michel bar-zohar nissim mishal...aux héros méconnus aux batailles ignorées aux livres non écrits...

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  • MichelBar-ZoharNissimMishal

    MossadLesgrandesopérations

    Traduitdel’anglaisparRaymondClarinardetCarolineLee

  • TitreoriginalMossad

    TheGreatOperationsofIsrael’sSecretService

    ©MichelBar-ZoharetNissimMishal,2010Allrightsreserved©2010

    Miskal–YediothAhronothBooksandChemedBooksP.O.B.53494,Tel-Aviv,61534Israel

    ISBNéditionoriginale(hébreu):978-965-545-147-4©2012BitebackPublishingLimited,TheRobsonPress,

    Londres,pourlatraductionanglaiseISBNéditionanglaise:978-1-84954-368-2©Plon,2012,pourlatraductionfrançaise

    Créationgraphique:V.Podevin©ImageSource/Corbis

    ISBNPlon:978-2-259-22048-4www.plon.fr

    http://www.plon.fr

  • Auxhérosméconnus

    AuxbataillesignoréesAuxlivresnonécrits

    AuxsecretsnonrévélésEtàunrêvedepaix

    jamaisabandonné,jamaisoubliéMichelBAR-ZOHAR

    AAmyKormanPoursesconseils,soninspiration

    etsonindéfectiblesoutienNissimMISHAL

  • «Celivreracontecequidevraitêtreconnu,

    maisnel’estpas,àsavoirquelesforcessecrètesd’Israëlsontaussiredoutablesquesa

    forcephysiquereconnue.»ShimonPERES,

    présidentd’Israël

  • Introduction

    Seuldanslatanièredulion

    Le12novembre2011,une terribleexplosiondétruisitunebasesecrètedemissiles située près deTéhéran, tuant dix-septGardiens de laRévolution etréduisantdesdizainesdemissilesà l’étatde ferraillecarbonisée.LegénéralTehrani Moghaddam, le « père » des missiles Shehab à longue portée,également responsable du programme de missiles iranien, périt dans ladéflagration.Maiscen’étaitpasluilacibledel’attaque.C’étaitunmoteuràcarburantsolidedestinéàunefuséecapabled’emporterunechargenucléaireàplusde9000kilomètresdedistance,depuislessilossouterrainsd’IranjusquesurleterritoiredesÉtats-Unis.Le nouveau missile dont les dirigeants iraniens prévoyaient de se doter

    auraitdûmettreàgenouxlesgrandesvillesd’Amériqueetfairedel’Iranunepuissancemondiale. L’explosion de novembre retarda le projet de plusieursmois.Bienquelacibledunouveaumissileàlongueportéeaitétél’Amérique,il

    est probable que les explosions qui détruisirent la base iranienne ont étédéclenchéesparlesservicessecretsisraéliens,leMossad.Depuissacréationilyaplusdesoixanteans,leMossadestintervenuclandestinement,sansfaiblir,contre les dangers qui menacent Israël et l’Occident. Et plus que jamaisencoreauparavant,lescapacitésdecollectederenseignementetlesopérationsduMossadontune influence sur la sécuritéde l’Amérique, tant sur son solqu’àl’étranger.En cemomentmême, il lutterait contre la volonté explicite des autorités

    iraniennesderayerIsraëldelacarte.Menantavecobstinationuneguerredel’ombre contre l’Iran en sabotant des installations nucléaires, en assassinantdes scientifiques, en fournissant desmatières premières et des équipements

  • défectueux aux usines iraniennes par l’entremise de sociétés écrans, enorganisant la défection de généraux et de personnalités du programmenucléaire, en introduisant de redoutables virus dans les systèmesinformatiques du pays, le Mossad serait ainsi occupé à combattre lanucléarisation de l’Iran, unemenace pour lesÉtats-Unis et pour le reste dumonde. S’il est parvenu à retarder la fabrication d’une bombe nucléaireiranienne de plusieurs années, la bataille secrète atteint aujourd’hui sonparoxysme,avantquel’onfasseappelàl’ultimerecours:unefrappemilitaire.Depuislesannéessoixante-dix,danssaluttecontrelaterreur,leMossada

    capturéetéliminédesdizainesdechefsdefileduterrorismedansleursfiefsàBeyrouth, Damas, Bagdad et Tunis, ou encore avant qu’ils ne frappent, àParis,Rome,AthènesetChypre.Le12février2008,àDamas,àencroirelesmédiasoccidentaux,desagentsduMossadauraientprisenembuscadeettuéImad Mughniyeh, le dirigeant militaire du Hezbollah. Mughniyeh était unennemijuréd’Israël,maisilsetrouvaitaussisurlalistedespersonneslesplusrecherchéesparleFBI.Ilavaitpréparéetperpétrélemassacrede241MarinesaméricainsàBeyrouth,et laisséderrière luiunepistesanglante, jonchéedescadavresdecentainesd’Américains,d’Israéliens,deFrançaisetd’Argentins.Actuellement, leschefsduDjihad islamiqueetd’Al-Qaïda sontpourchassésdanstoutleMoyen-Orient.Et pourtant, quand leMossad a averti l’Occident que le Printemps arabe

    risquaitdedégénérerenHiverarabe,personnenesemblel’avoirécouté.Toutaulongdel’année2011,l’Occidentasaluécequ’ilcroyaitêtrel’avènementd’une nouvelle ère de démocratie, de liberté et de défense des droits del’homme dans les pays arabes. Espérant s’assurer le soutien des Égyptiens,l’OuestafaitpressionpourqueleprésidentMoubarak,sonalliéleplusfiabledans lemonde arabe, démissionne.Mais dès que la foule a envahi la placeTahrir au Caire, elle a brûlé des drapeaux américains, puis a pris d’assautl’ambassade israélienne, réclamant l’abrogationdu traité depaix avec l’Étathébreu,etaarrêtédesmembresd’ONGaméricaines.EnÉgypte,desélectionsdémocratiques ont permis aux Frères musulmans de prendre le pouvoir.Aujourd’hui, le pays oscille au bord du gouffre de l’anarchie et de lacatastropheéconomique.Unrégimeislamiquefondamentalisteestentraindes’implanterenTunisie,etlaLibyedevraitsuivre.LeYémenestenébullition.En Syrie, le président Assad massacre son peuple. Les nations modéréescomme le Maroc, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les émirats du Golfepersique ont le sentiment d’avoir été trahies par leurs alliés occidentaux.

  • Quantauxespoirsdansledomainedesdroitsdel’homme,delalibertépourles femmes, de l’État de droit et de la démocratie, à l’origine de cesrévolutionshistoriques, ilsontétébalayéspardespartis religieuxfanatiquesmieuxorganisésetplusenphaseaveclesmasses.CetHiverarabeatransforméleMoyen-Orientenunebombeàretardement

    quimenace lepeuple israélien et ses alliésdumondeoccidental.Au fil desévénements,lamissionduMossaddeviendraplusdangereuse,maisaussipluscruciale encore pour l’Ouest. Les services israéliens sont apparemment lemeilleur rempart contre lamenace nucléaire iranienne, contre le terrorisme,contretoutcedontpourraitaccoucherletumultequis’estemparéduMoyen-Orient.Maissurtout,leMossadreprésentelederniercoupdesemonceavantlaguerreouverte.LescombattantsanonymesduMossadensontl’énergievitale,deshommes

    etdesfemmesquirisquentleurvie,quiviventloindesleurssousdefaussesidentités,menantàbiendesopérationsaudacieusesdansdespaysennemis,làoù lamoindre erreur pourrait être synonyme d’arrestation, de torture ou demort.Pendant laguerrefroide, toutcequerisquaitunagentsecretcapturéàl’Ouest ou dans le bloc communiste, c’était d’être échangé contre un autreagent sur un pont brumeux et froid, quelque part à Berlin. Russe ouAméricain,BritanniqueouEst-Allemand,l’agentsavaittoujoursqu’iln’étaitpasseul,qu’ilyauraittoujoursquelqu’unpourleramenerchezlui.AlorsquepourlescombattantssolitairesduMossad,iln’yapasd’échangesurunpontbrumeux.Leuraudace,c’estdeleurviequ’ilslapayent.Dansce livre,nousfaisons la lumièresur lesplusgrandesmissionset les

    héroslespluscourageuxduMossad,ainsiquesurleserreursetleséchecsqui,plus d’une fois, ont terni la réputation des services et ébranlé jusqu’à leursfondations.Cesmissionsontdécidédusortd’Israëlet,debiendesfaçons,decelui du monde. Les agents du Mossad ont tous en commun un amourprofond, idéaliste de leur pays, un dévouement entier à son existence et sasurvie,etlavolontédeprendrelesrisqueslesplusterribles,defairefaceauxdangerslesplusredoutables.Aunomd’Israël.

  • 1

    LeRoidesOmbres

    Àlafindel’été1971,unviolentoragebalayaitlelittoralméditerranéen,etde hautes vagues s’écrasaient sur les côtes deGaza. Prudents, les pêcheursarabesétaientrestésàterre.Lamerétaittraîtresse,etcen’étaitpasunjouràlabraver. Ils eurent la surprise devoir soudain émerger de la houle rugissanteune embarcation branlante qui atterrit lourdement sur le sable mouillé.Quelques Palestiniens en jaillirent, les vêtements et les keffiehs froissés ettrempés. Leurs visagesmal rasés trahissaient la fatigue d’un long séjour enmer.Maisilsn’avaientpasletempsdesouffler,leursviesétaientendanger.Des flots furieux surgitun torpilleur israélienqui transportaitdes soldatsentenuedecombat.Ilfonçaitsurlacôteàpleinevitesse,etlessoldatssautèrentdansleseauxpeuprofondes,tirantsurlesPalestiniensenfuite.DesgaminsdeGazaquijouaientsurlaplagecoururentverslesPalestiniensetlesguidèrentjusqu’à un verger voisin où ils purent se mettre en sécurité. Les soldatsisraéliens perdirent leurs traces, mais se déployèrent sur la plage et selancèrentàleurrecherche.Tarddans lanuit,un jeunePalestinienarméd’uneKalachnikovse faufila

    dansleverger,oùilretrouvalesfugitifsblottisàl’écart.«Quiêtes-vous,mesfrères?demanda-t-il.—DesmembresduFrontpopulairepour la libérationde laPalestine, lui

    répondit-on.DucampderéfugiésdeTyr,auLiban.—Marhaba,bienvenue,déclaralejeunehomme.—TuconnaisAbouSaïf,notrecommandant ? Ilnousenvoie rencontrer

    lescommandantsduFrontpopulaireàBethLahia(unbastionterroristedansle sud de la Bande de Gaza). On a de l’argent et des armes, et on veutcoordonnernosopérations.

  • —Jevaisvousaider»,fitlejeunehomme.Le lendemain matin, les nouveaux venus furent escortés par plusieurs

    terroristes en armes jusqu’à unemaison isolée dans le camp de réfugiés deJabalia.Là,onlesmenadansunegrandesalleetonlesinvitaàs’asseoiràunetable. Peu après, les chefs du Front populaire entraient. Après avoirchaleureusementsaluéleursfrèreslibanais,ilss’assirentfaceàeux.«Onpeutcommencer? lançaun jeunehommerâbléaufrontdégarniqui

    portait un keffieh rouge et était apparemment le patron du groupe venu duLiban.Toutlemondeestlà?—Toutlemonde.»LeLibanais leva lamainetconsultasamontre.C’était lesignalconvenu.

    Brutalement, les«émissaires libanais»dégainèrent leursarmesdepoingetouvrirentlefeu.Enmoinsd’uneminute,lesterroristesdeBethLahiaétaientmorts.Les«Libanais»s’enfuirentdelamaison,sefrayèrentunchemindansles allées tortueuses du camp de Jabalia et les rues bondées deGaza, et seretrouvèrentbientôtenterritoireisraélien.Lesoirmême,l’hommeaukeffiehrouge, le capitaineMeirDagan, commandant du commando secret israélien« Rimon », annonçait au général Ariel « Arik » Sharon que l’opération«Caméléon » avait été un succès. Tous les dirigeants du Front populaire àBethLahia,ungroupeterroristemeurtrier,avaientététués.Dagann’avaitquevingt-sixans,maisétaitdéjàuncombattantdelégende.

    C’était luiquiavaitpréparé toute l’opération : l’idéedese fairepasserpourdes terroristes libanais à bord d’un vieux bateau parti d’Ashdod, un portisraélien;lalonguenuitd’attentecachésdansleverger,larencontreavecleschefsterroristesetletrajetdeleurrepliunefoislamissioneffectuée.Ilavaitmême organisé la fausse poursuite par le torpilleur israélien. Dagan étaitl’incarnationduguérillero,audacieuxet inventif,quin’avait curedes règlesd’engagement. Yitzhak Rabin dit un jour : « Meir a une capacitéexceptionnelle,celled’inventerdesopérationsantiterroristesquiressemblentàdesfilmsd’action.»DannyYatom, futurchefduMossad,sesouvenaitdeDagancommed’un

    jeunehomme trapu aux cheveux en bataille, qui avait voulu s’engager dansSayeretMatkal,unitéd’élitedescommandosisraéliens,etdontlestalentsdelanceur de couteau impressionnaient tout lemonde. Son énorme couteau decommandofilaitdanslesairsettouchaittoutessesciblesdanslemille.Mais,bienqu’étantunexcellent tireur, ilavaitéchouéaux testsd’entréeàSayeretMatkaletavaitdûaudépartsecontenterdesailesd’argentdesparachutistes.

  • Audébutdesannéessoixante-dix,ilavaitétéenvoyédanslaBandedeGaza,conquiseparl’ÉtathébreudurantlaguerredesSixJoursen1967.Depuis,larégionétaitdevenueunvéritableniddefrelons,centred’uneactivitéterroristemeurtrière. Jour après jour, des terroristes palestiniens assassinaient desIsraéliensdanslaBandedeGazaetenIsraëlàcoupsdebombesetd’armesàfeu, et Tsahal avait pratiquement perdu le contrôle des camps de réfugiés,véritablesfoyersdeviolence.ToutlepaysportaitencoreledeuildesmalheureuxenfantsArroyo,Avigail,

    cinqans,etMark,huitans,déchiquetésparl’explosiond’unegrenadelancéeparunterroristedansleurvoiture.PourlegénéralArielSharon,ilétaittempsdemettre fin à cemassacre. Il recruta quelques vieux amis du temps de sajeunesseguerrière,etd’autresmilitairesplus jeunes.Daganen faisaitpartie.Cetofficiercourtaudetlarge,auvisagerond,boitaitdepuisqu’ilavaitmarchésur une mine pendant la guerre des Six Jours. À l’hôpital de Soroka, àBeersheba,ilétaittombéamoureuxdeBina,l’infirmièrequis’occupaitdelui.Dèsqu’ilavaitétéremis,ill’avaitépousée.Officiellement,l’unitédeSharonn’existaitpas.Elleavaitpourmissionde

    détruirelesorganisationsterroristesdeGazaenayantrecoursàdesméthodesrisquéesetnonconventionnelles.Daganavaitcoutumededéambulerdanslesrues de Gaza occupée avec sa canne, armé de plusieurs automatiques,revolvers et pistolets-mitrailleurs, accompagné d’un doberman. D’aucunsprétendentl’avoirvudéguiséenArabe,tranquillementmontésurunânedanslesdangereuses ruellesdeGaza.Son infirmitén’entamaiten riensavolontédeprendrepartauxopérationslesplusrisquées.Sonpointdevueétaitsimple.Il y a des ennemis, de mauvais Arabes qui veulent nous tuer, donc, nousdevonslestuerlespremiers.Au sein de l’unité, Dagan créa « Rimon », la première équipe de

    commandos israéliens clandestins, qui opéraient, déguisés en Arabes, enprofondeurdans les fiefs ennemis.Pourpouvoir semouvoir en toute libertédanslapopulationetatteindreleursobjectifssanssefairerepérer,ilsdevaientintervenir sous couverture. Ils furent rapidement surnommés « les tueursd’Arik».D’aprèslesrumeurs,illeurarrivaitsouventd’exécuterdesang-froidlesterroristesqu’ilscapturaient.Parfois,disait-on,ilsescortaientunterroristejusquedansuneruellesombreetluiannonçaient:«Tuasdeuxminutespourt’enfuir. » Quand il commençait à courir, ils l’abattaient. D’autres fois, ilslaissaienttomberuncouteauouunpistolet,etdèsqueleterroristetentaitdes’enemparer,ilsletuaientsurplace.Lesjournalistesrapportaientque,tousles

  • matins, Dagan sortait dans la campagne et qu’il urinait d’unemain tout entirantdel’autresurdesboîtesdeCocavides.Deshistoiresquilelaissaientdemarbre.«Nousfaisonstousl’objetdemythes,disait-il,maisunepartiedecequis’écritesttoutsimplementfaux.»Cette minuscule unité de commandos israéliens menait une guerre

    implacableetcruelle,etchaquejour,sesmembresrisquaientleurvie.Touslessoirs ou presque, les hommes de Dagan se déguisaient en femmes ou enpêcheursetpartaienttraquerdesterroristesrecherchés.Sefaisantpasserpourdesterroristesarabes,ilstendirentuneembuscadeàdesgensduFatah.Dansl’échangedetirsquis’ensuivit,lesterroristesduFatahfurentéliminés.Le29janvier 1971, Meir et son équipe se rendaient dans deux Jeep vers lesfaubourgsducampdeJabalia.Quandilscroisèrentuntaxi,Dagan,parmilespassagers,reconnutuncélèbreterroriste,AbouNimer.IlordonnaauxJeepdefairehalteetsessoldatsencerclèrentletaxi.Dagans’approchaalorsqu’AbouNimer descendait du véhicule, une grenade à la main. Fixant Dagan, il ladégoupilla.«Grenade!»hurlacelui-ci,maisaulieudeseprécipiterpoursemettreàl’abri,ilsejetasurNimer,leplaquaausol,luiagrippalesbrasetluiarrachalagrenadedesmains.UneactionquiluivalutlamédailleduCourage.Certainsontaffirméqu’aprèsavoirlancélagrenadeauloin,DaganauraittuéAbouNimeràmainsnues.Desannéesplustard,dansunentretienexceptionnelaccordéaujournaliste

    israélienRonLeshem,Dagan expliqua : «Rimonn’était pas une équipedetueurs…Cen’étaitpas leFarWest,où tout lemondeétaitdescinglésde lagâchette.Nousn’avons jamais faitdemalàdes femmesouàdesenfants…Nousnousattaquionsàdesgensquiétaientdesassassinsviolents.Nous leséliminionsetdissuadionslesautres.Pourprotégerlapopulationcivile,l’Étatdoit parfois entreprendre des choses qui sont contraires à un comportementdémocratique.C’estvrai,dansdesunitéscommelanôtre,leslimitespeuventdevenir floues. C’est pour cela qu’il faut veiller à ne recruter que des gensdoués desmeilleures qualités. Les actions les plus douteuses devraient êtrecommisesparlesplushonnêtesdeshommes.»

    *

    Démocratiquesounon,lesactionsdeSharon,Daganetdeleurscollèguesaboutirentàl’annihilationpresquetotaleduterrorismeàGazaet,desannées

  • durant, la région resta tranquille et paisible. Cependant, quelques-unsaffirmentqueSharonauraitditdesonfidèleadjoint,suruntonprochedelaplaisanterie :«LaspécialitédeMeir, c’estde séparer la têted’unArabedesoncorps.»RaressontceuxquiconnaissentlevéritableDagan.Ilnaquiten1945dans

    un wagon, sous le nom de Meir Huberman, en banlieue de Kherson, enUkraine, alors que sa famille fuyait la Pologne pour la Sibérie. Sa familleavait été décimée pendant l’Holocauste. Meir émigra avec ses parents enIsraël et grandit dans un quartier pauvre de Lod, une vieille ville arabe àenviron 25 kilomètres au sud de Tel-Aviv. Si beaucoup savent qu’il fut unredoutablecombattant,bienpeusontaufaitdesespassionssecrètes:ferventlecteurdelivresd’histoire,végétarien,iladoraitlamusiqueclassiqueetavaitpourpasse-tempslapeintureetlasculpture.Hantéparl’histoiredesafamilleet du peuple juif, s’identifiant aux terribles souffrances des Juifs pendantl’Holocauste,ilconsacrasavieàladéfensedujeuneÉtatd’Israël.Aufildesaprogressiondanslahiérarchiemilitaire,chaquefoisqu’ilprenaitdenouvellesfonctions, il commençait par suspendre, dans son bureau, une grande photod’un vieux Juif enroulé dans son châle de prière, à genoux devant deuxofficiersSS, l’un brandissant unematraque et l’autre un pistolet. «Ce vieilhomme,c’estmongrand-père,disait-ilàsesvisiteurs.Jeregardecettephoto,etjesaisquenousdevonsêtrefortsetnousdéfendrepourquel’Holocaustenepuisseplusjamaissereproduire.»Le vieil homme en question était effectivement son grand-pèrematernel,

    BerEhrlichSlochni,assassinéàLoukovquelquessecondesaprèsqueleclichéavait été pris. Pendant la guerre du Kippour en 1973, Dagan fut parmi lespremiers Israéliens à traverser le canal de Suez avec une unité dereconnaissance.PendantlaguerreduLibanen1982,ilentraàBeyrouthàlatêtedesabrigadeblindée.Ilfut trèsvitenommécommandantdelazonedesécurité du Sud-Liban. Là, le colonel dans son uniforme empesé redevintl’aventurieretleguérilleroqu’ilétait.Au Liban, il fit usage de son expérience dans le domaine du secret, du

    camouflageetde ladésinformation,commedu tempsdeses interventionsàGaza.Sessoldatsaffublèrentleurchef,aussimystérieuxquerisque-tout,d’unnouveausurnom:le«RoidesOmbres».LavieauLibanétaitfaitepourlui,avec ses alliances secrètes, ses trahisons, sa cruauté et ses guerressouterraines. « Même avant que ma brigade de chars entre à Beyrouth,racontait-il,jeconnaissaisbienlaville.»Etilnerenonçapasàsesaventures

  • clandestines une fois terminée la guerre au Liban. En 1984, il futofficiellement réprimandé par le chef de l’état-majorMoshéLevy pour êtreallé traîner, déguisé en Arabe, près du quartier général terroriste deBhamdoun .Pendant la première Intifada (1987-1993), il fut transféré en Cisjordanie

    pour jouer le rôle de consultant auprès du chef d’état-major Ehud Barak.DaganrepritsesvieilleshabitudesetréussitmêmeàconvaincreBarakdesejoindre à lui. Tous deux enfilèrent des joggings, comme d’authentiquesPalestiniens, se procurèrent une Mercedes bleu ciel munie de plaquesd’immatriculationlocalesetpartirentfaireuntourdansladangereusecasbahde Naplouse. À leur retour, les sentinelles du quartier général de l’arméeeurent un choc quand elles reconnurent qui se trouvait dans la Mercedesbleue.En1995,Daganquitta l’armée avec le gradedegénéral et, avec son ami

    Yossi Ben-Hanan, partit pour un voyage à moto de dix-huit mois dans lessteppes d’Asie.Leur odyssée fut écourtée par la nouvelle de l’assassinat deYitzhak Rabin. De retour en Israël, Dagan effectua un séjour à la tête del’autoritéantiterroriste,tentasansconvictiondeselancerdanslesaffaires,etsoutint la campagne électorale duLikoud et deSharon.Puis, en 2002, il seretiradans samaisondecampagneenGalilée,pour retrouver ses livres, sesdisques,sapaletteetsonciseaudesculpteur.Trente ans après Gaza, le général en retraite, âgé de cinquante-sept ans,

    apprenait à faire connaissance avec sa famille : « C’est là que je me suisréveilléetquejemesuisaperçuquemesgossesétaientdéjàadultes.»Maisson vieux copain Ariel Sharon, maintenant Premier ministre, l’appela. « Jeveuxque tuprennes la têteduMossad, luidéclaraSharon. J’aibesoind’unchefduMossadaveclecouteauentrelesdents.»On était en 2002, et le Mossad s’essoufflait. Les années précédentes,

    plusieurséchecsavaientsévèrementécornésonprestige.Iln’avaitpasréussiàéliminerundesdirigeantsduHamasàAmman,cequiavaitétéabondammentrelayéparlesmédias,etdesagentsisraéliensavaientétéarrêtésenSuisse,àChypreetenNouvelle-Zélande.LaréputationduMossadensortaitternie.Ledernierpatronduservice,EphraïmHalevy,nes’étaitpasmontréàlahauteur.Ancienambassadeurauprèsdel’UnioneuropéenneàBruxelles,c’étaitunfindiplomateetunbonanalyste,maiscen’étaitniunmeneurd’hommes,niuncombattant.Sharon,lui,voulaitàlatêteduMossadunresponsableaudacieuxetcréatif,capabledecontrer le terrorismeislamiqueet lesprojetsnucléaires

    1

  • del’Iran.LeMossadaccueillitfroidementsanomination.Iln’étaitpasdelamaison,

    s’étaitauparavantconcentrésurlesopérationsdeterrain,etilsesouciaitpeudes analyses exhaustives du renseignement ou des échanges diplomatiquessecrets.Plusieursofficiersdehaut rangdu servicedémissionnèrent en signede protestation, ce qui ne le dérangea guère. Il reconstitua les unitésopérationnelles, établit des relations de travail étroites avec des servicessecretsétrangers,etsepréoccupadelamenaceiranienne.QuandlasecondeetdésastreuseguerreduLibanéclataen2006,ilfutleseulresponsableisraélienà s’opposer à la stratégie de bombardementsmassifs de l’armée de l’air. Ilétait partisan d’une offensive terrestre, ne croyait pas que l’aviationl’emporterait,etsarenomméenepâtitdoncpasdelaguerre.Ce qui n’empêcha pas la presse de dénoncer sa rudesse envers ses

    subordonnés. Des agents du Mossad exaspérés, après avoir été mis sur latouche, se ruèrent sur les médias pour s’épancher, et Dagan se retrouvaconstamment sur la sellette, brocardé par les éditorialistes. «Daganqui ? »lançaunjourl’undespluscélèbresd’entreeux.Puis, un jour, les gros titres changèrent. Des articles flatteurs riches en

    superlatifssemirentàremplirlespagesdesquotidiens,vantantlesméritesde«l’hommequiaredonnésonhonneurauMossad».SouslesordresdeDagan,leMossadavaitaccomplicequiavaitjusque-là

    paru impensable : l’assassinat àDamas d’ImadMughniyeh, le tueur fou duHamas, la destruction du réacteur nucléaire syrien, la liquidation de chefsterroristesauLibanetenSyrie.Maissurtout,Daganavaitmenésansrépitetavecsuccèsunecampagneimpitoyablecontreleprogrammenucléaireiranien.

    1UnevilleduLiban(NdT).

  • 2

    FunéraillesàTéhéran

    Le23juillet2011,à16h30,deuxhommesmontéssurunemotosurgirentdans la rue Bani Hashem, dans le sud de Téhéran. Ils sortirent des armesautomatiquesdeleursblousonsdecuiretabattirentunhommequiétaitsurlepoint de rentrer chez lui. Quand la police arriva sur les lieux, ils avaientdisparu depuis longtemps. La victime s’appelait Darioush Rezaei Najad,c’étaitunprofesseurdephysiquedetrente-cinqans,etl’unedespersonnalitésclés du programme nucléaire secret iranien. Il était responsable dudéveloppementd’interrupteursélectroniques,nécessairesà l’activationd’unetêtenucléaire.RezaeiNajadn’étaitpaslepremierscientifiqueàconnaîtreunefintragique.Officiellement, Téhéran travaillait au développement de technologie

    nucléaire à des fins pacifiques, et Téhéran soutenait que le réacteur deBushehr, importantesourced’énergieconstruiteavec l’aidedesRusses,étaitlapreuvedesesbonnesintentions.MaisoutrelacentraledeBushehr,d’autresinstallations nucléaires secrètes avaient été identifiées, toutes sévèrementgardées et littéralement inaccessibles. Peu à peu, l’Iran dut reconnaîtrel’existence de certains de ces sites, tout en continuant à nier leur vocationmilitaire. Mais entre-temps, les services secrets occidentaux et desmouvementsclandestinslocauxavaientrepéréplusieursscientifiquesdehautniveauqui,dans lesuniversités iraniennes,participaientà l’élaborationde lapremière bombe atomique iranienne. Alors, soudain, des « inconnus »déclenchèrent une guerre sans merci pour donner un coup d’arrêt auprogrammesecretd’armementnucléairedesIraniens.Le29novembre2010,à7h45,danslenorddeTéhéran,unemotorattrapa

    la voiture du docteurMajidShahriyari, chef du département scientifique du

  • programme nucléaire iranien. Le motocycliste casqué fixa un dispositif,apparemmentdotédeventouse,surlepare-brisearrièreduvéhicule.Quelquessecondesplustard,l’enginexplosait,tuantcephysiciendequarante-cinqansetblessantsonépouse.Danslemêmetemps,surlarueAtashi,danslesuddelacapitale,unautremotardfaisaitlamêmechoseàlaPeugeot206dudocteurFereydoun Abassi-Davani, un autre spécialiste du nucléaire. L’explosionblessaAbassi-Davanietsafemme.Le gouvernement iranien accusa immédiatement le Mossad. Les deux

    scientifiques occupaient en réalité des fonctions mystérieuses au sein duprogrammenucléaire iranien.MaisAliAkbarSalehi, le directeur du projet,déclaraquecesattentatsavaientfaitdeShahriyariunmartyretavaientprivésonéquipedesa«fleurlaplusprécieuse».Àsontour,leprésidentAhmadinejadexprimadefaçonparticulièrecequ’il

    pensaitdesdeuxvictimes:dèsqu’Abassi-Davanifutremisdesesblessures,Ahmadinejad le nomma vice-président du pays. Les hommes qui avaientattaquélesscientifiquesnefurentpasretrouvés.Le12janvier2010,à7h50,leprofesseurMasoudAliMohammadisortit

    desondomicile,rueShariati,danslequartierdeGheytarihe,danslenorddeTéhéran.Ilserendaitàsonlaboratoiredel’universitédetechnologieSharif.Lorsqu’il voulut ouvrir la portière de sa voiture, une violente explosion

    ébranla lequartierd’ordinaire tranquille.Quand les forcesdesécurité furentsurplace, lavoituredeMohammadiavaitvoléenéclatsetsoncadavreétaitdéchiqueté.Ilavaitététuéparunechargeexplosivedissimuléedansunemotogaréeprèsdesavoiture.Lesmédiasiraniensaffirmèrentquel’assassinatavaitétéperpétrépardesagentsduMossad.LeprésidentAhmadinejadproclama:«L’assassinatnousfaitpenserauxméthodessionistes.»Âgé de cinquante ans, le professeur Mohammadi était un spécialiste en

    physique quantique, consultant du projet nucléaire. Certains médiassignalèrentqu’ilavaitétémembredesGardiensdelaRévolution,laformationparamilitaireprochedupouvoir.Commesamort,laviedeMohammadiétaitauréolée de mystère. Quelques-uns de ses amis soutinrent qu’il n’étaitimpliquéquedanslarecherchethéoriqueetqu’iln’avaitrienàvoiravecdesprojets militaires ; d’autres prétendirent aussi qu’il était favorable auxmouvementsdissidentsetqu’il avaitprispart àdesmanifestationscontre lerégime.Mais à ses obsèques, près de la moitié de l’assistance se composait de

    Gardiens de la Révolution. Son cercueil fut porté par des officiers de

  • l’organisation. Une enquête ultérieure montra que Mohammadi avaiteffectivementététrèsimpliquédansleprogramme.Mohammadin’étaitpaslepremierscientifiquedontlemeurtreétaitattribué

    au Mossad. Le Sunday Times de Londres rapporta l’empoisonnement dudocteur Ardashir Hosseinpour par des agents du Mossad en janvier 2007.Stratfor, cabinet de consultants du Texas spécialisé dans le renseignementgéostratégique,révélaqueleMossadavaitassassinéHosseinpouràl’aidedepoison radioactif. Les responsables iraniens tournèrent cette accusation enridicule, lâchantque jamais leMossadn’aurait été enmesuredemenerunetelle opération sur le territoire iranien, et que « le professeur Hosseinpour[avait] été asphyxié par la fumée d’un incendie à son domicile ». Et ilsaffirmèrent que ce scientifique de quarante-quatre ans n’était qu’un expertréputéenélectromagnétique.Or,ils’avéraqueluinonplusn’étaitpasmortàcausedesespublications

    scientifiques. Hosseinpour travaillait sur un site secret où l’uranium étaitenrichigrâceàunesérie(une«cascade»)decentrifugeuses.C’étaitàNatanz,prèsd’Ispahan,dansdes installationséloignées,souterraineset fortifiées.En2006, Hosseinpour avait obtenu la plus haute distinction iranienne dans ledomaine des sciences et de la technologie.Mais deux ans plus tôt, il avaitaussi reçu la plus haute distinction de son pays dans le domaine de larecherchemilitaire.Lesassassinatsdespécialistes iraniensdunucléairen’étaientque lapartie

    émergéedel’iceberg.Àencroire leDailyTelegraphbritannique, leMossadétaitentréenguerrecontreleprogrammenucléaireiranien,etavaitrecoursàdes agents doubles, des équipes de tueurs, des actions de sabotage et dessociétésécrans.Ilvisaitlespersonnalitésaucœurdeceprojetsecret.Sonbutétait de retarder le programme le plus longtemps possible. Reva Bhalla,directricedel’analysechezStratfor,auraitdéclaré:«AveclacoopérationdesÉtats-Unis, les opérations clandestines israéliennes se sont concentrées surl’élimination de membres essentiels du programme nucléaire et sur lesabotage de la chaîne de livraison iranienne. » Israël, ajouta-t-elle, avait eurecoursàdestactiquescomparablesenIrakaudébutdesannéesquatre-vingt,quandleMossadavaittuétroisspécialistesirakiensdunucléaire,empêchantainsiquesoitterminéleréacteuratomiqued’Osirak,prèsdeBagdad.Dans la guerre qu’il était censé mener contre le programme nucléaire

    iranien, le Mossad de Dagan parvenait à retarder autant que possible ledéveloppement d’une bombe atomique iranienne, et à neutraliser le pire

  • danger qu’ait connu l’État hébreu depuis sa création, Ahmadinejad ayantmenacéIsraëld’annihilation.Pourtant,cespetitesvictoiresnepeuventsuffireàcompenserlaplusgrave

    erreur commise par le Mossad dans toute son histoire. Depuis des années,l’Iran développait sa puissance nucléaire, et Israël n’en savait rien.Téhéranavait investi des sommes considérables, engagé des scientifiques, bâti desbases secrètes, procédé à des tests complexes, et Israël ne s’en était pasaperçu.Du jour où l’Iran de Khomeiny avait décidé de devenir une puissance

    nucléaire,ilavaitusédedésinformation,derusesetdestratagèmesquifirenttourner en bourrique les services occidentaux, dont leMossad. L’Iran avaittrompésonmondeettenduunpiègesubtilauxservicessecretsdel’Ouest–ettousétaienttombésdedans.Enfait,c’étaitleshahRezaPahlaviquiavaitlancélaconstructiondedeux

    réacteursnucléaires,dansunbutàlafoisciviletmilitaire.Lesprojetsdushahn’avaientsuscitéaucuneinquiétudeenIsraël.Aprèstout, l’Iranétaitunalliéproche.En1977, legénéralEzerWeizman,ministre israéliende laDéfense,avait reçu le général Hassan Toufainian, chargé de la modernisation del’arméeiranienne.Selonlesminutesdeleurrencontreultrasecrète,Weizmanaurait offert de fournir à l’Iran de l’équipement militaire moderne et desmissiles surface-surface dernier cri. Et le directeur général du ministère, ledocteur Pinhas Zusman, avait impressionné Toufainian quand il lui avaitexpliquéquelesmissilesisraélienspouvaientêtreadaptéspouremporterdesogives nucléaires. Cependant, à cause de la révolution iranienne, le projetconjointn’avaitjamaisvulejour.Legouvernementislamiquerévolutionnairemassacra les partisans du shah et se retourna contre Israël. Le monarque,souffrant,s’enfuittandisquesonpaystombaitauxmainsdesmollahs,dirigésparl’ayatollahKhomeiny.Cederniermitimmédiatementfinauprogrammenucléairequi,àsesyeux,

    était«anti-islamique».Laconstructiondesréacteursfutinterrompueetleurséquipements démantelés. Puis une guerre sanglante éclata entre l’Irak etl’Iran.SaddamHusseinutilisadesgaztoxiquescontrelesIraniens.Leursplusinfâmes ennemis ayant eu recours à des armements non conventionnels, lesreligieux changèrent d’orientation.Même avant le décès de Khomeiny, AliKhamenei, sonhéritierprésomptif,déclaraà ses forcesarméesque,puisquelesennemisdupaysutilisaientdesarmesdedestructionmassive,l’Irandevaitdoncdévelopperdenouvellesarmespoursedéfendre.Cefutlefeuvertàdes

  • programmes bactériologiques, chimiques et nucléaires. Les chefs religieux,obéissants,proclamèrentlorsdelaprièreduvendrediquel’interditétaitlevésur lesarmes«anti-islamiques».Peuàpeu,des informationsfragmentairescommencèrent à circuler sur les efforts iraniens dans ces domaines. Avecl’effondrementdel’Unionsoviétique,l’Europefutsubmergéederumeurs.LesIraniens tentaient d’acheter des bombes et des ogives à des officiers auchômageouàdesscientifiquesaffamésissusdel’anciencomplexemilitaro-industrielsoviétique.Lapressedécrivit,avecunluxededétailsangoissants,ladisparitiondescientifiquesetdegénérauxrusses,recrutés,semblait-il,parlesIraniens. Des journalistes à l’imagination enfiévrée parlaient de camionsscellés qui quittaient les marches orientales de l’Europe en échappant auxcontrôles frontaliers,àdestinationduMoyen-Orient.DessourcesàTéhéran,Moscou et Pékin révélèrent que l’Iran avait signé un accord avec laRussieportant sur la constructiond’un réacteurnucléaire àBushehr, sur la côtedugolfe Persique. Un autre accord avait été signé avec la Chine pour deuxréacteurspluspetits.DesinformationsquiinquiétèrentgrandementlesÉtats-UnisetIsraël.Des

    équipes d’agents spéciaux se répandirent enEurope, sur la trace de bombessoviétiques vendues à l’Iran et de scientifiques recrutés. Elles revinrentbredouilles. Les États-Unis exercèrent des pressions considérables sur laRussieetlaChinepourqu’ilsrompentleursaccordsavecl’Iran.LaChinefitmarchearrièreetannulasontraitéavecl’Iran.LaRussiedécidadecontinuer,maisnecessadèslorsd’enreporter lamiseenœuvre.Ilfallutplusdevingtanspourconstruireleréacteur,etencoreétait-illimitédanssonutilisationpardes contrôles très stricts tant de la part de laRussie que de la communautéinternationale.C’est ailleurs qu’Israël et les États-Unis auraient dû chercher afin de

    résoudrel’énigmeiranienne,maisilsn’enfirentrien.LespatronsduMossadet de la CIA ne comprirent pas que les réacteurs russe et chinois n’étaientqu’unécrandefumée,unepiluledestinéeàendormir«lesmeilleursservicessecrets dumonde ». Et pendant que lesAméricains, lesBritanniques et lesIsraéliens couraient après des leurres, l’Iran lançait clandestinement songigantesqueprogrammecenséfairedeluiunepuissancenucléaire.

    *

  • À l’automne 1987, une rencontre secrète fut organisée à Dubaï, sur lelittoraldugolfePersique.Huithommesse retrouvèrentdansunpetitbureaupoussiéreux : trois Iraniens, deux Pakistanais et trois spécialistes européens(dontdeuxAllemands)financésparTéhéran.Lesreprésentantspakistanaisetiraniens signèrent un accord top secret.Une sommed’argent importante futverséeauxPakistanaisou,plusprécisément,audocteurAbdulQadeerKhan,ledirecteurduprogrammenucléaireduPakistan.Quelques années plus tôt, le Pakistan avait lancé son propre programme

    atomique,dansl’espoirdeparveniràl’équilibreavecsonennemijuré,l’Inde.Le docteur Khan avait désespérément besoin des substances fissilesnécessairesàl’assemblaged’unebombenucléaire.Or,ilavaitchoisidenepasse servir du plutonium, que l’on récupère dans les réacteurs nucléairesclassiques,maisd’uraniumenrichi.Lemineraid’uraniumnecontientque1%d’uranium-235, vital pour la production d’armes nucléaires, et 99 %d’uranium-238, qui ne sert à rien.LedocteurKhandéveloppauneméthodeafindeconvertirl’uraniumnaturelengaz,etd’injectercegazdansunechaînede centrifugeuses, la cascade. Quand les centrifugeuses font tourner le gazd’uranium à la vitesse ahurissante de 100 000 tours parminute, l’uranium-235,plusléger,seséparedel’uranium-238,élémentpluslourd.Enrépétantceprocessusdesmilliersdefois,lescentrifugeusesproduisentdel’uranium235enrichi. Le gaz, une fois solidifié, forme la substance nécessaire à lafabricationd’unebombenucléaire.Enréalité,Khanavaitvolél’idéedescentrifugeusesàEurenco,unesociété

    pourlaquelleilavaituntempstravaillé.Ilselançaalorsdanslaconstructiondesonsystème.Ilsetransformabientôten«marchanddemort»,etsemitàvendre ses méthodes, ses formules et ses centrifugeuses. L’Iran fut sonprincipal client, mais la Libye et la Corée du Nord furent elles aussiintéressées.LesIraniensachetèrentaussidescentrifugeusesailleurs,puisapprirentàles

    fabriquer chez eux. D’énormes livraisons d’uranium, de centrifugeuses, dematériel électronique et de pièces détachées arrivèrent en Iran. De vastesinstallations furent construites pour le traitement de l’uranium brut, lestockage des centrifugeuses et la reconversion du gaz en solide. Desscientifiques iraniens se rendirent au Pakistan tandis que des expertspakistanaisvenaientenIran–etpersonnenelesavait.Les Iraniens avaient veillé à ne pasmettre tous leursœufs dans lemême

    panier. Leur programme nucléaire était éparpillé en plusieurs endroits dans

  • tout le pays, dans des bases militaires, des laboratoires camouflés, desinstallationséloignées.Certainssitesétaiententerrésenprofondeur,entourésdebatteriesdemissilessol-air.UnecentralefutconstruiteàIspahan,uneautreàArak.Laplusimportante,oùsetrouvaientlescentrifugeuses,futouverteàNatanz, et une quatrième dans la ville sainte de Qom. Dès qu’ilssoupçonnaient qu’un site était découvert, les Iraniens transféraient lesinstallationsnucléairesailleurs,allantjusqu’àretirerdescouchesdeterrequiauraientpuêtreirradiéespardessubstancesradioactives.Ilsparvinrentaussihabilementà tromper les inspecteursde l’Agence internationalede l’énergieatomique (AIEA). Le directeur de cette dernière, l’Égyptien MohammedElbaradei, secomportait commes’il croyaità toutes les faussesdéclarationsdes Iraniens, et publia des rapports complaisants qui permirent à l’Iran depoursuivresesprojetsmacabres.C’est le1 juin1998que,pour lapremière fois, lavéritable situation fut

    présentéedanssonétendueauxautoritésaméricaines.UndissidentpakistanaispassadevantdesenquêteursduFBIàNewYork,réclamantlestatutderéfugiépolitique. Il dit être le docteur Iftikhar Khan Chaudhry et dévoila lesramifications de la coopération entre l’Iran et le Pakistan. Il dénonça ledocteurKhan,décrivitlesrencontresauxquellesilavaitprispart,etdonnalesnomsdesspécialistespakistanaisquiavaientparticipéauprogrammeiranien.LeFBIvérifia les faitset leschiffres fournisparChaudhryetenconstata

    l’exactitude. Le Bureau recommanda donc que Chaudhry puisse rester auxÉtats-Unis en tant que réfugié politique – mais son incroyable témoignagen’eutpasdesuite!Lesresponsablesaméricainsenterrèrentlestranscriptionsdesesdéclarations,n’engagèrentaucuneactionetneprévinrentpasIsraël.Ilfallutattendrequatreansdeplusavantquelavéritéausujetdel’Irann’éclate.Soudain, en août 2002, le mouvement clandestin d’opposition iranien, le

    MEK(Moudjahidineel-Khalq)dévoilal’existencededeuxsitesnucléairesàAraketNatanz.Danslesannéesquisuivirent,leMEKcontinuaàdiffuserdesinformationssurleprogrammenucléaireiranien,cequiéveillalessoupçons:peut-être les informations du mouvement provenaient-elles de sourcesextérieures. La CIA estimait apparemment que le Mossad et le MI6britannique alimentaient leMEK en renseignements qu’ils avaient obtenus,espérantquel’oppositioniranienneseraitconsidéréecommeunesourcedignedefoi.Selondessourcesisraéliennes,ceseraitenfaitunofficiervigilantduMossad qui aurait découvert la gigantesque installation de centrifugeuses àNatanz, au cœur du désert. Toujours en 2002, l’opposition clandestine

    er

  • iranienneconfiaàlaCIAunordinateurportableregorgeantdedocuments.Lesdissidents nevoulurent pas révéler comment ils avaientmis lamaindessus.Sceptiques, les Américains supposèrent que les documents n’avaient étéscannésetentrésdans l’ordinateurquedepuispeu. Ilsaccusèrent leMossadd’avoirchargédansleportabledesdocumentsprovenantdesourcesdiverses,puisdelesavoirpassésauxchefsduMEKpourqu’ilslestransmettentàleurtouràl’Occident.D’autres preuves commençaient à s’accumuler sur les bureaux des

    AméricainsetdesEuropéens,quidurentenfinouvrirlesyeux.Lesrumeursàpropos dunégoce aussi sinistre que lucratif du docteurKhan se répandirentdans lemondeentier.Le4février2004,undocteurKhanen larmesapparutsur les écrans de la télévision pakistanaise, où il avoua qu’il avaiteffectivement vendu le savoir-faire, l’expertise et des centrifugeuses à laLibye, laCoréeduNordet l’Iran, cequi lui avait rapportédesmillions.Legouvernement pakistanais s’empressa d’accorder son pardon au « docteurMort»,lepèredesabombenucléaire.Israël était maintenant la principale source d’information sur l’Iran. Le

    Mossad de Dagan fournit aux États-Unis des informations récentes sur lesinstallationssecrètesbâtiesparlesIraniensàQom;IsraëlauraitégalementétéimpliquédansladéfectiondeplusieursmembresdehautrangdesGardiensdela Révolution et du programme nucléaire ; le Mossad transmit aussi desinformations de première main à plusieurs pays, les appelant à saisir, dansleursports,lesnaviresemportantdeséquipementsnucléairesàdestinationdel’Iran.Toutefoisces informations,àellesseules,nepouvaientsuffire. Israëlétait

    seulfaceàunIranfanatiséquilemenaçaitd’annihilation,etlerestedumonderépugnait à entreprendre quoi que ce soit de sérieux. Israël n’avait pas lechoix, il lui fallait déclencher une guerre totale,mais clandestine, contre leprogrammenucléaireiranien.Alors, après leséchecscatastrophiquesde sesprédécesseurs,qui s’étaient

    étaléssurseizeans,Dagandécidadepasseràl’action.

    *

    Enjanvier2006,unavions’écrasadanslecentredel’Iran.Iln’yeutaucunsurvivant.ParmilesvictimessetrouvaientdesofficiersgénérauxdesGardiens

  • delaRévolution,dontAhmedKazami,undeleurscommandantsenchef.LesIraniens affirmèrent que le crash était dû au mauvais temps, mais d’aprèsStratfor,l’appareilauraitétésabotépardesagentsoccidentaux.Un mois plus tôt, un avion de transport militaire s’était écrasé sur un

    immeubleàTéhéran.Lesquatre-vingt-quatorzepassagersétaienttousmorts.Làencore,beaucoupétaientdesofficiersdesGardiensdelaRévolution,ainsique des journalistes influents favorables au régime. En novembre 2006, unautre appareilmilitaire s’écrasa au décollage à Téhéran, causant lamort detrente-six Gardiens de la Révolution. À la radio, le ministre iranien de laDéfense déclara : « Selon les informations de sources proches durenseignement, nous sommes enmesure de dire que des agents américains,britanniquesetisraélienssontresponsablesdecescrashs.»Pendant ce temps-là, discrètement et sans qu’il en soit fait officiellement

    mention,MeirDaganétaitdevenulestratègedetoutelapolitiqueiraniennedel’Étathébreu.Ilétaitconvaincuqu’Israëln’auraitpeut-êtreenfindecompted’autre solution que d’attaquer l’Iran. Mais il ne pouvait s’agir que d’unultimerecours.En fait, les actes de sabotage avaient débuté dès février 2005. La presse

    internationalesignalauneexplosionsurunsitenucléaireàDialem,touchéparunmissiletirédepuisunavionnonidentifié.Etlemêmemois,uneexplosioneutlieuprèsdeBushehr,surunecanalisationquialimentaitengazleréacteurnucléairedefabricationrusse.Unautresitefutensuitevisé,celuideParchin,prèsdeTéhéran,destinéaux

    essais. Là, des spécialistes iraniens travaillaient au développement de la«lentilleexplosive»,lemécanismequitransformeraitlecœurdelabombeenmasse critique et déclencherait la réaction en chaîne d’une explosionatomique. L’opposition clandestine iranienne soutint que l’attaque contre lesitedeParchinavaitgravementendommagéleslaboratoiressecrets.En avril 2006, le saint des saints, l’installation centrale deNatanz, fut la

    scènede joyeusescélébrations.Une foulede scientifiques,de techniciensetles responsables du programme nucléaire se réunirent dans des sallessouterraines où des centaines de centrifugeuses tournaient nuit et jour.D’humeur festive, tous étaient venus assister au premier essai d’activationd’unenouvellecascadedecentrifugeuses.Toutlemondeattendaitlemomentcrucial où lesmachines seraient lancées. L’ingénieur en chef appuya sur leboutond’activation–etuneformidabledéflagrationébranlal’immensesalle.Lesconduitséclatèrentdansunedétonationassourdissanteettoutelacascade

  • futdétruite.Furieux, les chefs du projet exigèrent que l’on procède à une enquête

    minutieuse. Des « inconnus » avaient apparemment installé des piècesdéfectueuses dans les équipements.La chaîne américaineCBSannonçaqueles centrifugeuses avaient été neutralisées par des charges explosivesminuscules qui y avaient été fixées peu de temps avant le test. D’aucunsprétendirent également que les renseignements israéliens avaient aidé desagentsaméricainsàprovoquerl’explosiondeNatanz.En janvier2007, lescentrifugeuses furentunefoisdeplusvictimesd’une

    opérationcomplexedesabotage.Lesservicessecretsoccidentauxavaientcréédes sociétés écrans en Europe de l’Est qui produisaient des matériauxd’isolationutilisésdanslesconduitsreliantlescentrifugeuses.LesIraniensnepouvaientseprocurerlesleurssurlemarchélégal,dufaitdeslimitationsquileur étaient imposées par lesNations unies. Ils se tournèrent donc vers desentreprises de l’Europe de l’Est bidons, fondées par des exilés russes etiraniens qui travaillaient en réalité pour les services occidentaux. Ce n’estqu’une fois l’isolation posée que les Iraniens s’aperçurent qu’elle étaitdéfectueuseetnepouvaitêtreutilisée.Enmai2007,leprésidentBushavaitsignéunordreprésidentielsecretqui

    autorisait l’Agence à lancer des opérations clandestines afin de retarder leprogramme iranien. Peu après, la décision fut prise, par certains servicessecrets occidentaux, de saboter la chaîne de livraison des composants,équipementsetmatièrespremièresnécessairesauprojet.Depuis sept ans, les sites iraniens étaient le théâtre d’accidents, de

    sabotages et d’explosions à répétition. Un mystérieux incident causa desproblèmesdanslesystèmederefroidissementduréacteurdeBushehr,cequiretarda de deux ans l’achèvement des travaux. Enmai 2008, une explosiondans une usine de cosmétiques à Arak endommagea sérieusement le sitenucléaire voisin. Une autre explosion ravagea une installation de hautesécuritéàIspahan,oùdel’uraniumétaitconvertiengaz.Le New York Times a révélé que les Tinner, une famille d’ingénieurs

    suisses,avaientaidélaCIAàdévoilerl’existencedesprogrammesnucléaireslibyenet iranien,etque l’Agence leuravaitversé10millionsdedollars.LaCIA les aurait en outre garantis contre une action en justice intentée contreeux par les autorités helvétiques pour trafic de composants nucléaires. Lepère, Friedrich Tinner, et ses deux fils, Urs et Marco, avaient vendu uneinstallation d’alimentation électrique défectueuse au site de Natanz, ce qui

  • avaitabouti à ladestructiondecinquantecentrifugeuses.LesTinneravaientacheté des pompes de compression à la Pfeiffer Vacuum Company, unesociété allemande, les avaient fait trafiquer au Nouveau-Mexique, puis lesavaientvenduesauxIraniens.D’après l’hebdomadaire Time, le Mossad aurait été impliqué dans le

    détournementdel’ArcticSea,unnavirearméparunéquipagerusseetbattantpavillonmaltais,quitransportaitun«chargementdebois»depuislaFinlandejusqu’enAlgérie. Le 24 juillet 2009, deux jours après son départ, le bateauavait été arraisonnépar huit pirates. Il fallut attendreunmois avant que lesautorités de Moscou déclarent qu’une unité de commandos russes s’étaitemparéedunavire.LeTimesdeLondresetleDailyTelegraphaffirmèrentqueleMossadavaitdonnél’alarme.LeshommesdeDaganauraient informélesRussesquelenaviretransportaitunecargaisond’uranium,venduauxIraniensparunancienofficierrusse.Mais l’amiralestonienTarmoKouts, rapporteurdel’Unioneuropéennesurlapiraterie,aproposéuneautreversiondesfaitsauTime. La seule explication possible, a-t-il dit, est que le Mossad avaitarraisonnél’ArticSeapourintercepterl’uranium.Endépitdecesattaques incessantes, les Iraniensne restèrentpas inactifs.

    Entre2005et2008,danslesecretleplusabsolu,ilsconstruisirentunnouveausite à Qom. Ils prévoyaient d’y installer 3 000 centrifugeuses dans denouvelles salles souterraines. Mais à la mi-2009, ils comprirent que lesservices de renseignements des États-Unis, de Grande-Bretagne et d’Israëlconnaissaientparfaitementl’existencedelacentraledeQom.Ilsréagirentsur-le-champ. En septembre 2009, Téhéran prit la planète par surprise eninformant en toute hâte l’AIEA de l’existence du site deQom.À en croirecertainessources,lesIraniensauraientcapturéunespionoccidental(peut-êtreunagentduMI6britannique)qui avait collectédes informations fiables surQom.Ilschoisirentdoncd’enrévélerl’existencepourmasquerleurembarras.Unmoisplus tard,LeonPanetta, ledirecteurde laCIA,assurait auTime

    quesonorganisationétaitaucourantdepuis troisanspourQometqu’Israëlétaitimpliquédanssadétection.La découverte de Qom permit d’entrevoir cette alliance secrète entre les

    trois groupes engagés dans la bataille contre l’Iran : la CIA, le MI6 et leMossad. D’après des sources françaises, les trois services agissaient deconcert,leMossadsechargeantdesopérationssurleterritoireiranienaveclesoutiendesAméricains et desBritanniques.LeMossadétait responsabledeplusieursexplosionsenoctobre2010,quiavaiententraînélamortdedix-huit

  • techniciens iraniensdansuneusinedesmontsZagrosoù étaient assembléesles fusées Shahab. Avec l’aide de ses alliés britanniques et américains, leMossadavaitenoutreéliminécinqscientifiquesspécialistesdunucléaire.Cette allianceétait essentiellement le fruit des effortsdeMeirDagan.Du

    jour où il était devenu directeur duMossad, il avait poussé ses hommes àétablir des liens de coopération étroits avec des services étrangers. SesconseillersluiavaientrecommandédenepasdivulguerlessecretsduMossadà des étrangers, mais il avait balayé leurs arguments d’un revers de main.«Cessezcesidioties,avait-ilgrommelé,etallez-y,travaillezaveceux!»EndehorsdesBritanniquesetdesAméricains,Daganpouvaitcomptersur

    un autre allié important, source d’informations précieuses en provenanced’Iran:leschefsdelarésistanceiranienne.Àl’occasiond’unesuccessiondeconférencesdepresseextraordinaires,lesdirigeantsduConseilnationaldelarésistance iranienne dévoilèrent le nom du scientifique qui était auxcommandes du programme iranien. Jusqu’alors, son identité avait été tenuesecrète.MohsenFakhriZadeh,quarante-neufans,étaitprofesseurdephysiqueàl’universitédeTéhéran.Personnalitémystérieuseetinsaisissable,ilétaitàlatête du programme nucléaire militaire. La résistance fournit de nombreuxdétails à son sujet, dont le fait qu’il était membre des Gardiens de laRévolutiondepuis l’âgededix-huit ans, ainsi que son adresse– rueShahidMahallaiti,àTéhéran–,sesnumérosdepasseport–0009228et4229533–etmême lenumérode téléphonede sondomicile,021-2448413.FakhriZadehétaitunspécialisteduprocessuscomplexedecréationdelamassecritiqueàl’intérieurdudispositif atomiqueafindedéclencher la réactionenchaîneetl’explosionnucléaire.Sonéquipe travaillait également sur laminiaturisationdelabombedestinéeàêtreadaptéesurl’ogivedumissileShahab.Conséquencedecesrévélations,ilsevitrefuserl’entréesurleterritoiredes

    États-Unisetde l’Unioneuropéenne,et sescomptesenbanqueenOccidentfurent gelés. La résistance décrivit en détail toutes ses fonctions, révéla lesnomsdesescollaborateursetmêmel’emplacementdesonlaboratoiresecret.Faceàune telleabondanced’informations,onnepeutquesedemanderunefois de plus si « certains services secrets » n’auraient pas minutieusementrassemblécesfaitsetceschiffresavantdelesconfieràlarésistanceiranienne,qui les aurait alors transmis à l’Occident. La révélation de l’existence deFakhriZadehavaitpourobjectifdelemettreengarde.Ilrisquaitd’être«leprochain sur la liste » des assassinats. On espérait ainsi qu’il adopterait unprofilbasouchoisiraitlameilleuresolution:ilferaitdéfection.LegénéralAli

  • RezaAsgari,ancienadjointauministredelaDéfense,avaitdisparuenfévrier2007alorsqu’ilétaitendéplacementàIstanbul.Ilétaittrèsimpliquédansleprogramme nucléaire. Les services iraniens le cherchèrent dans le mondeentier,envain.Prèsdequatreansplustard,enjanvier2011,AliAkbarSalehi,ministre iraniendesAffairesétrangères, lançaunappelausecrétairegénéraldes Nations unies et accusa leMossad de l’avoir enlevé et emprisonné enIsraël.LeSundayTelegraphdeLondresaffirmaqu’Asgariétaitpasséàl’Ouest;le

    Mossad aurait préparé sa défection et s’était chargé de sa protection enTurquie.D’autressourcessoutiennentqu’ilauraitensuiteétéinterrogéparlaCIA, à qui il aurait fourni des informations précieuses sur le programmenucléaireiranien.Un mois après Asgari, en mars 2007, un autre officier général iranien

    disparut. Amir Shirazi servait dans l’unité al-Quds, la force d’élite desGardiens de la Révolution responsable des opérations secrètes à l’extérieurdesfrontièresdupays.UnesourceiraniennerévélaauTimesdeLondresqu’endehorsdesdisparitionsd’AsgarietShirazi,unautreofficiers’étaitvolatilisé:MohammadSoltani,commandantdesGardiensdelaRévolutionpourlegolfePersique.En juillet 2009,ShahramAmiri, spécialiste dunucléaire, rejoignit la liste

    desdéfections.Amiri,quiétaitemployéàQom,disparutenArabieSaouditependant un pèlerinage à LaMecque. Les Iraniens exigèrent des Saoudiensqu’ilsdécouvrentcequiluiétaitarrivé.AmirirefitsurfacequelquesmoisplustardauxÉtats-Unis,oùilfutsoumisàuninterrogatoireexhaustif,avantdesevoir offrir cinq millions de dollars, une nouvelle identité et une nouvelleadresseenArizona.DessourcesprochesdelaCIAdévoilèrentqu’iltravaillaitdepuisdesannéescomme informateurpour lesservicesoccidentauxetqu’illeur avait fourni des renseignements « originaux et substantiels ». Amirirévéla que l’université Malek Ashtar, où il avait enseigné, servait decouverture à une unité de recherche qui concevait les têtes des missilesiraniensàlongueportée.EtcetteuniversitéétaitdirigéeparFakhriZadeh.Au bout d’un an passé en Amérique, Amiri changea d’avis et décida de

    rentrerenIran.Iln’auraitpusupporterlestressliéàsanouvellevie.Dansunevidéoartisanalediffusée sur Internet, il affirmaavoir étéenlevépar laCIA.Quelques heures plus tard, il en mit une autre en ligne pour démentir lapremière,puisunetroisièmequicontredisaitladeuxième.Ilentraencontactavecl’ambassadepakistanaise,quireprésentaitlesintérêtsdel’IranauxÉtats-

  • Unis,etdemandaàêtrerenvoyédanssonpays.LesPakistanaisl’aidèrent.Enjuillet2010,ilatterritàTéhéran.Ilpritpartàuneconférencedepresse,accusala CIA de l’avoir enlevé et de l’avoir maltraité. Puis il disparut. Desobservateurs reprochèrent à laCIAd’avoir échoué,mais un porte-parole del’Agence riposta : «Nous avons obtenudes informations importantes et lesIraniensontrécupéréAmiri;alors,quiafaitlameilleureaffaire?»Mais les Iraniens n’étaient pas sans ressources contre le Mossad. En

    décembre2004,l’Iranavaitarrêtédixpersonnessoupçonnéesd’espionnageauprofitd’Israël etdesÉtats-Unis ; troisd’entreelles travaillaient sur les sitesnucléaires.En2008,lesIraniensaffirmèrentavoirdémanteléuneautrecellulecomposéedetroisressortissantsiraniensentraînésparleMossadàutiliserdeséquipements de communication, des armes et des explosifs complexes. Ennovembre 2008, Ali Ashtari, jugé coupable d’espionnage pour Israël, futpendu. Au cours de son procès, il reconnut avoir rencontré trois agents duMossad en Europe. Ils lui auraient fourni de l’argent et des équipementsélectroniques.«LesgensduMossadvoulaientquejevendedesordinateursetdes équipements électroniques aux services de renseignements iraniens, surlesquelsj’auraisplacédessystèmesd’écoute»,témoigna-t-il.Le28décembre2010,danslasinistrecourdelaprisond’Evin,àTéhéran,

    les autorités iraniennes firent pendre un autre espion, Ali-Akbar Siadat,condamné pour avoir travaillé pour le Mossad, lui avoir fourni desinformations sur les capacités militaires du pays et sur le programme demissiles géré par les Gardiens de la Révolution. Au fil des six annéesprécédentes, Siadat avait rencontré des agents israéliens en Turquie, enThaïlandeetauxPays-Bas,etavait touchédesversementsde3000à7000dollars à chacune de ces rencontres. Le régime iranien promit que d’autresarrestationsetexécutionssuivraient.2010 fut une année particulièrement dévastatrice pour le programme

    nucléaire iranien.Était-ceàcausedumanquedepiècesdétachéesdequalitépourleséquipements?ÀcausedescomposantsetdesmétauxdéfectueuxquelesfaussessociétésduMossadvendaientàTéhéran?Àcausedesaccidentsd’avion, des incendies dans les laboratoires, des explosions sur les sitesatomiquesetdemissiles,desdéfectionsdehautsresponsables,delamortdescientifiques importants, des révoltes et des troubles dans les minorités –autantd’événementsetdephénomènesquel’IranattribuaitauxhommesdeDagan?Ouétait-ceàcausedudernier«grandcoup»deDagan,d’aprèslapresse

  • européenne ? Durant l’été 2010, des milliers d’ordinateurs contrôlant leprogrammenucléaire iranien furent infectés par le redoutable virusStuxnet.Dépeint comme l’un des plus sophistiqués dumonde, Stuxnet s’en prit auxordinateurs qui contrôlaient les centrifugeuses de Natanz et sema le chaos.Comptetenudesacomplexité,ilétaitévidentquelevirusavaitétéconçuparune équipe d’experts, et que son développement et son injection dans unréseau d’ordinateurs extrêmement protégés avaient nécessité des fondsconsidérables.Ilavaitentreautrespourcaractéristiquedepouvoirêtreorientésur un système spécifique, sans porter atteinte aux autres en chemin. Saprésence, difficile à détecter, pouvait modifier la vitesse de rotation d’unecentrifugeuse et compromettre la qualité de ses produits sans que personnes’enaperçoive.Pour lesobservateurs au fait de ces technologies,deuxpaysavaientlesmoyensdedéclencherunecyberattaquedecetype:lesÉtats-UnisetIsraël.En Iran, le président Ahmadinejad s’efforça de minimiser la portée de

    Stuxnetetdéclaraquesonpaysavaitlasituationenmain.Enréalité,audébutde2011,prèsdelamoitiédescentrifugeusesiraniennesétaientparalysées.En août 2007, lors d’une rencontre secrète avec Nicolas Burns, sous-

    secrétaired’Étataméricain,Dagandécrivit«lescinqpiliers»delastratégieisraéliennevis-visdel’Iran.A–Pressiondiplomatiqueetsanctionsimposéespar le Conseil de sécurité des Nations unies. B – Contre-prolifération :empêcherlesIraniensdeseprocurerlesélémentsnécessairesàlaproductiond’unebombe.L’Iranimportaitdesmilliersdecomposantsdanscebut.S’ilneles recevait pas, la fabrication de l’arme serait interrompue. C – Guerreéconomique:interdireauxbanquesdumondelibredefairedesaffairesavecTéhéran.Troisbanquesiraniennes,soulignaDagan,étaientdéjàsurlepointdes’effondrer. D – Changement de régime, en soutenant et en fomentantl’agitationestudiantine,etenattisantlesdivisionsethniquesauseindupays,où les Kurdes, les Azéris, les Béloutches, les Arabes et les Turkmènesreprésentent50%delapopulation.E–Mesuresclandestines(etimmédiates),opérationsspécialescontreleprogrammeiranien.Toutefoisellesnepouvaientpasymettreuncoupd’arrêtdéfinitif,aussidouéesqu’ellesaientété.«Daganest un authentique JamesBond », a déclaré un analyste israélien proche dusecteur,maisdanscecasprécis,mêmeJamesBondnepouvaitpassauverlemonde. Au mieux, il pouvait retarder les Iraniens. Seule une décision dugouvernementdeTéhéranouuneoffensivemassivede l’étrangerpourraientmettreun termeà ce rêvedevoirnaîtreun terriblegéantnucléaire làoù se

  • dressaitautrefoisl’Empireperse.Etpourtant,quandDaganavaitéténomméRamsad(abréviationde«Rosh

    Hamossad », chef du Mossad), les analystes prédisaient que l’Iran seraitnucléariséen2005.Cettedatefutensuitereportéeà2007,puis2009,2011.EtquandDaganquittasesfonctions,le6janvier2011,ilfitsavoiràsonpaysqueles projets iraniens avaient été repoussés au moins jusqu’en 2015. Parconséquent,ilrecommandaitdepoursuivrecesactions,quiavaientconnuuntel succès au cours des huit années précédentes, et de suspendre tout projetd’attaque militaire contre l’Iran. Ce n’est que quand la lame du poignardcommenceraànousentamerleschairsqu’ilnousfaudraattaquer,dit-il.Etlalameenquestionavaitdésormaisaumoinsquatreansàattendre.Dagan a travaillé comme Ramsad pendant huit ans et demi – plus

    longtempsquen’importequelautredirecteurduMossad.IlaétéremplacéparTamirPardo,vétérandesservicesquiadémarrésacarrièreopérationnelleentant que proche conseiller de Yoni Netanyahu, héros du raid israélien surEntebbeen1976.Plustard,ils’estdistinguéparsonaudace,samaîtrisedesnouvellestechnologiesetsoninventivitédansledomainedesopérationsnonconventionnelles.EnpassantleflambeauàPardo,Daganaévoquélaredoutablesolitudedes

    agentsduMossadquiopèrententerritoireennemi,oùilsnepeuventcomptersurpersonne,oùpersonnenepeutvenirlessauverencasd’échec.Ilaaussireconnuentoutehonnêtetéquelques-unsdesespropreséchecs,commelefaitde ne pas avoir pu trouver le lieu où le Hamas détenait le soldat israélienGiladShalit,enlevécinqansplustôt.Malgrétout,sesaccomplissementsfontdeluilemeilleurRamsadàavoirjamaisétéenexercice.LePremierministreBenjaminNetanyahul’aremercié«aunomdupeuplejuif»,luidonnantunechaleureuse accolade. Les ministres du gouvernement israélien ont eu uneréactionspontanéesansprécédent:ilssesontlevésetontapplaudileRamsaddesoixante-cinqans.GeorgeW.Bushl’afélicitédansunelettrepersonnelle.Maisc’estunanplustôtqu’ilaeudroitàl’hommageleplusmarquantde

    l’étranger,danslespagesdujournalégyptienAlAhram.Le16janvier2010,lequotidien,connupourêtrel’undesplusvirulentsetdesplushostilesdanssescritiques contre Israël, publia un article d’un tout autre genre, du célèbreauteur Ashraf Abou El Hul. « Sans Dagan, écrivit El Hul, le programmenucléaireauraitétéachevéilyadesannées[…].LesIranienssaventquiestderrièrelamortduscientifiqueMasoudAliMohammadi.Touslesdirigeantsiraniens le savent, le mot clé, c’est Dagan. Seules quelques personnes

  • connaissentlenomdudirecteurduMossadisraélien.Iltravailladiscrètement,loindel’attentiondesmédias.Maisdurantlesseptdernièresannées,ilaportédes coups terribles au programme nucléaire iranien et a bloqué saprogression.»« Le Mossad est responsable de plusieurs opérations audacieuses au

    Moyen-Orient », ajouta El Hul, citant quelques-uns des exploits de DagancontrelaSyrie,leHezbollah,leHamasetleDjihadislamique(voirchapitres18 à 20). « Tout cela, conclut-il, a fait de Dagan le Superman de l’Étatd’Israël.»

    *

    Enmai1948,àlanaissancedesservicessecretsisraéliens,iln’yavaitpasdesurhommesautourdesonberceau,seulementd’obscursvétéransduShay,qui avaient déjà acquis une grande expérience dans le domaine del’espionnage et des opérations clandestines. Le Shay était le service derenseignements de la Haganah, la principale organisation armée de lacommunautéjuivedePalestine.Or,leschefsduShay,ceshumblesetdévouéscombattantsdel’ombre,ne

    pouvaientimaginerqueleurserviceembryonnaireallait,pendantplusd’unan,êtresecouéparlaviolence, lesluttesintestines, lacruautéet lemeurtre,uneterriblecalamitéconnueaujourd’huisouslenomde«l’affaireBe’eri».

  • 3

    PendaisonàBagdad

    IsserBe’eri,dit« Isser leGrand»,étaitdehaute taille,dégingandé,avecdescheveuxgrisonnantsetépars.Soussessourcilsbroussailleux,ilavaitdesyeux enfoncés et sombres, et ses lèvres minces se tordaient souvent en unsourire narquois. Né en Pologne, il avait la réputation d’être un ascète, unhommemodested’uneintégritésansfaille.Maissesrivauxprétendaientqu’ilétaitenréalitéunmégalomaneféroceetdangereux.Membrede longuedatede la Haganah, Isser le Grand était directeur d’une entreprise de travauxpublicsàHaïfa.C’étaitunsolitaire,asocialetavaredemots,etilvivaitavecson épouse et son fils dans une petite maison balayée par le vent dans levillagecôtierdeBatGalim.Peuavantlacréationd’Israël,Be’eriavaitéténomméchefduShayparles

    commandantsdelaHaganah.Quandlaguerred’Indépendanceavaitéclaté,le14mai1948,Israëlavaitétéattaquédetouslescôtésparsesvoisins,etBe’eriétait devenu le patrondes tout nouveaux services secrets de l’armée.Be’eriétait actif au sein de l’aile gauche du mouvement travailliste et jouissaitd’excellentes relations dans les cercles politiques. Ses amis et collèguessaluaientsonengagementpourladéfensed’Israël.Laguerred’Indépendanceprit fin en avril 1949. À la déclaration d’indépendance, le 14mai 1948, ildevintlepatrondesnouveauxservicessecretsmilitaires.Be’eriétaitunmembreactifdel’ailegauchedumouvementtravailliste,et

    bénéficiait d’excellentes connexions politiques. Ses amis et ses collègueslouaientlaferveurqu’ilmettaitàdéfendreIsraël.Pourtant,peuaprèsavoiréténomméàlatêtedesservicessecrets,desévénementsétrangesetterrifiants–apparemmentsansaucunlienentreeux–commencèrentàseproduire.SurlemontCarmel,uncouplederandonneursfitunedécouvertemacabre.

  • Dansune ravineprofondeaupiedde lahauteur, ils retrouvèrentuncadavrecriblédeballes,enpartiecarbonisé.Ils’agissaitd’uninformateurarabebienconnu des services, Ali Kassem. Ses assassins l’avaient abattu puis avaienttentédebrûlersoncorps.Quelques semaines plus tard, lors d’une réunion secrète avec le Premier

    ministre Ben Gourion, Isser le Grand accusa Abba Hushi, personnalitéinfluenteduMapai,lepartideBenGourion,d’êtreuntraîtreetunagentdesBritanniques.LePremierministreenfutabasourdi.LaGrande-Bretagneavaitété la puissance tutélaire en Palestine avant l’indépendance, et la HaganahavaitmenéunelutteclandestinecontrelesrestrictionsimposéesparLondresàla communauté juive. Les renseignements britanniques n’avaient cessé detenter d’infiltrer la hiérarchie juive. Mais Abba Hushi, pilier de lacommunautéetchefcharismatiquedesouvriersdeHaïfa,untraître?Celasemblaitimpossible.Audébut,lesdirigeantsisraéliensmisaucourant,

    indignés,rejetèrentlesaccusationsdeBe’eri.MaisildéposasurlebureaudeBen Gourion des preuves irréfutables de la trahison : deux télégrammesconfidentielsenvoyésparlesservicesbritanniques,queBe’erietseshommesavaienttrouvésàlapostedeHaïfaenmai1948,etquidémontraiententermesclairsqu’AbbaHushiétaitunagentbritannique.Danslemêmetemps,Be’eriordonnaitl’arrestationdeJulesAmster,unami

    deHushi.Be’erifitemmenerAmsterdansunesalined’Atlit,enbanlieuedeHaïfa, lefitpasserà tabacet torturerpendantsoixante-seizejourspourqu’ilavoue queHushi était un traîtreméprisable.Amster refusa, et finit par êtrerelâché. Brisé, il n’avait plus de dents, ses jambes étaient couvertes deblessuresetdecicatrices,etilvivaitdésormaisdanslapeur.Le30juin1948,unautredrameavaiteulieu.Alorsqu’ilfaisaitsescourses

    surunmarchédeTel-Aviv,lecapitaineMeirTubianskyavaitétéinterpelléetemmené à Beth Giz, village arabe occupé depuis peu. Tubiansky étaitsoupçonnépar le renseignementmilitaired’avoir, à l’occasiond’unséjouràJérusalem,révélédesinformationsultrasecrètesàunressortissantbritanniquequi, à son tour, les avait confiées à laLégionarabe, l’arméede la Jordanie.S’appuyant sur ces informations, l’artillerie jordanienne avait lourdementpilonnéplusieursobjectifsstratégiquesdanstoutJérusalem.Lorsd’unprocèsencourmartialequiduramoinsd’uneheure,ilfutaccuséd’êtreunespionàlasoldedesArabes,jugécoupableetcondamnéàmort.Unpelotond’exécutionassemblé à la hâte le fusilla sous les yeuxd’ungroupede soldats israélienséberlués. (Tubiansky sera la seule personne jamais exécutée en Israël, à

  • l’exceptiond’AdolfEichmann.)Toutes les enquêtes aboutissaient au même responsable : Isser le Grand.

    C’étaitluiquiavaitsoupçonnéAliKassemd’êtreunagentdoubleetquiavaitordonnésonassassinat.Aprèscemeurtre, ilyavaiteulecoupmontécontreHushi. D’après certains des enquêteurs, Isser le Grand avait un comptepersonnelàrégleravecAbbaHushietavaitdécidédelepiéger.Ilauraitpeut-êtreréussisileprincipalfaussaireemployéparlesservicessecrets,rongéparla culpabilité, n’avait avoué à ses supérieurs qu’il avait falsifié lestélégrammesincriminantAbbaHushi,surl’ordredirectdeBe’eri.Et c’était encore Be’eri qui avait ordonné l’arrestation précipitée et

    l’exécutionducapitaineTubiansky.Le Premier ministre Ben Gourion réagit immédiatement. Be’eri fut jugé

    devantuntribunalmilitaire,puisparlajusticecivile,ilfutdégradéetchassédel’arméeisraélienne,inculpépourlesmortsd’AliKassemetdeTubiansky.Lesdirigeantsisraéliensétaientsidérés.LesméthodesdeBe’eriétaientdignesdu tristement célèbre KGB ; sa personnalité sinistre, sa propension à faireusagede faux,à tortureret àassassiner jetaientuneombre sur lesprincipesmorauxethumanistessurlesquelsavaitétéfondéIsraël.L’affaireBe’eri laissaitunevilainecicatricesur lesServicessecretseteut

    un impact profond sur leur évolution. Si, en temps de guerre, les dirigeantscivilsavaienthésitéàcondamnerBe’eri,lesservicessecretsseraientpeut-êtredevenustrèsdifférents.IlsauraientfortbienpusetransformerenunesortedeKGBpourlequelilétaitcourantdepiégerdesvictimes,d’utiliserdesfaux,detortureretd’assassiner.Ainsi, à long terme, cet épisode sordide eut des conséquences positives

    pourIsraël.Àl’avenir,lesméthodesdeBe’eriseraientinterdites.Lesservicessecrets eux-mêmes imposèrent des limites à leurs propres pouvoirs ets’inspirèrent, pour leurs opérations futures, des principes légaux et morauxgarantissantlesdroitsdesindividus.Aveclamiseàl’écartdeBe’eri,c’estunautre homme qui joua un rôle central dans lemonde de l’ombre israélien :ReuvenShiloach.

    *

    Reuven Shiloach était un personnage mystérieux. Ce quadragénaire à lavoixdouce,d’uneremarquableculture,étaitdouéd’unespritvifetanalytique,

  • etd’uneconnaissanceapprofondieduMoyen-Orient arabe,de ses traditionstribales,desesclans,desesalliancesvolatilesetdesesvendettassanglantes.Undesesadmirateursdisaitdeluiqu’ilétait«lareinedel’échiquierdeBenGourion ». Quelques-uns le comparaient au rusé cardinal de Richelieu.D’autres le considéraient comme un habile manipulateur, un maîtremarionnettiste,unhommequisavaitquellesficelles tirerencoulisses.Toutesa vie, Shiloach avait pris part à des missions secrètes et des opérationsclandestines.Fils de rabbin, Shiloach, aimable et poli, était né dans laVieilleVille de

    Jérusalem.Toujoursvêtuavecsoin,ce jeunehommesvelteau frontdégarniavait été envoyé en mission à Bagdad, longtemps avant l’indépendanced’Israël.IlavaitvécutroisansenIrak,sefaisantpasserpourunjournalisteetunenseignant,toutenétudiantlaviepolitiquedupays.Parlasuite,ildevintconseiller politique de David Ben Gourion. Pendant la Seconde Guerremondiale, il négocia avec les Britanniques la création d’une unité decommandos juifs qui se verrait confier desmissions de sabotage enEuropeoccupée.Ilcontribuaàlamiseenplacededeuxunitésspécialesdecetype:l’uneétaitlebataillonallemand,équipéd’armesetd’uniformesallemandsetqui entreprit des missions audacieuses derrière les lignes ennemies enEurope ; l’autre était le bataillon arabe, dont lesmembres parlaient l’arabe,s’habillaient comme des Arabes, et étaient entraînés pour opérer enprofondeur en territoire arabe. Il convainquit également les Britanniques deparachuter des volontaires juifs de Palestine en Europe occupée afind’organiser la résistance juive contre les nazis. Shiloach fut le premier àétablirdescontactsavecl’OSS(OfficeofStrategicServices),prédécesseurdelaCIA.Àlaveilledelaguerred’Indépendanceisraélienne, ilserenditdanslescapitalesarabesvoisinespouryeffectuerdesmissionsd’espionnage,etenrapportauntrophéeinestimable:lesplansd’invasiondesarméesarabes.Satendanceàtoujoursagirdanslesecretleplusabsoludonnanaissanceà

    denombreuseslégendes.Sesamisavaient l’habitudederaconterqu’unjour,alorsqu’ilprenaituntaxi,lechauffeurluiavaitdemandé:«Oùva-t-on?»EtShiloachluiauraitrépondu:«C’estunsecretd’État.»Pendant la guerre d’Indépendance, Shiloach commanda le « Service

    d’information politique extérieur ». C’était l’un des multiples groupes derenseignement quasi autonomes créés avant la naissance d’Israël. Le 13décembre1949,BenGourionordonnal’établissementd’un«institut[mossad,en hébreu] pour coordonner les agences de renseignements de l’État », qui

  • seraitdirigéparReuvenShiloach.Mais le Mossad ne fut créé qu’au bout de deux ans de retards et de

    querelles. Celles-ci étaient principalement le fait d’une unité, le«Départementpolitique»,dontlesmembrescollectaientdesrenseignementsàl’étranger,bénéficiaientdecopieusesnotesdefraisetmenaientgrandtrain,comme autant de James Bond. Quand ils eurent vent du projet dedémantèlement de leur unité, qui devait être incorporée au Mossad, ils serévoltèrent et… refusèrent de continuer à espionner pour Israël. Ce n’estqu’unefois leurfronderéprimée–tousoupresqueayantété licenciés–queShiloachputvéritablementcréerleMossad.Sonappellationofficielleseraitfinalement«l’Institutderenseignementet

    des opérations spéciales », et sa devise était tirée des Proverbes, 11,14 :«Fautededirectionunpeuplesuccombe,lesuccèstientaugrandnombredeconseillers. »Ni son nouveau nom, ni sa devise n’en faisait quelque chosed’unique.Unecaractéristiquelerendraitexceptionnel.ShiloachtenaitàcequeleMossadaitlebraslong,nonseulementpourIsraël,maispourl’ensembledupeuplejuif.Lorsd’uneréunionavecsespremièresrecrues,leRamsadlança:«Outretouteslesfonctionsdesservicessecrets,nousavonsuneautregrandemission : protéger le peuple juif, où qu’il se trouve, et organiser sonémigration en Israël. » Et effectivement, dans les années qui suivirent, leMossad aida secrètement à la création d’unités d’autodéfense là où lacommunautéjuiveétaitendanger:LeCaire,Alexandrie,Damas,Bagdad,etquelques villes d’Amérique du Sud. De jeunes Juifs militants étaientdiscrètementamenésenIsraël,oùilsétaientformésparl’arméedeterreetleMossad,ontransféraitdesarmesencontrebandedanslespaysmenaçantset,sur place, les Juifs étaient regroupés en unités clandestines d’autodéfense.L’objectif était de développer des forces capables de défendre lescommunautésjuiveslorsd’émeutesoucontredesgroupesarmésirréguliers– au moins le temps qu’interviennent les forces gouvernementales, ou lesorganisationsinternationales.Etce fut leMossadqui,dans lesannéescinquante, fitveniren Israëldes

    dizainesdemilliersdeJuifsenpérildanslespaysarabesduMoyen-OrientetauMaroc.Desannéesplustard,danslesannéesquatre-vingt,c’estencoreleMossad qui organisa le sauvetage de Juifs pris au piège dans l’Iran deKhomeiny,etquisechargeadel’exodemassifdesJuifsd’ÉthiopieversIsraël.MaissapremièreopérationclandestineenIrakfutundésastre.

  • *

    Dans le grand magasin Ouruzdi Bek de Bagdad, rue Rachid, un jeunehommedunomd’Assad tenait le rayondes cravates.Réfugiépalestinien, ilavaitquittésonfoyerd’Acreaprèslaprisedelavilleparl’arméeisraélienne.Peudetempsavantsondépart,ilavaitdonnéuncoupdemainàsoncousin,serveur dans un café près de l’édifice du gouverneur militaire, et l’avaitremplacé alors qu’il était souffrant. Pendant une semaine, Assad avaitparcourulescouloirsdubâtimentdugouverneurmilitaire,portantunplateaudecuivredécoréet servantdeminuscules tassesdevigoureuxcafé turcauxofficiers de l’armée israélienne. Les visages de certains d’entre eux étaientrestésgravésdanssamémoire.Ce jour-là à Bagdad, le 22 mai 1951, il observait les clients qui

    déambulaientdans lemagasinquandil remarquaunvisagefamilier.Non,sedit-iltoutd’abord,c’estimpossible!Pourtant,ilsesouvenaitbiendel’hommequ’ilvenaitdevoir,nonenchemisetteetpantalond’étécommeaujourd’hui,maisenuniformekaki.Assadappelaaussitôtlapolice:«Jeviensdevoirunofficierisraélien!Ici,àBagdad!»La police eut tôt fait d’arrêter l’homme, qui avait l’air européen et était

    accompagnéd’unJuifirakienquelconquequiportaitdeslunettes.Cederniers’appelait Nishim Moshé, et il expliqua aux forces de l’ordre qu’il n’étaitqu’unsimplefonctionnaireauCentrecommunautairejuif.«J’airencontrécetouristehier,àunconcert,affirma-t-il,etilm’ademandédeluifairefaireletour des boutiques. » Arrivés au quartier général de la police, les deuxhommes furent séparés. Les enquêteurs irakiens interrogèrent Moshé sansménagement au sujet de l’homme, identifié comme un Israélien.Moshé nedéviapasdesaversion:iln’avaitrencontrécetouristequelaveille,ilneleconnaissaitpas.Dans lescavessombresduquartiergénéralde lapolice, lesinterrogateurs attachèrent Moshé au plafond par les pieds, puis par lespoignets, ils lepassèrentà tabac,menacèrentde le tuer.Mais leurmisérableprisonnier ne savait apparemment rien. Après une semaine de torture, lesIrakiens, persuadés que Nishim Moshé était un personnage insignifiant, lerelâchèrent.L’autredétenunecessaitderépéterqu’ilétaitiranien,qu’ils’appelaitIsmaïl

    Salhoun, et il montra son passeport iranien à ses geôliers. Mais ilscontinuèrentàletorturer.IlneressemblaitpasàunIranien,etilneparlaitpasunmotdepersan.Pourfinir,ilsorganisèrentuneconfrontationavecAssad,le

  • Palestinien qui l’avait identifié. « Mon sang s’est figé quand je l’ai vu »,racontaplustardleprisonnier.Ilcraquaetavoua:ils’appelaitYehudaTaggar(«Yudke»Tadjer)etétaituncapitaineisraélien.Lesinspecteursletraînèrentjusqu’à son appartement, fracassèrent les meubles, sondèrent les murs, etdécouvrirent la cachette où étaient remisés des documents – un dossiervolumineuxscotchéaufondd’untiroirdesonbureau.Alors, le cauchemar commença, non seulement pour Taggar, mais pour

    toutelacommunautéjuivedeBagdad.Plusieursorganisationsclandestinesjuivesetisraéliennesopéraientdansla

    ville, dont une unité d’émigration illégale, un groupe d’autodéfense etquelques mouvements sionistes et de jeunesse. La création de certainsremontaitmêmeàavantlanaissancedel’Étatd’Israël.Unpeupartoutdanslacapitale irakienne, des armes et des documents étaient stockés dans descaches,ycomprisdanslasynagogueMas’udaShemtov,danslecentre.Àcesgroupes s’étaient ajoutés depuis peu des réseaux d’espionnage,montés à lahâte avant la création du Mossad. Il n’y avait pratiquement aucuncloisonnement,etlachuted’unecellulerisquaitd’entraînerfacilementtouteslesautres.LesJuifsirakiensétaientassissurunbarildepoudre: l’Irakétaitl’ennemileplusacharnédujeuneÉtatd’Israël,leseulàavoirrefusédesignerunarmisticeaveclui.TouslesmembresdesréseauxjuifsclandestinssavaientquelesIrakienssemontreraientsanspitié,etqueleurvienetenaitqu’àunfil.C’est pour cette raison que Yehuda Taggar y avait été dépêché, afin de

    détacher la filière d’espionnage de toutes les autres. Ancien officier duPalmah,uneunitéd’élitede laHaganah,Taggar, jeunehommesouriantà lamècherebelle,avaitvingt-septans.C’étaitsapremièremissionàl’étrangeret,avant d’être arrêté, il avait fait tout son possible pour isoler le réseau qu’ildirigeait des autres groupes. Malgré tout, quelques-uns de ses hommesprenaientégalementpartàd’autresactivitéssecrètes.UnautreIsraélien,PeterRaniv (« Rodney l’Hindou »), était doté d’un authentique passeportbritannique. Il commandait un réseau distinct, mais restait en contact avecTaggar.LescommunicationsentreTaggaretTel-Avivpassaientparlechefdetous lesgroupesenactivitéàBagdad,unhommemystérieux,dontbienpeuconnaissaientlavéritableidentité.Ils’appelaitMordechaiBen-Porat,Israélienné en Irak, ancien officier de la guerre d’Indépendance, mais il agissait àBagdadsouslenomdeZakiHaviv.Iln’avaitpastenuàrevenirenIrak,étantsur le point de semarier avec une jeune femmequ’il avait rencontrée dansl’armée, mais il avait finalement cédé aux pressions des gens du

  • renseignementets’étaitlancédanscettemissionpérilleuse.Dans les jours qui suivirent l’arrestation de Taggar, toute l’organisation

    secrètes’écroula.DesunitésdelapolicespécialeirakienneinterpellèrentdesdizainesdeJuifs.Quelques-unscraquèrentlorsdesinterrogatoiresetmenèrentleurs tourmenteurs jusqu’à leurs planques. Les Irakiens découvrirent desdocuments reliantcertainsJuifsàdesactivitésd’espionnage.Sous lesdallesde la synagogueSemtov, la police découvrit une énorme cached’armesquis’était constituée au fil du temps à partir de 1941 quand, lors d’un pogromsanglant, 179 Juifs avaient étémassacrés, 2 118 blessés et des centaines defemmes violées. Les Irakiens furent stupéfaits par la quantité d’armesretrouvées : 436 grenades, 33 pistolets-mitrailleurs, 186 revolvers,97 chargeurs de fusils-mitrailleurs, 32 poignards de commando et 25 000cartouches.Pendant les terribles séances d’interrogatoire, un nom revenait

    constamment : Zaki Haviv, le mystérieux patron des réseaux clandestins.Mais qui était-il ? Et où se trouvait-il ? Enfin, un jeune enquêteur établithabilement le lien : Zaki Haviv ne pouvait être que Nishim Moshé, cepersonnage falot qui avait été interpellé en même temps que Taggar avantd’être remisen liberté.Desdizainesd’agentseffectuèrentunedescentechezMoshé, mais n’y trouvèrent personne. Bagdad devint le théâtre d’unegigantesquechasseàl’homme.Envain.ZakiHavivs’étaitvolatilisé.En réalité, il était au seul endroit où la police n’aurait jamais songé à

    chercher.Ilétait…enprison.Deuxjoursaprèsavoirétérelâchéàlasuitedesapremièrearrestationavec

    Taggar,Ben-Poratavaitétéréveillépardescoupsviolentsàsaporte.«Police,ouvrez!»avaientcriélesagents.Ben-Poratavaitcrusafinvenue.Iln’yavaitpas d’autre issue dans sa maison, et plus personne ne pouvait le sauver àBagdad.Illesavait,pourunhommequioccupaitsesfonctions,ilnepouvaityavoirqu’un seulverdictdans les tribunaux irakiens : lapotence.Résigné, ilouvrit.Deuxagentsl’attendaient.«Vousêtesenétatd’arrestation,fitl’und’eux.—Maisqu’est-cequej’aifait?ditBen-Porat,feignantlasurprise.— Oh, rien de grave, répondit le policier, juste un accident de voiture.

    Allez,habillez-vous.»Ben-Porat n’en croyait pas ses oreilles. Il avait complètement oublié cet

    accidentdanslequelilavaitétéimpliquéquelquesmoisplustôt.Iln’avaitpassatisfaitauxcitationsàcomparaîtreetdevaitmaintenantenrépondredevantla

  • justice. Le procès fut bref, ne durant qu’une heure à peine. Le juge lecondamnaàdeuxsemainesdeprison.Etdonc,tandisqu’unearméed’agentsirakiensratissaitlavilleàsarecherche,ZakiHavivpayaitsadetteàlasociétédansuneprisondeBagdad.Justeavantsalibération, ilfutemmenéauquartiergénéral,oùl’ondevait

    prendresesempreintesetlephotographier.Ilsavaitqu’alorsilseraitperdu.Ilsseraient en effet enmesure de l’identifier et, cette fois, il n’aurait pas droitqu’àdeuxsemainesderrièrelesbarreaux.Encadrépardeuxgardes,ilmarchadanslesruesdelacapitalejusqu’auquartiergénéral,àquelquedistancedelà.Surlechemin,ilspassèrentparlesoukbondédeShurja,marchéexotiqueoùdeséchoppes sombresdont lesmarchandsvantent enhurlant lesqualitésdeleursproduitsbordentdesruellesétroitesetsinueuses.Àcequ’ilespéraitêtrele bon moment, Ben-Porat bouscula ses gardes, plongea dans la foule etdisparut.Lespoliciersnesedonnèrentmêmepaslapeinedelepoursuivre.Detoutefaçon,ildevaitêtreremisenlibertéuneheureplustard,alors,pourquois’ensoucier?Mais quand ils le signalèrent, l’incident déclencha un sacré raffut. Ils

    avaientlaisséfilerZakiHaviv, l’hommeleplusrecherchéd’Irak!Lapressed’oppositions’enaperçutets’enpritàl’ineptiedugouvernementàcoupsdegrostitresrageurs.«OùestHaviv?»demandaunquotidien.Etderépondre:«Haviv–àTel-Aviv!»Pendant ce temps, en Israël, les supérieurs de Ben-Porat préparaient

    méticuleusement son évasion. Alors qu’il était caché chez un ami, un planaudacieuxfutmisenœuvre.Àl’époque,ungigantesquepontaérienétaitencours,pourtransportertoutelacommunautéjuived’IrakenIsraël,viaChypre.Prèsde100000Juifsfuyaientl’Irak,degrosavionsdécollaientpresquetouslessoirs.Danslanuitdu12juin,Ben-Poratenfilasesplusbeauxvêtementsetappela

    untaxi.Sesamisl’avaientinondéd’arak,lespiritueuxlocal,et,puantl’alcool,il s’effondra sur labanquette arrière et fit semblantdedormir.Le chauffeuremporta son chargement ivre jusqu’à une petite rue derrière l’aéroport deBagdad, où il le laissa. Une fois seul, Ben-Porat se rua sur la clôture del’aéroport. Il savait exactement où elle avait été coupée, et se faufila par letrou.Unavion,quivenaitdeterminerd’embarquerdesémigrés,roulaitsurletarmac.Soudain,lepilotebraquasespharessurlatourdecontrôle,aveuglantmomentanément le personnel. L’appareil prit de la vitesse, sa porte arrières’ouvritencoulissant,àtroismètresau-dessusdusol,etunecordeenjaillit.

  • Surgissantdel’obscurité,Ben-Poratfonçasurl’avion,agrippalacordeetfuttiréàl’intérieuralorsquel’appareildécollait.Nilescontrôleursaériensnilespassagers ne s’aperçurent de cette évasion que l’on croirait sortie d’un filmd’action.Ensurvolantlaville,l’avionfitclignotersespharesàtroisreprises.«Dieu

    soit loué»,murmurèrentquelqueshommesrassembléssurun toit.Leuramiétaitensécurité,enroutepourIsraël.Unepoignéed’heuresplustard,HavivétaitbeletbienàTel-Aviv.Il épousa l’élue de son cœur, puis se tourna vers la politique. Il devint

    député, puisministre, et est aujourd’hui un chef respecté des Juifs irakiensd’Israël.

    *

    Ceuxqu’illaissaderrièreluin’eurentpasautantdechance.DesdizainesdeJuifsfurentarrêtés,battusettorturés.Taggaretvingtetunautresfurentjugéspouractivitéssubversives.Deuxmembreséminentsde lacommunauté juivede Bagdad, Shalom Salach et Joseph Batzri, furent inculpés pour détentiond’explosifsetd’armesetfurentcondamnésàmort.Peudetempsavantledébutdesonprocès,Taggarfutréveilléenpleinenuit

    etsacelluleenvahiedepoliciers.«Onvatependrecettenuit!proclamalechefdesenquêteurs.—Mais vous ne pouvez pas pendre un homme sans le juger ! protesta

    Taggar.—Ah oui ?On sait déjà tout de toi, tu es un officier israélien, tu es un

    espion–onn’apasbesoindeplus.»Unrabbinbarbuentraets’assitàsescôtéspourluilirelesPsaumes.À3h

    30cematin-là, lesagentsentraînèrentTaggar jusqu’àlasalled’exécution.Ilmarcha entre eux, abasourdi. Quelques semaines plus tôt, il était encore àJérusalem,chezlessiens.Puis,avantd’arriverici,ilavaitfaitundétourpourgoûterauxplaisirsdeParisetdeRome.Etmaintenant,ilétaitsurlepointdefinirsuspenduauboutd’unecorde.Les Irakiens lui firent signer plusieurs formulaires – la bureaucratie à

    l’œuvre,mêmedansunmomentpareil–,etlebourreauluiretirasesbaguesetsa montre. Taggar réclama que sa dépouille soit envoyée en Israël. Lebourreau le fit placer sur une trappe et fit attacher des sacs de sable à ses

  • chevilles.Ild