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1 Lycée Célony Français 1°STD2A E.Caron 2016-2017 FRANÇAIS 1 ère Poésie et quête du sens http://philo-francais.e- monsite.com/pages/francai s/1-std2a/cours/poesie/

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Lycée Célony Français

1°STD2A E.Caron

2016-2017

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sens

http://philo-francais.e-monsite.com/pages/francais/1-std2a/cours/poesie/

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I.Histoiredugenre(Rappel):Poésie vient de “poien” = créer , fabriquer en grec. Le poète est celui qui crée à partir des mots, celui qui va donner forme au langage.

Le mythe d’Orphée illustre le pouvoir du chant et de la poésie. Ce personnage à la fois poète et musicien a servi de référence à de nombreux auteurs contemporains comme Apollinaire. Orphée est à l’origine du lyrisme, (expression personnelle des sentiments) Le lyrisme doit son nom à la lyre d’Orphée qui accompagnait ses chants. Capable de charmer les profondeurs des enfers, il devient le modèle des poètes par son talent et son courage. Orphée illustre non seulement le pouvoir du chant et de la poésie, mais

aussi le devoir du poète. Car Orphée prit le risque de descendre aux Enfers pour retrouver son amour Eurydice. Et telle est la situation du poète : trouver le lieu de l'origine, prendre le risque de regarder le monde à rebours en le nommant dans une langue qui défie la parole commune, délivrée de tout projet de communication ou d'idéologie. La poésie, c’est le courage de se déprendre de notre savoir pour accéder enfin à une expérience authentique du monde.

Si le sujet vous intéresse : Pourquoi la poésie ? L’Héritage d’Orphée de Fabrice Midal. Pocket, 248 p., 8,90 €.

Moyen âge : D’une forme orale héritée de l’Antiquité, la poésie sous des formes écrites se développe : Chanson, ballade, rondeau…

XVI° Avec le XIX°, le XVI° est le grand siècle de la poésie. A la Renaissance, et avec l’Humanisme la poésie connaît au XVI° un essor considérable. Louise Labé est une poétesse au ton original qui utilise sa propre expérience amoureuse pour décrire dans ses Sonnets, les peines et les joies de l’amour., Quant aux poètes de La Pléiade ( Ronsard, Du Bellay…), ils ont une très haute opinion de leur rôle. Pour eux l’inspiration du poète est quasi-divine.. Ces jeunes poètes se battent pour une poésie en langue française. Ils mettent à la mode le sonnet (hérité des italiens et notamment de Pétrarque) en alexandrins et en font la forme la plus noble.

Pierre de RONSARD (1524-1585) Mignonne, allons voir si la rose…

Joachim DU BELLAY (1522-1560) Heureux qui, comme Ulysse…

A Cassandre (…) Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que vostre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beauté.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !

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Au XVII° 3 courants : a) La poésie baroque : les thèmes sont liés à l’instabilité du monde, à la mort, à l’eau…Tout ce qui est mouvant, changeant… b) La poésie précieuse : elle cherche le raffinement… c) La poésie classique : exigence de clarté et de mesure. Elle obéit à des règles strictes comme le théâtre à la même époque. Boileau et Malherbe en théorisent les règles. L’écriture poétique se place sous le pouvoir de la technique et de la raison. La Fontaine, dans ses Fables , utilise la poésie classique pour porter un regard satirique sur l’homme et le monde. Le texte théâtral classique (tragédie et comédie) est alors écrit en vers et Corneille, Molière ou Racine en sont les plus brillants représentants.

XVIII° La poésie est peu présente au XVIII°. Théâtre, conte philosophique, roman, essai seront les genres favoris du XVIII° sans doute parce que ce siècle privilégie la réflexion philosophique et laisse un peu de côté le lyrisme.

Le XIX° C’est le siècle des révolutions poétiques. Et le genre revient en force.

Le romantisme : Amorcé avec J.J Rousseau, le romantisme marque la 1ère rupture en réaction contre la Raison (XVIII°), le progrès, la science. L’intérêt revient sur l’individu, ses sentiments, ses questionnements face au temps, à l’amour, à la mort… C’est par excellence une poésie lyrique qui chante « le mal du siècle », la solitude, la mélancolie… Hugo disloque l’alexandrin qu’il juge trop rigide. Et les poètes romantiques se libèrent des règles classiques héritées du XVII°. Lamartine, Hugo, Vigny, Musset…(Voir fiche romantisme)

b) Le Parnasse (c’était dans l’Antiquité, le séjour des Muses)

Ils rejettent certains aspects du romantisme (Lyrisme et engagement politique notamment). Ils préfèrent : le gout du pittoresque, le travail descriptif, la « couleur locale »… Ce qu’ils prônent avant tout, c’est « l’Art pour l’Art »…Pour eux, l’art n’a d’autre fonction que lui-même. La poésie n’a pas à s’engager, elle n’existe que par le travail sur la forme. Ils utilisent le rondeau, le dizain, le sonnet… Représentants célèbres : Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Hérédia…

Le devoir du parnassien se résume en six points : - on ne raconte pas sa vie à longueur de rime - ni politique ni morale - ignorer le monde moderne avec ses excès et ses outrances - respect du vers et de la forme - pratiquer l’art pour l’art - culte de la beauté

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c) Baudelaire : La forme poétique se modernise.

Baudelaire est une figure incontournable de la poésie du XIX° Il renouvelle la poésie par les thèmes qu’il choisit qui tout en gardant souvent la forme classique du sonnet. Et par des images inattendues comme le suggère le titre de son recueil Les Fleurs du mal (1857)… Chez lui, la recherche du Beau ne tue pas l’émotion… Il introduit aussi (après Aloysius Bertrand), le poème en prose. Ce sont de petits « tableaux » qui peignent les misères et l’insolite de la vie urbaine. (Cf. Les Fenêtres ou Le Jouet) Baudelaire, L’Idéal Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes, Produits avariés, nés d'un siècle vaurien, Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes, Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.

d) Le symbolisme : Les symbolistes cherchent à prouver que la poésie est une langue particulière qui peut dire le monde autrement. Il faut redonner du sens au mot, les débarrasser des clichés. Il veulent inventer une nouvelle musique poétique : « de la musique avant toute chose… » écrit Verlaine.. C’est pourquoi il préfère les vers courts et impairs. Il est influencé par le mouvement pictural de l’impressionnisme. Paul VERLAINE (1844-1896) Art poétique De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

e) Avec Rimbaud, la poésie prend une nouvelle force.

Rimbaud exprime sa révolte contre l’ordre social dans Poésies (1870-1871) : cf. Le Dormeur du val A 17 ans, il expose dans une lettre à son ancien professeur, sa vision révolutionnaire de ce que doit être la poésie :

Pour Rimbaud, Hugo et Baudelaire sont déjà des voyants. Rimbaud avec une oeuvre brève et fulgurante, regroupe ces expérimentations tout en ouvrant des voies explorées encore aujourd’hui. Son recueil Illuminations se caractérise par la liberté de la forme. Rimbaud utilise la prose. Et la réalité est souvent métamorphosée. Rimbaud, Illuminations, 1886 Départ Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs. Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. Assez connu. Les arrêts de la vie. — Ô Rumeurs et Visions !

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens .Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences…

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Départ dans l'affection et le bruit neufs !

XX°s:lapoésieenliberté.

Au vingtième, toute contrainte formelle disparaît. Chaque poète peut imposer ses propres règles. Apollinaire Il est le représentant de ce qu'on a appelé « l'esprit nouveau ». Son recueil Alcools (1913) est placé sous le signe de la modernité :

– suppression de la ponctuation – choix du premier poème intitulé « Zone » et qui commence par ces vers :

« A la fin tu es las de ce monde ancien…/ Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin. /Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

– Ville de Paris présentée comme un espace urbain source d'une esthétique nouvelle – Il crée le « poème-conversation » – Les calligrammes – Compose un poème Chantre, en un seul vers : « Et l’unique cordeau des

trompettes marines » – Apollinaire à pour devise « j’émerveille ». Son but est de surprendre le lecteur et de

donner les moyens à la poésie d’accéder à la modernité.

Les surréalistes (années 1920

Le surréalisme est né de la révolte de jeunes gens horrifiés par les horreurs de la première guerre mondiale. André Breton, médecin militaire, découvre Freud et la méthode des associations libres en soignant les traumatismes des soldats revenus du front. Il s'en inspire et propose l'écriture automatique, sorte de dictée de l'inconscient qui ne se préoccupe d'aucune contrainte. Robert Desnos publiera des récits de rêves écrits sous hypnose. Le but : faire émerger l'imaginaire enfoui dans la conscience. En 1924 parait le Manifeste surréaliste de Breton. Le mouvement est ainsi défini : SURREALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » L'image surréaliste y est décrite comme le choc de deux réalités tout à fait éloignées l'une de l'autre. Et « plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et juste, plus l'image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique »

Paul Eluard La terre est bleue comme une orange

Jamais une erreur les mots ne mentent pas Ils ne vous donnent plus à chanter Au tour des baisers de s’entendre

Les fous et les amours Elle sa bouche d’alliance

Tous les secrets tous les sourires Et quels vêtements d’indulgence

À la croire toute nue.

Les surréalistes privilégient des thèmes comme le rêve, l'amour, deux domaines ou le rationnel n’est pas très présent mais où l'inconscient joue un rôle essentiel. Aragon, Éluard sont de grandes figures de la poésie surréaliste notamment illustrés par leur thématique amoureuse En 1926, paraît Capitale de la douleur d'Éluard. La Courbe de tes yeux est un poème qui fait l'éloge de sa femme Gala dont la lumineuse beauté gagne tout l'univers. Élargissement de la fin du poème est caractéristique : « comme le jour dépend de l'innocence/le monde entier dépend de tes yeux purs/et tout mon sang coule

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dans leurs regards. » Quant à Aragon, il rend hommage à sa compagne Elsa Triolet dont il fait sa muse dans de nombreux poèmes. Les titres de ses oeuvres sont révélateurs de cette source d'inspiration : Les Yeux d'Elsa (1942), Elsa (1959), Le Fou d’Elsa (1963)… Le poème de forme libre travaille surtout l’image. On peut ainsi avoir des successions d’images contrastées. On a aussi une attention spécifique portée aux clichés, aux mots de tous les jours réinventés . Ainsi Breton écrit : « Qu’est-ce qui me retient de brouiller l’ordre des mots, d’attenter de cette manière à l’existence toute apparente des choses. Le langage peut et doit être arraché à son servage ». Des formes brèves et closes, voire classiques apparaissent chez Éluard pour exprimer l’amour comblé ou intense tandis que l’expérience de l’amour malheureux ou instable s’exprimera en rassemblement de phrases isolées, en strophes de nombre impair. Sur le plan formel, les principes surréalistes ont les conséquences suivantes (pas systématiques)

o déstructuration du vers ; o absence de rimes ; o recours au vers libre ; o images sans apparente logique ; o thèmes du rêve et de l’inconscient ; o éclatement des formes fixes ; o écriture à quatre mains (voire davantage) ;

Les apports de la poésie surréaliste sont considérables. En libérant le vers et l’inspiration de siècles de contraintes formelles et morales, les poètes surréalistes ont révolutionné l’écriture poétique. Leurs idées influent sur les grands poètes de la seconde moitié du XXe siècle : Yves Bonnefoy, André du Bouchet ou Eugène Guillevic.

Pour en savoir plus : http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-

surrealisme/ENS-surrealisme.htm

Les poètes résistants

Liberté de Paul Eluard en 1942 devient un poème phare de la littérature engagée.(traduit en 10 langues et parachuté par Les Anglais sur les pays occupés) Aragon publie en 1943 un poème clandestin : Je vous salue ma France » Et dans La Rose et le réséda, il rend hommage en 1944, à 4 résistants morts pour la France. Desnos aussi participe à la résistance. Arrêté et déporté il meurt en 1945 au camp de Térézin René Char avec Feuillet d’hypnos rapporte son expérience de résistant. (1946). Texte en prose, discontinu. Char revendique refus et révolte. A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis. » R. Char, Feuillets d’Hypnos

Pour en savoir plus sur la poésie engagée : http://www.cndp.fr/poetes-en-resistance/poetes/rene-char/

Travail à faire : Lire Manuel Hachette pp223-224

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II. Fonctions de la poésie :

S’interroger et connaître la nature humaine

La poésie est le lieu d’un questionnement, d’où le titre de l’objet d’étude : » Poésie et quête du sens » Pour Claude Roy, poète du XX°, le poète est un « poseur de questions » : (…)Le mort que je serai s’étonne d’être en vie, du chat sur ses genoux qui ronronne pour rien, du grand ciel sans raison, du gros vent malappris qui bouscule l’ormeau et se calme pour rien. Un cheval roux pourquoi ? Pourquoi un sapin vert ? Et pourquoi ce monsieur qui fait une addition, qui compte : un soleil, deux chiens, trois piverts, qui compte sur ses doigts pleins de suppositions ?(…)

Claude Roy ( ) Le Poseur de questions La poésie explore les grands thèmes de l’homme et du monde : • Mort : Hugo écrit dans les Contemplations : « C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ». La mort est un thème récurrent en poésie. • Fuite du temps et Carpe diem (au XVI°): vie éphémère de l’homme/ éternité de la Nature (Chez les

Romantiques par exemple) " Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,

Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;

Il coule, et nous passons ! " Lamartine, Le Lac, 18 • Sentiment amoureux : explorer des états d’âme, le passé, dire sa peine (Eluard, Nush) : le poète

partage sa souffrance, son expérience du malheur avec le lecteur. L’emploi du “je” permet au lecteur de partager le vécu de l’Autre.

V. Hugo : “Ah! Insensé qui croit que je ne suis pas toi!” (Préface des Contemplations) • Modernité Mais les poètes (surtout à partir du XIX°) s’intéresse à la modernité, à la technique, à la ville : C’est le cas de Baudelaire, d’Apollinaire, Rimbaud, Cendrars…

Baudelaire, Les Fleurs du Mal (ébauche Epilogue 2° édition) Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte. Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence, Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

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Les domaines de la poésie

On peut distinguer, même s’il est difficile et artificiel de les séparer : • Poésie lyrique : expression personnelle du moi et des sentiments du poète qui s’adresse à tous les

hommes. Le registre élégiaque (catégorie du registre lyrique). Il permet particulièrement l'expression de la plainte amoureuse, de la déploration. On le trouve fréquemment chez les romantiques. • Poésie didactique : pose un regard critique, moral, satirique sur le monde comme par exemple Les

Fables de La Fontaine (XVII°)

• Poésie engagée : témoigner, dénoncer (registre parfois satirique) Le Dormeur du Val de Rimbaud et ses deux trous rouges sur le côté…

o Les textes de René Char ou d’Aragon sur la guerre et la Résistance (2° guerre mondiale) o Eluard dans Poésie et Vérité

• Poésie comme jeu sur le langage : Queneau, Tardieu, Michaux

o Plus ludique, plus légère, cette poésie n’en interroge pas moins le monde. Voir “sit u t’imagines …de Queneau

• Poésie réflexive : parfois la poésie s’interroge sur elle-même… o Verlaine, Art poétique; o Tristan Tzara, Pour faire un poème dadaïste…

Figures et rôles du poète Dans la mythologie, le 1er des poètes est Orphée, accompagné de sa lyre. Le poète est l’intermédiaire entre les hommes et les dieux. Poètes et inspiration : Pour les poètes de l’Antiquité et les poètes de La Pléiade au XVI°, l’inspiration du poète est une sorte de dictée divine. : Ronsard (XVI°)écrira à propos des poètes : “ils ont les pieds à terre et l’esprit dans les cieux” Mission du poète :

• Il est chargé de traduire les énigmes du monde… Quête du Beau : C’est notamment la figure du poète maudit, solitaire et incompris. Baudelaire dans L’Albatros le compare à un Albatros, oiseau marin sublime quand il vole et très maladroit au sol :

Le poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l’archer;

Exilé sur le sol au milieu ds huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher”

• Engagement du poète :

Il dénonce les maux que subissent les hommes. Il doit jouer un rôle dans le progrès de la civilisation (Hugo)

Le poète en des jours impies Vient préparer des jours meilleurs.

ll est l’homme des utopies; Les pieds ici, les yeux ailleurs.

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C’est lui qui sur toutes les têtes,

En tout temps, pareil aux prophètes, Dans sa main, où tout peut tenir,

Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue, Comme une torche qu’il secoue,

Faire flamboyer l’avenir ! (V. Hugo)

• Il doit se faire « voyant »

Pour Rimbaud (XIX°) le poète doit se faire voyant , c’est-à-dire déchiffrer le monde avec un regard neuf et de nouveaux codes. Pour atteindre cet état de voyance, il suggère le dérèglement des sens, autrement dit une prise en compte de tous les sens pour appréhender le monde et le restituer dans la poésie. Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. (Rimbaud)

• Le poète : un artisan du langage : La matière du poète, c’est le langage. Il fabrique, créé à partir de là. Au XVII°, Boileau écrivait dans son Art poétique :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ;

Ajoutez quelquefois et souvent effacez » Au XIX°, Mallarmé reprendra cette idée. Pour lui, “ce n’est point avec des idées qu’on fait des vers, c’est avec des mots” "Je dis: une fleur! Et (…) musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tous bouquets." (Mallarmé)

Travail à faire : Lire page 253-254, Manuel Hachette et résumez sur une fiche ou une carte heuristique.

Citations sur la poésie :

XIX°

« Qu'est-ce que la poésie ? Une pensée dans une image. » Hugo « Tout est sujet ; tout relève de l'art ; tout a droit de cité en poésie (...) le poète est libre. (Les Orientales) « Le poète en des jours impies Vient préparer des jours meilleurs, Il est l’homme des utopies, Les pieds ici, les yeux ailleurs. » Les Rayons et les Ombres, Préface, 1840 Kafka "Les poètes tendent les mains vers les hommes. Mais les hommes ne voient pas des mains amicales, ils voient des poings crispés visant leurs yeux et leurs coeurs."

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Musset (Romantisme ) « Ah ! Frappe-toi le coeur, c'est là qu'est le génie. » « Faire une perle d’une larme » Baudelaire Qu’est-ce qu’un poète, si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ? » Rimbaud : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Paul Valéry : « Le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens. » "La plupart des hommes ont une idée si vague de la poésie que ce vague même de leur idée est pour eux la définition de la poésie". XX° Apollinaire : Les grands poètes et les grands artistes ont pour fonction sociale de renouveler sans cesse l’apparence que revêt la nature aux yeux des hommes.» Les Peintres cubistes Prévert : « La poésie, c'est un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie. Paul Eluard "Le poète est celui qui inspire, bien plus que celui qui est inspiré." Octavio Paz

o Les hommes se servent des mots ; le poète les sert.» o La création poétique est d’abord une violence faite au langage. Son premier acte est de déraciner les mots. Le poète

les soustrait à leurs connexions et à leurs emplois habituels.» L’Arc et la Lyre , 1956

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Caractéristiques du genre poétique:

Les types de poème

a) Poèmes à forme fixe

a) La ballade : date du Moyen-âge. 3 strophes et demi (28 ou 35 vers) La demi strophe finale s’appelle un « envoi ». Villon, Ballade des pendus : « Frères humains qui après nous vivez N'ayez les coeurs contre nous endurciz… b) Le rondeau : Forme qui apparaît au XV° : 15 vers sur 3 strophes. Le refrain apparaît au 1er vers, au 9° vers et et à la fin du poème c) Le blason : C’est une forme à la mode au XVI°, généralement versifié et à rimes plateshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Rimes_plates. Il permet soit l'éloge, soit la satire (on parle alors de contre-blason) d'un être ou d'un objet. Le plus souvent, l'objet du poème est le corps féminin, ou une partie de celui-ci. L’un des plus célèbres est « Le blason du beau tétin » de Marot (1535). On le retrouve chez Baudelaire et dans la poésie surréaliste et notamment dans « La Courbe de tes yeux… » d’Eluard et chez Breton dans « Union libre » d) Le sonnet : Inventé par le poète Italien Pétrarque, le sonnet est composé de deux quatrains et de deux tercets.(14 vers) Les poètes du XVIe siècle l’ont souvent employé, tels que Ronsard et du Bellay. C’est l’une des formes poétiques les plus employées, y compris au XXe siècle. Le sonnet classique présente des rimes embrassées dans les deux premiers quatrains, mais dans les deux tercets, les rimes deviennent suivies ou croisées. Le sonnet est composé de vers en alexandrins, décasyllabes ou octosyllabes. Sa forme régulière, symétrique et contraignante favorise la précision, la concision et la suggestion (Baudelaire: "Parce que la forme est contraignante, l'idée jaillit plus intense"); elle empêche le poète de céder aux facilités du lyrisme. Les rimes et le mouvement des strophes permettent des jeux d'oppositions et de correspondances qui expriment les tensions, la complexité de la vie intérieure du poète. Le sonnet est donc caractérisé par une forte cohérence interne. En outre, il peut y avoir une parfaite concordance entre le contenu et la forme. Depuis Pétrarque, le sonnet a presque constamment joui d'un grand prestige. Il s'agit sans doute du genre littéraire qui s'est le plus pratiqué en Occident durant les cinq derniers siècles (on estime à 45 000 le nombre de sonnets qui ont été publiés en France, au XVIe siècle seulement). e) Le pantoum ou pantoun, n.m., poème d'origine malaise à forme fixe. Adapté en France par les poètes romantiques, il est composé de quatrains à rimes croisées, dont le deuxième et le quatrième vers sont repris comme premier et troisième vers du quatrain suivant. Hugo, Baudelaire, Leconte de Lisle, Banville ou Verlaine ont écrit des pantoums. Deux thèmes y sont traités parallèlement, l'un dans les deux premiers vers, l'autre dans les deux derniers de chaque strophe. l est écrit en strophes de quatre vers à rimes croisées construites de telle sorte que le deuxième et le quatrième vers de chacune passent dans la suivante pour en former le premier et le troisième vers; le premier vers de la pièce doit en outre revenir à la fin, comme dernier vers. Telle est la structure matérielle du poème, mais ce ne sont pas ces répétitions qui en constituent la particularité vraiment originale; il développe dans chaque strophe, et d'un bout à l'autre, deux idées différentes, l'une remplissant les deux premiers vers de chaque strophe et l'autre les deux derniers. Généralement la première est plutôt

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extérieure et pittoresque, l'autre intime et morale. Ces deux idées n'ont rien de commun, mais il est facile de comprendre quels effets un poète peut tirer de la poursuite de ces deux motifs différents, de ces deux antithèses continuellement parallèles, qui se lient tout en s'opposant. Voici un pantoum (Harmonie du soir) de Charles Baudelaire: Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir, Valse mélancolique et langoureux vertige! Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige; Valse mélancolique et langoureux vertige! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige, Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige... Son souvenir en moi luit comme un ostensoir!

b) Poèmes à formes libres À partir de la 2° moitié du XIXe siècle, les poètes explorent de nouvelles formes poétiques et inventent des formes personnelles qui n’obéissent plus à des lois strictes.

Poèmes en prose L’apparition du poème en prose, au cours du XIXe siècle, fait partie des inventions les plus originales de la poésie. Baudelaire l’utilisera beaucoup (cf. Petits poèmes en prose) puis Rimbaud, Mallarmé… et il aura un essor important au XX°. Le poème en prose ne se présente pas sous une forme versifiée, ne présente pas de retour à la ligne, mais comporte de nombreux procédés qui appartiennent à la poésie en vers : images, anaphores, jeux avec les sonorités, travail du rythme. Et il a la liberté de ton et d’inspiration de la prose. F. Ponge l’utilisera aussi au XX°

Calligrammes La poésie moderne joue aussi des blancs typographiques, supprime la ponctuation, travaille sur la forme des lettres, et les vers dessinent des motifs (Calligrammes d'Apollinaire).

Les strophes Strophe : ensemble de vers isolés des autres par des blancs. • Distique : strophe de 2 vers • Tercet : 3 vers • Quatrain : 4 vers

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• Quintil : 5 vers • Sizain : 6 vers

La strophe peut être : • Monorime : strophe ou poème construit sur une seule et même rime • Isométrique : strophe ou poème construite sur le même nombre de syllabe : Que ce monde

demeure,(6) /Que la feuille parfaite(6) /Ourle à jamais dans l'arbre. (6)/L'imminence du fruit !"(6) ( Les planches courbes , page 26)

• Hétérométrique : strophe ou poème construit avec des vers qui ont un nombre de syllabes différent : vers libres.

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux;(10) Retiens les griffes de ta patte,(8) Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,(10) Mêlés de métal et d'agate. (Baudelaire)(8)

Type de vers (les plus frequents) : Alexandrin : 12 syllables Décasyllabe : 10 syllabes Octosyllabes : 8 syllabes Tétrasyllabe : 4 syllabes Heptasyllabe : (7 syllabes) Ennéasyllabe : (9 syllabes) Hendécasyllabe : (11 syllabes) A partir de Rimbaud (1854-1891), on trouve des vers libres : ils peuvent être de n’importe quelle longueur et ne riment pas forcément avec un autre. Mais on conserve le retour à la ligne à la fin du vers.

Rythme du vers

a) La césure La césure coupe le vers en 2 hémistiches

• Dans l’alexandrin l’hémistiche est après la 6° syllabe • Dans le décasyllabe, après la 4° syllabe

Le mot qui se trouve à la césure est toujours mis en relief. Quand, les deux yeux fermés, /en un soir chaud d'automne (Baudelaire, Parfum exotique)

b) L’enjambement Prolongement de la phrase au-delà de la limite du vers

c) Rejet : On rejette un élément bref au début du vers suivant :

Vers pairs :les plus employés dans la poésie classique

Vers impairs, Verlaine en recommande l’usage dans son Art poétique : “ De la musique avant toute chose/ Et pour cela préfère l’Impair…” ; Hugo l’utilise beaucoup. Sont trés presents dans la poésie moderne

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d) Contre-rejet On place un élément bref en fin de vers :

Les Rimes La rime est le retour d’une même sonorité à la fin d’un vers.

• Rimes plates ou suivies : aa /bb (par exemple recherche d’un effet de monotonie) • Rimes embrassées : abba • Rimes croisées : abab

Musicalité

En poésie, la musicalité est essentielle. Elle vient notamment de : La répétition : Elle donne souvent son rythme au poème. d’où l’utilisation fréquente de l’anaphore (répétition en début de vers du même mot ou groupe de mots) Assonance : répétition d’une même voyelle Allitérations : répétitions d’une même consonne Présence d’un refrain… Tous ces éléments, contribuent à la musicalité du poème qu’il soit en vers ou en prose..

Les images Les images jouent un rôle essentiel en poésie. :

• Comparaison • Métaphores et métaphore filée (Métaphore qui se poursuit sur plusieurs vers ou phrases) • Périphrases (on emploie une expression suggestive au lieu du simple mot)

Outils pour étudier la poésie :

1. Observez Forme et typographie du poème :

Il ne s’agit pas de les observer juste pour…les observer ? Il faut essayer d’en tirer des informations : poésie classique ? Modernité ? Transgression de certaines règles classiques ? Effets recherchés ?...

• Forme fixe ? (Sonnet, ballade, Blason…) • Forme libre ? Poème en prose ? • Type de vers ? • Type de rimes ? • Type de strophes ? •

2. Thème du poème :

Utilisation des images (comparaison, métaphores, périphrase) Quels effets produisent-elles ? Thème classique ? Moderne ? Détourné du propos habituel ?

3. Rythme du poème • Ponctuation présente ou absente ? Beaucoup d’exclamations ou d’interrogations… • Enjambements ? Rejets ? Contre-rejets ? où ? Pourquoi ? Quels mots sont mis en valeur ? • Anaphores, répétitions ? Sur quels mots ? Pourquoi ? • Assonances, allitérations : où ? Pourquoi ? Quels effets ?

Lire pp 503-504 du manuel et exercices 3-4-7-8-9-12 et 13

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RésuméduXIX°

Plusieurs textes du corpus appartiennent au XIX° siècle. Il est donc important d’en connaître les grandes lignes…(cf Histoire du Monde) Le XVIII° s’était clos avec la Révolution de 1789 et la fin de la Monarchie absolue de droit divin. Le XIX° est un siècle « turbulent »… Le 1er Empire 1799-1815 : Bonaparte qui était 1er consul depuis 1799, se proclame empereur en 1804. Le code civil, le baccalauréat…datent de cette époque. Napoléon a une politique de conquête. Mais la bataille de Waterloo en 1815 y met un terme. La Restauration 1815-1830 et la monarchie de Juillet (1830-1848): De la chute du 1er empire à 1848, la monarchie est restaurée. Louis XVIII (frère de Louis XVI) garantit la liberté de la presse et l’organisation d’élections de députés. Mais ce vote est inégalitaire (il faut payer beaucoup d’impôts pour avoir le droit de voter : suffrage censitaire) En 1825, Charles X (frère de Louis XVIII) lui succède. Lui, il veut rétablir la monarchie absolue et se fait symboliquement sacrer à Reims. Très impopulaire, il est renversé par la révolution de Juillet en 1830. C’est donc au tour de Louis-Philippe… plus malin, il s’appuie sur les bourgeois et une partie de la noblesse. Mais la politique menée est trop conservatrice sur le plan social. En 1848 a lieu une première insurrection ouvrière qui se propage à toute l’Europe. On appelle ce mouvement « le Printemps des peuples ». Et…ça ne vous rappelle rien ? La révolution de 1848 amène la proclamation de la II° République (la 1° en 1792)

• Mesures sociales • Abolition de l’esclavage • Abolition de la censure • Abolition de la peine de mort • Mise en place du suffrage universel

Louis Napoléon Bonaparte (Neveu du 1er)est élu président en 1849. Comme il n’a pas le droit de se représenter…Il fait un coup d’Etat le 2 décembre 1851 et comme son tonton…se proclame empereur. C’est le 2° Empire. 1852-1870 : Le Second Empire Régime autoritaire qui a l’appui de l’armée. Toute opposition est réprimée. Mais jusqu’en 1860, une politique économique moderne fait entrer la France dans l’ère industrielle : années prospères et développement.(Création de la Bourse ) C’est une période d’expansion industrielle et de grands travaux notamment ceux du baron Haussmann qui transforme Paris et lui donne son allure actuelle (Opéra Garnier, Grands boulevards…) Le 2° Empire prend fin avec la défaite française de Sedan contre les Prussiens.

1870-1871 : La Commune Après la défaite de Sedan, soulèvements populaires. Désir des insurgés d’établir un régime révolutionnaire. Mais la Commune est sévèrement réprimée.

1870-1940 : III° République Au même moment, l’affaire Dreyfus divise la France. VOIR SCHEMA

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Problématique de la séquence : Poésie et quête de soi : comment la poésie nous interroge-t-elle sur notre rapport au monde et à nous-même ?

Lectures analytiques : • Texte 1 : V. Hugo, Les Contemplations, Demain dés l’aube…

• Texte 2 : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, L’Invitation au voyage

• Texte 3 : Baudelaire, Petits poemes en prose, Un Hémisphère dans une chevelure • Texte 4 : Mallarmé, Brise marine

Textes complémentaires :

• Texte A : Rimbaud, Le Bateau ivre (extrait), 1871 • Texte B : Henri Michaux, Clown

Lectures cursives :

• Fernando Pessoa, Bureau de Tabac

• Ch. Baudelaire, Petit poèmes en prose • Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal

Histoire des arts : Caspard-David Friedrich,Voyageur contemplant une mer de nuages,1818

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CORPUSPOESIE

Texte 1 : V. Hugo, Les Contemplations, Demain dés l’aube… Le contexte historique : (voir ci-dessus)

L’auteur : Victor Hugo (1802-1885) est l’un des géants de la littérature française. Auteur de théâtre : Cromwell (1827) ; Hernani (1830), Ruy Blas (1838), romancier avec Les Misérables, Notre-Dame de Paris, Les Travailleurs de la mer…), il est aussi un homme politique engagé (contre la peine de mort, la misère, l’injustice sociale…) et un poète

reconnu. V. Hugo est considéré comme le chef de file du Romantisme entre 1827 et 1830. (Voir fiche) Auteur de plusieurs recueils de poésies, dont Les Rayons et les Ombres (1840). Les Châtiments (1853), Les Contemplations (1856), La Légende des siècles (1859 et 1877)… Il a aussi laissé des illustrations de ses œuvres. Ici,

Victor Hugo est mort à Paris le 23 Mai 1885 à 83 ans. Plus de 3 millions de personnes ont assisté à ses funérailles… Bio Hugo (A.Decaux) http://www.ina.fr/video/CPB86009799 Le courant/Mouvement : Romantisme (voir fiche )

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Lecture analytique du texte

« Demain, dès l'aube... » Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. 4 Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, 8 Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, 12 Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. 3 septembre 1847

Victor Hugo, Les Contemplations

L’œuvre : Les Contemplations Recueil de 158 poèmes rassemblés en 6 livres que Victor Hugo a publié en 1856. (Poèmes écrits entre 1846 et 1855. Mais les poèmes les plus anciens de ce recueil datent de 1834). Les 6 Livres des Contemplations

Livre premier (29 poèmes). Aurore. Livre de la jeunesse dans lequel Victor Hugo évoque ses premiers émois d'adolescent (Lise), ses souvenirs de collège , ses premières luttes littéraires (Réponse à un acte d'accusation), ses impressions de promeneur ému par la beauté de la nature …Il s'y exprime le plus souvent à la première personne et y évoque son expérience de la vie et de la poésie.

Livre II (28 poèmes). L'âme en fleur. La plupart des poèmes sont inspirés par Juliette Drouet. Hugo évoque les premiers émois de leur rencontre, leurs promenades, les moments de bonheur ( Hier au soir, Mon bras pressait sa taille frêle); et aussi les épreuves vécues en commun, les désaccords, les réconciliations.

Livre III (30 poèmes). Les luttes et les rêves. Hugo y relate la misère sociale et morale dont il est témoin. Dénonciation des scandales, de la guerre, de la peine de mort… (La source, la Statue, La Nature) ,(Melancholia)...

Livre IV (17 poèmes) Pauca meae (Quelques vers pour ma fille). C'est le livre du deuil. Le 4 septembre 1843, Léopoldine et son mari, (Charles Vacquerie), se noient dans la Seine à Villequier. Hugo médite sur cet abîme qui sépare hier d'aujourd'hui. Il y exprime tour à tour sa révolte contre la cruauté du destin (trois ans après), sa nostalgie ( elle avait pris ce pli, elle était pâle et pourtant rose) . Parfois aussi il semble se soumettre à la volonté divine (A Villequier) . La douleur causée par la mort de sa fille Léopoldine semble inconsolable (Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne).

Livre V (26 poèmes) En marche. C'est le livre du ressaisissement, du dynamisme retrouvé. Le poète en exil s'arrache à sa tristesse et va chercher de nouvelles raisons de vivre dans la méditation. Il s'adresse à ses amis, à ses enfants, à ceux qu'il aime et leur exprime sa vision du monde. Il y décrit le spectacle immense de la nature, des Océans, des rochers, du ciel et médite sur la condition humaine (Mugitusque boum, Paroles sur la dune).

Livre VI (26 poèmes). Au bord de l'infini. C'est le livre de la méditation métaphysique; recueil peuplé de spectres, d'anges, de fantômes, et d'esprits. Le poète hésite entre l'angoisse (Horror, Pleurs dans la nuit) et l'espérance (Spes, Cadaver) ; et cette dernière semble l'emporter. Le livre s'achève sur le regard d'un " contemplateur , triste et meurtri, mais serein".

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Lecture analytique n°1- Hugo

• Hugo, Demain dès l’aube 1. Comment s'expriment les sentiments du poète ? 2. Dans quelle mesure ce poème rend-il compte d’un amour toujours vivant ? 3. En quoi la forme du poème contribue-t-elle à la force poétique ? 4. lyrisme et pathétique de ce poème 5. du lyrisme personnel au lyrisme universel ( les sentiments du poète , l'universalité du deuil ) 6. En quoi peut-on dire qu’il s’agit d’un poème d’amour ? 7. Comment s’exprime la douleur du poète ? 8. Quels sens peut-on donner au parcours physique et moral du poète ?

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Texte 2 : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, L’Invitation au voyage

L’auteur : A vous de rédiger une courte biographie de Baudelaire L’œuvre : Les Fleurs du Mal, 1957

Le courant/Mouvement : Baudelaire est inclassable…Mais il est très influencé par le romantisme et flirte avec le symbolisme Lecture analytique Charles BAUDELAIRE (1821-1867) L'invitation au voyage Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, 4 Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés 8 Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. 12 Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. 16 Des meubles luisants,

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Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs 20 Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, 24 La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale. 28 Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. 32 Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir 36 Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, 40 Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière. 44 Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Lecture analytique

Texte complémentaire : Lire p. 245 Manuel Hachette Baudelaire, Petits poèmes en prose, L’Invitation au voyage

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Questions possibles à l’oral : ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ Citations Baudelaire A propos des Fleurs du Mal :« Dans ce livre atroce, j’ai mis toute ma pensée, tout mon coeur, toute ma religion (travestie), toute ma haine »

• Baudelaire, L’invitation au voyage 1. Par quels procédés l'auteur invite-t-il son lecteur au voyage? 2. comment Baudelaire évoque-t-il l’idée d’un refuge imaginaire et salvateur dans son poème ? 3. Comment expliquez-vous le poème à la lecture du titre ? 4. Quelles représentations de la femme aimée et du paysage rêvé se dégagent de ce poème ? 5. Dans quelle mesure peut-on dire que Baudelaire nous convie à un voyage imaginaire ? 6. Comment expliquez-vous le poème à la lecture du titre ? 7. Dans quelle mesure peut-on dire que Baudelaire nous convie à un voyage imaginaire ?

Texte 3 : Baudelaire, Petits poemes en prose, Un Hémisphère dans une chevelure

L’auteur : (Voir texte 2) Le genre : Le poème en prose

Travail à faire : Lire pp 500 du Manuel Hachette et résumez ci-dessous les informations données. Puis faire exercice 1, 2 et 4 pp501

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L’œuvre : Les Petits poèmes en prose.

Le courant/Mouvement : Toujours inclassable… Le texte : Un hémisphère dans une chevelure Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir 4 odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air. Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme 8 l'âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers 12 de charmants climats, où l'espace est plus bleu et

I. II. III.

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plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, 16 d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur. Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre 20 les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes. Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco. 24 Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris Lecture analytique Questions possibles à l’oral :

• Baudelaire, `Un Hémisphère dans une chevelure 1. En quoi ce texte en prose peut-il être considéré comme un poème? 2. En quoi ce texte est-il un poème en hommage à la femme aimée ? 3. Qu'est-ce qui fait l'originalité de ce poème amoureux ? 4. Comment le poète passe-t-il de la description de la chevelure à celle d’un univers entier ? 5. En quoi ce texte est-il poétique ? 6. Comment ce poème en prose illustre-t-il son titre ? 7. Comment la chevelure est-elle associée dans ce poème à la sensualité et au rêve ? Citations : __________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

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Texte 4 : Mallarmé, Brise marine L’auteur : Mallarmé (1842-1898)

Né à Paris le 18 mars 1842. Orphelin de mère à dix ans, il est mis en pension dans un établissement religieux. Il perd sa sœur quelques années plus tard. Lycéen, il écrit ses premiers essais poétiques . Ayant appris l’anglais « pour mieux lire Poe », il obtient son certificat d’aptitude à l’enseignement de cette langue et devient professeur en 1863. Admirateur précoce de Charles Baudelaire et d’Edgar Allan Poe, il publie ses premiers poèmes en 1862. L’année suivante, il se marie et a une fille.

Pendant ses premières années d’enseignement en province, Stéphane Mallarmé traverse une période d’intense création à laquelle succède une phase de doute aigu. Entre 1863 et 1866, il rédige ses poèmes les plus connus : Brise marine, L’Azur, Les Fleurs, Hérodiade (inachevé), une première version de L’Après-midi d’un faune… Un choix de poèmes publiés dans Le Parnasse contemporain en 1866 l’amène à une première reconnaissance. En 1871, Stéphane Mallarmé est nommé à Paris et se rapproche des milieux littéraires et artistiques. Il rencontre notamment le peintre Edouard Manet avec qui il se lie d’amitié. Cette proximité avec Manet lui ouvre les réseaux impressionnistes. Des liens amicaux se créent Grâce à l’article que lui consacre Paul Verlaine dans Les Poètes Maudits et surtout grâce à la parution d’A Rebours de Joris-Karl Huysmans en 1884, Mallarmé gagne une nouvelle audience et une reconnaissance élargie. (Le roman de Huysmans détaille longuement l’enchantement de Des Esseintes, personnage principal excentrique et esthète, pour les vers de Mallarmé. (voir objet étude sur le roman) Malgré son désir de se tenir à l’écart de toute école, le poète devient le représentant du mouvement symboliste en plein développement. Le manifeste de Jean Moréas publié en 1886 définit cette poésie nouvelle, initiée par Charles Baudelaire, fondée sur le symbole et l’analogie. Mallarmé est alors considéré comme le Maître du Symbolisme.(Voir fiche Symbolisme) L’élite intellectuelle et artistique de son temps se retrouve dans son appartement. En 1892 paraît Vers et Prose, recueil de ses principales poésies et quatre ans plus tard, Stéphane Mallarmé succède à Verlaine comme Prince des poètes. Mallarmé entre également en contact avec les Nabis : Pierre Bonnard, Ker-Xavier Roussel, Maurice Denis et surtout Edouard Vuillard, dernier peintre remarqué par le poète. L’effervescence autour de Mallarmé est le reflet de cette fin de siècle. Elle témoigne de la vivacité et du dynamisme des milieux littéraires et artistiques, pour lesquels Mallarmé fait figure d’inspirateur jusqu’à sa mort et au-delà. Il meurt en 1898.

Musée Mallarmé http://www.musee-mallarme.fr/biographie

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L’œuvre : Pour une jeune génération d’écrivains, il devient le chef de file du Symbolisme, un courant fondé dans un rejet du réalisme et du naturalisme, et qui tente d’exprimer l’Idée abstraite par un jeu de correspondances, à travers images et sensations. Selon Mallarmé le poète doit « Tout reprendre à la musique », « Peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit », et « Laisser l’initiative aux mots ». Il crée un langage inédit, choisissant les mots rares (tel le mot « ptyx » qu’il invente pour le Sonnet en –yx) et déconstruisant la syntaxe. S’il est adoré par certains, Mallarmé est aussi en proie à de vives critiques : ses détracteurs lui reprochent le côté selon eux gratuitement et excessivement obscur de sa poésie, sans comprendre tout l’arrière-plan métaphysique qui hante ses vers. L’œuvre de Mallarmé se compose des poèmes parus dans des revues, dont L’Après-Midi d’un faune (1876), Hommages et Tombeaux (1877) et le fameux Un coup de dés (1897) ; un recueil de poèmes dont le titre est Poésies (1887) ; et une traduction des poèmes de Poe (1888). Le genre / Le texte Poésie symboliste Mallarmé est encore trés jeune lorsqu’il écrit "Brise marine".(23 ans) Fortes influences baudelairienne : Thème du voyage et de l'ennui Thèmes propres au XIX° : voyage, exotisme, ennui, mal de vivre... Problématiques possibles Le voyage comme métaphore de la création poétique

Le courant/Mouvement : Le Symbolisme (Voir fiche)

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Le texte : Brise marine La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux 4 Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur défend Et ni la jeune femme allaitant son enfant. 8 Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, Lève l'ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, 12 Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages, Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ... 16 Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots ! Lecture analytique

• Mallarmé, Brise marine 1. En quoi ce poeme est-il une metaphore de l’inspiration ? 2. Quelle fonction Mallarmé assigne-t-il à la poésie dans ce texte ? 3. En quoi ce poème traduit-il la difficulté d’écrire ?

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Préparer l’oral : 1. Autres problématiques possibles : • Quelle fonction Mallarmé assigne-t-il à la poésie dans ce texte ? • Montrez que ce poème est celui de la désillusion • En quoi la lecture de ce poème permet-elle de considérer le poète comme « maudit » ? • En quoi ce poème traduit-il la difficulté d’écrire ?

2. Faire un bilan personnel : • Qu’est-ce que j’ai pensé de ce texte, de cette séquence ? • Quel lien puis-je faire avec ma vie, mes idées, l’actualité ? •

3. Etablir des comparaisons entre ce texte et les différents textes étudiés en lecture analytique mais aussi les documents complémentaires. http://www.youtube.com/watch?v=KO9h0mWzIDA

1. Les raisons du départ a) Déception/Ennui face à la chair et à l'esprit b) Attaches personnelles insuffisantes c) Même l'écriture est insuffisante 2. Les "ailleurs" du texte a) Le besoin de fuir / La puissance de l'appel b) L’exotisme c) Voyage dangereux à l'issue incertaine, déceptive 3. Le voyage comme métaphore de la création poétique a) Le doute face au voyage b) Le doute face à la page blanche c) La métaphorepoétique

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DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES

Texte A : Rimbaud, Le Bateau ivre (extrait), 1871

L’auteur : Faire une petite biographie de Rimbaud __________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

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__________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ L’œuvre : L’œuvre de Rimbaud, inclassable, s’est nourrie des courants littéraires et artistiques qui ont traversé la 2nde moitié du XIX° (romantisme, parnasse), sans jamais s’assimiler à aucun. Elle ouvre la voie à la modernité. Le romantisme est en perte de vitesse à partir de la révolution de 1848. Hugo inspire à Rimbaud ses évocations épiques et lyriques des milieux populaires. Par ailleurs, durant le Second Empire, en raison de la censure et du conformisme de la société, les œuvres publiées sont globalement consensuelles. Certains auteurs tentent cependant de briser cette uniformité culturelle. Le réalisme, à partir de 1850, fait scandale (cf. procès de Flaubert pour Madame Bovary en 1857). On lui reproche de vouloir peindre sans fard le monde contemporain. Pour les réalistes une œuvre peut s’intéresser à tous les sujets, y compris le laid, l’immoral. Ils évoquent ainsi bien des « déclassés ». On trouve des traces du réalisme chez Rimbaud, mais ce dernier va plus loin et se livre à un « saccage esthétique » : portraits défigurés, ironie, surinvestissement du lexique corporel.... A partir de 1870, le réalisme se radicalise, notamment sous la plume de Zola qui est à l’origine du naturalisme (il s’agit de hisser la littérature au rang de science). Parallèlement, les parnassiens prône un art indépendant de tout engagement moral ou politique. Rimbaud, dans sa jeunesse, a cherché à publier dans les revues parnassiennes, mais il s’émancipe très rapidement des préceptes du groupe. On rencontre chez Rimbaud une volonté de « tuer la vieillerie poétique » et un goût prononcé pour la transgression. Le courant/Mouvement : Inclassable…. Le texte : (1871) Extrait Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. 4 J'étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, 8 Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, 12 Je courus ! Et les Péninsules démarrées N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

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La tempête a béni mes éveils maritimes. 16 Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots ! 20 Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres, L'eau verte pénétra ma coque de sapin Et des taches de vins bleus et des vomissures Me lava, dispersant gouvernail et grappin. 24 Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème De la Mer, infusé d'astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême 28 Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rythmes lents sous les rutilements du jour, 32 Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l'amour ! Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes 36 Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes, Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir ! 40 J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques, Illuminant de longs figements violets, Pareils à des acteurs de drames très antiques Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !44 Questions possibles à l’oral : • En quoi “le Bateau ivre” vous paraît-il illustrer cette affirmation de Rimbaud dans la “Lettre du

Voyant” : “Je est un autre” ? • Quelle mission Rimbaud assigne-t-il à la poésie dans ce poème ? • Dans quelle mesure peut-on dire que “le Bateau ivre” est une allégorie de la révolte adolescente ?

Citations “Car Je est un autre" “La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son

âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend.” “Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné

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dérèglement de tous les sens. Le poète est ”le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu !”

Texte complémentaire A1: Rimbaud, Lettre à Paul Demény,15 mai 1871 (extrait)

« Le poète voyant »

«Charleville, 15 mai 1871. J'ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. Je commence de suite par un psaume d'actualité :

Chant de guerre parisien Le Printemps est évident, car... etc.. A. Rimbaud. - Voici de la prose sur l'avenir de la poésie : (…) - De la Grèce au mouvement romantique, - moyen-âge, - il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes (…) Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux d'exécrer les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps. On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé? les critiques ! ! Les romantiques? qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre, c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur? Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée ; je la regarde, je l'écoute ; je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène. […] La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver; cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse […] Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé ! (…) - Je reprends : Donc le poète est vraiment voleur de feu.

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Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ; - Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus - que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès ! Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; - Toujours pleins du Nombre et de l' Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester. - Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque. L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l'action ; elle sera en avant. Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme, - jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées différeront-ils des nôtres? - Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. En attendant, demandons aux poètes du nouveau, - idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande. - Ce n'est pas cela ! Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s'en rendre compte : la culture de leurs âmes s'est commencée aux accidents : locomotives abandonnées, mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. - Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. - Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : ‘’Les Misérables’’ sont un vrai poème. J'ai ‘’Les Châtiments’’ sous la main ; ‘’Stella’’ donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jéhovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées. Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, - que sa paresse d'ange a insultées ! Ô les contes et les proverbes fadasses ! ô ‘’les Nuits’’ ! ô ‘’Rolla’’, ô ‘’Namouna’’, ô ‘’la Coupe’’ ! Tout est français, c'est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine ! commenté par M. Taine ! Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l'émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque [à la façon du Rolla de Musset], tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet. À quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les réciter avec cœur ; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen, fait le Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n'a rien su faire : il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français, panadis, traîné de l'estaminet au pupitre de collège, le beau mort est mort, et, désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations ! Les seconds romantiques sont très voyants : Th. Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville. Mais inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine : les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles. […]» Cette lettre fut adressée à Paul Demeny, jeune poète ami d'Izambard (Profeseur de Rimbaud) Cette lettre est un document essentiel, le plus important de la correspondance de Rimbaud : elle précise, d'une part, la « méthode» de voyance à laquelle faisait déjà allusion la lettre adressée à Georges Izambard, le 13 mai ; d'autre part, elle contient des affirmations péremptoires sur la poésie du passé, du présent, de l'avenir.

Rimbaud condamne avec outrance les poètes «de la Grèce au mouvement romantique».

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Si le jugement est péremptoire, ses attendus sont intéressants : la poésie s'est sclérosée, les poètes sont devenus «des lettrés, des versificateurs, des fonctionnaires». Il voulait rendre au nom de «poète» son plein sens, son sens antique : créateur, mage, voyant, le poète devrait être tout cela. Il devrait non seulement tout comprendre et tout dévoiler, mais entraîner ses contemporains : la poésie sera «en avant». On retrouve des idées déjà exprimées par Ronsard ou par Hugo dans son poème ‘’Les mages’’, par Lamartine dans son article ‘’Les destinées de la poésie’’. Du reste, le jeune critique accordait à ces deux «premiers romantiques» et à certains autres ce don de voyance . L'allusion à ‘’Stella’’ (livre VI des ‘’Châtiments’’) montre assez quelles fonctions Rimbaud, comme Hugo, assignait à la poésie. On y lit : «Ô nations ! je suis la Poésie ardente, J’ai brillé sur Moïse, et j'ai brillé sur Dante. Le lion Océan est amoureux de moi. J'arrive. Levez-vous, vertu, courage, foil ! Penseurs, esprits, montez sur la tour, sentinelles ; Paupières, ouvrez-vous ; allumez-vous, prunelles ; Terre, émeus le sillon ; vie, éveille le bruit ; Debout, vous qui dormez, - car celui qui me suit, Car celui qui m'envoie en avant la première, C'est l'ange Liberté, c'est le géant Lumière !» Baudelaire était considéré par Rimbaud comme «le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu». L’autre voyant, c’est Verlaine : il le considère «un vrai poète». La revendication de «toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie» est une déclaration significative, et qui peut expliquer en grande partie l'attitude de Rimbaud au cours de son séjour à Paris. Il emploiera le mot de «folie» dans ‘’Alchimie du verbe’’ : «À moi. L'histoire d'une de mes folies.» Il semble que, dès l'été de 1871, il commença à mettre ses théories en pratique, non seulement en «s'encrapulant», mais en se recueillant dans un travail «infâme, inepte, obstiné, mystérieux» . Dans «le grand malade, le grand crimineI, le grand maudit - et le suprême Savant», il faut noter l'opposition caractéristique entre la volonté anarchique et «désordonnante» qui fait du poète un réprouvé, un malade, un criminel, et l'aspect systématique de la tentative, que caractérisent les mots «raisonné» et «Savant» ; il y eut toujours chez Rimbaud ce double aspect : l'anarchiste et le démiurge1 méthodique. Cette dualité lui est propre, et elle caractérise aussi bien son art (dans les ‘’Illuminations’’, par exemple) que la tournure de son esprit. Il faisait comprendre que le poète, en cultivant en lui toutes les folies, tous les dérèglements, se mettrait au ban de la société. Il serait «le grand malade, le grand criminel, le grand maudit», mais aussi «le suprême Savant» puisqu'il arriverait à «l'inconnu». Car le dérèglement doit être «raisonné», serait pratiqué systématiquement et avec méthode, dans une perspective qui permettrait d’aboutir au délire interprétatif, à certaines formes provisoires de folie. Ce passage de la lettre justifia les interprétations, entre autres commentateurs, des surréalistes pour lesquels la poésie devient un moyen de connaissance, une manière de dépasser le monde des réalités quotidiennes, un effort de tout l'être pour arracher à l'inconnu ses secrets, le poète est «voleur de feu». Pour Rimbaud, il est essentiel pour un poète de «trouver une langue», c'est-à-dire non pas simplement de chercher l'originalité à tout prix, mais de trouver un langage en rapport avec la nature des choses, un langage doué, aussi, de ce pouvoir magique que les Anciens assignaient aux mots ; et capable, enfin, de parler directement à l'âme, d'être «de l'âme pour l'âme». Rimbaud s'inspira notamment de Baudelaire dans tout ce passage de sa lettre . Et, parce qu'il lui faudrait bien trouver «forme» pour ce qu’il rapporterait de «là-bas», il proclama la nécessité de formes neuves, remplaçant les 1 2 Ceux qui participèrent à la Commune en 1871 3 Se dit de mots formant ensemble une structure sémantique (par exemple frère et sœur ou bien capitaine, lieutenant,

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«formes vieilles» qui ne correspondaient plus aux exigences de cette poésie nouvelle, car le poète doit apporter «du nouveau - idées et formes», et cette exigence explique les tentatives qu’il allait bientôt faire dans ses derniers vers, puis dans les ‘’Illuminations’’. Peu importe si la voyance doit être fatale au voyant : «Quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables.» Son sort risque d’être celui de Prométhée qui déroba le feu aux dieux pour le donner à l'être humain et auquel Rimbaud fait allusion quand il déclare : «Le poète est vraiment voleur de feu». Eschyle rapporte ainsi le mythe de Prométhée : «Jusque-là, lourde argile, l'homme traînait, troupeau raillé des dieux. Prométhée (c'est son crime) met en lui l'étincelle. Et voilà qu'il commence à regarder les astres, à noter les saisons, à diviser le temps. Il assemble les lettres et fixe la mémoire. Il trouve la haute science, les nombres. Il fouille la terre et la parcourt, fait des chars, des vaisseaux. Il comprend, il prévoit, il perce l'avenir. Prométhée ouvre à l'homme la voie de l'affranchissement». On comprend alors pourquoi, selon Rimbaud, le Poète-Prométhée est chargé de l'humanité. Dans «Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs», il est facile de reconnaître une application de la théorie des correspondances, exposée dans le fameux sonnet de Baudelaire et résumée par : «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent». Cette idée, Rimbaud pouvait la retrouver chez divers écrivains plus ou moins illuminés de son temps. Avec la poésie «sera en avant», Rimbaud attribuait un rôle social au poète, rejoignant ou reprenant les idées de Lamartine (dans son article sur ‘’Les destinées de la poésie’’), de Hugo, de Michelet. La poésie de l'avenir fera mieux encore que la poésie grecque, qui se contentait de «rythmer l'action» : elle entraînera les peuples. La phrase «Les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles» indique une volonté de rompre avec les «formes vieilles» au nombre desquelles on peut ranger le vers classique. Rimbaud, il est vrai, écrira encore des vers «réguliers» en 1871 ; mais, à peine arrivé à Paris, il rompit des lances contre l'alexandrin, et en 1872, influencé sans doute par Verlaine qui fit en ce domaine figure de novateur, il fit dans ses derniers vers des tentatives de vers irréguliers, impairs, peu ou pas rimés. Rimbaud, étant passé de l'idée d'inconnu à l'idée de progrès, s’est trouvé à l'aise pour lancer cette affirmation inattendue : «Cet avenir sera matérialiste» et nous avons cette fois l'impression qu’il reprend des idées «progressistes» puisées dans ses lectures ou peut-être dans les idées avancées des «communards2». Ceux-ci ont pu aussi lui inspirer sa considération pour la femme. Il souhaite que soit brisé «l’infini servage» qu’elle subit. Il dénonce le mariage en affirmant que la femme doit oser «vivre pour elle et par elle», faire seule, «pour se connaître», son chemin. Peut-être connaissait-il l’existence de la révolutionnaire anarchiste Louise Michel, mais l'idée de l'émancipation de la femme était un lieu commun de la littérature révolutionnaire . En ce qui concerne la «voyance» féminine, on peut rappeler que Michelet écrivait, dans l'introduction de ‘’La sorcière’’ (1862), que, dans les pays primitifs, la femme «est voyante à certain jour». Le mot «comprachicos» est une allusion évidente à ‘’L'homme qui rit’’, de Hugo (publié en 1869) : le mot s'appliquait chez Hugo à des voleurs d'enfants qui mutilaient leurs victimes pour en faire des monstres et pouvoir gagner de l'argent à les exhiber. Le mot «panadis» est obscur : on a proposé «mangeur de panade» ou qui «se panade», se pavane. Avec «Moi, pauvre effaré», on constate que Rimbaud s'applique à lui-même le qualificatif hugolien dont il usait dans ‘’Les effarés’’, pour faire allusion à la manière dont sa mère le tenait serré financièrement. Il écrira bientôt à Verlaine (en septembre) que sa mère ne lui donne «que dix centimes tous les dimanches» pour payer sa chaise à l'église» (voir édition de la Pléiade, page 281).

2 Ceux qui participèrent à la Commune en 1871

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Ces lettres constituent donc un véritable manifeste par lequel Rimbaud entendait rompre avec toute la poésie traditionnelle ; définir sa nouvelle ambition poétique ; indiquer comment il voulait tenter d’embrasser l’univers par la magie des sensations, des hallucinations et d’un langage poétique renouvelé ; s'efforcer d'assouvir l'ardeur qui l'habitait, au lieu de se borner à n'en saisir que les reflets, de se découvrir et non de s'exploiter ; situer avec précision et acuité la place du poète et de la poésie dans la cité. On a donc pu considérer qu’elles marquent la naissance de la poésie moderne.

Texte B : Henri Michaux, Clown

L’auteur et l’oeuvre Henri Michaux : une vie de Plume (1899-1984) "J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire: me parcourir. Là est l'aventure

d'être en vie" affirme Henri Michaux dans Passages (1950). Toute l'oeuvre de ce poète, né à Namur, consiste en effet en une périlleuse traversée de ce qu'il appelle "l'espace du dedans". Et c'est l'un de ses traits les plus remarquables que de nous parler de l'être, et donc de nous-mêmes, comme d'un territoire à explorer, d'un paysage dont l'apparente stabilité dissimule de minuscules ou spectaculaires événements. La plupart des titres des ouvrages de Michaux privilégient les notions de mouvement et d'exploration: excursions vers des terres ou des cultures lointaines (Ecuador, Un Barbare en Asie...) circulations de toutes sortes dans l'espace de l'imaginaire (Ailleurs, La nuit remue...), expériences des hallucinogènes (L'Infini turbulent, Les Grandes épreuves de l'esprit...), observations de cas de magie ou de folie (Les Ravagés, Une voie pour l'insubordination...), déplacements véhéments des signes picturaux (Par la voie des rythmes, Par des traits...) Cette incessante mobilité -doublée d'une intense mobilisation- est le plus efficace remède que Michaux ait trouvé à sa vulnérabilité, à son insatisfaction et son défaut d'être. L'homme, tel qu'il nous le présente (sous les espèces de son héros Plume, par exemple) est une créature précaire, sans appuis, sans identité, livrée à l'aléatoire, jetée brusquement dans le monde où elle n'a pas sa place assurée, où elle doit sans cesse réapprendre à vivre, où il lui faut se protéger contre des forces adverses, se préserver de ses propres démons, et résister à la tentation de céder et de dormir. L'être de Michaux donne ainsi le sentiment d'une privation, d'une inadéquation foncière entre soi et le monde, d'une division intérieure intolérable. Il se trouve sans cesse aux prises avec une agitation intestine de figures contradictoires. Ce moi "en difficultés" s'effondre en lui-même. C'est celui d'un petit être au souffle court, aux muscles faibles, aux os fragiles: une créature chétive sujette à toutes sortes de vertiges et de métamorphoses, et qui va donc multiplier les mouvements et les passages pour tenter de se délivrer. Le style même de Michaux en témoigne : la vitesse permet d'échapper au mal. Évitant la glu des genres, le poète distribue ses "difficultés" en rapides scénarios de toutes sortes. Faute de pouvoir écrire dans une langue inventée dont la syntaxe et le vocabulaire lui seraient propres, il pratique l'art du court-circuit, de l'ellipse et de l'asyndète, pour tenir en respect "les puissances environnantes du monde hostile". "Épreuves" et "exorcismes" à la fois, telle est l'écriture d'Henri Michaux, poète par hygiène plus que par vocation, qui trouva dans la peinture, à partir des années cinquante, un nouveau "périmètre de défense" et un nouvel espace d'"affrontements". © Jean-Michel Maulpoix L’œuvre :

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Le texte : Clown Un jour. Un jour, bientôt peut-être. Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers. Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui 4 paraissait m’être indissolublement proche. Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler. D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ». 8 Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier. A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, 12 si dignes, mes semblables. Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille. Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle 16 idée-ambition m’avait fait déserter. Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime. Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité. 20 clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance. Je plongerai. Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert 24 à tous ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée à force d’être nul et ras… 28 et risible… Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie / Gallimard, 1966, p.249

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A propos de ce texte …

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Lecturecursive(obligatoire):FernandoPessoa,Bureaudetabac

Fernando Pessoa (1888-1935) Fernando Pessoa a laissé à la postérité près de trente mille pages de textes, touchant à tous les genres (excepté le roman), dont certaines ne paraîtront que plusieurs années après sa

disparition en 1935. Ces milliers de pages de littérature dont les langues (Portugais et Anglais) s’exercent aussi bien en vers qu’en prose témoignent d’un écrivain protéiforme et soucieux de métaphysique. Sa renommée mondiale mais posthume il la doit pour beaucoup aux

« hétéronymes » 3 , ces poètes « survenus » en lui-même lors d’une expérience singulière de création qu’il dit avoir vécue le 8 mars 1914 et qu’il a rapportée en détail dans une lettre

adressée à son ami Casais Monteiro. Ce « jour triomphal » marque l’entrée en scène de quatre poètes : Alberto Caiero, Alvaro de Campos, Ricardo Reis et Fernando Pessoa « orthonyme », c'est-à-dire lui-même, qui naît « en réaction » à ces « hétéronymes ». Quatre personnalités littéraires aussi différentes les unes des autres que le sont leurs œuvres respectives. Quatre pensées, quatre voix, quatre langages poétiques. Des masques de poètes qui cachent une personnalité trouble. Fernando Pessoa n’était donc pas un seul écrivain mais une multitude d’écrivains à lui seul ; on a recensé en tout quelques 72 avatars de l’auteur. Cette multiplicité de je fictifs est une pratique précoce chez Fernando Pessoa :

Dès mon enfance, en effet, j’ai eu tendance à m’environner d’un monde fictif, à m’entourer d’amis et de connaissances qui n’ont jamais existé. (…) Je me souviens ainsi de celui qui, me semble-t-il, a été mon premier hétéronyme ou, plutôt, ma première relation inexistante – un certain Chevalier de Pas, héros de mes six ans, pour lequel j’écrivais des lettres par lui à moi-même adressées.

S’inventer autre permet à Fernando Pessoa d’exorciser, de vivre, ou du moins d’exprimer, d’affirmer, toutes les virtualités d’êtres contradictoires et frustrés qui parlent en lui ; de se vivre lui-même comme un autre, pour se vivre tout entier ; mieux, pour se réaliser dans tous les sens du terme . Les personnages-poètes de Pessoa sont des figures qui n’existent que par la poésie à l’image de leur créateur. Ce sont des voix qui disent chacune à leur façon la vacuité de l’existence, la difficulté sinon l’impossibilité d’être au monde et d’être à soi-même autrement que par la création, la poésie, autrement dit, l’Art : « La littérature, comme toute forme d’art, est l’aveu que la vie ne suffit pas » Caiero, Campos et Reis ne sont pas des pseudonymes de l’écrivain portugais, ou de simples rôles ou masques qu’endossait Pessoa pour se trouver ou se dépasser comme artiste : ce sont des figures de poètes, des personnages avec des attributs, une physionomie, une biographie :

Je leur ai fabriqué des âges, des vies. Ricardo Reis est né en 1887 (…) à Porto, il est médecin et se trouve actuellement au Brésil. Alberto Caiero est né en 1889 et mort en 1915 ; il est né à Lisbonne mais a vécu presque toute sa vie à la campagne. Il n’avait pas de métier et presque pas d’instruction. Álvaro de Campos est né à Tavira le 15 octobre 1890 (…). Lui est, vous le savez, ingénieur naval (de Glasgow), mais il est maintenant à Lisbonne en activité. Caiero était de taille moyenne et, bien que réellement fragile (il est mort tuberculeux) ne paraissait pas aussi fragile qu’il l’était. Ricardo Reis est un peu, mais très peu, plus petit, plus corpulent, mais sec. Álvaro de Campos est grand (1,75 m – 2cm de plus que moi), maigre et tend un peu à se voûter. Tous sont rasés – Caiero est blond clair, yeux bleus, Reis vaguement brun mat, Campos entre le blanc et le brun, un vague type de juif portugais, mais les cheveux raides, avec une raie sur le côté, un monocle, Caiero, je l’ai dit, n’a presque pas eu

3 Se dit de mots formant ensemble une structure sémantique (par exemple frère et sœur ou bien capitaine, lieutenant, général, etc.). Dans la traduction d'une langue à une autre, se dit de mots de sens très voisin mais ne dénotant pas exactement la même réalité (par exemple le français fleuve et l'anglais river). Pseudonyme auquel un écrivain a cherché à donner une existence concrète, en lui prêtant une biographie, une œuvre, une évolution distinctes de la sienne propre.

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d’instruction – juste l’école primaire ; il a perdu très tôt son père et sa mère, et est resté chez lui, vivant de petits revenus. Il vivait avec une vieille tante, sa grand-tante. Ricardo Reis, élevé dans un collège de jésuites est, je l’ai dit, médecin ; il vit au Brésil depuis 1919, après s’être expatrié volontairement parce qu’il était monarchiste. C’est un latiniste par l’éducation qui lui a été donnée, et un semi-helléniste par ce qu’il a appris seul. Álvaro de Campos a fait des études banales au lycée, puis il a été envoyé en Ecosse pour y devenir ingénieur, d’abord mécanicien, puis naval. Pendant des vacances, il a fait un voyage en Orient et en a ramené « Opiário ». Le latin lui a été enseigné par un oncle de la Beira, qui était prêtre.[31]

Les hétéronymes ne sont donc pas simplement des voix désincarnées, ils ont été modelés par Pessoa comme de véritables personnages http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4415199

Bureau de Tabac (écrit sous l’hétéronyme Álvaro de Campos, 15-1-1928 )

Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde. 5 Fenêtres de ma chambre, Ma chambre où vit l'un des millions d'êtres dont personne ne sait qui il est (Et si on le savait, que saurait-t-on ?) Vous donnez sur le mystère d'une rue au va-et-vient continuel, Une rue innaccessible à toutes pensées, 10 Réelle au delà du possible, certaine au-delà du secret, Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres, Avec la mort qui moisit les murs et blanchit les cheveux des hommes, Avec le destin qui mène la carriole de tout par la route de rien. 15 Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais la vérité. Aujourd'hui je suis lucide comme si j'allais mourir Et n'avais d'autre intimité avec les choses Que celle d'un adieu, cette maison et ce côté de la route devenant Un convoi de chemin de fer, un coup de sifflet 20 A l'intérieur de ma tête, Une secousse de mes nerfs, un grincement de mes os à l'instant du départ. Aujourd'hui, je suis perplexe, comme celui qui a pensé, trouvé puis oublié. Aujourd'hui je suis divisé entre la loyauté que je dois au Tabac d'en face, chose réelle au-dehors, 25 Et la sensation que tout est rêve, chose réelle au-dedans. J'ai tout raté. Comme je n'avais fait aucun projet, ce tout n'était peut-être rien. J'ai enjambé la formation qu'on m'a donnée 30 Par la fenêtre de derrière. Et je me suis enfui à la campagne, plein d'espoirs.

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Mais là, je n'ai trouvé que de l'herbe et des arbres; Quand il y avait des gens, ils étaient pareils aux autres. 35 Je quitte la fenêtre, je m'assieds sur une chaise. A quoi penser ? Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas qui je suis ? 40 Etre qui je pense ? Je pense être tant de choses ! Mais il y en a tant qui pensent être la même chose qu'ils ne peuvent pas être aussi nombreux ! Un génie ? En ce moment Cent mille cerveaux se prennent en rêve, comme moi, pour des génies. 45 Et l'histoire n'en retiendra peut-être pas un seul; Tant de conquêtes à venir ne produiront que du fumier. Non, je ne crois pas en moi. Dans tous les asiles, il existe des malades rendus fous par de telles certitudes ! Comment serais-je plus sûr, comment serais-je moins sûr, moi qui n'ai pas de certitudes ? 50 Non, pas même en moi... Dans combien de mansardes et de non-mansardes du monde N'y a-t-il à cette heure de génies-pour-eux-mêmes qui rêvent ? Combien d'aspirations hautes, nobles et lucides - Oui, vraiment hautes, nobles et lucides - 55 Mais peut-être réalisables, Combien verront la lumière du vrai soleil et trouveront la moindre audience ? Le monde est à celui qui est né pour le conquérir Et non à celui qui rêve de pouvoir le conquérir, même s'il a raison. J'ai rêvé plus que Napoléon n'a conquis. 60 J'ai serré sur mon coeur hypothétique plus d'humanité que le Christ. J'ai conçu en secret des philosophies qu'aucun Kant n'a écrites. Mais je suis, et resterai peut-être toujours, celui de la mansarde Que pourtant je n'habite pas; Je serai toujours celui qui n'était pas né pour ça ; 65 Je serai toujours celui qui avait des dispositions; Je serai toujours celui qui attendait qu'on lui ouvre la porte au pied d'un mur sans porte, Qui chantait la chanson de l'Infini dans un poulailler, Celui qui entendait la voix de Dieu au fond d'un puits bouché. 70 Croire en moi ? Non, je ne crois à rien. Que la nature déverse sur ma tête ardente Son soleil, sa pluie, le vent qui me décoiffe. Quant au reste, qu'il vienne, qu'il vienne s'il doit venir ou qu'il ne vienne pas. 75 Esclaves cardiaques des étoiles, Nous conquérons le monde avant de sortir de notre lit; Mais nous nous éveillons, il est opaque, Nous nous levons, il est étranger, Nous sortons de chez nous, il est la terre entière, 80 Plus le système solaire, plus la Voie Lactée, plus l'Indéfini. (Mange des chocolats, petite, 85

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Mange des chocolats ! Dis-toi que toute métaphysique est chocolats. Dis-toi que toutes les religions n'en apprennent pas plus que la confiserie. Mange, petite sale, mange ! Si je pouvais manger des chocolats avec autant de conviction ! 90 Mais, moi je pense, et quand j'enlève le papier d'argent -une simple feuille d'étain- Je jette tout par terre comme j'ai jeté ma vie.) Qu'au moins reste l'amertume de ce que je ne serai jamais. Dans la calligraphie rapide de ces vers, 95 Portiques en ruine sur l'Impossible. Qu'au moins je me voue un mépris sans larmes, Au moins noble par ce geste large : jeter en vrac Le linge sale que je suis dans l'écoulement des choses Et je me retrouve sans chemise. 100 (…) Qui que tu sois, quoi que tu sois, si tu peux m'inspirer, inspire-moi ! Mon coeur est un seau vidé. 105 Comme ceux qui invoquent les esprits invoquent les esprits, J'invoque moi-même et je ne trouve rien. Je vais à la fenêtre, je vois la rue avec une précision absolue. Je vois les boutiques, je vois les trottoirs, je vois les voitures qui passent, Je vois les êtres vivants, habillés, qui se croisent, 110 Je vois les chiens qui existent eux-aussi, Et tout cela me pèse, comme une condamnation à l'exil, Et tout cela m'est étranger, comme tout le reste.) J'ai vécu, j'ai étudié, j'ai aimé, j'ai même crû, 115 Et il n'est pas de mendiant aujourd'hui que je n'envie pour la seule raison qu'il n'est pas moi. Je regarde tous les haillons, les plaies et le mensonge, Et je pense : peut-être n'as-tu jamais vécu, ni étudié, ni aimé, ni cru (On peut rendre tout cela réel, sans rien faire de tout ça); Peut-être n'as-tu jamais existé, comme un lézard dont on a coupé la queue, 120 Et la queue du lézard continue d'agiter. J'ai fait de moi ce que je ne savais pas, Et ce que je pouvais faire de moi, je ne l'ai pas fait. Le domino que j'ai mis n'était pas le bon. 125 On m'a tout de suite pris pour qui je n'étais pas, je n'ai pas démenti, je me suis perdu. Quand j'ai voulu arracher le masque, Il me collait au visage. Quand je l'ai retiré, je me suis regardé dans la glace, J'avais déjà vieilli. 130 J'étais saoul à ne plus savoir enfiler le domino que je n'avais pas enlevé. J'ai jeté le masque et j'ai couché au vestiaire Comme un chien toléré par la direction Parce qu'il est inoffensif Et je vais écrire cette histoire pour prouver que je suis sublime. 135 Essence musicale de mes vers inutiles,

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Si je pouvais te reconnaître comme une chose que j'aurais créée, Et qui ne me laisserait pas toujours face au Tabac d'en face, 140 Foulant aux pieds la conscience de me sentir exister, Comme un tapis où trébuche un ivrogne Ou un paillasson sans valeur volé par des gitans. Mais le patron du Tabac apparaît à la porte, il reste sur la porte. 145 Je l'observe dans une fausse position, le cou endolori Dans une fausse perception, l'âme meurtrie. Il mourra, je mourrai. Il laissera son enseigne, je laisserai mes vers. Un jour, son enseigne disparaîtra, mes vers disparaîtront. 150 Plus tard mourra la rue où se touvait l'enseigne Et la langue dans laquelle furent écrits ces vers. Puis mourra la planète tournante où c'est passé tout ça. Sur d'autres satellites, d'autres systèmes, quelque chose qui ressemble à des hommes Continuera à faire des choses qui ressemblent à des vers, 155 A vivre sous des choses qui ressemblent à des enseignes, Toujours une chose en face de l'autre, Toujours une chose aussi inutile que l'autre, Toujours l'impossible aussi stupide que le réel, Toujours le mystère au fond, aussi sûr que le sommeil du mystère en surface, 160 Toujours ça ou toujours autre chose, ou ni l'un ni l'autre. Mais un homme entre au Tabac (pour acheter du tabac ?) D'un coup, la réalité plausible s'abat sur moi. Je me redresse, plein d'énergie, convaincu, humain. 165 J'ai l'intention d'écrire ces vers où je dis le contraire. J'allume une cigarette à la pensée de les écrire, Je savoure dans la cigarette le flottement de toute pensées. Je suis des yeux la fumée, comme si elle était une route 170 Et, dans un éclair de sensibilité et de clairvoyance, Je jouis d'être libéré de toutes spéculations, Soudain conscient que la métaphysique n'est que l'effet d'une indisposition. Ensuite je me renverse sur ma chaise 175 Et je continue à fumer. Tant que le destin me l'accordera je continuerai à fumer. (Si j'épousais la fille de ma blanchisseuse Je serais peut-être heureux). 180 Là-dessus je quitte ma chaise. Je vais à la fenêtre. L'homme est sorti du Tabac (il range la monnaie dans sa poche ?) Mais je le connais : c'est Estève-n'a-pas-de-métaphysique. (Le patron du Tabac apparaît à la porte). 185 Comme par un instinct divin, Estève s'est retourné et m'a vu. Il m'a fait un signe de la main, j'ai crié Salut Estève! et à nouveau L'Univers s'est reconstitué pour moi sans idéal et sans espoir et le patron du Tabac m'a souri

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Etuded’uneœuvrepicturale:Caspard-DavidFriedrich,Voyageurcontemplantunemerdenuages,1818

L’auteur : __________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________ L’œuvre : ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

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FICHEMOUVEMENT:LeRomantisme

Le Romantisme Les origines du mot D’abord adjectif qualificatif : Vient de « romantic » en anglais, employé pour la première fois sous sa forme française « romantique » par J. J. Rousseau : qualifie le coté romanesque, émouvant et pittoresque d’un paysage. Le Romantisme se trouve ainsi associé à l’émotion que procure la nature.

Le Romantisme est un mouvement littéraire et culturel européen, ce qui n’est pas le cas de tous les mouvements artistiques. Il est marqué par : • l’émergence d’une sensibilité nouvelle qui conduit au lyrisme personnel, • la remise en cause d’un certain nombre de règles héritées du classicisme et jugées désormais trop contraignantes. En effet, le Romantisme naît d’une rupture, d’une réaction contre les contraintes du Classicisme (XVIIe siècle) et du rationalisme des Lumières (XVIIIe siècle). Apparu d’abord en Angleterre et en Allemagne, puis en France, dès la fin du XVIIIe siècle, le romantisme se développe dans un contexte politique, économique et social particulier (voir fiche XIX°) Ces bouleversements politiques et sociaux amènent les artistes à se détourner d’une réalité jugée fade et médiocre pour chercher d’autres sources d’inspiration, dans l’exotisme, l’univers médiéval, le rêve et l’irrationnel. Le registre dominant du Romantisme est le registre lyrique, mais il ne s’y limite évidemment pas. En France : Le 1er romantisme (1770-1820) Après une période marquée par le goût de l’ordre et de la rationalité (XVII°-XVIII), qui laisse peu de place à l’expression des sentiments personnels, et qui soumet les arts à des règles strictes, apparaît, dès la fin du XVIIIe siècle, tant en France qu’en Allemagne et en Angleterre, une sensibilité nouvelle qui s’exprime aussi bien dans la littérature que dans la peinture ou la sculpture et qui s’accompagne d’un désir de libération formelle. Cette sensibilité romantique apparaît entre 1770 et 1820, période pour laquelle en France on ne parle pas encore de Romantisme, mais de Préromantisme. Rousseau, Chateaubriand et Benjamin Constant, ou Goethe en Allemagne… C’est une femme de Lettres française, Madame de Staël, qui a largement contribué à le faire connaître en France grâce à un essai intitulé De l’Allemagne, paru en 1810 ; le Romantisme anglais est représenté notamment par Byron. 2° génération romantique : 1820-1830 L’année 1820 constitue une date importante dans l’histoire du mouvement romantique. C’est l’année de parution d’un recueil de vingt-quatre poèmes d’Alphonse de Lamartine : les Méditations poétiques .

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Parmi les poèmes les plus célèbres de ce recueil l’un des plus connu est : « Le lac » . Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !

Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours !

La violence des passions Le lyrisme romantique permet aussi d’exprimer la violence des passions, comme dans le recueil Les Nuits (1835-1837) de Alfred de Musset : il se compose de quatre poèmes consacrés aux moments les plus intenses de sa relation avec George Sand (de son vrai nom Aurore Dupin) : « Nuit de mai », « Nuit de décembre », « Nuit d’août » et « Nuit d’octobre ». « Nuit de mai » est écrit après sa rupture avec cette femme écrivain (auteur entre autres de La Mare au Diable...) et se présente sous une forme dialoguée entre le poète et sa Muse. En voici un extrait :

LE POÈTE

Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu'ai-je donc en moi qui s'agite

Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte

M'éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m'appelle ? - Personne.

Je suis seul ; c'est l'heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté !

La contestation des règles formelles La réaction au Classicisme se marque par une volonté de remise en cause des règles formelles établies. Elle se manifeste essentiellement dans deux domaines :

• En poésie, les romantiques contestent l’alexandrin classique, • Dans l’écriture théâtrale, ils rejettent les règles du théâtre classique.

Ces deux domaines sont évidemment intimement liés dans les pièces de théâtre écrites en vers. Au théâtre : Les Romantiques sont à l’origine d’un nouveau genre : le drame romantique. Il est hérité du drame bourgeois qui s’est développé à la fin du XVIIIe siècle, et prend pour modèle le théâtre de Shakespeare (1564-1616). Il remet en cause la règle des trois unités (temps / lieu / action), ainsi que la règle de bienséance. Stendhal en pose les premiers fondements théoriques dans son essai Racine et Shakespeare (1823-1825), dans lequel il milite pour un théâtre en prose, idée appliquée quelques années plus tard par Musset dans Lorenzaccio (1834). Mais Hugo, dans sa Préface de Cromwell, défend la rime et le vers qu’il veut aptes à incarner « le mélange des genres et des registres » par lequel se caractérise en particulier ce genre théâtral nouveau.

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Le manifeste de la préface de Cromwell Victor Hugo, qui apparaît comme le chef de file de cette école romantique, écrit en 1827 une pièce de théâtre, Cromwell, dont la préface fera figure de Manifeste. Le drame se veut le reflet de la réalité, en particulier de la dualité de la nature humaine, à la fois sublime et grotesque : L’homme entre un être tourné vers la terre (la bassesse ou la laideur, ce qui fait rire : le grotesque) et l’autre vers le ciel (la noblesse des sentiments, la grandeur des situations : le sublime). Ceci aura pour conséquence une grande diversité des niveaux de langue. Le drame romantique abolit en quelque sorte la distinction ancienne entre comédie et tragédie. L’unité de lieu est abolie, la règle de la bienséance aussi, et désormais rien ne s’oppose à ce que les meurtres et les suicides puissent avoir lieu sur scène ! La bataille d’Hernani En 1830, trois ans plus tard, Victor Hugo écrit et fait représenter le drame qui fait date dans l’histoire du mouvement : Hernani. Cette pièce met en application les principes énoncés dans la Préface-manifeste de Cromwell. La première représentation provoque une véritable bagarre dans la salle, restée sous le nom de Bataille d’Hernani, entre partisans des classiques et adeptes du théâtre romantique. Ces innovations formelles, qui touchent essentiellement l’écriture théâtrale, ouvrent la voie au théâtre du XXe siècle qui se caractérise en particulier par le mélange des genres et des registres. En poésie :

• La dislocation de l’alexandrin classique ( reprise par des poètes tels que Baudelaire) • L’invention du poème en prose, par Aloysius Bertrand, auteur en 1842 de Gaspard de la nuit. Ce genre, qui

cesse de faire coïncider poésie et vers, connaîtra un brillant avenir, d’abord avec Baudelaire qui lui a donné ses lettres de noblesse, puis auprès de tous les poètes dits symbolistes qui ont ouvert la voie à ce que l’on a appelé, au tournant du siècle, la modernité.

L’engagement politique et la critique sociale Le Romantisme est né d’un désir et d’un besoin de rupture avec d’autres mouvements qui l’ont précédé. En France, il est indéniable que le contexte politique, économique et social a joué un rôle important dans la naissance du mouvement romantique. Le contexte politique La littérature de cette première moitié du XIXe siècle se construit à partir de deux mythes fondateurs :

• le mythe révolutionnaire d’une part : le siècle précédent s’étant achevé par cet immense bouleversement qu’a représenté la Révolution de 1789. Victor Hugo établit clairement cette filiation dans William Shakespeare, IIIe partie, livre II, (1864) : « Les penseurs de ce temps, les poètes, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes, tous, tous, tous, dérivent de la Révolution française. Ils viennent d’elle et d’elle seule. De 89 est sortie la Délivrance, et de 93 la Victoire. 89 et 93 ; les hommes du dix-neuvième siècle sortent de là. C’est là leur père et leur mère. Ne leur cherchez pas d’autre filiation, d’autre inspiration, d’autre insufflation, d’autre origine. »

• le mythe napoléonien d’autre part : après le coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799), Napoléon incarne la figure idéale du sauveur et du rassembleur de la Nation. Sacré empereur en 1804, il construit en dix ans jusqu’en 1814 sa légende au rythme de ses victoires. Mais c’est surtout après l’échec des Cent-Jours, sa défaite à Waterloo en 1815 et sa mort en exil en 1821 à Sainte-Hélène, que se bâtit le mythe napoléonien. N’oublions pas, par ailleurs, que les pères de Hugo et de Dumas ont été généraux d’Empire et que Stendhal s’est engagé dans l’armée de Bonaparte. Ce dernier est en particulier l’auteur du roman Le Rouge et le Noir (1830), dont le héros Julien Sorel est un fervent admirateur de

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Napoléon. La chute de l’Empire et la Restauration de la Monarchie ruinent les ambitions et l’enthousiasme de toute une génération, et ce n’est pas un hasard si le mouvement romantique prend toute son ampleur à partir des années 20. Louis XVIII, frère de Louis XVI, de 1814 à 1824, reconnaît quelques droits démocratiques, mais son frère Charles X, de 1824 à 1830, chef des ultras (royalistes et conservateurs) provoque la révolution populaire de 1830 : il s’agit des trois journées d’insurrection à la fin du mois de juillet 1830 appelées « Les trois Glorieuses » et la mise en place de la Monarchie de Juillet, gouvernée par Louis-Philippe, de 1830 à 1848, qui aboutira à la Révolution de 1848. Déçus par la médiocrité des gouvernements qui succèdent à la chute de l’Empire (Restauration), certains écrivains s’engagent dans la vie politique : Chateaubriand , Lamartine … Quant à Victor Hugo, d’abord monarchiste, il épouse ensuite les idées républicaines et devient député en 1848 dans la IIe République. Il désapprouve totalement le coup d’État du 2 décembre 1851 du futur Napoléon III, au pouvoir de 1852 à 1870, contre lequel, depuis l’exil où il restera jusqu’en 1870, il fait paraître le recueil satirique Les Châtiments (1853). Le contexte économique et social La révolution industrielle entraîne une modification en profondeur des conditions de travail et du cadre de vie d’une grande partie de la population. L’exode rural mène à la création de grands centres industriels où une main-d’œuvre abondante et peu qualifiée, aux conditions de vie souvent misérables, donne naissance au prolétariat (Ouvriers). Cette contestation politique on la perçoit aussi à travers des œuvres picturales. La Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix (1830). Ce peintre (1798-1863) s’était déjà illustré par des tableaux qui avaient provoqué le scandale, comme Les Massacres de Scio en 1824, considéré comme un manifeste de l’école romantique en raison de l’intensité de la couleur et de la présence saisissante du registre tragique, ou La Mort de Sardanapale présenté en 1828 et qui, avec ses coloris éclatants, la sensualité et la violence de la scène, avait été très mal accueilli par la critique. La Liberté guidant le peuple est inspiré par l’insurrection populaire de 1830 , et plus particulièrement par un épisode fameux de la journée du 28 juillet. Vers midi, les gardes suisses qui gardaient l’hôtel de ville avaient tenté une sortie, mais ils en furent empêchés par les insurgés qui gardaient le pont reliant la rive droite de la Seine à l’île de la Cité. Un jeune homme, ranimant leur courage, portant le drapeau tricolore, dirigeait le feu contre les troupes royalistes qui ripostèrent durement avant de se replier. La mort de ce jeune homme, dont les derniers mots furent : « Mes amis, si je meurs, souvenez-vous que je m’appelle d’Arcole. », a donné à Delacroix la première idée de ce tableau. Pour représenter les victimes du premier plan, il semblerait qu’il se soit souvenu d’un autre tableau célèbre, Le radeau de la Méduse (1819) de Géricault (1791-1824), considéré comme l’un des premiers peintres romantiques. La contestation politique s’est souvent exprimée par l’intermédiaire de caricatures. Honoré Daumier (1808-1879), fit à son tour paraître dans La Caricature du 30 août 1832 une caricature jugée fort irrévérencieuse de Louis-Philippe, intitulée Gargantua, qui lui valut six mois d’emprisonnement

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À partir de 1830, et dans le sillage de son engagement politique de plus en plus marqué, le lyrisme de Lamartine évolue du lyrisme personnel, sensible dans ses Méditations poétiques, vers un lyrisme plus social, comme dans ce poème extrait de Recueillements poétiques (1839) qui montre son aspiration à dépasser l’expression de ses maux personnels. f) Au-delà de l’aspiration manifestée par Lamartine, un roman comme Le Rouge et le Noir, écrit par Stendhal, et publié en 1830, se présente en partie comme une violente satire des milieux bourgeois provincial et parisien. Mais c’est sans doute chez Victor Hugo que cet intérêt pour le peuple est le plus marqué et traverse une grande partie de son œuvre, tant poétique que romanesque. Vous pensez sans doute à son roman Les Misérables (1862) ; dans le recueil intitulé Les Contemplations, paru en 1856, vous pourrez lire des poèmes où se manifeste sa révolte devant l’injustice sociale, comme dans le long poème intitulé « Mélancholia »... Le Romantisme : désillusions et désir d’évasion Nous avons vu que la situation politique et sociale engendre la contestation. Mais en fonction de leur tempérament propre, tous les artistes romantiques ne réagissent pas de la même façon et un nombre important d’entre eux est surtout habité par un sentiment de malaise, de mal-être si répandu qu’il est défini comme « le mal du siècle » : mélancolie chez Lamartine, spleen chez Baudelaire, il traverse une grande partie du XIXe siècle ; et si certains affrontent la réalité et cherchent même à la transformer par une œuvre contestataire et par leurs actions, la production littéraire et artistique de la première partie du siècle est avant tout fortement marquée par un désir d’évasion, tant spatial que temporel. Le mal du siècle Il peut être illustré par trois textes révélateurs de cet état d’esprit, qui montrent qu’il est présent dès le début du siècle. Texte 1 : Avant le célèbre Adolphe de Benjamin Constant (1816), Senancour, dans son roman par lettres à caractère autobiographique Oberman (1804), décrit un « moi »d’une

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incurable tristesse, replié sur lui-même, pessimiste, qui cultive dans une complaisance douloureuse l’ennui et le mal de vivre. Voici un extrait de ce roman. Le désir d’évasion L‘évasion, dans la production artistique romantique, peut prendre trois formes : dans l’espace, dans le temps, dans le rêve et l’irrationnel. O Le désir d’évasion spatiale se traduit par un goût prononcé pour l’exotisme. Le déplacement peut être réel, comme c’est le cas pour Chateaubriand qui en rapportera un livre, Itinéraire de Paris à Jérusalem, ou pour Byron qui va soutenir la lutte grecque pour l’indépendance contre la domination ottomane et y laisse la vie, ou encore pour le peintre Delacroix qui séjourne six mois en Afrique du Nord et contribue à lancer la mode de l’exotisme oriental chez les peintres et les écrivains de son époque. Vous pouvez aussi aller voir sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Thèmes_récurrents_du_romantisme

LeRomantismeenmusique:

Comme en littérature, le romantisme a été en musique le courant dominant du dix-neuvième siècle. Dès 1810, Beethoven se rapproche de ce mouvement, mais c'est surtout à partir de 1821, avec le Freischütz de Carl Maria von Weber, puis avec les œuvres pour piano ou pour musique de chambre composées par Schubert que le romantisme s'impose. Plus tard, les pièces de Berlioz, de Liszt, de Schumann et de Wagner font du romantisme l'influence dominante dans la musique du milieu du dix-neuvième siècle. D'ailleurs, Brahms, Bruckner, Tchaïkovski puis Mahler vont permettre que ce courant tisse ses prolongements jusqu'au vingtième siècle.

La musique romantique n'a évidemment pas été conçue pour apaiser les âmes. Bien au contraire, tout vise ici à susciter l'émotion, à bouleverser. Le piano, en remplaçant le clavecin, permet désormais d'exploiter de puissants contrastes de dynamique, ce qu'exploitent notamment Beethoven (cf. la Hammerklavier) et Chopin (notamment à la fin de la Révolutionnaire). De la même façon, l'orchestration devient de plus en plus audacieuse et sophistiquée, ce qui, en attendant Mahler, apparaît clairement dans la Neuvième symphonie de Beethoven et dans la Fantastique de Berlioz. Les sonorités inventées par les romantiques sont particulièrement colorées et évocatrices, davantage en tout cas que chez des classiques comme Haydn ou Mozart.

Avec les romantiques, les formules héritées du dix-huitième siècle (notamment la forme-sonate) éclatent, un peu comme à la même époque la tragédie au théâtre. Le problème de l'unité des œuvres se pose donc avec une acuité particulière. Certains, comme Schumann dans ses pièces pour piano (cf. les Kinderszenen, les Kreisleriana et le Carnaval), favorisent carrément l'éclatement et la pièce musicale est dès lors composée d'une multitude de fragments peu ou pas développés. Chez Wagner, au contraire, l'opéra n'est plus divisé en numéros relativement brefs comme cela était le cas chez Mozart ou Rossini: à la place, ses opéras sont faits de coulées longues et puissantes, propres à faire ressentir la montée des

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passions des personnages, et c'est par le retour de leitmotive que l'œuvre conserve son unité. De manière assez analogue, Berlioz fait revenir une mélodie de manière incessante, et c'est autour d'une telle idée fixe que tourne sa Symphonie Fantastique.

Chez Liszt, les poèmes symphoniques s'appuient sur des récits littéraires. Pour ne citer que trois exemples, Ce qu'on entend sur la montagne et Mazeppa de Hugo, ainsi que les Préludes de Lamartine ont fourni à Liszt les trames de compositions d'envergure. Ces textes littéraires, qui ont d'ailleurs été tous les trois repris sur ce site, constituent d'excellentes illustrations du rapport Musique/Poésie que presque tous les romantiques ont aimé exploiter.

Si la littérature romantique a occupé un espace considérable pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, il faut bien reconnaître que sa traduction musicale a peut-être eu un poids encore plus important.

• Berlioz: Symphonie fantastique (extrait) • Chopin: Étude révolutionnaire • Schumann: Kreisleriana (extrait) • Wagner: Mort d'Isolde (extrait)

http://www.poetes.com/romantisme/musique.htm

LeRomantismeenpeinture:

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FICHEMOUVEMENT:LeSymbolisme

_ Le mouvement symboliste, dans son sens très large, commence avec la publication de Les Fleurs du mal de Baudelaire (le grand précurseur) en 1857 et s’étend jusqu’à la fin du siècle.

Les grands noms : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé.

Le Symbolisme se situe après le Romantisme dont il est l’héritier. Il en conservera l'idée d'un certain rejet social et la rébellion contre toute forme de rationalisme. Il apparaît d'abord comme réaction contre le Réalisme et le Naturalisme. C’est une révolte, une révolution entamée par Verlaine et Baudelaire qui atteint son apogée dans les années 1885-1895.

Le XIX° (voir Fiche XIX°) correspond à des bouleversements forts : Siècle de l’industrialisation, de la machine, et du matérialisme. En littérature, les romans de Balzac ou de Zola cherchent à peindre le monde tel qu’il est, à expliquer le réel par le réel, à s’appuyer sur la science pour expliquer des parcours de vie (Naturalisme de Zola)… Le Symbolisme va s’élever contre cette vision, il se voudra "comme une protestation de l'esprit, ou de l'âme, contre le matérialisme contemporain, un matérialisme contemporain qui trouve son incarnation littéraire dans le naturalisme zolien . (…)le mot de symbole a pour fonction essentielle, dans le discours symboliste, de rappeler que la réalité ne se réduit pas à la réalité brute du discours naturaliste, et de suggérer ainsi un réel au-delà du réel. Le symbolisme est d'abord et avant tout un idéalisme [...]"Bertrand Marchal . Le Symbolisme chante la nostalgie de l'Idéal et du Spirituel. Prétendant à un style nouveau et à une langue inédite, purifiée, où les mots peuvent jouer librement avec l'imagination la plus débridée, cette nouvelle école littéraire peut ainsi s'apparenter à un art de la subjectivité et de l'idéalisation du réel. C’est une "renaissance" au sens où les symbolistes proclament le pouvoir de l'Esprit sur les sens, de l'art sur la nature, de la subjectivité sur l'objectivité, de l'imaginaire sur le réel. Le Symbolisme met l'accent sur la relation entre le signe (signifiant) et son signifié. Jean Moréas (Manifeste du Symbolisme) insiste bien sur cette dimension intellectuelle et métaphysique du mouvement : " (…) la poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d'une forme sensible [...]". La poésie serait donc l'incarnation d'une forme extrême de la subjectivité, que l'artiste doit découvrir et exprimer par le langage. Ce culte d'un renouveau du spirituel est amplifié par le refus de la vie quotidienne dans son conformisme banal. Il conduira les auteurs à une volonté de recréation du langage qui va ouvrir la voie à une poétique nouvelle, plus abstraite . "Au caractère utile du langage brut s'oppose le caractère sacré du poème. Comme Baudelaire, Mallarmé pense qu'"il y a dans le Verbe (le mot) quelque chose de sacré [...]". La poésie symboliste est élitiste comme le suggère très bien cette citation de Mallarmé : "Que les masses lisent la morale, mais de grâce ne leur donnez

Signifié/Signifiant Un signe linguistique est l'union arbitraire et conventionnelle d'un signifiant et d'un signifié : Signifié = la chose dont on parle (par exemple la chose qui est appelé « cheval » Signifiant = le mot qui sert à nommer la chose dont on parle , le mot « cheval »)

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pas notre poésie à gâter". Ainsi l'art, conçu comme une "aristocratie de l'esprit" est placé au-dessus de tout dans une perspective élitiste, il n'est réservé qu'à quelques initiés, seuls capables d'en saisir le sens (Voir la "Lettre du Voyant" de Rimbaud). Il est évident que cette volonté symboliste de « de forger, par la syntaxe aussi bien que par le vocabulaire, par l'archaïsme ou le néologisme, une langue poétique absolument distincte de la langue courante" aboutit immanquablement à l'hermétisme (voire à l'incompréhensible). Une quête de l'absolu C'est peut-être l'article d'Albert Aurier sur le peintre Gauguin paru dans le Mercure de France en 1891 qui traduit explicitement l'esthétique symboliste. Bien qu'appliquée à l'art pictural, elle caractérise bien la poésie. Selon lui, l'œuvre d'art doit être : 1. Son idéal unique sera l'expression de l'Idée ; 2. Symboliste, puisqu'elle exprimera cette idée par des formes ; 3. Synthétique, puisqu'elle écrira ces formes, ces signes, selon un mode de compréhension générale ; 4. Subjective, puisque l'objet n'y sera jamais considéré en tant qu'objet, mais en tant que signe d'idée perçu par le sujet [...]. Affranchie de ses éléments didactiques, narratifs, et libérée du vers traditionnel, la poésie symboliste serait ainsi une poésie de la quête et du déchiffrement, mettant en correspondance le réel et l'inconnu : "ne rien nommer, ne rien expliquer" : tel semble le credo de la doctrine symboliste. La valeur de l'artiste ne réside non plus dans ce qu'il peut faire ou dire mais dans sa capacité à chercher une vérité primordiale qui échappe d'autant plus au sens commun qu'elle s'appuie sur la suggestion et l'évocation. Cette identification du symbole avec la poésie est essentielle. Comme le dit Mallarmé, "La poésie consistant à créer, il faut prendre dans l’âme humaine des états, des lueurs d’une pureté si absolue que bien chantés et bien mis en lumière, cela constitue en effet les joyaux de l’homme : là il y a symbole, il y a création, et le mot poésie a ici son sens : c’est, en somme, la seule création humaine possible |". Transformer l'objet en idée L'idée de représenter abstraitement la nature permet ainsi aux poètes de tisser un réseau de significations symboliques, qui ajoute à l'univers des choses visibles une inépuisable métaphysique de l'invisible. Cette recherche de l'abstraction, de l'ambiguïté, du mystère, amène à une forme d'idéalisation stupéfiante : les images, par leur hermétisme même, concourent à la création d'un univers dont le contenu réel nous échappe : ce n'est pas un paysage maritime qui est représenté, mais un paysage pensé, façonné par le mystère de la langue, né d'une véritable fusion de l'homme et de l'univers, permettant de suggérer peu à peu, et conférant au réel force et pureté Mallarmé affirmait que "nommer un objet, c'est supprimer les trois quart de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voila le rêve". Ce qu'il faut donc retenir du Symbolisme, c'est précisément ce pouvoir de suggestion qui confère à la poésie une dimension presque surnaturelle : transformer l'objet en idée... Donc : Le symbole pour exprimer le monde Les correspondances : au-delà des apparences, le monde et les êtres Musicalité du vers Le mystère : "La poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence." Mallarmé. Richesse et rareté du vocabulaire ; hermétisme

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Le Symbolisme en peinture

La génération des artistes nés autour de 1860 redécouvre ainsi le vaste domaine de l'imaginaire et du rêve. L'œuvre d'art, loin d'être une simple représentation, doit exprimer les aspirations de l'âme et restaurer une forme de transcendance. Sur ce site, une page très synthétique : http://www.cineclubdecaen.com/peinture/analyse/symbolisme.htm et ici un dossier http://www.extra-edu.be/pdf/dossier_symbolisme_fr.pdf

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QUESTIONS D’ORAL POUR L’ENSEMBLE DU CORPUS : Questions sur la forme poétique o Quelles sont les différentes formes poétiques que vous connaissez ? o Quels types de vers connaissez-vous ? o Que connaissez-vous à l’organisation des rimes ? o Qu’est-ce qui différence la poésie de la prose ? o Peut-on encore parler de poésie avec le poème en prose ou la prose poétique ? o Qu’est-ce qui distingue la poésie des autres genres littéraires ? o Quelle définition proposez-vous de la poésie ? o Qu’est-ce qui fait qu’un texte est poétique ? o Quelle est la spécificité de l’écriture poétique ? o En quoi la forme poétique donne-t-elle plus de force au propos tenu dans un texte ? o La poésie peut-elle se passer des images ? o Quels rapports la poésie entretient-elle avec la musique ? o Que pouvez-vous dire sur le genre et la forme des poèmes que vous avez étudiés ? o Qu’est-ce qu’un art poétique ?

Sur les mouvements

• Définissez le symbolisme • Quels autres mouvements existent à l’époque ? • Qui sont les « poètes maudits » ? • Citez trois poètes du XIXe siècle. • Quelles sont les caractéristiques de la poésie classique et de la poésie moderne ? • Poésie et modernité : le renouvellement des formes et des thèmes en poésie. • Pouvez-vous citer un poème libéré des contraintes formelles ? • Comment percevez-vous l’histoire du genre poétique ?

Questions sur les fonctions de la poésie

• Quelles sont les fonctions de la poésie ? // A quoi sert la poésie ? • Quels sont le rôle et le statut du poète ? // A quoi sert le poète ? Comment le définir ? • Pensez-vous que la poésie ne trouve son inspiration que dans les sentiments ? Quelles sont ses

autres sources d’inspiration, ses autres missions ? • Quels sentiments le poète fait-il naître chez le lecteur ? • Pourquoi parle-t-on de poésie lyrique pour désigner la poésie qui exprime les sentiments ? • A votre avis, à quoi sert la poésie lyrique ? • La poésie est-elle le genre le plus approprié pour évoquer le sentiment amoureux ? • La poésie est-elle utile ou inutile ? • Poésie : exploration du monde ou création d’un autre univers ? • La poésie est-elle un jeu sur le langage ?

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Autres questions

• Selon vous, quel est le poème le plus réussi de la séquence ? Pourquoi ? • Justifiez le choix des poèmes du groupement. • L’étude de la poésie en classe a-t-elle modifié la vision que vous en aviez ? • La poésie idéalise-t-elle la réalité ? • Est-il gênant de ne pas comprendre un poème au premier abord ? • La poésie a-t-elle encore sa place aujourd’hui ? Sous quelles formes existe-t-elle ? • Savez-vous un poème par cœur ? Pouvez-vous le réciter ? • Avez-vous un poète préféré ? Pourquoi ? • Aimez-vous la poésie ? Pourquoi ? • L’écriture poétique vous semble-t-elle facile / difficile ? • Avez-vous vous-même écrit des poèmes ? Dans quelles circonstances ? Sous quelle forme ?

Quel intérêt avez-vous retiré de cette expérience ?