master 2 recherche droit public Économique … · celle-ci affecte tous les domaines ... les...
TRANSCRIPT
1
Mathias PIGEAT
« La Corruption et les Contrats Publics Internationaux »
Master 2 Recherche DROIT PUBLIC ÉCONOMIQUE Année 2006-2007
2
SOMMAIRE INTRODUCTION Page 4 Première Partie – Les réponses au phénomène de la corruption dans les Contrats Publics Internationaux : Page 14 Chapitre 1 - La corruption, un terme pluridisciplinaire à la qualification difficile : Page 14 Section 1 – L’approche économique de la corruption : Page 14 Section 2 - L’appréciation juridique d’un phénomène économique : Page 20 Chapitre 2 - La lutte contre la corruption dans les contrats publics à l’échelle internationale et nationale : Page 29 Section 1- Les initiatives internationales : Page 29 Section 2- La dimension nationale de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 52 Deuxième Partie - La mise en pratique de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 61 Chapitre 1 - Les moyens de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux, de la prévention à la répression : Page 61 Section 1- Les moyens en amont, la prévention de la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 62 Section 2- Les moyens en aval, la répression dans la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 78 Chapitre 2 - Les limites et perspectives de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 85 Section 1- Les limites et obstacles de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux : Page 85 Section 2- Les solutions pour relancer et rendre plus efficace la lutte contre la corruption : Page 92 CONCLUSION Page 101
3
TABLE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS :
AMP : Accord sur les marchés publics pris dans le cadre de
l’organisation mondiale du commerce. BM : Banque Mondiale. CNUDCI : Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international. FCPA : Foreign Corrupt Practices Act, réglementation américaine sur la
corruption d’agents publics étrangers. FMI : Fonds Monétaire international GRECO : Groupe d’États contre la corruption mis en place dans le cadre
du Conseil de l’Europe. Ibid : Dans le même ouvrage ou article que la référence précédente. INT : Département intégrité dans le cadre de la Banque Mondiale. IPC : Indice de perception de la corruption. NAFTA : North American Free Trade Agreement, ALENA en français
pour accord de libre-échange nord américain. OCDE : Organisation de coopération et de développement économique. OMC : Organisation Mondiale du Commerce. ONU : Organisation des Nations Unies. Op. Cit. : Ouvrage cité auparavant RFFP : Revue Française des finances Publiques. TI : Transparency International. UE : Union Européenne.
4
INTRODUCTION
Sur l’ensemble de la planète, la corruption atteindrait une centaine de milliards
de dollars par an. Les enjeux sont énormes. Sur 4000 milliards de dollars dépensés par
les gouvernements pour les contrats publics, les sommes perdues en pot-de-vin lors de
la passation des marchés représenteraient au moins 40 milliards de dollars chaque
année. Par ailleurs, celle-ci a pour effet d’entraîner un surcoût de 20% à 25% dans les
marchés de fournitures.
La corruption est un phénomène global. Celle-ci affecte tous les domaines
d’activité, privés comme publics, à toutes les étapes de la formation d’un contrat
public, que ce soit lors de la passation ou lors de l’exécution, et concerne tous les pays
qu’il s’agisse des pays émergents, les plus fortement touchés, mais aussi les pays
développés. Les scandales récents qui touchent des multinationales, comme dans
l’affaire Total dans un domaine aussi sensible que l’affaire « pétrole contre
nourriture », démontrent qu’il s’agit d’un problème d’envergure aux conséquences
importantes, voire dramatiques.
Enfin, la polémique qui touche Paul Wolfowitz, le directeur de la Banque mondiale,
et les méthodes qu’il utilise pour lutter contre la corruption, en excluant certains pays
des programmes d’aides, est une preuve supplémentaire de la complexité du sujet.
Selon Hervé Landau, la pratique de la corruption est d’autant plus aisée à
réaliser que les échanges se mondialisent, que les frontières s’ouvrent et que des
techniques nouvelles de communication se développent. Les activités de corruption
« utilisent pleinement la dérégulation et la numérisation de l’économie ». 1
Il s’agit généralement d’un phénomène transnational, qui doit, donc, être
appréhendé et combattu à l’échelle de la planète, par les autorités publiques.2
1 Hervé LANDAU, Pratique de la lutte anti-blanchiment, Revue Banque Edition, Paris, 2005, P.80 2 Philippe MONTIGNY, L’entreprise face à la corruption internationale, Edition Ellipses, 2006, p.209
5
La corruption est une notion extrêmement commune qu’il est très difficile de
cerner. C’est une notion pluridisciplinaire, à la fois, économique, philosophique et
juridique, qui est devenue un phénomène à la mode et qui, par conséquent, se noie
dans l’esprit du temps et connaît des acceptions différentes selon les cultures.
Pierre Lascoumes, directeur de recherche au CNRS et auteur de plusieurs
ouvrages sur la corruption et la délinquance, relève la polysémie du concept. Selon lui
le terme de corruption est « victime des ambiguïtés du sens commun »3.
En outre, son caractère occulte et secret la rend particulièrement difficile à
appréhender. « Le secret qui entoure sa mise en œuvre ne facilite pas son étude
objective » et « ouvre la porte à toutes les rumeurs, voire à tous les fantasmes ». 4
Dans son sens premier, la corruption, « corrumptio », signifie simplement
altération du verbe « corrompere » rompre ce qui était uni et joint ensemble.
La corruption peut être définie comme « un détournement ou un trafic de la
fonction »5, ou comme « la violation par le coupable des devoirs de sa charge »6.
Selon Transparency International, une organisation non gouvernementale très
active en matière de corruption, « la corruption désigne un comportement des agents
publics, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, par lequel, ils, ou ceux qui leur sont
proches s’enrichissent de façon indue et illégale en utilisant de façon détournée le
pouvoir public qui leur a été confié ». 7
Cependant, aborder la notion de corruption sans prendre en considération sa
dimension morale serait une erreur. Ainsi, le terme de corruption renvoie à une autre
notion qui semble être son opposé et le fondement de sa réprobation, la notion
d’éthique.
3 Pierre LASCOUMES, « Percevoir et juger la corruption politique», site du CEVIPOF, http://www.cevipof.msh-paris.fr/dossiersCev/projmaj/20032006/02-RFSP.pdf, p.4 4 Philippe MONTIGNY, op. cit., p.263 5 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, P.U.F., 8éme édition, Avril 2007 6 A.VITU, « Corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique», Jurisclasseur Droit Pénal n°31, Novembre 1993, p.4 7 Jeremy POPE, Confronting Corruption: The Elements of a National Integrity System, TI Source Book 2000, Transparency International, 2003, 3e ed., 394 p.
6
Elle recouvre l’ensemble des principes moraux qui sont à la base du
comportement de l’individu.8
Cependant, si l’éthique a déjà pénétré le droit des affaires, elle tend à avoir
une influence de plus en plus importante dans le droit des contrats publics.
Ainsi, il est important de noter que si la corruption a été, pendant longtemps,
appréhendée sous l’angle de la philosophie, de la sociologie, de la science
administrative et de l’économie, il n’en reste pas moins que ce sujet pluridisciplinaire
a une dimension juridique très importante et tend à s’affirmer comme une notion
importante du droit.
Bruno-André Pireyre retient que la corruption est avant tout « un
comportement infractionnel »9, strictement défini par le droit pénal français, « lequel,
dans le respect du principe de légalité des délits et des peines, en fixe les conditions
d’incrimination et en prévoit la répression ».
Il relève que son champ d’incrimination n’a cessé de s’élargir depuis le milieu
du siècle dernier, jusqu’à connaître son paroxysme avec les conventions
internationales.
Ainsi, la corruption détourne les contrats publics de leur fonction première,
celle de répondre à un besoin public et à l’intérêt général, les rendant ainsi totalement
inefficaces. Cela a pour conséquence de geler toute possibilité de développement
économique et social, en particulier dans les pays en voie de développement.
De manière générale, on entend par contrats publics internationaux, les
contrats conclus par un État ou un organisme multilatéral avec une entreprise
étrangère ou une autre entité publique étrangère. Cette dénomination désigne
également les contrats conclus dans le cadre des opérations financées par des
organismes multilatéraux.
Ces contrats sont un terreau particulièrement favorable au développement des
pratiques corruptrices. Ainsi, selon une enquête menée par le cabinet Kaufmann en 8 RICHARD V., Incidence des changements de l’organisation du travail et du management par les pratiques de l’éthique relationnelle, thèse d’habilitation à diriger des recherches, Université de Paris IV-Sorbonne, CELSA, 1994, p. 35-36 9 PIREYRE Bruno-André, « Corruption et trafic d’influence :l’approche du droit pénal », Revue Française de Finances Publiques, n°69, Mars 2000, p.33
7
2006, auprès de dirigeants d'entreprises multinationales pour le forum de Davos
(Forum Mondial Économique), il ressort que ce sont les marchés publics qui sont le
plus fréquemment à l'origine d'actes de corruption10.
La question des contrats publics et, plus précisément des procédures de
passation de la commande publique, représentent, donc, un enjeu capital dans la lutte
contre la corruption. C’est en effet dans ce domaine que le risque de détournement
d’argent, de pot-de-vin ou de tout autre avantage au profit d’un intérêt privé et aux
dépens de l’intérêt collectif peut se manifester.
Les affaires, en l’espèce, sont légions et sont extrêmement médiatisées. Elles
contribuent à entretenir un climat de méfiance à l’égard de l’administration et des
politiques en matière de gestion et d’achat public.
Ces cas de corruption sont donc un problème majeur car il représente non
seulement un coût financier pour les contribuables qui voient leurs participations
utilisées à mauvais escient, mais aussi une sanction morale et médiatique pour
l’administration qui perd avec ces pratiques la confiance des contribuables dans ses
institutions.
Mais pourquoi les contrats publics internationaux sont-ils un domaine si
sensible ? Plusieurs raisons expliquent cette prédisposition.
Selon Hervé Isar, on peut trouver deux raisons principales à cette
tendance11. Tout d’abord, en raison de la quantité de contrats publics qui sont passés
chaque année et qui a augmenté de manière considérable portant le chiffre à plusieurs
milliers de contrats publics par an. Puis, par la qualité des contrats publics, car ceux-ci
« impliquent nécessairement l’intervention de la puissance publique » et donc des
« hommes de l’État » que notre culture a souvent « sanctuarisé », conduisant à un
sentiment d’impunité et aggravant les effets de « la rencontre entre corruption et
marchés publics ».
Selon lui, l’existence d’un droit spécifique aux contrats publics est une des
sources de ces nombreuses difficultés. Il pointe, ainsi, « l’équivoque calcul des
seuils », les responsables publics cherchent par tous les moyens à passer en dessous
10 Voir annexe 2. 11 Hervé ISAR, « Corruption et marchés publics : une analyse juridique », in Jean-Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, p 249-251
8
des seuils et ainsi ne pas être soumis à des procédures trop formelles et
contraignantes.
Puis, il retient « la suspecte mobilisation des procédures d’exceptions », où
même si « les espaces réglementaires sont plus étroits », « de nombreux responsables
ont souvent recours à des procédures d’exception en dehors des hypothèses
limitativement prévues ».
Il relève également la schizophrénie des réglementations en vigueur, qui est
une source supplémentaire de difficulté. Celles-ci, qui exigent une très grande
précision dans la définition des besoins tant techniques que financiers, se montrent
méfiantes envers les rédactions trop précises. Il en conclut que ces réglementations
aux « prétentions prométhéennes génèrent en quelque sorte leurs propres
faiblesses ».
Une autre explication, plus économique, retient « la médiation ou
l’intermédiation de la puissance publique », source de distorsion, comme la faiblesse
des contrats publics. Cette intervention de l’autorité publique conduit à une
« séparation entre besoin et demande qui entraîne un risque d’inadéquation de
l’offre». Celle-ci entraîne, de plus, « un défaut de responsabilité économique du
décideur public » et a comme conséquence principale un « risque de gaspillage » très
important12.
La faiblesse des contrats publics en matière de corruption tiendrait alors au
caractère étatique de ceux-ci. Un économiste américain aurait, ainsi, dit
« débarrassez- moi de l’État, et je fais disparaître la corruption ». Cette formule
apparaît fausse car elle laisse à penser que la corruption ne peut pas exister sans l’État
or la corruption existe aussi dans le secteur privé. Cependant, elle est vraie en ce
qu’elle indique que les activités de l’État, par leur nature même, présentent un risque
spécifique de corruption.
En outre, plusieurs obstacles viennent ralentir les efforts menés pour
combattre la corruption et représentent de nombreux enjeux pour l’avenir.
12 Sylvain TRIFILIO et Momtchil I. KARPOUZANOV« Corruption et marchés publics : une analyse économique » dans Yves NAUDET La corruption Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur 2005 p.267
9
La première difficulté porte sur les effets supposés bénéfiques ou négatifs de
la corruption. Pendant longtemps, de nombreux économistes ou chercheurs ont tenu,
ou tiennent encore, des théories selon lesquelles la corruption permettrait de mettre de
« l’huile » dans les rouages des systèmes trop bureaucratiques ou trop administratifs.
Il a donc été particulièrement difficile pour les acteurs de la lutte contre la
corruption de parvenir à réaliser un consensus sur la nécessité de faire de celle-ci un
objectif majeur du développement. Sur ce point, le nombre de conventions
internationales signées ces dernières années est pour le moins significatif du
changement de mentalité en la matière. (1996 : Convention des États américains,
1997 : Convention de l’Union Européenne, 1997 : Convention de l’Organisation de
Coopération et de Développement Économique (OCDE), 1999 : Conventions civiles
et pénales du Conseil de l’Europe, 2003 : Convention de l’Union Africaine dites de
« Maputo » et 2003 : convention des Nations Unies dites de « Mérida »).
En somme « les filets sont posés et les mailles se resserrent
inexorablement »13. La quantité de conventions sur ce sujet confirme que la lutte
contre la corruption n’est pas « une simple traînée de poudre mais une réalité
nouvelle que les entreprises ne peuvent plus ne pas prendre en compte dans leur
stratégie de développement »14.
Le second problème important que rencontre la lutte contre la corruption est
celui du critère de la territorialité. Le fait que certains pays ne fondent la compétence
de leurs tribunaux que sur le critère de la territorialité, à l’exclusion du critère de la
nationalité, est de nature à favoriser la corruption transnationale et à limiter les efforts
mis en place pour lutter contre elle.
La dernière entrave majeure à une réglementation efficace contre la corruption
dans les contrats publics internationaux est celle de la coopération judiciaire, car
l’incrimination et la sanction des faits de corruption est tributaire de l’état de la justice
dans les pays étrangers. Par conséquent, sans coordination entre les juridictions tout
effort pour endiguer la corruption internationale semble vain.
Les enjeux de la lutte contre la corruption dans les contrats publics
internationaux vont résider dans l’échelle à laquelle sont passés ces contrats. Les
13 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 85 14 ibid., p. 118
10
pratiques corruptrices vont toucher plusieurs systèmes juridiques, rendant plus
difficile les efforts pour les endiguer, et vont avoir des conséquences plus importantes
à une telle dimension.
Les contrats publics ont un but d’intérêt général dans la plupart des cas et vont
viser dans le cadre des contrats publics internationaux des objectifs de
développement économique et de lutte contre la pauvreté.
La corruption dans le secteur public a, donc, des effets d’autant plus néfastes
qu’elle renvoie à la bonne gestion des deniers publics, la recherche de l’intérêt
général, mais aussi à la garantie d’efficacité de l’action publique et de l’aide au
développement.
La lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux renvoie à
la protection de la morale publique « indispensable au bon fonctionnement du contrat
social », les pratiques corruptives ont, en l’espèce, un coût en termes de confiance
dans la capacité de gestion et l’intégrité des pouvoirs publics.
Un autre élément intéressant est, comme nous l’avons vu les théories selon
lesquelles la corruption peut agir quelquefois comme un catalyseur de l’activité
économique15. Elle permettrait de dynamiser une économie officielle réglementée à
l’extrême et de lubrifier une administration sclérosée.
Le point le plus important que représente la corruption dans les contrats
publics internationaux semble être économique, il s’agit de l’efficacité de l’aide au
développement en faveur des pays émergents et de la question des investissements
dans ces pays. Le risque de pratiques corruptives réduit l’efficacité des aides et des
investissements ce qui rend le développement économique plus difficile à réaliser.
Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale ont pris
conscience de la nécessité de lutter contre ce problème considéré comme étant à
l’origine de l’avortement des tentatives d’ajustements structurels pour le FMI et des
politiques de développement économique de la Banque Mondiale.
15 Carole DOUEIRY « Ethique corruption et clientélisme : le cas du liban » dans Yves NAUDET La corruption Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur 2005 p.108
11
Le quatrième rapport stratégique sur les exportations américaines contre la
corruption estime à 64 milliards de dollars le montant des commissions versées sur
169 contrats internationaux. 16
La lutte contre la corruption est donc capitale pour les pays émergents qui sont
le plus durement touchés par ce phénomène. Ainsi pour Dieter Frisch, « les effets de
la corruption sont beaucoup plus dévastateurs dans les pays disposant de peu de
ressources que dans des pays riches qui peuvent à la limite se permettre un certain
gaspillage ». 17
Mais c’est aussi un enjeu très important pour les entreprises dans la mesure où
la corruption est constitutive d’une distorsion de concurrence en attribuant le contrat
public, non pas à l’entreprise la plus compétente, mais à l’entreprise qui permettra à
l’agent public de tirer les plus grands avantages illicites du marché.
Pour Jean Cartier-Bresson, la corruption crée une distorsion dans l’allocation
des ressources publiques parce qu’elle affecte la structure des dépenses publiques en
faveur des programmes facilitant le prélèvement de pots-de-vin aux dépens des
secteurs prioritaires18. L’exemple type est ce que l’on appelle couramment les
« éléphants blancs », ce sont des projets sans valeur sociale, surdimensionnés,
inadaptés et jamais aboutis qui tendent à se multiplier si aucune lutte contre la
corruption n’est organisée.
Les pratiques corruptives déforment le rôle redistributif de l’État, les
programmes de lutte contre la pauvreté s’en trouvent totalement dénaturés et
l’efficacité de l’aide et du financement international est fortement réduite. Cette
situation est favorable au camp des partisans de la réduction de l’aide au
développement.
Selon Transparency International, la corruption est « sans doute le principal
obstacle au développement des pays et des populations les plus pauvres et à la
16 The national export strategy (Trade Promotion Coordinating Committee), Washington DC, octobre 1997 17 Dieter FRISCH, « La corruption obstacle majeur au développement économique et social », in La corruption nous concerne tous, Cahiers de l’institut d’études sur la justice, éd. Bruylant, 2002, p.44 18 Jean CARTIER-BRESSON « L’analyse économique de la corruption », RFFP, Mars 2000, n° 69, p.22
12
réalisation des objectifs du millénaire en matière d’éducation, de santé publique et
d’accès aux services essentiels à la vie »19.
La corruption apparaît donc comme un obstacle qu’il faut combattre pour
parvenir à une concurrence efficace, une maximisation de l’aide et du financement
international, une croissance et un développement plus rapides pour les pays
émergents.
Cependant toutes les solutions ne sont pas bonnes et certaines peuvent
entraîner des effets pervers.
Ainsi une multiplication des normes et une complexification des règles de
passation sont un terreau favorable à la corruption. Il convient donc de réfléchir à
l’efficacité des normes existantes, à la question de leur suivi et contrôle, à la question
des solutions envisageables pour l’avenir, et pour rechercher de nouveaux outils et
pour ceux existant de les améliorer.
Enfin la méthode à utiliser est en elle-même problématique, certains auteurs
considèrent que la corruption est un moindre mal voire un mal nécessaire dans les
pays émergents pour leur développement. Une réflexion est donc nécessaire tant sur
l’appréhension du problème de la corruption en lui-même (mal ou simple symptôme)
que sur la démarche à suivre (une plus grande répression comme le souhaite la
Banque Mondiale ou une prévention plus efficace comme le souhaite Transparency
International ou l’absence de contrôle et de répressions pour éviter un risque de
crispation éthique comme le craignent certains).
Un autre point important est celui de l’articulation entre les deux axes majeurs
de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux. La prévention,
qui passe par la mise en place de certains contrôles et des procédures de passation
plus transparentes. Et la répression qui passe par des sanctions et des condamnations
des actes de corruption. Il est intéressant de voir de quelle façon est mise en place la
lutte contre la corruption autour de ces deux points.
Nous verrons donc dans une première partie, de quelle façon a été abordé le
problème de la corruption, par les économistes comme un obstacle à la concurrence
19 Lettre trimestrielle d’information de transparence- international (France), n° 31, Décembre 2006, p. 2
13
tout d’abord, puis par les juristes, comme une infraction pénale (chapitre 1 ). Nous
étudierons ensuite comment s’est mise en place la lutte contre la corruption dans les
contrats publics internationaux, par la multiplication de traités et par la prise de
conscience des organismes internationaux des enjeux de la corruption, mais
également à l’échelle nationale, par le mise en place de réglementations novatrices
comme cela a pu être le cas aux Etats-Unis ou par la transposition des conventions
internationales (chapitre 2).
Puis, dans une deuxième partie, nous étudierons plus précisément les moyens dont
disposent les acteurs pour mener à bien ces politiques anti-corruption dans les contrats
publics internationaux. Premièrement nous analyserons les moyens de la prévention,
grâce à la transparence, principe fondamental des procédures de passation des contrats
publics internationaux, mais aussi par la création d’outils de responsabilisation morale
et juridique comme les codes de bonne conduite ou le système d’alerte éthique, sans
oublier le rôle croissant des autorités administratives indépendantes. Et sur le plan de
la répression, sur lequel ils passent classiquement par les sanctions pénales mais
apparaissent plus novateur dans les contrats publics internationaux avec le
développement des sanctions commerciales et des mécanismes de liste noire (chapitre
1).
Enfin, nous nous consacrerons à l’examen des limites, propres à la corruption
et liées aux politiques, et des perspectives des politiques de lutte contre la corruption
dans les contrats publics internationaux. Celles-ci passent par une modernisation et
une réflexion sur les procédures de passation, notamment par une recherche de
rationalisation et de simplification, mais aussi par un renouvellement des rapports
entre les acteurs des contrats publics internationaux avec le développement d’une plus
grande coopération (chapitre 2).
14
Première Partie – Les réponses au phénomène de la corruption dans les
Contrats Publics Internationaux :
Comme nous l’avons vue la corruption est un problème complexe et
particulièrement difficile à cerner dans les contrats publics internationaux. Il sera
donc question, tout d’abord, d’étudier les différentes approches de la corruption,
économique comme juridique, qui sont la base d’une lutte contre la corruption
efficace. Puis nous verrons de quelles façons la lutte contre la corruption s’est mise en
œuvre au niveau international et au niveau interne.
Chapitre 1 - La corruption, un terme pluridisciplin aire à la qualification
difficile :
Pour lutter efficacement contre le phénomène de corruption, la première étape
consiste à tenter d’en définir les contours et les limites. L’objet de cette première
partie sera donc d’analyser les effets de la corruption et de définir une typologie de la
corruption dans les contrats publics internationaux. Il s’agit de comprendre comment
la lutte contre la corruption a été mise en œuvre et sur quelles bases elle repose.
Dans une première partie, nous étudierons l’aspect économique de la
corruption car il s’agit d’un phénomène essentiellement économique qui a un coût
pour tous les acteurs des contrats publics internationaux. Puis, nous étudierons
l’approche juridique pour tenter de comprendre le phénomène de la corruption dans
les contrats publics internationaux.
Section 1 – L’approche économique de la corruption :
L’étude économique si elle peut sembler ne pas intéresser directement le
juriste, présente un intérêt pour cette problématique, car la corruption est un
phénomène qui s’explique par des raisons économiques. Si ce concept peut connaître,
15
comme nous l’avons vu, une approche pluridisciplinaire, il n’en reste pas moins un
problème essentiellement économique. Il sera donc question dans cette partie de
s’intéresser aux aspects économiques négatifs qui ont permis une mise en lumière et
ont apporté une explication de la corruption. Ces Raisonnements ont servi de base au
juriste pour mettre en place des normes, nationales comme internationales, efficaces
pour y remédier. Pour Hervé Magnouloux20, la corruption possède une importante
dimension économique parce qu’elle découle d’un comportement rationnel dans
l’allocation des ressources rares, « la corruption est un délit calculé et non-
passionnel » rappelle Klitgaard.
A - La corruption, un dysfonctionnement politique et administratif au coût
économique négatif :
Pour les économistes, la corruption se développe par la mise en contact des
marchés politiques, bureaucratiques et économiques.
Le travail de référence en la matière est celui de Susan Rose-Ackerman21. Elle
propose une série de modèles sur la corruption qui démontrent que des opportunités
existent à tous les niveaux, que la corruption soit politique ou administrative.
Pour Benoît Chevauchez, directeur d’étude de Finances Publiques à l’Institut
d’Etudes Politiques de Paris dans un article intitulé « corruption et gestion
publique »22, « la corruption n’est pas seulement un problème moral, elle est aussi
révélatrice d’un dysfonctionnement politique aux conséquences économiques
néfastes ».
Elle conduit à une perte d’efficacité de l’action administrative et en matière
d’achats publics, elle entraîne un mauvais usage des fonds publics puisque l’achat
qu’il décide n’est pas le meilleur au meilleur prix. Par conséquent, l’acheteur public
en préférant son intérêt personnel à l’intérêt général détourne les deniers publics de
20 Hervé MAGNOLOUX, « l’analyse économique de la corruption », in Jean-Yves NAUDET, op. cit., p. 51 21 ROSE ACKERMAN Susan, “Corruption : a study in Political Economy”, Academic Press, New York, 1978 22 Benoît CHEVAUCHEZ, « Corruption et gestion publique », RFFP n°69, mars 2000, p. 87
16
leur fonction première et créé un coût supplémentaire pour l’ensemble des
contribuables.
La corruption a une conséquence sur la redistribution des ressources
publiques, elle facilite la fraude fiscale et la fuite des capitaux.
Ainsi à terme, les pratiques corruptrices font peser sur les contribuables des
prélèvements plus importants qui déforment le rôle redistributif de l’État. La
redistribution ne profitera plus à l’ensemble des citoyens mais aux corrompus eux-
mêmes.
Enfin, la corruption a un coût socio- politique, la baisse de la légitimité et de la
crédibilité de l’action publique qui relève davantage d’une approche morale.
Robert Klitgaard résume le problème en une équation, corruption = monopôle
+ pouvoir discrétionnaire - responsabilité. Cette équation politique de la corruption est
le résultat de l’analyse des systèmes politiques.
Le dernier point, celui de la responsabilité, renvoie à la notion anglaise
d’ « accountability » qui signifie « avoir à rendre des comptes » ou « être redevable
de »23. Ce terme renvoie au tiers extérieur (inspection administrative, commission
parlementaire, société civile…), tiers à qui l’on doit rendre des comptes.
La conclusion de Robert Klitgaard est que la corruption tend à se développer
dès qu’une minorité d’individus a un pouvoir discrétionnaire de décision, sans
contrôle des administrés ou des électeurs.
B - La problématique du coût positif de la corruption :
Pour certains économistes, la corruption peut avoir certaines conséquences
favorables sur l’économie, la croissance et le développement des pays.
Ainsi, depuis les années soixante, un débat n’a cessé d’être alimenté sur les
effets supposés toniques ou toxiques de la corruption.
La corruption aurait deux atouts principaux complémentaires. Tout d’abord,
elle permettrait de fluidifier les procédures d’attribution des contrats publics quand
23 Philippe MONTIGNY, op. cit., p.278
17
celles-ci sont trop lourdes ou quand le système administratif est trop lent. Puis, elle
permettrait de retrouver des résultats équivalents, en termes de coûts et de prix de
marchés, à ceux d’une situation de concurrence.
Ainsi le courant fonctionnaliste voit dans la corruption une façon de
« graisser » le système face à une bureaucratie envahissante, une réglementation
pesante et à un système juridique ou politique étouffant24. Certains auteurs y voient
aussi un moyen efficace pour accélérer les procédures administratives.
En outre, la corruption n’exprimerait qu’un prix d’équilibre du marché, une
sorte de paiement de compensation.
Benoît Chevauchez soutient que la corruption ne serait que la volonté des
agents privés de récupérer la liberté qu’ils ont perdu du fait de l’intervention publique,
elle serait la traduction d’une « revanche du marché sur l’État »25.
Aucun véritable élément ne vient prouver que la thèse défendue par Susan
Rose-Ackerman selon laquelle le prix réel rehaussé par le prix de la corruption
correspond au prix du marché, en particulier en raison des rapports de force sous-
jacents et du secret qui entoure la corruption.
Cependant de nombreux auteurs relèvent que les cas de corruption positive
sont extrêmement rares et s’accordent à penser que la corruption a un coût négatif sur
l’allocation des ressources.
Ainsi les coûts de transaction de l’échange illégal sont importants dans le but
de préserver le secret. De plus, le marché de la corruption est rarement concurrentiel.
Shang-Jing Wei a ainsi démontré dans une étude économétrique que plus la
corruption est répandue dans un pays, plus les entreprises passent de temps à traiter
avec les fonctionnaires26.
24 Jean CARTIER-BRESSON, « Elément d’analyse pour une économie de la corruption », Revue Tiers Monde, n° 131, 1992, pp. 581- 609 25 Benoît CHEVAUCHEZ, op. cit., p. 87 26 Shang-Jing WEI, « Does grease money speed up the wheels of commerce ? », Communication AEA, 1998
18
Les aspects positifs de la corruption, s’ils existent, ne sont pas assurés sur le
long terme. Au contraire, la corruption va apparaître comme un frein et non un
stimulant à l’activité économique.
Enfin, d’après Hervé Magnouloux, « intuitivement, il est notoire que si la
corruption était facteur de croissance, l’Afrique, l’Amérique Latine et l’Asie
devraient avoir des performances supérieures à celles des économies développées »27.
C - L’appréciation de la corruption comme une pratique anticoncurrentielle :
Les travaux économiques consacrés aux marchés publics sont généralement
réalisés dans une perspective de préservation de la concurrence. Ils cherchent à
dégager les moyens d’éviter les ententes entre candidats au marché28. La corruption
est alors vue prioritairement comme un simple instrument de l’entente ou comme son
complément naturel29.
Ainsi, pour nombre d’économistes, la corruption ne peut exister qu’en
situation de concurrence imparfaite. Dans l’hypothèse d’une concurrence pure et
parfaite ou du moins effective, la transparence empêche la corruption.
Ils relèvent que les pratiques corruptives dans les marchés publics sont des « atteintes
à la libre concurrence » et la cause d’ « un gaspillage » considérable des ressources
publiques.
Le préambule de la Convention anti-corruption de l’OCDE précise que la
corruption « fausse les conditions internationales de la concurrence ».
En outre, on peut relever que l’une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis
ont souhaité une convention internationale de lutte contre la corruption est qu’il
existait une distorsion de concurrence entre les entreprises états-uniennes et les
entreprises européennes qui ne connaissaient aucune incrimination pour corruption
d’agents publics étrangers et pouvaient sans avoir à se cacher, corrompre librement
ceux-ci pour obtenir des contrats publics.
27 Hervé MAGNOULOUX, op. cit., p. 60 28 Momtchil I. KARPOUZANOZ et Sylvain TRIFILIO, op. cit., p. 265 29 Bernard CAILLAUD, « Ententes et capture dans la commande publique : un point de vue d’économiste », Revue de la concurrence et de la consommation, n°129, 1990
19
La corruption implique que ce ne sont pas les acteurs les plus performants qui
vont être sélectionnés, ce qui conduit à une mauvaise allocation des ressources.
D - La corruption, un obstacle aux investissements et à la croissance économique :
Dans une contribution, Shang-Jin Wei montre que la corruption agit comme
une taxe sur les investissements directs à l’étranger, à la différence que ce
prélèvement ne poursuit aucun but d’intérêt général30.
Selon Paolo Mauro, il existe une forte relation entre les niveaux élevés de la
corruption et les niveaux faibles de croissance et d’investissement31.
Carole Doueiry a comparé l’indice de perception de la corruption (IPC) à
l’indice de développement humain (IDH). L’IDH prend en compte le Produit Intérieur
Brut réel par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’instruction. Si
l’on reprend ses travaux, on se rend compte que le premier a un effet certain et
significatif sur le second.
Il existe donc un rapport négatif entre corruption et niveau de développement
d’un pays. La corruption peut avoir un impact macroéconomique négatif, réduisant
l’efficacité des politiques économiques, encourageant le travail dans des secteurs non-
officiels exempts de tout prélèvements et décourageant les investissements32.
Paolo Mauro retient en dernier lieu que les pratiques corruptives modifient
l’environnement institutionnel et informationnel ce qui peut être préjudiciable à long
terme sur les conditions de croissance33.
Notons, comme le souligne Jean Cartier-Bresson, que ces approches
économiques ont le mérite de sensibiliser le législateur à l’ambiguïté du phénomène et
30 J.- S. WEI, « How taxing is corruption on international investors ? », NBER Working Paper, n° 6030, Mai 1997 31P.MAURO, « La corruption: causes, conséquences et voies à explorer », Finances et développement, mars 1998, pp 11 à 14 32 Carole DOUEIRY, op. cit, p. 79 33 P. MAURO, Op. Cit., p.13
20
l’obliger à s’intéresser en priorité à la corruption qui a le coût le plus fort, c’est-à-dire
la grande corruption34.
Section 2 - L’appréciation juridique d’un phénomène économique :
Cette partie s’intéressera dans un premier temps à la typologie de la corruption
au regard du droit français et international. Puis nous étudierons les impacts de cette
typologie sur l’incrimination et la lutte contre la corruption dans les contrats publics
internationaux.
A - La typologie de la corruption :
Généralement le droit sanctionne de la même façon toutes les formes de
corruption. Il ne s’embarrasse pas des distinctions et ne vise qu’un seul type
spécifique de corruption, comme c’est le cas pour la convention de l’OCDE qui ne
vise pas la corruption passive d’agents publics étrangers.
Cependant une typologie de la corruption n’est pas, d’un point de vue
juridique, inutile. Celle-ci permet, en effet, une lutte plus efficace contre ce
phénomène, des sanctions plus adaptées et une meilleure compréhension du problème
en l’abordant sous toutes ses formes35.
1- La petite et la grande corruption :
La première distinction qu’il convient de faire concerne la petite et la grande
corruption.
D’un point de vue juridique, l’infraction de corruption est constituée quel que
soit le montant tout du moins en droit pénal. Cependant, selon David Dommel, ancien
président de Transparency International (TI) France, la grande corruption mérite une
attention prioritaire et justifie une sévérité particulière.
34 Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 22 35 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 261 et s.
21
En effet, il s’agit de la corruption qui concerne les grands marchés d’armes,
les grands marchés de travaux publics, d’équipements industriels ou les grands projets
de développement.
Elle apparaît comme financièrement plus dommageable du fait de l’ampleur
des commissions en jeu, principalement, parce qu’elle détourne des ressources
publiques vers des emplois contraires à l’intérêt général, détournements dont les
retombées peuvent êtres dramatiques quand elle touche des pays en voie de
développement dont les revenus sont extrêmement faibles36.
Cette corruption nous intéresse particulièrement dans le cas des contrats
publics internationaux car les opérations financées par les organismes multilatéraux
et les contrats publics internationaux relèvent très souvent de ce type de corruption.
L’affaire « Pétrole contre Nourriture » démontre la nécessité de s’attaquer en priorité
à cette corruption et les conséquences qu’elle peut avoir. En l’espèce, il s’agit d’un
programme lancé en 1996 lorsque l’Irak a été touché d’embargo après son invasion du
Koweit. Il devait permettre à l’État irakien d’échanger du pétrole brut contre des
denrées de premières nécessitées sous le contrôle de l’Organisation des Nations
Unies. Le programme aurait, ainsi, permis à l’Irak d’exporter pour 60 milliards
d’euros de pétrole. En janvier 2004, un scandale de corruption a éclaté et a débouché
sur la mise en place d’une commission d’enquête indépendante dite « commission
Volcker » qui a débouché sur des retombées très importantes et a permis l’inculpation
de hauts fonctionnaires des Nations Unies pour corruption.
La petite corruption vise, quant à elle, le simple agent de police ou des
douanes. Elle correspond plus à une corruption de survie qui vise à pallier un manque
de rémunération. Elle est, par conséquent, souvent considérée avec plus d’indulgence
car elle est moins nocive et ses conséquences sont moins dramatiques.
Ainsi, les Etats-Unis ou l’OCDE autorisent les paiements de « facilitations »
qui ont pour objet d’inciter les agents publics à exécuter leurs fonctions.
Cependant de nombreux auteurs soulignent la nécessité de porter remède aux
circonstances qui l’encourage.
36 Entretien avec David DOMMEL, président de TI France, « Corruption : le constat », RFFP, n° 69, Mars 2000, p. 7
22
En droit public, la situation sur la question de cette distinction est particulière.
Dans les procédures de passations des contrats publics et notamment en ce qui
concerne les exigences de transparence et de mise en concurrence, la petite corruption
semble tolérée pour les marchés à faible voire très faible montant.
Ainsi la plupart des pays prévoient non seulement des réglementations plus
souples pour les achats publics de faibles montants mais aussi des procédures
d’exceptions comme la procédure négociée. Dans le cadre de ces procédures, les
acheteurs et les demandeurs peuvent négocier librement et les exigences en matière de
publicité sont plus restreintes. Ces procédures spéciales exigent moins de formalise et
font, par conséquent, diminuer le risque judiciaire et la responsabilité du corrupteur.
En France, le code des Marchés Publics 2006 prévoit aux articles 28 et 29,
entre autres, un assouplissement des exigences de publicité et de mises en
concurrence pour les petits marchés publics inférieurs à 80 000 euros pour les
marchés de services et fourniture et de 100 000 euros pour les marchés de travaux. En
outre, en dessous de 4000 euros les marchés sont dispensés de ce formalisme et de ces
obligations.
Une situation comparable existe aux Etats-Unis, ceux-ci prévoient pour les
micro- achats, l’absence complète de procédure de publicité ou de mise en
concurrence.
Il n’est pas question, bien évidemment, d’autoriser la corruption, aussi petite
soit elle, celle-ci reste formellement prohibée. Mais il s’agit de permettre que ces
achats, qui sont généralement des achats courants, se fassent rapidement pour éviter
des gaspillages et une mauvaise gestion des deniers publics. Et ce n’est alors
qu’indirectement que la petite corruption peut sembler autorisée dans ces petits
marchés.
2- Corruption publique et privée :
Une autre distinction importante est celle qui porte sur la différence entre la
corruption publique de la corruption privée.
La corruption privée vise la corruption qui peut s’établir entre deux agents
privés, par exemple entre deux employés de deux entreprises. Ce pacte de corruption
se fait au détriment de l’entreprise ou de son pacte social.
23
Mais, c’est la corruption publique qui nous intéresse en l’espèce. Elle renvoie
au pacte qui s’établit entre un agent public (fonctionnaires, personnalités politiques
élues ou non, en charge des affaires publiques) et un agent privé. Ce pacte se faisant
au détriment de la mission de l’agent public et, donc, de l’intérêt général.
L’enjeu principal de ce type de corruption est la question des principes de
gouvernance publique. Il est clair que dans les pays où ces principes ne sont pas
suivis, la corruption publique sera plus développée.
Les autres enjeux sont les questions de contrôle administratif et démocratiques
de ses agents publics et du respect des normes publiques37.
Cette question nous intéresse tout spécialement car la plupart des conventions
internationales visent la corruption publique. Ainsi les banques de développement
comme la Banque Mondiale, la Banque Asiatique de Développement et la Banque
Africaine de Développement condamnent la corruption publique en soulignant son
caractère politico- économique.
La Banque Mondiale donne de la corruption une définition clairement orientée
vers le secteur public ; « l’abus d’une fonction publique en vue d’un gain privé ».
Quant à la banque Africaine de Développement retient quant à elle, l’ « usage pour un
agent public d’une position de force pour chercher ou extorquer un avantage »38.
3- Corruption nationale et internationale :
On distingue également la corruption nationale de la corruption internationale.
S’il apparaît que les affaires de corruption les plus importantes et les plus néfastes
sont des affaires de corruption transnationales et que, avec la globalisation des
échanges, ce type d’affaire tend à se développer. Le véritable enjeu de cette
distinction en matière de contrats publics est la différence entre la corruption d’agents
publics nationaux et celle d’agent public internationaux.
Cette distinction est révélatrice de l’évolution dans la perception de la
corruption, notamment de la part des principaux pays exportateurs. Ceux-ci
37 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 265 38 African Development Bank, “Fostering Good Governance in Africa”, Report 2001, P. 118
24
condamnaient tous la corruption d’agents publics au niveau national, mais toléraient
la corruption d’agents publics étrangers au point, même, de prévoir une possibilité de
déduction fiscale au titre des commissions versées à l’étranger pour obtenir des
marchés.
Il a fallu attendre la Convention de l’OCDE de 1997 sur la corruption active
d’agents publics étrangers pour que ce problème soit pris en considération par les
pays.
Cette multiplication des traités est le signe que la lutte contre la corruption à
l’échelle internationale est, de plus en plus, perçue comme une nécessité.
4- Corruption active et passive :
La dernière distinction est la plus importante pour comprendre la logique de la
lutte contre la corruption au niveau international. Il s’agit des notions de corruption
passive et active.
Elle permet de faire la différence entre celui qui reçoit un avantage indu et
celui qui le donne. Il s’agit pour une entreprise par exemple de verser une commission
indue (corruption active) et pour un agent public de la solliciter (corruption passive).
Cette distinction permet de comprendre le fonctionnement de la corruption et
comment la lutte contre ce phénomène s’est mise en place.
Le problème de la corruption est donc perçu de manière binaire, d’un côté
l’entreprise à l’origine de la corruption active qui versera une rémunération
quelconque en échange d’un avantage indu, et de l’autre, l’agent public qui recevra la
rémunération et offrira ses services.
Cette distinction est fondamentale dans la lutte contre la corruption, c’est la
seule typologie qui figure dans le Code Pénal français au niveau interne et c’est la
distinction que l’on retrouve le plus souvent au niveau international.
Enfin, on peut la rapprocher de la distinction entre corruption et extorsion.
Encore une fois le Code Pénal ne s’embarrasse d’aucune distinction en la matière, le
risque de sanction est donc identique. L’extorsion vise les demandes de commissions
faîtes par l’administration en vue d’obtenir un marché. On trouve plusieurs types
d’extorsions : menaçantes (pression de menaces physiques), quotidiennes (demande
25
d’argent sous des prétextes fallacieux), administrative organisée (lors d’opérations
administratives obligatoires où l’on exploite des imprécisions réglementaires),
commerciale (demande d’argent dans le cadre d’un marché où l’administration
dispose d’un pouvoir réglementaire)39.
Après avoir fait une typologie juridique de la corruption, il est intéressant de
voir de quelle manière celle-ci a servi de base pour qualifier les faits de corruption et
mettre en place la lutte contre la corruption.
B - La qualification juridique de la corruption :
Cette typologie est essentielle pour comprendre le mécanisme de la lutte
contre la corruption. Si au niveau national, ces distinctions n’ont qu’une importance
limitée. Elles ont, pour des raisons politiques et de droit, une importance tout autre sur
le plan international.
1- La qualification juridique de la corruption au niveau interne, le cas de la France,
une approche pénale :
Il est intéressant tout d’abord de partir du niveau interne et plus
particulièrement du cas de la France pour voir de quelle façon cette typologie a trouvé
à s’appliquer. Comme nous l’avons vu le code pénal ne fait de très peu de distinction
dans la qualification de la corruption. Il ne fait aucune distinction entre petite et
grande corruption, extorsion et corruption ne distinguant que la corruption active de la
corruption passive.
En matière de droit pénal, deux approches de la corruption sont envisageables.
Le premier système répressif caractérise le délit de corruption comme un tout,
l’infraction provenant d’une entente, « d’un concert frauduleux » entre corrupteur et
corrompu. Cette approche débouche sur une qualification du corrompu comme auteur
principal et du corrupteur comme son complice40.
39 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 294 et s. 40 Bruno- André PIREYRE, « Corruption et trafic d’influence », RFFP, n°69, mars 2000, p. 37
26
Dans le second, au contraire, les faits de corruption sont analysés en deux
infractions bien distinctes. Celles-ci sont désignées sous les vocables de corruption
active à l’article 433-1 du code pénal (œuvre du corrupteur) et de corruption passive
à l’article 432-11 du même code (œuvre du corrompu).
Le droit pénal français a, pendant longtemps, mêlé les deux conceptions.
Cependant, il tend depuis une cinquantaine d’années à faire prévaloir très largement la
seconde. Celui-ci traite les faits du corrupteur et du corrompu de manière distincte et
autonome. La répression de l’un n’est pas subordonnée à la sanction de l’autre et
l’amnistie de l’un ne vaut pas pour l’autre.
Si le droit pénal français ne retient désormais que cette dichotomie entre
corruption active et passive, il existe cependant plusieurs incriminations possibles
(corruption active, passive, de fonctionnaires, de magistrats…).
Néanmoins, les articles du code pénal concernent, dans les deux cas, des
personnes dépositaires de l’autorité publique, ce qui démontre que le droit pénal vise
a sanctionner plus sévèrement la corruption publique41.
La corruption apparaît comme une notion éclatée avec de nombreuses
infractions voisines (abus de biens sociaux, favoritisme, concussion, la prise illégale
d’intérêt, détournement de biens publics et trafic d’influence) que le droit pénal
différencie de la corruption au sens strict mais qui relève d’une même unité sur le plan
de l’infraction comme sur celui de la sanction.
2- La qualification juridique de la corruption au niveau international :
On retrouve sur le plan international, comme nous le verrons plus précisément
dans une partie ultérieure, une approche assez similaire.
Ainsi, la convention de l’OCDE de 1997 ne visait que la corruption active
d’agents publics étrangers en faisant peser sur les entreprises uniquement le risque de
corruption dans les contrats publics internationaux.
41 Philippe BONFILS professeur à l’université d’Auvergne- Clermont I, « La corruption en droit pénal », in J.-Y. NAUDET, op. cit., p. 223
27
Il convient de relever ici, que cette qualification extrêmement restreinte des
faits constitutifs de corruption avait une raison juridique. Il s’agissait, au vue du droit
international, de ne pas autoriser les États à inculper le fonctionnaire étranger qui
avait bénéficié de l’avantage indu. Elle aurait constitué une ingérence par le pays du
fonctionnaire.
Cependant, cette situation laissait un vide important et faisait peser sur les
entreprises une responsabilité trop forte alors que celles-ci étaient souvent victimes
d’extorsions.
Le droit international a donc généralisé la qualification de la corruption,
notamment en condamnant la phase active et la phase passive de la corruption et en
affinant sa typologie.
Il reste un point supplémentaire à relever sur la lutte contre la corruption dans
les contrats publics internationaux. Ce phénomène peut être abordé de deux façons :
Une approche répressive qui consiste à édicter des conventions internationales pour
parvenir à une harmonisation et une globalisation de l’incrimination de la corruption
dans les contrats publics. Une deuxième approche touche plus à la question de la
passation, dont l’objectif est de lutter contre la corruption et de favoriser la
transparence dans les procédures de passation de ces contrats publics par la mise en
place de mesures de publicité et de concurrence.
Or il est intéressant de relever que depuis la commission Bouchery et la loi
« Sapin » de 199342, il y a eu une prise de conscience au niveau interne de la nécessité
d’améliorer les procédures de passation pour parvenir à une lutte efficace contre la
corruption. À la différence du droit interne, la majorité des conventions
internationales qui traitent de ce problème retiennent essentiellement une approche
répressive du phénomène et ne cherche pas à instaurer plus de transparence et une
plus homogénéité dans le droit de la commande publique. Ainsi, comme nous le
verrons, sauf initiatives des organismes internationaux pour les opérations qu’ils
financent eux-mêmes, les conventions internationales anti-corruption se consacrent
42 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
28
essentiellement à l’incrimination de la corruption sans évoquer la transparence ou de
manière très partielle.
29
Chapitre 2 - La lutte contre la corruption dans les contrats publics à l’échelle
internationale et nationale :
La lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux peut se
faire à deux échelles : sur le plan international, en sensibilisant, en édictant des
normes et en prenant des mesures commerciales contre ces pratiques, ou au niveau
interne, en adoptant des réglementations et en transposant les normes internationales.
Dans les deux cas, le but est de parvenir à une lutte efficace contre la
corruption, qui, comme nous l’avons vu, a un coût économique négatif sur les
dépenses publiques.
Dans le premier cas, il s’agira de parvenir à harmoniser les réglementations en
la matière et de contrôler la bonne application des normes que les organismes
édictent.
Dans le second, il sera question pour les pays de mettre en place une
législation efficace tout en veillant à l’intérêt de leurs entreprises et leur économie.
Section 1- Les initiatives internationales :
Cette partie sera consacrée à une étude des différentes initiatives de lutte
contre la corruption. Nous verrons que celles-ci sont variées et semblent couvrir de
manière exhaustive la notion et les implications de la corruption.
Cependant, édicter des normes à l’échelle internationale ne semble pas
suffisant. Une application efficace de celles-ci impliquant que l’on veille à leur suivi
et à leur application.
A- Transparency International et la sensibilisation au problème de la corruption
internationale :
La première initiative à relever est celle de Transparency International (TI).
Il s’agit d’une organisation non gouvernementale fondée en 1993 par Peter Eigen,
un ancien cadre de la Banque Mondiale. Sa mission est de sensibiliser les acteurs
concernés par la corruption, que ce soit les gouvernements, le secteur privé, les
médias, ainsi que les diverses organisations de la société civile et de contrôler la
mise en œuvre des mesures.
30
Son action s’inscrit dans une démarche de valorisation de la transparence,
de l’éthique et de la morale dans la gouvernance publique. Elle vise non seulement
la mise en place de moyens coercitifs, mais aussi l’élaboration d’une politique
d’influence consensuelle avec les Etats et les entreprises.
Pour parvenir à ses objectifs, TI dispose d’outils novateurs. Ce sont, ainsi, les
premiers à avoir lancé un programme d’évaluation de la corruption dans le monde,
l’idée étant de permettre à la société de pouvoir juger l’ampleur du phénomène.
La mesure la plus emblématique lancée par TI est sans aucun doute son indice
de perception de la corruption. C’est un indice composite faisant appel à des données
sur la corruption tirées de sondages d’experts réalisés par divers organismes dignes de
confiance43. Il permet de classer les pays en fonction du degré de corruption perçue
dans les administrations publiques et la classe politique44.
La note de 10 indique l’absence de demande de pot-de-vin et celui de 0, une
corruption systématique.
Sa première publication date de 1995. Et il est important de noter qu’aucun
pays n’y est inclus sans que l’on ait obtenu les résultats d’au moins trois enquêtes.
L’idée est de recueillir l’opinion de chefs d’entreprises, de fonctionnaires, et
de magistrats afin de pouvoir donner un éclairage intéressant sur l’état de la
corruption dans le monde.
Cet indice est aujourd’hui cité par les médias du monde entier comme la
principale mesure d’évaluation concernant la corruption.
Suite au succès de son premier indice et à la demande des pays émergents qui
apparaissaient souvent comme les plus corrompus, TI l’a complété par l’indice de
perception de la corruption des pays exportateurs.
Il est également le résultat d’enquêtes, dont la dernière a été conduite en 2002,
dans quinze pays émergents, auprès de 835 spécialistes des affaires.
43 À titre d’illustration, notons les principaux: Columbia University, Economist Intelligence Unit, International Institute for Management Development Lausanne, World Economic Forum. 44 Voir annexe 3
31
Il classe les pays en fonction du degré selon lequel ils sont perçus comme les
hôtes de sociétés versant des pots-de-vin.
En 2002, selon les cadres d’entreprises et les autres professionnels des affaires
des principaux pays en développement, c’est dans le secteur des marchés publics de
travaux et de construction, suivi de l’industrie de l’armement, que la corruption active
par des entreprises étrangères a été la plus répandue.
TI souligne que ces sociétés qui versent des pots-de-vin compromettent les efforts des
pays en voie de développement et participent donc à l’entretien du cercle vicieux de la
pauvreté.
Les personnes interrogées dans les pays d’Afrique, économiquement les plus
faibles, ont désigné les sociétés françaises et italiennes comme le plus souvent à
l’origine de ces pratiques. Or, ces pays de l’OCDE expriment un attachement fort au
respect de la législation, ce qui est l’illustration d’une certaine hypocrisie.
La troisième mesure-phare de TI est le baromètre mondial de la corruption.
C’est une enquête réalisée auprès de 55 000 personnes dans soixante-dix pays par
l’institut Gallup45 et qui a pour objet « de comprendre dans quelle mesure et de quelle
manière la corruption affecte la vie des gens ordinaires en donnant une idée de la
forme et de l’étendue que prend la corruption du point de vue des citoyens du monde
entier ».
En plus de sa mission de sensibilisation, Transparency International, cherche,
par son action de lobbying, à avoir un rôle dans la construction du droit des contrats
publics internationaux. TI a une volonté de participer et d’influencer l’action
internationale en matière de lutte contre la corruption en droit des contrats publics
Le rôle de TI dans cette optique est celui de consultant, expert et partenaire
dans la construction du droit des contrats publics. Son expérience depuis 1993 lui
donne une part importante dans des négociations internationales.
À titre d’exemple, TI a joué un rôle dans la rédaction de la convention de
l’OCDE, dans celle de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou encore de l’Union
Européenne (UE). Pour ce qui est de l’OCDE, la mission de TI aura été de superviser
45 Institut de consulting, basé à Washington
32
par le biais de ses sections nationales, la bonne application de cette convention par les
Etats signataires. Pour l’ONU, TI a agi en tant qu'observateur et a pu faire valoir son
point de vue auprès de diverses délégations nationales. Enfin, en amont des initiatives
de l’Union Européenne, il y a eu très souvent des mémorandums de Transparency
International, soumis aux institutions européennes sous la responsabilité de TI
Bruxelles. Le premier datait de novembre 1995 « La lutte contre la corruption
internationale : ce que l’Union européenne peut faire », le deuxième de novembre
1999 « Lutter contre la corruption : ce qui reste à faire au niveau de l’Union
européenne ».
Transparency a publié dans les dernières semaines de l’année 2006 ses trois
principaux indices qui retracent l’évolution de la perception de la corruption dans le
monde.
Daniel Lebégue, actuel président de TI France, souligne que dans la plupart
des régions du monde, les progrès enregistrés sont très modestes dans la lutte
effective contre la corruption et cela en dépit de la multiplication des conventions et
des engagements pris par les acteurs publics et privés. Il lui apparaît plus difficile de
faire évoluer les comportements que les règles de droit, mais la persistance d’un écart
aussi manifeste entre les uns et les autres est inquiétante et est de nature à ruiner les
efforts engagés par la communauté internationale depuis dix ans46.
L’action de TI a permis à l’opinion publique et à la communauté
internationale de prendre conscience de la nécessité d’adopter des mesures contre la
corruption, particulièrement dans les contrats publics internationaux.
B- La mise en place d’un cadre légal de condamnation de la corruption par les
conventions des organisations internationales : La convention de l’OCDE :
La convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption des agents publics
étrangers signée à Paris le 17 décembre 1997 représente la première initiative
internationale de lutte contre la corruption.
46 Lettre de transparence, n° 31, Décembre 2006, p.1
33
C’est une convention internationale relativement classique, semblable à de
nombreux textes conçus et négociés dans les enceintes internationales. Son apport
principal est de faire appel au droit pénal des pays qui y ont adhéré à l’encontre
d’entreprises ou de ressortissants ayant commis des actes de corruption à l’étranger, et
cela même dans des pays où ces actes bénéficient d’une immunité.
Nous aborderons la présentation de cette convention sous cinq points. Tout
d’abord nous nous attacherons à faire une présentation rapide de l’OCDE et de sa
mission.
Puis, dans les points suivants nous étudierons plus précisément la convention
en elle-même, et nous détaillerons ses apports et préciseront ses conditions
d’applications.
Enfin, nous relèverons les limites de cette convention, en particulier le fait que
cette convention ne vise pas la corruption passive d’agent public étranger et fait peser
l’entière responsabilité du fait de corruption sur l’entreprise.
1- L’organisation de coopération et de développement économique :
L’OCDE est une organisation internationale issue de la seconde guerre
mondiale. Son ancêtre est l’Organisation Européenne de Coopération Économique
(OECE) qui fut instituée par la Convention de Coopération Économique Européenne
signée le 16 avril 1948 dont l’objectif était de stimuler la coopération entre les États
membres européens. En juillet 1960, sous l’initiative américaine, l’OECE est devenue
OCDE.
Ses objectifs étaient la coopération et le développement économique des pays
qui s’opposaient à la zone d’influence soviétique.
Le fonctionnement au sein de l’OCDE prévoit que les décisions sont adoptées
selon le principe du consensus. En outre, le principe-clé de son fonctionnement est
l’« évaluation par les pairs » des politiques. Ainsi pour s’assurer que les politiques
économiques de chaque pays correspondent bien au modèle de l’économie de marché,
elles sont régulièrement examinées selon ce procédé. Il consiste tout d’abord en un
rapport rédigé par le secrétariat général de l’Organisation, rapport qui servira de base
pour un examen mené par un groupe d’experts issus de l’administration de deux
34
autres États membres qui rendront à leur tour un rapport. Ces deux rapports sont
ensuite présentés devant l’ensemble des pays membres.
2- La convention de lutte contre la corruption des agents publics étrangers :
Ce sont les Etats-Unis qui sont à l’initiative de la convention bien qu’ils ne
souhaitaient, à l’origine, qu’une simple déclaration. Celle-ci n’aurait alors eu aucune
force contraignante, mais aurait permis à l’Organisation de souligner, pour la
première fois au niveau international, l’importance de lutter contre la corruption
Suite à une réaction hostile de la France suivie par de nombreux autres pays,
ce projet de déclaration est devenu un projet de convention. Le principal argument de
la France pour condamner cette déclaration était que l’OCDE n’avait pas les moyens
de rendre cette condamnation effective et que par conséquent, consacrer des moyens à
ce projet serait du gaspillage.
Les premiers textes adoptés en la matière par l’OCDE ont d’abord pris la
forme de recommandations. Une première, en 1994, relativement vague, condamnait
la corruption d’agents publics étrangers. Puis une seconde en 1996, qui portait sur la
déductibilité fiscale des pots-de-vin versés à l’étranger.
Enfin la convention fut signée le 21 novembre 1997 par les trente États
membres plus cinq autres (Argentine, Bulgarie, Brésil, Chili et Slovénie) et adopté par
le conseil de l’Organisation le 17 décembre 1997.
Elle s’inscrit dans la droite lignée du Foreign Corrupt Pratice Act américain,
mis en place en 1977 et marque le début de la prise en compte de la lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux.
Il s’agit d’un texte court qui ne comporte que 17 articles qui couvrent
l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, les délits subordonnés ou
connexes, l’entraide judiciaire et les sanctions apportées à la nouvelle incrimination.
3- Les apports de la convention de l’OCDE :
35
Le premier est le traitement de la corruption à l’intérieur et à l’extérieur des
frontières47. Ce principe consiste à exiger des pays signataires qu’ils incriminent la
corruption d’agents publics de façon identique, sur leur territoire comme à l’étranger.
Il s’agit d’une évolution importante pour le droit, qui remet en question le principe de
territorialité du droit.
D’après Philippe Montigny, c’est un point important car dans la majorité des
pays émergents la corruption est, sinon acceptée, du moins tolérée ou considérée
comme non-condamnable48. Grâce à cette disposition, la corruption apparaît
condamnable même dans le cas de pays l’autorisant.
Le champ d’application de cette convention est donc extrêmement large et
l’incrimination de la corruption devient mondiale, ce qui est très novateur et ne
concernait jusqu’à présent que quelques délits particulièrement graves (relations
sexuelles avec des mineurs, pollutions graves, …).
En outre les notions de pots-de-vin, d’agents publics et leur champ de
responsabilité ont été élargis dans l’article 1 de la Convention.
Ainsi, la notion de pots-de-vin est définie comme « tout avantage indu,
pécuniaire ou non ».
La notion même d’agent public a été renouvelée. Le terme désigne, désormais,
« toute personne qui détient un mandat législatif, administratif ou judiciaire dans un
pays étranger, qu’elle ait été nommée ou élue ». La convention vise les personnes
physiques ou morales, nommées ou élues qui détiennent un pouvoir décisionnel ou
d’influence sur la vie publique que ce soit au niveau local ou national.49
Enfin la responsabilité de l’agent public est devenue plus importante. Celui-ci
ne doit plus avoir joué un rôle actif dans l’opération de corruption pour être incriminé.
Le simple fait pour lui d’avoir eu connaissance de l’opération et de s’être abstenu
suffit à le rendre coupable de corruption.
En outre, il suffit que l’avantage indu soit conféré « directement ou par des
intermédiaires » pour que la responsabilité de l’individu puisse être mise en cause,
47 Article 1 alinéa 2 de la Convention OCDE 48 Philippe MONTIGNY, op. cit., p.66 49 Philippe FONTANA, « La convention de l’OCDE », RFFP, n° 69, mars 2000, p. 125
36
l’objectif étant qu’aucune personne pas même un chef d’entreprise ne puisse se
soustraire à sa responsabilité, en évoquant par exemple le fait d’une filière.
La convention vise une définition universelle de la responsabilité et du devoir
de l’agent public, qui n’est pas liée aux situations particulières de chaque pays. En ce
sens participe à une efficacité accrue de la lutte contre la corruption dans les contrats
publics internationaux.
4- Les conditions d’application de la convention :
La convention met en place le principe d’ « équivalence fonctionnelle ».
L’originalité de la convention est de considérer que le traitement, l’incrimination et la
sanction d’une infraction de corruption d’agent public doivent êtres comparables d’un
pays à l’autre.
Comme nous l’avons vue, la corruption est un phénomène global et
particulièrement en matière de contrats publics internationaux, le risque d’atteinte à la
concurrence et de ne traiter que partiellement ce problème est trop important pour
qu’elle ne soit pas condamnée de manière homogène et à une échelle internationale.
Les divergences qui peuvent exister, entre les pays, doivent êtres résolues pour
parvenir à une harmonisation et une compatibilité des réglementations. La convention
prévoit, par conséquent, que les États signataires par leur coopération parviennent à
des conditions équivalentes d’incrimination.
Puis elle prévoit un mécanisme de suivi et d’examen par les pairs en deux
étapes. La première est celle de l’examen par les pairs de l’adaptation du cadre légal
national. Ce contrôle est appelé phase 1 et permet de contrôler que les pays-parties à
l’accord transposent les conditions de la convention et remplissent leurs obligations.
La seconde étape concerne l’examen par les pairs de l’application de la
Convention. Il s’agit de la phase 2, qui va s’atteler à rencontrer les acteurs pour
évaluer la réalité de la mise en œuvre de la convention.
Ces deux phases sont essentielles en ce qu’elles posent la question du suivi de
l’application de la convention. Il s’agit d’éviter les simples effets d’annonces ou que
37
celle-ci se révèle être une déclaration d’intention. Son but est de faire respecter
l’esprit du traité tout en permettant l’efficacité de la convention50.
5- Les questions d’avenir de la lutte contre la corruption par l’OCDE :
Jacques Terray, vice-président de TI France, relève les différentes limites dans
l’application de la convention51. Il note, dans un premier temps, le manque de
qualification du personnel et la faiblesse structurelle des services consacrés à la lutte
contre la corruption qui sont souvent débordés et souffrent d’un manque de
centralisation des informations comme c’est le cas en Allemagne ou en Angleterre.
Il relève que la brièveté du délai de prescription et l’absence de protection
efficace des dénonciateurs sont des obstacles importants à l’efficacité du traitement de
la corruption par la convention.
Le système de suivi prévu par l’OCDE, présente lui-même des difficultés.
Malgré son efficacité et il est très lent à mettre en place et des retards sont à signaler
par rapport au programme initial.
Enfin la limite principale de la Convention est le fait que celle-ci ne fasse pas
de distinction entre corruption active et passive. Or, selon Philippe Montigny, cette
forme de corruption est fréquente dans la réalité52.
La raison pour laquelle cette distinction n’est pas présente dans la convention
est le risque d’ingérence dans la vie politique de pays non-membres de l’OCDE que
représenterait une telle disposition.
C- La mise en place d’un cadre légal de condamnation de la corruption par les
conventions des organisations internationales : La convention des Nations Unies
contre la corruption :
Un des arguments avancé par la France pour s’opposer au projet de
recommandation sur la corruption souhaitée par les Etats-Unis était de dire qu’un tel
projet ne pouvait avoir un sens que dans une enceinte où tous les pays seraient
50 Marc FRILET, « L’impact de la mondialisation », Contrats Publics, n°57, juillet/août 2006, p.33 51 Jacques TERRAY, « Qu’est-ce qui entrave l’application de la convention OCDE ? », La Lettre de Transparence N°19, octobre 2003, p 3. 52 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 88
38
représentés et non dans un forum limité à vingt-quatre membres comme cela était le
cas pour l’OCDE.
La lutte contre la corruption au sein des Nations Unies s’est faite lentement.
Ainsi, dans les années 1990- 1991, le sujet figurait déjà parmi les résolutions de
l’Assemblée Générale qui ont conduit à l’adoption de la résolution de l’assemblée
générale des Nations Unies du 12 décembre 1996 sur la corruption.
Par la suite, les Nations Unies ont adopté une convention contre la criminalité
organisée, le 29 septembre 2003.
Puis, après des travaux préparatoires en 2001, a eu lieu à Mérida, au Mexique,
le 9 décembre 2003, la cérémonie de signature de la convention anti-corruption qui
couvre un grand nombre de pays, quasiment tous les pays membres de l’ONU étant
parties à cette convention.
Elle est entrée en vigueur le 14 décembre 2005
Comme nous le verrons, il s’agit d’un texte très ambitieux qui couvre presque
tous les aspects de la corruption et qui est à l’échelle internationale le texte le plus
complet sur ce sujet (1).
Cependant, comme Stéphane Bonifassi le souligne, « la lecture de cette
convention peut être source d’espoir comme de déception »53 tant cette convention
s’avère lacunaire sur certains points (2).
1- Les principales dispositions de la convention des Nations Unies :
Contrairement à la convention de l’OCDE, la convention de l’ONU est un
texte volumineux qui contient soixante et onze articles répartis en six chapitres.
Le premier chapitre reprend les dispositions générales et fixe les objectifs de
la convention ; prévenir et combattre la corruption, promouvoir la coopération
internationale et promouvoir l’intégrité, la responsabilité et la bonne gestion des
affaires publiques.
53 Stéphane BONIFASSI « la convention des nations unies contre la corruption : une machine
puissante ou poussive ? » la lettre de la transparence N° 21, Avril 2004, p. 1
39
Le deuxième chapitre énumère les pratiques préventives nécessaires à une
lutte efficace contre la corruption. On trouve notamment l’exigence d’adopter un
cadre législatif et réglementaire pour garantir la transparence et l’équité, qu’il
s’agisse des procédures de passation des contrats publics ou d’accès aux fonctions
publiques (article 9).
Le troisième chapitre vise, quant à lui, l’aspect répressif de la lutte contre la
corruption. Il prévoit les conditions d’incrimination, la détection et la répression des
pratiques corruptrices. Il demande, de plus, aux États d’établir un régime de
responsabilité pénale des personnes morales impliquées dans la corruption.
À la différence de la convention de l’OCDE, celle de l’ONU vise la corruption
passive et active d’agents publics nationaux, étrangers ou d’organisations
internationales publiques. Elle couvre un champ plus large et semble plus complète
que la convention de l’OCDE. Pour Philippe Montigny, la convention des Nations
Unies devrait représenter un net progrès par rapport à la convention de l’OCDE en
faisant porter sa charge répressive sur les entreprises comme sur les administrations.54
En ce sens, sa vocation apparaît plus universelle que la convention de l’OCDE.
Dans le quatrième chapitre, la convention vise la coopération internationale,
notamment en détaillant les obligations d’assistance mutuelle entre les États en
matière pénale. Plus précisément, elle reprend les exigences sur les questions
d’extradition, d’entraide judiciaire ou en matière d’enquête.
Le chapitre cinq concerne la question du recouvrement des avoirs. Disposition
qu’exigent depuis des années les pays émergents qui sont les principales victimes de
la corruption et qui jusqu’à présent ne récupéraient que dans des cas exceptionnels les
deniers publics détournés.
Le sixième chapitre concerne les mécanismes d’application. La convention de
l’ONU prévoit l’organisation d’une conférence des États-parties un an après l’entrée
en vigueur de la convention et convoquée périodiquement. Mais ne prévoit aucun
véritable mécanisme de suivi ou de contrôle de la transposition et du respect des
obligations que la convention fait naître.
54 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 135
40
Ainsi, bien que la convention anti-corruption de l’ONU couvre un champ plus
vaste que la convention de l’OCDE et que son application semble moins élitiste que
cette dernière, il n’en reste pas moins que de nombreuses lacunes, notamment sur la
question de son suivi, posent la question de son efficacité.
2- « une machine puissante ou poussive ? »55 :
Stéphane Bonifassi note que la diversité et l’étendue des sujets traités peuvent
être source d’espoir. Il relève ainsi que « tout ce qui touche de prés ou de loin à la
corruption semble avoir été abordé tant au niveau des mesures préventives que des
incriminations, des questions relatives à la confiscation et à la saisie, à la
coopération internationale, à la restitution des fonds détournés…. »
Cependant il note que les nombreuses précautions de vocabulaire semblent
retirer toute force contraignante à cette convention.
Il note que dès l’article 4 apparaissent des dispositions sur la protection de la
souveraineté, rappelant les principes d’intégrité territoriale et de non-intervention
dans les affaires intérieures d’autres États. Ces dispositions ont pour effet de réduire
son champ d’application, la convention ne présentant pas un caractère véritablement
contraignant pour les pays signataires.
Enfin le problème majeur semble être l’absence de mécanisme de suivi.
Même si en raison du nombre d’États participants cette surveillance aurait soulevé des
problèmes matériels et techniques, ne prévoir aucun mécanisme de veille pour
contrôler la bonne application de la convention en fait un simple de guide de bonne
conduite dont la fonctionnalité et l’effectivité restent à démontrer.
Si cette convention reste un pas en avant dans la lutte contre la corruption, il
faudra, pour les États comme pour les Organisations Internationales, fournir de grands
efforts pour parvenir à la rendre efficace.
55 Stéphane BONIFASSI, op. cit.
41
D- Le rôle des Banques de développement dans la lutte contre la corruption dans les
contrats publics internationaux ; le cas de la Banque Mondiale :
L’actualité de la Banque Mondiale (BM) est extrêmement agitée et les affaires
qu’elle connaît remettent en question sa légitimité et sa crédibilité. Il n’en reste pas
moins cependant que la Banque Mondiale, en tant que plus gros bailleur de fonds de
l’aide multilatérale au développement, a un rôle très important dans la lutte contre la
corruption et un pouvoir contraignant que peu d’organisations internationales peuvent
prétendre avoir.
Selon Raphaël Apelbaum dans un article sur « les contrats conclus dans le
cadre des opérations financées par la Banque Mondiale », la BM finance près de 1400
projets et a investi en 2005 plus de 22 milliards de dollars dans l’aide aux pays les
plus pauvres et ceux dits « à revenu intermédiaire »56. Elle est, à ce titre, le principal
acteur dans le financement du développement de notre planète et l’un des principaux
acteurs des contrats publics internationaux.
Sur la question des contrats publics dans le cadre des opérations de la Banque
Mondiale, deux précisions doivent êtres apportées. Tout d’abord les opérations sont
financées par la BM, mais ne sont pas exécutées par elle, c’est l’emprunteur qui sous
le contrôle de la Banque sera chargé de l’exécution. La BM n’est donc pas signataire
desdits contrats. Cependant, et c’est le deuxième point important à noter, même si
l’exécution est à la charge de l’emprunteur, celui-ci est étroitement encadré par les
règles de la BM.
Les milliers de contrats publics internationaux que passe la Banque chaque
année représentent un risque élevé de corruption, notamment lorsque certains des
pays concernés souffrent eux-mêmes d’une corruption endémique.
Il s’agit d’après Philippe Montigny d’un engagement véritablement politique
qui consiste à pouvoir assurer aux pays actionnaires de la Banque que les projets
qu’elle finance sont exempts de corruption57.
56 Raphaël APELBAUM « Les contrats conclus dans le cadre des opérations financées par la Banque Mondiale », Revue contrats publics n°51 janvier 2006, p. 41 57 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 152
42
En matière de lutte contre la corruption, la BM ne relève d’aucune convention
internationale.
La lutte contre la corruption dans les contrats financés par la Banque Mondiale
a été mise en place durant la présidence de James Wolfensohn, président de la Banque
de 1995 à 2005. Il a fait de la lutte contre la corruption un des axes majeurs de sa
politique en faveur du développement. À ce titre, il prît l’initiative de faire adopter
dans le cadre de la stratégie globale de lutte contre la corruption, un certain nombre de
mesures visant à sanctionner les entreprises et les individus qui se rendraient
coupables de fraudes ou de corruption dans les projets financés par la BM.
Il est intéressant de relever sur ce sujet, une évolution dans l’approche de la
lutte contre la corruption par la Banque Mondiale. Jean-Jacques Verdeaux, Senior
Counsel au Legal Department de la Banque Mondiale, analyse que, pendant des
années, la Banque a tenté d’endiguer ce risque de corruption en adoptant des règles de
passation particulièrement transparentes et en établissant un contrôle a priori58. Et
dans les cas où la procédure de passation n’était pas respectée la Banque se contentait
d’annuler le prêt ou le don pour l’opération.
Cependant suite à plusieurs cas avérés de corruption dans les années 90, la
Banque a adopté une attitude plus agressive et répressive envers la corruption et a pris
des mesures individuelles contre les entreprises suspectées de corruption en leurs
notifiant une interdiction de soumissionner à de nouveaux marchés financés par la
Banque.
Enfin, la Banque Mondiale, et particulièrement sous l’influence de son dernier
président Paul Wolfowitz à la tête de l’organisation depuis 2005, a intensifié sa lutte
contre la corruption au point qu’elle soulève de nombreuses interrogations sur les
méthodes qu’elle emploie et sa légitimité à agir.
1- L’enjeu des directives verte et rouge :
58 Jean-Jacques VERDEAUX, « La lutte contre la corruption dans les marchés financés par la Banque Mondiale », Revue contrats publics n°51, janvier 2006 p. 50
43
Comme nous venons de la voir la Banque Mondiale a fait, dans un premier
temps, de la transparence dans les procédures de passation des contrats publics, le
meilleur outil de lutte contre la corruption.
Cette initiative, au vu des autres organisations internationales, est relativement
exceptionnelle tant la BM a défini précisément ses exigences dans ses directives verte
et rouge. Elle participe activement au processus de globalisation du droit des marchés
publics par le biais des « directives Marchés Publics ».
Selon Raphaël Apelbaum, l’élaboration de ces directives ne repose pas sur un
souhait d’harmonisation juridique, mais reflète plutôt le souci du préteur de voir son
argent correctement utilisé par l’emprunteur.
Dans sa lutte contre la corruption, il est alors indispensable pour la BM de
s’assurer que l’ensemble des fonds prêtés est exemplaire sur le plan de la transparence
et de la non-discrimination. La Banque impose ainsi des règles communes de
passation quand elle estime que les règles nationales ne sont pas capables d’assurer la
transparence et la compétition nécessaire ou quand les règles n’existent pas.
Ces directives s’appliquent aujourd’hui dans la grande majorité des opérations
financées par la BM.
Il existe, de plus, une assistance juridique dispensée par la Banque qui est
chargée d’élaborer ou de renforcer les législations existantes (« capacity building »).
Cependant ces opérations prennent du temps et dans la majorité des cas, la solution
reste d’utiliser la réglementation de la Banque en matière de marchés publics.
Cette réglementation apparaît, aujourd’hui, comme « un des modèles les plus
aboutis en matière de passation de MP dans le domaine du développement »59.
2- La mise en place d’institutions chargées de la lutte contre la corruption au sein de
la Banque Mondiale :
Le processus de sanction a été présenté au conseil d’administration de la
Banque en janvier 1996 et mis en œuvre par un « operational memorandum » de
janvier 1998.
59 Raphaël APELBAUM, op. cit., p. 42.
44
Parallèlement, des dispositions en matière de fraude et corruption étaient
introduites dans les directives Marchés Publics de la BM prévoyant notamment des
sanctions d’exclusion à période déterminée ou indéfinie aux marchés de la Banque
pour les auteurs de fraude ou de corruption, ainsi que dans les accords de prêts où la
possibilité d’annuler pour fraude ou corruption était introduite.
La procédure conduisant à la prise de telles sanctions était elle-même définie
dans le mémorandum. Cependant elle se distinguait de ce qui avait cours à la BM
jusqu’à présent, par la création de dispositions institutionnelles spécifiques,
notamment la création du Comité des Sanctions. La création de ce comité constituait
une véritable institutionnalisation de la lutte contre la fraude et la corruption au sein
de la Banque.
En 2001, cette procédure a fait l’objet d’aménagements qui visaient à
formaliser un certain nombre de comportements qui s’étaient fermement établis dans
la pratique et à clarifier certains aspects du mémorandum de 1998.
Le but était de préciser le fonctionnement du système de sanction de
l’organisation et le rôle d’une nouvelle entité en charge des enquêtes, devenue depuis
le département intégrité (INT).
À la base, l’INT ne devait être qu’une simple unité d’enquêtes créée en 1998
au sein du département Audit de la BM. Mais, en 2001, cette section est devenue un
département autonome dépendant directement du président de la Banque60.
3- La réforme institutionnelle de la lutte contre la corruption au sein de la BM :
Dans un rapport remis à la Banque en 2002, la commission conduite par
Richard Thornburgh a conclu à la nécessité de refonte des aspects institutionnels de la
lutte contre la corruption au sein de la Banque.
Pour ce qui est de la réforme du comité des sanctions, sa configuration initiale
était adaptée au peu de cas de corruption que le comité avait à traiter. Cependant, avec
la hausse croissante de cas, le comité a très vite été dépassé.
60 J.-J. VERDEAUX, op. cit., p.51
45
Parallèlement, les cas soumis se sont révélés de plus en plus complexes et ont
nécessité une disponibilité beaucoup plus grande de la part des responsables qui
assuraient, par ailleurs, les fonctions les plus hautes de l’institution.
Le Comité n’apparaissait plus comme adapté pour mener à bien cette mission
de lutte contre la corruption. C’est la raison pour laquelle la Banque a choisi de revoir
la composition de cette institution et de la doubler d’un niveau de première instance
représenté par un « officier évaluateur ».
Celui-ci est nommé par le président de la BM et est chargé de réexaminer les
cas soumis par le département intégrité. Si l’infraction lui semble constituée, il doit
prendre une sanction d’exclusion. Celle-ci donne le plus souvent lieu à une
suspension temporaire de participation conduisant à une sanction définitive en
l’absence d’appel à l’instance de second niveau appelée le « Sanction Board ».
Cette nouvelle instance d’appel vient remplacer le comité des sanctions et est
composée essentiellement d’éléments extérieurs.
Cette réforme apparaissait comme nécessaire tant l’équité de la procédure de
sanction était remise en cause par les entreprises impliquées. En effet, la Banque
apparaissait comme juge et partie et le risque de conflit d’intérêt semblait trop
important.
Désormais cette institution prend elle-même les décisions de sanctions
définitives. Le président de la Banque se trouve dorénavant exclu de l’ensemble de la
procédure de décision.
4- Les limites et les perspectives de l’action de la Banque Mondiale :
D’après un article paru dans Le Monde, selon un rapport interne rendu public
le 6 février 2007, la BM a écarté, pour Fraude et Corruption, 112 entités des projets
qu’elle finance au cours des deux dernières années61. Pendant son activité fiscale 2005
et 2006, elle a mené à bien prés de 441 enquêtes extérieures qui l’ont amenée à
exclure de ses marchés 58 entreprises et 54 particuliers pour pratiques de fraude et de
corruption. Depuis 1999 et les premières mesures de lutte contre la corruption interne,
la BM a sanctionné 338 entreprises et individus.
61 « La Banque Mondiale a intensifié sa lutte contre la corruption », Le Monde, 6 février 2007.
46
Pourtant, malgré le bien fondé de cette lutte, les conditions et les méthodes de
l’intervention de la Banque Mondiale sont problématiques.
Ainsi, sur le plan de la méthode, la direction de la Banque a suspendu de son
propre chef, parfois pendant de nombreux mois, les prêts à une longue liste de pays en
donnant peu de justifications à ces choix et sans discuter a priori de ces décisions avec
le conseil d’administration.
En outre, Paul Wolfowitz a signifié sa volonté de renforcer encore la lutte
contre la corruption, alors que les craintes se multiplient sur le risque que cet objectif
ne devienne plus important que la mission première de l’institution, l’aide au
développement.
Un débat vigoureux s’est engagé entre le Président de la Banque et ses
actionnaires entre novembre 2005 et avril 2006, et l’adoption d’une nouvelle stratégie
s’impose comme une nécessité.
Les critiques principales portent sur le fait que la stratégie ne peut être définie
et mise en œuvre dans le cadre du mandat de la BM à savoir le financement du
développement et la réduction de la pauvreté.
Pour beaucoup, cette stratégie de lutte contre la corruption ne doit pas être un
élément de conditionnalité supplémentaire et ne doit pas conduire à changer les
critères d’allocation des financements.
Enfin, les actions menées par la BM doivent êtres fondées sur le principe de
bonne gouvernance de la BM elle-même, et sa stratégie doit être concertée avec celles
d’autres institutions qui luttent contre la corruption.
Pierre Duquesne, administrateur pour la France à la BM et au FMI et président
du comité d’audit de la Banque, après la présentation du projet de la direction de la
Banque sur la gouvernance et la lutte contre la corruption devant le comité du
développement du 18 septembre 2006 à Singapour, a relevé les pistes qui lui semblent
nécessaire pour l’avenir62.
Il souligne la nécessité d’imposer une mise en œuvre effective du principe de
réalisme en luttant contre la corruption non seulement dans les pays emprunteurs mais
aussi dans les pays exportateurs et de retenir le principe d’équité dans le traitement
62 Compte-rendu de la conférence de Pierre DUQUESNE, La lettre de transparence, n° 31, Décembre 2006, dossier spécial sur la politique anti-corruption de la BM, p. 4.
47
des pays pour éviter le cas par cas. Il milite, de plus, pour faire appliquer un principe
d’équilibre entre répression et prévention. Pour lui, dans les pays qui connaissent une
forte corruption, un renforcement de la politique de prévention de la corruption est
préférable au retrait de la BM.
Enfin, la Banque a mis en place depuis 1996 des indicateurs de gouvernance
pour mesurer les efforts réalisé par les pays. Ces indicateurs constituent l’une des plus
grandes bases de données qui existent sur la gouvernance. L’étude est basée sur les
réponses obtenues de plus de 120 000 citoyens, entreprises et spécialistes du monde
entier, telles que fournies par 25 différentes organisations. Les réponses sont à leur
tour utilisées pour établir les indicateurs de gouvernance mondiale. Ils mesurent six
composantes de la bonne gestion des affaires publiques, à savoir : la représentativité
et la responsabilité qui mesure les droits politiques, civils et de l’homme ; la stabilité
politique et l’absence de violence qui vise la probabilité de menaces de violence, y
compris le terrorisme ; l’efficacité du gouvernement ; la qualité de la réglementation ;
la primauté du droit et la lutte contre la corruption.
E- Les initiatives de lutte contre la corruption à l’échelle européenne :
La corruption dans les contrats publics internationaux apparaît comme un
enjeu majeur au niveau européen. Ainsi le Conseil de l’Europe comme l’Union
Européenne, qui cherchent a améliorer la performance économique des pays membres
et du marché européen, doivent mener des politiques pour combattre ce problème s’ils
souhaitent y parvenir.
À l’échelle de l’Europe, on peut, donc, relever deux initiatives distinctes dans
la lutte contre la corruption.
Une initiative large qui concerne un grand nombre de pays et dont l’objectif
est de garantir la démocratie.
Et une initiative plus restreinte qui s’adresse, uniquement, aux pays membres
de l’Union européenne et dont l’objectif est de garantir une concurrence plus effective
sur le marché communautaire et une meilleure utilisation des deniers publics.
En ce sens, dans un cas comme dans l’autre, la corruption semble
incompatible avec leurs objectifs.
48
1- Le Conseil de l’Europe et la lutte contre la corruption :
Le Conseil de l’Europe est une organisation basée à Strasbourg dont la
mission principale est de : « défendre les droits de l’homme et la démocratie
parlementaire et d’assurer la primauté de l’État de droit ; de conclure des accords à
l’échelle du continent pour harmoniser les pratiques sociales et juridiques des États
membres ». Elle comprend 46 États membres et couvre un champ géographique
beaucoup plus large que l’Union Européenne, et cinq États, dont le saint siége, les
Etats-Unis, le Canada, le Japon et le Mexique ont un statut d’observateur au sein du
conseil.
La corruption, en ce qu’elle est dommageable à la démocratie, s’inscrit dans sa
mission, et c’est en ce sens que parallèlement aux Nations Unies ou à l’OCDE, le
Conseil de l’Europe s’est saisi de ce phénomène.
C’est en 1994, lors de la 19e conférence des ministres européens de la justice
que le conseil a institué un Groupe Multidisciplinaire sur la Corruption (GMC) chargé
de déterminer les mesures qui pourraient êtres incluses dans un programme d’action
international contre la corruption. Le travail de ce groupe a abouti à la rédaction de
vingt principes directeurs de la lutte contre la corruption en 1997, puis sur un projet
de convention pénale adoptée en novembre 1998 et sur un projet de convention civile
adopté en 1999.
La convention pénale vise à incriminer un large éventail de conduites de
corruption et à améliorer la coopération internationale afin d’accélérer la poursuite
des corrupteurs et des corrompus. Les États sont tenus des prévoir des sanctions et des
mesures efficaces et dissuasives incluant des sanctions privatives de liberté pouvant
donner lieu à l’extradition.
Elle intègre la corruption passive et étend l’incrimination de la corruption au
secteur privé.
Cette convention élargit de manière très importante l’incrimination de la
corruption de même que la notion d’agents publics qui s’étend désormais aux agents
publics nationaux et étrangers (articles 3 et 5).
49
La convention civile, quant à elle, est le seul texte international ayant pour
objet de traiter la question de la corruption par le droit civil en considérant que la
corruption permet l’obtention d’un avantage indu par des voies illicites pouvant
donner lieu à des dommages et intérêts.
En outre, le Conseil de l’Europe prévoit un processus de surveillance mutuelle
efficace avec la création du Groupe d’États contre la Corruption (GRECO).
Ce groupe de 37 pays membres est chargé de veiller au respect des
dispositions des conventions en matière de lutte contre la corruption. Les pays
membres du GRECO sont ceux qui participent au processus d’évaluation mutuelle et
qui acceptent de faire l’objet d’évaluations. De plus, un Etat qui devient partie à la
convention pénale ou civile ou tout autre instrument juridique du conseil de l’Europe
devient automatiquement membre du GRECO.
Son objectif est de suivre par le biais d’un processus d’évaluations et de
pressions mutuelles, l’application des principes directeurs pour la lutte contre la
corruption et la mise en œuvre des instruments juridiques internationaux adoptés en
application du programme d’action contre la corruption63.
Des groupes Ad hoc d’experts sont organisés pour étudier l’organisation
générale de la lutte contre la corruption sur le territoire.
La France a fait l’objet de deux évaluations en 2001 et 2003 pour le premier
cycle puis d’une troisième pour le second cycle. Le résultat des évaluations est positif.
Enfin l’objectif du GRECO est aussi l’harmonisation des pratiques
d’incrimination de la corruption pour protéger les règles de concurrence loyale entre
les entreprises.
2- La lutte contre la corruption au sein de l’Union Européenne :
En matière de lutte contre la corruption, l’Union Européenne reprend
sensiblement les mêmes principes que les conventions internationales de l’ONU et de
l’OCDE.
Ses objectifs sont d’appliquer une politique de « tolérance zéro» à l'égard de
63 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 129
50
la corruption au sein des institutions européennes et de poursuivre rigoureusement les
personnes ou organisations qui tentent d'obtenir illégalement des fonds
communautaires.
En outre, elle veut favoriser le rapprochement entre les législations pénales
des différents États membres. Cela comprend l'adoption de définitions,
d'incriminations et de sanctions communes.
Il s’agit de mettre en place une stratégie globale en matière de prévention des
pratiques corruptrices dans une série de domaines comme notamment l'adjudication
des marchés publics64.
Pour parvenir à ses fins, elle dispose de divers instruments. Le premier
d’entre eux est le protocole à la Convention sur la protection des intérêts financiers
des Communautés européennes adopté le 27 septembre 1996. Ce protocole
criminalise la corruption tant passive qu'active des fonctionnaires nationaux ou
européens, lorsque la corruption concernée nuit, ou a de fortes chances de nuire, aux
intérêts financiers de l'Union.
Puis, le 26 mai 1997, l'UE a adopté un second instrument avec la Convention
relative à la lutte contre la corruption des fonctionnaires des Communautés
européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'UE. Elle fait de la
corruption, active ou passive, une délit punissable, même en l'absence d'impact
financier négatif pour l'Union. Elle couvre la responsabilité pénale des chefs
d'entreprises, et contient des dispositions sur les juridictions, l'extradition et la
coopération internationales.
Le 19 juin 1997, un deuxième protocole à la Convention sur la protection des
intérêts financiers a été adopté. Ce protocole contient des dispositions qui
criminalisent le blanchiment de l'argent provenant de la corruption.
En outre, la démission collective de la Commission en 1999, soupçonnée de
corruption, a servi de détonateur à la prise de conscience de la nécessité de lutter
contre ces pratiques à l’intérieur des institutions de l’UE. Ainsi, un Office de Lutte
Anti-fraude (OLAF) a été créé, ce qui démontre l’importance de ce thème dans la
politique européenne.
64 « Poursuivre la criminalité en col blanc sur le marché unifié de l'Union européenne », http://ec.europa.eu/justice_home/fsj/crime/economic/fsj_crime_economic_fr.htm
51
Enfin, le 22 juillet 2003, l’UE a approuvé une décision cadre par laquelle les
États membres s’engagent à ériger en infraction pénale la corruption active et passive
entre personnes privées qui, en violation de leurs obligations professionnelles donnent
ou acceptent un avantage indu.
Celle-ci prévoit l'application par les États membres de peines effectives,
proportionnées et dissuasives, et l'incrimination et les sanctions des personnes
morales.
Sur la question des mécanismes de suivi et d’évaluation, la commission ne
souhaite pas à ce stade instituer un système de suivi spécifique à l’UE, pour éviter des
conflits avec les mécanismes de l’OCDE et du GRECO.
Cependant les efforts de l’UE en matière de corruption se révéleraient
sûrement inefficaces en l’absence d’une telle procédure. Une surveillance attentive
semble particulièrement importante dans le cadre actuel d’élargissement de l’union,
avec l’entrée des anciens pays soviétiques souvent très gravement touchés par la
corruption.
Spécifiquement en matière de passation, l’Union Européenne a déjà pris de
nombreuses initiatives, notamment sur les questions de transparence, de publicité et
de mise en concurrence dans les procédures. Ceci est illustré par les directives
« marchés publics » n° 2004/ 17 et 2004/ 18, que nous aurons l’occasion de voir
ultérieurement.
Les programmes d’aide extérieur offrent, également, d’autres perspectives de
lutte contre la corruption pour l’Union Européenne, tant dans la gestion même de
l’aide, que dans les mesures de prévention qu’elle peut financer65.
65 Dieter FRISCH, « Nouvelle communication de la commission européenne sur une politique globale de l’union contre la corruption », http://www.transparence-france.org/wpolitgloblunioneurctrecorrup.htm
52
Section 2- La dimension nationale de la lutte contre la corruption dans les contrats
publics internationaux :
À ce niveau, l’enjeu pour les pays est double, faire en sorte que leurs
entreprises ne se retrouvent pas victimes de concurrence déloyale pour l’obtention des
contrats publics et veiller à ce que les deniers publics ne soient pas détournés de leurs
fonctions initiales, en instaurant un système de lutte contre la corruption en
conformité avec les conventions internationales.
Nous reprendrons ces deux axes dans cette partie. Tout d’abord nous nous
intéresserons au cas des Etats-Unis, qui ont été les premiers, après avoir constaté le
nombre de marchés qui échappaient à leurs entreprises pour cause de corruption, à
mettre en place une politique anti-corruption pour leurs entreprises avec le « Foreign
Corrupt Practices Act » de 1977 (FCPA).
Puis nous nous pencherons sur le cas de la France et la question de l’impact
des lois de transpositions sur le droit interne.
A- Le cas des Etats-Unis : exemple le plus abouti d’incrimination de la corruption
internationale :
Les Etats-Unis se présentent comme l’exemple le plus abouti pour une raison
simple, ils sont les premiers à avoir pris conscience de la perte économique que
représentait la corruption et par conséquent, les premiers à avoir mis en place une
législation interdisant et incriminant la corruption d’agents publics étrangers.
Ainsi dès 1977, le FCPA a été mis en place, celui-ci a fortement inspiré la
convention de l’OCDE.
Les raisons de cette législation sont simples. Le congrès américain estimait
dans le quatrième rapport stratégique sur les exportations américaines66, que la
corruption était un frein au développement du commerce américain, au
66 The national export strategy (trade promotion coordinating committee), Washington DC, Octobre 1997
53
développement économique des pays émergents et un obstacle à l’obtention de
contrats publics par les entreprises américaines dans des situations de concurrence.67
Avec 30 ans d’ancienneté en matière de lutte contre la corruption, les Etats-
Unis ont une grande expérience des avantages et des inconvénients des politiques
liées à celle-ci. Expérience qui peut être très bénéfique aux autres pays dans la lutte
contre la corruption dans les contrats publics internationaux.
1- Les caractéristiques du FCPA et son champ d’application:
Le FCPA se compose de deux volets, le premier traite des dispositions qui
concernent la corruption proprement dite, le second vise les livres et documents
comptables ainsi que les contrôles internes68.
Cette présentation permet à la justice d’aborder le problème de la corruption
sous deux aspects. Selon la procédure pénale habituelle, en recueillant des
informations par des dénonciations et des enquêtes, ou bien selon l’examen des livres
comptables, c’est-à-dire par le contrôle de la comptabilité des entreprises américaines
qui s’est développé de manière très importante ces dernières années aux USA.
Cette dichotomie est reprise dans l’organisation fonctionnelle de la lutte contre
la corruption. Le volet anti-corruption du FCPA est mis en place par le Ministère de la
justice, tandis que le volet comptable relève de la Commission des Opérations
Boursières.
En outre, suite aux nombreux scandales qui ont touché les grandes entreprises
américaines dans la fin des années 1990, comme l’affaire « Enron », le contrôle sur
leur bonne santé financière s’est accru dans le dessein d’assurer une plus grande
transparence dans le milieu des affaires. Ainsi, depuis 2002, la loi Sarbanes- Oxley
impose aux sociétés américaines cotées en bourse, d’évaluer les contrôles internes
dans leurs communications financières, notamment par le biais d’une déclaration
engageant la responsabilité de la direction quant à la mise en place et au maintien de
mesures rigoureuses de contrôle interne.
67 Philippe FONTANA, op. cit., p. 122 68 Philippe MONTIGNY, op. cit., p. 145.
54
Le FCPA s’applique à toutes les personnes morales enregistrées aux Etats-
Unis (entreprises, associations, ONG). D’après Philippe Montigny, une lecture stricte
de la loi exclut les filiales étrangères des sociétés américaines de son application69.
Cependant, la responsabilité de la société-mère peut être engagée si « elle a
autorisé ou commandé une filiale étrangère en vue de la commission d’un acte de
corruption »70.
2- La mise en œuvre du FCPA :
Il existe, donc, deux approches différentes de la lutte contre la corruption dans
le FCPA, une approche pénale et une approche civile.
L’approche pénale vise la condamnation des faits de corruption, à proprement
parler.
Puis, cette incrimination est suivie d’une enquête menée par le service des
fraudes de la Direction des Affaires Criminelles du ministère de la justice qui, depuis
1994, a la responsabilité de la poursuite des délits de corruption d’agents publics
étrangers.
Les sanctions prévues par le FCPA visent aussi bien les personnes physiques
que les personnes morales. Pour les personnes morales, l’amende peut atteindre 2
millions de dollars et pour les personnes physiques, elle peut aller jusqu’à 100 000
dollars et peut s’accompagner d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.
Comme le souligne Philippe Montigny, le FCPA reste beaucoup moins sévère
que la législation américaine en matière de corruption de fonctionnaires américains,
qui peut faire encourir à son auteur jusqu’à quinze ans de prison. Bien qu’en pratique,
les affaires relevant du FCPA aient été jugées plus sévèrement que celles qui relèvent
de la corruption interne.
69 Ibid., p. 146. 70 Rapport de la phase 2 sur l’application de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales sur les Etats-Unis, OCDE, Octobre 2002, Paragraphe 17.
55
Du point de vue civil, le FCPA impose certaines obligations comptables.
L’idée de cette réglementation est que le fait de corruption se traduit généralement par
une irrégularité comptable mise en place afin de le dissimuler.
Ces obligations consistent en la conservation de pièces justificatives qui
doivent précisément rendre compte des transactions ou encore de l’obligation pour les
entreprises de procéder à des contrôles internes pour prévenir et détecter la corruption.
Cependant, bien que ce système apparaisse comme un outil efficace de lutte
contre la corruption, il connaît certaines limites. Les obligations de vérification
comptable ne concernent pas toutes les entreprises, elles sont limitées aux entreprises
cotées en bourse, et aux filiales contrôlées uniquement. Ainsi certaines entreprises
même de dimension internationale ne sont soumises à aucune obligation comptable
particulière.
3- Les apports et innovations du FCPA :
Outre ces systèmes extrêmement poussés de contrôle comptable, un apport
intéressant qui pourrait être repris en France est le programme dit de « vigilance des
entreprises ».
Le FCPA encourage ainsi les entreprises à se doter d’un « Compliance
Program », qui sont des programmes de mise en conformité afin de contrôler le
respect des exigences du FCPA.
Il revient, donc, à l’entreprise de veiller elle-même au respect du FCPA par
ses services.
L’objet de ce programme est de rendre plus efficace le système anti-
corruption, tout en donnant la possibilité aux entreprises de bénéficier de
circonstances atténuantes si elles le mettent en place.
De plus, un apport intéressant de la justice américaine est la possibilité de
plaider coupable pour les faits de corruption, soit dans le cadre d’une coopération
entre entreprises et autorités fédérales en vue d’obtenir un allégement de peine, soit
dans le cadre d’une dénonciation volontaire qui peut être suivie d’une coopération
avec des enquêteurs fédéraux.
56
Enfin Philippe Montigny, note que les peines relativement légères prononcées
par la justice américaine jusqu’à présent ont conduit les entreprises à intégrer dans
leurs stratégies une politique de dénonciation volontaire quasi systématique. Mais que
cette situation change, avec un durcissement des sanctions financières prononcées par
la justice américaine au cours des années 2004 et 2005 qui ont conduit les juristes
américains à se poser la question de l’utilité du recours à la dénonciation volontaire 71.
B- La Transposition des conventions internationales en Droit interne, le cas de la
France :
« Une convention vaut ce que valent les lois de transpositions qui la traduisent
dans le droit interne de chacun des États signataires »72.
L’enjeu de cette partie est, donc, d’étudier les impacts des transpositions des
règles des conventions internationales en droit interne, et particulièrement en France,
pour constater le suivi national des politiques de lutte contre la corruption.
Jusqu’à la fin des années 1990, la France ne connaissait aucune législation qui
interdisait ou sanctionnait la corruption dans les contrats publics internationaux.
La Commission Bouchery et la loi Sapin de 1993 ont apporté les premières
initiatives en matière lutte contre la corruption dans les procédures de passation des
contrats publics en posant des exigences de transparence, de publicité et de mise en
concurrence.
Mais il faudra attendre les conventions internationales et notamment la
convention de l’OCDE pour que la France prenne réellement conscience de l’enjeu de
la corruption dans les transactions internationales. Et les efforts consentis dans
l’assainissement des procédures de passation sont, essentiellement, le fait de
l’influence communautaire.
Nous verrons donc dans cette partie les conséquences que ces différentes
conventions ont eues sur la lutte contre la corruption en France. En consacrant une
71 Philippe MONTIGNY, Op. cit., p.148 72 Daniel DOMMEL, « La transposition de la convention OCDE dans les législations nationales », Revue prospectives stratégiques, n° 10, juin 2002
57
première partie à la convention de l’OCDE qui a eu le plus d’impact en France. Puis
en reprenant les autres normes internationales.
1- L’impact de la transposition de la convention de l’OCDE en droit français :
Les transpositions de la convention de l’OCDE sont, dans l’ensemble, assez
fidèles au texte d’origine grâce aux phases de suivie prévues.
Daniel Dommel note que la plupart des pays ont repris les prescriptions de la
convention et que les discussions entre pays adhérents ont permis de résoudre les
divergences de points de vue.
La convention est entrée en vigueur le 29 septembre 2000 et a été transposée
en droit français par la loi de transposition du 30 juin 200073. L’objet de cette loi est
double, elle a, ainsi, permis d’introduire en droit français la convention anti-
corruption de l’OCDE mais également la convention relative à la lutte contre la
corruption impliquant des fonctionnaires des communautés européennes ou des
fonctionnaires des États membres de l’union européenne signée le 26 mai 1997.
Son apport principal est la prise en compte par le droit pénal français de la
corruption d’agents publics étrangers et la qualification plus aisée des faits de
corruption.
La grande différence entre le droit pénal français et la convention de l’OCDE
est la notion de pacte de corruption qui vise l’alliance entre un corrupteur et un
corrompu. Pour caractériser un fait de corruption, le pacte de corruption doit être
démontré dans son ensemble. L’article 432-11 vise ainsi la corruption passive des
personnes exerçants une fonction publique et les articles 433-1 et -2 qui portent sur la
corruption active des particuliers mettent en place une égalité de traitement des délits
de corruption.
Grâce à la loi de transposition, qui comprend aussi les directives
communautaires et les conventions du Conseil de l’Europe, cette distinction est
73 Loi n°2000-595 modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption
58
étendue aux « fonctionnaires des communautés européennes, des Etats membres de
l’union européenne ou des institutions des communautés européennes ».
Le pacte de corruption français, contrairement à la convention de l’OCDE,
vise une symétrie et une équité de traitement, de l’incrimination ainsi qu’une égalité
de peine entre fonctionnaire et responsable de l’entreprise.
Cette distinction ne figurant pas dans la convention de l’OCDE, seuls les
fonctionnaires européens sont visés par la notion de corruption passive. Ainsi, le code
pénal ne retient dans son article 435-4 pour les Etats étrangers autres que les Etats
membres de l’UE, que la notion de corruption active.
De plus, la définition de la notion d’agent public se trouve élargie à tous les
agents publics des États étrangers et des organisations internationales (article 435-3).
Enfin l’article 435-5 prévoit les sanctions. Corrompre un agent public étranger
expose pénalement le coupable à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros
d’amende. Peine qui peut être accompagnée d’une privation de droits civiques, civils
et familiaux.
Le fait de céder à un chantage ou un racket ou une extorsion n’est pas
constitutif d’une circonstance atténuante.
La personne morale incriminée peut également subir des sanctions
commerciales (article 435-6) comme la fermeture de l’établissement pour cinq et plus,
l’interdiction d’exercer l’activité économique ou sociale, ou plus intéressant,
l’exclusion des marchés publics.
Le suivi de la transposition de la convention de l’OCDE en droit français a
donné lieu à deux examens. Le premier, le 16 mai 2001, portait sur la façon dont la
France a adapté sa législation et qui correspond, selon la terminologie de l’OCDE, au
rapport de la phase 1. Puis, le second, le 22 janvier 2004, s’intéressait à « évaluer la
façon dont la France détecte, poursuit et sanctionne le délit de corruption d’agents
publics étrangers ».
À l’issue de ceux-ci, le groupe de travail de l’OCDE a semblé satisfait des
progrès réalisés par la France en matière de lutte contre la corruption internationale.
59
2- L’impact de la transposition des autres conventions :
La convention du Conseil de l’Europe est entrée en vigueur le 1er juillet 2002
après avoir été ratifié par quatorze pays, mais n’a été ratifiée par la France qu’en date
du 11 février 2005.
Le retard de la France, qui a mis six ans pour ratifier ces conventions, ne serait
dû, d’après Philippe Montigny, qu’à la volonté de vérifier la cohérence des divers
engagements pris par la France dans ce domaine74.
Elle a fait l’objet de deux évaluations en 2001 et 2003 et le résultat est encore
à son honneur, ce qui signifie que la surveillance exercée sur les entreprises françaises
est forte75. Ainsi, ils jugent très développé l’appareil juridique et l’appareil
institutionnel de la France en matière de lutte contre la corruption dans les contrats
publics internationaux.
Le député Marc Reymann a repris très précisément les obligations qui
découlaient de la transposition des conventions civiles et pénales du Conseil de
l’Europe76.
La convention pénale n’apporte aucune nouveauté majeure par rapport à la
convention de l’OCDE, le progrès qu’elle représente est la reconnaissance de la
corruption passive au niveau international à un niveau plus large que celui de l’Union
Européenne.
Quant à la convention civile, le seul élément vraiment novateur qu’elle
apporte est la possibilité pour les entreprises de demander des dommages et intérêts à
des entreprises concurrentes qui auraient versé des pots-de-vin pour obtenir des
contrats publics.
Pour ce qui est de la convention de Nations Unies, la France l’a ratifiée le 11
juillet 2005 et est le premier État du G8 à l’avoir fait. Celle-ci n’apporte pas de
nouveautés majeures par rapport aux autres conventions. En outre, la conception de la
74 P. MONTIGNY, op. cit., p. 123 75 Rapport du GRECO sur la France « La corruption vue par le Conseil de l’Europe », la lettre de transparence, N° 12, janvier 2002 76 Rapport n°1424, Assemblée Nationale, 11 février 2004
60
lutte contre la corruption retenue par l’ONU est très proche de la conception française
et reprend très clairement la distinction entre corruption active et passive77.
Pour Jean-Pierre Vidon, ambassadeur chargé de la lutte contre le crime
organisé pour la France, « la coopération internationale française accorde à la lutte
contre la corruption une place importante parmi les défis auxquels elle ambitionne de
répondre à travers son soutien à la gouvernance démocratique »78.
Ainsi, en plus des efforts qu’elle fournie dans la réalisation des conventions
internationales, la France mène une action bilatérale. « Elle organise des séminaires
qui rassemblent magistrats et fonctionnaires dont bénéficient l’Europe orientale,
l’Afrique, l’Amérique Latine, le Moyen-Orient et l’Asie »79.
Cependant si l’on reprend l’indice de perception de la corruption de 2006, la
France se place à la dix-huitième position avec un indice de 7,4 sur 10, derrière les
pays du nord de l’Europe (Scandinavie, Pays-Bas, Allemagne et Royaume-Uni).
Bien qu’elle se situe devant les pays du sud de l’Europe, la France est encore
perçue comme un pays qui connaît une importante corruption et est désignée dans
l’indice de perception de la corruption des pays exportateurs comme l’un des pays
dont les entreprises ont le plus recours aux pratiques corruptives.
On peut donc se demander si la multiplication des conventions internationales
est vraiment porteuse d’amélioration et si les moyens mis en œuvre pour lutter contre
la corruption dans les contrats publics internationaux sont vraiment efficaces.
77 Rapport n° 2417 de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale présentée le 29 juin 2005 par Geneviève Colot, Députée 78 J.-P. VIDON, « La France engagée dans la lutte contre la corruption internationale», in P. MONTIGNY, op. cit., p. 138 79 Ibid
61
Deuxième Partie - La mise en pratique de la lutte contre la corruption
dans les contrats publics internationaux :
Comme nous venons le voir dans en première partie, la corruption fait
aujourd’hui l’objet d’un large consensus et de nombreux textes à portée normative
sont venus encadrer les politiques en la matière pour tenter d’enrailler ce problème.
Cependant, en dépit du nombre croissant de législations, l’indice de perception
de la corruption publiée par TI en 2006 montre que les progrès réalisés sont très
faibles et que les contrats publics internationaux restent encore un domaine fortement
touché par la corruption.
Il convient donc désormais de s’interroger sur les moyens concrets mis en
place pour lutter contre ce gaspillage de deniers publics, mais également sur leurs
limites et sur les pistes proposées par les différents acteurs pour poursuivre la lutte
contre la corruption.
Chapitre 1 - Les moyens de la lutte contre la corruption dans les contrats publics
internationaux, de la prévention à la répression :
Si l’on reprend les conventions internationales précédemment étudiées, on
peut constater qu’il existe deux façons de lutter contre la corruption, selon une
approche répressive et selon une approche préventive. Or les textes consacrés à la
corruption mettent surtout l’accent sur l’incrimination et la sanction des faits de
corruption et moins, voire quasiment pas, sur les mesures qui en amont pourraient
permettre de limiter le nombre de cas.
La raison en est simple, un dispositif de prévention de la corruption a un coût
et il est tentant pour les autorités de ne pas y recourir. Ainsi, pour le traitement de la
corruption, la répression semble à de nombreux égards la solution la plus efficace par
son effet dissuasif. Cependant, elle trouve ses limites dans la multiplication des
irrégularités et leur réitération.
62
« Répression sans prévention ou prévention sans répression, la carence est
identique »80.
L’enjeu de la lutte contre la corruption dans les contrats publics internationaux
est donc double.
Il s’agit, d’une part, de mettre en place des systèmes en amont pour prévenir la
lutte contre la corruption, en mettant en place des outils pour traiter cette question à sa
source en responsabilisant et en renforçant le contrôle des acteurs des contrats publics
internationaux et en veillant à une meilleure transparence et concurrence dans les
procédures de passation.
D’autre part, l’enjeu est de faire en sorte que le système de sanction soit
suffisamment efficace pour dissuader les actes de corruption, tant sur la question des
sanctions pénales que commerciales.
Section 1- Les moyens en amont, la prévention de la corruption dans les contrats
publics internationaux :
Les contrats publics internationaux sont par nature un domaine extrêmement
sensible et sujet à corruption.
Cependant, très peu d’initiatives sont prises en la matière pour prévenir ce
risque.
S’il apparaît une certaine homogénéité et une certaine récurrence sur la
nécessité d’assurer une véritable mise en concurrence et une transparence dans
l’attribution des contrats publics, la plupart des conventions manquent de précision
sur ce point et ne donnent pas les moyens nécessaires aux administrations pour les
mettre en œuvre. Les quelques démarches significatives dans ce domaine sont à
mettre à l’actif d’organismes multilatéraux comme la BM, le FMI et l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC) ou sur le compte de politiques régionales comme le
fait l’Union Européenne.
D’autres outils sont également envisageables en matière de prévention et
tendent à avoir une place importante dans le processus de lutte contre la corruption.
80Josette HERVET, « Corruption et marchés publics : connivence et compérages sur la base de fonds publics », RFFP, n°69, Mars 2000, p. 55
63
On trouve, notamment, le système d’alerte éthique ou les codes de bonne conduite,
d’éthique ou de déontologie.
Enfin, la présence d’autorités administrative indépendante est extrêmement
bénéfique dans la lutte contre la corruption, si l’on en croit l’exemple français du
Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC). Elles permettent un contrôle
accru des entreprises et des services administratifs, une sensibilisation au phénomène,
et surtout remplissent une mission de centralisation des informations.
Les trois points essentiels en matière de prévention dans les contrats publics
internationaux sont donc la nécessité d’imposer de la transparence dans l’utilisation
des deniers publics, de responsabiliser les acteurs, entreprises comme administrations
et de renforcer leur contrôle et la centralisation des informations.
A- La transparence dans les procédures de passation des contrats publics
internationaux, un moyen efficace de lutte contre la corruption :
La transparence est une notion complexe qui recouvre plusieurs réalités. Elle
découle des notions de bonne gouvernance et de bonne gestion publique.
En ce sens, pour parvenir à mettre en place une transparence effective,
plusieurs outils sont disponibles. Elle passe par une publicité accrue, une plus grande
mise en concurrence et le respect du principe d’égalité d’accès à la commande
publique et de non-discrimination.
En somme, la finalité de la transparence est la recherche de la plus grande
effectivité de l’utilisation des deniers publics en évitant le risque de gaspillage et de
détournement de l’intérêt général au profit de l’intérêt privé.
En outre, en matière de contrats publics internationaux, l’exigence de
transparence renvoie à une réalité bien concrète. Il s’agit de l’édiction de procédures
de passation claires, précises, qui permettent aux entreprises de s’informer des appels
d’offres, des critères de sélection et une fois le contrat attribué des motifs de son refus
ou de son acceptation et aux administrations d’apprécier les offres en toute
impartialité. L’administration veille aussi à ce que les informations soient
communiquées à tous les candidats et qu’il y ait une égalité de traitement de ceux-ci,
dans la communication des critères et dans l’appréciation des candidatures.
64
Le moyen pour y parvenir est souvent de privilégier la procédure de l’appel
d’offre aux procédures négociées et l’adjudication qui prévoit l’attribution du contrat
au moins disant, avec comme critère unique celui du prix même si ce système est très
contesté.
On a pu assister, au niveau interne comme au niveau international, à de
nombreuses initiatives sur ce point. Dans le cas de la France, la préoccupation en
matière de transparence dans les contrats publics s’est développée après des scandales
de la fin des années 1980, grâce au rapport de la commission Bouchery aboutissant à
la loi du 29 janvier 199381, première étape de cette prise de conscience pour les
conventions de délégation de service public. Pour les marchés publics, la création de
la mission interministérielle d’enquête sur les marchés et le délit d’avantage injustifié
(loi du 3 janvier 1991) a été à l’origine de la mise en place de procédures de passation
strictes qui ont été affinées par les différents Codes des Marchés Publics de 1964 à
2006. Enfin, la loi portant « Mesures Urgentes de Réformes à Caractère Économique
et Financier » (MURCEF) du 11 décembre 2001 a achevé le cadre réglementaire
national.
Mais, c’est, véritablement, sous l’influence communautaire que s’est imposée,
en France, cette exigence de transparence dans les contrats publics internationaux,
illustrée par la volonté d’assurer des passations plus objectives avec des critères
d’attribution précis.
Sur le plan international, on a assisté à deux initiatives différentes, l’apparition
de recommandation, de communication ou de références à la notion de transparence
dans les conventions internationales, et le développement d’exigences de transparence
dans les procédures passées directement ou financés par des organismes
internationaux, comme l’ONU, la BM ou le FMI.
1- Les exigences de la transparence, une voie très prometteuse dans la lutte contre la
corruption :
81 Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques
65
Le rapprochement dans l’article 1er de la loi de 1993 relative à la prévention
et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques entre, les délits
de corruption et assimilés et les principes fondamentaux de la libre concurrence, n’est
pas anodin.
La lutte contre la corruption dans les contrats publics s’est développée en droit
interne, essentiellement, autour de la notion de transparence dans les procédures de
passation des contrats publics82. L’exemple de la France n’est pas une exception, au
contraire, il est représentatif des efforts qui ont été consentis pour assainir l’attribution
de ces contrats.
Ainsi, Josette Hervet, juge que la recherche et l’amélioration de la
transparence doivent être des démarches permanentes du législateur. Celle-ci doit être
à l’origine de toutes les dispositions apportées aux procédures des contrats publics83.
Elle souligne que celles-ci doivent êtres claires. Si elles devaient être sujettes à
interprétations, le risque serait double pour les contrats publics. Tout d’abord, le
manque de clarté ne peut qu’être source d’insécurité juridique. Et ensuite des
procédures qui n’imposeraient pas clairement des obligations en termes de
transparence seraient un foyer à corruption et à fraude.
Cette exigence de transparence impose aux organismes internationaux à veiller
à ce que les règles de passation ne soient ni trop complexes ni trop simplistes. En
effet, comme nous l’avons vu, des dispositions trop complexes favorisent la
corruption en laissant des zones d’ombres propices à la fraude.
Un autre point fondamental en matière de transparence est l’exigence de
publicité des procédures de marchés. Le but est de permettre une meilleure
information des entreprises et de s’assurer que chaque étape de la procédure, du
lancement à la signature du contrat, soit soumise au contrôle public.
82D. LINOTTE et R. ROMI, Services publics et droit public économique, Litec édition du jurisclasseur, 2003, 5éme édition, p. 380 83 J. HERVET, op. cit.
66
En outre, il s’agit de rendre les informations plus accessibles à tous, pour
limiter le risque d’avantage dont pourraient bénéficier certaines entreprises et réduire,
ainsi, le risque de clientélisme.
Toute information sur l’offre est génératrice de distorsion de concurrence en
donnant un avantage certain à celui qui l’obtient pour préparer son dossier de
candidature. C’est en ce sens, que ces informations représentent un danger susceptible
de donner lieu à corruption.
Les entreprises évincées doivent également pouvoir apprécier les raisons pour
lesquelles elles n’ont pas été retenues. La publicité et la communication doivent êtres
étendues au maximum.
Enfin, favoriser la collégialité, prévoir une possibilité de recours efficace en
cas de doute sur l’attribution du marché comme le référé précontractuel, améliorer le
conseil technique et juridique ou la formation des fonctionnaires sont également des
moyens pour parvenir à la transparence.
Pour Benoît Chevauchez, la transparence est une voie très prometteuse.84Tout
d’abord, elle favorise la pression du citoyen et de l’opinion publique sur
l’administration, ce qui tend à la responsabiliser dans ses choix et donc représente un
outil efficace de lutte contre la corruption.
Son deuxième atout est de faciliter le travail de répression en permettant à
toutes les décisions d’apparaître clairement.
Enfin, elle oblige l’administration à adopter sa décision sur la base de critères
objectifs comme le prix, la qualité des matériaux ou encore les exigences de
développement durable. Elle permet, donc, une gestion plus efficace et plus efficiente
des deniers publics.
Ainsi, tout le processus d’adoption de la décision doit être transparent en
incluant les études et réflexions préalables, la décision, ses motivations et
justifications.
84 Benoît CHEVAUCHEZ, op. cit., p. 93
67
Cependant des conséquences négatives de transparence existent, notamment,
la pression des medias qui peut altérer la pertinence des comportements et décisions
des gestionnaires publics, ou encore le risque de procédure trop longue et complexe à
mettre en œuvre.
Quoi qu’il en soit, selon Benoît Chevauchez, la transparence permet de « lier
éthique et modernité » dans les procédures de passation des contrats publics
internationaux.
Cependant, pour que la transparence ait un impact sur la lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux, il faut nécessairement développer
une harmonisation des règles de passation au niveau international.
2- Les exigences de transparences au niveau international :
À la différence du droit international privé qui a multiplié les efforts et qui a
mis en place un cadre juridique pour la formation de contrats privés à échelle
internationale, aucune harmonisation du droit des contrats publics n’a permis de
parvenir à un cadre juridique international sur les procédures de passation des contrats
publics internationaux.
Quelques initiatives existent, cependant. Ainsi, depuis 1993, l’ONU, grâce aux
travaux de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
(CNUDCI), a mis en place une ébauche de cadre pour accompagner la passation des
contrats publics internationaux. En outre, l’OCDE organise régulièrement des tables
rondes autour du thème de l’achat public.
On peut relever trois formes d’initiatives en matière de droit des contrats
publics internationaux, chacune relevant de réalités juridiques différentes.
La première initiative est celle des grandes organisations internationales
(ONU, OCDE et OMC). Elles ont cherché à instaurer un cadre juridique et une
harmonisation des procédures de passation, mais cette tâche semble compliquée à
réaliser en raison, comme nous le verrons, de l’absence de caractère contraignant de
ces réglementations.
68
La deuxième démarche relève de la même logique, mais a une portée moins
universelle. Il s’agit des initiatives régionales d’harmonisation des règles de passation
qui visent, à un niveau local, à la création d’un cadre juridique, première étape vers
une équivalence internationale des procédures.
Enfin le troisième point concerne les exigences des organismes de
financements dans les procédures des opérations qu’ils financent comme c’est le cas
des opérations de la BM.
a) Les initiatives des organisations internationales :
Outre le fait que les conventions anti-corruption soulignent de manière
succincte la nécessité de mettre en place des procédures transparentes, deux
dispositions d’envergure en la matière méritent d’êtres relevées. Ce sont l’accord sur
les marchés publics de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et les loi-types
de la CNUDCI. L’OCDE joue également un rôle dans cette volonté d’instaurer une
plus grande transparence dans les procédures de passation en veillant par son action à
ce qu’elle soit respectée.
La CNUDCI a adopté le 16 juillet 1993, une première loi type sur les marchés
publics de fourniture et de travaux, celle-ci a été modifiée le 15 juin 1994 pour y
intégrer spécifiquement les marchés de services. Son objet est d'aider les États à
réformer et moderniser leurs législations sur les procédures de passation des marchés.
Elle contient des règles procédurales conçues pour assurer la concurrence, la
transparence, l'équité et l'objectivité dans le processus de passation des marchés, et en
accroître, ce faisant, l'économie et l'efficacité. Son objectif est de permettre aux États
ne disposant pas de législation de passation de prendre exemple sur celle-ci.
Enfin des sessions sont organisées régulièrement au sein de la CNUDCI pour
apporter des révisions à ce texte, la dernière en date est la onzième session, elle s’est
tenue à New York du 21 au 25 mai 2007
Pour ce qui est de l’Accord sur les Marchés Publics (AMP), il faut tout
d’abord relever que les contrats publics n’ont, pendant longtemps, pas fait partie des
priorités de l’OMC.
69
Cependant s’étant aperçue des effets restrictifs sur les échanges internationaux
du caractère discriminatoire des procédures de passation, l’organisation est intervenue
pour y remédier.
C’est lors du Tokyo Round qu’ont été entreprises des négociations
commerciales en vue d’appliquer aux marchés publics des règles convenues au niveau
international. Le premier accord sur les marchés publics est entré en vigueur en 1981.
Il a par la suite été modifié par une nouvelle version entrée en vigueur en 1988.
Enfin, durant le Cycle d'Uruguay, les Parties à l'Accord ont mené des
négociations pour étendre la portée et le champ d'application de l'Accord. Celles-ci
ont donné lieu à l’adoption de l'Accord sur les Marchés Publics (AMP) signé à
Marrakech le 15 avril 1994 et entré en vigueur le 1er janvier 1996. Il est, pour l’heure,
en phase de renégociations, un projet a été édité et la version définitive devrait bientôt
être rendue publique.
L'AMP est l'un des accords plurilatéraux signifiant que seules les parties
l’ayant ratifié y sont tenues.
Cet accord, s’il ne vise pas directement le problème de la corruption, établit un
cadre convenu de droits et d'obligations, dont le but est un traitement non
discriminatoire et transparent des candidatures dans les marchés publics, il y fait donc
référence indirectement.
Ainsi, par exemple, pour ce qui est des marchés visés par l'Accord, les
gouvernements-parties sont tenus d’accorder aux produits et services de toute autre
Partie à l'Accord et à ses fournisseurs, un traitement "qui ne sera pas moins favorable"
à celui qu'elles appliquent à leurs produits, services et fournisseurs nationaux et de ne
pas exercer de discrimination (article III:1).
L'Accord attache, en outre, une grande importance aux procédures destinées à
assurer la transparence des marchés publics. Il contient un certain nombre
d'obligations détaillées en matière de procédure que les entités contractantes sont
tenues de respecter pour garantir l'application effective de ses principes fondamentaux
(articles VII à XVI). Il s’agit d’obligations en termes de publicité (publication d’un
avis d’appel d’offre), de délai ou de forme, par exemple, l’adjudication du marché ne
pourra se faire que sur la base de critères préalablement établis.
70
Cependant, l’AMP rencontre de nombreuses limites. Son champ d’application
est variable et dépend de la volonté des États-parties. Ceux-ci en déterminent les
conditions d’application, en fixant les seuils ou en posant des réserves à son
application, comme c’est le cas des Etats-Unis avec la discrimination positive des
petites entreprises.
Enfin, comme Rahaël Apelbaum le souligne, l’AMP ne regroupe aujourd’hui
presque que des pays du Nord, les pays émergents semblent encore réticents à ouvrir
leurs marchés publics et à signer cet accord, ce qui ne lui donne qu’une portée
limitée85.
Le renforcement de la transparence fait également partie des objectifs de
l’OCDE dans sa lutte contre la corruption en mettant l’accent sur la notion de bonne
gouvernance. Pour parvenir à cette fin, elle a mis au point un guide pratique pour
aider les organismes publics à prévenir et détecter les actes de corruption dans le
processus de passation des marchés publics. Son but est d’améliorer les normes de
transparence et de responsabilité. En fait, les parties membres à la convention de
l’OCDE examinent les conditions de passation des appels d’offres et les sanctions
dont sont passibles les attributions frauduleuses et des tables rondes sont
régulièrement organisées sur ce sujet.
Ces trois initiatives si elles représentent une étape importante dans
l’instauration de procédures de passations transparentes restent, cependant, limitées
dans leur portée et aucune de ces démarches n’a véritablement de caractère
contraignant. C’est donc au niveau régional que cette quête de transparence dans les
procédures de passation des contrats publics internationaux semble devoir se faire.
b) Les initiatives de transparence dans les procédures de passation des contrats
publics au niveau régional :
85 Raphaël APELBAUM, op. cit., p.42
71
L’ALENA qui est un accord établi entre le Canada, les Etats-Unis et le
Mexique en 1992 comprend un chapitre entier consacré aux marchés publics86. Mais,
c’est surtout l’Union européenne par l’application de ses directives qui a l’impact le
plus important sur les procédures de passation et donc sur la lutte contre la corruption.
Ainsi, la Communauté Européenne s’est dotée d’une législation visant à
coordonner les règles nationales, et a imposé des obligations concernant la publicité
des appels d’offres et l'objectivité des critères d'examen des soumissions.
Son objectif est de tendre à la simplification et à la coordination des
législations relatives aux marchés publics. Elle est parvenue à imposer une certaine
harmonisation en adoptant, tout d’abord, quatre directives (92/50/CEE, 93/36/CEE,
93/37/CEE et 93/38/CEE). Puis trois de ces directives ont été fusionnées aux fins de
simplification et de clarification dans la directive 2004/18/CE sur les marchés publics
de travaux, de fournitures et de services, et dans la directive 2004/17/CE, modifiée
par la directive 2005/75/CE, sur les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et
des services postaux.
Les procédures de passation des États membres doivent respecter les principes
du droit communautaire en matière de transparence, de non-discrimination, de
concurrence, de libre circulation, de confidentialité et d'efficacité.
La jurisprudence communautaire a également joué un rôle important dans
cette perspective avec notamment l’arrêt « Teleaustria » du 7 décembre 2000 de la
Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) en déclarant que, même en
dessous des seuils d’appel d’offres, les entités adjudicatrices devaient respecter les
règles fondamentales des traités, parmi lesquelles figure le principe de non-
discrimination et l’obligation de transparence87.
Ces dispositions sont le seul exemple de législation internationale ayant réussi
de manière concrète à imposer une procédure transparente dans les contrats publics
internationaux.
c) Les apports des organismes d’aide au développement et de financement en matière
de transparence :
86 Chapitre 10 du NAFTA 87 AJDA 2001, pp. 110 et s.
72
On peut citer, tout d’abord, le cas du FMI. Celui-ci, tout en restant axé sur les
aspects de la gestion publique qui pourraient avoir une incidence macroéconomique
importante, agit pour promouvoir le plus possible de transparence dans les contrats
publics internationaux.
Cependant, l’initiative la plus aboutie de promotion de la transparence est
celle de la Banque Mondiale qui a mis en place une réglementation précise et efficace
pour les opérations qu’elle finance.
La Banque par ses directives « marchés publics » veille à imposer des règles
communes de passation lorsqu’elle estime que les règles nationales ne sont pas aptes
à assurer suffisamment de transparence. Ainsi sa réglementation est appliquée dans la
grande majorité des opérations qu’elle finance et elle met en place une assistance
juridique pour veiller à leur application et améliorer les législations existantes dans
ces pays.
Les objectifs de la Banque mondiale sont la non-discrimination, l’équité et la
transparence.
Grâce à sa directive verte (directive consultant pour les services de prestations
intellectuelles) et à sa directive rouge (directive marchés pour les biens, travaux et
simples services), la banque mondiale a réussi à imposer « une réglementation claire,
succincte et efficace pour assurer la transparence dans la passation des marchés
publics »88.
Elle a mis en place un appel d’offre international qui prévoit une procédure
précise dans l’opération d‘achat public, mais a également prévue des procédures plus
restreintes (appel d’offre international restreint ou national, procédure de consultation
des fournisseurs). De plus, elle encourage l’attribution à « l’offre évaluée globalement
comme la moins disante » avec une prise en compte de critères non financiers.
Enfin, outre l’efficacité et la nécessité d’une plus grande transparence dans les
procédures de passation des contrats publics, d’autres outils ont été développés pour
prévenir la corruption.
88 Raphaël APELBAUM, op. cit., p.43
73
B- Les outils de responsabilisation par l’éthique des acteurs des contrats publics
internationaux :
On peut relever principalement deux outils « éthiques » qui se sont développés
en matière de corruption et qui touchent le domaine des contrats publics.
1- Les codes d’éthique ou de bonne conduite, des outils de responsabilisation :
La première tendance est celle du développement des codes dits d’éthique ou
de bonne conduite. Ainsi, depuis quelques années, on a pu voir les grandes
organisations internationales adopter des documents en matière de contrats publics
internationaux qui consacraient une part importante à l’éthique.
Cette préoccupation répond à la volonté de responsabiliser le comportement
des individus en s’engageant à faire respecter certains grands principes moraux
comme l’éthique, la justice, la transparence ou le refus de la transparence.
Ces objectifs sont consignés dans des chartes, des guides de bonnes pratiques
ou des codes de bonne conduite, mis en œuvre au sein d’entreprises privées comme
publiques ou au sein d’organismes internationaux.
Avant de se développer dans le secteur public, cette démarche avait trouvé
écho dans les entreprises du secteur privé qui démontraient, avec ses codes, leurs
volontés d’intégrer une plus grande éthique dans le milieu des affaires.
Si, comme Jean-Pierre Bueb le souligne, on peut avoir certains doutes sur la
réelle motivation des entreprises qui ont adopté ces codes et sur leur efficacité, le fait
même que ces codes visent un assainissement des relations commerciales peut être
perçu comme un progrès plutôt que comme un inconvénient89.
En outre, ces codes sont vus par les organisations internationales comme un
moyen efficace pour informer, sensibiliser et responsabiliser les responsables aux
enjeux de leurs prises de position. Elles font donc une promotion importante de ceux-
ci auprès des entreprises internationales qui ont tout intérêt à les adopter pour
89Jean-Pierre BUEB, « Commande publique et code d’éthique, de déontologie ou de conduite », p. 28, Contrats publics, n° 57, juillet/ août 2006
74
convaincre leurs partenaires et leurs consommateurs de leur honnêteté et de leur
intégrité.
En matière de commande publique, les codes de bonne conduite s’inscrivent
dans la tendance vers plus de responsabilisation des acteurs des contrats publics. Ils
permettent de rappeler aux agents publics les exigences en termes de transparence,
d’objectivité et de recherche de l’intérêt général, tout en les responsabilisant plus
personnellement.
En ce sens l’OCDE définie les bonnes pratiques et élabore des normes pour
doter les pays d’une «infrastructure éthique solide ». Ainsi, une recommandation de
1998 concerne l’amélioration des comportements éthiques dans le service public, et
une recommandation de 2003 porte sur les lignes directrices pour gérer les conflits
d’intérêts dans le service public. Depuis l’adoption de cette dernière, 23 des 30 pays
membres de l’OCDE ont amélioré les normes prévues par leurs lois et leurs codes de
conduite et ont renforcé les mesures d’application visant à prévenir les conflits
d’intérêts.
En outre, Marc Frilet, indique que la Banque Mondiale souhaite dans le cas de
Madagascar que les personnes membre d’une commission d’appel d’offre respectent
un code d’éthique. Elle précise qu’ils doivent remplir leurs missions avec intégrité,
impartialité et indépendance. Le but est d’éviter tout risque de conflit d’intérêt entre
l’agent public et le candidat90.
2- Le système d’alerte éthique, un outil efficace à l’application délicate :
Le second moyen qui trouve à s’appliquer de façon croissante est le
mécanisme d’alerte éthique. Sujet particulièrement d’actualité car, en décembre 2005,
la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a accepté la
validité de ce dispositif après d’importants débats sur la conformité en droit français
d’un tel dispositif.
Le système d’alerte éthique renvoie en fait à la notion américaine de
« Whistleblowing», il s’agit d’un mécanisme de dénonciation imposé aux entreprises
90 Marc FRILET, op. cit., p. 32
75
américaines pour que les employés qui ont connaissances de malversations puissent
prévenir les autorités compétentes.
Plus précisément, c’est la loi Sarbanes-Oxley du 30 juillet 2002 qui impose
aux sociétés cotées aux Etats-Unis et leurs filiales étrangères de mettre à la disposition
des salariés un dispositif de dénonciation des délits comptables et financiers dont ils
ont connaissance. En contrepartie de cette dénonciation, le salarié dispose d’une
certaine immunité dans le cadre des ses rapports avec son employeur
La question de la conformité du droit français avec un tel mécanisme s’est
posée après qu’une ordonnance de référé du Tribunal de Grande Instance de
Libourne du 15 septembre 2005 ordonne le retrait de ce dispositif au motif que « les
faits susceptibles d’être dénoncés n’étaient pas seulement de nature comptable ou
financière »91. En outre, la CNIL avait à juger de la conformité des mécanismes
d’alerte éthique mis en place dans les entreprises françaises par la loi informatique et
libertés.
Pour répondre à ces diverses interrogations, une mission a été lancée par
Gérard Larcher, Ministre délégué à l’emploi de l’époque. Celle-ci a donné un rapport
dit « Antonmattéi- Vivien » qui a été rendu public le 6 mars 2007 et qui en conclu que
ces mécanismes étaient acceptables.
Les interrogations qui entourent ce débat relèvent de profondes différences
culturelles entre la France et les Etats-Unis.
Cependant en dehors de ces différences culturelles, d’un point de vue plus
technique de nombreuses limites appellent des interrogations quant à la viabilité de ce
système. Ainsi, comme le fait remarquer Jean Pierre Bueb, l’absence de vraie garantie
pour l’informateur et pour l’accusé et le risque de calomnie et de faux témoignages
qui sont courants dans les milieux d’affaires sont les faiblesses de ce mécanisme92.
Le dispositif de Whistleblowing nécessite donc de fortes mesures de
protection. Paul-Henri Antonmattéi relève que ces systèmes ne sont ni juridiquement
ni moralement condamnables, mais qu’ils ne doivent demeurer qu’un moyen
91« Le whistleblowing, à propos de la licéité des système d’alerte éthique », La semaine juridique du droit social, n° 17, 18 octobre 2005 92Jean Pierre BUEB et Arnaud MAILLE, « Le service central de prévention de la corruption », contrats publics n° 57, juillet/ août 2006, page 53
76
complémentaire de collecte d’information93. Il est, ainsi, nécessaire de prévoir un
cadre juridique efficace et de limiter ce mécanisme à la dénonciation des actes les
plus graves. Enfin, il propose d’intégrer des dispositions protégeant le donneur
d’information en droit français.
En outre, l’administration française dispose déjà d’un mécanisme comparable,
l’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale qui fait effet de dispositif de
dénonciation en posant une obligation pour les agents publics d’informer le procureur
de la République des faits délictueux dont ils ont connaissances.
La loi du 15 novembre 2001 dite « loi relative à la sécurité au quotidien » a
fait rentrer dans notre droit le mécanisme de dénonciation anonyme (articles 706-57 à
706-60 du code de procédure pénale) pour les crimes et délits punis d’au moins trois
ans d’emprisonnement (loi Perben II) ce qui est le cas de la corruption.
Ce type de système tend, donc, à se développer et a déjà été mis en place par
le Département Intégrité de la Banque Mondiale qui encourage les dénonciations
anonymes par téléphone, téléfax ou mail.
Après une phase d’expérimentation, un programme de « repentance » ou
« révélation » volontaire (Volontary Disclosure System) a été mis en place le 1er août
2006 par la Banque Mondiale. Il consiste à suggérer à des entreprises, des
organismes, des individus associés à la réalisation des projets financés par la Banque,
d’avouer leurs pratiques frauduleuses ou corruptrices et de les astreindre au respect
d’un code de bonne conduite en échange de la levée des sanctions auxquelles leurs
comportements les exposeraient.
C- L’importance des autorités administratives indépendantes dans la lutte contre la
corruption :
En matière de prévention une initiative efficace et qui devrait tendre à se
généraliser au niveau international est celle du service central de prévention de la
corruption instaurée par la loi du 29 janvier 1993 dite loi sapin.
93Entretien avec Paul-Henri ANTONMATTEI « Whistleblowing : la publication du rapport antonmattéi-vivien », lettre de la transparence, n°32, mars 2007, p.5
77
Le service central de prévention de la corruption (SCPC) est une particularité
française, sa mission consiste à prévenir et endiguer le phénomène de corruption.
Le SCPC est un service interministériel (police judiciaire, chambre régionale
des comptes, impôts, douane, concurrence, justice, corps préfectoral, gendarmerie)
qui est dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire. Ses membres sont liés par le
secret professionnel.
Ses trois missions sont la centralisation des informations concernant les faits
de corruption, l’apport aux autorités judiciaires de son concours pour constituer des
dossiers et donner des avis à diverses autorités administratives. En outre, il forme à la
prévention de la corruption et à la détection des infractions liées à la corruption.
Sur le plan international, il participe activement à la lutte contre la corruption.
Enfin il travaille au développement d’une politique de sensibilisation auprès des
entreprises.
Il répond à des avis, participe à des groupes de travail sur la lutte contre la
corruption ou sur la fonction d’acheteur public, et travaille en étroite collaboration
avec les fonctionnaires des différents services.
Cependant, il ne dispose pas de pouvoirs d’investigation jugés
inconstitutionnels par le Conseil Constitutionnel, c’est donc un service dédié à la
prévention de la corruption.
Selon Jean Pierre Bueb et Arnaud Maillé, le SCPC est de plus en plus sollicité
à l’étranger comme en France, et fort de son expérience, il est devenu un véritable
laboratoire du phénomène de corruption94.
Le rôle de ce service peut être apparenté à celui que remplit l’ONG
Transparency International, et l’on trouve également une Autorité Administrative
Indépendante (AAI) chargée de la lutte contre la corruption au Canada avec le
commissaire à l’éthique.
Cependant, à part de manière exceptionnelle dans le cas du scandale pétrole
contre nourriture, pour lequel une commission d’enquête indépendante présidée par
Paul Volcker, ancien Président de la Federal Reserve des Etats-Unis, avait été
94 J.-P. BUEB et A. MAILLÉ, op. cit., page 52
78
instaurée, très peu de cas d’autorités administratives indépendantes ont été mis en
place au niveau international.
On peut, donc, regretter qu’il n’y ait pas, au niveau international comme au
niveau national, une généralisation et une institutionnalisation de cette démarche.
Section 2- Les moyens en aval, la répression dans la lutte contre la corruption dans les
contrats publics internationaux :
Après avoir étudié les différents moyens qui sont mis en place en amont pour
prévenir la corruption, nous étudierons dans cette partie les moyens en aval qui sont
utilisés pour réprimer la corruption.
On trouve plusieurs types de sanctions, des sanctions pénales, des sanctions
civiles ou commerciales.
Dans les marchés publics, les principales sanctions sont souvent limitées à
l’annulation du contrat en cours et à l’obligation de procéder à une nouvelle
consultation, dans les cas seulement où la réalisation du contrat n’est pas trop
avancée. Celles-ci ne présentent pas un risque majeur pour les entreprises incriminées,
c’est pourquoi les incriminations pénales ont tendu à se développer.
Les sanctions pénales prévoient généralement des amendes importantes et des
peines privatives de liberté. Elles sont, par conséquent, très efficaces et constituent,
comme nous l’avons vu, le centre d’attention de la plupart des conventions
internationales anti-corruption. Les efforts d’harmonisations des incriminations et des
sanctions pénales à l’échelle internationale sont donc bien engagés.
Ainsi les conventions de l’OCDE ou la convention du Conseil de l’Europe
sont très précises sur le processus d’incrimination des pratiques corruptives, et les
sanctions prévues tendent à êtres de plus en plus sévères et vont, dans certains cas,
jusqu’à sanctionner l’intentionnalité de la corruption.
Cependant, les sanctions pénales présentent de nombreuses difficultés de mise
en œuvre. Les procédures sont longues, complexes et se heurtent au problème de leur
application à ce phénomène transnational. Ainsi se posent les questions de
l’extradition ou encore de leur application à l’étranger en raison du critère de
territorialité du droit. En outre, la mise en œuvre de ces sanctions souvent privatives
79
de libertés nécessite certaines compétences et prérogatives judiciaires que la plupart
des organisations internationales n’ont pas.
Si les sanctions pénales apparaissent comme un excellent outil de lutte contre
la corruption au niveau interne, le résultat est différent au niveau international où elles
ne semblent pas êtres aussi efficaces.
Une solution intéressante semble être celle des sanctions commerciales.
Celles-ci consistent, non pas à s’en prendre aux droits civiques du corrupteur mais à
ses droits « commerciaux ».
Elles se traduisent souvent par une exclusion de l’entreprise de la procédure de
passation et par son inscription sur une liste noire qui lui interdira de se porter
candidate aux prochains appels d’offre.
Ces types de sanctions sont particulièrement intéressants dans les contrats
publics internationaux car les sommes en jeu sont très importantes.
Ces sanctions ne nécessitent pas de détenir de prérogatives judiciaires, ainsi
des organismes internationaux qui en sont complètement dépourvus peuvent prendre
ces sanctions en décidant d’exclure les entreprises de leurs contrats.
Si pour ces organismes multilatéraux le choix ne s’est pas véritablement posé,
ceux-ci n’ayant aucune compétence ni légitimité judiciaire pour prendre des mesures
d’ordre pénal, ces sanctions commerciales se sont montrées être d’excellents outils de
traitement de la corruption.
Le système de sanction commerciale le plus abouti en matière de lutte contre
la corruption dans les contrats publics internationaux est celui qui a été mis en place
par la Banque Mondiale. Nous consacrerons donc une première partie au détail du
fonctionnement de ce système.
Puis nous étudierons un aspect bien particulier des sanctions commerciales
mises en place au niveau des contrats publics internationaux avec la question des
listes noires qui sont un moyen de plus en plus usité pour sanctionner et prévenir le
risque de corruption.
A- La mise en œuvre des sanctions commerciales contre la corruption dans le cadre
de la Banque Mondiale :
80
La lutte contre la corruption dans le cadre de la Banque Mondiale a commencé
de manière concrète en 1996. C’est à ce moment-là qu’a été mis en place le premier
système de sanction commerciale contre les entreprises à l’origine de faits de
corruption.
Le cas de la BM est très intéressant car il s’agit du système le plus complet de
sanction de la corruption à l’échelle internationale.
1- Le processus de sanctions commerciales de la Banque Mondiale :
Le processus de sanction normalisé en 2001 prévoit qu’à l’issue d’allégations
de fraude ou de corruption, le Département Intégrité conduit une enquête qui pourra
aboutir, si les allégations se confirment à la transmission au secrétariat du Comité des
sanctions d’un « avis d’ouverture d’une procédure d’exclusion ».
Le secrétariat après l’avis du Président du Comité des Sanctions et du General
Counsel transmet l’avis aux personnes visées.
Après avoir connaissance de l’avis, les personnes concernées disposent d’un
délai de recours de 90 jours pour contester les faits et fournir les éléments pour les
disculper.
La réponse du département intégrité se fait en 30 jours. Enfin l’avis et les
éléments fournis sont transmis au Comité des sanctions.
L’entreprise visée dispose d’un droit de s’exprimer devant le Comité des
sanctions, elle dispose également de la possibilité de se faire représenter.
Puis le Comité des sanctions examine à huis clos les différents éléments, enfin
il propose au président de la Banque une sanction d’exclusion temporaire ou
définitive et dans les cas les moins graves une simple lettre de réprimande.
Le président était auparavant libre de suivre la recommandation.
Ce système initial a été réformé en 2002, par le biais des directives sur la
passation des marchés financés par la Banque. Désormais c’est l’officier évaluateur et
le Sanction Board qui sont compétents pour déterminer les sanctions qui doivent
s’appliquer.
2- Les apports de la réforme du processus de sanction :
81
En 1996, la Banque avait identifié deux types d’infractions, la corruption et les
manœuvres frauduleuse. Et en 2004, elle a décidé d’élargir le champ d’incrimination
de ces deux notions.
Ainsi les définitions de fraude et de corruption ont été étendues aux cas
indirects (par exemple par l’intermédiaire d’un proche). Enfin sont désormais
assimilées à de la fraude les collusions entre soumissionnaires ainsi que les pressions
et les menaces sur les personnes en vue d’influer sur le cours de la passation.
La banque a procédé à un durcissement des sanctions en étendant également
leur champ. Ainsi, une entreprise qui sera exclue du processus de passation des
marchés de la Banque le sera pour toutes les institutions de la Banque.
En outre, Jean-Jacques Verdeaux relève que des enquêtes ont démontré une
différence de degré d’implication et de responsabilité dans les différents cas de
corruption qui n’était pas répertoriée dans l’échelle de sanction95.
Dans ce cadre a été prévue la possibilité pour certaines personnes poursuivies
à un moindre degré de responsabilité de se « racheter ». Il s’agit du principe
« d’exclusion probatoire », en somme l’exclusion ne s’applique qui si la personne
concernée ne prend pas immédiatement de mesures correctives appropriées.
Une autre disposition permet désormais de réduire la période d’exclusion si
l’entreprise en question démontre qu’elle a pris toutes les mesures pour que les actes
qui lui sont reprochés ne puissent plus se reproduire. Et il peut également être
demandé à la partie poursuivie de restituer les fonds à la victime, disposition
qu’exigent depuis quelques temps les pays en voie de développement.
Les sanctions prononcées par la Banque Mondiale ne sont que des sanctions
commerciales et en aucun cas des sanctions pénales, on aurait pu alors se poser la
question de leur efficacité. Cependant les retombées d’une exclusion sont très
importantes, quand on relève le montant des marchés.
Enfin, il est intéressant de noter que la Banque tend à avoir de plus en plus les
caractéristiques d’un pouvoir judiciaire.
95 Jean-Jacques VERDEAUX, op. cit., p. 53
82
B- Le mécanisme de la liste noire et ses limites :
Une autre sanction de type commercial, imaginée pour lutter contre la
corruption, et qui rejoint le principe d’exclusion des procédures de passation, est
l’inscription des entreprises coupables sur une « liste noire ».
Les entreprises ainsi désignées sont écartées des consultations et ne peuvent
plus obtenir de marchés publics pendant une durée déterminée. Généralement pour
une durée de trois à cinq ans.
Cette mesure a pour principal objet d’augmenter les risques encourus par les
entreprises qui commettent des actes de corruption pour obtenir des contrats publics et
ainsi dissuader les corrupteurs.
Outre le fait qu’elle sont des mesures extrêmement dissuasives, elle présente
l’avantage de pouvoir être communiqué et ainsi de faire une publicité négative aux
entreprises.
Une des difficulté majeures de la lutte contre la corruption est que les
entreprises ont souvent tendance à ne pas s’engager véritablement dans la lutte contre
la corruption mais multiplient les effets d’annonce pour tenter de donner une image
intègre d’elles-mêmes à leurs actionnaires et leurs clients. Ce problème se retrouve à
tous les niveaux de la lutte contre la corruption et les codes d’éthiques ne sont souvent
que prétextes pour rassurer et présenter l’entreprise sous un jour favorable. La liste
noire est une solution à ce phénomène en présentant un coût financier considérable et
un coût important en termes d’image pour l’entreprise incriminée.
1- Un outil qui tend à se généraliser :
Les listes noires font l’objet d’un consensus important en matière de lutte
contre la corruption. En ce sens, on peut par exemple, noter le cas du Groupe de
travail de l’OCDE sur les crédits et garanties de crédit à l’exportation (GCE) qui, en
novembre 2003, a publié un ouvrage sur « Les meilleures pratiques de dissuasion et
de lutte contre la corruption dans les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien
public ». Il s’agit d’un document qui relève les meilleures pratiques de lutte contre la
corruption. Une des mesures conseillées était d’exiger des sociétés qu’elles déclarent
83
si elles avaient été inscrites sur liste noire par une organisation multilatérale ou si elles
ont été jugées coupables de corruption par un tribunal.
Les listes noires sont une notion à la mode et tendent donc à se multiplier. Les
premiers cas viennent des Etats-Unis et ont montré des résultats très convaincants en
termes d’efficacité. En outre plusieurs organismes internationaux ont repris ce
mécanisme pour les marchés qu’ils passent comme c’est le cas pour la banque
mondiale.
2- Les limites et risques des systèmes de liste noire :
Selon Jean-Pierre Bueb, le système de liste noire présente des inconvénients.96
Tout d’abord il fait reposer sur l’entreprise des risques très importants alors que, dans
50 % des cas de corruption ayant donné lieu à une enquête, l’entreprise est plus une
victime d’une extorsion que l’instigateur de la fraude.
De plus, il relève que la notion d’entreprise à inscrire sur la liste noire diffère
d’un pays à l’autre, ainsi en Europe, toutes les entreprises participantes à la holding
peuvent être condamnées alors qu’aux Etats-Unis, seules les filiales à plus de 50%
dont le siége social est aux Etats-Unis peuvent l’être.
Enfin, il note que cette sanction débouche très souvent sur la liquidation de
l’entreprise dont le coût le plus lourd à supporter revient aux salariés qui perdent leurs
emplois alors qu’ils sont rarement responsables de la corruption.
Il en arrive à la conclusion que le système de liste noire est une fausse bonne
idée car, n’étant pas d’application suffisamment harmonieuse et précise, il ne s’en
prend pas de manière efficace aux auteurs du pacte de corruption.
Les listes noires présentent donc de nombreux effets pervers qui peuvent
présenter plus d’inconvénients pour la lutte contre la corruption que les avantages
qu’elles apportent.
96 Jean-Pierre BUEB, « La lutte contre la fraude et la corruption dans les marchés publics », Forum mondial de l’OCDE sur la gouvernance, « Partager les enseignements de la promotion de la bonne gouvernance et de l’intégrité dans les marchés publics », document de séance, 30 novembre- 1er décembre 2006 , p. 40
84
Ce dernier cas pose le problème de la difficile recherche de proportionnalité
entre la prévention et la répression de la corruption dans les contrats publics.
En outre, on peut s’interroger sur les limites de ces politiques de lutte contre la
corruption et le risque d’effets contre-productifs qu’elles présentent.
Enfin, Gary Becker dans sa théorie d’économie du crime a mis en avant une
difficulté supplémentaire à la présence d’une sanction en cas de manquement aux
règles d’attribution des contrats97.
Il a démontré que le prix de la sanction va déterminer le coût de transgression
de ces règles positives.
En somme pour qu’il y ait corruption, il faut que le profit de celle-ci soit plus
important que le coût de la sanction. Ce coût est fonction de la sévérité et de
l’effectivité des sanctions.
La création d’une sanction doit, par conséquent, être appréhendée avec
beaucoup de précautions, particulièrement en matière de sanctions commerciales. Si
celles-ci sont trop basses, le risque est que le coût de la corruption soit trop faible et
donc que la corruption soit favorisée. Il s’agira alors de fixer des sanctions qui, tout en
restant proportionnelle aux faits incriminés, soient suffisamment élevées pour êtres
efficaces.
97 G. BECKER, « Crime and punishment, an economic approach », Journal of political economy, n°76, 1968, pp. 169-217
85
Chapitre 2 - Les limites et perspectives de la lutte contre la corruption dans les
contrats publics internationaux :
À la lecture des indices de perception de la corruption de TI pour l’année
2006, on peut se demander si la lutte contre la corruption dans les contrats publics
internationaux n’est pas dans une impasse.
En effet, comme nous l’avons déjà relevé, les progrès enregistrés sont
extrêmement faibles et cela en dépit de la multiplication des initiatives et d’une
médiatisation très importante du phénomène.
Ils existent de nombreuses raisons qui expliquent ces blocages dans les efforts
de lutte contre la corruption. Des raisons structurelles qui tiennent plus au phénomène
de la corruption en lui-même et des raisons fonctionnelles, qui proviennent des
politiques mises en place.
Cependant, même si la lutte contre la corruption apparaît dans une phase
critique de son développement, il existe encore de nombreux efforts à fournir et de
nombreuses perspectives pour la rendre plus efficace.
En effet, il ne faut pas oublier que la lutte contre la corruption dans les
contrats publics internationaux est extrêmement récente et qu’il convient dès lors de
s’interroger sur les moyens de la relancer.
Section 1- Les limites et obstacles de la lutte contre la corruption dans les contrats
publics internationaux :
De même que la corruption est un phénomène complexe à aborder, les limites
et obstacles rencontrés relèvent de réalités diverses et variées.
On peut tenter de les classer en deux catégorie ; Les limites de fond, celles
inhérentes à la corruption et aux contrats publics internationaux et les limites que la
lutte contre la corruption, dans ces contrats, génère d’elle-même, qui sont les risques
d’effets pervers de ses initiatives.
86
Ainsi la corruption dans les contrats publics internationaux présente des
caractéristiques qui font que la lutte contre ce phénomène doit être abordé avec
beaucoup de précautions.
A- Les limites inhérentes à la corruption dans les contrats publics internationaux :
Une des limites importantes de la lutte contre la corruption dans les contrats
publics internationaux tient au caractère public des contrats dans lesquels ce
phénomène se développe. Ainsi le fait que ces contrats soient conduits par des
personnes publiques et soient un moyen d’exercice du pouvoir politique, conduis à les
considérer avec précaution car ils touchent au caractère souverain de l’Etat. Le fait
pour celui-ci d’autoriser l’intervention d’organismes internationaux ou de conventions
internationales est alors perçu comme une intervention extérieure qui ôte toute liberté
au « souverain » pour prendre les mesures qu’il juge utiles. Souvent ces politiques de
lutte contre la corruption sont considérées comme une forme d’ingérence.
En outre, accepter l’application de normes internationales signifie que l’État
accepte d’être lié par une règle juridique venant de la sphère supranationale.98
Un des premiers obstacles contre lequel il faut lutter est cette réticence des
Etats à mettre en place des outils de lutte contre la corruption et leur volonté de
conserver une souveraineté érigée au travers du principe d’ingérence.
Une illustration de ces difficultés est les précautions de vocabulaire qui ont été
prises dans la rédaction de la convention de l’ONU et qui semblent lui retirer toute
force contraignante: « d’une manière compatible avec les principes fondamentaux de
son système juridique », « dans toute la mesure possible dans le cadre de son système
juridique interne ». En outre, les dispositions qui apparaissent dès l’article 4 sur la
protection de la souveraineté, rappelant avec vigueur les principes de l’égalité
souveraine, de l’intégrité territoriale et de la non-intervention dans les affaires
intérieures d’autres États, révèlent les difficultés que peut rencontrer la lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux.
98 Raphaël APELBAUM, op. cit.
87
Un autre élément démontre la mauvaise volonté des États et la difficulté de
l’aspect souverain de l’attribution des contrats publics99. Jean-pierre Bueb argue que
si le cadre juridique et les législations existent, deux raisons explique la faiblesse des
progrès réalisés.
La première explication tient à la faiblesse des effectifs et le peu de moyens
mis en place par la plupart des pays pour combattre la corruption. La raison à ce
premier phénomène est que de nombreux États ne souhaitent pas mettre en place une
transparence totale de peur des retombées, des révélations qui pourraient être faîtes ou
encore de par les enjeux importants de ces contrats publics internationaux. L’affaire
récente de British Aerospace (BAE) en est un excellent exemple. En effet, le 15
décembre 2006, l’Attorney General de la Grande-Bretagne, Sir Peter Goldsmith, a
brusquement interrompu l’enquête judiciaire du Serious Fraud Office sur les
versements présumés de pots-de-vin par BAE Systems à la famille royale saoudienne
dans le cadre d’un contrat d’armement. En l’espèce la raison évoquée par le
gouvernement britannique est l’intérêt général. Comme le souligne Transparency
International dans sa dernière lettre de Transparence, cette décision a été prise en
dépit de la convention de l’OCDE dont la Grande-Bretagne est signataire.
Le risque pour les Britanniques de voir ces contrats remis en question
représente un enjeu financier trop important pour accepter de soumettre la totalité de
leurs contrats publics à un contrôle anti-corruption.
La seconde raison évoquée par M. Bueb, va dans le même sens, il relève ainsi
le manque de coopération entre les services et entre les pays pour échanger des
informations et combattre de manière efficace la corruption transnationale. Encore
une fois, on peut penser que les États ne sont pas enthousiastes à l’idée de voir des
juristes étrangers s’intéresser de trop prés aux attributions de contrats publics.
Enfin Sylvain Trifilio et Momtchil I. Karpouzanov font remarquer que les
contrats publics présentent une faiblesse très importante, la faiblesse des coûts de la
transaction corruptive par rapport aux coûts de monitorage100. Ainsi, selon eux, la
transaction corruptive présente un coût global, composé d’un coût d’information
99 Jean-Pierre BUEB, op. cit. , p. 40 100 Sylvain TRIFILIO et Momtchil I. KARPOUZANOV, op. cit., pp. 277 et s
88
(connaissance du marché, de la nature et de la qualité du service demandé et des
parties aux contrats) et d’un coût de dissimulation (coût du secret).
Or dans le cas des contrats publics, qu’il s’agisse de l’information ou de la
dissimulation, les coûts sont plus faibles qu’ailleurs ; les besoins sont clairement
identifiés et publiés et généralement les agents publics restent de manière stable au
même poste ce qui favorise les relations régulières. Le coût de la corruption serait
alors moins important dans les contrats publics, quant à l’inverse, la surveillance de
ces contrats serait extrêmement coûteuse en raison de leur nombre et de leur
complexité.
B- Les limites liées aux politiques de lutte contre la corruption :
Le premier effet pervers des moyens mis en place tient au fait que les
entreprises les détournent de leurs fonctions premières et les utilisent comme des
moyens pour lutter contre la concurrence.
Cet inconvénient se retrouve dans de nombreux domaines, ainsi en droit de la
concurrence, il n’est pas rare de voir des entreprises faire de fausses déclarations pour
porter atteinte à l’image de leurs concurrents et obtenir ainsi des contrats. Mais le
risque d’abus de ces mesures est accru dans un domaine comme les contrats publics
pour lesquels l’attribution doit se faire dans un délai très court.
Le professeur Laurent Richer a soulevé ce point dans le cas français avec la
question de l’utilisation du référé précontractuel dans les procédures de passation des
contrats publics. En effet, cet outil efficace pour prévenir les risques de fraude est
souvent détourné par les entreprises ayant perdu un marché pour retarder la
procédure, obtenir des informations sur les offres des concurrents et tenter par un
ultime moyen de remettre en question la passation en cherchant à la faire annuler.
On retrouve le même type de situation avec le mécanisme de whistleblowing,
souvent sujet à fausse dénonciation anonyme qui fait perdre du temps et de l’argent
aux organismes chargés de la lutte contre la corruption et qui nuît toujours même si
les déclarations sont fausses envers l’entreprise accusée.
89
La guerre économique que se livrent les entreprises est si importante que de
fausses preuves et de fausses déclarations sont souvent utilisées pour déstabiliser les
concurrents 101.
En outre, nombreuses sont les entreprises qui se servent des moyens de lutte
contre la corruption pour se donner une image positive sans pour autant joindre
l’action à la parole. On assiste ainsi à un vrai décalage entre le discours et la pratique.
Les démarches éthiques engagées par les grands groupes avec les codes de
bonne conduite sont en fait le prétexte à une publicité positive et à une mise en valeur
de l’activité de l’entreprise et sont un moyen de conserver ou d’acquérir de nouvelles
part de marché, sans donner lieu, forcément, à une véritable lutte contre la
corruption102.
De plus, ces codes sont un moyen efficace pour une entreprise de se
déresponsabiliser des faits de corruption que ses employés pourraient commettre.
Ainsi, en interdisant la corruption, la direction fait peser toute la responsabilité
de cette fraude à celui qui en a donné l’ordre ou à celui qui l’a exécuté sans que
l’entreprise en elle-même ne soit remise en question. Les entreprises sont alors de
plus en plus difficilement condamnables et leur responsabilité morale est très difficile
à mettre en jeu.
La détermination du choix des indices de perception de la corruption est lui
aussi problématique. Bien qu’il s’agisse d’un excellent moyen de mise en lumière du
phénomène de la corruption, la difficulté provient de la mauvaise utilisation qui
pourrait en être faîtes.
Victime de son succès, l'IPC fige les situations. Les pays bien classés vivent
souvent sur leur réputation. Par contre, les pays où sévit la corruption, mais qui
s'engagent dans des politiques volontaristes, avec les répercussions médiatiques qui
les accompagnent, peuvent donner l'impression que le phénomène est encore plus
grave qu'initialement.
101 Jean-Pierre BUEB, op. cit., p. 42 102 Jean-Pierre BUEB, « Commande publique et codes d’éthique, de déontologie ou de conduite », Contrats Publics, n° 57, juillet août 2006
90
En fait, un mauvais classement est un signal peu favorable vis-à-vis de la
communauté internationale, des investisseurs et des bailleurs de fonds institutionnels.
Enfin, la mauvaise interprétation par les médias de l'indice et du classement
plaide pour leur révision, afin qu'ils deviennent un outil vraiment utile à la lutte contre
la corruption.
Bien que dans un souci de transparence TI accompagne la publication de l'IPC
et de son classement d'un document expliquant la manière de les lire, le traitement
médiatique de l'événement tient rarement compte de ces précautions. Ainsi l'indice de
perception devient un indice de corruption. Par ailleurs, même en donnant les
informations sur la méthodologie et certaines sources, le contenu de l'indice demeure
pour le moins obscur pour de nombreux spécialistes.
De même, la variation de l'indice d'une année à l'autre pour un pays donné ne
permet pas de savoir s'il y a eu plus ou moins de corruption dans ce pays pendant
l'année écoulée, mais peut s'expliquer par une variation dans l'intervalle de la
confiance.
Ainsi Pierre-Christian Soccoja souligne que l'IPC simplifie à l'excès un
phénomène complexe et que le classement s'avère donc peu significatif103. Il estime,
en outre, que si l'IPC a été au début un formidable coup médiatique pour faire
connaître l'ONG et sensibiliser la communauté internationale sur les ravages
qu'engendre la corruption, le moment est peut-être venu de le repenser.
Un autre élément contre lequel se doivent de combattre les acteurs de la lutte
contre la corruption est le risque de complexification du droit applicable dans les
procédures et de passation et du risque d’illisibilité des différentes initiatives.
Le droit des contrats publics est complexe par nature en raison des enjeux dont
il est porteur. Or la complexité favorise les possibilités de fraudes. En multipliant les
normes au niveau international sans chercher à une refondation complète du droit des
contrats publics, le risque est grand de favoriser la corruption plutôt que de la
combattre.
De plus, pour parvenir à une lutte efficace contre ce phénomène, les agents
publics chargés d’appliquer ces procédures doivent êtres particulièrement bien
103 Christian SOCCOJA, « Un palmarès de la corruption ?», Le Monde, 6 novembre 2005
91
informés. La multiplication des règles applicables n’en favorise pas la compréhension
et la lisibilité, un effort semble donc devoir être consenti sur ce point.
La mise en place de celles-ci se heurte à un problème matériel. En raison du
peu de temps dont disposent les agents publics pour passer les contrats, les procédures
prévues sont alors très difficiles à respecter, ce qui semble encore favoriser des zones
d’ombres et présente un risque au regard d’infraction comme le délit de
« favoritisme ».
Ce dernier point nous renvoie à une autre problématique, le risque de voir
certaines infractions devenir criminogènes comme le délit d’avantage injustifié,
couramment appelé « délit de favoritisme ».
Ce délit a été instauré en droit français par l’article 7 de la loi n° 91-3 du 3
janvier 1991 sur la transparence et la régularité des procédures de marchés. Il prévoit
des peines allant jusqu’à deux ans de prison et 200 000 euros d’amendes pour le fait
que toute personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de
service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant une fonction de
représentant, administrateur ou agent public à porter atteinte aux règles garantissant
l’égal accès aux contrats publics sans qu’elle ne soit justifiée.
Hervé Isar soutient que « tout est trop vague, trop large ou inversement trop
précis ou trop étroit » dans cette infraction pénale104. Il met en doute l’efficacité
criminologique de cette infraction et pointe en outre le fait que celle-ci puisse devenir
« une fabrique à délinquants » en ayant transformé des irrégularités administratives
en infractions pénales et que la complexité des règles de passation et d’exécution des
contrats publics transforme chaque opérateur public « en délinquant qui s’ignore ».
Les pouvoirs publics doivent donc faire extrêmement attention, dans l’édiction
des sanctions, à respecter un principe de proportionnalité et à ne pas créer des
situations de corruption là où elles n’existent pas. Le risque étant de rendre la lutte
contre la corruption inefficace et illégitime.
Enfin il reste une dernière limite à la mise en place d’une lutte contre la
corruption, celle du risque de crispation éthique. Ainsi, Monsieur Jean-François
Mattéi, au cours d’un colloque organisé par la Faculté Aix-Marseille 3, a soulevé le
104 Hervé ISAR, op. cit., p.260
92
risque de crispation éthique d’une lutte contre la corruption en prenant pour exemple
le risque pour le patient en cas d’abus de médicament105.
Cette réflexion est intéressante car elle est représentative des réflexions
actuelles sur la lutte contre la corruption qui révèlent le risque d’un trop plein de
réglementation. On peut, également penser en ce sens aux multiples débats, qui ont
émaillés la vie de la Banque Mondiale sur les méthodes qu’elle utilise.
Cependant, s’il est vrai que l’on peut légitimement s’interroger sur l’avenir et
sur la tournure à donner à ce combat, nous verrons qu’il existe de nombreuses
réponses possibles et que ce risque de trop plein n’est pas partagé par tous.
Section 2- Les solutions pour relancer et rendre plus efficace la lutte contre la
corruption :
Des solutions pour l’avenir existent et certaines ont déjà été évoquées,
notamment avec le développement de sanctions commerciales ou d’outils de
prévention.
Transparency international joue un rôle très actif en la matière en proposant de
nouvelles pistes et soulignant les points qui restent à améliorer.
Ainsi, par exemple sur la question de la transparence, elle milite ardemment
pour instaurer une plus grande collégialité dans l’attribution des marchés pour
augmenter le nombre de décideurs et ainsi augmenter le coût de la corruption et
limiter les risques de collusion.
En outre, elle est à l’origine de nombreuses publications sur l’exigence de
traçabilité des flux financiers internationaux pour tenter d’enrayer leur fuite vers des
paradis fiscaux et permettre leur récupération, enjeux d’envergure pour les pays
émergents.
Parmi toutes les propositions qui sont faîtes pour améliorer la lutte contre la
corruption, nous en retiendrons deux qui semblent très importantes dans la recherche
d’efficacité. La première concerne l’amélioration, la modernisation et la
105 Intervention de J. F. MATTEI, in J.-Y. NAUDET, op. cit., p. 194
93
simplification des procédures de passation en vue de rendre leur application plus
rationnelle et plus rapide.
L’objet de cette démarche est d’optimiser les réglementations pour assainir les
relations contractuelles entre l’Administration et les entreprises.
La seconde peut apparaître comme le prolongement de la première et concerne
le développement plus accru de la coopération entre les acteurs des contrats publics
qui passe par un vrai travail de fond pour mettre en place de vrais partenariats entre
les entreprises et les organismes chargés de la lutte contre la corruption et des
échanges plus importants entre ces différents services.
A- La recherche de modernisation des procédures de passation :
Si l’on étudie les procédures d’achat public aux Etats-Unis ou à la Banque
Mondiale, on se rend compte qu’elles apparaissent bien plus simples et légères que la
réglementation française en matière de contrats publics. Or ces procédures n’en sont
pas moins exigeantes en matière de transparence, de non-discrimination et de respect
de la concurrence.
Raphaël Apelbaum, souligne ainsi que « moins de formalisme ne rime pas
forcément avec moins de clarté »106. On peut en déduire que moins de formalisme ne
rime pas automatiquement avec plus de corruption. Il relève que ces réglementations
rationalisées sont d’aller à l’essentiel sans s’embarrasser du superflu.
De plus, Florian Linditch argue que le respect nominal des textes organisant la
mise en concurrence n’a jamais garanti l’impartialité des décisions. Il dénonce ainsi la
tentation forte de pratiquer «le fétichisme procédural », c’est-à-dire de se considérer
en règle au motif d’avoir satisfait les exigences procédurales107.
Il convient donc de s’interroger en France et plus généralement en Europe sur
les moyens en œuvre pour simplifier le droit.
Ces nouveaux contrats et ces nouvelles approches du droit des contrats publics
peuvent êtres très bénéfiques pour la lutte contre la corruption et sont une solution très
106 Raphaël APELBAUM, op. cit., p. 50 107 Florian LINDITCH, Le droit des Marchés Publics, connaissance du droit Dalloz, 2006, 4éme édition, pp. 27-28
94
intéressante à développer si elles permettent de simplifier son application et de mieux
contrôler l’utilisation qui est faîte des deniers publics.
Cette préoccupation s’est cristallisée avec l’émergence de nouvelles formes
contractuelles dont l’objet est la rationalisation de l’achat public. On trouve, par
exemple, les partenariats publics privés, les marchés à bon de commande, le dialogue
compétitif, ou les nouvelles procédures électroniques de passation comme les
enchères électroniques ou les systèmes de qualification ou d’acquisition dynamique.
En outre des formes de groupement de commande se sont développés avec les
centrales d’achats, ou les procédés de coordination des achats au sein d’un pouvoir
adjudicateur ou entre plusieurs pouvoirs adjudicateurs.
En effet, un large consensus s’est formé autour de la nécessité de simplifier les
procédures de passation, de mieux définir les besoins, d’éviter les gaspillages et les
zones d’ombre et ainsi faciliter la lutte contre la corruption.
Il sera donc question d’étudier cette volonté de simplification des procédures
de passation et en quoi elle peut être porteuse de progrès dans la lutte contre la
corruption.
Puis, il conviendra de s’attarder sur les partenariats public privé, qui, parmi
tous les « nouveaux » contrats proposés, apparaissent comme une forme
particulièrement porteuse pour la lutte contre la corruption.
1- Une volonté de simplification et de rationalisation de l’achat public :
Cette quête passe par plusieurs solutions. Ces mesures visent une meilleure
définition des besoins et de nombreux mécanismes sont mis en place pour rendre
l’achat public plus transparent.
La première démarche concerne une volonté de mieux définir les besoins. En
dehors des initiatives visant à une meilleure formation des fonctionnaires ou à une
modernisation du fonctionnement de l’administration, une solution développée est la
mise en place de contrats ne définissant pas les besoins.
Le constat a été que dans certains cas, les besoins ne pouvaient pas êtres
quantifiés et que les exigences de l’article 5 du code des marchés publics de 2006 qui
prévoit une obligation de définition précise par le pouvoir adjudicateur de ses besoins
ne pouvaient pas être remplies. La volonté a donc été de prévoir des contrats publics
95
qui répondraient certes à certaines exigences de formes et de publicité, mais
permettraient à l’Administration dans un cadre déterminé de passer des marchés ou
des commandes au fur et à mesure.
On peut ainsi penser aux marchés à bon de commande, aux accords-cadres,
aux centrales d’achats, aux groupements de commande ou aux systèmes d’acquisition
dynamique. L’objet de ces contrats est d’encadrer des passations pour lesquelles les
caractéristiques quantitatives et qualitatives de l’achat public ne sont pas clairement
déterminées et de permettre aux personnes publiques de s’approvisionner plus
rationnellement par une massification et une standardisation de l’achat public et de
gérer, ainsi, l’incertitude financière ou technique.
Ces types de contrats imposent une certaine transparence et permettent non
seulement d’économiser de l’argent, mais aussi une plus grande rapidité
d’approvisionnements.
Cette démarche qui ne concerne pas directement la question de la corruption
est intéressante en ce qu’elle vient s’inscrire dans un processus global de
modernisation et de clarification de ce droit souvent opaque.
Une autre solution concerne la question de l’informatisation des procédures de
commande publique. Les objectifs de la dématérialisation des procédures de passation
sont triples ; permettre une réduction des délais, permettre les enchères électroniques
et mettre en place des systèmes d’acquisition dynamique.
Ce recours aux ressources électroniques soulève de nombreuses interrogations,
certains la considèrent comme trop élitiste, les moyens pour la mettre en place de
manière fiable étant très coûteux. Il est vrai que l’on peut se poser des questions sur
son application dans les pays en développement.
En outre de nombreuses questions restent en suspend, notamment sur la
question de la signature électronique.
Pourtant malgré ces réticences, ces procédures sur l’effet de textes
internationaux comme l’AMP tendent à se développer, preuve s’il en est de cette
volonté de reforme du droit des contrats publics internationaux.
Le droit des contrats publics tend à s’affiner et à poser un contrôle accru du
respect de la transparence et du principe d’égal accès à la commande publique, tout en
prévoyant des procédures plus efficaces, plus simples et plus rapides.
96
Enfin, on peut noter que cette démarche, sous l’influence des directives
communautaires 2004/17 et 2004/18, s’est imposée en France et s’est cristallisée
avec la mise en œuvre du code des marchés publics de 2006 qui vise des objectifs de
performance et d’efficience de l’achat public (art. 8 et 9) et normalise le recours à ce
type d’outils108.
Celui-ci impose dans son article 1 des principes généraux de la commande
publique. Il s’agit de la liberté d’accès, la transparence et l’égalité de traitement ;
Ceux-ci doivent permettre de répondre aux exigences communautaires en termes de
concurrence et de non-discrimination et ceci même en dessous des seuils de publicité.
En outre, comme nous l’avons vu, le droit communautaire, par la
jurisprudence « Teleaustria » impose une obligation de non-discrimination qui trouve
à s’appliquer également en dessous des seuils communautaires.
Ces principes généraux du droit marque le passage d’une obligation de moyen
(le respect des procédures) à une obligation de résultats (créer les conditions d’accès
optimales à la commande publique). Pour Florian Linditch, la modernisation de la
commande publique passe non pas dans le perfectionnement constant des
« procédures reines », mais dans la consolidation des principes fondamentaux de
l’achat public109.
2- Les Partenariats Public Privé, un outil d’amélioration des relations contractuelles
bénéfique à la lutte contre la corruption :
Une question intéressante sur ce point est l’impact des partenariats Public-
Privé sur la lutte contre la corruption. Nous l’avons vue, la Commission Européenne
est très active sur ce point et la rationalisation des procédures de passation en vue de
les simplifier et de les harmoniser dans l’espace communautaire est une de ses
priorités.
Cette volonté s’est matérialisée en France avec la loi du 2 juillet 2003
habilitant le gouvernement à simplifier le droit. Celle-ci a donné la possibilité à la
France de « créer de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes
publiques ou des personnes privées chargées d’une mission de service public pour la
108 « Code 2006 des marchés publics, Panorama de la réforme », Revue Contrats Publics, septembre 2006, numéro spécial 109 Florian LINDITCH, Op. Cit., p. 28
97
conception, la réalisation, la transformation, l’exploitation et le financement
d’équipements publics, ou la gestion et le financement de services, ou une
combinaison de ces différentes missions ».
C’est ainsi qu’ont été introduits en droit français les partenariats Public- Privé
(PPP), ceux-ci ont fait l’objet d’une réglementation d’ensemble avec l’ordonnance n°
2004-557 du 17 juin 2004 prise en vertu de cette loi.
Ce système s’inspire du système de PFI (« Private Finance Initiative ») en
vigueur en droit anglo-saxon et dans de nombreuses organisations multilatérales
comme l’Organisation des Nations Unies.
L’objet de ces contrats est de confier au cocontractant une mission globale et
de lui faire supporter le financement d’équipements publics.
Ces derniers répondent parfaitement à la volonté actuelle d’associer plus
profondément les entreprises privées à la réalisation des contrats publics et s’inspirer
des méthodes du privé pour améliorer l’efficacité de l’achat public.
En outre, ils sont bénéfiques en ce qu’ils s’inscrivent dans la volonté de
s’appuyer davantage, à l’avenir, sur les acteurs privés pour lutter efficacement contre
la corruption.
B- La recherche de coopération accrue entre les acteurs des contrats publics
internationaux : la notion d’auto régulation :
Si les entreprises ne sont pas seules responsables de la corruption dans les
contrats publics internationaux, le rôle qu’elles tendent à tenir est de plus en plus
important.
Ainsi, du point de vue du secteur public, le cadre juridique de lutte contre la
corruption achève de se mettre en place et même si comme nous venons de le voir des
améliorations restent encore possibles et que les programmes lancés sont loin d’avoir
aboutis, c’est vraisemblablement aux entreprises qu’il reviendra de faire des efforts
pour parvenir à une lutte efficace contre la corruption.
1- Les initiatives de coopérations entre l’Administration et le secteur privé :
98
Ainsi depuis le début des années 2000, un ensemble d’initiatives du secteur
privé, visant à réduire la corruption est venu compléter les dispositifs publics en la
matière.
Ce phénomène vise en fait la notion d’autorégulation, il s’agit d’une forme
hybride de lutte contre la corruption qui consiste à plus responsabiliser les entreprises
et à en faire des acteurs et non plus des spectateurs de la lutte contre la corruption.
Ces initiatives s’appuient sur divers documents comme les règles de conduite
de la Chambre de Commerce International (ICC) ou le partenariat contre la corruption
du Forum Économique Mondial.
L’initiative la plus marquante en la matière est le Global Compact Act que le
Secrétaire général des Nations Unies a initié en 1999 à Davos en invitant les
entreprises à le signer. Ce texte est un pacte mondial, par lequel elles s'engagent à
observer neuf principes touchant aux droits de l'homme, au travail et à
l'environnement. Au mois de mars 2005, ce pacte avait été signé par plus de 2000
entreprises, dont quelque 370 entreprises françaises.
Suite à la convention signée à Mérida et à l'occasion d'une visite à Paris de
Kofi Annan en janvier 2004, une réunion des entreprises adhérentes a été convoquée
pour débattre des améliorations possibles de ce document. Il en est sorti la proposition
d'inclure un dixième principe, selon lequel " Les entreprises sont invitées à agir contre
la corruption sous toutes ses formes, y compris l'extorsion de fonds et les pots-de-
vin". Proposition qui a été approuvée par la suite par l'assemblée générale des
signataires du pacte le 24 juin 2004 à New York.
Par ce document, les entreprises ont signifié leur volonté de s’engager auprès
des organisations internationales et des États pour combattre la corruption.
Une autre initiative est celle qui a été lancée par TI, il s’agit du pacte
d’intégrité. C’est un document qui a été mis en place par TI au cours des années 90
pour permettre aux gouvernements, aux entreprises et aux organisations de la société
civile qui sont disposés à lutter contre la corruption, de pouvoir mener ce combat dans
le domaine des marchés publics.
Dans les faits, il s’agit d’un accord entre une administration publique et tous
les soumissionnaires aux appels d’offre publics, qui prévoit des droits et obligations
99
visant à prévenir tout risque de corruption. En outre, ce pacte prévoit des sanctions
qui vont de la perte du marché, de la perte de la caution de soumission au paiement de
dommages et intérêts et la mise sur la liste noire et des sanctions pénales et
disciplinaires pour les agents publics. L’avantage de ce pacte est d’être suffisamment
souple pour qu’il s’adapte à de nombreux contextes juridiques.
La grande innovation de ce texte est de recourir à l’arbitrage national et
international plutôt qu’aux tribunaux pour résoudre les contentieux. Le but est de
dépasser la difficulté de la territorialité du droit, et de gagner du temps sur la mise en
œuvre des procédures judiciaires en privilégiant les modes alternatifs de résolution
des conflits.
Le pacte connaît un franc succès puisque 14 pays dont l’Argentine,
l’Allemagne et l’Indonésie l’ont appliqué.
Mark Pieth, relève que les normes et les standards conçus par le secteur public
sont nécessaires pour augmenter la pression sur les entreprises et leur direction, mais,
que pour êtres efficaces, ils doivent encore être mis collectivement en œuvre par les
entreprises et par les concurrents dans le but de garantir une concurrence loyale et
exempte de corruption dans l’attribution des marchés110.
2- Une volonté de coopération accrue de tous les acteurs des contrats publics
internationaux :
Si la coopération entre entreprises et acheteurs publics est importante, ce n’est
pas la seule coopération nécessaire à endiguer le problème de la corruption.
Une meilleure coopération entre les juridictions à l’échelle internationale
apparaît elle aussi comme vitale à la lutte contre la corruption.
La corruption s’inscrivant dans un cadre transnational, il est nécessaire pour la
combattre efficacement d’établir des relations entre les juges en organisant des
réunions et des forums régulièrement.
En effet, ces réunions formelles sont souvent pointées du doigt en raison de
leur lenteur et de leur inefficacité.
110 Mark PIETH, « influer sur le comportement des entreprises : le rôle des partenariats Public- Privé contre la corruption », in P. MONTIGNY, op. cit., p. 79
100
Pourtant si les rencontres officielles ne semblent pas porter leurs fruits, une
solution semble être le développement de la coopération informelle.
Ainsi, la plupart des magistrats soulignent le bon fonctionnement des contacts
informels par lesquels ils échangent des données lorsqu’elles ne relèvent pas d’une
instruction en cours ou quand les deux interlocuteurs sont saisis de plaintes sur les
mêmes faits.
Jacques Terray, vice-président de TI France, dans un article « La loi existe où
sont les plaintes ? »111, note que le procureur fédéral américain en charge de la lutte
contre la corruption a recueilli l’adhésion unanime en proposant des réunions de
magistrats qui auraient lieu deux fois par an sans témoins extérieurs et sans ordre du
jour pour faciliter les contacts officieux.
Enfin, pour Transparency International, il est important que tous les acteurs
soient formés et informés des dernières politiques menées, ceux qui les appliquent,
ceux qui les « subissent », les acteurs non-gouvernementaux comme les entreprises,
mais aussi le public qui doit être considéré comme un acteur à part entière de la lutte
contre la corruption.
L’opinion publique par les moyens de pression qu’elle représente a vocation à
jouer un rôle phare dans la lutte contre la corruption dans les contrats publics
internationaux.
Ceux sont donc tous les acteurs du droit des contrats publics internationaux
qui doivent prendre conscience des dangers de ce phénomène et accepter de jouer un
rôle plus actif dans ce combat.
111 J. TERRAY, op. cit., p. 3
101
Conclusion
La corruption n’a jamais était aussi importante et le nombre d’affaires relevant
de ce problème a été croissant depuis une dizaine d’années. Elle touche les pays
développés qui ont mis en place des procédures pour l’endiguer comme les pays
émergents, et des entreprises qui avaient pourtant signé le Global Compact Act des
Nations Unies et s’étaient déclarées hostiles aux pratiques corruptrices dans les
contrats publics internationaux se sont vues incriminées pour des faits de corruption
comme cela a pu être le cas dans l’affaire « pétrole contre nourriture ».
Dans le même temps, la lutte contre la corruption n’a eu de cesse de se
développer, les règles relatives à ce sujet se sont multipliées et les acteurs disposent
désormais d’outils efficaces pour lutter contre ce phénomène .
Ces deux constats appellent des interrogations pour la suite de la lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux. La première est essentielle peut-
on éradiquer la corruption ?
Il ne s’agit pas d’une question de pure rhétorique, mais elle vise plutôt, au vue
des efforts mis en œuvre, la question de savoir si la communauté internationale a les
moyens pour enrayer ce phénomène, et de déterminer s’il s’agit d’un vice inhérent
aux contrats publics internationaux ou d’une maladie qu’il est possible de soigner.
Comme le fait remarquer John Fawcett, responsable des questions de politique
internationale au sein du cabinet new-yorkais Kreindler and Kreindler, la réponse à
cette question se trouve dans l’évolution de la perception du problème de
corruption112.
Pour lui la difficulté vient du fait que si la corruption n’est jamais apparue
aussi importante, c’est parce que ce phénomène n’a jamais était aussi médiatisé. Cette
sur-médiatisation donne, ainsi, l’illusion que le problème s’aggrave, alors qu’au
contraire elle devrait être source d’espoir. En effet, elle est le signe que la prise de
conscience des effets négatifs de la corruption s’est faîte et que celle-ci s’inscrit au
même titre que la lutte contre la pauvreté ou l’environnement parmi les grands enjeux
de notre époque.
112 Voir annexe 6
102
Il ne s’agit donc pas de remettre en question le processus de lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux, ni de prétendre que la corruption
est un mal que l’on peut éradiquer mais simplement de faire le constat que des
moyens existent et qu’ils commencent à porter leurs fruits.
Les efforts entrepris dans les contrats publics internationaux doivent donc
êtres poursuivis, cependant se pose une seconde question, celle de la méthode utilisée.
En effet, la difficulté majeure de la lutte contre la corruption dans les contrats
publics internationaux est de parvenir à mettre en place au niveau international des
procédures simples, claires et efficaces qui assurent la transparence, la non-
discrimination et le libre jeu de la concurrence.
Nous l’avons vu le risque de complexification de ces procédures est, en dépit
des efforts consentis, toujours présent et surtout les efforts d’harmonisation sont très
limités.
Sur ce point se pose d’ailleurs un autre problème, celui du choix entre plus de
formalisme ou vers une « déritualisation » du droit des contrats publics comme c’est
le cas au Etats-Unis. Sur ce point, les nouvelles procédures prévues tendent vers une
simplification des procédures de passations, épurées de tout formalisme superflu,
mais respectueuses des principes généraux de la commande publique.
En outre, comme l’analyse Josette Hervet, le fait qu’une procédure soit
exposée à des risques forts de corruption ne remet pas en cause, ipso facto, le bien
fondé de cette procédure ni même le choix et la mise en œuvre de ses modalités
d’application. Il serait dangereux de penser qu’une lutte efficace contre la corruption
dans les contrats publics internationaux passerait par une déréglementation
inconsidérée de ceux-ci113.
L’objectif est donc de rechercher un compromis entre les procédures
existantes et une modernisation de celles-ci compatible avec l’objectif de lutte contre
la corruption.
113 Josette Hervet, corruption et marchés publics : connivences et compérages sur la base de fonds publics, RFFP n°69, mars 2000, p. 48.
103
Sur la question de la méthode, les différents exemples de conventions
internationales, leur manque de caractère contraignant et la difficulté du contrôle de
leur application laissent penser que cette forme de lutte est arrivée à son terme. Ceux
sont donc les acteurs locaux qui doivent mettre en place au niveau national un cadre
juridique de lutte contre la corruption qui la condamne au niveau national et
international.
Il semble, enfin, qu’un consensus se soit formé sur la nécessité d’être
intransigeant avec les pays qui se rendent coupables de corruption et ne mettent
aucune législation en œuvre pour lutter contre ce problème. Cependant les principes
de proportionnalité et de réalisme imposent de ne pas se montrer trop radical face à
ces attitudes au risque de laisser ces pays souvent très pauvres dériver vers des
situations dangereuses.
Il reste, néanmoins, que juridiquement le juste milieu est très difficile à
trouver.
L’intensification de la lutte contre la corruption est donc nécessaire, mais elle
doit passer par des initiatives locales et une meilleure sensibilisation et formation aux
conséquences de la corruption.
L’avenir de la lutte contre la corruption dans les contrats publics
internationaux passe par la promotion d’un cadre légal, réglementé et cohérent et le
respect des notions de bonne gouvernance et de responsabilité sociétale.
La notion de bonne gouvernance consiste en la recherche de systèmes de
direction et de contrôle qui concilient au mieux efficacité, sécurité, collégialité et
transparence. Quant à la notion de responsabilité sociétale, elle renvoie aux initiatives
volontaires des acteurs des contrats publics internationaux qui souhaitent aller plus
loin que le simple cadre juridique posé par la loi.
Enfin, il faut relever le peu de jurisprudence qui existe en matière de contrats
publics internationaux. Ainsi, alors que le nombre d’affaires a augmenté, le nombre
d’entreprises condamnées est resté très faible.
104
En effet, s’il existe quelques cas de condamnation pour des faits de corruption
interne, très peu d’entreprises sont inculpées pour des affaires de corruption
internationale. La seule entreprise qui, en France, pourrait être condamnée pour
corruption d’agents publics étrangers est l’entreprise Total pour son rôle dans l’affaire
« pétrole contre nourriture ». Cependant l’affaire BAE system, que nous évoquions
ultérieurement, reste symptomatique des limites de la lutte contre la corruption dans
les contrats publics internationaux. Celle-ci touche des domaines souvent stratégiques
et sensibles comme la défense, l’énergie ou la santé. Les pays voient, alors, dans le
respect de ces réglementations une remise en cause de leur souveraineté et une
atteinte à des domaines vitaux pour leur économie.
De plus, le secret des affaires vient s’ajouter à ce problème et remet en
question les efforts fournis depuis ces dernières années.
On ne peut que constater que si la réglementation est là, c’est aux
gouvernements, aux entreprises et à la société civile de prendre le relais de la lutte
contre la corruption.
105
BIBLIOGRAPHIE
Doctrine : Ouvrages : CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, P.U.F., 8éme édition, Avril 2007 1024 pages LANDAU Hervé, Pratique de la lutte anti-blanchiment, Revue Banque Edition, Paris, 2005, 127 pages LINDINTCH Florian, le Droit des Marchés Publics 4ème Edition 2006 Connaissance du Droit Dalloz, 129 pages MONTIGNY Philippe, L’entreprise face à la corruption internationale, Edition Ellipses, 2006, 771 pages NAUDET Jean-Yves, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, 388 pages POPE Jeremy, Confronting Corruption: The Elements of a National Integrity System, TI Source Book 2000, Transparency International, 2003, 3e ed., 394 pages. RICHER Laurent, Droit des contrats administratifs, L.G.D.J, 4éme éd., juillet 2004, 677 pages. ROSE ACKERMAN Susan, Corruption : a study in Political Economy, Academic Press, New York, 1978 Thèse : RICHARD Véronique, Incidence des changements de l’organisation du travail et du management par les pratiques de l’éthique relationnelle, thèse d’habilitation à diriger des recherches, université de Paris IV-Sorbonne, CELSA, 1994 Articles : ANTONMATTEI Paul-Henri,« Whistleblowing : la publication du rapport antonmattéi-vivien », Lettre de la transparence, n°32, mars 2007, p.5 APELBAUM Raphaël, « Les contrats conclus dans le cadre des opérations financées par la Banque Mondiale », Revue contrats publics, n°51, janvier 2006, p. 41
106
BECKER Gary, « Crime and punishment, an economic approach », Journal of political economy, n°76, 1968, pp. 169-217 BONFILS Philippe, « La corruption en droit pénal », in J.-Y. NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pages 223-240 BONIFASSI Stéphane, « la convention des nations unies contre la corruption : une machine puissante ou poussive ? », La lettre de la transparence, N° 21, Avril 2004, p. 1 BUEB Jean-Pierre, « Commande publique et code d’éthique, de déontologie ou de conduite », p. 28, Revue Contrats publics, n° 57, juillet/août 2006 BUEB Jean-Pierre, « La lutte contre la fraude et la corruption dans les marchés publics », Forum mondial de l’OCDE sur la gouvernance, « Partager les enseignements de la promotion de la bonne gouvernance et de l’intégrité dans les marchés publics », document de séance, 30 novembre-1er décembre 2006, p. 40 BUEB Jean-Pierre et MAILLE Arnaud, « Le service central de prévention de la corruption », Revue contrats publics, n° 57, juillet/août 2006, page 53 CAILLAUD Bernard, « Ententes et capture dans la commande publique : un point de vue d’économiste », Revue de la concurrence et de la consommation, n°129, 1990 CARTIER-BRESSON Jean, « L’analyse économique de la corruption », RFFP, Mars 2000, n° 69, p.19-32 CARTIER-BRESSON Jean, « Elément d’analyse pour une économie de la corruption », Revue Tiers Monde, n° 131, 1992, pp. 581- 609 CHEVAUCHEZ Benoît , « Corruption et gestion publique », RFFP n°69, mars 2000, p. 87-94 COMMISSION EUROPÉENNE, « Poursuivre la criminalité en col blanc sur le marché unifié de l’UE ». http://ec.europa.eu/justice_home/fsj/crime/economic/fsj_crime_economic_fr.htm, juillet 2003 DOMMEL Daniel, président de TI France, « Corruption : le constat », RFFP, n° 69, Mars 2000, p. 7-18 DOMMEL Daniel, « La transposition de la convention OCDE dans les législations nationales », Revue prospectives stratégiques, n° 10, juin 2002 DOUEIRY Carole, « Ethique corruption et clientélisme : le cas du Liban », dans Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pages 79-118
107
DUQUESNE Pierre, La lettre de transparence, n° 31, Décembre 2006, dossier spécial sur la politique anti-corruption de la Banque Mondiale, p. 4 FONTANA Philippe, « La convention de l’OCDE », RFFP, n° 69, mars 2000, p. 121-134 FRILET Marc, « L’impact de la mondialisation », Revue contrats publics, n°57, juillet/août 2006, p.33 FRISCH Dieter, « La corruption obstacle majeur au développement économique et social », in La corruption nous concerne tous, Cahiers de l’institut d’études sur la justice, éd. Bruylant, 2002, p.44 FRISCH Dieter, « Nouvelle communication de la commission européenne sur une politique globale de l’union contre la corruption », lettre de la transparence, n°19, Octobre 2003, p.5 HERVET Josette, « Corruption et marchés publics : connivence et compérages sur la base de fonds publics », RFFP, n°69, Mars 2000, p. 47-60 ISAR Hervé, « Corruption et marchés publics : une analyse juridique », in Jean-Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pp. 249-264 LASCOUMES Pierre, « Percevoir et juger la corruption politique», site du CEVIPOF, http://www.cevipof.msh-paris.fr/dossiersCev/projmaj/20032006/02-RFSP.pdf, 2006 LA SEMAINE JURIDIQUE DU DROIT SOCIAL, « Le whistleblowing, à propos de la licéité des système d’alerte éthique », La semaine juridique du droit social, n° 17, 18 octobre 2005 LE MONDE, « La Banque Mondiale a intensifié sa lutte contre la corruption », Le Monde, 6 février 2007. MAGNOLOUX Hervé, « l’analyse économique de la corruption », in Jean-Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pages 51-78 MAURO Paolo, « La corruption: causes, conséquences et voies à explorer », Finances et développement, mars 1998, pp 11 à 14 OCDE, « La corruption dans les marchés internationaux », http://www.oecd.org/topic/0,2686,fr_2649_34855_1_1_1_1_37447,00.html, 2007 PIETH Mark, « influer sur le comportement des entreprises : le rôle des partenariats Public- Privé contre la corruption », in P. MONTIGNY, L’entreprise face à la corruption internationale, Éditions Ellipses, 2006, p. 78
108
PIREYRE Bruno-André, « Corruption et trafic d’influence : l’approche du droit pénal », RFFP, n°69, Mars 2000, pp. 33 à 46 REVUE CONTRATS PUBLICS, « Code 2006 des marchés publics, Panorama de la réforme », Revue Contrats Publics, septembre 2006, numéro spécial SOCCOJA Christian, « Un palmarès de la corruption ?», Le Monde, 6 novembre 2005 TERRAY Jacques, « Qu’est-ce qui entrave l’application de la convention OCDE ? », La lettre de transparence, N°19, octobre 2003, p 3 TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Rapport du GRECO sur la France : La corruption vue par le Conseil de l’Europe », La lettre de transparence, N° 12, janvier 2002, p.6 TRIFILIO Sylvain et. KARPOUZANOV Momtchil I., « Corruption et marchés publics : une analyse économique », in Yves NAUDET, La corruption, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence Editeur, 2005, pp. 265-293 VERDEAUX Jean-Jacques, « La lutte contre la corruption dans les marchés financés par la Banque Mondiale », Revue contrats publics, n°51, janvier 2006 p. 50 VIDON J.-P., « La France engagée dans la lutte contre la corruption internationale», in P. MONTIGNY, L’entreprise face à la corruption internationale, Edition Ellipses, 2006, p,136-139 VITU André, « Corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique», Jurisclasseur Droit Pénal, n°31, Novembre 1993, p.4 WEI Shang-Jin, « How taxing is corruption on international investors ? », National Bureau of Economic Research, Working Paper,, n° 6030, Mai 1997 WEI Shang-Jing, « Does grease money speed up the wheels of commerce ? », http://siteresources.worldbank.org/INTWBIGOVANTCOR/Resources/grease.pdf, 1998 Documents : Sources Françaises : ANTONMATTEI Paul-Henri, VIVIEN Philippe, « Chartes éthique, Alerte professionnelle et Droit du travail français : état des lieux et perspectives », 6 mars 2007 ASSEMBLÉE NATIONALE, Rapport n°1424, 11 février 2004
109
ASSEMBLÉE NATIONALE, Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Rapport n° 2417, 29 juin 2005 CODE DE PROCEDURE PENALE, Dalloz, 48éme édition, 2007 CODE DES MARCHES PUBLICS 2006, le Moniteur, Octobre 2006 CONSEIL D’ETAT, Rapport public, « Collectivités publiques et concurrence », Etudes de documents, n°53, la documentation française, 2002 LOI n° 91-3 du 3 janvier 1991 sur la transparence et la régularité des procédures de marchés LOI n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. LOI n°2000-595 modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption LOI n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à « la sécurité au quotidien » LOI n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant « Mesures Urgentes de Réformes à Caractère Économique et Financier » (MURCEF) LOI n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite loi Perben II ORDONNANCE n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat Sources de l’Union Européenne : CONVENTION relative à la lutte contre la corruption des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'UE, mai 1997 DIRECTIVE 92/50/CEE, du Conseil du 18 juin 1992 portant. coordination des procédures de passation des marchés publics. DIRECTIVE 93/36/CEE, du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures DIRECTIVE 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux DIRECTIVE 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications
110
DIRECTIVE 2005/75/CE, du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2005 rectifiant la directive 2004/18/CE sur les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. DIRECTIVE n° 2004/ 17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux DIRECTIVE 2004/ 18 /CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services dites directives « marchés publics» Sources internationales : AFRICAN DEVELOPMENT BANK, “Fostering Good Governance in Africa”, Rapport 2001 CNUDCI, loi type sur la passation de marchés de biens, de travaux et de services, 16 juillet 1993 CONGRÉS AMÉRICAIN, Loi du 31 Juillet 2002 dite loi Sarbanes- Oxley CONSEIL DE L’EUROPE, Conventions civile et pénale, 1999 INTERNATIONAL TRADE ADMINISTRATION, « The national export strategy », Washington DC, octobre 1997 NATIONS UNIES, convention dites de « Mérida », 2003 OCDE, convention sur la lutte contre la corruption des agents publics étrangers, 17 décembre 1997 OCDE, Rapport de la phase 2 sur l’application de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales sur les Etats-Unis, Octobre 2002, Paragraphe 17 OMC, accord sur les Marchés Publics (AMP) du 1er janvier 1996, en cours de révision UNION AFRICAINE, convention de « Maputo », 2003 Jurisprudence : TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIBOURNE, ordonnance de référé, 15 septembre 2005 COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, « Teleaustria », 7 décembre 2000
111
Ressources électroniques : BANQUE MONDIALE, http://www.banquemondiale.org/ CNUDCI, http://www.uncitral.org/uncitral/fr/index.html FMI, http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/govf.htm GRECO, http://www.coe.int/t/dg1/greco/default_fr.asp OCDE, http://www.oecd.org/home/ OMC, http://www.WTO.org/ ONU, http://www.un.org/french/ TRANSPARENCY INTERNATIONAL FRANCE : http://www.transparence-France.org/ TRANSPARENCY INTERNATIONAL : http://www.transparency.org/ US DEPARTMENT OF STATE, « la corruption, obstacle au développement », http://usinfo.state.gov/journals/ites/1198/ijef/frtoc.htm, 1998
112
TABLE DES MATIÉRES
SOMMAIRE P.2
TABLE DES SIGLES ET DES ABREVIATIONS P.3
INTRODUCTION P.4
Première Partie – Les réponses au phénomène de la corruption
dans les Contrats Publics Internationaux : P.14
Chapitre 1 - La corruption, un terme pluridisciplin aire à
la qualification difficile : P.14
Section 1 – L’approche économique de la corruption : P.14
A - La corruption, un dysfonctionnement politique
et administratif au coût économique négatif : P.15
B - La problématique du coût positif de la corruption : P.16
C - L’appréciation de la corruption comme une pratique
anticoncurrentielle : P.18
D - La corruption, un obstacle aux investissements et
à la croissance économique : P.19
Section 2 - L’appréciation juridique d’un phénomène économique : P.20
A - La typologie de la corruption : P.20
113
1- La petite et la grande corruption : P.20
2- Corruption publique et privée : P.22
3- Corruption nationale et internationale : P.23
4- Corruption active et passive : P.24
B - La qualification juridique de la corruption : P.25
1- La qualification juridique de la corruption
au niveau interne, le cas de la France, une approche pénale : P.25
2- La qualification juridique de la corruption au niveau international : P.26
Chapitre 2 - La lutte contre la corruption dans
les contrats publics à l’échelle internationale et nationale : P.29
Section 1- Les initiatives internationales : P.29
A- Transparency International et la sensibilisation
au problème de la corruption internationale : P.29
B- La mise en place d’un cadre légal de
condamnation de la corruption par les conventions
des organisations internationales : La convention de l’OCDE : P.32
1- L’organisation de coopération et de développement économique : P.33
2- La convention de lutte contre la corruption des agents publics étrangers : P.34
3- Les apports de la convention de l’OCDE : P.34
4- Les conditions d’application de la convention : P.36
5- Les questions d’avenir de la lutte contre la corruption par l’OCDE : P.37
C- La mise en place d’un cadre légal de condamnation
de la corruption par les conventions des organisations
internationales : La convention des Nations Unies contre la corruption : P.37
114
1- Les principales dispositions de la convention des Nations Unies : P.38
2- « une machine puissante ou poussive ? »: P.40
D- Le rôle des Banques de développement dans la lutte contre
la corruption dans les contrats publics internationaux ;
le cas de la Banque Mondiale : P.41
1- L’enjeu des directives verte et rouge : P.42
2- La mise en place d’institutions chargées de la lutte contre la
corruption au sein de la Banque Mondiale : P.43
3- La réforme institutionnelle de la lutte contre la corruption
au sein de la BM : P.44
4- Les limites et les perspectives de l’action de la Banque Mondiale : P.45
E- Les initiatives de lutte contre la corruption à l’échelle européenne : P.47
1- Le Conseil de l’Europe et la lutte contre la corruption : P.48
2- La lutte contre la corruption au sein de l’union européenne : P.49
Section 2- La dimension nationale de la lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux : P.52
A- Le cas des Etats-Unis : exemple le plus abouti d’incrimination
de la corruption internationale : P.52
1- Les caractéristiques du FCPA et son champ d’application: P.53
2- La mise en œuvre du FCPA : P.54
3- Les apports et innovations du FCPA : P.55
B- La Transposition des conventions internationales en
Droit interne, le cas de la France : P.56
1- L’impact de la transposition de la convention de l’OCDE en droit français : P.57
115
2- L’impact de la transposition des autres conventions : P.59
Deuxième Partie - La mise en pratique de la lutte
contre la corruption dans les contrats publics internationaux : P.61
Chapitre 1 - Les moyens de la lutte contre la corruption dans les
contrats publics internationaux, de la prévention à la répression : P.61
Section 1- Les moyens en amont, la prévention de la corruption
dans les contrats publics internationaux : P.62
A- La transparence dans les procédures de passation des contrats
publics internationaux, un moyen efficace de lutte contre la corruption : P.63
1- Les exigences de la transparence, une voie très prometteuse dans
la lutte contre la corruption : P.64
2- Les exigences de transparences au niveau international : P.67
a) Les initiatives des organisations internationales : P.68
b) Les initiatives de transparence dans les procédures de passation
des contrats publics au niveau régional : P.70
c) Les apports des organismes d’aide au développement et de
financement en matière de transparence : P.71
B- Les outils de responsabilisation par l’éthique des acteurs
des contrats publics internationaux : P.73
1- Les codes d’éthique ou de bonne conduite, des outils de responsabilisation : P.73
2- Le système d’alerte éthique, un outil efficace à l’application délicate : P.74
C- L’importance des autorités administratives indépendantes dans la
lutte contre la corruption : P.76
116
Section 2- Les moyens en aval, la répression dans la lutte contre
la corruption dans les contrats publics internationaux : P.78
A- La mise en œuvre des sanctions commerciales contre la corruption
dans le cadre de la Banque Mondiale : P.79
1- Le processus de sanctions commerciales de la Banque Mondiale : P.80
2- Les apports de la réforme du processus de sanction : P.80
B- Le mécanisme de la liste noire et ses limites : P.82
1- Un outil qui tend à se généraliser : P.82
2- Les limites et risques des systèmes de liste noire : P.83
Chapitre 2 - Les limites et perspectives de la lutte contre la
corruption dans les contrats publics internationaux : P.85
Section 1- Les limites et obstacles de la lutte contre la corruption
dans les contrats publics internationaux : P.85
A- Les limites inhérentes à la corruption dans les contrats publics
internationaux : P.86
B- Les limites liées aux politiques de lutte contre la corruption : P.88
Section 2- Les solutions pour relancer et rendre plus efficace
la lutte contre la corruption : P.92
A- La recherche de modernisation des procédures de passation : P.93
1- Une volonté de simplification et de rationalisation de l’achat public : P.94
2- Les Partenariats Public Privé, un outil d’amélioration des
relations contractuelles bénéfique à la lutte contre la corruption : P.96
117
B- La recherche de coopération accrue entre les acteurs
des contrats publics internationaux : la notion d’auto régulation : P.97
1- Les initiatives de coopérations entre l’Administration et le secteur privé : P.97
2- Une volonté de coopération accrue de tous les acteurs des
contrats publics internationaux : P.99
CONCLUSION P.101 BIBLIOGRAPHIE P.105 ANNEXE P.118
118
ANNEXES
ANNEXE N° 1 : Carte de la Corruption dans l’espace de l’Union Européenne et de la
Turquie en 2003 : (source : Transparency International France)
119
ANNEXE N°2 : Graphique des fréquences de corruption par région et par secteur
d’activité, 2006 : (Source : OCDE)
- Connecting to utilities : Service Public (Électricité, gaz, eau, systèmes
d’assainissement).
- Taxation : Secteur fiscal
- Procurement : Achat Public
- Judiciary : Secteur Judiciaire
- State Capture : Notion de « main mise sur l’État », Le « détournement de
l‘Etat » désigne la capacité des entreprises à subordonner
le processus politique dans son ensemble dans le but de
faire adopter des mesures et des règlements qui favorisent
leurs intérêts commerciaux.
120
ANNEXE N°3 : Tableau récapitulatif des résultats de l’Indice de perception de la
corruption 2006 :
(Source : Transparency International)
121
ANNEXE N° 4 : Entretien avec Daniel Le Guillou, membres de l’ONG Transparency
International France :
1- Pensez-vous que les réglementations internationales en matière de lutte contre
la corruption soient réellement efficaces quand, selon la lettre de la transparence
de décembre 2006, les indices démontrent « la modestie des progrès enregistrés
en dépit de la multiplication des conventions internationales »? Quelle est la
prochaine étape ? Que manque t-il au niveau international pour parvenir à un
système efficace de lutte contre la corruption ?
Les engagements internationaux en matière de lutte contre la corruption qui se sont
multipliés depuis une dizaine d’années (Convention de l’OCDE de 1997 ; conventions
régionales : Conseil de l’Europe, Organisation des Etats américains, Union
africaine ; Pacte mondial des Nations Unies signé par plus de 3000 entreprises du
monde entier ; Convention des Nations Unies de 2003…) ont profondément modifié le
cadre légal de lutte contre la corruption. C’est sans aucun doute une première étape
indispensable, et en ce sens un véritable progrès : en effet comment penser que la
corruption puisse être efficacement combattue si elle n’est pas légalement condamnée
et condamnable ? Ces nouveaux textes créent des fenêtres d’opportunités pour les
acteurs de la lutte anti-corruption pour dénoncer de mauvaises pratiques et se
pourvoir en justice. Pour exemple, c’est la signature de la Convention de l’OCDE par
le Royaume-Uni qui place les autorités britanniques dans une position internationale
délicate dans l’affaire BAE. Il nous apparaît donc fondamental de ne pas sous-
estimer l’importance des réglementations internationales et de continuer à pousser à
l’amélioration et l’approfondissement de celles-ci.
Néanmoins, bien entendu, ces avancées en terme de réglementations internationales
ne font pas tout et ne doivent pas être prises au pied de la lettre lorsque l’on cherche
à appréhender l’état réel de la corruption dans le monde. La fracture entre les textes
et les pratiques est toujours très importante. En ce sens, oui, toutes les enquêtes
montrent « la modestie des progrès enregistrés en dépit de la multiplication des
conventions internationales ».
122
Dans la Lettre de Transparence de septembre 2006 (n°30), Daniel Lebègue,
Président de TI France expliquait « cet écart inquiétant entre la règle de droit
proclamée et l’application qui en est faite » par les raisons suivantes :
« - la lenteur des procédures de ratification et de transposition dans le droit interne
des conventions internationales : cinq des pays du G8 (Allemagne, Canada, Italie,
Japon, Etats-Unis), n’ont pas encore ratifié la convention des Nations unies et, plus
grave, quatre d’entre eux (Canada, Italie, Japon, Royaume-Uni) n’ont toujours pas
pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre de manière effective la convention
de l’OCDE. La présidente de TI a fermement rappelé à leur devoir les grands pays du
G8 lors du sommet de Saint Petersbourg en juillet dernier : « assez de paroles, des
actes ».
- les progrès encore très insuffisants de la coopération judiciaire internationale, y
compris au sein de l’Union européenne. Les magistrats témoignent des difficultés
qu’ils rencontrent pour obtenir l’exécution d’une commission rogatoire dans des
centres offshore – dont la moitié, 18 sur 36 sont situés en Europe – mais aussi dans
de grands pays comme le Royaume-Uni.
- la présence, dans les échanges internationaux, d’acteurs (asiatiques, russes, moyen-
orientaux) qui échappent encore à la règle internationale.
- d’une manière générale, l’inertie des mauvaises pratiques et des comportements de
benign neglect de la part d’acteurs (publics et privés) qui en tirent avantage au
détriment de l’intérêt public de leurs pays ou de l’intérêt social de leurs entreprises. »
Nous vous envoyons en document attaché la Lettre de Transparence citée.
2- Doit-on intensifier la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de
« crispation éthique » de la société ?
Il faut intensifier la lutte contre la corruption. Il faut tout faire pour que les textes et
réglementations déjà en vigueur soient concrètement appliqués. Il s’agit également,
bien évidemment, de compléter l’arsenal juridique. Au-delà, la lutte et la
sensibilisation doivent s’atteler à changer les comportements (et donc les
mentalités) : en ce sens la dimension éducative de ce combat s’affirme comme
primordiale.
123
La grande majorité des sociétés sur notre planète nous apparaissent encore bien loin
de l’état de « crispation éthique »… Toutes les enquêtes sérieuses, au premier rang
desquelles les indices de TI, montrent clairement la persistance (pour ne pas dire la
multiplication dans certains secteurs et domaines) des phénomènes de corruption, les
dégâts qu’ils provoquent parmi les populations (et en premier lieu les plus fragiles) et
l’impunité dont jouissent encore de trop nombreux acteurs de ces circuits
corrupteurs.
3- Quelle est la légitimité des organisations internationales pour agir et pour
sanctionner au titre de la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de
saper les initiatives locales ou de voir ces organisations s’éloigner de leurs
missions premières comme on a pu le reprocher à la Banque Mondiale ?
La légitimité des organisations internationales en matière de lutte contre la
corruption n’est pas de nature différente que dans leurs autres domaines d’action
(maintien de la paix…). Les organisations internationales tirent leur légitimité de leur
représentativité et de leurs membres.
Les organisations internationales engagées dans des actions de lutte contre la
corruption doivent bien évidemment essayer de travailler au maximum en
collaboration et en synergie avec les initiatives locales. Poursuivant les mêmes
objectifs il nous semble que les risques de saper les initiatives locales de lutte contre
la corruption ne soient pas importants. Au contraire les échelles différentes
auxquelles sont prises ces initiatives font qu’elles ont tendance à se renforcer.
D’autre part le lien entre corruption et pauvreté/sous-développement ayant
clairement été mis en lumière par de nombreuses études (dont celles de TI), il
apparaît naturel que les organisations internationales de lutte contre la pauvreté et
de promotion du développement économique cherchent à agir dans la lutte contre la
corruption.
4- Quelle approche doit-on adopter, selon vous, face à la corruption, une position
ferme comme celle que prône Monsieur Paul Wolfowitz dans le cadre de la
Banque Mondiale, qui consiste à bloquer l’aide aux pays corrompus, doit-on
124
considérer que la corruption n’est pas un mal mais un symptôme qui disparaîtra
avec le développement du pays?
Il est évident que les politiques d’aide au développement doivent intégrer la
dimension de lutte contre la corruption. Comme nous l’avons déjà souligné, le lien
entre corruption et pauvreté est mis en avant dans toutes les enquêtes de TI. Il s’agit
donc d’encadrer et de contrôler le plus rigoureusement possible l’utilisation des aides
attribuées aux pays en voie de développement. Le problème d’une politique
d’exclusion des pays « trop » corrompus de la liste des pays pouvant bénéficier
d’aide (Cf. en effet la Banque Mondiale) est, bien évidemment, celui des critères
retenus (comment les déterminer ? Comment éviter les effets de seuil ?...) et de la
fiabilité de ces critères. Néanmoins il apparaît important que les bailleurs
internationaux renforcent les procédures d’attribution des aides et surtout les
procédures de monitoring d’utilisation de celles-ci. L’importance des évaluations
post-projets apparaît en ce sens également fondamentale. Les bailleurs se doivent
d’obtenir des engagements fermes et réels des pays bénéficiaires en matière de lutte
contre la corruption.
La corruption est en même temps un mal et un symptôme du sous-développement :
selon les résultats des enquêtes de TI les pays pauvres sont en moyenne en effet plus
corrompus que les pays riches (même si le lien direct entre richesse et corruption
n’est qu’une dimension explicative du phénomène : en effet on peut aussi évaluer la
corruption selon d’autres variables : éducation, système politique…). Néanmoins,
malheureusement, les études montrent également que la corruption ne disparaît pas
nécessairement avec le développement.
5- Doit-on interdire le risque que représente le lobbying ou les actions
commerciales, véritables foyers de la corruption?
L’objectif réaliste en matière de lobbying et d’actions commerciales nous semble de
rechercher à promouvoir un encadrement légal, réglementé, cohérent et respecté de
ces pratiques, et d’arriver à modifier les comportements des acteurs en les poussant
notamment à s’engager sur des pactes de transparence et le respect des « meilleures
pratiques ».
125
6- Doit-on remettre en question à terme les MP pour lutter efficacement contre
la corruption comme le souhaite ceux qui pointent du doigt le lien entre
corruption et interventionnisme ?
Les MP doivent avant tout être encadrés de façon plus rigoureuse et contrôlée. Les
parties prenantes aux MP doivent également être poussées à s’engager sur des pactes
de transparence et le respect des « meilleures pratiques ». Au vu des enquêtes de TI le
lien entre corruption et interventionnisme public n’est pas si évident. En grande
majorité, les pays qui ressortent comme les moins corrompus des enquêtes de TI sont
des pays où l’État peut être considéré comme « bien présent » (démocraties
scandinaves et nordiques, Singapour…). Au contraire, de nombreux pays « mal
classés » se caractérisent par une situation où l’absence d’État est notable.
7- Sur le plan des contrats publics à proprement parler, ne pensez-vous pas que
la lutte contre la corruption risque d’amener à une complexification du droit
applicable, nuisible à terme ? Comment pensez-vous que l’on puisse y remédier ?
L’objectif de la lutte contre la corruption est de rendre les marchés publics plus
transparents. Un des leviers de cette lutte se traduit en effet par des amendements ou
compléments juridiques. Néanmoins, l’intégration de nouvelles règles et normes ne
représente pas forcément une complexification du droit applicable. De plus, pour de
nombreux acteurs, la transparence simplifie aussi grandement la lisibilité des
procédures.
126
ANNEXE N°5 : Entretien avec Maître Marc Filet, avocat au barreau de Paris, chargé
de cours « investissements internationaux » dans le master 2
professionnel Droit des affaires internationales à Paris V :
1- Pensez-vous que les réglementations internationales en matière de lutte contre
la corruption soient réellement efficaces quand, selon la lettre de la transparence
de décembre 2006, les indices démontrent « la modestie des progrès enregistrés
en dépit de la multiplication des conventions internationales »?
Quelle est la prochaine étape ? Que manque t-il au niveau international pour
parvenir à un système efficace de lutte contre la corruption ?
Les réglementations internationales ne sont pas suffisantes stricto sensu, elles doivent
être accompagnées d’une moralisation (au sens éthique) croissante des divers acteurs
participants aux contrats internationaux.
Les grandes multinationales, les conseils divers et les avocats intervenant sur les
grands projets doivent prendre conscience qu’il faut lutter contre la corruption car
elle fragilise à long terme le développement de leur propre pays.
Pour plus d’efficacité il est envisageable de compléter la réglementation
internationale par des incitations extérieures. Par exemple la Banque Mondiale
exclut de ses projets les entreprises ayant commis des actes de corruption. Le manque
à gagner pour une entreprise exclut des marchés publics financés par la Banque
Mondiale peut être très important. Ce type de sanction a certainement plus d’impact
qu’une hypothétique sanction pénale prononcée par un tribunal national.
Toutefois les « guidelines » de la Banque Mondiale peuvent sembler excessives et trop
rigides. Leur application peut parfois avoir un impact négatif sur le développement
du pays. Ainsi le refus de financer des projets dans des pays fortement corrompus a
nécessairement un impact et la population est alors sacrifié au nom de la lutte contre
la corruption.
127
2- Doit-on intensifier la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de
« crispation éthique » de la société ?
La lutte contre la corruption est une des grandes batailles du 21ème siècle, les méfaits
de la corruption notamment dans les infrastructures de service public n’est plus à
démontrer (atteinte à la sécurité de l’infrastructure, constitution d’une élite
despotique,…).
Malheureusement la corruption est inhérente au développement des relations
transnationales et à la dilution du capital.
De nombreux textes ou conventions ont été ratifiées afin de mettre un terme à la
corruption tel que la convention OCDE du 17 décembre 1997 (entré en vigueur le 15
février 1998), le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) adopté en 1977, ou encore le
Sarbanes-Oxley Act de 2002.
Ces textes étaient nécessaires pour mettre en exergue les problématiques de
corruption et attirer l’attention des professionnels sur ce problème, malheureusement
ils n’empêchent pas les dérives.
On peut envisager de lutter contre la corruption non par un arsenal juridique mais en
accentuant la responsabilisation individuelle des divers acteurs économiques
internationaux, par exemple en les sensibilisant aux risques pris sur le long terme ou
en envisageant d’autre forme d’incitation non juridique (sanction sociale, exclusion
d’une profession). L’éthique personnelle doit être valorisée et incitée.
3- Quelle est la légitimité des organisations internationales pour agir et pour
sanctionner au titre de la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de
saper les initiatives locales ou de voir ces organisations s’éloigner de leurs
missions premières comme on a pu le reprocher à la Banque Mondiale ?
Les organisations internationales ont une légitimité certaine à agir pour sanctionner
la corruption au niveau des grands projets internationaux.
128
En effet, ces projets sont très propices au développement de la corruption. Les
institutions internationales sont donc les mieux à même de réguler ce fléau de part
leur domaine d’intervention supranational.
En tant que bailleur de fonds internationaux (Banque Mondiale, FMI, Banque de
développement,…), les institutions internationales se doivent de prendre en compte ce
phénomène et de mesurer son impact.
En revanche l’intervention des organisations internationales dans des projets locaux
et ne faisant pas intervenir d’éléments d’extranéité est plus discutable. La lutte contre
la corruption au niveau local devrait être le fait des Etats (principe de subsidiarité).
La population locale étant mieux à même d’intégrer des normes nationales plutôt que
celles émanant d’une institution dont la légitimité n’est pas entièrement acceptée.
4- Quelle approche doit-on adopter, selon vous, face à la corruption ? Une
position ferme comme celle que prône Monsieur Paul Wolfowitz dans le cadre de
la Banque Mondiale, qui consiste à bloquer l’aide aux pays corrompus ? Ou doit-
on considérer que la corruption n’est pas un mal mais un symptôme qui
disparaîtra avec le développement du pays ?
Une position ferme sur la corruption peut sembler séduisante au premier abord car il
est certain que la corruption est un frein au développement de nombreux pays.
Mais la position consistant à bloquer l’aide aux pays corrompus est manifestement
excessive car c’est la population qui souffrira des fautes commises par son
administration.
Il convient de nuancer cette position et d’adapter les sanctions à la réalité socio-
économique du pays en gardant à l’esprit que la sanction ne doit pas causer un
préjudice supérieur à celui provoqué par la corruption.
Il n’est peut-être pas souhaitable d’avoir une définition uniforme de la corruption, il
faudrait sans doute appréhender la notion de corruption en tenant compte des
spécificités sociaux-culturelles propres à chaque pays. En effet de nombreuses
129
cultures notamment en Afrique sont centrées sur la notion de cadeau et de don. Une
vision ethnocentriste de cette réalité sociale peut conduire à analyser comme
corruption ce qui n’est qu’un mode de fonctionnement traditionnel d’une société.
Il ne doit donc pas exister une notion unique de corruption mais diverses approches
fondées sur la finalité plutôt que sur la matérialité de la chose remise.
5- Doit-on remettre en question à terme les Marchés Publics pour lutter
efficacement contre la corruption comme le souhaite ceux qui pointent du doigt le
lien entre corruption et interventionnisme ?
La corruption dans les marchés publics est exacerbée par l’ampleur des sommes
mises en jeux et parce qu’elle fût/est un mode notoire de financement des partis
politiques de tout bord. Pour autant mettre un terme au marché public semble
illusoire car l’Etat est devenu un acteur incontournable des relations économiques
internationales.
De plus, même si elle est moins médiatique, il existe également une corruption dans
les marchés privés, comme en témoigne la récente réforme du code pénal français qui
a correctionnalisé la corruption active ou passive de salarié d’une entreprise privée.
La dichotomie de traitement entre les marchés publics victime de la corruption et les
marchés privés exempts de corruption est une image d’Epinal qui ne reflète en aucun
cas la réalité du monde économique international.
6- Sur le plan des contrats publics à proprement parlé, ne pensez vous pas que la
lutte contre la corruption risque d’amener à un complexification du droit
applicable, nuisible à terme ? Comment pensez-vous que l’on puisse y remédier ?
On assiste à une sophistication de l’arsenal de surveillance et de répression en
matière d’achat public. Mais la lutte contre la corruption n’est pas la seule cause de
l’intensification du formalisme et de la complexification des modes de passation.
L’éclatement des sources juridique et notamment en Europe l’immixtion à grande
130
échelle du droit communautaire ultra formaliste est également à l’origine de cette
complexification.
La financiarisation accrue de la vie économique apparaît également comme un
facteur de développement de la corruption. En effet les possibilités matérielles de
satisfaire rapidement l’avidité ont décuplé ces dernières années, dès lors qu’avec le
développement de la sphère financière des capitaux circulent en masse à l’affût
d’opportunités.
Il faut sans doute retourner à l’élaboration de règles simples, cohérentes et
suffisamment souples pour englober diverses situations plutôt que de tout vouloir
réglementer. De plus le changement de nature de la croissance économique implique
sans doute un changement de nature de la problématique de la corruption. De
pathologique, celle-ci est devenue structurelle.
8- Pensez-vous que les partenariats Public-Privé puissent être un outil efficace
dans la lutte contre la corruption ? Pourquoi ?
Les partenariats publics privés ne sont pas un outil plus efficace que les autres de
lutte contre la corruption. Même s’ils impliquent une plus forte collaboration entre
l’entité publique et l’entité privée, il est toujours possible de mettre en place des
mécanismes de corruption que ce soit dans la phase du dialogue compétitif ou lors de
l’attribution du contrat de partenariat.
Malheureusement, il n’existe pas de remède miracle pour lutter contre la corruption,
en revanche une des solutions envisageables est la moralisation des rapports
transnationaux en sensibilisant et responsabilisant les acteurs économiques
internationaux.
La corruption comme d’autres maux n’est que le reflet d’une perte des valeurs
morales qui ont fait la force du capitalisme et d’une banalisation de ses
comportements sans véritables sanctions sociales.
131
ANNEXE N°6 : Entretien avec John Fawcett, responsable des questions de politique
internationale au sein du cabinet d’avocats new-yorkais Kreindler
and Kreindler :
1- Pensez-vous que les réglementations internationales en matière de lutte contre
la corruption soient réellement efficaces quand, selon la lettre de la transparence
de décembre 2006, les indices démontrent « la modestie des progrès enregistrés
en dépit de la multiplication des conventions internationales »?
C’est très difficile de déterminer dans quelle mesure les réglementations sont
efficaces. D’une part il y a clairement plus de corruption de nos jours qu’il n’y en a
jamais eu mais il y a aussi beaucoup plus de transactions internationales,
d’investissements, et de projets de développement qu’auparavant. Il y a aussi plus de
contrôle par la presse l’opposition politique ou les ONG. Les réglementations
internationales donnent une opportunité d’action aux gouvernements en leur
permettant de prendre des mesures s’ils le souhaitent.
Le problème est que très peu d’états interviennent effectivement pour adopter ce
genre de mesures.
Un autre problème que soulève l’existence d’un cadre réglementaire international est
que celui-ci donne une illusion de progrès.
2- Quelle est la prochaine étape ? Que manque t-il au niveau international pour
parvenir à un système efficace de lutte contre la corruption ?
Je ne vois aucune institution internationale qui puisse être établie ou renforcée pour
offrir un système efficace de lutte contre la corruption.
Comme pour les autres mécanismes mis en place au niveau international soit ils
souffrent de la lenteur administrative soit ils connaissent une efficacité limitée du fait
du manque de mesures concrètes.
C’est à l’échelle nationale que doivent être prises des lois qui prohibent la corruption
au niveau internationale.
Un domaine auquel il faudrait porter une plus grande attention est l’établissement de
paradis fiscaux comme les îles vierges britanniques, Chypres, le Liechtenstein etc.…
132
Ils se situent presque tous dans les pays occidentaux ou en sont très proches.
Un des plus grands remèdes à la corruption serait donc la disparition de ces paradis
fiscaux et la levée du secret bancaire encore en vigueur dans certains pays comme la
Suisse.
Selon moi l’industrie qui entoure le blanchissement d’argent est autant responsable
de la corruption que les leaders corrompus eux-mêmes.
3- Doit-on intensifier la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de
« crispation éthique » de la société ?
Oui, elle doit être intensifiée et même s’il y a des risques, non seulement éthique. Par
exemple en Arabie Saoudite qui est un pays dirigé par des Kleptocrates, les
allégations de corruption sont une arme puissante pour l’opposition dans le but
d’affaiblir le régime. Le problème est que l’opposition est constituée par des membres
ou sympathisants d’Al Qaeda. Le risque à ne pas traiter le problème de la corruption
est qu’il se disperse au-delà des frontières nationales. Prenons par exemple, l’affaire
« pétrole contre nourriture » dans laquelle 2000 entreprises issues de 100 pays se
sont retrouvées impliquées. Au cours des années 90, pendant que les échanges se
globalisaient rapidement, le programme de lutte contre la corruption des Nations
Unies était également florissant, et pas uniquement dans les pays émergents mais
également dans des douzaines de pays industrialisés. La corruption peut être perçue
comme un vice aussi bien que comme une maladie.
4- Quelle est la légitimité des organisations internationales pour agir et pour
sanctionner au titre de la lutte contre la corruption ? N’y a-t-il pas un risque de
saper les initiatives locales ou de voir ces organisations s’éloigner de leurs
missions premières comme on a pu le reprocher à la Banque Mondiale ?
La légitimité provient des accords internationaux, traités et conventions, que les pays
ont signé et ratifié. Mais avoir la légitimité ne se traduit pas forcément par la
possibilité d’agir. C’est l’hypocrisie du système international. Je reviens sur ma
réponse au sujet de l’illusion de progrès. La plupart sinon tous les leaders politiques
nationaux aiment avoir des réglementations nationales en vigueur qui sont très
faiblement appliquées. Ainsi, ils peuvent prétendre avoir agit même si ces
133
réglementations ne sont pas suivies d’actes. La force provient des actions au niveau
national et non international. Cela peut être soit des réglementations contre les
citoyens d’un Etat ou des mesures prises par un Etat contre un autre. Je penses que la
plupart des gouvernements voient dans les réglementations internationales la
possibilité pour un Etat d’agir contre un autre mais pas la possibilité pour une
organisation internationale d’agir en leur nom.
5- Quelle approche doit-on adopter, selon vous, face à la corruption ? Une
position ferme comme celle que prône Monsieur Paul Wolfowitz dans le cadre de
la Banque Mondiale, qui consiste à bloquer l’aide aux pays corrompus ? Ou doit-
on considérer que la corruption n’est pas un mal mais un symptôme qui
disparaîtra avec le développement du pays ?
Je tend à être d’accord avec la ligne dure de la lute contre la corruption. Du moins
dans la plupart des pays subsaharien, il ne semble y avoir aucune limite à
détournement d’argent public vers la Suisse. En d’autres termes, il semble qu aucun
pays ne puisse se développer sans corruption. Cependant la Chine et l’Inde sont des
cas différents. Je n’en sais pas assez à leur sujet, mais allons-nous nous réveiller dans
20 ou 30 ans avec ces énormes et riches pays comme plus grands exemples de règles
de droit commercial, ou est-ce que l’économie globale connaîtra autant de corruption
que ce que connaît l’économie chinoise actuellement ?
6- Doit-on remettre en question à terme les Marchés Publics pour lutter
efficacement contre la corruption comme le souhaite ceux qui pointent du doigt
le lien entre corruption et interventionnisme ?
Certainement. Les seuls contrats américains en Irak sont emprunts de corruption, qui
sont autant de possibilités pour les détracteurs de critiquer le régime américain. Les
accords entre l’Angleterre, la France et l’Arabie saoudite sont de notoriété publique.
Les contrats de défense, qui parmi les différentes catégories de contrats d’ Etat sont
probablement les plus emprunts de corruption. Cependant les seules organes qui
peuvent remettre ceux-ci en question sont les gouvernements eux-mêmes.
134
7- Sur le plan des contrats publics à proprement parlé, ne pensez vous pas que la
lutte contre la corruption risque d’amener à un complexification du droit
applicable, nuisible à terme ? Comment pensez-vous que l’on puisse y remédier ?
Encore une fois, je ne penses pas que le renforcement des réglementations
internationales soit désirable ou possible. Mais les réglementations sont essentielles
pour l’action des gouvernements nationaux. Sans celles-ci nous serions probablement
en guerre à chaque désaccord.