousonafaitnosvalisesenquatrième

vitesse,onaprisnotrebilletd’avionetonvousa

attendus…Onavaitpeurdevouslouper!raconta

Bonnie,àboutdesouffle.

—Àtouthasard,çaneferaitpasenvirondeux

joursquevousavezachetévosbillets?demanda

Damonenregardantleplafondd’unairlas.

Ils’accoudaparesseusementsurledossierdela

chaise.

—Attendsquejeréfléchisse…

Meredith,impassible,réponditàlaplacede

Bonnie:

—Si,pourquoi?Çaposeunproblème?

—Onessayaitdebrouillerunpeulespistes,

expliquaDamon.Maisbon,jesupposeque

finalementçan’apaschangégrand-chose.

«Sansdoute,confirmaElenaensilence,car

Shinichipeuts’introduiredanstonespritàtout

moment,donctaseuleparadec’estd’essayerdelui

résister.»

—Iln’empêchequ’Elenaetmoidevonspartir

toutdesuite,ajoutaDamon.J’aiunecourseàfaire;

profites-enpourtepréparer,Elena.Neprendsque

lestrictminimum,ycomprisdequoimangerpour

deuxoutroisjours.

—Pourquoi…toutdesuite?bafouillaBonnieen

s’asseyantbrusquementparterre.

—Parcequ’onadéjàperdul’effetdesurprise.

—Jen’enrevienspasquevoussoyezvenues

medireaurevoir,ditElena.C’estvraimentsympa!

«Etvraimentstupide!»pensa-t-elleen

souriantd’unairradieux.

—Bon,j’yvais,repritDamonenleuradressant

unsignesansseretourner.Rendez-vousicipourle

départdansunedemi-heure.

—Unedemi-heure?Quelradin,ronchonna

Bonniequandlaportefutbienferméederrièrelui.

Çanevapasnouslaisserbeaucoupletempsde

discuteravantdesemettreenroute.

—Jepeuxfairemonsacenmoinsdecinq

minutes,commentadistraitementElena,d’unton

triste.

PuisladernièrephrasedeBonniepercutadans

sonesprit.

—Commentça«avantdesemettreen

route»?

—Moi,jevaisavoirdumalàmecontenterdu

minimum,setracassaMeredithdesoncôté.Jen’ai

plusassezdemémoiresurmontéléphonepourtout

sauvegarderetjenesaispasquandj’aurail’occasion

derechargerlabatterie.J’aiunevaliseentièrede

documents!

Elenajetauncoupd’œilnerveuxàsesdeux

amies.

—Dites…ilmesemblequec’estmoiquisuis

censéefairemavalise.Jesuisbienlaseuleàpartir…

non?

Nouveaucoupd’œilnerveux.

—Commesionallaittelaisserpartirdansune

autregalaxiesansnous!s’exclamaBonnie.Tuas

besoindenous!

—Cen’estpasuneautregalaxie,Bonnie,juste

unedimensionparallèle,rectifiaMeredith.Enfin,

bon,lesmêmesprincipess’appliquent.

—Non…c’esttropdangereux!Jevousinterdis

devenir!

—Riendutout,mavieille:jeterappelleque

c’estmoil’aînée,ditMeredith.Donc,jedécide!En

vérité,lefaitestqu’onaunemission.Onvoudrait

essayerdemettrelamainsurlasphèred’étoilesde

ShinichioudeMisao.Sionyarrive,çadevrait

réglerpasmaldeproblèmesàFell’sChurch.

—Unesphèred’étoiles?répétaElena,l’air

pensif.

Uneimagevaguemaisdésagréableseforma

danssonesprit.

—Jet’expliqueraiplustard.

Elenasecoualatêted’unairperplexe.

—DoncvousavezlaisséMattaffronterseul

touslestrucsquisepassentlà-bas?Alorsquec’est

unfugitifetquelapolicelerecherche?

—Elena,mêmelapoliceapeuravectoutcequi

sepasse.Ilssontsurlesdents…Etfranchement,

mêmesiMattseretrouvaitengardeàvueà

Ridgemont,c’estpeut-êtrelàqu’ilseraitleplusen

sécurité.Maisçan’arriverapas.Ilestchez

MmeFlowersettoutvabien:ilsformentune

bonneéquipe.

Meredithfitunepause,l’airdechercher

commentformulerlasuite.

Bonnies’enchargeapourelle,d’unetoutepetite

voix:

—Alorsquemoi,çan’allaitpasfort,Elena.Je

commençaisà…àdevenirtrèsnerveuse,àvoiretà

entendredeschosesquin’étaientpaslà,oudu

moinsàlesimagineretpeut-êtrebienàlesrendre

réelles.Jemefichaislafroussetouteseuleetje

penseque,quelquepart,jemettaislesautresen

danger.Mattesttroppragmatiquepourtomberlà-

dedans.

Ellesetamponnalesyeux.

—JesaisqueleRoyaumedesOmbresestun

saleendroit,maislàaumoinsjenerisqueraipasde

mettreendangerdesfamillesentièresd’innocents.

Meredithacquiesçad’unsignedetête.

—ÇadevenaitdepireenpirepourBonnieà

Fell’sChurch.Mêmesionn’avaitpasvoulute

rejoindre,j’auraisétéobligéedel’emmenerailleurs.

Jeneveuxpasparaîtrealarmiste,maisjecroisque

lesdémonsenavaientaprèselle.Et,étantdonné

queStefann’estpluslà,Damonestsansdoutele

seulàpouvoirlesempêcherd’approcher.Àmoins

quetunepuissesl’aider,Elena?

Meredith…alarmiste?Pourtant,Elenavoyait

bienleslégersfrissonsquil’agitaientetlespetites

perlesdetranspirationquihumectaientlesboucles

surlefrontdeBonnie.

Meredithposalamainsursonpoignet.

—Onn’apasjustevouludisparaîtredela

circulation,niquoiquecesoitdugenre.Fell’s

Churchestunevraiezonedeguerreaujourd’hui,

maisonn’apaslaisséMattsansallié.Prendsle

DrAlpert,parexemple:c’estunefemmelogique,le

meilleurmédecindecampagneaumonde,etelle

seraitmêmecapabledeconvaincreleshabitants

queShinichietlesmalachsexistentvraiment.En

plus,lesparentss’enmêlentmaintenant.Les

parents,lespsychiatresetlesjournalistes.C’est

devenuingérablepourlesautoritésetc’esttoutà

l’avantagedeMatt,crois-moi.

—Comment…enàpeineunesemaine?

—Jetteunœilàl’éditiondedimanche.

Elena

attrapa

leRidgemontTimesque

Meredithluitendait.C’étaitleprincipaljournaldu

comtédeFell’sChurch.Ilyavaitungrostitreen

premièrepage,au-dessusd’unlongtexteen

caractèregris:«Possessionetsorcellerieau

xxiesiècle?»

Mais,cequiattirasurtoutsonattention,c’était

laphotod’unebagarreentretroisfillesqui

semblaientenproieàdesconvulsionsetse

contorsionnaientdansdespositionsimpossibles

pourlecorpshumain.Levisagededeuxd’entre

ellesexprimaitlasouffranceetlaterreur,maisc’est

envoyantlatroisièmequ’Elenasentitsonsangse

figer.Soncorpsétaittellementcourbéenarrière

qu’elleavaitlatêteenbas,àl’envers,etelle

regardaitdroitverslacaméra,leslèvres

retrousséessursesdents.Sonregard…iln’yavait

pasd’autremotpourledécrire:ilétait

démoniaque.Sesyeuxn’étaientpasrévulsésou

déformésnirien.Ilsnebrillaientpasnonplusd’une

lueurrougeetsinistre.Toutétaitdansl’expression.

Elenan’avaitjamaisvuunregardluidonnerautant

lanausée.

—Est-cequ’ilvousarrivede,disons,faireune

bourde,ettoutdesuiteaprèsd’éprouverun

sentimentdugenre«Oups.Lemondeestmal

barré»?

—ToutletempsdepuisquejeconnaisStefan,

réponditMeredith.Neleprendspasmal,Elena.

Maislefaitestquetoutestarrivéendeuxjours,dès

quelesadultesontcomprisqu’ilsepassait

réellementquelquechoseets’ensontmêlés.

Poussantunsoupir,ellepassaunemainaux

onglesparfaitementmanucurésdanssescheveux

avantdecontinuer:

—D’aprèsBonnie,cesfillessontpossédéesau

sensmoderneduterme.Oupeut-êtrequec’est

Misaoquitirelesficelles,puisqueleskitsune

femellesontsoi-disantcepouvoir.Siseulementon

pouvaittrouvercessphèresd’étoiles,rienqu’une,

onpourraitlesobligeràtoutremettreenordre.

Elenaposalejournalpourneplusavoirà

affronterlaphotoetcesyeuxàl’enversquila

fixaient.

—Etpendantcetemps,tonpetitcopain,

commentilgèrelacrise?

Pourlapremièrefois,Meredithparut

sincèrementsoulagée.

—Alaricdevraitêtreenrouteencemoment

même.Jeluiaiécritpourluiracontercequise

passait,etc’estd’ailleursluiquim’aditdefaire

partirBonnie.

EllelançaunregarddésoléàBonnie,quileva

simplementlesmainsetlesyeuxauciel.

—Dèsqu’ilauraterminésontravailsurl’îlede

ShinmeinoUma,ilrentreraàFell’sChurch.Ce

genredephénomène,c’estsaspécialité,etilenfaut

beaucouppourluifairepeur.Donc,mêmesionne

revientpasavantdessemaines,Mattauradu

renfort.

Àsontour,Elenalevalesmains,unpeudela

mêmemanièrequeBonnie.

—Autantvousprévenirtoutdesuite,avantde

partir:jenepeuxrienpourBonnie.Sivouscomptez

surmoipourreproduirelemiracledeladernière

fois,quandons’estbattuscontreShinichietMisao…

désoléedevousdécevoir,maisc’estinutile.J’ai

essayédesdizainesdefois,j’aifaitmonmaximum

pourfaireresurgirmespouvoirs,maisçan’ajamais

riendonné.

—Peut-êtrequeDamonpourrafairequelque

chose,danscecas…

—Sûrement,maisnelepoussepastroppour

l’instant,Meredith.Pastoutdesuite.Onsaitavec

certitudequeShinichicontinuedeluivolerdes

souvenirs,etquisaits’ilnevapasreprendre

possessiondelui…

—Salementeurdekitsune!lâchabrusquement

Bonnie,d’untonpresquejaloux.

Onauraitpresqueeul’impressionqueDamon

étaitsonpetitami.

—Shinichiavaitjurédenepas…

—IlavaitaussijurédequitterFell’sChurch.La

seuleraisonpourlaquellejemefieauxindicesque

Misaom’adonnés,c’estlefaitqu’ellemenarguait.

Ellenepensaitpasqu’onpasseraitunaccordavec

sonfrère,doncellenecherchaitpasàmentirouà

jouerlesmalignes…enfinjecrois.

—C’estpourçaqu’onestvenues,pourt’aiderà

retrouverStefan.Et,avecunpeudechance,pour

trouverlessphèresd’étoilesquinouspermettront

dereprendreledessus.Alors,c’estOK?

—OK!acquiesçaElenaavecferveur.

—OK,ajoutaMeredithd’untonsolennel.

Bonniehochalatête.

—Vivelasolidaritédesvélociraptors!

Ellestendirentrapidementlamaindroitevers

lecentredeleurcercle,enformantuneroueàtrois

rayons.Elenarepensaalorsàl’époqueoùces

derniersétaientaunombredequatre.

—EtCaroline,aufait?

BonnieetMeredithseconcertèrentd’un

regard.PuisMeredithsecoualatête.

—Ilvautmieuxquetunesachespas.

Sérieusement.

—

Mais

si.

Je

peux

tout

entendre.

Sérieusement,insistaElenapresqueenchuchotant.

Meredith,jesuisdéjàmortedeuxfois,tute

rappelles?

Mais

Meredith

continua

de

secouer

farouchementlatête.

—Situnesupportespascettephoto,mieux

vautquetun’entendespasparlerdeCaroline.On

estpasséeslavoirdeuxfois…

—Tuyesalléedeuxfois,corrigeaBonnie.La

secondefois,jemesuisévanouieettum’aslaisséeà

l’entrée.

—Jesais.Jemesuisrenducomptequej’aurais

puteperdrepourdebon,etjemesuisexcusée…

Bonniel’interrompitenremuantgentimentson

bras.

—Enfinbref.Cen’étaitpasvraimentunevisite

officielle,repritMeredith.Jesuispartiedevant,

danslachambredeCaroline,sansattendresamère,

etjel’aitrouvéerecroquevilléedanssonespècede

nid–nemedemandepas–entraindemanger

quelquechose.Quandellem’avue,elleajuste

ricanéetelleacontinuécequ’ellefaisait.

—Et?s’impatientaElena.C’étaitquoid’après

toi?

—Jecroisquec’étaientdesasticotsoudes

limaces,murmuraMeredith.Ellelesétiraitau

maximumetilssetortillaientjusteavantqu’elleles

gobe.Maiscen’étaitpaslepire.Franchement,c’est

difficileàexpliquerquandonnel’apasvécu,mais

engrosellem’afaitunpetitsourirenarquoisenme

disant:«Unepetitebouchée?»Ettoutàcoupje

mesuisretrouvéeavecunemultitudedelarves

danslabouche…quimedescendaientdanslagorge.

Alorsj’aivomi,d’emblée,surlamoquettede

Caroline,quiaéclatéderire.Jesuisrepartieàtoute

vitesse,j’aiportéBonniedansmesbrasetonn’est

jamaisrevenues.Mais,enchemin,jemesuis

aperçuequ’elles’étouffait.Elleavaitdesasticotset

d’autrestrucsignoblespleinlaboucheetlenez!Je

connaislesgestesderéa;j’airéussiàluienfaire

recracherunebonnepartieavantqu’elleseréveille

envomissant.Mais…

—J’aimeraisvraimentmieuxnepasrevivrece

genred’expérience.

L’absencemêmed’intonationdanslavoixde

Bonnieendisaitlongsurl’horreuréprouvée.

—J’aientendudirequelesparentsdeCaroline

avaientquittéledomicile,etj’avouequejeles

comprends.Carolineestmajeure.Ensomme,on

priepourquelesangdeloup-garouqu’elleadans

lesveinesl’emporte:ceseramoinspirepourelle

quederestersousl’emprised’unmalachoud’un

démon.Etsinon…

Elenaposalementonsursesgenouxrepliés

contreelle.

—EtvouspensezqueMmeFlowerspeuts’en

charger?

—MieuxqueBonnie,entoutcas.Elleestravie

queMattsoitlà.Commejetel’aidit,ilsformentune

bonneéquipe.Maintenantqu’elleaenfinacceptéde

parlerauxhommesduxxiesiècle,jecroisqu’elley

prendgoût.Etpuis,elles’exercecontinuellementau

GrandArt.

—Augrand…?Ah,d’accord…

—Oui,c’estlenomqu’elledonneàla

sorcellerie.J’ignorecomplètementsielleestdouée

oupas,carjen’aiaucunpointdecomparaison…

—Entoutcas,sescataplasmesfontdes

miracles,affirmaBonnie.

Presqueenmêmetemps,Elenaintervint:

—Sesselsdebainsonttrèsefficaces.

Meredithesquissaunvaguesourire.

—Dommagequ’ellenesoitpasvenueànotre

place.

Elenasecoualatête.Maintenantqu’ellesétaient

touteslestroisréunies,ellesavaitqu’elleserait

incapabledepartirsanselles.BonnieetMeredith

n’étaientpasseulementdevraiessœurspourelle,

ellesreprésentaientbeaucoupplus…etvoilàqu’elles

s’apprêtaientàrisquerleurviepourStefanetpour

Fell’sChurch.

Àcetinstant,laportedelachambres’ouvrit.

Damonapparut,deuxsacsenpapieràlamain.

—Bon,çayest?Toutlemondes’estgentiment

ditaurevoir?

Ilsemblaitavoirdumalàregarderenfaceles

deuxvisiteuses,doncildévisageaElena.

—Euh…pastrop.Pasexactement,répondit-

elle.

EllesedemandasiDamonseraitsusceptiblede

balancerMeredithparlafenêtreducinquième

étage.Mieuxvaudraitluiannoncerlanouvelleavec

ménagement…

—Enfait,onvientavecvous,lâchaMeredithde

butenblanc.

—D’ailleurs,onn’apasfaitnosvalises,ajouta

Bonnie.

ElenaseglissarapidemententreDamonetles

filles–aucasoù.Maisilgardalesyeuxclouésau

sol.

—C’estunemauvaiseidée,dit-ildoucement.

Unetrès,trèsmauvaiseidée.

—Damon,s’ilteplaît,nelesmanipulepas!

Elenaagitalesmainsavecinsistance,maisilse

défenditd’unsimplegestedubras…et,sansqu’ils

puissentsel’expliquer,leursmainssefrôlèrent…et

s’enchevêtrèrent.

Cefutunvéritableélectrochoc.Maisagréable,

pensaElena,mêmesicen’étaitpasvraimentle

moment

de

réfléchir.

Chacun

essayait

désespérémentderécupérersamain,tandisquede

petitesondestraversaientlapaumed’Elenaetlui

parcouraienttoutlecorps.

Finalement,ilsréussirentàsedégageretse

retournèrent,d’unmêmepascoupable,versBonnie

etMeredithquilesfixaientavecdesyeuxronds.

Desyeuxméfiants,quidisaient:«Tiens,tiens…

Qu’est-cequ’ilsepasseentreeux?»

Pendantunbonmoment,tousrestèrentsans

bouger,sansdireunmot.

PuisDamonrepritavecsérieux:

—Onnepartpasenexcursion.Onyvaparce

qu’onn’apaslechoix.

—Maispastoutseuls,pasquestion,insista

Meredith.SiElenapart,onpartaussi.

—Onsaitquec’estdangereux,ditBonnie,mais

iln’yapasàdiscuter:onvientavecvous.

—Enplus,nousaussi,onaunobjectif,ajouta

Meredith.UnmoyendepurgerFell’sChurchdumal

queShinichiafait.

Damonsecoualatêteenlaregardant.

—Jecroisquetun’aspasbiencompris:cet

endroitnevavraimentpasteplaire,dit-il,les

lèvresserrées.

Ilindiquasontéléphoneportabled’unsignede

tête.

—Iln’yapasdecourantélectrique,là-bas.

D’ailleurs,possédercetyped’appareilestuncrime.

Etleurchâtiment,quelquesoitledélit,c’estla

tortureetlamort.

Ils’avançad’unpasverselle.

Refusantdereculer,Meredithplantasesgrands

yeuxsombresdansceuxdeDamon.

—Écoutez,vousn’avezmêmepasidéedetout

cequ’ilvafalloirfairerienquepourentrer,

poursuivit-ild’untonsinistre.Déjà,ilvousfautun

vampire:coupdepot,dececôté-là,vousêtes

servies.Ensuite,vousdevrezvousplieràtoutes

sortesd’exigencesquinevontpasvousplaire…

—SiElenapeutlefaire,nousaussi,lecoupa

calmementMeredith.

—Jeneveuxpasqu’ilvousarrivequelque

chose.Sij’yvais,c’estpourStefan,s’empressade

direElena.

Elles’adressaitenpartieàsesamies,enpartieà

elle-même,àsonâme,quelesondesetles

vibrationsélectriquesavaientfinalementatteinte.

Quelle

douceur

étrange,

attendrissante

et

lancinante,comparéeauchocdudébut.Quelle

violence,pourunsimplecontactentredeuxmains…

S’arrachantenfinauregarddeDamon,ellese

reconnectaaudébat.

—JesaisquetuyvaspourStefan,étaiten

traindeluirépondreMeredith,etnous,onyva

pourtoi.

—Jeterépètequeçanevapasvousplaire,

rétorquaitDamon,d’unairtoujoursplussombre.

Vousallezleregrettertoutevotrevie–enfin,si

voussurvivez.

Bonnielevalatêteverslui,sonpetitvisageen

cœurlesuppliantduregardsoussesgrandsyeux

marron.Ellesetenaitlesmainssurlapoitrine.On

auraitdituneillustrationdecartedevœux,pensa

Elena.Sonregardvalaittouslesarguments.

DamonfinitparsetournerversElena.

—Tulesconduissûrementàlamort,tusais.

Toi,encore,jepourraiteprotéger.Maistoiplus

Stefanplustesdeuxpetitescopines…çafaittrop.

C’étaitévident,etilyavaitdequoipaniquer.

Elenan’avaitpasvuleschosessouscetangle.En

revanche,ellevoyaittrèsbienlesmâchoiresserrées

deMeredithetlafaçondontBonnies’était

discrètementhisséesurlapointedespiedspour

paraîtreplusgrande.

—Jecroisquelaquestionestdéjàréglée,

répondit-elleposément,conscientequesavoix

tremblait.

Ils’écoulaunlongmomentpendantlequelelle

nelequittapasdesyeux,puis,toutàcoup,illeur

lançaunsourireéblouissantqu’ileffaçapresque

aussitôt,commetoujours.

—Trèsbien.Danscecas,j’aiuneautrecourseà

faire.J’enaipourunpetitmoment,doncmettez-

vousàl’aise…

—Elenadevraitvenirdansnotrechambre,dit

Meredith.J’aibeaucoupdechosesàluimontrer.Et,

siondoitemporterleminimum,onvadevoirpasser

toutçaenrevuecettenuit…

—Alorsdisonsqu’onseretrouveiciàl’aube,

conclutDamon.OnsemettraenroutepourlaPorte

desDémons.Ah,aufait:n’emportezpasd’argent,

çanesertàrienlà-bas.Jevousleredis,ceneseront

pasdesvacances…Maisça,vousallezvitevousen

rendrecompte.

D’ungesteironiqueetpleindegrâce,iltendit

sonsacdevoyageàElena.

—LaPortedesDémons?répétaBonnieen

suivantsesamiesversl’ascenseur.

—T’inquiète,assuraMeredith.C’estjusteun

nom.

Elenaauraitpréférénepasconnaîtreaussibien

Meredith,surtoutquandellementait.

11.

Elenajetaunœilentrelesrideauxpourvoirsi

l’aubes’annonçait.Bonnieétaitpelotonnéesurun

fauteuilprèsdelafenêtre,àmoitiéendormie.Elena

etMeredithétaientrestéesdebouttoutelanuit,et

destasdedocumentsimprimés,dejournauxetde

photostrouvéessurInternetétaientéparpilléspar

terreautourd’elles.

—ÇaneselimiteplusàFell’sChurch,dit

Meredith.

Elleindiqual’undesarticles.

—J’ignoresiçasuitleslignesd’énergie,si

Shinichicontrôletout…ousilephénomènese

propagedefaçonautonome,commeunparasite.

—TuasessayédecontacterAlaric?

Meredithregardarapidementlevisageassoupi

deBonnieetbaissalavoix.

—Oui,etj’aidebonnesnouvelles.Çafaisaitdes

lustresquej’essayaisdelejoindreetj’aienfin

réussi.IlserabientôtàFell’sChurch…mais,avant,

ilaunedernièreescaleàfaire.

Elenainspiralentement.

—C’estplusimportantquecequisepasseici?

—D’unecertainefaçon,oui.Maisjen’enaipas

parléàBonnie.NiàMattd’ailleurs:jesavaisqu’ils

necomprendraientpas.Tunedevinerasjamaisle

typedelégendesqu’ilétudieenAsie?

EllefixaElenaavecintensité.

—Nemedispasque…Leskitsune?

—Oui.Ildoitserendresurlesruinesd’une

anciennevillequ’ilsauraientdétruite…delamême

manièrequ’ilssontentraindedétruireFell’s

Church.Pluspersonnen’yvitaujourd’hui.Laville

s’appelaitUnmeinoShima,cequisignifiel’«Îledu

Destin».Ilapprendrapeut-êtrequelquechose

d’importantsurcesmauditsrenards.Iltravaillesur

unesorted’étudeindépendanteetmulticulturelle,

encollaborationavecSabrinaDell.Elleal’âge

d’Alaric,maiselleestdéjàtrèsréputéecomme

anthropologuemédico-légale.

—Et…tun’espasjalouse?demanda

maladroitementElena.

Cen’étaitpasévidentd’aborderdessujets

personnelsavecMeredith.Onavaittoujours

l’impressiond’êtreindiscretàlamoindrequestion.

Meredithrenversalatêteenarrière.

—Ehbien,cen’estpascommesionétait

officiellementensemble.

—Ilfautdirequetun’enparlesjamaisà

personne.

Ellebaissalatêteetlançaunrapidecoupd’œilà

Elena.

—Maintenant,c’estfait.

Ellesrestèrentunbonmomentsansriendire,

avantqu’Elenapoursuive,toujoursàvoixbasse:

—LeShinoShi,leskitsune,IsobelSaitou,

AlaricetsonÎleduDestin…toutçan’apeut-être

aucunlien.Mais,s’ilyenaun,jecomptebien

trouverlequel.

—Etjet’aiderai,réponditsimplement

Meredith.Mais,tusais,jemedisaisqu’aprèsle

lycée…

Elenasautasurl’occasion.

—Meredith,jeteprometsquedèsqu’onaura

récupéréStefanetramenélecalmeenville,on

élaboreraunpland’actiondeAàZpourAlaricet

toi.Promessedevélociraptor,OK?

Meredithclignadesyeux,lagorgenouée.

—OK.

Puis,brusquement,elleretrouval’énergiequila

caractérisait.

—Merci,ajouta-t-elle.Enattendant,çaneva

pasêtresimplederemettredel’ordredansFell’s

Church.C’estvraimentlechaoslà-bas.

—DirequeMattestpartisefourrerdanstout

ça.Etseul,enplus.

—Jet’assure,ilsformentunebonneéquipe

avecMmeFlowers.Et,aufond,c’estsadécision.

—C’estvrai,conclutElenaunpeusèchement.

Enfindecompte,ilgagnerapeut-êtreauchange,

comparéàcequinousattend.

Retournantàleurspapiersépars,Meredith

ramassadesphotosdekitsunegardantdeslieux

saintsjaponais.

—Engénéral,onditqu’ilssontreprésentés

avecunbijououuneclé.

EllemontraàElenal’imaged’unrenardtenant

uneclédanslagueule,devantl’entréedusanctuaire

Fushimi.

—Tiens,tiens.Ondiraitquelacléadeuxailes,

non?

—C’estexactementcequ’ons’estditavec

Bonnie.Quantau«bijou»,regardebien…

Elenas’exécutaetsonsangnefitqu’untour.

Surplusieursphotosapparaissaientdespetitsobjets

sphériques,semblablesauxboulesàneigeque

Shinichiavaitutiliséespourleurtendreunpiège

imparabledanslavieilleforêt.

—Onadécouvertqueças’appelaithoshino

tama,expliquaMeredith.Cequisetraduitpar

«sphèred’étoiles».Chaquekitsuneyconserveune

petitepartiedesonpouvoir,entreautreschoses:la

détruireestundesseulsmoyensdelevaincrecar,

situtrouveslasphèred’étoilesd’unkitsune,ilest

contraintdet’obéir.VoilànotreobjectifavecBonnie.

—Maiscommentonlatrouve?demandaElena,

alléchéeàl’idéedepouvoircontrôlerShinichiet

Misao.

—Sa…,ditMeredithenprononçantlemot

commeunsoupir.

Puiselleaffichaunsourireéclatant,comme

rarementelleenfaisait.

—Enjaponais,çasignifieàlafois«j’me

l’demande;hem,jepréfèremetaire;mincealors;

bonsang,j’ensaisfoutrementrien.»Plutôt

pratique,hein?

Elenagloussamalgréelle.

—Selond’autreslégendes,leskitsunepeuvent

aussiêtrevaincus,voiretués,parlePéchédu

Regretoupardesarmesbénites.PourlePéché,je

nesaispas,mais…

Ellefarfouilladanssonsac,etensortitun

revolvervieillotmaisvisiblementenétatde

marche.

—C’étaitceluidemongrand-père…l’undes

deux,enfait.J’aidonnél’autreàMatt.Ilssont

chargésdeballesbénitesparunprêtre.

—Ettupeuxmedirequelprêtrevoudraitbénir

desballes?

LesouriredeMeredithsecrispa.

—UnprêtrequiavucequisepasseàFell’s

Church.TutesouviensdelafaçondontCaroline

s’estservied’Isobeletdesscarificationsqu’Isobel

s’estfaitessoussonemprise?

Elenahochalatête.

—Difficiledel’oublier,répondit-elle,nerveuse.

—Et…tuterappellesquandont’aracontéque,

plusjeune,Obaasan–MmeSaitou–étaitunemiko,

unejeunefilleauserviced’unsanctuaire?C’estune

prêtressedanslaculturejaponaise.C’estellequia

bénilesballes,expressémentpourqu’ontueles

kitsune.Tuauraisdûvoirlerituel,c’étaitsinistre.

Bonnieaencorefaillis’évanouir.

—TusaiscommentvaIsobel,aujourd’hui?

Meredithsecoualentementlatête,d’unair

sombre.

—Mieux,mais…jecroisqu’ellen’estpasencore

aucourantpourJim.Çavaêtretrèsdurpourelle.

Elenaréprimaunfrisson.L’avenirs’annonçait

vraimenttristepourIsobel,quandbienmêmeelle

guérirait.JimBryce,sonpetitami,n’avaitpassé

qu’unenuitavecCaroline,maisilétaitmaintenant

victimedusyndromedeLesch-Nyhan–dumoins,

d’aprèscequedisaientlesmédecins.Aucoursde

cettemêmesoiréeatroceoùIsobels’étaitfaitdes

piercingspartoutetcoupélalangueenfourche,Jim,

unbeaugarçon,stardesterrainsdebasket,s’était

mutiléenserongeantlesdoigtsetleslèvres.Tous

lesdeuxétaientpossédéset,pourElena,leurs

blessuresjustifiaientd’autantplusd’enfinirpourde

bonaveclesjumeauxmaléfiques.

—Onvayarriver,affirma-t-elleàvoixhaute.

Alors,elleserenditcomptequeMeredithlui

tenaitlamain,commeellelefaisaitavecBonnie.Elle

réussitàesquisserunsourire,faiblemais

déterminé.

—OnvalibérerStefanetonvaincraShinichiet

Misao.Illefaut.

Meredithacquiesçad’unsignedetêtetoutaussi

résolu.

—Ilyaautrechose,dit-ellepourfinir.Tuveux

savoir?

—Jeveuxtoutsavoir.

—Ehbien,touteslessourcesquej’aiconsultées

s’accordentàdirequeleskitsunepossèdentd’abord

lesfilles,puispoussentlesgarçonsàladestruction.

Quantautypededestruction,toutdépenddela

façondevoirleschoses:çapeutêtreaussisimple

qu’unfeufolletillusoirequiteconduitaufondd’un

marécageouaubordd’unefalaise,ouaussi

complexequ’unmétamorphequitedupe.

—Nem’enparlepas,commentaElena.J’aivu

cequis’étaitpasséavectoietBonnie,l’autrefois:

ilssontcapablesderessemblertraitpourtraità

quelqu’un.

—Oui,maisilyatoujoursunpetitdétail

trompeur,sionalaprésenced’espritd’êtreattentif.

Ilsnepeuventpasfournirunecopieconforme.Par

contre,ilspeuventavoirjusqu’àneufqueues,etplus

ilsenont,plusilssontdoués.

—Neuf?Génial.Maisonn’enajamaisvu

autant,si?

—

Non,

mais

ça

pourrait

changer.

Apparemment,ilssontcapablesdepasserd’une

dimensionàl’autreàleurguise.Ahoui,etaussi…ils

sontspécifiquementenchargedelaPortedu

Kimon,quiséparelesdeuxdimensions.Jetelaisse

devinerlatraduction!

Elenalafixa.

—Ohnon!

—Ohsi!

—MaispourquoiDamonnousferaittraverser

toutlepayspourpasserprécisémentparunePorte

gardéepardesdémons?

—Sa…QuandMattnousaditquevousmettiez

lecapversSedona,c’estcequinousadécidéesavec

Bonnie.

—Demieuxenmieux.

Elenasepassalamaindanslescheveuxen

poussantunsoupir.

—Autrechose?

Elleavaitl’impressiond’êtreunélastiquetendu

aumaximum.

—Uneseule,maisquidevraitteplaireaprès

toutescesmauvaisesnouvelles.Certainssontbons.

Leskitsune,j’entends.

—Bons?…Maisenquoi?Enbagarres?En

meurtres?Enmensonges?

—Non,jet’assure,Elena.Ilsembleraitque

certainssoientunpeucommedesdieux

bienveillantsquitetestent,et,situréussis,ilste

récompensent.

—Tucroisqu’onpeutespérerenrencontrer

un?

—Pasvraiment.

Assiseparterre,Elenalaissatombersatêtesur

latablebasseoùétaientétaléslesdocumentsde

Meredith.

—Franchement,Meredith,commentest-ce

qu’onvagérertoutçaquandonaurapassélaPorte

desDémons?Monpouvoirestpresqueaussifiable

qu’unebatteriedéchargée.Etjeneparlepas

seulementdeskitsune:c’estpleindedémonsetde

vampireslà-bas,mêmedesAnciens!Qu’est-ce

qu’onvafaire?

Ellerelevalatêteetplongeasonregarddansles

yeuxdesonamie,sesyeuxfoncésdontellen’avait

jamaisétécapablededéterminerprécisémentla

couleur.

Àsasurprise,aulieudeprendreunairgrave,

MeredithattrapaunecanettedeCocaLightdansle

mini-baretsourit.

—Tun’aspasencoredeplanA?

—Ehbien…justeunepetiteidée.Riendeprécis

pourl’instant.Ettoi?

—Quelques-unesquipourraientcolleravecles

plansBetC.Aufinal,onferacommed’habitude:on

feradenotremieux,onsedémèneracommedes

dinguesetoncommettradeserreurs,jusqu’àceque

tuaiesuneidéebrillantissimequinoussauvera

tous.

—Merry…

Meredithclignadesyeux,cequinesurpritpas

Elena:ellenel’avaitpasappeléeparsondiminutif

depuisuneéternité.Aucunedestroisamiesn’aimait

lessurnomsoun’enutilisait.Elenarepritd’unton

trèssérieux,sanslaquitterdesyeux.

—Écoute,sauvertoutlemonde–sans

exception–decesfoutuskitsune,c’esttoutceque

jesouhaite.JedonneraismaviepourStefanetpour

vous.Mais…cettefois,peut-êtrequequelqu’un

serasacrifié.

—J’ensuisconsciente.EtBonnieaussi.Onena

parléenvenantici.Maisonseratoujoursavectoi,

Elena.Nel’oubliepas.Onesttousavectoi.

Iln’yavaitqu’uneseulefaçonderépondre:

ElenapritlamaindeMeredithetlaserraentreles

siennes.Puisellepoussaunsoupiret,commesielle

montaitàl’échafaud,essayad’aborderunsujet

délicat.

—Est-cequeMatt…Est-cequ’ilt’adit…Enfin,

bref:commentilétaitquandtul’aslaissé?

Meredithluilançaunregardenbiais.Peude

chosesluiéchappaient.

—Ilavaitl’airOK,mais…unpeuailleurs,

bizarrement.Parmoments,ilsemettaitàregarder

danslevideettuavaisbeauluiparler,iln’entendait

rien.

—Est-cequ’ilt’aexpliquépourquoiilétait

parti?

—Enquelquesorte.IladitqueDamont’avait

hypnotiséeetque…tunet’étaispastropdéfendue.

Maisc’estungarçon,etlesgarçonssontparfois

jaloux.

—Non,ilaraison,c’estcequis’estpassé.Le

truc,c’estque…j’aiapprisàconnaîtreunpeumieux

Damon.EtMatt,çaneluiplaîtpas.

—Hm-hm.

Meredithl’observaitderrièresespaupièresmi-

closes,respirantàpeine,commesiElenaétaitun

oiseauqu’ilnefallaitpaseffrayersouspeinedele

voirs’envoler.

Elenasemitàrire.

—Iln’yariendegrave,tusais!Dumoins,je

necroispas.C’estjusteque,àcertainségards,

Damonaencoreplusbesoind’aidequeStefanà

l’époqueoùilestarrivéàFell’sChurch.

Meredithhaussalessourcils,intriguée,mais

restasilencieuse.

—Et…jecroisréellementqueDamon

ressemblebeaucoupplusàsonfrèrequ’ilneveut

bienl’admettre.

Meredith

garda

la

même

expression.

Finalement,Elenasetournaverselled’unair

hésitant.

—Jesuismal,hein?admit-elled’unair

désespéré.

—Situasressentitoutçaaprèsmoinsd’une

semainepasséeaveclui…alors,oui.Maisilnefaut

pasoublierquelesfemmes,c’estlaspécialitéde

Damon.Etilcroitêtreamoureuxdetoi.

—Non,ill’est,commençaElenaavantdese

mordrelalèvre.Non,maisc’estdingue!Onesten

traindeparlerdeDamon,là!Jesuisvraimentmal!

—Attendsdevoircequisepassera,dit

Meredithavecsagesse.Luiaussiabeaucoup

changé.Avant,ilt’auraitsimplementdit«Niet,tes

amiesneviennentpasavecnous».Aujourd’hui,il

s’estmontrépatientetilnousaécoutées.

—Tuasraison.Ilfautquejesoissurmes

gardesàpartirdemaintenant,réponditElenad’une

voixmalassurée.

Commentpourrait-elleaiderl’enfantquiétait

enluienconservantsesdistances?Etcomment

expliquerait-elleàStefantoutcequ’ellepourrait

êtreamenéeàfairepourl’aider?

Ellepoussaunlongsoupir.

—Çasepasserabien,marmonnaBonniedans

sonsommeil.

MeredithetElenasetournèrenttouteslesdeux

verselle,etElenasentitunfrissonluiparcourirle

dos.Bonnies’étaitredresséedanslefauteuil,mais

sesyeuxétaientfermésetsavoixindistincte.

—Lavraiequestion,c’est:quevapenser

StefandelafameusenuitavecDamonaumotel?

—Quoi?

Lavoixd’Elena,forteetcassante,auraitréveillé

n’importequeldormeur.MaisBonnienebroncha

pas.

—Dequoielleparle?Quellenuit?Quelmotel?

bafouillaMeredith.

CommeElenatardaitàrépondre,ellelui

attrapalebraspourlatournerfaceàelle.

Elenafinitparaffrontersonregard,maissans

laisseruneseuleémotiontransparaître.

—Elena,dequoiparleBonnie?Qu’est-cequi

s’estpasséavecDamon?

Levisagedemarbre,Elenaseservitdumot

quesonamievenaitjustedeluiapprendre.

—Sa…

—Elena,t’espascroyable!Nemedispasque

tuvasplaquerStefanquandtul’auraslibéré?

—Maisbiensûrquenon!Stefanetmoi,onest

faitsl’unpourl’autre…pourtoujours.

—Maisapparemment,çan’empêchequ’ils’est

passéuntrucentreDamonettoiunenuit?

—C’estpossible…

—Maisraconte!Qu’est-cequis’estpassé?

Elenasouritd’unairdésolé.

—Sa…

—Puisquec’estcommeça,jetirerailesversdu

nezàDamon!

—TupeuxfairetouslesplansA,B,C,Dquetu

veux,lacoupaElena,çaneserviraàrien.Shinichi

luiaprissessouvenirs.Meredith,écoute,jesuis

désolée…tun’imaginespasàquelpoint.Maisj’ai

promisquepersonnen’ensauraitjamaisrien.

Enlevantlesyeuxverselle,ellesentitles

larmesmonter.

—Tuveuxbien,pourunefois…qu’onenreste

là?

Meredithrenditlesarmes.

—ElenaGilbert,lemondeadelachancequ’il

n’enexistepasdeuxcommetoi.Tuesvraiment…

Ellemarquaunepause,commesiellehésitaità

terminer.

—Ilesttempsd’allersecoucher.L’aubeva

bientôtarriver,etlaPortedesDémonsavec.

—Merry?

—Quoiencore?

—Merci.

12.

LaPortedesDémons.

Elenajetaunœilderrièreelle,surlabanquette

arrièredelaPrius.Bonnieclignaitdesyeuxd’unair

endormi.Meredith,quin’avaitpaseusoncompte

desommeiletavaitplutôteusonlotdemauvaises

nouvelles,semblaitàcran:incisive,dure,affûtée

commeunelamederasoir.

Lesdistractionsvisuelless’arrêtaientlà,

exceptionfaitedeDamonquiétaitauvolant,les

sacsenpapiercalésderrièresonsiège.Dehors,làoù

l’aubearidedel’Arizonaauraitdûéblouirpeuàpeu

l’horizon,lepaysagen’étaitqu’unechapede

brouillard.

C’étaiteffrayantetdéroutant.Ilsavaient

bifurquésurunepetiterouteàlasortiede

l’autoroute179,etprogressivement,sansunbruit,

lebrouillardétaittombé,dispersantsesvoilesde

brumeautourdelavoitureavantdel’engloutir

entièrement.Elenaavaitl’impressionqu’onles

coupaitdélibérémentduvieuxmondehabitueldes

McDonald’setdescentrescommerciaux,etqu’ils

franchissaientlafrontièred’unendroitqu’ils

n’étaientpascensésconnaîtreetencoremoins

pénétrer.

Ilsnecroisaientaucunevoituredansl’autre

sens.Pasuneseule.Elenapouvaittoujoursscruter

laroutelenezcolléàlavitre,c’étaitcomme

d’essayerderegarderàtraversdesnuagesen

mouvement.

—Onnerouleraitpasunpeuvite?demanda

Bonnieensefrottantlesyeux.

—Non,réponditDamon.Ceseraitune

coïncidenceétonnantes’ilyavaitd’autresgensque

noussurcetterouteencemoment…

—Çaressemblebeaucoupàl’Arizona,dit-elle,

déçue.

—Çapourraitl’être,pourcequej’ensais.Mais

onn’apasencorefranchilaPorte.Etcen’estpasle

genredecoinsurlequelontombeparhasard.Le

chemincomportetoujoursquelquespièges.Le

problème,c’estqu’onnesaitjamaisàquoi

s’attendre.

Ilmarquaunepause,puisregardaElenad’un

airqu’elleconnaissaitbienmaintenant,unairqui

sous-entendait:jeneplaisantepas,jeteparle

d’égalàégal;écoute-moibien,c’esttrèssérieux.

—Bon,jusqu’ici,tut’esbiendébrouilléepour

laisser

transparaître

uniquement

ton

aura

d’humaine,dit-il.Àprésent,ilfaudraitquetu

apprennesuneastuceavantd’arriverlà-baspour

utilisercetteénergieàtonavantageetlacontrôlerà

taguise,sanstecontenterdeladissimuler.

—Quelgenred’avantage?

—Jevaistemontrer.D’abord,détends-toiet

laisse-toifaire.Petitàpetit,jevaislâcherdulestet

tuvasprendrelescommandes.Àlafin,tudevrais

êtreenmesuredeconcentrertonénergiedanstes

yeux,ettavisions’affûtera;puisdanstesoreilles,

ettonouïeseraplusfine;enfindanstesmembres,

ettesgestesserontplusrapides,plusprécis.On

essaie?

—Tun’auraispaspumediretoutçaavant

qu’onselancedanscetteexpédition?

Ilsourit;unsourirefaroucheetdésinvoltequi

lafitsourireàsontour,sansqu’ellesachevraiment

pourquoi.

—Jusqu’àcequetuprouvesquetuétais

parfaitementcapablededissimulertonauraau

coursdutrajet,ycomprisjusqu’ici,jenetecroyais

pasprête,expliqua-t-ilsansmettredegants.

Maintenanttul’es.Unepartdetonespritn’attend

qu’unechose,c’estdeselibérer.Tucomprendras

quandonauradébloquétoutça.

«Etondébloqueça…comment?Parun

baiser?»songeaElenaavecméfiance.

—Maisnon.Etc’estd’ailleursaussipourça

qu’ilfautabsolumentquetuyarrives:tucontrôles

maltespensées.Tudoisabsolumentapprendreàne

paslesprojeter,sinontunepasserasjamaisleposte

decontrôleàlafrontière.Çasauteraauxyeuxque

tun’espasunesimplehumaine.

Unpostedecontrôle?Çaneprésageaitriende

bon.

Elenaacquiesçafinalementd’unsignedetête.

—D’accord.Qu’est-cequejedoisfaire?

—Commel’autrefois.D’abordessaiedete

détendre.Detefieràmoi.

Ilavançalamaindroiteverssapoitrinejusteà

gauchedesonsternum,sanstoucherletissudeson

petithautdoré.Sesentantrougir,Elenase

demandacequeBonnieetMeredithdevaient

pensersielleslesobservaientàcetinstant.

Puisellesentitautrechose.

Cen’étaitnichaudnifroid,plutôtcommeles

deuxextrêmesréunis.Del’énergieàl’étatpur.«Il

sesertdesonpouvoirpouramorcerlemien,pour

me…»

«…Pourmefairemal…»

Non!

Elleessayadeprotesterdevivevoixetpar

télépathie,dedireàDamonquecequ’elleressentait

étaittropviolent,douloureux.MaisDamonnetint

pascomptedesessupplications,toutcommeil

ignoraleslarmesquisemirentàcoulersurses

joues.Péniblement,lepouvoirduvampireguidait

désormaisceluid’Elenaàtraverstoutsoncorps.Il

l’entraînaitcommeunecomète,laforçantàse

concentrersurdifférentespartiesdesoncorpsetà

laisserl’énergies’accumuler,sanslalaisser

s’échapper.

Jen’enpeuxplus…

Pasuninstantellen’avaitquittéDamondes

yeux,luirévélanttoutessesémotions,delacolère

indignéeauchocenpassantparlasouffrance,et

pourfinir…

Sespenséesvolèrentenéclats.

Lerestedesonpouvoircontinuadecirculer

danssesveines,maissansdéclencherlamoindre

douleur;chaqueboufféed’airqu’elleprenait

décuplaitsesforces,maissansaccroîtresonaura.

Auboutdequelquesminutes,ellepritconscience

qu’ellerespiraitsanseffort.

Désormais,lepouvoird’Elenanesecontentait

plusdecirculerinsensiblementenelleet,de

l’extérieur,delafaireressembleràunefillecomme

uneautre.Ilemplissaitchaqueorgane,chaque

parcelledesoncorps,etpeuàpeuplusieurs

changementss’opérèrent.

Elleréalisaqu’elleregardaitDamonavecdes

yeuxronds.Ilauraitpulaprévenirdecequ’elle

allaitressentiraulieudelalaisseravancerà

l’aveuglette.

«T’esvraimentunmonstre,tusaisça?»

pensa-t-elle.Nonsansétonnement,ellesentitque

Damoncaptaitsapenséeetilsefitunplaisird’y

répondrespontanémentparl’affirmative.

Puis,emportéepardessensationsnouvelles,

elleoubliaDamon.Lentement,elleserenditcompte

qu’ellepouvaitcontinuerdefairecirculerson

pouvoiretmêmel’amplifiersanslimite,se

préparantpouruneexplosionspectaculairemais

sansrienmontrerensurface.

Elleregardalepaysageautourd’elle,qui,à

peinequelquesminutesplustôt,n’étaitqu’une

étenduedéserteetaride.C’étaitcommesiun

puissantraidelumièreluitransperçaitlesyeux.Elle

étaitéblouie,captivée.Lescouleurssemblaient

prendreviedansunedouloureusesplendeur.Ellese

sentaitàlafoiscapabledevoirplusloinquejamais,

auxconfinsdudésert,etdediscernerlespupillesde

Damondesesiris.

«Enfait,cesontdeuxnuancesdenoir,et

assortiesévidemment,remarqua-t-elle,amusée;

Damonnesupporteraitpasquelacouleurdesesiris

soitdifférentedecelledesespupilles!Maislenoir

estvelouté,alorsqueceluidesespupillesest

soyeuxetbrillant.Néanmoins,ils’agitd’unvelours

quiretientlalumière,unpeucommelecieldela

nuitaveclesétoiles,oucommecessphèresd’étoiles

dontMeredithm’aparlé.»

Lespupillesenquestionétaientencemoment

dilatéesetsolidementrivéessurlevisaged’Elena,

commesiDamonnevoulaitpasperdreunemiette

desesémotions.Toutàcoup,unvaguesourirese

formaaucoindeseslèvres.

—Tuasréussi.Tuasapprisàcanaliserton

pouvoirdanstesyeux.

Ilchuchotaitd’unefaçonàpeineaudible,qu’elle

n’auraitjamaispupercevoiravant.

—Etdansmesoreillesaussi,répondit-elleà

voixbasse,enécoutantl’étonnantesymphoniequi

lesenvironnait.

Dansleciel,unechauve-sourispoussadescris

perçants,d’unefréquencebientropélevéepour

qu’uneoreillehumaineordinairelaperçoive.Quant

auxtourbillonsdegrainsdesableautourd’elle,ils

formaientunesorted’infimeconcertoense

heurtantauxcaillouxetrebondissaientenémettant

unpetitbruitmétalliqueavantdetoucherlesol.

C’estdingue,souffla-t-elleàDamonparla

pensée.Etjepourraitoutletempscommuniquer

avectoicommeça,maintenant?Elledevraitse

montrerprudentedececôté-là:latélépathie

risquaitderévélerplusqu’ellenevoulait

transmettreàsondestinataire.

Mieuxvautfaireattention,acquiesçaDamon,

confirmantalorssessoupçons:elleenavaittropdit.

Mais,àtonavis,est-cequeBonnieenest

capableaussi?Jepourraisluimontrercomment

faire?

—Pourquoipas?répondit-ilàvoixhaute,

arrachantunegrimaceàElena.Pourmapart,

apprendreauxhumainsàutilisercorrectement

leurscinqsens,cen’estpasmoncréneau.

EtmesAiles?Leurspouvoirs?Est-cequeje

saurailescontrôlerdésormais?

—Ça,jen’enaiaucuneidée.C’estlapremière

foisquejesuisconfrontéàcephénomène.

Damonsemblaréfléchiruninstant,puisil

secoualatête.

—Àmonavis,iltefaudraitquelqu’undeplus

expérimentéquemoipourapprendreàles

contrôler.

Elenan’eutpasletempsdelequestionner

davantage.

—Bon,onferaitbienderéveillertoutlemonde,

ajouta-t-ilrapidement.Onestpresquearrivés.

—Jesupposequejedoisarrêterlatélépathie,

alors?

—Ehbien,c’estunmoyenassezflagrantdete

trahir…

—Maistum’enapprendrasplusuneautrefois,

n’est-cepas?

—Ceseraitplutôtàtonpetitamides’en

charger,réponditDamonpresquebrutalement.

«Ilapeur,devinaElena,enessayantdelui

cachersespensées.Autantdetropendiresurlui

quemoij’aipeurdelui.»

13.

—Bon,ditDamonensetournantversBonnieet

Meredith.C’estmaintenantqueçasecomplique.

Meredithlevalesyeuxverslui.

—Maintenant…?

—Oui.Leplusdurarrive.

Damonavaitfinalementouvertlafermeture

Éclairdesonmystérieuxsacencuirnoir.

—Regardez,murmura-t-iltoutbas,voicila

Portequ’onvadevoirfranchir.Vouspouvezpiquer

touteslescrisesdenerfsquevousvoulez,mais,à

partirdemaintenant,vousêtescenséesêtremes

prisonnières.

Ilsortitplusieursmorceauxdecorde.

Commepourseprotéger,Elena,Meredithet

Bonnies’étaientrapprochéeslesunesdesautres

dansunélaninstinctif.

—C’est…pourquoifaire,cescordes?demanda

lentementMeredith,commesielleluilaissaitencore

lebénéficedudoute.

Damonpenchalatêtedecôté,l’airdedire:

«Arrêtedefairecellequinecomprendpas.»

—Çavaserviràvousattacherlesmains.

—Pardon?

Elenaétaitstupéfaite.Ellen’avaitjamaisvu

Meredithaussiencolèreetn’osaitpasintervenir.

Merediths’étaitapprochéeetfixaitDamonà

environdixcentimètres.

Damon,lui,semblaitlégèrementinquiet.«Il

fautdirequemêmeunT.rexauraiteudequoi

l’êtrefaceauregardnoirdeMeredith»,songea

Elena.

—Tucroisvraimentqu’onvasebaladerles

mainsattachées?Ettoi,tuferasquoi,pendantce

temps?

—Jeferaisemblantd’êtrevotremaître,

répliquaDamon,reprenantsubitementledessus.

Ilarboraundesesfameuxsourires,aussi

éclatantqu’éphémère.

—Vousêtestouteslestroismesesclaves.

Ilyeutunlong,trèslongsilence.

Elenaindiquad’ungestelefatrasd’objetsqu’il

avaitsorti.

—Necomptepassurnous,dit-ellesimplement.

Ildoitbienyavoirunautremoyende…

—TuveuxdélivrerStefan,ouiounon?la

coupabrusquementDamon.

RivéssurElena,sesyeuxnoirsbrûlaient

d’impatience.

—Évidemment!

Elenasentitlerougeluimonterauxjoues.

—Maispasentantqu’esclave,traînéedeforce

derrièretoi!

—Iln’yaquecommeçaqueleshumains

pénètrentdansleRoyaumedesOmbres,ditDamon

avecimpassibilité.Attachésouenchaînés,entant

quebiensd’unvampire,d’unkitsuneoud’un

démon.

Meredithsecoualatêted’unairatterré.

—Tunenousasjamaisdit…

—Jevousaiditqueçan’allaitpasvousplaire!

ToutenrépondantàMeredith,Damonne

quittaitpasElenadesyeux.Soussonapparente

froideur,elleeutl’impressionqu’illasuppliaitde

comprendre.Avant,ilseseraitappuyéavec

indolencecontreunmuretauraitlevélessourcils

enfanfaronnant:«Commevousvoulez;detoute

façon,jenevoulaispasyaller.Quiestpartantpour

unpique-nique?»

Elenaréalisaquecettefoisc’étaitdifférent.Il

voulaitlesconvaincre.Coûtequecoûte.Saufqu’ilne

savaitpascommentyarriverhonnêtement.Leseul

moyendepersuasionqu’ilconnaissait…

—Tudoisnousfaireunepromesse,dit-elleen

plantantsesyeuxdansceuxdeDamon.Etcela

avantqu’onprennenotredécision.

Elledevinalesoulagementdanssonregard,

mêmesi,poursesamies,sonexpressionpouvait

semblerparfaitementfroideetimperturbable.Il

étaitcontentqu’elleposeunecondition:çasous-

entendaitqu’ellepouvaitencorechangerd’avis.

—Quellepromesse?

—Tudoisjurer…nousdonnertaparoleque,

quoiqu’ondécidemaintenantouunefoisdansle

Royaume,tun’essaieraspasdenousinfluencer.Tu

nemanipuleraspasnotreespritpournousendormir

ounouspousseràfairecequetuveux.Tu

n’utiliserasaucunerusedevampiresurnous.

Damonn’auraitpasétéDamons’iln’avaitpas

protesté:

—Oui,maisregarde:imaginequ’àunmoment

tusouhaiteslecontraire?Ilyacertaineschoseslà-

basqu’ilvaudraitmieuxquevousnevoyiezpas…

—Danscecas,ontediraqu’onachangéd’avis

etontelibéreradetapromesse.Tuvois,iln’yapas

d’inconvénient.Tun’asplusqu’àpromettre.

—D’accord,accepta-t-ilensoutenantson

regard.Jejureden’utiliseraucuneforme

d’influencesurvosesprits;jen’utiliseraipasmes

pouvoirscontrevous,àmoinsquevousnemele

demandiez.Vousavezmaparole.

—Parfait!

Détournantenfinlesyeux,Elenaapprouvad’un

signedetêteetd’unsourireàpeineperceptibles.Ce

àquoiDamonrépondittoutaussidiscrètement.

Elleseretournafaceauxgrandsyeuxcurieux

deBonnie.

—Elena,viensparlàuneminute,chuchota

cettedernièreenlatirantparlamanche.

Elenapouvaitdifficilementrefuser;Bonnie

étaitunpeucommelesponeysShetland:petite

maisextrêmementrobuste.Ellelasuivit,jetantun

coupd’œilimpuissantdanssondosàDamon.

—Qu’est-cequ’ilya?chuchota-t-ellequand

Bonniearrêtaenfindelatirer.

Merediths’étaitjointeàelles,supposantque

c’étaituneaffairedefilles.

—Alors?

—Écoute,Elena,lâchaBonnied’unseulcoup,

commesiellenepouvaitplusseretenir,Damonet

toi,vousvouscomportezcommesi…c’estplus

pareil.Avant,tun’auraisjamais…maisdis-nous,à

lafin!Qu’est-cequis’estpasséentrevous,quand

onn’étaitpaslà?

—Lemomentestmalchoisipourparlerdeça,

soupiraElena.Onaungrosproblème,là,aucasoù

tunel’auraispasremarqué.

—Mais…etsi…

Repoussantunebouclebrunedevantsesyeux,

Meredithterminalaquestionpourelle,reprenant

motpourmotlesparolesqu’elleavaitprononcées

danssonsommeil.

—EtsiçadéplaisaitàStefan?Qu’est-cequi

s’estpasséavecDamon,lanuitoùvousétiezseuls

aumotel?

Bonnierestabouchebée.

—Quoi?Quelmotel?Quellenuit?Qu’est-ce

quis’estpassé?bafouilla-t-elleencriantpresque.

Elenaobserval’uneaprèsl’autresesdeux

amiesquiétaientprêtesàmouriràsescôtéssi

nécessaire.Ellesentitlesouffleluimanquer.C’était

injuste…

—Vousvoulezbienqu’onenreparleplustard?

D’unregard,lessourcilsarqués,elleessayade

leurfairecomprendrequeDamonrisquaitdeles

entendre.

Maisc’estàpeinesiBonniechuchota:

—Quelmotel?Quellenuit?Qu’est-ce…

Elenacéda.

—Rien.Ilnes’estrienpassé,dit-elled’unton

catégorique.Meredithnefaitqueteciter,Bonnie.

Tuasposécettequestionendormant,cettenuit.

J’espèrequ’unjourtunousexpliquerasdequoitu

parlais

parce

que,

personnellement,

je

ne

comprendspas.

ElleterminaenjetantunœilàMeredith,quise

contentadehausserunsourcilparfaitement

dessiné.

—Tuasraison,acquiesça-t-elle,complètement

dépitée.Décidément,onauraitbienbesoind’unmot

comme«sa»dansnotrelangue.Aumoins,ça

abrégeraitcetypedediscussions.

Bonniepoussaunsoupir.

—Bon,puisquec’estcommeça,jetrouveraice

quis’estpassétouteseule.Tunem’encroispeut-

êtrepascapable,maistutetrompes.

—Oui,situveux,maisenattendantest-ceque

l’unedevousauraituneremarqueutileàfaire

concernantcettehistoiredecordes?

—Uneremarquedustyle:ilpeutallerse

pendreavec?suggéraMeredithàvoixbasse.

Bonnieavaitprisunboutdecordeavecelle.Elle

passasapetitemainàlapeauclairedessus.

—Jen’aipaslesentimentqu’ellesaientété

achetéessouslecoupdelacolère,dit-elle,leregard

danslevague.

Savoixpritpeuàpeucetonlégèrement

sinistrequ’elleavaitquandelleétaitentranse.

—Jevoisungarçonetunefilledevantle

comptoird’unequincaillerie…Elle,ellerit,etle

garçondit:«Jeteparietoutcequetuveuxque,

l’an

prochain,

tu

vas

intégrer

une

école

d’architecte.»Lafilleasoudainlesyeuxtout

embuésdelarmes,ellerépondoui,et…

—Etl’espionnagepsys’arrêteralàpour

aujourd’hui,parcequej’enaiassezentendu.

Damons’étaitapprochésansunbruitetfit

sursauterBonnie,quifaillitlâcherlacorde.

—Écoutez,continua-t-ild’untondur,ledernier

pointdepassagesetrouveàenvironcentmètres

d’ici.Soitvousacceptezdelesmettreetdefaire

semblantd’êtredesesclaves,soitvouspouvez

oublierStefan.Définitivement.C’estçaourien.

Ensilence,lesfillesseconcertèrentduregard.

Lemessagedanslesyeuxd’Elenaétaitclair:ellene

demandaitniàBonnieniàMeredithdevenir,mais

elle,ellecomptaityaller,quitteàramperàquatre

pattesderrièreDamon.

Meredith,quilafixaitdepuisledébut,finitpar

fermerlesyeuxetacquiescerd’unsoupir,tandis

queBonnie,résignée,hochaitdéjàlatêteensigne

d’accord.

Toujourssansunmot,elleslaissèrentElenaleur

attacherlespoignets.PuisElenalaissaDamon

attacherlessiensetfairecoulisserunelonguecorde

entreelles,commeunechaînedeforçats.

Elenasentitlerougeluiembraserlesjoues.Elle

nevoulaitpascroiserleregarddeDamon,pasdans

cettesituation,maiselledevinaqu’ilpensaitaujour

oùStefanl’avaitmisàlaportedechezluicommeun

chien,précisémentdevantellesetMatt.

«Ilsevenge,lemufle»,pensa-t-elledetoutes

sesforcesàsonattention.Ellesavaitqueçaallaitle

blesser,surtoutlederniermot.Luiquisetarguait

d’êtreungentleman…

Maislesgentlemen,commetudis,n’existent

pasauRoyaumedesOmbres,résonnalavoix

moqueusedeDamon.

—Bien,ajouta-t-ilàvoixhauteenattrapant

d’unemainlacordeprincipale.

Ils’élançad’unbonpasversl’entréed’une

grotte,lestroisfillessebousculantettrébuchant

derrièrelui.

Elenan’oublieraitjamaiscettecourtetraversée,

etellesavaitqueBonnieetMeredithnonplus.Ils

s’enfoncèrentdansl’obscuritéjusqu’àunepetite

ouverture,semblableàunebouchebéante.Ilfallut

quelquesmanœuvrespourlesfaireentrertoutesles

trois.Del’autrecôté,lacavernes’élargissaitde

nouveau,etilsseretrouvèrentdansunespaceplus

grand.Dumoins,c’estcequ’Elenadéduisitgrâceà

sessensaiguisés.Lesempiternelbrouillardétait

revenuetellen’avaitaucuneidéedeladirection

qu’ilsprenaient.

Quelquesminutesplustard,unbâtimentse

dressaaumilieudel’épaisnuagegris.

Elenanesavaitpastropàquois’attendrequand

illeuravaitparlédelaPortedesDémons:

d’immensesportesd’ébène,sansdoute,sculptées

deserpentsetincrustéesdejoyaux;uncolossede

pierredégrossietburinécommelespyramides

égyptiennes,peut-être;etpourquoipasunesorte

dechampmagnétiquefuturisteoùclignoteraient

deslasersbleu-violet.

Maiscequ’elledécouvritressemblaitplutôtà

unentrepôtdélabré,servantaustockageetà

l’expéditiondemarchandises.Ilyavaitunenclos

vide,solidementclôturé,surmontédefilbarbelé.

L’endroitempestait,etElenafutbiencontentede

nepasavoircanalisésonpouvoirdanssonodorat.

Ilyavaitaussidesindividus,hommeset

femmes,dansdebeauxhabits,chacunavecuneclé

àlamain,murmurantdeschosesavantd’ouvrirune

petiteportesurlecôté.Elenaauraitmissamainà

couperque,selonlesgens,laporten’avaitpasla

mêmeissue,queleursclésétaientcommecelle

qu’elleavaittemporairement«empruntée»dansla

cabanedeShinichiquelquesjoursplustôt.Une

damesemblaitapprêtéepourunbalmasquétrès

chic,etportaitdesoreillesderenardquise

fondaientdansseslongscheveuxauburn.C’est

seulementquandElenaentraperçutunequeuequi

bruissaitsoussalonguerobequ’ellecompritquela

femmeétaitunkitsune.

Avecprécipitationetsansdouceur,Damonles

conduisitàl’autreboutdubâtiment,oùuneporte

auxgondsbranlantsdonnaitsurunesalledélabrée;

bizarrement,elleparaissaitplusgrandede

l’intérieurquedel’extérieur.Onytroquaitou

vendaittoutessortesd’objets,dontungrand

nombreservaientapparemmentàdompterles

esclaves.

Elena,MeredithetBonnieseregardèrentavec

stupeur.Manifestement,ceuxquiamenaientdes

prisonniersiciestimaientquetortureetterreur

faisaientpartiedelaroutine.

—Passagepourquatre,annonçarapidement

Damonàl’hommevoûtémaiscostaudquisetenait

derrièreleguichet.

—Troissauvagesd’uncoup?

L’hommedévoradesyeuxcequ’ilentrevoyait

desfilles,puisscrutaDamond’unairméfiant.

—Ehoui,quevoulez-vous:monjobestaussi

mapassion!réponditcelui-cienleregardantdroit

danslesyeux.

—Jevois…C’estque,cesdernierstemps,onen

arentrép’t’êt’bienqu’unoudeuxparmois.

—Jelesaiacquiseslégalement,sans

kidnapping.Àgenoux,ajoutaDamonavec

désinvoltureàl’attentiondesfilles.

Meredithfutlapremièreàréagiretselaissa

tomberàterrecommeunedanseuseclassique,les

yeuxrivéssurquelquechosequ’elleseulevoyait.

Puis,endépitdesonespritembrouillé,Elenaréussit

sanstropsavoircommentàobéir.Elleconcentrases

penséessurStefanetimaginas’agenouillerdevant

lui,surlapaillassedesacellule,pourl’embrasser.

Enrevanche,Bonnierestafigée.Laplus

innocente,laplusdouceetlamoinsrebelledecette

triadeconstataquesesgenouxétaientdevenusdurs

commedubéton.

—Foutuesrouquines,hein?ricanal’hommeen

jetantunœilnarquoisàDamon.Vousferiez

p’t’êt’biend’acheterunepetitecravachepourcelle-

là.

—J’ypenserai,répliquaDamond’unevoix

nerveuse.

Bonnielefixad’unairébahi,regardasesamies

àterreet,brusquement,sejetapresqueàplat

ventre.Elenal’entenditsangloterdoucement.

—Celadit,nuançaDamon,jusqu’àprésentj’ai

remarquéqu’untonfermeetunregarddur

fonctionnaienttrèsbien.

L’hommenecherchapasàlecontredireet

s’avachitdenouveausursonsiège.

—Passagepourquatre,grommela-t-il.

Ilactionnalacordecrasseused’unecloche.

Terrifiée

et

humiliée,

Bonnie

pleurait

maintenantàchaudeslarmes.

Elenan’osapasessayerdelaréconforterpar

télépathie;çanecolleraitpasdutoutavecl’aura

d’une«fillenormale»,etquisaitquelpiègeou

dispositifpouvaitêtrecachéici,outrecethomme

quin’avaitdecessedelesdéshabillerduregard?Si

seulementellepouvaitriposter,elleauraitvitefait

d’effacersonsourirearrogant!

Commeparmagie,dixsecondesplustard,son

souhaitfutexaucésansqu’elleensoitresponsable.

Damons’étaitpenchéau-dessusduguicheten

chuchotantet,subitement,levisagedel’hommeau

regardlubriqueavaitviréauvertnauséeux.

Tuasentenducequ’illuiadit?demandaElena

àMeredith,communiquantàl’aided’unesimple

grimace.

Lesyeuxplissés,Meredithavançalamain

devantleventred’Elenaetfitminedeluiarracher

lestripes.

MêmeBonniesourit.

Damonlesfitensuiteattendreàl’extérieurde

l’entrepôt.Ellessetenaientlàdepuisquelques

minutesquandlanouvellevueperçanted’Elena

repéraunbateauglissantsilencieusementàtravers

lebrouillard.Ellecompritalorsquelebâtiment

devaitsetrouverjusteaubordd’unerivière,mais,

mêmeencanalisantsonpouvoiruniquementdans

sesyeuxousesoreilles,elleparvenaitàpeineà

distingueràquelendroitlesolopaquelaissaitplace

aumiroitementdel’eauouàentendrelebruitdu

courants’agitantsouslasurface.

Pouruneraisonoupouruneautre…lebateau

s’arrêta.Elenanevitaucuneancrejetéeniaucune

amarrefixée,maislefaitestqu’ils’immobilisa.

L’hommevoûtéabaissauneplanche,quipermità

Damonetàsoncortèged’esclavesd’embarquer.

Àbord,sansunmot,cedernieroffritsixpièces

d’oraupasseur:deuxpourchacunedeshumaines,

qui,vraisemblablement,nereviendraientjamais.

Pendantunmoment,ellefutabsorbéeparun

souvenird’elle,trèsjeune–elledevaitavoirdans

lestroisans,pasplus–,assisesurlesgenouxdeson

pèrependantqu’illisaitunlivremagnifiquement

illustrésurlamythologiegrecque.Lerécitévoquait

Charon,lenocherdesEnfers,quifaisaitpasser

l’âmedesdéfuntssurlarivièreStyxversleséjour

desmorts.Sonpèreluiavaitexpliquéque,pourle

payer,lesGrecsplaçaientuneobolesurlesyeuxde

ceuxqu’ilsenterraient…

«C’estunvoyagesansretour,comprit-elletout

àcoup.Aucuneévasionpossible.Commesionétait

réellementmortes…»

Bizarrement,c’estl’épouvantequilatiradeces

idéesnoires.Àl’instantoùellelevaitlatête,sans

doutepourcrier,lasilhouetteflouedupasseur

interrompitsabesogneetseretournapourjeterun

coupd’œilauxpassagers.ElenaentenditBonnie

pousseruncri.Tremblante,Mereditheutleréflexe

désespéréetabsurded’attraperlesacdanslequel

elleavaitcachésonrevolver.MêmeDamonparut

incapabledebouger.

L’imposantspectren’avaitpasdevisage.

Ilavaitdeprofondescavitésàlaplacedesyeux,

unemincefenteenguisedeboucheetuncreux

triangulairelàoùsonnezauraitdûsaillir.L’horreur

qu’inspiraitcettevision,ajoutéeàlapuanteurdes

lieux,futtoutsimplementtropinsoutenablepour

Bonnie,quis’évanouitens’effondrantcontre

Meredith.

Malgrélaterreurqu’elleéprouvait,Elenaeut

unebrusquerévélation.Aumilieudecette

pénombremoiteetruisselante,elleavaitlaissé

malgréellesessenssedéployer,etseretrouvaplus

àmêmedevoirlevisageinhumaindupasseurque,

disons,Meredith.Parailleurs,elleentenditdes

choses,descrisdemineursmortsdepuislongtemps,

forantlarocheau-dessusd’eux,etdeschauves-

sourisoudescafardsénormesdétalantàl’intérieur

desparoisquilesencerclaient.

Deslarmestièdessemirentàcoulersurses

jouesglacéestandisqu’elleprenaitconscience

d’avoirtoujourssous-estimélesdonsdemédiumde

Bonnie.Sisonamiecaptaitenpermanenceles

horreurs

auxquelles

Elena

était

maintenant

confrontée,cen’étaitpasétonnantqu’ellevive

constammentdanslapeur.Elenasejurad’êtremille

foisplustolérantelaprochainefoisqueBonnie

craqueraitousemettraitàhurler.Elleméritaitplus

qu’unemédaillepournepasavoirperdulespédales

depuistoutcetemps.Sansunmot,Elenacontempla

Bonnie,inconsciente,etsejuradetoujoursprendre

sadéfenseàl’avenir.

Cettepromesseetleréconfortqu’ellelui

apportaréchauffèrentsoncœur,commeunepetite

bougiequ’elles’imaginatenirenserrantlesmains

deStefan,vacillantdanssesyeuxvertsetformant

unjeud’ombressursonvisage.L’imageseulel’aida

àtenirbonpendantlafindelatraversée.

Quandlebateauarrivaenfinàquai,dansun

endroitàpeineplusfréquentéqueceluioùelles

avaientembarqué,lestroisjeunesfillesétaientdans

unétatdegrandépuisementcauséparuneangoisse

irrépressibleetuneincertitudedévastatrice.Mais,

aumoins,ellesn’avaientpaseul’occasionde

réfléchirausensdesmots«RoyaumedesOmbres»

oud’imaginerlenombredecheminsqueses

ténèbrespourraientdissimuler.

—Notrenouvellemaison,annonçaDamond’un

tondur.

Plutôtquederegarderlepaysage,Elena

l’observaet,àenjugerparsoncouetsesépaules

crispés,elleserenditcomptequelasituationne

l’amusaitpasdutout.Elleavaitpenséqu’il

jubilerait,quecetendroitseraitleparadispourlui,

cemonded’esclavesoùlatortureétaitun

divertissementetoùlaseulerègleétaitl’instinctde

préservation.Àprésent,elleserendaitcompte

qu’elleavaiteutort.PourDamon,cetuniversétait

avanttoutpeupléd’êtresauxpouvoirsaussi

puissants,sinonplus,quelessiens.Ilallaitdevoir

rentrerlesgriffesetsefaireacceptercomme

n’importequellecrapule,sanscommettrele

moindreimpair.Àeuxquatre,ilsdevraienttrouver

unmoyendesurvivreetdesemêleràlahaute

sociétés’ilsvoulaientavoirunechancededélivrer

Stefan.

Stefan…

Non.Pourlecoup,s’ilyavaitbienunechose

qu’ellenepouvaitpassepermettre,c’étaitde

penseràluimaintenant.Siellecommençait,elle

allaitperdretoussesmoyensetsemettreàexiger

destrucsridicules,parexempledefaireletourdela

prisonjustedansl’espoirdel’apercevoir.Et

ensuite?Enquoiçalesaideraitpourleurprojet

d’évasion?Pourl’instant,leplanA,c’étaitprofil

bas.Elenas’ytiendraitjusqu’àcequ’elletrouve

mieux.

C’estainsiqueDamonetsesesclavesentrèrent

dansleRoyaumedesOmbres.Ilfallutunpeud’eau

fraîchepourranimerlaplusjeune,avantqu’elle

puissesereleveretmarcher.

14.

SepressantderrièreDamon,Elenaessayadene

regarderniàgaucheniàdroite.Ellevoyaittropde

chosesdanscequidevaitpasserpouruneobscurité

insipideauxyeuxdeMeredithetdeBonnie.

Dechaquecôtédelaruesetrouvaientdes

entrepôts,desendroitsoùlesesclavesétaient

visiblementamenéspourêtreachetés,vendusou

livrésultérieurement.Ellepercevaitdespleurs

d’enfantsdanslapénombre,et,sielle-mêmen’avait

pasétésieffrayée,elleseseraitprécipitéeàleur

recherche.

«Saufquejenepeuxpascarjesuisuneesclave

ici,pensa-t-elleavecunsentimentd’horreur

intense.Jenesuisplusunêtrehumainindépendant,

jesuislebiendequelqu’un.»

Unefoisdeplus,elleseretrouvaàfixerla

nuquedeDamonensedemandantcommentdiable

elles’étaitlaisséconvaincre.Ellecomprenaittrès

biencequesignifiait«êtreesclave»,elledevinait

mêmeavecuneétonnanteintuitioncequiallait

s’ensuivre,etçaneprésumaitriendebon.

Çasignifiait…qu’onpourraitfairecequ’on

voulaitd’elleetqueçaneregardaitpersonne,

exceptésonmaître.Etlemaîtreenquestionn’était

autrequeDamon(«Bonsang,maiscommenta-t-il

réussiàm’entraînerlà-dedans?»).Rienne

l’empêchaitdelesvendretouteslestroisetde

repartird’icidansl’heureenempochantles

bénéfices!

Ilstraversèrentlesdocksenhâte,lesfilles

fixantlesolpournepastrébucher.Puisils

franchirentlacrêted’unecolline.Encontrebas,sur

unlargeterrainenformedecratère,uneville

apparut.

Àlapériphérie,unezonedebaraquements

s’étiraitpresquejusqu’àleurspieds.Devanteux,

uneclôturegrillagéelestenaitàl’écarttoutenleur

offrantunevued’ensemblesurlacité.

—Letransferts’estopérépendantlatraversée

enbateau,expliquaDamon.Onafait,disons,une

sortedebonddansl’espace.Dèsl’instantoùona

franchilaPortedesDémons,onn’étaitplusdansla

dimensionterrestremaistoutàfaitailleurs.

Elenan’eutqu’àregarderlecielpourlecroire.

Lesconstellationsétaientdifférentes;iln’yavaitni

PetiteniGrandeOurse,niétoilePolaire.

Sansparlerdusoleil.Ilétaitbeaucoupplusgros,

maisbeaucoupmoinslumineuxqueceluidela

Terre,etilnequittaitjamaisl’horizon.Ellecomprit

instinctivementque,quellequesoitl’heure,une

seulemoitiéétaitvisible,jouretnuit(desnotions

qui,commeleferaitremarquerMeredithparla

suite,perdaienttoutelogiqueici).

Alorsqu’ilss’approchaientdelaclôturepour

quitterlazonededétentiondesesclaves,une

femmelesarrêta;plustard,Elenaapprendraitqu’il

s’agissaitd’uneSentinelle.

Elledécouvriraitque,d’unecertainemanière,

c’étaientlesSentinellesquidirigeaientleRoyaume

desOmbres,etque,mêmesiellesétaientelles-

mêmesissuesd’unautremondelointain,elles

avaientpresquetoujoursoccupécettepetite

parcelled’Enfer,essayantd’imposerl’ordreaux

seigneursféodauxetautresvassauxquise

partageaientcettecitésordide.

CetteSentinelleétaitunefemmedegrande

taille,dontlescheveuxétaientdelamêmecouleur

doréequeceuxd’Elenaetcoupésaucarréàhauteur

d’épaules.SansprêterattentionàDamon,elle

s’adressaàElena,quisetenaitjustederrièrelui:

—Pourquoiêtes-vousici?

ElenaétaitsacrémentcontentequeDamonlui

aitapprisàcontrôlersonaura.Elleseconcentrasur

cepointpendantquesesméningescarburaientpour

trouverlabonneréponseàcettequestion.La

réponsequileurlaisseraitlechamplibreetneles

réexpédieraitpaschezeux.

SapremièreréactionfutdereprocheràDamon

denepaslesavoirpréparéesàcetype

d’interrogatoire;etlasecondefutdesereprendre,

enserappelantqu’iln’étaitjamaisvenuici.Ilne

savaitpascommentleschosesfonctionnaientdans

cemonde,pastoutàfait.

Sijamaiscettefemmeessaiedesemêlerdes

affairesdeDamon,ilpourraitvoirrougeets’en

prendreàelle,ajouta,nonsansraison,unepetite

voixdanssatête.Elenaaccéléralacadence,

réfléchissantdavantage.Autrefois,lesmensonges

ingénieuxétaientunpeusaspécialité,maislà,elle

réponditlapremièrechosequiluipassaparlatête:

—J’aijouémonaveniravecluietj’aiperdu.

Bon,c’étaitpasmal.Aprèstout,lesgens

perdaienttoutessortesdechosesaujeu:

plantations,talismans,chevaux,châteaux,lampes

degénie.Pourquoipasleuravenir?Etsijamais

l’explicationétaitinsuffisante,ellepourraittoujours

ajouterquecen’étaitqueledébutdesatriste

histoire.Lepire,c’estquedansunsensc’étaitvrai.

Ilyatrèslongtemps,elleavaitdonnésaviepour

DamonetStefan,maisDamonn’avaitpasvraiment

tournélapagecommeelleleluiavaitdemandé;à

moitié,peut-être.Etencore.

LesgrandsyeuxbleumarinedelaSentinellela

dévisagèrentd’unairperplexe.Elenanecillapas;

toutesavieonl’avaitdévisagée;quandonétait

jeuneetbellecommeelle,seullecontrairevous

inquiétait.Maisceregard-làétaitunbrinalarmant.

Lafemmeessayait-elledeliredanssespensées?

Elenas’empressadelescamouflerderrièredes

bruitsdefond.Résultat:lesparolesd’unechanson

deBritneySpears.Mentalement,ellemontaleson.

Lagrandefemmeplaqualesmainssurses

tempescommequelqu’unquiabrusquementmalà

latête.PuisellesetournaversMeredith.

—Ettoi…pourquoies-tuici?

Engénéral,Meredithnementaitpas,mais,

quandellelefaisait,elleprenaitçacommeune

performanceintellectuelle.Heureusement,elleavait

aussipourprincipequelemieuxétaitl’ennemidu

bien.

—Pourlamêmeraison,répondit-elleen

prenantunairaccablé.

—Ettoi?

LafemmeregardaitmaintenantBonnie,qui

semblaitencoresurlepointdesesentirmal.

Meredithluidonnaunpetitcoupdecoude,puis

luilançaunregardappuyé.Elenal’imita;Bonnie

n’avaitqu’unechoseàfaire:suivreleurexempleet

marmonner«moiaussi».

D’habitude,quandMeredithavaitprisposition,

Bonniesuivaitfacilement.Leproblème,c’estquelà

elleétaitentranse,ousiprèsdel’être,querienn’y

fit.

—Lesâmesdel’ombre,murmura-t-elle.

Lafemmeclignadesyeux,maispasdelafaçon

dontonclignequandunepersonnerépondàcôtéde

laplaque.Elleclignadesyeuxavecstupéfaction.

«Oh,non…,pensaElena.Bonnieadonnéleur

motdepasseouuntrucdugenre.Elleestentrain

defaireuneprédiction,uneprophétieoujenesais

pasquoi!»

—Lesâmes…del’ombre?

LaSentinelleobservaattentivementBonnie.

—Ellespeuplentlacité,soufflacettedernière.

LesdoigtsdelaSentinellepianotèrentsurce

quiressemblaitàunordinateurdepoche.

—Ça,onlesait.Ilsendébarquenttouslesjours

ici.

—Vousdevriezlesenempêcher.

—Noscompétencessontlimitées.LeRoyaume

desOmbresestdirigéparunedizainedegrands

seigneurs,quiontdeshommesdemainpour

exécuterleursordres.

«Bonnie,écoute-moi…,pensaElenaen

essayantdesefrayermentalementunchemindans

l’espritembrouillédesonamie,aurisquequela

Sentinellel’entende.Cettefemme,c’estcomme…la

police!»

Aumêmeinstant,Damonintervint:

—Mêmemotifpourelle,dit-il.Saufqu’elleest

médium.

—Onnevousapasdemandévotreavis,le

rembarralaSentinellesansdaignerjeterunœil

danssadirection.Jemefichedesavoirquelgenre

decaïdvousêteslà-bas…

Ellehochalatêteavecméprisversleslumières

delaville.

—…mais,au-delàdecettebarrière,vousêtes

surmonterritoire.C’estàlapetiterouquinequeje

m’adresse:est-cequ’ilditvrai?

Elenaeutuninstantdepanique.SiBonnie

fichaittoutenl’airmaintenant,aprèstoutcequ’ils

avaientenduré…

Cettefois,Bonnieclignadesyeux.Quelquefût

lemessagequ’elleessayaitdefairepasser,lavérité

estqu’elleétaitdanslamêmesituationque

MeredithetElena,etqu’elleétaiteffectivement

médium.Ellementaittrèsmalquandelle

gambergeaittrop,maislàellepouvaitrépondresans

hésiter:

—Oui,c’estvrai.

LaSentinellefixaDamon,quisoutintsonregard

d’unairdedéfi,commes’ilétaitprêtàypasserla

nuit.EtDieusaitqu’iln’étaitpasdugenreàbaisser

lesyeux.

Lafemmelescongédiad’ungeste.

—Jesupposequemêmelesmédiumspeuvent

manquerdechance,conclut-elle.Entoutcas,

méfiez-vousd’elle.D’ailleurs,vousn’ignorezpasque

lesmédiumsdoiventdéteniruneautorisationpour

séjournerici?

Damonpritsesmanièresdegrandseigneur.

—Cesjeunesfilles,madame,sontjustemes

assistantespersonnelles.

—Jenesuispasune«madame».Onm’appelle

VotreJugement.Aufait,pourvotreinformation,les

accrosauxjeuxdehasardconnaissentgénéralement

unsortterrible,ici.

«Ellenecroitpassibiendire,pensaElenaavec

ironie.Sielleconnaissaitlesvraiesraisonsdenotre

présenceici…notresortseraitsûrementpireque

celuideStefan.»

***

Del’autrecôtédelabarrièresetrouvaitune

vastecour.Toutlemondesedéplaçaitdansdes

chaisesàporteurs,maisaussienpousse-pousseou

dansdescharrettestiréespardeschèvres.Iln’y

avaitnicarrossesnichevaux.Damonleurtrouva

deuxchaiseslibres,unepourElenaetlui,l’autre

pourMeredithetBonnie.

Cettedernière,quisemblaittoujoursunpeu

désorientée,regardaitfixementlesoleil.

—Alorsilneselèvejamaiscomplètement?

—Non,réponditpatiemmentDamon.D’ailleurs,

ilneselèvepas,ilsecouche.Uncrépuscule

perpétuelsurlaCitédesOmbres!Tucomprendras

mieuxenchemin.N’ytouchepas!ajouta-t-ilà

l’attentiondeMeredith.

Elles’apprêtaitàdénouerlacordeauxpoignets

deBonnie,avantdemonterdanslacabine.

—Vouspourrezlesdéfaireunefoisdedans,à

conditiondetirerlesrideaux,maisnelesperdez

pas.Vousrestezdesesclavesetvousdevezporter

quelquechosedesymboliqueaubraspourle

prouver,autrementjevaisavoirdesproblèmes.Ah,

etilfaudravousvoilerpourvousdéplacerenville.

—Nousquoi?

Elenaluilançaunregardsceptique.

Maisilsecontentadeluiadressersonéternel

sourireéclatantet,avantqu’ellen’aitletempsde

réagir,ilsortitdefinesétoffesdiaphanesdesonsac

noiretlesleurdistribua.Lesvoilesétaient

suffisammentgrandspourleurcouvrirtoutlecorps.

—Inutiledevouscouvrirdelatêteauxpieds.

Vousn’avezqu’àlenouersurvotretêteoudansvos

cheveux,quelquechosecommeça,commenta

Damond’untondédaigneux.

—C’estquellematière?demandaMeredithen

tâtantletissufinetsoyeux.

Ilétaitsilégerqueleventmenaçaitdelelui

arracherdesmainsàtoutmoment.

—Commentveux-tuquejelesache?

—Tiens,cen’estpaslamêmecouleurde

chaquecôté?s’étonnaBonnie.

Ellelaissaleventagitersonvoilevertpâled’un

côtéetargentédel’autre.Endépliantlesien,

Meredithdécouvritquelesienétaitd’unviolet

chatoyantsurunefaceetd’unbleufoncéconstellé

depetitesétoilessurl’autre.Elena,quis’attendaità

avoirdubleu,lançaunregardétonnéàDamon.Il

tenaitunminusculecarrédetissudanssonpoing.

—Voyonssituasétégentille,murmura-t-ilen

luifaisantsigned’approcher.Devinelacouleur?

Àsaplace,uneautrefilleauraitpeut-être

seulementremarquélesprunellesnoiresetles

traitsfinsetparfaitsdeDamon,oubiensonsourire

sauvageetmalicieuxqui,d’unecertainemanière,

étaitplusdouxquejamaisàcetinstant,commeun

arc-en-cielenpleinouragan.MaisElenanotaaussi

laraideurdesanuqueetdesesépaules,oùla

tensions’étaitaccumulée.Ilavaitbeaulemépriser,

leRoyaumedesOmbresexerçaitdéjàsesravages

surlui.

Ellesedemandacombiendecurieux,autour

d’eux,tentaientdesonderlepouvoirdeDamon,et

combienilenneutralisaitparseconde.

—Alors,devine!insista-t-ilbrusquement.

Àsonton,çan’avaitriend’unesuggestion.

—Doré,répondit-ellesanshésiter.

Enattrapantlecarrédetissuqu’illuitendait,

unesensationviveettrèsagréabledecourant

électriqueluiélançalamainpuislebras,etsembla

latranspercerenpleincœur;uneélectricitéqu’elle

sentitvibrerdanslesdoigtsdeDamonlorsqu’elleles

effleura.

Gonfléparlevent,ledessousduvoileaffichait

unblancétincelantcommes’ilétaitincrustéde

diamants.«Siçasetrouve,cesontdesvrais,pensa-

t-elle.Allezsavoir,avecDamon.»

—Quisait?C’estpeut-êtretonvoilede

mariée?murmura-t-ilàsonoreille.

Lacordeàsespoignetss’étaitlargement

desserréeetElenaneputseretenirdecaresserle

tissudiaphane,etsespetitespierresprécieuses.

—Commentsavais-tuqu’onauraitbesoinde

toutça?demandaElenaavecunsenspratique

fâcheux.Tunesaispeut-êtrepastoutmaistu

connaisl’essentiel,ondirait.

—Oh,disonsquejemesuisrenseignéunpeu

partout.J’airencontréquelquespersonnesqui

étaientvenuesicietquiavaientréussiàen

réchapper,ouqu’onavaitflanquéesàlaporte.

LesourireravageurdeDamons’élargitdeplus

belle.

—J’aifaitçalanuit,pendantquetudormais.Je

lesaitrouvésdansunepetiteboutiquesans

prétention.

Illuimontrasonvoiled’unsignedetête.

—Tun’aspasbesoindecachertesyeux.Pose-

lesimplementsurtescheveuxetiltiendratoutseul.

Elenasuivitsesinstructions,portantlaface

doréeàl’extérieur.Levoileluitombaitjusqu’aux

chevilles.Elleletouchadélicatement,lepercevant

déjàcommeunepotentiellearmedeséduction…ou

deprotection.Siseulementellepouvaitse

débarrasserdecettesatanéecorde…

Damonrepritfinalementsonrôledemaître

impitoyable.

—Pournotrebienàtous,ilfautquenous

soyonstrèsstrictssurcegenrededétails.La

noblessequidirigecefoutoirinnommablequ’ils

appellentleRoyaumedesOmbressaitqu’une

révolutionpeutéclateràtoutmoment,et,sionjette

del’huilesurlefeu,ilsnouspunirontpour

l’exemple.

—Entendu,acquiesçaElenaengrimpantdans

lacabine.

Lachaiseétaitportéeparquatrehommesau

physiqueplussecetnerveuxquerobusteettousde

lamêmetaille,cequicontribuaàuntrajetsans

heurts.

SiElenaavaitétéunecitoyennelibre,jamais

ellen’auraitacceptéd’êtreportéeparquatre

personnesqui(présumait-elle)étaientesclaves.En

réalité,elleauraitmêmefaitunscandale.Maisle

raisonnementqu’elleavaittenuenarrivantavait

portésesfruits:mêmesiDamonn’avaitpaspayé

pourl’acheter,elleétaitdésormaisuneesclaveet

n’avaitaucundroit,encoremoinsceluidefairedes

histoires.Danscetteatmosphèrecramoisieetfétide,

elleimaginaittrèsbienquelemoindreesclandre

causeraitdesennuisauxporteurs,poussantleur

maîtreouceluiquigéraitcepetittraficde

transportsàlespunircommesic’étaitdeleurfaute.

Pourl’heure,lemeilleurplanAdemeurait

motusetbouchecousue.Detoutefaçon,lepaysage

avaitlargementdequoivousoccuperl’esprit,

maintenantqu’ilsavaientpasséunponttraversant

desquartierspestilentielsetdesruellespleinesde

maisonsdélabrées.Deséchoppescommencèrentà

apparaître:audébut,desfaçadesenpierrebruteet

barricadées,

puis

des

constructions

plus

respectables.Enunriendetemps,ilsse

retrouvèrentàserpenterlentementàtraversun

bazar.Mais,mêmelà,lesmarquesdelapauvretéet

del’épuisementselisaientsurdenombreuxvisages.

Elenas’attendaitplusoumoinsàunevillefroide,

sombreetaseptisée,peupléedevampirescruelset

dedémonsauxyeuxdebraise.Aulieudeça,tous

ceuxqu’ellecroisaitavaientl’airhumain,des

humainsquivendaientunepanoplied’articles

–médicaments,nourriture,alcool–inutilesaux

vampires.

«Çasertpeut-êtreauxkitsuneetaux

démons»,supposaElena,frissonnantàl’idéedece

qu’undémonpourraitavoirenviedemanger.À

l’angledesrues,ilyavaitdesenfantsauxtraitsdurs

etmodestementvêtus,etdesindividusdéguenillés

ethagardsquitenaientdespancartesmisérables:

Unsouvenirpourmanger.

—Qu’est-cequeçaveutdire?demandaElena.

—C’estàçaquelescitoyenslibrespassentle

plusclairdeleurtempsici,expliquaDamonaubout

d’unmoment.Alors,avantdepartirseuleen

croisade,n’oubliepas…

Elenan’écoutaitpas;ellefixaitundeshommes

avecunepancarte.Ilétaitaffreusementmaigre,

avecunebarbehirsuteetdevilainesdents,maisle

pire,c’étaitsonregarddésespérémentabsent.Par

moments,iltendaitunemaintremblante,paume

versleciel,surlaquelleiltenaitenéquilibreune

billetransparenteenmarmonnant:«Unejournée

d’étédemajeunesse.Unejournéed’étépourdix

sousd’or.»Engénéral,iln’yavaitpersonneà

proximitépourl’entendre.

Elenaenlevaunebaguedelapis-lazulique

Stefanluiavaitofferte.Commeellenevoulaitpas

contrarierDamonensortantdelacabine,ellefit

signeaubarbud’approcher.

—Tenez,monsieur,s’ilvousplaît,dit-elleenlui

tendantlebijou.

Lemendiants’approchaassezvite.Envoyant

quelquechoseremuerdanssabarbe,desasticots

peut-être,elles’empressadedétournerlesyeux.

—Prenez-la.Vite.

Ilcontemplalabaguecommesic’étaitunfestin.

—J’aipasdemonnaie,grommela-t-ilen

s’essuyantlabouched’unreversdemanche.

Onauraitditqu’ilallaits’écroulerd’uninstantà

l’autre.

—Pasdemonnaie,jevousdis!

—Maisjen’enveuxpas!s’écriaElenad’une

voixcomplètementétranglée.Prenez-la.Dépêchez-

vousoujelalâche.

Ils’emparabrusquementdelabaguetandis

quelesporteursseremettaientàavancer.

—QuelesSentinellesvousprotègent,mapetite

dame,dit-ilenessayantdesuivrelerythmedes

porteurs.M’entendequipeut!Qu’ilsvous

protègent!

—Tun’auraispasdû,ditDamonàElenaquand

lavoixsefutéteintederrièreeux.Ilnepourrapas

sepayerunrepasavecça,tusais.

—Ilavaitfaim,sejustifia-t-elledoucement.

Ellen’allaitpasluiexpliquerquel’hommela

faisaitpenseràStefan,pasmaintenant.

—Detoutefaçon,c’étaitmabague,ajouta-t-elle

surladéfensive.Jesupposequetuvasmedirequ’il

vas’enservirpourseprocurerdel’alcooloudela

drogue?

—Non,maisçaneluipermettrapasnonplusde

manger.

—Ehbien,tantque…

—Çanourrirajustesonimagination.Onlui

échangeratabaguecontreunepetiteboulede

cristalpoussiéreuserenfermantunvieuxsouvenir,

celuid’unvampireàunbanquetromainoud’un

citoyenàunrepasdefête.Etpuisilselerepassera

àl’infini,jusqu’àcequ’ilmeurelentementdefaim.

Elenafutépouvantée.

—Damon!Vite!Ilfautquejeleretrouve…

—Impossible.

D’ungesteindolent,illevalebraspourlui

montrersacordequ’iltenaitd’unemaindefer.

—Detoutefaçon,ilyalongtempsqu’ilestparti.

—Maispourquoionluiinfligeça?

—Etpourquoiunpatientatteintd’uncancerdu

poumonrefuse-t-ild’arrêterdefumer?Je

reconnaisquecesglobesdesouvenirssontpeut-

êtrelapiredesdrogues.Lafauteauxkitsune,qui

ontintroduitleurssphèresd’étoilesdanscetenfer

etquienontfaituneobsession.

—Dessphèresd’étoiles?Hoshinotama?

balbutiaElena.

Damonladévisagea,l’airtoutaussiétonné

qu’elle.

—Tusaisquelquechoseàcesujet?

—SeulementcequeMeredithm’adit.D’après

sesinfos,leskitsunesontsouventreprésentésavec

desclés…

Ellehaussalessourcilsd’unairentendu.

—…ouavecdessphèresd’étoiles.Lalégende

veutqu’ellescontiennentunepartieoulatotalitéde

leurpouvoir,doncceluiquilatrouvecontrôlele

kitsune.Bonnieetelleveulenttrouvercellede

ShinichioudeMisao.

—Toutunprogramme.J’enaidespalpitations,

raillaDamon,unemainplaquéesursoncœuréteint.

Puisilrepritsonsérieux,commesiderien

n’était.

—Tutesouviensdecequedisaitlemendiant:

unejournéed’étépourmanger?Voilàdequoiil

parlait.

Ilramassalapetitebillequel’hommeavait

laisséetomberdanslacabineetlaposacontrela

temped’Elena.

L’Universs’évanouit.

Damonn’étaitpluslà.Lespectacle,lesodeurs

etlesbruitsdubazaravaientdisparu.Assiseau

milieud’uneprairiequiondulaitsouslabrise,Elena

regardaitunsaulepleureurquipliaitversun

ruisseauvertetcuivre.Undouxparfumembaumait

l’air:chèvrefeuille,freesia?Unparfumdélicieux

quilatroublatandisqu’ellesepenchaitenarrière

pourcontemplerdesnuagesblancssublimes,filant

dansuncielazuré.

Ellesesentait…commentdire?Jeune,touten

sachantaufondd’ellequel’étrangedoublequ’elle

regardaitétaitplusâgé.Elleétaitexcitéecarc’était

leprintemps,etchaquefeuillevertdoré,chaque

roseau,chaquenuageenapesanteur,semblaitse

réjouiravecelle.

Toutàcoup,soncœursemitàbattrela

chamade.Ellevenaitd’entendredesbruitsdepas

danssondos.D’unbond,elleserelevajoyeusement,

ouvrantlesbrasdansunéland’amourabsolu,

débordantd’ardeurpour…

…unefille?Lespenséesdelapersonneàqui

appartenaitcesouvenirsereplièrentdansla

confusion,faceàlabeautédelafillequis’était

approchéesidiscrètemententrelesherbes

ondoyantes:lesgrappesdebouclesnoiresdansson

cou,sesyeuxvertsscintillantsousdessourcils

arqués,lapeaulisseetlumineusedesonvisagequi

souriaitàsonamantalorsqu’ellefaisaitminede

s’enfuir,lepasaussilégerqu’unelfe…

Tousdeuxselaissèrenttombersurletapis

moelleuxd’herbeshautes…puislespectacledevint

vitesitorridequ’Elena,espritlointainenarrière-

plan,sedemandabrusquementcommentdiableon

faisaitpourinterromprelefilm.Chaquefoisqu’elle

portaitàtâtonslamainàsatempe,elleavaitle

soufflecoupéparlesbaisersde…Allegra…c’était

sonnom.Lafilles’appelaitAllegraetelleétait

vraimenttrèsbelle,surtoutdanslesyeuxdeson

admirateur.Sapeaudouceetlaiteuse…

Soudain,aussibrutalementqu’ilavaitdisparu,

lebazarréapparut.Elenaétaitderetourdansla

cabined’unechaiseàporteursauxcôtésdeDamon.

Autourd’eux,c’étaitunecacophoniedesonset

d’odeurs.Elleavaitdumalàrespireretunepartie

d’ellerésonnaitencoredeJohn–c’étaitson

prénom–,JohnetsonamourpourAllegra.

—Jenecomprendstoujourspas…

—C’estsimple,ditDamon.Tumetsunesphère

d’étoilesviergedelatailledetonchoixcontreta

tempe,etturepensesaumomentquetusouhaites

enregistrer.Lamagiefaitlereste.

D’ungeste,ilavortasatentativederépliqueet

sepenchaverselle,sesyeuxnoirsimpénétrables

emplisdemalice.

—Tuaspeut-êtrevécuunejournéed’été

particulièrementchaude,toiaussi?chuchota-t-il,

d’untonsuggestif.Etcescabinesontdesrideaux,tu

sais…

—Nefaispasl’idiot,Damon.

Cependant,lessentimentsdeJohnavaient

embraséceuxd’Elena,commeuntisondansune

bottedefoin.EllenevoulaitpasembrasserDamon,

ellevoulaitStefan,sedit-ellesévèrement.Maiscet

argumentperditsubitementdesonpoidssachant

qu’ellevenaitmalgréelled’embrasserAllegra…

—Jenecroispas…,commença-t-elle,lesouffle

coupé.

Damontenditlebrasverselle.

—…quecesoitunetrèsbonne…

D’unrapidecoupdepoignet,ildesserrases

liensendouceur.Aussitôt,Elenasetournaen

s’appuyantfébrilementsurunemain.Endépitdes

circonstances,rienn’étaitplusrévélateuret…

troublant…quelegestequeDamonvenaitdefaire.

Iln’avaitpastirélesrideaux;Bonnieet

Meredithétaientderrièreeux,surleurpropre

chaiseàporteurs,maisloindespenséesd’Elena.Elle

sentit

des

bras

tièdes

l’envelopper,

et

instinctivementseblottitdedans,emportéeparun

éland’affectionetdereconnaissanceenversDamon.

Toicommemoi,noussommesdesindomptés,

perçut-ellementalement,cequiluifitpenserqu’elle

avaitmisenveillelaplupartdesessens,excepté

sesfacultésdetélépathe.Et,aprèstout,çapourrait

serévélerutile…

Maisnousaimonstouslesdeuxl’idéeque

l’amourpuissenousdompter,répondit-elle.Elle

sentitunsouriresurleslèvresdeDamonquand

ellesseposèrentsurlessiennes,preuvequ’il

acquiesçait.Cesdernierstemps,lesbaisersde

Damonétaientcequ’ilyavaitdeplusdouxdanssa

vie.Ellepourraits’abandonnerainsidesheures,

jusqu’àenoublierlereste.Etc’étaittantmieux

quelquepart,carelleavaitlesentimentquelereste

n’étaitquesouffrance,sansaucuneperspectivede

bonheur.Siseulementellepouvaittoujourscompter

surcesbrasaccueillants,surcettetendresse,ce

bien-être…

Toutàcoup,Elenaseredressa,rejetantson

corpsenarrièresivivementquelesquatreporteurs

manquèrentdetombercommedesdominos.

—Espècedesalaud,murmura-t-elled’unton

mauvais.

Ilsétaientencoreliéspsychiquement,etellefut

raviedeconstaterqu’auxyeuxdeDamonelle

apparaissaitcommeuneAphroditevengeresse:ses

cheveuxdoréss’agitantdanssondosetcinglantl’air

commeuncoupdetonnerre,etsesyeuxlançantdes

éclairsbleusd’unefureurbrute.

Elledétournaleregardavecunméprisabsolu.

—Pasun!lâcha-t-elle.Tun’asmêmepasété

capabledetenirtapromesseunjour!

—Maisjen’airienfait!Jenet’aipas

influencée,Elena!

—Iln’yaplusd’Elena.Terminé!Nosrapports

serontpurementprofessionnelsdésormais.Je

t’appellerai«maître»,ettun’aurasqu’àdire

«esclave»ou«chienne»oucequetuveux.

—Situtiensàunrapportstrictementmaître-

esclave,répliquaDamon,d’unairmenaçant,jepeux

trèsbient’ordonnerde…

—Essaieunpeu!

Elenapinçaleslèvresetcen’étaitpaspour

sourire.

—Situoses,jeteprometsquetuvasle

regretter.

15.

Décidantfinalementdecalmerlejeu,Damon

pritunairpitoyableetunpeuconfus,uneattitude

qu’ilsavaitadopterfacilementquandçalechantait.

—Jet’assurequejen’aipasessayéde

t’influencer,répéta-t-il,s’empressantd’ajouter:Et

sionchangeaitdesujet…Parlonsplutôtdessphères

d’étoiles,d’accord?

—Bonneidée,répliquaElenadesavoixlaplus

glaciale.

—D’aprèscequejesais,cessphèresse

connectentdirectementauxneurones,tuvois?

Ellesenregistrenttouslessouvenirsmémoriséspar

lecerveau.Toutcequetuasvécudanstaviese

trouvelà,quelquepartdanstonesprit,etles

sphèrespuisentdedans.

—Doncellesgardentlessouvenirsindéfiniment

etonpeutselesrepasserdesmilliersdefoiscomme

unfilm,c’estça?

Elenatripotasonvoilepourabritersonvisage

duregarddeDamon,toutensongeantqu’elle

offriraitunesphèred’étoilesàMeredithetàAlaric

pourleurmariage.

—Non,réponditDamond’untonassezsévère,

çanemarchepascommeça.Primocarcesouvenir

net’appartientplus:jeterappellequ’onparlede

jouetspourkitsune,OK?Unefoisquelasphère

d’étoilesasubtilisélesouvenirdetonesprit,tuen

oubliestout.Deuziocar«l’enregistrement»

contenudanslasphères’effaceprogressivement,

avecl’usage,letempsetd’autresfacteursque

personnenecomprend.Lasphèresetroublepeuà

peuetlessensationsdiminuent,jusqu’àceque,

finalement,cenesoitplusqu’unebouledecristal

vide.

—Mais…cepauvrehommeavenduune

journéedesavie.Etunejournéemagnifique,en

plus!Pourquoinepasl’avoirgardéeenmémoire?

—Tul’asvu,non?

Unefoisdeplus,Elenarepensaàcevieil

hommeauvisageblême,défaitetinfestédepoux.

Unfrissonglaciallaparcourutàl’idéequ’ilavait

autrefoisétélejeuneJohn,riantetheureux,qu’elle

avaitbrièvementconnu.

—C’estsitriste.

Ellenefaisaitpasallusionausouvenirévoqué.

Mais,pourunefois,Damonnesemblapasavoir

espionnésespenséescarilnerelevapas.

—C’estvrai,acquiesça-t-il.Ilyabeaucoupde

pauvresetdepersonnesâgées,ici.Ilssesont

démenéspourneplusêtreesclavesoubienilsont

faittuerleurmaître…maisaufinalilsseretrouvent

touscommedesépaves.

—Maiscessphèresd’étoilesnesontpasfaites

uniquementpourlespauvres,si?Lesriches

peuventtrèsbienfaireunaller-retoursurTerre

pourprofiterd’unevraiejournéed’étérienqu’à

eux,non?

Damonsemitàrire,sansparaîtreamusépour

autant.

—Çanerisquepas!Laplupartd’entreeux

sontretenusici.

Ilprononçalemotd’unedrôledemanière.

—Ilssonttropoccupéspourprendredes

vacances?hasardaElena.

—Tropoccupés,ettroppuissantsicipourse

donnerlapeinedefranchirlesboucliersqui

protègentlaTerre.Tropsoucieuxaussideceque

leursennemisferaientenleurabsence,trop

décrépits,troptristementcélèbres,tropmorts.

—Commentça,morts?

L’horreurdutunneletdubrouillardempestant

le

cadavre

qu’ils

avaient

traversés

revint

brusquementenmémoireàElena.

Damonluilançaundesessouriresmauvais.

—Onaoubliéquesonpetitcopainétait

mortibus?Sansparlerdetonhonorablemaître?À

leurmort,laplupartdesgensaccèdentàunautre

niveauquecelui-ci:beaucoupplushautou

beaucoupplusbas.LeRoyaumedesOmbres,c’est

pour«lesméchants»disons,maisc’estleniveau

supérieur.Plusbas…personnen’aenvied’yaller.

—Ensomme,onestenEnfer,c’estça?

murmuraElena.

—Jediraisplutôtdansleslimbes,dumoinsici.

Ensuite,ilyalefameuxAu-delà.

Ilhochalatêteenregardantl’horizon,sur

lequellesoleilcouchantétaitinlassablementposé.

—C’estpeut-êtrelà-basquetuasséjourné

aprèstamort.Ici,ilsl’appellentsimplementl’Autre

Monde.Maisjesaisdeuxchosessurcetendroit,que

jetiensdemesinformateurs.D’abord,onditquelà-

basças’appellelaCourCéleste.Ensuite,queleciel

estd’unbleulimpideetquelesoleilselèvetoujours.

—LaCourCéleste…

Distraite,Elenaréfléchitàvoixhaute.

Instinctivement,ellesentaitquec’étaitunecour

avecreines,rois,sorcièresettoutletintouin,pasun

tribunal.Çadevaitêtrecommelechâteaude

Camelot.Lesimplefaitdeprononcercesmots

ravivaunenostalgiedouloureuseet…lasensation

quasipalpablequesespropressouvenirsétaient

enfermésderrièreuneporte.Uneportebien

verrouilléedanssonesprit;toutcequ’Elena

parvenaitàvoiràtraverslaserrure,c’étaientdes

rangéesdefemmessemblablesauxSentinelles:

grandes,blondescommelesblésetaveclesyeux

bleus.L’uned’elles,delatailled’unenfant

comparéeauxautres,levalatêteet,d’unœil

perçant,detrèsloin,croisaaussitôtleregard

d’Elena.

Ilsquittèrentlebazarpours’enfoncerdansune

autrezoneinsalubre,qu’Elenaobservaenjetantdes

petitscoupsd’œilfurtifs,cachéesoussonvoile.Ça

ressemblaitàn’importequelbidonvilleoufavela

terrestres…maisenpire.Desenfants,lescheveux

brûlésparlesoleil,s’attroupèrentautourdeleur

cabine,lesmainstenduesdansungesteausens

universel.

Elenasentitlapeineluinouerleventreen

s’apercevantqu’ellen’avaitrienderéellevaleurà

leuroffrir.Elleauraitvouluconstruiredesmaisons

ici,faireensortequecesenfantsaientdequoi

mangeretdel’eaupotable,qu’ilsreçoiventune

éducationetqu’ilsaientunavenirdanslequelse

projeter.Mais,commeellenesavaitabsolumentpas

commentleurapportertoutça,ellelesregarda

repartirencourantavecdestrésorsdanslesmains,

telsqueseschewing-gumsJuicyFruit,sonpeigne,

saminibrosse,sonbrillantàlèvres,sabouteille

d’eauetsesbouclesd’oreilles.

Damonlalaissafaireensecouantlatête,jusqu’à

cequ’ellecommenceàtriturerunpendentifen

lapis-lazulietdiamantqueStefanluiavaitoffert.

Ellepleuraitenessayantd’ouvrirlefermoirquand,

subitement,ledernierboutdecordequilui

enserraitlepoignetstoppanetsongeste.

—Çasuffit,ditDamon.Tunecomprendsrien.

Onn’estmêmepasencoreentrésdanslaville

proprementdite.Pourquoitun’admirespasplutôt

l’architectureaulieudetepréoccuperdesales

mômesquivontdetoutefaçonpourriricijusqu’àla

findeleursjours?

—Tuesvraimentcruel.

Elenanevoyaitvraimentpascommentluifaire

comprendrecequ’elleressentait,etelleétaittrop

encolèrecontreluipouressayer.

Lâchantfinalementsoncollier,elleregardale

paysage,commeill’avaitsuggéré.Uneligne

d’horizonépoustouflantes’offritàsavue,ponctuée

d’édificesenpierrequisemblaientbâtispourdurer

éternellementetquiressemblaientàcequeles

pyramidesmayaetlesziggouratsmésopotamiennes

avaientdûêtreàleursortiedeterre.Cependant,

toutétaitcoloréenrougeetnoirparunsoleil

désormaisdissimuléderrièreunamoncellementde

nuagesempourprésetmenaçants.Sousceténorme

soleilécarlate…l’atmosphèrechangeait,inspirant

différentsétatsd’esprit.Parmoments,lalumière

étaitpresqueromantique,scintillantàlasurface

d’unegranderivièredevantlaquelleDamonet

Elenapassaient,etmettantenvaleurunmillierde

petitesvaguelettesdansl’eaupaisible.Àd’autres,

onauraittoutsimplementditunebouledefeu

sinistre,bienvisibleàl’horizontelunmonstrueux

présage,teintantlesédifices,quellequesoitleur

splendeur,d’unecouleursanglante.Alorsqueles

porteursdescendaientdanslacitéabritantles

gigantesquesconstructions,Elenavitleursombres,

noires,allongéesetinquiétantes,projetéesdevant

eux.

—Alors?Qu’est-cequetuendis?

Damonsemblaitvouloirl’apaiser.

—Jecontinuedepenserqu’onsecroiraiten

Enfer.Jenesupporteraispasdevivreici.

—Maisquiaditquetudevraisvivreici,ma

princessedesténèbres?Onrentrerabientôtchez

nous,làoùlanuitestnoirecommeduvelours,oùla

lunebrilleetcoloretoutd’argent.

Lentement,Damoneffleurasamainpuis

remontasonbrasjusqu’àl’épaule.Unfrissonintime

latraversa.

Elleessayadeseprotégerderrièrelevoile,mais

ilétaittroptransparent.Lesourireéclatantde

Damoncontinuaitdel’aveugleràtraversletissu

blanc,enfinplutôtrosesaumonétantdonnéla

luminositéalentour.

—Est-cequ’ilexisteuneluneici?demanda-t-

ellepouressayerdedétournersonattention.

Elleavaitpeur.Peurdelui…etd’elle-même.

—Ça,oui:ilyenatroisouquatre,jecrois.

Maisellessonttoutespetiteset,évidemment,

commelesoleilnesecouchejamais,onnelesvoit

pas.Pastrèsromantique,toutça.

Illuisouritencore,avecdouceurcettefois,mais

elledétournalesyeux.

Soudain,ellevitquelquechosedevantellequi

attirasonattention.Dansuneruetransversale,un

chariots’étaitrenversé,laissantéchapperdegros

rouleauxdefourrureetdecuir.Unefemmeàla

silhouettefaméliqueétaitattachéeauvéhicule

commeunanimal;ellegisaitàterre,auxpiedsd’un

grandhommeencolèrequifaisaitpleuvoirlescoups

defouetsursoncorpssansdéfense.

LevisagedelafemmeétaittournéversElena.

Unegrimacededétressedéformaitsestraitsalors

qu’elleessayaitenvaindeserecroqueviller,les

mainssurleventre.Elleavaitlebustedévêtu,mais,

àmesurequelefouetluicinglaitlachair,soncorps

secouvraitdesangdelagorgeàlataille.

Révoltée,ElenasentitlepouvoirdesAilesenfler

enelle,mais,bizarrement,riennes’ensuivit.Elle

sollicitatoutelaforcevitalequil’animaitpourque

desailes,quelquechose,n’importequoi,selibèrede

sesépaules,maisçaneservitàrien.C’étaitpeut-

êtreliéaufaitqu’elleportaitencoresesliens

d’esclave.Oubienc’étaitàcausedeDamon,àcôté

d’elle,quiluidisaitd’untonpersuasifdenepass’en

mêler.

Sesparolesn’étaientriencomparéesaubruit

dupoulsquimartelaitsesoreilles.Elleluiarrachala

cordedesmainsetdescenditàtoutevitessedela

chaise.Ensixouseptenjambées,elleseretrouva

prèsdel’hommeaufouet.

C’étaitunvampireauxcaninesallongéesparla

vuedusang,assénantsansrelâchesescoupsde

fouetsauvages.Ilétaittropfort,Elenanepouvait

riencontrelui,enrevanche…

Unpasdeplusetelleenjambalecorpsdela

femme,lesbrasdéployésdansungestede

protectionetdedéfi.Lacordependillaitàl’undeses

poignets.

Nullement

impressionné,

le

tyran

lança

d’embléeunautrecoupdefouetquil’atteigniten

pleinvisage,ouvritsimultanémentuntroubéant

dansletissufindesonpetithautd’été,tranchale

caracoendessousetluibalafralapeau.Lesouffle

coupé,ellesentitpresqueaussitôtl’extrémitédu

fouettranspercersonpantalon,commesilatoilede

jeanétaitunesimplemottedebeurre.

Deslarmesluimontèrentauxyeuxmalgréelle,

maisellelesignora.Exceptélehalètementdûau

choc,elleavaitréussiànepasémettreunsonetà

gardersaposition.Ellesentaitleventfouetterson

corsageenloques,tandisquesonvoileintact

ondoyaitdanssondoscommepourprotégerla

pauvreesclaveécrouléecontrelechariot.

Elenas’obstinaàessayerdedéployersesAiles.

Ellevoulaitsebattreavecdevéritablesarmes,et

ellelesavait,maisellenepouvaitpaslesforceràla

sauver,niellenicettepauvrefemme.Tantpis.

Avecousanselles,Elenacompritunechose:le

salaudquiluifaisaitfacenelèveraitplusjamaisla

mainsursonesclave,àmoinsdemassacrerd’abord

Elena.

Unpassants’arrêtapourregarderlascène,puis

unautresortitd’uneéchoppeencourant.Lorsque

lesenfantsquilesavaientsuiviss’attroupèrenten

gémissant,unsemblantdefouleseforma.

Apparemment,voirunmarchandbattreune

souillonéreintéedevaitêtremonnaiecourantepour

lesgensducoin.Enrevanche,voircettenouvelle

venuesublimelaissertailladerseshabitsàcoupsde

fouet,cettefilleauxcheveuxsoyeuxcommedesfils

d’orsoussonvoiledoréetblanc,etdontlesyeux

rappelaientpeut-êtreàcertainsunvaguesouvenir

decielbleu,cen’étaitplustoutàfaitlamêmechose.

Deplus,lajeunerebelleavaitmanifestement

humiliésonmaîtreenluiarrachantsacordedes

mains,etsetenaitdésormaisavecsonvoilede

saintetétournéendérision.

Unformidablespectaclederue.

Letyransepréparaàfrapperdenouveau,

armantsonbras,prêtàymettretoutesonénergie.

Quelquespersonnesdanslafouleretinrentleur

souffle;d’autresgrommelèrentavecindignation.

Grâceàsesnouvellesfacultésauditives,Elena

montamentalementlesonetdéchiffraleurs

chuchotements.

Une

fille

commeellen’était

vraimentpasfaitepourlamisèredesbas-fonds;

elledevaitêtredestinéeàlanoblessedelaville.Ça

sevoyaitrienqu’àsonaura.D’ailleurs,avecdes

cheveuxdorésetdesyeuxbleuspénétrantscomme

lessiens,ellepourraitmêmeêtreuneSentinellede

l’AutreMonde.Quisait?…

Lefouetquiétaitbrandin’atteignitjamaissa

cible.Unéclairnoirdepouvoirbrutl’enempêcha

bienavant,dispersantlamoitiédelafouleau

passage.Unvampire,jeuneenapparence,etvêtuà

lamodedeshumains,s’étaitavancépour

s’interposerentrelaprécieusejeunefilleetle

propriétairedel’esclave,ouplutôtpoursedresser

defaçonmenaçanteau-dessusdutyranàprésent

servile.Lesrarespersonnesquelafillen’avaitpas

émuessentirentleurcœurpalpiteràlavuedubel

inconnu.C’étaitsûrementlepropriétairedelafille,

etilallaitmaintenantprendrelasituationenmain.

Àcetinstant,BonnieetMeredithentrèrenten

scène.Confortablementinstalléessurlabanquette

deleurcabineetdrapéesdansleursvoiles,unbleu

nuitétoilépourMeredithetunverttrèsdouxpour

Bonnie,ellesfaisaientpenseràuneillustrationdes

MilleetUneNuits.

Dèsqu’ellesvirentDamonetElena,elles

bondirent.Lafouleétaitdevenuesidensequ’elles

durentjouerdescoudespoursefrayerunchemin

jusqu’àeux,mais,enquelquessecondes,ellesse

campèrentauxcôtésd’Elenaavecunairdedéfi,les

mainslibresoutraînantunecordequipendillait

mollementderrièreelles,leursvoilesflottantau

vent.

Enarrivant,Mereditheutlesoufflecoupé,et

Bonnieouvritdesyeuxrondsqu’ellegardaunbon

moment.Elenacompritcequileschoquait:

l’entaillesursapommettesaignaitabondamment,

soncorsageouvertauventlaissaitentrevoirson

caracoensanglantéetunejambedesonjean

s’empourpraitàlavitessegrandV.

Cependant,dansl’ombredesaprotectionse

tenaitrepliéeunesilhouettebienpluspitoyable.Et,

tandisqueMereditharrangeaitlevoiled’Elenapour

l’aideràgardersoncorsageferméetàretrouverun

peudedécence,lafemmelevalentementlatêteet

lesregardaavecdesyeuxdebêtetraquée.

—Jecroisqueçavameplaire,murmura

Damon.

D’unemain,ilsouleval’hommecorpulentdans

lesairsetlemorditàlagorgecommeuncobra.Un

criabominables’ensuivit,quines’arrêtaplus.

Personnen’essayad’interveniroud’envenimer

lasituation.

Elenacompritpourquoienscrutantlafoule.Elle

etsesamiesétaienthabituéesàDamon,dumoins

autantqu’onpuisses’habitueràsonairféroceet

indomptable.Maiscejeunehommeentièrement

vêtudenoir,detaillemoyenneetfluet,qui

compensaitsonmanquedemusclessaillantspar

unegrâcesoupleetimplacable,étaitunedécouverte

pourtouscesgens.Ilavaitnonseulementlagrâce

maisaussiledond’occuperl’espace,desortequ’il

devenaitsanseffortlepointdemiredetousles

regards,unpeucommesiunepanthèrenoire

surgissaitdansuneruebondée.

Mêmeici,oùlamenaceetlanotiondeMal

suprêmeétaientunebanalité,ildégageaitune

impressiondedangerquipoussaitlesspectateursà

resterhorsdesalignedevisée,etencoreplusde

sonchemin.

Pendantcetemps,Elena,MeredithetBonnie

cherchaientdel’aide,neserait-cequequelquechose

deproprepourétancherlesangdesplaiesdela

femme.Auboutdequelquessecondes,prenant

consciencequeçan’allaitpastomberduciel,Elena

enappelaàlafoule.

—Quelqu’unconnaît-ilunmédecin?Un

guérisseur?

C’estàpeinesionlaregarda.Personnene

semblaitprêtàsecompromettreavecunefillequi

avaitmanifestementdéfiéledémonquiétaiten

traindetordrelecoudutyran.

—Alors,pourvous,c’estnormal?criaElena.

Elleétaitconscientequesavoixtrahissaitson

angoisse,maisaussisondégoûtetsarage.

—Çavousparaîtnormaldefouetterunefemme

enceinteaffamée?

Ilyeutquelquesyeuxbaissés,quelques

réponsessporadiquessurlethème«C’étaitson

maître,non?».Unhommeassezjeunequidepuisle

débutétaitadossécontreunchariotseredressa.

—Ellenem’apasl’aird’êtreenceinte!

—Pourtantc’estlecas.

—Sic’estvrai,ditlentementlejeunehomme,il

n’afaitqu’endommagersapropremarchandise.

L’hommejetauncoupd’œilinquietàDamon.Il

setenaitau-dessusducorpssansviedutyran,dont

levisages’étaitfigédansuneaffreusegrimace

d’agonie.

Cetteremarquenechangearienaufait

qu’Elenaétaittoujoursseuleaveccettefemme

qu’elleredoutaitdevoirmourird’uninstantà

l’autre.

—Iln’yavraimentpersonnequipeutmedire

oùtrouverunmédecin?

Quelquesgrommellements,plusoumoinsà

voixbasse,sefirententendre.

—Onarriveraitpeut-êtreàquelquechosesion

leurdonnaitunpeud’argent,suggéraMeredith.

Elenatouchaimmédiatementsonpendentif,

maisMeredithfutplusrapide,défaisantuncollier

fantaisied’améthysteàsoncoupourlemontreràla

foule.

—Jeledonneaupremierquinousindiqueun

bonmédecin!

Ilyeutunbrefsilence,pendantlequelchacun

semblaévaluerlarécompensecomparéeaurisque.

—Vousn’auriezpasplutôtdessphères

d’étoiles?lançaunevoixrauque.

—Moi,çameva!s’écriauneautre,aiguëet

légère.

Unenfant,unvraigossedesrues,seprécipitaà

l’avantdelafoule,agrippalamaind’Elenaetlui

indiquaunedirectiondudoigt.

—LeDrMeggar,auboutdelarue.C’estàdeux

pâtésdemaisons,onpeutyalleràpied.

L’enfantportaitunevieillerobedéchirée,mais

c’étaitpeut-êtrejustepouravoiruneépaisseurde

plussurledoscarilouelleportaitaussiun

pantalon.Elenan’arrivaitpasàdiresic’étaitune

filleouungarçon…jusqu’àceque,subitement,

l’enfantluisourieavecunedouceurtypiquement

féminine.

—Jem’appelleLakshmi.

—Etmoi,Elena.

—Ilfautsedépêcher.LesSentinellesseront

bientôtlà.

MeredithetBonnieavaientrelevélafemme

hébétée,quisemblaitsouffrirtroppourcomprendre

sionavaitl’intentiondel’aideroudelatuer.

Serappelantlafaçondontelles’étaitblottie

derrièreelle,Elenaposalamainsursonbras

ensanglantéets’adressaàelled’unevoixdouce:

—Vousêtesensécurité,àprésent.Çavaaller.

Cethomme…votremaître…ilestmort,etpersonne

nevousferaplusjamaisdemal.Jevouslepromets.

Lafemmeladévisagead’unairincrédule,

commesicequ’elleavaitditétaitimpossible.

Commesi,pourelle,c’étaitinconcevabled’exister

sansêtreconstammentbattue(endépitdusang,

Elenadistinguaitd’anciennescicatricessurson

corps,certainesformantdepetitscordonsdepeau,

etcompritqu’ellen’enétaitpasàsonpremier

châtiment).

—Jevouslepromets,répétaElenad’unton

déterminé.

Elleavaitconsciencequecettepromesse

l’engageaitàvie.Net’inquiètepas,pensa-t-elleen

s’apercevantqu’elletransmettaitsespenséesà

Damondepuisuncertaintemps.Jesaiscequeje

fais.J’enprendslaresponsabilité.

Tuessûredetoi?luirépondit-ilavecune

hésitationquineluiressemblaitpas.Parcequeje

t’assurequecen’estpasmoiquim’occuperaideta

sorcièrequandtuteseraslasséed’elle.Lemeurtre

desontyranneserapassansconséquences,etje

nesuismêmepassûrdepouvoirlesassumer.

Elenatournabrusquementlatêteverslui.Il

étaittrèssérieux.

Maispourquoitul’astué,alors?

Tuplaisantesouquoi?

LaviolencedesaréponsecausaunchocàElena.

Tuasvulemalqu’ilt’afait?J’auraisdûletuer

àpetitfeu¸ajouta-t-il,ignorantl’undesporteurs

quis’agenouillaitdevantlui,sansdoutedans

l’attentedesesordres.Sesyeuxétaientrivéssurle

visaged’Elena,oùlesangcontinuaitdecouler.Il

figliodecafone,fulmina-t-ilensilence,lescrocs

bienvisibles,enjetantunregardhaineuxau

cadavre.Leporteureutsipeurqu’ildétalaàquatre

pattes.

—Nelelaissepaspartir,Damon!Ordonne-leur

deveniricitoutdesuite!lançaElenaàvoixhaute.

Enentendantlesmurmuresdesurpriseautour

d’elle,ellecontinuapartélépathie.

Nelaissepaslesporteurss’enfuir.Onabesoin

d’unechaisepourtransportercettepauvrefemme

chezledocteur.Etpourquoitoutlemondemefixe,

commeça?

Parcequetuesuneesclaveetqu’entantque

telletun’auraisjamaisdûfairecequetuasfait,et

encoremoinsmedonnerdesordresàmoi,ton

maître,réponditlavoixsévèredeDamon.

Cen’étaitpasunordre,Damon…Écoute,les

gentlemenaidentlesdamesendétresse,non?Eh

bien,tuenasunedevanttoiquiaplusquejamais

besoind’aide,quoiquetuenpenses.Non,trois,en

fait:jecroisqu’ilvamefalloirquelquespointsde

suture,etBonnienevapastarderàs’évanouir.

Elenaavaitchoisidetirersursacordesensible,

mêmeensachantqu’ilvoyaitclairdanssonjeu.

Néanmoins,ilfitsigneàdeuxdesporteursdevenir

ramasserl’esclave,etauxdeuxautresd’emmener

sesfilles.

Décidéeànepasquitterlafemmed’une

semelle,Elenaseretrouvadansunecabineaux

rideauxentièrementtirés.Lesangaugoûtdecuivre

danssaboucheluidonnaitenviedepleurer.

N’osantpasexaminerlesblessuresdel’esclave,

alorsquelesangruisselaitsurlesoldelacabine,elle

décidaderetirersoncorsageetsoncaraco.Puiselle

remituniquementlepremieretutilisalesecond

pourcomprimerunegrandeplaiebéantesurla

poitrinedelafemme.Chaquefoisquecettedernière

levaitsesgrandsyeuxbrunseffrayésverselle,

Elenaessayaitdeluisourired’unairrassurant.Elles

avaientatteintunstadedecommunicationoùun

regardetunsimplecontactcomptaientplusquedes

mots.

«Nemeurspas,pensaitElena.Nemeurspas,

tuasdésormaisunevraieraisondevivre:taliberté

ettonenfant.»

Lafemmeperçutsansdouteenpartieses

pensées,carelles’abandonnacontrelescoussinsen

s’accrochantàlamaind’Elena.

16.

—Elles’appelleUlma.

Baissantlatête,ElenavitLakshmiquimarchait

àcôtédelacabineentenantlerideauécartéd’une

mainau-dessusdesatête.

—ToutlemondesaitcommentlepèreDrohzne

traitesesesclaves.Illesbatjusqu’àcequ’elles

perdentconnaissance,etaprèsilexigequ’elles

tirentseschariotsetqu’ellescontinuentdeporter

despoids.Ilentuecinqousixparan.

—Aumoinsunequ’iln’aurapaseue,murmura

Elenaenserrantlamaind’Ulma.Ilaeucequ’il

méritait.

Sonsoulagementfutimmenselorsqu’ellesentit

lacabines’immobiliseretqu’ellevitDamon

apparaître.Sanscraindredetacherseshabitsmais

affichanttoutefoissonindifférenceenversUlma,illa

pritdanssesbrasetfitsigneàElenadelesuivre.

Lakshmipassadevanteuxets’engageaensautillant

dansunecourpavéeauxmotifscomplexes,puis

dansunpassagetortueuxbordédeportesmassives

etd’apparencerespectable.Finalement,ellefrappa

àl’uned’ellesetunhommeratatiné,avecune

grossetêteetunrestedebarbefineetclairsemée,

ouvritprudemment.

—Vousnetrouverezaucunketterisici!Ni

hexennizemeral!Etjenefaispaslesphiltres

d’amour!

Puis,telunmyope,ilfixalepetitgroupedeplus

près.

—Lakshmi,c’esttoi?

—Nousvousavonsamenéunefemmequia

besoind’aide,intervintElena.Elleestenceinte.

Vousêtesbiendocteur?Ouguérisseur,peut-être?

—Unguérisseurautalentlimité.Maisentrez,

entrez.

L’hommepartitenhâtedansunepièceen

retrait.Ilslesuivirentetleretrouvèrentdans

l’angled’unepiècepleineàcraquerquiressemblait

àunsanctuairedemagicien,avecenprimeune

bonnetouchedevaudouetdesorcellerie.

Elena,

Meredith

et

Bonnie

échangèrent

quelquesregardsnerveuxdanssondos,mais,en

entendantdesbruitsd’éclaboussures,Elenacomprit

qu’ilétaitentraindeselaversoigneusementles

mainsdansunevasque,lesmanchesremontées

jusqu’auxcoudesetlesavant-brascouvertsde

mousse.«C’estpeut-êtreunsimpleguérisseur,en

toutcasilconnaîtlesbasesdel’hygiène»,pensa-t-

elle.

DamonavaitposéUlmasurunetabled’examen

apparemmentpropre,recouverted’undrapblanc.

Ledocteurapprouvad’unsignedetête.Puis,

soufflantcommeunelocomotive,tch-tch-tch-tch-

tch,ilsortitunplateaud’instrumentsetchargea

Lakshmid’allerluichercherdeslingespour

nettoyerlesentaillesetstopperlesaignement.Il

sortitégalementdiverssachetsodorantsde

plusieurstiroirsetgrimpasuruneéchellepour

décrocherdestouffesd’herbessuspenduesau

plafond.Enfin,ilouvritunepetiteboîteetinspira

violemmentuneprisedetabac.

—S’ilvousplaît,faitesvite!lepressaElena.

Elleaperdubeaucoupdesang.

—Ellen’estpaslaseule,ondirait,répondit-ilen

l’observantdehautenbas.Jem’appelleKephar

Meggar…etjesupposequecetteesclaveappartient

àmaîtreDrohzne?

Illesregardaenbaissantlatête,unpeucomme

s’ilportaitdeslunettes.

—Etvousêtesesclavesaussi?

Iljetaunœilaumorceaudecordequipendillait

aupoignetd’Elena,puisàceux,identiques,de

BonnieetdeMeredith.

—Oui,mais…

Elenasemorditlalanguealorsqu’elle

s’apprêtaitàtoutdéballer:«Oui,maispas

vraiment,c’estjusteunecouverture.Enfait,onest

desagentsinfiltrés.»

—Oui,maisnotremaîtreesttrèsdifférentdu

sien,termina-t-elleplutôt.

«Ça,onpeutdirequ’ilsn’ontrienàvoir»,

pensa-t-elle.D’abord,Damonn’avaitpaslecou

brisé.Ensuite,aussivicieuxetdangereuxqu’ilpût

être,ilneporteraitjamaislamainsurunefemme,

encoremoinspourlabattreàmort.C’étaitcomme

s’ilfaisaitunblocagedecepointdevue,ilenserait

incapable;saufsousl’emprisedeShinichi,biensûr.

—EtDrohznevousaautorisésàamenercette

femmechezunguérisseur?

Lepetithommeparaissaitpeuconvaincu.

—Non,jesuispersuadéequ’ilnenousaurait

paslaissésfaire,réponditévasivementElena.Mais

jevousenprie:ellesaigneetelleestenceinte…

LeDrMeggarhaussarapidementlessourcils,

puis,sansdemanderàquiconquedesortir,ilpritun

vieuxstéthoscopeetécoutaattentivementlecœur

etlespoumonsd’Ulma.Ilsentitsonhaleine,lui

palpadoucementl’abdomensouslecaraco

ensanglantéd’Elena,toutçaavecprofessionnalisme,

etterminaenportantàseslèvresunebouteille

marron.Lafemmeenbutquelquesgorgéespuisse

laissaretomberenarrière,fermantlesyeuxdans

unbattementdecils.

—Bien,ditlepetithomme,ellepeut

maintenantsereposerconfortablement.Elleaura

besoindequelquespointsdesuture,etvousaussi

d’ailleurs,maisçajesupposequec’estàvotre

maîtred’endécider.

LeDrMeggarprononçalemot«maître»sans

cacherledégoûtqu’illuiinspirait.

—Quoiqu’ilensoit,jepeuxvousassurerde

façonquasicertainequ’ellesurvivra.Pourson

enfant,jenesaispas.Ilnaîtrapeut-êtreavecdes

séquellesdecettetristeaffaire,destachesde

naissancepeut-être,ouaucontrairetoutirabien.

Mais,avecunebonnealimentationetdurepos…

Ilhaussaencorerapidementlessourcils,

commes’ilauraitaimés’adresserdirectementau

pèreDrohznepourluidiretoutcequ’ilpensaiten

face.

—…elledevraits’enremettre.

—Danscecas,occupez-vousd’abordd’Elena,

intervintDamon.

—Non,non!protesta-t-elleenrepoussantle

docteur.

Cethommeavaitbeauavoirl’airgentil,detoute

évidence,ici,unmaîtreétaitunmaître,etDamon

étaitonnepeutplusautoritaireetintimidant.

Maispasauxyeuxd’Elena.Pourl’instant,ce

n’étaitpassonétatquilapréoccupait.Elleavaitfait

unepromesseet,d’aprèslespronosticsdu

DrMeggar,elleseraitpeut-êtreàmêmedelatenir.

Voilàcequicomptait.

Dehautenbas,debasenhaut…lessourcilsdu

docteurs’agitaientcommedeuxchenillessurunfil

élastique,l’unedesdeuxunpeuàlatraîne.

Visiblement,lecomportementd’Elenaluiparaissait

anormal,etmêmepassibledesanctionssévères.

Maispourellesonopinionétaitaccessoire,autant

quecelledeDamon.

—AIDEZ-LA!insista-t-elleavecfougue.

Lessourcilsdudocteurmontèrentenflèche

commes’ilsallaienttranspercerleplafond.

Elleavaitperdulecontrôledesonaura.Pas

complètement,Dieumerci,maisunedécharge

d’énergie

s’était

indéniablement

échappée,

traversantlapiècecommeunéclairennappe.

Etledocteur,quin’étaitpasunvampiremais

uncitoyenordinaire,l’avaitbienremarqué.

Lakshmiaussi,d’ailleurs;mêmeUlmaremuaavec

gênesurlatabled’examen.

«Ilvafalloirquejesoisbeaucoupplus

prudente»,pensaElena.Ellejetaunrapidecoup

d’œilàDamon,quiétaitlui-mêmeàdeuxdoigts

d’exploser,c’étaitflagrant.Tropd’émotions,tropde

sangdanslapièce,etl’adrénalinedumeurtrequilui

fouettaitencorelesang.

Commentsavait-elletoutça?

ParcequeDamonn’étaitpasnonplustoutàfait

maîtredelui.Ellelisaitdanssespenséessans

rencontrerlemoindreobstacle.Ilfallaitvitequ’elle

lefassesortird’ici.

—Onvousattenddehors,dit-elleenl’attrapant

parlebras.

Mêmetrèsbelle,uneesclavenesecomportait

pasainsi.

MaisleDrMeggarpritsoindecachersa

surpriseetregardaailleurs.

—

Lakshmi,

va

leur

donner

quelques

compressespourqu’ilspuissentétancherles

saignementsdelademoiselle.Reviensvite,tupeux

m’êtreutile.

Elenaetlesautress’apprêtèrentàquitterla

pièce.

—Unedernièrequestion,ajouta-t-il.Comment

saviez-vousquecettefemmeétaitenceinte?Quel

typedesortilègepeutprédireça?

—Aucun.Touteslesfemmesquiétaient

présentesauraientdûs’endouter.

ElenavitBonnieluijeterunregardvexé,mais

Meredithrestaimpénétrable.

—

Cet

ignoble

Droz-machin-chouette

la

fouettaitdeface.Regardezlesentaillesqu’ellea,

maintenant.

Ellegrimaçaencontemplantlesdeuxmarques

surlacagethoraciqued’Ulma.

—Danscescirconstances,n’importequelle

femmeauraitessayédeseprotégerlapoitrine,mais

elleessayaitdecouvrirsonventre.Çasignifiait

qu’elleétaitenceinte,etdepuissuffisamment

longtempspourenêtresûre.

LeDrMeggarbaissaetfronçalessourcils,puis

illevalesyeuxverselle,toujourscommes’il

regardaitpar-dessusdeslunettes.Lentement,il

hochalatête.

—Prenezdescompressesetallezvoussoigner,

luidit-il,sanssesoucierdeDamon.

Manifestement,esclaveoupas,elleavaiten

quelquesortegagnésonrespect.

Enrevanche,ellesemblaitavoirperdudesa

statureauprèsdeDamon;dumoins,ilavaitcoupé

toutcontactentreleursdeuxespritsdefaçonassez

délibérée,lalaissantfaceàunmuraveugle.Dansla

salled’attente,ilfitsigneàBonnieetàMeredith

d’ungesteautoritaire.

—Attendezici,ordonna-t-il.Nebougezpasde

làtantqueledocteurn’estpassorti.Nelaissez

personneentreretverrouillezlaportederrière

nous.Elenavaveniravecmoidanslacuisine,c’est

laportedufond.Quepersonnenenousdérange,à

moinsqu’unefouleencolèrenemenacedemettrele

feuàl’immeuble,c’estcompristouteslesdeux?

AlorsqueBonnieallaitprotester,Meredithles

appelad’unregardàseconcerterpourdécidersioui

ounon,aunomdelasolidaritédesvélociraptors,

elledevaitserebellersur-le-champ.Toutes

connaissaientlatactiqued’usagedanscescas-là:

BonniesejetteraitdanslesbrasdeDamon,soiten

pleurantàchaudeslarmes,soitenl’embrassant

avecpassion,l’unoul’autreseloncequiétaitleplus

adaptéàlasituation,pendantqu’ElenaetMeredith

approcheraientchacuned’uncôtéetsejetteraient

surluipour…fairelenécessaire.

D’uncoupd’œil,Elenamitunvetocatégoriqueà

cetteoption.Damonétaitencolère,c’estvrai,mais

ellesentaitintuitivementquec’étaitpluscontre

Drohznequecontreelle.Lesangl’avaitperturbé,

vraiaussi,maisilsavaitsemaîtriser,mêmedans

descirconstances,disons,sanglantes.Etpuis,elle

avaitbesoind’aidepoursesblessures;depuis

qu’ellesavaitquelafemmeallaitsurvivreetirait

peut-êtremêmeauboutdesagrossesse,elle

commençaitàavoirsérieusementmal.EtsiDamon

avaituneidéederrièrelatête,autantqu’elletireça

auclairtoutdesuite.

LançantundernierregardrassurantàBonnie,

ellesuivitDamondanslacuisine.Laportepossédait

unverrou.Damonlefixad’unairentendu,etElena

leferma.Puisellelevalesyeuxversson«maître».

Ils’approchadel’évieretsemitàpomperde

l’eauméthodiquement.Sescheveuxluitombaient

danslesyeux,ils’enmettaitpartout,ilétaittrempé,

maisçan’avaitpasl’airdelegêner.

—Damon?…Toutvabien?

Ilneréponditpas.

Damon?

Jel’ailaissétefairedumal!Pourtantjesuis

rapide.J’auraispuexterminercesalaudd’une

salve.Maisàaucunmomentjen’aipenséquetu

seraisblessée.Mentalement,lavoixdeDamon

trahissaitàlafoislaplussourdedesmenacesetun

calmeétrange,presqueréservé.Commes’ilessayait

decontenirsaviolenceetsacolèreloind’elle.Jen’ai

mêmepaspuluidire…luifairecomprendretoute

lahainequ’ilm’inspirait.Jen’arrivaispasàpenser.

Ilétaitmédium,pourtant,ilauraitpum’entendre.

Maisjenetrouvaispaslesmots.Toutcequeje

pouvaisfaire,c’étaithurler…ensilence.

Elenafutunpeutroublée.C’étaitpourelleque

Damonressentaitcetteangoisse?Iln’étaitdoncpas

fâchéqu’elleaitouvertementtransgressélesrègles

devanttoutlemonde,aurisquequ’ilssoient

démasqués?Etilsefichaitd’avoirl’air…débraillé?

Damon…

Elleétaittellementsurprisequ’ellerepritàvoix

haute:

—C’est…çan’apasd’importance.Cen’étaitpas

tafaute.Tunem’auraismêmepaslaisséefaire…

—Maisj’auraisdûmedouterquetune

demanderaispaslapermission!Jecroyaisquetu

allaistejetersurlui,luisautersurledoset

l’étrangler,etj’étaisprêtàt’aider.Maistun’espas

uneépée,Elena.Quoiquetuendises,tuesun

bouclier.J’auraisdûmedouterquetuallaisprendre

leprochaincouppourtoi.Etàcausedemoi…

Sonregarddérivasurlapommetted’Elena,etil

grimaça.

Puisilseressaisit.

—L’eauestfroide,maispropre.Ilfautqu’on

nettoiecesentailles.

—Jeprésumequ’ilsn’ontpasdevindeMagie

Noireparici,supposaElena,àmoitiépour

plaisanter.

Ellesavaitqu’elleallaitlesentirpasser.

Damonsemitaussitôtàfouillerunàunles

placards.

—Tiens,dit-il,auboutdutroisième.

Triomphalement,illuitenditunebouteilleà

moitiépleinedufameuxélixir.

—Beaucoupdedocteurss’enserventde

médicamentetd’anesthésiant.Net’inquiètepas:je

lepaieraigrassement.

—Danscecas,tudevraisenboireunpeuaussi.

Allez,çanousferadubienàtouslesdeux.Etcene

serapaslapremièrefoisqu’onenboitensemble.

Ellesavaitqueladernièrephraseserait

décisive.CeseraitunefaçonpourDamondese

réapproprierquelquechosequeShinichiluiavait

pris.

«Ilfautquejemedébrouillepourrécupérer

toussessouvenirs,décida-t-elleenfaisantdeson

mieuxpourmasquersespensées.J’ignorecomment

jevaism’yprendreouquandj’enaurail’occasion,

maisjejurequej’yarriverai.»

Aprèsavoirremplideuxverresdecevin

généreuxetcapiteux,Damonluientenditun.

—Savoure-le,conseilla-t-il,incapablede

résisteràl’enviedejouerlesprofs.C’estunbon

millésime.

Elenapritunepetitegorgée,puisdescenditson

verred’untrait.ElleavaitsoifetlevindeClarion

Loessn’étaitpasalcoolisé,pasàproprementparler.

Çan’avaitvraimentpaslegoûtduvin.Onaurait

plutôtditdel’eaudesourcegazeuse,extrêmement

rafraîchissante,auparfumderaisinmoelleuxet

velouté.

Damonavaitluiaussioubliédesiroteret,quand

il

lui

proposa

un

deuxième

verre

pour

l’accompagner,elleacceptavolontiers.

Elleconstataquesonauras’étaitlargement

apaisée,tandisqu’ilattrapaitunlingehumideet

commençait,doucement,ànettoyerlabalafrequi

suivaitpresquedepointenpointlacourbedesa

pommette.C’étaitlapremièreblessureàavoir

arrêtédesaigner,maisDamondevaitàprésentla

nettoyer.Aprèsavoirbudeuxverresdevinen

ayantleventrevidedepuislepetit-déjeuner,Elena

sesurpritàsedétendrecontreledossierdela

chaise,laissantsatêtepencherunpeuenarrière,

lesyeuxfermés.Elleperditlanotiondutemps

tandisqu’ilcaressaitdoucementl’entaillesursa

joue.Etelleperditaussitoutcontrôledesonaura.

Quandellerouvritlesyeux,cenefutpasen

réactionàunequestionouàunstimulusvisuel.

C’étaitunelueurdansl’auradeDamon,unbrusque

éclatdedétermination.

—Damon?Qu’est-cequ’ilya?

Ilsetenaitau-dessusd’elle.L’obscuritédeson

auras’étaitpropagéederrièreluicommeuneombre

immense,presqueenvoûtante,voiretotalement

effrayante.

—Damon?

—Ons’yprendmal.

Aussitôt,Elenarepensaàl’esclaveinsoumise

qu’elleavaitétéetauxtransgressionsmoins

dramatiquesdeBonnieetdeMeredith.Maislavoix

deDamonglissaitsurellecommeduvelours,etson

corps,quiétaitbeaucoupplusréceptifqueson

esprit,semitàfrissonner.

—Etcomment…faut-ils’yprendre,alors?

Enrelevanttimidementlatête,elleconstata

qu’ilétaitpenchésurelleetluicaressait,non,lui

touchaitlescheveux,silégèrementqu’ellen’avait

riensenti.

—Lesvampiressaventcommentsoignerles

plaies.

Sesgrandsyeuxnoirs,cesyeuxquisemblaient

contenirdesgalaxiesd’étoiles,lasaisirentetnela

lâchèrentplus.

—Onpeutlesnettoyer.Lesrouvrir…oules

refermer.

«J’aidéjàressentiça,songeaElena.Etilm’a

déjàparlédecettefaçon,mêmes’ilnes’ensouvient

pas.Je…j’avaistrèspeur.Maisc’étaitavant…»

Avantlanuitaumotel;quandilluiavaitditde

fuir,maisqu’ellenel’avaitpasécouté.Unesoirée

queShinichiavaiteffacéedesamémoire,àl’instar

dujouroùilsavaientbuduvindeMagieNoire

ensemblepourlapremièrefois.

—Montre-moi,murmuraElena.

Ellesavaitqu’ellen’étaitplustoutàfaitelle-

même,etquelesmotsqu’ellemurmuraitn’étaient

plustoutàfaitlessiens.Desmotsqu’ellen’aurait

jamaisprononcéssielles’étaitunseulinstant

considéréecommeunevéritableesclave.

Jesuisàtoi…,disaitcemurmure.

C’estalorsqu’ellesentitlabouchedeDamon

effleurerlasienne.

Oh,non,Damon…

Salangue,doucecommedelasoie,caressa

doucementsajouetandisqu’ilnettoyaitl’entailleet

purifiaitsonsangpourarrêterlesaignementet

refermerlaplaie.Ellesentitsonpouvoir,cetteforce

mystérieusedontils’étaitserviaucoursd’unmillier

decombatspourinfligerdesblessuresmortelles,

qu’ilcontenaitrigoureusementpourseconcentrer

surcettetâchesimpleetsansattraitconsistantà

effacerunemarquedefouetsurlajoued’unefille.

PourElena,c’étaitcommelorsqu’illuiavaitcaressé

levisageaveccetterose,quandsespétalesdouxet

fraisavaientchasséladouleurjusqu’àcequ’elle

frissonnedeplaisir.

Touts’arrêtad’uncoup.Elenasavaitqu’elle

avaitunefoisdeplusbutropdevin.Cebreuvage,

plusfortqu’iln’yparaissait,luiétaitmontéàlatête

etl’avaitunpeuéméchée.Toutavaitprisune

dimensionirréelle,onirique.

—Çavacicatrisertoutseul,maintenant.

Damonluitouchaencorelescheveuxtrès

doucement.Cettefois,elleutilisaunepetitepartde

sanouvelleforcepourcaptercettesensationeten

savourerchaqueinstant.Etunefoisdeplusil

l’embrassad’unfrôlementdelèvres.Toutefois,

lorsqu’ellerenversalatête,ilnelasuivitpas,y

comprislorsque,dedéception,elletentad’exercer

unepressionsursanuque.Ilattenditsimplement

qu’Elenasoitsûredecequ’ellevoulait.

«Onnedevraitpass’embrasser;Meredithet

Bonniesontdanslapièced’àcôté.Maiscomment

est-cequejefaispourmemettredansdes

situationspareilles?D’ailleursDamonn’essaie

mêmepasdem’embrasser,onestcensés…Aïe!»

Sesautresblessuresseréveillaient.

Ellesluifaisaientvraimentmal,àprésent.Qui

pouvaitêtreassezcruelpouravoirinventéunfouet

pareil?Lalanièretranchanteétaitfinecommeune

lamederasoir,àtelpointqu’ellenel’avaitmême

passentieaudébut…dumoinspastrop…maisça

avaitfranchementempiréaufildesheures.Etces

saignementsquicontinuaient…onestcensés

nettoyerlesplaiesenattendantqueledocteur

puissem’examiner…

Outresabalafre,uneautreentailleluibrûlaitla

peau,uneblessurequiluitraversaitlaclaviculede

partenpart.Etelleenavaitunetroisièmeau

niveaudugenou…

Damonvoulutattraperunautrelingepropre

surl’évier,maisElenaleretint.

—Non.

—Tuessûre?

—Oui.

—Jeveuxjustelesnettoyer…

—Jesais.

Elleétaitsûred’elleàprésent.Ilavaitrétablile

contactentreeux,laissantsonpouvoirturbulent

circulerenliberté.Elleignoraitpourquoi,maisson

esprits’étaitrouvertàelle.

—Laisse-moijustetedonnerunconseil,dansce

cas:nevapasdonnertonsangàunvampire

mourant.Nelaissepersonneygoûter.Ceseraitpire

que…

—Pire?

Ellesavaitqu’illuifaisaituncompliment,mais

ellenecomprenaitpas.

—Plustuenbois,moinstupeuxt’arrêter,

expliquaDamon.Etplustuenbois,plustuabsorbes

laforcevitaledudonneur.

Elenapritconsciencequ’ellen’avaitjamais

envisagéceséchangesdesangcommeunproblème,

pourtantc’étaitlecas.

—Net’inquiètepas,jesaisàquitupenses,

ajouta-t-il.

Sanslesavoir,ilfutvictimedesaprésomption.

Ilenavaittropdit.

—Commentça,tusaisàquijepense?

Elenaconstataque,soussonapparente

douceur,elleaussiétaitcapabled’avoirunevoix

menaçante,commeuncoussinetsouslagriffed’une

tigresseféroce.

—Tuasludansmespenséesàmoninsu?

Damonessayades’ensortirparuneesquive.

—Ehbien,cen’estqu’unesupposition…

—Personnenesaitcequejepense!Pastant

quejen’airiendit.

Elleleforçaàs’agenouillerenlaregardanten

face,etledévisagead’unairinterrogateur…et

avide.

Puis,delamêmemanière,elleattiradeforce

sonvisagecontresaplaie.

17.

Elenarevintàlaréalitélentement,enrésistant

jusqu’aubout.Elleplantasesonglesdanslecuirde

lavestedeDamon,puissatransefutdenouveau

perturbéepardespetitscoupssecsetpressants

frappésàlaporte.

Damonlevalatêteetgrogna.

«BonnieetMeredith!Illeuravaitditdenepas

lesdérangersaufs’ilyavaitlefeu!Mais,le

docteur…Oh,non,iladûarriverquelquechoseà

cettepauvrefemme!Elledoitêtreentrainde

mourir!»Àmoitiéconsciente,Elenatentadefaire

letridanslespenséesquisebousculaientdanssa

tête.

Damoncontinuaitdegrogner,unetracedesang

surleslèvres.Cen’étaitqu’unetrace,carsa

deuxièmeplaieavaitcicatriséaussibienquela

balafresursajoue.Elleignoraitdepuiscombiende

tempselleavaitforcéDamonàembrassercette

entaille.Mais,maintenantqu’ilavaitsonsangdans

lesveinesetquesonplaisirétaitinterrompu,il

ressemblaitàunepanthèresauvagedanssesbras.

Ellenesavaitpasnonplussiellepourraitle

reteniroumêmelefreiner.

—Damon!Dehors,cesontnosamis…Tute

souviens?Bonnie,Meredithetleguérisseur.

—Meredith…

Levampireretroussaleslèvres,révélantdes

caninesd’unelongueurterrifiante.Iln’étaittoujours

pasreconnectéàlaréalité.«S’ilvoitMeredithà

présent,iln’aurapaspeurd’elle»,pensaElena.

Pourtant,Dieusaitàquelpointsonamielucideet

froidemettaitDamonmalàl’aise.Ilsportaientun

regardtrèsdifférentsurlemonde.Ellelegênait

commeuncailloudansunechaussure.Mais,pour

l’heure,ilpourraittrèsbiengérerlemalaiseet

transformerMeredithenvulgairecadavre.

—Jevaisallervoir,ditElenaenentendant

encorefrapperàlaporte.

Damonresserrasimplementsonétreinte.Elle

sentitunevaguedechaleur,conscientedufaitqu’il

secontenaitfarouchement.Ilnevoulaitpasla

broyer,orc’estcequisepasseraits’ilutilisaitun

dixièmedesaforce.

Bercéeparlessensationsqu’elleéprouvait,

Elena

ne

put

s’empêcher

de

fermer

momentanémentlesyeux,toutensachantqu’elle

devaitabsolumentleraisonner.

—Damon!Ilsessaientpeut-êtredenous

alerter…ouUlmaestpeut-êtremorte.

L’idéedemortlefitpercuter.Lesyeuxplissés,

levisagestriédetraînéespourpresetnoiressousla

lumièrerougesangquifiltraitàtraversles

persiennes,ilparaissaitplusbeau,plusdiabolique

quejamais.

—Restelà,dit-ilfroidement,sanschercherà

jouerlesmaîtresoulesgentlemen.

C’étaitunanimalsauvageprotégeantsa

femelle,laseulecréatureaumondequin’étaitni

unerivaleniuneproie.

Ilnefallaitpasdiscuteraveclui,pasdanscet

état.Elenanebougeraitpas;Damoniraitfairele

nécessaire,etelleattendraitaussilongtempsqu’ille

jugeraitutile.

Était-cevraimentellequipensaitcela?Elle

n’ensavaitrien.Damonetelleessayaientencorede

déchiffrerleursémotionsrespectives.Elledécidade

lesurveilleret,sijamaisilperdaitlecontrôle…

Crois-moi,mieuxvautquejeneleperdepas.

Levoirredevenirmaîtredeluidefaçonaussi

impassiblefutencorepluseffrayantquedecôtoyer

labêtesauvagequ’ilétaitquelquessecondesplus

tôt.Ellerabattitlespansdesoncorsagedéchiré,et

leregardas’éloigneravecunegrâcenaturelleversla

porteettirerviolemmentsurlapoignée.

Personnenes’écrouladerrière;personnene

semblaitécouterleurconversation.MaisMeredith

étaitlà,retenantBonnied’unemainets’apprêtantà

frapperdenouveauàlaportedel’autre.

—Quoi?lâchaDamond’untoncinglant.Je

croyaisvousavoirdit…

—Oui,saufencasde…

CouperlaparoleàDamonquandilétaitdans

cetétatétaituneformeinhabituelledetentativede

suicide.

—Encasdequoi?

—Ilyaunefouledehorsquimenacedemettre

lefeuàtoutlebâtiment.Jenesaispass’ilssont

contrariésparlamortdeDrohzneouparlefait

qu’onaitemmenéUlma,maisquelquechoselesa

rendusfurieuxetilsontdestorches.Jenevoulais

pasinterrompreles…soinsd’Elena,maisle

DrMeggarditqu’ilsnevoudrontpasl’écouter.

Parcequec’estunhumain.

—Ilétaitesclave,avant,ajoutaBonnieen

s’arrachantàlapoignedeMeredithquilaserrait

commeunétau.

Ellelevasesgrandsyeuxbrunshumidesvers

Damon,lesmainstendues.

—Iln’yaquetoiquipuissesnoussortirdelà!

s’écria-t-elle,traduisantàvoixhautecequeson

regardexprimait.

C’estdiresilasituationétaitgrave.

—Bon,jemecharged’eux.Occupez-vous

d’Elena.

—D’accord,mais…

—Non.

SoitlesangabsorbéavaitrenduDamon

complètementinsouciant,soitilavaitd’unecertaine

manièresurmontélacraintequeluiinspirait

Meredith.Ilposalesmainssursesépaules.Il

mesuraitàpeinecinqcentimètresdeplusqu’elle,

donciln’eutaucunmalàcaptersonattention.

—Occupe-toipersonnellementd’Elena.Chaque

minute,desdramesimprévisiblesetmortelsse

produisentici.Ilnedoitpasarriverquoiquecesoit

àElena.

Meredithl’observaunlongmomentet,pour

unefois,neconsultapasElenaduregardavantde

répondreàunequestionquilaconcernait:

—Jelaprotégerai,secontenta-t-ellede

répliqueràvoixbasse,quoiquetrèsdistinctement.

Àsaposture,àsonton,onpouvaitpresque

l’entendreajouterimplicitement«jusqu’àlamort».

Damonlalâcha,quittalapièceàgrandspaset,

sansunregardenarrière,disparutdelavue

d’Elena.Parcontre,savoixrésonnaitencoredanssa

tête,clairecommeducristal:Ilnet’arriverarien,

mêmesilasituationserévèlesansissue.Jet’en

donnemaparole.

Mêmesilasituationdevientsansissue?

Fantastique.

Elenaessayadereprendresesespritstandis

queMeredithetBonnielafixaientensilence.Elle

prituneprofondeinspiration,repensantuninstantà

l’époqueoù,quandl’uned’ellesrevenaitd’un

rendez-vousavecungarçonsupersexy,ellepouvait

s’attendreàunlongdébriefing.

MaisBonniefituneremarquetoutesimple:

—Tonvisage…çaal’aird’allerbeaucoup

mieux!

—Oui,acquiesçaElenaennouantlesdeuxpans

desoncorsagepourseconstituerunhautde

fortune.Maintenant,c’estmajambequipose

problème.Onn’apas…toutàfaitterminé.

Bonnies’apprêtaàrépondre,puisrefermala

bouched’unairrésolu,cequiétaitchezelleune

démonstrationdebravoure,semblableàla

promessequeMeredithavaitfaiteàDamon.

—Prendsmonfoulardetnoue-leautourdeta

jambe,dit-ellefinalement.Çapressuriseralaplaie.

—JecroisqueleDrMeggarafiniavecUlma.Il

vapouvoirt’examiner,ajoutaMeredith.

Dansl’autrepièce,ledocteurselavaitde

nouveaulesmainsenactionnantunegrandepompe

pourremplirlavasqued’eau.Ilyavaitunepilede

lingetachédesangetuneodeurqueledocteuravait

heureusementcamoufléeavecdesherbes.Etpuis,

surunlargefauteuilvisiblementconfortable,se

trouvaitunefemmequ’Elenaeutdumalà

reconnaître.

Biensûr,ellesavaitquelasouffranceet

l’épouvantepouvaienttransformerunepersonne,

maisellen’auraitjamaisimaginéàquelpointle

soulagementetlalibertépouvaientchangerautant

unvisage.Elleétaitvenueaccompagnéed’une

femmequiserecroquevillaitjusqu’àparaîtredela

tailled’unenfant,etdontlevisagemaigre,ravagéet

crispéparl’agonieetlacrainteperpétuelle

ressemblaitpresqueàunportraitdevieillesorcière

difforme.Sonteintétaitd’ungriscireux,ses

cheveuxfinsnesemblaientguèresuffireàlui

couvrirlecrâne,etpourtantilspendaientdevant

sesyeuxcommedelonguesalgues.C’étaitune

esclave,çacrevaitlesyeux:deschaînesautourde

sespoignetsàsespiedsnusetmarquésderouilleen

passantparsanuditéetsoncorpsbalafré.Elena

n’auraitmêmepaspudirelacouleurdesesyeux

tantilsluiavaientsembléaussigrisquelereste.

Àprésent,ellefaisaitfaceàunefemmeâgée

peut-êtred’unetrentained’années.Elleavaitun

visage

mince

et

séduisant,

avec

un

côté

aristocratique,rehausséd’unnezpatricien,dedeux

yeuxbrunsperçantsetdebeauxsourcils

semblablesàdesailesd’oiseaudéployées.Allongée

suruneottomane,lespiedsposéssurledossier,elle

brossaitlentementsescheveuxbruns,dontles

raresmèchesgrisesconféraientunetouchede

dignitéàlarobedechambrebleufoncé,toute

simple,qu’elleportait.Sonvisagerévélaitquelques

ridesquiluidonnaientducaractère,mais,par-

dessustout,ilsedégageaitd’elleunevivetendresse,

peut-êtreàcausedesonpetitventrearrondi,sur

lequelelleposaitmaintenantlamainavecdouceur.

Àcegeste,sonvisageresplenditettoutesa

silhouetterayonna.

Uninstant,Elenapensaqu’ils’agissaitdela

femmedudocteuroudelagouvernanteetfut

tentéededemandersiUlma,cettepauvreesclaveà

boutdeforces,avaitsuccombé.

Puiselleentrevitcequelamanchedesarobe

neparvenaitpasàmasquertoutàfait:une

menotteenfer.

Cette

mystérieuse

femme

au

visage

aristocratiqueétaitenfaitUlma.LeDrMeggar

avaitaccompliunmiracle.

Direqu’ilsedisaitsimpleguérisseur.Ilétait

toutaussicapabledecicatriserdesblessuresque

Damon.Personnen’auraitpuseremettredetous

lescoupsdefouetqu’Ulmaavaitreçussansl’aide

d’unepuissantemagie.Manifestement,lecorps

ensanglantéqu’Elenaluiavaitramenén’auraitpas

pusecontenterdesimplessutures,alorsledocteur

l’avaitsoignéeautrement.

N’ayantjamaisétéconfrontéeàunetelle

situation,Elenarepritlesbonnesmanièresqu’onlui

avaitinculquéesentantquejeunefilledeVirginie.

—Raviedefairevotreconnaissance,madame.

Jem’appelleElena,dit-elleentendantlamain.

Labrossetombasurlefauteuil.Lafemme

avançalesdeuxmainspourprendrecellesd’Elena

danslessiennesetsembladévorersonvisagedeses

yeuxperçants.

—Alorsc’estvous?

Sespetitspiedschaussésdepantoufles

oscillèrentsurledossierdel’ottomanepour

retoucherterre,etelles’agenouilladevantelle.

—Oh,non,jevousenprie,madame!Le

docteuradûvousdiredevousreposer.Ilvaut

mieuxquevousrestieztranquillementassisepour

lemoment.

—Maisc’estbienvous?

Pouruneraisonoupouruneautre,lafemme

semblaitavoirbesoind’uneconfirmation.Elenaétait

prêteàtoutpourl’apaiser.

—C’estmoi,dit-elle.Maintenant,ilfaut

vraimentvousrasseoir.

L’obéissanced’Ulmafutimmédiate,mêmesi

sesgestesétaientempreintsd’unelégèretéenjouée.

Elenan’eutpasdemalàcomprendrepourquoi,

aprèsseulementquelquesheuresd’esclavage:obéir

parchoixétaittotalementdifférentdufaitd’obéir

poursurvivre.

Ulmaserassitenouvrantgrandlesbrasvers

elle.

—Regardez-moi!Séraphine,déesse,Sentinelle,

quiquevoussoyez:regardez-moi!Aprèstrois

annéespasséesàvivrecommeunebête,jesuis

redevenuehumaine…grâceàvous!Vousêtes

arrivéecommeunangedelumièrepourvous

interposerentremoietlefouet.

Elleversaquelqueslarmes,apparemmentde

joie,puisexaminalevisaged’Elena,s’arrêtantsur

sapommettebalafrée.

—Mais…vousnepouvezpasêtreune

Sentinelle:leurspouvoirslesprotègentetelles

n’interviennentjamais.Entroisans,ellesn’ont

jamaisrienfaitpournous.J’aivutousmesamis,

esclaveseuxaussi,tombersoussonfouetetsarage.

Ellesecoualatête,visiblementincapablede

prononcerlenomdeDrohzne.

—Jesuistellement…vraimentdésolée,dit

Elena,quicherchaitsesmots.

Jetantunœildanssondos,ellevitqueBonnie

etMeredithétaienttoutaussiaffligées.

—Peuimporte,àprésent.Ilparaîtquevotre

compagnonl’atuéenpleinerue.

—C’estmoiquiluiaidit,précisafièrement

Lakshmi.

Elleétaitentréesansquepersonnela

remarque.

—Moncompagnon?bredouillaElena.Enfait,

cen’estpas…jeveuxdire,luietmoi,on…

—C’estnotremaître,lâchaMeredith.

UlmacontinuadefixerElenad’unairattendri.

—Touslesjours,jeprieraipourquevotreâme

s’élève.

Elenafutinterloquée.

—Lesâmespeuvents’éleverdanscetendroit?

—Biensûr.Grâceaurepentiretauxbonnes

actions,onpeutyparvenir,etlesprièresdesautres

sonttoujoursprisesenconsidération,jecrois.

«Vousneparlezvraimentpascommeune

esclave»,songeaElena.Elleessayadeleformuler

avectact,maiselleétaitdésorientéeetsajambelui

faisaithorriblementmal.

—Onnediraitpasque…enfait,vousne

correspondezpasàl’imagequejemefaisaisd’une

esclave,avoua-t-elle.Maisc’estpeut-êtremoiqui

suisidiote?

Denouvelleslarmesmontèrentauxyeux

d’Ulma.

—Oh,non!Jevousenprie,oubliezma

question.

—Pasdutout!Vousêtesbienlaseuleàqui

j’aimeraisracontermonhistoire.Sitoutefoisvous

souhaitezsavoircommentj’aiétéréduiteàcette

condition.

Ulmaattenditsonaccord;ilétaitclairque,pour

elle,lesdésirsd’Elenaétaientdesordres.

Cettedernièrejetaencoreuncoupd’œilàses

amies.Onn’entendaitplusuncridehors,etaucun

incendienesemblaits’êtredéclaréàproximité.

Heureusement,aumêmeinstant,leDrMeggar

réapparutdanslapièce.

—Alors,onfaitconnaissance?

Sessourcilss’agitaientdésormaisendésaccord:

unenhaut,l’autreenbas.Iltenaitlesrestesd’une

bouteilledeMagieNoiredanslamain.

—Oui,réponditElena.Maisjemedemandaissi

onneferaitpasmieuxd’évacuerleslieux.

Apparemment,ilyavaituneémeutedehors…

—Lecompagnond’Elenavaleurdonnerdufilà

retordre,commentaLakshmiavecmalice.Ilssont

touspartisauTemplepourdébattredesbiensde

Drohzne.Jepariequ’ilvaentabasserquelques-uns

etqu’ilseraderetourenunriendetemps!J’aurais

bienaiméêtreungarçonpourvoirça.

—Tuasétépluscourageusequetousles

hommesréunis:c’esttoiquinousasconduitsici,lui

ditElena.

PuiselleconsultaBonnieetMeredithduregard.

Àencroirel’enfant,l’émeutes’étaitdéplacée,et

Damonétaitunexpertpoursetirerdecegenrede

situations.Ilpourraitaussiavoirbesoindese

défouler,desedébarrasserdel’excédentd’énergie

queluiavaitprocuréelesangd’Elena.Uneémeute

luiferaitpeut-êtredubien,enfindecompte?

ElenasetournaversleDrMeggar.

—Pensez-vousquetoutirabienpourmon…

notremaître?

L’hommeremualessourcilsdehautenbas.

—Ilvasansdoutedevoirpayerleprixdusang

àlafamilledupèreDrohzne,maisilnedevraitpas

êtretropélevé.Ensuite,ilpourrafairecequ’ilveut

desbiensdecemonstre.Àmonavis,c’esticique

vousêtesleplusensécuritépourl’instant,loindu

Temple.

Commepourfairevaloirsonopinion,illeur

versaàchacuneunverredevindeMagieNoire.

—C’estpourlesnerfs,dit-ilenprenantune

gorgée.

Ulmaluiadressaunbeausourireréconfortant

tandisqu’ilfaisaitpasserleplateaudeverres.

—Merciàvous,docteur,etàvousaussi…Jene

vaispasvousennuyeravecmonhistoire…

—Si,s’ilvousplaît!Racontez-nous.

MaintenantquenisesamiesniDamonne

couraientaucundangerimmédiat,Elenaavaithâte

del’écouter.Lesautreshochèrentlatêteavec

enthousiasme.

Ulmarougitunpeu,puiscommençasansse

presser:

—JesuisnéesouslerègnedeKelemenII,

commença-t-elle.J’imaginequeçanevousditrien,

maisceuxquil’ontconnu,luietses…péchés

mignons,saventcequ’ilenest.J’aiétél’élèvedema

mère,quiétaitunestylistetrèsenvue.Monpère

étaituncréateurdebijouxpresqueaussiconnu

qu’elle.Ilsétaientpropriétairesd’undomaineaux

abordsdelavilleetilsavaienttoutàfaitlesmoyens

d’avoirunemaisonaussibellequecellesdenombre

deleursrichesclients,mêmes’ilsveillaientànepas

faireétalagedelavéritableampleurdeleurfortune.

Àl’époque,j’étaislajeuneladyUlma,etnonUlmala

vieillesorcière.Mesparentsonttoujoursfaitdeleur

mieuxpournepasm’exposer,pourmasécurité.

Mais…

«Ulma…LadyUlma»,songeaElena,avantde

prendreunegrandegorgéedevin.Sonregardavait

changé:sonpassédéfilaitdevantsesyeuxetelle

essayaitdenepascontrariersesauditeurs.Mais,au

momentoùElenaallaitluidemanderdes’arrêter,

aumoinsjusqu’àcequ’ellesesentemieux,Ulma

poursuivit:

—Endépitdetoutesleursprécautions…

quelqu’un…afiniparmevoiretaréclamémamain.

Cen’étaitpasDrohzne;iln’étaitqu’unfourreurde

l’Outreterre,etjel’aiconnuilyaseulementtrois

ans.C’étaitungénéral,undémonàlaréputation

effroyable,etmonpèrearefusésademande.Ils

nousontattaquésenpleinenuit.J’avaisquatorze

ansquandc’estarrivé.Etc’estainsiquejesuis

devenueuneesclave.

Elenaconstataqu’elleressentaitlapeine

d’Ulmacommesiellelavivaitdel’intérieur,en

directdesonesprit.«C’estpasvrai,ça

recommence»,sedit-elleenessayantvitede

canalisersespouvoirs.

—Riennevousobligeàparlerdeça,vous

savez.Uneautrefois,peut-être…

—Non,jeveuxtoutvousdire.Pourquevous

sachiezdequoivousm’avezlibérée.Etje

préféreraisneleraconterqu’unefois.Maissivous

nesouhaitezpasl’entendre…

Ellescontinuèrentenrivalisantdepolitesses.

—Non,non,jenevoulaispasvous

interrompre…Justevousdireàquelpointjesuis

tristepourvous.

Elenajetaunœilaudocteur,quil’attendait

patiemmentprèsdelatabled’examen,unebouteille

danslesmains.

—Parcontre,siçanevousennuiepas,

j’aimerais…fairesoignermajambe.

Elleétaitconsciented’avoirprononcélafindela

phrased’untonsceptique,quitrahissaitsacuriosité

vis-à-visdespouvoirsdudocteur.

IlfallutquelquesminutesàladyUlmapour

surmonterlechocetladétressed’avoirlaissésa

sauveuseattendre,maisfinalementElenagrimpa

surlatableetledocteurl’incitaàboirelecontenu

desabouteille,quiavaitungoûtdesiroppourla

touxàlacerise.Décidantqu’ellen’avaitrienà

perdreàtesterunanesthésiantversionRoyaume

desOmbres,surtoutsachantquelespointsde

sutureallaientsûrementêtredouloureux,elleprit

unegorgée.Aussitôt,elleeutl’impressionquela

piècetanguaitautourd’elle.D’ungeste,ellerefusa

l’offred’unesecondegorgée.

LeDrMeggarenlevaleslambeauxdufoulard

deBonnie,puiscommençaàdécouperlajambede

sonjeanàpartirdugenou.

—Dèsledébutj’aisuquevousétiezquelqu’un

debien,repritladyUlma.Jevaisnousépargnerles

détailspéniblesdemonesclavage.Peut-êtresuffit-il

dedirequejesuispasséed’unmaîtreàunautreau

fildesans,entombantchaquefoissurpire.Etpuis

unjour,pourplaisanter,quelqu’unadit:«Donnez-

laaupèreDrohzne,ill’userajusqu’àlamoelle,et

encore:sic’estpossible!»

—Bonsang!

Elenaespéraquetoutlemondeattribueraitson

criducœuraurécitetnonàladouleurquelui

infligeaitledocteurentamponnantsachairgonflée

àl’aided’unesolutionpiquante.«Damons’yprenait

beaucoupmieux,pensa-t-elle.Jenemerendaispas

comptedelachancequej’avais!»Elleessayadene

pasgrimacertandisqueleDrMeggarcommençaità

manipulersonaiguille,maiselleserradavantagela

maindeMeredith,aupointd’avoirpeurdelui

briserlesos.Mais,quandelleessayadese

détendre,cefutMeredithquil’étreignitencoreplus

fort.Salonguemainressemblaitpresqueàcelle

d’ungarçon,maisenplusdoux.Elenafutbien

contentedepouvoirlapresserautantqu’elle

voulait.

—Cesdernierstemps,mesforcesm’ont

abandonnée,ditladyUlmaàvoixbasse.J’aid’abord

penséquec’étaitce…

Là,

elle

eut

recours

à

une

formule

particulièrementbrutalepourdésignersonancien

maître.

—…quimeconduisaitàlamort.Etpuisj’ai

compriscequisepassaitréellement.

Toutàcoup,unéclattransformasonvisage,et

Elenadevinatoutdesuitecombienelleavaitdûêtre

belle,jeune.Belleaupointqu’undémonexigerait

d’enfairesonépouse.

—J’aicomprisqu’unenouvelleviepoussaiten

moietqueDrohznelatueraitàlamoindre

occasion…

Ellen’eutpasl’airderemarquerl’expressionde

stupeurmêléed’horreursurlevisagedestroisfilles.

Plusçaallait,plusElenaavaitlesentimentd’êtreen

pleincauchemaretd’avanceràtâtonsaubordd’un

gouffre.Et,tantqu’ellen’auraitpasretrouvéStefan,

elledevraitcontinuerdetraversercesténèbresen

évitantlescrevassesinvisiblesettraîtressesdu

RoyaumedesOmbres.Cetteallusionàl’horreur

symboliséeparungouffreluiétaitfamilière,mais

c’étaitlapremièrefoisqu’elleenprenaitvraiment

conscience.

—Vousêtesnouvellesici,jeunesfilles,ditlady

Ulma,brisantlesilencequis’étaitprolongé.Jene

voulaispasvouschoquer…

—Noussommesesclaves,réponditMeredithen

ramassantl’extrémitédesacorde.Jepenseque

plusnousensaurons,mieuxçasepassera.

—Votremaître…jen’aijamaisvuunepersonne

aussiempresséed’affronterlepèreDrohzne.

Beaucoup

de

gens

sifflaient

en

signe

de

mécontentementsursonpassage,maisc’étaitle

maximumdecequelaplupartosaientfaire.Alors

quevotremaître…

—Nousl’appelonsDamon,glissaBonnie.

Sontonpleindesous-entenduséchappa

complètementàladyUlma.

—MaîtreDamon…vouspensezqu’ilvoudrait

bienmegarder?Unefoisqu’ilaurapayéleprixdu

sangàlafamille,ilpourrafairesonchoixparmiles

biensdeDrohzne.Jesuisunedesseulesesclaves

qu’iln’apastuée.

L’espoirquiselutsursonvisageétaitpresque

troppénibleàregarder.

Àcetinstant,Elenas’aperçutqueDamonne

s’étaitpasmanifestédepuisunmoment.Combien

detempscesconcertationsallaient-elleslui

prendre?EllejetaunregardanxieuxàMeredith,

quidevinaexactementàquoiellepensait.Elle

secoualatêteavecimpuissance:mêmesielles

demandaientàLakshmidelesconduireauTemple,

queferaient-ellesaprès?

Elenaréprimaunegrimaceetsouritàlady

Ulma.

—Etsivousnousracontiezvotreenfance?

18.

Damonn’auraitpasimaginéqu’unvieilimbécile

sadique,quifouettaitunefemmejusqu’ausangcar

ellen’avaitpasétécapabledetirerunecharrette

destinéeàuncheval,puisseavoirdesamis.Et,en

effet,lepèreDrohznen’enavaitpeut-êtrejamais

eu.Maiscen’étaitpasleproblème.

Étrangement,samortnel’étaitpasnonplus.Le

meurtreétaituneaffairequotidienneici,etlefait

queDamonaitinitiéetgagnéunebagarren’avait

riendesurprenantpourleshabitantsdeces

dangereusesruelles.

Leproblèmerésidaitdanslefaitqu’ilaitfilé

avecuneesclave.Oupeut-êtrequeçaallaitplus

loin,etquelevéritableproblèmeétaitsafaçonde

traitersespropresesclaves.

Unefouleuniquementcomposéed’hommes

s’étaiteffectivementrassembléedevantlamaison

dudocteur,etilsétaientbeletbienarmésde

torches.

—Mauditvampire!Vampireencavale!

—Faites-lesortir,etquejusticesoitfaite!

—Réduisezcettemaisonencendress’ilnese

rendpas!

—LesAnciensexigentqu’onleuramène!

Legrondementdelafoulevidalesruesdesplus

bravespournelaisserquelescrapules,qui

traînaientsanstropsavoirquoifairedeleurpeauet

nedemandaientpasmieuxqued’endécoudre.Bien

entendu,laplupartétaienteux-mêmesdes

vampires.Desolidesgaillards,d’ailleurs,remarqua

Damonenlançantunsourireéblouissantaucercle

quiseresserraitautourdelui.Maistousignoraient

quelaviedetroishumainesdépendaitdelui,etque

l’uned’ellesétaitlejoyaudel’humanité.S’ilétait

réduitenmiettesàl’issuedececombat,leurvie

deviendraitunenfer,unedéchéancesansfin.

Néanmoins,sonbonsensnel’aidapasvraiment

às’imposersouslesmorsuresetlescoupsentous

genresqu’ilreçut:coupsdepied,coupsdetête,

coupsdepoingetmêmecoupsdepieu,legenre

capabledecouperunvampireenrondelles.Au

début,ilpensaitavoirunechance.Plusieurs

vampiresparmilesplusjeunesetlespluscostauds

furentvictimesdesesfrappesdecobraetdeses

brusquesrafalesd’énergie.Mais,tandisqu’ilbrisait

lecoud’undémonquivenaitdeluientaillerlebras

presquejusqu’aumuscleavecsesénormescornes,

Damonpritconscienceque,envérité,ilsétaient

tropnombreux.Unénormevampireapprocha,

visiblementenformeetdégageantuneauraquilui

levalecœur.Ilpritunboncoupdepiedenplein

visage,maisnerestapasàterretrèslongtemps.Il

sereleva,cramponnéàlajambedeDamonpour

permettreàdesvampirespluspetits,armésde

pieux,delefrapperetdeleparalyser.Undésarroi

violents’emparadeDamonquandilsentitses

jambessedérobersouslui.

—AlleztousrôtirenEnfer,maugréa-t-il,la

boucheensang.

Unautredémonàlapeaurougeluiassénaun

violentcoupdepoing.

«Jesuisvraimentmalbarré»,seditDamon

d’unairmorne,encontinuantdesebattreàcoups

depuissantessalvesdepouvoirpourenestropieret

entuerlepluspossible.Deplusenplusétourdi,il

eutl’impressionquetoutdevenaitirréelautourde

lui;pascommedanscerêveagitéqu’ilfaisait

d’Elena,oùellesemblaitêtreconstammenten

pleurs.Maisirréelcommedansuncauchemar.Ses

musclesn’étaientplusd’aucuneefficacité.Soncorps

étaitmeurtriet,alorsmêmequesesjambes

commençaientàcicatrisergrâceàcequiluirestait

depouvoir,unautrevampireluifituneentaille

profondedansledos.Ilavaitdeplusenplus

l’impressiondevivreuncauchemardanslequelilne

pouvait

pas

bouger,

excepté

au

ralenti.

Parallèlement,unepartdeluiluichuchotaitdejeter

l’éponge,denepluslutter,carbientôttoutserait

fini.

Finalement,laforcedunombreeutraisonde

lui,etunhommes’approcha,unpieuàlamain.

—Bondébarras!

Ilavaitunehaleinefétidequipuaitlesang

séché,unairmauvaisetdestraitshideux.Avecses

doigtsdelépreux,ilouvritlachemisedeDamon

pournepasfairedetroudanscettebellesoienoire.

Damonluicrachadessus,enéchangedequoiil

reçutunviolentcoupdepiedenpleinvisage.

Il

s’évanouit

quelques

secondes,

puis,

lentement,ladouleuretlebruitlefirentrevenirà

lui.

Lafoulejubilantedevampiresetdedémons

ivresdecruautéavaitimproviséunepetitedanse:

ilsfrappaientdupiedencadenceautourdeluiet

riaientàgorgedéployéetandisqu’ilsfaisaientmine

d’enfoncerdespieuximaginaires,avecun

enthousiasmedébridé.

Àcetinstant,Damoncrutsincèrementqu’il

allaitmourir.

Cetteprisedeconsciencefutunchoc,mêmes’il

savaitdepuisledébutquecemondeétaitbeaucoup

plusdangereuxqueceluiqu’ilavaitrécemment

quitté,etmêmesisurTerreilavaitplusd’unefois

réchappéàlamortdejustesse.Là,iln’avaitaucun

alliépuissantetaucunpointfaibleàexploiterchez

l’ennemi.Ilavaitl’impressionquelessecondes

s’étiraientàl’infini,setransformantenminutes

d’unevaleurinestimable.Qu’est-cequicomptaitle

plus?PrévenirElena…

—Aveuglez-led’abord!Faitescramercette

brindille!

—Jem’occupedesesoreilles!Quequelqu’un

m’aideàluitenirlatête!

PrévenirElena…Luidire…pardon…

Ilcapitulaalorsqu’unedernièrepenséeessayait

depercersonespritembrouillé.

—N’oubliezpasdeluiarracherlescrocs!J’ai

promisunnouveaucollieràmapetiteamie!

«Jepensaisêtrepréparé,pensalentement

Damon,chaquemotluivenantséparément.Mais

pas…sitôt.»

«Jepensaism’êtreréconcilié…maispasavecla

personnequicomptait…cellequicomptaitleplus.»

Stefan.

Sansprendreletempsderéfléchirdavantage,il

larguaclandestinementlapluspuissantesalvede

pouvoirqu’ilétaitàmêmederassemblerdanssa

confusion.Stefan,ilfautquetum’entendes!Elena

estlà…ellevienttelibérer!Ellepossèdedes

pouvoirsquemamortrisquedelibérer.Etjesuis

entrainde…

Quelqu’untrébuchaàproximité.Lesilence

tombasurlesfêtardscomplètementivres.

Quelques-unss’empressèrentd’inclinerlatêteou

dedétournerlesyeux.

Damons’immobilisa,curieuxdesavoircequi

pouvaitinterromprelafouleendélireaubeau

milieudesesfestivités.

Unhommesedirigeaitverslui.Lenouveau

venuavaitdelongscheveuxbronzequilui

tombaientjusqu’àlatailledansunenchevêtrement

demèchesindisciplinées.Ilétaittorsenu,exposant

uncorpsquelepluspuissantdesdémonsauraitpu

luienvier.Unbustequisemblaitavoirététaillé

dansunblocd’acierreluisant.Desbicepsetdes

abdosparfaitementsculptés…Iln’yavaitpasun

brindegrassursongrandcorpsdefélin.Ilportait

unpantalonnoirtoutsimple,maisquifaisait

ressortirsesjambesmuscléesàchaquepas.

Untatouagefrappant,quireprésentaitun

dragonnoirdévorantuncœur,luirecouvraittoute

lalongueurdubras.

Iln’étaitpasseul.Ilnetenaitaucunelaisse,

maisàsescôtéssetenaitunsuperbechiennoirau

regardétrangementintelligent,quisemettaitau

garde-à-vousd’unœilalertechaquefoisqueson

maîtres’arrêtait.Ildevaitpeserdanslescentkilos,

maisiln’avaitpasunpoildegraissenonplus.

Et,sursonépaule,lemystérieuxinconnu

arboraitunsuperbefaucon.

Contrairementàlaplupartdesoiseaux

prédateurs

lorsqu’ils

étaient

emmenés

en

expédition,celui-cin’étaitpaschaperonné.Iln’était

pasnonplusposésurunrembourragedequelque

sorte;ilagrippaitl’épaulenuedujeunehomme,

enfonçantsesserresavantdanssachairetfaisant

coulerdemincesfiletsdesangsursontorse.

Manifestement,sonmaîtreneremarquaitrien.Des

filetsdesangséchésimilairescôtoyaientlesrécents,

datantsansaucundoutedeprécédentesvirées.

Danssondos,unetraînéerougesolitairecoulait

d’uneseuleserre.

Unsilenceabsoluétaittombésurlafoule,etles

raresdémonsquisetrouvaientencoreentre

l’imposantjeunehommeetlasilhouetteensang

étendueàterres’écartèrentdesoncheminàtoute

vitesse.

Uninstant,l’hommeaucorpsdefélinresta

immobile.Sansdireunmot,sansfaireungesteni

émettrelamoindreondedepouvoir.Puisilfitsigne

auchien,quis’approchad’unpaslourdetfeutréde

Damonpourreniflersesbrasetsonvisage

ensanglantés.Damonvittoussespoilssedresser.

—Bonchien,dit-ild’untonrêveur,tandisque

latruffefraîcheethumideluichatouillaitlajoue.

Damonconnaissaitcetteracedechien,etil

savaitqu’ellenecorrespondaitpasaustéréotype

populairedugentiltoutou.Plusexactement,c’était

uncerbèrehabituéàsauteràlagorgedesvampires

etàlessecouerjusqu’àcequ’unjetdesangdedeux

mètresdehautgicledeleursartères.

Cegenredemolossepouvaitvousdonner

tellementdefilàretordrequ’àcôtédeçauncoupde

pieudanslecœurseraitpresqueunebénédiction,

songeaDamonenrestantparfaitementimmobile.

—Çasuffit!lançalejeunehommeauxcheveux

bronze.

Lechienreculadocilement,enfixantDamonde

sesprunellesnoiresetluisantes;Damonnelelâcha

pasduregardavantqu’ilnesesoitéloignéde

quelquesmètres.

L’hommejetaunbrefcoupd’œilàlafoule.

—

Laissez-le

tranquille,

lâcha-t-il,

sans

véhémenceparticulière.

Manifestement,lesvampiresn’eurentpas

besoindeselefairediredeuxfois;petitàpetit,ils

commencèrentàs’enaller.D’autress’attardèrentet

setrouvaientencoredanslesparageslorsque

l’inconnujetadenouveauunœilautourdelui.Mais,

partoutoùsonregardimpassibleseposa,les

regardssebaissèrentetdessilhouettesservilesse

figèrentenpleinélan,littéralementpétrifiées,dans

l’espoirdesefaireoublier.

Damonsedétenditsubitement.Sesforceslui

revenaientetluipermirentderafistolerquelques

plaies.Ils’aperçutquelechienpassaitd’unindividu

àunautreenlesreniflantavecintérêt.

Lorsqu’ilfutenmesuredereleverlatête,il

esquissaunfaiblesourire.

—Diable.Alorsc’esttoi?

Àsontour,l’hommeesquissaunsourire,mais

sansjoie.

—Tumeflattes,moncher.Regarde:jerougis.

—CebonvieuxSage.J’auraisdûmedouterque

tuseraisici.

—Ehoui,monchertyran,cenesontpasles

lieuxd’errancequimanquentdanscebasmonde.

Mêmesijesuiscondamnéàlasolitude.

—Oh,lemalheureux!Sortezlesviolons…

Brusquement,Damoncoupacourtàses

sarcasmes.Iln’yarrivaitplus.Peut-êtreparcequ’il

avait

passé

trop

de

temps

avec

Elena

dernièrement;oubienparcequecemondeabjectle

déprimaitprodigieusement.Ilrepritd’unton

totalementdifférent:

—Jen’auraisjamaispenséêtreaussi

reconnaissant.Sanslesavoir,tuassauvécinqvies.

Maiscommentas-tusu…

Sages’accroupitetleregardad’unair

préoccupé.

—Qu’est-cequis’estpassé?Qu’est-cequit’a

pris

avec

Drohzne

?

demanda-t-il

très

sérieusement.Tusais,lesnouvellesvontviteparici.

J’aientendudirequetuétaisarrivéavecun

harem…

—C’estvrai!chuchotaunevoixtapieaux

abordsdelarueoùl’embuscadeavaitététendueà

Damon.Prenezsesfillesenotages…torturez-les!

SagecroisafurtivementleregarddeDamon.

Visiblement,luiaussiavaitentendu.

—Sabre!souffla-t-ilauchien.Vachercher!

Ilredressabrusquementlementonendirection

duchuchotement.

Instantanément,lemolossenoirbonditen

avantet,avantmêmequeDamonaitletempsde

visualiserlascène,ilplantasescrocsdanslagorge

del’hommetapidansl’ombre,lefitbasculerd’un

coupàterre,cequiengendrauncraquement

caractéristique,etrevintd’unbondentraînantle

cadavreentresespattes.

Unebrusquerafaledepouvoiréclata,laissant

unephraseensuspensdanslesairs:Jevousavais

prévenus!

Damongrimaça.Effectivement,Sagelesavait

avertis;maispasdesconséquences.

Laisse-lestranquille,luietsesamis!

Damonenprofitapoursereleverdoucement,

nedemandantpasmieuxqued’accepterla

protectiondeSage.

—Ehbien,jepensequ’ilsnerecommenceront

pasdesitôt,dit-il.Sionrentraitboireleverrede

l’amitié?

Sageleregardacommes’ilétaitbrusquement

devenufou.

—Tuconnaislaréponseàcettequestion:non.

—Pourquoi?

—Parceque.

—Cen’estpasuneraison.

—Sijeneveuxpasallerboireceverreavectoi,

moncher…c’estparcequ’onn’estpasamis.

—Onapourtantmontédebellesarnaques

ensemble.

—Çadate!

D’ungestevif,Sagesaisitunedesmainsde

Damon.Elleavaitunevilaineentailleassez

profonde,queDamonn’avaitpasréussiàsoigner.

SousleregarddeSage,ellesereferma,lachair

repritsacouleurnaturelleetellecicatrisa.

Damonluilaissasamainuninstant,puis,sans

rudesse,laretira.

—Çanedatepastantqueça,murmura-t-il.

—Depuisladernièrefoisqu’ons’estvus?

Unsouriresarcastiqueseformasurleslèvres

deSage.

—Toietmoin’avonspasdutoutlamême

notiondutemps,chertyran.

Griséparsabonnehumeur,Damoninsista.

—Allez,rienqu’unverre?

—Avectonharem?

DamonessayadevisualiserMeredithetSage

ensemble,maissoncerveauserebiffa.

—Detoutefaçon,tut’esportégarantd’elles,

ajouta-t-ilavecindolence.Etenvéritéaucunene

m’appartient.Jet’endonnemaparole.

Ileutunpincementaucœurenpensantà

Elena:ilnementaitpas,aucuneneluiappartenait,

elleencoremoins.

—Garant?

Sageavaitl’airderéfléchiràvoixhaute.

—Dois-jecomprendrequetuaspromisdeles

protéger?Jetesuccéderaidanscettepromesse

uniquementsitumeurs.Etsiçaarrive…

Ileutungested’impuissance.

—TudevrasvivrepoursauverStefan,Elenaet

lesautres.

—Jetediraisbiennon,maisjesensqueçate

déplairait.Alorsjevaisaccepter…

—Et,situéchoues,jejurederevenirtehanter.

Sageleconsidérauninstant.

—Jecroisqu’onn’ajamaiseuunéchecàme

reprocherjusqu’ici,répondit-il.Mais,bienentendu,

c’étaitavantquejedevienneunvampire.

Larencontreentrele«harem»etSage

promettaitd’êtreintéressante,songeaDamon.Du

moins…tantquelesfillesnesauraientpasquiil

étaitréellement.Avecunpeudechance,personne

nevendraitlamèche.

19.

Elenaavaitrarementétéaussisoulagéeque

lorsqu’elleentenditDamonfrapperàlaportedu

DrMeggar.

—Qu’est-cequis’estpasséauTemple?le

questionna-t-elled’emblée.

—Jen’ysuisjamaisarrivé.

Damonluiracontal’embuscadependantqueles

autresétudiaientSageàladérobée,avecplusou

moinsd’assentiment,degratitude,oucarrémentde

désir.Elenasefitlaremarqueque,chaquefois

qu’elleavaitbutropdevindeMagieNoire,ellese

sentaitprêteàs’évanouir,alorsqu’àl’inverseelle

étaitsûrequecetélixiravaitaidéDamonàsurvivre

àl’assautcollectif,quiauraitpusinonletuer.

Àleurtour,ellesluiracontèrentensubstance

l’histoiredeladyUlma.Àlafindurécit,lafemme

étaitlivideetbouleversée.

—J’espèrevraiment,dit-elletimidementà

Damon,que,lorsquevoushériterezdesbiensde

Drohzne…

Elles’interrompit,lagorgenouée.

—…vousdéciderezdemegarder.J’ai

consciencequelesesclavesquevousavezamenées

sontjeunesetbelles…maisjepeuxmerendretrès

utilepourlestravauxd’aiguilleouautres.Iln’ya

quemondosquiaperdusavigueur,pasmes

mains…

Damonneréagitpastoutdesuite.Puisilse

dirigeaversElena,quisetrouvaitêtrelaplusprès.

Iltenditlebras,défitlederniernœudàlacordequi

pendaitàsonpoignetetlalançadetoutessesforces

àtraverslapièce.Ellefouettal’airensetortillant

commeunserpent.

—Pourmapart,vousêtestouteslibres.Vous

n’avezqu’àm’imiter:jetezvoscordes!

—OK,maisonvaéviterdetoutcasser,

commentaMeredithenjetantunœilauDrMeggar.

Ellevitlessourcilsdel’hommes’entrechoquer

enregardantlesnombreuxetfragilesflaconsde

verrealignéslelongdesmurs.Toutefois,Bonnieet

elleneperdirentpasdetempsàsedéfairedes

derniersboutsdecordequipendillaientencoreà

leurspoignets.

—J’aipeurdenepaspouvoir…,ditladyUlma.

Elleremontasamanchepourleurmontrerles

menottesenfersoudées.Ellesemblaitdans

l’impossibilitéd’obéiraupremierordredeson

nouveaumaître.

—Unpeudefraîcheur,çavousennuie?

demandaDamon.Ilmeresteassezdepouvoirpour

lescongeleretlespulvériser.

LadyUlmaétouffaunhalètement.Elenan’avait

jamaisentenduautantdedésespoirréunidansunsi

petitcri.

—Jeseraiscapabledepasseruneannéeentière

avecdelaneigejusqu’aucoupourmedébarrasser

deceshorreurs,répondit-elle.

Damonposalesmainsdechaquecôtéd’une

menotteetElenasentitunemontéedepouvoir

émanerdelui.Uncraquementsecsefitentendre,

puisilécartalesmainsentenantdeuxmorceaux

distinctsdemétal.

Ilfitdemêmeavecl’autremenotte.

FaceauregarddeladyUlma,Elenaressentit

davantaged’humilitéquedefierté.C’étaitla

premièrefoisqu’ellesauvaitunefemmed’une

terribledéchéance.Maiscombienenrestait-ildans

cecas?Ellenelesauraitjamaiset,quandbien

même,ellenepourraitpastouteslessauver.Pas

dansl’étatactueldesonpouvoir.

—JepensequeladyUlmadevraitvraimentse

reposer,suggéraBonnieensefrottantlefrontsous

unecascadedebouclesrousses.Ettoiaussi,Elena.

Situvoyaislenombredepointsdesuturequ’ellea

eussurlajambe,Damon!Aufait,qu’est-cequ’on

faitmaintenant?Onchercheunhôtel?

—Profitezdemamaison,proposaleDrMeggar,

unsourcilenhaut,l’autreenbas.

Manifestement,ils’étaitlaisséempêtrerdans

cettehistoire,emportéparsapuissance,sabeauté…

etsacruauté.

—Toutcequejevousdemande,c’estdenerien

casser,et,sivousvoyezunegrenouille,ne

l’embrassezpasmaisnelatuezpasnonplus.Vous

trouverezplusieurscouvertures,deschaisesetdes

lits.

Ilrefusadeprendreunseulmaillondelachaîne

enorqueDamonluitenditcommemonnaie

d’échange.

—Enprincipe,je…jedevraisvousaideràvous

préparerpourlecoucher,murmuraladyUlmaà

Meredith.

—Vousêteslaplusblessée;vousdevriez

surtoutavoirlemeilleurlit,répondittranquillement

lajeunefille.C’estnousquiallonsvousaideràvous

mettreaulit.

—Lelitleplusconfortable…çadoitêtrecelui

quiestdansl’anciennechambredemafille,ditle

docteur.

Iltripotamaladroitementuntrousseaudeclés.

—Elleaépouséunporteur;sondépartaétéun

vraidéchirement.Etcettejeunedemoiselle,

MissElena,peutprendrel’anciennechambre

nuptiale.

L’espaced’uneminute,lecœurd’Elenafut

tiraillépardesémotionscontradictoires.Elleavait

peur(aucundoute,c’étaitbiencequ’elleressentait),

peurqueDamonnelaprennedeforcedanssesbras

pourl’emporterdanslasuitenuptiale.D’unautre

côté…

Àcemoment-là,Lakshmilevalatêteetla

regardad’unairembarrassé.

—Vousvoulezquejeparte,maintenant?

—Tusaisoùdormir?

—Danslarue,jepense.Engénéral,jedorsdans

untonneau.

—Alorsviensavecmoi;unlitnuptial,c’est

sûrementassezgrandpourdeux.Tuesdesnôtres,

désormais.

Lakshmilaregarda,àlafoisabasourdieet

follementreconnaissante;pasdeluifournirunlitoù

dormir,

mais

d’avoir

affirmé

qu’elle

était

maintenantl’unedesleurs.Elenadevinaquejamais

ellen’avaitfaitpartied’aucungroupe.

***

Toutfutcalmejusqu’ausemblantd’aube,le

«lendemain»,pourparlercommeleshabitantsde

laville,bienquelaluminositéducieln’eûtpas

changédelanuit.

Cettefois,c’étaitunefouledifférentequis’était

rassembléedevantlecabinetduDrMeggar.Elle

étaitprincipalementcomposéedevieillardsvêtusde

robeséliméesmaispropres,etilyavaitaussi

quelquesvieillesdames.Entêtedecortègesetenait

unhommeauxcheveuxargentésquisemblait

étrangementdigne.

Damon,avecl’appuideSage,sortitleurparler.

***

Elenaétaithabilléemaisellen’étaitpasencore

descendue,profitantducalmedelasuitenuptiale

pourécrire.

CherJournal,

J’aivraimentbesoind’aide!Stefan,j’aibesoin

detoi!J’aibesoinquetumepardonnes.Quetu

m’aidesàresterlucide.Tropdetempspasséavec

Damonetvoilàlerésultat:jesuisdevenuehyper

émotiveetjemesensparfoisprêteàletuerouà

le…ouà…jenesaispas.JE-NE-SAIS-PAS!Luiet

moi,onestcommel’huileetlefeu…commede

l’essenceetunlance-flammes!Jet’enprie,

entends-moi,aide-moietsauve-moi…demoi-

même.Chaquefoisqu’ilprononceneserait-ceque

monnom…

—Elena?

Lavoixdanssondoslafitsursauter.Elle

refermabrusquementsonjournaletseretourna.

—Oui,Damon?

—Commenttutesens?

—Oh,super.Toutvabien.Mêmemajambe

va…bref,jesuiscomplètementremise.Ettoi?

—Çavaplutôtbien,dansl’ensemble,répondit-

ilensouriant.

C’étaitunvraisourire,pasunrictustorduou

unetentativedemanipulation.C’étaitunsimple

sourire,quoiqu’unpeutristeetinquiet.

Surlemoment,ellenefitpasvraiment

attentionàcettetristesse;çaluirevintplustard.

Pourl’heure,elleavaitl’impressiond’êtrelégère

commel’air;l’impressionque,siellelâchaitprise,

ellepourraitseretrouveràdeskilomètresdansle

cielsansquepersonneaitletempsdelarattraper…

Àdeskilomètres,peut-êtreaussiloinqueleslunes

decetendroitinsensé.

Elleréussitàluifaireunpetitsouriremal

assuré.

—Tantmieux.

—Jevoulaisteparler,ditDamon.Maisavant…

Enunclaquementdedoigtsoupresque,ellese

retrouvadanssesbras.

—Damon,çanepeutpascontinuer…

Elleessayades’écarterdoucement.

—Onnepeutpascontinuercommeça,tule

sais.

Ilnelalâchapas.Quelquechosedanssafaçon

delatenirlaterrifiaitd’uncôtéetluidonnaitenvie

depleurerdejoiedel’autre.Elles’efforçade

contenirseslarmes.

—Cen’estrien,ditDamonàvoixbasse.Vas-y,

pleure…carlasituationvasecompliquer.

Cettefois,cefutsonintonationquiluifitpeur.

Cen’étaitpaslacrainteàmoitiéeuphoriquequ’elle

avaitressentieuneminuteplustôt,maisunepeur

viscérale.

«Ilestinquiet»,comprit-ellesubitement,tout

étonnée.ElleavaitdéjàvuDamonfâché,

mélancolique,froid,narquois,séducteur,etmême

soumisethonteux,maisinquiet,jamais.Ellearrivait

àpeineàintégrercetteidée.Damons’inquiétait…

pourelle.

—C’estàcausedecequej’aifaithier,supposa-

t-elle.Ilsvontmetuer?

Ellefutlapremièresurpriseparlecalmedesa

voix.Ellen’éprouvaitrien,exceptéunvaguechagrin

etledésird’apaiserlescraintesdeDamon.

—Sûrementpas!

Illafixaenlatenantàboutdebras.

—Dumoinspasavantdenousavoirtués,Sage

etmoi,etàmonavistouteslespersonnesprésentes

danscettemaison.

Ils’interrompit,commes’ilétaitàboutde

souffle,cequiétaitimpossiblepourunvampire.«Il

essaiedegagnerdutemps»,comprit-elle.

—Maisilsveulentmamort,n’est-cepas?

Elleignoraitpourquoielleenétaitaussi

certaine.Peut-êtrequ’ellelisaitdanssespensées

sanslevouloir.

—Ilsontlancé…desmenaces,admitlentement

Damon.Maiscen’estpasvraimentàcausedupère

Drohzne.Jesupposequ’ilyadesmeurtrestousles

joursici,etlevainqueurrafletout.Mais,

apparemment,lanouvelledetabravoureacirculé

pendantlanuit.Desesclavesdansdesdomaines

voisinsrefusentd’obéiràleurmaître.Toutun

quartierdelavilleestenébullition…etilsontpeur

decequiarriverasid’autressecteurssontmisau

courant.Ilfautagirvite,sinonleRoyaumedes

Ombresrisqued’explosercommeunebombe.

Elenadevinaquec’étaitplusoumoinsle

discoursqueluiavaittenulafoulequisetrouvait

devantchezleDrMeggar,cematin-là.Euxaussi

avaientpeur.

«Çapourraitêtreledébutd’unchangement

crucial,songeaElena,oubliantsubitementses

propressoucis.Mêmelamortneseraitpastrop

cherpayépourlibérercesmalheureuxdeleurs

maîtresdémoniaques.»

—C’esthorsdequestion!s’exclamaDamon.

Comprenantqu’elleavaitdûprojeterses

pensées,elleperçutunevéritableangoissedanssa

voix.

—Sionétaitorganisés,sionavaitdesleaders

capablesderestericietsuperviserunerévolution,

sitoutefoisonentrouvaitquiaientlesépaulesassez

solides,alorsilyauraitpeut-êtreunechance.Mais,

enattendant,partoutoùlanouvelles’estrépandue,

lesesclavessontpunis.Ilssonttorturésettuéssur

simpleprésomptiondesolidaritéenverstoi.Ilssont

punispourl’exemple.Etçanevaqu’empirer!

Lesespoirsd’Elena,quis’emballaitdéjààl’idée

de

pouvoir

changercemonde,s’effondrèrent

brusquement.EllefixaDamonavechorreur.

—Ilfautabsolumentqu’onarrêteça.Mêmesi

çadoitnouscoûterlavie…

Damonlaserracontrelui.

—Toi…BonnieetMeredith.

Savoixsemblaitenrouée.

—Pleindegensvousontvuesensemble.

Maintenant,ilsvousconsidèrenttouteslestrois

commedesfauteusesdetroubles.

Elenasentitsonsangseglacer.Siunincident

d’unetelleinsolencerestaitimpunietsilebruitse

répandait…l’histoires’enjoliveraitchaquefois

qu’elleseraitracontée…

—Onestdevenuescélèbresdujourau

lendemain.Demainonseradeslégendes,murmura-

t-elle.

Mentalement,

elle

visualisa

un

domino

basculantsurunautre,puissurunautre,etainside

suitejusqu’àcequ’unelonguechaînesesoit

effondréeenépelantunmot:héroïne.

Maisellen’avaitaucuneenvied’êtreune

héroïne!ElleétaitvenueicipourramenerStefan,

c’esttout.Autantellepourraitdonnersaviepour

quelesesclavesnesoientplustorturésettués,

autantelleseraitcapabledemeurtresiquelqu’un

touchaitàuncheveudeBonnieoudeMeredith.

—Ilséprouventlamêmechoseàtonégard,dit

Damon.

Ildurcitlesbrascommes’ilessayaitdela

bloquer.

—Unejeunefilledunomd’Helenaaétébattue

etpenduecematinparcequ’elles’appelaitcomme

toi.Elleavaitquinzeans.

Lesjambesd’Elenasedérobèrent,commebien

souventquandelleétaitdanslesbrasdeDamon…

maisjamaispourcetteraison.Ilaccompagnason

mouvement;ilvalaitmieuxavoircettediscussion

assisparterre,surleplanchernu.

—Cen’estpastafaute,Elena!Tuescommetu

es.C’estcommeçaquelesgenst’aiment!

Soncœurbattaittrèsfort.Leschosesallaient

déjàmal…etellen’avaitfaitquelesaggraver.Faute

d’avoirréfléchi.Fauted’avoirimaginéquesavie

n’étaitpaslaseuleenjeu.Etparcequ’elleavaitagi

avantd’évaluerlesconséquencesdesesactes.

Pourtant,sic’étaitàrefaire,ellen’hésiterait

pas.Oualors…«Enyperdantl’honneur,pensa-t-

elle.J’auraisagiplusoumoinsdelamêmefaçon.Si

j’avaissuquejemettraislaviedetousceuxque

j’aimeendanger,j’auraissuppliéDamondeconclure

unmarchéaveccebourreaud’esclavesminable.

D’acheterladyUlmaàunprixexorbitant…Sion

avaiteul’argent.S’ilm’avaitécoutée…Siunénième

coupdefouetnel’avaitpas…»

Brusquement,sespenséessedurcirent.

Cequiestfaitestfait.

Ça,c’estlepassé.

Là,c’estleprésent.

Accepte-le.

—Qu’est-cequ’onpeutfaire?

ElleessayadesedégageretdesecouerDamon;

elleétaitvraimentàcran.

—Ondoitpouvoirfairequelquechose!Ilsne

peuventpastuerBonnieetMeredith…etStefanva

mourirsijeneleretrouvepas!

Damonsecontentadelaserrerplusfort.Ellese

renditcomptequ’ils’étaitblindépourl’empêcherde

liredanssespensées.Çapouvaitêtrebonou

mauvaissigne.Çasignifiaitsoitqu’unesolution

existaitmaisqu’ilétaitpeudisposéàlalui

soumettre,soitquelamortdestroisrebellesétaitla

seuleissuequelesdirigeantsdelaville

accepteraient.

—Damon?

Illatenaitbeaucouptropfermementpourlui

permettrelemoindremouvement,siprèsqu’Elena

nepouvaitmêmepasleregarderdanslesyeux.

Cependant,ellevisualisamentalementsonvisageet

essayades’adresseràluidirectement,parla

pensée.

Damon,sionpeutfairequelquechose…s’ilya

lemoindreespoirdesauverBonnieetMeredith…il

fautquetumeledises.Illefaut,tuentends?C’est

unordre!

Aucunn’étaitd’humeuràrireoumêmeà

remarquerquec’étaitl’esclavequidonnaitdes

ordresaumaître.MaisElenafinitparentendresa

réponse.

Ilsdisentquesijet’amènechezlefrèrede

Drohzneaujourd’huietquetut’excuses,tupourras

êtregraciéeetrecevoirseulementsixcoupsdeça.

Sortiedenullepart,unebaguettedeboisblanc

apparutdanssamain.«Dufrêne,sansdoute»,

pensaElena,surprised’avoirretrouvésoncalme.

C’étaitlaseulematièrequifûtaussiefficacesurles

humainsquesurlesvampires,mêmesurles

Anciens,etnuldoutequ’ilentraînaitquelques-uns

danslesparages.

Maislechâtimentdoitêtreexécutéenpublic

pourquedesrumeursinversessoientpropagées.

Ilspensentqueçacouperacourtàlarévoltesila

première

personne

à

avoir

fait

acte

de

désobéissance,toienl’occurrence,reconnaît

finalementsonstatutd’esclave.

LespenséesdeDamonétaientaccablantes,etle

cœurd’Elenaaccablé.Combiendesesprincipes

trahirait-ellesielleacceptait?Combiend’esclaves

condamnerait-elleàlaservitudeéternelle?

Soudain,Damons’emporta.

Onn’estpasvenusicipourréformerle

RoyaumedesOmbres!luirappela-t-ilsurunton

quilafitgrimacer.Illasecoualégèrement.Onest

venuschercherStefan,tutesouviens?Inutilede

direqu’onn’auraaucunechancedelerécupérersi

onessaiedejouerlesSpartacusetsiondéclenche

uneguerrequ’onsaitpertinemmentperdue

d’avance.MêmelesSentinellesnepeuventrieny

faire.

Elenaeutsoudainunflash.

—Maisbiensûr.Pourquoijen’yaipaspensé

avant?

—Penséàquoi?s’étonnaDamond’unair

abattu.

—Onnevapasmenercetteguerre…toutde

suite.Jenemaîtrisemêmepasmespouvoirsde

base,etencoremoinsceuxdemesAiles.Maisau

moins,lejourJ,ilsneverrontrienvenir.

—Elena?Allô?

—Onreviendra!expliqua-t-elleavecfièvre,

sansl’écouter.Onreviendraquandj’auraila

maîtrisetotaledemespouvoirs.Etonviendraen

force,avecdesalliéssolides,qu’ontrouverasur

Terre.Çaprendrapeut-êtredesannées,maisun

jouronreviendraterminercequ’onacommencé.

Damonladévisageaitcommesielleétait

complètementdingue,maispeuimportait.Ellese

sentaitgalvaniséeparl’énergiequicirculaitenelle.

Elletiendraitcettepromessequoiqu’illuiencoûte!

Damonravalanerveusementsasalive.

—

On

pourrait…

revenir

au

présent,

maintenant?

Danslemille.

Leprésent.Maintenant.

—Oui,oui,biensûr.

Elleregardalabaguettedefrêneavecmépris.

—Jevaislefaire,Damon.Jerefuseque

quelqu’und’autresoitblesséàcausedemoitant

quejenesuispasprêtepourlaguerre.Jefais

confianceauDrMeggarpourmesoigner…s’il

m’autoriseàrevenirlevoir.

—Honnêtement,jen’ensaisrien,répondit

Damonensoutenantsonregard.Parcontre,jesais

unechose:tunesentirasrien,jetelepromets.

Sesgrandsyeuxnoirss’agrandirent.

—Jeveilleraiàévacuertouteladouleur.Et,

demain,tun’aurasplusunemarquesurlecorps.

Mais…

Ilterminapluslentement:

—Tudevrast’agenouillerdevantmoipour

demanderpardon,àtonmaîtreetàcetteordure,ce

vieuxdébauché,cetinfâme…

Emportédanssesimprécations,Damonse

remitàparlerenitalien.

—Pardonàqui?

—Auchefdusecteur,etpeut-êtreaussiau

jeuneDrohzne,lefrèredupèreDrohzne.

—Trèsbien.Dis-leurquejedemanderaipardon

àtouslesDrohznequ’ilsveulent.Vas-ytoutde

suite,qu’onneloupepascetteoccasion.

LafaçondontDamonlaregardaneluiéchappa

pas,maisElenaétaittropplongéedanssespensées

pourrelever.SiMeredithouBonnieétaientàsa

place,est-cequ’elleleslaisseraitfaire?Non.Etsi

c’étaitCarolineetsielleavaitunquelconquemoyen

demettreuntermeàtoutça?Nonplus.Non,non

etnon.Sonhostilitéenverslabrutalitéàl’encontre

desfemmesavaittoujoursétéextrêmementforte.

Et,depuissonretourdel’Au-delà,elleétait

particulièrementlucidesurlefaitque,partoutdans

lemonde,lesfemmesétaientdescitoyennesde

secondezone.Aujourd’hui,unechoseétaitclaire

pourelle:sionl’avaitrenvoyéesurTerreavecun

but,ceseraitceluid’aideràlibérerdesfemmeset

desenfantsdecetesclavagedontbonnombre

n’avaientmêmepasconscience.

Maisilnes’agissaitpasuniquementd’unmaître

vicieuxetd’unpeupleoppresséetsansvisage.Il

s’agissaitdeprotégerladyUlmaetsonbébé…etil

s’agissaitdeStefan.Siellecédait,elleneserait

qu’uneesclaveeffrontéeayantseméletrouble,mais

quelesautoritésallaientviteremettreenplace.

Enmêmetemps,siquelqu’unavaitleurtroupe

àl’œil…sionserendaitcomptequ’ilsétaientici

pourlibérerStefan…siElenaétaitcelleparquile

calmerevenait…

Imaginezqu’ilsemmènentStefandansune

celluleencoreplusinaccessibleetqu’ilsse

débarrassentdelaclé?

Uneséried’imagesenflammèrentsonesprit,

desimagesluimontrantdequellefaçonStefan

pourraitêtrepuni,emmenéetperduàjamais,sicet

incidentprenaitdesproportionsexcessives.

Non,

elle

n’abandonnerait

pas

Stefan

maintenantpourmeneruneguerreperdue

d’avance.Maisellen’oublieraitriennonplus.

«Jereviendraitousvouschercher,sepromit-

elle.Etalorsledénouementdel’histoiresera

différent.»

Elles’aperçutqueDamonn’étaittoujourspas

parti.Ill’observaitavecdesyeuxaussiperçantsque

ceuxd’unfaucon.

—Ilsm’ontenvoyétechercher,dit-il

calmement.Poureux,iln’ajamaisétéquestionque

turefuses.

Ressentantsafureurcontreeux,Elenaluiprit

lamainetlaserra.

—Unjour,jereviendraiavectoipources

esclaves,dit-il.Tulesais,n’est-cepas?

—Oui.

Lebaiserfurtifqu’elleluidonnaseprolongea.

Ellen’avaitpastropcompriscequ’ilavaitraconté

surlasuppressiondeladouleur,etelleestimait

avoiraumoinsledroitàunbaiserétantdonnéce

qu’elleétaitsurlepointdesubir.Damonluicaressa

lescheveuxetletempss’arrêta…jusqu’àceque

Meredithfrappeàlaporte.

L’auberougesangavaitrevêtuunaspect

étrange,presqueonirique,quandElenafutamenée

surunetribuneenpleinairoùlesseigneursen

chargedusecteurétaientinstalléssurdespilesde

coussinsjadisraffinésmaisaujourd’huiélimés.Ilsse

passaientdemainenmaindesbouteillesetdes

outresornéesdepierreries,rempliesdevinde

MagieNoire,etfumaientlenarguiléencrachant

parfoisdansdesrecoinsplussombresquetout.

Toutçasanssesoucierdelafouledesans-abriqui

avaientétébêtementattirésparlarumeurde

châtimentpublicd’unesuperbehumaine.

Elenaconnaissaitsonrôleparcœur.Ellefut

emmenéeaupas,bâillonnéeetlespoignets

menottés,devantceshommesdepouvoirqui

crachaientàtout-va.LejeuneDrohznetrônaitavec

unecertainegênesurunebanquettedorée,et

Damonsetenaitentreluietleschefs,l’airtendu.

Elleauraitbienététentéed’improviser,commelors

duspectacledefind’annéeaucollège,quandelle

avaitjetéunpotdefleursàlatêtedePetrucchioet

faituntabacdansladernièrescènedeLaMégère

apprivoisée.

Maislà,l’affaireétaitonnepeutplussérieuse.

LalibertédeStefan,deBonnieetdeMeredithen

dépendaitpeut-être.Elenatournasalanguedanssa

bouche,quiétaitabsolumentsèche.

Curieusement,encroisantleregarddeDamon,

quitenaitl’armedusupplice,ellesesentit

transcendée.Onauraitditqu’ill’exhortaitau

courageetàl’indifférence,sansmêmeseservirde

latélépathie.Ellesedemandasilui-mêmeavaitdéjà

étéconfrontéàunetellesituation.

Unmembredesonescorteluidonnauncoupde

piedenguisederappelàl’ordre.

LeDrMeggarluiavaitprêtéuncostume

«approprié»,trouvédansl’armoiredélaisséedesa

fillemariée.C’étaitunelonguetunique,couleur

perleenintérieurmaisvirantaumauvesous

l’éternelsoleilpourpre.Et,détailquiavaitson

importance:sanslecaracoensoiequiallaitavec,la

tuniqueformaitundécolletéplongeantàl’arrière,

jusqu’aubasdesreins,laissantledosd’Elena

complètementdénudé.Conformémentàlatradition,

elles’agenouilladevantlesAnciensetinclinalatête

jusqu’àposerlefrontsuruntapistrèsornémais

trèssaleposéàleurspieds,quelquesmarchesplus

bas.L’und’euxluicrachadessus.

Dans

l’assistance,

les

réactions

furent

immédiates:bavardagesapprobateursetanimés,

grivoiseriesetlancersdeprojectiles–surtoutdes

détritus.Lesfruitsétaientunedenréetroprareici

pourêtregaspillée.Cequin’étaitpaslecasdes

excrémentsséchés,etElenasentitlespremières

larmesmonterencomprenantdequoionétaiten

traindelabombarder.

«Courageetindifférence»,sedit-elle,sans

mêmeoserjeteruncoupd’œilfurtifàDamon.

Peudetempsaprès,quandilfutestiméquela

fouleavaiteularécréationqu’elleméritait,undes

Anciens,fumeurdenarguilé,seleva.Illutàvoix

hauteletexted’unlongparcheminfroissédont

Elenanecompritpasuntraîtremot.Çasemblait

interminable.Àgenoux,facecontreterresurle

tapispoussiéreux,elleavaitl’impressiond’étouffer.

Finalement,leparcheminfutreposéet,àson

tour,lejeuneDrohzneseleva.D’unevoixaiguë,

presque

hystérique,

et

dans

un

langage

extravagant,ilracontaalorsl’histoired’uneesclave

quis’étaitrévoltéecontresonpropremaîtrepour

échapperàsonemprise,puisquis’étaitattaquéeau

chefdelafamilleetàsesmaigresressources,à

savoirsacharretteetsonincapabled’esclave,

paresseuseeteffrontée,etenfindequellefaçontout

celaavaitoccasionnélamortdesonfrère.À

l’entendre,Elenaeutd’abordl’impressionqu’il

rejetaittoutelaresponsabilitédel’incidentsurlady

Ulmaparcequ’elles’étaitécrouléesoussacharge.

—Voussaveztousàquelgenred’esclavejefais

allusion:celle-cineseseraitmêmepasfatiguéeà

chasserunemouchedanssonœil!hurla-t-ilen

interpellantlafoule.

Cettedernièreréponditpardenouvelles

insulteset,àdéfautdepouvoirlefairesurlady

Ulma,sedéfoulaencoresurElenaàcoupsde

projectiles.

Pourfinir,lejeuneDrohzneexpliquadequelle

façoncettedévergondéeinsolente,quiportaitle

pantaloncommeunhomme,avaitrelevél’esclave

bonneàriendesonfrèreetl’avaitportéedansses

bras(«toutçaàmoitouteseule?»s’étonnaElena

avecironie)pourl’emmenerdanslamaisond’un

guérisseurtrèssuspect,quirefusaitàprésentdelui

rendrel’esclave.

—Quandj’aiapprisça,j’aicomprisquejene

reverraisjamaismonfrèrenisonesclave…

Dèsledébut,ilavaitadoptéuntonplaintif,qu’il

avaitbizarrementréussiàgardertoutaulongdu

récit.

—Sicetteesclaveétaitsiparesseuse,estimez-

vousheureuxd’enêtredébarrassé!lançaun

plaisantin.

—Néanmoins…,ditsubitementunhomme

corpulent.

Enentendantsavoix,Elenapensatoutdesuite

àcelled’AlfredHitchcock:undébitlugubreetla

mêmefaçondes’interrompreavantlesmots

importants,quicontribuaientàrendrel’atmosphère

plussinistreetlasituationencoreplussérieuse.

Elenadevinaqu’iln’étaitpasn’importequi.Les

grivoiseries,lesprojectilesetmêmelescrachats

avaientcessé.Legroshommeétaitsansaucun

doutel’équivalentlocald’un«parrain»pourles

habitantsdecequartier,dontlapauvretén’était

quetropévidente.Soninterventionserait

déterminantepourledestind’Elena.

—Depuis…

Ilparlaitlentement,croquantentrechaquemot

desbonbonsdorésauxformesirrégulièrespiochés

dansunbolqu’ilgardaitjalousement.

—…lejeunevampireDamienafourni

réparationpourtouslesdégâtsmatériels,ettrès

généreusementd’ailleurs.

Ilmarquaunelonguepauseenfixantlejeune

Drohzne.

—Parconséquent,sonesclave,Aliana,quiestà

l’originedetouscestroubles,nedoitpasêtre

arrêtéeetvendueauxenchères,maisseprosterner

humblementensignederedditionet,desonplein

gré,recevoirlechâtimentqu’ellesaitmériter.

Elenafutabasourdie.Elleignoraitsic’étaitdûà

toutelafuméedenarguiléqueleventavaitportée

jusqu’àelleavantdelachasserenvolutes,maisles

mots«vendueauxenchères»luiavaientfaituntel

chocqu’elleavaitfailliperdreconnaissance.Pasun

seulinstantellen’avaitenvisagécetteéventualité…

etlesimagesquiluiétaientvenuesàl’espritétaient

extrêmementdéplaisantes.Elleavaitaussitiquéen

entendantsonnouveaunometceluideDamon.En

fait,çajouaitplutôtenleurfaveurentermesde

discrétion,sijamaisShinichietMisaoentendaient

parlerdecettemésaventure.

—Qu’onnousamènel’esclave.

Legroshommeserassitsurunepilede

coussins.

Elenafutsoulevéeettraînéebrutalementen

hautdel’estrade,jusqu’àcequ’elleaperçoiveles

sandalesdoréesdel’homme,dontlespiedsétaient

d’unepropretéremarquable,tandisqu’ellegardait

lesyeuxbaissésàlamanièred’uneesclavesoumise.

—Avez-vousécoutécesdébats?

Le

parrain

continuait

de

mastiquer

bruyammentsesconfiseries,etunlégersoufflede

ventportauneodeurdivineauxnarinesd’Elena.Il

n’enfallutpaspluspourquesabouchedesséchéese

mettesubitementàsaliver.

—Oui,monsieur,répondit-elle,ignorant

commentelledevaitl’appeler.

—Appelez-moiVotreExcellence.Bien,avez-

vousquelquechoseàajouterpourvotredéfense?

Elenafutstupéfiéeparlaquestion.Ellehésita,

malgrélaréponsepréparéequ’elleavaitentête:

«Pourquoimedemandermonavispuisquetouta

étérégléd’avance?»D’unecertainefaçon,cet

hommeétaitplus…imposantquetousceuxqu’elle

avaitcroisésauRoyaumedesOmbresoumême

danssavie.Ilécoutaitlesgens.«Jesuissûrequ’il

m’écouteraitsijeluiracontaispourStefan»,pensa-

t-elletoutàcoup.Maissonbonsenshabituella

rattrapa.«Maisbon,qu’est-cequ’ilpourraity

faire?Rien,àmoinsqu’ilnepuisseaccomplirune

bonneactionetentirerprofit…gagnerenpouvoir

ouabattreunennemi.»

Cependant,ilpourraitluiservird’alliéquand

ellereviendraitpourrasercetendroitetlibérerles

esclaves.

—Non,VotreExcellence.Rienàajouter.

—Êtes-vousdisposéeàvousprosterneretà

demandermonpardonetceluidemaîtreDrohzne?

C’étaitlapremièrerépliquedudiscours

qu’Elenaavaitapprisparcœur.

—Oui,répondit-elle.

Jusqu’au

bout,

elle

réussit

à

réciter

distinctementsesexcusespréfabriquées,en

ajoutantjusteunepointederemordsdanssavoix,à

lafin.Deprès,elledistinguaitdesparticulesdorées

surlegrosvisagedel’homme,danssabarbeaussi,

etsursescuisses.

—Parfait.L’esclaveseradoncpuniededix

coupsdebaguettedefrênepourl’exemple.Queles

autresdissidentsenprennentdelagraine.Le

châtimentseraexécutéparmonneveuClewd.

20.

Chaosindescriptible.

Elena

redressa

brusquementlatête,nesachantpassielleétait

encorecenséejouerl’esclaverepentante.Leschefs

delacommunautés’apostrophaientbruyammenten

levantlesbrasaucield’agacement.Damonavait

retenudeforceleparrain,quisemblaitconsidérer

quesaparticipationàlacérémonieétaitterminée.

Lafoulepoussaitdeshuéesetdesacclamations.

Onauraitditqu’unenouvellebagarreallaitéclater,

cettefoisentreDamonetleshommesdemaindu

parrain,enparticulierledénomméClewd.

Prisedevertiges,Elenanesaisissaitquedes

phrasesdécousues.

—…promisquesixcoupsetquejeles

administrerais…

—…pensiezvraimentquecespetitslarbins

étaientfiables?

«C’estpourtantexactementcequ’ilest,non?

seditElena.Leparrainestunlarbin;OK,unpeu

plusgros,plusimpressionnant,etsansaucundoute

plusefficace,maisunlarbinquandmême,quirend

descomptesàplusgradéqueluietquinelaissepas

lafumetteluiembrouillerl’esprit.»

Elles’empressadebaisserlatêteenvoyantle

groshommelafusillerduregard.

Denouveau,elleentenditlavoixdeDamon,

cettefoisdistinctementmalgréletumulte:

—Jecroyaisquemêmeicionavaitunpeu

d’honneurquandunmarchéétaitconclu!

Àsonton,ondevinaitfacilementque,pourlui,

lesnégociationsétaientrompuesetqu’ils’apprêtait

àpasseràl’attaque.Elenasecrispa,horrifiée.Elle

nel’avaitjamaisentenduparlerd’unemanièreaussi

ouvertementmenaçante.

—Attendez…

Letonduparrainavaitbeauêtrenonchalant,il

occasionnaunelégèretrêvedanslaclameur.Après

avoirrepoussélamaindeDamonsursonbras,il

tournadenouveaulatêteversElena.

—Encequimeconcerne,jerenonceàla

participationdemonneveuClewd.Diarmundouqui

quevoussoyez,vousêteslibredepunirvotre

esclaveavecvospropresarmes.

Ilsemitàenleverunàunlespetitsmorceaux

debonbondanssabarbe,puiss’adressa

directementàElena.Sesyeuxétaientridéset

fatigués,maisd’uneperspicacitéétonnante.

—Clewdestunvirtuosedufouet,voussavez.Il

ainventéuneméthodebienàlui.Ilappelleçales

moustachesduchat,etuncoupsuffitpourvous

écorchertoutledos.Laplupartdeshommes

succombentauboutdedixcoups.Maisjecrains

qu’ilnesoitdéçuaujourd’hui.

Puis,

dévoilant

des

dents

étonnamment

blanchesetrégulières,leparrainsourit.Illuitendit

leboldefriandisesdoréesqu’ilmâchouillaitdepuis

ledébut.

—Vousferiezbiend’engoûterunavantvotre

pénitence.

Effrayéeàl’idéed’accepterautantqu’àcellede

refuser,Elenapritunedespetitesdragéesdifformes

etlafourradanssabouche.Ellecraqua

agréablementsoussesdents.Uncerneaudenoix!

Voilàcequ’étaientcesmystérieuxbonbons.De

délicieuxcerneauxdenoiximbibésd’unesortede

siropaucitrondoux,relevésdecopeauxdepiment

rougeoudequelquechosedanslegenre,et

entièrementrecouvertsd’unesubstancedorée

comestible.Del’ambroisie!

—Punissez-lacommebonvoussemble,mon

garçon,dit-ilàDamon.Maisn’oubliezpasdelui

apprendreàdissimulersespensées.Elleabientrop

d’espritpourperdresontempsdansunlupanardes

basquartiers.Mais,c’estétrange…quelquechose

meditqu’ellen’apasdutoutl’intentiondedevenir

unecélèbrecourtisane.Jemetrompe?

AvantqueDamonn’aitletempsderépondre,et

Elena,toujoursàgenoux,dereleverlatête,ilétait

parti,transportédansunpalanquinverslaseule

voitureàchevauxqu’ilsaientvuedepuisleur

arrivéeauRoyaume.

Entre-temps,leschefsdelaville,quin’avaient

pascessédesedisputeretdegesticuler,étaient

parvenusàuntristeaccordsousl’impulsiondu

jeuneDrohzne.

—Dixcoups,interdictiondeluimettredes

bandages,etc’esttoiquilesdonneras,annoncèrent-

ilsàDamon.Maisdixcoups,c’estnotrederniermot.

L’hommequiavaitnégociéavectoin’aplussonmot

àdire.

D’ungestepresquedésinvolte,l’und’eux

empoignaunetêtesanscorpsparunetouffede

cheveux.Elleétaitcouronnéed’unefaçonridiculeà

l’aidedefeuillespoussiéreuses,envuedubanquet

quidevaitsuivrelacérémonie.

Unevéritablefureurenflammaleregardde

Damonetfitvibrerlesobjetsautourdelui.Elena

sentitsonpouvoirsecabrercommeunepanthère

enchaînée.

Elleeutl’impressiond’affronterunouraganqui

luifaisaitravalertoussesmots.

—Jesuisd’accord.

—Quoi?!

—C’estterminé,Da…,maîtreDamon.Fini,les

cris.Jesuisd’accord.

Mais,alorsqu’elleseprosternaitsurletapis

devantDrohzne,desfemmesetdesenfantsse

mirentàcrier,àgémiretàlancerdesboulettesde

papierenvisant,parfoismal,l’arrogantmarchand

d’esclaves.

Latraînedesatuniquesedéployaitderrière

ellecommecelled’unejeunemariée,letissuperleà

l’extérieurchatoyantd’unbeaubordeauxsous

l’éternellebouledefeu.Saqueue-de-chevalhaute

s’étaitdéfaite,laissantunnuagedeboucleslui

couvrirlesépaules,queDamondutécarter.Il

tremblaitderage.Elenan’osapasleregarder,

consciente

qu’autrement

leurs

esprits

s’engouffreraientl’undansl’autre.Sansqu’onait

besoindeleluirappeler,elleprononçasondiscours

solennelfaceàluietaujeuneDrohzne,pourque

cettegigantesquemascaraden’aitpasàêtre

rejouée.

Mettez-yplusdeconviction,leurreprochait

toujoursMlleCourtlandencoursdethéâtre.Sivous

n’êtespasconvaincusparcequevousdites,vous

netoucherezjamaislepublic.

—Maître!criaElenad’unevoixassezforte

pourêtreentenduemalgréleslamentationsdes

femmes.Maître,jenesuisqu’uneesclave,indigne

dem’adresseràvous.Maisj’aipéchéetj’accepte

monchâtimentavecferveur,oui,ferveur,sicela

peutpermettrederétablirlarespectabilitédont

vousjouissiezavantmesexceptionnelsméfaits.Je

voussuppliedepunirl’esclavehonteusequigît

commeundéchetsurlechemindevotre

miséricorde.

Cediscours,qu’elleavaitrécitéàhautevoixsur

letonmonocordedequelqu’unquiaétéobligé

d’apprendrechaquephraseparcœur,auraitpu

tenirencinqmots:«Maître,j’implorevotre

pardon.»Maispersonnen’eutl’airdepercevoirla

touched’ironiequeMeredithyavaitapportée.Le

parrainl’avaitvalidé;lejeuneDrohznel’avaitdéjà

entenduunefois,etc’étaitmaintenantàDamonde

jouer.

MaisDrohznen’enavaitpasencorefiniavec

elle.

—C’estl’heuredevotresentence,mapetite

demoiselle,lança-t-ild’untonsarcastique.Mais,

d’abord,j’aimeraisexaminercettebaguettede

frêêêêne.

IlavaittrébuchécontreDamon.

Aprèsavoirfaitsifflerlafinebaguettedansle

videetavoiradministréquelquescoupsaux

coussinsquilesentouraient(unnuagedepoussière

couleurrubiss’enéchappa),ilfutconvaincudeson

caractèreadéquat,entouspointsconformeàses

attentes.

Salivantouvertement,ils’installasurla

banquettedoréeenjaugeantElenadelatêteaux

pieds.

Finalement,l’instantfatidiqueétaitarrivé.

Damonnepouvaitplusleretarder.Lentement,

commesichacundesespasfaisaitpartied’une

chorégraphiequ’iln’avaitpascorrectementrépétée,

ilavançadebiaisversElena.Et,alorsquelafoule

rassemblée

s’agitait

et

que

les

femmes

commençaientvisiblementàseperdredansl’alcool

plusquedansleslamentations,ilpritposition.

—Jevousdemandepardon,monmaître,dit

Elenad’unevoixtoujoursaussimonotone.

«Siçanetenaitqu’àlui,pensa-t-elle,ilaurait

sûrementfaitl’impassesurcetteréplique.»

Cettefois,l’instantfatidiqueétaitlà.Elena

n’avaitpasoubliécequeDamonluiavaitpromis.

Maisellesavaitaussiquebeaucoupdepromesses

n’avaientpasététenuesaujourd’hui.Àcommencer

parlefaitquedix,c’étaitpresqueledoubledesix.

Ellen’étaitvraiment,vraimentpaspressée.

Mais,lorsquelepremiercouptomba,ellese

souvintqueDamonn’étaitpasdugenreàrompre

sespromesses.Ellesentitunbruitsourdetfaibleet

unengourdissement,etpuis,curieusement,une

humiditéquilapoussaàjeterunœildanslecielàla

recherchedenuages.Déconcertée,elleserendit

comptequel’humiditén’étaitautrequesonsang,

répandusansdouleur,sursahanche.

—Demande-luidecompter!lançalejeune

Drohzneavechargne.

AvantqueDamonn’aitletempsd’opposerla

moindre

résistance,

Elena

s’exécuta

machinalement:

—UN.

Ellecontinuaengardantcettevoixlimpideet

insensible.Intérieurement,elleétaitailleurs,loinde

cescaniveauximmondesetnauséabonds.Elleétait

étendue,accoudéesurleventre,leregardplongé

danslesyeuxdeStefan,cesyeuxvertscommedes

feuillesgorgéesdesoleil,quinevieilliraientjamais

quelquesoitlenombredesièclesqu’ilaccumulerait.

Ellecomptaitenpensantàluid’unairrêveur,età

dixceseraitlesignalpoursereleverd’unbondet

fairelacourse.Unepetitepluiefinetomberait,ils

courraient,elleperchéesursondos,maisbientôt,

trèsbientôtelledescendraitàtoutevitessepour

s’enfuirdansdesprairiesluxuriantes.Elleferaiten

sortequelacoursesoitloyaleetymettraittoute

sonénergie,maisStefan,bienentendu,la

rattraperait.Etalorsilsselaisseraienttomberdans

l’herbeenriantauxlarmes.

Mêmelevaguetumulteauloin,lesregards

mauvaisetconcupiscentsetlesrugissements

d’ivrognesluiparurentpeuàpeudifférents.Toutça

n’étaitqu’unrêveridiculeàproposdeDamonet

d’unebaguettedefrêne.Danscerêve,ilfrappaitde

toutessesforcespoursatisfairelesplusexigeants

desspectateurs,etlescoups,qu’Elenapercevait

danslesilencegrandissant,semblaientassez

violents;leursimpactsluidonnaientlanausée

lorsqu’ellecomprenaitquec’étaitsaproprepeauqui

sedéchirait,pourtantelleressentaitàpeinel’effet

d’unepetitegifledansledos.EtStefanétaitlà,

couvrantsesmainsdebaisers!

Jesuisàtoipourtoujours,disait-il.Chacunde

tesrêvesnousréunit.

Jeseraiàtoipourtoujours,répondaitElenaen

silence,persuadéequesaréponseluiparviendrait.

Mêmequandjenerêvepas,jesuisàtescôtés.

Jesais,monange.Jet’attends.

—DIX!cria-t-elletoutàcoup,presque

inconsciemment.

Stefanembrassaunedernièrefoissamainet

disparut.Clignantdesyeux,confuseetétourdiepar

levacarmequil’assaillit,elleseredressaavec

précautionenregardantautourd’elle.

LejeuneDrohzneétaitvoûté,latêterentrée

danslesépaules,aveugléparlarage,ladéceptionet,

surtout,parunexcèsd’alcoolquil’empêchaitdese

mettredebout.Lesgémissementsdesfemmes

avaientcessédepuislongtemps,remplacésparune

fascinationmuetted’horreur.Seulslesenfants

s’agitaientencore,grimpantetdévalantlesmarches

del’estradeenchuchotantentreeux,etdétalantà

toutesjambessi,parhasard,Elenaregardaitdans

leurdirection.

Alors,sanscérémonie,lespectacles’acheva.

QuandElenavoulutserelever,lemondeautour

d’ellefitaussitôtuntourcompletetsesjambesse

dérobèrent.Damonlarattrapa,puisinterpellales

raresjeuneshommesencoreconscientsquile

regardaient.

—Donnez-moiunecape!

Cen’étaitpasunesuggestion,etlemoinsmal

vêtud’entreeux,quisemblaitavoirmangédela

vacheenragéetoutesavie,luilançaunelourdecape

noiredoubléedebleutirantsurlevert.

—Gardez-la.Votrespectacleétait…captivant.

C’étaitunnumérod’hypnose?

—Cen’étaitpasunspectacle!grondaDamon.

Enentendantsavoixrageuse,lesautres

vauriensquiluitendaientdescartesdevisite

suspendirentleurgeste.

—Prends-les,murmuraElena.

D’ungestevif,Damonattrapalescartesd’une

mainavecmauvaisegrâce.Lespaupièreslourdes,

Elenas’efforçadeleursouriredoucement,rejetant

sescheveuxenarrièred’ungestedelatête.Le

groupedejeuneshommesluisouritenretour,assez

timidement.

—Quandvous,hm…referezcespectacle…

—Onvouspréviendra,leurlança-t-elle.

Damonl’avaitprisedanssesbrasets’éloignait

déjàpourlaramenerchezleDrMeggar,suivipar

un

inévitable

attroupement

d’enfants

tirant

doucementsurleurscapes.C’estseulementàcet

instantqu’unequestionvintàl’espritd’Elena:

pourquoiDamonavait-ildemandéunecapeàdes

étrangersalorsqu’ilenavaitunesurlesépaules?

***

—Ilsorganisentsûrementdesrituelsquelque

part,maintenantqu’ilssontsinombreux,dit

MmeFlowersavecuneafflictiondistinguée.

Mattetelleétaiententraindesiroterune

tisanedanslepetitsalondelapension.C’était

l’heuredudîner,maisilfaisaitencorejourdehors.

—Quelgenrederituels?s’étonnaMatt.

Iln’étaitjamaisarrivéchezsesparentsdepuis

qu’ilavaitquittéDamonetElena,plusd’une

semaineauparavant,pourreveniràFell’sChurch.Il

étaitpasséchezMeredith,quihabitaitauxabords

delaville,etellel’avaitconvaincud’alleravant

toutechosevoirMmeFlowers.Aprèsladiscussion

qu’ilsavaienteuetouslestrois,Mattavaitdécidé

qu’ilvaudraitmieuxqu’ilsefassediscret.Safamille

seraitplusensécuritésipersonnen’apprenaitson

retour.Illogeraitàlapension,sansattirer

l’attentiondesadosquiperturbaientactuellementla

ville.UnefoisqueBonnieetMeredithseraient

partiessansencombreretrouverDamonetElena,il

pourraitenquelquesortejouerlesagentssecrets.

Mais,aujourd’hui,ilregrettaitpresquedene

pasêtrepartiavecelles.Essayerdejouerlesagents

secretsdansunenvironnementoùtouslesennemis

semblaientdotésd’unemeilleurecapacitévisuelleet

auditive,etégalementcapablesdesedéplacer

beaucoupplusvite,étaitloind’êtreaussisimpleque

prévu.Ilpassaitleplusclairdesontempsàlireles

pagesdeblogsqueMeredithavaitmarquées,àla

recherched’indicesquipourraientluiêtreutiles.

Cependant,iln’avaitrienlusurlanécessité

d’unequelconqueformedecérémonie.Ilsetourna

versMmeFlowerstandisqu’elleavalaitd’unair

songeurunepetitegorgéed’infusion.

—Desrituelspourquoifaire?demanda-t-il

encore.

Avecsescheveuxblancssoyeux,sonvisage

d’unegrandedouceuretlejolibleudesonregard

distrait,MmeFlowerssemblaitlapetitedamela

plusinoffensivedumonde.Maiscen’étaitqu’une

apparence.Sorcièredenaissanceetjardinièrepar

vocation,elleensavaitautantsurlesplantes

toxiquesutiliséesenMagieNoirequesurles

cataplasmescicatrisantspratiquésenMagie

Blanche.

—Engénéral,cesrituelsontunbutplutôt

fâcheux,répondit-elletristement.

Ellefixalesfeuillesdethédanssatasse.

—

Ce

sont

en

quelque

sorte

des

rassemblementspourmotiverlestroupes.Ils

doiventaussipratiquerquelquestoursdeMagie

Noire.Certains,parlebiaisdechantagesetde

lavagesdecerveau,doiventconvaincretousles

nouveauxconvertisqu’ilssontdésormaiscoupables

d’assisteràcesréunions.Qu’ilsferaientaussibien

decéderetdeselaissercomplètementinitier…Des

chosescommeça.Trèsfâcheuses.

—Maisfâcheusescomment?

—Ça,jel’ignore,mongarçon.Jen’aijamais

assistéàcetyped’événement.

Mattréfléchit.Ilétaitpresqueseptheuresdu

soir,heureducouvre-feupourlesmineursdeFell’s

Church.Manifestement,lesplusjeunesétaientles

seulsépargnésparl’hystériecollectivequitouchait

laville.

Bienentendu,cecouvre-feun’avaitrien

d’officiel.Leshérifetseshommessemblaient

complètementdépassésetincapablesdeprendre

desmesurescontrelacurieusenévrosequigagnait,

uneàune,touteslesjeunesfillesdeFell’sChurch.

Quefaire?Leurficherlatrouillepourdebon?

C’étaitplutôteuxquiétaientterrorisés.Unjeune

policieravaitfiniparsortiràtoutevitessedela

maisondesRyanpourallervomirdehors,après

avoirvulafaçondontKarenRyanavaitdévoréla

têtedeseshamstersetcequ’elleavaitfaitdes

restes.

Lesmettresouslesverrous?Pourlesparents,

c’étaithorsdequestion,quellequesoitlagravitédu

comportementdeleurprogéniture,quelquesoit

leurbesoinévidentdesefaireaider.Lesenfantsqui

étaienttraînésjusqu’àlavillevoisinechezle

psychiatres’asseyaientsagementets’exprimaient

calmement,demanièresensée…durantlesquinze

minutesdeconsultation.Ensuite,surlechemindu

retour,ilssevengeaient,répétantcommedes

perroquetstoutcequeleursparentsdisaientenles

imitantàlaperfection,poussantdescrisd’animaux

d’unréalismesaisissant,sefaisantlaconversationà

eux-mêmesdansdifférenteslanguesapriori

asiatiques,ouenvenantmêmeàparleràl’envers

–unnumérobienconnu,maisquinemanquait

jamaisdefairefroiddansledos.

Nilessanctionsordinairesnilamédecine

courantenesemblaientavoirderéponseau

problème.

Maiscequieffrayaitsurtoutlesparents,c’était

quandleursfillesetleursfilsfaisaientlemur.Au

début,onsupposaqu’ilsserendaientaucimetière,

mais,quandlesadultesessayèrentdelessuivreà

l’unedeleursréunionsclandestines,ilstrouvèrent

lecimetièredésert,toutcommelacrypted’Honoria

Fell.Àcroirequelesenfantss’étaienttout

simplement…volatilisés.

Mattpensaitconnaîtrelaclédecetteénigme:

cebosquetquisubsistaitdelavieilleforêt,à

proximitéducimetière.Soitlespouvoirsde

purificationd’Elenan’avaientpasportéjusqu’àce

secteur,soitcetendroitétaitsimalveillantqu’il

avaitréussiàrésisteràsonassainissement.

Orilétaitbienplacépoursavoirqu’aujourd’hui

lavieilleforêtétaitsousl’entièredominationdes

kitsune.Deuxpasdanscebosquetetvouspouviez

passerlerestantdevosjoursàessayerd’ensortir.

—Jenesuispeut-êtrepasencoretropvieux

pourlessuivre,suggéra-t-ilàMmeFlowers.Jesais

queTomPierlerlesaccompagneetilamonâge,le

mêmequeceuxparquitoutacommencé:Caroline

quiacontaminéJimBryce,quiacontaminéIsobel

Saitou.

MmeFlowersavaitl’airabsorbé.

—Ondevraitdemanderàlagrand-mère

d’Isobeldenousfabriquerd’autresboucliersShinto,

dit-elle.Vouspourriezvousencharger,Matt?J’ai

peurquenousnedevionsbientôtnouspréparerà

nousbarricader.

—C’estcequ’indiquentlesfeuillesdethé?

—Oui,mongarçon.Çaconfirmeaussiceque

mavieillecabochemedisait.D’ailleurs,vousdevriez

passerlemotauDrAlpertpourqu’ellepuissefaire

quitterlavilleàsafilleetàsespetits-enfantsavant

qu’ilnesoittroptard.

—Jeluitransmettrailemessage,maisjepense

qu’onvaavoirdumalàarracherTyroneàDeborah

Koll.Ilesttoutletempscolléàelle…Maisbon,

peut-êtrequeleDrAlpertpourraconvaincreles

Kolldepartiraussi.

—Peut-être.Aumoinsçaferaitquelques

enfantsenmoinsàsurveiller,soupiraMmeFlowers.

EllepritlatassedeMattpourjeterunœil

dedans.

C’étaitdrôlepourMatt:sestroisalliéesàFell’s

Churchétaientdésormaisdesfemmesdeplusde

soixanteans.D’abordMmeFlowers,quiétait

encoreassezrobustepourselevertouslesjoursà

l’aubeetallers’occuperdesonjardin.Ensuite

Obaasan,quigardaitlelit,ressemblaitàunetoute

petitepoupéeavecsescheveuxbrunsrelevésen

chignonausommetducrâneetqui,entant

qu’anciennemiko,avaittoujoursunconseilen

réserve.EtenfinleDrAlpert,lafemmemédecinde

Fell’sChurch,quiavaitdescheveuxgrisargentéet

unepeaubruneetdoréeetquifaisaitpreuved’un

pragmatismeabsolufaceàtout,ycomprisàla

magie.Contrairementàlapolice,ellerefusaitde

niercequisepassaitsoussesyeux,etellefaisait

toutsonpossiblepourtenterd’apaiserlescraintes

desenfantsetconseillerlesparentsterrifiés.

Unesorcière,unechamaneetunmédecin,donc.

Mattconsidéraitquesesarrièresétaientassurés,

surtoutconnaissantCaroline,lapremièrevictimede

cettecontagion,qu’ils’agissedepossessionpardes

renardsmaléfiques,desloups-garousoulesdeux…

sansparlerdureste.

—J’iraiaurassemblementdecesoir,annonça-

t-ild’unairdécidé.Lesgossesontfaitdes

cachotteriestoutelajournée.J’iraimecacherdans

uncoinprèsdubosquetdansl’après-midi,comme

çajepourrailesépier.Ensuitejelessuivrai,à

conditionqueCarolineou,pire,ShinichiouMisaone

soientpasaveceux.

MmeFlowersluiservituneautretassede

tisane.

—Jem’inquiètebeaucouppourvous,monpetit

Matt.J’ailesentimentqu’aujourd’huiestunjourde

mauvaisaugure.Legenredejournéeoùilvaut

mieuxéviterdeprendredesrisques.

—Etvotremère,qu’est-cequ’ellepensede

toutça?demanda-t-ilavecunintérêtsincère.

LamèredeMmeFlowersétaitmortedansles

années1900,maisçanel’empêchaitpasde

continueràcommuniqueravecsafille.

—Ehbien…justement.Ellenem’apasfait

signedelajournée.Jevaisessayerdelacontacter

unedernièrefois.

Lavieilledamefermalesyeux,etMattvitses

paupièresgrenéescommedelatoiledecrêpe

s’agitertandisqu’ellecherchaitvraisemblablement

samèreouqu’elleessayaitd’entrerentranse.Il

avalasatisaneetfinitparentamerunjeusurson

téléphoneportable.

Quelquesminutesplustard,MmeFlowers

rouvritlesyeuxensoupirant.

—Mapetitemaman(elleprononçaittoujoursce

motdecettefaçon,enmettantl’accentsurla

seconde

syllabe)

est

d’humeur

grincheuse

aujourd’hui.Jen’arrivepasàobteniruneréponse

clairedesapart.Enrevanche,elleditquele

rassemblementdecesoirserad’abordtrèsbruyant,

puistrèssilencieux.Etilestclairqu’ellepressent

aussiqu’ilseratrèsdangereux.Jepensequeje

feraismieuxdevousaccompagner,mongarçon.

—Non,surtoutpas.Sivotremèrepensequece

seradangereux,jen’iraipas.

Lesfillesl’écorcheraienttoutvifs’ilarrivait

quelquechoseàMmeFlowers.Mieuxvalaitne

prendreaucunrisque.

Lavieilledamesecaladanssonfauteuil,l’air

soulagé.

—Bon,jecroisquejeferaisbiendem’attelerà

mondésherbage.J’aiaussidesherbesauxcent

goûtsàcueilliretàfairesécher.Etlesmyrtilles

devraientêtremûresàl’heurequ’ilest.Dieuquele

tempspassevite.

—Enparlantdecuisine,ditMatt.Avectoutce

quevousfaitespourmoi,jedevraisaumoinsvous

réglerlachambreetlesrepas.

—Certainementpas.Jenemelepardonnerais

jamais!Vousêtesmoninvité,Matt.Etmonami

aussi,entoutcasjel’espère.

—Absolument.Sansvous,jeseraisperdu.Je

vaisjusteallerfaireuntourenville.J’aibesoinde

medépenserunpeu.J’iraisbien…

Ils’interrompitbrusquement.Ils’apprêtaità

direqu’iliraitbientirerquelquespaniersavecJim

Bryce.MaisJimnetireraitplusjamaisdepaniers…

Pasavecsesmainsmutilées.

—Jevaisjusteallerfaireuntour,sereprit-il.

—Entendu,ditMmeFlowers.Maisjevousen

prie,monpetitMatt,soyezprudent.Etn’oubliez

pasd’emporterunevesteouunanorak.

—Oui,m’dame.

Encedébutdumoisd’août,ilfaisaitassez

chaudethumidepoursebaladerenshortettorse

nu.Mais,depuistoutpetit,Mattavaitapprisàne

pasnégligerlesconseilsdesvieillesdames,surtout

quandellesétaientsorcièresetquand,àbiendes

égards,leursespritsétaientaussiaffûtésquele

cutterqu’ilglissadanssapocheavantdepartir.

Ilsortitet,trèsvite,sedirigeaversunepetite

routeconduisantaucimetière.

Enprenantparlà,àl’endroitoùlesol

descendaitencontrebasdubosquet,ilauraitune

bonnevued’ensemblesiquelqu’uns’engageaitdans

lesvestigesdelavieilleforêt,etenmêmetemps

personnenepourraitlerepérerdepuislesentierqui

setrouvaitunpeuplusloin.

Sansbruit,ilsedirigearapidementversla

cachettechoisie,seréfugiantderrièredespierres

tombales,restantàl’affûtdumoindrechangement

danslechantdesoiseaux,cequiseraitsignede

l’arrivéedesenfants.Maisleseulchantperceptible

étaitdescrisrauquesdecorbeauxquisemblaientse

trouveràl’intérieurdubosquet,mêmes’iln’en

voyaitpasunseul…

Ilseglissadanssacachette…etseretrouvanez

ànezaveclecanond’unfusil,derrièrelequel

apparutunvisage:leshérifMossberg.

Lespremiersmotsquisortirentdelabouchedu

policiersemblaientêtrerécitésparcœur,commesi

quelqu’unavaittirélaficelled’unepoupéeparlante.

—MatthewJeffreyHoneycutt,jevousarrête

pourcoupsetblessuressurlapersonnedeCaroline

BeulaForbes.Vousavezledroitdegarderle

silence…

—Etvousaussi,sifflaMatt.Maisçanevapas

durer!Vousentendezcescorbeauxquis’envolent?

Lesgossesarrivent!Ilssonttoutprès!

LeshérifMossbergétaitlegenredepersonneà

nepass’arrêtertantqu’iln’avaitpasfinisaphrase.

Donc,entre-temps,ilenétaitarrivéà:«Vous

comprenezlesdroitsquivousontéténotifiés?»

—Non,monsieur!Minekomprenasquedalleà

votrecharabia!

Unfroncementapparutentrelessourcilsdu

shérif.

—C’estdujargonespagnolquevousmesortez

là?

—Non,del’espéranto…maisonn’apasle

temps!Ilsarriventet…Ohnon,j’ycroispas:

Shinichiestlà!

Matt

termina

sa

phrase

en

baissant

brusquementlavoix.Ils’accroupitpourjeterun

coupd’œilfurtifentrelesherbesfollesqui

poussaientàl’oréeducimetière,enprenantsoinde

nepaslesagiter.

Oui,c’étaitbienShinichi,maindanslamain

avecunepetitefillequidevaitavoirdanslesdouze

ans.Illareconnaissaitvaguement:ellehabitaitun

peuplusloin,surlaroutedeRidgemont.Comment

s’appelait-elle,déjà?Betsy,Becca…?

Leshériflaissaéchapperunpetitcriangoissé:

—Manièce!souffla-t-il.

Mattfutsurprisparsacapacitéàparlersibas.

—C’est…c’estmanièceRebecca!

—D’accord,restezcalmeetsurtoutnebougez

pas.

PlusieursenfantssuivaientShinichienfile

indienne.OnauraitditleJoueurdeflûtedeHamelin

enmodesatanique,avecsescheveuxd’encreaux

pointesrougesetsesyeuxdorésetrieursqui

brillaientsouslesoleilcouchant.Lesenfants

gloussaientetchantonnaient,certainsd’unevoix

adorable,typiqued’unecourdematernelle,une

versionparticulièrementtorduedePromenons-

nousdanslesbois.Mattsentitsagorgedevenir

complètementsèche.C’étaitunvraisupplicedeles

regarders’enfoncerdanslebosquet,commede

regarder

des

agneaux

monter

une

rampe

conduisantàl’abattoir.

Ildutconseilleraushérifdenepasessayerde

tirersurShinichi.Ç’auraitvraimentétéunepagaille

monstre.Mais,aumomentoùilbaissaitlesyeux

avecsoulagementtandisqueledernierenfant

entraitdanslebosquet,ilredressabrusquementla

tête.

Leshérifétaitentraindeserelever.

—Non!

Mattleretintparlepoignet,maisilsedégagea

d’ungestevif.

—Ilfautquejelessuive!Ilamanièce!

—Ilnevapaslatuer.Ilsnetuentpasles

enfants.J’ignorepourquoi,maisc’estainsi.

—Nonmaisvousavezentendulesgrossièretés

qu’illeuraapprises?Jepeuxvousdirequ’ilvavite

fermersonclapetquandilauraunsemi-

automatiquepointésurlatempe.

—Écoutez,ditMatt.Vousavezpourordrede

m’arrêter,pasvrai?Ehbien,jevousordonnedele

faire.Mais,parpitié,n’entrezpasdanscetteforêt!

—Oùest-cequevousvoyezuneforêt,vous?

réponditleshérifavecdédain.Ilyaàpeineassezde

placepourfaireasseoirtouslesgossesdansce

bosquetdechênes.Sivousvoulezvousrendreutile

unefoisdansvotrevie,attrapez-enunoudeux

quandilssortirontencourant.

—Pourquoiencourant?

—Parcequ’ilsvontdétalercommedeslapinsen

mevoyant,sûrementdanstouteslesdirections,

maiscertainsreprendrontlecheminparlequelils

sontarrivés.Alorsvousallezm’aider,ouiounon?

—Non,monsieur,réponditMattlentement,

d’untonferme.Mais…heu…écoutez…parpitié,

n’entrezpaslà-dedans!Croyez-moi,jesaisdequoi

jeparle!

—Monp’tit,jenesaispasquelgenrededrogue

vousprenez,maislà,j’aiplusletempsdediscuter.

Etsivousessayezencoredem’enempêcher…

Ilpointalesemi-automatiquesurMatt.

—Jevousferaicomparaîtrepourobstructionà

lajustice,c’estcompris?

—Oui,c’estbon,soupiraMatt,quienavait

assez.

Ilretombaenarrièredanssacachettetandis

que,avecunediscrétionétonnante,leshérif

s’éclipsaitendirectiondubosquet.Mattleregarda

s’éloignerentrelesarbresetbientôtdisparaîtrede

sonchampdevision.

Ils’assitetattenditensueurpendantune

heure.Ilrésistaitàl’enviedes’assoupirquandun

bruitconfusdanslebosquetattirasonattention.

Shinichiapparut,suividesenfantsquiriaientet

chantaient.

Maisleshérif,lui,n’étaitpaslà.

21.

Dansl’après-midiquisuivitlechâtiment

d’Elena,Damonpritunechambredansle

lotissementoùvivaitleDrMeggar.LadyUlmaresta

aucabinetdumédecinenattendantqu’àeuxtrois,

Sage,DamonetleDrMeggar,ilsl’aient

complètementguérie.

Elleneparlaitdésormaisplusdechosestristes.

Àl’inverse,elleleurracontatantd’histoiressurla

villadesonenfancequ’ilsavaientlesentimentqu’ils

sauraients’yrepéreraupremiercoupd’œil,sivaste

fût-elle.

—Jesupposequ’aujourd’huielleestenvahiede

ratsetdesouris,dit-elleavecnostalgiepour

conclurel’unedeseshistoires.Etd’araignéesetde

mites,aussi.

—Ahbon,pourquoi?s’étonnaBonnie.

Ellen’avaitabsolumentpasvuqueMeredithet

Elenaluifaisaientsignedenepasposerlaquestion.

LadyUlmapenchalatêteenarrièreetfixale

plafond.

—ÀcausedugénéralVerantz.Ledémonqui

m’adécouvertequandjen’avaisquequatorzeans.

Lanuitoùsonarméeaattaquémamaison,tousles

êtresvivantsquisetrouvaientàl’intérieurontété

massacrés,exceptémoietmoncanari.Mesparents,

mesgrands-parents,mesonclesetmestantes…

mesjeunesfrèresetsœurs.Mêmemonchatqui

dormaitsurunreborddefenêtre.Legénéral

Verantzm’afaitamenerdevantlui,tellequelle,en

chemisedenuitetpiedsnus,lescheveuxenbataille

etlanatteàmoitiédéfaite,etàcôtédeluiilyavait

moncanaridanssacage,sansletissuquilacouvrait

lanuit.Ilétaittoujoursenvie,etilsautillaitaussi

gaiementqued’habitude.D’unecertainemanière,

toutcequis’estpasséparlasuitem’aparuencore

pireetenmêmetempsplusirréel,commedansun

rêve.C’estdifficileàexpliquer.J’avaisététraînée

devantluipardeuxdeseshommes.Ilsmetenaient

chacunparunbras,pluspourmemaintenirque

pourm’empêcherdem’enfuir,d’ailleurs.J’étaissi

jeune,vouscomprenez,toutétaitassezfloudansma

tête.Cependant,jemesouviensdecequelegénéral

aditcommesic’étaithier:«J’aidemandéàcet

oiseaudechanter,ill’afait.J’aiinformévosparents

quejesouhaitaisvousfairel’honneurd’êtrema

femme,ilsontrefusé.Maintenant,regardezunpeu

là-bas.Prendrez-vousexemplesurlecanariousur

vosparents,jemeledemande?»Ilm’aindiquédu

doigtunrecoinsombredelapièce;biensûr,on

s’éclairaitàlatorcheàl’époque,etellesavaientété

éteintespourlanuit.Maisilyavaitassezdelumière

pourquej’aperçoiveunepiled’objetsdeforme

rondeetuntasdechaumeoud’herbeposéàcôté.

Dumoins,c’estcequej’aicruaudébut,jelejure.

J’étaisvraimentinnocente,etaussienétatdechoc,

jecrois.

—Jevousenprie,riennevousobligeàreparler

detoutça,ditElenaenluicaressantdoucementla

main.Oncomprendraitque…

MaisladyUlmaneparutpasl’entendre.

—Alors,undeshommesdugénéralasoulevé

unesortedenoixdecocoavecunetrèslongue

crinièresurledessus,quiétaittressée.Illafaisait

oscilleravecdésinvolture…ettoutàcoupj’ai

compriscequec’étaitréellement:latêtedécapitée

demamère.

Àcesmots,Elenalaissaéchapperuncri

étranglé.LadyUlmacontemplalestroisfillesautour

d’elled’unregardcalmeetfroid.

—Vousdevezmetrouverbieninsensiblepour

êtrecapablederaconterdetelleschosessansfondre

enlarmes?

—Non,pasdutout…,s’empressaderépondre

Elena,toutentremblantintérieurementet

pensant:«PourvuqueBonnienetombepasdans

lespommes.»

LadyUlmaavaitreprissansattendreleur

réaction:

—Laguerre,laviolencegratuiteetlatyrannie,

c’esttoutcequej’aiconnudepuiscejouroùmon

innocenceaétéanéantie.Désormais,c’estla

gentillessequimestupéfieetquimefaitmonterles

larmesauxyeux.

—Ohnon,nepleurezpas,lasuppliaBonnieen

sejetantspontanémentàsoncou.Jevousenprie,

onestlàpourvous.

ElenaetMeredithseconcertèrentduregard,

lessourcilsfroncés,puishaussèrentlesépaules.

—Oui,s’ilvousplaît,nepleurezpas…

Elenaculpabilisaitunpeu,maiselleétait

déterminéeàtestersonnouveauplanA.

—Mais,dites-nous,pourquoilapropriété

familialeestensimauvaisétataujourd’hui?

—C’estlafautedugénéral.Ilaétéenvoyésur

desterreslointainespourmenerdesguerres

stupidesetvaines.Àchaqueexpédition,ilemmenait

lamajoritédesonescorte,ycomprislesesclavesqui

étaientenfaveuràcemoment-là.Unjour,troisans

aprèsqu’ileutattaquénotremaison,ilpartitsans

meprendreavecluicarjen’étaispassapréféréede

l’époque.J’aieudelachance.Toutsonbataillona

étédécimé;lesdomestiquesdelamaisonqui

l’accompagnaientontétéfaitsprisonniersou

sauvagementassassinés.Commeiln’avaitpas

d’héritier,cedomaineestrevenuàlaCouronne,qui

nesavaitqu’enfaire.Lamaisonestrestéeinoccupée

depuistoutcetemps;biensûr,elleasûrementété

pilléeplusieursfois,maislevraisecretqu’elle

renferme,lemystèredesjoyaux,estrestéintact…

pourautantquejesache.

—LeMystèredesJoyaux,chuchotaBonnieen

donnantl’impressiondemettreunecapitaleà

chaquemotcommesic’étaitletitred’unromanà

énigmes.

Elleavaitencoreunbrasautourdesépaulesde

ladyUlma.

—C’estquoi,cemystèredesjoyaux?demanda

plussereinementMeredith.

Elenanepouvaitdécrirelesfrissonsdélicieux

quilatraversaient.Elleavaitl’impressiond’être

l’héroïned’uncontefantastique.

—Àl’époquedemesparents,ilétaitd’usagede

cachersafortunequelquepartsursondomaineet

denerévéleràpersonnel’emplacementdesa

cachette,hormisauxpropriétaires.Naturellement,

commeilétaitcréateuretnégociantenjoaillerie,

monpèreavaitplusàcacherquecequelaplupart

desgenspensaient.Ilavaitunepiècesecrète

extraordinaire,quimefaisaittoujourspenseràune

caverned’AliBaba.C’étaitsonatelier,l’endroitoùil

conservaitsespierresprécieusesetlescréations

qu’onluiavaitcommandées,oucellesqu’ilavait

conçuespourmamère.

—Etpersonnen’ajamaismislamaindessus?

commentaMeredithavecunepointedescepticisme.

—Sic’estlecas,jenel’aijamaissu.C’estvrai

qu’avecletempslesecretauraittrèsbienpuêtre

arrachéàmesparents;maislegénéraln’étaitpas

unvampireméticuleuxetpersévérantniun

kitsune.C’étaitundémonrudeetimpatient.En

entrantdanslamaisoncommeunefurie,ilatoutde

suitetuémesparents.Çaneluiajamaistraversé

l’espritqu’uneenfantdequatorzeanspuisseêtre

danslaconfidence.

—Alorsqu’enfait…?chuchotaBonnie.

Captivée,elleécoutaitladyUlma,l’aidant

intuitivementàallerauboutdesonrécit.

—Alorsqu’enfaitjesavaistout.

Elenasentitunebouledanssagorge.Depuisle

début,elleessayaitderestercalme,deprendre

exemplesurMeredithetdegarderlatêtefroide.

Saufque,justement,sonamieeutuneréaction

inattendue.

—Maisqu’est-cequ’onattend,alors?

s’exclamaMeredithenselevantd’unbond.

Décidément,ladyUlmaétaitlapersonnelaplus

calmedecettepièce.Maisellesemblaitaussiunpeu

déroutée,presqueintimidée.

—Vousvoulezdirequ’ondevraitdemander

audienceànotremaître?

—Elleveutdirequ’ondevraitallerlà-baset

récupérercesbijoux!s’écriagaiementElena.Cela

dit,laprésencedeDamonpourraiteneffetnous

êtreutiles’ilyadeschoseslourdesàtransporter.

CelledeSageaussi,d’ailleurs.

EllevoyaitbienqueladyUlman’étaitpastrès

enthousiaste,etellen’arrivaitpasàcomprendre

pourquoi.

—Vousvousrendezcompte?luidit-elle,le

cerveauenébullition.Vousallezrécupérervotre

maison!Onferadenotremieuxpourlaremettre

dansl’étatoùelleétaitquandvousétiezenfant.Sauf

sivoussouhaitezutiliserl’argentdesbijoux

autrement.Maisilyajusteunechoseque

j’adorerais:ceseraitdevoirlacaverned’AliBaba!

—C’estque…

LadyUlmaeuttoutàcoupl’airdésemparée.

—J’avaisl’intentiondedemanderuneautre

faveuràmaîtreDamon…etl’argentdesbijoux

pourraitd’ailleursserévélerutiledecepointde

vue.

—Dequois’agit-il?demandaElenaaussi

gentimentquepossible.Et,aufait:inutilede

l’appelermaîtreDamon.Ilvousarenduvotre

libertéilyaquelquesjours,vousn’avezpasoublié?

—Maisc’étaitsûrementpour…pourmarquer

lecoup,c’esttout,non?

Elleavaittoujoursl’airaussiperplexe.

—Ilnel’apasdéclaréofficiellementauBureau

delaSoumission,si?

—Peut-êtrepas,maisc’estparcequ’ilnesavait

pasqu’ildevaitlefaire!supposaBonnie.

—Onn’estpastrèsaucourantduprotocole,

ajoutaMeredith.C’estçaquevoussouhaitezlui

demander?

LadyUlmaparutincapablederépondre

autrementqueparunsignedetête.Elenaéprouva

unsentimentdegrandehumilité.Elledevinaque

cettefemme,esclavependantplusdevingt-deux

ans,avaitbeaucoupdemalàcroireàsaliberté.

—Damonlepensaitquandiladitquenous

étionslibres,expliqua-t-elleens’agenouillantprès

desonfauteuil.Simplement,ilignoraitqu’ildevait

gérertoutça.Sivousnousexpliquezlamarcheà

suivre,onluienparlera,etcommeçaonpourra

partirtousensembleàvotreanciennemaison.

Elles’apprêtaitàsereleverquandBonnie

l’interpelladiscrètement:

—Ilyaquelquechosequicloche,chuchota-t-

elle.Ellen’estpasaussiheureusequetoutàl’heure.

Ilfautqu’ontrouvecequinevapas.

Enfaisantlégèrementappelàsesdonsde

médium,ElenacompritqueBonnievoyaitjuste.Elle

restaoùelleétait,agenouilléeprèsdeladyUlma.

—Quesepasse-t-il?luidemanda-t-elle,

puisqu’ellesemblaitdavantageseconfierquand

c’étaitElenaquiposaitlesquestions.

—J’avaisespéré,réponditlentementlady

Ulma,quemaîtreDamonachèterait…

Ellerougit,maisseforçaàpoursuivre:

—Qu’ilaitpeut-êtrelecœurd’acheterun

dernieresclave.Le…lepèredemonenfant.

Pendantquelquessecondes,iln’yeutplusun

mot.Puislestroisfillessemirentàparlerenmême

temps;Elenasentitqu’elleetsesamiesluttaient

pournepasévoquerl’hypothèseselonlaquellelady

UlmaattendaitunenfantdupèreDrohzne.

«Maisnon,quetuesbête,sereprochaElenaen

silence.Elleestheureusedecettegrossesse,orqui

pourraitseréjouirdeporterl’enfantd’unmonstre?

SanscompterqueDrohzneétaitàdeskilomètresde

sedouterqu’ellepuisseêtreenceinte,etils’en

fichaitd’ailleurs.»

—Ilsepourraitquecesoitplusfacileàdire

qu’àfaire,ajoutaladyUlmaquandlebrouhahade

parolesréconfortantesetdequestionssefutunpeu

apaisé.Lucenestunbijoutier,unhommeréputé

poursescréationsqui…quimerappellentcellesde

monpère.Ilcoûteracher.

—Maisonaencoretoutelacaverned’AliBaba

àexplorer!s’écriajoyeusementBonnie.J’imagine

quevousaurezassezsivousvendeztouslesbijoux,

non?Oubienilvousenfaudraplus?

—MaiscesontlesbijouxdemaîtreDamon!

LadyUlmaparutaccablée.

—Iln’enavaitpeut-êtrepasconsciencequand

ilahéritédetouslesbiensdupèreDrohzne,maisje

luiappartiensdésormais,moiettoutcequeje

possède…

—Onvaallervousdéclarerofficiellementlibre,

etensuiteonréglerachaqueproblèmeunparun,dit

Meredithd’unevoixonnepeutplusfermeet

sensée.

CherJournal,

C’esttoujoursdanslapeaud’uneesclavequeje

t’écrisceslignes.Aujourd’hui,nousavonsrendusa

libertéàladyUlma,maisnousavonsdécidéque

Meredith,Bonnieetmoidevionscontinuerdejouer

les«assistantespersonnelles».C’estparceque

ladyUlmaaditqueDamonn’auraitpasl’airdans

lecoups’iln’étaitpasentourédejoliescourtisanes.

Aufond,çaaunavantage:ondoittoujours

porterdebellesrobesetdesbijoux.Étantdonné

quej’ailemêmejeandepuisquecesal***de

Drohzneatailladéceluiquejeportaisenarrivant,

tuimaginescommejesuisimpatiente!

Mais,franchement,cen’estpasseulement

pourlesbeauxhabitsquejemeréjouis.Depuis

qu’onalibéréladyUlmaetqu’onestarrivésdans

sonanciennepropriété,toutsepasseàmerveille.

Lamaisonétaitsensdessusdessousetabritait

visiblementuntasd’animauxsauvages,quis’en

servaientautantpourdormirquepourfaireleurs

besoins.Onamêmetrouvédesempreintesde

loupsetd’autresanimauxàl’étage,cequinousa

amenésànousdemandersidesloups-garous

vivaientauRoyaumedesOmbres.Apparemment

oui,etcertainsàdesrangstrèsélevés,sousles

ordresdedifférentsseigneursféodaux.D’ailleurs,

çaplairaitpeut-êtreàCarolinedevenirfaireun

petitséjourici,histoired’apprendreàconnaîtreles

vraisloups-garous;àcequ’ilparaît,ilshaïssent

tellementleshumainsqu’ilsn’enveulentmêmepas

commeesclaves(etmêmechosepourlesvampires

puisque,dansunepremièrevie,ilsétaient

humains).

MaisrevenonsàlamaisondeladyUlma.Les

fondationssontenpierreetl’intérieurest

recouvertdeboiseries,donclastructuredebase

esttrèsbelle.Lesrideauxetlestapisseriessonten

lambeaux,évidemment,ducoupc’estunpeu

sinistrequandonarriveaveclestorchesetqu’on

lesvoitpendillerunpeupartout.Etjeneparlepas

destoilesd’araignéegéantes.Jedétesteces

bestiolesplusquetout.

Maisbon,lejourdenotrearrivée,onest

entrésavecnostorches,quiressemblaientàdes

versionsminiaturesdeceténormesoleilpourpre

quinequittejamaisl’horizonetquiteintetoutsur

sonpassaged’unecouleurrougesang,onafermé

touteslesportesetalluméungigantesquefeudans

lacheminée,danslapiècequeladyUlmaappellela

GrandSalle.(Çadevaitêtrelàqu’ilsprenaient

leursrepasouquelesbalsavaientlieu:ilyaune

tableimmensesuruneestraded’uncôté,etune

tribunepourlesmusiciensau-dessusdecequi

devaitêtrelapistededanse.LadyUlmaaditque

c’étaitaussilàquetouslesdomestiquesdormaient

–danslaGrandSalle,j’entends,passurlatribune.)

Ensuite,onestmontésdanslesétages,oùona

découvertdesdizainesetdesdizainesdechambres

(jejurequec’estvrai!)avecdegrandslitsà

baldaquin,quivontavoirbesoindematelasneufs

etaussidenouveauxdraps,decouvre-litsetde

tentures.Maisonnes’estpasattardés:ilyavait

pleindechauves-sourisauplafond.

Après,onestpartisvoirl’ancienatelierdela

mèredeladyUlma.C’étaitunegrandepièce,à

mêmed’accueilliraumoinsquarantecouturières,

quis’occupaientdeconfectionnerlestenuesquela

maîtressedemaisonavaitcréées.Etc’estlàqueça

devientintéressant!

LadyUlmas’estapprochéed’unedes

penderies,elleaécartétouslesvêtementsen

loquesetmangésparlesmitesqu’ellecontenait.

Puiselleaappuyéàplusieursendroitssurlefond

del’armoire,etilaentièrementcoulissé!Ça

donnaitsurunescaliertrèsétroitquidescendaiten

lignedroite.

Jen’aipasarrêtédepenseràlacrypte

d’HonoriaFellenmedemandantsiunvampire

pourraitavoiréludomicileenbas,maisjesavais

quec’étaitidiotpuisqu’ilyavaitdestoiles

d’araignéeàl’intérieurdelaporte.Damonaquand

mêmeinsistépourpasserdevantparcequ’ilala

meilleurevuedenoustousdanslenoir,mais,à

monavis,ilétaitjustecurieuxdedécouvrircequ’il

yavaitenbas.

Onl’asuiviunparun,enessayantdefaire

attentionànostorcheset…etlà,lesmotsme

manquentpourdécrirecequ’onadécouvert.Au

début,j’étaisdéçue,cartouslesbijouxquise

trouvaientsurlegrosétabli,enbas,étaientplus

poussiéreuxquebrillants.MaisensuiteladyUlma

s’estmiseàlesnettoyerdélicatementavecun

chiffonspécial,Bonnieatrouvédessacsetdes

paquetsqu’elleavidés,etonauraitditundéluge

d’arcs-en-ciel!Damonatrouvéunchiffonnierqui

contenaitdestiroirsentiersdecolliers,de

bracelets,debagues,depetiteschaînespourles

brasetpourleschevilles,debouclesd’oreilles,

d’anneaux,etaussidesépinglesàcheveuxettoutes

sortesdebroches!

Jen’encroyaispasmesyeux.J’aividéune

petiteboursedansmamainetunepoignéeentière

demagnifiquesdiamantsblancss’estdéversée

entremesdoigts,certainsaussigrosquel’ongledu

pouce.J’aiaussivudesperlesblanchesetdes

noires,certainespluspetitesetparfaitement

assorties,

d’autres

énormes

et

de

formes

extraordinaires:presqueaussigrossesqu’un

abricot,avecdesrefletsroses,dorésouargentés.

J’aivudessaphirsdelatailled’ungrossouqui,àla

lumière,reflétaientdesétoilesvisiblesàl’autre

boutdelapièce!J’aiprisdespoignées

d’émeraudes,depéridots,d’opales,derubis,de

tourmalines,d’améthystesetdelapis-lazuli.

Etlesbijouxquiétaientdéjàmontésétaientsi

beauxquej’enavaislagorgenouée.Jesaisque

ladyUlmaapleurétoutdoucement,sansle

montrer,maisjecroisquec’étaitenpartiedejoie

caronn’arrêtaitpasdelacomplimentersurses

trésors.Enquelquesjours,elleestpasséedel’état

d’esclavedépouilléedetoutàceluidefemme

incroyablementriche,propriétaired’unemaisonet

possédanttouslesmoyensdel’entretenir.D’un

communaccord,onadécidéque,mêmesielle

comptaitépousersonamant,ilvaudraitmieuxque

Damonl’achèteetluirendediscrètementsaliberté,

maisqu’iljoueles«chefdefamille»toutletemps

oùl’onseraitici.Enattendant,ladyUlmaserait

traitéecommeunmembredelafamilleetle

bijoutierLucentravailleraitjusqu’ànotredépart,et

alorsilspourraienttouslesdeuxprendrelaplace

deDamon.Danscetterégion,lesseigneursféodaux

nesontplusdesdémons,cesontdesvampiresetils

s’opposentmoinsàl’idéequedeshumains

possèdentdesterres.

JenecroispasavoirparlédeLucen,si?C’est

unartistefantastique!Iléprouveunbesoin

constantdecréer:danslespremierstempsoùil

étaitesclave,illefaisaitàpartirdeboueetde

mauvaisesherbesenimaginantquec’étaientdes

bijoux.Puisilaeulachanced’êtremisen

apprentissagechezunbijoutier.Ildéploraitla

conditiondeladyUlmaetl’aimaitdepuissi

longtempsquec’estunpeuunmiraclequ’ilsaient

finalementréussiàseretrouverpourdebon,

surtoutentantquecitoyenslibres.

Oncraignaitquel’idéedel’acheteretdelui

rendresalibertéseulementaprèsnotredépartne

luidéplaise,maisilnepensaitmêmepaspouvoir

unjourêtrelibre…commes’ilétaitprisonnierde

sontalent.C’estunhommecalme,douxetgentil,

avecunepetitebarbesoignéeetdesyeuxgrisqui

merappellentceuxdeMeredith.Ilesttellement

stupéfaitd’êtretraitécorrectement,sansêtre

contraint

de

travailler

vingt-quatre

heures

d’affilée,qu’ilauraitacceptén’importequoipour

avoirledroitderesterauprèsdeladyUlma.Je

présumequ’ilétaitapprentiàl’époqueoùsonpère

étaitunbijoutierréputéetqu’ilestamoureuxd’elle

depuistoutescesannées;ilpensaitsûrementqu’il

nepourraitjamaisvivreavecelle,carc’étaitune

jeunefilledebonnefamilleetluiunesclave.

Aujourd’hui,ilssontsiheureux!

LadyUlmaembellitetrajeunitdejourenjour.

ElleademandélapermissionàDamondese

teindrelescheveuxennoir,illuiaréponduqu’elle

pouvaitmêmelesteindreenrosesiellevoulait,et

depuiselleestd’unebeautéincroyable.Jen’arrive

pasàcroirequej’aiepulaconsidérercommeune

vieillesorcière;maisc’étaitlerésultatdela

souffrance,delapeuretdudésespoir.

J’aioubliédeparlerdel’autreavantagedufait

que

Meredith,

Bonnie

et

moi

soyons

temporairementdes«assistantespersonnelles»:

onpeutembaucherpleindefemmesdanslebesoin

quiviventdelacouture,etladyUlmaleurmontre

dequellefaçonelleconfectionnenosplusbelles

toilettes.Onluiaconseillédeplutôtsereposer,

maiselleaditquetoutesavieelleavaitnourri

l’espoirdedevenirstylistecommesamèreet

qu’aujourd’huiellemouraitd’enviedeselancer,en

prenantpourmodèlestroisfillesauxstyles

complètementdifférents.Pourlecoup,c’estmoi

quimeursd’enviedevoirlerésultat:elleadéjà

commencéàdessinerlespatrons,etdemainle

marchandd’étoffesdoitvenirpourqu’ellechoisisse

lestissus.

Desoncôté,Damonarecrutéenvirondeux

centshommes(vraiment!)pournettoyerla

propriétédeladyUlmadefondencomble,

accrocherdenouveauxrideauxettentures,

remettreàneuflaplomberie,astiquerlesmeubles

quisesontbienconservésetremplacerceuxquise

sonteffondrés.Ah,etaussipourplanterdesfleurs

etdesarbresadultesdanslejardin,etajouterdes

fontainesetd’autresd’ornements.Avectoutesces

personnesàl’œuvre,ceseral’affairedequelques

joursavantqu’onpuisseemménager.

L’objectifdetoutça,outreceluiderendrelady

Ulmaheureuse,c’estqueDamonetsesassistantes

personnellessoientadmisdanslahautesociété,

étantdonnéquelasaisondesbalsvabientôt

commencer.Carj’aigardélemeilleurpourlafin:

ladyUlmaetSageonttoutdesuitereconnules

personnesévoquéesdanslesdeuxénigmesde

Misao!

Çanefaitqueconfirmercequejepensaisdéjà,

àsavoirqueMisaonesedoutaitpasunseul

instantquel’onviendraitjusqu’iciouquel’onaurait

accèsauxlieuxoùilsontcachélesdeuxmoitiésde

clédekitsune.

Maisilyaunmoyentrèssimpledesefaire

inviterdanslesmaisonsoùl’onabesoind’entrer.Si

ondevientlesnababslesplusenvuedelarégion,si

onfaitcourirlebruitqueladyUlmaaretrouvéla

placequiluirevenaitetsitoutlemondeveut

prendredesesnouvelles,onserainvitésauxbals!

Voilàcommentonvapouvoirentrerdanslesdeux

propriétésquinousintéressentetretrouverlaclé

quinouspermettradelibérerStefan!Enplus,ona

delachancecarlesdeuxmaisonsenquestionfont

partiedespremièresàouvrirlasaison:l’une

organiseungala,l’autreunbaldeprintempspour

fêterl’arrivéedespremiersbourgeons.

Jesaisquemonécrituredevientunpeu

tremblante.C’estparcequejetremblemoi-mêmeà

laperspectivederetrouvercettecléetdefaire

enfinsortirStefandeprison.

Bon,moncherJournal,ilesttardàprésent,

et…jenemesenspaslaforced’écrireausujetde

Stefan.Quandjepensequejemetrouvedansla

mêmevillequelui,quejesaisoùilestenfermé…

maisquejen’aipaslapossibilitédelevoir,mes

yeuxsonttellementembuésquejen’arriveplusà

lirecequej’écris.Moiquivoulaisdormirunpeu

pourêtreenformedemainetcontinuerdecourir

danstouslessens,superviseretregarderla

propriétédeladyUlmas’épanouircommeune

fleur…Maintenantj’aipeurderefairece

cauchemaroùjevoislamaindeStefan

m’échapperlentement.

22.

Lanuitdeleuremménagement,profitantdu

faitquelespropriétésalentourétaientéteinteset

silencieuses,lepetitgroupes’introduisitdansla

maisondeladyUlma.Elena,MeredithetBonnie

choisirenttroischambresàl’étage,procheslesunes

desautres.Àproximitésetrouvaitunesallede

bainssomptueuse,avecunsolenmarbreclairbleu

etblancetunbassinenformederosegéanteassez

grandpourqu’onpuisseynager,chaufféaucharbon

debois,donts’occupaitunedomestiqueauvisage

enjoué.

CequiseproduisitensuiteenchantaElena.

Danslaplusgrandediscrétion,Damonachetade

nombreuxesclavesaucoursd’uneventeaux

enchèresprivéeorganiséechezunmarchand

respectable.Rapidementilleurrenditleurliberté,

etleurproposasalaireetjoursderepos.Presque

tous

les

esclaves

fraîchement

libérés

ne

demandèrentpasmieuxquederester;seuls

quelques-unsdécidèrentdepartir,desfemmes

pourlaplupart,àlarecherchedeleurfamille.Ceux

quiresteraientdeviendraientparlasuite,aprèsle

départdeDamonetdeses«assistantes»,les

domestiquesdeladyUlma.

LadyUlmasevitattribuerunechambrede

catégorie«supérieure»aurez-de-chaussée,et

Damondutpresqueuserdelaforcepourqu’elle

acceptedes’yinstaller.Ilsechoisitunechambrequi

servaitdebureaulejour,étantdonnéque,detoute

façon,iln’allaitprobablementpaspasserbeaucoup

detempsdanslamaisonlanuit.

D’ailleurs,ilyeutunlégerembarrasàce

propos.Laplupartdupersonnelconnaissaitlemode

deviedesvampires,etlesjeunesfemmesqui

venaientcoudreouquivivaientaudomaine,comme

lescuisinièresetlesfemmesdeménage,semblaient

s’attendreàcequ’unesortedetableaudeservice

soitmisaupointpourquechacunesoit

«donneuse»àtourderôle.

Damonespéraitundéfilérégulierdefilles,dela

petitechosedélicateàlapoupéeauxjouesrosesen

passantparlafemmepulpeuse,quiseraient

heureusesd’être«misesenperce»commedes

barilsdebièreenéchangedebraceletsetautres

babiolesoffertsselonlatradition.Mais,quandilfit

partdecetteidéeàElena,ellelarejeta

immédiatement.

Delamêmefaçon,ellerefusal’idéequ’il

transformedenouvellesrecrues.Sageavaitfait

mentionderumeursconcernantunpossiblestage

deformationrigoureux,visantàintégreruneunité

d’élitedechasseurs.

—Uncommandospécialdevampires?avait

ironiséElena,cettefoisdevantungrouped’esclaves

masculins.Sivousallezàlachasseauxhumains

commedeuxrapacestraquantdesrongeurs,ne

vousfatiguezpasàreveniraprès:lesportesseront

fermées…defaçondéfinitive.

ElleavaitdévisagéSageavecunregardd’acier,

etilétaitpartisansdemandersonreste.

Ellen’avaitriencontrelefaitqu’ilait

emménagéaveceuxàtitreofficieux.D’ailleurs,

quandelleavaitapprisdequellefaçonilavait

protégéDamoncontrelafoulequiluiavaittendu

uneembuscadesurlecheminduTemple,elleavait

décidéelle-mêmeque,siSagevoulaitsonsang,elle

leluidonneraitsanshésiter.Auboutdequelque

temps,quandilsseconnurentunpeumieux,elle

s’étaitdemandésilefaitquesonaurasoitatténuée

etqueDamonluirésisteneleprivaitpas

injustement.Alorselleluiavaitfaitdesallusions,

d’aborddiscrètespuisàpeinevoilées,jusqu’àce

qu’unjourilluidemande,hilareetpleurantderire

(maisétait-ceseulementderire?),sielle

connaissaitcefameuxproverbe:Onnefaitpas

boireunânequin’apassoif.Danssoncas,avait-il

expliqué,onpouvaittoujourspousserunepanthère

noire

affamée

(représentation

emblématique

qu’Elenasefaisaitdesvampires)verslegibierà

conditiond’avoirunbâtonélectriqueàbétailetun

ankushaàéléphant,mais,siontournaitledosàla

bêteparlasuite,c’étaitàsesrisquesetpérils!

Elenaavaitriauxlarmeselleaussi,maisnéanmoins

insisté:s’ilvoulaitsonsang,dansdesproportions

raisonnables,iln’avaitqu’àdemander.

Aujourd’hui,elleétaitsimplementcontentequ’il

soitparmieux.VulaplacequeStefan,Damonet

mêmeMatt,malgrésonapparentedésertion,

prenaientdéjàdanssoncœur,ellenerisquaitpasde

tomberamoureused’unautrevampire,quandbien

mêmeilseraitbaraquéàmort.

Parailleurs,elleconstataquepluslesjours

passaient,pluselles’enremettaitsereinementà

Lakshmi.Audébut,lapetitefilleétaitunpeule

coursierdelamaison,gérantlestâchesdont

personnenevoulait,maispeuàpeuelledevintla

demoiselledecompagniedeladyUlmaetlasource

d’informationsd’Elenasurcemonde.Officiellement,

ladyUlmaétaitencorealitée,etlefaitd’avoir

Lakshmiàdisposition,àtoutmomentdujouroude

lanuit,pourtransmettresesmessagesétait

merveilleusementpratique.Enoutre,Elenapouvait

luiposerdesquestionssansqu’elleladévisageavec

desyeuxronds:devaient-ilsacheterdesassiettes

oubienlanourritureétait-elleserviesurungros

morceaudepainsecquifaisaitaussiofficede

serviettepourlesdoigtsgras?(Lesassiettes,tout

commelesfourchettes,venaientdefaireleur

apparitiondanslaviequotidienne,etfaisaient

actuellementfureur.)Combiend’hommesetde

femmesdelamaisonpouvaientprétendreàdes

gages?(Lesquelsdevaientêtrecalculéssansbase

deréférence,puisqueaucuneautremaisonne

versaitunsouàsesesclaves,secontentantdeles

habilleravecdesvêtementsdesecondemain

trouvésaumarchénoiretdeleuraccorderunou

deux«joursdefête»paran.)Elleavaitbeauêtre

jeune,Lakshmiétaitàlafoishonnêteetcourageuse,

etElenalaformaitpourqu’elledeviennelebras

droitdeladyUlmaquandcettedernièreserait

suffisammentrétabliepourreprendrelesrênesde

lamaison.

23.

CherJournal,

Demainalieunotrepremièrefête,ougala

plutôt.Maisjen’aipasvraimentlatêteàça.Stefan

memanquetrop.

Etpuisjen’arrêtepasderuminerausujetde

Matt,delafaçondontilestparti,sifâchécontre

moi,sansmêmeseretourner.Iln’apascompris

commentjepouvais…teniràDamon,etmalgré

tout…continuerd’aimerStefanàlafolie,aupoint

d’avoirlecœurcommebriséenmillemorceaux.

Elenareposalestyloetfixasonjournald’unair

morne.Sonchagrinsemanifestaitpardevraies

douleursdanslapoitrine,quil’auraientpaniquéesi

ellen’avaitsucequ’ilenétaitréellement.Stefanlui

manquaitsicruellementqu’ellearrivaitàpeineà

mangeretàdormir.Ilétaitcommeunepartd’elle-

mêmeconstammentenébullition,commeunbras

invisiblequinevoulaitpaslalâcher.

Riennepourraitl’apaisercesoir,pasmême

écriredanssonjournal.Toutcequiluivenaità

l’esprit,c’étaientdessouvenirsterriblement

douloureuxdesbonsmomentsqu’elleavait

partagésavecStefan.Commeelleregrettait

l’époqueoùilluisuffisaitdetournerlatêtepourle

voir!Quelprivilègec’était!Aujourd’hui,sanslui,

cetétatdegrâceavaitétéremplacéparlaconfusion,

laculpabilitéetl’angoisse.Qu’éprouvait-ilàcet

instant?Est-cequ’onluifaisait…dumal?

Bonsang,siseulement…

Siseulementj’avaisinsistépourqu’ilverrouille

touteslesfenêtresdesachambreàlapension…

Siseulementjem’étaisdavantageméfiéede

Damon…

Sij’avaissuqu’ilavaituneidéederrièrelatête

cettenuit-là…

Etsi…etsi…

Martelantcerefrainaurythmedeses

battementsdecœur,elleseretrouvaàsangloter

toutbas,lespaupièresetlespoingsserrés.

Sijebaisselesbras,sijelaissecettesouffrance

m’anéantir,jedisparaîtraicommeunpointinfime

dansl’espace.Jeserairéduiteànéant,maiscesera

toujoursmieuxqued’êtreaussidésespérée.

Elenaredressalatêteetvit…sapropretête,

poséesurlejournal.

Elleétouffauncri.

Làencore,sapremièreréactionfutdecroire

qu’elleétaitmorte.Puis,lentement,unpeuabrutie

parleslarmesqu’elleavaitversées,ellecomprit.

Sonâmeétaitdenouveausortiedesoncorps.

Contrairementàlafoisprécédente,ellen’eut

paslasensationd’avoirconsciemmentdécidédela

destination.Ellevolaitsivitequ’elleétaitincapable

dediredansquelsenselleallait.C’étaitcommesion

latiraitparlamain,commesielleétaitunequeue

decomètetraversantleciel.

Àunmoment,elles’aperçutavecunehorreur

familièrequ’elletraversaitlesobjetsetlesmurs,

puisellevirabrusquement,tellel’extrémitéd’un

fouetquel’onfaitclaquer,etfutcatapultéedansla

celluledeStefan.

Ellesanglotaitencorequandelleatterritsurle

soldur,sansvraimentsentirlepoidsdesoncorps,

etaufondinsensibleàl’impact.Laseulechose

qu’elleeutletempsdevoir,c’étaitStefan,très

amaigrimaissouriantdanssonsommeil,avant

d’êtreprojetéecontrelui,continuantdepleurer

alorsqu’ellerebondissait,aveclalégèretéd’une

plume.

PuisStefanseréveilla.

—Bonsang,vousnepouvezpasmelaisser

dormirenpaixaumoinscinqminutes!lâcha-t-il

sèchement.

Ilajoutadeuxoutroisinsultesenitalienqu’elle

n’avaitjamaiseul’occasiond’entendre.

Sapremièreréactionfutdecraquercomme

l’auraitfaitBonnie:uneviolentecrisedelarmesqui

larenditsourdeàtouteparolederéconfort.Les

geôliersdeStefanluifaisaientvivreunenferense

servantdel’imaged’Elena.C’étaitvraiment

terrifiant.Ilsleconditionnaientpourqu’ilfinissepar

ladétester.Déjàqu’ellesedétestaitelle-même…

Toutlemondesurcettemauditeplanètela

détestait…

—Elena!Non,nepleurepas,monamour!

Épuisée,ellefutdenouveausubmergéede

larmesetseblottitcontrel’uniformedeprisonnier

deStefan,quelemoindreartificeauraitembellitant

ilétaitlaid.

Ellenesentitpaslebrasquitentaitde

l’entourerendouceur.Ellen’étaitqu’uncorps

astral.

Mais,àdéfautd’enveloppecharnelle,elleavait

deslarmesàrevendre.Unepetitevoixfroideet

cinglanterésonnaenelle:Nelesgâchepas,idiote!

Utilise-les!Situveuxpleurer,fais-leau-dessusde

sonvisageoudesesmains.Et,aufait,tuas

raison:toutlemondetedéteste.

MêmeMatt.PourtantMattaimetoutle

monde,continualavoixcruelleetfertiledeson

imagination.Elenaselaissaalleràdenouveaux

sanglots,constatantdistraitementl’effetdechaque

larmesurStefan.Àchaqueimpact,sapeaulivide

rosissaitunpeuplus,lacouleursepropageanten

ondulations,commesiStefanétaitunvasteétangà

lasurfaceduquelellereposait.

Exceptéqueseslarmestombaientsivitequ’on

auraitditundéluges’abattantsurlevieuxpont

Wickery.Elleneputs’empêcherdeserappelerle

jouroùMattavaitsautédanslarivièregeléeen

contrebaspouressayerdesauverunepetitefillequi

avaittraversélaglace.

—Non,jet’enprie!Nepleurepas,montendre

amour!l’imploraStefan.

Ilsemblaitsisincèrequen’importequiyaurait

cru.Maispourquoileserait-il?Elenasavaitdequoi

elleavaitl’air,levisageenfléetbarbouilléde

larmes:ellen’avaitriend’un«tendreamour»!Et

ilfaudraitqu’ilsoitfoupourvouloirl’empêcherde

pleurer:seslarmesluiredonnaientunsouffledevie

chaquefoisqu’ellesentraientencontactavecsa

peau.Galvanisé,Stefantentadelarassurerparla

pensée,d’unevoixforteetassurée:

Pardonne-moi,Elena.MonDieu,jevousen

prie,accordez-moiuninstantseulavecelle!Rien

qu’unmoment!Jeferaitoutcequevousvoulez

après,j’accepteraimêmelamort.Unseulinstant

aucontactdesapeau!

Peut-êtreque,dansunmomentdepitié,Dieu

entenditsaprière.Tremblantes,leslèvresd’Elena

planèrentau-dessusdessiennes,commesielleallait

luivolerunbaisercommeellelefaisaitjadis,le

matin,quandildormaitencore.L’espaced’un

instant,elleeutl’impressiondesentirsoncorps

tièdecontreelleetseslongscilscaresserses

paupièresalorsqu’ilouvraitbrusquementlesyeux

desurprise.

Ilssefigèrenttouslesdeux,ahuris,n’osantplus

faireungeste.Elenafutlapremièreàcraquer,

électriséeparlaboufféedechaleurquisepropagea

danssoncorpsaucontactdeslèvresdeStefan.

Alors,restantprudemmentimmobile,leregard

danslevagueetlespaupièressefermant

doucement,ellesentitleursbouchessefondreenun

baiser.

L’étreintes’achevad’unseulcoup,sansbruit.

Elenaavaitdeuxoptions:ellepouvaithurleret

serépandreeninjurescontreIlSignorepournepas

leuravoiraccordéplusdetemps,oubienelle

pouvaitrassemblersoncourage,sourireetpeut-

êtremêmeréconforterStefan.

Sonbonsensl’emportaet,quandStefanrouvrit

lesyeux,ellefitminedeseblottirdanssesbras,le

sourireauxlèvres,toutenessayantderemettrede

l’ordredanssescheveux.

Soulagé,Stefansouritaussi.Onauraitditqu’il

pouvaittoutendurertantqu’elleétaitindemne.

—Àtaplace,Damonauraitétéplus

pragmatique,

le

taquina-t-elle.

Il

m’aurait

encouragéeàpleurer,caraufinalc’estsasantéqui

auraitsurtoutcompté.Etilauraitpriépour…

Elles’interrompit,puiséclataderire.

—…aufond,jen’ensaisrien,dit-elle

finalement.JenecroispasqueDamonprie.

—Sansdoutequenon,murmuraStefan.Quand

onétaitjeunesethumains…lecurédelavillese

déplaçaitavecunecanne,mais,àcequ’ondit,ils’en

servaitpluspourcorrigerlesjeunesdélinquantsque

pours’appuyer.

Elenarepensaaupetitgarçonenchaînéà

l’énormerocherlourddesecrets.Lareligionfaisait-

ellepartiedetouscessouvenirsqueDamonavait

missousclé,séquestrésderrièredesmursétanches,

semblablesàdescarapacesanimales?

EllesegardadeposerlaquestionàStefan.

Baissantlavoix,aupointdelaréduireàuninfime

chuchotementquitroublaàpeinel’espritpourtant

réceptifdeStefan,elleluienposauneautrepar

télépathie

:Connaissant

ton

frère

et

son

pragmatisme,quelsplanspourrait-ilavoiren

tête?Desplansd’évasion,j’entends?

—Pouruneévasion,tudis?…Ehbien,la

premièrechosequimevientàl’esprit,c’estquetu

doisconnaîtrelavillecommetapoche.J’avaisles

yeuxbandésquandonm’aamenéici,mais,étant

donnéqu’ilsn’ontpaslepouvoirdeleverla

malédictionquipèsesurlesvampiresetdeles

changer

en

humains,

j’avais

toujours

mes

perceptionsextrasensorielles.Jediraisquelaville

faitlatailledecellesdeNewYorketLosAngeles

réunies.

—Plutôténorme,donc,commentaElenaen

mémorisantcetteinformation.

—Mais,heureusement,cequinousintéressese

trouvedanslesecteursud-ouest.Lavilleestparaît-

ilgéréeparlesSentinelles,maisellesappartiennent

àl’AutreMonde,etlesdémonsetvampiresqui

viventicidepuislongtempssesontaperçusquela

populationavaitpluspeurd’euxqued’elles.

Aujourd’hui,leRoyaumeestconstituédedouzeou

quinzechâteauxféodauxetdomaines,etchacun

contrôleunnombreconsidérabledeterresen

dehorsdelaville.Ilsfabriquenteux-mêmesles

produitsdontilsontbesoinetfontaffaireenles

vendantici.Cesontparexemplelesvampiresqui

cultiventlevindeMagieNoiredeClarionLoess.

—Jevois,ditElena,quinevoyaitabsolument

pasdequoiilparlait,exceptépourlevin.Maisla

seulechosequinousintéressevraiment,c’estle

cheminpourserendreàlaprisonduShinoShi.

—C’estvrai.Ehbien,leplussimple,ceseraitde

passerparlesecteurdeskitsune.LeShinoShiest

ungroupedebâtimentsdontleplusgrand,celuiqui

n’apasdetoit,dumoinsvud’enbas,parcequ’en

faitilestincurvé…

—Celuiquiressembleàuncolisée?lecoupa

Elenaavecempressement.

—Nonseulementçayressemble,maisenplus

c’estuncolisée,confirmaStefanensouriant.

«C’estunvraisourire,seréjouitElenaen

silence.Ilsesentsuffisammentmieuxpour

sourire.»

—Donc,pourrevenirdansnotremonde,ilnous

suffiraderepartirducoliséejusqu’àlaPortedes

Démons,résumaElena.Parcontre,pourtefaire

sortird’ici…ondoitrécupérercertainséléments…

etilssontsûrementcachésàdifférentsendroitsde

laville.

Ellenesavaitplussielleluiavaitdéjàdécritla

clédekitsune.Dansledoute,etpoursasécurité,

ellepréféranepasenparler.

—Danscecas,àvotreplace,jerecruterais

quelqu’unducoin,réponditaussitôtStefan.Jene

saispasgrand-chosedecetteville,exceptéceque

m’endisentlesgardiens,etjenesuispassûrqu’on

puissesefieràeux.Maislesgensdupeuple,les

citoyensordinaires,ilssaurontsûrementvous

renseigner.

—Bonneidée.

Tandisqu’ilsparlaient,Elenatraçaitd’undoigt

transparentdesdessinsinvisiblessursontorse.

—JecroisqueDamonavraimentl’intentionde

fairesonmaximumpournousaider.

—Jeluisuisvraimentreconnaissantd’être

venu,ditStefand’unairsongeur.Aufait,iltient

parole,n’est-cepas?

Elenaacquiesçad’unsignedetête.Mais,enson

forintérieur,unepenséel’agita:Situparlesdela

promessequ’ilt’afaitedeprendresoindemoi,oui,

illatient.CarDamontienttoujoursparole.

—Stefan…,chuchota-t-elle.

Elles’adressaàlapartlaplusenfouiedeson

esprit,dansl’espoirdeseconfieràluidansleplus

grandsecret:

Siseulementtuavaisétélàpourlevoir:

quandjemesuisserviedesAilesdelaRédemption,

touteslesmauvaisesexpériencesquil’avaient

endurciourenducruelontétéanéanties.Et,avec

lesAilesdelaPurification,l’épaisserochequi

encerclaitsonâmes’estdétachéeparmorceaux

entiers…Tun’imaginespasàquelpointilétait

différent.Ilétaitparfait,commeneuf.Ensuite,

quandils’estmisàpleurer…

Aussitôt,elleperçuttroisémotionssuccessives

chezStefan.D’abordledouteàl’idéequeDamon

soitcapabledepleurer,malgrétoutcequ’Elena

venaitdeluiraconter.Puislaconvictionet

l’étonnementàmesurequ’ilassimilaitlesimageset

lessouvenirsqu’elleluitransmettait.Etenfinle

besoindelaconsolertandisqu’ellesereprésentait

Damoncondamnéaurepentir.UnDamonqui

n’existeraitplusjamais.

—Ilt’asauvé,repritElenaàvoixhaute.Maisil

l’afaitàsondétriment.Iln’amêmepascherchéà

négocieravecShinichietMisao.Illesalaisséslui

prendretoussessouvenirsdecetévénement.

—C’étaitpeut-êtretropdouloureuxpourlui?

—Sansdoute…

Volontairement,ellebaissalagardepour

permettreàStefanderessentirladouleurqueson

frère,cetêtreneufetparfaitqu’elleavaitfaitnaître,

avaitéprouvéeendécouvrantlesactesdecruauté

etdetrahisonqu’ilavaitcommis.

—Jecroisqu’ilsesenttrèsseul,Stefan.

—Oui,tuasraison,monange.

Cettefois,Elenaréfléchitunbonmomentavant

d’oserposeruneautrequestion:

—Stefan…jenesuispassûrequetonfrère

sachecequec’estd’êtreaimé,tucomprends?

LaréponsedeStefan,quitardaàvenir,lamit

ausupplice:

—Oui,jecroisquetuasencoreraison,

répondit-ilenfin,trèsdoucementetlentement.

Voilàpourquoiellel’aimaittant:illa

comprenaitsibien.Etilsemontraittoujours

courageuxetconfiant,pilequandilfallait.

—Stefan?…Tucroisquejepeuxrestericice

soir?

—Biensûr…saufsi…ilsviennentmechercher

pourm’emmenerailleurs…

Soudain,ilfixaElenad’unairgrave.

—…etsiçaarrive,tudoismepromettrede

partir,d’accord?

Elleleregardadroitdanslesyeux.

—Sic’estcequetuveux,alorsjetelepromets.

—Est-ceque…tutienstoujoursparole,Elena?

Toutàcoup,ilsemblafatigué,maiscomme

quelqu’unquisesentdétenduetquiselaisse

happerparunsommeilpaisible.

—Toujours,répondit-elleenleberçantd’une

voixdouce.

«Surtoutpourtoi»,ajouta-t-elleensilence.Si

quelqu’unvenaitluifairedumal,ilverraitdequoi

unadversairefantômeétaitcapable.Ellepourrait,

parexemple,s’inséreràl’intérieurdesoncorpset

enprendrepossession…justeletempsdeluibroyer

lecœurentresesjolisdoigtspâles.

—Jet’aime,Elena.Cebaiserm’afaittantde

bien…

—Etcen’estpasledernier!Jetelejure!

Lesyeuxgonflés,elleversaquelqueslarmessur

sonvisagepourl’apaiser.

Illuisouritavecdouceurets’endormit

profondément.

***

Aupetitmatin,Elenaseréveillaseule,danssa

superbechambrechezladyUlma.Seulemais

habitéed’unnouveausouvenir,semblableàune

jolieroseséchéequ’elleconservaitaufondd’elle.

Elleavaitconsciencequ’unjourcessouvenirs

seraientpeut-êtretoutcequ’illuiresteraitde

Stefan.Elles’imaginaitdéjàseraccrocheràleur

parfum,

à

leur

délicatesse,

et

les

chérir

éternellement…sijamaisStefannerevenaitpas.

24.

—Allez,justeunpetitcoupd’œil!

BonnieavaitlecarnetdecroquisdeladyUlma

souslesyeux,celuidanslequelelleavaitdessiné

leursrobeshautecouturepourlebalquisetenaitle

soirmême.Àcôté,àportéedemain,setrouvaient

deséchantillonsdetissu:unsatinchatoyant,une

soieplissée,unemousselinetransparente,un

velourssomptueux.

—Patience!Tuvasfairelesderniersessayages

dansmoinsd’uneheure…etcettefoisenayantle

droitderegarder!luilançaElenaenriant.Celadit,

n’oublionspasquecesoironn’estpaslàpour

s’amuser.Biensûr,ilfaudraqu’ondanseunpeu,

pourfaireillusion…

—Biensûr!répétaBonnieavecenthousiasme.

—Maisnotreobjectif,c’estdetrouverla

premièremoitiédelaclé.Siseulementonavaitune

bouledecristalquipuissenousmontrerl’intérieur

delamaisondecesoir.

—Onsaitdéjàpasmaldechosesdessus,dit

Meredith.Onn’aqu’àenparlerpouressayerdese

l’imaginer?

—OK,c’estpartipouruneséancede

brainstorming,acquiesçaElena.

—Jepeuxmejoindreàvous?demandaune

voixdouceetposéedansl’embrasuredelaporte.

Tournantlatête,lesfillesselevèrentenmême

tempspouraccueillirladyUlmaquileursouriait

tendrement.

Avantdes’asseoir,ellepritchaleureusement

Elenadanssesbrasendéposantunbaisersursa

joue,etcettedernièreneputs’empêcherdefairela

comparaisonentrelafemmequ’elleavaitconnue

chezleDrMeggaretl’élégantedamequ’elleétait

devenue.Àl’époque,elleavaitpourainsidirela

peausurlesos,leregardeffarouchéd’unanimal

souffrant,etelleportaitunesimplerobede

chambreetdespantouflesd’homme.Aujourd’hui,

ellelafaisaitpenseràunematroneromaineavec

sonvisagesereinquicommençaitàreprendredes

joues,soussacouronnedetressesnoireset

brillantesretenuepardespeignesornésde

pierreries.Soncorpsaussisemblaitseremplumer,

surtoutsonventre,bienqu’elleconservâtsagrâce

naturelleenprenantplacesurlesofaenvelours.

Elleportaitunelonguerobedesoiegrège,couleur

safran,surunjuponabricotauxfranges

chatoyantes.

—Onattendavecimpatiencelesessayagesde

cesoir,voussavez!luiditElenaenindiquantle

carnetdecroquisd’unsignedetête.

—Moiaussi,jesuisexcitéecommeunepuce,

reconnutladyUlma.Siseulementjepouvaisvous

rendreundixièmedecequevousavezfaitpour

moi!

—Vousavezdéjàfaiténormément.Sionréussit

àretrouvercetteclécesoir,ceserauniquement

grâceàtoutel’aidequevousnousavezapportée.Et

vousn’imaginezpasàquelpointc’estimportant

pourmoi,ajoutaElenaenchuchotantpresque.

—Maisàl’époque,quandvousavezdéfié

l’autoritéenfaveurd’uneesclavemisérable,c’était

sansimaginerquejepourraisvousaider.Vous

vouliezjustemedéfendre…etvousenavez

beaucoupsouffert,répondittranquillementlady

Ulma.

Gênée,Elenachangeadeposition.L’entaillesur

sonvisagen’avaitlaisséqu’unefinecicatriceblanche

lelongdesapommette.Àl’époqueoùelleétait

vampire,elleauraitpulafairedisparaîtred’un

simplegeste.Maisaujourd’hui,canalisersonénergie

etl’utiliserpouraccroîtresesperceptionsétaitla

seulevolontéauquelsonpouvoirsepliait.

Àuneautreépoque,songea-t-elle,ense

revoyants’extasierdevantunePorschegaréesurle

parkingdulycée,elleauraitconsidérécettecicatrice

commelapirecalamitédesavie.Maisaujourd’hui,

étantdonnélesméritesqu’elleenavaittirés,la

façondontDamonlasurnommaitsa«petite

blessuredeguerre»etsacertitudequecette

marqueseraitaussiinsignifiantepourStefanqu’elle

leseraitpourelles’ilétaitàsaplace,elleestimait

quecen’étaitvraimentpasbiengrave.

«Jenesuispluscellequej’étais,pensa-t-elle.

Etc’estmieuxcommeça.»

—N’ypensonsplus,dit-elle,ignorantladouleur

quiluiélançaitencoreparfoislajambe.Parlons

plutôtdurossignold’argentetdesongala.

—D’accord,acquiesçaMeredith.Alors,que

sait-onsurelle?Rappelle-nousl’énigmeen

question,Elena?

—Misaoadit:«Sijetedisqu’unedesmoitiés

setrouvedansl’instrumentdurossignold’argent,ça

t’évoquequelquechose?»…plusoumoinsences

termes,répétadocilementElena.

Toutesconnaissaientlaformulationparcœur,

maiscelafaisaitpartiedurituelchaquefoisqu’elles

endiscutaient.

—EtleRossignold’argentestlesurnomdonné

àladyFazinaDarley,quetoutlemondeconnaîtau

RoyaumedesOmbres!leurrappelaBonnieen

frappantdejoiedanssespetitesmains.

—Eneffet,cesobriquetnedatepasd’hier.Illui

aétédonnéàsonarrivéeici,quandelles’estmiseà

chanteretàjouersurdesharpesmontéesdecordes

d’argent,glissaladyUlmaavecsérieux.

—Orlescordesdeharpes’accordentavecdes

accordoirs,etunaccordoirc’estunesortedeclé!

continuaBonnieavecagitation.

—Oui,maiscen’estpasvraimentçaqu’on

cherche.

Meredith,parcomparaison,parlaitd’unevoix

calmeetposée.

Surunetableprèsd’elle,elleposaunobjeten

boisd’érable,clairetlisse,quiressemblaitàuntout

petitTou,vudebiais,àunarbreàunebranchequi

plieraitavecgrâcesouslevent.

—Voilààquoiressembleunaccordoir.C’estun

desmusiciensqueDamonaembauchésquimel’a

donné.

Bonnieexaminalapetitecléavecunemoue

dédaigneuse.

—Çapourraittrèsbienêtreça,insista-t-elle.

Çapourraitavoirundoubleemploi?

—Jenevoispascomment.Àmoinsqueçane

changedeformequandlesdeuxmoitiésdeclésont

réunies.

—Exactement,intervintladyUlma,commesi

Meredith

venait

d’énoncer

une

supposition

évidente.Sicettecléestvraimentmagique,ilest

certainquesesdeuxmoitiéschangerontquandelles

serontassemblées.

—Ah,tuvois!

—Maissiellespeuventavoirn’importequelle

forme,

comment

voulez-vous

qu’on

les

reconnaisse?s’impatientaElena.

EnvoyantladyUlmasetairebrusquement,elle

s’envoulut.Çalarendaitmaladed’employerunton

duroumêmedesemontrercontrariéefaceàcette

femmequiavaitconnulasoumissionetl’horreur

depuisl’enfance.Ellevoulaitqu’ellesesenteen

sécuritéetheureuse.

—Bon,entoutcas,onsaitunechose,reprit-elle

plusgentiment.Cequ’oncherchesetrouvedans

l’instrumentduRossignold’argent.Donc,sion

trouvequelquechosedanslaharpedeladyFazina,

cedevraitêtreça.

—Oh,mais…

LadyUlmas’arrêta,sansoserallerauboutde

sapensée.

—Oui?luiditgentimentElena.

—Non,rien.Je…jevoulaisjustevousproposer

devousmontrervosrobes.Cedernieressayagea

justepourbutdevérifierquetoutestparfaitdans

lesmoindrescoutures.

—Avecgrandplaisir!acquiesçaBonnieense

jetantsurlecarnetdecroquis.

Meredithtirauncordondesonnettepourfaire

venirunedomestique,etrepartitaussitôtavecelle

àl’atelier.

—DommagequemaîtreDamonetseigneur

Sagen’aientpassouhaitéquejeleurcréeun

costume,ditladyUlmaavecmélancolieàElena.

—Detoutefaçon,Sagenevientpas.Quantà

Damon,jesuissûrequ’iln’auraitpasétécontre…à

conditionqu’ils’agissed’unetenueavecvesteen

cuirnoire,chemisenoire,jeannoiretbottesnoires,

parfaitementidentiqueàcellequ’ilportetousles

jours.Là,ilauraitétéravidelaporter!

LadyUlmaritdeboncœur.

—Jevois!Enfin,ilyauratantdetenues

fantastiquescesoirqu’ilchangerapeut-êtred’avis

parlasuite.Etmaintenant,fermonslesrideaux

pourmieuxnousrendrecomptedurésultat.Cegala

vaavoirlieuenintérieur,etl’éclairageserafait

uniquementavecdeslampesàgaz,doncles

couleursressortiront.

—Jemedemandaisjustementpourquoiils

avaientprécisé«enintérieur»surl’invitation,dit

Bonnie.Vouscroyezqu’ilvapleuvoir?

—Non,aucontraire:c’estàcausedusoleil,

expliqualadyUlmaavecretenue.Souscetteodieuse

bouledefeu,lebleudevientviolet,lejaunemarron,

etainsidesuite.Personneneporteraitdubleuciel

ouduvertpourunesoiréeenextérieur,par

exemple,pasmêmevous,aveccesbouclesrousses

quinedemandentqueça!

—Jecomprends.C’estvraiqu’auboutd’un

momentcesoleilquinebougejamaisdoitêtre

déprimant.

—Vousn’imaginezpasàquelpoint,murmura

ladyUlma.Enattendant,sijevousmontraislarobe

quej’aidessinéepourvotreamieMeredith?

—Ohoui!s’écriaBonnieenluitendantson

carnet.

LadyUlmaleconsultarapidement,jusqu’àce

qu’elletombesurlapagerecherchée.Ellesemunit

destylosetdecrayonsdecouleur,commeunenfant

impatientdejoueravecsesjouetspréférés.

—Lavoici,annonça-t-elle.

Àl’aidedescrayons,elleajoutauntraitde

couleurici,unecourbelà,toutentenantlecarnet

tournéverselles.

—C’estdingue!s’écriaBonnie,réellement

stupéfaite.

MêmeElenafitdesyeuxronds.

Lafilleducroquisressemblaittraitpourtraità

Meredith.Lescheveuxtirésendemi-queue,elle

portaitunerobe…quellerobe!Noirecomme

l’ébène,sansbretelles,ellemoulaitlecorps

longilignedelasilhouetteparfaitementdessinée,

soulignantsescourbesenmettantlebusteen

valeur,grâceàcequis’appelaitune«encolureen

cœur»,appritElena:undécolletéquiressemblaità

lapartiesupérieured’uncœur.Lefourreauépousait

sesformesjusqu’auxgenoux,oùils’évasait

brusquementdefaçonspectaculaire.

—C’estunerobedesirène,expliquasa

créatrice,enfinsatisfaitedesoncroquis.D’ailleurs,

lavoicienvrai.

Descouturièresentrèrentdanslapièce

accompagnéesdeMeredith,entenantàplusieurs,

d’ungesterévérencieux,lamerveilleuserobede

bal.Lesfillesdécouvrirentqueletissuétaitun

somptueuxveloursnoir,mouchetédeminuscules

rectanglescouleuror.Elenapensatoutdesuiteà

unenuitsurTerreavecdesmilliersd’étoilesfilantes

dansleciel.

—Pouralleravec,vouspourrezporterces

grandesbouclesd’oreilles,etcespeignesenonyx

noiretorpourrelevervoscheveux,etcesadorables

bijouxassortisqueLucenaspécialementcrééspour

cettetenue,ajoutaladyUlma.

Elenas’aperçutqueLucenvenaitdiscrètement

d’entrerdanslapièce.Elleluisourit,puissesyeux

tombèrentsurleplateauàtroisétagesqu’iltenait

danslesmains.Surunfondivoiresetrouvaient

deuxbraceletsenonyxnoiretor,ainsiqu’une

baguesertied’undiamantfaceauquelelletombaen

admiration.

Meredithregardaautourd’ellecommesielle

venaitdesurprendreuneconversationprivéeet

qu’ellenesavaitplusoùsemettre.Puissonregard

oscillaentrelarobe,lesbijouxetladyUlma.

Meredithn’étaitpasdugenreàperdrefacilement

sonsang-froid.Mais,auboutdequelquessecondes,

elles’approchadelacréatriceetlaserradansses

bras,puisellesedirigeaversLucenetposatout

doucementlamainsursonbras.Ilétaitclairque

toutçalalaissaitsansvoix.

Bonnieexaminaitdésormaislescroquisavecun

œildeconnaisseuse.

—Alorscesbraceletsontétéconçusexprès

pourcetterobe?

Àlasurprised’Elena,ladyUlmasemblagênée

etréponditlentement.

—Àvraidire…lefaitestque…mademoiselle

Meredithestuneesclave.Laloiexigequetoutesles

esclaves

portent

des

bracelets

symboliques

lorsqu’ellessonthorsdechezelles.

Ellebaissalesyeuxversleparquetciré,les

jouesrouges.

—LadyUlma…jevousenprie:çan’aaucune

importancepournous!

Unelueurtraversaleregarddelafemme

lorsqu’ellerelevalatête.

—Aucune?

—Ehbien,non…pasvraiment…enfinpas

encore,serepritElenaenbafouillant.Pourl’instant,

onnepeutrienyfaire,detoutefaçon.

Naturellement,lesdomestiquesn’étaientpasau

courantdelarelationquiunissaitDamonàElena,

BonnieetMeredith.MêmeladyUlmane

comprenaitpaspourquoiDamonneleurrendaitpas

leurliberté,aucasoù«ilarriveraitquelquechose».

Maislestroisassistantess’étaientliguéescontre

cetteidée;çarisquaitdecompromettreleur

mission.

—Enfin,bref,poursuivitBonnie,l’airdepenser

touthaut.Cesbraceletssontmagnifiques.C’estvrai,

aprèstout,onpourraitdifficilementtrouvermieux

pouralleraveccetterobe,non?

Soncomplimentalladroitaucœurdubijoutier.

Ilsouritavecmodestie,etladyUlmaluilançaun

regardpleindetendresse.

Meredithsemblaittoujoursaussiembarrassée.

—LadyUlma,jenesaispascommentvous

remercier.Enportantvotrerobe,cesoir,jeserai

quelqu’unquejen’aijamaisété.Etjenedispasça

justeparcequevousm’avezdessinéavecunedemi-

queue-de-chevalalorsquejenem’attachejamais

lescheveuxdecettefaçon.

—Pourtant,vousdevriezdégagervotregrand

frontetdévoilervostraitsmétissés,aulieudeles

cacher!Etcetterobeestconçuepourmontrerles

ravissantescourbesdevosépaulesetdevosbras

dénudés.C’estuncrimedelescouvrirjouretnuit,

argumentaladyUlmad’untonexpert.Ilvous

faudraaussiunpeudemaquillage:unfardléger,

couleuror,surlespaupières,etdukhôlpourmettre

vosyeuxenvaleur.Unetouchedebrillantàlèvres,

maispasderouge;jenesuispasd’avisqu’une

jeunefilleportecettecouleur.Votrepeaumate

achèveraparfaitementl’imaged’unedemoiselle

sensuelle.

MeredithregardaElenad’unairconfus.

—C’estque…engénéral,jenememaquillepas

nonplus,dit-elle.

Mais,aufond,lesdeuxamiessavaientdéjàque

lafilledessinéeparladyUlmaallaitprendrevie.

—Neluiditespasquec’estunerobedesirène,

lançaBonnied’untonespiègle,sinonellevajouerles

séductricestoutelasoirée!D’ailleurs,ondevrait

peut-êtrejeterunsortàlarobepouréloignerles

marinsvampires.

ElenafutcettefoissurprisedevoirladyUlma

acquiescerd’unairgrave.

—Unedemesamiescouturièresaappeléune

prêtresseaujourd’huipourbénirtouteslestenues

etéviterquevousnesoyezlaproiedevampires.

J’espèrequeçanevousennuiepas?

EllesetournaversElena,quiluifitsigneque

non.

—Dumomentqueçan’empêchepasDamon

d’approcher,répondit-ellepourplaisanter.

Àcetinstant,elleeutl’impressionqueletemps

sefigeaitensentantlesregardsdeMeredithetde

Bonniebraquéssurelle,sûrementdansl’espoirde

surprendreunelueurdanssesyeuxquilatrahirait.

MaisElenapritunairtotalementneutre.

—Naturellement,lesrestrictionsneconcernent

pasvotre…maîtreDamon,ajoutaladyUlma.

—Naturellement.

—Àprésent,placeàlapetiteprincessedela

soirée.

EllesetournaversBonnie,quisemorditla

lèvreenrougissant.

—J’aiquelquechosedetrèsspécialpourvous.

Celafaisaituneéternitéquejerêvaisdetravaillerce

tissu.Jel’aivuenvitrinependantdesannées,

mourantd’enviedel’acheteretd’enfairequelque

chose.

Deuxautresdomestiquess’approchèrenten

tenantunerobepluspetiteetpluslégère,tandis

queladyUlmamontraitsoncroquisauxfilles.Mais

Elenaavaitdéjàlesyeuxrivéssurlarobe.Letissu

étaitsplendide,extraordinairemême,maisc’était

surtoutlafaçondontilavaitétéarrangéquiétait

ingénieuse.Surl’étoffebleue,unsuperbemotif

cousumainreprésentaitdesyeuxdepaons’étirant

depuislataille.

LesyeuxdeBonnies’agrandirentplusque

jamais.

—C’estpourmoi?souffla-t-elle,presque

effrayéedetoucherlarobe.

—Oui,etnousallonsvouslisserlescheveuxen

arrièrejusqu’àcequevousayezl’airaussi

sophistiquéequevotreamieMeredith.Allez-y,

essayez-la.Jepensequevousallezadorerle

résultat.

Lucens’étaitretiré,etMeredithavaitdéjà

soigneusementenfilésarobedesirène.Toute

guillerette,Bonniecommençaàsedéshabiller.

***

Ils’avéraqueladyUlmaavaitraison:Bonnie

adoraitlatoilettequ’elleportait.L’heureétait

maintenantàlatouchefinale:undélicatnuage

d’eaudetoiletteàbasederoseetd’agrumes;un

parfumfaitpourelle.Ellesetenaitdevantun

gigantesquemiroir,quelquesminutesavantl’heure

dedépartprévuepourlegaladeladyFazina.

Ellesetournaunpeupouradmirersalongue

robesansbretelles.Lecorsetentièrementfaitde

plumesdepaon(dumoins,c’étaitl’impressionqu’on

avait),avecleursmotifsenformed’œilaux

extrémités,soulignaitàmerveillesatailledeguêpe.

Àpartirdelaceinture,unehuppepointaitversle

bas,devantetderrière,suivied’uneautrecousue

d’argentetd’orquiondulaitavecélégancejusqu’au

finbrocartdorébordantlebasdelarobe.Ledos

comportaitunepetitetraînedesoievertémeraude.

Commesicelanesuffisaitpas,ladyUlmalui

avaitfaitfabriquerunéventailenvraiesplumesde

paonrassembléesparunmanchevertjade,auquel

pendaitunepetitechaînedejade,decitrineet

d’émeraudequitintaitdoucement.

Aucou,elleportaituncollierassorti,incrustéde

jade,d’émeraude,desaphiretdelapis-lazuli.Etses

poignetsétaientchacunornésdebraceletsverts,

symbolesdesonesclavage,quicliquetaientau

moindremouvement.

Incapabledenourrirunevéritablehaineà

l’égarddecesbracelets,ellenelaissapassonregard

s’attarderlongtempssureux.Ellecontemplaplutôt

lafaçondontuncoiffeurexceptionnelavaitréussià

lissersesbouclesflamboyantesenarrière,jusqu’à

cequ’ellessoientplaquéessursoncrâneetfixées

pardesbarrettesdecouleursassortiesàsatenue.

Jamaissonvisageenformedecœurn’avaitparusi

adulte,sisophistiqué.Àsespaupièresfardéesde

vertetsesyeuxsoulignésdekhôlnoir,ladyUlma

avaitajoutéunrougeàlèvresrougevif,rompant

pourunefoisavecsesprincipes,et,maniant

agilementlahouppe,avaitposéquelquestouchesde

fardàjouesicietlàpourquesapeautranslucide

donnetoujoursl’impressiond’êtreentrainderougir

d’uncompliment.L’ensembleétaitcomplétépardes

bouclesd’oreillespendantesdorées,sertiesdejade

finementciselé.Bonnieavaitl’impressiond’êtreune

princessemésopotamienne.

—C’estvraimentunpetitmiracle,confia-t-elle

àladyUlma.Engénéral,j’ail’aird’unlutindéguisé

enpom-pomgirlouenmarchandedefleurs.

Ellel’embrassaencoreetconstataaupassage,

avecsatisfaction,quesonrougeàlèvrestenaitbien

cariln’avaitlaisséaucunetracesurlesjouesdesa

bienfaitrice.

—Cesoir,j’aienfinl’aird’unevraiefemme.

Elleauraitbiencontinuéàbavarderen

s’extasiant,incapabledes’arrêterd’elle-mêmealors

queladyUlmachassaitdiscrètementdeslarmesau

coindesesyeux,maisElenaentraàcetinstant.

Bonnieeutlesoufflecoupé.

LarobeétaitprêtedepuisunmomentetBonnie

enavaitvulecroquis,maisilétaitloind’illustrer

l’effetobtenusurElena.

Secrètement,elles’étaitd’ailleursdemandési

ladyUlmanes’étaitpasunpeureposéesurla

beauténaturelled’Elena,etelleespéraitqueson

amieseraitaussiraviedesarobequeBonnieet

Meredithl’étaientdesleurs.

Maintenant,ellecomprenaitmieux.

—Ças’appellelestyledéesse,expliqualady

Ulma.

Dansunsilenceadmiratif,Elenas’avançadans

lapièceetBonniesongeaétourdimentque,sides

déessesavaientbeletbienvécusurlemont

Olympe,cettetenuelesauraitsûrementfaitpâlir

d’envie.

Laspécificitédelarobetenaitdanssagrande

simplicité.Ensoieivoire,elleétaitdélicatement

froncéesouslapoitrinefaçonEmpire(d’aprèslady

Ulma,cesplisserrésetirrégulierss’appelaientdes

«ruches»)etformaituneencolureenVquimettait

envaleurlapeaudepêched’Elena.Resserréssur

lesépaulespardeuxbouclesenorincrustéesde

nacreetdediamant,lespansducorsagese

croisaientdansledosendeuxfinesbretelles.Le

tombédelajupeétaitdroit,formantd’élégantsplis

jusqu’àdefinessandalesassorties.

Unerobetrèssimple,maistellementbelle

portéeparlabonnepersonne.

Aucoud’Elena,unsuperbecollierd’oretde

nacreenformedepapillonétaitincrustéd’unetelle

quantitédediamantsqu’ilsemblaitjeterdevifs

éclatsmulticoloresàchaquemouvementdetête.

Sescheveuxavaientétépeignésetrepeignés

jusqu’àcequ’ilstombentdanssondosenune

cascaded’ondulationsdoréesetsoyeuses.À

l’exceptiond’unetouchederougeàlèvresrose,elle

neportaitpasdemaquillage;sesépaiscilsnoirs,ses

sourcilsbrunsarqués,sansparlerdeceregard

pétillantquidonnaitdebellescouleursàsesjoues,

suffisaientàhabillersonvisage.Deuxlongues

bouclesd’oreillesendiamantsedevinaientsousses

bouclesdorées.

«Ellevalesrendrefouscesoir,pensaBonnie

enregardantl’audacieuserobeavecenvieetnon

jalousie,seréjouissantplutôtdevoirsonamiefaire

sensationaubal.Elleportelatoilettelaplussimple

detoutes,etellenouséclipsetotalement!»

Néanmoins,Bonnien’avaitjamaisvuMeredith

aussiéléganteetd’unebeautéaussiexotique.Elle

ignoraitégalementquesonamieavaitautantla

ligne,malgrélesvêtementsbiencoupésqu’elle

portaitauquotidien.

MeredithhaussalesépaulesquandBonnieluifit

partdesesimpressions.Elleaussiavaitunéventail,

laquénoiretpliant.Ellel’ouvritpuislereferma,

tapotantsonmentond’unairsongeur.

—C’estsûr,onesttombéessurungénie,dit-

ellesimplement.Maisonnedoitpasoubliernotre

véritableobjectif.

25.

—OndoitseconcentrersurStefan,ditElenaà

Damon.

Quelques

minutes

avant

le

départ,

ils

discutaientdanslachambrequelevampires’était

appropriée,àsavoirl’ancienbureaudelademeure.

—Maisjenefaisqueça…

Damonsemblaitsubjuguéparlecouetles

épaulesd’Elena,ornésdenacreetdediamant.

D’unecertainefaçon,celle-ciavaitconsciencequesa

robeivoiremettaitsafinegorgeenvaleur.

Ellepoussaunsoupir.

—Sionsavaitcequetuasentête,onserait

moinstendues.

—Ah,bon?Tuestendue,là?

Elenasesecoua,déterminéeànepasselaisser

troubler.SiDamonpouvaitsemblersedévouer

corpsetâmeàunseulobjectif,soninstinctde

conservationfaisaitqu’ilneperdaitjamaisdevuela

situationdanssonensemble.

Etilestvraiqu’Elenaétaitexcitéeàunpoint

presqueinsoutenable.Ellelaissaitcroireauxautres

quec’étaitsabellerobequilamettaitdanscetétat,

etelleétaitprofondémentreconnaissanteàlady

Ulmaetàsescouturièresdel’avoirterminéeà

temps.Mais,cequilarendaitsinerveuse,c’était

surtoutlapossibilité,non,lacertitude,quecesoir

elleallaittrouvercettecléquileurpermettraitde

libérerStefan.Laperspectivedelerevoirenchair

etenos…

…lapétrifiait.

RepensantàcequeBonnieavaitditdansson

sommeil,elletenditlebrasversDamonenquêtede

réconfortetdecompréhension,etconstataaprès

coupqu’aulieudeluitenirlamainelleétaitdéjà

danssesbras.

QuepenseraStefandelafameusenuitau

motel?

Quepourrait-ilenpenser?Qu’ya-t-ilàen

dire?

—J’aipeur,murmura-t-elle,réalisanttroptard

qu’elleréfléchissaitàvoixhaute.

—N’ypensepas,ditDamon.Çanefera

qu’envenimerleschoses.

«Maisj’aimenti!sedit-elle.Tunet’en

souvienspas,oualorsc’estquetumens,toiaussi.»

—Quoiqu’ilaitpusepasser,Elena,jete

prometsquejeseraitoujourslàpourtoi.Jet’en

donnemaparole.

EllesentitlesouffledeDamondansses

cheveux.

—Etencequiconcernelaclé?Jepeux

comptersurtoiaussi?

Maisoui,biensûr.Leseulproblème,c’estque

jen’aipasassezmangéaujourd’hui.

Elenasursauta,puisl’étreignitdavantage.De

façontrèsfurtive,elleressentitnonseulementune

faimdévastatrice,maisaussiunevivedouleurquila

laissaperplexe.Lasensations’évanouitavantmême

qu’ellen’aitletempsdelalocaliser,etsaconnexion

avecDamonfutbrusquementinterrompue.

Damon.

—Quoi?

Nemerejettepas.

—Cen’estpaslecas.J’aiditcequ’ilyavaità

dire,c’esttout.Tusaisquejechercheraicetteclé

autantquetoi.

Merci.Mais,enattendant,tunevaspasrester

àmourirdefaim…

Quiaditquejemourraisdefaim?

Latransmissiondepenséesétaitrétablie,mais

defaçonincomplète.Illuicachaitdélibérément

quelquechoseets’appliquaitàaveuglerles

perceptionsd’Elenapar…lafaim.Ellelasentaitse

déchaînerenlui,commesiDamonétaituntigreou

unloupquiauraitpassédesjours,voiredes

semaines,sansavoirtuéuneproie.

Lapiècetournalentementautourd’elle.

—Ça…çavaaller,chuchota-t-elle.

Elleétaitstupéfaitequ’iltienneencoresurses

jambes,etsurtoutqu’illatiennedanssesbras

malgrélafaimquiletenaillait.

—Prends…laquantitéqu’iltefaut…

Ellesentitalorsdescaninespointuespénétrer

sagorgeendouceur.

Elleselaissafaire,s’abandonnantàses

sensations.

***

Enpréparationdugala,Meredithavaitlu

certainsdesdocumentsqu’elleavaitimpriméset

fourrésdanssonsacavantdepartir,parmila

montagnederenseignementsqu’elleavaitrecueillis

surleNet.Elleavaitfaitdesonmieuxpour

expliquertoutcequ’elleavaitapprisàElenaetaux

autres.Maiscommentêtresûrequ’ellen’étaitpas

passéeàcôtéd’unindiceessentiel,d’une

informationextrêmementimportantequiferait

touteladifférence,cesoir,entrelesuccèset

l’échec?C’étaitblancounoir:soitilstrouvaientun

moyendesauverStefan,soitilsrentraientvaincus

pendantqu’ilsemorfondaitenprison.

«Non,sedit-ellefaceàungrandmiroir,

presqueeffrayéeparlabeautésauvagequ’il

reflétait.L’échecn’estpasenvisageable.Laviede

Stefanestenjeu,ondoitréussir.Etsanssefaire

prendre.»

26.

Quoiqu’unpeuétourdie,Elenasesentaitsûre

d’ellelorsqu’ilssemirentenroutepourlegala.

Cependant,enarrivantchezl’honorableladyFazina

dansleurschaisesàporteurs(DamonavecElenaet

MeredithavecBonnie,ladyUlmas’étantvu

interdiretoutefestivitéparlemédecinletempsde

sagrossesse),ellefutpourainsidireeffrayéeparla

beautéduspectacle.

Lamaisonétaitunpalaisdanslapluspure

traditionromanesque.Desminaretsetdestours,

sansdoutebleuetoràl’origine,maisdecouleur

lavandeausoleil,s’élançaientverslecielet

semblaientpresqueaussilégersquedesplumes.

Pouragrémenterlafaiblelumièredujour,des

torchesavaientétéalluméesdechaquecôtéde

l’alléequiremontaitunecolline,etonavaiteu

recoursàunesubstancechimique,oupeut-êtreàla

magie,pourqueleursflammesbrillentde

différentescouleurs,passantdudoréaurose,du

pourpreaubleuetduvertàl’argentavecbeaucoup

devraisemblance.Elenaenavaitlesoufflecoupé:

pourlapremièrefoisdepuissonarrivéeau

RoyaumedesOmbres,ellevoyaitautrechoseque

cesempiternelcamaïeuderouges.

Lorsqu’ilss’arrêtèrentausommetdelacolline,

Damonl’aidaàdescendre,puislaconduisitversune

vasteentréelargementabritéedusoleil.Au-dessus

d’euxétaientsuspendusdedélicatslampionsaux

formesunpeuextravagantes,certainsplusgrosque

leschaisesàporteursdanslesquellesilsse

trouvaientquelquesminutesplustôt,quidonnaient

unairfestifetenjouéàcepalaisparailleurssibeau

etsiintimidant.

Ilspassèrentdevantdesfontaineséclairées

dontcertainesrecelaientdessurprises:une

successiondegrenouillesmagiquesquisautaienten

continud’unnénupharàunautre,ploc,ploc,ploc,

l’imitationdubruitdelapluiesuruntoit,ou

l’hologrammed’unénormeserpentd’orlovéentre

lesarbresau-dessusdesvisiteurs,quisedéroulait

jusqu’ausolavantderemonterdanslesbranches.

Unpeuplusloin,lesoldevenaittransparent,

laissantapparaîtretoutessortesdepoissons

s’ébattantsousl’eau,tandisquebeaucoupplusbas,

danslesprofondeursbleunuit,seprofilaitl’ombre

d’unegigantesquebaleine.ElenaetBonniese

dépêchèrentdepassercetteportionduchemin.

Ilétaitclairquelapropriétairedeslieux

pouvaitsepermettred’assouvirtoussescaprices,

maisquecequ’elleaimaitpar-dessustout,c’étaitla

musique:unpeupartout,destroupesdemusiciens

encostumestantôtsuperbes,tantôtfranchement

extravagants,jouaientdanslesallées,oubienun

célèbresolistechantaitdansunecagedoréeperchée

àenvironquatre-vingtsmètresdusol.

Ilyavaitdelamusiquepartout…delamusique

etdeslumières…

Bienqu’électriséepartoutescesmerveilles,ces

mélodiesetlesparfumsdélicieuxquedégageaient

d’énormestalusdefleursmaisaussilesinvitéseux-

mêmes,Elenaressentaitunecertaineappréhension,

commeunpetitnœudàl’estomac.Enquittantla

propriétédeladyUlma,elletrouvaitsarobeetses

diamantstrèssophistiqués,maismaintenantqu’elle

étaitici,chezladyFazina…C’étaittropgrand,ily

avaittropdemonde,quandbienmêmeelleetses

amiesétaientélégammentvêtues.Elleavaitpeur…

ehbien,elleavaitpeur,comparéeàcettefemmelà-

basquiétaitcouvertedebijoux,desatiareen

émeraudesetdiamantsauxbaguesendiamant

ornantsesorteils,d’avoirl’airridiculeavecses

cheveuxdéfaitsetsansornement.

Est-cequetuaslamoindreidéedel’âgequ’elle

a?

ElenasursautaenentendantlavoixdeDamon

danssespensées.

Quiça?répondit-elleenessayant,aumoins

partélépathie,denepasparaîtresoucieuse,et

encoremoinsenvieuse.Ondiraitquejeprojetteun

peutropmespensées,non?

Pastantqueça,maisunpeuplusdediscrétion

neteferaitpasdemal.Etpuistusaistrèsbiende

«qui»jeparle.Pourtoninformation,cettegrande

girafequeturegardaisaenvirondeuxcentsansde

plusquemoi,etelleessaied’enparaîtretrente,ce

quiestdixansplusjeunequel’âgeauquelelleest

devenuevampire.

Elenaleregardaenclignantdesyeux.

Qu’est-cequetuessaiesdemefaire

comprendre?

Concentre-toisurcequetuentends,suggéra

Damon.Etcessedetetourmenterpourrien!

Docilement,ellefitcirculersonpouvoirpour

augmenterlégèrementsonacuitéauditive,ettoutes

les

conversations

autour

d’elle

devinrent

subitementperceptibles.

…vousavezvucettedéesse?Cen’estqu’une

enfant,maisquelleallure…

…ahoui,celleauxbouclesdorées.Sublime,

n’est-cepas?

…partouslesenfers,regardez-moicettefille…

…avez-vousvuleprinceetsaprincesse,là-

bas?Jemedemandes’ilsseraientd’accordpour

unéchange…oupourunquatuor,n’est-cepas,ma

chérie?

Cescommentairesressemblaientplusàce

qu’Elenaavaitl’habituded’entendreensoiréeetla

rassurèrentunpeu.S’autorisantàbalayerdu

regardavecplusd’assurancecettefouleaussi

apprêtée,elleressentitunbrusqueéland’amouret

derespectpourladyUlma,quiavaitpenséet

supervisélacréationdetroisrobessomptueusesen

seulementunesemaine.

C’estungénie,songea-t-elleàl’attentionde

Damon.Ellesavaitque,àtraverslelienpsychique

quilesunissait,ilsauraitàquiellefaisaitallusion.

Regarde,Meredithadéjàunefouleàsespieds.Et…

d’ailleurs…

Elleestméconnaissable,terminaDamon,l’air

unpeugêné.

Contrairementàlui,Meredithsemblaittoutà

faitàl’aise.Elletournaitlatêtedegaucheàdroite,

faceàsesadmirateurs,poursemontrersousson

meilleurprofil;uneattitudequineressemblaitpas

dutoutàlaMeredithéquilibréeetsereinequ’ils

connaissaient.Elledonnaitl’imaged’unefille

exotique,sensuelle,quisembleraittoutàfait

capabledechanterlaHabaneradeCarmen.Tenant

sonéventailouvertdevantsonvisage,ellese

rafraîchissaitavecgrâceetlangueur.L’éclairage

tamisédel’intérieurfaisaitbrillersesbrasetses

épaulesnuescommedelanacre,contrastantavec

sarobeenveloursnoirquiparaissaitencoreplus

ensorcelantequechezladyUlma.D’ailleurs,elle

semblaitdéjàavoirtouchéunprétendantenplein

cœur:ilétaitagenouillédevantelle,tenantunerose

rougedanslamain,attrapéeavecunetelle

précipitationdansunedescompositionsqu’ils’était

piquéavecuneépine:dusangcoulaitdesonpouce.

Meredithnesemblaitpasl’avoirremarqué.Elenaet

Damoncompatirenttouslesdeuxavecceblondinet

extrêmementséduisant:Elenaparpitié,et

Damon…parconvoitise.

Ondiraitqu’elleestsortiedesaréserve,

hasardaDamon.

Oh,tusais,Meredithnesedévoilejamais

vraiment.Ellejoueunrôle,c’esttout.Maiscesoir,

jepensequecesontlesrobesquifonttout.

Meredithaunerobedesirène,doncellejoueles

femmesfatales.Bonnieressembleàunpaon,et

regarde…

D’unsignedetête,elleluiindiqualelongcouloir

devanteux,quidébouchaitsurunevastesalle.

Vêtuedecequiressemblaitàdevraiesplumesde

paon,Bonnieétaitelleaussisuivieàlatraceparune

fouledecourtisans.Chacundesesmouvements

étaitaérien,commeceuxd’unoiseau,sesbracelets

dejadecliquetaientautourdesespetitsbras

arrondis,sesbouclesd’oreillescarillonnaientchaque

foisqu’ellerejetaitlatêteenarrièreetsespieds

ornésdesandalesdoréessemblaientscintiller

devantsatraîne.

—Tusais,c’estétrange,murmuraElenatandis

qu’ilsentraientdanslasalledebal.

Lebruitétantenfinplusassourdi,ellepercevait

mieuxla«vraie»voixdeDamon.

—Jenem’ensuispasaperçuetoutdesuite,

maisladyUlmas’estinspiréededifférentsniveaux

durègneanimalpourcréernosrobes.

—Tudisais?

Damonavaitencorelesyeuxrivéssursajolie

gorge.Maisparchance,àcetinstant,unbelhomme

dansunetenuedesoiréetypiquedecequisefaisait

surTerre,c’est-à-diresmoking,ceinture,etc.,passa

devanteuxavecduvindeMagieNoireservidans

degrandescoupesenargent.Damonendescendit

unepremièred’unetraite,puisenprituneautreau

serveur,quilesaluaavecélégance.Elenaetlui

s’installèrentensuitedanslasalledespectacle,à

l’extrémitédudernierrang;cen’étaitpastrèspoli

enversleurhôte,maisilsdevaientpouvoirs’éclipser

facilement.

—Meredithressembleàunesirène,cequifait

partiedel’ordreleplushautdurègneanimal,etelle

secomportecommetelle.Bonnieestunoiseau,le

deuxièmeplushautordre,etelleparadeenriant

devantleshommesquidéfilentàsespieds.Etmoije

suisunpapillon…doncjeprésumequecesoirjevais

butineretjouerlesmondaines.Avectoiàmescôtés,

j’espère.

—Commec’estcharmant,commentaDamon

d’unevoixsarcastique.Maisqu’est-cequitefait

croirequetuescenséeincarnerunpapillon?

—Lesmotifs,tiens!

Elleluidonnaunepetitetapeaffectueusesurle

frontavecsonéventail.Puiselleledépliapourlui

montrerlesuperbedessinàl’intérieur,qui

représentaitlependentifqu’elleportaitaucou.La

toiledel’éventailétaitincrustéedesmêmesjoyaux,

maisauxendroitsoùilsneseraientpasabîméspar

lesplis.

—Tuvois,c’estunpapillon.

Damontraçalecontourdudessinduboutde

sonlongdoigtfuselé,quiluirappelatantStefan

qu’elleeneutlecœurserré.Puisils’arrêtasursix

traitssymboliques.

—Depuisquandlespapillonsont-ilsdes

cheveux?

Ilfitensuiteglissersondoigtjusqu’àdeuxtraits

horizontauxentrelesailes.

—Etdesbras?

—Ça,cesontdesjambes,réponditElenad’un

tonespiègle.Quelgenred’animalpeutavoirdes

bras,desjambes,sixcheveuxsurlatêteetdes

ailes?

—Unvampireéméché?suggéraunevoix

devanteux.

Enlevantlesyeux,Elenadécouvritavec

surpriselevisagedeSage.

—Jepeuxm’asseoiravecvous?Jen’aipas

trouvédechemise,maismabonneféeafait

apparaîtreuneveste.

Amusée,Elenasedécalarapidementsurle

sièged’àcôtépourqu’ilpuisses’asseoirprèsde

Damon.Sonapparenceétaitbeaucoupplussoignée

qued’habitude,mêmes’ilavaitencoreseslongues

bouclesrebellesébourifféesdanstouslessens.

Toutefois,elleremarquaquesabonneféel’avait

aussiparfumédecèdreetdeboisdesantal,etlui

avaitfourniunjeanetunevesteDolce&Gabbana.

Àvraidire,ilétait…magnifique.Enrevanche,il

étaitvenuseul,sanssesanimauxdecompagnie.

—Jecroyaisquetunevoulaispasvenir?lui

lançaElena.

—Tuplaisantes?Pourpasseràcôtédeta

superberobeivoire?Tum’asparléplusieursfoisdu

gala;j’aifiniparprendretesdésirspourdesordres.

Elenaeutunpetitrirenerveux.Toutlemonde

latraitaitdifféremmentcesoir.C’étaitàcausedela

robe,évidemment.

Murmurantquelquechoseausujetdeson

attiranceenverslesindividusdesexeopposé,Sage

juraqueledessindesonpendentifetdeson

éventailreprésentaitunphénix.Ledémontrèspoli

àladroited’Elena,quiavaitlapeaumauveetde

petitescornesblanchesspiralées,luisuggéraavec

déférencequ’àsesyeuxcelaressemblaitfortàla

déesseIshtar,quil’avaitapparemmentenvoyéau

RoyaumedesOmbresquelquesmillénairesplustôt

pouravoirdébauchéleshumainsparlaparesse.

ElenasesouvintqueladyUlmaavaitparlé

d’une«robededéesse».Ilestvraiqu’ilfallaitune

silhouetteprochedelaperfectionpourpouvoir

porterunetellerobe,carilétaitimpossibled’y

glisseruncorsetoumêmedeladraperunpeupour

minimiserunaspectpeuflatteur.Souscetterobe,il

n’yavaitquelejeunecorpstoniqued’Elenaetdes

dessousfinsendentellecouleurchair.Ah,oui,et

quelquesgouttesdejasminsursapeau.

«Alorsjesuiscenséeêtreunedéesse?»

pensa-t-elleenremerciantd’unsignedetêtele

démon,quiselevaenlasaluant.Autourd’eux,les

invitésprenaientplacepourassisteràlapremière

représentationdelasaisonduRossignold’argent.

Elenaeutuneenviesoudainedevoiràquoi

ressemblaitladyFazinaetavaithâtequeleconcert

commence.Detoutefaçon,ilétaittroptôtpour

tenterunepetiteexcursionauxtoilettes(sous-

entendu:danslesquartiersprivésdelamaison),et

elleavaitremarquéquedesgardesétaientpostés

devanttouteslesportes.

Deuxharpesétaientinstalléessuruneestrade,

aumilieud’ungrandparterredechaises.Toutle

mondeselevapouraccueillirleurhôte,etElena

n’auraitrienvusiladyFazinan’avaitpaschoiside

fairesonentréeparl’ailequeDamonetElena

avaientempruntéeenarrivant.Enl’occurrence,elle

s’arrêtajusteàcôtédeSagepourremercierle

publicdesesapplaudissements,etElenaeutune

vueparfaitesurelle.

C’étaitunejeunefemmeravissante,quine

semblaitpasavoirplusdevingtansetquiétait

presqueaussipetitequeBonnie.Cettecréature

fragileprenaitmanifestementsonsobriquettrèsau

sérieux:elleétaitentièrementvêtued’unerobeen

mailleargentée.Sescheveuxétaientgrismétallique,

trèscourts,etsonfrontdégagé.Satraîneétaitfixée

àsarobepardeuxbouclessansfioritureauniveau

desépaules;elleflottaitdanssondosdansun

mouvementperpétuel,pluscommeunrayonde

luneouunnuagequecommeunevéritableétoffe.

LorsqueladyFazinagravitl’estradecentraleet

contournal’imposanteharpe,latraîneretombaen

douceursurlesolenformantundemi-cercle

élégantautourd’elle.

Alorslamagiedesavoixopéra.LadyFazinase

mitàjouerdelaharpe,quiparaissaitencoreplus

grandecomparéeàsapetitesilhouette.Ellefaisait

chanterlescordessoussesdoigts,amenant

l’instrumentàsifflercommeleventouàémettre

unemélodiequisemblaittomberdescieuxpar

glissandos.Elenapleuradoucementpendanttoutle

premiermorceau,bienqu’ilfûtinterprétédansune

langueétrangère.Ilétaitd’unedouceursi

envoûtantequ’illuirappelaStefanetl’époqueoùils

communiquaientsimplementpardescaresseset

desmotstendres…

Maisl’instrumentleplusimpressionnantde

ladyFazinaétaitvraimentsavoix.Sonminuscule

corpsétaitcapabledeproduireunsond’une

puissanceextraordinaire.Aufildeschansons,plus

émouvanteslesunesquelesautres,Elenasentitla

chairdepoulesursesbrasetletremblementdans

sesjambesallercrescendo.Elleavaitl’impression

qu’elleallaits’effondrerd’uninstantàl’autre,le

cœurgonfléparcesmélodies.

Soudain,quelqu’unluieffleuraledosetelle

sursautaviolemment,tiréedel’universféerique

danslequellechantl’avaitenveloppée.Cen’était

queMeredith,qui,endépitdesapassionpourla

musique,avaitunesuggestiontrèspragmatiqueà

faireaugroupe:

—Pourquoionnecommenceraitpasles

recherchesmaintenant,pendantquetoutlemonde

assisteauconcert?chuchota-t-elle.Mêmeles

gardessonthorsducoup.Onétaitd’accordpoury

allerdeuxpardeux,non?

Elenaacquiesça.

—Onvajustejeterunœil.Avecunpeude

chance,ontrouveraquelquechoseavantlafindu

concert.Sage,tupourraisfairelaliaisonentreles

deuxgroupes,partélépathie?

—Ceseraitunhonneur,mademoiselle.

Touslescinqs’éclipsèrentdanslesdédalesdu

manoir.

27.

Ilspassèrentsouslenezdesgardesquiétaient

enlarmes,émusparlespectacle.Mais,sipresque

toutlemondeécoutaitladyFazina,ilsdécouvrirent

trèsviteque,danschaquepiècedupalaisouverte

aupublic,undomestiquevêtudenoiretgantéde

blancattendait,prêtàdonnerl’alertesiquelqu’un

s’enprenaitauxbiensdesamaîtresse.

Lapremièresallequileurdonnaunsemblant

d’espoirfutlaHarperiedeladyFazina.Lapièce

étaitentièrementconsacréeàuneexpositionde

harpes:d’anciensarcsàunecorde,datantdela

Préhistoire,degrandesharpesdoréespour

orchestresemblablesàcellequeladyFazinafaisait

vibreràcetinstant,distillantlamusiquedanstout

lepalais.

—Chaqueharpes’accordeàl’aided’uneclé

spécifique,chuchotaMeredithenobservantlasalle

toutenlongueur.

Unerangéedeharpess’étiraitàpertedevuele

longdesmurs.

—Unedecesclésserapeut-êtrelabonne.

—Maiscommentonlesaura?demandaBonnie

ens’éventantunpeuavecsonéventailenplumesde

paon.Quelleestladifférenceentreunecléd’accord

pourharpeetuneclédekitsune?

—Jen’ensaisrien.D’ailleursjen’aijamais

entendudirequecegenredecléserangeaitdans

l’instrument.Çadoits’entendredanslacaissede

résonancedèsquetubougesunpeulaharpe.

Elenasepinçalalèvred’unairsongeuret

légèrementdérouté.LaquestiondeBonnieétait

simpleetjustifiée.Commentallaient-ilsretrouver

unfragmentdeclédanscetendroit?Leseulindice

qu’ilspossédaient,àsavoirquelaclésetrouvait

dansl’instrumentduRossignold’argent,luiparut

bienabsurdesubitement.

—J’imaginequ’ilyapeudechancespourque

l’instrumentenquestionsoitsavoix…,ditBonnieen

titubantunpeu.Sioncherchaitaufonddesa

gorge…

ElenasetournaversMeredith,quilevales

yeuxauciel.

—Bon,plusd’alcoolpourlepetitétourneau!

lança-t-elleàElena.Celadit,ilsepeutqu’ilsoffrent

descanarisoudesinstrumentsenguisedecadeau:

çasefaisaitautrefois,danslesgrandsbals.

—Commentleskitsuneont-ilspucacherlaclé

iciplusieurssemainesavantquelegalasoitdonné?

s’étonna

Damon

d’une

voix

volontairement

impassible.Est-cequ’ilscomptaientlarécupérer?

MisaoauraitaussibienpudireàElenaqu’ils

l’avaientjetée,non?

—Àlabase,jenesuispassûredutoutqu’ils

aientl’intentiondelarécupérerunjour,répondit

Meredith.Misaosous-entendaitpeut-êtrequ’on

devraitfouillerpartoutmaissansforcémentviserle

galadecesoir:jeprésumequeladyFazinaest

invitéeàchanterdanspleind’autressoirées.

Brusquement,Elenasefigea,commefrappée

parlafoudre.

Elleeutl’impressiontrèsfugacederevivresa

bagarreavecMisao,quiavaitalorsl’apparenced’un

renard.Ellemordait,griffaitetgrognaiten

répondantàlaquestionqu’Elenavenaitdeluiposer

surlesfragmentsdeclé:«Commesitupouvais

comprendrelaréponse!Sijetedisqu’unedes

moitiéssetrouvedansl’instrumentdurossignol

d’argent,çat’évoquequelquechose?»

Voilà,c’étaientexactementlestermesque

Misaoavaitemployés.Elenas’ensouvenaittrès

clairementàprésent.

Puis,commesielleétaitdenouveaufrappée

parlafoudre,ellerepritsesesprits.Enrouvrant

brusquementlesyeux,ellereconnutlavoixblanche,

presqueétranglée,deBonnie,typiquedesesphases

detranse:

—Chaquefragmentquicomposelacléde

kitsunealaformed’unrenard,dotédedeux

oreilles,deuxyeuxvertsetunmuseau.Lesdeux

fragmentssontenoretcouvertsdepierres

précieuses.Lacléquevouscherchezsetrouvedéjà

dansl’instrumentduRossignold’argent.

Bonnieavaitlesgenouxquitremblaientetle

regarddanslevide.Quandellerevintàelle,sonair

absentlaissaplaceàlaconfusionlaplustotale.

—Quoi?Qu’est-cequisepasse?bafouilla-t-

elleenvoyanttoutlemondeladévisager.J’aifait

quelquechose?…

—Tunousasditàquoiressemblaitlacléde

kitsune!s’exclamaElenaenpoussantpresqueun

cridejoie.

Maintenantqu’ilssavaientexactementcequ’ils

cherchaient,ilspourraient,non,ilsallaientlibérer

Stefan!Riennepourraitlesenempêcher.Grâceà

Bonnie,leurquêteprenaitunetoutautretournure.

Tandisqu’Elenatremblaitcommeunefeuille

sousl’effetdel’émotion,Meredith,toujoursplus

posée,pritsoindeleurjeuneprophète.

—Ellevasûrements’évanouir.Vousvoulez

bien…

Sans

attendre,

les

deux

vampires

s’empressèrentdeprendreBonniechacunparun

braspourl’empêcherdes’écrouler.

—Merci,Meredith,ditdoucementcette

dernièreenclignantdesyeux.Çavaaller…

EllelevalatêteversDamon.

—Mais,bon,ilvautmieuxanticiper…

Damonhochalatêteavecsérieux,etlaserra

doucementpournepaslalâcher.Sagedétournale

regard,commesiquelquechoselecontrariait.

—Alors,qu’est-cequej’aidit?Jenem’en

souvienspas.

QuandElenaluieutrépétémotpourmotsa

prophétie,Meredithposaunequestionquilui

ressemblaitbien.

—Tuessûredetoi,Bonnie?Çateparaît

plausible?

—Moi,jesuissûre,lacoupaElena.Sûreet

certaine.

Pourelle,çanefaisaitaucundoute:ladéesse

Ishtaretlamédiumavaientfaitparlerlepassépour

luimontrerlefutur.

—D’accord,acquiesçaMeredith.Bon,Bonnie,

Sageetmoi,ons’occupededétournerl’attentiondu

domestiquependantqueDamonettoivous

cherchezlaclédanslesharpes,çavousva?

—OK.C’estparti!

Danslapratique,leplandeMerediths’avéra

pluscompliqué.Lesdeuxbeautésetlesolide

gaillardavaientbeauparaîtreinoffensifs,le

domestiqueneleslâchapasd’unesemelle,etles

surpritplusieursfoisàtoucherlesharpesetàles

examinersoustouteslescoutures.

Naturellement,c’étaitstrictementinterdit.Ça

risquaitdedésaccorderlesinstrumentsetdeles

abîmer,surtoutsachantqueleseulmoyend’être

absolumentsûrquelacaissederésonancene

contenaitpasunepetiteclédoréeétaitdeles

secouerentendantl’oreille.

Lepire,c’estquechaqueinstrumentétait

exposéàunemplacementprécis,sousunéclairage

théâtral,devantunparaventpeint(représentantle

plussouventladyFazinaaveclaharpeprésentée)et

protégéparunépaiscordonrougeauquelpendait

unepancartebienlisible,«Nepastoucher».

Aufinal,BonnieetMeredithfirentappelaux

pouvoirsdemanipulationdeSagepourquele

domestiquesetiennetranquille,maisàpeine

quelquesminutes,sinonilrisquaitdesedouterde

quelquechose.Alorschacunsemitàfouillerles

harpesàtoutevitessesousleregardinertedu

domestique,figécommeunepoupéedecire.

***

Pendant

ce

temps,

Damon

et

Elena

parcouraientlepalaisauhasarddescouloirs,

s’aventurantdanslazoneinterditeauxvisiteurs.

S’ilsnetrouvaientrienici,ilsserabattraientsurles

piècesaccessiblespendantlerestedelasoirée.

L’opérationétaitpérilleuse.Sefaufileret

ressortirfurtivementdepiècesvidesetsombres,

protégéespardescordonsdesécuritéetsouvent

ferméesàclé,étaitàlafoisdangereuxetpalpitant.

Bizarrement,pourlapremièrefoisdesavie,Elena

compritàquelpointlapeuretlesémotions

violentespouvaientêtreintimementliées.Du

moins,c’étaitcequ’elleressentaitvis-à-visd’elleet

Damon.

Sanslevouloir,ellen’arrêtaitpasderemarquer

d’unœiladmiratifdespetitsdétailschezlui.Il

semblaitcapabledecrochetern’importequelle

serruregrâceaupetitoutilqu’ilsortaitrapidement

delapocheintérieuredesaveste,commed’autres

sortiraientunstyloplume.Cetteéconomiede

gestes,acquiseaprèscinqsièclesd’existence,la

surprenaittoujours.

Parailleurs,ilyavaitunechosequepersonne

nepouvaitcontester:ilgardaitsonsang-froiden

toutescirconstances.Et,avecellequisesentaitce

soircommeunedéessequ’aucunerègledemortel

nepourraitcontraindre,ilsformaientunebonne

équipe.CetraitdecaractèrechezDamonressortait

encorepluscomparéauxfrayeursqu’ellesefaisait

enpassantd’unepièceàuneautre:cequ’elle

prenait,danslapénombre,pourungardeouun

hommeenfactionserévélaitenfaitêtreunours

empaillé,unebonnetièreouquelquechoseque

Damonluilaissaitàpeineletempsdevoirmaisqui

ressemblaitàunemomie.Riendetoutçanele

perturbait,lui.

«Siseulementj’arrivaisàaffûterdavantagema

vision…»,pensaElena.Aussitôtdit,aussitôtfait:

brusquement,touts’éclaircitautourd’elle.Son

pouvoirluiobéissait!

«Jecroisquejevaisportercetterobepourle

restantdemesjours:jemesenssi…invincible

dedans.Sisûredemoi.Ilfaudraquejelametteà

l’université,sij’yentreunjour,pourimpressionner

mesprofesseurs.EtaussipourStefan,pournotre

mariage,justepourquelesgenscomprennentque

jesuisunefillebien.Etàlaplageaussi,histoirede

donnerquelquechoseàreluquerauxgarçons…»

Elleétouffaunfourireetfutétonnéeparle

regardfaussementréprobateurdeDamon.Depuis

ledébut,ill’observaitavecuneattentionconstante.

Etellesentaitqu’ilavaitànouveauunefaimde

loup.

Laprochainefois,jeveilleraipersonnellement

àcequetunepartespasleventrevide.

Concentrons-noussurlesuccèsdecette

missionavantdeparlerd’uneprochainefois,

répondit-ilavecunlégerrictus,bienloindeson

habituelsourireéclatant.

Cesourirefutaccompagnéd’uncoupd’œil

diaboliqueetnarquois.Vexée,Elenasejuraqu’il

pourraitsemoquerautantqu’ilvoudrait,la

supplier,lamenaceroulacajoler,cesoirellenelui

donneraitplusuneseulegouttepourétanchersa

soif.

Finalement,lamusiquemélodieuseduconcert

s’arrêta,etilsrepartirentàtouteallureversla

Harperiepourrejoindrelesautres.Rienqu’àla

posturedeBonnie,Elenaauraitpudevinerles

nouvelles,avantmêmed’interpréterlesilencede

Sage.Maisc’étaitpirequecequ’elleimaginait:non

seulementilsn’avaientrientrouvédanslaHarperie,

maisilsenétaientvenusàpresserledomestiquede

questionsenutilisantlespouvoirsdeSage.

—Etdevinezcequ’ilnousarépondu?dit

Bonniesansleurlaisserletempsd’enplacerune:

cesharpessontastiquéesetaccordéesuneparune,

touslesjours.Fazinadisposed’unearmadade

valetspours’enoccuper.Siquelquechosen’était

pasàsaplaceoun’avaitrienàfairelà,ceseraittout

desuitesignalé.Maisrien!Laclén’estpaslà!

Enunclaquementdedoigts,Elenasesentit

passerdedéesseomniscienteàpauvrefille

déconcertée.

—C’estcequejecraignais,admit-elleen

soupirant.Ç’auraitététropsimple.OK,alorson

passeauplanB:vousvousmêlezauxinvitéset

vousessayezdejeterunœildanschaquepièce

accessibleaupublic.Essayezd’épaterl’épouxde

ladyFazinaetdeluisoutirerdesinformations,de

savoirsiShinichietMisaosontvenusici

récemment.Damonetmoi,onvacontinuerde

fouillerlespiècescenséesêtreinterditesd’accès.

—C’estrisqué,réponditMeredithenfronçant

lessourcils.Jeredoutelesconséquencessijamais

vousvousfaitesprendre.

—EtmoijeredoutecellesqueStefansubirasi

onneretrouvepascetteclécesoir,répliquaElena

avecfermeté.

Surce,elletournalestalonsets’éloigna,suivie

deDamon.Ilsfouillèrentunnombreinfinidepièces

obscures,nesachantmaintenantpluss’ils

cherchaientuneharpeouautrechose.Avant

d’entrer,Damonvérifiaits’ilpercevaitlamoindre

respirationdanslapièce(évidemment,lesgardes

pouvaienttrèsbienêtredesvampires,auquelcasil

n’yauraitpasgrand-choseàfaire),etensuiteil

crochetaitlaserrure.Touts’enchaînasanssurprise

jusqu’àcequ’ilsatteignentunepièceàl’extrémité

d’unlongcouloir,orientéeàl’ouest.Celafaisaitdéjà

unmomentqu’Elenaavaitperdusesrepèresdansle

palais,maisellesavaitaveccertitudequec’était

l’ouestpuisqu’ellevoyaitlesoleilboursouflé

invariablementaccrochéàl’horizon.

Damonavaitdéjàforcélaserrure,etElena

s’engouffradanslapièceavecimpatience.Ellela

fouilladefondencomble,découvrantavec

frustrationqu’elleabritaitungrandtableaudansun

cadreenargent,mais,mêmeaprèsvérification,

aprèsavoirutilisélecrochetdeDamonpour

dévisserlechâssis,paslamoindretraced’unecléen

formederenard.

Tandisqu’ellereplaçaitletableauaumur,un

bruitlourdetsourdretentit.Ellegrimaça,priant

pourqueledomestiquequifaisaitsarondedansle

couloirn’aitrienentendu.

Rapidement,Damonposaunemainsursa

boucheettournaàdistancelaroulettedelalampeà

gazpourplongerlapiècedansl’obscurité.

Desbruitsdepasserapprochèrentdansle

couloir…ets’arrêtèrentdevantlaporte.Ils

entendirentquelqu’untousserdiscrètement.

Brusquement,Elenafitvolte-face,persuadée

quesesAilesdelaRédemptionétaientàdeuxdoigts

desedéployer.Ilsuffiraitd’unepetitemontée

d’adrénalinepourqu’ellepuissemettrelegardeà

genoux,lepoussantàserepentird’avoirconsacrésa

vieauservicedumal.Alorsilsenprofiteraientpour

filer…

MaisDamonavaituneautreidéeentêteet,

pourunefois,ellefutd’accordaveclui.

Uninstantplustard,lorsquelaportes’ouvrit

sansbruit,ledomestiquedécouvrituncouple

étroitementenlacéquinesemblamêmepas

remarquersonintrusion;Elenalesentitpresque

indigné.Ilétaittoutàfaitcompréhensiblequ’un

coupled’invitésaitenviedes’embrasserdans

l’intimitédesnombreusessallesouvertesaupublic,

maiscettesectiondupalaisétaitprivée.Tandisqu’il

s’employaitàallumertoutesleslampes,Elenalui

jetauncoupd’œilfurtif;sesfacultéssensorielles

étaientsuffisammentenalertepourcapterles

penséesdel’homme.D’unœilexercémaislas,ce

dernierpassaenrevuelesobjetsdevaleurdansla

pièce:leravissantvaseminiatureémailléderoses

grimpantesetrehaussédevigneincrustéederubis

etd’émeraude;lalyresumérienneenboisvieillede

cinqmilleans,superbementconservée;lesdeux

chandeliersenormassifenformededragons

cabrés;lemasquefunéraireégyptien,avecses

yeuxsombresenamandequisemblaientvousépier

soussestraitsmagnifiquementpeints…Toutétait

là.OnnepouvaitpasdirequeMadameconservait

icidesobjetstrèsprécieux,maisquandmême.

—Cettepièceestinterditeaupublic,ditle

domestique.

DamonsecontentadeserrerElenaunpeuplus

contrelui.Ilsemblaitdéterminéàdonnerlechange.

Maisaufond…avaient-ilsvraimentfaitsemblant?

Lespenséesd’Elenaperdirentpeuàpeuleur

cohérence.S’ilyavaitbienunechosequ’ilsne

pouvaientsepermettre…c’étaitdelaisserpasser

l’occasiondetrouverlaclé.Ellevouluts’écarter,

maisserappelaauderniermomentqu’ellen’en

avaitpasledroit.

Ellereprésentaitunbien,unbientrèsonéreux,

c’étaitcertain,paréecommeelleétaitcesoir,mais

unbiendontDamondisposaitàsaguise.Enpublic,

ellenedevaitpasdésobéirauxsouhaitsdeson

maître.

Néanmoins,Damonallaittroploin…iln’avait

jamaisprisautantdelibertésavecelle,mêmesielle

s’aperçutavecironiequ’iln’enavaitpasconscience.

Ilcaressaitlapeauquesarobed’ivoirenecouvrait

pas,sesbras,sondosetmêmesescheveux.Il

savaitàquelpointelleaimaitça,lafaçonqu’ilavait

detenirunemècheetdelafaireglisserdoucement

entresesdoigtsjusqu’àlapointe,oudel’entortiller

enserrantfort.

Damon!Illuirestaitundernierrecours:

l’implorer.Damon,s’ilsnousplacentendétention

ouque,d’unefaçonoud’uneautre,ilsnous

empêchentdetrouverlaclécesoir…quand

aurons-nousuneautreoccasion?Ellefitensorte

qu’ilperçoivesondésespoir,saculpabilité,etmême

ledésirperfidequ’elleéprouvaitdetoutoublieret

deselaisseremporterplusloin.D’accord,Damon…

sic’estcequetuveux,jevaisledire:jet’en

supplie.Leslarmesluimontèrentinstantanément

auxyeux.

Nepleurepas.C’estavecsoulagementqu’elle

entenditlavoixtélépathiquedeDamon.Mais,elley

perçutquelquechosedebizarre,unetensionquilui

fitpresquepeur.Lepire,c’étaitqu’illesavait,il

sentaitqu’elleétaiteffrayée,maisilnefitrienpour

larassurer.Aucuneexplication.Niintrusiondans

sespensées,d’ailleurs;elles’aperçutque,derrière

sonsang-froidapparent,sonespritétaittotalement

ferméàelle.

Laseulechoseàlaquelleellepouvaitcomparer

l’impressionqu’elleressentaitfaceàcette

déterminationinébranlable,c’étaitladouleur.Une

douleuràlalimitedusupportable.

«Maispourquoi?»sedemanda-t-elleavec

impuissance.

«Qu’est-cequipouvaitlefairesouffriràce

point?»

Ellenepouvaitpasperdrelepeudetemps

qu’ilsavaientàchercheruneexplication.Le

domestiqueétaitparti,ilsavaientdonclechamp

libre.Canalisantsonénergie,elleaffûtasonouïeet

semitàécouterauxportesavantd’entrerdansune

autresalle.

Soudain,unenouvelleidéegermadansson

esprit,etellearrêtaDamondansuncouloirplongé

dansl’obscuritépouressayerdeluiexpliquerle

genredepiècequ’ellecherchait:uncabinet,un

salonprivéouunbureau.

Aprèsseulementuneoudeuxtentativesratées,

Damon,quiconnaissaitbienl’architecturedes

grandesdemeures,laconduisitdanscequiétait

manifestementunsalondecorrespondance.Malgré

lapénombre,lesyeuxd’Elenaétaientdésormais

aussiperçantsqueceuxdeDamonalorsqu’ils

fouillaientlapièceàlalueurd’unebougie.

Pendantqu’elles’acharnaitàchercherunbeau

pupitreavecdescasiersdissimulantdestiroirs

secretssansentrouveraucun,Damonjetaunœil

danslecouloir.

—J’entendsquelqu’unarriver,chuchota-t-il.

Onferaitmieuxdepartir.

MaisElenacontinuasonexploration.Toutà

coup,sonregardtouchasacibleàlavitessede

l’éclair.Del’autrecôtédelapièce,ellediscernaun

petitbureau,unechaisevétusteetunassortiment

destylosdivers,anciensetmodernes,exposéssur

dejolisprésentoirs.

—Allons-ypendantquelavoieestencorelibre,

soufflaDamond’untonimpatient.

—Oui,j’arrive…

C’estlàqu’ellelevit.

Sansuneseconded’hésitation,elletraversala

piècejusqu’aubureauets’emparad’unstyloorné

d’uneplumeargentéechatoyante.Cen’étaitpasun

authentiquestyloenplumed’oie,biensûr;c’était

justeunstyloélégantquisemblaitd’époque…etqui

avaituneplume.Satigeenbois,agréableau

toucher,épousaitparfaitementlaformedesamain.

—Elena,jenesuispastranqu…

—Chut,Damon!lecoupa-t-ellesansl’écouter,

tropabsorbéeparcequ’ellefaisait.

«D’abord:essaied’écrire,sedit-elled’unair

concentré.Raté.Essaieencore!Rienàfaire,

quelquechosebloquelacartouche.Alorsdévisse

soigneusementlestylo,commesituvoulaischanger

laplume,etfaisabstractiondetonpoulsqui

s’emballeetdetesmainsquitremblent.Continue,

doucement…regardebien…Pourl’amourduciel,ne

laisserientomberparterredanscettefichue

pénombre…»

Lestylos’ouvritendeuxdanssamainet,surle

sous-mainvertfoncé,tombaunepetitepiècede

métallourdeetarrondie…Elleavaittenudans

l’extrémitéélargiedelatige.Elenalapritdanssa

mainetrefermalestyloavantdel’examinerdeplus

près.

Lepetitobjetenformedecroissantl’éblouit,

maisc’étaitexactementladescriptionqueleuravait

donnéeBonnie:unminusculerenardétait

représenté,avecuncorpsinsignifiantetunetête

incrustéedejoyauxarborantdeuxoreillesaplaties.

Deuxpierresvertesétincelaientàlaplacedesyeux.

Desémeraudes?

—Del’alexandrite,chuchotaDamond’unevoix

feutrée.Onditquecettepierrechangedecouleur

selonl’éclairage,notammentprèsd’unebougieou

d’unfeu.Ellereflètelesflammes.

Elena,quis’étaitappuyéecontrelui,sesouvint

avecunfrissondesflammesquiapparaissaientdans

lesyeuxdeDamonquandilétaitsousl’emprisede

Shinichi:laflammerougesangdumalach…etdela

cruautédeShinichi.

—Commenttul’astrouvée?s’étonnaDamon.

—Tucroisvraimentquec’estcequ’on

cherche?

—Ehbien,jediraisqueçan’apasgrand-chose

àfairedansunstyloplume.C’estpeut-êtreune

pochettesurprise,maisj’endoute:tuétaisàpeine

entréedanscettepiècequetut’esjetéedessus.

Mêmelesvampiresontbesoinderéfléchir,ma

princesse.

Elenahaussalesépaules.

—Enfait,c’étaitassezsimple.Quandj’ai

comprisqu’onn’allaitnullepartaveclesharpeset

cettehistoired’accordoir,jemesuisdemandéquel

autretyped’instrumentonpouvaittrouverchez

quelqu’un.Unstyloestuninstrumentd’écriture.Il

n’yavaitplusqu’àdécouvrirsiladyFazinaavaitun

bureauouunsalond’écriture.

Damonlâchaunsoupiradmiratif.

—Tuesdiablementmaligne!Direquependant

cetempsjecherchaisdestrappes,desaccèssecrets

àdescachots.Leseulautreinstrumentauquelje

pensais,c’étaituninstrumentdetorture!Tu

n’imaginespastouslesmodèlesqu’ontrouvedans

cettebelleville.

—Maispaschezelle,quandmême!

Elenaavaitdangereusementélevélavoix,alors,

commepourcompenser,ilsrestèrentsilencieux

quelquessecondes,surlequi-vive,àl’affûtdu

moindrebruitdanslecouloir.

Rien.

Elleémitunnouveausoupir.

—Vite,ilfautquejecachelaclé…Maisoù?

Elles’aperçutqueleseuldéfautdesarobede

déesseétaitqu’ellenepouvaitabsolumentrieny

glisserencachette.Ilfaudraitqu’elleenparleàlady

Ulmapourlaprochainefois.

—Donne,danslapochedemonjean!

Damonsemblaitaussipresséetagitéqu’elle.

Quandileutfourrélaclétoutaufonddesapoche,il

pritlesmainsd’Elenadanslessiennes.

—Tuterendscompte,Elena?Onl’afait.Ona

réussi!

—Jesais!

Levisagepleindelarmes,elleeutsoudain

l’impressionquelamusiquedeladyFazina

résonnaitenelledansunaccordparfaitetpuissant.

—Onaréussi,toietmoi!

Alors,spontanément–commed’habitudeavec

eux–,Damonlapritdanssesbrastandisqu’elle

glissaitlessienssoussavestepours’imprégnerde

sachaleuretdesonassurance.Ellenefutpas

surprisedesentirdeuxdentspointuestranspercer

sagorgelorsqu’ellerenversalatêteenarrière:son

adorablepanthèreétaitloind’êtreparfaitement

apprivoisée,etilluifaudraitencoreapprendre

quelquesrèglesd’usagesurlesrapportsamoureux,

tellesque:avantdemordre,onembrasse.

Illuiavaitpourtantditqu’ilavaitfaim,toutà

l’heure,maisellel’avaitignoré,tropabsorbéeparsa

quête.Maintenantellecomprenaitmieux,sauf

qu’ellenes’expliquaittoujourspaspourquoiilétait

aussiaffamécesoir.

Damon,n’enprendspastrop.

Elleneperçutaucuneréaction,hormislafaim

bestialedelapanthère.

Damon,çapourraitêtredangereux…pour

moi.

Cettefois,elleprojetasespenséesavecforce.

Toujourspasderéponse,maiselleavait

maintenantlasensationdeflotterdanslenoir

complet,etçaluidonnaunevagueidéedecequise

passait.

Oùes-tu?Tum’entends?lança-t-elleen

s’imaginantlepetitgarçon.

Ilapparutdevantelle,enchaînéàsonrocher,

recroquevilléenboule,lespoingsserrésdevantles

yeux.

Qu’est-cequinevapas?ditElenaen

s’approchantdelui,inquiète.

Ilfaitmal!Ilfaitmal!

Tuesblessé?Montre-moi.

Non!C’estàtoiqu’ilfaitdumal.Ilpourraitte

tuer!

Chut,chut…,chuchota-t-elleenessayantde

l’apaiser.

Ilfautqu’ilnousentende!

D’accord,attends.

Ellesesentaitvraimentbizarreetfaible,mais,à

l’instardupetitgarçon,elletournalatêteetsemità

crierensilence.

Damon!Jet’enprie!Elenaveutquetu

arrêtes!

Etunmiracleseproduisit.

Ilslesentirenttouslesdeux:lesdeuxpetits

crocspointusseretirèrent,etlefluxd’énergieentre

elleetDamonrestaensuspensdanslesairs.

Puis,ironiedusort,lemiraclecommençaà

l’éloignerdupetitgarçon,avecquielleauraittant

vouludiscuter.

Non!Attends!

Elleessayad’interpellerDamon,ens’agrippant

detoutessesforcesauxmainsdel’enfant,maiselle

repritconscience,catapultéedanslaréalitécomme

parlesouffled’unouragan.L’obscurités’évanouit.À

laplace,unegrandepiècetropéclairée,dont

l’uniquebougiejetaitunviféclat,commeun

projecteurdepolicebraquésurelle.Fermantles

yeux,ellesentitlachaleuretlecorpsfermede

Damon.

—Jesuisdésolée!Elena,çava…?Jeneme

suispasrenducomptedetoutcequejeprenais…

LavoixdeDamonétaitunpeubizarre.Elle

comprittoutdesuitepourquoi:sescaninesne

s’étaientpasrétractées.

Maisqu’est-cequisepassait,bonsang?Ils

étaientsiheureux,etmaintenanttoutallaitde

travers.Etpourquoisonbrasdroitétait-il…

mouillé?

Elenas’écartapourdebonafinderegarderses

bras.Ilsétaientensang,etcen’étaitpasdela

peinture.

Elleétaitencoretropsecouéepourposerdes

questionsintelligibles.Elleseglissadanssondoset

luiôtasavesteencuir.Souslavivelumière,ellevit

sachemiseensoietachéedesangplusoumoins

frais.

Sapremièreréactionfutl’épouvante,sansune

pointedeculpabilitéoudecompassion.

—Qu’est-cequis’estpassé,Damon?Tut’es

battu?Parle!

Ellebaissalesyeux,observantsesbras

ensanglantésetsarobededéessequiavaitperdusa

blancheurvirginale.

Unsangquiauraitdûêtrelesien.Unsangqui

avaitdûjaillirdansledosdeDamoncommesiune

épéeletailladaitpendantqu’ilabsorbaitladouleur

etlesmarquesdescoupsdefouet.

«Direqu’ilm’aportéesurtoutletrajetdu

retour…sansseplaindreuneseulefois.Sij’avais

su…Iln’amêmepasencorecicatrisé.Est-cequ’ille

pourraunjour?»

AlorsElenasemitàhurler,corpsetâme.

28.

Quelqu’unessayaitdelafaireboire.L’odorat

d’Elenaétaitsidéveloppéqu’elledevinad’embléece

queleverrecontenait:duvindeMagieNoire.Et

ellen’envoulaitsurtoutpas!Alorselletournala

tête.Ilsnepouvaientpaslaforcer.

—C’estpourvotrebien,monpetit.Buvez.

Lamâchoirecrispée,ellefinitparobéir.

—Voilà.C’estmieux.

Autréfondsdesaconscience,unpetitgarçonse

tenaitàsoncôtédanslenoir.Ellesesouvenaitde

lui,maispasdesonnom.Commeelleouvraitles

bras,ilvintseblottircontreelleetseschaînes

parurentmoinslourdesque…quand?Avant.

C’étaittoutcedontellesesouvenait.

Est-cequeçava?demanda-t-elledoucementà

l’enfant.

Aucœurd’unecommunionsiintense,un

chuchotementétaituncri.

Nepleurepas.Pasdelarmes!lasupplia-t-il.

Cesmotsluirappelèrentquelquechose

d’insoutenable,alorselleposagentimentundoigt

sursabouchepourlefairetaire.

Unevoixextérieure,bruyante,s’immisçaavec

fracas.

—Alors,monpetit?Vousavezdécidéde

redevenirunvampire?

Ceseraitdoncça?dit-elleavecétonnementà

l’enfant.Jesuisentraindemourir?Encore?De

devenirunvampire?

Jen’ensaisrien!s’écria-t-il.Jen’ensaisrien

dutout.Maisilestencolère.Çamefaitpeur.

Sageneteferarien,promit-elle.C’estdéjàun

vampire,etaussitonami.

Cen’estpasSage…

Maisalors,quitefaitpeur?

Situmeursencore,meschaînesse

multiplieront.

L’enfantluitransmitunevisionmisérablede

lui,étouffésousplusieursépaisseursdechaînes,

bâillonné,lesbrasclouésaucorpsetunbouletaux

pieds.Seschaînesétaientgarniesdepointes,sibien

quepartoutoùellestransperçaientsapeautendre

lesangruisselait.

Quioseraitt’infligerça?serévoltaElena.Je

vaisluifaireregretterd’êtrené!Dis-moiquiveut

tefairedumal?

Ilpritunairabattuetpenaud.C’estmoi,

répondit-iltristement.C’estlui,Damon.Parcequ’il

t’auratuée.

Mêmesicen’estpassafaute?…

Onn’apaslechoix.Illefaut.Maispeut-être

quejevaismourir,d’aprèsledocteur…

Ilyavaitunelégèrenoted’espoirdansla

dernièrephrase.

C’estcequidécidaElenaàsortirdesatorpeur.

SiDamonn’avaitpaslesidéesclaires,peut-être

qu’ellenonplus.Peut-être…qu’elledevraitseplier

auxdésirsdeSage.

EtàceuxduDrMeggar.Ellediscernaitsavoix

àtraversunesorted’épaisbrouillard.

—…deDieu,vousêtesrestédebouttoutela

nuit.Laissez-moifaire,maintenant.

Toutelanuit…oui.Elenaavaitluttépournepas

seréveiller,etelleavaitunevolontédefer.

—…peut-êtrechangerdeplace?suggéraitune

autrevoixplusjeune,maisrésolueelleaussi.

Bonnie.

—Elena…c’estMeredith.Est-cequetusens

quejetetienslamain?

Silence,puisuncridejoie.

—Vousavezvuça?Elleaserrémamain!

Sage,vavitechercherDamon.

Partirdoucement…

—Encore,Elena.Oui,jesais,tuenasmarre.

Maisboisencoreunpeu,pourmoi,tuveuxbien?

Àladérive…

—C’estbien,monpetit!Maintenant,unpeude

lait,d’accord?Damonpensequetupeuxrester

humainesituboisdulait.

Àcesmots,Elenaeutdeuxpensées:la

premièreétaitque,sielleavalaitencorelamoindre

gorgée,ilsepourraitqu’elleexplose.Laseconde,

qu’elleneferaitplusaucunepromessestupideà

l’avenir.

Elleessayadeparler,maislesmotsétaientà

peineaudibles.

—DitesàDamon…quejenereviendraipasà

moinsqu’ilnelibèrelepetitgarçon.

—Hein?Maisquelgarçon?

—Elena,machérie,touslespetitsgarçonsde

cettepropriétésontlibres.

—Etsionlalaissaitleluidireenface?proposa

Meredith.

—Elena,Damonestjusteàcôté,surlesofa,dit

leDrMeggar.Vousaveztouslesdeuxététrès

malades,maisvousallezvousensortir.Attendez,

onvaapprocherlatabled’examenpourquevous

puissiezluiparler.Voilà,vousyêtes.

Elletentad’ouvrirlesyeux,maislalumière

étaitatrocementvive.Elleprituneinspirationet

réessaya.Toujourstropvive.Etellenesavaitplus

commentréduiresonacuitévisuelle.Lesyeux

fermés,elles’adressaàlaprésencequ’ellesentait

prèsd’elle:Jenepeuxpasl’abandonner.Surtoutsi

tuasl’intentiondel’écrasersouslepoidsdeses

chaînesetdelebâillonner.

Elena,réponditDamon,jen’aipastoujours

menéunevieexemplaire,maisjetejurequejen’ai

jamaiseud’esclaves.Tupeuxdemanderà

n’importequi.Etjeneferaisjamaisdemalàun

enfant.

Pourtant,tul’asfait,jeconnaissonnom.Etje

saisqu’ilestcapablededouceuretdebonté,qu’au

fondilaboncaractère…etqu’ilesteffrayé.

Àproximité,lavoixdeSagebourdonna:

—Çalaperturbe…

PuiscelledeDamon,àpeineplusdistincte:

—Jesaisqu’elleaperdulaboule,mais

j’aimeraisquandmêmeconnaîtrelenomdecepetit

garçonàquij’auraisfaitdumal.Pourquoiçala

perturbe,d’ailleurs?

D’autresvoixquibourdonnent,puisencore

Damon:

—Maispourquoijenepourraispasluiposerla

question?Quejeprouveaumoinsmoninnocence!

Sontonmontad’uncran:

—Elena?Quiestcegossequej’aisoi-disant

torturé?

Elleétaitvraimentàbout.Malgrétout,elle

réponditàvoixhaute,lentement:

—C’estDamon,biensûr.

Meredithlâchaunsoupird’épuisement.

—MonDieu.Elleétaitprêteàmourirpourune

métaphore.

29.

MattregardaMmeFlowersexaminerl’insigne

dushérifMossberg,lesoupesantdélicatementd’une

mainetpromenantdessuslesdoigtsdel’autre.

IlsletenaientdeRebecca,laniècedushérif.Ça

avaiteutoutl’aird’unecoïncidencequandMatt

l’avaitcroisée,unpeuplustôtdanslajournée.Mais,

dansunsecondtemps,ilavaitremarquéqu’elle

portaitunechemised’hommeenguisederobe.

Cettechemiseluiavaitrappeléquelqu’un…un

certainshérifdeRidgemont.

C’estlàqu’ilavaitvul’insigneencoreépingléà

lachemise.Onpouvaitdirepleindechosessurle

shérifMossberg,maisimpossibledel’imaginer

perdantsoninsigne.Oublianttoutegalanterie,il

s’étaitemparébrusquementdupetitécussonen

métal,sanslaisserletempsàRebeccadeprotester.

Depuis,iléprouvaituneangoisseterriblequine

faisaitqu’empirer.Etl’expressiondeMmeFlowers

nesevoulaitpasfranchementrassurante.

—Iln’étaitpasdirectementencontactavecsa

peau,dit-elleàvoixbasse,donclesimagesque

j’obtienssontfloues.Mais…

Elletournalatêteverslui,leregardsombre.

—Jesuistrèsinquiète,monpetitMatt.

Enfrissonnant,ellepritunechaiseprèsdela

tabledelacuisine,surlaquelletraînaientdeux

grandestassesfumantesdelaitépicéauxquellesils

n’avaientpasencoretouché.

Matt,quiavaitbesoindes’éclaircirlavoix,

portalelaitbrûlantàseslèvres.

—Vouspensezqu’ondevraitallervoircequise

passe?

—Illefaut,confirmalavieilledame.

D’unairtriste,elleagitasesbouclesblanches,

finesetclairsemées.

—Machèremamaninsistebeaucoup,etj’aila

mêmesensationqu’elle:cettereliquedégagede

grandstroubles.

Surlecoup,Mattéprouvaunsoupçondefierté

d’avoirmiscette«relique»ensécurité,maistrès

viteils’assombrit.«Tuasraison,ironisa-t-il.Voler

uninsigneàunefillettededouzeans,ilyavraiment

dequoiêtrefier.»

LavoixdeMmeFlowers,quiavaitquittéla

pièce,sefitentendredanslecouloir:

—Vousferiezmieuxd’enfilerplusieurscouches.

Elleapparutdeprofil,àlaportedelacuisine,

avec

de

gros

manteaux

dans

les

bras,

manifestementprélevésdanslapenderiede

l’entrée,etplusieurspairesdegantsdejardinage.

Matts’empressad’allerl’aider,maisfut

subitementvictimed’unequintedetoux;ilétait

prisàlagorgeparunparfumdenaphtalinemais

aussi,bizarrement,d’épices.

—C’estquoi…cetteodeur…deNoël?

demanda-t-il,obligédetoussertouslesdeuxmots.

—Ah,ça,c’estsûrementlarecettede

conservationauxclousdegirofledemagrand-tante

Morwen,expliquaMmeFlowers.Certainsdeces

manteauxdatentdel’époquedemamère.

Mattn’eutpasdemalàlacroire.

—Maisilfaitencorebondehors.Pourquoi

voulez-vousqu’onmettedesmanteaux?

—Pourseprotéger,monpetitMatt,se

protéger!Dessortilègesontétéincorporésautissu

decesvêtementspournouspréserverdumal.

—Mêmelesgantsdejardinage?

—Mêmelesgants.

MmeFlowersmarquaunepause,puisreprit

d’unevoixpluscalme:

—Nousferionsbiendeprendredestorches

électriques,carnousallonsdevoirnousdébrouiller

danslenoircomplet.

—Vousvoulezrire?

—Malheureusementnon.Nousdevrionsaussi

prendredescordespournousattacheretnepas

nousperdre.Enaucuncasnousnedevonsentrer

danslebosquetdelavieilleforêtcesoir.

Uneheureplustard,Mattréfléchissaitencore.

Iln’avaiteuaucunappétitpourlecopieuxgratin

d’auberginesbraiséesdeMmeFlowers,etson

cerveautournaitàpleinrégime.

«JemedemandesiElenaressentlamême

chosequandellemetaupointsesplansA,BetC,

songea-t-il.Est-cequ’elleaussisesentbêteàce

point?»

Pourlacentièmefoisdepuisqu’ilavaitquitté

DamonetElena,ilsedemanda,lecœurserré,s’il

avaitbienfait.

«Forcémentqueoui,sedit-ilfermement.La

preuve,jen’aijamaiseuaussimal.Engénéral,les

décisionslesplusdouloureusessontlesbonnes.»

«Maisj’auraisvoululuidireaurevoir…»

«Mais,situl’avaisfait,tuneseraisjamais

parti.Regardeleschosesenface,abruti:dèsqu’il

s’agitd’Elena,tueslepireloserdelaplanète.

Depuisqu’elles’esttrouvéunpetitcopainqu’elle

aimeplusquetoi,tuagiscommesituétais

MeredithouBonniepourl’aideràlegarderettenir

leMéchanthorsducoup.Tudevraispeut-êtrete

trouveruntee-shirtavecécritengros:Toutouau

servicedelaprincesseEl…»

CLAC!

Mattsursauta,etsejetaàterre–unecascade

beaucouppluspéniblequecequ’onvoitdansles

films.

Sombrecrétin!

C’étaitlevoletmalfermédel’autrecôtédela

cuisine.Celadit,enparlantdeclaquement,çalui

avaitmisunesacréegifle.Lesparoisdelapension

étaientenmauvaisétat,etlesvoletsenbois

sortaientparfoisbrusquementdeleursgonds.

Maisétait-cevraimentunecoïncidence?sedit

Mattdèsquesonpoulseutretrouvéunrythme

normal.DanscettemaisonoùStefanavaitpassé

tantdetemps?Elleétaitpeut-êtreencore

imprégnéedesonesprit,quirestaitàl’affûtdece

quelesgenspensaiententrecesmurs.Sic’étaitle

cas,Mattvenaitdeseprendreunboncoupdansle

plexus.

«Désolé,monpote,pensa-t-ilpresqueàvoix

haute.Jenevoulaispascritiquertacopine.Jesais

qu’ellesubitbeaucoupdepression.»

Critiquersacopine?

Elena?

Maisilseraitlepremieràcognerquiconquela

critiquerait;àconditionqueStefannes’interpose

pasenutilisantunedesesrusesdevampire!

C’étaitcomment,déjà,laphrasequ’elledisait

toujours?Onn’estjamaistropprêt.Onn’ajamais

tropd’unplanBparceque,aussisûrqueDieuacréé

lespistachesavecunefoutuecoque,onpeutêtre

sûrqueleplanAauradesfailles.

C’estpourçaqu’Elenas’entouraitd’un

maximumdepersonnesdanscegenredesituations.

EtpeuimportequelesauteursdesplansCetD

n’aientjamaisbesoindes’impliquer.Ilsétaientlàsi

onavaitbesoind’eux.

Surcesréflexions,lesidéesbeaucoupplus

clairesqu’ellesn’avaientétédepuisqu’ilavaitvendu

laPriusetdonnél’argentdeStefanàBonnieet

Meredithpourleursbilletsd’avion,Mattsemitau

travail.

***

—Ensuite,onestalléssepromenerdansle

domaine,etonavudeschampsdepommiers,

d’orangersetdecerisiers,racontaBonnieàElena.

Sonamieétaitallongée,l’airfragileetsans

défense,danssonlitàbaldaquin,autourduquelon

avaitaccrochédesvoilagesorcendrétrèsfins,pour

l’instantretenuspardegrospomponsauxdiverses

nuancesdorées.

Bonnieétaitconfortablementassisedansun

fauteuilrembourréquiavaitétérapprochédulit.

Elleavaitposésespetitspiedsnussurlesdraps.

Elenan’étaitpasunepatientecommode.Elle

n’arrêtaitpasd’insisterpourselever.Ellevoulait

qu’onlalaissefaireunpetittour.Çaluidonnerait

plusd’énergiequetoutescesbouilliesd’avoine,ces

steaksetcelait,ouquelescinqvisitesparjourdu

DrMeggar,quiétaitvenus’installeràlapropriété.

UnsoiroùBonnieétaitàsonchevet,elleavait

fonduenlarmesetluiavaittoutracontéd’une

traite,enhoquetanttoutdulong.

—Tu-tut’esmiseàhurleràlamort,ettous-

touslesvampirest’ontentendue,alorsSagenousa

attrapées,Meredithetmoi,commedeuxchatons,

unesouschaquebras,etils’estmisàcouriren

directionducri.Maisen-en-entre-temps,pleinde

gensétaientarrivéssurplace!Tuétaisinconsciente

etDamonaussi,etquelqu’unadit:«Ils-ilsontété

attaqués,etjecroisqu’ilssontmorts!»Ettout-

toutlemondecriait:«AppelezlesSen-appelezles

Sentinelles!»Alorsjesuistombéedansles

pommes,maisjusteunpeu.

—Chut,avaitditElenad’untoncalmeetposé.

PrendsunpeudevindeMagieNoire,tutesentiras

mieux.

Bonnieenavaitbuunpeu.Puisunpeuplus.

Ensuite,elleavaitcontinuésonhistoire:

—MaisSagedevaitêtreaucourantdequelque

chose,parcequ’ilestintervenuendisant:«C’est

bon,jesuismédecin,jevaislesexaminer.»Situ

avaisvulafaçondontill’adit,onétaitforcédele

croire!Alorsilvousaregardéstouslesdeux,etje

croisqu’ilatoutdesuitecompriscequivousétait

arrivé.Ilademandéàcequ’onfassevenirun

équipage,pourvousemmenerchezson«collègue»

leDrMeggar.Etlà,ladyFazinaestarrivéeen

personne,etelleaditqu’ilpouvaitprendreunde

sescarrossesetlerenvoyerquandilvoudrait.C’est

foucequ’elleestriche!Alorsonvousafaitsortir

touslesdeuxpar-derrière,parceque…parcequ’ily

avaitdessalaudsquidisaientdevouslaissercrever.

C’étaientdesvraisdémons,blancscommeneige,

qu’onappellejustementdesFemmesdesNeiges.Et

après,aprèsonétaitdanslecarrossequand,ômon

Dieu,Elena,c’étaithorrible:tuasfaillimourir!Tu

ascesséderespirerdeuxfois!SageetMeredith

n’arrêtaientpasdetefairedesmassages

cardiaques,etmoi…moij’aiprié!J’aipriésifort,

Elena!

Désormaiscomplètementcaptivée,Elenal’avait

câlinéedanssesbras,maisBonnienepouvaitplus

s’arrêterdepleurer.

—OnatambourinéchezleDrMeggarcommesi

onallaitenfoncerlaporte,etpuisquelqu’unluia

toutraconté,ilt’aexaminéedeuxminutesetila

dit:«Elleabesoind’unetransfusion.»Jeluiai

proposédeprendremonsang.Parcequesouviens-

toi,àl’école,onavaitdonnénotresangpourJody

Wright,etonétaitquasimentlesseulesdonneuses

compatibles.Onavaitlemêmegroupesanguin.

Alors,enunclaquementdedoigts(Bonniejoignitle

gesteàlaparole),ledocteurapréparédeuxtables

d’examenetj’avaistellementpeurquej’avaisdu

malàresterimmobileaumomentilavoulupiquer

l’aiguille,maisj’aiquandmêmeréussi.Etdoncils

t’ontdonnéunpeudemonsang.Et,pendantce

temps,tusaiscequeMeredithfaisait?Ellealaissé

Damonlamordre.Jetejure.LeDrMeggara

renvoyélecarrosseaupalaispourdemanders’ily

avaitdesdomestiquesquivoulaient«uneprime»,

c’estcommeçaqu’ilsappellentçaici,etlavoiture

estrevenuepleine!Jenesaispasexactement

combienDamonenamordu,maisbeaucoup,çac’est

sûr!Ledocteuraditquec’étaitlemeilleurremède

pourlui.Ensuite,aprèsdiscussionavecDamonet

Meredith,onaconvainculeDrMeggardevenirici,

pouryvivre,j’entends,etladyUlmaadécidéde

fonderunhôpitalpourlespauvresàlaplacede

l’immeubleoùilhabitait.Depuis,onveilleàceque

tuterétablisses.Damons’estsentimieuxdèsle

lendemain.Et,d’uncommunaccord,ladyUlma,

Lucenetluiontdécidéd’offriruneperleàlady

Fazinapourlaremercier:elleappartenaitaupère

deladyUlma,maiselleétaitsigrosse,delataille

d’unpoing,avecdespetitesimperfectionsen

surfaceetunlustreargenté,qu’iln’avaitjamais

trouvédeclientassezrichepourlaluiacheter.Ils

l’ontaccrochéeenpendentifàungroscollieretlalui

ontfaitporter.

Denouvelleslarmesétaientvenuesembuerles

grandsyeuxdeBonnie.

—Ellevousasauvés,Elena!Soncarrossevous

asauvélavie!EtMeredithm’aavoué…c’estun

secret,maisàtoijepeuxledire…

Elles’étaitpenchéepourchuchoter:

—…quelamorsuren’étaitpassiterrible.Et

voilà,tusaistout!

Commelechatonqu’elleétait,Bonnies’était

alorsétiréeenbâillant.

—Jemeseraisbienfaitmordreaussi,avait-elle

ajoutéd’untontrèsnostalgique,maistuavais

besoindemonsang.Dusanghumain,etlemien

surtout.Jeprésumequ’ilss’yconnaissenten

groupessanguinsici,parcequ’augoûtetàl’odeurils

onttoutdesuitefaitladifférence.

Ensuite,elleavaitsautillé,d’unairenjoué.

—Tuveuxvoirlaclédekitsune?Nous,onétait

persuadésquetoutétaitfoutu,qu’onnela

trouveraitjamais,mais,quandMeredithestallée

danslachambredeDamonpourluidonnersonsang

–etjeteprometsqu’ilsn’ontrienfaitd’autre–,

Damonlaluiaconfiéeetluiademandédelagarder

enlieusûr.Elleenaprisbiensoin,etmaintenant

elleestdansunpetitcoffrequ’afabriquéLucen;on

diraitqu’ilestenplastique,maisnon.

Parlasuite,Elenaavaitcontempléplusieursfois

lepetitmorceaudecléenformedecroissant,mais

autrementellen’avaitriend’autrepoursedistraire

depuissonlit,àpartdiscuteretliredesgrands

classiquesoudesencyclopédiesissusdumonde

terrien.IlsnevoulaientmêmepasqueDamonet

ellesereposentdanslamêmechambre.

Ellesavaittrèsbienpourquoi.Ilsavaientpeur

qu’ellenesecontentepasdeparleraveclui.Qu’elle

s’approche,qu’ellesentesonodeurexotiquesi

familière,uncocktailitaliendebergamote,de

mandarineetdecardamome,qu’elleplongele

regarddanssesyeuxnoirsdontlespupilles

pouvaientcontenirdesgalaxiesentièresetque,au

réveil,ellesoitdevenueunvampire.

Maisilsignoraienttout!Damonetelleavaient

échangéleursangsansdangerdepuisdessemaines,

bienavantcetincident.Sirienneluifaisaitencore

perdrelatête,commel’avaitfaitcettedouleur,ilse

conduiraitcommeunparfaitgentleman.

—Mouais,commentadoucementBonnie.

Enbonnemédiumqu’elleétait,lesprotestations

intérieuresd’Elenaneluiavaientpaséchappé.

Ellepoussade-cide-làunpetitcoussindécoratif

avecsesorteils,dontlesonglesétaientvernisd’une

couleurargentée.

—Àtaplace,j’éviteraisdeleurdirequedepuis

ledébutvousavezéchangépleindefoisvotresang.

Çavapeut-êtresusciterdesAh,ah!Enfin,onse

comprend:ilsrisqueraientdes’imaginerdes

choses.

—Maisiln’yarienàimaginer.Jesuisicipour

récupérermonDamon,etStefannefaitque

m’aider.

Bonnieladévisageaavecunemoue,lessourcils

froncés,maisn’osariendire.

—Bonnie?

—Hum?

—Jeviensbiendedirecequejecroisquej’ai

dit?

—Hum-hum.

D’ungeste,Elenaattrapaunebrassée

d’oreillersqu’elleseplaquasurlevisage.

—Tuveuxbiendireauchefcuisinierqueje

voudraisunautresteaketungrandverredelait?

demanda-t-elled’unevoixétouffée.J’mesenspas

trèsbien.

***

Mattavaitunnouveautasdeferraille.Encas

d’urgence,ilsavaittoujoursoùendégoter.Et

maintenant,ilroulaitparà-coupsendirectionde

chezObaasan.

«ChezMmeSaitou»,sereprit-ilrapidement.Il

nevoulaitpasbafouerdescoutumesculturellesqu’il

connaissaitmal,alorsqu’ilvenaitdemanderun

service.

Unefoissurplace,ilfutaccueilliparunefemme

qu’iln’avaitjamaisvue.Elleétaitséduisante,

extrêmementbienhabilléed’unelonguejupe

écarlateévasée–àmoinsquecenefûtunpantalon

particulièrementample?Difficileàdire,ellese

tenaitlesjambestrèsécartées.Enhaut,elleportait

unchemisierblanc.Sonvisageétaitsaisissant:deux

longuesmèchesbrunesetraidesdepartetd’autre,

etunepetitefrangedroitesoignéequibalayaitles

sourcils.

Mais,leplusfrappantchezelle,c’étaitqu’elle

tenaitunlongsabrepointésurMatt.

—Bon-bonjour,bafouilla-t-ilquandelleouvrit

laporte.

—C’estunebonnemaison,ici,réponditla

femme.Iln’yapasd’espritsmaléfiques.

—Jen’enaijamaisdouté.

Mattreculad’unpastandisquelafemme

s’avançait.

—Paroled’honneur.

Lafemmefermalesyeux,commesiellesondait

sonesprit,puisbrusquementelleabaissalalame.

—Vousditeslavérité.Vosintentionssont

pures.Entrez,jevousprie.

—Merci.

—Orime?intervintunevoixgrêleetfaibleà

l’étage.C’estundesenfants?

—Oui,Hahawe,lançalafemme.

PourMatt,désormais,c’était«lafemmeau

sabre»;impossiblepourluidesedéfairedecette

image.

—Fais-lemonter,veux-tu?

—Toutdesuite,Hahawe.

—Ha-ha…jeveuxdire,Hahawe?

Ensentantlesabreluichatouillerdenouveaule

ventre,Matttransformasonrirenerveuxenune

phraseépouvantable.

—Cen’estpasObaasan,là-haut?

Pourlapremièrefois,lafemmesourit.

—Obaasansignifiegrand-mère.Hahaweest

undesmotspourdiremaman.Maisvouspouvez

l’appelerObaasan,çanelagênerapasdutout;c’est

aussiunefaçonamicaledesaluerunefemmedeson

âge.

—Entendu,acquiesçaMatt,quifaisaitdeson

mieuxpouravoirl’aird’untypesympa.

Elleluifitsignedemonter.Unefoisàl’étage,il

jetauncoupd’œilàl’intérieurdeplusieurspièces

jusqu’àcequ’ilentrouveuneavecungrandfuton

disposéaucentred’unparquetcomplètementnuet,

allongéedessus,unefemmequisemblaittellement

petite,delatailled’unepoupée,qu’ellen’avaitpas

l’airréelle.

Sescheveuxétaientaussisoyeuxetbrunsque

ceuxdelafemmeausabre.Ilsétaientarrangésde

tellesortequ’ilss’étalaientautourd’ellecommeune

couronne.Maissespaupièresauxlongscilsnoirs,

contrastantavecsesjouesblanches,étaientcloses,

etMattsedemandasiellenes’étaitpassubitement

assoupie,commelefontsouventlespersonnes

âgées.

C’estalorsque,brusquement,lapetitedame

auxtraitsdepoupéeouvritlesyeuxensouriant.

—Tiens,c’estMasato-chan!s’exclama-t-elle

enregardantMatt.

Çadémarraitmal.Siellenefaisaitmêmepasla

différenceentreunblondinetetsonvieilami

japonaisqu’elleconnaissaitdepuissoixanteans…

Ellesemitàrireensecouvrantlabouchede

sespetitesmains.

—Jesais,jesais.Vousn’êtespasMasato.Ilest

devenubanquier,trèsriche.Trèsgros,aussi.

Commesabêtise.

Elleluisouritencore.

—Asseyez-vous,jevousenprie.Vouspouvez

m’appelerObaasansivouslesouhaitez,ouOrime.

Mafilleportemonnom.Maisellen’apaseuunevie

facile.Toutcommemoi.Êtreàlafoismikoet

samouraï…çademandedeladisciplineetbeaucoup

detravail.MonOrimeréussissaitsibien…jusqu’à

cequ’onemménageici.Oncherchaituneville

paisibleetsanshistoires.Et,aulieudeça,Isobela

rencontréJim…EtJimétait…infidèle.

Mattbrûlaitd’enviededéfendresonami,mais

qu’est-cequ’ilauraitbienpudire?Jimavaitcédé

auxavancesdeCaroline.Aprèsquoi,ilavaitété

possédéetavaitcontaminésapetiteamieIsobel,

quis’étaitfaitdespiercingsmonstrueuxsurtoutle

corps,entreautreschoses.

—Ilfautqu’onlesretrouve,lâcha-t-il

spontanément.Leskitsunequiontdéclenchétout

ça,avecCaroline:ShinichietsasœurMisao.

—Deskitsune…

Obaasanhochalatêted’unairsongeur.

—Dèsledébutj’aiditqu’ilsétaientderrière

toutça.Voyonsvoir:j’aibénidesamulettespour

vosamis…

—Pouvez-vousbéniraussilesballes?J’enai

pleinlespoches,ditMattunpeugêné.

Ilrépanditenvracdescalibresdifférentsau

borddufuton.

—J’aimêmetrouvédesincantationssur

Internetpoursedébarrasserd’eux.

—Vousêtestrèsméthodique.C’estbien.

Obaasan

regarda

les

pages

qu’il

avait

imprimées.Mattfutmalàl’aise;ilsavaitqu’il

n’avaitfaitqu’exécuterlalistedetâchesque

Meredithluiavaitpréparée,etquec’étaitàelleque

revenaittoutlemérite.

—Jevaisd’abordbénirlesballes,ensuiteje

prépareraid’autresamulettes,dit-elle.Disposez-les

làoùvousavezleplusbesoindeprotection.Quant

auxballes,jesupposequevoussavezquoienfaire.

—Oui,m’dame!

Ilfouillasespochespourattraperlesdernières

etlesposadanslesmainsqu’elleluitendait.Puis,

lentement,ellechantaunelongueincantation

élaborée,lesdoigtsécartésau-dessusdesballes.

Mattnetrouvapasleritueleffrayant,maisilsavait

que,questionmédium,ilétaitnul,etqueBonnie

auraitprobablementvuetentendudeschosesqui

luiéchappaient.

—Est-cequejedoisviserunepartieducorps

enparticulier?

Regardantlavieilledame,ilessayaitdesuivre

cequ’elledisaitenlisantletextedel’incantation.

—Non,n’importequelendroitducorpsoudela

têteferal’affaire.Sivousluiarrachezunequeue,il

seraaffaibli,maisaussifurieux.

Obaasans’interrompitentoussant,d’unepetite

touxsèchedevieilledame.Iln’eutpasletempsde

luiproposerdedescendreluichercherunverre

d’eauqueMmeSaitouentraitdanslapièceavecun

plateauettroispetitsbolsdethé.

—Mercidevotrepatience,dit-ellepolimenten

s’agenouillantpourlesservir.

Àlapremièregorgée,Mattconstataquelethé

vertquifumaitdanssonbolétaitbienmeilleurque

ceàquoiils’attendaitaprèssesraresexpériences

aurestaurantjaponais.

Lesilences’installa.MmeSaitouétait

agenouillée,silencieuse,devantleplateau,Obaasan,

étenduesurlefuton,l’airlivideetratatinéesous

l’édredon,etMattenproieàuneviolenteenviede

s’exprimer.

Finalement,bienquesonbonsensluiconseillât

deneriendire,iléclata:

—Sivoussaviezàquelpointjesuisdésolépour

Isobel,madameSaitou!C’esttropinjustetoutce

quiluiarrive!Jevoulaisjustevousdireque…

vraiment,jesuisdésolé,etjevaisretrouverle

kitsunequiestderrièretoutça.Jevouslepromets!

—Quelkitsune?s’étonnaMmeSaitoud’unton

cassant,enlefixantcommes’ilétaitdevenufou.

Obaasansecontentadeleregarderavec

compassiondepuissonoreiller.Puis,sansprendrele

tempsderamasserlesbolsouleplateau,

MmeSaitouselevad’unbondetquittalapièceen

courant.

Mattrestasansvoix.

—N’ayezpastropdepeine,jeunehomme.Ma

filleabeauêtreuneprêtresse,elleauneconception

trèsmodernedumonde.Ellevousdirait

probablementqueleskitsunen’existentpas.

—Mêmeaprès…Jeveuxdire,d’aprèselle,

qu’est-cequiestarrivéàIsobel?

—Ellepensequelavilleestsousuneinfluence

mauvaise,mais«normale»,«humaine».Pourelle,

siIsobels’estmutilée,c’estàcausedustressqu’elle

subissaitpouressayerd’êtreunebonneélève,une

bonneprêtresseetunbonsamouraï.

—Vousvoulezdireque…MmeSaitousesent

coupable?

—Elletientsurtoutlepèred’Isobelpour

responsable.C’estunemployédebureauauJapon.

Obaasanmarquaunepause.

—J’ignorepourquoijevousracontetoutça.

—C’estmafaute,désolé,s’excusaMatt.Jene

voulaispasêtreindiscret.

—Non,vousvoussouciezdesgens,c’est

différent.J’auraispréféréqu’Isobelrencontreun

garçoncommevous.

Mattrepensaàl’étatpitoyabledanslequelil

avaittrouvéIsobelàl’hôpital.Pourfinir,laplupart

desescicatricesneseverraientpasquandelle

seraithabillée…maisencorefaudrait-ilqu’elle

retrouvel’usagedelaparole.

—Ehbien,jesuistoujoursdisponible!

plaisanta-t-ilcourageusement.

Obaasanesquissaunsourire,puisreposalatête

surl’oreiller;non,c’étaitplutôtunrepose-têteen

bois,remarquaMatt.Çan’avaitpasl’airtrès

confortable.

—C’estvraimentdommagequelesconflits

entrehumainsetkitsunepersistent,dit-elled’unair

songeur.Onditquel’undenosancêtresauraitpris

unkitsunepourfemme.

—Commentça?

Obaasansemitàrire,làencore,ensecachant

derrièresespetitesmains.

—Mukashi-mukashi,ou,commevousdites,ily

atrèslongtemps,àl’époquedeslégendes,un

éminentshoguns’estmisencolèrecontretousles

kitsunedesonroyaume.Depuisdesannées,ilslui

faisaienttoutessortesdemisères,mais,quandle

shogunlesasoupçonnésd’avoirsaccagéses

cultures,iladécidéquec’étaitassez.Ilaréveillé

tousleshommesetlesfemmesdelamaison,leura

ditdeprendredesbâtons,desflèches,despierres,

despiochesetdesbalais,etilsontdélogétousles

renardsdeleursterriers,tousceuxquivivaientsur

sondomaine.Ilcomptaitlestuerunparun,sans

pitié.Maisavantdepasseràl’acte,ilfitunrêve

danslequelapparutunesuperbefemmequise

disaitresponsabledetouslesrenardsduroyaume.

Elleluiauraitdit:«C’estvraiquenousvousjouons

destours,maisencompensationnousmangeonsles

rats,lessourisetlesinsectesquiabîmentvos

cultures.Seriez-vousd’accordpourpasservotre

colèresurmoiseule,pourm’exécuteretlaisserla

vieàtouslesautresrenards?Jeviendraiàl’aube

pourconnaîtrevotreréponse.»Etlaplusbelledes

kitsuneatenuparole:elles’estprésentéeàl’aube

entouréedesdouzedemoisellesravissantesqui

constituaientsasuitemaisqu’elleéclipsaittoutes,

commelaLuneéclipselesétoiles.Leshogunn’apas

puserésoudreàlatuer.Illuiaplutôtdemandésa

main,etaparailleursunisesdouzedemoisellesà

sesdouzeplusfidèlesserviteurs.Onditqu’ellefut

uneépousedévouéeetqu’elleluidonnade

nombreuxenfantsaussiimpétueuxqu’Amaterasu,

ladéesseduSoleil,etaussibeauxquelaLune.Ils

vécurentheureuxjusqu’aujouroù,lorsd’un

voyage,leshoguntuaaccidentellementunrenard.Il

sedépêchaderentrerpourexpliqueràsafemme

quecen’étaitpasintentionnel,mais,enarrivant,il

trouvalamaisonendeuilcarsafemmel’avaitdéjà

quitté,emmenanttoussesenfantsavecelle.

—Oh,c’estbête,marmonnaMatt,essayant

d’êtrepoli.

Soudain,soncerveaufittilt.

—Maisattendez:s’ilssonttouspartis…

—Jevoisquevousêtesattentif,jeunehomme,

ditladélicatevieilledame.Sesfilsetsesfilles

étaienttouspartis…sauflabenjamine,unefille

d’unebeautésanspareillebienqu’ellenefûtencore

qu’uneenfant.Voicicequ’elleluidit:«Jevous

aimetroppourvousquitter,père,mêmesicela

impliquequejedoivegarderformehumainepourle

restantdemesjours.»Etvoilàpourquoilalégende

veutquenousdescendionsdeskitsune.

—Oui,maisceskitsune-lànefontpasquejouer

dessalestoursoudétruiredeschamps,ditMatt.Ils

sontlàpourtuer.Ondoitsedéfendre!

—Oui,biensûr,biensûr.Jenevoulaispasvous

contrarieravecmapetitehistoire,s’excusa

Obaasan.Jevaisvouspréparervosamulettes.

Aumomentdudépart,MmeSaitouapparutàla

ported’entréeetluimitquelquechosedanslamain.

Ilbaissalesyeuxetdécouvritlamêmecalligraphie

quecelleutiliséeparObaasanpourlesamulettes.

Saufquelemotétaitécritbeaucouppluspetitet

sur…

—UnPost-it?s’étonnaMatt,unpeuconfus.

Ellehochalatête.

—Trèsutilequandonabesoind’écarterdes

démonsouunegrossebranched’arbre…

Mattlafixa,méduséparcetteréponsesibylline.

—Mamèrenesaitpastoutcequ’ilfautsavoir

deceschoses.

Elleluiremitégalementunsolidepoignard,plus

petitquelesabrequ’elleportaitàlaceinture;petit,

maistrèsefficacecarMattsecoupatoutdesuite.

—Faitesconfianceàvosamisetàvotre

instinct,ajoutaMmeSaitou.

Unpeuhébétémaisdéterminé,Mattremonta

envoitureetpritladirectiondelamaisondu

DrAlpert.

30.

—Jemesensbeaucoupmieux,confiaElenaau

DrMeggarenessayantdenepasmontrerson

impatience.J’aimeraisbienallerfaireuntour.J’ai

mangédelaviande,j’aibudulaitetmêmevotre

huiledefoiedemorueinfecte.Etpuis,maintenant,

jesuistrèslucidesurlasituation:jesuisicipour

sauverStefan,etlepetitgarçonàl’intérieurde

Damonestunemétaphoredesoninconscientque

j’aidécouvertegrâceànoséchangesdesang.

Elleeutungesteunpeunerveux,qu’elle

dissimulaenprétextantvouloirattraperleverre

d’eausursatabledenuit.

—Jemesenscommeunchiotquitire

joyeusementsursalaisse!

Ellecontemplalesnouveauxbraceletsd’esclave

qu’onluiavaitmisauxpoignets:del’argent

incrustédelapis-lazuliauxformesdouces.

—Sijemeurssubitement,jesuisparée!

LessourcilsduDrMeggars’agitèrentdebasen

haut.

—Bon,jenetrouverienàredireàvotrepouls

niàvotrerespiration.Jen’airiencontreunepetite

promenade.Damons’estviteremissurpied,mais

n’allezpasdonnerd’idéesàladyUlma.Elleaencore

besoindeplusieursmoisdeconvalescence.

—Onluiaconstruitunjolipupitreàpartird’un

plateaudepetit-déjeunerpourqu’ellepuisse

continuersescréations,expliquaBonnie.

EllesepenchaversElena.

—Ettusaisquoi?Sesrobessontmagiques.

—Lecontraireauraitétéétonnant,marmonna

ledocteur.

Elenaavaitdéjàdécroché,absorbéeparune

penséedésagréable.

—Mêmequandonauraretrouvélaseconde

moitiédeclé,ilfaudraqu’ondétermineunplan

d’actionpourl’évasion…

—C’estquoiuneévasion?demandaLakshmi.

—Ehbien,c’estça:onalaclépourouvrirla

celluledeStefan,maisilfautencorequ’ontrouveun

moyendepénétrerdanslaprisonetdelefaire

sortirencachette.

Lapetitefillefronçalessourcils.

—Pourquoionnepourraitpasentreretlefaire

sortirparlaported’entrée?

—Parcequ’ilsnenouslaisserontpasfairesi

facilement.

ElleregardaLakshmiattentivement,tandisque

l’enfantposaitlatêtedanssesmains.

—Àquoitupenses?

—Enfait,jenecomprendspas:d’abordtudis

quetuauraslaclédanslamainenarrivantàla

prison,etensuitetudisqu’ilsnevontpaslelaisser

sortir.

Meredithsecoualatête,abasourdie,etBonnie

portalamainàsonfrontcommesielleavaitmalàla

tête.MaisElenasepenchadoucement.

—Lakshmi,tuveuxdireque…sionalacléde

lacelluledeStefan,engros,c’estcommeunlaissez-

passer?

Levisagedel’enfants’illumina.

—Évidemment!Sinon,àquoiçaservirait

d’avoiruneclé?Ilspourraienttrèsbienl’enfermer

dansuneautrecellule.

Elenarestasansvoix.Lanouvelleétaitsi

merveilleuse,siincroyable,qu’elleessayatoutde

suitedetrouverlafaille.

—

Ça

signifierait

qu’on

pourrait

aller

directementdubaldeBlodweddàlaprisonet

libérerStefan?dit-elleenprenantsontonleplus

ironique.Ilsuffiraitqu’onmontrenotreclépour

qu’ilsnouslaissentpasser?

Lakshmi

acquiesça

d’un

signe

de

tête

enthousiaste.

—Oui!

Ellen’avaitpasdutoutperçul’ironied’Elena.

—Etnetefâchepas,mais…jemesuistoujours

demandépourquoitun’allaispasluirendrevisite.

—C’estpossible?!

—Biensûr,àconditiondeprendrerendez-vous.

MeredithetBonnieréagirentauquartdetour

envoyantlamineblêmed’Elenaetlarattrapèrent,

chacuned’uncôté.

—Est-cequ’onpeutenvoyerquelqu’unpour

prendrerendez-vous?murmura-t-elle,lesdents

serrées.

Ellesesentaittropfaiblepourarticuler,et

s’abandonnadetoutsonpoidsauxmainsdeses

deuxamies.

—Quipourraits’encharger?

—Moi.

Damonsetenaitderrièreelles,dansla

pénombrerougeâtredelapièce.

—J’iraiàlaprisoncesoir.

***

Mattsentitquelacolèreselisaitsursonvisage.

—Hé,ducalme!ditTyroned’unairamusé.

Ilsétaiententraindes’équiperpourunepetite

excursiondanslebosquet.Autrementdit,chacun

devaitenfilerdeuxmanteauxparfum«naphtaline

etclousdegirofle»,puisattacherlesgantsaux

manchesavecdugrosscotch.Mattétaitdéjàen

sueur.

MaisilsavaitqueTyroneétaituntypebien.

C’estluiquis’étaitemporté.

—Hé,Tyrone?Tusaisletrucbizarrequiest

arrivéaupauvreJimlasemainedernière?lança-t-

il.Ehben,toutça,c’estliéàunphénomèneencore

plusbizarre,enrapportavecdesrenards

maléfiquesetlavieilleforêt,etMmeFlowersdit

que,sionnefaitpasquelquechose,çavatrèsmal

finir.Ettusaisquoi?MmeFlowersn’estpasqu’une

vieilletimbrée,contrairementàcequetoutle

mondecroit!

—Biensûrquenon,confirmalarudevoixdu

DrAlpertdanssondos.

Elleposasagrossesacochenoiredans

l’embrasuredelaporte(lavilleavaitbeauêtreen

pleinchaos,ellecontinuaitdetenirsonrôlede

médecindecampagne)ets’adressaàsonfils:

—ThéophiliaFlowersetmoi,nousnous

connaissons

depuis

longtemps,

tout

comme

MmeSaitou.Ellesonttoujoursétélàpouraiderles

autres.C’estdansleurnature.

Mattsautasurl’occasion.

—Justement,aujourd’huic’estMmeFlowers

quiabesoind’aide.C’estvraimenturgent.

—Alorsqu’est-cequetuattends,Tyrone?

Dépêche-toid’allerl’aider.

LeDrAlpertébouriffasescheveuxgrisargenté,

puisfitdemêmeaveclatignassebrunedesonfils

d’ungesteaffectueux.

—C’estcequejefais,maman.Onallaitpartir

quandtuesarrivée.

Envoyantl’épavequiservaitdevoitureàMatt,

Tyroneproposapolimentqu’ilsprennentsaCamry

pourserendrechezMmeFlowers.Matt,qui

craignaitqu’unpneunefinisseparéclateràun

momentcrucial,nesefitpasprierpouraccepter.

IlétaitcontentqueTyronedeviennelepilierde

l’équipedefootballdulycéeàlarentrée.Ty,c’était

legenredetypesurquionpouvaitcompter:

témoinlesoutienimmédiatqu’illeurapportait

aujourd’hui.C’étaitunchictype,toutcequ’ilyade

plushonnêteetsain.Mattn’avaitpuqueremarquer

àquelpointladrogueetl’alcoolavaientcorrompu

nonseulementsescoéquipiers,maisaussiles

matchsetl’espritsportifdesautreséquipesdu

campus.

Tyroneétaitaussiuntypequisavaittenirsa

langue.Iln’essayamêmepasdecuisinerMattsurle

chemindelapension,enrevancheilnemanquapas

delâcherunsifflementadmiratif,nonpasà

l’adressedeMmeFlowers,maisàlavuedesa

FordTjaunevifgaréedanslesanciennesécuries.

—Wow!s’exclama-t-ilensautantdeson

cabriolet.

Ils’empressad’alleraiderlavieilledameà

porterunsacdeprovisionssansperdreunemiette

duvéhiculed’époque,l’admirantsoustoutesles

coutures.

—UneFordT,carrosserieFordorSedan!Cette

voiturepourraitêtremagnifiquesi…

Ils’arrêtabrusquement,rougissantsousson

teinthâlé.

—Allons,donc!Nesoyezpasgênéparla

CalècheJaune!s’exclamagaiementMmeFlowers.

ElleconfiaàMattlesoind’emporterunautre

sacdeprovisionsdanslacuisine.

—Çafaitunecentained’annéesqu’elleestau

servicedenotrefamille,etilestvraiqu’ellea

accumuléunecertainedosederouilleetdebosses.

Maisellemontepresqueàcinquantekilomètresà

l’heuresurroute!précisaMmeFlowers.

Onsentaitnonseulementqu’elleétaitfière,

maisaussiquelesdéplacementsultrarapideslui

inspiraientuncertainrespectmêlédecrainte.

Échangeantuncoupd’œilavecTyrone,Matt

compritqu’unemêmeidéelestaraudait:retaperla

voitureenpiteuxétatquoiquetoujourstrèsbelle,

quipassaitleplusclairdesontempsdansune

écurieaménagée.

—Onpourraitlefaire,lançaMatt.

Entantqueporte-paroledeMmeFlowers,il

sentaitquec’étaitàluideprendrel’initiative.

—Carrément,acquiesçaTyroned’unton

rêveur.Vulatailledugarage,c’estpaslaplacequi

nousmanquera.

—Onn’auraitmêmepasbesoindeladémonter

complètement…Ellemarchecommesurdes

roulettes!

—Sansblague!Onpourraitnettoyerlemoteur,

celadit:jeterunœilauxbougies,auxcourroies,aux

durites,toutça,quoi…

Unelueurtraversasubitementlesyeuxbruns

deTyrone.

—Etmonpèreauneponceuseélectrique.On

pourraitdécaperlapeintureetlarepeindre

exactementdelamêmecouleur!

Àcesmots,levisagedeMmeFlowers

s’épanouitenunlargesourire.

—C’estcequemachèremamanespéraitvous

entendredire,jeunehomme.

Nemanquantpasdebonnesmanières,Matt

pensaalorsàfairelesprésentations.

—Enrevanche,sivousaviezditquevous

vouliezlarepeindreenbordeauxouenbleu,jesuis

certaine

qu’elle

aurait

protesté,

ajouta

MmeFlowers.

Elleallapréparerdessandwichsaujambon,une

saladedepommesdeterreetunegrandemarmite

deharicots.ObservantlaréactiondeTyroneà

l’énonciationdumot«maman»,Mattfutcontent:

passéuninstantdesurprise,ils’étaitdétendu,l’air

serein.SamèreavaitconfirméqueMmeFlowers

n’étaitpasunevieilletimbrée,etillacroyaitsur

parole.Matteutl’impressionqu’onluienlevaitun

énormepoidsdesépaules.Iln’étaitpasseulavec

unedameâgéeàprotéger.Ilavaitunami,unpeu

pluscostaudqueluid’ailleurs,surquicompter.

—Allez,vousdeux:prenezunsandwich

pendantquejefinisdepréparerlasalade.Jesais

quelesgrandsgarçonsontbesoind’unrepas

consistantavantl’action.Pasderaisondefairedes

manières:allez-y,attaquez!

MmeFlowersparlaittoujoursdeshommes

commes’ils’agissaitd’unevariétéraredefleur.

TyroneetMattobéirentvolontiers.Endessert,elle

avaitprévuunetarteauxnoixdepécanqu’ilsse

partagèrentavantd’avalerdegrandestassesde

caféquileuréclaircirentlesidéescommeun

décapant.Ilssesentaientmaintenantprêtspourla

bataille,prêtsàsebattrecommedestigres.

IlsprirentletacotdeMattpourserendreau

cimetière,précédantMmeFlowersdansla

FordT.Ayantvucequelesarbresétaientcapables

defaireàunevoiture,Mattn’allaitpasexposerla

CamryimpecdeTyroneàcetteperspective.Ils

descendirentlacollineendirectiondelacachette,

chacundonnanttouràtouruncoupdemainàla

frêleMmeFlowerspourfranchirlesendroitsunpeu

difficiles.Àunmoment,elletrébuchaetelleaurait

putomber,maisTyroneenfonçalapointedeses

chaussuresD&Gdanslesoletsetint,solide

commeunroc,tandisqu’elleculbutaitcontrelui.

—Dieuduciel…merci,monpetitTyrone.

Mattcompritquele«petitTyrone»faisait

désormaispartiedelamaison.

Àl’exceptiond’unetraînéeécarlatedansleciel,

ilfaisaitsombrelorsqu’ilsarrivèrentàlacachette.

MmeFlowerssortitl’insignedushérif,d’ungesteun

peumaladroitàcausedesesgantsdejardinage.Les

yeuxfermés,elleleportad’abordàsonfront,puis,

lentement,ellel’écartaenletenanttoujoursdevant

elle,àhauteurd’yeux.

—Ilsetenaitici,etensuiteils’estbaisséet

accroupi,dit-elleenjoignantlegesteàlaparole.

Mattacquiesçasanstropsavoiroùellevoulait

envenir.

—Nemeditesrien,monpetitMatt:en

entendantquelqu’undanssondos,ils’estretourné

brusquementenpointantsonarme.Maiscen’était

quevousetvousavezdiscutéàvoixbasseun

moment.Etpuis,d’uncoup,ils’estrelevé.

MmeFlowersseredressaaussitôt,etMatt

entenditsoncorpsdélicatémettretoutessortesde

petitsbruitssecs.

—Ilestpartiàpied,trèsvited’ailleurs,en

directiondecebosquetmaléfique.

Elles’élança,commeleshérifMossbergl’avait

fait,sousleregardconsternédeMatt.Cettefois,

Tyroneetluisedépêchèrentdelasuivre,prêtsà

l’arrêtersiellemontraitlamoindreintentionde

pénétrerdanscetteanciennezonedelavieilleforêt.

Mais,aulieudeça,ellecontournalebosquet,

toujoursentenantl’insigneàhauteurd’yeux.

TyroneetMattsemirentd’accordd’unsignede

têteet,sansunmot,laprirentchacunparunbras.

Ilsfirentletourdubosquetdecettefaçon:Matt

devant,MmeFlowersendeuxièmeetTyrone

fermantlamarche.Àunmoment,Mattserendit

comptequelesjouesflétriesdelavieilledame

étaientcouvertesdelarmes.

Finalement,elles’arrêta,attrapaunmouchoir

endentelledanssapoche(aprèsuneoudeux

tentativesratées)etseséchalesyeux,lesouffle

court.

—Vousl’avezretrouvé?demandaMatt,

incapablederéprimersacuriositépluslongtemps.

—Ehbien…nousverronsbien.Leskitsunesont

trèsfortspourcréerdesillusions.Toutcequej’aivu

n’estpeut-êtrequeça.

Ellepoussaungrossoupir.

—Maisl’undenousvadevoirentrerdansces

bois.

—Ceseramoi,réponditMatt,lagorgenouée.

—Non,pasquestion,monvieux.Quellesque

soientcescréatures,tuconnaisleurmode

opératoire.Ilfautd’abordqu’onfassesortir

MmeFlowersd’ici…

—Écoute,jenepeuxpasprendrelerisquedete

demanderdeveniravecmoietqu’ilt’arrive

quelquechose…

—Tupeuxmedirecequejefaisici,alors?

—

Du

calme,

mes

petits

!

intervint

MmeFlowers.

Àsonton,onauraitditqu’elleallaitcrier.Les

garçonsseturentinstantanément,etMattsesentit

unpeuhonteux.

—Jesaiscommentvouspourriezm’aidertous

lesdeux,dit-elle,maisc’esttrèsdangereux.Pour

vousdeux.Cependant,sionn’apasàlefaireune

secondefois,lesrisquesserontmoindresetnos

chancesdemettrelamainsurquelquechoseplus

grandes.

—Dequoiils’agit?demandèrentTyroneet

Mattpresqueenmêmetemps.

Quelquesminutesplustard,ilsétaienttousles

deuxenposition,allongésparterrecôteàcôte,face

aumurqueformaientlesgrandsarbresetles

broussaillesdubosquet.Nonseulementilsétaient

liésparunecorde,maisilsavaientaussidesPost-it

aveclemotdeMmeSaitoucolléssurlesbras.

—Bon,àtrois,jeveuxquevoustendiezchacun

lebrasetquevousagrippiezlesol.Sivoussentez

quelquechose,nelâchezpasettirez.Sinon,

tâtonnezunpeuàcôtéet,dèsquevoussentez

quelquechose,tirezaussivitequepossible.Ohet,

aufait,ajoutaMmeFlowerscalmement:sivous

êtesbrusquemententraînésdanslebosquetou

immobilisés,hurlez,débattez-vous,donnezdes

coupsdepied,descoupsdepoing,toutcequevous

pouvez,etonferacequ’ilfautpourvoussortirdelà.

Unlong,trèslongsilences’écoula.

—Donc,sijerésume,vouspensezqu’ilyades

chosesenfouiesautourdecebosquetetqu’onen

trouverapeut-êtreuneenfouillantàl’aveuglette?

ditMatt.

—Oui.

—OK,acceptaTyrone.

Unefoisdeplus,Mattjetauncoupd’œilverslui

d’unairapprobateur.Iln’avaitmêmepasdemandé

quelgenredechosepourraitlesentraînerdansles

bois?

Quandilsfurentprêts,MmeFlowerssemità

compter,un,deux,trois.Matttenditlebrasleplus

loinpossibleetenfonçasamainencreusantlaterre

àtâtons.

Ilentendituncriàcôtédelui:

—Jetiensquelquechose!

Etunautre,toutdesuiteaprès:

—Jesuisaspirédanslebosquet!

Matts’apprêtaitàaiderTyronequandune

longueformes’abattitsursonbrastendu.Par

chance,elleseheurtaàundesPost-it,etileut

l’impressionqu’onvenaitdelefrapperavecun

morceaudepolystyrène.

Tyronesedébattaitfurieusementetplusdela

moitiédesoncorpsétaitdéjàengloutiedansle

bosquet.Mattl’attrapaparlatailleetletiraen

arrièredetoutessesforces.Ilyeutunpeude

résistanceaudébut,puisTyroneressortitd’uncoup

sec,commeunbouchondechampagne.Ilavaitdes

éraflurespleinlevisageetlecou,maispasuntrou

danslesmanteauxouauxendroitsprotégésparles

Post-it.

Matteutunebrusqueenviederemercierles

deuxfemmesquileuravaientfabriquéles

amulettes,maisellesétaienttroploinpour

l’entendre,etilsesentitunpeubêteàl’idéededire

merciaumanteaudeTyrone.Detoutefaçon,

MmeFlowersvirevoltaitenremerciantàtout-va,

cequisuffisaitamplementpourtrois.

—Mondieu,monpetitMatt,quandcette

grossebranches’estabattue,j’aibiencruqu’elle

allaitvouscasserlebras…aumoins!Merci,

Seigneur,etmerciauxfemmesdelafamilleSaitou

d’avoirfaitd’aussipuissantesamulettes.Tenez,

monpetitTyrone,prenezdoncunelampéedecette

gourde!

—Merci,maisjen’aimepastropboire…

—Cen’estquedelalimonadetiède,unerecette

personnelle,monpetit.Sansvous,mesgarçons,

nousn’aurionsjamaisréussi!Vousavezdonc

trouvéquelquechose,n’est-cepas,Tyrone?

HeureusementqueMattétaitlàpourvoussauver

quandilsvousontattrapé.

—Oh,jesuissûrqu’ils’enseraitsortitoutseul,

nuançarapidementMatt.

Ilsedisaitquec’étaitsûrementgênant,pourun

garçon

que

tout

le

monde

surnommait

«Tyreminator»,d’admettrequ’ilavaiteubesoin

d’aide.

Maispasdutout:Tyroneacquiesça

calmement.

—Vousavezraison.Mercibeaucoup,Matt.

Cedernierrougit.

—Celadit,jecroisquejen’airienattrapéde

trèsintéressant,ajoutaTyroned’unairdéçu.On

auraitditunvieuxboutdetuyau…

—Regardonsça,ditMmeFlowersavecsérieux.

Ellebraqualefaisceaupuissantd’unetorche

électriquesurl’objetpourlequelTyroneavaitpris

tantderisques.

Audébut,Mattcrutqu’ils’agissaitd’unosen

peaupourchien.Maisensuite,uneformequ’il

connaissaitbienhélaslepoussaàregarderdeplus

près.

C’étaitunfémur,unfémurd’homme.Leplus

grososducorpshumain,celuidelacuisse.Etilétait

encoreblanc.Frais.

—Iln’apasl’airenplastique,constata

MmeFlowersd’unevoixquiparuttrèslointaine.

Non,cen’étaitpasduplastique.Àcertains

endroits,despetitsboutss’étaientracornisàla

surface.Etcen’étaitpasunospourchiennonplus.

C’étaitbienunvrai.Unosdejambehumainebien

réel.

Maisilyavaitplusterrifiant;aupointde

donnerletournisàMattetdeluifaireperdre

connaissance.

L’osétaitcomplètementrongé,toutpropre…et

marquéparlesempreintesdedizainesdepetites

dents.

31.

Elenarayonnaitdebonheur.Elles’était

endormielecœurlégerets’étaitréveilléetoutaussi

heureuse,sereine,sachantquebientôt,trèsbientôt,

ellerendraitvisiteàStefanetaprèsça,trèsvite,le

libérerait.

BonnieetMeredithnefurentpassurprises

quandelledemandaàvoirDamonausujetdedeux

questions

:

la

première

étantqui

devrait

l’accompagner,etlasecondecommentelleallait

s’habiller.Làoùellesfurentsurprises,enrevanche,

cefutenapprenantsadécisionlelendemainmatin.

Enparlantlentementaudébut,Elenatraçait

desrondsduboutdudoigtsurlagrandetabled’un

despetitssalonsoùilss’étaienttousréunis.

—Siçavousconvient,annonça-t-elle,j’aimerais

quenousnesoyonspastropnombreuxàyaller.

Stefanasubidesmauvaistraitements,etildéteste

semontrerdiminuédevantlesautres.Jeneveux

pasl’humilier.

Ilyeutunesortedegênegénérale,quifit

rougirtoutlegroupe;peut-êtreparressentiment

audébut,etensuiteparculpabilité.Lagrandebaie

vitréeétaitentrouverteetunelueurmatinalerouge

filtrait,tamisanttoutelapièce,doncilétaitdifficile

delireclairementl’expressionquedégageaitchaque

visage.Maisunechoseétaitcertaine:toutlemonde

avaitenviedepartir.

—Donc,j’espère,repritElenaensetournant

versMeredithetBonnie,qu’aucunedevousnesera

blessée

si

je

ne

vous

choisis

pas

pour

m’accompagner.

«Enclair:vousêtestouteslesdeuxhorsdu

coup»,ajoutaElenapourelle-mêmeensemordant

lalèvre.Maisc’estavecsoulagementqu’ellevitun

sourirecompréhensifsedessinersurleursvisages;

lamajoritédesesplansdépendaienttoujoursdela

façondontsesdeuxmeilleuresamiesréagissaient

danscetypedesituation.

Merediths’avançarésolumentpourrépondrela

première:

—Elena,tuasvécuunevraiedescenteaux

enferscesdernierstempsettuasfaillimouriren

chemin…pourretrouverStefan.Alorschoisisceux

quetujugesbond’emmener.

—Onsaitbienquecen’estpasunconcoursde

popularité,ajoutaBonnie,lagorgenouéedesanglots

qu’elletentaitdecontenir.

«Elleveutvraimentvenir,devinaElena,mais

ellemecomprend.»

—Stefansesentirapeut-êtremoinsgêné

devantungarçonquedevantunefille.

«Maisonneferaitjamaisrienquipuissele

mettremalàl’aise!»pensaBonnieensegardant

biendeledire;detoutefaçon,c’étaitinutile:Elena

connaissaitdéjàlefonddesapensée.

Elenas’approchapourlaprendredanssesbras,

etsentitsonpetitcorpstendreetmenuseblottir

contreelle.Puisellesetourna,etcefurentlesbras

fermesetdouxdeMeredithquil’étreignirent.

Commetoujoursdanscesmoments-là,sestensions

s’évacuèrentenpartie.

—Merci,dit-elleenessuyantsesyeuxpleinsde

larmes.C’estvraicequetudis,Bonnie:jepense

que,dansl’étatoùilest,ceseraitplusdurpourlui

defairefaceàunefillequ’àungarçon.Etçaleserait

d’autantplusdevantdesfillesqu’ilconnaîtbienet

qu’iladore.C’estpourquoij’aimeraisdemanderaux

personnessuivantesdem’accompagner:Sage,

DamonetleDrMeggar.

Lakshmiselevad’unbond,avecautant

d’intérêtquesielleavaitétéchoisie.

—Oùest-cequ’ilestemprisonné?demanda-t-

elle,plutôtjoyeusement.

C’estDamonquirépondit:

—AuShinoShi.

Ellelefixaavecdesyeuxrondsunmoment,

puisquittalapièceàtoutevitesse,lançantjuste

d’unevoixtroubléeunephrasequirestaensuspens

derrièreelle:

—J’aidescorvéesàfaire,maître!

ElenaseretournaaussitôtversDamond’unair

méfiant.

—Qu’est-cequiluiapris?Tuluiasfaitpeur?

Sontonauraitpucongelerunecouléedelave

surtrentemètres.

—Jen’ensaisrien,sincèrement.Shinichim’a

montrédeskanjietm’aditqueçaseprononçait

«ShinoShi»,cequisignifielaMortdesMortsou,

end’autrestermes,lafindelamalédictionquipèse

surunvampire.

Sagetoussa.

—Moncherami,quetuesnaïf!Tuauraisdû

demanderunsecondavis…

—C’estcequej’aifait,lecoupaDamon.J’ai

demandéàunejeuneJaponaiseàlabibliothèquesi,

enrōmaji,c’est-à-diredansnotrealphabet,lesmots

enquestionsignifiaientlaMortdesMorts,etellea

confirmé.

—Ettoi,tul’ascrueettuesparti,ditSage.

—Àtonavis?

Damoncommençaitàsefâcher.

—Àmonavis,moncher,cesmotsontplusieurs

sens.Toutdépenddescaractèresjaponaisutilisésà

l’origine,quetuneluiaspasmontrés.

—Parcequejenelesavaispas!Shinichim’a

écritlemotdanslevide,avecdelafuméerouge.

Ilprituntonmi-fâché,mi-angoissé:

—Etqu’est-cequeçasignifieraitd’autre?

—Ehbien,çapeutvouloirdirecequetuasdit,

maisçapeutsignifier«lanouvelleMort»,ou«la

vraieMort».Oumême…«lesdieuxdelaMort».

Et,vucommentStefanaététraitéenprison…

Silespersonnesquil’entouraientavaienteudes

pieuxàlaplacedesyeux,Damonauraitétéfichu.

Toutlemondeledévisagead’unairduret

accusateur.Alorsilsetournacommeunloupaux

aboisetleurlançasonsourireéclatant,toutes

caninesdehors.

—Detoutefaçon,j’imaginaisbienquecen’était

pasunendroitextrêmementagréable,sedéfendit-il

avechargne.JepensaisjustequeçaaideraitStefan

àsedébarrasserdesamalédiction.

—Biensûr,ponctuaElenaavecsarcasme.Sage,

situvoulaisbienalleràlaprisonpourt’assurer

qu’ilsnouslaisserontentrer,jeteseraistrès

reconnaissante.

—C’estcommesic’étaitfait,mademoiselle.

—Bon,unedernièrechose:ceseraitbienqu’on

soittoushabillésd’uneautrefaçonpourluirendre

visite.Sivousêtesd’accord,jevaisallerenparlerà

ladyUlma.

Enquittantlapièce,Elenasentitlesregards

perplexesdeBonnieetdeMeredithdanssondos.

QuandelleentradanslachambredeladyUlma,

elleremarquaqu’elleétaitpâlemaisquesonregard

pétillait.Soncarnetdecroquisétaitouvert,c’était

bonsigne.

Ilsuffitdequelquesmotsetd’unregardsincère

pourqueladyUlmaacceptesademande.

—Nousveilleronsàcequetoutsoitprêtdans

uneheureoudeux,affirma-t-elle.Jedoisjustefaire

appelauxbonnespersonnes.Nevousinquiétezpas.

Elenaserrasonpoignetavecdouceur.

—Merci,mercidufondducœur,vousêtesune

fée!

***

—Alors,commeça,jevaisyallerdanslapeau

d’unrepentant?demandaDamon.

Ilétaitdel’autrecôtédelaportequandElena

sortitdelachambre,etellelesoupçonnad’avoir

écoutélaconversation.

—Non,çanem’estjamaisvenuàl’esprit,

répondit-elle.Jecroissimplementqu’unetenue

d’esclavepourtoietlesautresgarçonsmettra

Stefanplusàl’aise.Pourquoias-tucruquejevoulais

tepunir?

—Cen’estpaslecas?

—Tuesicipourm’aideràsauverStefan.Tuas

beaucoupsouffert…

Elenas’interrompitenfouillantdansses

manchesàlarecherched’unmouchoirpropre,mais

Damonluientenditunensoienoire.

—D’accord,n’enparlonsplus,dit-il.Excuse-

moi.Quandj’aiuneidéeentête,jenepeuxpas

m’empêcherdelaformulertouthaut,mêmequand

jelatrouveeffarantevulapersonneàquije

m’adresse.

—Ettun’écoutesjamaistapetitevoix

intérieure?Cellequitesuggèrequelesgens

peuventêtrebienintentionnésetqu’ilsnete

veulentpasforcémentdumal?

Avecmélancolie,ellesedemandasilepetit

garçoncroulaitdéjàsouslepoidsdenouvelles

chaînes.

—Jenesaispas.Peut-être.Parfois,bafouilla

Damon.Mais,étantdonnéquecettevoixa

généralementtortdanscemondedepervers,

pourquoiyprêterais-jeattention?

—C’estdommagequetun’essaiespasplus

souvent.Jeseraispeut-êtreplusenmesuredete

convaincre…

Jesuistrèsbiencommeça,lacoupaDamonpar

télépathie.

C’estseulementàcetinstantqu’elles’aperçut

qu’ilsétaienttombésdanslesbrasl’undel’autre.

Pournerienarranger,elleétaitdanslatenuequ’elle

portaitpourlanuit,unelonguerobesoyeuseetun

déshabillédumêmetissu,tousdeuxd’unbleunacré

trèsclairquiviraitauvioletsouslesrayonsdusoleil

toujourscrépusculaire.

Je…jetrouveaussi,admitElena.Ellelesentit

agitépardesondesdechoc,d’abordensurfacepuis

intérieurement,danslegouffreprofondet

insondablesurlequels’ouvraientsesyeux.

J’essaieseulementd’êtrehonnête,ajouta-t-elle,

presqueeffrayéeparsaréaction.Jenepeuxpas

espérerquelesautressoienthonnêtessijenele

suispasmoi-même.

Soismalhonnête,déteste-moi,méprise-moi,la

suppliaDamontoutenluicaressantlesbrasà

traverslesdeuxépaisseursdesoiequileséparaient

desapeau.

—Maispourquoi,Damon?

Parcequejenesuispasdignedeconfiance.Je

suisunloupféroceettoiuneâmepure,unjeune

agneaublanccommeneige.Empêche-moidete

fairedumal.

Pourquoitum’enferais?

Parcequejepourrais…Non,jen’aipasenvie

detemordre.Jeveuxjustet’embrasser,unpeu,

commeça…

Àsavoix,Damonsemblaitavoirunerévélation.

Ill’embrassatendrementet,commeildevinait

toujoursàquelmomentlesgenouxd’Elenaallaient

sedérober,illarattrapaavantqu’ellenes’effondre.

Damon,Damon…

Brusquement,Elenapritconsciencedela

situation.

Damon,jet’enprie,laisse-moipartir…Je…il

fautquej’aillefairedesessayages!

Levisageempourpré,Damonlarelâcha

lentementàcontrecœur.

Etmoiilfautquej’aillemedéfouler,sinonje

sensquejevaispiquerunecrise.Ilquittalapièce

entrébuchant,manquantunepremièrefoislaporte

avantdedisparaître.

Damon!

Ellenesutjamaiss’ill’avaitentendue.

Cependant,elleétaitcontentequ’ilaitcédésans

tropposerdequestions.C’étaitunnetprogrès.

ElleseprécipitadanslachambredeladyUlma,

oùsetrouvaienttoutessortesdegens,dontdeux

mannequinsmasculinsqu’onvenaitdevêtirde

pantalonsetdelongueschemises.

—LatenuedeSage,annonçaladyUlmaenlui

montrantlepluscharpentéd’unsignedetête.Et

l’autreestpourDamon.

Elleluiindiqualepluspetit.

—C’estparfait!

LadyUlmaregardaElenaavecunepointe

d’incertitude.

—Ilssontengrossetoilevéritable,expliqua-t-

elle.C’estletissuleplusmisérable,leplusbasdans

lahiérarchiedesesclaves.Êtes-vouscertainequ’ils

lesporteront?

—Soitc’estça,soitilsneviennentpas,répondit

Elenaenluiadressantunclind’œil.

—Jevois!

—Mais…quepensez-vousdel’autretenuedont

jevousaiparlé?

Malgrésonembarras,Elenatenaitvraimentà

connaîtrel’opiniondeladyUlma.

—Oh,machèrebienfaitrice!Voussavez,

autrefois,quandjeregardaismamèreconfectionner

sestenues,ellemedisaittoujoursquesontravailla

rendaitheureusecarilluiprocuraitautantdejoie

qu’àceuxoucellesquiporteraientsescréations.Et

sonbutn’étaitqued’éprouvercebonheur.Jevous

prometsqueLucenetmoiauronsterminéenun

riendetemps.Nedevriez-vouspasvouspréparer,

àprésent?

—Jevousadore,ladyUlma!C’estdrôle,avec

vous,j’ailesentimentqueplusonaime,plusona

envied’aimer!

Surcesbonnesparoles,Elenaretournaen

courantdanssachambre.

Sesdemoisellesdecompagnieétaienttouteslà

etl’attendaient.Elenapritlebainleplusrapideetle

plusvivifiantdesavie,puisseretrouvasurunsofa

aumilieud’unepetiteéquipesourianteet

enthousiasteoùchacuneaccomplissaitsatâchesans

gênerlesautres.

Uneesthéticienneétaitlàpourl’épiler;quatre,

enfait:unepourchaquejambe,unepourles

aisselles,unepourlessourcils.Pendantquetoutes

cesfemmess’affairaientavecleurscrèmeslégères

etleursonguents,créantunparfumuniquepour

elle,uneautreexaminaitpensivementsonvisageet

soncorpsdansleurensemble.

Lafemmeenquestionretouchalessourcils

d’Elenapourlesfoncer,puisdorasespaupièresavec

unfardmétalliséavantd’utiliserunproduitqui

ajoutaaumoinsundemi-centimètreàsescils.

Ensuite,elleagranditlesyeuxd’Elenaenles

soulignantdedeuxtraitsdekhôl.Finalement,elle

travaillasoigneusementsabouchejusqu’àobtention

delèvresrouges,brillantesetpulpeusesqui

donnaientunpeul’impressiond’êtredansla

perpétuelleattented’unbaiser.Aprèsquoi,la

femmedisséminaquelquespaillettesiriséessurtout

soncorps,puisungrosdiamantjaunecanari,que

Lucenavaitfaitvenirdesonatelierdebijoux,fut

enchâssédanssonnombril.

Lescoiffeurss’occupaientdesdernières

bouclettessursonfrontquanddeuxboîtesetune

capeécarlateluifurentapportées,delapartdes

ouvrières

de

lady

Ulma.

Elena

remercia

sincèrement

toutes

ses

demoiselles

et

les

esthéticiennes,leurpayaàchacuneuneprimequi

suscitaunecertaineagitation,puisleurdemandade

lalaisserseule.Voyantqu’ellestergiversaient,elle

répétasademandetoutaussipoliment,maisunton

au-dessus.Elless’éclipsèrent.

Sesmainstremblaientquandellesortitlatenue

queladyUlmaavaitconçue.C’étaitaussidécent

qu’unmaillotdebain,maisonauraitditdesbijoux

placésàdesendroitsstratégiquessurdespetits

boutsdetulledoré.Toutétaitcoordonnéau

diamantjaune:ducollierauxbraceletsdorés,

chaquepièceindiquaitque,mêmesiElenaétait

vêtuedefaçoncoûteuse,elledemeuraituneesclave.

Etc’estainsiqu’ellepartitvoirsonStefan,

habilléedetulleetdebijoux,parfuméeetmaquillée.

Elleenfilalacapeécarlateavecprécautionpour

éviterdefroisseroudesalirsatenue,etglissases

piedsdansdedélicatessandalesdoréesàhauts

talons.

Elledescenditenhâtedansl’entréeetarriva

pileàl’heure.SageetDamonportaientdegrandes

capesferméesdehautenbas,signeque,dessous,ils

étaientvêtusdeshabitsengrossetoile.Sageavait

faitpréparerlecochedeladyUlma.Elenaarrangea

lesbraceletsdorésàsespoignets,qu’elledétestait

êtreobligéedeportermêmes’ilsressortaientde

manièreravissantesurlagarnitureenfourrure

blanchedesacapeécarlate.Damontenditunemain

pourl’aideràmonter.

—Vousmelaissezmonteràl’intérieur?Ça

signifiequejen’aipasbesoindeporter…

MaisleregarddeSageanéantittousses

espoirs.

—Àmoinsdefermertouslesrideauxdela

cabine,dit-il,tudoisportertesbraceletsd’esclave

dèsquetuesàl’extérieur.C’estlaloi.

ElenasoupiraetpritlamainqueDamonlui

tendaittoujours.Dosausoleil,ilapparaissaitcomme

unesilhouettesombre.Mais,enclignantdesyeux,

ellevitqu’illafixaitavecétonnement.Ilvenaitde

remarquersespaupièresdorées.Sesyeux

tombèrentalorssursabouchegourmande,etElena

rougit.

—Jet’interdisd’exigerquejetemontrecequ’il

yasouslacape,dit-elleprécipitamment.

Damonparuttroublé.

—Unefrangedebouclettessurtonfront,une

capequitecouvredelatêteauxpieds,unrougeà

lèvres…

Seslèvresseconvulsèrentcommepour

réprimerunbaiser.

—Ilesttempsdepartir!chantonnaElenaen

grimpantdanslecoche.

Mêmesiellecomprenaitpourquoilesesclaves

affranchishaïssaientcesbracelets,ellesesentait

vraimentheureuse.

Sonhumeurn’avaitpaschangéquandils

arrivèrentauShinoShi,cetimmensebâtimentqui

semblaitabriteràlafoisuneprisonetunespace

d’entraînementpourgladiateurs.Etelleétaitencore

intactequandlesgardesduvastepointdecontrôle

leslaissèrententrersansmontrerlemoindresigne

d’hostilité.Remarquez,ilétaitdifficiledediresila

capeavaitunquelconqueeffetsureux.C’étaient

desdémons:renfrognés,lapeaumauve,solides

commedesrocs.

Elleremarquaquelquechosequiluicausaun

chocavantderanimersonespoir.Lehallprincipal

dubâtimentpossédaituneentréelatéralequi

ressemblaitàlapetiteportedel’entrepôt-comptoir

d’esclaves:enpermanencefermée;ornéede

symbolesétranges;desgensencostumesquis’en

approchaientenannonçantunedestinationavant

d’insérerunecléetdel’ouvrir.

Enclair,c’étaitunaccèsmultidimensionnel.Ici,

danslaprisondeStefan.Dieuseulsaitcombiende

gardesilsauraientauxtroussess’ilsessayaientde

l’emprunter,maisc’étaitbonàsavoir.

Danslessous-solsduShinoShi,qui

renfermaienttrèscertainementdescachots,les

gardesréagirentdefaçonnettementplusbrutaleà

l’arrivéed’Elenaetdesatroupe.C’étaitunerace

subalternededémons,desdiablotinspeut-être,

pensa-t-elle,etilsleurenfirentvoirdetoutesles

couleurs.Damondutlessoudoyerpourpouvoir

accéderàlazoneoùsetrouvaitlacelluledeStefan,

pouryentrerseul,sansêtreescortédetroisgardes,

etpourlaisserElena,uneesclave,rendrevisiteàun

vampire.

Et,mêmeunefoisqu’illeureutdonnéune

petitefortune,ilsricanèrentenpoussantdes

gloussementsrauquesetgutturaux.Elenaneleur

faisaitabsolumentpasconfiance.

Elleavaitraison.

Devantuncouloiroùellesavaitd’aprèsses

projectionsastralesqu’ilsauraientdûprendreà

gauche,ilsfurentcontraintspard’autresgardesà

allertoutdroit.Puisilspassèrentdevantunautre

groupeenfactionquifaillits’étrangleràforcede

ricaner.

«Pitié,pourvuqu’ilsnenousemmènentpas

voirladépouilledeStefan»,pensaElenaavec

angoisse.Àcemoment-là,Sageluifutd’unvrai

secours.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetla

soutintjusqu’àcequ’elleretrouvel’usagedeses

jambes.

Ilscontinuèrentàs’enfoncerdanscescouloirs

decachotsausoldallédeplusenpluscrasseuxet

puants.Puis,brusquement,ilstournèrentàdroite.

Lecœurd’Elenas’emballaàl’idéedecequ’ils

allaientpeut-êtretrouverdansladernièrecellulede

larangée.LacelluledeStefanétaittotalement

différentedel’ancienne.Elleétaitentouréenonpas

debarreauxmaisd’ungrillagetordutapisséde

pointesacérées.Aucunmoyendeluiremettreune

bouteilledevindeMagieNoire.Nidepositionnerle

hautdelabouteillepourlaverserdanssabouche.

Mêmepaslaplaced’yglisserundoigtoulegoulot

d’unegourde.Lacellulen’étaitpascrasseuse,elle

étaitjustedépouillée,vide,exceptionfaitedeStefan

quiétaitallongéàmêmelesolsurledos.Sans

nourriturenieau,nilitpouvantservirdecachette,

nipaillasse.Rien,sauflui.

Elenapoussaunhurlement,sanschercherà

savoirsiellecriaitdesmotsouexprimaitjusteune

angoisseindéfinie.Ellesejetadanslacellule,du

moinselleessaya.Agrippantdesbarbelésaussi

tranchantsquedespoignards,elles’ouvrit

immédiatementlesmains.Damon,quifutleplus

promptàréagir,latiraenarrière.

Ilpassadevantelleenlabousculantet,bouche

bée,regardafixementsonpetitfrère.Ilobservace

jeunehommeblême,squelettiqueetrespirantà

peine,quiressemblaitàungosseégarédansson

uniformedeprisonnierfroissé,tachéetrâpé.Il

tenditlamain,commes’ilavaitdéjàoubliéla

clôture,etStefantressauta,visiblementsansle

reconnaître.Puisilscrutalesgouttesdesang

laisséessurlesbarbelés,s’approcha,lesreniflaet,

commesiunelueurvenaitdetraversersonesprit

embrouillé,ilregardaautourdeluid’unairmorne.

IllevalatêteversDamon,dontlacapeétait

tombée,puissonregards’égaraailleurs.

Damonseretournaensuffoquantet,bousculant

toutlemondesursonpassage,partitseréfugier

dansuncoin,àl’autreboutdelagalerie.S’ilespérait

quedesgardesselancentàsapoursuitepourque

sesalliésenprofitentetfassentsortirStefan,ilavait

tort.Quelques-unslesuivirent,commedessinges,

enluilançantdesinsultes;lesautres,postés

derrièreSage,nebougèrentpas.

Elenafinitparsetournerverscedernier.

—Donne-leurtoutnotreargent,plusça.

Ellepassalesmainssoussacapepourattraper

soncolliercomposédedeuxdouzainesdediamants

delatailled’unpouce.

—S’ilsenveulentplus,préviens-moi.Obtiens-

moitrenteminutesseuleaveclui…vingt,alors!

ajouta-t-elleenvoyantqu’ilsecouaitdéjàlatête.

Débrouille-toipourlesteniràdistanceaumoins

vingtminutes!Jevaistrouverunesolution,même

sijedoisylaissermapeau.

Auboutd’unmoment,levampirelaregarda

droitdanslesyeuxetacquiesçad’unsignedetête.

AlorsellesetournaversleDrMeggard’unair

suppliant.Avait-ilunremède?Existait-ilquelque

chosequipourraitaiderStefan?

Lessourcilsdupetithommes’abaissèrent,puis

sehaussèrentaucentre,ensignededésespoir.

—Ilyabienunnouveauremède…,chuchota-t-

ilenfronçantgravementlessourcils.C’estune

injectioncenséepouvoiraiderlescasdésastreux.Je

pourraisfaireunessai.

Elenaseretintdeluibaiserlespieds.

—Oui,jevousenprie,faites-le!

—Çaneferapaseffetplusdedeuxjours…

—Aucuneimportance:onl’auralibéréd’icilà!

—Bien,résonnalavoixdeSagederrièreeux.

Ilavaitrassemblélesgardes,enlesemmenant

unpeuplusloin.

—Jesuisnégociantenpierresprécieusesetj’ai

quelquechoseàvousmontrerquipourraitvous

intéresser…

LeDrMeggarouvritsasacocheetensortitune

seringue.

—C’estuneaiguilleenbois,expliqua-t-ilàvoix

basse.

Unpâlesouriresurleslèvres,illarempliten

aspirantleliquiderougetransparentquecontenait

unefiole.Elenaavaitprisuneautreseringueet

l’examinaitsoustouteslescoutures,tandisquele

docteurtentaitd’amenerStefanàapprocherson

brasdelaclôture.Stefanfinitparobéirdocilement…

pourmieuxs’écarterdansuncridedouleur,deux

secondesplustard,lorsquel’aiguillefutplantéedans

sonbrasetleliquideacideinjectédanssesveines.

Elenafixaledocteurd’unairaffolé.

—Ilenaeuassez?

—Environlamoitié.Çasuffira:j’avaismis

doubledosedanslaseringueetj’aipoussélepiston

aussiloinquej’aipu,répondit-ildanssonjargonde

médecin.Jesavaisqueceseraitplusdouloureuxen

faisantl’injectionaussivite,maisj’aiatteintl’objectif

souhaité.

—Parfait.Maintenantjevoudraisquevous

remplissiezcetteseringueavecmonsang.

—Votresang?

LeDrMeggarsemblaconsterné.

—Oui!L’aiguilleestassezlonguepour

traverserlegrillage.Onlaisseralesangtomber

goutteàgouttedel’autrecôté,danslabouchede

Stefan.Çapourraitlesauver!

Elenaprononçachaquemotavecprécaution,

commesielles’adressaitàunenfant.Ilfallaitcoûte

quecoûtequ’ellesefassecomprendre.

Ledocteurs’accroupitetsortitunebouteillede

vindeMagieNoire,cachéesoussatunique.

—Malheureusement,monenfant…mesyeux

sonttropabîmésaujourd’hui.J’auraistropdemalà

vouspréleverdusang.Jesuisdésolé…

—Mais,etvoslunettes?…

—Ellesnemeserventplusàrien.Moncasest

unpeucompliqué.Detoutefaçon,ilfautêtretrès

douépourtrouverunebonneveine.Laplupartdes

médecinssontasseznuls;moijesuispirequetout.

Désolé,monpetit.Mondiplômedemédecine

remonteàplusdevingtans.

—Danscecas,jevaischercherDamonpour

qu’ilm’ouvrel’aorte.Jemefichequeçametue.

—Pasmoi.

Enentendantcettenouvellevoixquiprovenait

delacellule,ilsrelevèrentbrusquementlatête.

—Stefan!

Indifférenteauxbarbelés,Elenaessayadelui

toucherlesmains.

—Attends,chuchotaStefan,commes’illui

confiaitunsecret.Posetesdoigtslàetlà,surles

miens.C’estjustedel’aciertraité:çadiminuemes

pouvoirsmaisjenepeuxpasmecouper.

Elenaposasesdoigtscommeindiqué,etleurs

peauxentrèrentencontact.Elleletouchait

réellement.Aprèstoutcetemps!

Ilsneprononcèrentpasunmot.Elenaentendit

leDrMeggarsereleverets’éloignerdiscrètement;

sansdoutepourretrouverSage,pensa-t-elle.Mais

ellen’avaitd’yeuxquepourStefan.Ilssefixèrent

ensilence,tremblants,lespaupièresbattantsousles

larmes,enayanttouslesdeuxl’impressionde

renaître…etenmêmetempsdefrôlerlamort.

—Tuprétendstoujoursquejetepousseàle

direenpremier,alorsjevaistesurprendre:je

t’aime,Elena.

Lesjouesd’Elenafurentinondéesdelarmes.

—Cematinencore,jepensaisàtoutesces

personnesàquij’aimeraisdonnerdel’amour.Mais,

aufond,c’estparcequ’unseulêtremedonneenvie

d’aimer:toi,chuchota-t-elleenréponse.Jet’aime,

Stefan.Toiettoiseul.

Elles’écartauninstantets’essuyalesyeuxd’un

gestequetouteslesfillesconnaissentpournepas

ruinerleurmaquillage:latêteenarrière,lepouce

gauchesouslapaupièreinférieuredroiteetvice

versa,glissantverslatempepoureffacerlestraces

delarmesetdekhôl.

Seslarmesmaintenantséchées,ellevoyaitplus

clair,àtouspointsdevue.

—Stefan,jesuisvraimentdésolée,chuchota-t-

elle.Cematinj’aiperdudutempsàchoisirma

tenue,quin’enestpasvraimentune,d’ailleurs,

pourtemontrercequit’attendquandont’aurafait

sortird’ici.Maismaintenant…jemesens

complètement…

Stefanaussiavaitséchéseslarmes.

—Montre-moi.

Alorselleselevaet,sanssimagrées,se

débarrassadesacape.Puisellefermalesyeux,sous

lesdizainesdepetitsaccroche-cœursquiépousaient

lescontoursdesonvisage.Sespaupièresmoirées

étaienttoujoursétincelantes;l’uniquehabitquila

couvrait,lesmorceauxdetulledoréornésde

joyaux,décemmentattaché.Etsoncorpsirisédela

têteauxpieds,uneperfectiondanslafleurdesa

jeunessequeriennepourraitjamaiségaler.

Unlongsoupirsefitentendre…puislesilence.

Elenarouvritlesyeux,terrifiéeàl’idéeque

Stefanaitpeut-êtresuccombé.Maisilétaitlà,

debout,cramponnéaugrillagecommes’ilallait

l’arracherpourlarejoindre.

—Toutçapourmoi?chuchota-t-il.

—Tout,monamour.Toutestpourtoi.

Àcetinstant,unpetitbruitdanssondoslafitse

retourner,etellediscernadeuxyeuxbrillantsdans

lapénombredelacelluled’enface.

32.

Bizarrement,Elenaneressentitaucunecrainte,

maisplutôtunefarouchevolontédeprotéger

Stefan.C’étaitavantdeserendrecompteque,dans

lacellulequ’elleavaitcruvide,ilyavaitunkitsune.

IlneressemblaitenrienàShinichiouàMisao.

Ilavaitdelongs,trèslongscheveux,blancscomme

neige,maissonvisageétaitjeune.Demême,ilétait

habillétoutenblanc,dansunetuniqueetunhaut-

de-chaussesautissufluideetsoyeux,etsaqueue

remplissaitpresquetoutel’étroitecelluletantelle

étaittouffue.Ilavaitaussidesoreillesderenard,qui

remuaientde-cide-là.Sesyeuxbrillaientcommeun

feud’artifice.

Ilétaitmagnifique.

Lekitsunetoussadenouveau.Puisilleur

présentaunepetiteaumônièreencuirtrèsfin,qui,

Elenaprésuma,devaitêtrecachéedansseslongs

cheveux.

«Legenredesacàcontenirunbijou

exceptionnel»,pensa-t-elle.

Ilfitalorssemblantdeprendreunebouteillede

vindeMagieNoire(montrantbienqu’elleétait

lourde,etsoncontenudélicieux),puisdeverserson

contenudanslapetitebourse.Puisilfeignit

d’attraperuneseringue(qu’iltapotapourévacuer

l’air,enimitantlegesteduDrMeggar)etlaremplit

aveclecontenudupetitsac.Enfin,ilcoinçal’aiguille

imaginaireentrelesbarreauxdesacelluleet

appuyasurlepistonavecsonpoucepourlavider.

—IlveuttefaireboireduvindeMagieNoire,

interprétaElena.Jepeuxremplirlaseringueàl’aide

desonpetitsac.LeDrMeggarpourraitlefaire,

maisonn’apasletemps:jem’encharge.

—Mais…,balbutiaStefan.

—Nediscutepas,etboistoutcequetupeux.

ElleaimaitStefan,ellevoulaitentendresavoix,

contemplersesyeuxjusqu’àseperdrededans,mais

pourçaelledevaitd’abordluisauverlavie.Elleprit

lapetiteboursequeluitendaitlekitsuneenle

saluantavecgratitudeetabandonnasacapepar

terre,tropabsorbéepoursesoucierdesatenue.

Sesmainss’obstinaientàvouloirtrembler,mais

ellelesmaîtrisa.ElleavaittroisbouteillesdeMagie

Noireàsadisposition:lasienne,danssacape,celle

duDrMeggaretcellequiétaitcachéequelquepart

danslacapedeDamon.

Alors,

avec

l’efficacité

minutieuse

d’un

automate,ellerépétaàmaintesrepriseslesgestes

que

lekitsuneluiavaitmontrés:plongerla

seringue,remonterlepiston,lacoincerentreles

barreaux,fairegicler.Puisrecommencer,encoreet

encore.

Auboutd’unedizainedefois,elledéveloppa

unenouvelletechniquequiluipermitdesepasser

delaseringue:lecatapultage.Elleremplissaitla

petiteboursedevin,l’inclinaitcontrelaclôtureune

foisqueStefanavaitpositionnésaboucheet,d’un

gestebrusque,écrasaitlesacduplatdelapaume,

faisantainsigiclerunebonnequantitédirectement

danssagorge.Legrillagedevintpoisseux,tout

commeStefan;çan’auraitjamaismarchésil’acier

tranchantavaituneffetsurlui,maisaufinalcette

techniqueénergiqueserévélaefficace.

Elleposauneautrebouteilledevindansla

celluledukitsune,quiétaitmuniedebarreaux

ordinaires.Ellenesavaitpastropcommentle

remercier,mais,àlamoindreoccasion,elletournait

latêteversluiensouriant.Ildescenditlecontenu

delabouteilled’untrait,etsonvisagesefigeadans

uneexpressiondeplaisiràlafoisintenseetserein.

Malheureusement,toutpritfintropvite.Elena

entenditlavoixdeSagegronderauboutdela

galerie.

—C’estinjuste!Ellen’apasfini!Ellen’apaseu

assezdetempsaveclui!

Ilnemanquaitplusqu’Elenasefasseprendre!

Ellen’avaitvraimentpasbesoindeça.Rapidement,

ellefourraladernièrebouteilledeMagieNoiredans

lacelluledukitsune,lesaluaunedernièrefoisetlui

renditsapetitebourseaprèsyavoirglisséle

diamantjaunecanariqu’elleportaitaunombril.

C’étaitlederniergrosbijouqu’elleavaitsurelle;

ellelevitl’examineravecsoinentreseslongs

ongles,seleveretluiadresserunepetiterévérence.

Ilseurentletempsd’échangerunsourire,puis

ElenanettoyarapidementlasacocheduDrMeggar

etremitsacapesursesépaules.Ellesetournaalors

versStefan,lesjambesencoton,unefoisencore,et

lesoufflecoupé.

—Jesuisvraimentdésolée.Jen’avaispas

prévuqueçasetransformeraitenvisitemédicale.

—Maistuasvuuneoccasiondemesauverla

vieettul’assaisie,c’estça?

Décidément,lesdeuxfrèresseressemblaient

beaucoupparmoments.

—Jet’aime,Stefan!

Ilembrassasesdoigtsagrippésauxbarbelés.

—Nel’emmenezpas!S’ilvousplaît,parpitié,

accordez-nousencoreuneminute!Justeune!

Elenadutlâcherlegrillagepourmaintenirsa

capefermée.Dansladernièreimagequ’ellegarda

deStefan,ilfrappaitdupoingcontrelesbarreauxde

lacelluleenhurlant:

—Jet’aime,Elena!Jet’aime!

Ellefutsortiedeforcedelagaleriedecachots,

uneporteserefermaentreeuxetsesjambesse

dérobèrent.

Desbrasl’enveloppèrent,l’aidèrentàmarcher,

maislacolèremontaitmalgrétoutenelle.Elle

savaitqu’ilsétaientdéjàentraindereconduire

Stefandanssonanciennecelluleinfestéede

vermine.Etellesavaitaussiquecesdémonsne

faisaientpasdansladentelle:ilslepoussaient

sûrementàavanceràcoupsdebâtonetdepique.

Lorsqu’ilsatteignirentl’entréeprincipaleduShi

noShi,elleregardaautourd’elleavecétonnement.

—OùestDamon?

—Danslavoiture,réponditSaged’unevoix

douce.Ilavaitbesoind’êtreunpeuseul.

D’uncôté,Elenaavaitenviedehurler:«Ilva

comprendrecequec’estunvraimomentde

solitude,quandjel’égorgeraidemespropres

mains!»Del’autre,elleétaitsubmergéeparla

tristesse.

—Ilyavaittantdechosesquejevoulaisdireà

Stefan,dit-elleàSage,maisjen’enaipaseu

l’occasion.Jevoulaisqu’ilsacheàquelpointDamon

regrettesesactesetàquelpointilachangé.Jene

saismêmepass’ilsesouviendraqueDamonétait

là…

Ilsfranchirentlesdernièresportesenmarbre

dubâtimentdesDieuxdelaMort–c’était

l’interprétationqu’Elenaavaitsecrètementchoiside

donnerauShinoShi.

Lecochelesattendaitauborddutrottoir,mais

ilsnemontèrentpastoutdesuite.Sageemmena

Elenaàl’écart,puisposalesmainssursesépaules.

—Monamie,jen’aipasenviedetedireceque

jem’apprêteàtedire,maisjen’aipaslechoix.J’ai

bienpeurque,mêmesionréussitàlibérerton

StefanavantlebaldeBlodwedd,ilnesoittroptard.

Danstroisjours,ilseradéjà…

—Tuesmédecin?lecoupa-t-ellesèchementen

lefusillantduregard.

Elleavaitconsciencequesonvisageétaitcrispé

etblême,etqu’iléprouvaituneimmense

compassionpourelle,maiscequ’ellevoulait,c’était

uneréponse.

—Non.Jesuisjusteunvampirecommeles

autres.

—Commelesautres,tuveuxdire:unAncien?

Sagehaussalessourcilsavecétonnement.

—Qu’est-cequitefaitpenserça?

—Rien.Excuse-moi.Tuveuxbienappelerle

DrMeggar?

Sageladévisageaencoreunmoment,puis

partitchercherledocteur.

Quandlesdeuxhommesrevinrent,elleles

attendaitdepiedferme.

—DrMeggar:Sagen’avuStefanquequelques

minutesaudébut,avantquevousluifassiez

l’injection,maisilpensequ’ilseramortdanstrois

jours.Vousêtesd’accordaveclui?

Lepetithommelaregardad’unairdubitatifet

ellevitsesyeuxdemyopebriller,auborddes

larmes.

—Ilsepeut…qu’avecsuffisammentdevolonté,

ilsoitencoreenvied’icilà.Maisilesttrèsprobable

que…

—Est-cequevouschangeriezd’avissijevous

disaisqu’ilabuenvironletiersd’unebouteillede

vindeMagieNoire?

—Vousvoulezdireque…?

—Répondez-moi!insistaElenaensaisissantles

mainsdudocteur.Est-cequeçavachangerquelque

chose?

Elleserrasesvieillesmainsjusqu’àsentirses

os.

—Enprincipe,oui.

LeDrMeggarsemblaitperplexe,commes’ilne

voulaitpasluidonnerdefauxespoirs.

—S’ilavraimentbulaquantitéquevousdites,

alorsilestàpeuprèssûrdevivrejusqu’aubalde

Blodwedd.C’estcequevousvoulez,n’est-cepas?

Elenalerelâcha,sanstoutefoisrésisteràl’envie

dedéposerunbaisersursesmains.

—Merci,docteur.Maintenantallonsannoncer

labonnenouvelleàDamon.

***

Damonétaitassisdanslecoche,droitcomme

unI,sasilhouettesedécoupantsurlecielrouge

sang.Elenas’installaàcôtédeluietfermala

portièrederrièreelle.

—Alors,çayest?dit-ild’untontotalement

impassible.

—Çayestquoi?

Elenaétaitloind’êtrebête,maisellevoulait

pousserDamonàallerauboutdesapenséeetà

formulerclairementsaquestion.

—Est-cequ’ilva…mourir?demanda-t-ild’un

tonrésigné,ensepinçantl’arêtedunez.

Ellelaissaledouteplanerquelquessecondes.Il

devaitsedouterquesonfrèren’allaitpasmourir

danslademi-heure,mais,Elenatardantàlelui

confirmer,ilredressabrusquementlatête.

—Réponds-moi,Elena!Qu’est-cequis’est

passé?

Sontonétaitmaintenantpressant.

—Est-cequemonfrèreestmort?

—Non,répondit-elledoucement.Maisiln’ena

pluspourtrèslongtemps.Pourquoituneluiaspas

parlé?

Dèslors,Damonsebarricadadefaçonpresque

palpable.

—Qu’est-cequetuauraisvouluquejedise?

demanda-t-ildurement.«Jesuissincèrement

désoléd’avoirfaillitetuer,p’titfrère.J’espèreque

tuvastenirlecoupencorequelquesjours»?

—Parexemple,oui.Maissanslesarcasme.

—Lejouroùjemourrai,répliqua-t-ild’unton

cinglant,jeseraideboutetjemebattrai!

Elenalegiflaenpleinvisage.Iln’yavaitpasla

placedeprendrebeaucoupd’élandanslavoiture,

maiselleavaitmistoutesonénergiedanscegeste.

Unlongsilences’ensuivit.Damontouchasa

lèvreensangpouraccélérerlacicatrisation.

—Aurais-tuoubliéquetuétaismonesclaveet

quej’étaistonmaître?

—Réfugie-toidanstesfantasmessituveux,

c’esttonproblème,rétorquaElena.Pourmapart,je

préfèreaffronterlaréalité.Et,pourinfo,peuaprès

tafuite,nonseulementStefanétaitdeboutmaisil

riait.

—Tu…tuastrouvéunmoyendeluidonnerdu

sang?

Damonluiserralebrassifortqu’illuifitmal.

—Pasdusang,maisunpeudevindeMagie

Noire.Situavaisétélà,ç’auraitétédeuxfoisplus

vite.

—Vousétieztrois.

—SageetleDrMeggardevaientdétourner

l’attentiondesgardes.

Illâchasonbras,leregarddanslevide,

impassible.

—Jevois.Sijecomprendsbien,j’aiencore

manquéàmesengagementsenverslui.

Elenaleregardaaveccompassion.

—Tuescomplètementrepliéderrièreton

rocher,là,n’est-cepas?

—Jenesaispasdequoituparles.

—Cerocherdanslequeltuenfermestoutcequi

pourraittefairedumal,toi,ycompris!Pourtanttu

doisêtreassezàl’étroitlà-dedans…Jesupposeque

Katherineyestaussi,emmuréedanssapetite

chambre?

Elleseremémoralafameusenuitaumotel.

—Ettamèreaussi,sansdoute.Jedevrais

plutôtdirelamèredeStefan,cellequetuasconnue.

—Tais-toi…mamère…

Damonfutincapabledeformulerunephrase

cohérente.

Elenasavaitcequ’ilvoulait:qu’onleprenne

danslesbras,qu’onleconsole,qu’onluidisequece

n’étaitrien.Unmomentrienqu’àeux,souslacape

d’Elena,oùilseblottiraitdanssesbraschauds.Mais

iln’auraitrien.Cettefois,ellerefusait.

ElleavaitpromisàStefanquetoutçaétaitpour

lui,etluiseul.Etelleseraitpourtoujoursfidèleà

l’espritdecettepromesse,àdéfautdel’avoirétéà

lalettre.

***

Àmesurequelasemainepassa,Elenaseremit

peuàpeudesavisiteàStefan.Mêmes’ilsétaient

tousincapablesd’aborderlesujetsanss’exclamerà

tortetàtravers,ilsl’écoutaientquandelleleur

disaitqu’illeurrestaitunemissionàaccompliret

que,s’ilssedébrouillaientbien,ilsseraientbientôt

deretourchezeux.Enrevanche,intérieurement,

ellesedisaitqu’encasd’échecellesefichaitpasmal

derentrerouderesterauRoyaumedesOmbres.

Chezeux.Deuxmotsquisemblaientévoquerun

havredepaix,mêmesiMeredithetBonnieétaient

bienplacéespoursavoirquelgenred’enferles

attendaitàFell’sChurch,tapidansl’ombre.D’une

certainemanière,çaouautrechose,ceseraitquand

mêmemieuxqueceroyaumeauxpaysages

sanglants.

L’espoirsuscitantl’intérêt,lesfillesprirentune

foisdeplusplaisiràessayerlesrobesqueladyUlma

leurfaisaitpréparer.Cescréationsétaientlaseule

activitédontcettedernièrepouvaitprofiterdurant

saconvalescence,etelleavaittravailléduràses

croquis.ÉtantdonnéquelebaldeBlodweddaurait

lieuautantenintérieurqu’enextérieur,lestrois

robesdevaientêtreélaboréesavecsoinpourêtre

aussiattrayantesàlalueurdesbougiesquesousles

rayonsdugigantesquesoleilcarmin.

LarobedeMeredithétaitbleumétalliséen

intérieur,violetteàlalumièredujour,etrévélaitun

toutautreaspectdesapersonne,comparéeàla

séductricequiavaitassistéaugaladeladyFazina

danssatenuedesirène.Enlavoyant,Elenapensa

toutdesuiteàlatenued’uneprincesseégyptienne.

Làencore,sesbrasetsesépaulesétaientdénudés,

maislajupedelarobe,étroiteetsobre,tombaiten

lignedroitejusqu’àsessandales,etladélicatesse

despetitssaphirsquiornaientsesbretelles

contribuaitàluidonnerunealluresansprétention.

UneallureaccentuéeparlacoiffuredeMeredith,à

quiladyUlmaavaitimposédelaissersescheveux

lâchés,etparsonvisagesansmaquillage,excepté

untraitdekhôlsouslesyeux.Lecollierqu’elle

portaitaucou,sertidegrossaphirsovales,apportait

unetouchesophistiquée.Sespoignetsetsesdoigts

finsétaientégalementparésdepierresprécieuses

bleuesassorties.

LarobedeBonnieétaitunepetitecréation

ingénieuse:sontissuprenaitunecouleurargentée

ouunenuancepastelselonl’éclairage.Clairdelune

àl’intérieur,ellebrillaitdedouxrefletsrappelant

sescheveuxauburnquandelleétaitdehors.La

tenueétaitagrémentéed’uneceinture,d’uncollier,

debracelets,debouclesd’oreillesetdebagues,le

toutassortiàdescabochonsd’opaleblanche.Ses

bouclesseraientrelevéesavecdesépinglesdansun

décoifféaudacieuxquiluidégageraitlevisage,

laissantsapeaudiaphanes’illuminerd’unrosedoux

souslalumièredusoleiletd’unblancaérienà

l’intérieur.

Unefoisdeplus,larobed’Elenaétaitàlafoisla

plussimpleetlaplusépoustouflante:écarlateau

soleilcommeàlalumièredeslampesàgaz,avecun

décolletéassezprofondquilaissaitsapeaulaiteuse

brilleràl’extérieur.Nouéeprèsduvisage,elleétait

fenduesurlecôtépourqu’Elenapuissemarcherou

danseravecplusd’aisance.L’après-mididubal,

ladyUlmademandaàcequesescheveuxsoient

coiffésenchignon,dansunnuagedemèches

enchevêtréesauxchatoiementsblondvénitien

dehorsetdorésdedans.Saparurecomprenaitune

incrustationdediamantaubasdel’encolure,des

diamantsautourdesdoigts,despoignetsetdel’un

desesbras,etunras-de-couendiamantsqui

recouvraitceluideStefan.Touscesbijouxjetaient

unviféclatrubisausoleil,maisreflétaientparfois

destonalitéssurprenantes,commedemini-feux

d’artifice.D’aprèsladyUlma,l’assistanceseraité-

blou-ie.

—Jenepeuxpasaccepter,c’esttropbeau,

protestagentimentElena.Jen’auraispeut-êtrepas

l’occasiondevousrevoird’iciqu’onlibèreStefan!

—Çavautpournoustrois,ajoutacalmement

Meredith.

Ellejetaunœilàsesamiesdansleurs

«couleursd’intérieur»,bleumétallisé,écarlateet

opale.

—Onn’ajamaisportéautantdebijoux,etvous

nelesreverrezpeut-êtrejamais.

—Maisilsvousserontsûrementutiles,

réponditLucen.L’évasiondeStefanestuneraison

deplusdelesavoirsurvouspourpouvoirles

troquercontreunéquipage,votresécurité,dela

nourriture,ouquesais-jeencore.Lespierres

incrustéessurvosrobessedétacherontfacilement

sivoussouhaitezvousenservircommemonnaie,et

lesmonturesdesbijouxsontsimplespourplaireau

plusgrandnombre.

—Enoutre,toutescespierressontd’une

qualitéexceptionnelle,ajoutaladyUlma.Cesontles

plusparfaitesquenousayonspunousprocurer

dansundélaiaussicourt.

À

court

d’arguments

et

trépignant

d’impatience,lesfillesseprécipitèrentsurlecouple

–ladyUlmadanssongrandlit,soncarnetde

croquisprèsd’elle,etLucenàsonchevet–en

poussantdescrisdejoie,lescouvrantdebaiserset,

demanièregénérale,anéantissantlemagnifique

travaildemaquillageetdecoiffurequivenaitd’être

accompli.

—Vousêtesdesangespournous,voussavez?

sanglotaElena.Deuxbonnesféesquiveillentsur

nous!Jenesaispascommentjevaisréussiràvous

direaurevoir.

LadyUlmaluiessuyaunelarme,puisluiserra

lebras.

—Regardez-moi!

Ellesedésigna,confortablementinstalléedans

songrandlit,assistéededeuxjeunesfillesenfleur

auxgrandsyeuxingénusprêtesàrépondreàtous

sesdésirs.D’unsignedetêtesuivid’ungrandgeste

delamain,elleindiquaensuitelafenêtre,derrière

laquelleonapercevaitlecourantd’unpetitbiefet

despruniersauxbranchesgarniesdefruitsmûrs

auxcouleurséclatantes,ainsiquelesjardins,les

vergers,leschampsetlesboisquiconstituaientses

terres.

Ellepritlamaind’Elenaetlaposadoucement

sursonventrearrondi.

—Tuvoistoutça?chuchota-t-elle.Souviens-

toidansquelétattum’astrouvée.D’aprèstoi,qui

denousdeuxestunange?

Àl’évocationdecesouvenir,descirconstances

danslesquelleselless’étaientconnues,Elenaseprit

brusquementlevisageentrelesmains,commesiles

imagesquiluivenaientàl’espritétaient

insoutenables.Puisellelaserradanssesbras,

réduisantànéantsonmaquillagedansunenouvelle

séried’embrassades.

—MaîtreDamonaeulabontéd’acheterLucen.

Vousaurezpeut-êtredumalàmecomprendre,

mais…

Lesyeuxgonflésdelarmes,ladyUlmaregarda

sonbijoutierbarbu,auvisageserein.

—…jecompatisàsesmalheurs,delamême

façonquetucompatisàceuxdetoncherStefan,

Elena.

Elleajoutaenrougissant:

—Jen’arrivepasàcroirequeLucenseralibre

dansquelquesheures…

Elenas’agenouillaetposalementonprèsdeson

oreiller.

—Damonvaaussivouscéderlapropriétéde

façonirrévocable.Ilaunavocat,un«défenseur»

commevousditesici,quis’estoccupédespapiers

cettesemaineavecuneSentinelle.Toutestenordre

et,mêmesicetabominablegénéralrevenait,ilne

pourraitriencontrevous.Vousêtesicichezvous,

pourtoujours.

Nouvelleeffusiondelarmesetd’embrassades.

Sage,quiremontaittranquillementlecouloiren

sifflotantaprèsêtrealléjouerdehorsavecsonchien,

s’arrêta,intrigué,enpassantdevantlachambre.

—Vousalleztellementnousmanquer!Merci

pourtout!s’écrièrentconfusémentlesfilles.

***

Àlafindelajournée,Damonavaittenutoutes

lespromessesd’Elena,attribuantduresteune

importanteprimeàchaquedomestique.Ledépart

avaitétémarquéparunepluiedeconfettisargentés

etdepétalesderose,pardesnotesdemusiqueet

descrisd’adieu,tandisquelesquatreamis

prenaientlaroutepourlebaldeBlodwedd,quittant

définitivementlesterresdeladyUlma.

***

—Aufait,j’ypense:pourquoiDamonnenousa

pasrendunotreliberté,ànous?demandaBonnie.

ElleétaitinstalléeavecMeredithdansune

chaiseàporteursquilesconduisaitaubal.

—Jecomprendsqu’ondevaitêtreesclaves

pouraccéderàcemonde,maisonyestmaintenant.

Pourquoinepasfairedenousdesfilleshonnêtes?

—Bonnie:onestdesfilleshonnêtes.Etlefait

estqu’onn’ajamaisétédevraiesesclaves.

—Tusaistrèsbiencequejeveuxdire,

Meredith:pourquoiest-cequ’ilnenouslibèrepas

pourquetoutlemondesachequ’onestdesfilles

honnêtes?

—Parcequetunepeuxpasaffranchir

quelqu’unquiestdéjàlibre,voilàpourquoi.

—Maisilauraitquandmêmepualleraubout

desadémarche!C’estsicompliquéd’affranchirun

esclave,ici?

—Jen’ensaisrien.

Meredithfinitparcraquerfaceàcet

interrogatoire.

—Jevaistedirepourquoiilnel’apasfait,à

monavis:jemetrompepeut-être,maisjepense

quec’estsafaçonàluidesemontrerresponsablede

nous.Biensûr,çanenousépargnepaspourautant,

vucequiestarrivéàElena…

Merediths’interrompit,frissonnantcomme

Bonnieausouvenirduchâtiment.

—Mais,auboutducompte,cenesontpasles

esclavesquipeuventylaisserlavie,c’estlemaître.

Souviens-toiqu’ilsvoulaientexécuterDamonpour

cequ’Elenaafait.

—Doncc’estpournousqu’ilfaitça?Pournous

protéger?

—Peut-êtrebien…

—Alorsonpeutdirequ’ons’esttrompéessur

soncompte,non?

Généreuse,Bonnieavaitvolontairementdit

«on»etpas«tu»;danslabande,Merediths’était

toujoursmontréelaplushostileàDamon.

—Peut-êtrebien…,répétacettedernière.

Enfin,ilnefaudraitquandmêmepasoublierque,il

n’yapassilongtemps,Damonaidaitleskitsuneà

envoyerStefanici.Stefann’avaitabsolumentrien

faitpourmériterça.

—C’estvrai.

Bonnieparutsoulagéed’avoirenpartieraison,

etenmêmetempsétrangementmélancolique.

—Depuistoujours,Stefann’ademandéqu’une

choseàDamon:lapaix,expliquaMeredith,qui

semblaitbeaucoupplussûredesonfait.

—EtElena,ajoutamachinalementBonnie.

—Exact:lapaixetElena.EtElenane

souhaitaitqu’unechose,c’étaitd’êtreavecStefan.

Enfin:nesouhaite…

LavoixdeMerediths’estompa.Elleavaitle

sentimentquecettephrase,conjuguéeauprésent,

n’avaitplusvraimentdesens.Elleréessaya.

—Aujourd’hui,Elenanesouhaitequ’une

chose…

D’unairinterdit,Bonniesecontentadelafixer.

—Bon,quelsquesoientsesprojets,conclut

Meredith,unpeuperturbée,elleveutqueStefanen

fassepartie.Etqu’aucund’entrenousnefinisseses

joursici,dans…cetenfer.

Danslachaiseàporteursquiavançaitjusteà

côtéd’elles,toutétaittrèscalme.Bonnieet

Meredithétaientdésormaissihabituéesàvoyager

dansdescabinesferméesqu’ellesnes’étaientmême

pasrenducomptequeleursvoixportaientdansl’air

étouffantdecettefindejournée.

DamonetElenaregardaientfixementles

rideauxsoyeuxquiflottaientauvent.Toutàcoup,

commesielleavaitunbesoinurgentdes’occuper

lesmains,elledéroularapidementlecordonqui

retenaitlesrideaux.

Ellen’auraitpasdû.Ilsseretrouvèrent

enfermésdansunrectanglerougeoyantsurréaliste,

oùseuleslesparolesqu’ilsvenaientd’entendre

semblaientlégitimes.

Elenasentitsonpoulss’accélérer.Sonauralui

échappait.Toutluiéchappait,toutdérapait.

Tuterendscompte?Ellesdoutentdufaitque

monseulsouhaitsoitd’êtreavecStefan!

—Ducalme,larassuraDamon.Plusqu’unsoir

et,d’icidemain…

Elenalevalamainpourl’empêcherd’endire

plus,maisilterminaquandmêmesaphrase:

—D’icidemain,onauraretrouvél’autremoitié

decléettiréStefand’affaire.

«Ilvanousporterlapoisse»,pensa-t-elleen

faisanttoutdesuiteuneprièrepourconjurerlesort.

Ilsterminèrentletrajetjusqu’aumanoirde

Blodweddsansunmot.Faitétonnantdesapart,

Elenamitunbonmomentavantdes’apercevoirque

Damontremblait.Alertéeparsarespiration

saccadée,elleluidemanda:

—Damon?MonDieu,maisqu’est-cequetu

as?

Paniquée,ellecherchasesmots,etsurtoutles

bons:

—

Damon,

regarde-moi

!

Pourquoi

tu

trembles?

Pourquoi?répondit-ilpartélépathie,certain

qu’aumoins,decettefaçon,savoixnesecasserait

pas.Parceque…Est-cequ’ilt’arrivedepenseràce

queStefanendurependantquetuterends

tranquillementàunbaldansdesuperbeshabits

pouryboirelemeilleurvinetdanser…alorsque

lui,il…

Sapenséerestainachevée.

«Pilecequej’avaisbesoind’entendre!»pesta

Elena,tandisqu’ilss’engageaientdanslalongue

alléed’unepropriété.Elletentaderassembler

toutessesforcesavantquelesrideauxdelacabine

soienttirésetquelemomentsoitvenudeselancer

dansleursecondemission.

33.

Jen’ypensepas,réponditElenasurlemême

modetélépathiqueetpourlesmêmesraisonsque

Damon.Jen’ypensepas,carsinonjedeviendrais

folle.Et,siçaarrivait,çanem’avanceraitpasà

grand-chose.JenepourraisplusaiderStefan.

Alorsjepréfèremeblinderpourchassercoûteque

coûtecespensées.

—Ettuyarrives?s’étonnaDamond’unevoix

unpeutremblante.

—Jen’aipaslechoix.Tutesouviensaudébut,

quandons’estdisputésàproposdenospoignets

ligotés?MeredithetBonnieavaientleursdoutes.

Maisellessavaientquej’auraisacceptédeporter

desmenottesetderamperderrièretoisionme

l’avaitdemandé.

Elenaseretournapourleregarderdansla

pénombresanguine.

—Parlasuite,tut’estrahiàplusieursreprises,

tusais.

Ellepassaunbrasdanssondospourtoucher

sescicatrices,pourqu’iln’aitaucundoutesurle

sensdesespropos.

—Jel’aifaitpourtoi,rétorquadurement

Damon.

—Pasvraiment.Réfléchis:situn’avaispasété

d’accordaveclechâtiment,onauraitpeut-être

réussiàfuirlaville,maisonn’auraitplusété

d’aucuneaideàStefan.Àyregarderdeplusprès,

toutcequetuasfaitdepuisledébut,tul’asfaitpour

Stefan.

—Àyregarderdeplusprès,c’estmoiquiai

misStefandanscettesituation,répondit-ild’une

voixfatiguée.Quelquepart,onpeutdirequ’onest

plusoumoinsquitte,maintenant.

—Combiendefoisfaudra-t-ilquejetele

répète,Damon?Tuétaissousl’emprisedeShinichi

quandc’estarrivé.Peut-êtrequetuauraisbesoin

d’êtreànouveaupossédépourterafraîchirla

mémoire?

Àcetteidée,Damoneutl’impressionque

chaquecelluledesoncorpsbouillonnait.Maisiln’en

laissarienparaître.

—Tusais,Elena,toutecettehistoireabeau

avoirunschémaplutôtcliché,aveccesdeuxfrères

quisesonttuéssimultanémentetquisontdevenus

vampiresaprèsavoirétééprisdelamêmefemme,il

restequelquechosequepersonnen’acompris.

—C’est-à-dire?demandaElenaavec

brusquerie,oubliantsafatigue.Oùveux-tuen

venir,Damon?

—Nullepart.Jedissimplementqu’ilya

quelquechosequivousaéchappéàtous.Tiens,

peut-êtremêmeàStefan.L’histoireabeause

répéter,personnenelacomprend.

Damonavaitdétournélesyeux.

Elenaserapprochaunpeu,etilsentitl’essence

derosedontelles’étaitparfumée.

—Damon,explique-moi.Jet’enprie.

Ilseretournalentement…

C’estàcetinstantquelesporteurss’arrêtèrent.

Elenan’eutqu’unesecondepours’essuyerlevisage,

etlesrideauxfurentouverts.

***

Meredithleuravaitracontétoutcequ’elle

savaitsurlemythedeBlodwedd:lafaçondontelle

étaitnéedelamagiedesdieuxdansunparterrede

fleurs,dontelleavaittrahisonépouxenlefaisant

tueretdontelleavaitétécondamnéeàvivrechaque

soir,deminuitàl’aube,danslapeaud’unhibou.

Mais,apparemment,touslesrécitsoubliaient

depréciserunechose:Blodweddavaitétébannie

delaCourCélesteetcondamnéeàvivreici,dansle

crépusculesinistreduRoyaumedesOmbres.Tout

bienconsidéré,cen’étaitpasétonnantquelebal

commenceàdix-huitheures.

Elenaconstataquesespenséessautaientducoq

àl’âne.ElleacceptaleverredevindeMagieNoire

queluioffritunesclave,tandisquesonregardse

promenaitsurlafoule.

Touteslesfemmesetlaplupartdeshommes

présentsportaientdestenuesingénieuses,qui

changeaientdecouleurausoleil.Ellesesentitplutôt

dansleton:àl’extérieur,toutétaitrose,écarlateou

lie-de-vin.Aprèsavoirvidésonverre,ellefutun

peusurprisedevoirque,trèsvite,elleavait

machinalementadoptéuneattitudemondaine,

saluantlespersonnesqu’elleavaitrencontréesplus

tôtdanslasemaine,lesembrassantsurlajoueetles

prenantdanssesbrascommesiellelesconnaissait

depuisdesannées.Cefaisant,ellesefrayaitun

cheminjusqu’aumanoir,parfoisàcontre-courantde

lafouleenmouvement.

Ellegravitunescalierraideenmarbreblanc(en

faitrose)quiarboraitdechaquecôtédesplendides

talusdepieds-d’alouettebleus(violets)etderoses

sauvagesroseclair(écarlates).Elles’arrêtaàcet

endroitpourdeuxraisons.D’abordpourprendreun

autreverredevin;lepremierluiavaitdéjàdonné

dejoliescouleurs,mêmesi,biensûr,onnevoyait

pastropladifférencevuquetoutétaitmonochrome

sousceciel.Ensuitecarelleespéraitquele

deuxièmel’aiderait,d’uncôté,àoubliertoutesles

questionsqueDamonavaitsoulevéespendantle

trajetet,del’autre,àsesouvenirdecequila

tracassaitàl’origine,avantquesonattentionsoit

détournéeparlesbavardagesdeBonnieetde

Meredith.

—Jesupposeque,leplussimple,c’estde

demander,dit-elleàDamon.

Ilétaitarrivésoudainementetsilencieusement

àsescôtés.

—Demanderquoi?

Ellesepenchaversl’esclavequivenaitdelui

fournirledeuxièmeverredevin.

—Puis-jevousdemander…oùsetrouvelasalle

debaldeladyBlodwedd?

Ledomestiqueenlivréeparuttrèssurpris.Illui

fitalorsunsigneunpeuvague,quiengloba

l’ensembledeslieux.

—Cetendroit,souslechapiteau,portelenom

deGrandeSalledeBal,répondit-ileninclinantla

têteau-dessusdesonplateau.

Elenalefixa,puisregardaautourd’elle.

Sousunimmensechapiteau,apriorisemi-

permanentetdécorédelanternesdeplusieurs

nuancesquelesoleilmettaitenvaleur,lapelouse

moelleuses’étendaitsurdescentainesdemètres,de

touscôtés.

Génial.Lasalledebalestplusgrandequ’un

terraindefoot.

***

Desoncôté,Bonnieinterrogeaituneinvitée,

unefemmequiavaitassistéàplusieursréceptions

deBlodweddetquisemblaitbienconnaîtreleslieux.

—Dites-moi,j’aimeraissavoirunechose:oùse

trouvelasalledebalprincipale?

—Voyons,trèschère,toutdépenddeceque

vouscherchez!réponditlafemmed’untonenjoué.

Cellequel’onnommelaGrandeSalledeBalse

trouveau-dehors,vousl’avezcertainementvueen

arrivantici:legrandchapiteau.Maiscelaestsans

compterlaSalledeBalBlanche,enintérieur.Elleest

éclairéepardescandélabresettouslesrideauxsont

tirés.Ilarrivequ’onlanommeSalledeValse,étant

donnéqueseulecettedanseyestjouée.

Horrifiée,Bonnieavaitdéjàdécroché,quelques

phrasesplushaut.

—Ilyaunesalledebaldehors?répéta-t-elle

d’unevoixhésitante.

Intérieurement,elleespéraitavoirmalcompris.

—C’estexact,trèschère.Vouspouvezlavoirà

traverscemur,par-là.

Lafemmedisaitvrai.Onpouvaitbeletbien

voiràtraverslesmurscarilsétaientenverre.

AlorsBonniedécouvritcequiressemblaitàune

illusiond’optiquecrééepardesmiroirs,maisqui

étaitenfaitlaréalité:uneenfiladeinterminablede

salleséclairéesetrempliesd’invités.Seulela

dernière,aurez-de-chaussée,paraissaitavoirdes

paroissolidesetcompactes.SûrementlaSalle

Blanche.

Quantaumurqueluiindiquaitl’invitée…ah,

oui:ilyavaitunchapiteaudel’autrecôté.Ellese

souvenait

vaguement

d’être

passée

devant.

D’ailleurs,elleavaitremarquéque…

—Ondansesurlegazon?Surcette…immense

pelouse?

—Biensûr.Leterrainestspécialementtondu

etlissépourl’événement.Vousnerisquezpasde

trébuchersurunemauvaiseherbeouunmonticule.

Êtes-vouscertainedevoussentirbien?Vous

semblezassezpâle,trèschère.Enfin…aussipâle

qu’onpuissel’êtresouscettelumière!ajoutala

femmeenriant.

—Çava,réponditBonnie,totalementhébétée.

Çavaaller…

***

Lapetitebandeseretrouvaunpeuplustardet

échangeatouteslesmauvaisesnouvellesglanées.

DamonetElenaavaientdécouvertquelesoldela

salledebalextérieureétait,pourainsidire,dur

commedubéton;siquelquechoseavaitétéenterré

àcetendroitavantquelegazonpassesousdegros

rouleaux

de

jardin,

il

serait

désormais

complètementtasséetenfoui.Lepérimètreétait

impossibleàcreuser.

—Onauraitdûveniravecunsourcier,dit

Damon.Voussavez,cesgensquiutilisentune

baguettefourchue,unpenduleouunboutdetissu

appartenantàunepersonnedisparuepourlocaliser

unezoneprécise.

—Tuasraison,commentaMeredithd’unton

quisous-entendaitclairement:pourunefois.

Pourquoionn’apasfaitvenirunsourcier?

—Parcequejen’enconnaispas,rétorqua

Damon.

Illuifitsonplusbeausouriredebarracuda.

BonnieetMeredith,quantàelles,avaient

découvertquelesoldelasalledebalintérieureétait

composéd’unmagnifiquemarbreblanc.Certes,la

salleétaitgarniededouzainesdecompositions

florales,maistoutcequelapetitemaindeBonnie

avaitréussiàtrouverenlesfouillant(aussi

discrètementquepossible),c’étaitdesfleurs

coupéesdansdesvasesremplisd’eau.Aucunsolà

proprementparler,rienquipourraitjustifierle

terme«enfoui»surlequell’énigmeétaitfondée.

—Detoutefaçon,jenevoispaspourquoi

ShinichietMisaoauraientmislaclédansunvase

pleind’eauquivaêtrevidédanstroisjours,dit

Bonnieenfronçantlessourcils.

—Etd’iciqu’ontrouveunedalledemarbre

branlante…,commentaMeredithd’unairsombre.Il

n’yaaucuneraisonquelaclésoitenfouielà-bas.Et

puisj’aivérifié:laSalledeBalBlancheexistedepuis

desannées,doncaucunechancenonpluspourqu’ils

l’aientcachéesouslesfondations.

—Bien,déclaraElena,quienétaitmaintenantà

sontroisièmeverre.Voyonsleboncôtédeschoses:

çafaitunesalleenmoinsàexplorer.Etsouvenez-

vouscommentonatrouvélapremièreclé,c’était

plutôtfacilequandonypense…

—C’étaitpeut-êtreuneruse,supposaDamon

enhaussantlesourcil.Pournousdonnerunespoir

avantdel’anéantir…ici.

—C’estimpossible,répliqua-t-elleenluilançant

unregardnoir.Onestprèsdubut,beaucoupplus

queMisaonel’auraitimaginé.Onpeuttrouvercette

clé.Etonvalatrouver.

—D’accord.

Damonredevintsubitementonnepeutplus

sérieux.

—Siondoitsefairepasserpourdes

domestiquesetqu’onyailleàcoupsdepioche,onle

fera.Mais,d’abord,fouillonslamaisondefonden

comble.Ilmesemblequeçanousaplutôtréussila

dernièrefois.

—OK,approuvaMeredith.

Pourunefois,elleleregardadroitdanslesyeux

etsansavoirl’airdedésapprouver.

—Bonnieetmoi,onsechargedesétages,vous

n’avezqu’àvousoccuperdespiècesdubas;onne

saitjamais,peut-êtrequevoustrouverezquelque

chosedanslaSalledeBalBlanche.

Ilspassèrentàl’action.

Elenaauraitbienaiméréussiràsecalmer,mais,

malgrélesdeuxverresetdemidevindeMagie

Noirequicoulaientdanssesveines–oupeut-êtreà

caused’eux–,ellevoyaitcertaineschosessousun

nouveaujour.Ilfallaitqu’elleresteconcentréesur

leurobjectif:laclé,rienquelaclé.Elleferaittout,

n’importequoipourlatrouver.SeulStefan

comptait.

LaSalledeBalBlancheembaumaitlesfleurset

étaitornéedeguirlandessomptueusesqui

serpentaient

à

travers

des

feuillages.

Les

compositionsfloralessurpiedétaientdisposéesde

façonàabriterunpetitespaceintime,autourd’une

fontaine,oùlescouplespouvaients’asseoir.Et,bien

qu’aucunorchestrenefûtprésent,lamusique

entraitàflotsdanslasalledebal,exhortantlecorps

sensibled’Elenaàréagir.

—Jesupposequetunesaispasdanserla

valse?demandasubitementDamon.

Elenaserenditcompteque,depuisquelques

minutes,elleoscillaitenmesureaveclamusique,les

yeuxfermés.

—Biensûrquesi,répondit-elle,unpeuvexée.

OnatoutesprisdescoursavecMlleHopewell.

C’étaitunesortedecoursdemaintien,àFell’s

Church.

Elletrouvaçadrôleenyrepensant,etsemoqua

d’elle-même.

—MlleHopewelladoraitdanser,etellenous

apprenaittouteslesdansesetlespasqu’elle

trouvaitélégantsetgracieux.Jedevaisavoironze

ansàl’époque.

—Etjesupposequeceseraitabsurdedete

proposerdedanseravecmoi?demandaencore

Damon.

Elenaleregardad’unairperplexe,lesyeux

volontairementécarquillés.Endépitdesarobe

écarlateaudécolletéprofond,ellenesesentaitpas

dutoutirrésistiblecesoir.Elleétaittroptendue

pourressentirlamagiequiémanaitdutissu,une

magiequiluidonnaitl’impression,àcetinstant,

d’êtreuneflammevacillante,unfeuàl’étatbrut.À

l’inverse,elles’imaginaitqueMeredithdevaitse

sentircommeleseauxcalmesd’unruisseaucoulant

sansheurtsverssadestinationenscintillanttoutdu

long.QuantàBonnie…elleétaitl’incarnationde

l’air,unelfedansantaveclalégèretéd’uneplume

danscetterobeopalescente,àpeinesoumiseaux

loisdelapesanteur.

Brusquement,ellesesouvintdesregards

admiratifsqu’elleavaitcroisésetrepritunpeu

confiance.

Mais

pourquoi

Damon

se

montrait-il

subitementvulnérable?Vulnérable,etprésumant

qu’ellerefuseraitdedanseraveclui?

—Si,çameferaittrèsplaisirdedanser,

répondit-elle.

Nonsansêtresurprisedenepasl’avoir

remarquéplustôt,ellevitqu’ilportaitunecravate

blancheimpeccable.Évidemment,ill’avaitmisele

seulsoiroùellerisquaitdelegêner,maisellelui

donnaitunairroyal,digned’unprincedusang.

Elleeutunlégerrictusensongeantàcetitrede

noblesse.Dusang,biensûr…quoid’autre?

—Ettoi,tuessûrdesavoirdanserlavalse?

dit-elle.

—Bonnequestion.Jem’ysuismisen1885,car

cettedanseétaitconsidéréecommesubversiveet

indécente.Maisçadépendsituparlesdevalse

musette,devalseviennoise,devalseanglaiseou…

—Allez,viens!Sinononvaraterlaprochaine.

Enluiattrapantlamain,Elenasentitdepetites

étincelles,commesielleavaitcaresséunchatà

rebrousse-poil.Ellel’entraînaverslapistedansle

tourbillondelafoule.

Unenouvellevalsedémarra.Lamusique

envahitlasalle,etElenaeutpresquel’impression

quesespiedsdécollaientdusoltandisquedefines

mèchessehérissaientdanssanuqueetquedes

picotementsluiparcouraientlecorps,commesielle

venaitdeboireunélixirparadisiaque.

C’étaitsavalsepréféréedepuistoujours,celle

quiavaitbercésonenfance:LaBelleaubois

dormantdeTchaïkovski.Lapartd’enfantqu’elle

avaitgardéenepouvaits’empêcherd’associerla

mélodie

envoûtante

qui

suivait

l’ouverture

tonitruantedeceballetauxparolesdelaversion

Disney:

«Monamour;jet’aivuaubeaumilieud’un

rêve…»

Commetoujours,cettechansonluifaisaitvenir

leslarmesauxyeux;ellefaisaitchantersoncœuret

luidonnaitplusenviedes’envolerquededanser.

Sarobeétaitdosnu.LamainchaudedeDamon

étaitposéesursapeauàcetendroit.

Jesaispourquoiilsdisaientquec’étaitune

dansesubversiveetindécente,luichuchotaune

voix.

Àprésent,Elenasesentaitvraimentcomme

uneflamme.Nousétionsfaitspournousretrouver.

Ellen’arrivaitpasàsesouvenirsic’étaitune

anciennedéclarationdeDamonouquelquechosede

nouveauqu’ilchuchotaittoutbasencemoment

même.Commedeuxflammesquiserejoignentet

sefondentl’unedansl’autrepourn’enformer

qu’une.

Tuesdouée,luisoufflaDamon;cettefois,elle

compritquec’étaitluiquichuchotaitdepuisle

début,ici,maintenant.

Tupeuxprendretonairarrogant,tu

n’arriveraspasàgâchermajoie.Jesuisbientrop

heureuse!répondit-elleenriant.

Damonétaitunboncavalier,etpasseulement

parcequ’ilconnaissaitlespasavecprécision.Il

tournoyaitcommes’ilétaitencoreen1885,avec

subversionetindécence.Ilmenaitladansed’une

maindemaîtreet,bienentendu,Elenan’avaitpasla

forcephysiquederésister.Cependant,iln’étaitpas

sourdauxsignauxqu’elleluienvoyaitetilrépondait

àsesdésirscommes’ilsglissaientsurlaglace,

commes’ilsepréparaitàl’entraînerdansune

pirouetteouunsautspectaculaire.

Elenasentitsoncœurfondre,ettoussesautres

organesl’imiter.

Pasuninstantilneluivintàl’espritdepenserà

cequesesamis,sesrivauxetsesennemisdelycée

auraientditenlavoyantselaisserattendrirparun

airdemusiqueclassique.Lamesquineriedela

rancuneetdelahontenelatouchaitplus.Elleen

avaitfiniaveclescatalogages.Elleauraitaimé

pouvoirremonterletempsetmontreràtoutle

mondequ’elleregrettaitd’avoirétéainsi,quece

n’étaitpascequ’ellevoulait.

Lavalses’achevabeaucouptropvite,etelle

auraitaimépouvoirappuyersurlebouton

«rejouer»pourrecommenceràzéro.Uninstant,

quandlamusiques’arrêta,Damonetellese

regardèrentaveclamêmeexaltation,lemêmedésir

ardent…

Puisils’inclinapourlasaluer.

Lavalsen’estpasqu’unequestiondepasen

rythme,dit-ilsanslaregarder.C’estuneoscillation

gracieusequidoithabiterchaquemouvement,une

flammed’oùjaillissentlajoieetl’unité…enaccord

aveclamusiqueetlepartenaire.Cettedansen’est

pasuneaffairedecompétence.Mercibeaucoupde

m’avoirfaitcethonneur.

Elenasemitàrirepourrefoulerseslarmes.Elle

nevoulaitpasquecettedanses’achève.Elleavait

enviededanser,encoreetencore…Maisilsavaient

uneautreurgence,unemissionàaccomplir.

Enseretournant,elledécouvritunefoule

totalementdisparate:deshommes,desdémons,

desvampires,descréaturesmi-hommesmi-bêtes.

Tousvoulaientunedanse.Lasilhouetteensmoking

deDamons’éloignaitdéjà.

Damon!

Ils’arrêtasansseretourner.Oui?

Aide-moiàtrouvercetteclé!

Ilmituncertaintempsàcomprendrela

situation,maisfinitparrevenirauprèsd’elleetpar

luiprendrelamain.

—Cettefilleestmon…assistantepersonnelle,

déclara-t-ild’unevoixlimpideetsonore.Jene

souhaitepasqu’elledanseavecunautrequemoi.

Unmurmuredemécontentementsefit

entendre.D’ordinaire,rienn’interdisaitauxesclaves

amenéesdanscetypedebalsdecôtoyerdes

inconnus.Àcetinstant,uneagitationgagnal’autre

côtédelasalleetserépanditcommeunetraînéede

poudrejusqu’àeux.

—Qu’est-cequisepasse?demandaElena,qui

enoublialadanseetlaclé.

—Jediraisplutôt:quiest-ce,rectifiaDamon.

Et,pourréponse,jedirais:lamaîtressedeslieux,

ladyBlodweddenpersonne.

Elenasemitàsuivrelabousculadedelafoule

pour

essayer

d’entrevoir

cette

créature

extraordinaire.Quandlafemmeapparutenfinau

seuildelasalle,elleretintsonsouffle.

«Blodweddétaitnéedesfleurs…»sesouvint

Elena.Àquoipourraitressemblerunefemmeau

visagedefleur?

«Elleauraitunteintrosepâle,commeune

clématite,devina-t-elleenlafixantsanss’encacher.

Sesjouesseraientdelamêmeteintemais

légèrementplusfoncée,commeuneroserosiepar

l’aurore.Sesyeux,gigantesquessursonvisage

parfaitetdélicat,seraientdelacouleurd’unpied-

d’alouetteetconstellésdecilsnoirs,épaiset

duveteux,quiferaients’abaissersespaupièresmi-

closescommesielleétaittoujoursentrainderêver

éveillée.Elleauraitdescheveuxjauneclaircomme

desprimevères,assemblésdansunentrelacsde

petitesnatteselles-mêmesintégréesàunelongue

tressequitomberaitjusqu’àsesfineschevilles.

Entrouvertesetappétissantes,seslèvresseraient

rougescommedescoquelicots,sonparfum

semblableàunbouquetdespremièresfleursdu

printemps,etsadémarcheuneondulationsousla

brise.»

Éblouie,commetouslesautresinvités,Elena

suivitduregardcettemagnifiqueapparitionqui

s’éloignait

déjà,

regrettant

de

ne

pouvoir

s’imprégnerencoreunpeudetoutecettebeauté.

—Maiscommentest-cequ’elleétaithabillée?

pensa-t-elletouthaut.

Ellen’avaitaperçunirobeépoustouflanteni

décolletépeaudepêchesousl’épaissechevelure.

—Ungenrederobelongue.Jetelaissedeviner

enquellematière?Ouaip:desfleurs,luiglissa

Damonavecironie.Jen’enavaisjamaisvuunetelle

variété.D’ailleurs,jenecomprendspascomment

ellestiennent;ellesétaientpeut-êtreensoieet

cousuesensemble?

L’apparitiondeladyBlodweddneluiavait

manifestementfaitaucuneffet.

—Jemedemandesielleaccepteraitdenous

parler…justequelquesmots,murmuraElena.

Ellemouraitd’envied’entendrelavoixdecette

femmefascinante.

—J’endoute,luirépondituninvitéàcôtéd’elle.

Elleneparlepasbeaucoup,dumoinsjusqu’àminuit.

Tiens,c’estvous!Commentallez-vous?

—Trèsbien,merci,réponditpolimentElenaen

reculantrapidement.

Elleavaitreconnusoninterlocuteur;c’étaitl’un

desjeunesvauriensquiavaientinsistépourdonner

sacartedevisiteàDamonàlafindesonchâtiment

public.

Ellen’avaitqu’uneenvie,c’étaitdefiler

discrètementavecDamon.Maisl’hommeétaittrès

entouré,etilétaitclairqueluietsesamisn’avaient

pasl’intentiondeleslaisserpartir.

—C’estlafilledontjevousaiparlé!Elleentre

entransequellequesoitlaviolencedescoups;elle

nesentrien…

—…lesanggiclaitetellen’ajamaisflanché…

—Unvrainumérodepro.C’estunetroupe

ambulante…

Elles’apprêtaitàleurexpliquercalmementque

Blodweddavaitstrictementinterditcetypede

barbariependantsonbal,quandl’undesvampires

s’adressaàelle:

—Vousl’ignorezpeut-être,maisc’estmoiquiai

persuadéladyBlodwedddevousinviteràcette

petiteréunion.Jeluiairacontévotrenuméroetelle

atoutdesuiteeutrèsenviedelevoir.

«Bon,çafaituneexcuseenmoins,pensaElena.

Maisrestepolieaveceux,ilspourraientserévéler

utiles.»

—J’aibienpeurdenepaspouvoirlefairece

soir,répondit-ellecalmement,dansl’espoirqu’eux

aussi

resteraient

calmes.

J’irai

m’excuser

personnellementauprèsdeladyBlodwedd,biensûr,

maisvraimentcen’estpaspossible.

—Maissi,voyons.

LavoixdeDamon,justederrièreelle,lafit

sursauter.

—C’esttoutàfaitpossible,àconditionque

quelqu’unretrouvemonamulette.

MaisDamon,qu’est-cequiteprend?

Chut!Jesaiscequejefais.

—Malheureusement,ilyaunpeuplusdetrois

semaines,j’aiperduuneamulettetrèsimportante.

Voiciàquoielleressemble.

Ilmontraauxmembresdel’assembléelamoitié

declédekitsuneetleurlaissaletempsdebienla

regarder.

—Vousvousenserviezpourvotrenuméro?

demandaquelqu’un.

MaisDamonétaitbientropmalinpourtomber

danscettequestionpiège.

—Non.Bonnombred’entrevousm’ontvu

exécutercenuméroilyaenvironunesemaine,

alorsquejenel’avaisdéjàplus.Celle-ciestune

amulettepersonnelle;mais,sansl’autre,jeneme

sensplustropapteàlamagie.

—Ondiraitunrenardminiature.Vousn’êtes

pasunkitsune,aumoins?demandaunautre

convive.

«Unepersonnetrèsmaligne,elleaussi,pensa

Elena.Maispourlecoup,c’estdansnotreintérêt.»

—Vousyvoyezpeut-êtreunrenard,maisc’est

uneflèche.Lapointeestpourvuededeuxpierres

vertes.C’estuncharme…pourhomme.

Danslafoule,unevoixdefemmel’interpella:

—Vousm’avezpourtantl’aird’avoirtousles

charmesindispensablesàunhomme!

Desriresretentirentdanslasalle.

34.

—Soit.

Damonpritunregardd’acier.

—Sanscetteamulette,monassistanteetmoi-

mêmenepourronsexécuternotrenuméro.

—Mais,avec,vousvoudrezbien?Vousvoulez

direquevousavezperduvotreamuletteici?

—Absolument.Jel’aiperduelorsdes

préparatifsdubal.

Damonfitunsourireensorceleurauxjeunes

vampires,puisl’effaçabrusquement.

—Àl’époque,j’ignoraisquej’allaisjouirde

votreinfluenceetj’essayaisdetrouverunmoyen

d’êtreinvitéàcebal.Alorsjesuisvenufaireuntour

ici,parsimplecuriosité.

—Nemeditespasquec’étaitavantquela

pelousesoitpasséeaurouleau?lançaquelqu’un

avecappréhension.

—Malheureusementsi.Etj’aireçuunmessage

télépathiquem’indiquantquelacl…l’amuletteétait

enterréequelquepartici.

S’ensuivitunconcertdegrognements.

Puisplusieursvoixdistinctess’élevèrent,

énumérantlesdifficultés:lesoldurcommedu

bétonsouslapelouse,lesnombreusessallesdebal

ornéesdecompositionsfloralesenpied,lepotager

etlejardind’agrément(«Tiens,eux,onnelesapas

vus»,notaElena).

—J’aibienconsciencequ’ilestquasiimpossible

delaretrouver,ajoutaDamon.

Ilfitdisparaîtrehabilementlaclédekitsuneen

effleurantlamaind’Elena,quiétaitprêteàla

réception:elleavaitdésormaisunecachettede

choixsurelle,ladyUlmayavaitveillé.

—Voilàpourquoinousavonsdéclinévotreidée

audépart.Mais,devantvotreinsistance,j’aipréféré

vousdonnerl’explicationdecerefus.

Quelquesronchonnementssefirentencore

entendre,puislesinvitéscommencèrentà

s’éloigner,seuls,encoupleoupartrois,enévoquant

les

endroits

stratégiques

où

ils

pourraient

commencerleursrecherches.

Damon,ilsvontsaccagerlesterresde

Blodwedd,protestasilencieusementElena.

Tantmieux.Enrécompense,onleuroffrira

touslesbijouxquevousporteztouteslestroiset

toutl’orquej’aisurmoi.Àcent,ilsaurontpeut-

êtreplusdechancesdetrouverquelquechoseque

nousàquatre.

Elenasoupira.J’aimeraisquandmêmequ’on

aillevoirBlodwedd.Passeulementpourentendre

savoix,maispourluiposerquelquesquestions.

C’estvrai:pourquellesraisonsunebeautécomme

elleprotégeraitShinichietMisao?

LaréponsedeDamonfutbrève:Danscecas,

allonsvoirauxétages.C’estparlàqu’ellese

dirigeait.

Ilstrouvèrentunescalierencristal,plutôt

difficileàlocaliserdansunendroitauxmurs

transparents

et

dont

l’ascension

fut

assez

effrayante.Unefoisarrivésaupremier,ilsen

cherchèrentunautre.Elenafinitparletrouver…en

trébuchantcontrelapremièremarche.

Sonregardoscillaentrelamarcheetsontibia,

quiprésentaientlesmêmesdégâts:unfiletrouge

sangauniveaudel’arête.

—Cesmarchessontpeut-êtreinvisibles,mais

ellessontbienréelles,seplaignit-elle.

Damonseservaitdesespouvoirspourmieux

s’orienter,ellelesavait.Elleenauraitbienfait

autant,mais,cesdernierstemps,ellesedemandait

lequeldesdeuxavaitleplusdesonsangàelledans

lesveines:luiouelle?

—Netefatiguepas,dit-ilendevinantses

pensées.Jevoislesmarchespourdeux.Contente-

toidefermerlesyeux.

—Lesfermer,mais…

Ellen’eutpasletempsdedemanderpourquoi

qu’elleavaitdéjàlaréponse,niceluidecrierqu’il

l’avaitprisedanssesbras,contresoncorpschaudet

robuste.Ils’élançaenhautdel’immenseescalieren

laportantdetellefaçonquesarobenefûtpas

tachéeparlesangquiruisselaitdanslevide.

Pourellequiavaitlevertige,cefutuneescalade

folleetterrifiante,mêmesiellesavaitqueDamon

étaitdansuneformeolympiqueetqu’ilnela

lâcheraitpas,etmêmesielleétaitconvaincuequ’il

savaitoùilmettaitlespieds.Celadit,sielleavaitété

seule,ellen’auraitjamaisdépassélapremière

marchedesonpleingré.Enl’étatactueldeschoses,

elleosaitàpeineremuerdepeurdedéséquilibrer

Damon.Ilneluirestaitplusqu’àprendresonmalen

patience.

Quand,uneéternitéplustard,ilsarrivèrenten

haut,Elenasedemandas’illaporteraitaussipour

redescendreous’illalaisseraitlàpourlerestantde

sesjours.

IlsseretrouvèrentfaceàBlodwedd,laplus

ravissantecréaturesurnaturellequ’Elenaeûtjamais

vue.Ravissantemais…étrange.C’étaientsesyeux

ou…leslongscheveuxdeBlodweddétaient

réellementdesprimevères?Etsonvisage?Il

n’avaitpasseulementlacouleurmaislaformed’un

pétaledeclématite.

—Vousêtesdansmabibliothèqueprivée,dit

sèchementlafemme-fleurs.

Commesiunmiroirvenaitdesefêler,le

charmedeBlodweddquisubjuguaitElenafut

rompu.

Lesdieuxl’avaientfaitnaîtredesfleurs…et

Elenasavaitmaintenantpourquoilesfleursne

parlaientpas.LavoixdeBlodweddétaitinsipide,

sanstimbre.Çagâchaittoutesapersonnalité.

—Navré,ditDamon,maisnousaimerionsvous

poserquelquesquestions.

Décidément,iln’avaitpasfroidauxyeux.

—Sivouscroyezquejevaisvousaider,vous

aveztort,répondit-elleavecuneintonation

nasillarde.Jehaisleshumains.

—Maisilnevousaurasûrementpaséchappé

quejesuisunvampire…,minaudaDamonen

forçantletrait.

Blodweddlecoupabrusquement:

—Quiaétéhumainleresteratoutesavie!

—Pardon?

LefaitqueDamonperdesonsang-froidétait

peut-êtrelameilleurechosequipuissearriver,

pensaElenaenseréfugiantderrièrelui.Sonmépris

pourleshumainsfutsiperceptiblequeBlodweddse

radoucitunpeu.

—Qu’avez-vousàmedemander?

—Seulementsivousaviezvuun,voiredeux,

kitsunerécemment:desjumeaux,quisefont

appelerShinichietMisao.

—Oui.

—Sinon,ilspourraient…Pardon?Oui,vous

dites?

—Cesvoleurssontvenuschezmoienpleine

nuit.J’étaisàuneréception.Jesuisrentréeàtoute

allureetj’aibienfaillilesavoir.Maisleskitsunesont

difficilesàattraper.

—Où…étaient-ils?ditDamon,visiblement

tendu.

—Ilsdévalaientlesescaliersdel’entrée.

—Etest-cequevoussouvenezdeladateà

laquelleilssontvenus?

—C’étaitlanuitdespréparatifsdubal.La

pelouseestpasséeaurouleaucompacteur,le

chapiteaumonté…

«Drôled’idéedefaireçalanuit»,pensaElena;

maistrèsvitel’explicationluisautaauxyeux,

toujourslamême:jour,nuit,quelledifférence?La

lumièrenechangeaitjamais.

Enattendant,soncœurbattaitlachamade.Si

ShinichietMisaoétaientvenusici,çanepouvait

êtrequepouruneseuleraison:cacherlaseconde

moitiédeclé.

«Peut-êtredanslaGrandeSalledeBal…peut

êtrepas.»Elenacontemplad’unairmorneles

paroisextérieuresdelabibliothèque,quisemirent

àpivoterunpeucommeungigantesque

planétarium.Blodwedds’emparad’unesphère

qu’elleposasurunsocle;sansdouteledispositifqui

luipermettaitdediffuserlamusiquedanstoutle

manoir.

—S’ilvousplaît?l’interpellaDamon.

—Vousêtesdansmabibliothèqueprivée,

répétafroidementlacréature.

LasuperbefindeL’Oiseaudefeumontaen

puissance.

—Cequisous-entendquenousdevonspartir?

—Non:quevousallezmourir.

35.

—QUOI?hurlaDamon,plusfortquela

musique.

Sauve-toi.Vite!ajouta-t-ilàl’intention

d’Elena.

Siseulesavieavaitétéenjeu,Elenaauraitété

trèscontentedemouririci,souslesmagnifiques

vibrationsdeL’Oiseaudefeu,plutôtqued’affronter

seulecetescalierpentuetinvisible.

Maisilnes’agissaitpasqued’elle.Laviede

Stefanaussiétaitenjeu.Lafemme-fleursn’avait

pasl’airparticulièrementdangereuse,mais,endépit

desesefforts,Elenanetrouvapaslecouragede

descendreceterribleescalier.

Damon,viens,partons.Ilfautqu’onfouillela

GrandeSalledeBal.Iln’yaquetoiquiaieslaforce

de…

Ellehésita.«Damonpréféreraitsebattreplutôt

qued’affrontercettegigantesquepelouse»,pensa-

t-elle.

Blodweddfitdenouveaupivoterlasalle,de

sortequ’àl’entréed’unorificeinvisibleelletrouva

exactementlasphèrequ’ellecherchait.

DamonpritElenadanssesbras.Fermeles

yeux.

Nonseulementellelesferma,maiselleenfouit

sonvisagedanssesmains.SijamaisDamonla

lâchait,elleauraitbeaucrier«Attention!»,ça

n’arrangeraitrien.

Lessensationsqu’elleéprouvaluisoulevèrentle

cœur.Damonbondissaitcommeuncabrid’une

marcheàl’autre.Sespiedssemblaientàpeine

toucherlesol.

Subitement,Elenasedemandas’ilsétaient

vraimentpoursuivis.Sic’étaitlecas,ilfallaitqu’elle

lesache.Elles’apprêtaitàouvrirlesyeuxquand

Damonluichuchotaavecforce:«Gardelesyeux

fermés!»Ellen’eutpasvraimentenviedediscuter.

Toutefois,ellejetauncoupd’œilentreses

doigtsécartés,croisaleregardexaspérédeDamon

etconstataquepersonnenelessuivait.Resserrant

lesdoigts,ellesemitàprier.

Situétaisvraimentuneesclave,tuneferais

paslongfeuici,tusais,l’informaDamonen

effectuantunderniersautdanslevide.Bienque

toujoursaussiinvisible,lesolsurlequelilfinitparla

poserétaitplat.

Tantmieux,parcequejen’enauraispasenvie,

répondit-ellefroidement.Jetejure,jepréférerais

encoremourir.

Nejurepascommeça.Damonlaregardaenlui

lâchantsonsourireéclair.Tupasseraspeut-êtrele

restedetaviedansunautremondedesténèbresà

essayerdetenirparole.

Elenaluiauraitbienclouélebec,maisilsétaient

sainsetsaufs,c’étaittoutcequicomptait.Ils

reprirentleurcavalcadedanslescouloirsdeverre,

jusqu’àcequ’ilsretrouventlepremierescalier,le

descendentquatreàquatre(difficilevusonétat

d’esprit,maisfaisable)etatteignentenfinlasortie.

Dehors,surlapelousedelaGrandeSalledeBal,ils

retrouvèrentBonnie,Meredith…etSage.

Luiaussiportaitunecravateblanche,en

revanchesesépaulessemblaienttrèsàl’étroitdans

saveste.Enmêmetemps,sonfauconbaptiséSerre

étaitperchésurl’uned’elles,doncleproblème

seraitpeut-êtreviteréglé,vuquelerapaceétaiten

traindedéchirerletissuetdelefairesaigner.Sage

n’avaitpasl’airdes’enrendrecompte.Postéaux

piedsdesonmaître,SabreregardaitElenaavecun

regardtroppénétrantpourêtreceluid’unchien

ordinaire,maissansmalveillance.

—Merci,monDieu,vousêteslà!s’écriaBonnie

enaccourantverseux.Sageestvenuetilauneidée

fantastique.

MêmeMerediths’enthousiasma.

—TutesouviensquandDamonaditqu’on

auraitdûveniravecunsourcier?Ehbien,

maintenantonenadeux.

EllesetournaversSage.

—Vas-y,explique-leur.

—J’aipourprincipedenepaslesemmener

avecmoiquandjesuisinvitéquelquepart,dit-ilen

désignantsesdeuxcompagnonsderoute.

Iltenditlebraspourgrattersonchiensousle

museau.

—Maismonpetitdoigtm’aditquevousaviez

peut-êtredesennuis.

Cettefois,illevalamainpourcaresserson

faucond’ungestecomplice,ébouriffantunpeuses

plumes.

—Alors,dites-moiunechose,touslesdeux:

est-cequevousavezbeaucoupmanipulélamoitié

declédéjàenvotrepossession?

—Cesoir,oui,etaudébut,lejouroùonl’a

trouvée,réponditElena.Elleestaussipasséeune

foisentrelesmainsdeladyUlma,etLucens’enest

servipourluifabriqueruncoffrequ’onatous

touché.

—Etsinon?

—J’aidûl’examineruneoudeuxfois,ajouta

Damon.

—Bien,l’odeurdeskitsunedevraitêtreintacte.

Ilsontuneodeurtrèsparticulière,voussavez.

—TuveuxdirequeSabre…

—…estcapabledeflairern’importequelobjet

portantl’odeurd’unkitsune.QuantàSerre,ilaune

excellentevue.Ilpeutrepérerunrefletdoréà

plusieursmètresd’altitude.Maintenant,montrez-

leurcequ’ilsdoiventchercher.

Sansperdreuneminute,Elenaapprochale

morceaudecléenformedecroissantsouslatruffe

deSabre.

—Trèsbien.Maintenant,Serre,regardebien.

Sagereculajusqu’àcequ’Elenadevineêtrela

distancedevueoptimaledufaucon.Puisilrevint.

—C’estparti!

Lechiennoirs’élançad’unbond,latruffeauras

dusol,tandisquelefaucons’envolaitendécrivant

degrandscerclesmajestueux.

—Tucroisqueleskitsunesontpasséssurcette

pelouse?demandaElena.

Sabrefaisaitdesallers-retourslatruffeauras

delapelousequand,brusquement,ilfilavers

l’escalierenmarbredel’entréeprincipale.

—Cequiestsûr,c’estqu’ilsn’étaientpasloin.

TuvoislafaçondontSabrecourt,latêtebaisséeet

laqueuedroite?C’estsignequ’ilaflairéunepiste.

Etjecroisqu’ilchauffe!

«J’enconnaisunautre»,songeaElenaen

jetantunœilàDamon.Ilsetenaitlesbrascroisés,

immobileettenducommeunarc,dansl’attente

d’éventuellestrouvaillesrapportéesparlesdeux

animaux.

Presqueenmêmetemps,elleregardaSageà

soninsu;ilavaitunedrôledelueurdanslesyeux…

sansdoutelamêmequ’elleavait,uninstantplustôt,

enobservantDamon.

Commeiltournaitlatête,ellerougit.

—Pardon,dit-ellespontanémentenfrançais.

—Vousparlezlefrançais,monamie?

—Unpeu,répondit-elleavechumilité,une

positiondontellen’avaitpasl’habitude.Jenesuis

pasvraimentcapabledeteniruneconversation,

maisj’adoraisallerenFranceautrefois.

ElleallaitajouterautrechosequandSabre

aboya,justeuncoup,pourattirerl’attention,avant

des’asseoirdroitcommeunpiquetauborddu

trottoir.

—Ilssontarrivésoupartisd’ici,encoche,en

chaiseàporteursoujenesaisquoiencore,

interprétaSage.

—Maisest-cequ’ilssontentrésdansla

maison?J’aibesoind’uneautrepiste,ditDamonen

leregardantd’unairfranchementagacé.

—Attends,net’énervepas.Sabre!Demi-tour!

Lechienrevintinstantanémentsursestraces,

fouillantlesolavecsatruffecommes’ilentiraitun

immenseplaisir,etseremitàfairedesva-et-vientà

touteallureentrel’escalierenmarbreetlapelouse

delaGrandeSalledeBal–pelousequicommençait

àêtrepleinedetrous,àmesurequelesinvitésy

allaientdeleurscoupsdepelle,depiocheetmême

d’énormeslouches.

—Les

kitsunesontdifficilesàattraper,

murmuraElenaàl’oreilledeDamon.

Ilacquiesçaenjetantunœilàsamontre.

—J’espèrequ’ilenserademêmepournous.

Brusquement,Sabreaboyaauloin.Lecœur

d’Elenafitunbond.

—Tucroisqu’ilatrouvéquelquechose?

Damonl’attrapaparlamainetl’entraînadans

sonsillage.

—Pourquoiilaaboyé?

Toutlepetitgroupeseretrouvaàl’endroitoùle

chiens’étaitposté.

—C’estbizarre.Onestendehorsdupérimètre,

réponditMeredith.

Sabreétaitassisfièrementdevantungros

massifd’hortensiasmauves(violetfoncé).

—Cespauvresfleursn’ontpasl’airtrèsen

forme.

—Onn’estmêmepassouslesfenêtresd’une

salledebal,constataMeredith.

Ellesebaissapoursemettreàlahauteurdu

chien,puisregardaenl’air.

—Iln’yaquelabibliothèquelà-haut.

—Enattendant,unechoseestsûre,ditDamon.

Onvadevoirbêchercemassif.Maisjen’aipastrès

enviededemanderlapermissionàlamaîtressede

maison;ladernièrefoisquej’aicroisésespieds-

d’alouette,ellevoulaitdéjàmetuer.

—Ah,tiens?Voustrouvezquelesyeuxdelady

Blodweddontlacouleurdespieds-d’alouette?

jacassauneinvitéederrièreBonnie.J’auraisplutôt

ditdesjacinthesdesbois.

—Elleavraimentvouluvoustuer?Mais

pourquoi?demandauneautre,prèsd’Elena.

Damonlesignora.

—Bon,voyonsleschosessouscetangle:çane

vasûrementpasluiplaire,maisc’estnotreseule

piste.

Saufsi,aprèsavoireul’intentiondelaisserla

cléici,leskitsunesontfinalementrepartisavec,

ajouta-t-elleensilenceàl’attentiondeDamon.

Brusquement,undesvampiress’avançavers

Elena.

—Lespectaclepeutcommencer!rugit-il.

—Jen’aipasrécupérémonamulette,protesta

Damond’unevoixglaciale.

Ils’interposadevantluicommeunmur

infranchissable.

—Maisçanesauraittarder.Écoutez,certains

n’ontqu’àpartiraveclechienpourremonterla

pistedevosméchantsettrouverd’oùilssont

arrivés,etpendantcetempsonpeutlancerle

spectacle.

—Est-cequeSabreestcapabledesuivrela

pisted’unevoiture?lançaDamonàSage.

—Dumomentqu’elletransportaitunrenard,

sansproblème,affirmacedernier.D’ailleurs,jevais

yalleraveceux.Commeça,silesennemisnous

attendent,jenelesrateraipas.Montre-moiàquoi

ilsressemblent.

—Voilàsousquellesformesjelesconnais.

DamonportadeuxdoigtsauxtempesdeSage.

—Maisilspeuventprendretoutesles

apparencesqu’ilsveulent.

—Bon,detoutefaçon,cen’estpasleplus

important.Notrepriorité,c’estla,enfinle,hum,

l’amulette.

—Oui.Mêmesitun’aspasletempsdeleur

assénerunboncoupdepoingdemapart,prends-

leurlacléetdépêche-toiderevenir.

—Jevoisquecetteamulettecompteplusque

tarevanche,commentaSageenhochantlatêteavec

étonnement.Bon,souhaitons-nousbonnechance.Y

a-t-ildestémérairespourm’accompagner?Quatre,

trèsbien…Cinq,OK,non,madame,çairacomme

ça,merci.

Enunefractiondeseconde,Sagedisparut.

ElenatournalatêteversDamon,dontles

prunellesnoireslafixaientd’unairimpassible.

—Quoi?…Oh,non…Nemedispasquetu

veux…

—Tudoisseulementresteroùtues.Jeferaien

sortequetuperdeslemoinsdesangpossible.Etsi

tuveuxvraimentqu’onarrête,onn’aqu’àconvenir

d’uncode.

—Ladifférence,c’estquemaintenantjesaisce

quisepasse.Etjenevaispaspouvoirlesupporter.

LevisagedeDamonsefermad’unseulcoup.

—Personnenetedemandedesupporterquoi

quecesoit.Tun’asqu’àtedirequec’estune

marchééquitablepourrécupérertonStefan,ça

t’aiderapeut-être!

—Laisse-moiaumoinspartagerladouleuravec

toi.

Elleeutbeaul’implorer,elleconnaissait

d’avancelaréponse.

—Stefanvaavoirbesoindetoiquandilsera

libre.Soisàlahauteurdesesattentes,c’esttout.

«Arrête,Elena.Réfléchis,sedit-elleavec

fermeté.Iltepousseàboutexprès.Nelelaissepas

faire.»

—Jesauraigérerlesdeux,Damon.S’ilteplaît,

arrêtedemeparlercommesij’étais…unedetes

victimesd’unsoir,oumêmetaprincessedes

ténèbres.Parle-moicommetulefaisavecSage.

—Sage?C’estlevampireleplusagaçantetle

plusfourbeque…

—Jesais.Maislui,tuluiparles.Ettumeparlais

aussi,avant.Écoute-moi.Jenesupporteraipasde

refaireçaensachantcequetuendures.Situme

forces,jehurle.

—Tumemenaces,maintenant?

—Non!Jetedisjustecequivaarriver.À

moinsdemebâillonner,jehurleraidetoutesmes

forces.CommejeleferaipourStefan.C’estplusfort

quemoi.Peut-êtrequejesuisentraindecraquer…

—Maistunecomprendsdoncpas?

Subitement,ilfitvolte-faceenluiprenantles

mains.

—Onyestpresque,Elena.Tuasétélaplus

forted’entrenous,jet’interdisdecraquer

maintenant.

—Laplusforte…

Elenasecoualatête.

—Jecroyaisqu’onyétaitpresque,qu’onétait

surlepointdesecomprendreenfin,toietmoi.

—Bon.

Lemottomba,aussidurqu’unéclatdemarbre.

—Quedirais-tudecinq?

—Cinq?répétaElenasanscomprendre.

—Cinqcoupsdefouetaulieudedix.Onleur

promettraqueturecevraslescinqautresquand

«l’amulette»auraétéretrouvée,maisons’enfuira

dèsqu’onl’aura.

—Turompraisunepromesse?

—S’ilfautenpasserparlà…

—Non.Tunedirasrien.J’iraileurparler.Je

suisunementeuse,unetricheuse,etj’aitoujourssu

manipulerleshommes.Onverrasimestalentsvont

enfinmeserviràquelquechosedepositif.Etinutile

detenterquoiquecesoitavecBonnieetMeredith,

ajoutaElenaenjetantunœilàsesamies.Lesrobes

qu’ellesportentsedéchireraientaupremiercoupde

fouet.Jesuislaseulequipuisselefaire.

Elletournasurelle-mêmepourluimontrersa

robedosnu,serefermantenVsursesreins.

—Alorsonestd’accord,acceptaDamon.

Ildemandaunnouveauverredevinàun

domestique.

«Çavaêtrelespectacleleplusavinéde

l’histoire»,songeaElena.

Elleneputs’empêcherdetrembler.Ledernier

frissonqu’elleavaitressenti,c’étaitensentantla

mainchaudedeDamondanssondospendantqu’ils

dansaient.Maisàprésent,c’étaitunesensation

beaucoupplusglaciale,commeuncourantd’air

froid.Elleserappelalesangquiavaitcoulésurses

hanches,lapremièrefois.

Subitement,BonnieetMeredithapparurentà

sescôtés,formantunrempartentreElenaetla

fouledeplusenpluscurieuseetempressée.

—Qu’est-cequis’estpassé,Elena?Ona

entendudirequ’unebarbareallaitrecevoirdes

coupsdefouet…,commençaMeredith.

—Ettuascomprisquec’étaitforcémentmoi?

Ehbien,c’estvrai.Jenevoispascommentonpeut

l’éviter.

—Maisvousn’avezrienfait!protestaBonnie,

désemparée.

—Si.Onaétéidiots,glissaDamond’unair

sombre.Onalaissémeschersconfrèresles

vampirescroirequ’ils’agissaitd’unnumérode

magie.

—C’estquandmêmeinjuste,non?dit

Meredith.Elenanousaracontécequis’étaitpassé

lapremièrefois.

—Onauraitdûnier,c’esttout.Maintenant,on

estcoincés.

Ilsemblafaireuneffortpournepasmontrer

davantagesonabattement.

—Enfin,peut-êtrequ’onatteindraquand

mêmenotreobjectif.

—Riennet’obligeàlefaire,ditMeredith.On

n’aqu’às’enaller.

Bonnieladévisagea.

—Quoi?Sanslaclé?

Elenasecoualatête.

—Damonetmoienavonsdéjàdiscuté.Notre

décisionestprise.Onvalefaire.

Elleregardaautourd’elle.

—Oùsontcesvampiressiimpatients?

—Danslejardin…anciennementappelé

«GrandeSalledeBal»,réponditBonnie.Ilssont

sûremententraindecreuserpartoutet…Aïe!

Pourquoitum’aspincée,Meredith?

—Oh,zut,jet’aipincée?Cen’étaitpasmon

intention…

MaisElenas’éloignaitdéjààgrandspas,aussi

impatientequeDamond’enfinir.Oupresque.

«Pourvuqu’ilpenseàsechangeretàremettresa

vesteencuir.Parceque,dusangsurunecravate

blanche…»

«Jenelaisseraipaslesangcoulercesoir.Ila

assezsouffert.»

Cettedécisionluivintbrusquement,sans

qu’ellesachecommentnipourquoi.«Iltremblait

surletrajetenvenantici,sedit-elle.Ilpensaitau

bien-êtred’unautrequeluiàchaquesecondequi

passait.Çasuffitmaintenant.Stefannevoudraitpas

qu’onlefasseencoresouffrir.»

Enlevantlatête,ellevitunedespetiteslunes

difformesduRoyaumedesOmbresfilercommeune

plumeluisantedanslecielorangéetmaussade.Elle

étaitrésignée,prêteàsedonnersansréserve,corps

etâme,sefiantàlasourcesacréedesangéternel

quicoulaitdanssesveines.Ilneluirestaitplus

qu’unechoseàfaire.

Ellerevintsursespas.

—Bonnie,Meredith,écoutez:touteslestrois,

onatoujoursforméunetriaded’énergie.Ondevrait

essayerd’yintégrerDamon.

Aucuneneparuttrèsenthousiaste.

Elena,quiavaitabdiquétoutefiertélejouroù

elleavaitdécouvertStefanencellule,s’agenouilla

devantellessurunemarchedel’escalierenmarbre.

—Jevousensupplie…

—Elena,arrête!paniquaMeredith.

—Jet’enprie,relève-toi!criaBonnie,aubord

deslarmes.

Lestroisamiesseregroupèrentdansune

effusiond’embrassadesetdeconfidences.

—Maintenantjesaispourquoituassipeurdu

noir,Bonnie.Tueslapersonnelapluscourageuse

quejeconnaisse.

Puis,leslaissantabasourdiesderrièreelle,

Elenapartitréunirlesspectateursdesonpropre

châtiment.

36.

Elenaavaitétéattachéecontreunpilier,telle

unehéroïnedesérieBattendantd’êtredélivrée.

Danslejardin,lesfouillesétaienttoujoursencours

maistraînaientunpeuenlongueur.Lesvampires

responsablesdecettesituationavaientapportéune

baguetteenboisdefrêneàDamonpourla

soumettreàsoninspection.Cederniersemblaitlui

aussimarcherauralenti.Commes’ilcherchaitla

petitebêtepourgagnerdutemps.Commes’il

guettaituncrissementderouessurlegravierquilui

indiqueraitqueSageétaitderetour.Enapparence

surlequi-vive,maisintérieurementcomplètement

abattu.

«Jenesuispasunsadique,pensa-t-il.J’essaie

toujoursdedonnerduplaisir…saufdanslabagarre.

Maisc’estmoiquidevraisêtreenfermédanscette

cellule.PourquoiElenaneveutpascomprendre?

C’estàmontourdesubirlefouet.»

Ilavaitpristoutsontempspoursechangeret

enfilersa«tenuedemagicien»,sanspourautant

donner

l’impression

de

vouloir

retarder

l’instantT.Entresixcentsethuitcentscréatures

étaientmaintenantrassemblées,impatientesde

voirlesangd’Elenacouleretsondoslacéré

cicatrisermiraculeusement.

«Bien,jesuisprêt.Aussiprêtqu’onpeutl’être

pourcegenredecalvaire.»

Retrouvantsesmoyens,ilsefocalisasurle

présent.

Elenasentitsagorgesenouer.Laisse-moi

partagerladouleur,avait-elleditàDamon;sauf

qu’ellenesavaitpasdutoutcomments’yprendre.

Elleétaitlà,tellelavictimed’unsacrifice,leregard

tournéverslemanoirdeBlodweddenattendant

quelescoupstombent.

PendantqueDamontenaitunpetitdiscours

préliminaireàlafoule,dansuncharabiasavamment

improvisé,elledécidadefixersonregardsurune

fenêtreprécise.

PuiselleserenditcomptequeDamons’étaittu.

Ellesentitlabaguettedeboiseffleurersondos.

Tuesprête?

Oui,répondit-ellesansattendre,mêmesic’était

faux.

Alorsunsifflementfenditl’airdansunsilence

demort.

LaprésencespirituelledeBonnieetde

Meredithl’avaitenvahie.Lecoupfutunesimple

gifle,bienqu’ellesentîtlesangcouler.Douloureux,

maistoutàfaitsupportable.

LaconfusiondeDamonneluiéchappapas.

Puisledeuxièmetomba.Unefoisdeplus,les

troisamiesserépartirentladouleuravantqu’elle

n’atteigneDamon.

Surtout,tenirbon.Nepasromprecetriangle

d’énergie.

Troisièmecoup.

Plusquedeux.Elenalaissasonregarderrersur

lafaçadedelamaison,jusqu’autroisièmeétage,où

Blodwedddevaitenragerdevoirlatournure

qu’avaitprisesonbal.

Plusqu’un.Lavoixd’uninvitéluirevinten

mémoire:«Cettebibliothèque!Jen’aijamaisvu

autantdesphèresd’étoilesdansunemêmepièce!»

Ilavaitbaissélavoixd’unairentendu:«Onditque

Blodweddenpossèdedetoutessorteslà-haut.

Mêmecellesquisontinterdites,vousvoyez?»

Non.Elenanevoyaitpas.Etelleavaitencoredu

malàimaginercequipourraitêtreinterditici.

Reclusedanssatour,lasilhouettesolitairede

Blodwedds’avançasouslalumièrevivedelapièce

pourattraperunenouvellesphère.Àl’intérieurdu

manoir,lamusiquedevaitretentir,unairdifférent

danschaquesalle.Mais,dehors,Elenan’entendait

rien.

Derniercoup.Lestroisamiesréussirentà

l’amortir,répartissantunedouleuratroceentre

ellesetDamon.«Detoutefaçon,marobene

pouvaitpasêtreplusrouge»,pensabêtement

Elena.

Lespectacleétaitterminé.BonnieetMeredith

sedisputèrentavecdesvampiresquivoulaientles

aideràlaverledosensanglantéd’Elena;undosqui,

unefoisencore,neprésentaitaucunemarque,

aucuneentaille,etluisaitd’uneteintedoréesousla

lumièredusoleil.

Mieuxvautlesteniràdistance,pensaElena

d’unevoixplutôtendormieàl’attentiondeDamon;

certainspourraientavoirdespulsionsnéfastes.On

doitabsolumentlesempêcherdegoûtermonsang

etdesentirlaforcevitalequ’ilcontient;jemesuis

donnétropdemalafindedissimulermonaura

pourtoutgâchermaintenant.

Toutlemondeapplaudissaitenacclamantles

deux«magiciens»,etpersonnen’avaitencore

penséàdétacherElena.Toujoursligotéeaupilier,

ellecontemplaitlabibliothèque.

Autourd’elle,lamusique,lesconvives,tout

étaitenmouvement.Elleétaitleseulpoint

immobiled’unmondequitournoyait.Pourtantelle

n’avaitpasuneminuteàperdre!Elletirad’ungeste

brusquesursesliens,selacérantlespoignetsau

passage.

—Meredith!Détache-moi!Coupecescordes,

vite!

Sonamies’exécutaàtoutevitesse.

Elenan’avaitpastournélatêtequ’ellesavait

déjààquois’attendre:l’expressionperplexede

Damon,partagéeentreleressentimentetl’humilité.

Damon,ilfautqu’onailledansla…

Ilsfurentsubitementengloutisparunefoule

déchaînée.Desadmirateurs,dessceptiques,des

vampiresquiquémandaientunelarmichettede

sang,desyeuxexorbitésquivoulaients’assurerque

ledosd’Elenaétaitréellementintact.

Elenapaniquaensentanttoutessesmainssur

soncorps.

—LÂCHEZ-LA!

Rugissementprimal.Commeunlionquidéfend

sonclan.

Lentementettimidement…lafoules’écarta…

pourmieuxresserrersonétausurDamon.

«OK,pensaElena.Tupeuxlefaire.Pour

Stefan.»

Ellesefrayaunchemindanslafouleàcoups

d’épaule,acceptantdespoignéesdefleursarrachées

àlava-vitepardesadmirateursetsentant

davantagedemainssursoncorps.«Regardez!Elle

n’avraimentaucunemarque!»Finalement,

MeredithetBonniel’aidèrentàs’extrairedela

masse.

Ellesemitàcouriràtoutesjambesversle

manoir,sanssedonnerlapeined’emprunterla

portequelesaboiementsdeSabreluiindiquaient;

detoutefaçon,elledevinaitcequ’elletrouverait

derrière.

Audeuxièmeétage,elles’arrêtauninstant,

perplexefaceàunmincefiletrougequisemblait

flotterdanslevide.Sonsang.Aumoinsilaurait

serviàquelquechose:elledistinguanettementla

premièremarchedel’escalierquisedressaitdevant

elle,cellecontrelaquelleelleavaittrébuchéla

premièrefois.Àcemoment-là,blottiedansles

solidesbrasdeDamon,elleneseseraitmêmepas

cruecapabledegravircesmarchesàquatrepattes.

Maiscettefois,ellecanalisatoutsonpouvoir

danssesyeux…etl’escaliers’illumina.Ilétait

toujoursaussiterrifiant.Pasderampe,aucuneprise

surlaquelles’appuyer.Etcettetension,cettepeur,

toutcesangqu’elleavaitperduluidonnaientencore

pluslevertige.

Maiselleseforçaàmonter.Unemarcheaprès

l’autre.

Elena,jet’aime!

LesderniersmotsdeStefanrésonnèrentdans

satêtecommes’ilétaitjusteàcôtéd’elle.

«Unemarcheaprèsl’autre.»

Sesjambeslafaisaientterriblementsouffrir.

«Pasd’excuse.Continue,net’arrêtepas.Situ

nepeuxplusmarcher,rampe.»

Etc’estenrampantqu’ellearrivaenfinenhaut,

danslatanièreduloup,ouplutôtdansleniddu

hibou.

Lajeunefemmequil’accueillitétaittoujours

aussijolie,quoiqueinsipide.Elenacompritd’ailleurs

pourquoisabeautéétaitsifade:ellen’avaitpasla

vigueurd’unanimal.Aufond,ellen’étaitqu’une

plante.

—Jevaisvoustuer,voussavez.

Uneplantecarnivore,pourêtreprécis.

Elenaregardaautourd’elle.D’oùellesetenait,

ellevoyaitau-dehorsmalgréledômed’étagères

interminablesrempliesdesphèresquifaussaitses

repères.

Iln’yavaitpasdelianes,nideroncesoude

fleurstropicalesici.Elenasetenaitaucentredela

pièce,etBlodweddprèsdesessphèresd’étoiles.

Lacléétaitforcémentcachéeici.

—Jenesuispasvenuevousvoler,promit

Elena,lecœurbattant.

Toutendisantcela,elleplongealesdeuxbras

aufonddunid.

—Ceskitsunenousontjouéunsaletour.Ils

m’ontprisquelqu’unetontcachélaclédesacellule

dansvotrenid.Jereprendsjustecequ’ilsontvolé.

—Mauditeesclave!Barbare!Vousosezvioler

monintimité!Dehors,onsaccagemabellesallede

bal,mesprécieusesfleurs!Cettefois,vousnevous

entirerezpascommeça!Vousallezmourir!

Cen’étaitplusdutoutlavoixblancheet

nasillardequiavaitaccueilliElena.C’étaitunevoix

puissante,grave…

…unevoixquiallaitaveclatailledémesuréedu

nid.

Elenarelevalatêtemaiseutdumalàdéchiffrer

cequ’ellevit:ungigantesqueplumageauxmotifs

étranges?Ledosd’uncolossalanimalempaillé?

L’immensecréatureseretourna.Ou,plutôt,sa

têtepivotaalorsquesondosrestaitparfaitement

immobile.Levisagequ’Elenadécouvritétaitencore

plushideuxetindescriptiblequetoutcequ’elle

auraitpuimaginer.D’unboutàl’autredufront,une

sorted’épaissourcilcreusaitunVsurl’arêtedunez

(dumoinslàoùauraitdûsetrouverlenez),abritant

deuxgrosyeuxjaunesglobuleuxquiclignaientsans

arrêt.Deboucheetdeneztelsqu’enavaientles

humains,rien.Àlaplace,ungrosbecnoircrochu.Le

resteduvisageétaitcouvertdeplumes,blanches

pourlaplupart,marbréesdegrisauxpointes,àla

jonctionsupposéeducou.Deuxtouffesdeplumes

identiquessedressaientausommetdesatête.

«Commedescornesdedémon»,pensaElena.

Sansquelatêtelaquittedesyeux,lecorps

pivotaàsontour.C’étaitceluid’unefemmerobuste,

couvertdeplumesblanchesetgrisonnantessous

lesquellesonentrevoyaitdesserres.

—Bonsoir,rugitlacréatured’unevoix

grinçante.

Lebecs’ouvritetserefermad’uncoupsec.

—VousêtesicichezBlodwedd,etjamais

personnen’aétéautoriséàpénétrerdanscette

pièce.Vousallezdoncmourir.

Elenaavaitbienunerépliqueoudeuxquilui

brûlaientleslèvres,parexemple:Est-cequ’onpeut

aumoinss’expliquer,avant?Maisellen’avaitpas

enviedejouerleshéroïnes.Ellenevoulaitsurtout

pasmettreBlodweddaudéfimaintenant,alors

qu’elleétaitconvaincuedetoucheraubut:laclé

n’étaitpasloin,ellelesavait.

Toutentâtonnantlesparoisdunid,elle

expliquaunenouvellefoislesraisonsdeson

intrusion,maisBlodwedddéployabrusquementde

gigantesquesailesquicouvrirenttoutelapièceet

commencèrentàserefermersurElena.

Toutàcoup,surgissantcommeunéclair,

quelquechosepassaenflècheentreellesen

poussantuncrirauque.

LefaucondeSage.

Sonmaîtreavaitdûluidonnerdesinstructions

avantdepartir.

Lehiboueutl’airdesereplierunpeusurlui-

même…pourmieuxattaquer.

—Jevousenprie:jen’aipasencoretrouvéce

quejecherchais!Maisjevousassurequ’ilya

quelquechosedansvotrenidquin’apassaplaceici.

Cetobjetm’appartient…Leskitsunel’ontcachéla

nuitoùvouslesavezchassésdevotrepropriété.

Vousvoussouvenez?

Blodweddneréponditpastoutdesuite.Puis

elleénonçaunraisonnementassezsimpliste:

—Quimetlespiedsdansmesquartiersprivés

meurt.

Cettefois,quandlehiboupassadevantelleen

piqué,Elenaentenditleclaquementdesonbec.

Mais,làencore,unepetiteformeluisantefonditsur

luienvisantlesyeux.L’énormehiboudutdélaisser

Elenapourl’affronter.

Ellerenonçaàessayerdesedébrouillerseule.

Parfois,ilfautsavoiraccepteruncoupdemain.

—Serre!s’écria-t-elle,sanstropsavoirsile

fauconcomprenaitvraimentlelangagedeshommes.

Essaiedel’occuper…justeuneminute!

Tandisquelesdeuxoiseauxtournoyaienten

poussantdescrisperçants,ellesemitàfouillerle

nid,baissantvivementlatêtequandillefallait.Le

grosbecnoirnecessaitdeserapprocher;ilréussit

mêmeàluifaireunebelleentailleaubras.Maiselle

avaitunetellemontéed’adrénalinequ’ellenesentit

quasimentrien.Ellecontinuadecherchersans

relâche.

Finalement,ellefitcequ’elleauraitdûfaire

depuisledébut.Ellesaisitunesphèresursonsocle

transparent.

—Serre!Attrape!

Lefaucondescenditenpiquédanssadirection,

puisunbruitsecretentit.Elenaréalisaqu’elleavait

toujourstoussesdoigts,maislehoshinotamadans

sesmainsavaitdisparu.

Blodweddpoussaalorsunvraicridefureur.

L’énormehibousemitàpourchasserlefaucon;on

auraitditunhumainessayantd’écraserune

mouche.

—Rends-moicettesphère!C’esttrès

précieux!

—Dèsquej’auraitrouvécequejecherche!

Mortedepeurmaisgalvaniséeparl’adrénaline,

Elenagrimpaàl’intérieurdunidetsemitàpalper

lefond.

Serreluisauvadeuxfoislamiseenlâchant

d’autressphèresquis’écrasèrentausolavecfracas,

détournantainsil’attentiondel’énormehibouqui

plongeaitsurelle.

Elenacommençaitàavoirlepressentimentde

s’êtretrompéesurtoutelaligne.

Quand,quelquesminutesplustôt,elles’était

appuyéecontreunpilierduchapiteaupour

reprendresonsouffleetqu’elleavaitlevélesyeux

verslesfenêtresdelabibliothèque,lacléde

l’énigmeluiavaitpourtantparulimpide.

LabibliothèqueprivéedeBlodwedd…

Unebibliothèquequirenfermaitdessphères

d’étoiles…

Dessphèresd’étoilesenformedeballes

translucides…

Unesalle…deballes…

LasalledebaldeBlodwedd.

Deuxmotsidentiquesàl’oral,maisauxsens

différents.Deuxsallesquin’avaientdoncrienen

commun.

Toutàcoup,ellesentitunepiècedemétalsous

sesdoigts.

37.

—Serre!…heu,aupied!criaElena.

Ellesemitàcouriràtoutevitessepoursortirde

labibliothèque.C’étaitunestratégie:est-cequele

hibourapetisseraitpourpasserlaporteouest-ce

qu’ildétruiraitsonsanctuaire?

C’étaitunebonnestratégie,maisquifinalement

neluiapportapasgrand-chose.Blodweddrétrécit

littéralementàvued’œil,sortitencoupdeventde

lasalleetrepritensuiteunetaillemonstrueusepour

rattraperElenaquidévalaitl’escalier.

Canalisanttoutsonpouvoirdanssavision,elle

bondissaitd’unemarcheàlasuivantecommel’avait

faitDamon.Cen’étaitpluslemomentd’avoirpeur

ouderéfléchir.C’étaitlemomentdeserrerde

toutessesforceslapetiteclédureenformede

croissantqu’elletenaitdanssonpoing.

ShinichietMisaoétaientdoncbeletbien

venusici.

Ildevaityavoiruneéchelleenverreouun

dispositiftransparentquemêmeDamonn’avaitpas

vu,danslemassifoùSabres’étaitmisàaboyer.

Non,çan’auraitpaspuluiéchapper,leskitsune

avaientdûapporterleurpropreéchelle.

Voilàpourquoileurpistes’arrêtaitàcetendroit.

Ilsavaientescaladéjusqu’auxfenêtresdela

bibliothèque.Etsaccagélemassifd’hortensiasau

passage,cequiexpliquaitl’étatdesnouvelles

pousses:Elenasavait,grâceàsatanteJudith,que

lesplantesrepiquéesmettaientunmomentà

refleurir.

Ellecontinuasacoursefolle.

JesuisleFeu.Riennepeutm’arrêter.

Quandlebasdel’escalierseprofilaenfin,elle

essayadefreiner,mais,emportéeparsonélan,elle

s’étaladetoutsonlong.Cependant,àaucun

momentellenefaillitlâcherlaclé.

Ungigantesquebecpulvérisaunemarcheen

verreoùellesetrouvaitquelquessecondesplustôt,

etdesserresluiratissèrentledos.

Blodweddlapourchassait.

***

Sageetsongroupedevampiresroulaientà

toutevitesse,essayantdesuivreSabrequiétait

lancéautriplegalop.Lechienrencontraitlui-même

desobstacles,maisheureusementpeudegens

semblaientavoirenviededéclencherunebagarre

contreunmolossequipesaitsûrementpluslourd

quebonnombredesmendiantsetdesenfantsqu’ils

croisèrentenarrivantaubazar.

Lesenfantss’attroupèrentautourducocheet

commencèrentàlesralentir.Sagepritletemps

d’échangerunbijoudevaleurcontreunebourse

rempliedepetitemonnaie,etdispersalespièces

derrièreeux,permettantainsiàSabred’être

complètementlibredesesmouvements.

Ilspassèrentdevantdesdouzainesd’étalsetde

rues,maisSabren’étaitpasunlimierordinaire.Sa

forcesurnaturelleluipermettaitdedémasquerla

plupartdesvampireset,enl’occurrence,detraquer

saciblelesnarinesimprégnéesd’àpeinedeux

moléculesolfactivesdelaclé.Alorsqu’unautre

chienseraitsansdoutedupéparlescentainesde

pistesdekitsunequ’ilscroisaient,Sabreexaminait

etrejetaitsystématiquementcellesquin’avaient

pasexactementlaforme,latailleoulereliefqu’il

cherchait.

Cependant,arrivaunmomentoùmêmelui

parutdépassé.Aumilieud’uncarrefouràsixvoies,

insouciantdelacirculation,pantelant,Sabresemità

tournerenrond.Manifestement,ilnesavaitplus

quelleroutesuivre.

«Etmoinonplus,monami,songeaSage.Ona

faitduchemin,maisvisiblementleskitsunesont

allésencoreplusloin.Pasd’issuedanslesairsou

sousterreapriori…»Ilhésita,observantlesroutes

pourpresquipartaientenétoileautourdelui.

Subitement,unedevantureattirasonattention.

Justeenface,sursagauche,ilyavaitune

parfumerie.Elledevaitvendredescentainesde

parfums,etdesmilliardsdemoléculesodorantes

étaientdisperséesdansl’atmosphère.

Sabreétaitaveuglé.Nonpassesyeuxnoirs,

limpidesetperçants.Danslecasprésent,c’étaitson

flairquiétaitannihiléparcetteexplosiond’odeurs.

Lesvampiresdanslavoiturecriaientde

continueroudefairedemi-tour.Ilsn’avaientpasle

goûtdel’aventure,eux.Toutcequilesintéressait,

c’étaitlespectacle.Aucundoutequecertains

avaientfaitenregistrerlaséquencedufouetpar

leursesclavespourenprofiteràleurguisechezeux.

Àcetinstant,unéclairbleuetdorédécidaSage.

UneSentinelle.

—Sabre,aupied!

Laqueuebaisséeetlatêtepenchée,lechien

regardasonmaîtrechoisirunedesdirectionsetle

fairecouriràleurscôtéspours’engouffrerdansune

rue.

Etlà,parmiracle,saqueueseredressa.Sage

pensaitque,àcestade,ilnedevaitplusresterune

seuletracedelapistedeskitsunedanssonodorat…

…maisilcompritqueSabreavaitgardéle

souvenirdeleurodeur.

Lechienseremitenpositiondechasseur,la

truffeaurasdusol,laqueuedroite,concentrant

toutlepouvoirsurnatureletl’intelligencequi

l’animaientversunseuletuniqueobjectif:trouver

unemoléculequicorrespondraitausouvenirqu’il

avaitentête.Maintenantqu’ils’étaitéloignéde

cetteconcentrationagressived’odeurs,ilavaitles

idéesplusclaires.Et,defait,ileutlabonneidéede

sefaufilerentrelesrues,semantlaconfusion

derrièrelui.

—Qu’est-cequ’onfaitdelavoiture?

—Ons’enfiche!Neperdezpaslechiendevue!

Sage,quiavaitlui-mêmedumalàsuivrele

rythmedeSabre,savaitquandunecourse-

poursuitetouchaitàsafin.Doucement,pensa-t-ilà

l’attentiondesonchien.Iln’avaitjamaisvraiment

suaveccertitudesisesdeuxcompagnonsderoute

étaientmédiums,maisilseplaisaitàlecroire,tout

enfaisantcommesicen’étaitpaslecas.

«Doucement»,serépéta-t-il.

Sansfairedebruit,l’énormechiennoirau

regardperçantgravitavecsonmaîtrelesmarches

d’unimmeubledélabré.Puis,commes’ilvenaitde

faireunebonnebalade,ils’assitl’aircontent,et

regardaSageenattendantsesinstructions.

Cedernierattenditquelesvampiresles

rejoignentavantd’entrer.Pourpréserverl’effetde

surprise,ilnefrappapas,etfracassalaported’un

violentcoupdepoing,cherchantàtâtonslesverrous

etleschaînesdel’autrecôté.Iln’entrouvaaucun.

Parcontre,samainheurtaunepoignée.

Avantd’ouvrirlaporteetd’affronterl’éventuel

dangerquilesattendait,ils’adressaaugroupedans

sondos:

—Quelquesoitnotrebutin,ilappartientau

maîtreDamon.Jesuissonlieutenantetc’est

uniquementgrâceautalentdemonchienqu’onest

arrivésjusqu’ici.

Unmurmurefavorablesefitentendre,allantdu

grognementàl’indifférence.

—Demême,quelquesoitledangerprésent

derrièrecetteporte,ajoutaSage,j’yferaifacele

premier.Àtoidejouer,Sabre!

Ilsfirentirruptiondanslapièce,arrachant

presquelaportedesesgonds.

***

Elenapoussaunhurlementmalgréelle.

BlodweddvenaitdefaireceàquoiDamons’était

refusé:marquersondosdesillonssanglants.

Mais,alorsmêmequ’elleréussissaitàtrouverla

porteenverrequiaccédaitaujardin,ellesentit

mentalementdeuxprésencesdéferlerenelle,

prêtesàlasoutenir,àl’apaiseretàendosserune

partiedesessouffrances.

BonnieetMeredithavançaientavecprécaution

parmilesénormeséclatsdeverrepourlarejoindre.

Elleshurlèrentenapercevantlehibou,etSerre,

toujourshéroïque,continuadelepourchasser.

Elenanepouvaitplusattendre.Ilfallaitqu’elle

lavoie.Qu’ellesachequecettesensationmétallique

danssamain,cetobjetqu’elleavaittrouvédansle

niddeBlodweddétaitbiencequ’ellecherchait.Il

fallaitqu’ellelesachemaintenant.

Frottantlepetitmorceaudemétalsursa

malheureuserobeécarlate,ellepritunmoment

pourl’examineretvoirlalumièreflamboyantedu

soleilscintillersursatigeenor,sesdiamants,ses

deuxpetitesoreillesaplatiesenarrièreetsesdeux

yeuxvertvifenalexandrite.

Unecopieconformedelapremièremoitiéde

clé,maisorientéedansl’autresens.

Elenasentitsesjambesàdeuxdoigtsdela

lâcher.

Elletenaitlasecondemoitiédeclé!

Rapidement,elleplongeasonautremaindansla

petitepochesoigneusementconçuederrière

l’incrustationdediamantdesarobe.Elledissimulait

unetoutepetiteboursecousueparladyUlma.À

l’intérieursetrouvaitlapremièremoitiédeclé,

qu’elleavaitprissoinderangerdèsqueSageet

Sabren’enavaientpluseubesoin.Englissant

maintenantlasecondemoitiédecléàcôtédela

première,ellefutstupéfaitedesentirquelquechose

bouger.Lesdeuxmorceauxdecléseseraient-ils…

emboîtés?

Unénormebecnoirs’écrasacontrelemurà

côtéd’elle.

Sansréfléchir,Elenabaissalatêteetroulasur

lecôtépourl’esquiver.Lorsquesesdoigtsse

posèrentsursarobepours’assurerquelapoche

étaitbienfermée,elleeutlasurprisedereconnaître

uneformeàl’intérieur.

Cen’estpasuneclé?

Cen’estpasuneclé!

L’universsemitàtourbillonner.Plusrienne

comptait,nil’objetnisaproprevie.Lesjumeaux

maléfiqueslesavaientpiégés,ilss’étaientjouésdes

stupidesmortelsetduvampirequiavaientoséleur

tenirtête.Ladoubleclédekitsunen’existaitpas!

Malgrétout,l’espoirrésista.C’étaitcomment,

déjà,ledictonitaliendeStefan?Maidiremai.Ne

jamaisdirejamais.Conscientedurisquequ’elle

prenait,conscientequ’elleétaitfolledeleprendre,

Elenaenfonçadenouveausondoigtdanslapoche.

Unobjetrondetfroidseglissadessusetne

bougeaplus.

Elleressortitsondoigt,baissalesyeuxet,

l’espaced’uninstant,restafigéefaceàsa

découverte:unanneaud’orincrustédediamants

luisaitàsonannulaire.Ilreprésentaitdeuxrenards

entrelacésregardantdanslamêmedirection.Ils

avaientchacundeuxoreilles,deuxyeuxvertsen

alexandriteetunetruffepointue.

C’étaittout.Enquoiunebreloquepareille

pourrait-elleêtreutileàStefan?Çaneressemblait

enrienauxclésailéesmontréessurlesphotosde

kitsunegardantdessanctuaires.

Vousparlezd’untrésor;c’étaitmillefoismoins

précieuxquetoutletempsqu’ilsavaientpasséàle

trouver!

Mais,soudain,Elenaremarquaquelquechose.

Unevivelueurbrilladanslesyeuxd’undes

renards.Siellen’avaitpasregardél’anneaudesi

prèsousiellenes’étaitpastrouvéeàcetinstant

danslaSalleBlanche,oùl’éclairageétaitnaturel,elle

n’auraitpeut-êtrejamaisrienremarqué.L’éclatse

projetadroitdevantelle,etc’étaientmaintenantles

deuxpairesd’yeuxquibrillaient.

Lefaisceaupointaitprécisémentendirectionde

lacelluledeStefan.

Ellesentitl’espoir,telunphénix,renaîtredans

soncœur,etsespenséessemirentàvagabonder

horsdecelabyrinthedeverre.Lamusiquequi

résonnaitdanslasalleétaitunevalsedeFaust.Loin

dusoleil,aucœurdelaville,Stefanl’attendait.Et

c’étaitcettedirectionqu’indiquaitlefaisceauvert

pâledanslesyeuxdesrenards.

Exaltée,Elenatournal’anneau.Lalueur

s’évanouitenclignotant,mais,quandellele

retournaànouveaudetellefaçonqu’ilsoitaligné

surlacelluledeStefan,lefaisceauréapparut.

Combiendetempsaurait-ellepasséaveccet

anneausanssavoirquoienfairesiellen’avaitpas

déjàsuoùsetrouvaitlaprisondeStefan?Plusque

cequiluirestaitàvivre,sansdoute.

Àellemaintenantderesterenviepourpouvoir

lelibérer.

38.

Elenasefrayauncheminàtraverslafouleense

sentantl’âmed’unsoldat.Elleignoraitpourquoi.

Peut-êtreparcequedepuisledébutelles’était

considéréecommeenmission,qu’elleavaitréussià

l’accomplir,àsurvivreetàramenerunbutin.Peut-

êtreparcequ’elleportaitdesblessuresdeguerre.

Peut-êtreparcequ’au-dessusd’elleplanaittoujours

lamenacedel’ennemi,avidedesonsang.

«D’ailleurs,j’ypense:jeferaisbiendefaire

évacuertouscescivils,songea-t-elle.Ilfaudraitles

mettreenlieusûr,dansdeszonesderefuge,et…»

Maisoùavait-ellelatête?Descivils?Enlieu

sûr?Pourquoicesformulestoutesfaites?Elle

n’étaitpasresponsabledecesgens,desimbéciles

pourlaplupart,quiétaientrestésàsaliveren

comptantsescoupsdefouet.Malgrétout…peut-

êtrequ’elledevraitlesfairepartir…

—Blodwedd!hurla-t-ellebrusquement.

Pointantdudoigt,elleindiquaàlafoulela

silhouettequitournoyaitdansleciel.

—Blodwedds’estéchappée!Regardezce

qu’ellem’afait!dit-elleenmontrantleslacérations

danssondos.Ellevas’enprendreàvousaussi!

Audébut,laplupartsemblèrentprotesterparce

quesondosétaitdésormaismarqué.Elenan’était

pasd’humeuràdiscuter,tantpispoureux.

Pourl’heure,iln’yavaitqu’unepersonneàqui

ellevoulaitparler.SuiviedeprèsparBonnieet

Meredith,elletentadelacontacter.

Damon,c’estmoi!Oùes-tu?

Leréseautélépathiqueétaitsisaturéqu’elle

doutaitqu’ill’entende.

Maisellefinitparcapteruneréponse,àpeine

audible.

Elena?

…Oui…

Elena,cramponne-toiàmoi.Imaginequetu

metiensphysiquement,etjevaisnousfairepasser

surunautrecanal.

Secramponneràunevoix?Pasévident.

Cependant,elles’imaginatenirfermementDamon

toutenserrantlesmainsdeBonnieetdeMeredith.

Tum’entendsmieux,maintenant?Cettefois,la

voixétaitbeaucoupplusnette,plusforte.

Oui,maisjenetevoisnullepart.

Moi,si.J’arrive…ATTENTION!

L’intuitiond’Elenal’avertittroptardqu’une

ombregigantesqueplongeaitdroitsurelle,etelle

n’auraitpaseuletempsd’esquiverlebecaussigros

qu’unemâchoired’alligatorquiclaquaitau-dessus

d’elle.

Maisc’étaitcomptersanslarapiditédeDamon.

Surgissantàsescôtés,ilattrapalestroisamiesà

pleinbrasetlesprojetaàterreenroulantsurle

côté.

—Pasdeblessé?demanda-t-ilaussitôt.

—Non,çava,réponditMeredith,calmement.

Maisjecroisquejetedoislavie.Merci,Damon.

—Bonnie?demandaElena.

Çava.Jeveuxdire…

—Çava,répéta-t-elleàvoixhaute.Maiston

dos…

DamonfittournerElenaetdécouvritses

marques.

—C’est…c’estmoiquiaifaitça?Maisje

croyais…

—Non,c’estBlodwedd.

Ellecherchaduregarduneformedécrivantdes

cerclesdanslecielrougefoncé.

—Ellem’ajusteeffleurée.Seulement,ses

serressontdevraispoignards.Ilfautqu’onparte!

Damonlapritparlesépaules.

—Etonreviendraquandçaseseracalmé,tu

veuxdire?

—Non,onnereviendrajamais!Ohnon,la

voilà!

Ducoindel’œil,elleaperçutuneformequi

arrivaitdroitsureuxàvitessegrandV.Enunrien

detemps,ilssedispersèrentdanstoutesles

directions,sejetantàterre,roulantoucourantpour

essayerdes’échapper,exceptéDamonquiattrapa

Elenaencriant.

—C’estmonesclave!Sivousavezunproblème

avecelle,c’estavecmoiqu’ilfautendébattre!

—EtmoijesuisBlodwedd,néedelamagiedes

dieuxetcondamnéeàtuerchaquenuit.Jevous

abattraid’abord,avantdedévorercettevoleuse!

répliqual’énormehiboudesavoixrauque.Jen’en

feraiqu’unebouchée!

Damon,attends,ilfautquejetedisequelque

chose!

—Jemebattrai,maislaissezmonesclaveen

dehorsdeça!

—C’estl’heuredemondéjeuner!

Damon,ilfautqu’onparte!

Soudain:hurlementdedouleuretderage.

Damons’étaitaccroupi,unénormeéclatde

verredanslamainqu’iltenaitcommeuneépée,et

degrossesgouttesnoiresdesangcoulaientde…

«C’estpasvrai!compritElena.Ilaarrachéun

œilàBlodwedd!»

—VOUSALLEZTOUSMOURIR!

Blodweddfonditauhasardsurundesvampires

justeendessousd’elle,etElenahurlaenmême

tempsquelepauvrehomme.Ilfutemportélatête

enbas,lajambecoincéedanslegrosbecnoir.

Damonlespoursuivit,bondissantetcinglant

l’airdesonmorceaudeverre.Dansuncridefureur,

Blodweddlâchasaproieets’envoladenouveau.

Àprésent,toutlemondeétaitconscientdu

danger.Deuxvampiresseprécipitèrentpour

récupérerleurcamarade,etElenafutbiencontente

qu’elleetsesamisn’aientpasuneautrevieà

protéger:ilsavaientdéjàassezdeproblèmessurles

bras.

Damon,faiscequetuveux,maismoijedoisy

aller.J’ailaclé.

Elenatransmitsapenséeviaunefréquencesur

laquelleilsétaientplusoumoinsseuls,sansaucun

étatd’âme.Ellen’enavaitplus.Onl’avaitdépouillée

detout,saufdesonbesoinderetrouverStefan.

Cettefois,ellesavaitqueDamonl’avait

entendue.

Audébut,ellecrutqu’ilétaitentraindemourir,

queBlodweddétaitrevenueetqu’elleavaitréussià

transpercersoncorpsdepartenpart,laissantun

troubéantdelumière.Puis,littéralementextasiée,

elleserenditcomptequecen’étaitqu’une

impressionetelleagrippalesdeuxpetitesmainsqui

jaillirentdelalumière,tenduesverselle,libérantun

enfantmaigreetdéguenillémaissouriant.

«Iln’aplusdechaînes,constata-t-elle,prisede

vertige.Mêmepasdebraceletsd’esclave!»

—Monpetitfrèrevavivre!

—C’est…unebonnenouvelle,dit-elle,

bouleversée.

—Ilvavivre!

Unlégerfroncementridalefrontdel’enfant.

—Maisilfautquetutedépêches!Prendsbien

soindelui!Et…

Elenaposadeuxdoigtssurseslèvres,très

doucement.

—Net’enfaispaspourça.Soisjusteheureux.

Lepetitgarçonsemitàrire.

—Jeleserai!Jelesuisdéjà!

—Elena!?

Elenafuttiréedeson…decequiavaitsans

douteétéunevaguepertedeconnaissance,maisqui

luiavaitpourtantparuplusréellequetoutesles

expériencesqu’elleavaitvécuesdernièrement.

—Elena!

Damonessayaitdésespérémentdesedominer.

—Montre-moilaclé!

D’ungestelentetmajestueux,Elenasortitla

clé.

Damonseraidit,l’air…déçu.

—C’estunanneau,commenta-t-ild’unton

morne,nullementimpressionné.

—C’estcequej’aicruaussiaudébut.Maisc’est

uneclé.Jenetedemandepasdemecroireet

encoremoinsdelavoir:jeteledis,c’estuneclé.La

lumièreprojetéeparsesyeuxindiqueoùsetrouve

Stefan.

—Quellelumière?

—Jetemontreraiplustard.Bonnie!Meredith!

Onyva!

—PASTANTQUEJENEVOUSYAURAIPAS

AUTORISÉS!

—Attention!hurlaBonnie.

Lehiboupiquaunefoisdeplusverseux.Etune

foisdeplus,àladernièreminute,Damonpritles

troisfillesdanssesbrasetlesprojetasurlecôté.Le

becseplantanonpasdansl’herbenidansles

tessonsdeverremaisdansl’escalierenmarbre,qui

selézardaaussitôt.Blodweddpoussaunpremiercri

dedouleur,puisunsecondquandDamon,souple

commeunchat,s’attaquaàl’œilquiluirestait,

entaillantsapaupière.L’œilgigantesquecommença

àseremplirdesang.

C’enétaittroppourElena.Depuisledépart

avecDamonetMatt,elleétaitcommeunecoupequi

seremplissaitdecolère,lentementmaissûrement.

Goutteàgoutte,àchaquenouvellecruauté,lacolère

qu’elleéprouvaitsedéversaitdedans.Aujourd’hui,

safureurétaitsurlepointdefairedéborderla

coupe.

Enmêmetemps…quesepasserait-ilsielle

explosait?

Ellepréféraitnepaslesavoir.Elleavaitpeurde

nepass’enremettre.

Maislefaitestqu’ellenesupportaitplusle

spectacledeladouleur,dusangetdelatorture.

Damonprenaitréellementplaisiràsebattre.Eh

bien,soit.Qu’ilreste.Elle,elleallaitchercherStefan,

mêmesielledevaitfairetoutlecheminàpied.

MeredithetBonnienedirentrien.Elles

connaissaientElenaquandelleétaitdanscetétat.

Elleneplaisantaitpas.Etellesn’avaientpasdutout

enviequ’elleleslaisselà.

Àcetinstantprécis,uncochearrivaavecfracas

aupieddel’escalierenmarbre.

***

Sage,pourquimanifestementlanature

humainen’avaitpasdesecrets,àl’instardecelle

desdémons,desvampiresetdetoutessortesde

créatures,sautadelavoitureenbrandissantdeux

épées.Puisilsifflaet,enuninstant,uneombre,

petitecelle-là,jaillitcommeunéclairdansleciel,

voltigeantdanssadirection.

Puislentement,étirantd’abordchaquepatte

commeunlion,Sabrearrivaetretroussa

immédiatementlesbabinespourmontrerses

innombrablescrocs.

Seprécipitantverslavoiture,Elenacroisale

regarddeSage.Aide-moi,luisouffla-t-elle.La

réponsedanslesyeuxduvampirenelaissaaucune

placeaudoute:Necrainsrien.

Elletenditlesmainsdanssondossansse

retourner.Unepetitemainauxosfinset

légèrementtremblanteseglissadanslasienne.Puis

unedeuxième,fraîcheetfermecommeunepoigne

d’homme,maisauxdoigtsfuselés,saisitsonautre

main.

Personnen’étaitdignedeconfianceici.

Personneneméritaitd’adieux.Elenasehissadans

lavoitureets’assitsurlabanquettearrière,toutau

fond,pourlaisserdelaplaceàsesamies.

ElleavaitentraînéBonnieetMeredithavait

suivi,desorteque,quandSabrebonditsursaplace

deprédilection,ilatterritsurtroispairesdegenoux.

Sageneperditpasuneseconde.Ilmontaavec

Serreagrippéàsonpoignetgauche,etlaissajustece

qu’ilfallaitdeplacedanslacabinepouraccueillirle

sautfinaldeDamon.Etquelsaut!Fenduetcassé,

suintantd’unliquidenoir,lebecdeBlodwedd

heurtaladernièremarchedel’escalieroùDamonse

trouvaitunedemi-secondeplustôt.

—Oùest-cequ’onva?criaSagetandisqueles

chevauxs’élançaientaugalop.

—Pitié,faitesqu’ellenefassepasdemalaux

chevaux!gémitBonnie.

—Pitié,faitesqu’ellenepercepascetoit

commeunvulgairemorceaudecarton,ajouta

Meredith.

Bizarrement,mêmequandsavieétaiten

danger,elleconservaitsonsensdel’humour.

—Oùest-cequ’onva?répétaSaged’une

grossevoix.

—Laprison!haletaElena.

Elleavaitl’impressionqueçafaisaitune

éternitéqu’ellen’avaitpasrespirécorrectement.

—Laprison?s’étonnaDamon,l’airdistrait.

Maisoui!Laprison,biensûr!

Àsespieds,unsacdetoilesemblableàune

grossetaied’oreillerétaitposé,manifestement

remplidepetitesboulesdebillard.

—Sage,c’estquoi,ça?demanda-t-ilenla

soulevant.

—Lebutin.Larécolte.Letrophée!

Tandisqueleschevauxviraientdansune

nouvelledirection,Sageajoutad’untonenjoué:

—Etregardeàtespieds,ilyenad’autres!Je

nem’attendaispasàunegrosseprisecesoir,mais

leschosesontfinalementbientourné!

Dansl’intervalle,Elenas’étaitbaisséepour

examinerundessacs.Ilétaitpleinàcraquerde

boules,maispasdebillard,non:remplidehoshino

tamalimpidesetscintillantes.Dessphèresd’étoiles,

dessouvenirssansaucune…

—C’estinestimable!s’exclamaSage.

Savoixchangeasubtilement:

—Mais,biensûr,onnesaitpascequ’elles

contiennent.

Elenasesouvintdelamiseengardeconcernant

lessphères«interdites».Maisqu’est-cequi

pouvaitbienêtreinterditdanscemauditendroit?

Bonniefutlapremièreàs’emparerd’une

sphèreetàlaposercontresatempe.Songestefutsi

prompt,qu’Elenan’eutpasletempsdel’en

empêcher.

—Qu’est-cequetuvois?haleta-t-elleen

essayantd’écarterlasphère.

—Ondirait…delapoésie.Maisjen’y

comprendsrien,réponditBonnieavechumeur.

Meredithattrapaàsontouruneboule

scintillante.Làencore,Elenaréagittroptard.

Sonamierestaimmobileunmoment,commesi

elleétaitentranse,puisgrimaçaetreposalasphère.

—Alors?

Meredithsecoualatête,d’unairsensiblement

dégoûté.

—Qu’est-cequetuasvu?insistaElena,

presqueencriant.

Meredithvoulutposerlasphèreàsespieds,

maisElenasejetadessus.Ellelaplaquacontresa

tempeetseretrouvainstantanémentvêtuedecuir

noirdelatêteauxpieds.Deuxhommestrapuset

largesd’épaulessetenaientfaceàelle;ilsn’avaient

pasbeaucoupdetonus,vuleurspostures.Et,sielle

voyaitsibienleurmusculature,c’estparcequ’ils

étaienttoutnus,exceptionfaitedeleursguenilles,

semblablesàcellesdemendiants.Saufquece

n’étaientpasdesmendiants;ilssemblaientbien

nourrisetgras,etilétaitévidentque,quandl’un

d’euxsemitàplatventre,c’étaitducinéma:«Ô

maître,nousimploronsvotrepardon.Pardond’être

entréssanspermission!»

—Quelintérêtd’avoirgardéunsouvenir

pareil?

Elenaallaitécarterlasphèredesatempe(elles

secollaientfacilementàlapeausionappuyaitun

peu)quanduneautresilhouettecaptasonattention.

Unepetitefille,vêtued’habitsmodestesmais

pasmisérables.Ellesemblaitterrifiée;Elenase

demandatoutdesuitesielleétaitsousla

dominationdequelqu’un.

PuisElenas’aperçutquecettepetitefille,c’était

elle.

Pitié-faites-qu-il-ne-m-attrape-pas-pitié-

faites-qu-il-ne-m-attrape-pas…

Quiveutt’attraper?demandaElenasans

pouvoirseretenir.Maisc’étaitcommeregarderun

personnagedefilmentrerdansunemaisonisolée

sousunoragebattantavecunemusiquesinistreen

fond.LapetiteElenaquiavaitpeurnepouvaitpas

entendrel’autre,cellequiluiposaitconcrètement

unequestion.

«Jenecroispasquej’aieenviedeconnaîtrela

findel’histoire»,sedit-elled’untondécidé.Elle

reposalasphèred’étoilesauxpiedsdeMeredith.

—Ilyatroissacsdebutin?

—Oui,m’dame:troissacspleins.

Elenas’apprêtaitàajouterquelquechosequand

Damonl’interrompitd’unevoixcalme:

—Plusunsacvide.

—C’estvrai?Danscecas,essayonsderépartir

lestroisautres.Toutcequiestinterditvadansce

sac.Lesscènesbizarres,commelapoésiedeBonnie,

dansunautre.EttoutcequiconcerneStefanoul’un

denous,dansletroisième.Quantauxjolis

souvenirs,unebellejournéed’étéparexemple,on

lesmetdanslequatrième.

—Personnellement,jetetrouvetrèsoptimiste,

ditSage.Espérertrouverunesphèreavecune

imagedeStefanaussivite…

—Chut,toutlemonde!lescoupasubitement

Bonnie.C’estShinichietMisaoquiparlentdans

celle-ci.

Sageseraidit,commes’ilvenaitd’êtrefrappé

parlafoudrequizébraitlecielorageuxau-dessus

d’eux,puisesquissaunsourire.

—Quandonparleduloup…

Elenaluisouritetserrasamaindoucement,

avantdeprendreuneautresphère.

—Ondiraitquecelle-làparledequestions

juridiques,maisjen’ycomprendsrien.Elledevait

apparteniràunesclave,carj’envoispleind’autres

autourdelui.

Mêmesicen’étaitqu’uneimagevirtuelle,elle

sentitsonvisagesecrisperdehaineenvoyant

apparaîtreShinichi,cekitsunedémoniaquequileur

avaitfaittantdemal.Sescheveuxétaienttoujours

noirs

comme

l’ébène,

excepté

les

pointes

irrégulièresquisemblaientavoirététrempéesdans

delalavebrûlante.

Àcôtéd’unhommequiavaittoutl’aird’un

avocat,Misaoapparutaussi:lasœurdeShinichi…

prétendument.

«Misao…,murmura-t-elle.Délicate,déférente,

disciplinée…diabolique.»Lamêmechevelureque

Shinichi,maisattachéeenqueue-de-cheval.Son

côtédiaboliqueressortaitsurtoutdanssesyeux.Ils

étaientpétillants,dorés,rieurs,commeceuxdeson

frère;desyeuxquin’avaientjamaisconnuunseul

regret,saufpeut-êtreceluidenepasavoirassez

assouviunevengeance.Ilssefichaientdetout.Pour

eux,lasouffranceétaitunjeu.

Alorsquelquechosed’étrangeseproduisit.Les

troissilhouettesdanslapièceseretournèrent

subitementenregardantdroitverselle.«Droitvers

lapersonneàquiappartenaitcesouvenir»,se

repritaussitôtElena;c’étaittrèstroublant.

Çalefutencoreplusquandilssemirentà

avancer.«Quisuis-je?»sedemanda-t-elle,prise

d’angoisse.Alorselleserisquaàunemanœuvre

qu’ellen’avaitjamaisexécutée,jamaisvufaireou

dontpersonneneluiavaitparlé.Elleétenditson

pouvoirpourpénétrerlespenséesdel’individu.Son

nométaitWerty,unesortedesecrétaired’avocat.

Il/elleprenaitdesnotesquanddesmarchés

importantsétaientconclus.

EtWertyn’aimaitvraimentpaslatournureque

prenaientlesévénements.Lesdeuxclientsetson

patronquiserapprochaientdelui/elledecette

façon,commeilsnel’avaientjamaisfait…

Elenas’arrachaàcettevisionetposalasphèreà

côtéd’elle.Elletremblait,commesionl’avait

pousséedansunbainglacé.

Brusquement,letoitdelavoitures’effondra

avecfracas.

Blodwedd.

Malgrésonbecestropié,l’énormehibouarracha

unbonmorceaudutoit.

Toutlemondesemitàcrier,etpersonnenefut

trèsefficace.SeulSabrebonditdestroispairesde

genouxsurlesquelsilétaitcouchépourmordreune

despattesdeBlodwedd.Illatorditetlasecouadans

touslessens,avantdelâcherpriseetderetomber

lesquatrefersenl’airdanslacabine.Elena,Bonnie

etMeredithattrapèrentlepremiermorceau

d’anatomiecaninequileurtombasouslamainpour

hisserl’énormechiensurlabanquette.

—

Poussez-le

!

pleurnicha

Bonnie,

en

contemplantleslambeauxderobenacréesurses

cuisses.

Enbondissant,Sabreavaitlacéréletissude

tulleetlaissédeszébruresrougesaupassage.

—Laprochainefois,ilfaudraqu’ondemande

desjuponsenacier,soupiraMeredith.Enmême

temps,j’espèrevraimentqu’iln’yaurapasde

prochainefois!

Intérieurement,Elenapriapourquesonvœu

soitexaucé.Blodweddrasaitlesolàprésent,

sûrementdansl’espoird’arracherquelquestêtes.

—Jetez-luilesglobesdèsqu’elleseraplus

près!

Elenaespéraitquelavuedessphèresd’étoiles,

quiétaientvisiblementsonobsession,freineraitun

peuBlodwedd.

—Non,nelesgaspillezpas!criaSagepresque

enmêmetemps.Jeteztoutlerestemaispasles

sphères!Enplus,onestpresquearrivés.Un

derniervirageàgauche,etc’esttoutdroit!

Cesmotsredonnèrentdel’espoiràElena.«J’ai

laclé,pensa-t-elle.L’anneauestlaclé.Toutcequ’il

meresteàfaire,c’estlibérerStefan…etnousfaire

tous

sortir

de

cet

enfer

par

l’accès

multidimensionneldelaprison.Toutestdansle

mêmebâtiment.Onyestpresque!»

L’assautsuivantarrivadebeaucoupplusbas.

Unœilcrevé,l’autrepleindesang,etlessens

olfactifsbloquésparlesangséchédanssonbec,

Blodweddessayaitdepercuterlecochepourle

renverser.

«Sielleyarrive,onestmorts,seditElena.Et

elleseferaunmalinplaisird’avalertousceuxquise

tordrontdedouleurcommedesversdeterre.»

—BAISSEZ-VOUS!

Elle

hurla

autant

à

voix

haute

qu’intérieurement.

Rapidecommel’éclair,l’ombredeBlodweddla

rasadesiprèsqu’ellesentitsesserresluiarracher

destouffesdecheveux.

Elleentendituncriaffreuxàl’avantduvéhicule

maisnecherchapasàsavoircequec’était.Ellen’en

eutpasletemps.Alorsquelavoitures’arrêtaitdans

uneviolentesecousse,l’oiseaudemalheursurgità

uneallurefolle.Elenaavaitmaintenantbesoinde

toutesaconcentrationetdetoutessesfacultéspour

évitercemonstrequilesfrôlaitdeplusenplusprès.

—Lavoitureestfoutue!Sortezvite!

LavoixdeSageluiparvintdansun

grondement.

—Leschevaux!s’écriaElenaavechorreur.

—Foutusaussi!Dépêche-toi,nomdeDieu!

Ellenel’avaitjamaisentendujurer,alorselle

n’insistapas.

EllenesutjamaiscommentMeredithetelle

réussirentàsortirentrébuchantl’unecontre

l’autre,essayantdes’aideretnefaisantquese

gêner.Bonnieétaitdéjàdehors,carlecocheavait

percutéunpoteauetl’avaitéjectéedelacabine.Par

chance,elleavaitatterrisuruncarrédetrèfles

rougeshideuxmaismoelleux,etellen’étaitquetrès

légèrementblessée.

—Monbracelet!…Ahnon,levoilà,s’écria-t-

elleenramassantunobjetscintillantdanslesfleurs.

Ellejetaunœilprudentdanslecielgrenat.

—Qu’est-cequ’onfaitmaintenant?

—Oncourt!leurlançaDamon.

Ilapparutderrièrel’épaveduvéhicule,la

bouchecouvertedesang,toutcommesacravate

jusque-làblanche.Elenapensaalorsàcesgensqui

buvaientautantlelaitquelesangdesvachespour

senourrir.MaisDamonnebuvaitquelesang

humain…Ilnes’abaisseraitjamaisàceluid’un

cheval…

Leschevauxn’auraientpaspus’enfuir,et

Blodweddneseseraitpasgênée,luiexpliqua-t-il

d’unevoixdure.Elleauraitjouéaveceux;ils

auraientsouffertlemartyre.J’aiabrégéleurs

souffrances.

Elenatenditlesmainsverslui,lesoufflecoupé.

—PARTEZ!rugitSage.

—Ilfautqu’onaillechercherStefan!ditElena

enattrapantlamaindeBonnie.

EllefaisaitconfianceàMeredithpourtrouverle

ShinoShiparsespropresmoyens.

Lasuitefutunnouveaucauchemar.Elles

s’élancèrentàtoutesjambes,tressaillantparfois

souslesfaussesalertesdeBonniequitremblaitde

toutsonêtre.Pardeuxfois,lemonstreplongea

droitsurellesenarrivantaurasdusol,pour

finalements’écrasersousleursyeuxouunpeuà

côté,défonçantdelamêmefaçonroutespavéeset

cheminsdeterredansunnuagedepoussière.Elena

nesavaitpascequ’ilenétaitdesautreshiboux,

maisBlodweddfondaitdebiaissursesproies,puis

déployaitsesailesetpiquaitauderniermoment.Ce

qu’ilyavaitdepire(oupresque)chezelle,c’était

sonsilence.Aucunbruissementpourlesalerteret

leurindiquerl’endroitoùellesurgirait.Quelque

chosedanssonplumagedevaitassourdirlebruit,et

ellesnepouvaientjamaissavoird’oùviendraitla

prochaineattaque.

Finalement,ellesdurentramperàtravers

toutessortesdedétritusenallantaussiviteque

possible,protégeantleurstêtesavecdesboutsde

bois,deverre,detoutcequ’ellestrouvaientde

pointuoudetranchant,alorsqueBlodwedd

poursuivaitsesassauts.

Pendanttoutcetemps,Elenaessayad’utiliser

sesnouvellesfacultés,etmêmedesolliciterle

pouvoirdesesAiles.Hélas,ellenesentitrien.

Aucuneénergie,aucuneconnexionentresoncorps

etsonesprit.

«Jesuisnullecommehéroïne,pensa-t-elle.

Pitoyable.Ilsauraientdûconfiercespouvoirsà

quelqu’unquisavaitdéjàmaîtrisercegenrede

choses.Oubien,non:ilsauraientdûlesconfierà

quelqu’unàquiilsauraientapprisàs’enservir.Ou

alors…»

—Elena!

Desdétritusvolaientdanstouslessensdevant

elle,alorsellecoupaparlagaucheetréussitsans

tropsavoircommentàlescontourner.Cen’est

qu’enrelevantlatêtequ’ellevitDamondevantelle:

ilavaitfaitrempartpourlaprotéger.

—Merci,chuchota-t-elle.

—Suis-moi!

Elletenditlamain,cellequiportaitl’anneau,

pouragripperlasienne.Mais,enentendantle

battementd’ailesdeBlodweddjusteau-dessus

d’eux,ellesebaissabrusquement,lagorgenouée.

39.

MattetMmeFlowersétaientdanslebunker,

l’extensionquel’oncledelavieilledameavaitfait

ajouteràl’arrièredelamaisonpoursestravauxde

menuiserieetautrespasse-temps.Restéà

l’abandondepuislongtemps,ilétaitdansunétat

pirequelerestedelamaison,utilisécommelocalde

rangementpourdeschosesdontMmeFlowersne

savaitpasquoifaire,commelelitdecampducousin

Joeetcevieuxcanapédéfoncéquin’étaitplus

assortiàunseulmeubleàl’intérieur.

Désormais,lanuit,c’étaitleurrefuge.Aucun

enfantniadultedeFell’sChurchn’yavaitjamaisété

invité.Enfait,autantqueMmeFlowerss’en

souvînt,àpartelle,Stefan,quil’avaitaidéeày

rentrerdegrosmeubles,etdésormaisMatt,

personnen’yétaitmêmejamaisentré.

VoilààquoiMattseraccrochait.Car,lentement

maissûrement,ilavaitlutouteladocumentation

queMeredithavaittrouvée,etunpassageprécieux

avaiteuunesignificationparticulièrepoureux.

C’étaitgrâceàçaqu’ilsarrivaientàdormirlanuit,

quandlesvoixarrivaient.

Lekitsuneestsouventconsidérécommeune

sortedecousinéloignéduvampireoccidental,une

séductricechoisissantsesvictimesparmiles

hommes(laplupartdesrenardsmaléfiques

prenant

l’apparence

d’une

femme)

et

se

nourrissantdirectementdeleurchi,c’est-à-direde

leurforcevitale,sansl’intermédiairedusang.Par

conséquent,onpeutlégitimementpenserqu’ils

sonttenusauxmêmesrèglesquelesvampires.Par

exemple:ilsnepeuvententrerdansl’habitation

d’unmortelsansyavoirétéinvités…

Oh,maiscesvoix…

Ilétaitvraimentcontentaujourd’huid’avoir

suivilesconseilsdeMeredithetdeBonnieetd’être

passéchezMmeFlowersavantderentrerchezlui.

Lesfillesl’avaientconvaincuqu’ilneferaitque

mettresesparentsendangerenaffrontantles

lyncheursquil’attendaient,prêtsàletuerpour

avoirprétendumentagresséCaroline.N’importe

comment,çan’avaitpasempêchéCarolinede

localisersatraceàlapension,mêmesi,

heureusement(façondeparler),ellevenaittoujours

seule.

Ilpréféraitnepasimaginercequiseserait

passésicesvoixavaientétécellesd’anciensamis

qu’iln’avaitpasinvitéschezluidepuislongtemps.

Cesoir…

—Allez,Matt…

Caroline

ronronnait

d’une

voix

lente,

nonchalanteetséduisante.Onauraitditqu’elleétait

allongéeparterre,parlantsouslafentedelaporte.

—Nejouepaslesrabat-joie.Tusaisbienquetu

finirasparsortir.

—Laisse-moiparleràmamère.

—Cen’estpaspossible,Matt.Jetel’aidéjàdit:

ellesuituneformation.

—Pourêtrecommetoi?

—Çademandebeaucoupdetravaildedevenir

quelqu’uncommemoi,Matt.

Subitement,letondeCarolinenefutplusdu

toutcharmeur.

—Çajeveuxbienlecroire,marmonna-t-il.Si

tut’enprendsàmafamille,tun’imaginesmêmepas

àquelpointtuvasleregretter.

—Allons,Matt!Soisréaliste!Personneneva

s’enprendreàpersonne.

Mattouvritlentementlesmainspourregarder

cequ’ilserraitdedans.Levieuxrevolverde

Meredith,chargédeballesbénitesparObaasan.

—Quelestledeuxièmeprénomd’Elena?

demanda-t-il.

Ilparladoucement,endépitdelamusiqueet

desdansesqu’onentendaitdanslejardinde

MmeFlowers.

—Maisdequoituparles,Matt?Qu’est-ceque

tufaislà-dedans?Unarbregénéalogique?

—Jet’aiposéunequestionsimple,Caro.Elena

ettoivousjouezensembledepuislamaternelle,

non?Alors,dis-moiquelestsondeuxièmeprénom.

Grosseagitationderrièrelaporte.Quand

Carolineréponditenfin,ilentenditdistinctement

qu’onluisoufflaitlaréponseavecunlégertemps

d’avance,commeStefanl’avaitentenduplusieurs

semainesauparavant.

—Puisqu’iln’yaquetesjeuxquit’intéressent,

MatthewHoneycutt,jevaisallertrouverquelqu’un

d’autreàquiparler.

Ill’imaginaitpartird’unairvexé.

Etilavaittrèsenviedefêterça.Ilselaissa

tenterparunsabléentieretunedemi-tassedejus

depommefaitmaisonparMmeFlowers.Ilsne

savaientjamaiss’ilsn’allaientpasêtreenfermés

pourdebonlà-dedansavecseulementquelques

provisions,alors,chaquefoisqu’ilsortait,ilramenait

toutcequ’iltrouvaitquiseraitsusceptibledeleur

servir.Unallume-gazetunebombedelaquepour

cheveuxétaientl’équivalentd’unlance-flammes;

desquantitésdepotsdesdélicieusesconfituresde

MmeFlowers;desbaguesdelapis-lazuli,aucasoù

lepirearriveraitetoùilsseretrouveraientnezà

nezavecdeuxdentspointues.

Surlecanapé,MmeFlowersremuadansson

sommeil.

—Quiétait-ce,monpetitMatt?

—Personne,personne,madameFlowers.

Rendormez-vous.

—Jevois,dit-elledesavoixd’adorablevieille

dame.Ehbien,sicepersonne,personnerevient,

demandez-luidoncleprénomdesamère.

—Jevois,réponditMattenimitantsavoixàla

perfection.

Tousdeuxsemirentàrire.

Mais,derrièresonsourire,Mattavaituneboule

danslagorge.Ilredoutaitplusquetoutlemoment

oùceneseraitpluslavoixdeCarolinemaisbelet

biencelledeShinichiqu’ilentendraitderrièrela

porte.

Là,ilsseraientvraimentdanslepétrin.

***

—Lesvoilà!criaSage.

—Elena!

—Oh,bonsang!

Elenafutprojetée,puissentitunemasse

atterrirsurelle.Elleentendituncrisourd,différent

desautres.Uncriasphyxiéparladouleuralorsque

lebecdeBlodweddtransperçaituncorpsdechair.

«Lemien»,pensa-t-elle.Pourtant,ellen’avaitpas

mal.

Alorssicen’estpasmoi?…

Unevoixétoufféeau-dessusd’elle.

—Elena…sauve-toi…mesboucliers…nevont

plus…

—Pasquestionquejetelaisseici,Damon!

Çafaitmal…

Sonchuchotementtélépathiqueétaitàpeine

audible,etellesavaitqu’ellen’étaitpascensée

l’entendre.

Mais,

revenue

de

ses

illusions

concernantsonpouvoir,sesouciantuniquementde

mettreceuxqu’elleaimaitàl’abridudanger,elle

cherchadésespérémentunesolution.

Jevaistrouverunmoyendenoussortirdelà,

dit-elle.Jevaisteporter.

L’idéefitbeaucouprireDamon,signequ’il

n’étaitpasencorecomplètementmort.Elena

regrettajustedenepasavoiremmenéleDrMeggar

cesoir.Sespouvoirsdeguérisseurleurauraientété

bien…«Etpuisquoiencore?Tul’auraislaisséàla

mercideBlodwedd?Non.Ilasonprojetd’hôpital,

lesenfantsqu’ilveutaideretquineméritent

certainementpastouslesmauxdontilssont

affligés…»

Elles’arrachaàsaréflexion;cen’étaitvraiment

paslemomentdephilosophersurlesmédecinset

leursengagements.

C’étaitplutôtlemomentdecourir.

Passantlebrasdanssondos,ellesentitdeux

mains.L’une,pleinedesang,étaitglissante,alors

elleallongeaencoreunpeulebras,remerciantsa

défuntemèrepourtouslescoursdedanseclassique

etdeyogaqu’elleluiavaitfaitprendreenfant,et

elleattrapalamancheau-dessus.Puisellecalason

dosetsereleva,agrippéeàcettemanche.

Àsasurprise,elleréussitàhisserDamon.Elle

essayadelesouleverdavantagepourlefaireglisser

sursondos,maisenvain.Alorsellefitunpasen

avant,flageolantsursesjambes,puisundeuxième…

C’estlàqueSagearriva,lespritdanssesbraset

lesdéposadanslehalld’entréeduShinoShi.

—Fuyez!hurlaElena.Blodweddarriveetelle

tueratoutlemondesursonpassage!

C’étaittotalementdéroutant:ellen’avaitpas

eul’intentiondecrier,mêmepasanticipécesmots,

saufpeut-êtreauplusprofonddesonsubconscient.

Pourtant,elleavaitbeletbiencrié.Lehalld’entrée

futaussitôtenébullition,tandisquederrièreelleses

amiscriaientlamêmechose.Lesgardessemirentà

courir,nonpasdanslaruemaisendirectiondes

cachots.

EllesentitSageetDamonl’entraînerversles

sous-sols,empruntantlechemindelaveille…Mais

était-cevraimentlabonnedirection?Elleagrippaà

deuxmainssonanneau;àenjugerparlefaisceau

qu’ilprojetait,ilsdevaientprendreàdroite.

—Cescachots,àdroite:c’estQUOI?Comment

onyaccède?cria-t-elleauvampirequigardait

l’entréedelagalerie.

—Lequartierd’isolementetdesdéséquilibrés,

réponditl’hommeencriantaussi.N’allezpasparlà!

—Illefaut!J’aibesoind’uneclé?

—Ouimais…

—Donnez-la-moi!

—Jenepeuxpas,gémit-ild’unefaçonquilafit

penseràBonniedanslessituationslesplusdifficiles.

—Trèsbien.Sage!

—Monamie?

—DemandeàSerred’arracherunœilàcet

homme!Ilrefusedemedonnerlaclédelacellule

deStefan!

—C’estcommesic’étaitfait!

—A-attendez!J’aichangéd’avis!Voilàlaclé!

Levampireextirpaunecléd’untrousseauetla

luitendit.

Elleressemblaitàtouteslesautres.«Trop

similaire»,seditElenaavecméfiance.

—Sage!

—Oui,monamie?

—Tupeuxattendrequejesoispasséeavec

Sabre?Jeveuxl’entendreluibroyerce-que-je-

pensesicethommem’amenti.

—Pasdeproblème!

—A-a-attendez!haletalevampire,visiblement

mortdepeur.Je…jemesuispeut-êtretrompéde

clé…àcausede…delapénombre…

—Donnez-moilabonneetdites-moitoutceque

jedoissavoir,oujefaisensortequecechienvous

traquejusqu’àlamort.

Elenan’avaitjamaisétéaussisérieuse.

—Te-tenez.

Cettefois,lacléétaittoutàfaitdifférente:

ronde,légèrementconvexe,avecuntrouaucentre.

«Commeunbeignetquiauraitétéécraséparles

grossesfessesd’unpolicier»,pensaunepart

d’Elena,cequifaillitdéclencherchezelleunrire

convulsif.

«Laferme»,seraisonna-t-elled’unton

brusque.

—Sage!

—Oui?

—Est-cequeSerrepeutvoirl’hommequeje

tiensparlescheveux?

Elledutsehissersurlapointedespiedspour

l’agripper.

—Évidemment,monamie!

—Illemémorisera?Sijeneretrouvepas

Stefan,jeveuxqueluietSabrelepoursuiventsans

pitié.

Lepoignetensang,Sagelevalebrassurlequel

iltenaitsonfaucon.

Legardesanglotaitpresque.

—Pre-prenezdeuxfoisàdroite.Gli-glissezla

clédanslafentequisetrouveàhauteurd’yeuxsur

lemurd’entréedelagalerie.Ilyaurapeut-être

d’autresgardeslà-bas.Maissi…sivousn’avezpas

laclédelacellulequevouscherchez…jesuisdésolé,

mais…

—Jel’ai.J’ailaclédelacelluleetjesaisquoi

faireavec.Mercipourvosexplications,moncher,

vousm’avezbienaidée.

Ellelâchasescheveux.

—Sage,Damon,Bonnie!Cherchezunegalerie

quipartsurladroite!Stefanestquelquepart

dedans!Surtout,nevousperdezpas!Sage,veille

surBonnieetfaisaboyerSabreaumoindre

danger.Bonnie,cramponne-toiàMeredith.

Ellenesutjamaissisesalliésavaiententendula

totalitédumessagequ’elletransmitàlafoisàvoix

hauteetpartélépathie.Mais,auloin,elleperçutun

échoquiluifitpenseràunchœurd’anges.

Sabresemitàaboyercommeunfou.

Portéeparletorrenttumultueuxqu’elle

formaitavecsesquatreamis,lefauconetlechien

devenuenragé,Elenacontournalesobstaclesàune

allurefolleetrienn’auraitpul’arrêter.

Subitement,huitmainslarattrapèrentdansla

cohue,etunegueuleférocebonditaudevantdu

groupepouréloignerlafouledegardiensetde

détenus.Bousculée,écrasée,ballottée,ellefut

empoignéeparlamainetsecramponna,passanten

forcejusqu’àcequ’elleseretrouvefaceaumur

d’entréedelagalerie.

SagelefixaetjetaunregarddésespéréàElena.

—Ons’estfaitpiéger!Iln’yaaucunefente!

UneragefolleenvahitElena.Elles’apprêtaità

rappelerSabreetàfairedemi-tourpourtraquerle

mauditvampire.

Mais,aumêmeinstant,Bonnieintervint:

—Si,regardez,ilyenaune!Ondiraitun

cercle.

Elenacomprit:lesgardesétaienttoutpetits;

commedesgnomesoudessinges,etBonnieavait

leurtaille.

—Tiens,Bonnie!Faisattention,c’estnotre

seuleclé!

Sageordonnaaussitôtàsonchiendeseposter

prèsdeBonnieenmontrantlescrocs,pour

empêcherleflotdedémonsetdevampires

paniquésdelabousculer.

Cettedernièreattrapalacléavecprécaution,

l’examina,penchalatête,laretournadanssamain…

etl’inséraenfindanslemur.

—Çamarchepas!

—Essaiedetourneroudepousser…

Clic.

Lemurdelagaleries’ouvritencoulissant.

Elena

et

ses

amis

s’engouffrèrent

précipitammentàl’intérieur,tombantplusoumoins

lesunssurlesautres,pendantqueSabreprotégeait

leursarrièresengrognantetenaboyantcontrela

foule.

Étaléeparterre,lesjambesemmêléesdans

d’autres,Elenamitsesmainsencoupeautourde

l’anneau.

Lesquatrepetitsyeuxderenardprojetèrentun

faisceaudelumièredroitdevantelle,légèrement

surladroite.

Auloin,ellediscernauncachot.

40.

—Stefan!Stefan!

Elenaétaitconscientedecriercommeune

hystérique,maiselles’enfichait.Ellecontinuade

courir,desuivrelefaisceaudelumièreencriantde

plusbelle:

—Stefan!Oùes-tu?

Pasderéponse.

Unecellulevide.

Unemomiejaunie.

Unepyramidedepoussière.

Inconsciemment,elleseméfiaitdecesombres

inertes.Aumoindremouvement,elleauraitpu

prendresesjambesàsoncou,quitteàsebattreà

mainsnuescontreBlodwedd.

MaisellefinitparatteindrelacelluledeStefan.

Lejeunehommequ’elledécouvritétaitépuisé,et

l’expressiondesonvisagemontraitqu’ilavaitperdu

toutespoir.Illevaunbrasmaigrecommeunclou,

ensignederejet.

—Va-t’en.Jenesuisplussensibleauxrêves.

—Stefan!

Elletombaàgenoux.

—Ilfautvraimentqu’onenpasseencorepar

là?

—Sais-tuaumoinscombiendefoisilsont

recréétonimage,espècedesorcière?

Elenaeutunchoc.Plusqueça,même.Mais,

aussivitequ’elleétaitapparue,lahainedansles

yeuxdeStefans’estompa.

—Aumoins,aujourd’hui,jepeuxtevoir.

J’avais…unephoto,avant.Maisilsl’ontprise,bien

sûr.Ilsl’ontdécoupée,trèslentement,enme

forçantàregarder.Enmeforçantmêmeàlefaire.

Commejerefusais,ils…

—Monamour!Stefan!Jet’enprie…Regarde-

moi!Écouteautourdetoi,tuentends?Blodwedd

estentraindedétruirelaprison.J’aivoléle

deuxièmemorceaudeclédanssonnidetjenesuis

pasuneillusion!C’estbienmoi,Stefan.Regarde,tu

voisça?Est-cequ’ilstel’ontdéjàmontré?

Elles’approchadesbarreauxdelacelluleet

tenditversluilamainornéedel’anneau.

—Est-cequetusaiscequejedoisenfaire,

maintenant?

—Tapeauesttiède.Lesbarreauxsontfroids,

réponditStefand’unevoixd’automateenserrantsa

main.

Onauraitditqu’ilrécitaitunepoésieapprise

parcœur.

—Regardez!lança-t-elleauxautresd’unair

triomphant.

AucontactdelamaindeStefan,l’anneauavait

prislaformed’unechevalière.Ellelaplaçacontrele

mur,suruncreuxdeformeidentique.Commeilne

sepassaitrien,ellepenchalamainàdroite.

Toujoursrien.Àgauche…

Lentement,

les

barreaux

de

la

cellule

commencèrentàsesoulever,coulissantdansle

plafond.

Elenan’encroyaitpassesyeux;uninstant,elle

pensamêmeavoirunehallucination.Mais,en

baissantlatête,elleconstataquelesbarreaux

étaientdéjààaumoinsunmètredusol.

Àmesurequ’ilssesoulevaient,lesmontants

écartaientleursmains.Maislebesoindemaintenir

cecontactphysiqueétaitsifortqueStefanetElena

auraientétécapablesdesejeteràplatventreetde

setortillercommedesserpents.

Quandlesbarreauxarrivèrentàhauteurde

front,ellesejetaàsoncou.Elleletenaitenfindans

sesbras!Pourdevrai!Ellefutépouvantéede

sentirsamaigreur,maisqu’importe,ilétaitvivant,

etpersonnenepourraitlapersuaderducontraire,

qu’iln’étaitqu’unmirageouunrêve.S’ilsdevaient

mourirensemble,elleétaitprête.Toutcequi

comptait,c’étaitqu’ilsnesoientplusjamaisséparés.

Ellecouvritdebaiserscevisageétrangement

anguleux.Anguleux,maisdépourvudebarbe

naissanteouhirsute;labarbenepoussaitpaschez

lesvampires,àmoinsqu’ilsn’enaientportéunele

jourdeleurtransformation.

Alorsd’autrespersonness’engouffrèrentdans

lacellule.Bienveillantes,heureuses,riant,pleurant,

ellesl’aidèrentàfabriquerunecivièredefortune

avecdescouverturespuantesetunepaillassepour

transporterStefan.

Ensuite…toutcommençaàsefragmenterdans

l’espritd’Elena.Agrippéeàlacivière(Stefanne

pesaitvraimentpaslourd),elleregardaitsontendre

visageenremontantàtoutesjambesuneautre

galeriequecelleoùelles’étaitdébattuecommeun

diableenarrivant.Apparemment,touslesgros

poissonsduShinoShiavaientchoisil’autregalerie

pourremonteràlasurface.Ilstrouveraient

sûrementrefugeàl’arrivée.

Toutensedemandantcommentunvisage

pouvaitêtresipur,sibeauetsiparfaitenétantsi

squelettique,ellesepenchasurStefansans

s’arrêterdecourir.Sescheveuxformèrentun

bouclierautourd’eux,desortequ’uninstantils

furentisolésdurestedumonde.

—Stefan,ilfautquetureprennesdesforces.Je

t’enprie,fais-lepourmoi.PourBonnie,pour

Damon,pour…

Elleauraitpulesnommertousunparunet

continuerlalistelongtemps,maisc’étaitsuffisant.

Aprèsunesilongueprivation,Stefann’étaitpas

d’humeuràrésister.Satêteseredressa

brusquement,etElenaeutunpeuplusmalqu’à

l’accoutuméeétantdonnésapositioninhabituelle.

MaiselleétaitheureusecarStefanavaitmorduune

longueveineetlesangcoulaitàflotsdanssabouche.

Elledutralentirunpeu,sinonelleaurait

trébuchéetmaculélevisagedeStefancommecelui

d’undémon,maisellecontinuad’avanceraupetit

trot,enselaissantguiderparlesautres.

Soudain,ilss’arrêtèrent.Elenagardalesyeux

fermés,secramponnantmentalementàStefan;

pourrienaumondeellen’auraitinterrompuce

moment.Trèsvite,lacourserepritet,quelques

secondesplustard,elleeutlasensationd’avoirplus

d’espaceautourd’elle:ellecompritqu’ilsétaient

arrivésdanslehalldelaprison.

C’estsurnotregauchemaintenant,transmit-

elleàDamon.Uneporte,justeàcôtédel’entrée,

avectoutessortesdesymbolesau-dessus.

Tiens,çamerappellequelquechose,répondit-

ild’untonpince-sans-rire;maismêmeluifut

incapabledecachercequ’ilressentait,notamment

deuxchoses:d’abord,qu’ilétaitheureux,vraiment

heureux,desentirlebonheurd’Elena,etdesavoir

qu’ilenétait,engrandepartie,responsable.

Ensuite,c’étaittrèssimple:s’ildevaitchoisir

entresavieetcelledesonfrère,ildonneraitla

siennesanshésiter.Pourlebonheurd’Elena,par

fiertépersonnelleet,surtout,pourStefan.

Elenanes’attardapassurcesémotionssecrètes

quin’appartenaientqu’àDamon.Ellesecontentade

lesaccepter,delaisserStefansentirlasincéritéde

leursvibrations,ets’assuramentalementdenerien

enmontreràDamon.

Ensonforintérieur,desangeschantaientpour

elleauparadis;unepluiedepétalesderose

recouvraitsoncorps;ilyavaitunlâcherde

colombesetellesentaitleursailesl’effleurer.

Elenaétaitheureuse.

Heureuse,maispasensécurité.

Ellen’enpritconsciencequ’enentrantdansle

vastehallduShinoShi.Parchance,l’accès

multidimensionnelétaittoujourslà.Blodweddavait

méthodiquementdétruittoutcequisetrouvait

autour,jusqu’àcequ’ilneresteplusqu’untasde

cendres.SilaquerelleentreelleetElenan’étaitau

débutqu’unedisputeentreunemaîtressede

maisonquisesentaitbafouéeetuneinvitéequine

cherchaitqu’àfuir,c’étaitdésormaisuncombatà

mort.Et,vularéactiondesvampires,desloups-

garous,desdémonsetdetouslesautreshabitants

duRoyaumedesOmbres,lanouvelleavaitfait

sensation.Débordées,lesSentinellesessayaienttant

bienquemald’empêcherlesgensd’entrerdansla

prison.Plusieurscorpssansviejonchaientlarue.

«MonDieu,touscespauvresgens»,pensa

Elenaquandelledécouvritlascène.Sonseul

réconfortfutdevoirquelesSentinellesprotégeaient

leslieuxetsebattaientpourellecontreBlodwedd.

«QueDieulesbénisse»,souhaita-t-elle

silencieusementenvisualisantunesortede

vestibuleétroitalorsqu’ilstraversaientlehallà

toutevitesse.

—Onadenouveaubesoindetaclé,Elena,ditla

voixdeDamonjusteau-dessusd’elle.

Doucement,elleécartaStefandesagorge.

—Jereviens,monamour.Jereviens.

Ellesetournafaceàl’accèsmultidimensionnel,

etrestadéconcertéeunbonmoment.Ilyavaitbien

unefente,maisilnesepassarienquandelley

inséral’anneauniquandellelepoussaavecforceou

qu’elleletorditàgauchepuisàdroite.Ducoinde

l’œil,elleaperçutuneombrelugubreau-dessus

d’elle.Ellen’yprêtapasattentionsurlecoup,mais,

deuxminutesplustard,ellevitl’ombrefoncersur

ellecommeunbombardier,sesserresd’acier

tenduesverselle.

Iln’yavaitplusdetoit;Blodwedds’était

chargéedel’arracherdepuislongtemps.

Elenalesavait.

D’unecertainemanière,ellevoyaitmaintenant

l’ensembledelasituation,passeulemententant

quepartieintégrantedelascène,maiscommesielle

étaitextérieureàelle-même,unepersonnequi

comprenaitbeaucoupplusdechosesquelapauvre

petiteElenaGilbertautrefois.

LesSentinellesétaientlàpouréviterles

dommagescollatéraux.Maisellesnepouvaientpas

etnevoulaientpascapturerBlodwedd.

Çaaussi,Elenalesavait.

Tousceuxquiavaientfuidansl’autregalerie

avaientfaitcequetouteslesproiesfont

généralement:elless’étaientprécipitéestoutau

fonddeleurterrier.Ildevaityavoiruneimmense

chambrefortesouslaprison.Ilsétaientàl’abri,eux.

Alorsque,endépitdesavisiontrouble,Blodwedd

savaitaveccertitudeoùétaientceuxqu’elletraquait

depuisledébut,lesprofanateurs,ceuxquiavaient

arrachéundesesgrosyeuxorangeetquiavaient

faituneentaillesiprofondeausecondqu’ilétait

emplidesang.

Elenalesentait.

Blodweddsavaitaussiquec’étaitleurfautesi

sonbecétaitmaintenantfracassé.Eux,ces

criminels,cesbarbares,qu’elleallaitmettreen

pièceslentement,àpetitfeu,passantd’unevictime

àuneautreenenasphyxiantcinqousixentreses

serres,ouenlesregardantsetordrededouleur

souselle,incapablesdefuircarprivéesdebrasetde

jambes.

Setordrededouleur…souselle.

Elenas’aperçutqu’ilsétaientpiledansl’axedu

gigantesquehibouquidescendaitenpiqué.

—Sabre!Serre!criaSage.

MaisriennepourraitplusdétournerBlodwedd

desonobjectif.Rien,exceptélamort,l’agonieetles

crisdesesvictimesquiserépercuteraientsur

l’uniquemurduvestibule.

Elenavisualisaitdéjàlascène.

—C’estpasvrai!Pourquoiças’ouvrepas!

pestaDamon.

Ilmanipulaitlepoignetd’Elenapourinsérer

l’anneaudanslaserruredel’accèsdimensionnel.

Maisilavaitbeautirer,pousser,fairetoutcequ’il

voulait,riennebougeait.

Blodweddn’étaitplusqu’àquelquesmètres.

Elleaccéléra,projetantdesimagestélépathiques

qu’Elenacaptaaussitôt.

Musclesarrachés,articulationsdémises,os

broyés…

NOOON!

Cettefois,lacouped’Elenadébordapourde

bon.

Toutàcoup,unesortederévélationluifitvoir

toutcequ’elleavaitbesoindesavoir.Maisilétait

troptardpourmettreStefanàl’abri,del’autrecôté

delaporte,alorsellecria:

—AilesdelaProtection!

Blodwedds’écrasacontreunbouclierqu’un

missilenucléairen’auraitpaspuendommager.Elle

s’écrasaàlavitessed’unevoiturelancéeàpleine

vitesse,etaveclepoidsd’unaviondetaille

moyenne.

Lebeccomplètementravagéemboutitdeplein

fouetunemagnifiquepaired’ailes.Enhaut,elles

étaient

vert

pâle,

parsemées

d’émeraudes

brillantes,puisellessedégradaientenrosesolaire

couvertdecristaux.Ellesenveloppaientsixhumains

etdeuxanimaux,etellesnebougèrentpasd’un

millimètrequandlebecdeBlodweddlespercuta.

Blodweddn’étaitplusqu’uncadavresurla

chaussée.

Essayantd’oublierl’imagedelafemmequiétait

néedesfleurs(etquiavaitfaittuersonmari),Elena

fermalesyeux,leslèvressèchesetdesfiletsde

sueursurlesjoues,etsetournafaceàl’accès.

Guidéeparsonintuition,elleinséral’anneau,

s’assuraquelaporteétaitferméeetannonçasa

destination.

—Fell’sChurch,Virginie,États-Unis,surTerre.

Etprèsdelapension,sipossible.

***

Ilétaitlargementplusdeminuit.Mattdormait

surlelitdecampdubunkeretMmeFlowerssurle

canapé,quandilsfurentbrusquementréveilléspar

unbruitsourd.

—Justeciel!

MmeFlowersselevapourallerregarderparla

fenêtre,quiauraitdûêtreobscurcieparlanuit.

—Soyezprudente,m’dame,ditmachinalement

Matt,sanspouvoirs’empêcherd’ajouter:Qu’est-ce

quec’est?

Commetoujours,ils’attendaitaupire,alorsil

s’assuraquelerevolverdanssamainétaitbien

armé.

—C’est…delalumière,réponditlavieilledame,

unpeudésemparée.Jenesaispasquoidired’autre.

C’estdelalumière.

Mattvoyaiteffectivementdesombresprojetées

surlesoldubunker.Pourtant,aucunbruitnicoup

detonnerren’étaientperceptiblesau-dehors.Il

s’empressaderejoindreMmeFlowersàlafenêtre.

—A-t-ondéjàvu…?s’exclama-t-elle,levantet

baissantlesmainsavecimpuissance.Qu’est-ceque

çapeutbienêtre?

—Jen’ensaisrien,maisjemesouviensqu’ils

parlaienttousdelignesd’énergie.Desfluxde

pouvoirsouterrains.

—Eneffet,maisellescirculentàlasurfacedela

Terre.Ellesnesontpasbraquéesversleciel,

comme…commedesprojecteurs!

—Maisj’aientendudire–parDamon,sijeme

souviensbien–que,lorsquetroislignesd’énergiese

croisaient,ellesformaientparfoisun«accès».Un

accèsversl’endroitoùilsallaient.

—MonDieu,murmuraMmeFlowers.Alors,

d’aprèsvous,ilyauraitundecesaccès-choses,là,

dansmonjardin?C’estpeut-êtreeuxquisontde

retour?

—Çam’étonnerait.

Letempspasséauxcôtésdecettevieilledame

unpeuspécialeavaitpousséMattnonseulementà

larespecter,maisaussiàs’attacheràelle.

—Quoiqu’ilensoit,onseraplusensécuritéen

restantàl’intérieur.

—MonpetitMatt…Vousêtesuntelréconfort

pourmoi.

Ilnevoyaitpastroppourquoi.C’étaitses

provisions,soneauqu’ilsutilisaient;mêmelelit

pliantétaitàelle.

S’ilavaitétéseul,peut-êtrebienqu’ilseraitallé

explorerce…phénomène.Troisrayonslumineux

quisurgissaientdeterredansunangleprécis,pileà

hauteurd’homme.Ilsbrillaientdeplusenplusà

chaqueminute.

Mattinspiraprofondément.Troislignes

d’énergie,hein?Bonsang,quisaitsicen’étaitpas

uneinvasiondemonstres?

Iln’osamêmepasycroire.

***

Elenaignoraitsic’étaitvraimentnécessairede

préciserÉtats-UnisouTerre,nimêmesilaPorte

pourraitlesemmeneràFell’sChurchousiDamon

seraitobligédeluidonnerlenomd’unaccèsquis’en

rapprocherait.Mais…toutdemême…avectoutes

ceslignesd’énergie…

Laportes’ouvrit,laissantapparaîtreunepetite

cabine,unpeucommecelled’unascenseur.

—Est-cequevouspensezpouvoirleporterà

quatre,sijamaisvousdevezvousdéfendre?

Letempsdedéchiffrerlevéritablesensdecette

phrase,troiscrisdeprotestationsefirententendre,

surtroistonsfémininsdifférents:

D’abordBonnie,implorante:

—Oh,non!Tunevaspaspartir?Nenous

laissepas!

Meredith,sansambages:

—Tunerentrespasavecnous?

EtenfinElena:

—Viensavecnous.Etdépêche-toi!

—Quellefemmeautoritaire,murmuraSage.

Entrelesdeux,moncœurbalance.Maisjenesuis

qu’unhomme.Alors,j’obéis.

—Quoi?Çasignifiequetuviens?s’écria

Bonnie.

—Absolument.

Doucement,Sagepritlecorpsdécharnéde

Stefandanssesbrasetentradanslapetitecabine.

ContrairementauxclésdontElenas’étaitservie

toutelajournée,celle-cisemblaitplutôtfonctionner

commeuneinterfaceàcommandevocale…enfin,

ellel’espérait.Aprèstout,ShinichietMisao

n’avaienteubesoinqued’unecléchacun.Là,de

nombreusespersonnessouhaitaientserendreau

mêmeendroitenmêmetemps.C’étaitpossible,

non?

Pourvuqueoui.

D’unpetitcoupdepiedenarrière,Sage

repoussalaliteriequiavaitserviàtransporter

Stefan.Quelquechoseroulasurlesol,derrièreeux.

Stefanessayadésespérémentdel’attraper.

—C’estmon«diamantElena».Jel’aitrouvé

parterreaprès…

—S’ilavaitvutousceuxqu’onportait,

marmonnaMeredith.

—Maiscelui-cicomptepourlui,souligna

Damon,quisetrouvaitdéjàavecelledanslacabine.

Aulieuderesteràl’intérieur,danscepetit

ascenseursusceptiblededisparaîtreàtoutmoment,

departirpourFell’sChurchavantqu’iln’aitle

tempsdeseretourner,ilressortitdanslevestibule,

examinalesolets’agenouilla.Puis,rapidement,il

ramassalediamant,serelevaetseprécipitade

nouveaudanslacabine.

—Tuleveuxoutupréfèresquejelegardesur

moi?

—Garde-le…pourmoi.Prends-ensoin.

Tousceuxquiconnaissaientlesantécédentsde

Damon,notammentencequiconcernaitElenaou

mêmeunvieuxdiamantayantappartenuàElena,

auraientpupenserqueStefanétaitfou.Maisilne

l’étaitpas.

—Approche,quejem’appuiesurtoi.Après,je

netelâcheplus,dit-ilavecunpauvresourire.

—Aucasoùçaintéresseraitquelqu’un,ilyaun

seulboutonàl’intérieurdecebidule,annonça

Meredith.

—Ehben,appuie!s’écrièrentSageetBonnieen

mêmetemps.

MaisElenacriaplusfort.

—Non,non,attends!

Elleavaitrepéréquelquechose.Àl’autrebout

duvestibule,uneSentinellen’avaitpaspu

empêcheruncitoyenapparemmentnonarméde

pénétrerdanslebâtimentetdetraverserlehall

d’entréed’unpasgracieuxetaérien.Ildevait

mesurerplusd’unmètrequatre-vingtsetportaitun

haut-de-chaussessurmontéd’unetuniqueblanche

assortieàseslongscheveuxblancs,àsesoreilles

alertesderenardetàlalonguequeuesoyeuseet

souplequiondulaitdanssondos.

—Fermezlaporte!braillaSage.

—OhmonDieu!soufflaBonnie.

—Quelqu’unpeutmedirecequisepasse?râla

Damon.

—N’ayezpaspeur.C’estjusteuncompagnon

decellule.Maisiln’estpastrèsbavard.Alorstut’es

enfui,toiaussi!

Stefansouriait,etcelasuffitàrassurerElena.

Deplus,l’intrusluitendaitquelquechose…qui

pouvaitdifficilementêtrecequeçasemblaitêtre…

etpourtant,maintenantquec’étaitpresquesous

leurnez…çaavaittoutl’aird’unbouquetdefleurs.

—Jemetrompeouc’estunkitsune?demanda

Meredithcommes’ilsperdaienttouslatête.

—Non,unprisonnier…,répétaStefan.

—UnVOLEUR!criaSage.

—Chut!lâchaElena.Cen’estpasparcequ’ilne

parlepasqu’ilnepeutpasnousentendre.

Lekitsuneétaitmaintenantàleurhauteur.Il

croisaleregarddeStefan,jetauncoupd’œilaux

autresettenditlebouquet,lequelétaitsolidement

emballédansduplastiqueetcouvertdelongs

autocollantsauxmystérieusesinscriptions.

—C’estpourStefan,dit-il.

Tous,ycomprisl’intéressé,eurentlesouffle

coupé.

—Jevouslaisse.Jedoism’occuperdeces

péniblesSentinelles.

Ilsoupira.

—Pourenclencherlacabine,ilfautappuyersur

lebouton,mabeauté,expliqua-t-ilàElena.

Unmomentfascinéeparlebalancementdesa

queuetouffueautourdeseshabitssoyeux,Elena

devint

subitement

rouge

écarlate.

Certains

souvenirsluirevenaientenmémoire.Deschosesqui

luiavaientsemblétrèsdifférentes…danslecachot

isolé…danslapénombredelalumièreartificielle…

Enfin,bref.Mieuxfallaitfairebonnefigure.

—Merci,répondit-elleavantd’appuyersurle

bouton.

Lesportescommencèrentàsefermer.

—Merciencore!ajouta-t-elleensaluantle

kitsuned’unpetitsignedetête.Jem’appelleElena.

—EtmoiYoroshiku.Jesuis…

Laporteserefermaentreeux.

—Tuesfolle?s’écriaSage.Qu’est-cequit’a

prisd’accepterunbouquetdelapartd’unrenard?

—Ondiraitquetuleconnaisbien,luifit

remarquerMeredith.Commentils’appelle?

—Maisjenesaispas!Toutcequejesais,c’est

qu’ilm’avolédeuxtiersdutrésorduCloître!Et

c’estunas,surtoutdelatricheauxcartes!Aaah!

Lecriqu’ilpoussaàlafinn’étaitpasderage

maisdesurpriseetdepanique,carlapetitecabine

partitsurlecôté,dégringolabrusquement,puis

s’arrêtaenoscillantavantderetrouveruneallure

régulière.

—Vouscroyezvraimentqueçavanous

rameneràFell’sChurch?demandatimidement

Bonnie.

Damonpassaunbrasautourdesesépaules.

—Çanousconduiraquelquepart,promit-il.Et,

delà,onavisera.Danslegenreparésàtoute

épreuve,onfaitplutôtunebonneéquipe,non?

—D’ailleurs,enparlantdesurvie,les

interrompitMeredith,ondiraitqueStefanarepris

descouleurs.

Elena,quiavaitaidéàleprotégerdeschocset

autressecoussesdelapetitecabine,levatoutde

suitelesyeuxverselle.

—Tucrois?C’estpeut-êtrejusteuneffetde

lumière?Ilfaudraitlenourrir,suggéra-t-elled’un

tonangoissé.

Enlevoyantrougir,elleposaundoigtsurses

lèvrespourlesempêcherdetrembler.

Nerougispas,monamour.Toutlemondeici

étaitprêtàsacrifiersaviepourtoi…pournous.Je

suisenbonnesanté.Jesaigneencore.Jet’enprie,

nelegâchepas.

—Jevaisétancherlesang,réponditStefan.

Mais,quandellesepenchasurlui,commeelle

s’yattendait,ilétanchasurtoutsasoif.

41.

MattetMmeFlowersnepouvaientplusignorer

leslumièresaveuglantesàcestade.Ilfallaitqu’ils

aillentvoir.

Mais,aumomentoùilouvraitlaporte,Matt

restasansvoix:unelueurfoudroyantejaillitdusol

etpartitenflècheversleciel,seréduisitàvued’œil

jusqu’àdeveniruneétoileetfinitpardisparaître.

UnmétéorequiauraittraversélaTerre?Mais,

sic’étaitlecas,est-cequeçan’auraitpasdû

provoquerdestsunamis,destremblementsde

terre,desondesdechoc,desincendiesdeforêtet

peut-êtremêmepulvériserlaplanète?Unseul

météoreàlasurfacedelaTerreavaitbien

exterminélesdinosaures…

L’intensité

des

faisceaux

lumineux

qui

s’élevaientdusols’étaitunpeuréduite.

—Seigneur,murmuraMmeFlowersd’une

petitevoixtremblante.Matt,monpetit,toutva

bien?

—Oui,m’dame.Mais…

Mattavaiteuuntelchocquelesmotslui

manquèrent.

—Qu’est-cequec’étaitquecetruc…

démentiel?

—C’estexactementcequejemedemandais!

—Attendez…çabougelà-bas.Reculez!

—Prudenceaveccettearme,monpetitMatt…

—Ilyadesgensquiarrivent!Oh,j’ycrois

pas!C’estElena!

Mattselaissatombercommeunemasse,assis

parterre.Ilnepouvaitparlerqu’enchuchotant:

—Elenaestvivante.Elleestvivante!

Decequ’ilenvoyait,ungroupedepersonnes

aidaitlesautresàsehisserhorsd’untrou

parfaitementrectangulaire,d’environunmètre

cinquante

de

profondeur,

dans

le

massif

d’angéliquesdeMmeFlowers.

Leursvoixparvinrentjusqu’àeux.

—Vas-y.Attrapemamain,maintenant!disait

Elenaensepenchant.

Ilfallaitvoircommentelleétaitvêtue!Unbout

detissuécarlatequilaissaitvoirtoutessortes

d’égratignuresetd’entaillessursesjambes.Quant

auhaut…ehbien,lesrestesdelarobecouvraient

soncorpsàpeuprèsautantqu’unbikini.Elleportait

aussilesbijouxfantaisielesplusgrosetlesplus

brillantsqueMattaitjamaisvus.

Toujourssouslechoc,ilperçutd’autresvoix.

—Faitesgaffe,hein.Jevaislesouleverpour

vouslepasser…

—Jepeuxmehissertoutseul.

Aucundoute:ça,c’étaitStefan!

—Tuentendsça?seréjouitElena.Ilpeutle

faireseul!

—Oui,maispeut-êtrequ’unpetitcoupde

pouce…

—C’estpasvraimentlemomentdejouerles

machos,p’titfrère.

Etça,c’étaitDamon.Mattpalpalerevolver

danssapoche…

—Non…jeveuxyarriverseul…OK,j’ysuis…

Voilà.

—Alors,qu’est-cequejevousdisais?Ilvade

mieuxenmieux!claironnaElena.

—Lediamant?Damon?Oùest-il?

Stefanavaitl’airpaniqué.

—Relax.Jel’ai.

—Jeveuxletenir.S’ilteplaît.Donne-le-moi.

—Tupréfèreslediamantàmoi?

Dansunmouvementconfus,Stefanselaissa

finalementallerdanslesbrasd’Elena.

—Maisnon,net’énervepas…

Mattregardaitlascèned’unaireffaré.Damon

setenaitjustederrièreeux,commes’ilfaisaitpartie

delabande.

—Jem’occupedetondiamant,dit-ilavec

impassibilité.Occupe-toidetapetiteamie.

—Excusez-moidevousinterrompre,mais…

est-cequequelqu’unvoudraitbienm’aideràsortir

decetrou?

Là,c’étaitBonnie!Elleavaitsapetitevoix

plaintive,maisellenesemblaitnieffrayéenitriste.

Onauraitmêmeditqu’elleavaitunpetitrire

nerveux!

—Onabientouslessacsdesphèresd’étoiles?

—Oui,madame:tousceuxqu’onavaiten

partant.

Là,c’étaitlavoixdeMeredith,aucundoute.

Merci,monDieu.Ilss’enétaienttoussortis.Mais,

endépitdesespensées,leregarddeMattétait

invariablementattiréparcettesilhouette,cellequi

avaitl’airdesuperviserlasituation,cettefilleaux

cheveuxdorés…

—Cessphèressontindispensables,aucasoù

l’uned’entreelles…,disait-elle,quandBonniela

coupaens’écriant:

—Regardez!C’estMmeFlowersetMatt!

—Jedoutequ’onaituncomitéd’accueil,

Bonnie,glissaMeredithsuruntonsarcastique.

—Oùça,Bonnie?Où?

—Sic’estShinichietMisaoquisesontdéguisés,

jevaisles…Hé,Matt!

—Maisoùvouslesvoyez,àlafin?

—Là,Meredith,regarde!

—Çaalors,madameFlowers!Euh…j’espère

qu’onnevousapasréveillée?

—C’estleréveilleplusjoyeuxdemavie,

réponditlavieilledamed’untonsolennel.Vousavez

dûenvoirdeduresdanscesténèbres…àencroire

voshabits,commentdire…rudimentaires…

Grossilencegêné.

Meredithjetauncoupd’œilàBonnie,etvice

versa.

—Jesais,cesrobesetcespierresprécieuses,ça

faitunpeutrop,mais…

Mattretrouvasavoix:

—Tuveuxdirequecesbijouxsontdesvrais?

—Oui,maiscen’estrien.Etpuis,onesttous

sales…

—Désolé,c’estdemafautesionpuecommeça,

intervintStefan.

Elenaledéfendittoutdesuite.

—MadameFlowers,Matt:Stefanétait

prisonnier!Pendanttoutcetemps,ilaétéaffaméet

torturé!MonDieu,quandj’yrepense…

—Elena…çavaaller.Jesuislà.Grâceàtoi.

—Grâceànoustous!Maintenant,jenete

quitteplus.Plusjamais.

—Calme-toi,monamour.Jevaisallerprendre

unbain,j’enaivraimentbesoin…

Ils’interrompitbrusquement.

—Maisaufait!Iln’yaplusdebarreauxen

fer?Jepeuxmeservirdemespouvoirs!

Ils’écartad’Elena,dontlamainresta

cramponnéeàlasienne.Ilyeutunjetdelumière

douxetargenté,commeuneapparitionetune

éclipsedeLune,justesousleursyeux.

—Parici!lança-t-il.Sicertainsveulentse

débarrasserdecesparasitesdégoûtants,c’estle

moment.Jepeuxm’encharger.

—Volontiers,acquiesçaMeredithlapremière.

J’ailaphobiedespuces.DirequeDamonnem’a

mêmepastrouvéd’insecticide.Vousparlezd’un

maître!

Laréflexionfitriretoutlemonde;toussauf

Matt,quinecompritpasvraiment.Meredithportait

desbijoux…bon,c’étaientforcémentdesfaux,mais

quandmême:cessaphirsavaientvraimentl’airde

valoirquelquesmillionsdedollars.

Stefanlapritparlamain.Mêmejetdelumière,

puisMeredithreculaenleremerciant.

—Merciàtoi,Meredith,répondit-iltout

doucement.

Mattconstataquesarobebleueétaitbienla

seuleencoreintacte.

Bonnie,dontlarobeavaitétéréduiteen

lambeaux,levalamain.

—Àmontour!

Stefanlapritparlamain,etrebelote:jetde

lumière.

—Merci,Stefan!Jemesensvraimentmieux.

C’étaithorrible,cesdémangeaisons!

—Merciàtoi,Bonnie.Pourmoi,c’étaithorrible

depenserquej’allaismourirseul.

—Lesautresvampires,vouspouvezvous

débrouiller!annonçaElena,commesielleavaitun

bloc-notesentrelesmainsetqu’ellecochaitune

liste.Stefan,s’ilteplaît…

Elleluitenditlesmains.

Ils’agenouillaàsespieds,baisasesmainsetles

enveloppatouslesdeuxsousladoucelumière

argentée.

—Maisj’aimeraisquandmêmeprendreun

bain,gémitBonnie.

Pendantcetemps,lenouveauvampire,celuià

lagrandecarrure,etDamons’étaientenveloppés

d’unhaloargenté.

—Lesquatrebaignoiresdecettemaisonsontà

votredisposition,annonçaMmeFlowers.Unedans

lachambredeStefan,unedanschaquechambre

voisine,etunedanslamienne.Jevaisvous

chercherquelquesselsdebain.

Elleouvritlesbrasfaceàlapetitebande.

—Vousêtesicichezvous,mespetits!

Unconcertdemercischaleureuxs’ensuivit.

—Jevaisétablirunplanningpouralimenter

Stefan.Sivousêtesd’accord,lesfilles?ajouta

rapidementElenaenregardantBonnieetMeredith.

Ilneluifaudrapasgrand-chose,justeunpeutoutes

lesheures,jusqu’àdemainmatin.

ElenasemblaitredouterdeparleràMatt.Et

Mattressentaitlamêmechose.Maisils’avança,les

mainstenduesdansungesteinoffensif.

—Ilyaunerèglequiinterditauxgarçons

d’êtredonneurs?Parcequesinonj’aiunesantéde

fer.

Stefantournalatêteverslui.

—Iln’yaaucunerègle.Maistunedoispaste

sentir…

—Jeveuxt’aider.

—Alors,d’accord.Merci,Matt.

Labonneréponseauraitsansdouteété«Merci

àtoi,Stefan»,maisMattnetrouvaitpaslesmots.

—Mercid’avoirveillésurElena,dit-il

finalement.

Stefansourit.

—C’estDamonqu’ilfautremercier.Luietles

autresm’onttousaidé…etsesontaidésentreeux.

—Onamêmepromenélechien;dumoins,

Sages’enestchargé,ajoutaDamond’unair

entendu.

—Tiens,çamefaitpenser…Mesdeuxamis

auraientbienbesoindepasseràl’antiparasiteeux

aussi.Sabre,Serre,aupied!lançaSage.

IlémitunsifflementqueMattauraitété

incapabled’imiter.

Detoutefaçon,Mattnageaitenpleinrêve.Un

chienpresqueaussigrosqu’unponeyetunfaucon

surgirentdel’obscurité.

—C’estparti!ditlevampirecostaud.

Et,unefoisdeplus,lejetdelumièreargentée.

—Voilà.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient,je

préfèredormiràlabelleétoileavecmes

compagnons.Jevoussuisreconnaissantdetoutes

vosattentions,madame.Jem’appelleSage.Le

fauconc’estSerre,etlechienSabre.

—Prems’surlabaignoiredeStefanpournous

deux,etsurcelledeMmeFlowerspourlesfilles.Je

vouslaissegérerlesautresentrevous,lesgarçons!

—Pourmapart,jeseraidanslacuisineentrain

depréparerdessandwichs.

Surce,MmeFlowerss’éloignaverslamaison.

***

C’estàcetinstantqueShinichisurgitdeterre

au-dessusd’eux.

Ou

plutôt,

sonvisageapparut;c’était

manifestementuneillusion,maisellen’enétaitpas

moinsinouïeetterrifiante.Shinichisemblait

vraimentêtrelà,commeungéant,portantlepoids

dumondesursesépaules.Lamassenoiredeses

cheveuxseconfondaitaveclanuit,maislespointes

écarlatesformaientuneauréoleembraséeautourde

sonvisage.C’étaitunétrangespectacleauretour

d’unmondedominéjouretnuitparunénormesoleil

rouge.

Sesyeuxétaienttoutaussirouges,commedeux

petiteslunesdansleciel,etbraquéssurlegroupe

quisetenaitprèsdelamaisondeMmeFlowers.

—Bonjour,dit-il.Ehbien,voussemblezsurpris

demevoir?Ilnefautpas.Jenepouvais

décemmentpasvouslaisserrentrersanspasser

voussaluerenvitesse.Aufond,çafaisait

longtemps…pourcertains.

Unsouriresedessinasurl’immensevisage.

—Etpuis,biensûr,jevoulaisprendrepartaux

réjouissances:cecherStefanaétésauvé,çaalors!

Etilamêmefalluaffronterunénormepouletpoury

arriver.

—J’auraisaimét’yvoir,êtreconfrontéà

Blodweddàuncontreuntoutenessayantde

trouveruneclésecrètedanssonnid,commençaà

rétorquerBonnied’untonindigné.

Maiselles’arrêtaensentantMeredithluipincer

discrètementlebras.

Desoncôté,Sagemarmonnaquelquechoseau

sujetdecequeferaitson«énormepoulet»,Serre,

siShinichiavaitassezdecranpourveniren

personne.

Lekitsuneignoraleursréactions.

—Quantaucasse-têtechinoisquevousavez

réussiàdémêler:bravo,trèsimpressionnant.À

l’avenir,jamaisplusnousnevousprendronspour

desidiotsetdesempotésquinesesontjamais

vraimentdemandépourquoi,àl’origine,masœur

leuravaitdonnédesindices.Sansparlerdufaitque

cesindicesétaientplutôtaccessiblespourdesgens

quinesontpasdesnôtres.C’estvrai,danslefond…

Shinichieutunregardmauvais.

—Qu’est-cequinousempêchaitd’avalerlaclé

etdedisparaîtreàjamais,hein?

—Quedubluff,lâchaMeredithd’unton

insensible.Vousnousavezsous-estimés,c’esttout.

—Peut-être,concédaShinichi.Etpeut-êtreque

nosraisonsétaienttoutautres.

—Tuasperdu!luilançaDamon.Jecomprends

quepourtoicesoittoutnouveaucommeconcept,

maisc’estlaréalité.Elenamaîtrisebeaucoupmieux

sespouvoirs,maintenant.

—Resteàsavoirs’ilsfonctionnerontici…

Ileutunsouriresinistre.

—…ous’ilsdisparaîtrontsubitementsousla

pâlelueurdecesoleiloudanslesprofondeursdes

vraiesténèbres?

—Nel’écoutepas,Elena!criaSage.Tes

pouvoirsviennentd’unmondeauqueliln’apas

accès!

—Ah,oui:lerenégat.J’allaisl’oublier.Lefils

rebelleduRebelle!Jemedemande…Commentte

fais-tuappelercettefois?Cage?Rage?Jeme

demandecequepenserontcespetitsquandils

découvrirontquituesvraiment.

—Peuimportequiilest!rageaBonnie.Cequi

compte,c’estqu’onsaitquec’estunvampire,mais

queçanel’empêchepasd’êtregentiletattentionné

etdenousavoirprotégésdescentainesdefois!

Elle

ferma

les

yeux,

sans

se

laisser

impressionnerparlesgrandséclatsderirede

Shinichi.

—Tupensesdoncavoirgagné,mapetite

Elena?reprit-ild’untonsarcastique.Mais,dis-moi,

sais-tucequ’onappelleungambitauxéchecs?

Non?Ehbien,jesuissûrquetonamiel’intellosera

raviedetel’expliquer.

Unsilencepesanttomba,puisMeredith

répondit,avecunvisagedemarbre:

—Ungambit,c’estquandunjoueurd’échecs

sacrifievolontairementunpionouunefiguredansle

butd’obtenirautrechose.Unepositionsur

l’échiquier,parexemple.

—J’étaiscertainquetusauraisleurexpliquerà

laperfection.Alorsquepenses-tudenotrepremier

gambit?

Nouveausilence.

—Jeprésumequeçasignifiequevousnous

avezrenduStefanpouratteindreunobjectifplus

intéressant.

—Ah,siseulementtuavaisdescheveux

dorés…commeceuxquetonamieElenametsi

jolimentenvaleur.

Plusieursexclamationssurlemode«Hein?»

sefirententendre,laplupartadresséesàShinichi,

maiscertainesàElena.

Elleexplosasur-le-champ:

—SituasprislessouvenirsdeStefan,jete

jureque…

—Allons,allons,maisnon!Riend’aussi

radical…Ilajusteeudroitàquelquesillusionsde

moncrudurantsonpetitséjourenprison.

Elenalevalesyeuxversl’immensevisageetle

fixad’unairextrêmementméprisant.

—Espècede…mufle.

—Merci,çamevadroitaucœur!

MaislefaitestqueShinichinesemblaitpas

aussiinsensiblequ’ilvoulaitlefairecroire;unerage

menaçanteluisaitdanssesyeux.

—Vousquiêtestoussiproches,savez-vous

combiendesecretsilexisteentrevous?

Naturellement,Meredithestlareinedessecrets,et

ellecachebienlessiensàsesamisdepuistoutesces

années.Vouspenseztoutsavoird’elle,maisle

meilleurresteàvenir.Etpuis,biensûr,ilyale

secretdeDamon.

—Secretquiaintérêtàleresteroula

déclarationdeguerreprendeffetsur-le-champ,

répliquaDamon.Ettusais,bizarrement,quelque

chosemeditque,situesvenuicicesoir,c’estpour

négocier.

Cettefois,lesgrandséclatsderiredeShinichi

setraduisirentparunegigantesquebourrasque;

DamondutbondirderrièreMeredithpour

l’empêcherdetomberàlarenversedansletrou

laisséparlacabine.

—Quellegalanterie!raillaShinichid’unevoix

tonitruante.

Quelquepartderrièreeux,desfenêtresdela

maisonvolèrentenéclats.

—Àprésent,jedoisvousquitter.Souhaitez-

vousquejevousdresseunepetitelistedestrésors

qu’ilvousresteàtrouver,avantdevouslaisseren

têteàtêteavecvospetitssecrets?

—Nousn’avonsbesoinderienvenantdevous.

Etvousn’êtespluslebienvenuici,intervint

MmeFlowerssuruntonglacial.

Desoncôté,Elenaneputs’empêcherde

réfléchirauxparolesdeShinichi.Elleavaitbeauêtre

là,saineetsauve,etsavoirqueStefanavaitbesoin

d’elle,ellecherchaituneexplicationàtoutça:le

deuxièmegambitdeShinichi.Carc’étaitdecelaqu’il

s’agissait,elleenétaitcertaine.

—Oùsontlessacsaveclessphèresd’étoiles?

lâcha-t-ellesubitement.

Sontoncassantdéroutalamoitiédugroupeet

alarmatoutbonnementlesautres.

—J’entenaisun,maisaprèsjenesaisplus,je

mesuiscramponnéàSabre,réponditSage.

—J’enavaisun,maisjel’ailâchédansletrou

quandonm’asoulevée!s’écriaBonnie.

—Lemienestlà,maisjenecomprendstoujours

paspourquoi…

Elenafitvolte-faceversDamon.

—Fais-moiconfiance!Ilfautlesrécupérer!

Àl’instantoùelleavaitprononcélemot

confiance,Damonavaitbondidansletrousans

attendrelafindelaphrase.Lefaisceauquiirradiait

encore

à

l’intérieur

était

d’une

puissance

aveuglante,mêmepourunvampire,maisilne

bronchapas.

—C’estbon,jelesai!…Non,attendez,ilyaune

racine!Unefoutueracines’estenrouléeautourdes

sphèresd’étoiles!Lancez-moiuncouteau,vite!

Alorsquetoutlemondepalpaitsespochesà

toutevitesseenquêted’uncouteau,Matteutune

réactionquilaissaElenasansvoix.D’abord,iljeta

unœilaufonddutroudepresquedeuxmètresde

profondeur,toutenpointant…onauraitditun

revolver.Oui,Elenareconnutlemodèlequiallaitde

pairavecceluideMeredith.Puis,sansmême

essayerdes’yglisserendouceur,ilsejetadedans.

—VOUSNEVOULEZDONCPASSAVOIR?…

rugitShinichi.

Maispluspersonnenefaisaitattentionàlui.

Mattneseréceptionnapasaveclamême

souplessequeDamon.Lesoufflecoupé,ilétouffaun

juron.Maissanstarder,avantmêmedeserelever,

iltenditlerevolveràDamon.

—Lesballessontbénites.Viselaracine!Vas-

y!

Damonneperditpasuneminute;iln’eut

mêmepasl’airdeviser.Maisvisiblement,enun

claquementdedoigts,ilavaiteuletempsd’enlever

lecrandesûretéetdetireràboutportantcarla

racineserpentaàtoutevitessecontrelaparoi

instabledutrou,l’extrémitéétroitementenroulée

autourd’uneformeronde.

Elena

entendit

deux

coups

de

feu

assourdissants;puisuntroisième.Damonsepencha

pourramasserlasphèred’étoilesenserréedansla

racine;elleétaitdetaillemoyenneetclairecomme

lejourlàoùsasurfaceapparaissait.

—REPOSEÇA!

LafureurdeShinichiétaitdésormaissans

bornes.Lesdeuxpointsrougevifdesesyeux

étaientcommedesflammes…Onauraitditquede

véritableslunesdefeuprenaientformedansses

énormespupillesdilatées.

—J’AIDIT:NETOUCHEZPASÀÇAAVEC

VOSSALESPATTESDEMORTELS!

—ÇadoitêtrelasphèredeMisao,c’est

forcémentça,compritMeredith.Ilavaitprisle

risquedemettrelasienneenjeu,maispascellede

sasœur.Damon,passe-la-moi,aveclerevolver!Je

tepariequ’ellen’estpasblindée.

Elles’agenouillaauborddutrouentendantle

bras.

Haussantlesourcil,Damons’exécuta.

—Ohnon!JecroisqueMatts’estfouléla

cheville!s’écriaBonnie,quilesavaitrejointsau

borddutrou.

—JEVOUSAURAISPRÉVENUS,rugitencore

Shinichi.VOUSALLEZLEREGRETTER…

—Tiens,attrape!ditDamonàMeredith,sans

prêterlamoindreattentionaukitsune.

Sansplusdecérémonie,ilattrapaMattdansses

braset,agilecommeunepanthère,ressortitdu

trou.IlledéposaprèsdeBonnie,dontlesgrands

yeuxmarronlefixèrentavecuntroubleextrême.

Matt,enrevanche,gardalatêtehaute,

encaissantlesélancementsdanssachevillesans

ciller.

—Merci,Damon.

—Pasdequoi,Matt.

Bonnieeneutlesoufflecoupé.

—Quoi?ditDamonenluijetantuncoupd’œil.

—Tut’enessouvenu!s’écria-t-elle.Tut’es

souvenudeson…

Elles’arrêtabrusquement.

—Meredith,derrièretoi!L’herbe!

Meredith,quiétaitentraind’examinerla

sphèred’étoilesavecundrôled’air,lançalerevolver

àDamonet,desamainlibre,essayad’arracherla

planterampantequis’étaitentortilléeautourdeses

piedsetdeseschevilles.Mais,alorsmêmequ’ellese

penchait,latigesemblabondirpouragrippersa

main,laligotantàsespieds.D’autreslianes

surgirentdeterre,grimpantets’enroulantàtoute

vitesseautourdesoncorpsendirectiondela

sphère,qu’ellesoulevaleplushautpossibleau-

dessusd’elle.

Leslianesseresserraientautourdesapoitrine,

comprimantsespoumons.

Toutsepassatrèsvite.

—Prenezlasphère,vite!

Lesautresseprécipitèrentpourl’aider.Bonnie,

quiétaitdéjàsurplace,voulutplantersesongles

dansunedeslianesquiétouffaientsonamie,mais

elleétaitdurecommedelapierre,etc’esttoutjuste

sielleréussitàlagriffer.MattetElenan’eurentpas

plusdesuccès.SageessayaalorsdehisserMeredith

àbras-le-corps,del’arracherlittéralementdutrou,

maisseseffortsfurenttoutaussivains.

LevisagedeMeredith,bienvisibledansla

lumièrequicontinuaitd’irradierencontrebas,

devenaitlivide.

Damonattrapad’ungesteviflasphèred’étoiles,

justeavantquelalianequicouraitlelongdeson

brasnes’enempare.Alorsilsemitàsedéplacerà

unevitessefulgurante,sansjamaisresterassez

longtempsàunendroitpourqu’unelianeaitle

tempsdel’agripper.

Mais,lesplantescontinuaientd’asphyxier

Meredith.Sonvisageétaitmaintenantbleu,ses

yeuxexorbitésetsaboucheouverte,dansl’attente

d’unsoufflequ’ellenetrouvaitplus.

—Arrêteça!hurlaElenaàShinichi.Onvate

rendrelasphère,maislâche-la!

—LALÂCHER?gronda-t-ilavecunrire

monstrueux.TUFERAISPEUT-ÊTREBIENDETE

SOUCIERDETESPROPRESINTÉRÊTSAVANT

DESOLLICITERUNEFAVEUR.

Elenajetadesregardséperdusautourd’elle…

ets’aperçutquel’herbedujardinavaitpresque

entièrementenseveliStefan,quiétaitàgenoux,trop

faiblepouravoirpus’écarteràtemps.

Àaucunmomentilnes’étaitmanifestépour

attirerl’attention.

—NOOON!

Lehurlementd’Elenacouvritpresquelerirede

Shinichi.

Mêmeensachantquec’étaitpeineperdue,elle

sejetasurStefanpouressayerd’arracherl’herbe

quiluicomprimaitletorse.

Ilsecontentadeluisourirefaiblementen

secouantlatêteavecdésespoir.

AlorsDamonsefigeanet,brandissantlasphère

d’étoilesverslevisagemenaçantdeShinichi.

—Prends-la!cria-t-il.Relâche-lesetvaau

diable!

Cettefois,leséclatsderiredeShinichi

déclenchèrentunetornadecolossale.Unespirale

d’herbesurgitdeterreauxpiedsdeDamonet

formaenunclind’œilunabominablepoingvert

hirsute,quiatteignitpresquelasphère.

Presque.

—Tenezbon,mespetits!haletaMmeFlowers.

Àboutdesouffle,elleétaitarrivéeencourant

dubunker,suiviedeMatt,quiboitaitatrocement,et

tousdeuxtenaientdanslesmainscequiressemblait

àdesPost-it.

Damonrecommençaàsedéplaceràunevitesse

fulgurantepouréchapperàl’énormepoing,etMatt

flanquaundesespapierssurletorserecouvert

d’herbedeStefan,pendantqueMmeFlowersfaisait

lamêmechoseavecMeredith.

Sousleregardincréduled’Elena,l’herbese

flétritbrusquementcommedelapaille,jusqu’àse

désintégrercomplètementsurlesol.

ElleseprécipitapourreleverStefan.

—Rentrezvite!lançaMmeFlowers.Vous

serezàl’abridanslebunker.Quelesvalidesaident

lesblessés!

MeredithetStefanreprirentleursouffleen

suffoquant.

MaisShinichin’avaitpasditsonderniermot.

—Soyezsanscrainte…,lança-t-ild’unevoix

caverneuse.

Sontonétaitétrangementcalme,commes’il

acceptaitsadéfaite…pourcettefois.

—Jerécupéreraicettesphèrebienasseztôt.De

toutefaçon,vousnesavezpascommentutiliserce

typedepouvoir.Et,dureste,jevaisvousrévélerce

quevotrebandedeprétendusamissecachentles

unsauxautres.Despetitesconfidences,çavous

tente?

—Ons’enfoutdetessecrets!cria

méchammentBonnie.

—Surveilletonlangage,petite!Etécoute

plutôt:l’und’entrevousagardéunsecrettoutesa

vieetc’estencorelecasàl’heureactuelle.Unautre

estunmeurtrier,etjeneparlepasd’unvampire,

d’uneeuthanasieoudequoiquecesoitdugenre.

Parailleurs,ilyalaquestiondelavéritableidentité

deSage…Là-dessus,jevoussouhaitebiendu

plaisir!L’undevousadéjàeulamémoireeffacée,

etjeneparlenideDamonnideStefan.Sansoublier

laquestiondelafameusenuitaumotel,dont

manifestementpersonnenesesouvienthormis

Elena.Àl’occasion,demandez-luidevousraconter

sathéoriesurCamelot.Et,pourfinir…

Soudain,uncoupdefeuaussiassourdissantque

sonrirediaboliqueinterrompitShinichi.L’énorme

visagedanslecielsedécomposa,s’affaissantdans

une

grimace

ridicule

avant

de

disparaître

complètement.

—Qu’est-cequec’était?

—Quialerevolver?

—Quelgenredepistoletpourraitveniràbout

decemonstre?

—Unpistoletchargédeballesbénites,répondit

calmementDamon.

Illeurmontral’arme,pointéeverslesol.

—C’esttoiquiastiré?

—T’esgénial,Damon!

—Bonvent,Shinichi!

—C’estunsalementeurquandçal’arrange,ça

jevouslegarantis.

—Jecroisque,cettefois,nouspouvonsrentrer

nousreposer,ditMmeFlowers.

—Oh,queoui!Nosbainsnousattendent!

—UNEDERNIÈRECHOSE…

LavoixmonstrueusedeShinichilesencercla

brusquement,résonnantdetoutesparts,ducielet

delaTerre.

—Vousallezvraimentadorercequejevous

mijotepourlaprochainefois.Àvotreplace,

j’entameraitoutdesuitelesnégociations!

Sonrires’évanouitdanslesairset,dansson

sillage,unevoixféminineétoufféelaissaentendre

unsimulacredepleurs.Misaonepouvaitpas

s’empêcherdericaner.

—VOUSALLEZADORER!insistalekitsune

dansunultimerugissement.

42.

Elenaéprouvaitunsentimentqu’elleavaitdu

malàdéfinir.Cen’étaitpasvraimentde

l’apaisement,plutôt…durépit.Illuisemblaitque,

toutesavieoupresque,ellel’avaitpasséeà

chercherStefan.

Maisaujourd’huiellel’avaitretrouvé,sainet

sauf,etmêmepropre(ilavaitprisunlongbain

pendant

qu’elle

insistait

pour

lui

frotter

vigoureusementlecorpsavectoutessortesde

brossesetdepierresponces,puisilavaitterminé

parunedouchesuivied’unedeuxième,unpeuà

l’étroit,avecelle).Enséchant,sescheveuxbruns

formaientunecrinièresoyeuse(unpeupluslongue

quecellequ’ilarboraitd’habitude).

Aujourd’hui…iln’yavaitplusnigeôliersni

kitsunepourlesespionner.Riennepouvaitles

séparer.Ilss’étaientamuséscommedesgossessous

ladouche,s’éclaboussantmutuellement,Elena

s’assuranttoujoursdegarderlespiedsbienancrés

surletapisantidérapant,prêteàsoutenirtantbien

quemalsoncorpsdégingandés’ilfaiblissait.

Maisilsn’arrivaientplusàplaisanteràprésent.

Lejetdeladoucheavaitétébienpratique,

d’ailleurs;pratiquepourdissimulerleslarmesqui

coulaientencontinusurlesjouesd’Elena.C’étaitsi

injuste…Ellepouvaittoucheretcompterchacunede

sescôtes.SonbeauStefann’avaitplusquelapeau

surlesos,quoiquelaflammedanssesyeuxverts

fûttoujourslà,pétillanteetvacillantedansson

visageblafard.

Aprèsavoirenfiléunetenuepourdormir,ils

restèrentunmomentassissurlelitsansriendire.

Danslesbrasl’undel’autre,respirantavecun

synchronismeparfait(Stefanavaitreprisl’habitude

derespirer,àforcedecôtoyerautantleshumains

et,récemment,d’avoiressayéd’économiserlepeu

deforcequiluirestait).Ilspouvaientenfinsentirla

chaleurdeleurscorps…C’étaittroublant.Presque

trop.Plutôttimidement,ilcherchaàtâtonslamain

d’Elenaetlaserradanslessiennes,enlaretournant

plusieursfoispensivement.

Lagorgenouée,mêmesiellesesentait

divinementbienetheureuse,Elenatentaitenvain

delancerlaconversation.«Peuimporte,cesilence

mesuffit»,sedisait-elle,maisaufondellesavait

quetrèsbientôtelleauraitenviedeluiparler,de

l’étreindre,del’embrasseretdelenourrir.Mais,en

attendant,siquelqu’unluiavaitimposéderester

simplementassiseennecommuniquantquepardes

gestesd’amour,elleauraitacceptésanshésiter.

Finalement,sansmêmes’enrendrecompte,

ellesemitàparlerlentement,commesilesmots

patinaientdanslamélasse;desbribesdeparoles

qui,pourautant,étaientdesplussincères.

—Jecroyais,pouruneraisonoupourune

autre,quecettefoisj’allaispeut-êtreperdre.J’avais

triomphésisouvent…Jemedisaisque,là,

quelqu’unmedonneraitunebonneleçonetque…tu

net’ensortiraispas.

Toujoursperdudanssespensées,Stefan

contemplaitsamain,embrassantsesdoigtsunàun.

—Tuappellesçagagner,d’êtremortedansla

souffrancepoursauvermavieinsignifianteetcelle,

encoreplusinsignifiante,demonfrère?

—Disonsquec’étaitunevictoireendemi-

teinte,admit-elle.Chaquefoisqu’onestréunis,c’est

unevictoire.Àchaqueinstant,mêmedansce

cachot…

Stefangrimaça,maisElenaavaitbesoind’aller

auboutdesapensée.

—Mêmelà-bas,teregarderdanslesyeux,

touchertamain,savoirquetupouvaismevoiret

metoucheraussi,etqueçatefaisaitdubien…Ça

aussi,pourmoi,c’étaitunepetitevictoire.

Illevalatêteverselle.Souslalumièretamisée,

levertdesesyeuxparutsubitementsombreet

mystérieux.

—Unedernièrechose,chuchota-t-il.Parceque

jesuisquijesuis…etparcequetonplusgrand

triomphen’estpastamagnifiquecheveluredorée

maiscetteaura…indescriptible,au-delàdesmots…

Elenapensaitqu’ilsseraientrestésassisdes

heures,àseregarderlesyeuxdanslesyeux,àse

perdredansleregarddel’autre,maisnon:

l’expressiondeStefanavaitchangéinsensiblement,

etellecompritàquelpointsasoifdesangétait

encoreintense,quelamortleguettaittoujours.

Alorselles’empressadedégagersoncouen

écartantsescheveuxmouillés,puiselleselaissa

tomberdoucementenarrière,sachanttrèsbien

qu’illarattraperait.

Illefit,maisuniquementpourreleverson

visageentresesmainsetlaregarderdanslesyeux.

—Sais-tuàquelpointjet’aime,Elena?

LevisagetoutentierdeStefanétaitdésormais

unmasqueénigmatiqueetétrangementfascinant.

—Non,jenecroispasquetuenaiesconscience,

chuchota-t-il.Jen’aipascessédeteregarderte

battre,fairetouttonpossiblepourmesauver…et

tuignoresàquelpointmonamourpourtoin’afait

queserenforcer…

Elenasentitdedélicieuxfrissonsluiparcourirle

dos.

—Ehbien,prouve-le,chuchota-t-elleàson

tour.Sinon,jecroiraiquecenesontquedesparoles

enl’air…

—Attends,tuvascomprendre,monamour…

Mais,quandilsepenchasurelle,cefutpour

l’embrasserdoucement.Ensentantcetêtreaffamé

l’embrasseraulieudesejeterimmédiatementsur

sagorge,l’émotiond’Elenaatteignitsoncomble,

ébranlanttoutsonêtred’unefaçonquenises

penséesnisesmotsnepouvaientexprimer;attirer

levisageetlabouchedeStefanverssoncoufutla

seuleréactiondontellefutcapable.

—Jet’enprie,Stefan,murmura-t-elle.

Enfin,ellesentitladouleurfugitivedusacrifice

quandils’abreuvadesonsang.Lespenséesde

Stefan,quiavaitvoltigéçàetlàcommeunoiseau

faceàunmuraveugle,retrouvèrentenfinlechemin

delaraisonetducœur,s’élevantversl’infini,en

harmonieavecelle.

Parlasuite,lesparolesfurentinutiles.Leurs

espritsencommunion,ilscommuniquèrentparle

biaisdepenséesaussipuresetlimpidesquedes

pierresprécieuses,etElenaseréjouitcarStefanne

luicachaitrien;sonesprits’ouvraitàelle,sans

restriction,nimurs,nizonesd’ombre,iln’yavaitni

secretsenfouisdansunrocher,nienfantenchaînéet

enlarmes…

Quoi?

Subitement,elleentenditStefans’exclameren

silence.

Quelenfantenchaîné?Quelrocher?Quipeut

bienavoirçadanslatête?

Maisils’interrompitbrusquement,devinantla

réponseavantmêmequel’espritd’Elena,vifcomme

l’éclair,nelaluidonne.Elleressentitlacompassion

sanslimitesqu’iléprouva,unecompassion

naturellementpimentéeparlacolèred’unhomme

quiavaittraversélesprofondeursdel’Enfer,mais

inaltéréeparleterriblepoisondelahaineentre

frères.

Lorsqu’elleeutfinideluiexpliquertoutce

qu’ellesavaitsurlesmécanismesdepenséede

Damon,elleconclutparcesmots:Jenesaisplus

quoifaire.J’aifaittoutcequej’aipupourl’aider,

Stefan.Jel’aimême…aimé.Jeluiaitoutdonné,

saufcequin’appartientqu’àtoi.Maisjenesuis

mêmepascertainequeçaaitchangéquelque

chose.

Pourunefois,ilaappeléMattparsonprénom,

aulieude«Blatte»,soulignaStefan.

Oui,j’airemarqué…Jen’arrêtaispasdelui

demanderdelefaire,maisj’aitoujourseu

l’impressionqueçaneluifaisaitnichaudnifroid.

Etfinalementtuasréussiàlechanger.Peude

personnesensontcapables.

Elenaleserracontreelledetoutessesforces

puissereculatoutàcoup,inquiètedeluiavoirpeut-

êtrefaitmal.Illaregardaensouriant,hochant

doucementlatête.

Tudevraiscontinuer,dit-il,toujoursensilence.

Tuasénormémentd’influencesurlui.

Jeleferai…maissansartifices,promitElena.

Àcesmots,elleeutpeurqueStefannelacroie

tropprésomptueuse…outropattachée.

Maisunsimpleregardsuffitàlarassurer,àla

convaincrequesafaçond’agirenversDamonétaitla

bonne.

Ilsrestèrentcollésl’unàl’autreencore

quelquesheures.

***

LivrerStefanàd’autrespersonnespourqu’elles

lenourrissentnefutpasaussidifficilequ’Elena

l’avaitimaginé.Stefanavaitenfiléunpyjama

propre,etlapremièrechosequ’ilditàsestrois

donneursfutlasuivante:

—Sisubitementvousavezpeur,ousivous

changezd’avis,dites-le.Jen’auraiaucunmalàle

comprendre,etjenesuispasenmanqueextrême.

Detoutefaçon,jelesentiraisûrementavantvoussi

çavousdéplaît,etalorsjem’arrêterai.Pourfinir,

merci,merciàtouslestrois.Sij’aidécidéderompre

monserment,c’estparcequ’ilyaencoreunrisque

que,sansvous,jem’endormecesoiretneme

réveilleplus.

Bonniefutàlafoishorrifiée,indignéeet

furieuse.

—Tuveuxdireque,depuistoutcetemps,tu

n’aspaspudormirparcequetuavaispeurde…?

—Non,ilm’estarrivédem’assoupirdetemps

entemps,maisparchance,jemesuistoujours

réveillé.Parfois,jen’osaismêmepasbougerpour

économisermesforces,maisElenas’esttoujours

débrouilléepourvenirmevoiret,chaquefois,ellea

trouvéunmoyendemenourrir,d’unefaçonou

d’uneautre.

Faceauregardqu’illuilança,Elenasentitson

cœurtambouriner.

IlsfixèrentunplanningpourqueStefansoit

nourritouteslesheures,puisilslaissèrentle

premiervolontaireseulaveclui,àsavoirBonnie,

pourqu’ilssoientplusàl’aise.

***

Lelendemainmatin,Damonétaitdéjàsorti

rendreunepetitevisiteàLeigh,laniècede

l’antiquaire,quiavaitsemblétrèscontentedele

voir.Ilétaitmaintenantderetour,regardantavec

dédainlesparesseuxquitraînaientencoreaulitun

peupartoutdanslamaison.

C’estàcemoment-làqu’ilvitlebouquet.

Ilétaitsolidementferméetprotégépardes

amulettesquiluiavaientpermisdetraverserla

failledimensionnelle.Ildégageaitquelquechosede

particulièrementpuissant.

Damoninclinalatête.

«Humm…Jemedemandebienquoi?»

***

CherJournal,

Jenesaispasquoidire.Si:onestrentrés.

Hiersoir,toutlemondeaprisunlongbain…et

j’étaisunpeudéçueparcequemagrandebrosse

poursefrotterledosn’étaitpluslà,iln’yavaitplus

desphèred’étoilespourjouerunedoucemusiqueà

Stefanet,lecomble:l’eauétaitTIÈDE!Enallant

voirsilechauffe-eauétaitbienallumé,Stefana

croiséDamonquivenaitfairelamêmechose.C’est

drôle,jetrouve…

Ilyadeuxheures,jemesuisréveilléequelques

minutespourvoirleplusbeaudesspectaclessur

Terre…unleverdesoleil.Unrosepâleetvert

sombreàl’est,alorsqu’ilfaitencorenuitnoireà

l’ouest.Ensuite,unroseplusprononcédansleciel

etlesommetdesarbresquidisparaîtdansdes

nuagesderosée.Puisunelumièresplendidesurle

fildel’horizon,sousuncielauréoléderosefoncé,

d’ivoireetmêmedecitronvert.Pourfinir,une

lignedefeuet,enuninstant,touteslescouleurs

changent.Lalignedevientunarcetlecielàl’ouest

bleufoncé.Puislesoleilselève,répandantchaleur

etlumière,donnantdescouleursauxarbres

verdoyants,etlecielsedrapepeuàpeud’unbleu

céleste–jedis«céleste»justepourgarderl’idée

quelespectacleétaitvraimentdivinetaussi,

j’avoue,parceque,d’unecertainefaçon,cemotme

donnededélicieuxfrissons.Alorslecieldevient

bleuazur,claircommeducristal,etlentementle

soleildorépropageénergie,amour,lumièreetplein

debelleschosessurlemonde.

Quellefilleneseraitpasheureused’assisterà

cespectacledanslesbrasdesonbien-aimé?

Nousquiavonslachanced’êtrenésdansla

lumière,quivivonsavectouslesjours,sansjamais

enprendreconscience,noussommesbénis.Nous

aurionspuêtredesâmesdel’ombredèsla

naissance,vivantetmourantdansuncrépuscule

perpétuel,sansjamaisnousdouterquequelque

chosedemieuxexisteailleurs.

43.

Elenafutréveilléepardescris.Sonpremier

réveil,quelquesheuresplustôt,luiavaitprocuréun

bonheurabsolu.Maiscedeuxièmeréveil…aucun

doute,c’étaitlavoixdeDamon.MaisDamonen

traindecrier?C’étaitimpossible!

Enfilantàlahâteunpeignoir,ellesortitdela

chambreencoupdeventetseprécipitaaurez-de-

chaussée.

Éclatsdevoix…confusiongénérale.Damonétait

àgenoux,levisagemi-bleu,mi-blême.Pourtantil

n’yavaitaucuneplantedanslapiècesusceptiblede

l’avoirétranglé.

Unempoisonnementfutladeuxièmehypothèse

quiluivintàl’esprit,etellejetaaussitôtdesregards

furtifsautourd’elleàlarecherched’unverre

renversé,d’uneassiettecassée,den’importequel

signeindiquantquelepoisonétaitàl’originedu

malaisedeDamon.Maisrien.

Sageluidonnaitdestapesdansledos.Quoi,ilse

seraitétouffé?Non,c’étaitstupide:lesvampiresne

respiraientpas,exceptépourparleretaugmenter

leurspouvoirs.

Maisalorsquesepassait-il?

—Respire!criaitSageàl’oreilledeDamon.

Inspireunboncoup,commesituvoulaisparler,

maisensuiteretienstonsoufflecommepour

canalisertonénergie.Concentre-toisurcequise

passeàl’intérieur.Faismarchertespoumons!

Enentendantça,Elenafutencoreplus

perplexe.

—Voilà!s’écriaSage.Tuvois?

—Maisçanedurequ’uneseconde.Aprèsilfaut

quejerecommence!

—Évidemment.C’estlebut!

—Jetedisquejesuisentraindemourir,ettoi

tutemoques?pestaDamon,quiétaittout

ébouriffé.Jesuisaveugle,sourd,messenssont

détraqués,etçatefaitrire!

«Bizarre,sescheveuxenbataille»,pensaElena

sansriendire.

—Ça,moncher…

Cettefois,Sagefitdesonmieuxpournepas

rire.

—Tun’auraispeut-êtrepasdûouvrirun

paquetquinet’étaitpasdestiné.

—Jemesuisbardédeboucliersavantdele

faire!Etlamaisonétaitsûre.

—Maistun’étaispas…Respire,Damon,

respire!

—Çaavaitl’airtotalementinoffensif…et

reconnais…qu’onvoulaittousl’ouvrir…hiersoir…

maisfinalement…onétaittropfatigués…!

—Maisfaireçaseul:ouvrirlecadeaud’un

kitsune…Avouequecen’étaitpasmalin,non?

—Épargne-moitessermons!rétorquaDamon

ensuffoquant.Aide-moi,plutôt.Pourquoij’ai

l’impressiond’avoirducotondanslesoreilles?

Pourquoijevoissimal?Etmonouïe?Monodorat?

Puisquejetedisquejenesensplusrien!

—Tuesaussisaindecorpsetd’espritquepeut

l’êtreunmortel.Tupourraisprobablementvaincre

laplupartdesvampires,situdevaisenaffronter

toutdesuite.Maislesperceptionssensoriellesdes

humainssontlimitéesetpeudéveloppées.

Lesmotstournaientenboucledansl’esprit

d’Elena…Ouvrirunpaquetquinet’étaitpas

destiné…Unbouquetoffertparunkitsune…

humain…

C’estpasvrai?!

Manifestement,quelqu’und’autreeutlamême

réactionaumêmeinstantcar,toutàcoup,une

silhouettearrivaentrombedelacuisine.

Stefan.

—Tum’asprismonbouquet?Celuidu

kitsune?

—J’aifaittrèsattention…

—Tuterendscomptedecequetuasfait?

hurlaStefanensecouantsonfrèrecommeun

prunier.

—Hé,mollo!Çafaitmal!Tuveuxmebriserle

cou,maparole?

—Ça,çatefaitmal?Cen’estriencomparéàce

quit’attend,Damon!Tunecomprendsdoncpas?

J’aiparléaveccekitsune.Jeluiairacontétoute

l’histoiredemavie.Elenaestvenuemerendre

visiteetill’avuequasiment…enfin,bref:ill’avue

pleurer!Est-ceque…tucomprends…cequetuas

fait?

OnauraitditqueStefans’étaitmisàmonterun

escalieretquechaquemarcheluiavaitfaitfranchir

unnouveaupalierderage.Là,ilétaitarrivéen

haut…

—JEVAISTETUER!Tumel’asvolée!Tu

m’asprismonhumanité!Ilmel’avaitdonnée…et

toitut’esservi!

—Toi,tuveuxmetuer?C’estmoiquivaiste

tuer,oui!Espècede…desalaud!Ilyavaitunefleur

aumilieu.Unegranderosenoire,commejen’enai

jamaisvu.Etsonparfum…étaitdivin…

—Ellen’yestplus,signalaMattenleur

montrantlebouquet.

Ilyavaiteffectivementuntroubéantaucentre

delacomposition.

Endépitdutrou,Stefanseprécipitapour

plongersonvisagedanslebouqueteninspirantde

grandesbouffées.Ilseredressaplusieursfoisen

faisant

claquer

deux

doigts,

mais,

systématiquement,uneétincellejaillissaitaubout

desesdoigts.

—Désolé,monvieux,ditMatt.Jecroisqueça

nemarcheraplus.

Elenacomprenaittout,àprésent.Cekitsune…il

appartenaitauxespritsdebonaugure,commedans

lesrécitsqueMeredithleuravaitracontés.Oudu

moinsilavaitétéassezbienveillantpourcompatirà

lasituationcritiquedeStefan.Alors,ens’échappant

deprison,ilavaitcomposéunbouquet,etonsait

queleskitsunepeuventfairetoutcequ’ilsveulent

aveclesplantes,mêmesi,là,c’étaitcarrémentun

exploit,unpeucommedetrouverlesecretdela

jeunesseéternelle…maisdansl’autresens:pour

transformerunvampireenmortel.DirequeStefan

avaitendurétoutçaetqu’ilauraitdûfinalementen

êtrerécompensé…

—J’yretourne,criaStefan.Jevaisle

retrouver!

—

Avec

ou

sans

Elena

?

demanda

tranquillementMeredith.

Stefansefigea.Iltournalatêteversl’escalier,

etsonregardcroisaceluid’Elena.

Jeviendraiavectoi,dit-elle.

—Non,répondit-ilàvoixhaute.Jamaisjene

t’imposeraiça.Enfindecompte,jen’iraipas.Jevais

plutôtt’étriper!

Ilfitvolte-faceverssonfrère.

—C’estbon,jeconnaislachanson.Maisje

t’explique:c’estmoiquivaistetuer!Tum’aspris

monunivers!Jesuisunvampire!Pasun…

Damonlâchauneflopéedejuronsoriginaux.

—Jenesuispasunminablehumain!

—Jecroisbienquesi,maintenant,lecontredit

Matt.J’aipasl’impressionquecesoituneblaguede

kitsune.Àmonavis,tuferaismieuxdet’yfaire.

DamonsejetasurStefan,etStefannes’écarta

pas.Enuneseconde,cefutunméli-mélodecoups

depied,decoupsdepoingetdejuronsenitalien,qui

donnal’impressionqu’ilyavaitaumoinsquatre

vampiresentraindesebagarreraveccinqousix

humains.

Elenas’assitaupieddel’escalier,totalement

déconcertée.

Damon…unhumain?

Commentallaient-ilsgérercettesituation?

Enrelevantlatête,ellevitqueBonnieavait

préparéavecsoinunplateaugarnidetoutessortes

d’aliments

qui

plaisaient

généralement

aux

humains;plateauqu’elleavaitsansdoutepréparé

pourDamonavantqu’ilpiquesacrisedenerfs.

—Bonnie,l’appela-t-elledoucement.Attends

unpeuavantdeleluidonner.Sinon,j’aipeurqu’il

netelebalanceàlafigure.Maisplustard,peut-

être…

—…qu’ilenvoudrabien?

Elenaeutunegrimace.

—CommentDamonvagérerlefaitd’être

redevenuhumain?…Mystère,médita-t-elleàvoix

haute.

Bonniejetaunœilàl’imbrogliomi-vampire,mi-

humainquicontinuaitdejurerderrièreelle.

—Àmonavis…iln’apasfinidesebagarrer.

Àcetinstant,MmeFlowersarrivadelacuisine

enportantuneassiettesurlaquelletrônaitune

pyramidedegaufresmoelleuses.Elleconstatala

pagaillequ’avaientseméeStefanetDamondansle

salon.

—Ça,parexemple,s’étonna-t-elle.Ilyaun

problème?

ElenaregardaBonnie.Bonniesetournavers

Meredith.EtMeredithjetauncoupd’œilàElena.

—Onpeutdireçacommeça…

N’ytenantplus,lestroisamiesfinirentpar

craqueretselaissèrentalleràuneimmensecrisede

rire.

Tuasperduunalliépuissant,soufflaunepetite

voixdansl’espritd’Elena.Enas-tuconscience?

Devines-tulesconséquences,maintenantquetu

saisquel’Universestpeupléd’autresShinichi?

«Onvaincra,seditElena.Illefaut.»

FinduTome4