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19 n°3387 du 11 mars 2010 Dossier Les agressions d’élèves et de professeurs dans des établissements d’Île-de-France ont suscité la colère et la mobilisation dans les lycées. Comment les enseignants et les élèves analysent-ils les pro- blèmes de violence à l’école ? Quelles solutions préconisent-ils ? Reportage dans le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. Dossier réalisé par Elsa Sabado DR Mon lycée va craquer 3387_19_23_DOS_5:Mise en page 1 08/03/10 16:13 Page19

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19n°3387 du 11 mars 2010

Dossier

Les agressions d’élèves et de professeurs dans des établissements d’Île-de-France ont suscité la colère et la mobilisation dans leslycées. Comment les enseignants et les élèves analysent-ils les pro-blèmes de violence à l’école? Quelles solutions préconisent-ils?Reportage dans le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. Dossier réalisé par Elsa Sabado

DR

Mon lycéeva craquer

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Il fait moins quinze degrés sousles fenêtres du ministère de l’É-ducation nationale, ce matin du9 février. Pourtant, une centainede personnes emmitouflées stag-nent devant les barrières, atten-dant le retour de la délégation

qu’ils y ont envoyée. Pour se réchauf-fer, les élèves chantent leur version de«La Marseillaise». L’heure est grave:lundi 2 février, une dizaine d’individussont entrés dans le lycée Chérioux (Vitry,94) pour agresser un élève de 3ème. Çan’est pas la première fois que ce typed’incident a lieu: en décembre, les ensei-gnants de ce lycée avaient envoyé unemissive à leur rectorat, l’avertissantqu’au prochain incident de ce type, ilscesseraient le travail. Un adolescent,qui n’était pas inscrit au lycée, étaitentré dans une classe de philosophie,et avait frappé deux élèves, ainsi quel’enseignante qui avait tenté de s’in-terposer. Chose promise, chose due :début février, ils exercent leur droit deretrait ( instauré en 1982, il permet àun salarié de cesser le travail s’il estmenacé par un danger grave et immi-nent pour sa vie ou sa santé ). Ils nepeuvent plus enseigner si leurs élèvesne sont pas en sécurité. M. Martin, pro-fesseur de français, explique qu’avantd’arriver à Chérioux, il a travaillé dansdifférents lycées de l’académie de Cré-teil (regroupant les départements 93,94 et 77): « si l’établissement est dur, ill’est moins que certains collèges du 93 »,estime-t-il. Les professeurs comme lesélèves veulent souligner la gravité desévènements sans pour autant stigma-tiser leur lycée.

Retour sur les lieux de l’in -cident. Du métro, une na -vette em prunte la RN 37jusqu’à l’entrée du lycée.Dans cette ville mi-ban-lieusarde, mi-provinciale on passe aux abords depetites cités résidentielles, puis on tra-verse une zone commerciale et indus-trielle. Une cloison de ciment bouchel’horizon, et empêche de voir ce qui sepasse de l’autre coté, à l’intérieur duparc Chérioux, où se trouve le lycée.Autour d’un café, dans le seul endroitoù professeurs et élèves peuvent se

détendre à proximité del’établissement, GregoryCalderero, professeurd’Arts appliqués, expri-me son inquiétude: « Il ya déjà eu des agressions,mais avec l’apparition

d’armes blanches et d’ar mes à feu, la ten-sion a monté d’un cran. » Christian Oli-vier, enseignant et syndicaliste, té -moigne : « Si les faits graves restentl’exception, les incivilités sont quotidiennes,envers les élèves comme envers les pro-fesseurs. » Josette Alexandre, professeurd’anglais à Chérioux depuis 18 ans,

Les élèves sesentent isolés.

Qui dit isolement ditdépression ou vio-lence ou les deux.”‘‘

Élèves et enseignants sont d’accord pour reconnaître qu’il y a des facteurs de violence extérieurs à l’école.

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raconte d’une voix tendue: « Parfois,un jeune entre dans ma salle, prétendantêtre un nouvel élève, et met le chantierdans la classe. Les coups dans les portessont incessants. Certains élèves sont enpermanence dans la provocation et la sur-enchère.» Cédric Noël, élève en termi-nale de CAP horticulture, raconte: « Ladernière fois, une serre a été saccagée,pour rien. » Gaëtan Job, 18 ans, en bacpro microtechnique et Kaina Elbouz-kraoui, 18 ans, terminale S, acquies-cent. Si la jeune fille affirme vivre sascolarité avec un sentiment de peur, legarçon a plutôt tendance à dédrama-tiser.DÉPRESSION. À 20 km de là ( soit uneheu re et quart de transports ), le col-lège Jean-Pierre Timbaud à Bobigny(Seine-Saint-Denis), coincé entre deuxautoroutes, l’A3 et l’A86. Ici aussi, lesprofesseurs ont cessé d’enseigner :Warda, leur collègue assistante d’édu-cation, a pris un coup-de-poing alorsqu’elle empêchait deux jeunes d’en-trer dans le collège, à la grille. Lors-qu’ils ont téléphoné au recteur, celui-

ci leur a répondu que ça n’était pas desa compétence, parce que les faitsavaient eu lieu devant, et non dans lecollège. Il est 9 heures ce mercredi, quel -ques collégiennes attendent, en vain,le début des cours. Avec une once d’ex-citation dans la voix,elles racontent: « Dansma clas se, il y en a unqui n’aime pas les gens,il se bat pour n’importequoi. Une de nos profes-seurs est dépressive, ellepleure tout le temps etelle ne lui dit rien parce qu’elle a peur delui. Une autre fois, deux filles se sont ba-lancé toute leur trousse à la figure. » Lesilence se fait lorsqu’une de leurs en-seignantes sort. Les filles s’enfoncentdans leur capuche. Suzanne Cau Na-gusewski est professeur de lettres mo-dernes depuis trois ans au collège Tim-baud. Pour elle, l’institution est enpartie responsable de la violence. « Cegenre de problèmes arrive quand on fermeles classes relais pour les élèves en trèsgrande difficulté, et qu’ils ont le choix d’al-

ler étudier à 10 km de là ou de pourrirau fond d’une classe qui ne leur est pasadaptée. Alors les élèves sont isolés, etqui dit isolement dit dépression, ou vio-lence, ou les deux. Je ne peux même passavoir si j’ai des élèves en dépression: in-firmière, psychologue et médecin scolairesont sur plusieurs établissements en mêmetemps, ils sont débordés, et nous n’avonspas le temps de faire le bilan ensemble. »SPIRALE INFERNALE. Son collègue d’édu-cation physique et sportive, Marc Phi-lippot, constate que la violence se re-tourne contre l’institution: « Les élèvessèchent les cours, ne respectent pas lesrègles de vie, ont des comportementsagressifs contre les profs, contre les élèves,contre les locaux : en décembre, le bu-reau de la conseillère principale d’édu-cation a été incendié. » S’il ne justifiepas ces actes, il les comprend : « Ondonne aux élèves des objectifs qu’ils n’ontpas les moyens d’atteindre. Alors, c’estla spirale infernale. » Yentl, une ving-taine d’années, est surveillante. Maiselle est aussi étudiante en sociologie :« Nous n’avons pas le même statut queles professeurs : les élèves nous tutoient,nous sommes souvent plus proches d’eux.Il y a deux types de bagarre, celle “pourrigoler” et la vraie. Dans cette dernière,nous sommes souvent en première ligne. »Elle a établi une sorte de calendrier :« Le jeudi, c’est jour de bagarre, le week-end approche et ils commencent à réglerleurs comptes. Quand les vacances arri-vent aussi, parce que les gamins sont cre-vés. » L’équation est simple : plus lespersonnels sont fatigués, et donc moinsvigilants, plus les élèves sentent qu’ilspeuvent faire ce qu’ils veulent et dé-passer les limites qu’ils respectent ha-bituellement.D’où vient cette violence? Chacun ason idée. Selon Cédric, elle vient sou-vent des élèves issus de milieux défa-

vorisés, et dont l’exclu-sion et le rejet dusys tème scolaire fondentl’identité. Gaëtan pro-teste: « Ça touche tout lemon de. Le probl ème, c’estle modèle américain quiest importé en France, un

peu comme dans Bowling for Colum-bine (1). » Autre élément à pren dre encompte: la carte scolaire, qui attribuaità cha que élève un lycée selon son sec-teur d’habitation, et qui a été suppri-mée en 2009. Ce changement devaitpromouvoir l’égalité des chances et ladiversité. Mais pour les professeurs,cette mesure « transforme Chérioux en“ lycée poubelle ”. Les quel ques élèvesqui tiraient avant le niveau vers le hautpeuvent aller dans les lycées plus répu-tés, et les élèves qui restent au lycée ne

Le jeudi, c’estjour de bagarre,

le week-end approcheet ils commencent àrégler leurs comptes.”‘‘ole.

Les Équipes mobiles de sécuritéLes EMS ont pour mission d’assurer la sécuri sa -tion des établissements scolaires. Pilotéespar un inspecteur d’académie et un commis -saire de police, elles sont divisées en deux« mo dules ». Le premier, « éducatif », estcompo sé de 5 enseignants, d’éducateurset d’une psychologue clinicienne. Ils inter-viennent ponctuellement. Le second, «sécuri -taire», est composé de 5 agents de «paix sco -laire» qui interviennent dans le domaine dela sécurité et de la protection des personnes.Le point de vue de Raphaël Giromini, profes -seur de mathématiques et responsable du SNESau lycée Le Corbusier, à Aubervilliers (93) :

« Cette mesure privilégie le répressif sur l’édu-catif. Le gouvernement postule que les élèvesseraient des délinquants qu’il serait impos-sible d’éduquer. La première des conditionspour remédier à ce problème serait l’aug-mentation du nombre des éducateursau senslarge Cela permettrait aussi de prendre plusde temps pour dialoguer avec les élèves, pourqu’ils se sentent pris en compte par l’insti-tution scolaire. Dans la ville où j’enseigne,nous disposons d’un médecin scolaire pour13 000 enfants et adolescents scolarisés. Iln’existe pas de solutions viables avec si peude moyens. » ■

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l’ont pas choisi. » Au fond, tous sontd’accord pour pointer des causes ex-térieures au lycée: pauvreté, chômage,exclusion…Si les professeurs font aujourd’hui mon-ter la pression, c’est parce qu’ils pen-sent que les facteurs de cette violencesont aggravés par les suppressions depostes. Les enseignants de Chériouxinsistent sur la « situation locale »: lors-qu’on pénètre dans le parc départe-mental, on comprend. En fait, sur cedomaine de 36 hectares, il y a quelquesbâtiments de briques qui abritent lelycée, et ceux du conseilgénéral, de l’orphelinat,de l’IUT. L’ensemble estentouré d’une immenseétendue de pelouse, com-posant un paysage de« collège » britannique.Difficile dans ces conditions de qua-driller la zone du lycée et de sur veillerles 1 500 élèves avec 11 surveil lants.À la question de l’organisation soule-vée par le ministère, les enseignantsrépondent sur la quantité de person-nel : ils réclament le doublement dunom bre d’assistants d’éducation. Onleur propose des médiateurs scolaires.Or si le contrat d’un surveillant compte38 heures par semaine, renouvelabletous les ans à six reprises, celui des mé-diateurs scolaires est de 20 heures parsemaine et dure six mois, renouvelableune seule fois. Leurs missions diffèrent:les médiateurs s’occupent de l’absen -téis me, les surveillants sont polyvalents. EFFECTIFS. M. Rohou, professeur de ma-thématiques, est débordé: « Alors mêmeque les effectifs augmentent, on ferme desclasses. Résultat : on est passé de clas sesde 20 à 30 élèves et on a perdu la moitiédes effectifs de surveillance en dix ans. »« Et à côté de cela, enchaîne M. Gorin,on est classé zone sensible, zone d’éduca -

tion prioritaire et zone prévention vio-lence. » Le mal des professeurs, c’estaussi le mépris dont ils se sentent vic-times. Lors de l’agression de Bobigny,le recteur avait donné rendez-vous auxenseignants huit jours après les faits.Et au dernier moment, ils ont apprisqu’ils ne rencontreraient que des agentsdu ministère sans réel pouvoir de dé-cision. Ceux de Vitry sont passés d’ins-titution en institution sans qu’on leurpropose grand-chose. 11500 en 2008,13500 en 2009, 16000 en 2010: ce sontles chiffres des su pres sions de postes

dans l’Édu cation natio-nale. « On fait croire que50000 person nes ne ser-vent à rien. La mult ip -lication de petits contratsprécaires, la réforme de laformation des professeurs,

tout cela dévalorise notre travail, pour-suit Marc Philippot. On envoie devantdes classes parfois dures des petits jeunessans aucune formation. Être enseignant,ça s’apprend, c’est un métier. » SuzanneCau Nagusewski raconte le parcoursdu combattant du jeune prof : « Lors-qu’on obtient le CAPES, on est souventenvoyé dans des académies qui ne sontpas les nôtres. On est nommé dans deslycées différents : on a du mal à s’inté-grer dans les équipes de profs, on est TZR(remplaçants à l’année), avec le pire em-ploi du temps possible. Les inspecteursd’académie sont chargés de nous ac-compagner sur le plan pédagogique. Jen’en ai jamais vu la couleur. Dans ce col-lège, nous sommes un quart de contratsprécaires (TZR, contractuels, non-titu-laires du poste, NDLR). À l’IUFM, j’aieu une demi-heure de formation sur lapsychologie adolescente. Depuis, plus rien:TZR, je ne suis pas au courant des for-mations, et les places sont chères car lesprofesseurs sont très demandeurs de ces

formations, ce qui révèle d’ailleurs un cer-tain désarroi. »SÉCURITÉ. Depuis les évènements deChérioux, aucun étranger au lycée nepeut pénétrer l’enceinte du parc dé-partemental qui abrite l’établissement.Il est gardé par de nouveaux cerbères:les EMS (Équipes mobiles de sécurité).Alors que nous discutons avec les en-seignants, devant le lycée, un hommevient à notre rencontre et se présente:« Bernard Claux, inspecteur d’Académiechargé de coordonner la nouvelle brigadedes lycées. » M. Martin, en verve, l’in-terpelle: « Vous arrivez après la bataille! »Fébrile, il nous explique sa mission, in-sistant fortement sur le fait que les EMSne se substituent pas aux personnelséducatifs, qu’ils sont là pour répondreà d’autres besoins. Les professeurs deBobigny, eux, ont refusé ce service. Ducôté des élèves, Cédric et Gaëtan neveulent pas d’un lycée prison. JérémieButtin, professeur d’arts appliqués,prend le temps de réfléchir à la ques-tion et de mettre des mots sur son ma-laise: « Il y a une différence entre sûretéet sécurité, explique-t-il en relisant sespolycopiés. La sécurité revient à proté-ger une partie de la société contre les dif-férents risques sociaux. Ça contribue àmonter une catégorie contre l’autre. Lasûreté, au contraire, cela consiste à ins-taurer un climat de confiance, un senti-ment de protection. J’entends que l’on veut« sanctuariser » le lycée. En tant que pro-fesseur de design dans l’espace, je disqu’un sanctuaire est un lieu fermé, se-cret, coupé d’un environnement hostile.Pour moi il faut laisser circuler l’intelli-gence, la société doit pouvoir régénérerl’intelligence produite par l’école. »

1. Le film de Michael Moore tentait d’expliquer pour-quoi en 1999, aux États -Unis, un jeune gar çon étaitrentré dans son lycée et avait tiré au fusil sur ses c a-marades, provoquant 13 victimes.

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Le personnel du lycée Chérioux réclamait des surveillants pour limiter la violence.

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Le mal des pro-fesseurs c’est

le mépris dont ils sesentent victimes.”‘‘

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Peut-on mesurer la violence en milieuscolaire?Nous manquons de données fiables :d’une part, les outils qui l’évaluent ontchangé, ce qui empêche d’avoir le reculnécessaire pour analyser des évolutions.Les enquêtes menées par l’Observatoi-re international de la violence en milieuscolaire dépendent des aléas des finan-cements publics. D’autre part, les vio-lences sont difficiles à évaluer dans lamesure où la plupart d’entre elles res-tent cachées: il est difficile pour ceuxqui en sont victimes de le révéler.Y a-t-il une augmen-tation de la violenceen milieu scolaire cesdernières années?L’augmentation dela violence n’est pasglobale, elle s’estconcentrée dans10 % des établisse-ments scolaires. Depuis 1997, la vio-lence a changé de nature, elle est deve-nue plus collective. Dans 95 % des cas,les responsables de cette violence relè-vent de l’établissement. On observe uneaugmentation des violences anti-insti-tutionnelles. La violence envers les ensei-gnants augmente de 8 % par an depuis2001. Il y a donc un accroissement dela délinquance d’exclusion. Les plusisolés en sont les premières victimes.Quelles sont les causes de cette violence?Elles ont un lien direct avec l’exclusionsociale. Mais il existe aussi des causesinternes au système scolaire. On consta-te un problème de stabilité des équipesenseignantes. Le système français affec-

te dans les établissements les plus dif-ficiles les enseignants les plus jeunes,qui les quittent dès qu’ils le peuvent. Ily a une forte rotation des enseignants,qui au bout du compte connaissentmoins les failles de leur lycée que lesélèves eux-mêmes. Se sentant malaimés, les élèves « se vengent ».Les professeurs savent-ils gérer cetteviolence?Ils ne maîtrisent pas les techniques degestion de groupe. La stabilité et la for-mation des enseignants sont des condi-tions sine qua non à la réussite des poli-tiques publiques dans ce domaine. Or,la réforme concernant la formation des

professeurs va à l’encontre de ces objec-tifs, car elle supprime le peu de for-mation consacrée à la gestion de la vio-lence qui existait dans les IUFM.Peut-on imputer la violence des élèvesà l’institution elle-même?L’institution a des responsabilités : lemépris social provoque des troubles.Elle manque aussi de réflexion sur l’usa-ge et l’efficacité des sanctions. Parailleurs, la formation des enseignantsne comporte pas la question de la pri-se en compte de l’individu. Or cettedimension est au moins aussi impor-tante que celle de la transmission de ladiscipline elle-même. Le problème estle même pour les professeurs. Une étu-

de a été réalisée au Canada: un meilleuraccueil des enseignants permet de rédui-re de moitié les violences.Que pensez-vous des solutions propo-sées par le gouvernement?Elles ne seront pas efficaces, et peut-être même nuisibles. Aux États-Unis,une enquête du FBI sur l’utilité desfouilles à l’école et des portiques élec-troniques démontre que ce type d’ini-tiatives renforce le sentiment d’humi-liation des élèves et de coupure avecl’institution. Plus l’établissement estclos, plus les violences sont fréquentes.Les solutions sont plus humaines quetechniques: l’ouverture de l’école auxparents d’élèves et aux élèves est unepiste qui permettrait de réduire la vio-lence. Pour contrer la violence, il fautéviter la solitude, ce que l’on appelle« la disponibilité des cibles ». Plus unélève est isolé, plus il risque d’être vic-time et vice-versa.Les EMS (Équipes de sécurité mobiles)répondent elles à ce problème?Je n’ai pas d’a priori: cette mesure devraêtre évaluée. Mais elle a un coût élevé,et peut être contre-productive. Ceséquipes restent externes aux établisse-ments, ce qui rend difficile le traitementde problèmes internes. Cela peut ser-vir dans la mesure où l’équipe péda-gogique est en crise. On envoie ceséquipes dans l’urgence sans qu’ellesaient les compétences requises pourremplir la mission qu’on leur assigne.Pour régler les problèmes de violence,il est nécessaire d’être très implanté, cequi n’est pas par définition le cas desEMS. Recueilli par E. S.

Mon lycée va craquer

La mort d’un élève au lycée Darius-Milhaud, au Kremlin-Bicêtre (94),relance le débat sur la violence à l’école.

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Entretien. Éric Debarbieux est sociologue et directeur de l’Observatoireinternational de la violence en milieu scolaire. Il décrypte les évolutions dece phénomène et préconise des solutions humaines plutôt que techniques.

“ Les élèves se sentent mal-aimés ”D

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Les portiques et lesfouilles renforcent

le sentiment d’humiliationdes élèves.”‘‘

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