mohamed boudiaf - o� va l'alg�rie.pdf

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    BIBLIOTHQUE NUMERIQUE ALGERIE

    Titre du Livre : Ou va lAlgrie ?

    Auteur : Mohamed BOUDIAF.

    Qualit du Livre Numrique : Qualit OCR

    Notre Blog : www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com

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    DIRE LA VERITE AU PEUPLE

    Un Grand Homme, ce sont des ides, une uvre, une vie militante...mais aussi un Destin. Boudiaf aurait pu

    terminer ses vieux jours sur un lit dans sa paisible demeure

    de Kenitra ou ailleurs. Non, il est appel au secours du

    pays aprs prs de trente annes d'exil. Il ne prsidera ses

    destines que durant cinq mois. La main assassine tait l

    ce 29 juin 1992.

    N'avait-il pas, par honntet, dcid d'arrter son

    activit militante d'opposition ? Pourquoi ? Parce qu'il avait

    vu les funrailles du Prsident Boumediene et

    l'attachement du peuple. Ce mme attachement, le peuple

    le lui renouvellera. Mme si beaucoup ne le dcouvriront

    que le soir de sa mort lorsque la tlvision diffusera le

    discours, devenu testament, qu'il prononait jusqu' ses

    ultimes moments de vie. Comme s'il s'agissait d'une course

    ... contre la mort.

    Cinq petits mois seulement auront suffi au "petit

    peuple", le vritable Peuple, pour dcouvrir l'Homme et le

    Patriote qui plaait "l'Algrie avant tout ".

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    La rdition de "O va l'Algrie " crit par lui en

    1964 permettra de faire meilleure connaissance. Son

    patriotisme, ses qualits humaines transparatront chaque

    pas.

    Mme aux pires moments d'une dtention

    squestration injustifie et ce n'est pas rien que de faire

    grve de la faim de 32 jours en plein juillet-aot dans un

    coin perdu du Sud - il ne se laissera pas aller des

    sentiments d'amertume vis vis de son pays. Au contraire,

    il considre que "c'est dans les prisons que les hommes de

    valeur se dcouvrent et se forgent ".

    Le journal quotidien, qu'il tient en ces jours

    pnibles pour lui, montre quelques uns de ses traits de

    caractre que le sens populaire a vite fait de dcrypter.

    Ne dfinit-il pas lui mme le militantisme comme

    "le refus obstin de l'arbitraire, la volont inbranlable de

    rsister aux influences pernicieuses et aux tentations, la

    combativit dans toutes les situations, la rectitude morale et

    intellectuelle, la franchise, le respect de la vrit, etc..."

    La vrit : un thme constant dans ses

    proccupations: "il est un devoir sacr, qu'aucun patriote ne

    peut renier sans abdiquer : dire toujours la vrit au peuple,

    quelles qu'en puissent tre les consquences ".

    A l'annonce de son assassinat, c'tait devenu une

    revendication du peuple qui la scandait.

    Puisse cette rdition contribuer perptuer les idaux

    pour lesquels Mohamed Boudiaf est mort.

    Algrie 06 juillet 1992 L'diteur.

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    L'Algrie avant tout

    A tout le Peuple Algrien

    A tous les Patriotes Algriens, d'hier et d'aujourd'hui

    A toutes les femmes Algriennes

    A la jeunesse Algrienne

    A tous ceux qui ont march derrire Mohamed boudiaf

    Nous ddions ce livre dont ils ont t privs depuis prs

    de trente ans

    Nous disons la jeunesse Algrienne, qui a compris le

    message de Boudiaf : Reprenez son flambeau, continuez

    sa lutte pour que Vive lAlgrie.

    Nacer Boudiaf Alger Le 09 Juillet 1992

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    Mme Fatiha Boudiaf :* je remercie le peuple

    "En assassinant mon poux, le moudjahid

    Mohamed Boudiaf, on a voulu assassiner l'espoir. Mon

    mari avait fait un rve, celui de rendre la dignit et la

    confiance son pays, le rve de rendre notre dignit.

    L'Algrie qu'il a eue toujours en son cur, c'tait l'Algrie d'abord et avant tout. C'tait son slogan, sa philosophie,

    l'esprit et la lettre de son message.

    En voulant restaurer la dignit du peuple algrien, il

    restait fidle la proclamation du 1er Novembre 1954, il

    restait fidle son combat historique. Patriote de tous les

    temps, ennemi de tous les extrmismes, de toutes les

    gabegies, de toute la corruption, il a voulu faire quitter

    l'Algrie les berges de la drive.

    En cette veille du 30 me anniversaire de

    l'indpendance nationale, on a tu cet homme comme si on

    tuait une Algrie libre, fire, juste et moderne. Mais

    l'intgrit du chahid Mohamed Boudiaf, son combat, son

    idal, sont bien vivants dans notre cur et dans celui de millions de jeunes, ces jeunes qu'il voulait de toute son

    nergie sortir du dsespoir.

    Qui a tu Mohamed ? Qui a organis cette

    conspiration ? Quels en sont les commanditaires ? Moi, son

    pouse et ses enfants exigeons que toute la lumire soit

    faite et que justice soit rendue.

    L'hommage que le peuple algrien lui a rendu lors

    de ses funrailles, tmoigne que malgr le peu de temps

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    pass la tte de notre pays, il est dj le symbole de cette

    Algrie nouvelle, comme il a t hier le symbole de notre

    indpendance.

    Au nom de mon poux, je remercie de tout mon

    cur le peuple algrien pour cet ultime hommage. Fasse Dieu que son sacrifice ne soit pas vain. Pour un avenir plus

    serein, plus juste, plus digne pour tous, Mohamed tu peux

    dormir en paix. Aie confiance comme tu l'as toujours

    montr en cette nation, en ce peuple que tu chrissais tant

    ".

    *Dclaration remise l'APS le Mercredi 1er Juillet 1992.

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    A mes premiers compagnons, dont beaucoup ne sont plus,

    A tous les martyrs du combat librateur,

    A tous les militants rvolutionnaires.

    Je refais dans l'esprit du 1er novembre 1954 le serment :

    Tout sera mis en uvre, quelles qu'en soient les

    consquences pour que notre Algrie poursuive sa marche

    dans la voie du socialisme authentique, qui est celle de la

    libert, du progrs, de la justice.

    Mohamed BOUDIAF.

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    Premire Partie

    Histoire dun Enlvement

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    Avant-propos

    Il y a maintenant plus de trois mois que j'ai t enlev

    Alger. L'vnement, pour tre prcis, s'est droul le 21 juin

    dernier. Le fait a sans doute peu d'importance par lui-mme,

    mais il a une grande signification politique. Je rends public le

    journal de ma captivit dans le seul but de tirer les leons de

    cette affaire, en en dmontrant le mcanisme policier. Le

    meilleur moyen d'y parvenir est de laisser parler les faits : ils

    sont une excellente illustration des mthodes d'un pouvoir

    accul commettre les pires illgalits pour carter de sa voie

    toute difficult susceptible de freiner sa marche vers la

    dictature.

    En agissant ainsi, j'ai la conviction de servir la cause de

    la dmocratie et les droits imprescriptibles de la personne

    humaine, droits aujourd'hui bafous par des hommes qui en

    sont arrivs ne plus rien respecter. Mon arrestation, et celle

    de mes compagnons, bien qu'elle ne touche directement que

    quelques militants, me semble significative d'un danger

    potentiel ; elle a marqu un tournant dangereux de la politique

    du rgime actuel. La succession d'vnements qui a suivi notre

    enlvement permet de comprendre ce glissement vers l'abme,

    le pouvoir personnel et la dictature policire.

    Il est temps pour chaque Algrien de dfinir

    clairement sa position, avant qu'il ne soit trop tard. Le silence

    est pour le pouvoir la meilleure couverture, l'abri de laquelle

    il cherche imposer au pays un rgime sa convenance, fait

    de contrainte et d'arbitraire. Car, il ne faut pas s'y tromper, la

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    dictature s'installe. Quelques exemples, choisis parmi les plus

    flagrants, que personne ne peut ignorer ou nier, suffisent le

    prouver :

    ABSENCE TOTALE DE LIBERTE D'EXPRESSION

    ET D'OPINION : Le dcret gouvernemental interdisant,

    l'exception du Front, toute association de caractre politique

    n'a t que la lgitimation, aprs coup, d'une option dj

    ancienne.

    CONTROLE ABSOLU DE TOUTE LA PRESSE ET

    DES MOYENS DE PROPAGANDE : (radio nationale,

    tlvision, Algrie-Presse-Service). Ainsi impose-t-on au pays

    une information sens unique, dans le plus pur style des pays

    totalitaires.

    RENFORCEMENT DE L'APPAREIL POLICIER :

    Existence en son sein de hirarchie parallles, multiples et

    concurrentes mthodes de gangstrisme utilises par les

    divers services, en dehors de tout contrle et de toute garantie

    juridique.

    EXISTENCE ET RENFORCEMENT D'UN

    APPAREIL MILITAIRE : Incompatible avec les

    possibilits conomiques du pays.

    CONSTANT APPEL DEMAGOGIQUE AUX FOULES

    : dont on exploite les sentiments, au lieu de consulter le peuple

    algrien par les voies d'institutions rellement dmocratiques.

    RECOURS, A L'OCCASION DE CHAQUE DIF-

    FICULTE NOUVELLE, A DES DIVERSIONS : complots,

    excitations, intimidations.

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    Un rgime qui emploie de telles mthodes se sait condamn

    court terme l'alternative : sombrer honteusement ou se

    maintenir par la force. Le pouvoir actuel a dj fait son choix,

    le jour o il n'a pas craint de faire affronter des Djounoud, au

    risque de dclencher une guerre civile gnralise. Celle-ci se

    serait dchane, sans la vigilance et la sagesse de tout un

    peuple qui, dans sa volont de survie, dans sa lassitude, a

    choisi de deux maux le moindre et prfr la paix dans une

    apparente stabilit aux malheurs de la lutte arme.

    Tout le mal a commenc ce moment et n'a fait depuis que

    dvelopper inexorablement ses consquences.

    Dans la confusion qui a entour la crise de 1962, beaucoup de

    gens n'ont pas compris que l'quipe de Tlemcen cherchait

    seulement s'emparer du pouvoir. Elle n'y est d'ailleurs

    parvenu qu'en abusant des sentiments du peuple, dont la

    lgitime volont de paix cachait un manque de prparation la

    situation tragique des lendemains de l'indpendance. Mais

    arriver au pouvoir dans de telles conditions ne pouvait rendre

    personne capable de rsoudre correctement les problmes

    complexes qui se posaient alors au pays : riche d'espoir et

    prte consentir de nouveaux sacrifices, l'Algrie cependant

    sortait d'une guerre longue et ruineuse avec une conomie

    compltement dsorganise et une socit littralement

    bouleverse.

    Si l'intention de tous avait t de chercher une solution

    originale et efficace cette situation dramatique, on aurait pu,

    sur les bases d'une analyse honnte et objective, dcouvrir une

    autre voie de dgagement.

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    Il tait impossible de conserver le F.L.N. du fait des

    contradictions internes qui le rongeaient. La tentative sans

    espoir de Ben Khedda de maintenir l'unit de faade du

    G.P.RA. a chou ; et elle ne pouvait qu'chouer, la disparit

    des personnes et l'opposition des intrts politiques la rendant

    vaine.

    Mais s'il ne pouvait tre l'instrument de l'dification

    socialiste, le F.L.N. qui, malgr ses faiblesses, regroupait la

    totalit des militants algriens, pouvait servir de cadre une

    volution politique qui aurait permis l'affirmation d'une quipe

    homogne, comptente, lgalement issue de la majorit du

    Front. Il suffisait pour cela de rechercher l'appui de la trs

    grande majorit du C.N.R.A. pour proposer un congrs

    rapidement mais soigneusement convoqu, un programme

    d'action prcis, sortant des gnralits du programme de

    Tripoli. Cette solution ne visait pas ignorer les contradictions

    internes du F.L.N. mais les rsoudre sur une base politique,

    partir des organisations qui avaient encadr la lutte du peuple

    depuis le 1er Novembre 1954. Une telle transition aurait

    permis de maintenir l'unit et la combativit de la nation

    algrienne.

    Le futur groupe de Tlemcen , en organisant ds

    avant la signature des accords d'vian et la libration des

    dtenus d'Aunoy, une conjuration qui n'avait pour but que la

    conqute du pouvoir, a empch la ralisation de cet objectif.

    Il a pu parvenir au commandement, mais il s'est condamn,

    priv de l'adhsion des militants et du peuple,

    l'improvisation, l'illgalit et, invitablement l'impasse. La

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    frnsie insense qui s'est empar de ce groupe d'ambitieux,

    sans unit politique, a cot des milliers de vies humaines ;

    elle continue empoisonner l'atmosphre, ruinant les dernires

    chances d'un redressement srieux.

    Telle est la ralit. Tel est le vritable complot contre

    la rvolution, contre le socialisme, contre les intrts rels du

    peuple.

    La presse aux ordres a beau encenser le rgime, la

    cohorte des arrivistes et des opportunistes lui apporter son

    soutien honteux, la radio dfigurer la vrit, les meetings sur

    commande tromper les masses, rien ne le sauvera de la

    dcomposition qui l'attend.

    Les enlvements de patriotes, les intimidations sous

    toutes leurs formes, les squestrations ne feront qu'en

    prcipiter le rythme. Ni la Constitution adopte la sauvette,

    ni les lections qu'on cherche, par le biais du parti ,

    imposer au peuple n'interrompront ce processus de dsintgra-

    tion dont le dpart a t donn Tripoli.

    Il est maintenant hors de doute que le rgime en place

    persvrera pour rester logique avec lui-mme, dans sa

    volont de destruction : l'illgalit ne peut qu'enfanter

    l'arbitraire. A l'heure actuelle, le pouvoir ne se donne pas la

    peine de respecter un semblant de lgalit dans ses actes.

    Ignore-t-on qu'avant mme que l'quipe de l'extrieur n'entrt,

    divise au pays, des quipes de choc, munies d'argent et

    d'armes l'instigation des matres d'aujourd'hui, avaient

    envahi le territoire national, et entrepris un travail de sape,

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    dont la zone autonome d'Alger, la wilaya II, la Fdration de

    France du F.L.N., et plus tard la wilaya IV ont eu ptir ?

    Il ne faut s'tonner de rien quand on sait que dans l'esprit du

    clan de Tlemcen la rvolution a commenc dans cette ville

    (voir la dclaration de Ben Bella faite Jeune Afrique , o

    il est dit textuellement que la rvolution, pour lui, est

    reprsente par ceux qui taient prsents au rendez-vous de

    Tlemcen).

    Faut-il encore citer d'autres faits pour dmontrer le

    caractre illgal de toute l'entreprise ? Reportons-nous

    seulement aux plus patents d'entre-deux.

    L'accord du 2 aot1, qui offrait quelques chances

    d'apaisement, s'est vu trahi, deux semaines peine aprs sa

    ralisation, par le clan de Tlemcen.

    La runion du C.N.R.A. qui devait se tenir au cours de l't

    pour parachever les travaux de Tripoli, n'a jamais eu lieu.

    Pourtant cette runion avait t dcide Tripoli, ainsi que la

    tenue d'un congrs du F.L.N. avant la fin de l'anne 1962.

    Le programme de Tripoli, qui n'avait valeur que de projet,

    devait revenir devant ce congrs avant d'tre dfinitivement

    adopt. Il a pris depuis la valeur d'une Charte , par l'unique

    volont du clan au pouvoir.

    1

    Accord conclu, le 2 aot 1962, entre Mohamed Khider, au nom du groupe

    de Tlemcen, d'une part, et Belkacem Krim et Boudiaf, tout juste libr

    d'une premire arrestation, de l'autre. Cet accord, destin mettre fin la

    crise, prvoyait la mise en place d'un Bureau Politique provisoire, charg

    de prparer la runion du C.N.R.A. et le congrs du F.L.N.

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    En fin de compte, que reste-t-il du Bureau Politique dont

    on se revendique ridiculement ? Cet organisme a-t-il d'ailleurs

    t jamais approuv par un vote du C.N.R.A. ?

    Quant au Parti du F.L.N., hier inexistant parce que

    constitu d' authentiques racailles (propos tenus par Ben

    Bella au reporter de Jeune Afrique , il est devenu, deux

    mois aprs que Khider ait t expuls de son sige de

    secrtaire gnral, un parti d'authentiques rvolutionnaires qui

    se prparent gaillardement doter le pays de son axe central.

    Pour ce qui est de l'Arme Nationale Populaire, partout

    installe, elle se transforme progressivement en une arme

    traditionnelle compltement coupe des masses, imposant au

    budget national une contribution trs lourde, infiniment trop

    lourde pour un pays sous-dvelopp, qui a besoin de beaucoup

    conomiser, s'il tient ne pas tomber sous la coupe du no-

    colonialisme, d'autant plus exigeant que nos difficults

    financires sont aigus.

    Dans de telles circonstances, et face cette ralit

    aveuglante, que valent les rodomontades et les mystifications

    monstrueuses de ce rgime ? Le bluff, l'intoxication, les

    promesses fallacieuses n'ont jamais pay. Il reste,

    malheureusement, l'envers de la mdaille qui s'appelle misre,

    arbitraire et dictature.

    Le rcit qui va suivre, donnera un avant got ceux

    qui doutent ou s'enttent soutenir le contraire, pour des

    raisons trop comprhensibles.

    Mohamed BOUDIAF.

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    Journal

    21 JUIN 1963 :

    L'aventure dont ce journal dcrit le droulement

    commence le vendredi 21 juin, en plein midi. Je viens juste de

    quitter la maison pour une course, quand deux hommes

    m'accostent au pont d'Hydra, me demandant de me mettre

    leur disposition au nom de la scurit militaire. J'exige des

    papiers attestant leur qualit ; le plus g m'exhibe,

    prcipitamment, non sans trembler quelque peu, une carte

    verte tablie au nom de S. Mohamed. A peine en ai-je pris

    connaissance que le second me prie, sur un ton bourru, de faire

    vite.

    Il est bon, avant de passer la suite, de donner le

    signalement de ces deux individus. S. Mohamed est un

    quinquagnaire, grisonnant, au teint olivtre et l'accent

    kabyle. Je l'ai dj rencontr quelque part et, si mes souvenirs

    sont fidles, sans toutefois que j'en sois totalement sr, il

    s'agirait de Oussemer Mohamed, ex-agent de la police des

    renseignements gnraux. Il a fait des siennes lors des

    vnements de Mai 1945, particulirement Belcourt contre

    les jeunes militants du P.P.A.. Sur le tard, il a rejoint les rangs

    du F.L.N.. Lors de l'arrestation mouvemente du 22 octobre

    19562, il tait encore membre de la D.S.T.. Le second policier,

    plus jeune, replet, aux gestes un peu brusques, est l'image du

    2 Arraisonnement par les militaires franais de l'avion qui transportait Ait Ahmed, Ben Bella, Khider, Lacheraf, Boudiaf. de Rabat Tunis.

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    militant nouvelle vague, parfaitement imbu de son rle et

    pntr de son importance policire.

    C'est sous la direction de ces deux anges gardiens

    que je suis amen prendre place dans une 404 flambant neuf

    o deux autres passagers attendent : un jeune, plutt fluet, au

    regard doux qui tient le volant et un quatrime, grand, brun,

    lunettes noires, impassible, assis son ct. A son air

    important, on devine qu'il s'agit d'un ponte .

    Sitt install sur la banquette arrire entre S.

    Mohamed et son premier acolyte, la voiture dmarre en

    trombe, passe la Colonne Voirol et prend le virage pour

    grimper le chemin Beaurepaire.

    O allons-nous ? Pas de rponse.

    On s'engouffre dans la Clinique des orangers , o le

    chauffeur, aprs avoir stopp, quitte sa place pour venir se

    mettre ct de moi, abandonnant le volant au militant qui

    jusque l tait ma droite. Marche arrire rapide et sortie de la

    clinique pour descendre cette fois le chemin Beaurepaire.

    Nous refaisons le mme chemin en sens inverse mais cette

    fois-ci nous dpassons le pont d'Hydra. Je reconnatrais

    facilement la villa fleurie o nous pntrons. Mes ravisseurs,

    visiblement satisfaits de leur exploit, me conduisent sans plus

    attendre une chambre du rez-de-chausse.

    Je demeure vingt-quatre heures dans cette pice avec

    pour tout mobilier un fauteuil o je passe la nuit.

    J'ai omis de signaler qu' mon arrive j'ai t fouill

    des pieds la tte. Ayant entam la grve de la faim, je me

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    sens trs fatigu et accepte le matin de monter au premier

    tage, sur les conseils d'un de mes gardes. Ils sont quatre, cinq,

    six, et cinq finalement qui se relaient, jour et nuit, pour assurer

    ma surveillance. Tous sont arms de revolvers, et certains ne

    se gnent nullement pour le montrer.

    Le va-et-vient continuel des gardes, dont certains

    avaient des mines patibulaires, me fait craindre que la

    premire nuit ne se termine tragiquement. Kidnapp dans le

    plus grand secret, amen dans une villa inhabite sans plus

    d'explication, je ne peux que trouver une allure macabre

    toute cette aventure. L'atmosphre est propice et les conditions

    remplies pour une liquidation en douce.

    A mes demandes d'explication sur les raisons de cette

    expdition mes gardes rpondent invariablement qu'ils n'en

    savent pas plus que moi.

    Durant quatre jours, le ventre creux, je demeure dans

    cette villa, cherchant dsesprment communiquer avec les

    villas voisines, sans rsultat.

    Le lundi 24 juin, la tombe de la nuit, on m'em-

    barque en voiture pour une autre destination. Au lieu de suivre

    l'itinraire emprunt la premire fois, on prfre zigzaguer

    pour dboucher enfin sur la grande route qui vient du Pont

    d'Hydra et continue tout droit.

    La Colonne Voirol, chemin Beaurepaire, El Biar,

    Boulevard G. Clemenceau, Garde mobile, caserne Ali Khodja

    (ex-caserne d'Orlans), Barberousse, Boulevard de la Victoire

    : on choue enfin au sige de la Gendarmerie Nationale. A ma

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    descente de voiture, dans la cour plonge dans l'obscurit, le

    crmonial est en place et je suis immdiatement entour par

    une dizaine de gendarmes, mitraillette au poing, un peu

    curieux, un peu fbriles. Le Colonel Ben Cherif est l et, sous

    sa direction, escort de gendarmes diligents, j'ai droit une

    chambre et un lit qui, selon ledit Colonel, valent mieux que

    ceux de la Sant. Merci.

    MARDI 25

    L'ayant demand la veille, je reois la visite d'un

    docteur, vraisemblablement gyptien, qui me conseille de

    m'alimenter. Je suis encore sous le coup des vnements, trop

    nerv pour lui dire ce que je pense : l'exercice du pouvoir

    rend les faibles capables des pires infamies.

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    De la Villa, j'ai crit une premire lettre, l'autorit

    mystrieuse qui a ordonn mon enlvement :

    Mohamed BOUDIAF, en dtention illgale

    L'Autorit X..., qui a ordonn mon enlvement.

    Depuis le 21 courant midi, heure laquelle j'ai t enlev

    par un commando en voiture, je me trouve dans une maison

    inconnue, sous la bonne garde de quelques agents.

    Jusqu' ce jour, j'ignore jusqu'au motif de ce rapt, qui

    rappelle trangement les mthodes de certains rgimes

    dfunts. Pour ces raisons, et depuis mon arrestation

    j'observe une grve de la faim que je poursuivrai jusqu'au jour

    o une solution lgale sera apporte mon cas. Dj mon tat

    de sant, compte tenu de ma condition physique, exige la visite

    d'un mdecin.

    Que reste-t-il un homme, priv de sa libert dans des

    circonstances obscures et l'ignorance totale des siens ?

    Jener, mme si la mort doit en rsulter, car il n'est pas pire

    humiliation humaine que d'accepter l'arbitraire le plus criant

    sans ragir.

    Le 24 JUIN 1963

    M. BOUDIAF

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    Aujourd'hui, une autre lettre est remise la direction de la

    gendarmerie.

    Le 25 Juin 1963

    l'autorit X...

    S/C/ du Colonel Commandant la Gendarmerie d'Alger.

    Ma prsente lettre ne fait que confirmer les termes de

    la prcdente savoir : la situation o je me trouve.

    Depuis vendredi 21 midi, jour et heure de mon

    enlvement par un commando en voiture, je ne sais quel sort

    m'attend, d'autant plus que ledit rapt s'est effectu dans des

    circonstances pour le moins obscures. A l'exception de mon

    changement de rsidence , de la villa o j'tais squestr

    au sige de la gendarmerie o je me trouve, aucun

    claircissement ne m'a t donn concernant ma situation.

    Pour protester contre cette atteinte flagrante la

    libert individuelle, j'observe depuis le jour de mon

    arrestation une grve de la faim qui ne prendra fin que le

    jour o, une fois pour toutes, on me dira les raisons de la

    privation de libert dont je suis frapp, l'insu des miens et de

    l'opinion. Depuis trois jours je demandais la visite d'un

    mdecin et ce n'est qu'aujourd'hui que je l'ai obtenue.

    Je me refuse qualifier ces procds et en rends

    responsable le pouvoir qui en use par vengeance contre un

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    homme et un citoyen dont le principal tort est de ne pas tre

    d'accord avec sa politique.

    Priver quiconque de sa libert pour de telles raisons

    n'a t et ne sera jamais une solution. Un jour viendra o la

    vrit clatera aux yeux de tous et ce moment, gare tous

    ceux qui, oubliant les leons du pass, reprennent leur

    propre compte les mthodes honteuses de ceux qui les ont

    prcds.

    M. BOUDIAF.

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    MERCREDI 26

    Rveil prcipit quatre heures du matin et dpart par

    l'arodrome de Chraga o, cinq heures, un hlicoptre

    prend l'air en direction d'Oued Nosron qu'il atteint 7 h 20.

    A bord je suis rejoint par Ali ALLOUACHE 3, Moussa

    KEBAILI 4 et Mohand Akli BENYOUNES 5. Je savais depuis

    hier que d'autres avaient t incarcrs en mme temps que

    moi la gendarmerie, mais jamais je ne me serais attendu

    me retrouver avec ces trois-l.

    C'est tout simplement stupfiant. On peut vraiment

    admirer la perspicacit de la scurit militaire !

    Aucune rponse mes lettres, ce qui ne me laisse plus

    aucun doute sur le srieux et la lgalit de l'affaire.

    Ce rgime a peur de la clart, comme les oiseaux de

    nuits qui ne peuvent voler que dans l'obscurit.

    J'crirai encore mais uniquement pour marquer ma

    dsapprobation de certaines mthodes ou pour mettre nu

    quelques-uns des mensonges dverss, l'occasion, sur notre

    compte.

    A Oued Nosron toujours flanqus de nos gendarmes,

    mens par le Commandant Mohamed, adjoint de Ben Chriff,

    nous avons droit une halte de deux heures. Ensuite, bord de 3 Ancien porte-parole de la wilaya IV. 4 Ancien coordinateur de la Fdration de France du F.L.N., co-auteur de La Gangrne. 5 Ancien responsable de la Fdration de France.

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    voitures lgres, nous prenons la route, Sidi-Bel-Abbs, Sada,

    Mchria, An Safra et, la tombe de la nuit, Beni Ounif. Une

    autre halte brve et, dans la nuit saharienne, nous voici

    Colomb Bchar, compltement reints par un voyage de

    mille kilomtres sous une chaleur accablante.

    Prcipitamment, on nous introduit dans une chambre

    o quatre lits de camp, moiti dglingus, nous attendent.

    Des soldats arms de mitraillettes nous gardent toutes

    portes et fentres closes. Il fait une chaleur d'tuve. Le

    Commandant de la troisime rgion militaire, entre les mains

    duquel nous nous trouvons, affirme n'avoir reu aucun ordre

    crit nous concernant. Il ne dit probablement pas toute la

    vrit : comment expliquer sinon les consignes de grand secret

    qui nous sont appliques ?

    Je suis puis aprs ce long voyage, survenu au

    sixime jour de ma grve de la faim. Je dcide d'interrompre

    mon jene, croyant candidement qu' Colomb Bchar le

    rgime politique va nous tre appliqu et que nous pourrons

    engager une grve dans de meilleures conditions. Informer

    l'opinion peut, en particulier, tre dterminant pour le succs

    de la grve.

    L'avenir me montrera mon erreur.

    Le lendemain de notre arrive, nous crivons la lettre

    suivante qui, elle seule, rsume la situation.

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    Les squestrs,

    Mohamed BOUDIAF, Ali ALLOU-ACHE,

    Moussa KEBAILI et Mohand Akli BENYOUNES,

    au

    Colonel Commandant de la rgion militaire de

    Colomb Bchar.

    En prambule, il est utile de souligner le fait que les

    frres, auteurs de la prsente, ont t privs de leur libert,

    selon toute probabilit, pour des raisons politiques trouvant

    leur origine dans le malaise o se dbat notre pays depuis son

    accession l'indpendance politique. D'autre part, il ne doit

    pas tre ignor que cet aspect du problme n'est qu'une

    consquence inluctable du choix politique pos de nos jours

    la conscience de tous les Algriens.

    Forts de leur droit de ne jamais se dsintresser, en

    leur qualit de militants et de responsables plus ou moins

    connus l'chelle nationale, d'un problme aussi vital pour

    notre avenir, ils considrent que leur enlvement, comme leur

    dtention constituent des actes graves, d'une illgalit

    rvoltante. De ces considrants dcoulent automatiquement

    leur conduite, en particulier quant au rgime sous lequel ils

    vivent ou sont encore appels vivre soit Bchar, soit

    ailleurs.

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    Cette prcision tait ncessaire car en crivant

    aujourd'hui, leur but n'est ni de mendier une faveur ni encore

    moins de solliciter un quelconque passe-droit.

    Ceci dit, il ressort que leur cantonnement dans une

    pice exigu, sans air o ils sont maintenus jour et nuit ne

    peut durer sans s'apparenter une humiliation dgradante.

    Par ailleurs, d'autres questions inhrentes la vie d'un

    prisonnier se posent et appellent une rponse. Parmi celles-ci

    :

    1) Habillement: ce propos, que le Colonel sache

    que les intresss ont t kidnapps dans la rue et qu'ils ne

    disposent de ce fait, d'aucun vtement de rechange, sous-

    vtements, pyjamas, pantoufles, etc..

    2) Courrier : ayant des familles et des parents, ils

    veulent recevoir expressment de leurs nouvelles et ne

    comprennent pas la lenteur mise les laisser user d'un droit

    reconnu aux pires hors-la-loi.

    3) Visites.

    4) Rception des journaux.

    5) Promenades quotidiennes.

    6) Soins et visites mdicales.

    7) Possibilits d'achat de denres ou d'objets

    l'extrieur.

    Nous arrtons l cette liste en insistant sur le fait que

    notre intention n'est pas de vivre dans le luxe mais d'avoir le

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    minimum vital permettant un homme de vivre et de travailler

    normalement, alors que les conditions qui nous sont faites

    sont loin de rpondre ce modeste objectif.

    Fraternellement .Suivent les signatures.

    Par la mme occasion, je remets en mme temps que

    la prcdente une lettre pour ma famille.

    Aura-t-elle le mme sort que toute notre corres-

    pondance ?

    LE 4 JUILLLET

    Nous sommes encore touffer de chaleur dans la

    tanire de Colomb Bchar. Pas de promenade, pas de visite

    mdicales ; un coiffeur nous a t refus ; la consigne c'est la

    consigne : isolement total. Le commandant de la troisime

    rgion nous a laiss entendre que notre situation est tout fait

    provisoire et qu'il cherche un endroit o nous serons plus

    l'aise. En effet, la tombe de la nuit, le Commandant Ahmed

    Sadoum, adjoint au chef de rgion, vient nous dire de nous

    prparer partir. Nous sommes un peu soulags ; nous fiant

    aux promesses faites, nous imaginons un endroit plus vaste,

    plus ar, en somme plus propice une existence moins

    renferme.

    A 20 h 20, deux normes camions Berliet , hauts

    perchs sur leurs roues d'un modle inusit, bourrs de soldats

    en tenue de combat, nous embarquent prestement et prennent

    l direction du Sud.

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    Jusqu' Kerzaz et sa rivire en crue, la route

    goudronne rend le trajet acceptable malgr la chaleur de

    la cabine avant o je suis ct du Commandant Si Ahmed,

    chef de convoi. A 1 heure du matin, nous avons couvert

    approximativement 300 km. Courte halte d'une demi-heure.

    Les militaires ne nous perdent pas de vue. Croient-ils que nous

    pourrions tenter quoi que ce soit ? On a d leur faire la leon !

    A partir de Kerzaz, c'est la piste qui commence et

    notre dplacement se mue en un ouragan de secousses, de

    poussire et d'embardes. Je ne sais ce que mes compagnons

    ressentent. Personnellement, au moment o j'cris ces notes,

    j'ai un haut-le-cur au seul souvenir de cette nuit.

    Compltement ballot, sans aucun rpit, ma tte tourne, mon

    estomac se convulse ; j'ai des nauses. Depuis la dernire

    halte, j'ai quitt la cabine pour mtendre l'arrire, entour de

    toutes parts par des soldats. Un quadrilatre bien clos. Encadr

    de ces ombres, je ressemble aux morts que les tolbas6 veillent

    toute la nuit en psalmodiant le Coran. Pour moi, le Coran est

    remplac par le tintement des gamelles, des casques, des

    armes qu'ils n'abandonnent jamais. Quelle vigilance idiote !

    Ce tohu-bohu infernal dure jusqu' 7 heures du matin,

    heure de notre arrive un camp, portant le nom du colonel

    Lotfi. Le commandant de la troisime rgion militaire est l

    pour nous accueillir.

    Nous ne sommes pas toucher avec des pincettes,

    couverts de sable que la sueur a transform en une crote dj

    paisse. Le jeune Benyouns a les lvres gonfles et 6 Nom de ceux qui, en pays d'Islam, veillent les morts en priant et rcitant le Coran.

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    exsangues ; quant Kebali, il est littralement vert, tant son

    malaise est visible. Allouache et moi n'allons pas mieux, les

    yeux cerns, la dmarche titubante.

    C'est donc l que nous allons croupir l'avenir.

    Incapables d'entamer une discussion, nous nous bornons

    demander au Commandant Abdallah Belhouachet si ce

    changement de rsidence est d son initiative personnelle. Il

    nous- rpond clairement qu'il ne fait qu'excuter les ordres.

    Fermez le ban !

    Pendant ce temps, que fait et que dit le Gouvernement ?

    Le 26 juin, Ben Bella, au meeting tenu Alger

    l'occasion de la journe de l'Afrique du Sud, a dclar sans

    ambages que les gens arrts appartiennent la catgorie des

    privilgis, mcontents d'avoir t dpossds de leurs biens.

    Il a remerci Dieu d'avoir sauv l'Algrie d'un complot

    dont son Gouvernement dtient les preuves.

    La veille, l'Assemble Nationale, interpell par At

    Ahmed sur les raisons des dernires arrestations, il a affirm,

    avec la mme assurance, qu'un complot, dont il dtient les

    preuves (Walthdk, ce qui, en arabe, signifie preuves

    indiscutables) a t dcouvert et que les arrestations en

    question en sont les consquences.

    Dans sa confrence de presse, At Ahmed a apport

    des prcisions, donnes confidentiellement par Ben Bella et

    selon lesquelles le Prsident de la Rpublique Tunisienne

    serait de la partie.

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    Le 5 juillet, dans le discours prononc au Caroubier,

    l'occasion de l'indpendance, Ben Bella, en verve, a brod sur

    le thme du complot-aux-ramifi-cations-lointaines : trahison,

    intelligence avec l'tranger, et tout et tout.

    Enfin, lors de sa tourne dans le Constantinois (voir

    compte rendu 'El-Moudjahid) Ben Bella, toujours bien

    inspir, a prsent une version quelque peu diffrente. Il a

    dclar textuellement : Ces derniers temps, nous avons

    arrt cinq personnes ( cette date, nous sommes quatre) qui

    ont trait avec le Gouvernement franais et avec le colonia-

    lisme pour instaurer un climat la Tshomb .

    Voil qui est clair ! Quand on connat les origines de

    ce rgime, quand on s'est donn la peine de relever chaque

    occasion son caractre dmagogique et mystificateur, on ne

    sursaute pas devant ces monstruosits. Mais, si nous sommes

    des comploteurs, si par extraordinaire nous sommes devenus

    des Tshomb, si le Gouvernement dtient les soi-disantes

    preuves, dont il se targue, qu'attend-il pour nous traduire

    devant la justice, pour ouvrir un dossier et faire un procs en

    rgle pour nous confondre et nous condamner, au lieu de nous

    maintenir durant des semaines dans le secret, en nous

    trimbalant aux quatre coins du pays ? Depuis notre

    enlvement, aucun de nous n'a t interrog. Nous ne savons

    mme pas ce qu'on nous reproche.

    La vrit est ailleurs : il s'agit d une basse vengeance

    personnelle, inspire par la peur panique devant la monte du

    mcontentement populaire. Le pouvoir, pour tenter de se tirer

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    de cette situation malaise, n'a pas trouv mieux que de

    recourir aux procds culs de l'intimidation et de l'injustice.

    Ce journal m'aidera convaincre les plus sceptiques

    d'un fait : ni le secret, ni les mensonges, ni la mystification, ni

    l'arbitraire dont nous sommes frapps n'arrteront la marche de

    la vrit. Ce cauchemar que nous vivons et, travers nous, le

    peuple algrien, prendra fin.

    LE 7 JUILLET

    Nous sommes l depuis trois jours et, selon toute

    vraisemblance, nous y resterons plus longtemps encore.

    Notre chambre a cinq mtres sur trois ; sans aucun

    contact avec l'extrieur, nous sommes gards par de jeunes

    soldats qui, vu leur ge, ne donnent pas l'impression d'avoir

    appartenu une formation de combat pendant la guerre de

    libration nationale. Terroriss, muets, obissants aux gestes,

    ils me fonticipation dcisive du peuple n'est qu'incomprhen-

    sion ou illusion.

    Donc les rgressions, toujours provisoires, sont

    toujours possibles aprs des bouleversements tels que notre

    guerre de libration nationale. Il est ais de prvoir le sens du

    mouvement quand l'lan rvolutionnaire est impuls par une

    lite d'avant-garde organise, consciente de son rle, anime

    d'une idologie. Le chemin est clair, les buts nets et la marche

    rsolue. Dans le cas contraire, ce n'est qu'une effervescence

    sans but prcis, sans orientation sre, ni perspective

    dtermine : on peut alors craindre le pire.

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    Force est de constater que l'Algrie se classe dans le

    dernier cas. Car en recouvrant son indpendance, elle n'avait

    son service ni quipe rvolutionnaire rsolue, ni programme

    dfini, ni voie d'dification claire.

    Les vritables rvolutions sont un phnomne de

    dpassement continuel soumis une acclration dans le sens

    du progrs, de la justice, de la rigueur idologique et de la

    formation de cadres.

    Est-ce le cas dans notre pays ?

    Il faut le dire bien net : il n'y a plus de rvolution en

    Algrie. Depuis la crise de juillet et aot 1962 tout a t

    perverti au point que nous nous trouvons, depuis quelque

    temps, devant ce spectacle effarant d'un faux parti, d'une

    fausse arme, d'un Gouvernement htroclite soumis

    l'influence d'un homme, de faux syndicats, de l'parpillement

    des forces saines, de l'arrestation de militants, etc.

    S'il se trouve des gens qui, sous le prtexte de ne pas

    tomber dans la critique systmatique, parlent encore de

    rvolution et de socialisme, qu'ils tremblent de dire la vrit,

    ou bien qu'ils sont stupides ou intresss. C'est le cas de tous

    ces jeunes intellectuels plongs jusqu'au cou dans la compro-

    mission et qui se font au prix de mensualits paisses les

    chantres d'un rgime qui les engraisse et dont ils paient les

    largesses par leur conformisme.

    TSABIT

    Enfin nous sommes tout de mme arrivs dcouvrir

    le lieu de notre squestration force de farfouiller dans un tas

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    de papiers, de cahiers abandonns dans un coin et couverts de

    poussire. Le responsable en l'entendant prononcer a sursaut :

    c'est donc de volont dlibre qu'on a cherch nous le

    cacher, en oubliant qu'un prisonnier, par un phnomne tout

    naturel, mme ligot, arrive dcouvrir bon nombre de

    choses, uniquement parce que sa pense et tous ses sens sont

    mobiliss cet effet.

    TSABIT, plus au sud que Timimoum, situ 65 km au

    nord d'Adrar, capitale du Touat, et dernire agglomration

    importante sur la route qui mne au Mali. Plus au sud il n'y a

    que l'Afrique noire et je commence raliser pourquoi chaque

    jour qui passe nous affaiblit un peu plus. A peine dix jours, et

    il suffit d'un lger effort pour sentir des vertiges. Passer la

    langue sur n'importe quelle partie du corps et c'est du sel en

    couches. Je n'exagre rien, j'en ai fait plus d'une fois l'ex-

    prience. A ce rythme, nous n'allons pas tarder nous puiser

    petit petit et c'est une des raisons de la dcision que nous

    avons prise d'engager une action de protestation sous forme

    d'une grve de la faim. Le responsable militaire de la base

    Lotfi en a t averti hier par crit, en ces termes :

    Gouvernement atteste que nous sommes assigns en

    rsidence alors qu'en ralit nous nous trouvons Tsabit,

    prisonniers du dsert.

    Vu impossibilit existence Tsabit et perptuation de

    cet tat de faits, attendons 48 heures changement de rsidence

    et claircissement de notre cas dfaut de quoi entamerons

    grve de la faim illimite.

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    Pour ma part ce sera la deuxime preuve.

    La tourne de Ben Bella a commenc et, d'aprs les

    radios, elle touchera : Batna, Biskra, Khenchela, An-Beda,

    Barika.

    Toujours le mme thme, les mmes fabulations, les

    mmes promesses creuses, les mmes exagrations, avec, pour

    chaque ville ou village, un dtail consommation locale sur

    tel ou tel hros. C'est ainsi que j'ai entendu parler d'un

    prtendu serment chang par Ben Bella Tripoli avec Si

    Mustapha Ben Boulad 7. En ralit ce dernier en revenant de

    son voyage tait plus que rvolt de n'avoir rapport en fait

    d'armes, que des promesses vasives. Seulement Si Mustapha

    n'est plus l pour rtablir la vrit. Avant le 1er novembre

    aucune arme, aucune balle n'est entre en Algrie et l'argent

    fourni par 1' intrieur et dpos en Suisse bien avant la date

    du dclenchement, aprs avoir t allg de 200.000 Frs pour

    les besoins personnels de Ben Bella, est rest en banque au

    lieu de se transformer en armes. Cela contredit videmment

    les affirmations de l'actuel Prsident. Heureusement des

    tmoins sont toujours en vie pour confirmer ces faits.

    Aprs cette digression, reprenons l'analyse des

    discours prsidentiels, nous y trouvons invariablement les

    mmes thmes en filigrane.

    Je suis la Rvolution.

    Grce mon Gouvernement (sous-entendu, moi),

    l'Algrie a eu son indpendance et a pu concrtiser des

    7 Un des fondateurs du C.R.UA . premier chef de la Wilaya I (Aures), tu en 1956.

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    ralisations miraculeuses. Aucun gouvernement au monde n'a

    pu faire ce que l'Algrie, en si peu de temps, a accompli.

    Dnigrement du G.P.R.A.

    Suit invitablement le chapelet sur les bourgeois et le

    pangyrique personnel du chef : il ne mange pas, ne dort

    pas pour veiller cette uvre colossale qu'il a entrepris : deux

    ans l'extrieur, cinq ans en prison, quelques mois de travail

    de sape depuis sa libration, Tlemcen et la prise de pouvoir au

    nom d'un bureau politique dont les membres sont dj

    parpills aux quatre vents.

    Tout ce tissu de contradictions est maill de serments

    et ponctu des Vive Ben Bella repris par l'assistance.

    Donc le but semble atteint.

    Un jour arrivera o ce charlatanisme ne rsistera plus

    la marche des vnements et la prise de conscience de plus

    en plus grande de notre jeunesse, de nos travailleurs et de nos

    paysans qu'on ne peut tromper indfiniment aussi

    grossirement.

    LE 15 JUILLET

    Nous sommes toujours Tsabit, sous la mme chaleur

    et dans la mme incertitude. Pas de journaux, quelques

    informations recueillies suivant le caprice d'un transistor.

    Abbas a donn hier une confrence de presse Stif. Il

    ressort des quelques extraits donns par les radios Monte-

    Carlo et Paris, que, comme son habitude, il joue au modr

    conciliateur en se plaant en position d'arbitre pour prner le

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    rassemblement de tout le monde. Il se situe au centre, dans le

    dbat qui est ouvert, ce qui est fort commode et politiquement

    intelligent, il faut bien le dire.

    De nous, pas un mot si on en juge par les extraits

    donns de sa confrence. Ironie du sort ! Abbas en se faisant le

    champion de la dmocratie, de la parole au peuple, oublie que

    des militants algriens ont t subtiliss en plein Alger,

    squestrs et depuis ports disparus. Est-ce la meilleure faon

    de dfendre le droit de la personne humaine, de la libert

    d'opinion et d'expression ? Ne pas avoir le courage d'aller au

    fond de sa pense, n'a jamais constitu un moyen efficace de

    lutte, et Abbas a beau menacer de se retirer de la politique et

    de refuser de siger dans une Assemble qui ne sera pas

    l'expression du peuple, il ne changera rien cette action.

    Paralllement cette prise de position, Abbas se

    proclame socialiste. Le mot est la mode, c'est son droit

    comme tout un chacun. Malheureux socialisme, n'es-tu pas

    devenu cette denre bas prix, la porte de tout acheteur ?

    Je reste rveur l'ide de tous ces socialismes

    algriens, l'un spcifique, l'autre original, tel autre musulman,

    celui-ci humaniste, celui-l arabe ou africain et je pourrais en

    citer encore des varits plus ou moins pittoresques.

    Qu'est-ce que tout cet talage alors qu'en ralit il n'y a

    et ne peut y avoir qu'un seul et vritable socialisme : le

    socialisme scientifique fond sur la lutte des classes. Il

    appartient aux exploits, la classe laborieuse, de s'organiser,

    de s'unir pour mettre bas la bourgeoisie sous toutes ses

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    formes, liminer les injustices et promouvoir une socit

    nouvelle d'o seront bannies les diffrenciations de classes, de

    revenus et de chances devant la vie.

    Ce socialisme ne peut reposer que sur l'analyse de la

    ralit objective, en dehors de toute mystification, et la ralit

    ne peut trouver sa signification irrfutable que dans la

    dmonstration scientifique.

    Il n'en demeure pas moins vrai que le socialisme

    scientifique doit tenir compte de chaque situation pour

    dcouvrir les meilleures voies vers une application rationnelle,

    les buts restant les mmes et les objectifs immuables.

    Introduire la ralit de notre peuple par le seul biais de

    la croyance, c'est fausser le problme. D'ailleurs, en quoi notre

    religion, tolrante et juste, contredit-elle une thorie qui tend

    plus de justice, plus de libert et l'mancipation de

    l'homme. Il est temps qu'on sache que l'Islam (et je suis

    musulman pratiquant) n'est, ne peut tre un frein au progrs ou

    un alibi pour ceux qui veulent prserver leur situation de

    privilgis.

    Il faut se dfinir politiquement, prendre une option

    dfinitive et s'engager dans une voie au lieu de louvoyer en

    cherchant des socialismes diffrents du seul qui a fait ses

    preuves. En restant croyants, qui nous interdit de lutter pour

    que notre socit se libre compltement, s'difie dans l'intrt

    de tous, et que chacun ait droit la vie, au travail, la libert

    et un mieux-tre ? Ceux qui maintiennent que la religion

    musulmane s'oppose ces buts nobles, ne sont pas des

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    musulmans ou sont les adeptes d'un Islam particulier, disons

    spcifique, que personnellement je renie.

    Ce dveloppement nous mne loin de Tsabit, o las

    d'attendre et de vgter, nous avons commenc une grve de la

    faim pour une dure illimite. Notre action ne s'annonce pas

    sous d'heureux auspices. Tout laisse prvoir que quelques

    jours suffiront pour avoir raison de notre rsistance physique.

    Enlevs, squestrs de lieu clandestin en caserne pour

    tre jets des centaines de kilomtres de Colomb Bchar,

    compltement isols et troitement surveills, nous reste-t-il

    un autre moyen de lutte?

    Il est peine 9 heures du matin et un vent brlant

    balaie la base Lotfi, en malmenant, dans un fracas

    tourdissant, les volets et les portes laisss ouverts. Nous

    sommes dj dans la casemate allongs l'abri de la tempte

    de sable. Notre nourriture littraire se limite des romans

    policiers dans l'attente du courrier de Bchar qui, selon les

    promesses du Commandant Si Ahmed Sadoun et de son

    suprieur, doit nous apporter livres, papier crire, quelques

    mdicaments. Ledit courrier est en retard de quatre jours sur la

    date fixe. Nous apprenons ne pas nous fier aux promesses.

    Nous savons ce qu'elles valent.

    Avant notre dpart de Colomb Bchar, ne nous a-t-on

    pas dclar que notre transfert visait nous assurer des

    conditions de vie meilleures avant que notre sort ne soit

    dfinitivement fix. Aprs cela nous nous retrouvons Tsabit

    o la vie est peine possible.

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    Bien plus, chaque occasion, il nous est rpt que

    nous sommes des militants et que nous devons faire preuve de

    patience. Si militant est pris dans le sens que lui donne l'actuel

    ministre de l'Industrie, Laroussi Khelifa, dans son fameux

    livre traitant du militantisme 8 qu'il n'a dcouvert, pour sa part,

    que sur le tard d'une vie de compromission et de reniement, il

    faut se rsoudre cette patience qu'on nous conseille. Mais

    est-ce l le militantisme ? Ne signifie-t-il pas, bien au

    contraire, le refus obstin de l'arbitraire, la volont

    inbranlable de rsister aux influences pernicieuses et aux

    tentations, la combativit dans toutes les situations, la

    rectitude morale, la lutte contre la rsignation, l'indiffrence et

    l'inertie, le courage devant les preuves, la probit morale et

    intellectuelle, la franchise, le respect de la vrit, etc.. etc.. En

    reprenant la rponse faite par Che Guevara lors de son

    dernier voyage en Algrie, une question qui lui a t pose :

    le socialisme conomique, la redistribution des biens sans la

    morale rvolutionnaire, cela ne m'intresse pas , j'en arrive

    cette constatation que sans militantisme rvolutionnaire il n'y a

    pas de rvolution. Les mots, les programmes, les dclarations

    n'ont de valeur que dans la bouche de ceux qui en connaissent

    le sens et la porte et considrent qu'une parole prononce

    tient lieu d'engagement. Le reste n'est que fume au vent. Pour

    un militant pntr de ces valeurs, la prison, les humiliations,

    les mensonges ne feront que renforcer en lui ces qualits (c'est

    une erreur de penser lui faire perdre pied par des traitements

    de ce genre). Erreur que tous ces calculs : c'est la rpression

    sous tous ses aspects qui, en s'abattant sur les partis

    8 Manuel du militant algrien, La Cit, Lausanne, 1962.

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    rvolutionnaires, leur a permis de s'purer en dmasquant les

    faiblesses. C'est dans les prisons que les hommes de valeur se

    dcouvrent et se forgent.

    De ce point de vue, le pouvoir actuel, en nous

    apprhendant, a rendu service la cause de la rvolution et

    aux droits d'opinion et de libre expression qu'il croit juguler en

    ayant recours des mesures illgales et dictatoriales. D'autres

    avant lui ont essay ces mthodes et ont dchant, son tour il

    dchantera.

    LE 16 JUILLET

    Deuxime jour de la grve de la faim. La journe

    d'hier, rpute pour tre dure, n'a pas t exceptionnelle. Il faut

    noter ce sujet que chaque grve de la faim, compte tenu des

    circonstances, du lieu, de la saison a son caractre spcifique.

    On a beau ne plus en tre sa premire exprience, chaque

    fois apparaissent des symptmes inconnus et des ractions

    originales.

    En ce qui nous concerne, il est bon de souligner qu'en

    dpit de la grande chaleur on boit beaucoup moins que

    d'habitude, d'o la diminution notable des sudations. Par

    contre, la faim se fait immdiatement sentir et les vertiges

    apparaissent ds la seconde journe.

    Au sujet de cette grve, je prcise qu'elle n'a rien de

    comparable avec certains simulacres entrepris ailleurs et

    exagrment amplifis par une publicit tapageuse sans aucun

    rapport avec la vrit.

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    Celle dont je parle est effective (except l'eau et les

    cigarettes). Ceci, avec une temprature de 45 l'ombre, sans

    aucune commodit d'existence ni dispositions sanitaires. Si

    aucun changement n'est apport notre situation, notre

    dcision est prise d'aller jusqu' l'incapacit totale.

    Nous avons appris hier soir l'arrestation du Colonel

    Saout-El-Arab de l'ex-wilaya II. Encore un gibier au tableau

    de chasse du pouvoir, en attendant d'autres.

    LE 17JUILLET

    Troisime jour de la grve. Pour ceux qui l'ont connue,

    la grve de la faim est dure surtout ses dbuts.

    Hier, dans l'aprs-midi, les amis taient presque tous

    mal en point. Leurs visages sont devenus terreux, leurs yeux

    sont enfoncs profondment dans leurs orbites ; la grve

    commence produire ses effets. Autre symptme : les maux

    de tte, c'est une douleur spciale en son genre : on sent sa tte

    branle de l'intrieur, on a mal aux tempes, aux sinus et dans

    mon cas, mes yeux, comme pousss de l'intrieur, me donnent

    la sensation de s'exorbiter, ce qui m'oblige fermer les

    paupires et les presser fortement avec les doigts pour

    attnuer le mal.

    Ce jour dix heures, nous avons demand des cachets

    d'aspirine. Peine perdue : la base Lotfi de Tsabit les

    mdicaments les plus usuels sont introuvables.

    Etendus sur nos lits, au grand air, silencieux, chacun

    rve ou somnole en attendant un sommeil qui ne vient pas. Le

    ciel clair encore par les lueurs du couchant reste longtemps

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    voil avant l'apparition des premires toiles. Dans une demi-

    heure, elles seront des myriades dans ce ciel plus dgag et

    lointain.

    Ben Bella a t l'hte de Ferhat Abbas Stif.

    Rconciliation, embrassades, congratulations et tout le reste.

    Nos gardes font beugler leur poste pour couter l'oracle de

    l'Algrie. A Paris, les liens de la coopration se raffermissent,

    lient plus troitement l'Algrie l'ex-mtropole. C'est normal,

    quand on n'a pas d'argent, de le chercher l o il se trouve et

    en ne faisant pas trop la fine bouche. Mais dans tout cela, o

    est le peuple dont on se rclame corps et cris l'occasion

    de ces rconciliations et de ces combines politiques ?

    Jusqu' ces derniers jours, avant la rconciliation,

    Abbas boudait Stif, mcontent du dveloppement de la

    situation pourtant prvisible depuis le coup de gong de Tripoli.

    Il n'y a pas si longtemps, l'actuel prsident du Conseil

    vituprait contre la bourgeoisie et les petits amis d'Abbas.

    Aussi paradoxal que cela puisse paratre, cette rencontre a fait

    de l'un l'homme fort de l'Algrie et de l'autre l'lment le plus

    honnte de toute l'quipe qui tait l'extrieur !

    Qu'en est-il exactement de ce nouveau mariage de

    circonstances ? Combien de temps rsistera-t-il encore avant

    que ce mnage rafistol la hte ne se remette tanguer ?

    Autant de questions qu'il m'est difficile d'lucider dans

    ma situation actuelle et dans le cadre de mon information

    limite.

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    Certaines radios trangres ont donn quelques

    claircissements sur le cas de Saout-el-Arab, enlev comme

    nous dans la rue alors qu'il tait avec le Commandant Tahar.

    Dcidment le pouvoir en prend son aise. Y a-t-il quelqu'un

    qui lui dplait ? hop ! il l'enlve et le fait disparatre. A qui le

    tour, la prochaine fois ?

    Si je me base sur notre exprience rcente, le colonel

    Saout-el-Arab doit se trouver quelque part dans le secret en

    train de mditer sur ses annes de rsistance grce auxquelles,

    avec l'appui de tout un peuple, ses kidnappers sont aujourd'hui

    au pouvoir. N'est-ce pas le propre des rvolutions avortes que

    de dvorer en priorit leurs meilleurs fils ?

    D'autres, en particulier ceux qui inflexiblement se

    refusent faire partie de la cure, subiront tt ou tard le mme

    sort car le tournant est pris et gare ceux qui n'apprcieront

    pas la leon sa juste valeur. Plus les difficults apparatront,

    plus la rpression s'accentuera.

    Heureusement, cette anne, la rcolte a t assez

    bonne pour permettre aux gens de manger leur faim,

    autrement o en serions-nous ? Les comits de gestion, la

    nationalisation de certains moyens de production, la

    participation, dans quelques secteurs, des comits d'ouvriers

    la gestion des entreprise, peuvent tre considrs comme des

    faits positifs, mais de l parler de socialisme appliqu il y a

    un abme que beaucoup ont franchi allgrement. Sans rforme

    agraire radicale appuye sur une planification rigoureuse de

    toute notre conomie, sans le passage de tous les moyens de

    production aux mains des travailleurs, sans la mobilisation des

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    masses, sans le contrle svre du commerce extrieur et du

    mouvement des capitaux, sans la cration d'un march

    intrieur contrl dans tous ses circuits, sans la slection des

    investissements extrieurs, il ne peut tre question de

    socialisme. On me rtorquera que l'on ne fait pas un monde en

    un jour. C'est exact ; mais ou bien on est capable de

    promouvoir une dification socialiste sur des bases objectives

    en acceptant toutes les implications intrieures et extrieures,

    ou bien au contraire on ne le peut pas et alors il est prfrable,

    pour tre honnte et raliste, de choisir une autre voie, qui

    aurait au moins l'avantage de la logique. Jouer sur les deux

    tableaux, c'est chouer des deux cts, gcher des chances,

    plonger le pays dans l'incertitude et les crises et pousser notre

    peuple ne plus croire ce socialisme tant vant.

    A la lumire de ce qui se fait depuis un an,

    malheureusement, je ne vois pas d'autre issue que la

    transformation radicale de toute notre politique. Seule la

    vrit est rvolutionnaire . Notre peuple a droit cette vrit.

    Il a suffisamment montr ce dont il est capable pour ne pas

    craindre de regarder la ralit en face, pour se mobiliser et

    accepter encore des sacrifices en vue d'difier le socialisme,

    voie difficile, mais seule susceptible de le tirer de son sous-

    dveloppement, hritage de l'exploitation coloniale.

    LE 18 JUILLET

    Quatrime jour de la grve. Sitt debout aprs une nuit

    d'un sommeil peupl de cauchemars, je me mets ce journal

    pour profiter des quelques moments de fracheur. Il est peine

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    six heures du matin et un soleil implacable gagne rapidement

    le ciel, inondant la terre dune lumire blanche.

    Durant toute la journe d'hier, nous avons attendu

    vainement les nouvelles de Colomb Bchar. Pas de mdecin.

    Un jeune infirmier militaire venu d'Adrar nous a propos des

    cachets de je ne sais quoi et nous a conseill de manger. Il

    nous avoua candidement qu'il ne comprenait pas pourquoi

    nous refusions de nous alimenter. Nous nous sommes efforcs,

    chacun de notre ct, de le lui expliquer. Il ne semble pas qu'il

    ait t compltement satisfait, n'ayant peut-tre jamais entendu

    parler d'une grve de la faim. Il tait sincre, ce qui n'arrange

    rien.

    Je commence sentir la fatigue me gagner et le vertige

    brouiller mes ides et ma vue. J'abandonne jusqu' ce soir.

    MEME JOUR A 18 HEURES

    Pour les besoins de ce journal je regagne le rez-de-

    chausse o il m'est possible de travailler un peu. Depuis le

    matin personne n'est sorti de la casemate. Jusqu' cette heure

    la chaleur est encore trop forte. Au bas mot il faut compter

    douze heures pendant lesquelles il est pratiquement intenable

    de rester au rez-de-chausse.

    Notre poste-radio, devenu aphone, a t remis un

    garde pour changement de piles. Heureusement que le

    responsable de la base nous en a prt un autre. Je m'excuse de

    parler de ces faits insignifiants mais quand on est en prison (et

    quelle prison dore!) ces moindres vnements acquirent un

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    relief particulier et c'est pourquoi je n'ai pu m'empcher de les

    noter au fur et mesure.

    Toujours le mme isolement. Aucune nouvelle ; pas de

    raction ; peut-tre aurons-nous la visite du Commandant Si

    Ahmed, annonce depuis 24 heures ?

    En dehors des jeunes militaires qui nous gardent et

    assistent notre affaiblissement progressif, personne ne

    s'intresse notre tat. Faire la grve de la faim, s'teindre ou

    s'en tirer avec une maladie grave, peu importe ceux qui nous

    ont priv de libert.

    Jusqu' ce jour et depuis notre arrive Tsabit nous

    n'avons reu qu'un seul envoi de journaux de Colomb Bchar.

    Tout le paquet est vieux d une semaine et donc sans aucun

    rapport avec l'actualit. En dehors de la dclaration faite par

    Krim et un compte rendu trs court de la confrence donne

    par Ait Ahmed, le reste ne prsente aucun intrt.

    Saout-el-Arab, le cinquime enlev, a t vite oubli.

    Hier et aujourd'hui, les radios consacrent tous leurs

    commentaires aux arrestations du Maroc. C'est l'U.N.F.P. qui

    en fait les frais pour complot contre la scurit de l'tat. Qu'y

    a-t-il de vrai dans cette sombre et douloureuse affaire ?

    Selon les commentaires, et particulirement ceux de la

    B.B.C. en arabe, le gouvernement algrien n'y serait pas

    tranger, ayant t le fournisseur d'un grand contingent

    d'armes. Ignorant tout et n'ayant aucun moyen de vrifier ces

    informations je ne puis que faire des hypothses.

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    Ou tout cela est pure invention du pouvoir pour

    charger des adversaires politiques et ledit complot ne

    convaincra personne et se dgonflera en redonnant force et

    dtermination l'opposition marocaine, ou les faits reprochs

    l'U.N.F.P. sont tays et alors il y a lieu de penser que ces

    frres marocains ont commis une erreur grossire et porteront

    un coup terrible leur prestige et leur parti.

    A noter, en passant, que l'U.N.F.P., pendant la crise de

    l't dernier, a pris fait et cause pour le clan de Tlemcen ; sa

    presse a mme t jusqu' qualifier certaines oprations

    (invasion de la wilaya II, affrontement avec les wilayas III et

    IV) d'actes rvolutionnaires.

    J'ai suffisamment mis les choses au point avec ces

    frres marocains pour ne pas reprendre cette argumentation

    ici. Je considre que l'U.N.F.P. tactiquement a peut-tre des

    raisons de s'allier avec le rgime de Ben Bella, mais

    stratgiquement cette position est totalement fausse.

    Je m'explique.

    De tous temps la politique maghrbine des

    mouvements nationalistes des trois pays nord-africains a t

    marque par une situation de fait, la dsunion. Aucun accord

    n'a jamais vu le jour entre l'Istiqlal, le P.PA.-M.T.L.D. et le

    No-Destour. Pourtant, les occasions historiques n'ont pas

    manqu pour favoriser une action commune qui aurait t la

    meilleure garantie d'un avenir commun. Ainsi lorsque les uns

    et les autres sont revenus de leurs garements pour s'engager

    dans la voie de l'action arme et, lorsque les questions de

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    tactique et d'optique ont cd le pas devant les forces

    dynamiques, les trois pays se retrouvrent, par la force des

    choses, engags dans le mme combat ; cet alignement

    inespr, remarquons-le, n'a pas t le fait des directions, mais

    celui de la base. Entre 1952-1954, toutes les conditions d'une

    union solide taient enfin runies. Cela ne manqua pas

    d'branler l'indiffrence du colonialisme franais, assez

    intelligent pour saisir que le moment tait venu d'arrter tout

    prix une cohsion de cette nature et de cette ampleur. En aot

    1954, en concdant la Tunisie son autonomie interne, il

    parvint l'arrt de la lutte sur ce front.

    Malgr ce handicap srieux, Marocains et Algriens

    face une mme ralit et stimuls par l'exprience

    tunisienne, rapprochrent leurs points de vue et arrtrent un

    plan commun d'action. Le 1er octobre 1955 fut le

    couronnement d'une anne d'efforts et ce mme jour le

    dpartement d'Oran, jusque l silencieux, le Rif et la rgion de

    Beni Snassen entrrent en action contre les forces franaises.

    Ce mouvement, indcis son dbut, prit forme et deux mois

    plus tard le Moyen-Atlas et le Grand-Atlas se mirent leur

    tour en branle, alors qu'en Oranie l'action s'tendait de plus en

    plus vers l'Est. Mais pour la deuxime fois, en un an,

    l'imprialisme joua et gagna au dtriment de l'Afrique du

    Nord. En dcembre 1955 le Sultan du Maroc, alors exil, fut

    ramen dans son pays et rcupra son trne. Un an plus tard,

    la rsistance marocaine, malgr nos mises en garde, nos

    sollicitations et nos rserves dcida son tour de mettre fin

    l'action. L'Algrie reste seule continua son combat jusqu' la

    victoire, mais quel prix !

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    Cette courte priode de l'histoire de nos trois pays est

    riche de leons qui ne semblent pourtant pas avoir profit

    tous ceux qui parlent encore, avec ou sans conviction,

    qu'importe, de l'Union Maghrbine.

    II faut se demander avant tout si cette union est viable

    et si elle est ralisable. Il ne fait aucun doute que l'unification

    des trois pays sera un facteur essentiel du dveloppement

    conomique et social, par la mise en commun de toutes les

    ressources et tous les efforts.

    L'ensemble gographique et conomique ainsi

    constitu sera infiniment mieux arm pour affronter le no-

    colonialisme que chacun des trois pays pris sparment. Un

    autre avantage non ngligeable sera l'limination dfinitive

    des querelles de frontires, des revendications territoriales et

    de toutes les manuvres striles. Il est mme possible que

    l'unification du Maghreb donne une impulsion dterminante

    la ralisation de l'unit Arabe, voire Africaine. La question qui

    se pose est donc de savoir comment raliser cette union et

    quelles sont les voies qui y mnent. D'abord, il faut avoir le

    courage de poser les problmes en termes rels : admettre que

    l'Afrique du Nord est sous-dveloppe dans ses trois parties et

    que vouloir la dvelopper implique la transformation radicale

    des structures politico-sociales. Omettre de poser le problme

    dans ces termes, c'est se condamner au balbutiement politique,

    orchestr grand bruit l'occasion de certains accords limits

    et sans grande porte conclus entre deux de nos trois pays,

    avec toujours l'arrire plan des manuvres permettant soit

    de s'opposer au troisime pays soit de contrebalancer

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    l'influence du partenaire ; cette politique en dents de scie

    continue de rgir actuellement les rapports nords-africains et

    les exposent dangereusement aux pressions externes.

    En conclusion, l'unification passe obligatoirement par

    une option politico-conomique. Parler d'union sans montrer

    au profit de quelle catgorie de citoyens elle doit se faire, sans

    prciser sur quelles forces sociales elle peut s'appuyer, sans en

    dterminer les principaux obstacles, les ennemis qui la

    contrecarrent, les allis intrieurs et extrieurs, c'est de

    l'opportunisme.

    D'autre part, il faut admettre que le combat contre

    cette mystification dpasse nos frontires respectives et que le

    problme de la stratgie doit donc primer sur tout calcul

    tactique. La seule voie possible et praticable repose sur le

    rassemblement d'une avant-garde rvolutionnaire des trois

    pays dont la principale tche serait d'amener nos masses

    laborieuses une conscience plus aigu de la ralit en leur

    imprimant un rythme acclr dans leur marche vers le

    socialisme. Autrement dit, ne pas penser le problme

    maghrbin son chelle globale et sous tous ses aspects :

    social, conomique, politique, ne pas arrter une orientation

    commune, c'est s'carter de la vritable solution.

    En disant plus haut que l'U.N.F.P., en prenant position

    dans la crise algrienne, a commis une faute lourde de

    consquence, mon ide tait que tout partisan dtermin de

    cette union n'a pas le droit de s'aventurer la lgre dans des

    voies qui ne rpondent pas cet objectif. En agissant de la

    sorte, sans aucun doute de bonne foi, l'U.N.F.P. commis une

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    erreur. Tournant le dos la ralit nord-africaine

    rvolutionnaire, elle a choisi le clan des vainqueurs sans

    chercher plus loin les motivations de ceux-l mmes qui

    aujourd'hui sont au pouvoir. Or, leur politique depuis un an est

    la preuve flagrante de la stabilisation d'un rgime qui, pour

    l'essentiel, diffre peu de ceux qui existent de part et d'autre.

    Les complots qui, quelques jours d'intervalle, ont

    frapp des militants d'une mme cause ne sont-ils pas une

    preuve de ce que j'affirme ?

    A l'heure o j'cris ces lignes, Tsabit, ma pense va

    ces frres qui, tort ou raison, ne doivent pas tre en

    meilleure posture que nous.

    LE 19 JUILLET

    Cinquime jour de grve de la faim. Nous touchons

    l'euphorie. Plus de douleurs, plus de maux de tte, nous

    abordons la seconde tape o le corps sevr pendant une

    priode, s'adapte et perd ses exigences pour vivre sur lui-

    mme. L'expression devient pteuse et tranante, la parole

    moins sre, et le besoin de repos plus accentu. La sueur prend

    des odeurs acres. Hier, par exemple, je me suis lav trois

    reprises et la fin de la journe je n'tais pas humer de bien

    prs. S'il est vrai que les sudations sont moins abondantes, il

    n'est pas moins vrai qu'au moindre effort le corps se couvre de

    fines

    gouttelettes d'une sueur concentre l'odeur cu-

    rante.

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    Ce matin le commandant Si Ahmed est arriv bon

    port aprs une panne qui l'a retenu 24 heures aux environs de

    Beni-Abbs. Les directives qu'il a reues d'Alger insistent sur

    le maintien de l'isolement au grand secret. Devant l'obstination

    de ce rgime trop enfonc dans son propre jeu pour pouvoir se

    dmentir facilement, notre dcision demeure inbranlable :

    nous continuerons notre grve. Il serait question de nous

    changer de rsidence pour nous placer plus au nord, ce qui

    n'arrange rien.

    Le pouvoir tient nous garder dans cette situation de

    squestrs. Je comprends parfaitement que les hommes qui ont

    dcid notre enlvement, faute de parvenir leur fin macabre,

    ne se gnent pas le moins du monde pour prolonger notre

    calvaire et parvenir un rsultat analogue. L'essentiel donc est

    de nous rduire au silence et pour cela ils ne lsinent pas sur

    les moyens. Le commandant de la 3e rgion militaire n'a-t-il

    pas lui-mme affirm plus d'une fois qu'en ce qui nous

    concerne, il n'a jamais reu de directives crites mais

    seulement des messages radio lui enjoignant de nous surveiller

    de prs.

    Combien de temps cette pnible situation va-t-elle

    durer ? Le rgime certainement est dcid aller jusqu'au bout

    et quoi que nous fassions, quoi que nous tentions, il ne ragira

    que dans le mauvais sens. C'est dans sa logique.

    Nanmoins, la grve de la faim ne peut pas durer

    ternellement. Il arrivera un moment o quelqu'un devra

    cder. Pour nous, il n'en est pas question, car il ne s'agit pas

    d'une action quelconque simple caractre revendicatif, mais

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    d'un combat pour le respect des droits sacrs de la personne

    humaine pour lesquels des milliers de nos frres ont sacrifi

    leur vie. L'preuve est engage, quelle qu'en puisse tre l'issue,

    nous ne serons pas les perdants. Notre conviction est trop

    ferme sur ce point pour que nous nous laissions flchir. Mme

    en cas de fin irrmdiable, d'autres prendront la relve, et

    briseront le cercle infernal qui se referme sur notre peuple.

    C'est d'ailleurs le propre de toute politique d'injustice de plier

    tt au tard sous le poids de ses infamies ou de ses crimes.

    Pourrait-il en tre autrement avec un rgime impos par la

    force et accul recourir des mthodes qui rappellent

    trangement celles de toutes les dictatures ?

    LE 20 JUILLET

    Sixime jour de la grve. Aprs un mois de

    squestration, l'euphorie persiste mais la fatigue, jusqu' hier

    faible, indcise, s'affirme et se prcise. Les articulations ne

    rpondent que difficilement alors que tout le corps se ramollit

    et devient flasque.

    D'ici peu de jours nous serons sans doute incapables

    de nous mouvoir, plus forte raison si nous devons effectuer

    aujourd'hui ou demain ce dplacement vers le nord, qui,

    d'aprs Si Ahmed, faciliterait une vacuation au cas o l'un de

    nous tomberait malade. Comme si nous ne l'tions pas dj.

    Mais en l'absence d'un mdecin qui pourrait le prouver ?

    Avec nos barbes de plusieurs jours et nos cheveux d'un

    mois, nous avons une vraie mine de circonstance. Quant au

    coiffeur, il n'en est pas question. La consigne n'est-elle pas de

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    nous empcher d'entrer en contact avec autrui, mme avec les

    ntres. Le commandant militaire de la rgion, en toute disci-

    pline, ne fait qu'excuter les ordres ; c'est le leitmotiv qu'on a

    oppos toutes mes questions. A ce propos, et pour illustrer

    cet tat d'esprit, j'voquerai avec quelque retard, une scne qui

    s'est droule Colomb Bchar, le matin de notre premier jour

    de rsidence dans cette localit.

    En arrivant Colomb Bchar, nous avions t

    fourrs dans une pice dont on avait eu soin, l'avance, de

    condamner toutes les issues. La nuit de notre arrive nous

    tions trop fatigus pour nous occuper de ces questions et

    notre seul dsir tait de dormir pour nous reposer d'un voyage

    plus que harassant. Le lendemain matin, au rveil, nous

    suffoquions presque dans cette atmosphre moite et

    renferme. Nous ayant entendu frapper la porte la sentinelle

    alerta un quelconque responsable qui fut reu par nos

    protestations vhmentes au sujet de cette claustration

    incomprhensible. Il nous rpliqua sans rflchir : Ce sont

    les ordres .

    A ma question : Si on te demandait de nous

    trangler, le ferais-tu ? il rpondit, imperturbable : Bien sr

    . En fin de compte, et sans doute aprs consultation, on nous

    permit de garder cette malheureuse porte ouverte pour voir un

    coin de ciel et recevoir un peu d'air. La sentinelle tait en

    permanence sur le seuil mme, alors qu'une autre, sur la

    terrasse, en tenue de combat, casque compris, surveillait les

    abords, mitraillette au poing, l'air malheureux sous un soleil de

    plomb.

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    Je pourrais citer d'autres exemples de cette mentalit

    sans rien y changer et c'est pourquoi je prfre laisser ces

    excutants leur discipline pour me pencher davantage sur les

    causes qui nous ont amen cet tat de fait dsastreux. Que

    l'on ne s'imagine pas surtout que cette rgion militaire fasse

    exception. Avec, certes, des nuances, c'est le mme tat

    desprit que nous avons rencontr partout depuis que notre

    existence de prisonnier nous a mis en contact avec des

    policiers en civil, des soldats de l'A.N.P. ou des gendarmes

    mobiles.

    Un autre exemple pour finir. En arrivant Sada, un

    grad de la gendarmerie a mis notre disposition un transistor

    que nous avons encore. Eh bien, ce poste appartenait un

    jeune gendarme qui, oblig de cder son bien, n'a pas manqu

    de protester et pour cause ! Le commandant Benchaou, de la

    direction centrale de la gendarmerie, qui a assist cette

    scne, non seulement a saisi le poste, mais, fait plus

    extravagant encore, a envoy le jeune gendarme au trou

    pour avoir os lever la voix et dire ce qu'il pensait. Je prcise

    que cette anecdote nous a t rapporte par un autre gendarme,

    dont je ne mets pas en doute la bonne foi.

    L'instrument rpressif est en place, machine aveugle et

    rode pour craser et broyer ce qu'on lui livre. Nous sommes

    loin de la grande fraternit et de la solidarit du temps de

    l'preuve, qui ont soud tout un peuple pour en faire une force

    irrsistible face un ennemi puissant dont toutes les initiatives

    et les vellits de rforme se sont brises contre ce rempart. Ce

    mme lan et pu faire des miracles s'il n'y avait pas eu les

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    ambitions personnelles, l'avidit de pouvoir qui nous ont

    amen l o nous sommes : un peuple dcourag, du, divis,

    une arme compltement coupe de ce peuple, une police tout

    aussi impopulaire, et au sommet un appareil refltant cette

    dislocation, ce divorce effrayant.

    Ce que l'on nous impose n'est que l'illustration d'un

    rgime, fourvoy dans les compromissions, incapable de

    ragir sur la pente de la dictature et dont les seuls armes, en

    plus de la dmagogie et de la corruption, sont : arbitraire,

    ngation des droits de l'homme et mpris du peuple. Les

    malheureux civils ai-je entendu dire par certains officiers en

    parlant de ceux qui ne portent pas l'uniforme. Voil o nous en

    sommes !

    Parler dans ces conditions de socialisme, de

    dmocratie ne trompe que ceux qui veulent l'tre.

    Cet aprs-midi, il a fait un vent de sable terrible. Il est

    impossible de s'aventurer dehors et nous contemplons ce

    dchanement travers les vitres. Nous ne voyons pas plus

    de deux mtres, tant il y a de sable charri par des rafales de

    vent. tant donn la disposition des lieux et des murs

    d'enceinte, l'ouragan tourbillonne l'intrieur de la base.

    La haie de palmes sches, qui avait servi de bordure

    un jardinet mort et dont il ne reste qu'un semblant de tracs de

    rigoles et de carrs enfouis dans le sable, gmit de toutes ses

    fibres. Quelque part, une porte claque dans un bruit assourdi

    par le grondement de la tempte. Par les moindres interstices

    la poussire de sable trs fine s'insinue et dessine sur le

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    parterre, les rebords des fentres, des arabesques comparables,

    une moindre chelle, aux dessins des grandes dunes. Partout

    ailleurs, le sable continue de se dposer, imprgnant tout, et

    donnant aux tres et aux choses un aspect sale et poussireux.

    LE 21 JUILLET

    Premier jour du deuxime mois de notre dtention ,

    septime jour de la grve de la faim. Cette journe a t trs

    mauvaise : fatigue, douleurs lombaires, vision trouble,

    frquents et lourds assoupissements, pas de sommeil. Aprs

    n'avoir pas ferm l'oeil de la journe d'hier, je n'ai pas non plus

    dormi de la nuit et ce matin je ressens douloureusement cette

    fatigue dans tout mon corps. La nuit passe a t terrible.

    Jusqu' deux heures du matin un vent de sable violent et

    torride a rendu tout repos impossible.

    Ce matin, il ne fait pas exceptionnellement chaud,

    mais boire est devenu une ncessit. Le ventre vide de tout

    aliment doit trouver une compensation dans l'eau. Rien ne peut

    suffire tancher notre soif.

    A l'aube, le temps est dj clair. Le vent a baiss. Une

    fracheur douce et lgre lui a succd. Il faut en profiter avant

    que le soleil n'apparaisse, avec sa rverbration aveuglante et

    sa touffeur insupportable.

    C'est ce soir, peut-tre, que nous mettrons le cap sur le

    Nord. Destination : l'inconnu. Peut-tre aussi resterons-nous

    en place. Sait-on jamais avec ces ordres, ces contre-ordres,

    cette discipline et ce systme de transmission dont le

    fonctionnement s'est rvl souvent alatoire.

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    J'ai profit de la matine pour lire attentivement un

    compte rendu assez dtaill de la confrence de presse donne

    par Abbas Stif et reprise presque intgralement par un

    quotidien algrien vieux de quelques jours.

    Certes, Abbas manie fort bien la langue franaise. On

    retrouve ce style coulant, ce verbe poli, ces tournures

    harmonieuses de l'ancien ditorialiste de la Rpublique

    Algrienne9. Si la forme est bonne, le fond par contre laisse

    beaucoup dsirer. Il n'y a l que des banalits, des redites, et

    des demi-vrits savamment noyes dans des formules

    alambiques mles de sous-entendus et d'allusions...

    Je ne manquerai pas cette occasion de relever, pour les

    rectifier, certaines conceptions errones et certaines erreurs

    historiques qui se sont glisses dans son expos ; et je

    rappellerai ensuite la discussion, la seule que j'ai eue avec

    Abbas, Tripoli.

    Abbas a dclar, entre autres, avoir suivi les

    historiques ; ce sujet je me permets de lui fournir quelques

    prcisions partir d'un tmoignage vcu, incontestable.

    Tout d'abord, que peut bien signifier dans son esprit ce

    terme : historique , si tant est que ce qualificatif ait la

    moindre valeur de critre ? En reprenant l'histoire de l'Algrie,

    nous trouvons chaque poque des historiques lesquels,

    pass leur temps, ont laiss la place d'autres historiques

    et ainsi va l'volution et la marche de toutes les socits. A

    compter du 1er novembre 1954, chaque phase de la lutte n'a-t-

    9 Hebdomadaire de l'Union du Manifeste Algrien (U.D.M.A.), parti de F. Abbas, jusqu'en 1955.

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    elle pas eu ses historiques ? Tout prs de nous, la crise

    dclenche Tlemcen n'a-t-elle pas eu galement ses

    historiques ? Ceux-l ne rgissent-ils pas depuis, l'Algrie,

    leur guise ? Bref, il est dprimant de constater combien

    d'imbcilits, force d'tre rptes sont devenues des mots

    tabous, alors que dans le fond elles ne sont que les produits

    d'une dformation des valeurs et d'une imposture infiniment

    plus historique.

    Pour mieux l'clairer, reprenons l'histoire telle qu'elle

    s'est droule et non telle qu'on se plait l'imaginer en la

    prostituant.

    Abbas doit certainement ignorer que le C.R.U.A., n

    en mars 1954, n'a t ni une organisation, ni un parti, ni une

    fraction l'image des centralistes de l'poque. C'tait un

    comit, comme son nom l'indique (Comit Rvolutionnaire

    pour l'Unit et l'Action). Son but tait de lancer un mouvement

    d'opinion capable de souder la base militante, pour l'empcher

    de se liguer derrire l'un ou l'autre des antagonistes, et par l

    imposer un congrs unitaire qui sauverait le parti de la

    scission. C'est pourquoi parler des membres du C.R.U.A., en

    dehors du comit, est inexact. Ses quatre membres, deux

    anciens responsables de l'Organisation Spciale (O.S.) et deux

    responsables de l'organisation politique taient : Dekhli

    Mohamed, Ramdane alias