mécanique des fluides appliquée

82
PIERRE-LOUIS VIOLLET • JEAN-PAUL CHABARD PASCAL ESPOSITO • DOMINIQUE LAURENCE Mécanique des fluides appliquée Écoulements incompressibles dans les circuits, canaux et rivières, autour des structures et dans l’environnement

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Page 1: Mécanique des fluides appliquée

P

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IOLLET

• J

EAN

-P

AUL

C

HABARD

P

ASCAL

E

SPOSITO

• D

OMINIQUE

L

AURENCE

Mécanique des fluides appliquée

Écoulements incompressibles

dans les circuits, canaux et rivières,

autour des structures

et dans l’environnement

Page 2: Mécanique des fluides appliquée

D

ANS

LA

MÊME

COLLECTION

P.-L. V

IOLLET

,

Mécanique des fluides à masse volumique variable

, Presses des Ponts et

Chaussées, 1997.

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le

présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’auteur, de son éditeur ou du

Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 6, quai des Grands-Augustins, 75006 Paris).

© 1998 ISBN 2-85978-301-6

28, rue des Saints-Pères

75007 Paris

Page 3: Mécanique des fluides appliquée

Remerciements

Cet ouvrage résulte de la refonte du cours de Mécanique des fluides appliquée de

l’École nationale des ponts et chaussées. Il bénéficie de l’expérience de nombreuses

années d’enseignement ainsi que, à plus d’un titre, des contributions de tous ceux qui

ont participé aux travaux de cette équipe enseignante au cours des dernières années.

En premier lieu, nous sommes redevables à André Daubert et Jean-Pierre Benqué

qui ont enseigné la mécanique des fluides à certains d’entre nous, et qui ont animé

avant nous cette équipe. Nous remercions également tous les « anciens » enseignants

qui pourront retrouver, ici ou là, dans ce livre, les traces de leurs pas : François

Boulot, Raymond Cointe, Gérard Labadie, Alain Hauguel, Jean-François Malherbe,

Rémi Pochat.

Notre reconnaissance va aussi à nos collègues plus jeunes qui ont enrichi ce cours,

qui nous ont aidé de leurs avis, qui nous ont fourni des illustrations ou qui ont relu

le manuscrit pour en extirper les erreurs : Georges Balzer, Elisabeth Ben Slama,

Olivier Dauchot, Danièle Garreton, Patricia Ern, Alexandre Ern, Olivier Simonin,

Alain Petitjean.

De nombreuses illustrations de ce livre proviennent du Laboratoire national

d’hydraulique de la direction des Études et Recherches d’EDF (DER), laboratoire par

lequel nous sommes tous les quatre passés et que certains d’entre nous ont dirigé.

C’est l’ensemble du personnel de ce laboratoire que nous remercions également ici.

Merci en particulier à Jean-Michel Hervouet pour les illustrations de calculs d’écou-

lements à surface libre (chapitre 6), et à Bertrand Carissimo du département Envi-

ronnement de la DER pour sa contribution aux illustrations et aux références du

chapitre 5.

Page 4: Mécanique des fluides appliquée
Page 5: Mécanique des fluides appliquée

V

Sommaire

Préface de Forrest M. Holly

VII

Avant-propos

X

Notations

XII

Chapitre 1.

Les notions fondamentales à travers l’histoire de leur découverte

(introduction aux écoulements incompressibles) 1

Chapitre 2.

Turbulence et modélisation des écoulements turbulents 67

Chapitre 3.

Écoulements permanents dans les circuits et réseaux de tuyauteries 137

Chapitre 4.

Efforts induits par les écoulements sur les structures 166

Chapitre 5.

Les écoulements à la surface du globe. Écoulements géophysiques.

Écoulements à surface libre 196

Chapitre 6.

Les écoulements transitoires dans les canaux et rivières 238

Chapitre 7.

Écoulements permanents et transport de sédiments

dans les canaux et rivières 316

Bibliographie

354

Index

361

Table des matières

364

Page 6: Mécanique des fluides appliquée
Page 7: Mécanique des fluides appliquée

V I I

Préface

Computational hydraulics, computational

fluid dynamics, and hydroinformatics have

invaded virtually all domains of research

and application in hydroscience and fluids

engineering. To the extent that this invasion

has led to improved understanding of

complex fluid phenomena and provided a

frame of reference for testing and verifying

designs and operational schemes, we have all

benefited from it. But to the extent that it has

shifted attention away from fundamental

descriptions and understanding of fluid

phenomena, and toward computational and

numerical issues, this invasion has left a void

in the scientific and technical literature. This

void exists somewhere between student

exposure to first principles of solid and fluid

mechanics on the one hand, and advanced-

student and researcher/practitioner exposure

to computational techniques and

applications on the other. This new text

naturally and refreshingly steps in to fill this

void, and as such is a most welcome addition

to the literature and to personal and

institutional libraries.

The text is refreshing in its innovative and

careful attention to setting the historical

framework of general and specific topics.

This is most notable in the first chapter,

which very gracefully and efficiently leads

the reader through historical developments

to contemporary mathematical statements of

basic fluid phenomena. Once the authors

Le calcul numérique en hydraulique et en

mécanique des fluides, l’hydro-informatique, ont

pratiquement envahi tous les domaines de

recherches et d’applications en sciences de l’eau et

en ingénierie des fluides. Nous en avons tous

bénéficié, dans la mesure où cette invasion a

permis une meilleure compréhension de

phénomènes complexes dans les fluides, et a

fourni un référentiel pour tester et vérifier les

concepts et leurs schémas opérationnels. Mais,

dans la mesure où l’effort s’est déplacé de la

description fine des phénomènes fluides vers les

aspects numériques et informatiques du calcul,

cette invasion a provoqué un vide dans la

littérature scientifique et technique. Ce vide se

trouve quelque part entre l’exposé didactique des

principes fondamentaux de la mécanique des

solides et des fluides, et la confrontation de

l’étudiant déjà avancé, du chercheur et du

praticien, avec les techniques du calcul numérique

et avec les applications. Ce nouvel ouvrage vient

avec bonheur combler ce vide ; il a sa place dans

les bibliothèques comme dans notre

documentation personnelle.

Ce livre est d’un abord particulièrement agréable

en ce qu’il met en scène, de façon très soignée

autant que novatrice, le contexte historique des

différents concepts. C’est dans le premier chapitre

que cet effort est le plus remarquable, en guidant

le lecteur d’une manière pédagogique et élégante à

travers les évolutions historiques jusqu’à la

description mathématique contemporaine des

Page 8: Mécanique des fluides appliquée

M

É C A N I Q U E

D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

V I I I

have established this foundation of

fundamental principles, they tie each

succeeding chapter back into the

introduction with appropriate and

supportive historical contexts. Although the

text does not shy away from rigorous

analytical descriptions of fluid phenomena,

it is unique in providing this delightful

historical context for each topic. The authors

have also made a special effort to tie the

chapters together into a unified whole, with

ample references forward and back ; this is

indeed rare, and much appreciated, in a text

of multiple authorship.

The topics treated and chapter structures

reflect the authors’professional

preoccupation with real-world problems. Yet

the presentations focus on fundamentals,

aimed squarely at the needs of advanced

students, researchers, and professionals.

Each chapter includes a section on problems

and applications, providing further

illustration and amplification of

fundamental concepts through application

to real-world situations and problems.

The organization of this text is not

traditional, and bears witness to the

authors’professional preoccupation with

real-world problems. For example, the lack

of universal descriptions of turbulence and

its effective mathematical and physical

conceptualization is a continuing,

fundamental stumbling block in most areas

of hydroscience and fluids engineering. The

authors therefore tackle the turbulence

problem in the very first technical chapter of

the book, providing a frame of reference for

the necessary empirical and quasi-analytical

descriptions of turbulence in subsequent

chapters. This chapter could be a textbook in

itself, providing a very comprehensive and

detailed description of the problem and

attempts to resolve it.

The material of the next chapter on steady

flow in conduits follows naturally from, and

builds on, the previous material on

phénomènes généraux de la mécanique des

fluides. Après avoir établi les fondements des

principes généraux, les auteurs replacent les

chapitres qui suivent dans ce contexte. Le discours

ne craint pas de recourir aux descriptions

analytiques rigoureuses des phénomènes, et sa

grande originalité, réside encore une fois, en ce

qu’il situe d’une façon très agréable chaque sujet

dans son contexte historique. Les auteurs se sont

également efforcés de produire un ensemble

cohérent, en établissant tous les liens nécessaires

entre les chapitres, avec de nombreuses références

croisées – chose trop peu fréquente dans un livre

écrit par plusieurs auteurs.

Les sujets abordés et la structure du livre

elle-même, reflètent les préoccupations

professionnelles des auteurs, en relation avec les

applications pratiques. Mais la présentation du

sujet se concentre sur les aspects fondamentaux,

directement orientés vers les besoins des étudiants

avancés, des chercheurs et des professionnels.

Chaque chapitre comprend des problèmes et des

applications, ce qui contribue à mieux illustrer

encore les concepts fondamentaux en montrant

comment ils s’appliquent aux situations réelles.

Le plan du livre rompt avec la tradition, ce qui

témoigne du souci des auteurs de traiter de

problèmes réels. Ainsi, l’absence de description

universelle de la turbulence, et sa traduction en

concepts mathématiques et physiques, sont les

pierres d’achoppement majeures, permanentes,

dans la plupart des domaines des sciences de l’eau

et de l’ingénierie des fluides. Les auteurs ont donc

choisi de s’attaquer au problème de la turbulence

dès le premier chapitre proprement technique du

livre, ce qui procure un cadre de référence pour les

descriptions empiriques ou semi-analytiques de la

turbulence qui sont utilisées dans les chapitres

suivants. Ce chapitre, qui fournit une description

détaillée et claire du problème, avec les tentatives

pour le résoudre, pourrait être un livre à lui seul.

La matière du chapitre suivant, qui concerne les

écoulements permanents dans les conduites,

s’appuie sur les concepts fondamentaux et sur la

description de la turbulence introduits

auparavant, et en découle naturellement.

Page 9: Mécanique des fluides appliquée

I X

fundamental flow descriptions and

turbulence. The chapter on flow-structure

interaction is refreshing for its up-front

recognition of the need to distinguish

between non-accelerating and accelerating

situations as equally important, leading

naturally to the notions of added mass and

its quantification. The chapter on

geophysical flows provides an unusual and

much-appreciated unified view of

atmospheric and free-surface large-scale

flows. The final two chapters on unsteady

and steady channel flow embody very

thoughtful and well-crafted discussions on

the physical bases for waves of various scales,

and on the basic notions of mobile-bed

fluvial hydraulics.

The faint-hearted, perhaps attracted by the

humanistic and historical context of the

book, should not expect to digest the material

without chewing on the rigorous and

detailed mathematical descriptions. Indeed,

the book is unusual in its spanning of the

chasm between heuristic phenomenological

descriptions and their rigorous

mathematical representations. For the

student of intermediate to advanced fluid

mechanics and hydraulics ; for the researcher

seeking a base reference for problems of

current interest ; for the advanced student

seeking to develop a unified view of

seemingly disconnected realms in

hydroscience ; and for the professional

motivated to strengthen his or her

understanding of the fundamental bases of

simulation through computation ; this book

should be an invaluable and timeless

resource.

Le chapitre sur les interactions fluide-structure est

bienvenu par son rappel de la distinction entre les

écoulements qui subissent ou non une

accélération, situations toutes deux importantes ;

il amène naturellement à introduire et à quantifier

la notion de masse ajoutée. Le chapitre sur les

écoulements géophysiques tranche sur les

présentations habituelles et fournit avec

pertinence une vision unifiée des écoulements

dans l’atmosphère, et des écoulements à surface

libre à grande échelle. Les deux derniers chapitres

sur les écoulements instationnaires et

stationnaires dans les canaux constituent une

discussion bien construite sur les bases physiques

des phénomènes d’ondes à différentes échelles, et

sur les notions importantes pour les écoulements

fluviaux à fond mobile.

Le lecteur nonchalant qui pourrait n’être attiré

que par l’abord humaniste sous lequel se présente

le livre ne doit pas espérer en assimiler la matière

sans s’investir dans la compréhension des

descriptions mathématiques rigoureuses et

détaillées. Ce livre tranche réellement avec l’usage

en comblant le vide qui existe encore trop entre les

descriptions phénoménologiques heuristiques et

leur représentation mathématique rigoureuse.

Pour l’étudiant en mécanique des fluides et en

hydraulique, pour le chercheur qui a besoin d’une

base de référence sur les phénomènes généraux,

pour celui qui est assez avancé dans son étude du

domaine pour chercher à en développer une

vision unifiée à partir des différents éléments des

sciences de l’eau, souvent présentés comme

disjoints, et pour le professionnel qui souhaite

renforcer sa connaissance des bases qui sous-

tendent les méthodes de simulation numérique,

cet ouvrage devrait constituer une ressource

durable et de grande valeur.

Forrest M. Holly Jr.

Professor and Chair of Civil and Environmental Engineering

Research Engineer, Iowa Insitute of Hydraulic Research

Vice President, International Association of Hydraulic Research

Iowa City, May 1998

Page 10: Mécanique des fluides appliquée

M

É C A N I Q U E

D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

X

Avant-propos

Aujourd’hui, l’étude des écoulements incompressibles en mécanique des fluides

offre une palette d’applications extrêmement diversifiée : des études d’aménagement

au génie industriel, de la ventilation dans l’habitat à la gestion de l’eau, de l’industrie

chimique à la médecine… C’est une composante obligée d’un grand nombre de

projets et de programmes pluridisciplinaires.

Ce livre constitue, à l’attention des étudiants, des ingénieurs et des chercheurs, un

exposé général sur les phénomènes importants et sur les méthodes d’analyse en

Mécanique des fluides appliquée. L’ingénieur doit avoir la capacité d’estimer rapide-

ment des ordres de grandeur, et doit aussi connaître les méthodes de modélisation

qui sont à la base des outils d’analyse plus précise. Parmi ces derniers, chacun connaît

le développement important des méthodes de simulation numérique et du marché

des logiciels. Sans une connaissance des phénomènes, on ne peut utiliser ces logiciels

de façon sûre. La recherche appliquée, aujourd’hui, a les mêmes besoins.

Le premier chapitre, destiné à introduire les bases de la mécanique des fluides,

tranche sur l’exposé traditionnel – et souvent ennuyeux – qui part de l’analyse tenso-

rielle pour aboutir aux équations de Navier-Stokes. C’est à la lecture du remar-

quable, bien qu’ancien, ouvrage de Hunter Rouse et Simon Ince sur l’«Histoire de

l’hydraulique», publié dans les années 1950 en français dans la revue

La Houille

Blanche

, puis, en anglais, aux États-Unis, que m’est venue l’intention de présenter

cette introduction sous la forme d’un aperçu historique. Il nous est très vite apparu,

ensuite, que l’approche historique présente aussi un intérêt pédagogique clair, grâce

à la progression qu’elle apporte dans l’introduction des éléments fondamentaux :

comment attendre d’un lecteur non initié qu’il puisse considérer, d’emblée, comme

des évidences, des notions que l’humanité a mis des milliers d’années à assimiler? Il

est aussi intéressant de rappeler la place que les ingénieurs français, comme Chézy,

Navier ou Saint-Venant ont tenu dans le développement de cette science. À ce titre,

ce chapitre introductif intéressera sans doute le lecteur déjà familier de la mécanique

des fluides.

Les domaines d’application qui sont l’objet de ce livre sont plus particulièrement les

circuits et réseaux hydrauliques, qui sont présents dans tous les domaines de l’ingé-

Page 11: Mécanique des fluides appliquée

X I

niérie, les écoulements autour de structures et d’obstacles, importants pour les struc-

tures de génie civil comme pour la conception des véhicules et moyens de transport,

ainsi que les écoulements dans notre environnement naturel. Trois chapitres du livre

sont consacrés à ce dernier sujet. Est-il besoin de le rappeler, l’Homme ne peut être

indifférent à son environnement, que ce soit l’environnement qui agisse sur les

ouvrages ou bien que ce soient ses aménagements ou son industrie qui perturbent la

géosphère. Après une introduction générale aux écoulements de l’atmosphère et des

eaux de surface, le livre présente ensuite un approfondissement sur les écoulements

dans les canaux et rivières : propagation d’ondes, des crues et des inondations, trans-

port de sédiments, transitions de régimes dans les écoulements permanents.

Pratiquement tous les écoulements qui intéressent l’ingénieur sont turbulents

. Les connais-

sances de base sur la turbulence sont donc introduites dès le second chapitre du livre,

ce qui permet ensuite de comprendre les problèmes de la modélisation détaillée des

différents types d’écoulements et de bien voir ce qu’il y a derrière les outils simples qui

sont utiles à l’ingénieur.

L’unité de tous les phénomènes présentés dans ce livre est que la masse volumique

peut être supposée constante : il s’agit donc, comme nous l’avons rappelé plus haut,

d’écoulements incompressibles – notion qui est précisée dans le premier chapitre.

L’aérodynamique, les transferts de chaleur, les écoulements stratifiés font l’objet

d’un autre ouvrage.

Je souhaite que ce livre soit un bon support pour les étudiants et les élèves des écoles

d’ingénieur, mais aussi un outil utile pour ceux qui ont à résoudre des problèmes

concrets, et une lecture agréable pour les amoureux de la mécanique des fluides.

Pierre-Louis Viollet

Page 12: Mécanique des fluides appliquée

M

É C A N I Q U E

D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

X I I

Principales notations

A

Section transversale d’une conduite ou d’un canal.

C

Célérité des ondes de gravité (= (g

h

)

0,5

)

C

D

Coefficient de traînée.

C

L

Coefficient de portance.

C

H

Coefficient de Chézy.

C

p

Coefficient de pression.

d

Échelle de longueur.

D

Diamètre (conduite de section circulaire ; objet cylindrique ou sphérique).

D

H

Diamètre hydraulique pour un conduit de section quelconque

(égal à quatre fois le rapport de la section au périmètre mouillé).

D

(

K

) Densité spectrale de la dissipation

ε

.

e

Énergie interne massique.

e

v

Épaisseur de la sous-couche visqueuse.

E

(

K

) Densité spectrale d’énergie turbulente.

f

Fréquence.

F Nombre de Froude =

V

/ (g

l

)

0,5

(plus précisement V / (g

h

)

0,5

pour l’étude des écoulements à surface libre).

g Accélération de la pesanteur.

h

Hauteur d’eau (=

η

Z

f

). Échelle de hauteur.

h

c

Hauteur d’eau critique (correspond à F = 1)

h

n

Hauteur d’eau normale (correspond à

I

=

J

)

H

Charge =

p

+

ρ

g

z

+

ρ

V

2

/ 2.

Charge exprimée en mètres d’eau =

H

/ ρg

Charge spécifique (comptée à partir du fond d’une rivière ou d’un canal).

Id Tenseur identité

I Pente du fond d’un canal ou d’une rivière = – ∂Zf / ∂x.

H

H s

Page 13: Mécanique des fluides appliquée

X I I I

J Terme contenant le frottement pour un écoulement à surface libre

J = τ / (ρgRH).

k Énergie turbulente.

K Vecteur d’onde (= 2π / longueur d’onde).

Ks Coefficient de Strickler (expression du frottement pour un écoulement

à surface libre).

L Échelle de longueur dans le plan horizontal.

Largeur d’un canal ou d’une rivière. Longueur d’un conduit.

Lt Échelle des grandes structures turbulentes.

Lm Longueur de mélange de Prandtl.

l Échelle de longueur.

p Pression.

pi Pression d’arrêt.

p* Écart de pression par rapport à la pression hydrostatique.

p′, p*′ Fluctuation de pression.

P Terme de production dans le bilan d’énergie turbulente.

Q Débit volumique d’une écoulement en conduite, canal, ou rivière.

R Tenseur de Reynolds.

Rij Composantes du tenseur de Reynolds.

RH Rayon hydraulique = DH / 4

Re Nombre de Reynolds = Vd / ν

Ro Nombre de Rossby = V / γL

S Nombre de Strouhal = fd / V

Sij Composantes du tenseur des vitesses de déformation.

u, v, w Composantes de la vitesse selon les directions x, y et z, respectivement.

U Composante de la vitesse selon la direction principale de l’écoulement dans

un conduit, un canal ou une rivière, moyennée sur la section transversale A

(chap. 3, 6 et 7).

U, V Composantes, selon x et y, de la vitesse moyennée selon la profondeur ;

chapitre 5 (U = <u> ; V = <v>).

u* Vitesse de frottement (dans la couche limite).

ui Composante de la vitesse selon la coordonnée xi .

ui′ Fluctuation turbulente de la composante ui de la vitesse.

Page 14: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É EX I V

V Vecteur vitesse.

x, y, z Repère cartésien (z désigne la coordonnée verticale ascendante).

xi (i = 1 à 3 pour x, y, z). x3 désigne la coordonnée verticale ascendante.

x Vecteur de coordonnées (x, y, z).

Y Fraction massique d’une substance dissoute ou présente dans le mélange.

Zf Cote du fond pour un écoulement à surface libre.

χ Périmètre mouillé.

δi j Symbole de Kronecker (= 1 si i = j ; = 0 sinon).

ε Terme de dissipation dans le bilan d’énergie turbulente.

γ Paramètre de Coriolis = 2 ω sin(λ).

η Cote de la surface libre d’un liquide.

κ Constante de Von Karman.

λ Latitude.

λ 0 Échelle de Kolmogorov (échelle des plus petits tourbillons turbulents).

Λ Longueur d’onde.

λ c Coefficient de perte de charge linéaire.

ν Viscosité cinématique.

ν t Viscosité turbulente.

µ Viscosité dynamique.

ρ Masse volumique.

Tenseur des contraintes.

σ i j Composantes du tenseur des contraintes : σ i j = τ i j – pδi j .

Tenseur des contraintes visqueuses.

τ i j Composantes du tenseur des contraintes visqueuses.

τ p Contrainte de frottement à la paroi.

τ w Contrainte de frottement causée par le vent

à la surface libre d’un plan d’eau.

ζ Rugosité d’une paroi.

ξ c Coefficient de perte de charge singulière.

ω Pulsation (= 2π / période).

ln Logarithme népérien.

log10 Logarithme décimal.

Page 15: Mécanique des fluides appliquée

X V

sinh Sinus hyperbolique.

cosh Cosinus hyperbolique.

tanh Tangente hyperbolique.

∆ Laplacien .

<G> Moyenne de la grandeur G, sur la section transversale d’un conduit

ou d’un canal, ou, selon la profondeur, entre Zf et η (chapitre 5).

G″ Écart local par rapport à <G> (= G – <G>).

représente la moyenne stochastique de la grandeur G (filtrée des

fluctuations turbulentes).

G ′ Fluctuation turbulente de la grandeur G (= G – ).

A ⊗ B Produit tensoriel du tenseur A et du tenseur B.

Sauf mention contraire, on utilise la notation d’Einstein de sommation des indices

répétés :

.

Dérivée partielle et dérivée en suivant le fluide dans son mouvement

La dérivée partielle ∂ / ∂t représente la variation dans le temps d’une grandeur en

un point fixe par rapport au système de coordonnées. Il est commode en Mécanique

des fluides d’utiliser le concept de variation des grandeurs en suivant les particules

fluides dans leur mouvement. La variation d’une grandeur f pendant l’intervalle de

temps dt, variation observée en suivant les particules fluides dans leur mouvement,

s’écrit (avec sommation sur l’indice i) :

;

soit : .

Cet opérateur est appelé dérivée particulaire de la grandeur f. Il représente la variation

d’une grandeur physique en suivant l’écoulement. Ce concept est très utile pour

écrire les équations de transport de diverses grandeurs comme l’énergie, la concen-

tration d’une substance portée par le fluide, etc.

∂2

x2∂-------- ∂2

y2∂------- ∂2

z2∂-------+ +=

G

G

Aik Bjk Aik Bjk ; Aik Bjk Cjl

k 1=

3

∑ Aik Bjk Cjl

j 1=

3

∑k 1=

3

∑= =

fdf∂t∂

---- tdf∂xi∂

------- xid+ f∂t∂

----f∂xi∂

------- xid

td-------+

tdf∂t∂

---- ui f∂xi∂

-------+ td= = =

fd

td---- f∂

t∂---- V grad f( )⋅+ f∂

t∂---- ui

f∂xi∂

-------+= =

Page 16: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É EX V I

Rayon hydraulique et diamètre hydraulique

Dans la section transversale A d’un conduit ou d’un canal, le périmètre mouillé χreprésente la partie du périmètre sur lequel le fluide s’écoule au contact des parois

solides.

On appelle :

– rayon hydraulique le rapport RH = A / χ.

– diamètre hydraulique DH = 4 RH = 4 A / χ.

Pour une conduite de section circulaire, le diamètre hydraulique est égal au diamètre.

A

Écoulement en charge Écoulement à surface libre

surface libre

χ χ

Page 17: Mécanique des fluides appliquée

C

HAPITRE

1 : L

ES

NOTIONS

FONDAMENTALES

À

TRAVERS

L

HISTOIRE

DE

LEUR

DÉCOUVERTE

1

C

HAPITRE

1

Les notions fondamentales à travers l’histoire de leur découverte

Introduction aux écoulements

incompressibles

« Je vois que beaucoup de choses, qui ont été

parfaitement démontrées par les Anciens, restent

actuellement incomprises de beaucoup de gens,

à cause de leur ignorance… »

Galien de Pergame,

Sur les facultés naturelles

(III, 10),

IIe

siècle après J.-C.

Ce chapitre se situe dans une perspective historique. Il décrit le développement de la

connaissance des écoulements, et des équations qui permettent de les décrire. Il établit, au

fil de cette revue, les équations, les méthodes et les hypothèses de base et constitue, par-là

même, une introduction détaillée à l’étude des écoulements incompressibles.

Il y a le problème des notations, qui ont pu évoluer au cours du temps. Pour faciliter la

compréhension du lecteur, toutes les équations qui sont citées sont retranscrites avec les

notations de ce livre, au détriment de l’authenticité historique, parfois.

1. L’homme et les écoulements incompressibles : de l’Antiquité aux équations de Navier-Stokes

Par où commencer une introduction aux écoulements incompressibles? L’approche

historique est une réponse possible, car la sédentarisation de l’homme et le dévelop-

pement de ses civilisations ont été très intimement liés à l’histoire de l’utilisation de

Page 18: Mécanique des fluides appliquée

M

É C A N I Q U E

D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

2

l’eau. Cette introduction historique s’intéresse d’abord au développement de la con-

naissance en hydraulique dans l’Antiquité, puis se propose de relater le long pro-

cessus de découvertes des lois physiques et des équations qui les décrivent.

1.1. L’Antiquité : 4 000 ans d’utilisation de l’eau

Les premières utilisations de l’eau

Les premiers foyers de civilisation furent des vallées : celles du Nil, du Tigre et de

l’Euphrate, de l’Indus, et du fleuve Jaune. Maîtriser l’écoulement de l’eau, gérer l’eau,

est une préoccupation majeure depuis que l’homme s’est sédentarisé. En premier lieu

vient l’irrigation. L’irrigation par petits canaux s’est sans doute développée dès la fin du

Néolithique entre le Jourdain, le Tigre et l’Euphrate (vers 6500 av. J.-C.?), mais la mise

en commun des moyens importants nécessaires à l’irrigation et au drainage des terres

alluviales fertiles – mais arides ou marécageuses – des grandes vallées alluviales a été

sans doute le moteur de la constitution des premières civilisations. Les premiers grands

travaux hydrauliques sont ainsi contemporains – voire antérieurs – à l’invention de

l’écriture : vers 3300 av. J.-C., à Sumer, dans le delta de l’Euphrate, vers 3000 av. J.-C., en

Égypte. En Mésopotamie, le système des grands canaux s’est progressivement déve-

loppé sous les dominations akkadienne, babylonienne et assyrienne, jusqu’à permettre

la généralisation d’une agriculture intensive à haut rendement. Certains canaux fonc-

tionnaient par écoulement gravitaire entre l’Euphrate et le Tigre. Écoutons Hérodote,

voyageur grec, qui visita l’Égypte et la Mésopotamie vers 460 av. J.-C. :

« Il pleut très peu en Assyrie, juste assez pour permettre au blé de pousser. Mais grâce à l’eau du

fleuve, il peut croître et donner des moissons […]. Toute la Babylonie est sillonnée de canaux,

comme l’Égypte ; le plus important de ces canaux est navigable, même aux plus grands bateaux ;

il relie, en direction du lever du soleil d’hiver, l’Euphrate au Tigre

1

. »

En Égypte, justement, la gestion du trésor que constituent les crues du Nil, porteuses

d’eau et de limons fertiles, a conduit, dès le troisième millénaire, à mesurer le niveau

des crues (par des échelles appelées « nilomètres ») et à stocker l’eau des crues dans

des réservoirs, aménagés à partir de cuvettes naturelles, afin de la réutiliser grâce à un

système de canaux d’irrigation.

1.

L’Enquête

, tome I, traduction de Jacques Lacarrière.

Page 19: Mécanique des fluides appliquée

C

HAPITRE

1 : L

ES

NOTIONS

FONDAMENTALES

À

TRAVERS

L

HISTOIRE

DE

LEUR

DÉCOUVERTE

3

Figure 1.1.

Localisation des principaux grands travaux hydrauliques dans l’Égypte ancienne.

Mais les crues sont aussi sources de destructions. La première grande crue, dont on ait

la trace, est sans doute le Déluge mésopotamien

2

, qui pourrait être une crue de

l’Euphrate ayant détruit la cité sumérienne de Shuruppak vers 2900 av. J.-C. En Égypte,

2. Il existe plusieurs récits sumériens et babyloniens du Déluge (voir Samuel Noah Kramer et GeorgesRoux). Le récit babylonien, inclus dans l’

Épopée

de Gilgamesh

, fut, peut-être, inspirateur du récitbiblique.

31°

29°

27°

25°

Assèchement d'un bras du Nilpour construire Memphis,

digue et levées de protection(3100 av. J.-C.)

Memphis

Saïs Lac Timsah

Lacs AmersOuadiTumilat

Bubastis

Thèbes

Lac Qaroun

Dépressiondu Fayoun

Golfe de Suez

Sinaï

MerRouge

Île d'ÉléphantineRapides d'Assouan(première cataracte)

Alexandrie (332 av. J.-C.)

Barrage de Sadd el Kafara(2500 av. J.-C.)

Canal de Nechao (600 av. J.-C.)(canal des Deux Mers)

Canal Joseph

Lac Moeris (1850 av. J.-C.)

Canal de navigation(2400 av. J.-C.)

Nil

Page 20: Mécanique des fluides appliquée

M

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D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

4

des levées permettaient de contenir l’inondation excessive : c’est sans doute Ménès, l’un

des premiers pharaons, qui, vers 3100 av. J.-C., fit construire les premières levées pour

protéger sa capitale Memphis, nouvellement créée sur une terre gagnée sur un bras du

Nil. En Chine, le fleuve Jaune est connu pour ses crues dévastatrices et les changements

de son lit (voir la figure 7.4), et son histoire est celle d’une lutte sans fin contre les rup-

tures de digues ; vers 2000 av. J.-C., le légendaire empereur Yu (l’un des premiers empe-

reurs de Chine) fit édifier en treize ans un immense système de digues et de levées de

protection

3

. Hérodote rapporte que la reine Sémiramis (au

VIII

e

siècle av. J.-C.) « sup-

prima les crues du fleuve (l’Euphrate) en faisant construire, dans la plaine de Babylone,

des digues remarquables ».

La navigation fut très tôt une autre incitation à creuser des canaux. Sur le Nil, un

canal permettant aux navires de franchir les rapides d’Assouan a été percé vers

2400 av. J.-C., sous le règne du pharaon Merenrê (Ancien Empire), puis agrandi vers

1870 av. J.-C., sous Sesostris III, au Moyen Empire. Beaucoup plus tard, vers

600 av. J.-C., le pharaon Néchao II fit entreprendre par 120 000 ouvriers la construc-

tion d’un grand canal de navigation – ancêtre du canal de Suez – reliant le Nil à la

mer Rouge, assez large pour que deux trières puissent y naviguer de front. Ce canal a

été terminé vers 500 av. J.-C. par le Perse Darius I, successeur de Cambyse qui conquit

l’Égypte. Cette voie d’eau était alimentée par le Nil, et il semble que, jusqu’à Pto-

lémée, qui fit réaliser l’ouvrage final (une porte, ou écluse à sas?), en 280 av. J.-C., un

transbordement ait été nécessaire. Ce canal a été entretenu et utilisé sous la domina-

tion romaine, jusqu’à 760 ap. J.-C.

4

En Chine, les premiers éléments du vaste système

de canaux qui relie le bassin du fleuve Jaune à celui du Yangzi datent du

v

e

siècle av. J.-

C. En Mésopotamie, comme le Tigre n’était pas navigable jusqu’à son embouchure,

les grands canaux mentionnés plus haut permirent au roi Sennacherib, vers 700 av.

J.-C., de faire transiter une flotte construite à Ninive sur le Tigre jusqu’au golfe Per-

sique, via l’Euphrate

5

. L’existence de bateaux à voile est attestée vers 4000 av. J.-C. sur

l’Euphrate, et vers 3100 av. J.-C. sur le Nil : la voile permit le développement du com-

merce maritime : entre la Mésopotamie, Bahrein dans le golfe Persique et les

anciennes cités de la vallée de l’Indus ; entre l’Égypte et le « pays de Punt » sur la mer

Rouge, entre le Nil et Byblos au Liban.

Un autre exemple de grands travaux hydrauliques en Égypte au Moyen Empire : la

dépression marécageuse du Fayoun, alimentée par un ancien bras issu du Nil (le canal

Joseph ou Bahr Youssouf), 80 km au sud-ouest de Memphis, put offrir de nouvelles

terres agricoles après des travaux de canalisation du canal Joseph, de construction de

3. Liang Ruiju, Zheng Zhaojin, Hu Jialin, dans Garbrecht, 1987.

4. Voici ce qu’écrivit Hérodote sur le tracé de ce canal : « Il se détache [du Nil] un peu au-dessus deBubastis, passe près de la ville arabe de Patoumos [Tell el Maskhoutah] et aboutit à la mer […]. Ilcoupe d’abord la plaine égyptienne au pied de la montagne qui s’étend du côté de Memphis [la val-lée du Ouadi Tumilat] […]. Il longe donc la base de cette montagne sur une grande distance, ducouchant vers l’aurore, puis il passe par des gorges et se dirige vers le midi et le vent du sud pouraboutir au golfe Arabique. » (

L’Enquête

, II). Une stèle érigée par Darius I et découverte sur ce tracépermet de confirmer ce témoignage.

5. D’après Georges Roux,

La Mésopotamie

.

Page 21: Mécanique des fluides appliquée

C

HAPITRE

1 : L

ES

NOTIONS

FONDAMENTALES

À

TRAVERS

L

HISTOIRE

DE

LEUR

DÉCOUVERTE

5

digues pour l’aménagement d’un lac (le lac Moeris, sans doute au sud et au-dessus du

lac Qaroun qui occupe le fond de la dépression) et de construction de canaux de drai-

nage et d’irrigation

6

. Selon Hérodote, l’écoulement dans le canal Joseph était une

partie de l’année dirigé en direction du lac, et une partie de l’année en direction du Nil,

selon que le lac stockait ou destockait la crue. Ces travaux, entrepris par le pharaon

Sesostris II et terminés par son successeur Amenemhat II, durèrent une cinquantaine

d’années (entre 1890 et 1840 av. J.-C., environ). De nouveaux aménagements de cette

région furent réalisés sous les Ptolémées, au

III

e

siècle av. J.-C. : les restes d’un barrage de

8 km de long et 7 m de haut datent de cette période

7

.

Figure 1.2.

Le

qanat

: un ouvrage hydraulique pour obtenir de l’eau dans les pays secs.

Les cours d’eau étaient sources d’eau, mais de qualité médiocre pour la consomma-

tion. En l’absence de sources, le creusement de puits a été utilisé depuis le Néoli-

thique. Il existe une forme originale de puits, appelée

qanat

8

, inventée sans doute en

Arménie

9

vers le

VII

e

siècle av. J.-C., puis pratiquée dans l’empire perse, et dont l’uti-

lisation a été propagée par les Arabes jusqu’au Maroc et en Espagne : il s’agit d’une

galerie creusée presque horizontalement, mais avec une petite pente pour l’écoule-

ment de d’eau, au flanc d’un relief, jusqu’à rencontrer la nappe aquifère. Des puits

intermédiaires, espacés de 50 à 300 m, permettent la ventilation. La longueur de la

galerie est le plus souvent d’environ 10 km, avec un débit de l’ordre de 20 l/s.

Les Grecs et les premières théories

Dans l’Antiquité, les théories étaient inexistantes. Aristote (384-322 av. J.-C.) pensait

que si le bois flotte, c’est parce qu’il contient de l’air, est qu’il est dans l’ordre du posi-

tionnement de ces éléments que l’air soit au-dessus de l’eau (et l’eau au-dessus de la

terre, etc.). C’est de l’école d’Alexandrie que vinrent les premières lumières. On pense

qu’Archimède (287-212 av. J.-C.) étudia à Alexandrie avec les disciples d’Euclide ;

6. Günther Garbrecht, « The question of lake Moeris », Congrès AIRH, Cagliari, sept. 1979.

7. D’après des études de terrain de 1988, reportées par Schnitter, 1996.

8. Le lecteur pourra se reporter à l’étude très complète de Henri Goblot, 1979.

9. Dans les environs du lac de Van. Cette région faisait partie du royaume d’Urartu, qui était unegrande puissance rivale de l’empire assyrien.

nappe

quelques l/s à 400 l/s

Page 22: Mécanique des fluides appliquée

M

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D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

6

c’est dans sa patrie Syracuse, en Sicile (où il continuait de correspondre avec Ératos-

thène à Alexandrie), qu’il formula les lois de l’hydrostatique et de la flottabilité, et

pressentit la notion de pression, notamment par son postulat initial :

« Nous admettons comme principe que le liquide a une nature telle que, ses parties étant dispo-

sées d’une manière égale et contiguës, celle qui est le moins comprimée est poussée de sa place

par celle qui est comprimée davantage, et que chacune de ses parties est comprimée par le

liquide placé au dessus d’elle, à moins que le liquide ne soit enfermé dans quelque récipient et

comprimé par quelque chose d’autre

10

. »

Avec comme conséquence remarquable, dès la deuxième page de son traité :

« La surface de tout liquide en état de repos aura la forme d’une sphère ayant le même centre que

la Terre. »

Et, bien sûr, la formulation bien connue de la

poussée d’Archimède

:

« Toute grandeur solide plus légère qu’un liquide (de même volume), abandonnée dans ce

liquide, y sera immergée jusqu’à un niveau tel que le liquide qui occuperait le volume de la

partie immergée a le même poids que la grandeur entière. »

« Les corps solides plus légers qu’un liquide (de même volume), plongés par force dans ce

liquide, sont renvoyés vers le haut avec une force égale au poids dont le liquide, qui occuperait

le même volume que la grandeur solide, l’emporte sur le poids de cette grandeur. »

« Les grandeurs plus lourdes qu’un liquide (de même volume), abandonnées dans ce liquide,

descendent vers le bas jusqu’à ce qu’elles aient atteint le fond, et elles seront allégées dans le

liquide du poids du liquide contenu dans un volume égal au volume de la grandeur solide. »

C’est Héron d’Alexandrie (au

I

er

siècle après J.-C.) qui le premier a explicité la notion

de débit d’un canal, en exprimant le débit volumique comme le produit de la vitesse

(V) par la section (notée

A

dans ce livre) :

Q

=

VA

(1.1)

Par ailleurs, les Grecs avaient identifié le phénomène des marées, et compris, à partir

du

II

e

siècle après J.-C., les influences du soleil et de la lune.

Les ingénieurs romains

Les Romains ont construit de nombreux ouvrages hydrauliques : aqueducs, canaux,

systèmes d’alimentation en eau et systèmes d’assainissement. Une alimentation en eau

fraîche était placée par les Romains au plus haut de leur échelle de valeur, ce qui

explique le caractère parfois colossal des ouvrages réalisés : on peut encore voir le pont

du Gard en France, et des restes d’aqueducs en de nombreux endroits. L’histoire a con-

servé les écrits de deux auteurs : Marcus Vitruvius Pollio – ou Vitruve – qui vécut sous

Jules César et Auguste (

I

er

siècle av. J.-C.) et écrivit dans son traité sur les sources, les

moulins et les aqueducs, et Sextus Julius Frontinus – ou Frontin – (35-103 ap. J.-C.) qui

fut nommé par l’empereur Nerva, « commissaire pour l’eau (

curator aquarum

) » de la

ville de Rome avec pour mission de remettre de l’ordre dans le système de distribution.

On sait ainsi que l’eau provenant de sources, de la captation de nappes ou de rivières

10.

Des corps flottants

, trad. de Charles Mugler.

Page 23: Mécanique des fluides appliquée

C

HAPITRE

1 : L

ES

NOTIONS

FONDAMENTALES

À

TRAVERS

L

HISTOIRE

DE

LEUR

DÉCOUVERTE

7

était collectée dans des réservoirs, qui faisaient aussi office de bassins de décantation ;

puis par des aqueducs ou des conduites en charge, elle était transportée jusqu’à des châ-

teaux d’eau (

castellum

) et directement distribuée vers des réservoirs auxiliaires.

À Rome, trois différents types d’usages étaient distingués : les fontaines publiques, les

établissements de bains et, enfin, l’alimentation en eau des particuliers. Les deux der-

niers groupes de clients bénéficiaient d’une concession, liée au paiement d’une rede-

vance, ou don de l’empereur, selon les époques : ils étaient distribués à partir de

réservoirs à niveau constant dont le surplus se déversait vers l’alimentation des fon-

taines publiques. Ces dernières bénéficiaient donc d’une priorité d’alimentation. De

plus, la plupart des fontaines publiques de Rome, selon Frontin, étaient alimentées

par deux bouches, alimentées par des aqueducs différents, afin de garantir la sécurité

de l’approvisionnement. De nombreux piquages sauvages permettaient aux riverains

des aqueducs de s’approvisionner clandestinement, et aux fontainiers d’entretenir un

marché parallèle. Frontin consacra une grande partie de sa mission à réduire ces pré-

lèvements clandestins. On estime à presque un mètre cube d’eau par habitant et par

jour le volume d’eau ainsi apporté dans la ville de Rome (soit 100 fois plus qu’à Paris

au

XIX

e

siècle).

Les aqueducs romains étaient réalisés en maçonnerie. Souterrains sur une partie de

leur parcours, ils terminaient généralement leur trajet sur des arcades. Ils étaient cou-

verts, pour éviter la pollution de l’eau, avec des évents de ventilation ou d’inspection

Tableau 1.1. Les neuf aqueducs de Rome à l’époque de Frontin (vers 100 ap. J.-C.)*.

Deux autres aqueducs, l’Alexandrina et la Trajana, devaient encore être construits par la suite.

(*) D’après Frontin et les commentaire de Pierre Grimal.

Nom Date de

construction

Longueur

(km)

Débit estimé

(m3 / jour)

Origine et qualité de l’eau

Appia 312 av. J.-C. 16,5 73 000 Source dans la vallée de l’Anio. Excellente.

Anio Vetus 272 av. J.-C. 64 176 000 Rivière Anio. Un peu trouble.

Marcia 144 av. J.-C. 91 188 000 Captage de sources. Excellente (consommation).

Tepula 125 av. J.-C. 18 17 800 Captage de nappes. Eau tiède.

Julia 33 av. J.-C. 22 48 200 Sources. Excellente.

Virgo 19 ap. J.-C. 21 100 200 Source. Excellente.

Alsietina 2 ap. J.-C. 33 15 700 Lac Alsietinus. Non potable (naumachie

et jardins).

Claudia 47 ap. J.-C. 69 184 300 Sources. Excellente

Anio Novus 52 ap. J.-C. 87 189 500 Rivière Anio. Trouble (bassin de décantation).

Débit total (sauf Alsietina) 977 000

Page 24: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E8

tous les 100 mètres environ. Les conduites en charge étaient construites de matériaux

variés : maçonnerie, terre cuite, plomb. Les conduits de distribution, en aval des châ-

teaux d’eau, étaient réalisés en plomb ; leurs diamètres étaient normalisés en vue de

l’équité de la distribution. La pratique du siphon apparut assez tardivement dans

l’Antiquité11 : au début, les Romains préféraient faire suivre à leurs aqueducs les

lignes de niveau, et réaliser remblais et grands ouvrages d’art pour franchir les obs-

tacles naturels. Plus tard, lorsque le relief l’exigeait, comme à Lyon par exemple, les

Romains surent cependant réaliser des siphons de plusieurs kilomètres.

Figure 1.3. Caractéristiques hydrauliques de quelques aqueducs de Rome, à leur arrivée dans la ville

(les calculs hydrauliques figurent dans le problème n° 2, en fin du chapitre 7). L’Anio

Novus coule au-dessus de la Claudia. À l’arrivée à Rome, Marcia, Tepula et Julia sont

également sur les mêmes arches.

Les Romains savaient, bien sûr, qu’une pente vers l’aval est nécessaire à l’écoulement :

la pente moyenne des aqueducs romains varie habituellement entre 0,3 10– 3 et

4 10– 3 (exceptionnellement plus, ou moins, mais sur certains tronçons seulement).

Mais Frontin mesurait la quantité d’eau délivrée en considérant uniquement les sec-

tions de passage des ouvrages et des conduits, méconnaissant l’importance de la

vitesse pour le calcul du débit. Il existait pourtant une compréhension intuitive de la

grandeur que nous appellerons plus loin la charge ; écoutons Frontin : « Rappelons-

nous que tout aqueduc, chaque fois que l’eau vient d’un point assez élevé et arrive

dans un réservoir après un petit parcours, n’a pas seulement un débit correspondant

à son calibre, mais un débit supérieur ; chaque fois, au contraire, que, venant d’un

point assez bas – c’est-à-dire sous faible pression – il a un parcours assez long,

l’inertie du conduit le fait descendre au-dessous même de son débit théorique ; aussi

11. Sans doute dans la suite du développement scientifique à Alexandrie ; le siphon de Pergame, capi-tale d’un royaume hellénistique en Anatolie, est sans doute l’une des premières grandes réalisations,au IIIe siècle av. J.-C.

Julia Tepula Claudia Anio novus Marcia

1,4 m

0,7 m

h

0,8 m 1 m 1 m 0,9 m

1 m

Pente : I = 0,0013 environ, en fin de parcours.

Conditions de fonctionnement nominales estimées :

V = 0,95 m/s

h = 0,72 m

V = 0,69 m/s

h = 0,23 m

V = 1,34 m/s

h = 1,9 m

V = 1,35 m/s

h = 1,9 m

V = 1,25 m/s

h = 1,7 m

(limite de débordement)

2 m 2,7 m 1,7 m

Page 25: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 9

faut-il, d’après ce principe, forcer le chiffre de la distribution, ou le diminuer. De

plus, la position de la prise a de l’importance. »

Les Romains, finalement, ont reconduit et généralisé des solutions existant bien

avant eux dans l’Antiquité (il existait déjà des aqueducs en Palestine au XIe siècle av.

J.-C., et même sans doute en Crête au IIe millénaire av. J.-C.), et n’ont pas fait pro-

gresser la connaissance au-delà des acquis de l’école d’Alexandrie.

Le Moyen Âge

Puis ce fut pour l’Occident le long entracte du Moyen Âge, où l’on oublia que la Terre

est ronde12, entracte rompu seulement par les travaux de quelques mécaniciens

proches de l’université de Paris (Buridan, Albert de Saxe…). Au IXe siècle, Archimède

est traduit en arabe. À cette époque, les frères Banû Mûsa, à Bagdad, traduisent de

nombreux auteurs grecs, et publient Le Livre des mécanismes ingénieux (Kitab al hiyal),

ouvrage décrivant des dispositifs hydrauliques et exploitant en particulier l’hydrosta-

tique d’Archimède. Les écrits de Héron d’Alexandrie, en revanche, tombent dans

l’oubli. En 1265, l’invasion mongole détruit le système d’irrigation de la Mésopotamie,

dont la population devait diminuer par la suite de 25 millions en 1200 à 1,5 millions en

191313. En Chine, le Grand Canal, colossal système de plus de 2 000 km de long destiné

à permettre les échanges entre la Chine du Nord et celle du Sud voit un premier abou-

tissement au VIIe siècle, sous les Sui. Il sera modifié et étendu sous les Song et les Yuan,

entre le XIe et le XIIIe siècle. En France, on commence au XIIe siècle la construction des

levées de la Loire pour protéger les terres avoisinantes contre les crues.

1.2. Léonard de Vinci et la Renaissance

C’est Léonard de Vinci (1452-1519) qui, après avoir lu Archimède, Héron, Frontin et

les auteurs du Moyen Âge, a donné le signal de l’essor de la mécanique des fluides.

Par la méthode, d’abord :

« […] avant tout, je ferai des expériences, puis démontrerai pourquoi les choses doivent se

comporter ainsi. C’est la méthode qu’il faut suivre dans la recherche de l’explication des phéno-

mènes de la nature. Il est vrai que la nature part du raisonnement pour aboutir à l’expérience ;

mais cependant nous devons suivre le chemin opposé : comme je l’ai dit, nous devons

commencer par l’expérience et tenter à partir d’elle de découvrir la raison14. »

Léonard de Vinci a été, de fait, par ses dessins, l’inventeur du concept des lignes de

courant, concept qu’il est donc opportun de définir ici :

Une ligne de courant est une ligne partout tangente au vecteur vitesse.

12. Cette rotondité avait été établie par les Grecs depuis Aristote ; Eratosthène, directeur de la Biblio-thèque d’Alexandrie, avait déterminé vers 200 av. J.-C. le rayon de la Terre avec une précision sur-prenante, à quelques pour cent près (en mesurant l’inclinaison du soleil à Alexandrie au momentoù il culminait au zénith à Assouan, le jour du solstice d’été).

13. D’après Garbrecht, 1987.

14. Op. cit., d’après Rouse et Ince.

Page 26: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 0

Figure 1.4. L’observation des écoulements par Léonard de Vinci (dessins d’après des croquis du

Codex Leicester).

Il a laissé de nombreuses descriptions d’écoulements : jets, tourbillons derrière un

élargissement brutal, devant et derrière un obstacle, vortex, ondes de surface et res-

sauts hydrauliques – phénomènes dont nous parlerons dans la suite de ce livre. Qu’en

a-t-il conclu? Qu’il fallait profiler la forme des corps immergés pour limiter leur

résistance à l’écoulement. L’idée du parachute, de l’anémomètre pour mesurer la

Affouillement et tourbillon

devant un obstacle posé sur le fond.

Remous et tourbillons autour d’un obstacle

dans un écoulement à surface libre.

Tourbillons derrière un obstacle

cylindrique.

Structure pour protéger les berges, au confluent de deux

rivières, et dans un coude.

Page 27: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 1

vitesse de l’écoulement, de la pompe centrifuge, des obstacles disposés près des

berges d’une rivière pour protéger ces dernières contre l’érosion. Il a étendu la

théorie de l’hydrostatique au-delà des principes d’Archimède, notamment pour les

systèmes de fluides de différentes densités. Il a compris l’influence du frottement sur

les parois sur la répartition des vitesses dans un canal :

« L’eau a une vitesse plus grande à la surface qu’au fond. Ceci se produit parce que l’eau en

surface est au contact de l’air qui offre une faible résistance, car l’air est moins dense que l’eau,

et l’eau au fond est au contact du sol qui offre une plus grande résistance, car plus dense que

l’eau et fixe14. »

Il a compris aussi que la vitesse de l’eau est différente de la vitesse des ondes qui se

déplacent à la surface libre :

« La vitesse de propagation des ondulations (de surface) dépasse toujours de beaucoup celle de

l’eau14… »

Léonard de Vinci a surtout été le premier, après Héron, à formuler le principe de con-

servation de la masse, ou principe de continuité :

« Une rivière à chaque endroit de son cours et au même moment donne passage à une même

quantité d’eau, quelle que soit sa largeur, la profondeur, la pente, la rugosité, ou son caractère

plus ou moins tortueux » ; ce qui n’est exact qu’en écoulement permanent, bien sûr. Ou encore :

« Une rivière de profondeur constante aura un écoulement plus rapide dans un passage étroit

que dans un passage plus large, dans la mesure de ce que la plus grande largeur excède la plus

petite14. »

Sensiblement à la même époque, Nicolas Copernic (1473-1543) posait que le poids,

auquel sont soumis les solides et les liquides est dirigé dans la direction du centre de

gravité, qui « ne diffère en rien du centre de la Terre ». Francisco Soto (1494-1560),

dominicain espagnol, posait dans le même temps les règles de la chute libre des

corps, reconnue comme un mouvement d’accélération uniforme – règles que Galilée

devait clarifier presque un siècle plus tard.

S’intéressant aux jets d’eau émis dans l’air, Evangelista Torricelli (1608-1647) établit

une analogie avec les corps en chute libre, tout en observant l’influence de la résis-

tance de l’air sur le mouvement du jet d’eau, « brisé en gouttelettes semblable à une

brume, (qui ne monte pas) moitié moins haut, voire trois ou quatre fois moins haut

que la distance jusqu’à laquelle, théoriquement parlant, […] on pourrait s’attendre à

le voir monter du fait de sa vitesse initiale14. » Torricelli établit que le débit d’eau,

émis par un orifice pratiqué dans un réservoir de paroi mince, varie comme la racine

carrée de la hauteur d’eau au-dessus de cet orifice.

(1.2)

h

V ah=

Page 28: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 2

Mais il fallut attendre les travaux de Borda et Du Buat, un bon siècle plus tard, pour

identifier cette constante a :

a = 2 g (1.2 bis)

Torricelli est, bien sûr, davantage connu pour son invention du baromètre, invention

qu’il partagea d’ailleurs avec les autres disciples de Galilée.

Le Français Edme Mariotte (1620-1684) écrivit un Traité du mouvement des eaux et

des autres corps fluides, explicitant le rôle des propriétés des fluides, traitant des

méthodes de mesure, et poursuivant les travaux de Torricelli sur les trajectoires de

jets d’eau dans l’air.

Domenico Guglielmini (1655-1710) poursuivit à la même époque, en Italie, les

observations de Léonard de Vinci sur la distribution des vitesses dans les canaux, et

fut le premier à indiquer l’existence des écoulements uniformes, en équilibre entre la

tendance à accélérer pour un liquide qui s’écoule selon la pente d’un canal, et la résis-

tance par frottement sur les parois du canal. La vitesse de l’écoulement uniforme

augmente avec la pente15 :

« L’eau […] quittant le réservoir […] acquiert dans sa descente dans les rivières, qui sont dans

un plan incliné par rapport à l’horizontale, un certain degré de vitesse, mais ceci se ramène vite

à l’uniformité, à cause de la grande résistance que l’eau rencontre dans son mouvement. […]

Une fois ramené à cet état d’uniformité, l’eau doit maintenir la vitesse qu’elle a acquise précé-

demment en s’écoulant le long de son plan incliné, et cette vitesse est d’autant plus grande que

plus importante est la pente du fond. »

On appellera dans la suite profondeur normale, notée hn, la profondeur d’un tel

écoulement uniforme, en équilibre entre gravité et frottement.

Guglielmini fut aussi l’un des premiers à tenter d’analyser les mécanismes de trans-

port des sédiments en rivière.

1.3. À partir du XVIIe siècle : l’essor de la mécanique

On considère généralement que Descartes (1596-1650) fut le premier à appréhender de

façon correcte les phénomènes d’inertie et la conservation de la quantité de mouve-

ment. Poursuivant les travaux de Descartes et de son collègue Mersenne sur la pression,

et concluant par là les travaux initiés par Archimède, Pascal (1623-1662) démontra

que, dans un fluide, l’effort causé par la pression s’exerce dans toutes les directions. Le

caractère isotrope de la contrainte de pression est ainsi finalement établi.

Christian Huygens (1629-1695) mit en évidence expérimentalement, en étudiant la

chute des corps, que la résistance de l’air varie comme le carré de la vitesse – on pensait

jusque-là que la résistance était proportionnelle à la vitesse – et posa les premières

bases de la conservation de l’énergie.

Isaac Newton (1642-1727) apporta de son côté une conclusion aux travaux de plu-

sieurs de ses prédécesseurs en définissant clairement la masse, la quantité de mouve-

15. De la natura dei fiumi, 1697 ; op. cit., d’après Rouse et Ince.

Page 29: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 3

ment, l’inertie, la force, et bien sûr l’attraction universelle. Il conduisit, par ailleurs,

de nombreuses recherches sur la résistance à l’avancement dans les fluides, en étu-

diant expérimentalement l’amortissement du mouvement de pendules dans diffé-

rents fluides. Il définit, en particulier, les prémisses de la notion de viscosité, en lien

avec le frottement, comme « la résistance qui vient du défaut de lubricité des parties

d’un fluide16. »

Newton posa le principe du mouvement relatif17 : la résistance à l’avancement d’un

objet dans un fluide au repos est égale à la force exercée par un écoulement de même

vitesse sur le même objet maintenu immobile.

Principe du mouvement relatif pour l’écoulement autour d’un objet.

L’Allemand Gottfried Wilhelm von Leibnitz (1646-1716) correspondit avec Newton, et

certaines découvertes qu’ils firent en parallèle donnèrent naissance à d’âpres contesta-

tions en paternité. Il fut le père du calcul différentiel et intégral, qui devait permettre

d’écrire toutes les équations de la mécanique des fluides. Un théorème porte son nom :

pourquoi ne pas le citer ici ?

Théorème de Leibnitz

Il s’agit d’établir le bilan d’une grandeur physique f quelconque, contenue dans un

certain volume noté Ω, que nous appellerons volume de contrôle. Soient Σ la surface

extérieure de ce volume, Vi la vitesse de déplacement des points de Σ, et n le vecteur

normal unitaire extérieur à la surface Σ. Le théorème de Leibnitz stipule que la varia-

tion dans le temps du bilan de la grandeur physique f dans le volume de contrôle est

la somme de deux termes : l’intégrale sur le volume de contrôle de la vitesse de varia-

tion de la grandeur f, et le flux de la grandeur f transportée à travers la frontière du

volume de contrôle à la vitesse Vi :

(1.3)

Pour appliquer ce théorème au bilan des grandeurs significatives en mécanique des

fluides, on choisit le plus souvent comme volume de contrôle le volume occupé à un

16. Principia, livre II, 9, « du mouvement circulaire d’un fluide », 1687, trad. de la marquise du Chaste-let, 1759.

17. Si la vitesse V est assez grande pour que l’écoulement soit turbulent, ce principe n’est qu’approxi-mativement vérifié, car l’effort F peut dépendre du niveau de turbulence de l’écoulement incident.

Objet en mouvement à la vitesse V

Résistance FVitesse V

Fluide en mouvement à la vitesse V

Force F

tdd

fΩ∫ Ωd⋅ f∂

t∂----

Ω∫ Ωd⋅ f Vi n⋅( ) Σd

Σ∫+=

Page 30: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 4

instant donné par une certaine masse de fluide. Dans ce cas, la vitesse de déplacement

des points de la surface Σ du volume Ω est tout simplement la vitesse du fluide :

Vi = V, et le dernier terme représente alors le transport de la grandeur f par la vitesse

V du fluide au travers de la surface du volume de contrôle.

1.4. Le siècle de l’hydrodynamique : du fluide parfait vers la recherche de la compréhension des fluides réels

La découverte des lois de l’écoulement des fluides parfaits

À Bâle, en Suisse, Daniel Bernoulli (1700-1782) et Leonhard Euler (1707-1783)

furent les auteurs des premières traductions mathématiques des principes de la

mécanique des fluides. À partir des principes de conservation de l’énergie appliquée

aux corps solides par Huygens et Leibnitz, Bernoulli déduisit que dans un fluide la

somme de l’énergie potentielle (représentée par la pression p et par l’altitude z) et de

l’énergie cinétique doit rester constante, principe qui fut traduit par le théorème qui

porte son nom (que nous démontrerons dans la section 2.3, plus loin dans ce cha-

pitre), mais qui fut en fait formulé effectivement par Jean Bernoulli (1667-1748),

père de Daniel, et par Euler :

= constant (le long d’une ligne de courant) (1.4)

Ainsi, les liens entre variations de pression et variations de vitesse dans un écoule-

ment sont maintenant clairement établis : mais il s’agit encore de fluides dits parfaits,

c’est-à-dire non visqueux, car la formulation de l’effet des frottements internes, de la

viscosité, devra attendre encore de nombreuses années. C’est ce qui explique que la

démonstration de Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) que, dans un fluide parfait,

la résistance à l’avancement est nulle, ait été ressentie à l’époque comme un paradoxe :

« Ainsi je ne vois pas, je l’admets, comment on peut expliquer de façon satisfaisante par la

théorie la résistance dans les fluides. Au contraire, il me semble que la théorie, en toute rigueur,

indique que dans de nombreux cas la résistance doit être nulle ; c’est un paradoxe singulier, dont

je laisse l’explication aux géomètres futurs18. »

Une autre contribution fondamentale est due à Euler qui, toujours sans expliciter

l’effet de la viscosité, écrivit les équations différentielles qui décrivent le mouvement

d’un fluide, ainsi que l’équation de continuité qui exprime la conservation de la

masse. Ce système est toujours connu aujourd’hui comme les équations d’Euler :

– principe de la dynamique appliqué au mouvement d’un fluide de vitesse V (de

composantes notées u, v, w), sur lequel s’exerce, par unité de masse, une force F

de composantes P, Q, R :

18. Op. cit., d’après Rouse et Ince.

V2

2g------ p

ρg------ z+ +

Page 31: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 5

(1.5)

– conservation de la masse :

(1.6)

Il restait à expliciter la force F, qui comprend le poids ainsi que la résultante des forces

de frottements internes. En attendant que cette inconnue ne soit décrite, il restera

longtemps un fossé entre les théoriciens, incapables d’expliquer les phénomènes de

frottement et de dissipation d’énergie, et les expérimentateurs.

Études expérimentales : frottement et dissipation d’énergie

Car il y eut, bien sûr, des expérimentateurs, poussés par les besoins des études d’ingé-

nierie. Henri de Pitot (1695-1771), qui fut superintendant du canal du Midi, inventa,

pour mesurer la vitesse d’un fluide, le tube qui porte son nom. Le principe de mesure

est une application directe du principe formulé par Bernoulli, même si Pitot ne put

l’expliciter de façon tout à fait correcte.

Figure 1.5. Principe du tube de Pitot : la pression au point d’arrêt A, pA, est reliée à la vitesse V et à la

pression ambiante à la même altitude, p0, par l’expression suivante, qui résulte du

théorème de Bernoulli :

.

La différence des pressions dans le tube intérieur et dans le tube extérieur, à la même

altitude, (p1 – p2), est égale à (pA – p0). La mesure de cette différence de pression (par un

manomètre, par exemple), permet donc de trouver la vitesse V.

u∂t∂

------ u u∂x∂

------ v u∂y∂

------ w u∂z∂

------+ + + P1

ρ---

p∂x∂

-----–=

v∂t∂

----- u v∂x∂

----- v v∂y∂

----- w v∂z∂

-----+ + + Q1

ρ---

p∂y∂

-----–=

w∂t∂

------ u w∂x∂

------ v w∂y∂

------ w w∂z∂

------+ + + R1

ρ---

p∂z∂

-----–=

ρ∂t∂

------ ρu∂x∂

--------- ρv∂y∂

--------- ρw∂z∂

----------+ + + 0=

Vitesse V

Mesure de la différencedes pressions p1 – p2par un manomètre :h = V 2 / 2 gVitesse V

pression p1

trous

pression p2 h

pA

1

2-- ρV2+ p0=

Page 32: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E1 6

Jusque-là, la connaissance de la résistance d’un écoulement par frottement sur les

parois se limitait aux considérations qualitatives développées par Léonard de Vinci,

et à la reconnaissance de l’équilibre entre le terme moteur gravitaire et le terme résis-

tant par frottement en écoulement uniforme (Guglielmini). Nous avons vu que les

travaux mathématiques de Bernoulli et Euler n’avaient pu modéliser les frottements

et la viscosité. Antoine de Chézy (1718-1798), qui fut parmi les premiers diplômés de

l’École nationale des ponts et chaussées, fut mandaté par l’Académie des sciences

pour remédier, par une déviation des eaux de l’Yvette, aux insuffisances de l’appro-

visionnement en eau de Paris. Il entrepris un certain nombre de campagnes de

mesure (en lien avec l’ingénieur Perronet) et établit une formule de transposition

permettant, à partir de la connaissance de la vitesse (V1) de l’écoulement permanent

uniforme dans un canal, de calculer la vitesse en régime permanent uniforme dans

un autre canal (V2) connaissant les pentes (I1 et I2), les surfaces (A1 et A2) et les péri-

mètres mouillés (χ1 et χ2), parties du périmètre de la section où l’eau frotte sur les

rives ou le fond :

(1.7)

Nous verrons au chapitre 7 les limites de cette formule de transposition, qui mécon-

naît notamment l’influence de la nature et de la rugosité du lit. Chézy était bien cons-

cient de ces limites :

« Pour tirer tout l’avantage possible de cette théorie, il faudrait avoir un grand nombre d’obser-

vations sur des rigoles de sections différentes ; on se servirait des observations faites sur celles qui

ressembleraient le plus à la rigole projetée19. »

Notons que ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que ce résultat sera mis sous la forme

que l’on appelle aujourd’hui la formule de Chézy, pour estimer la vitesse dans un

canal en régime permanent et uniforme, à savoir :

(1.8)

où est appelé rayon hydraulique, et CH le coefficient de Chézy.

Les travaux expérimentaux, comme ceux de Pitot et Chézy, étaient réalisés sur des

vrais canaux ou machines. L’ingénieur anglais John Smeaton (1724-1792) fut le

premier à utiliser des modèles à échelle réduite pour concevoir des appareils divers,

roues de moulins à eau ou à vent, machines hydrauliques. En l’absence du support

théorique pour soutenir la similitude entre modèles réduits et réalité à pleine échelle,

Smeaton fut parfaitement conscient des possibilités, mais aussi des limites, de l’utili-

sation des modèles réduits :

« Ce que j’ai à communiquer sur ce sujet fut déduit initialement d’expériences réalisées sur

modèles (réduits), ce que je considère comme la meilleure méthode pour déduire les grandes

19. Op. cit. d’après Dooge, 1987.

V2 V1

A2 I2 χ1

A1 I1 χ2

------------------=

V CH

A

χ--- I

CH RH I( )= =

RHA

χ---=

Page 33: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 7

tendances dans les études mécaniques. Mais il est tout à fait nécessaire de distinguer les points

sur lesquels un modèle diffère d’une machine en grandeur réelle ; sinon, un modèle serait plus à

même de nous éloigner de la vérité que de nous y conduire20. »

Nous reviendrons plus loin (section 4 de ce chapitre) sur l’analyse dimensionnelle et

l’utilisation des modèles réduits en hydraulique.

Jean-Charles Borda (1733-1799), ingénieur maritime, réalisa des expériences sur la

résistance à l’avancement dans les fluides, mais c’est pour ses travaux sur les écoule-

ments convergents et divergents qu’il contribua significativement au développement

de la connaissance21. Par rapport aux travaux théoriques d’Euler et de Bernoulli, il

reconnut qu’une perte d’énergie (perte de charge) doit être associée aux phénomènes

de tourbillons et de recirculations que l’on peut observer dans les écoulements diver-

gents. Il établit que, si l’on note :

(1.9)

la charge hydraulique, grandeur qui doit se conserver sur une ligne de courant, en

fluide parfait, d’après le théorème de Bernoulli (1.4), la perte de charge associée à un

divergent brutal qui fait passer l’écoulement d’une vitesse V1 à une vitesse V2 est

exprimée par l’équation 1.10 ci-après :

(1.10)

Ce qui peut s’écrire aussi, avec les sections A1 et A2 des deux conduits (puisque

V1 A1 = V2 A2 si la masse volumique est constante) :

(1.11)

Perte de charge « à la Borda » dans un

divergent. Dans un divergent, les

particules fluides sont émises avec une

énergie cinétique (correspondant à la

vitesse V1) qui leur confère de l’inertie.

Au sortir de l’orifice par lequel elles sont

émises, elles tendent à poursuivre leur

trajectoire. Derrière l’élargissement, il y a

des zones de recirculation importantes,

qui sont responsables de la perte de

charge.

20. « An experimental inquiry concerning the natural powers of water and wind to turn mills, andother machines depending on a circular motion », Philosophical transactions of the royal society ofLondon, vol. 51, 1759 ; op. cit. d’après Rouse et Ince.

21. « Mémoire sur l’écoulement des fluides par les orifices des vases », C.R., Académie des sciences,1766.

HV2

2 g -------

p

ρ g ------

z

+ +=

δH H 1 H 2–V1 V2–( )2

2 g-------------------------= =

δH H 1 H 2–A2 A1–

A1

------------------ 2 V1

2

2 g-------= =

V 1 V 2

Page 34: Mécanique des fluides appliquée

M

É C A N I Q U E

D E S

F L U I D E S

A P P L I Q U É E

1 8

La charge hydraulique , définie par l’équation (1.9), représente une « énergie

totale » – énergie potentielle + énergie cinétique, exprimée en mètres d’eau. Cette

façon d’exprimer l’énergie résulte de l’histoire ; elle n’a guère de sens par exemple

pour étudier les écoulements d’air; c’est pourquoi, il est aujourd’hui plus commun

d’utiliser une autre définition de la charge, exprimée en unité de pression :

(1.12)

Définie ainsi, la charge

H

représente l’énergie totale (cinétique + potentielle) par

unité de volume de fluide.

Pierre Louis Georges Du Buat (1734-1809) consolida les travaux de Borda

22

. Il

reconnut l’existence d’une perte de charge à l’entrée d’un conduit, en tenant compte

du caractère abrupt du bord de ce dernier, qui induit une veine contractée suivie

d’une divergence des lignes de courant.

Du Buat réécrivit la vitesse dans un conduit issu à bord vif d’un réservoir, avec une

hauteur d’eau

h

, en introduisant une certaine hauteur

b

destinée à tenir compte de

cette perte de charge :

La valeur de

b

qu’il déduisit de données expérimentales conduit au résultat encore

utilisé aujourd’hui pour la perte de charge à l’entrée d’un conduit à bord vif issu d’un

grand réservoir :

(1.13)

Perte de charge à l’entrée à bord vif

d’un conduit. Dans la partie

convergente de l’écoulement,

les particules fluides sont

progressivement accélérées, l’effet

des frottements internes est

négligeable. La perte de charge est

due seulement au décollement de

l’écoulement derrière l’entrée à bord

vif. Un arrondi à l’entrée permet

de diminuer de façon très importante

cette perte de charge (voir le

chapitre 3).

Toujours sur le chemin de la modélisation des fluides réels, c’est-à-dire de la prise en

compte des phénomènes de frottement et de dissipation d’énergie, Du Buat déduisit

que la résistance à l’écoulement dans un conduit est indépendante de la pente de ce

22.

Principes d’hydraulique, vérifiés par un grand nombre d’expériences faites par ordre du gouvernement

,2

e

édition, Paris, 1786.

H

H ρg H1

2-- ρV2 p ρg z+ += =

U 2g h b–( )=

δH 0,51 V2

2g------≅

h

V

zones de recirculation

Page 35: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 1 9

conduit. Il supposa que cette résistance varie comme le carré de la vitesse – ce qui

n’est que partiellement exact, comme nous le verrons au chapitre 3. Il conduisit plu-

sieurs centaines d’expériences sur des écoulements en conduit, ainsi que sur des

écoulements autour d’objets immergés – il établit ainsi qu’un parachute destiné à un

homme moyen devait avoir un diamètre de l’ordre de 6 mètres.

L’étude des conduits de section variable fut poursuivie un peu plus tard par Giovani

Battista Venturi (1746-1822), en montrant, ce qui est une application du théorème

de Bernoulli, les liens entre les variations de section et les variations de pression. Il

identifia aussi le rôle des phénomènes de décollements et de recirculations sur les

phénomènes de pertes de charge dans les divergents et convergents.

Au tout début du XIXe siècle, les travaux de Chézy et Du Buat sur les écoulements à

surface libre furent poursuivis par les ingénieurs des Ponts et Chaussées Pierre Simon

Girard (1765-1836), Gaspard Clair François Marie Riche de Prony (1755-1838), ainsi

que par l’Allemand Johann Albert Eytelwein (1764-1848). C’est de cette époque que

provient l’écriture (1.8) de la formule de Chézy, avec des estimations du coefficient CH

autour de 50 m0,5 s– 1 (ce coefficient n’est pas adimensionnel), et la croyance (erronée)

que ce coefficient a une valeur universelle – ce que, il faut rendre cette justice, Chézy

n’avait jamais prétendu.

Henri Philibert Gaspard Darcy (1803-1853) et son disciple Henri Émile Bazin (1829-

1917) poursuivirent l’étude des écoulements permanents dans les canaux ; ils recon-

nurent le rôle de la nature et de la rugosité des parois, d’une part, et de la forme géo-

métrique de la section transversale, d’autre part, sur la résistance à l’écoulement. Ils

réalisèrent pour cela des expériences avec des canaux revêtus de ciment, de briques,

de graviers, ou avec des parois rocheuses, et avec des sections rectangulaires, trapé-

zoïdales, ou semi-circulaires. C’est l’Irlandais Robert Manning (1816-1897) qui

proposa d’améliorer la formule de Chézy pour estimer la vitesse de l’écoulement uni-

forme en canal. La relation suivante est ainsi connue comme la relation de Manning-

Strickler :

(1.14)

Cette relation constitue un gros progrès par rapport à la formule de Chézy. En effet,

le coefficient de Chézy CH dépend de la nature de la paroi, mais aussi de la hauteur

d’eau, alors que le coefficient Ks ne dépend que de la nature de la rugosité du lit et des

parois. Ks n’est pas un paramètre adimensionnel. Depuis les travaux de l’Allemand

Julius Weisback (1806-1871), sur lesquels nous reviendrons dans la section 4.1, l’uti-

lité de raisonner avec des nombres sans dimension, ou nombres adimensionnels,

avait été démontrée. Manning proposa donc dans un deuxième temps une tentative

de reformulation de l’équation (1.14) ne faisant apparaître que des nombres adimen-

sionnels. C’est cependant l’équation ci-dessus qui est restée utilisée en pratique

jusqu’à aujourd’hui. Le coefficient Ks est resté plus connu sous le nom de coefficient

de Strickler.

V Ks RH2 3⁄

I1 2⁄=

Page 36: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 0

1.5. Du XVIIIe au XIXe siècle : premiers résultats sur les ondes

Léonard de Vinci avait reconnu la différence entre la vitesse de propagation des ondes

et la vitesse du fluide. L’étude des phénomènes de propagation des ondes peut être

effectuée sans qu’il y ait besoin de maîtriser les notions de viscosité et des frotte-

ments. En effet, les écoulements associés aux ondes et aux transitoires rapides mobi-

lisent peu les frottements. Joseph Louis Lagrange (1736-1813) apporta une première

contribution en introduisant le modèle des écoulements irrotationnels (modèle qui

n’a de sens que pour un fluide parfait) :

Un écoulement irrotationnel est un écoulement dans lequel le rotationnel de la vitesse

est nul partout.

Pour décrire un écoulement irrotationnel, Lagrange introduisit la notion de poten-

tiel des vitesses, noté φ et défini comme :

V = grad(φ)

La contribution la plus importante due à Lagrange est la reconnaissance de la célérité C

des petites perturbations dans un écoulement en canal, en fonction de la hauteur d’eau h :

(1.15)

Ce résultat est essentiel à l’étude des phénomènes transitoires dans les canaux et

rivières. Nous l’établirons au chapitre 6. Lagrange sut reconnaître l’analogie entre la

vitesse de ces perturbations et, en aérodynamique, la vitesse du son.

Franz Joseph von Gerstner (1756-1832) étendit ces travaux à la propagation des

ondes en grande profondeur. Il identifia la condition qui décrit une surface libre, à

savoir que la pression y est égale à la pression atmosphérique. Il démontra que la célé-

rité (vitesse de phase) des ondes de faible amplitude en grande profondeur est fonc-

tion seulement de la longueur d’onde Λ :

(1.16)

L’observation des ondes en grande profondeur fut poursuivie un peu plus tard par les

frères Weber (1795-1878 et 1804-1891) à Leipzig. S’intéressant aux possibilités de

navigation à vapeur sur les voies d’eau intérieures, l’Écossais John Scott Russel (1808-

1882) réalisa des expériences en remorquant des bateaux de différentes formes sur

des canaux ; il établit ainsi le lien entre la résistance à l’avancement d’un navire et les

h

C

C g h=

C

Λ

Cg Λ2 π-------=

Page 37: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 1

vagues induites par sa vitesse (ce que l’on appelle aujourd’hui la résistance de vague).

Une fois le navire arrêté, Russel avait coutume de suivre à cheval l’onde qui continue

de se propager dans le canal. Il mit en évidence, par rapport à la loi de Laplace (1.15)

qui ne s’applique qu’à des très petites perturbations, le rôle de l’amplitude d’une

onde sur sa vitesse de propagation.

Finalement, la solution du calcul de la célérité des ondes de petite amplitude en profon-

deur finie, combinant les solutions de Laplace (1.15) et de Gerstner (1.16) fut obtenue

par Sir Georges Biddle Airy (1801-1892), directeur de l’observatoire de Greenwich :

(1.17)

La démonstration de ce résultat (1.17) fait l’objet d’une application, à la fin de ce chapitre.

Avec Jean-Claude Barré de Saint-Venant (1797-1886) et Arsène Jules Émile Juvenal

Dupuit (1804-1866), tous deux ingénieurs des Ponts et Chaussées, apparurent le terme

de célérité pour désigner la vitesse de propagation des ondes (1.15), la notion d’écoule-

ment fluvial et d’écoulement torrentiel pour distinguer respectivement des écoulements

de vitesse V inférieure à la célérité C ou supérieure à cette dernière. Les lois des écoule-

ments permanents non uniformes dans les canaux et rivières, ce que nous appellerons

au chapitre 7 courbes de remous, ont été également formulées par Dupuit23.

Une onde particulière a depuis longtemps mérité l’attention : elle s’appelle intumes-

cence – ou mascaret – ou ressaut hydraulique, selon qu’elle est mobile ou fixe. C’est

une vague plus ou moins déferlante qui peut apparaître comme phase ultime du rai-

dissement du front avant d’une onde qui propage une augmentation de la hauteur

d’eau (onde de compression). Giorgio Bidone (1781-1839) de l’université de Turin

fut le premier à l’analyser systématiquement, en étudiant les remous formés par la

fermeture d’une porte d’écluse. Saint-Venant conclut les travaux de ses prédécesseurs

en déterminant le bilan de quantité de mouvement de part et d’autre du ressaut

hydraulique (voir le chapitre 6).

Le ressaut hydraulique permet de passer du régime d’écoulement torrentiel au régime d’écoulement

fluvial (voir la figure 7.10).

23. Études théoriques et pratiques sur le mouvement des eaux courantes, Paris, 1848.

hC

g Λ2 π------- tanh

2 πh

Λ----------

=

h 1

h 2

Écoulement torrentiel Ressaut Écoulement fluvial

U1 > C1 = gh1 U2 < C2 = gh2

Page 38: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 2

1.6. Émergence des lois décrivant le mouvement des fluides réels

Le XVIIIe siècle avait permis d’affiner la méthode expérimentale, avec la mise au point

des principaux outils de mesure, et les principes des études sur modèles réduits. Il

avait permis de jeter les bases des équations de l’hydrodynamique, avec les équations

d’Euler et le théorème de Bernoulli. Les limites de ces équations pour prendre en

compte toutes les situations d’écoulement où les frottements ou les pertes de charge

sont à prendre en compte avaient bien été perçues. C’est ainsi qu’un certain nombre

de formules approchées, dans la suite des travaux de Chézy et de Prony, puis

Manning au XIXe siècle, avaient été proposées pour calculer la vitesse des régimes uni-

formes dans les canaux. Pour combler ce fossé entre la théorie et l’expérience, il

restait à écrire les équations qui décrivent le comportement des fluides réels, tenant

compte de la viscosité, et à reconnaître l’importance du phénomène majeur pour la

plupart des écoulements d’intérêt pratique : la turbulence.

La première étape fut la reconnaissance de l’influence des propriétés physiques du

fluide sur l’écoulement dans un conduit. La viscosité de l’eau diminue avec la tempé-

rature : c’est ainsi que l’Allemand Gotthilf Heinrich Ludwig Hagen (1797-1884) mit

en évidence l’influence de la viscosité sur l’écoulement dans un conduit, en étudiant

l’écoulement d’eau à diverses températures, dans des tubes de 2,5 à 6 mm de dia-

mètre. À la même époque, à Paris, Jean-Louis Poiseuille (1799-1869), médecin et

pionnier de la biomécanique, s’intéressait à la puissance de pompage du cœur

humain, à la circulation du sang dans les veines, artères et capillaires sanguins. Il

réalisa des expériences dans des tubes de très petit diamètre (d = 0,03 à 0,14 mm)

avec de l’eau à différentes températures, mais aussi avec de l’éther et du mercure. Il

établit que, si δp est la différence de pression (perte de charge24) entre deux sections

distantes d’une longueur L, le débit est proportionnel au diamètre à la puissance 4 :

(1.18)

où C est une constante dépendant de la nature du fluide et de sa température – donc

de la propriété physique appelée viscosité. Ses successeurs devaient par la suite iden-

tifier la constante C comme : C = π / 128 µ , où µ est la viscosité dynamique. Cette

formule est appelée formule de Poiseuille (elle est démontrée dans une application à la

fin de ce chapitre).

La formule de Poiseuille indique une vitesse qui varie comme d2 (puisque le débit Q

est égal au produit VA, et que la section A est en d2) : ce résultat est très éloigné des

exposants 1/2 et 2/3 des formules de Chézy et Strickler ; c’est que les expériences de

Poiseuille, menées dans des tubes très petits, correspondent au régime d’écoulement

que nous appellerons plus loin laminaire, alors que les expériences à plus grande

échelle de Chézy et Manning, et de bien d’autres comme Bazin, correspondent au

régime turbulent.

24. En écoulement incompressible, dans un conduit horizontal de section constante, la vitesse U est lamême en toute section, donc δH = δp.

Q Cd4 δp

L------=

Page 39: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 3

Pour bâtir le modèle théorique décrivant le mouvement des fluides, il restait à

répondre à cette question : comment traduire l’influence des frottements internes,

c’est-à-dire l’influence de la viscosité, dans les équations d’Euler? C’est ce qu’entre-

pris l’ingénieur des Ponts et Chaussées Louis Marie Henri Navier (1785-1836), en

tenant compte dans la force F de l’équation d’Euler écrite plus haut (1.5) de ce qu’il

supposa être une force d’attraction ou de répulsion entre molécules adjacentes25, de

composantes proportionnelles au laplacien des composantes u, v, w de la vitesse :

F = νe ∆V + F ′ (1.19)

Dans la force résiduelle F ′ reste alors simplement à exprimer le poids.

Navier ne put exploiter véritablement ce résultat, et n’explicita guère le paramètre

que nous avons noté ici νe . Ses successeurs, Augustin Louis de Cauchy (1789-1857),

Siméon Denis Poisson (1781-1840), et Jean Claude Barré de Saint-Venant (1797-

1886), reprirent et confortèrent la démonstration initiale de Navier. Saint-Venant

exprima, en particulier, les contraintes normales et tangentielles en fonction de la

viscosité et des gradients de vitesse, ce qui constitue la loi de comportement des fluides

linéairement visqueux. Nous verrons plus loin quelle interprétation intéressante

Saint-Venant et son élève Boussinesq donnèrent au paramètre νe , dans une première

vision de l’effet de la turbulence.

En dépit du mérite de Saint-Venant, c’est à l’Anglais Georges Gabriel Stokes (1819-

1903) – de l’université de Cambridge – que la postérité réserva l’honneur de donner

son nom, accolé à celui de Navier qui en fut le véritable inventeur, aux équations fon-

damentales de la mécanique des fluides, les équations de Navier-Stokes. Stokes, en par-

ticulier, identifia le paramètre νe de (1.19) à la viscosité cinématique : ν = µ / ρ.

Restait à mesurer cette viscosité. Couette, en 1890, mit au point le dispositif repré-

senté sur le schéma ci-dessous : dans le système constitué de deux cylindres de même

axe, séparés par le fluide étudié, la mesure de l’effort nécessaire pour faire tourner le

cylindre intérieur permet de déterminer la viscosité du fluide.

Parvenus à ce point, il est bon de faire une pause dans le fil historique, et de démon-

trer, à notre tour, les équations fondamentales de la dynamique des fluides. Sur la

description de la turbulence, nous reprendrons dans la section 3 le fil de l’histoire,

avec les contributions essentielles de Boussinesq et Reynolds.

25. Mémoire sur les lois du mouvement des fluides, mémoire présenté en 1822 à l’Académie des sciences.

Écoulement de Couetteentre deux cylindres coaxiaux

Cylindre tournant

Cylindre fixe

Page 40: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 4

2. Les équations de base de la mécanique des fluides et l’approximation des écoulements incompressibles

2.1. Écriture des équations de base à partir des méthodes de bilans

Toutes les équations de base se déduisent à partir de bilans sur des volumes de contrôle

des grandeurs essentielles : masse, quantité de mouvement. Le théorème de Leibnitz

(1.3) est l’outil qui permet de formuler ces bilans, rappelons le ci-dessous :

(1.3)

Bilan de masse

Si, dans l’équation (1.3), la grandeur f est la masse volumique (notée ρ), l’intégrale au

premier membre du bilan représente la variation de la masse dans le volume Ω. Si ce

volume est le volume occupé par une certaine masse donnée de fluide, alors la vitesse

Vi des points de la surface Σ est simplement la vitesse V du fluide, et le bilan doit être

nul puisque la masse se conserve. Il vient donc :

(1.20)

Le deuxième terme représente le débit massique à travers la surface Σ du volume de

contrôle. Pour obtenir une équation différentielle locale, qui soit indépendante de

tout volume de contrôle, il faut transformer la deuxième intégrale en intégrale de

volume, en utilisant la formule d’intégration de Stokes :

En faisant tendre le volume Ω vers zéro, il en résulte la forme locale du bilan de

masse, appelée équation de continuité :

(1.21)

Nous avons ainsi démontré l’équation (1.6) qui était l’une des équations d’Euler. Si la

masse volumique est constante, cette équation s’écrit :

(1.22)

ou : (1.23)

n

Ω (t + δt )

Ω (t )td

d f ΩdΩ∫

f∂t∂

---- ΩdΩ∫ f Vin( ) Σd

Σ∫+=

ρ∂t∂

------ ΩdΩ∫ ρ Vn( ) Σd

Σ∫+ 0=

ρ∂t∂

------ ΩdΩ∫ div ρV( ) Ωd

Ω∫+ 0=

ρ∂t∂

------ div ρV( )+ 0=

div V( ) 0=

u∂x∂

------ v∂y∂

----- w∂z∂

------+ + 0=

Page 41: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 5

ou, encore, avec la convention de sommation des indices répétés :

(1.23 bis)

Un écoulement à masse volumique constante est appelé un écoulement incompres-

sible. Nous reviendrons un peu plus loin sur les limites de validité de ce concept.

Bilan de quantité de mouvement

Pour écrire le principe fondamental de la dynamique, nous identifions maintenant la

grandeur f à ρV, produit de la masse volumique par la vitesse. L’intégrale au premier

membre de l’équation (1.3) représente maintenant la variation de quantité de mouve-

ment de l’ensemble des particules matérielles qui occupent à l’instant t le volume Ω.

Soit F la résultante de toutes les forces extérieures qui s’exercent sur les particules con-

tenues dans le volume Ω, il vient alors :

(1.24)

Les forces extérieures au volume Ω sont de plusieurs natures :

(a) le poids des particules s’écrit : ;

(b) la résultante des actions de contact sur la surface Σ avec le fluide alentour nécessite

davantage d’explications.

La force de contact avec le fluide alentour s’exprime à l’aide du tenseur des contraintes.

Explicitons rapidement cette notion, que le lecteur pourra approfondir en se reportant

aux traités de mécanique des milieux continus :

– l’ensemble des actions au sein d’un milieu continu est décrit par le tenseur des

contraintes, noté ici σ, défini dans un repère donné (comme un vecteur) par ses

composantes σij ; les indices i et j varient de 1 à 3 pour les trois directions de

l’espace x, y, z ;

– la force dF que le fluide extérieur au volume de contrôle Ω exerce sur un élément dΣde la surface de Ω, de vecteur normal unitaire extérieur n (dont les composantes sont

notées ni, i = 1 à 3) a pour composante selon la direction de coordonnée xi :

dFi = σij nj dΣ (1.25)

Cette force peut encore être notée, vectoriellement :

dF = σ n dΣ (1.25 bis)

Dans tout cet ouvrage, on utilise, comme c’est l’usage, la convention de sommation

des indices répétés (ou convention d’Einstein). Dans l’expression (1.25), il faut

donc entendre qu’il y a sommation au second membre sur l’indice j (j = 1 à 3).

La pression (notée p) exerce toujours sur un élément de surface une action qui est

perpendiculaire à cette surface (c’est le caractère isotrope de la pression). Il est donc

ui∂xi∂

------- 0=

ρV( )∂t∂

--------------- ΩdΩ∫ ρV Vn( ) Σd

Σ∫+ F=

ρ g ΩdΩ∫

Page 42: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 6

facile de se rendre compte à partir de l’équation (1.25) que la pression intervient uni-

quement sur la diagonale du tenseur des contraintes :

σ ij = – p δij + τ ij (1.26)

δ est le symbole de Kronecker. Le terme τ ij à droite de l’équation (1.26) tient compte

des frottements internes, caractérisés par la viscosité du fluide. Dans les fluides

usuels, appelés fluides newtoniens ou fluides linéairement visqueux, l’expérience

montre que la loi de comportement, c’est-à-dire la relation entre la contrainte vis-

queuse τ et la déformation26 est linéaire :

(1.27)

ui représente la composante de la vitesse selon la direction xi . µ, viscosité dynamique,

et µ′, coefficient de seconde viscosité, sont des propriétés physiques du fluide.

Soit ν la viscosité cinématique : .

Figure 1.6. Viscosité cinématique de l’eau et de l’air, en fonction de la température, à une pression de 1 atm.

26. Le tenseur des vitesses de déformation a pour composantes : .

Tableau 1.2. Viscosité cinématique de quelques fluides, à 20°C et à la pression de une atmosphère.

ν (m2/s) ν (m2/s)

Eau liquide 1,006 10– 6 Air 1,5 10– 5

Glycérine 1,18 10– 3 Dioxyde de carbone 0,8 10– 5

Mercure 1,16 10– 7 Hydrogène 1,5 10– 4

Sij

1

2--

ui∂xj∂

-------uj∂xi∂

-------+ =

τ ij µui∂xj∂

-------uj∂xi∂

-------+ µ′ div V( )δij+=

ν µρ---=

1,8 E–06

0,0 E+00

ν (m2/s)ν (m2/s)5,0 E–05

0,0 E+00

5,0 E–06

1,0 E–05

1,5 E–05

2,0 E–05

2,5 E–05

3,0 E–05

3,5 E–05

4,0 E–05

4,5 E–05

2,0 E–07

4,0 E–07

6,0 E–07

8,0 E–07

1,0 E–06

1,2 E–06

1,4 E–06

1,6 E–06

T (°C)

Eau Air

T (°C)

0 80 – 50 20020 40 60 0 50 100 150

Page 43: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 7

Dans les écoulements incompressibles, le dernier terme à droite dans l’équation

(1.27) est nul, puisque la divergence de la vitesse est égale à zéro. L’influence de la

seconde viscosité disparaît donc.

Revenons à la résultante des actions de contact sur la surface du volume de contrôle,

la composante de cette force selon la direction xi s’écrit :

Cette force peut aussi s’écrire, en notation vectorielle :

Les intégrales sur la surface du volume de contrôle peuvent être transformées en des

intégrales sur le volume Ω :

div(τ) est ici un vecteur dont la composante selon la direction de coordonnée xi est :

.

Si nous transformons aussi dans l’équation (1.24) l’intégrale de surface en intégrale de

volume, et si nous faisons tendre ensuite le volume de contrôle Ω vers zéro, comme

nous l’avons fait précédemment pour le bilan de masse, nous obtenons l’équation de

Navier-Stokes, qui est l’écriture locale du bilan de quantité de mouvement.

(1.28)

L’équation de continuité (1.21) a été utilisée pour simplifier le premier membre de

cette équation.

Si la masse volumique est constante, le dernier terme peut être écrit sous une forme

explicite simple ; c’est l’équation de Navier-Stokes :

(1.29)

La projection de cette équation selon les trois direction de coordonnée x, y, z d’un

repère cartésien est :

(1.30)

σij nj ΣdΣ∫ pni– τ ij nj+( ) Σd

Σ∫=

Fcontact σ n Σd⋅Σ∫ pn– τ n⋅+( ) Σd

Σ∫= =

Fcontact – grad p( ) ΩdΩ∫ div τ( ) Ωd

Ω∫+=

τ ij∂xj∂

--------

V∂t∂

------- V grad V( )⋅+1

ρ--- grad p( )– g

1

ρ--- div τ( )+ +=

V∂t∂

------- V grad V( )⋅+1

ρ--- grad p( )– g ν∆V+ +=

u∂t∂

------ u u∂x∂

------ v u∂y∂

------ w u∂z∂

------+ + +1

ρ--- p∂

x∂-----– ν∆u+=

v∂t∂

----- u v∂x∂

----- v v∂y∂

----- w v∂z∂

-----+ + +1

ρ--- p∂

y∂-----– ν∆v+=

w∂t∂

------ u w∂x∂

------ v w∂y∂

------ w w∂z∂

------+ + +1

ρ--- p∂

z∂-----– ν∆w g–+=

Page 44: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E2 8

On a supposé ici que l’axe z est vertical et orienté positivement vers le haut : dans ces

conditions, le vecteur g a pour composantes (0, 0, – g). Si la viscosité est nulle, on

retrouve bien sûr les équations d’Euler (1.5).

Nous utiliserons souvent dans la suite la forme condensée de ces équations, écrites

avec la convention d’Einstein de sommation des indices répétés :

(1.30 bis)

Remarque. Les équations (1.29) et (1.30) sont écrites dans un repère galiléen. Or, le

repère naturel utilisé pour écrire un problème d’écoulement donné peut être en rota-

tion par rapport au repère galiléen de référence. Ainsi, un repère lié à la Terre, avec le

plan (x, y) horizontal et la direction z choisie comme la direction verticale ascendante,

est un repère en rotation. À une toute autre échelle, l’écoulement sur la roue mobile

d’une pompe, l’écoulement entre les ailettes du rotor d’une turbine, sont en général

décrits dans le repère lié à la roue ou aux ailettes, repère qui est en rotation.

Pour écrire ces équations dans le repère en rotation, il faut tenir compte de l’accélé-

ration d’entraînement, et de l’accélération de Coriolis. Nous verrons, au chapitre 5,

ce qu’il en est dans le cas des écoulements à la surface de la Terre (écoulements géo-

physiques).

Figure 1.7. Masse volumique de l’eau et de l’air, en fonction de la température, à une pression de 1 atm.

ui∂t∂

------- uj ui∂xj∂

-------+1

ρ--- p∂

xi∂-------– gi ν∆ui+ +=

1 000

970

ρ (kg/m3)ρ (kg/m3)1,60

0,60

0,70

0,80

0,90

1,00

1,10

1,20

1,30

1,40

1,50

975

980

985

990

995

T (°C)

Eau Air

T (°C)

0 80 – 50 20020 40 60 0 50 100 150

Page 45: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 2 9

2.2. Discussion du domaine de validité de l’hypothèse des écoulements incompressibles

Un écoulement incompressible est un écoulement dans lequel il est possible de sup-

poser que la masse volumique est constante.

Bien sûr, la masse volumique varie, dans les fluides, en fonction des variations de

pression et de température. Pour que cette approximation soit licite, il faut donc, pre-

mièrement, que les variations relatives de masse volumique soient effectivement

petites et, deuxièmement, qu’il soit licite de simplifier l’équation de continuité sous la

forme (1.22), comme nous l’avons fait plus haut.

Ordre de grandeur des variations de masse volumique et des variations de pression

Dans un fluide, l’équation d’état exprime la masse volumique en fonction de la tempé-

rature et de la pression.

Pour un gaz, on peut utiliser le modèle de gaz parfait :

(1.31)

où R est la constante des gaz parfaits et M est la masse molaire – la température T est

bien sûr en Kelvin dans cette équation. Cette expression permet d’écrire les varia-

tions relatives de masse volumique comme :

(1.32)

Dans un gaz, les variations relatives de masse volumique sont donc négligeables si les

variations relatives de pression et les variations relatives de température sont toutes

deux négligeables.

Dans un liquide, on peut écrire les variations relatives de masse volumique sous la forme :

(1.33)

où εc, appelé module d’élasticité du liquide, ou compressibilité, est grand; par exemple :

εc = 2 109 Pa dans l’eau aux températures courantes. Le coefficient de dilatation à pres-

sion constante, β, est également assez faible : pour l’eau à température normale, β est de

l’ordre de 2 10– 4 °C– 1.

Ainsi, dans un liquide, les variations relatives de masse volumique sont faibles si les

variations de pression restent inférieures à, disons, 107 Pa, et pour une très large plage

de variations de température.

Mais qu’en est-il des variations de pression? Pour estimer l’ordre de grandeur des

variations de pression d’un point à l’autre de l’écoulement, δp, évaluons l’ordre de

grandeur des différents termes de l’équation de Navier-Stokes (1.29), en notant V

l’échelle des vitesses (ou des variations de vitesse), d l’échelle des longueurs caracté-

ristiques de l’écoulement considéré, et δt l’ordre de grandeur du temps pendant

lequel la vitesse subit une variation de l’ordre de V.

p ρ R

M----- T=

ρd

ρ------ pd

p----- Td

T------–=

δρρ

------1

εc

---- δp βδT–=

Page 46: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 0

Indiquons sous chaque terme son ordre de grandeur, en supposant que toutes les

variations sont suffisamment régulières :

≈ ≈ ≈ – ≈ ν

L’ordre de grandeur des variations de pression est donc majoré de la façon suivante :

(1.34)

Dans un liquide, avec ρ ≅ 103 kg/m3, pour atteindre une variation de pression de

107 Pa, il faut donc une variation de vitesse de l’ordre de 100 m/s – ce qui est

considérable –, ou bien une vitesse variant au cours du temps d’environ 10 m/s en un

millième de seconde (avec d ≅ 1 m) – ce qui est une variation extrêmement rapide.

Dans un gaz, avec ρ ≅ 1 kg/m3, pour atteindre une variation de pression relative de

10– 2, si la pression de départ est voisine de la pression atmosphérique (p ≅ 105 Pa), il

faut donc une variation de vitesse de l’ordre de 30 m/s ou bien, encore, une vitesse

variant au cours du temps d’environ 10 m/s en un centième de seconde (toujours

avec d ≅ 1 m).

L’équation (1.34) permet donc de vérifier que, dans les cas que l’on étudie, les vitesses

ou les variations de vitesse sont suffisamment faibles pour que les variations de masse

volumique induites soient faibles elles aussi.

Simplification de l’équation de continuité

Regardons par ailleurs l’équation de continuité, que nous voulons écrire sous la

forme simplifiée (1.22) ; elle peut s’écrire :

Avec là encore une échelle de vitesse V, une échelle de longueur d caractéristique des

variations de vitesse et masse volumique, et une échelle de temps δt qui caractérise main-

tenant la vitesse de variation de la masse volumique, les ordres de grandeur respectifs des

éléments qui rentrent dans le calcul des trois termes de cette équation sont :

a b c

V∂t∂

------- V grad V( )⋅+1

ρ--- grad p( )– g ν∆V+ + 0= =

V

δt----- V2

d------ δp

ρd------ V

d2-----

δp max ρdV

δt---------- , ρV

2, ρgd,

ρνV

d-----------

1

ρ--- ρ∂

t∂------ V

ρ---- grad ρ( )⋅ div V( )+ + 0=

a bc

1

δt-----

δρρ

------ V

d---

δρρ

------ V

d---

Page 47: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 1

Si les variations relatives de masse volumique sont petites (δρ / ρ ? 1), le terme (b)

est négligeable devant le terme (c). Il en est de même du terme (a), à condition que

l’échelle de temps caractéristique δt ne soit pas trop petite par rapport à l’échelle de

temps cinématique de l’écoulement, à savoir d / V. Il arrive que cette échelle de temps

soit imposée par des variations de conditions aux limites du problème, par exemple

le temps de fermeture d’une vanne, ou le temps que met le nez d’un train pour

rentrer dans un tunnel. Si δt est très court (fermeture brutale d’une vanne), le terme

(a) ne peut être négligé, même si les variations de masse volumique sont faibles. On

ne peut alors faire l’hypothèse des écoulements incompressibles.

Pour résumer cette discussion, l’hypothèse des écoulements incompressibles est vérifiée

lorsque la température varie peu, lorsque les vitesses sont limitées à environ 100 m/s dans

un liquide ou 30 m/s dans un gaz, et lorsqu’il n’y a pas de phénomène qui conduise à une

variation brutale au cours du temps des conditions de l’écoulement. Ce domaine de vali-

dité couvre les écoulements usuels des liquides ainsi que l’écoulement du vent, ou l’écou-

lement de l’air autour des engins terrestres.

2.3. Retour sur le théorème de Bernoulli. Charge et pertes de charge

Bénéficiant de l’outil puissant que constituent les équations de Navier-Stokes, il est

facile de revenir sur la démonstration du théorème de Bernoulli (1.4).

Rappelons qu’une ligne de courant est une ligne partout tangente au vecteur vitesse. En

régime permanent, les lignes de courant et les trajectoires des particules sont confon-

dues. Il n’en est pas de même en régime transitoire, en général.

Soit une ligne de courant C qui va d’un point M1 jusqu’à un point M2, dl le vecteur

élémentaire tangent à C. dl est donc parallèle à la vitesse V.

Intégrons l’équation de Navier-Stokes (1.29) le long de cette ligne de courant, en uti-

lisant la propriété suivante :

(1.35)

Cette intégration entre M1 et M2 donne le résultat suivant :

(1.36)

Le terme V × rot(V) a disparu car le produit scalaire de ce vecteur, qui est normal à V,

par le vecteur élémentaire dl, qui est parallèle à V, est nul.

M1 M2V

V grad V( )⋅ gradV2

2------

V rot V( )×–=

ρ V∂t∂

-------M1

M2

∫ dl⋅ grad ρ V2

2------ p ρg z+ +

M1

M2

∫ dl⋅+ ρν∆V

M1

M2

∫ dl⋅=

Page 48: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 2

Nous avons supposé, comme précédemment, que l’axe Oz est dirigé positivement

vers le haut. La composante de l’accélération de la pesanteur selon z est (– g), dans ces

conditions.

Soit la charge H que nous avons définie dans la section 1 comme :

(1.37)

La charge représente la somme de l’énergie potentielle et de l’énergie cinétique, par

unité de volume.

L’équation (1.36) peut s’écrire sous la forme plus simple, qui met en évidence la

variation de la charge entre M1 et M2 :

(1.38)

Écoulement permanent d’un fluide réel

En écoulement permanent, ce résultat s’écrit :

.

Ainsi, la charge ne se conserve pas le long d’une ligne de courant, dès lors que des

variations de vitesse importantes mobilisent l’influence de la viscosité. La charge ne

peut que décroître, bien sûr. Nous verrons au chapitre 3 que la turbulence est aussi

un facteur, qui vient s’ajouter à l’effet de la viscosité, pour la non-conservation de la

charge. H(M1) – H(M2) s’appelle la perte de charge entre les points M1 et M2 de la

ligne de courant. Nous avons, plus haut, traduit en ces termes les travaux de Borda et

Du Buat sur les convergents et divergents brusques. Nous verrons, au chapitre 3, que

la méthode de dimensionnement pratique des circuits hydrauliques repose juste-

ment sur l’estimation des pertes de charges dans les différentes parties des circuits.

Fluide parfait

Un fluide parfait est un fluide dont la viscosité est nulle. Bien évidemment, un tel

fluide n’existe pas. Mais dans certains types d’écoulements, les effets de la viscosité et

de la turbulence sont négligeables devant les effets d’inertie : l’écoulement autour

d’un obstacle, en dehors des couches limites et des sillages, peut souvent être consi-

déré comme un écoulement de fluide parfait. C’est une hypothèse qui peut être com-

mode, mais qui doit être utilisée avec précautions.

Dans un fluide parfait, le second membre de l’équation (1.38) est nul. Cette équation

se ramène donc au résultat suivant, qui est appelé théorème de Bernoulli généralisé :

H p1

2-- ρV2 ρg z+ +=

ρ V∂t∂

-------M1

M2

∫ dl⋅ H M2( ) H M1( )–+ ρν∆V

M1

M2

∫ dl⋅=

H M1( ) H M2( )– ρν∆V

M1

M2

∫ dl⋅–=

Page 49: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 3

(1.39)

En écoulement permanent, le premier terme est nul, la charge se conserve donc le

long d’une ligne de courant, ce qui constitue le théorème de Bernoulli.

Écoulement irrotationnel

Un écoulement est dit irrotationnel lorsque le rotationnel de la vitesse est nul partout.

Cette hypothèse est très liée à l’hypothèse de fluide parfait. En effet, il est possible de

démontrer que l’écoulement d’un fluide parfait mis en mouvement sans chocs (sans

discontinuités) est irrotationnel.

Nous avons vu plus haut que, dans un écoulement irrotationnel, la vitesse dérive

d’un potentiel :

V = grad(φ) (1.40)

L’équation de continuité conduit alors immédiatement à une équation très simple

portant sur le potentiel des vitesses :

∆φ = 0 (1.40 bis)

En injectant l’équation (1.401) et l’équation (1.35) – en annulant rot(V) – dans

l’équation d’Euler, on arrive à une écriture du théorème de Bernoulli généralisé spé-

cifique aux écoulements irrotationnels :

. (1.41)

2.4. Condition de surface libre et influence de la gravité dans les écoulements incompressibles

Le théorème de Bernoulli – ou l’expression plus générale (1.38) – montre clairement

que la pression dans un écoulement varie à cause des variations d’altitude (variation de

pression hydrostatique) et à cause des variations de vitesse. Il est commode d’isoler ces

deux origines des variations de pression, pour identifier l’influence réelle de la gravité

dans un écoulement.

On peut ainsi introduire la pression dynamique p*, définie comme l’écart entre la

pression p et la pression hydrostatique :

p* = p + ρ g z (1.42)

où z désigne toujours la direction verticale ascendante (g z = – g).

L’équation de Navier-Stokes (1.29) peut alors s’écrire sous la forme suivante :

(1.43)

ρ V∂t∂

-------M1

M2

∫ dl⋅ H M2( ) H M1( )–+ 0=

φ∂t∂

------ V2

2------ p

ρ--- g z+ + + constante=

V∂t∂

------- V grad V( )⋅+1

ρ--- grad p*( )– ν∆V+=

Page 50: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 4

Cette nouvelle équation (1.43) ne fait pas intervenir la gravité. Ceci a une consé-

quence pratique importante : un problème d’écoulement incompressible est indépen-

dant de la gravité si les conditions aux limites ne font pas intervenir la pression.

L’écoulement dans un volume entièrement contenu par des parois ne fait intervenir

que des conditions aux limites portant sur les vitesses : un tel écoulement est donc indé-

pendant de g, et donc de l’orientation du volume étudié par rapport à la verticale.

Les conditions aux limites ne font pas intervenir la pression : ces trois écoulements sont semblables.

Il n’en est pas ainsi lorsqu’il y a une surface libre. En effet, à la surface libre d’un

liquide, la pression p est égale à la pression atmosphérique : cette condition, convertie

en condition sur la pression dynamique p*, fait intervenir explicitement g, ce qui

constitue un contre-exemple de la propriété énoncée ci-dessus.

p = patm, donc p* = patm + ρgη (x, t)

À la surface libre d’un liquide, la condition sur la pression fait intervenir la gravité.

2.5. Condition de paroi. Couche limite

Condition à la limite sur une paroi solide

On pose aujourd’hui comme une évidence que la vitesse est nulle sur une paroi solide

fixe. Cette évidence fut longtemps masquée, notamment parce que, dans un écoule-

ment turbulent, la vitesse varie très vite dans une zone très fine au contact de la paroi,

comme nous le verrons au chapitre 2. C’est Stokes qui, après être parti sur une fausse

piste, formula définitivement ce fait, encore lui fallut-il six ans d’hésitations (entre

1845 et 1851) :

« Si le fluide en contact immédiat avec un solide pouvait s’écouler le long de ce dernier avec une

vitesse finie, cela voudrait dire que le solide serait infiniment plus lisse quand à son action sur le

fluide que ne le serait le fluide quand à son action sur lui-même […]. Je supposerai donc, pour

Fond

η (x, t )

Page 51: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 5

ce qui est des conditions qui doivent être satisfaites aux parois d’un fluide, que la vitesse d’une

particule fluide est identique, tant en amplitude qu’en direction, à celle d’une particule solide

avec laquelle elle est en contact27. »

Couche limite

Lorsqu’un écoulement rencontre une surface solide, il est globalement défléchi par

cette dernière, si cette surface impose un changement de direction. Par ailleurs,

comme la vitesse sur la surface solide est nulle (dans le référentiel lié à la dite surface),

se développe une zone dans laquelle la vitesse varie entre zéro (à la paroi) et la vitesse

V du flux principal non perturbé par le frottement sur la paroi. Cette zone est appelée

couche limite.

Couche limite : (a) sur une plaque plane ; (b) sur une surface courbe (aile, voile, roue de pompe ou de

turbine…).

C’est Ludwig Prandtl (1875-1953) – dont on reparlera un peu plus loin – qui fut le

premier à analyser rigoureusement ce type d’écoulement. Détaillons ci-dessous les

grandes lignes de la méthode d’analyse des couches limites.

Soient u et v les composantes de la vitesse selon les directions x et y, parallèle et

normale à la paroi, respectivement. L’épaisseur de la couche limite, δ(x), augmente

lentement avec la direction x, il est donc possible de faire les hypothèses suivantes :

v ? u

?

De plus, l’écoulement est supposé permanent. Ces approximations, appliquées à la

projection selon y de l’équation de Navier-Stokes (1.30) – ou sous la forme (1.43) qui

permet d’éliminer la gravité, quelle que soit l’orientation de la direction y par

rapport à la verticale – permettent d’écrire :

≈ 0

27. « On the effect of the internal friction of fluids on the motion of pendulums », Transactions of theCambridge Philosophical Society, vol.9, 1851 ; op. cit., d’après Rouse et Ince.

(a) (b)

couche limite

couche limite

δ(x)

yV

x

x∂∂

y∂∂

p*∂y∂

--------

Page 52: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 6

La pression varie donc uniquement selon la direction de l’écoulement28; la pression

est, en particulier, constante à la traversée de la couche limite29.

La pression p(x) est donc égale à la pression de l’écoulement loin de la paroi (à l’écart

de pression hydrostatique près) ; elle peut être approchée en première approximation

par le théorème de Bernoulli appliqué à l’écoulement loin de la paroi, puisque l’écou-

lement loin de la paroi n’est que peu influencé par les frottements internes.

Le système qui décrit l’écoulement dans la couche limite est donc le suivant :

(1.44)

où dp* / dx est une donnée externe au calcul de couche limite.

Ce principe de décomposition entre le flux principal supposé se comporter comme

un fluide parfait et la couche limite, principe introduit par Prandtl, reste encore

aujourd’hui une méthode couramment utilisée en aérodynamique ou dans le dimen-

sionnement des turbomachines.

Les équations (1.44) correspondent à un écoulement laminaire, c’est-à-dire non tur-

bulent. Nous verrons au chapitre 2 comment réécrire ce système pour calculer les

vitesses moyennes dans une couche limite turbulente. D’un autre côté, nous aborde-

rons en détail, au chapitre 4, la description des écoulements autour de structures

immergées. Nous allons simplement examiner ici la solution de l’écoulement lami-

naire qui se développe le long d’une plaque plane.

Couche limite laminaire le long d’une plaque plane

La solution de cet écoulement est due à Paul Richard Heinrich Blasius (1883-1970),

élève de Prandtl.

Dans le cas d’une plaque plane, la pression dans le flux principal est constante

selon x. Le terme en dp* / dx des équations (1.44) peut alors être omis. Blasius intro-

duisit une forme réduite adimensionnelle η de la coordonnée x, définie par :

.

Il démontra ensuite que le profil de vitesse adimensionnel u / V est une fonction de ηseulement :

;

28. Le lecteur pourra trouver au chapitre 5, à propos de l’approximation des écoulements quasi hori-zontaux, une discussion plus précise sur cette approximation.

29. C’est bien ce qui permet de supposer que dans le tube de Pitot – figure 1.5 – la pression au droit despetits trous du tube est égale à la pression du fluide au loin.

u∂x∂

------ v∂y∂

-----+ 0=

u u∂x∂

------ v u∂y∂

------+1

ρ---

dp*

dx---------– ν

∂2u

y2∂--------+=

η yV

νx------=

u

V--- f ′ η( )=

Page 53: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 7

où f ′ est la dérivée d’une fonction f définie par l’équation différentielle suivante :

f ′′′ + f f ′′ = 0 avec f(0) = f ′ (0) = 0 et f ′ → 1 quand η → ∞.

Seule une intégration numérique permet de résoudre cette équation : le profil de

vitesse résultant est tracé figure 1.8. On observe que la vitesse u est égale à 99% de la

vitesse du flux incident V pour une valeur de η de 5, environ. L’épaisseur de la couche

limite varie comme x à la puissance 1/2 :

δ ≅ 5 (1.45)

Ou encore, sous forme adimensionnelle :

(1.46)

en posant : Rex = (1.47)

Figure 1.8. Tracé de la solution de Blasius pour la couche limite sur une plaque plane (d’après les

valeurs numériques reportées par White).

1

2--

νx

V------

δx-- 5

Rex

------------≅

Vx

ν-------

0

5

1

2

3

4

0 1,0u / V

0,2 0,4 0,6 0,8

η = y Vν x

Page 54: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E3 8

3. Phénomènes d’instabilités. Turbulence

3.1. Un regard historique sur la turbulence

Fondation de l’approche théorique des écoulements turbulents

Ainsi les équations fondamentales de la mécanique des fluides sont écrites. Mais, en

même temps, Saint-Venant qualifie l’hydraulique de « désespérante énigme ». Les

équations en effet sont non linéaires, elles contiennent les germes de phénomènes

d’instabilités, et de la plus conséquente de ces instabilités, la turbulence.

Il existe en fait deux régimes d’écoulement. Hagen mit bien en évidence à partir de

ses expériences l’existence de ces deux régimes. Il réalisa des visualisations grâce à

l’utilisation de tubes de verre et de particules en suspension dans l’eau. Il publia ainsi

en 1854 une première description d’un régime d’écoulement, que nous appelons

aujourd’hui turbulent, caractérisé par l’existence de fluctuations irrégulières.

Saint-Venant interpréta, avec une vision étonnamment précoce, que les contraintes

dans un fluide en écoulement turbulent doivent dépendre de « l’intensité de forma-

tion des tourbillons ».

Ces intuitions furent développées par son protégé Joseph Boussinesq (1842-1929) :

« Les fluides se meuvent de deux manières différentes, selon qu’ils coulent dans des tubes très

étroits ou dans des espaces ayant des sections comparables à celles des tuyaux de conduites ou

des canaux découverts. Dans le premier cas, leurs mouvements sont bien continus, c’est-à-dire

que les vitesses varient graduellement, à chaque instant, d’un point du fluide aux points voisins,

et des formules très connues, données par Navier pour représenter ces mouvements, les régis-

sent avec toute l’approximation désirable, pourvu qu’on ait soin de supposer nulle la vitesse

contre les parois mouillées. Mais le coefficient des frottements que développent des mouve-

ments aussi réguliers est extrêmement petit, et si une telle continuité existait dans les tuyaux des

conduites ou dans les canaux découverts, les filets fluides très voisins devraient acquérir, surtout

près des parois, des différences de vitesse énormes. Il faut donc […] : (1) regarder les vitesses

vraies, à l’intérieur d’un fluide qui s’écoule, comme rapidement ou même brusquement varia-

bles d’un point à l’autre […] ; (2) faire dépendre les actions moyennes exercées à travers un

élément plan fixe, non seulement des vitesses moyennes locales […], mais encore de l’intensité

en chaque point de l’agitation tourbillonnaire qui y règne ; (3) rechercher, par conséquent, les

causes dont peut dépendre […] l’agitation tourbillonnaire […] ; (4) choisir, enfin, pour équa-

tions du mouvement, non pas les relations qui expriment à un moment donné l’équilibre dyna-

mique des divers volumes élémentaires du fluide, mais les moyennes de ces relations pendant

une temps assez court, ou ce que l’on peut appeler les équations de l’équilibre dynamique

moyen des particules fluides […]. »

Il y a peu à redire à ce texte30, qui met en évidence, lorsque le régime d’écoulement est

turbulent et présente des fluctuations, l’intérêt de travailler sur des grandeurs

moyennes.

Boussinesq écrivit également que, dans les équations de Navier, le coefficient que

nous avons noté νe dans la section 1.6 « doit dépendre en chaque point non seule-

30. « Essai sur la théorie des eaux courantes », Mémoires présentées par divers savants à l’Académie dessciences, vol. 23, 1877 ; op. cit., d’après Rouse et Ince.

Page 55: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 3 9

ment de la température et peut-être de la pression, mais encore et surtout de l’inten-

sité de l’agitation moyenne qui s’y trouve produite. » Boussinesq est ainsi l’inventeur

du concept de viscosité turbulente, que nous présenterons plus loin, et qui est à la base

des modélisations de la turbulence les plus répandues.

Restait à quantifier la transition entre le régime qualifié par Boussinesq de

« régulier », que nous appelons aujourd’hui régime laminaire, et le régime turbulent.

Osborne Reynolds (1842-1912) réalisa de nombreux travaux expérimentaux à l’uni-

versité de Manchester. Parmi ses résultats figure l’expérience historique qui porte son

nom, et qui permit de mettre en évidence quantitativement la transition à la turbu-

lence dans un écoulement en conduit. Ses prédécesseurs avaient reconnu que la tur-

bulence apparaît lorsque la vitesse dépasse une certaine valeur, ou lorsque la taille du

conduit augmente, ou encore lorsque la viscosité diminue (ce qui peut être réalisé

expérimentalement en augmentant la température du fluide). Reynolds établit que

c’est la combinaison de ces trois paramètres, sous la forme d’un nombre sans dimen-

sion, qui caractérise cette transition31. Ce paramètre est connu sous le nom de

nombre de Reynolds :

Re = (1.48)

Ainsi, dans un tube de section circulaire, l’écoulement est turbulent lorsque le

nombre de Reynolds construit à partir de la vitesse débitante V et du diamètre d est

supérieur à une valeur critique, estimée aujourd’hui à 2 300 environ.

Reynolds interpréta justement ce seuil comme la limite au-dessous de laquelle les

petites perturbations qui peuvent prendre naissance dans le fluide s’atténuent et dis-

paraissent, alors qu’au-dessus de ce seuil, elles s’amplifient pour atteindre un niveau

fini. Ce travail sur les instabilités de l’écoulement d’un fluide visqueux avait été com-

mencé en fait par William Thomson, mais c’est Lord Kelvin (1824-1907), qui semble

avoir été l’inventeur du nom de turbulence pour décrire ce régime d’écoulement.

Reynolds alla plus loin que Boussinesq, en introduisant la décomposition devenue

classique entre vitesse moyenne (notée ) et fluctuation de vitesse (notée u ′), soit,

pour la composante de la vitesse selon la direction xi :

(1.49)

Allure de la vitesse instantanée enregistrée en fonction du temps, dans un écoulement turbulent.

31. « An experimental investigation of the circumstances which determine whether the motion of watershall be direct or sinuous and of the resistance in parallel channels », Phil. Trans. R. Soc., vol. 174,pp. 935-982, 1883.

Vd

ν-------

u

ui u i u ′ i+=

Vitessemoyenne u

Fluctuation u ′

u

t

Page 56: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 0

En effectuant la moyenne de l’équation de continuité (1.23 bis) et de l’équation de

Navier-Stokes (1.30 bis), Reynolds écrivit les équations suivantes qui décrivent le

comportement statistique d’un écoulement turbulent :

Ces équations s’appellent les équations de Reynolds. Elles contiennent des termes

inconnus, les , qui sont appelés les tensions de Reynolds, qui viennent s’ajouter

aux tensions visqueuses ; lorsque l’écoulement est pleinement turbulent, les tensions

de Reynolds sont en fait beaucoup plus grandes que les tensions visqueuses.

Comment rapprocher ces équations de Reynolds avec la proposition de Boussinesq

citée un peu plus haut? Boussinesq supposait implicitement qu’il est possible d’appli-

quer l’équation de Navier à la description du champ de vitesse moyen. Dans ces con-

ditions, le terme νe∆ui de l’équation de Navier représente la somme de deux termes

de l’équation de Reynolds : le terme visqueux, , et le terme turbulent .

On peut alors décomposer νe en deux parties et poser :

νe = ν + ν t (1.52)

ν t s’appelle viscosité turbulente. Bien sûr, cette grandeur n’a pas de signification physique

profonde, ce n’est qu’un modèle, encore largement utilisé aujourd’hui, mais qui a ses

limites, comme nous le verrons au chapitre 2.

Après Reynolds, c’est à l’université de Göttingen que fut créée une prolifique école de

développement de la pensée et des connaissances, tant théoriques qu’expérimentales :

le fondateur de cette école fut Ludwig Prandtl (1875-1953). Paul Richard Heinrich

Blasius (1883-1970), connu pour ses travaux sur la couche limite que nous avons décrit

plus haut, mais aussi pour ses résultats expérimentaux sur les écoulements turbulents

dans les conduits, et Théodore von Karman (1881-1963), qui a laissé son nom aux

allées de tourbillons en aval d’un obstacle dans un écoulement, ainsi qu’à certaines

données sur la couche limite turbulente, furent membre de cette école.

C’est que la couche limite, que nous avons décrite dans la section 2.5 de ce chapitre, est

laminaire au début de son développement, puis devient turbulente lorsque son épais-

seur δ atteint une certaine valeur. Pour l’écoulement sur une plaque plane, la transition

à la turbulence est observée lorsque le nombre de Reynolds local Rex, défini par l’équa-

tion (1.47), dépasse une valeur de l’ordre de 5 105 (ou 106 si la surface est parfaitement

lisse et le flux incident bien régulier). Cette transition a une conséquence importante,

qui est un brusque changement de régime de l’écoulement autour d’une structure : c’est

ainsi que Gustave Eiffel (1832-1923), étudiant l’effort exercé par un écoulement sur une

ui∂xi∂

------- 0=

ui∂t∂

------- uj

ui∂xj∂

-------⋅+1

ρ---

p∂xi∂

-------– gi ν∆ui xj∂∂

u ′ i u ′ j( )–+ +=

(1.50)

(1.51)

u ′ i u ′ j

ν∆ui u ′ i u ′ j∂

xj∂----------------–

Page 57: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 1

sphère, obtint un résultat complètement différent de mesures antérieures réalisées à

Göttingen – mais dans une gamme différente de valeurs du nombre de Reynolds.

Prandtl, un peu plus tard, devait expliquer ce phénomène.

Prandtl et son élève Blasius ont donc beaucoup travaillé sur les couches limites, lami-

naires et turbulentes. Prandtl a laissé son nom à un modèle de turbulence simple, mais

très bien adapté aux calculs de couche limite turbulente : ce modèle part d’un raison-

nement très simple, qui suppose que dans un écoulement cisaillé, siège d’un gradient

de vitesse ∂ / ∂y, la fluctuation de vitesse u ′ dépend d’une échelle de longueur Lm

(appelée longueur de mélange) des tourbillons turbulents, et peut donc s’exprimer

comme :

avec de plus v ′ ≈ u′ si les tourbillons ne sont pas trop aplatis. On écrit alors que la tension

de Reynolds de cisaillement, dans la couche limite, s’exprime de façon approchée comme :

(1.53)

Ce modèle s’appelle le modèle de longueur de mélange de Prandtl. Il revient à écrire

une modélisation de la viscosité turbulente sous la forme :

(1.54)

Tous les expérimentateurs depuis Hagen avaient remarqué que la transition entre le

régime laminaire et le régime turbulent s’accompagne d’un changement des lois expri-

mant la résistance à l’écoulement ou, autrement dit, des lois exprimant la perte de

charge entre deux points d’un conduit rectiligne, distants d’une longueur donnée L, en

fonction de la vitesse de l’écoulement dans ce conduit. Un nombre extrêmement impor-

tant de données expérimentales fut ainsi acquis au fil des ans. J. Nikuradse fut en parti-

culier le premier à étudier de façon systématique l’influence de la rugosité de paroi

(1933). La synthèse de ces données fut réalisée en 1939 par C.F. Colebrooke, et cette syn-

thèse mise en 1944 sous la forme d’une abaque par Hunter Rouse et Lewis F. Moody

(1880-1953). Cette abaque, que nous commenterons au chapitre 3 (figure 3.10), cons-

titue la synthèse utilisable de cette longue série d’études expérimentales.

Vers les méthodes modernes de modélisation de la turbulence

Un autre père fondateur des idées théoriques sur la turbulence fut Andrei Nikolae-

vich Kolmogorov (1903-1987). Il introduisit dans un papier, publié en 1942, les con-

cepts de grands tourbillons et de petits tourbillons, caractérisés par des échelles de

vitesse et de longueur différentes. Par un raisonnement reposant essentiellement sur

l’analyse dimensionnelle, il put relier les caractéristiques des petits tourbillons à des

grandeurs macroscopiques comme l’énergie totale de la turbulence, l’échelle de lon-

gueur des grands tourbillons et à la viscosité du fluide. Il mit en évidence que le

u

u ′ Lm u∂y∂

------=

u ′ v ′ Lm2

u∂y∂

------ 2

–=

νt Lm2

u∂y∂

------=

Page 58: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 2

rapport de la plus grande taille de tourbillons, Lt, à la plus petite taille des tourbillons

présents, λ0, varie comme le nombre de Reynolds à la puissance 3/4 :

≈ Re3/4

Ainsi, le principal effet de l’augmentation du nombre de Reynolds, dans un écoule-

ment turbulent, est de diminuer la taille des plus petits tourbillons présents, alors

que l’écoulement moyen et les grands tourbillons sont peu affectés par les variations

du nombre de Reynolds. Nous exposerons en détail cette théorie dans le chapitre 2.

L’ère de l’ordinateur permit d’envisager la résolution numérique des équations de

Navier-Stokes et des équations de Reynolds. Une date importante pour l’utilisation de

ces équations pour résoudre des problèmes concrets est 1974, date de parution d’un

article de B.E. Launder et D.B. Spalding, de l’Imperial College de Londres, qui proposa,

à partir des idées de Kolmogorov, un modèle pour estimer la viscosité turbulente, le

modèle k – ε ; ce modèle fut pour la première fois utilisé en France en 1978. En 1975,

B.E. Launder, J. Reece et W. Rodi publièrent une première proposition d’équations per-

mettant de calculer de façon approchée les tensions de Reynolds .

Utiliser l’hypothèse de viscosité turbulente avec le modèle k – ε ou résoudre des

équations donnant directement les tensions de Reynolds sont les deux principales

méthodes utilisées aujourd’hui pour résoudre les équations de Reynolds et calculer

en pratique les vitesses moyennes dans un écoulement turbulent.

Avec le développement du calcul scientifique, une autre voie a été ouverte à partir des

années 1980 : revenir aux équations de Navier-Stokes sans faire d’hypothèses parti-

culières, et résoudre numériquement ces équations sur un maillage fin et avec un pas

de temps très petit, pour simuler directement la turbulence.

Le chapitre 2 reprendra ces notions et présentera dans le détail l’approche de modé-

lisation de la turbulence.

3.2. Phénomènes d’instabilités en mécanique des fluides

William Thomson, Lord Kelvin (1824-1907) et John William Strutt, Lord Rayleigh

(1842-1919), tous deux de l’université de Cambridge, ainsi que l’Allemand Hermann

Ludwig Ferdinand von Helmholtz (1821-1894) furent sans doute les premiers à étudier

scientifiquement les phénomènes d’instabilité – dont la turbulence est l’exemple le plus

répandu, mais non le plus spectaculaire.

L’un des mécanismes d’instabilités les plus importants en pratique est ainsi appelé

l’instabilité de Kelvin-Helmholtz : il se produit lorsque deux courants fluides parallèles

sont mis en contact avec des vitesses différentes. La discontinuité tangentielle de

vitesse est alors instable, et donne naissance à des tourbillons qui grandissent au fur

et à mesure que s’épaissit la couche de mélange entre les deux courants (figure 1.9).

Ces rouleaux, qui prennent naissance à la discontinuité de vitesse, grossissent vers

l’aval ; ils s’apparient entre eux, et, à partir d’une certaine distance, l’écoulement

devient turbulent.

Lt

λ0

-----

u ′ i u ′ j

Page 59: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 3

Figure 1.9. Rouleaux d’instabilité de Kelvin-Helmholtz dans une couche de mélange plane résultant

de la mise en contact de deux courants parallèles et de vitesses différentes. On observe

expérimentalement que l’épaisseur ecm de la couche de mélange augmente linéairement

avec la distance x. La relation suivante a été établie à partir de visualisations expérimen-

tales (Papamoshou et Roshko, 1988) pour un écoulement à masse volumique constante :

(1.55)

Il existe bien d’autres phénomènes d’instabilités. Ainsi, l’écoulement de Couette entre

un cylindre intérieur tournant et un cylindre extérieur fixe, écoulement que nous avons

évoqué dans la section 1.6 de ce chapitre, devient instable lorsque la vitesse de rotation

du cylindre intérieur dépasse une certaine valeur. Geoffrey Ingram Taylor de l’université

de Cambridge résolut théoriquement ce problème, et détermina que l’instabilité sur-

vient lorsque le nombre Ta (appelé depuis nombre de Taylor) dépasse une valeur de

1 700, environ.

(1.56)

L’écoulement perd alors sa symétrie de révolution, il s’organise en tourbillons dont la

structure évolue au fur et à mesure que le nombre de Taylor augmente.

Une autre instabilité, souvent rencontrée en pratique, est l’effet Coanda : un écoule-

ment qui passe au travers d’un diaphragme ou qui sort d’un ajustage peut, dans une

certaine plage du rapport des diamètres d1 / d2, et du nombre de Reynolds, coller en

aval à l’une des parois au lieu de constituer un jet axisymétrique (figure 1.10). Ce

phénomène a été découvert par l’aérodynamicien roumain Henri Coanda (1886-

1972), inventeur de la propulsion à réaction dans les années 1920.

Vitesse u1

Vitesse u2

ecm x

ecm 0,17 u1 u2–

u1 u2+( ) 2⁄----------------------------- x=

r i

re

ω Tari re ri–( )3ω2

ν2-------------------------------=

Page 60: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 4

Figure 1.10. Effet Coanda. Schéma de principe et résultat d’un calcul numérique, extrait du dossier de

validation du logiciel ESTET de EDF-DER (Mattei, 1995).

Ainsi, comme conséquence du caractère non linéaire des équations de Navier-Stokes, on

peut observer des seuils au-delà desquels apparaissent des phénomènes instationnaires

d’instabilités. Dans un problème de mécanique des fluides, changer le sens des vitesses

aux limites du problème peut conduire à des solutions radicalement différentes : nous

avons vu plus haut les profondes différences entre les natures de l’écoulement dans un

convergent et dans un divergent. Enfin, là où la géométrie est apparemment symétrique

et où l’on pourrait s’attendre à observer un écoulement présentant le même caractère de

symétrie, des solutions non symétriques peuvent apparaître.

Ces phénomènes peuvent réserver des surprises à l’ingénieur, encore aujourd’hui.

Ainsi, la solution non symétrique de l’écoulement dans un tuyau faiblement débitant

connecté à un tuyau de plus grand diamètre et fortement débitant n’a été découverte

qu’il y a quelques années (figure 1.11).

Figure 1.11. Figure 1.11. Exemple de solution non symétrique : un petit tuyau parcouru d’un petit

débit est connecté à un tuyau de plus grand diamètre dans lequel circule un fluide à

grande vitesse ; un tourbillon s’installe dans le petit tuyau, sur une grande longueur :

(V ′ / V < 5 10– 3 ; Re = Vd / ν > 106), d’après Robert, 1992 ; Deutsch et al., 1996.

d1 d2

V ′

d

D

V

Page 61: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 5

4. L’analyse dimensionnelle et les modèles réduits en mécanique des fluides

4.1. Des premières études expérimentales à la formulation de l’analyse dimensionnelle

Nous avons évoqué dans la section 1.4 les premières études sur modèles à échelle

réduite de roues et moulins, entreprises par Smeaton au XVIIIe siècle. Nous avons

aussi cité ses interrogations sur « les points sur lesquels un modèle (réduit) diffère

d’une machine en vraie grandeur ». La méthode appelée analyse dimensionnelle

permet de répondre à ces interrogations. C’est Julius Weisback (1806-1871), de

l’École des mines de Freiberg, qui fut le premier promoteur de l’utilisation de

nombres sans dimension, ou nombres adimensionnels, construits à partir des para-

mètres significatifs du problème étudié. C’est à l’expression des pertes de charge que

Weisback s’attaqua en particulier. Ainsi, l’équation (1.11), que nous avons écrite dans

la section 1.4 pour la perte de charge dans un divergent brutal, peut s’écrire comme

l’égalité de deux nombres adimensionnels :

L’analyse dimensionnelle de l’équation (1.13) montre, de son côté, que la constante

0,51 est un nombre pur, et a donc une chance d’être indépendante de la taille carac-

téristique du problème étudié. Pour exprimer la perte de charge correspondant à un

tronçon de longueur L d’un conduit de diamètre d, parcouru par la vitesse débitante

V, Weisback établit que la perte de charge adimensionnelle peut s’exprimer comme le

produit de deux nombres adimensionnels : le rapport L / D et un nombre λc – qui

sera identifié au chapitre 3 comme le coefficient de perte de charge linéaire :

(1.57)

C’est au XIXe siècle que fut généralisée l’utilisation de la soufflerie aérodynamique

pour réaliser des expériences et étudier les caractéristiques de modèles réduits.

Gustave Eiffel construisit une première soufflerie en 1909, puis une deuxième en

191232, pour étudier l’effet du vent sur les structures qu’il dessinait. C’est aussi à cette

époque que se développa le modèle, dit à fond mobile, pour étudier sur modèle réduit

le transport des sédiments ; un modèle réduit à fond mobile sur la Garonne à Bor-

deaux, à l’échelle 1/100, fut construit en 1875 par Louis Jérôme Fargue (1827-

1910)33. La technique des bassins d’études de carènes, où sont tractés des modèles

réduits de coques de navires, se généralisa également.

32. Cette soufflerie est encore visible à Paris, 67 rue Boileau, dans le 16e arrondissement.

33. L. J. Fargue, « Sur la corrélation entre la configuration du lit et la profondeur d’eau dans les rivièresà fond mobile », Annales des Ponts et Chaussées, Paris, 1868.

2 g δH

V12

----------------A2 A1–

A1

------------------ 2

=

2 g δH

V2----------------

L

d--- λ c=

Page 62: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 6

La véritable rationalisation de l’utilisation des modèles réduits est due à Osborne

Reynolds (dont nous avons mentionné, dans la section 3.1, le rôle pour la connais-

sance de la turbulence), qui étudia, en 1885, un modèle de la rivière Mersey en Angle-

terre. Nous avons vu que la transition vers la turbulence d’un écoulement en conduit

dépend des trois paramètres que sont la vitesse, le diamètre et la viscosité du fluide.

Le nombre de Reynolds (1.48) :

est un nombre adimensionnel construit à partir de ces trois paramètres ; à lui seul il

permet de caractériser sous forme universelle le seuil de transition.

Ferdinand Reech (1805-1880), William Froude (1810-1879) et son fils Robert

Edmund Froude (1846-1924) réalisèrent des expériences sur des carènes de navires à

échelle réduite (en opposition avec Russell qui réalisait ses expériences en vraie gran-

deur). La résistance de vague d’une carène dépend des ondes induites par le déplace-

ment de cette carène, elle est donc fortement influencée par l’accélération de la

pesanteur g, comme tout phénomène impliquant une déformation de surface libre.

C’est Reech qui établit en 1852 le critère de similitude pour les ondes à surface libre,

mais c’est finalement en l’honneur de Froude père et fils que fut baptisé nombre de

Froude le groupement adimensionnel construit à partir de la vitesse V, de la hauteur

d’eau h, et de l’accélération de la pesanteur g :

(1.58)

Figure 1.12. Deux types de générateurs de houle utilisés dans des canaux ou bassins à houle.

a : à gauche : batteur de houle (visible au premier plan) dans un canal destiné à l’étude

de l’action des tempêtes sur les structures offshore.

b : à droite : générateur segmenté permettant de générer dans un bassin d’étude une

houle de direction et de forme quelconque.

Photos EDF, Laboratoire national d’hydraulique.

ReVd

ν-------=

FV

g h----------=

Page 63: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 7

Helmholtz publia en 1873 un article établissant le rôle joué par la conservation du

nombre de Reynolds et du nombre de Froude dans la similitude entre la réalité et un

modèle réduit. La théorie complète de l’analyse dimensionnelle fut finalement for-

mulée par le Français A. Vaschy en 1892, par le Moscovite Dimitri Pavlovitch Riabou-

chinsky (1882-1962) en 1911, puis par l’Américain Edgar Buckingham (1867-1940)

en 1914. Seuls le premier et le dernier de ces trois auteurs ont finalement laissé leurs

noms au théorème fondamental de l’analyse dimensionnelle, appelé théorème des Π,

ou théorème de Vaschy-Buckigham.

4.2. Le théorème de Vaschy-Buckingham et quelques applications

L’analyse dimensionnelle repose donc sur le théorème de Vaschy-Buckingham, dont

voici l’énoncé.

Toute relation entre n paramètres faisant intervenir p unités indépendantes peut se

mettre sous la forme d’une relation entre (n – p) paramètres adimensionnels.

Point n’est besoin de grands développements pour démontrer ce théorème. Sa compré-

hension nécessite cependant, pour le débutant, un peu de réflexion. Son principe repose

sur le fait que toute relation entre grandeurs physiques doit être dimensionnellement

homogène.

Vérifions d’abord ce théorème sur quelques exemples choisis, les plus simples possi-

bles. La relation qui relie la surface A d’un carré à la mesure de son côté, a, est une

relation entre deux paramètres qui s’expriment à partir de la même unité (le mètre).

Il y a donc un seul paramètre adimensionnel, le rapport : A / a2. La relation entre A et

a peut s’écrire sous la forme :

(Nous savons par ailleurs que cette constante vaut 1.)

Considérons maintenant la relation qui exprime la surface d’un rectangle à partir de la

longueur de ses deux côtés, a et b. Il y a trois paramètres (n = 3), toujours une seule

unité, et donc deux paramètres adimensionnels ; choisissons par exemple A / a2 et a / b.

Nous pouvons donc écrire :

L’analyse dimensionnelle ne nous renseigne pas sur la forme de cette fonction f – nous

savons bien sûr que f(a / b) = (a / b)– 1 – pas plus qu’elle ne nous indiquait la valeur de

la constante dans l’exemple du carré.

Comme troisième exemple simple, considérons maintenant la relation qui exprime

le débit massique Q(kg/s) d’une conduite en fonction de la section A(m2), de la

vitesse moyenne U(m/s) et de la masse volumique ρ(kg/m3). Nous avons mainte-

nant quatre paramètres (n = 4), trois unités (kg, m, s, donc p = 3), et ainsi, selon le

A

a2

----- constante=

A

a2

----- fa

b--

=

Page 64: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E4 8

théorème, un seul nombre adimensionnel. Le nombre sans dimension Q / ρUA est

donc constant (et nous savons par ailleurs que ce nombre est égal à 1).

La vérification du théorème peut être menée par récurrence. Supposons le théorème

exact pour n paramètres exprimés dans p unités indépendantes : par exemple, si les n

paramètres sont des longueurs, d, d1, d2, … des vitesses V, V1, V2, … et/ou des temps,

alors les unités indépendantes sont m et s, d’où p = 2. Ajoutons maintenant au pro-

blème un n + unième paramètre. Deux cas peuvent se présenter :

(a) Le n + unième paramètre s’exprime à partir des p unités des n premiers paramè-

tres (c’est donc dans notre exemple soit une longueur, une accélération, une

vitesse ou bien un temps) ; on peut alors former un nouveau nombre adimen-

sionnel avec le n + unième paramètre et un groupement des n premiers paramè-

tres : le théorème reste vérifié avec (n + 1) paramètres, (p) unités et (n – p + 1)

nombres adimensionnels ;

(b) Le nouveau paramètre s’exprime avec une nouvelle unité (par exemple, ce

nouveau paramètre est une force F qui contient en plus des unités m et s l’unité

kg). Il est alors impossible d’écrire une relation qui soit homogène avec seule-

ment les n + 1 paramètres, dont seul le dernier contient l’une des unités. Il faut

en réalité introduire un n + deuxième paramètre qui contienne lui aussi la

nouvelle unité (toujours dans le même exemple, ce pourrait être une masse volu-

mique ρ, qui contient comme la pression l’unité kg). On peut alors former un

nouveau paramètre adimensionnel avec le n + unième et le n + deuxième para-

mètre, et éventuellement certains des n premiers paramètres (F / ρ V2 d2, par

exemple). Le théorème reste vérifié avec (n + 2) paramètres, (p + 1) unités, et

(n – p + 1) nombres adimensionnels.

Exemple

Prenons encore un exemple pour illustrer comment s’applique la méthode : l’écriture

de la relation qui donne l’épaisseur δ de la couche limite sur une plaque plane en

fonction de la distance x à partir du bord d’attaque, de la vitesse V et de la viscosité ν(section 2.5) :

δ = f (V, x, ν) (1.59)

En posant ce problème, il faut s’interroger avant toutes choses sur la pertinence de la

liste des paramètres :

(a) Pourquoi ne pas avoir retenu l’accélération de la pesanteur? Car les conditions aux

limites sont purement des conditions cinématiques (vitesse nulle sur la paroi,

vitesse égale à V à l’infini), elles ne font intervenir ni la pression, ni la gravité ;

(b) Pourquoi ne pas avoir retenu la masse volumique? Car si la masse volumique est

rajoutée comme paramètre de l’équation (1.59), cette dernière ne pourrait être

dimensionnellement homogène, en l’absence d’un deuxième paramètre qui

contienne l’unité kg.

Page 65: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 4 9

Ce deuxième paramètre pourrait-il être la pression? Non, car les équations (1.30)

montrent que, dans un écoulement incompressible, la pression n’intervient que par

son gradient ; la valeur de la pression n’a pas d’importance. Par ailleurs, il n’y a pas

d’écart de pression qui intervienne dans les conditions aux limites de ce problème.

La liste des paramètres étant validée, avec n = 4 et p = 2, le théorème de Vaschy-Buc-

kingham indique que l’expression (1.59) peut se mettre sous la forme d’une relation

entre deux paramètres : il est facile d’identifier le nombre de Reynolds local Rex =

Vx / ν ainsi que le rapport δ / x (mais on pourrait faire un autre choix : par exemple,

Vδ / ν).

L’équation (1.59) peut alors être mise sous la forme :

(1.60)

Pour aller plus loin, et préciser la forme de la fonction f, il faut bien sûr résoudre les

équations du problème (par exemple, pour une couche limite laminaire, c’est la solu-

tion de Blasius).

Remarquons que, si dans la liste initiale des paramètres nous avions choisi d’intro-

duire la viscosité dynamique µ au lieu de la viscosité cinématique ν, nous serions

parvenus au même résultat. En effet, dans la viscosité dynamique, intervient l’unité

kg. Pour que la relation exprimant δ à partir des paramètres V, x, µ, soit homogène, il

est nécessaire qu’intervienne un autre paramètre exprimé avec l’unité kg : la masse

volumique ρ. Il y aurait donc, par rapport à l’analyse précédente, un paramètre de

plus, une unité de plus et, donc, toujours deux nombres adimensionnels. Le nombre

de Reynolds s’écrirait dans ce cas :

Rex = ρ Vx / µ

Nombres adimensionnels usuels

Dans l’application de l’analyse dimensionnelle, le choix initial de la liste des paramè-

tres est l’étape dont dépend la qualité des résultats. Un problème type d’écoulement

incompressible peut comprendre les paramètres suivant : une vitesse V, une échelle

de longueur d, la viscosité ν, l’accélération de la pesanteur g, une variation de pres-

sion δp, la masse volumique ρ.

Ces six paramètres conduisent aux trois nombres adimensionnels qui suivent :

– le nombre de Reynolds : Re = dont nous avons déjà beaucoup parlé ;

– le nombre de Froude : F = , très important pour l’écoulement des liquides à

surface libre, comme nous le verrons dans les chapitres 6 et 7 ;

– le nombre d’Euler : E = , qui permet d’écrire une variation de pression sous

forme adimensionnelle.

δx-- f Rex( )=

Vd

ν-------

V

g d----------

δp

ρV2

---------

Page 66: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 0

4.3. Utilisation des modèles réduits en mécanique des fluides

Principe d’utilisation des modèles réduits

L’analyse dimensionnelle est à la base de la définition des études expérimentales uti-

lisant des modèles réduits.

Lorsqu’on cherche à étudier un phénomène sur maquette à échelle réduite, il faut

déterminer les conditions de similitude, c’est-à-dire les règles de transposition qui

permettent d’interpréter quantitativement les mesures effectuées sur la maquette

pour trouver les valeurs des grandeurs caractéristiques du phénomène réel.

Supposons, par exemple, qu’on s’intéresse à la force Fv exercée par un vent de vitesse

V sur un bâtiment défini par sa hauteur h et par n longueurs caractéristiques d1, d2,

…, dn. L’analyse dimensionnelle montre que, pour exprimer le module Fv de cette

force, il existe une relation de la forme suivante :

(1.61)

Si on réalise une maquette géométriquement semblable au bâtiment, les paramètres

d1 / h, d2 / h… ont la même valeur sur la maquette qu’en réalité. Si, en outre, on

assure la même valeur pour le nombre de Reynolds Re = Vh / ν, la fonction f a les

mêmes arguments, donc la même valeur, sur la maquette (indice m) et en réalité

(indice r).

On aura alors : si Rem = Rer

Cette équation permet de calculer la force réelle Fv , r à partir de la mesure de Fv, m ; la

condition de similitude est ici l’égalité des nombres de Reynolds.

Tableau 1.3. Quelques ordres de grandeur du nombre de Reynolds

Cœur, artères et capillaires sanguins V ≅ 0,1 m/s d = 10– 4 à 10– 1 m Re = 10 à 104

Air dans l’habitat :

chauffage, ventilation, climatisation

V = 0,1 à 1 m/s d = 0,1 à 10 m Re = 103 à 106

Liquides dans les circuits industriels et urbains V = 1 à 20 m/s d = 0,01 à 1 m Re = 104 à qq. 107

Vent autour d’engins ou de structures V ≅ 10 m/s d = 0,1 à 100 m Re = 105 à 108

Écoulement dans les canaux V ≅ 1 m/s d = 1 à 10 m Re = 106 à 107

Fleuves et rivières naturelles V ≅ 1 m/s d = 10 à 1 000 m Re = 107 à 109

Écoulements géophysiques V ≅ 1 m/s (eau)

V ≅ 10 m/s (air)

d = 100 à 105 m Re = 108 à 1011

Fv ρV2h2 fVh

ν------- ,

d1

h----- ,

d2

h----- , …,

dn

h-----

=

Fv

ρV2h2---------------

m

Fv

ρV2h2---------------

r

=

Page 67: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 1

Figure 1.13. Modèle réduit à l’échelle 1/75 de l’évacuateur de crue du barrage de Rizzanese, en Corse.

(Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.)

Page 68: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 2

Figure 1.14. Étude sur modèle réduit de la propagation de la houle dans l’entrée d’un port.

Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.

Figure 1.15. Étude sur un modèle à fond mobile de l’aménagement de la zone de Belleville-sur-Loire.

Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.

Page 69: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 3

Figure 1.16. Étude du panache des aéroréfrigérants de la centrale nucléaire de Cruas (vallée du

Rhône). Cette étude a été réalisée dans une veine hydraulique, à l’échelle 1/400.

Photo EDF, Laboratoire national d’hydraulique.

Des modèles réduits peuvent être utilisés pour résoudre une très large gamme de

problèmes : écoulements en rivière, efforts exercés par la houle sur les structures

côtières ou offshore, étude du vent dans un quartier d’habitation, sollicitations aéro-

dynamiques d’un pont à haubans, dispersion de polluants dans l’air ou dans l’eau,

machines hydrauliques, études de carènes… Les figures 1.13 à 1.16, ainsi que la

figure 6.34, plus loin, en montrent quelques illustrations.

Problèmes posés par le respect de certaines conditions de similitude

Il arrive souvent qu’on ne puisse pas respecter rigoureusement toutes les conditions

de similitude ; il en est ainsi dans le cas fréquent où il y a deux conditions : une sur le

nombre de Reynolds, et une sur le nombre de Froude. On devrait avoir alors en effet

les deux égalités :

et

qui imposent une condition généralement irréalisable sur la viscosité cinématique νm

du fluide à utiliser sur la maquette et sur l’échelle géométrique dm / dr de cette der-

nière.

Vd

ν-------

m

Vd

ν-------

r

=V2

g d------

m

V2

g d------

r

=

Page 70: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 4

Dans un tel cas, on doit sacrifier l’une des conditions de similitude (la moins impor-

tante) ou rechercher un compromis. En général, on sacrifie la condition portant sur

l’égalité des nombres de Reynolds, car l’expérience montre que le nombre de Reynolds

n’a pratiquement pas d’importance quand il est assez grand. Cette observation se com-

prend à la lumière de ce qui a été dit plus haut dans la section 3.1 : si l’écoulement est

pleinement turbulent, donc si le nombre de Reynolds est largement au-dessus des

valeurs qui correspondent à la transition vers le régime turbulent, le terme contenant

la viscosité dans l’équation de Reynolds (1.51) devient négligeable devant le terme

contenant les tensions de Reynolds. Si cette condition est remplie, l’influence de la

viscosité (et donc l’influence du nombre de Reynolds) disparaît34.

Dans le cas des modèles d’écoulements dans l’environnement représentant une zone

de très grande emprise, l’échelle géométrique est nécessairement très petite. Dans ce

cas, même la condition mentionnée ci-dessus sur le seuil du nombre de Reynolds

peut être impossible à respecter (ce qui se comprend en réalisant, par exemple, que

sur un modèle au 1/1 000, une hauteur d’eau de 1 m se traduit par une profondeur de

1 mm seulement). Il a alors été courant d’utiliser des échelles différentes pour les

hauteurs et pour les dimensions dans le plan horizontal, pour augmenter artificielle-

ment la hauteur d’eau sur le modèle. Ces modèles sont appelés modèles distordus.

Ceci est évidemment à éviter, et on conçoit que la similitude pâtisse de ce genre

d’approximation : la structure tridimensionnelle des circulations n’est plus correcte-

ment représentée. Le problème n° 6, en fin de ce chapitre, présente un exemple de

dimensionnement d’un modèle distordu.

Les modèles réduits qui veulent représenter les transports de sédiments sont égale-

ment l’objet d’une similitude approximative, car les grains utilisés en laboratoire

pour représenter les sédiments réels (sable, bakélite broyée, grains de matière plas-

tique) sont d’un diamètre trop petit pour que la similitude des forces exercées par

l’écoulement sur les grains soit respectée (le nombre de Reynolds construit sur la

taille du grain est trop petit). La bonne utilisation de ces modèles demande une

grande expérience, et ne doit être mise en œuvre que dans les équipes qui disposent

du savoir-faire correspondant.

Modèles distordus, ou modèles sédimentologiques, nécessitent en général un calage

sur des données réelles. La méthode utilisée consiste à «caler» le modèle, en modi-

fiant certaines rugosités, par exemple sur les données disponibles concernant l’état

existant, en cherchant donc à reproduire cet état existant, puis à modifier le modèle

pour y introduire les aménagements à étudier.

34. À proximité de la paroi, dans la couche limite, l’influence de la viscosité peut subsister, même lorsquele nombre de Reynolds construit sur les dimensions globales de la zone étudié est grand. Pour quel’influence de la viscosité disparaisse complètement dans la couche limite, et donc pour que le frotte-ment sur la paroi ne dépende plus du nombre de Reynolds, il faut atteindre un régime d’écoulementappelé régime turbulent rugueux. Nous définirons cette notion dans la section 2.1 du chapitre 3.

Page 71: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 5

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

1.

MODÈLE DE HOULE AU PREMIER ORDRE (HOULE D’AIRY)

Déterminer la célérité d’ondes de gravité de petite amplitude, en fonction de la

longueur d’onde et de la profondeur. Supposer l’écoulement irrotationnel, le

mouvement sinusoïdal, et l’amplitude suffisamment faible pour que le pro-

blème soit linéarisable.

Solution

On suppose que l’amplitude de l’onde est faible devant la longueur d’onde Λ,

et on néglige tous les effets visqueux : l’écoulement est supposé irrotationnel,

la vitesse dérive du potentiel :

φ(x, z, t).

Soit η(x, t) la cote de la surface libre, et h le niveau de la surface libre lorsque le

fluide est au repos. L’amplitude est faible, donc : ? Λ .

η – h et la vitesse u sont considérés comme infiniment petits du même ordre.

Les conditions aux limites s’écrivent :

– étanchéité au fond (z = 0) :

– à la surface libre, les conditions de continuité de la vitesse verticale et de la

pression doivent s’écrire pour z = η. Comme (η – h) est petit, ces condi-

tions sont écrites, au premier ordre, pour z = h :

– la pression est égale à la pression atmosphérique (prise arbitrairement

égale à zéro); ceci s’écrit, à l’aide du théorème de Bernoulli généralisé

(en négligeant le terme en V2) :

soit

Niveau de la surface

au repos x

z

h

z = η

η h–

uz 0=

φ∂z∂

------z 0=

0= =

ρ φ∂t∂

------z h=

ρg η+ 0= η – 1

g-- φ∂

t∂------

z h=

=

Page 72: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 6

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

– continuité de la vitesse verticale :

On cherche la solution sous la forme d’une onde qui se propage dans la direc-

tion x avec un vecteur d’onde K et une pulsation ω :

φ(x, z, t) = f(z) cos(Kx – ωt)

Reportons cette expression dans l’équation de continuité, qui s’écrit, pour un

écoulement irrotationnel :

∆φ = 0

L’équation qui en résulte admet comme solution, compte tenu de la condition

à la limite écrite plus haut pour z = 0 :

φ(x, z, t) = A cosh Kz cos(Kx – ωt)

Ceci permet de calculer la vitesse du fluide, ainsi que la cote de l’interface η, en

utilisant l’équation écrite à la surface libre pour la continuité de la pression à la

surface :

η (x, t) = – cosh(Kh) sin(Kx – ωt)

Il est alors possible de calculer la constante A à partir de l’amplitude de l’onde.

Pour obtenir la célérité de l’onde, il faut établir la relation de dispersion, qui

relie ω et K. Celle-ci est obtenue en reportant l’expression obtenue pour le

potentiel φ dans la condition qui exprime la continuité de la vitesse verticale à

l’interface. Il vient alors :

ω2 = gK tanh(Kh) (1.62)

D’où les célérités :

– la vitesse de groupe représente la vitesse de propagation de l’énergie ; c’est la

vitesse d’ensemble de propagation du paquet d’ondes, ou du train d’ondes ;

elle est égale à :

– la vitesse de phase est la célérité d’une onde particulière :

Ce dernier résultat constitue l’équation d’Airy (1.17). Si la profondeur est petite

par rapport à la longueur d’onde, cette équation se simplifie pour donner l’équa-

tion de Lagrange (1.15). Si, au contraire, la profondeur est très grande, nous

obtenons l’équation (1.16).

φ∂z∂

------z h=

η∂t∂

------=

Aωg

--------

Cω∂K∂

-------=

CωK---- longueur d’onde

période---------------------------------------

g Λ2 π-------- tanh

2 πh

Λ-----------

= = =

Page 73: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 7

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

2.

ÉCOULEMENT DE POISEUILLE DANS UN CANAL PLAN

Déterminer le profil de vitesse dans l’écoulement laminaire, permanent et uni-

forme, dans le canal compris entre deux plans parallèles, supposés infinis dans

la direction transversale. En déduire la relation entre la vitesse débitante et le

gradient de pression.

Solution

L’écoulement est permanent et uniforme, donc ∂u / ∂t = 0 et ∂u / ∂x = 0.

L’équation de continuité indique alors que : ∂v / ∂y = 0. Comme v = 0 à la

paroi (étanchéité), la vitesse v est nulle partout. La projection selon y de

l’équation de Navier-Stokes se réduit alors à :

La pression est donc constante dans chaque section transversale à l’écoule-

ment. La projection selon x de l’équation de Navier-Stokes s’écrit, de son côté :

Si nous dérivons par rapport à x cette dernière équation, nous obtenons, toujours

en vertu des mêmes hypothèses :

Le gradient de pression ∂p* / ∂x est donc une constante du problème. C’est le

terme moteur de l’écoulement, qui équilibre l’influence du frottement sur la

paroi. Il est donc facile de se rendre compte que ∂p* / ∂x est négatif (la pression

diminue en suivant l’écoulement).

u (y ) e

e

x

y

0 – 1

ρ--- p*∂

y∂--------=

0 – 1

ρ--- p*∂

x∂-------- ∂

y∂----- ν u∂

y∂------

+=

∂x∂

----- p*∂x∂

-------- 0=

Page 74: Mécanique des fluides appliquée

M É C A N I Q U E D E S F L U I D E S A P P L I Q U É E5 8

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

Posons : , avec a > 0.

Il est possible d’intégrer une première fois la projection selon x de l’équation

de Navier-Stokes, écrite plus haut :

= – ay + constante

La constante d’intégration peut être écrite à l’aide de la contrainte de frotte-

ment à la paroi, τ p :

Comme nous l’avons précisé plus haut, il existe un lien entre le gradient de

pression et la contrainte de frottement τ p. Un bilan global des forces qui

s’exerce sur un tronçon de l’écoulement conduit à :

ρae = τ p

Donc : = – a(y – e)

On peut obtenir ce résultat par un autre raisonnement : on doit en effet avoir,

par raison de symétrie, du / dy = 0 pour y = e. Ceci détermine la constante

d’intégration.

Il est maintenant possible d’intégrer une deuxième fois cette équation, en uti-

lisant comme condition à la limite u = 0 pour y = 0 (à la paroi). Il en résulte un

profil de vitesse de forme parabolique :

u = – (1.63)

Si nous définissons une vitesse u* appelée vitesse de frottement telle que : τ p = ρu*2,

le profil des vitesses peut aussi s’écrire sous forme adimensionnelle :

(1.64)

En intégrant le profil de vitesse selon la section, il est possible d’obtenir le lien

entre la vitesse débitante U (égale au débit divisé par la section) et le gradient

de pression :

Le débit volumique pour un canal de largeur L est :

Q = 2 eUL =

a – 1

ρ--- p*d

xd--------

=

ν ud

yd------

ν ud

yd------ ay–

τp

ρ----+=

ν ud

yd------

a

ν--- y2

2---- ey–

u

u*

----- – u* y

ν--------- y

2e----- 1–

=

U1

e-- u y( ) yd⋅

0

e

∫ae

2

3 ν-------= =

2 ae3L

3 ν---------------

Page 75: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 5 9

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

3.

ÉCOULEMENT DE POISEUILLE DANS UN CONDUIT DE SECTION CIRCULAIRE

Déterminer le profil de vitesse dans l’écoulement laminaire, permanent et uni-

forme, dans un conduit de section circulaire, de diamètre d. En déduire la rela-

tion entre la vitesse débitante et le gradient de pression.

Solution

La démarche est la même que pour le cas de l’écoulement de Poiseuille entre

deux plans. Nous supposons que la vitesse circonférentielle est nulle. Alors,

l’hypothèse d’écoulement uniforme conduit à ∂v / ∂r = 0, d’où v = 0 puisque

la vitesse v est nulle à la paroi (r = d / 2).

La projection de l’équation de Navier-Stokes selon la direction de l’écoulement,

x, s’écrit :

Pour les mêmes raisons que dans le cas précédent, le gradient de pression dp* / dx

est une constante du problème. On peut donc toujours poser (a > 0) :

En intégrant une première fois la projection selon x de l’équation de Navier-

Stokes, il vient :

La constante d’intégration a été déterminée en écrivant que, par raison de symé-

trie, du / dr = 0 pour r = 0 (au centre du conduit).

u (r ) d

x

r

0

01

ρ---∂p*

∂x---------–

1

r-- ∂

r∂----- rν u∂

r∂------

+=

a – 1

ρ---∂p*

∂x---------=

ν ud

rd------ – a

r

2--=

Page 76: Mécanique des fluides appliquée

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P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

La deuxième intégration, avec la condition à la limite u = 0 pour r = d / 2,

conduit au profil de vitesse :

(1.65)

La forme de ce profil de vitesse est tracée figure 1.17. Elle coïncide avec la

forme du résultat (1.63).

Figure 1.17. Écoulement laminaire dans un tube ou dans un canal plan : forme du profil de

vitesse.

La vitesse débitante U s’obtient en intégrant ce profil de vitesse sur la section :

Le débit volumique est alors :

Ce résultat constitue la formule de Poiseuille (1.18).

u – a

ν--- r2

4---- d2

16-----–

=

y / dy / 2 e

u / u max

0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0

U4

πd2--------- u r( )

0

d 2⁄

∫ 2 πr rd⋅ ad2

32 ν---------= =

Q Uπd2

4----- πd4

128 ν------------ a= =

Page 77: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 6 1

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

4.

COURANTS INDUITS PAR LE VENT DANS UN BASSIN FERMÉ DE GRANDE LONGUEUR

Nous considérons l’écoulement induit par le vent dans un bassin de grande

longueur, fermé à ses deux extrémités. Soit τw la contrainte de frottement en

surface due au vent. Nous cherchons à exprimer le profil de vitesse u(z) dans la

région centrale du bassin en fonction de τw, de la hauteur d’eau h, et des pro-

priétés physiques.

Nous nous situons dans le cadre des hypothèses simplificatrices suivantes :

– la vitesse u(z) et la hauteur d’eau h sont suffisamment faibles pour que

l’écoulement soit laminaire ;

– la pente de la surface libre, dη / dx, est assez faible pour que l’on puisse

supposer que la hauteur d’eau h varie peu dans la zone étudiée ;

– la largeur du bassin (selon la direction y perpendiculaire à la direction du

vent) est constante ;

– le bassin est très long, et il est possible de supposer, dans la région centrale,

que l’écoulement est uniforme (∂u / ∂x = 0, ∂2u / ∂x2 = 0).

Solution

Soit η la cote de la surface libre, et h la hauteur d’eau. La projection selon x des

équations de Navier-Stokes s’écrit, en notant que la pression dynamique (cons-

tante dans une section, comme dans les problèmes précédents) s’exprime à

partir de la cote de la surface libre comme p* = ρgη (voir la section 2.4) :

Ventz

x

gηd

xd------– ν d2u

z2d--------+ 0=

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P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

Une première intégration selon z conduit à :

où, comme dans les deux problèmes précédents, τ p désigne la contrainte de

frottement au fond (z = 0). Cette équation, écrite à la surface libre (z = h),

nous donne une relation entre τ p, la contrainte de surface due au vent, τ w, et la

pente de la surface libre :

La deuxième intégration selon z, avec la condition à la limite u = 0 pour z = 0

donne :

Il reste à écrire que le débit par unité de largeur :

est nul, puisque le bassin est fermé à ses deux extrémités, et que la largeur L du

bassin est constante. Ceci nous donne une relation entre la pente de la surface

libre dη / dx et τp :

Nous avons déjà écrit une relation entre τw, dη / dx et τp. Il en résulte : τw = – 2τp,

et nous avons alors finalement :

(1.66)

La vitesse est nulle à une altitude z = h, et le courant de retour en profondeur

est maximal pour z = .

ν ud

zd------ g

ηd

xd------ z

τp

ρ----+=

τw

ρ----- gh

ηd

xd------

τp

ρ----+=

u gηd

xd------ z2

2 ν------

τpz

ρν-------+=

Q

L---- u z( ) zd

0

h

∫=

ηd

xd------ –

3 τp

ρg h----------=

uτwz

2 ρν---------- 3

2-- z

h--- 1–

=

2

3--

h

3---

Page 79: Mécanique des fluides appliquée

CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 6 3

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

Figure 1.18. Écoulement laminaire induit par le vent dans un bassin fermé : forme du profil

de vitesse.

5.

ANALYSE DIMENSIONNELLE POUR LA FRÉQUENCE DE DÉTACHEMENT TOURBILLONNAIRE DERRIÈRE UN OBSTACLE

Un obstacle placé dans un écoulement permanent subit des efforts périodi-

ques dus au « lâché » de tourbillons alternativement de part et d’autre de son

sillage (pour en savoir plus, voir le chapitre 4). Pour connaître la fréquence f

d’excitation d’un tube de diamètre D placé dans un écoulement d’eau de

vitesse constante V, on veut réaliser une étude sur une maquette à échelle

réduite. À l’aide de l’analyse dimensionnelle, déterminer la forme de la loi

donnant f. Avec une échelle géométrique de 1/10, quelle devrait être la vitesse

de l’eau sur la maquette pour reproduire l’effet d’un courant de 5 m/s ?

z / h

u / u max– 0,5 0 0,5 1,0

Page 80: Mécanique des fluides appliquée

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Solution

La fréquence f peut dépendre a priori des paramètres suivant : V, D, ρ, ν, g. On

note en premier lieu que, tant que le tube est entièrement immergé dans le

liquide, et loin de toute surface libre, la gravité g ne doit pas avoir d’influence

sur la fréquence f. Deuxièmement, dans la liste des paramètres, ρ est le seul

paramètre contenant l’unité kg : il ne peut donc intervenir tout seul. Nous rete-

nons donc :

f = fonction (V, D, ν).

Il y a quatre paramètres et deux unités fondamentales (m et s), donc deux nombres

adimensionnels :

= fonction

Le premier nombre s’appelle le nombre de Strouhal, et on reconnaît, pour le

deuxième, le nombre de Reynolds. Si, entre la maquette et la situation que l’on

étudie, les nombres de Reynolds sont égaux, les nombres de Strouhal seront

eux aussi égaux. Pour reproduire le phénomène en similitude, on doit donc

conserver le nombre de Reynolds :

où l’indice m se rapporte à la maquette, et l’indice r à la situation que l’on veut

simuler. Le fluide est de l’eau dans les deux cas, sensiblement à la même tempé-

rature, aussi la viscosité est la même. Pour une échelle géométrique de 1/10, et

un courant Vr = 5 m/s, on obtient une vitesse d’écoulement sur la maquette

Vm = 50 m/s. Cette vitesse est difficile à réaliser dans une veine hydraulique !

C’est pourquoi, on est souvent amené à utiliser le fait que, passé un certain seuil,

la conservation du nombre de Reynolds n’est plus indispensable.

fD

V------ VD

ν--------

VmDm

ν---------------

VrDr

ν------------=

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CHAPITRE 1 : LES NOTIONS FONDAMENTALES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LEUR DÉCOUVERTE 6 5

P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

6.

ÉTUDE D’UN MODÈLE RÉDUIT POUR ÉTUDIER LES COURANTS DE MARÉE DANS LA MANCHE

On se propose de définir un modèle réduit permettant d’étudier les courants de

marée dans la Manche. Le phénomène résulte des actions combinées de l’inertie,

de la gravité et de l’accélération de Coriolis causée par la rotation de la Terre.

On suppose (ce sera établi au chapitre 5) que l’influence de l’accélération de

Coriolis dépend uniquement du paramètre : γ = 2 Ω sinλ, où λ est la latitude

(prendre λ = 45°) et Ω la vitesse angulaire de rotation de la Terre. L’emprise

horizontale de la zone étudiée est L = 1 000 km. La profondeur est de l’ordre de

h = 100 m et la vitesse des courants de marée est de l’ordre de V = 1 m/s. La

maquette représentant la zone étudiée est implantée sur la plaque tournante,

de 20 m de diamètre, du Laboratoire des écoulements géophysiques et indus-

triels à Grenoble.

(a) On admet que la conservation du nombre de Reynolds n’est pas indispen-

sable, pourvu qu’il soit assez grand pour que l’écoulement soit suffisamment

turbulent, et donc que la viscosité n’ait pas d’influence. Établir les autres règles

de similitude. Calculer l’échelle des longueurs, des vitesses et la valeur, sur le

modèle, du nombre de Reynolds construit avec la hauteur d’eau.

(b) Afin d’obtenir une valeur suffisante du nombre de Reynolds, on est amené

à distordre le modèle réduit, c’est-à-dire à choisir une échelle des hauteurs dif-

férente de l’échelle des longueurs dans le plan horizontal. Dans ces conditions,

on montre (ce que le lecteur pourra vérifier après avoir lu le chapitre 5) que le

nombre adimensionnel caractérisant la gravité doit être construit sur la

hauteur d’eau, alors que le nombre adimensionnel caractérisant l’accélération

de Coriolis doit utiliser la dimension caractéristique dans le plan horizontal.

Déterminer l’échelle des hauteurs qui permet d’avoir un nombre de Reynolds

de 3000 environ. Déterminer la vitesse de rotation de la plaque tournante qui

permet de représenter l’effet de l’accélération de Coriolis.

Solution

(a) Le problème est entièrement caractérisé par les six paramètres suivants : V,

L, h, γ, ν, g. Ces paramètres font intervenir deux unités (m et s). Les six para-

mètres peuvent donc être ramenés à quatre nombres adimensionnels :

Page 82: Mécanique des fluides appliquée

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P R O B L È M E S E T A P P L I C A T I O N S

– le nombre de Reynolds : Re = ;

– le nombre de Froude : F = ;

– le nombre suivant, appelé nombre de Rossby : Ro = ;

– et le rapport B = .

Admettons qu’il ne soit pas nécessaire de respecter le nombre de Reynolds, à

condition que l’écoulement sur le modèle soit turbulent, comme dans la réa-

lité.

On utilise sur le modèle toute la dimension de la plaque tournante, aussi

Lm = 20 m. L’échelle des longueurs est donc égale à Lm / L, soit 1/50 000. C’est

la conservation du nombre de Froude qui détermine alors l’échelle des

vitesses : Vm / V = (Lm / L)0,5, soit 1/224. Sur le modèle, la hauteur d’eau et la

vitesse valent donc : hm = 2 mm et Vm = 4,47 mm/s, soit Rem = 8,9! L’écoule-

ment serait laminaire sur le modèle, le frottement sur le fond serait très mal

représenté.

(b) Pour augmenter le nombre de Reynolds sur le modèle, on distord le para-

mètre B = h / L. Il est évident que la représentativité du modèle en souffrira, en

particulier pour ce qui est de la représentation des écoulements de structure

tridimensionnelle. Cependant, pour les courants de marée, pratiquement

homogènes selon la verticale, cette approximation a été souvent considérée

comme admissible.

L’échelle des vitesses est égale à la racine carrée de l’échelle des hauteurs (con-

servation du nombre de Froude), il est donc facile de calculer l’échelle des hau-

teurs qui correspond à un nombre de Reynolds sur le modèle de 3 000 environ,

soit : hm / h = 1/1 036, arrondi dans la suite à 1/1000. Nous aurons : hm = 10 cm

et Vm = 3,16 cm/s.

L’échelle des longueurs est toujours 1/50 000 dans le plan horizontal. La dis-

torsion de l’échelle des hauteurs est donc de 50. La conservation du nombre de

Rossby :

Ro = Rom = Vm / (2 Ωm Lm)

conduit à une vitesse de rotation de la plaque tournante de :

Ωm = 0,78 tour par minute.

Vh

ν-------

V

g h----------

V

γ L-------

h

L---