monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

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Expéditeur & éditeur responsable: M.R. Eligius, bd M. Lemonnier 171, 1000 Bruxelles 2 euros 41 iéme année n° 08 [1823) Supplément à Solidaire du 24 février 2011 Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique | PTB NUMÉRO SPÉCIAL 2 EUROS MONDE ARABE > ÉGYPTE ET TUNISIE : LES ÉTAPES CLÉS DE LA RÉVOLUTION>4-7 > LES ACTEURS DE LA RÉVOLUTION : JEUNES, FEMMES, SYNDICATS, PARTIS > 8-11 > HISTOIRE : COMMENT L’OCCIDENT A SOUS-DÉVELOPPÉ L’EGYPTE >12-13 M NDE LE R É VOLUTIONS CES RÉ VEILLENT QUI SAMIR AMIN Qui a chassé Moubarak ? > 8 HAMMA HAMMAMI Le dictateur vaincu, mais pas la dictature >14-15 ALAIN GRESH Les Etas-Unis affaiblis >18 SAMI ZEMNI Religion et politique > 16 MICHEL COLLON La fausse excuse de l’islamisme >17 PETER MERTENS Le printemps arabe > 3 NAWAL EL SAADAWI Le rôle des femmes > 10

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Numéro spécial de l'hebdomadaire Solidaire

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Page 1: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

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Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique | PTB

Numéro spécial2 euros

Monde arabe

> égypte et tunisie :

LesétapescLésdeLarévoLution>4-7

> Les acteurs de La révoLution :

jeunes,femmes,syndicats,partis > 8-11

> Histoire :

commentL’occident

asous-déveLoppéL’egypte >12-13

M ndele

révolutions Ces

réveillentqu

i

samiraminQui a chassé Moubarak ? > 8

HammaHammamiLe dictateur vaincu, mais pas la dictature >14-15

aLaingresHLes etas-unis affaiblis >18

samiZemnireligion et politique > 16

micHeLcoLLonLa fausse excuse de l’islamisme >17

petermertensLe printemps arabe > 3

nawaLeLsaadawiLe rôle des femmes > 10

Page 2: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

� Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | EditO |

RédactionBd M. Lemonnier 171, bte 2, 1000 Bruxelles +32(0)2 50 40 120 • fax +32(0)2 513 98 31 • [email protected] • RédacteuR en chef David Pestieau • aSSIStant Redac-teuR en chef [email protected] • WeBteaM [email protected] • www.solidaire.org • cOuRRIeR deS Lec-teuRS [email protected]

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5. soLidaire en FLandreSolidaire (qui est également publié en néer-landais) est aussi vendu en Flandre. Vous pouvez le trouver notamment aux adres-ses suivantes : anvers Van Arteveldestraat 5, 2060 Anvers • Gand Halve Maanstraat 7a, 9040 Gand • Louvain C. Meunierstraat 43, 3000 Louvain. Plus d’adresses sur www.ptb.be (en néerlandais sur www.pvda.be)

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DaviD Pestieau - RédacteuR en chefEnvie de réagir ? [email protected]<

Des révolutions qui réveillent le monde« Si les Égyptiens ont droit à la démocratie, pourquoi pas le Wisconsin ? », disent des pancartes brandies parmi la foule de 50 000 manifestants de cet État américain, en ce mois de février. Le Wisconsin est le théâtre d’une révolte populaire contre des coupes budgétaires. « C’est comme si le Caire s’était déplacé à Madison (la capitale de l’État, NdlR) », a ajouté un élu républicain au Congrès de Washington. Et oui, le vent de résistance des révolutions dans le monde arabe a même atteint les États-Unis.  Des dictateurs détestés en Tunisie et en Égypte ont été soutenus à bout de bras par les pays occidentaux durant des décennies. Ils ont été aujourd’hui chassés.  Du Maroc à l’Irak, les peuples du monde arabe se sont débarrassés de la peur. Des choses jugées impensables, il y a quelques mois, deviennent aujourd’hui réalité. « Plus rien ne sera comme avant », a déclaré amèrement la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton.  Ces révolutions réveillent le monde : les peuples peuvent prendre leur sort en main. Et, face à la misère et l’oppression, ils ne doivent pas attendre en vain des changements venus d’en haut.  Cette année 2011 commence comme une année d’optimisme et de lutte. C’est ce qui nous a motivé à faire un numéro spécial, dédié à ces révolutions si proches de chez nous.  Oui, la lutte paie. Dans le monde arabe, on voit la « génération Facebook » à l’œuvre, les militants de la première heure, les syndicalistes chevronnés, les femmes 

décidées qui, tous, se sont organisés. Et qui ont, souvent  pendant des années, semé les germes de ce qui est devenu un puissant mouvement populaire.  Nous ne vivons que le début de ce bouleversement. L’onde de choc continue à se propager, malgré une répression féroce : en Lybie, à Bahreïn, au Yémen ou en Jordanie.  Et en Tunisie comme en Égypte, si les dictateurs sont partis, la structure de la dictature ne l’est pas encore. Les partisans de l’ancien régime, les grandes puissances 

tentent de voler les acquis des révolutions. L’avenir est encore semé d’embûches. Mais il y a surtout beaucoup de développements positifs possibles. Avec leurs nouveaux droits arrachés, les gens s’organisent et luttent. En Tunisie, là d’où tout est parti, la deuxième étape de la révolution commence : pour chasser un gouvernement trop lié à l’ancien régime, pour une nouvelle Constitution et un tout nouvel État réellement populaire, démocratique et indépendant. Tout cela ne peut se réaliser en un jour. Ce processus 

connaîtra encore beaucoup de phases dans les prochains mois et années.  Aujourd’hui, les rêves de libération du monde arabe peuvent devenir réalités. Nous pouvons les aider : par l’information, par la solidarité, par l’action. Car leurs rêves sont les nôtres. Nous pouvons aussi contraindre nos gouvernants à ne plus entraver le chemin des peuples du Sud vers la démocratie, la justice sociale et l’indépen-dance.

En octobre dernier, des Égyptiens manifestaient en soutien au peuple palestinien. Aujourd’hui, les rêves de libération du monde arabe peuvent devenir réalités. (Photo Nasser Nouri)

L’onde de choc de ce bouleversement continue à se propager, malgré une répression féroce : en Lybie, à Bahreïn, au Yémen ou en Jordanie.

Vidéos et photos !

Messages Twitter surprenants !

Liens vers des sites d’organisations

arabes progressistes et autres blogs !

Chiffres et contexte !

Témoignages sur place !

Pour en savoir plus sur le Moyen-Orient, rendez-vous sur www.ptb.be

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�Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

Soutenez le printemps arabe !En février, Peter Mertens, le président du PTB,

s’est rendu en Tunisie avec une délégation du parti et a longuement discuté avec de jeunes révolutionnaires dans la région où tout a commencé.

« Un cappuccin », dit Rafik en commandant un cap-puccino tunisien dans cette cafeteria typique. Nous som-mes à Kasserine, une ville oubliée à l’intérieur du pays. 

u C’est dans cette région que la révolution a commencé. L’armée est partout, mais on ne voit pas un agent de police. Ils n’osent plus se montrer en rue.  Hakim a 16 ans. Ses amis, Rachid, Mokhtar et Adel lui ôtent son pull et montrent la blessure par balle qu’il a dans le dos. Il a survécu de justesse à la balle d’un sniper de la police politique. 42 autres jeunes du quartier ont eu moins de chance. Les snipers ont tiré depuis les toits entourant la place du 7 novembre. Leur crime ? Ils participaient à des manifestations de solidarité avec Mohamed Bouazizi, le jeune maraîcher qui, le 17 décembre, s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid, après une énième brimade du régime. Ici, à Kasserine, à l’instar de Mohamed Bouazizi, nombreux sont les jeunes avec un diplôme en poche. Mais il ne vaut rien car il n’y a pas de travail et tous les secteurs de la société sont confisqués par le régime de la famille Ben Ali et leurs amis de Paris et Rome. Ils sont donc descendus dans la rue. Pour un emploi. Et ils n’ont pas reculé quand le régime a riposté brutalement, soutenu en cela par la France. Au contraire.   En plus des revendications sociales, il y a également des revendications politiques : « Ben Ali, dégage ! », la liberté  ainsi que la liberté de s’organiser. En moins d’un mois, les Hakim, les Rachid et les Adel ont reconquis leur pays et chassé Ben Ali. « Une fois la population bien réveillée, on n’a plus pu l’arrêter », rigole Selma, le regard rayonnant. « Nous avons ouvert la porte et, grâce à nous, un vent nouveau souffle aujourd’hui aussi sur la place Tahrir, au Caire. » Selma nous entraîne vers le nouvel écriteau de la place où tout a commencé. Griffonné à la hâte, on ne peut pas ne pas le voir, le nouveau nom : « Place des Martyrs ». Au début, ils sont descendus dans la rue pour du pain. Bien vite, ils ont voulu toute la boulangerie aussi…  Pendant des années, des éditorialistes de droite ont répété que les peuples arabes n’avaient qu’à se débarrasser de leurs « propres dictateurs ». Mais « ses » dictateurs recevaient 

du soutien financier de Paris et de Rome, du sou-tien mili-taire de 

Washington et, politiquement, ils étaient accueillis au sein de l’« internationale social-démocrate » de Ségolène Royal, Elio Di Rupo et Caroline Gennez. Mais, maintenant que la population a pris son sort en mains, les mégaphones de 

droite restent muets.   Le printemps arabe a fait s’effondrer comme autant de châteaux de cartes toutes les âneries sur « le choc des cultures » et les « civilisations opposées ». Des centaines de milliers de jeunes, de syndicalistes, de femmes se dressent pour la liberté d’organisation, les droits démocratiques et une véritable indépendance de leur pays. C’est une dynamique démocratique encore jamais vue, qui déborde chez nos voisins méditerranéens. On le voit dans les rues de Kasserine, on le voit dans les comités de rue de Sousse, on le voit dans 

les locaux syndicaux de Tunis.   « Oui mais, tout ça, ça va se terminer comment ? », de-mandent les pessimistes. Le pessimisme et le cynisme sont les premiers ennemis du changement. « Nous n’avons plus peur ! » En Tunisie comme en Égypte, voilà le moteur du processus révolutionnaire. « Le principal soutien utilisable aujourd’hui n’est pas financier. Non, nous voulons que le plus grand nombre possible de gens viennent ici. Qu’ils voient ce qui se passe ici. Et qu’ils propagent la révolution », déclare notre hôte, Hamma Hammami. L’homme est le porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT). « L’intègre », comme on le surnomme. Parce qu’il n’est pas corrompu et parce que, malgré ses années de séjour dans les cachots de Ben Ali, il n’a jamais fléchi dans sa volonté de lutte.   « Comment ça va évoluer ? Cela dépend de ceux qui font l’histoire et non de ceux qui font des commentaires depuis leur fauteuil », répond Hammami. Nous ne sommes pas les spec-tateurs, nous sommes les acteurs du changement. Le soutien au printemps arabe est une cause qui nous concerne tous. Parce que les forces progressistes ont besoin de notre soutien. Fraternisons avec les délégations syndicales,  avec les comités de femmes, avec les organisations des droits de l’homme, avec les partis communistes afin d’approfondir le tout nouveau processus des droits démocratiques et de l’indépendance nationale. Mais aussi, et surtout, parce que nous pouvons tirer des leçons de ce qu’ils font aujourd’hui. Afin de contrer nos propres préjugés à l’égard du monde arabe. Et nous pouvons également apprendre comment une population se met en mouvement et sentir quelle 

force il y a en elle quand elle ouvre la porte. 

Peter Mertens<

ObservatiOns depuis une cafeteria tunisienne à Kasserine

Peter Mertens et Rafik

Rassaâ (à droite) en

conversation avec quelques jeunes révolu-

tionnaires durant leur récent séjour

à Kasserine, en Tunisie. (Photo

Solidaire)

Le printemps arabe a fait s’effondrer comme autant de châteaux de cartes toutes les âneries sur « le choc des cultures » et les « civilisations opposées ».

« Nous n’avons

plus peur ! » En

Tunisie comme

en Égypte, voilà

le moteur du

processus

révolutionnaire.

Une dynamique démocratique encore jamais vue déborde, chez nos voisins méditerranéens. On le voit dans les rues de Kasserine, on le voit dans les locaux syndicaux de Tunis.

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� Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | Tunisie |

A qui profite le « miracle économique » tunisien ?

Révolution en tunisie

Quelques semaines pour mettre fin à 23 ans de pouvoir

En moins d’un mois, le peuple tunisien a mis fin à près d’un quart de siècle de dictature de Ben Ali. Si le chemin de la démocratie est encore long, les Tunisiens conti-nuent à se battre pour virer tous les « petits Ben Ali »..

L'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi (le 17 décembre 2010, il mourra le 4 janvier 2011) a été l'élément déclencheur qui a mis en exergue les causes de la révolution. Ce jeune homme de 26 ans, comme des milliers d'autres Tunisiens, était un « chômeur diplômé » qui subvenait à ses besoins par une activité informelle. Également originaire de la ville de Sidi Bouzid, Maher nous raconte que le suicide est un fait courant dans sa région, particulièrement chez les jeunes. Dans cette région défavorisée, la situation

u économique est des plus dramatiques pour la population : « L'intérieur du pays est marginalisé: même avec un diplôme, nous n'avons aucune perspective d'avenir, vu qu'aucun secteur n'est développé. » Le 19 décembre, le mouvement social contre le chômage et la vie chère débute à Sidi Bouzid. Condamnée à l'inactivité, cette jeunesse s'est soulevée pour exiger des conditions de vie dignes. Leur mot d'ordre : « Du pain et du travail : oui, Ben Ali : non ! ». C'est dans ces régions populaires les moins favorisées (Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa, etc.) que les premiers soulèvements ont éclaté avant de s'étendre dans le reste du pays. Le 10 janvier, le mouvement touche Tunis. Les écoles et les universités ferment, les étudiants rejoignent massivement le mouvement. Ils sont très rapidement relayés par les avocats et le syndicat (UGTT). La grève générale organisée

par celui-ci le 14 janvier a joué un rôle crucial dans le développement des événements.

« RCD dégage »Le caractère en partie spontané de ce mouvement a pu contribuer à son succès dans le sens où il n'y avait pas d'intermédiaire entre la population et le régime de Ben Ali. C'est-à-dire aucun moyen pour manipuler ou calmer le mouvement. Si ce n'est par la violence. Une fois le dictateur chassé (le 14 janvier), le mot d'ordre « Ben Ali dégage » a rapidement été remplacé par « RCD Game Over, RCD dégage » (le Rassemblement constitutionnel démocratique est le parti de Ben Ali et de l’actuel dirigeant, Ghannouchi). Le 17 janvier, Ghannouchi, ex-premier ministre de Ben Ali, annonce un « gouvernement d’union nationale

» où trois ministres sont issus de l’opposition. Mais les postes clés sont toujours entre les mains du RCD. La population continue à se mobiliser, toujours pour la création d'emplois mais aussi contre le gouvernement Ghannouchi qui n'est vu que comme une continuité de l'ancien régime. Sous la pression populaire, il a été obligé de dissoudre le premier gouvernement de transition. Le 27 janvier, il forme une nouvelle équipe de « transition ». Mais en quoi ce deuxième gouvernement est-il différent du premier ? Est-il plus légitime ? Maher nous dit ne pas être dupe : « Il ne s'agit que d'un remaniement de surface : ce sont toujours les membres du RCD qui sont au pouvoir mais sans le RCD. On a viré Ben Ali, maintenant on doit virer tous les petits Ben Ali. » Ceux-ci s'opposent coûte que coûte à la révolution qui signifie, pour eux, la fin de leurs privilèges.

Armes au phosphoreCette opposition, ils la mèneront à n'importe quel prix : on le voit dans la manière dont le gouvernement Ghannouchi a dissous l'occupation de la place de la Kasbah (où se trouvent les bureaux du Premier ministre). Les rassemblements qui y ont lieu exigeaient le départ de l’actuel

dirigeant qui a été pendant 11 ans le Premier ministre de Ben Ali. Dans les médias, on peut lire que Ghannouchi a cherché la conciliation avec les manifestants, est-ce vrai ? « Ce qui est vrai, c'est qu'ils ont essayé d'acheter les gens, d’après Maher. Ils ont proposé d'offrir à chaque manifestant une importante somme d’argent pour qu'on rentre chez nous ! Mais nous ne nous sommes pas laisséspiéger. Du coup, le gouvernement a changé de méthode en employant la répression. Ils ont utilisé des armes au phosphore contre nous. Ces armes sont illégales, elles causent la paralysie des membres et endommagent les voies respiratoires. » A Kasserine, Issi nous relate la répression dont il a été témoin après la chute de Ben Ali : « Ils avaient posté des tireurs d'élite sur les toits qui visaient systématiquement la tête. Dans notre quartier, la plus jeune victime était un enfant de 6 mois, tué en même temps que sa mère alors qu'elle était au hammam. » Les Tunisiens ne sont pas encore quitte de l'ancien régime mais ils sont déterminés à en venir à bout. « Cette révolution, c'est notre dignité, on ne se la laissera pas voler ! »

Mathilde el Bakri**Membre de la délégation du PTB qui est partie en Tunisie au début du mois de février

<

Manifestation d’étudiants devant le Théâtre Municipal, place Bourguiba à Tunis, pour exiger le départ des ministres de Ben Ali. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

Alors que la Tunisie est présentée comme un « miracle économique », sa population subit un taux de chômage important (le chiffre officiel est de 14 %, entre 30 et 40 % chez les jeunes). Deux caractéristiques économiques expliquent cette situation.

Premièrement, l’économie tunisienne est dite « ex-travertie », c’est à dire essentiellement tournée vers l’exportation. Ce qui signifie qu’elle est dépendante de la demande extérieure. Et comme la demande est faible… Les industries vouées à l’exportation sont principalement celles du textile, des mines et des produits manufacturiers. Ces industries nécessitent une main d’œuvre peu qualifiée. Et étant exposées à la concurrence internationale, elles cherchent toujours à diminuer les coûts de production. Pour cela, elles font pression sur les salaires. Cette pratique est fortement facilitée dans les industries étrangères où le droit de se syndicaliser est souvent interdit. Mais après la chute de Ben Ali, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, ex-unique syndicat) a vu son nombre d’adhérents monter en flèche.

u Deuxièmement, cette spécialisation économique entraîne une concentration par secteurs mais aussi par régions (zones côtières). Par conséquent, son dévelop-pement est inégalement réparti et ce, aux dépens de l’intérieur du pays. Ainsi, certaines régions sont sous-développées et le chômage y est endémique. Seul un changement structurel de l’économie pourra créer des emplois. Aussi pour la main d’œuvre qualifiée qui représente environ 50 %: les chômeurs diplômés. Dans cette catégorie, plus de 50 % ont moins de 30 ans. En fin de compte, le « miracle économique » se fait aux dépends de la population et plus particulière-ment de ses jeunes diplômés. Alors que travailleurs et chômeurs subissent diminutions de salaires, manque d’emplois et manque d’investissement dans les sec-teurs nationaux, une petite élite bénéficie de cette économie d’exportations. C’est ce qu’on appelle la bourgeoisie « compradore ». En Tunisie, elle se limite à un cercle réduit proche du pouvoir : le « clan Ben Ali » (et la famille de sa femme, le « clan Trabelsi »). C’est en grande partie pour cela aussi que les jeunes Tunisiens se sont soulevés. Pour exiger des conditions de vie et de travail plus digne. (MEB) Manifestation devant le Parlement contre le vote d’un nouvel article de loi

attribuant à Ghannouchi tous les pouvoirs présidentiels. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

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�Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011| Tunisie |

TunisieQuelques chiffresSuperficie : 165.150 km2 (5,5 fois la Belgique)Nombre d’habitants : 10 589 025Espérance de vie : 76 ansPIB : 43,86 milliards de dollars (Belgique : 461 milliards)Part des moins de 25 ans dans la population : 42,1 %Population urbaine : 67 %Religion : 98 % de musulmans, 1 % de chrétiens, 1 % de juifs et autres

Qui est qui ?Mohamed BouaziziJeune chômeur de 26 ans qui s’est immolé le 17 décembre 2010 devant le gouvernorat à Sidi Bouzid, afin de protester contre la confiscation de sa marchandise. Il décède deux semaines plus tard. Il était devenu vendeur ambulant, faute de mieux. Plus de 5 000 personnes assistent à son enterrement. Sa mort radicalise la révolte populaire et il devient un symbole de la révolution tunisienne.

Zine Ben AliMilitaire de formation, il prend le pouvoir en 1987, profitant de la maladie de son prédécesseur, Bourguiba. Il restera au pouvoir jusqu’au 14 janvier 2010. Marié à Leïla Trabelsi, il s’exile en Arabie Saoudite.

Mohamed GhannouchiAprès la prise de pouvoir de Ben Ali, il devient ministre du Plan. Il passe ensuite dans plusieurs ministères avant d’être nommé Premier ministre en 1999. Après le départ de Ben Ali, il prend les rênes du pouvoir.

Front du 14 janvierTirant son nom de la date de départ de Ben Ali, ce front « populaire, dé-mocratique et progressiste » regroupe dix organisations politiques, dont le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et le Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD).(Voir page 8)

Hamma HammamiPorte-parole du PCOT, plusieurs fois emprisonné. Marié à Radhia Nasraoui, avocate et militante des droits de l’homme. Entre dans la clandestinité en 1998 jusque 2010, lorsque son parti est reconnu comme « légal ». (Voir page 14-15)

Régime politiQue

« le contrôle et la censure étaient présents partout »

Aujourd’hui, on ne cesse de féliciter les peuples tunisien et égyptien. Mais il n’y a pas si longtemps, on entendait encore dire à propos des peuple arabes qu’ils étaient « peu combatifs et désunis ». Que signifie vivre sous une dictature comme celle de Ben Ali ?

Bien que 25 % des sièges du parlement soient réservés à l’opposition par la constitution, celle-ci n’est en fait qu’une opposition fantoche servant à légitimer la présidence de Ben Ali. Dans cette fausse opposition, on retrouvait trois partis. La réelle opposition, elle, était entièrement muselée. Beaucoup de responsables politiques actifs dans l’opposition ont fait des années de prison et y ont subi la torture physique et morale. Toute réelle opposition politique ou idéologique était interdite. C’était le cas du PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie) qui s’est organisé dans la clandestinité durant plus de vingt ans. La plupart de ses responsables ont fait de la prison, parfois pour des motifs tels qu’avoir

u participé à une manifestation… Même en dehors des organisa-tions clandestines, le moindre avis divergent se payait cher. Samia travaille à la Radio tunisienne, elle a vu nombre de ses collègues se faire muter dans des régions reculées du pays pour avoir osé émettre une critique envers Ben Ali : « Le contrôle et la censure étaient présents partout, même dans un taxi, vous ne pouviez pas parler de politique. » Beaucoup de taximen sont en fait des agents de la police politique qui surveillent les habitants pendant leurs courses.

un système toujours en place

Un autre exemple, celui de Ahmed, militant dans l’UJET (Union des jeunes étudiants tunisiens) : « En 2006, lors d’une manifestation pour la baisse des prix de la cantine de l’université, la police a arrêté une vingtaine de jeunes. L’un d’eux est toujours en prison et nous n’avons aucune nouvelle de lui depuis deux ans, nous ne savons même pas s’il est encore en vie ou pas. » Ce jeune n’est pas un cas isolé. Nombre de familles sont toujours sans nouvelles de leurs

proches. Certains d’entre eux ont été condamnés pour violation du droit commun : une mère témoigne que son fils a été condamné à huit ans de prison pour avoir uriné dans un lieu public. La disproportion des peines par rapport aux infractions commises sème le doute sur les réelles causes de l’emprisonnement. Ainsi, les détenus pour violation du droit commun n’ont pas pu bénéficier de l’amnistie accordée aux détenus politiques. Pour maintenir un tel régime, Ben Ali s’appuyait sur un appareil répressif gigantesque : à travers, entre autres, la police politique et ses milices. Piliers de la dictature, leur dissolution est une des revendications du Front du 14 janvier (voir page 8) alors que Ghannouchi, ex-premier ministre de Ben Ali qui dirige le pays depuis le départ de ce dernier, refuse de les dissoudre. Mais la roue tourne et les Tunisiens ont irrémédiablement ébranlé ce régime. Un jeune, Issi, nous assure : « Aujourd’hui, ils ont peur car nous n’avons plus peur. »

Mathilde el Bakri<

Des mères réclamant des nouvelles de leurs fils emprisonnés depuis des années. Les familles des prisonniers ignorent bien souvent où se trouvent les leurs. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

Île Socotra

Île Providence

Îles Agalega

Île Farquhar Îles Aldabra

Îles Amirantes

Île Zanzibar

Île Pemba

Carajos

la Réunion

TromelinÎle Ste. Hélène

Île Ascension

Îles Madère

Îles Canaries

Île Principe

Cargados

Île Annobón

Île Sao Tomé

Îles Mayotte(sous admin.

française)

Asmara

LibrevilleKampala

Nairobi

Moroni

Brazzaville

Kinshasa

Yaoundé

Khartoum

Addis-Abeba

N'Djamena

Bangui

Kigali

Bujumbura

Lilongwe

Djibouti

Banjul

Conakry

Yamoussoukro Accra

Freetown

Monrovia

Abidjan

Abuja

Nouakchott

Dakar

Bissau

Bamako

Ouagadougou

Malabo

Niamey

Luanda

PortoNovo

Tripoli

Tunis

Alger

Rabat

El Ayoun

Le Caire

Lusaka

Harare

Pretoria

MaseruBloemfontein

MbabaneMaputo

Le Cap

Windhoek Gaborone

Antananarivo

Victoria

Mogadiscio

Praia

Lome

Port Louis

SaoTomé

Dodoma

O C É A N

A T L A N T I Q U E

LacTurkana

LacAlbert

LacTanganyiaka

LacNyassa

LacKariba

LacTchad

LacVictoria O C É A N I N D I E N

M e rM

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Golfe d'AdenSOUDAN

NIGÉRIA

NAMIBIE

JAMAHIRIYAARABE LIBYENNE

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AFRIQUE DU SUD

RÉPUBLIQUE-UNIE DE

TANZANIE

MAROC

SAO TOMÉ-ET-PRINCIPE

ZAMBIE

RÉPUBLIQUECENTRAFRICAINE

TUNISIE

OUGANDA

CÔTE-D'IVOIRE

LIBÉRIA

SIERRALEONE

BURKINA FASOGAMBIE

CAMEROUN

GUINÉE-ÉQUATORIALE

Saharaoccidental

MAURICE

CAP-VERT

ERYTHRÉE

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NG

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NIGER

RÉPUBLIQUEDÉMOCRATIQUE

DUCONGO

GABON

MALI

Cabinda(ANGOLA)

MAURITANIE

BOTSWANA

SWAZILAND

LESOTHO

MALAWI

BURUNDI

RWANDA

ZIMBABWE

DJIBOUTI

KENYA

COMORES

SEYCHELLES

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SÉNÉGAL

GUINÉE-BISSAU GUINÉE

ÉGYPTE

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(GUINÉE-ÉQUATORIALE)

(PORTUGAL)

(ESPAGNE)

(R.-U.)

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(MAURICE)

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Map No. 4045 (F) Rev. 5 UNITED NATIONSApril 2009

Department of Peacekeeping OperationsCartographic Section

AFRIQUE

5000 1000 km Les frontières et les noms indiqués sur cette carten'impliquent pas reconnaissance ou acceptationofficielle par l'Organisation des Nations Unies.

Cartes Monde diploMatique et un

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Le 25 janvier dernier, à pei-ne onze jours après le départ du dictateur tunisien Ben Ali, la ré-volution égyptienne débute : un mouvement de masse qui, à son tour et en deux semaines, réussit à chasser le président Moubarak du pouvoir.

« Je suis extrêmement fière du peuple égyptien. Après trente ans de dictature et de peur, ce n’était pas facile d’oser descendre dans la rue. Mais ça ne pouvait plus continuer comme ça », témoigne Eva Vergaelen. Journaliste, mariée à un Egyptien, elle se rend au Caire tous les deux mois avec ses enfants. Son mari a participé aux actions et 

u manifestations de la place Tahrir. « Ici, en Occident, poursuit-elle, on n’a rien vu venir. Mais le soulèvement du peuple égyptien n’est pas tombé du ciel. Depuis longtemps, les gens pensaient que cela ne pouvait plus durer. La corruption, la pauvreté croissante et le manque total de liberté ont rendu la vie extrêmement difficile. »

Le changement vient de la rue

C’est en 2005 que sont apparus les germes de la révolte populaire. Cette année-là, « Kefaya », un mou-vement pour le changement, s’est fait connaître à l’occasion du référendum constitutionnel et des élections pré-sidentielles. Certes, ce mouvement 

n’a jamais pu vraiment percer, mais il a prouvé l’existence d’une volonté de changement.  Trois ans plus tard s’est déroulée une importante grève des travailleurs du textile dans la ville de El-Mahalla El-Kubra, donnant naissance au fa-meux « mouvement du 6 avril », qui allait jouer un rôle important dans la mobilisation pour l’actuelle révolu-tion. A l’époque, grâce aux réseaux sociaux sur Internet, des jeunes avaient manifesté leur soutien aux grévistes, rendu compte des actions menées, montré la répression policière et organisé une assistance juridique.  En novembre 2010 ont eu lieu les élections au parlement, élections totalement truquées. Avant celles-ci, Moubarak avait d’ailleurs déclaré 

ouvertement à la télévision qu’elles ne changeraient absolument rien. Le jour des élections, beaucoup d’Egyptiens ne furent même pas autorisés à entrer dans les bureaux de vote. « Il était donc très clair que les élections n’amèneraient jamais aucun changement, insiste Eva Vergaelen. Celui-ci devrait venir de la rue. Et les événements en Tunisie ont rapidement tout déclenché. »

Jour de colèreLa révolte a éclaté le 25 janvier. « Chaque année, à cette date, est organisée une sorte de fête pour la police, explique Eva Vergaelen. Mais, depuis des années, la police est haïe du peuple. Celle-ci était très corrompue et tout le monde savait

qu’elle maltraitait les gens et utilisait la torture. C’est la raison pour laquelle différents mouvements ont choisi cette date pour suivre l’exemple tunisien et lancer un mouvement de masse contre le régime. Le “jour de la police” a été rebaptisé le “jour de la colère”. » Internet a joué un rôle très important dans la mobilisation, en particulier avec la page Facebook « Nous sommes tous Khaled Saïd », du nom du jeune homme d’Alexandrie battu à mort en rue par la police.  Le premier jour déjà, des dizaines de milliers de gens ont manifesté, non seulement au Caire, mais aussi dans d’autres villes comme Suez et Alexandrie. Malgré la forte répression policière, le nombre de manifestants n’a cessé d’augmenter les jours sui-vants. Des millions d’Egyptiens se sont révoltés contre un système corrompu, la répression brutale, la misère et le manque de perspectives d’avenir. « Moubarak devait partir, insiste Eva Vergaelen. Il fallait mettre fin à tout cela, libérer les prisonniers politiques et prendre en compte les exigences de la population comme l’emploi, des salaires décents, la liberté syndicale. »  Le régime a tenté de calmer la population par une augmentation de 15 % des salaires, ce qui a provoqué l’effet contraire et déclenché une vague de grèves. « En effet, ces 15 % sont totalement insuffisants, précise Eva Vergaelen. Il faut savoir que, pour 80 % de la population, la situation est intenable. Au cours des cinq dernières années, les prix des produits de base ont doublé, et les salaires n’ont pas bougé. »  D’autres concessions n’ayant pu apaiser les esprits, Moubarak et son gouvernement ont démissionné le 29 janvier. Le 5 février, Moubarak a renvoyé les dirigeants de son parti chez eux, y compris son propre fils et successeur désigné. Le lendemain, il nommait à la vice-présidence Omar Souleiman, le chef de la police secrète. Les manifestations ont cependant 

Le soulèvement du peuple égyptien n’est pas tombé du ciel

Trente ans d’état d’urgence

La situation en Egypte était devenue intenable : forte répression, élections truquées, corruption, pauvreté croissante. Les Tunisiens ont donné l’exemple et ont montré que le changement peut, et doit, venir de la rue. (Photo 3arabawy)

Après l’assassinat de son prédécesseur Sadate, en 1981, Mou-barak a maintenu l’état d’urgence pendant trente ans, transformant ainsi l’Égypte en un État policier des plus durs.

En Égypte, la coutume veut que toute opposition soit durement répri-mée. En septembre 1981, le président de l’époque, Sadate, avait fait jeter 1 600 personnes en prison en un mois à peine. Le 6 octobre 1981, lors d’un défilé militaire, il était abattu par des fondamentalistes islamistes. Le vice-président Hosni Moubarak, officier de l’armée tout comme Nasser et Sadate, reprenait le pouvoir et décrétait l’état d’urgence. À ce jour, celui-ci n’a toujours pas été levé.  Toute forme de critique et la moindre association d’opposants ont été interdites, sous Moubarak. La dictature règne avec une main de fer : en 2008, quatre rédacteurs en chef de journaux ont encore été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour avoir publié des articles considérés comme « insultants à l’adresse du chef d’État ».

Cinq personnes ensemble ? Suspect !« En Égypte, on ne pouvait littéralement rien entreprendre sans carte du parti dirigeant, le NDP (Parti national démocratique, NdlR) », explique Eva Vergaelen. « En outre, depuis l’assassinat de Sadate, le pays vit sous une dictature militaire. La prétendue lutte contre le terrorisme a été une véritable obsession. Toute forme de critique à l’égard du régime équiva-

u lait à de la sympathie pour le terrorisme et pouvait donc vous valoir la prison. Tout rassemblement de plus de cinq personnes était suspect. Il était également interdit de faire grève : toute tentative de se grouper en syndicats indépendants du régime était anéantie. Si, dans les syndicats, des leaders se mettaient en évidence – comme chez les journalistes ou les avocats – sans se ranger du côté du régime, ils étaient proprement destitués en remplacés par des figures “loyales” du NDP. »

La police collabore avec les gangs des ruesLa police et l’armée ont obtenu bien des moyens de Moubarak, afin d’asseoir son autorité. Et pas toujours de façon très douce. La police égyptienne est surtout connue pour ses interventions brutales. Récemment, WikiLeaks a publié un télégramme de l’ambassadeur des États-Unis, Scobey, daté du 15 janvier 2009. Scobey y explique que les informateurs de l’ambassade « estiment que, quotidiennement, dans les seuls bureaux de police du Caire, ont lieu des centaines de cas de torture ». Dès les années 1980, les districts de police locaux se sont même mis à œuvrer avec les gangs des rues, qu’ils engagent afin de terroriser la population du voisinage.  Ensuite, il y a une sorte de police antiémeute, les Services centraux de sécurité (Amn al Markazi), un corps de 397 000 hommes qui fait partie de l’armée et est placé sous le commandement du bras droit de Moubarak, Souleiman. C’est cette police antiémeute qui, lors de la révolution de janvier, a assailli les manifestants avec une extrême violence et à coups de grenades lacrymogènes. (TB)

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EgyptEQuelques chiffres• 997 739 km2 (32 fois la Belgique)• 80,25 millions d’habitants • Espérance de vie : 71,8 ans • Produit intérieur brut : 216 milliards de dollars (Belgique : 461 mil-liards).• 42 % de la population vit en ville • Religion : 90 % de musulmans, 10 % de chrétiens

Cartes ONU

Pauvreté grandissante et misère pour la population

continué et lorsque le 8 février, 6 000 dockers du canal de Suez arrêtaient le travail, la révolte est passée à la vitesse supérieure. Le mouvement ne cèderait pas, cela est devenu clair.  Finalement, Moubarak a dû quit-ter le pouvoir le11 février. Au moins 365 personnes ont perdu la vie au cours de ces 18 jours de « révolution égyptienne ».

Promesses, promessesEt maintenant ? « Le haut conseil militaire qui a remplacé Moubarak est donc un régime militaire. Ce n’est pas vraiment cette liberté-là que le peuple désire, affirme Eva Vergaelen. Bien sûr, les gens sont contents du départ de Moubarak, et les concessions et promesses faites par la direction de l’armée plaisent aux Egyptiens : la dissolution du parlement suite aux élections truquées, le changement de la constitution afin d’octroyer moins de pouvoir au président… Mais ce sont des promesses. La population exige la fin immédiate de l’état d’urgence et la libération de tous les prisonniers politiques. »  Les militaires pressent les nom-breux grévistes de reprendre le travail, mais les gens veulent profiter de leur liberté nouvelle pour obtenir un meilleur salaire et une améliora-tion des conditions de travail. Les travailleurs du textile de El-Mahalla El-Kubra, berceau de la révolte d’avril 2008, donnent l’exemple : ils sont 20 000 à être en grève. Et, à la place Tahrir, au Caire, des actions auront lieu chaque vendredi jusqu’à la disparition complète du régime.

Tony Busselen<

Les instances internatio-nales louent la politique éco-nomique égyptienne. Le pays attire beaucoup d’investisseurs étrangers. Mais pour l’Égyptien ordinaire, ce n’est pas synonyme de progrès.

Il y a deux ans, la Banque mondiale classait l’Égypte parmi les pays qui appliquaient le mieux les réformes libérales de privatisation et de libé-ralisation du marché. La croissance moyenne de l’économie tournait autour des 7 %. L’Égypte était le pays d’Afrique qui attirait le plus d’investisseurs étrangers. Dans le monde arabe, seule l’Arabie saoudite s’en sortait mieux. Et pourtant, la population manifeste son mécontentement de plus en plus violemment. Pourquoi ?  Les privatisations ont surtout fait disparaître l’emploi et diminuer les salaires davantage. Ensuite, une flambée des prix de la nourriture (ils ont doublé en quatre ans) est venue s’ajouter et s’est surtout fait ressentir après la crise économique de 2008. Pour des millions d’Égyptiens, cette situation est synonyme de lourde misère. 40,6 % de la population vit dans la pauvreté. Le taux de chô-mage officiel atteint les 9,7 %, ce qui représente 2,5 millions d’Égyptiens. 

u 70 % des chômeurs possèdent un diplôme d’enseignement secondaire et 10 % d’entre eux en ont même un de l’enseignement supérieur.

Grandes plantations, grande pauvreté

Ceux qui travaillent perçoivent un salaire trop bas. Le journal français La Tribune cite un vendeur de chaussures, Mohamed, qui gagne 125 euros par mois dans un beau centre commercial au Caire. Il a des difficultés à joindre les deux bouts. « Si je reçois mon salaire à la fin du mois, alors je ne sais pas comment je vais couvrir tous mes frais. Le loyer me coute déjà 45 euros. Ensuite, il faut ajouter l’électricité, la nourriture pour moi, ma femme et nos deux enfants… » Outre ces salaires excessivement bas, il y a ces hausses des prix constantes. « Le gouvernement doit diminuer les prix, cela ne peut plus continuer. »  Les réformes libérales ont également causé une stimulation des grandes plantations, où les produits agricoles sont cultivés pour l’exportation. L’agriculture égyptienne figure parmi les plus productives au monde, mais le pays doit aujourd’hui importer la moitié de ses céréales. Et la majorité des personnes démunies (78 %) habite à la campagne. (TB)

Les réformes libérales en Égypte ont fait disparaître l’emploi et diminuer les salaires. Ensuite, une flambée des prix de la nourriture (ils ont doublé en quatre ans) est venue s’ajouter et s’est surtout fait ressentir après la crise économique de 2008. Aujourd’hui, 40,6 % de la population vit dans la pauvreté. (Photo Nasser Nouri)

Qui est qui ?Hosni MoubarakA gagné sa reconnaissance dans l’armée de l’air pendant la guerre du Kippour. Vice-président de Sadate, il lui a succédé après son assassinat en 1981. Il a transformé l’Égypte en un véritable État policier, et a imposé au pays une politique pro-américaine et pro-israélienne. Il a quitté le pouvoir le 11 février dernier à la suite des protestations de la population.

Omar SouleimanIl a aussi fait carrière dans l’armée. Nommé à la tête du service de renseignements en 1993, il est connu pour son approche ferme de l’islam politique. Il a été désigné vice-président le 29 janvier 2011. Moubarak lui a laissé le pouvoir le 10 février mais lorsque, un jour plus tard, Moubarak s’est retiré et a laissé le pouvoir à un haut comité militaire, Souleiman a perdu son poste.

Mohamed El BaradeiAncien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il a vécu pendant des années à Vienne mais est rentré en Égypte lorsque l’insurrection a éclaté dans le pays. S’est présenté comme leader de l’opposition, mais n’a à peine que quelques partisans.

Khaled SaïdA été assassiné en juin 2010 à Alexandrie, parce qu’il a filmé des agents de police revendant de la drogue et mis les images sur Internet. Une page Facebook a été appelée « Nous sommes tous des Khaled Saïd » en son honneur. Cette page a précipité la protestation.

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� Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | acteurs |

L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a joué un rôle important dans la révolution tuni-sienne. De nombreux syndicalistes ont pris part aux protestations, et les grèves organisées ont mis la pression, avec des revendications à la fois syndicales et politiques.

Les manifestations de Sidi Bouzid, ville du centre-sud de la Tunisie, où l’immolation d’un jeune di-plômé-chômeur-vendeur de fruits a déclenché les premières luttes le 17 décembre dernier, partaient des locaux de l’UGTT. Des syndicalistes et des militants de gauche encadraient les jeunes et aidaient à formuler des slogans. Souvent, des meetings de solidarité avec Sidi Bouzid débou-chaient sur des manifestations. Elles demandaient d’arrêter la boucherie, d’enquêter sur les responsables des tueries, de retirer les forces de l’ordre dans les casernes. Sous la pression de la base de différentes régions, la Commission Administrative de l’UGTT (l’organe immédiatement en-dessous du Congrès national) a décrété des grèves tournantes le 12 janvier 2011. Le 13 janvier, 100 000 manifestants marchaient dans les rues de Sfax, la deuxième ville du pays. Le 14 janvier, des dizaines de milliers de travailleurs ont manifesté à Tunis. Ce soir-là, Ben Ali s’est enfui…

u

11 000 nouveaux adhérents

« L’UGTT n’était pas l’initiateur du soulèvement : c’étaient les jeunes chômeurs. Mais elle a néanmoins joué

un rôle essentiel », conclut Mohammed Mselmi, secrétaire général de l’UGTT pour le gouvernorat1 de Ben Arous, au sud de Tunis, qui abrite 60 % de l’industrie privée de la Tunisie Les travailleurs tunisiens voulaient

la liberté, entre autres pour obtenir justice. La crise économique les frappait durement, alors que les Ben Ali s’enrichissaient et que sa police les réprimait. « Rien que dans ce gouvernorat de Ben Arous, 30 à 40

entreprises sont chaque jour en grève. D’abord, pour revendiquer des contrats à durée illimitée, car les temporaires étaient parfois devenu presque aussi nombreux que les contrats fixes. Et seuls ces derniers peuvent, selon la loi, s’affilier à l’UGTT. En quelques jours nous avons gagné plus de 11 000 nouveaux adhérents », témoigne Mohammed Mselmi. Entretemps, l’UGTT compte, pour tout Tunis, déjà 50 000 nouveaux membres. Ensuite, les travailleurs luttent pour des hausses de salaires. « Nous avons des entreprises qui ont dû accorder des hausses jusqu’à 30% ! », conclut Mohammed Mselmi.

Lutte syndicale et lutte politique

« L’UGTT n’a jamais, au cours de son histoire, défendu uniquement les intérêts directs des travailleurs. Elle a toujours joué un rôle politique. Dès sa fondation en 1946, l’UGTT s’inscrit dans la lutte pour l’indépendance nationale, qu’elle combine avec les revendications pour l’amélioration de la vie des travailleurs. En 1952, la police française arrête Habib Bourguiba (qui deviendra président en 1957 et sera chassé du pouvoir par Ben Ali 30 ans plus tard, NdlR) et d’autres leaders du parti destourien, qui mène les négociations d’indépendance. L’UGTT assumera dès lors la direction de la résistance », déclare Mohammed Mselmi. « Ce passé caractérise l’UGTT.

Les forces d’opposition en tunisie

Les partis politiques sortent de la clandestinité

Après le départ du dictateur, les Tunisiens exigent que tous les membres de son ancien parti, le RCD, quittent le gouvernement provisoire. (Photo Nasser Nouri)

Samedi 5 février. Rassemblement devant le siège central de l’UGTT. Des syndicalistes exigent la démission immédiate du Bureau exécutif, dont les membres ont collaboré avec Ben Ali. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

Avant la révolution, différents partis existaient déjà en Tunisie, certains officiellement reconnus et d’autres travaillant dans la clan-destinité. Aujourd’hui, un Conseil national pour la Sauvegarde de la Révolution s’est formé en contre-pouvoir, rassemblant vingt-huit organisations tunisiennes.

Trois types de partis d’opposition existaient sous la dictature. D’abord, des partis reconnus et représentés au Parlement – Ben Ali leur octroyait un certain nombre de sièges. Parmi eux, l’ancien parti communiste, qui répudia le communisme en 1993 pour devenir le Mouvement Ettajdid (« Renouveau »). Son secrétaire général Ahmed Brahim est ministre dans l’actuel gouvernement Ghannouchi. Ensuite, des partis autorisés mais non représentés au Parlement. Le Parti démocratique progressiste (PDP) de Nejib Chebbi est entré au nouveau

u gouvernement, alors que le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) a refusé de le suivre. Enfin, plusieurs partis étaient illégaux sous la dictature. Il s’agit du parti islamiste Ennadha (« Renais-sance »), durement réprimé ; du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et du Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD), ainsi que des partis nationalistes et démocratiques comme le Congrès pour la république (CR).

front  du 14 janvier

Le PCOT n’était peut-être pas beau-coup plus connu du grand public tunisien que les autres partis – tous travaillaient dans la clandestinité. Mais son porte-parole Hamma Hammami l’est d’autant plus. Après de nombreu-ses années de prison et de torture, il est resté en Tunisie. Hammami jouit d’un prestige évident, nous l’avons plusieurs fois constaté. Tout comme

son épouse, l’avocate Radhia Nasraoui, présidente de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie – connue aussi pour de longues grèves de la faim début des années 2000. Dix de ces formations constituent le « Front du 14 janvier », date de la chute du dictateur, mais pas de la dictature. La Constitution, les lois, des institutions comme la police politique et d’autres piliers du régime sont encore toujours en place. Le Front plaide pour la dissolution du gouvernement Ghannouchi et son remplacement par un gouvernement temporaire sans aucun lien avec la dictature. Mais uniquement dans le but de finaliser les affaires courantes et de convoquer des élections réelle-ment démocratiques et libres pour une assemblée constituante. Pour assurer cette transition et coordonner les différents mouvements qui se sont investis dans la révolution, le Front propose de convoquer rapidement un Conseil National pour la Sauvegarde de la Révolution.

Le syndicat tunisien uGtt | Des centaines De grèves chaque jour

« Le syndicat a joué  un rôle essentiel »

Page 9: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

�Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011| acteurs |

Nous avons posé la question à l’analyste politique marxiste et écrivain égyptien, spécialiste du monde arabe.

Samir Amin est directeur du Third World Forum à Dakar. Il est né au Caire mais a également étudié pendant dix ans à Paris, obtenant ainsi des diplômes en science politique, en statistique et en économie. Nous lui avons demandé ce qui constituait le visage de la révolution égyptienne. Ou, mieux, les visages…

Les jeunesSamir Amin. Il s’agit de jeunes gens politisés qui sont non seulement hostiles à la dictature mais aussi au système social et économique. S’ils sont anticapitalistes ? Pour eux, cela reste un peu théorique mais, en tout cas, ils sont opposés à l’injustice sociale et à l’inégalité croissante. Ils sont aussi nationalistes, dans le bon sens du terme : anti-impérialistes. Ils haïssent la soumission de l’Égypte aux États-Unis. Les mouvements de jeunes ont une direction décentrali-sée, mais ils sont toutefois très bien organisés. Ils ont reçu tout de suite un écho extrêmement retentissant dans tout le pays.

Les syndicats Samir Amin. Il y a trois ans, une vague de grèves a déferlé sur l’Égypte, la plus forte de tout le continent africain depuis cinquante ans, Afrique du Sud y compris. Mais les syndicats officiels étaient complètement contrôlés par l’État. Les grèves ont débuté à la base des syndicats. Ce

u

fut un grand succès. Bien qu’elles n’aient pu obtenir que de modestes concessions – une augmentation des salaires de 10 à 15 %, à peine de quoi couvrir l’inflation –, elles ont atteint quelque chose de bien plus important : la dignité et les droits syn-dicaux. Et, aujourd’hui, une nouvelle fédération syndicale indépendante a été fondée, laquelle fait partie du mouvement de protestation.

Les communistesSamir Amin. Les jeunes n’aiment pas tellement l’idée d’un parti, avec des chefs et des directives. Mais ils n’ont certainement pas une mau-vaise relation avec les communistes.

Grâce aux manifestations, ils se sont retrouvés, pas tant au niveau de la direction, mais bien sur le plan des actions concrètes.

La classe moyenne Samir Amin. Les démocrates de la classe moyenne acceptent le capi-talisme et le marché et ils ne sont même pas tout à fait antiaméricains. Mais ce sont des démocrates, ils sont contre la concentration du pouvoir du côté de l’armée, de la police et des gangs mafieux. El Baradei est un représentant typique de ce groupe.

Les frères musulmans 

Samir Amin. Même s’ils ont un profil populaire, ils sont en fait très réaction-naires. Ils n’adhèrent pas seulement à une idéologie religieuse, mais ils sont également conservateurs sur le plan social. Les Frères musulmans défendent un système économique qui repose sur le libre marché et sur la dépendance de l’étranger. En réalité, ils font bel et bien partie de la bourgeoisie « compradore ». Ils ont également pris position contre les grandes grèves de la classe ouvrière et contre le combat des paysans en vue de conserver leurs terres.

Bert De BelDer<

interview : samir amin

Qui sont les Égyptiens  qui ont chassé moubarak ?

Samir Amin. (Photo flickr, skilllab)

La classe ouvrière égyptienne en mouvement 

Le mouvement du 6 avrilDes mouvements de jeunes qui ont constitué une coalition place Tahrir, celui du 6 avril est le plus connu. Il a été fondé par Israa Abdel Fatah, une jeune femme de 27 ans qui, en avril 2008, a lancé un groupe Facebook en guise de soutien aux 20 000 grévistes de l’usine textile d’El-Mahallah El-Koubra. Israa était membre du parti de l’opposition al-Ghad sans pour autant être très active politiquement – elle était plutôt liée à la section socioculturelle de ce parti. Une semaine après la grève, Israa a été arrêtée et accusée d’être la cheville ouvrière des incidents. Pourtant, elle n’avait que propagé l’appel des grévistes à rester chez soi. Son groupe Facebook a très vite compté 80 000 membres.

des syndicats indépendantsLe 30 janvier, place Tahrir, était fondée la Fédération égyptienne des syndicats indépendants. Ont pris part à la réunion de fondation : le syndicat indépendant du Real Estate Tax Collectors (le principal syndicat indépendant fondé en 2008, NdlR), l’Union des retraités, les syndicats du personnel de la santé, le syndicat indépendant des enseignants et les dirigeants des comités de grève de Mahalla, Helwan et Sadat City. Le 13 février, la fédération publiait une déclaration dans laquelle elle exigeait que la Fédération des syndicats égyptiens (EFTU), un syndicat d’État collaborant étroitement avec le régime Moubarak, soit dissoute. « La sécurité de l’État a mis sur le dos de la classe ouvrière le président de l’EFTU Hussein Megawer et sa cour. Mais ils ont vendu nos intérêts. La seule chose qui les intéressait, c’était de gagner facilement de l’argent, et vite. Et, bien sûr, ils n’ont pas tardé à devenir millionnaires et à vivre dans de luxueuses villas. Nous les mettons au défi de révéler ce qu’ils possèdent. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à l’heure des règlements de comptes, l’heure où les gens paieront le prix des crimes qu’ils ont perpétrés contre les travailleurs. »

Les communistes se concertentLors du week-end des 19 et 20 février et suite à l’invitation du Parti communiste libanais, des représentants des partis communistes égyptien et tunisien ont participé à l’Assemblée extraordinaire de la gauche arabe. La réunion s’est déroulée à Beyrouth. Les représentants du Bahreïn, du Yémen et du Soudan ont été empêchés par leurs gouvernements d’assister à la réunion.

Un pas important a été franchi ce 11 février avec la création du « Comité pour le Conseil National de Sauvegarde de la Révolution ». Vingt-huit organisations ont signé la plate-forme : les composantes du Front du 14 janvier, bien sûr, mais aussi la centrale syndicale UGTT, le parti islamiste Ennadha, le FDTL, le CR ainsi que les Associations des avocats, des journalistes, des écrivains. Un contre-pouvoir organisé est mis sur pied, donc, qui tient à « contrôler les travaux du Gouvernement provisoire » et veut entre autres que lui soit soumis pour approbation « la nomination des responsables dans les hautes fonctions de l’Etat ». L’UGTT ouvrira ses locaux dans toutes les régions et à tous les niveaux aux Comités régionaux pour la Sauvegarde de la Révolution, qui sont en train de se former.

BauDouin Deckers<

renforcer l’uGttFort attachés à leur syndicat, les travailleurs veulent aussi l’assainir, à tous les niveaux. Sous Ben Ali, la corruption s’est répandue même dans l’UGTT. Ainsi les travailleurs du port de Radès reprochent à leur déléga-tion d’avoir facilité l’entrée de containers pour le compte des Trabelsi (la famille de l’épouse de Ben Ali, NdlR) en échange de commissions. Ils l’ont remplacée par une représentation élue démocratiquement et exigent de la direction de l’UGTT de la reconnaître.

Le régime despotique interdisait toute activité politique. Ce n’est que dans les locaux de l’UGTT que l’on pouvait en faire – ses statuts le lui permettent. Pendant des décennies diverses forces d’opposition ont résisté. Là où les dirigeants l’autorisaient, des syndicalistes appartenant à différents groupes politiques diffusaient leur idées ou même des écrits dans les réunions. Ce travail politique a apporté une certaine conscience jusque chez les jeunes et les chômeurs, à travers leurs parents, leurs enseignants. »

1. Division administrative de la Tunisie, à comparer à nos provinces.

BauDouin Deckers<

Page 10: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

| ACTEURS | Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | ACTEURS |10 11

INTERVIEW | NAWAL EL SAADAWI

« La révolution nous a tous unis »

Certaines femmes ont été tuées, d’autres ont été arrêtées par la police. Sur ce plan, il n’y a eu aucune différence avec les hommes

� Nawal El Saadawi est l’une des centaines de milliers de personnes qui, des journées durant, ont main-tenu l’occupation de la place Tahrir au Caire. Trois questions à cette fé-ministe sur le rôle et la signi� cation de la révolution pour les femmes égyptiennes.

Même si elle a 79 ans, cette femme de lettres égyptienne, passionnée et internationalement reconnue, n’a pas manqué ce rendez-vous avec l’histoire. Dans les années 90, elle a également été invitée comme marraine à l’une des fêtes du 1er mai du PTB. Au cours de la révolution en Égypte, on a pu la voir aussi sur la place Tahrir au Caire.

Quelle était l’ampleur de la participation des femmes à la révolution, en Égypte ? Nawal El Saadawi. Les femmes égyp-tiennes ont participé en grand nombre à la grande révolution égyptienne du 25 janvier. Il y en avait de tous les âges et de toutes les classes sociales. Il y a également eu des victimes. Certaines ont été tuées, d’autres ont été arrêtées par la police. Sur ce plan, il n’y a eu aucune di� érence avec les hommes. La révolution a fait disparaître toutes les di� érences entre hommes et femmes, elle les a tous unis, indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur classe ou des autres

di� érences qui nous ont été imposées par le système capitaliste esclavagiste, raciste, militariste, patriarcal, tant local que mondial.

Vous collaborez désormais à la remise sur pied d’une association des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nawal El Saa-dawi. Nous, les femmes d’Égypte, après la chute du chef du régime corrompu d’op-pression, nous nous sommes lancées dans la reconstruction de l’Union des femmes égyptiennes. Sous le régime de Moubarak et de sa femme, cette association a subi une interdiction à plusieurs reprises. Ces derniers jours, un très grand nombre de femmes – et d’hommes – qui ont participé à la révolution, ont rejoint notre association.

Vous n’en êtes pas à votre première révolution… Nawal El Saadawi. Je n’avais encore que dix ans et j’étais à l’école primaire, que je m’insurgeais déjà contre les oppresseurs étrangers et intérieurs de mon pays. Ça a commencé par la résistance contre le colonialisme anglais. Ensuite est venu

le régime du roi Farouk. Je suis entrée en révolte contre le néocolonialisme américain et je me suis opposée aux régimes de Sadate et Moubarak. Le moment crucial de notre récente révolution s’est passé quand nous avons obtenu la victoire sur les gangs de Mou-barak qui envahissaient la place Tahrir

avec des chameaux et des chevaux. Ces attaques ont fait beaucoup de morts. Mais nous sommes parvenus à capturer un grand nombre de ces hommes de main et nous avons alors découvert sur leurs papiers d’identité

que c’étaient des policiers habillés en civils. Cette première victoire, le 2 février, a abouti à la seconde victoire et à la chute de Moubarak, le 11 février.

< RIET DHONT

LE RÔLE DES SITES DE RÉSEAUX SOCIAUX DANS LES RÉVOLUTIONS

Twitter et Facebook : les pigeons voyageurs du 21e siècle

� Les révoltes en Tunisie et en Égypte sont-elles les premières révolutions Facebook ou Twitter ? La question fait débat sur la toile, et y répondre n’est pas simple.

Une chose est sûre, si le peuple tunisien, le peuple égyptien, et celui d’autres pays par la suite, est descendu dans la rue, c’est avant tout pour crier son ras-le-bol de l’oppression, du chômage et de la pauvreté généralisée. Chaque révolte a son propre Twitter, des pigeons voyageurs durant la guerre des Quatre-vingts ans (1568) aux sms durant la révolte du peuple philippin contre le président Estrada au début de l’année 2001. De tout temps, les gens ont cherché des modes de communication « alternatifs ». Cela n’a rien de nouveau. Les médias modernes jouent néanmoins un rôle plus important et novateur. En particulier dans des pays comme la Tunisie et l’Égypte. Cela est probablement dû au fait que ces deux pays ont une population très jeune. En Égypte, par exemple, 60 % des habitants ont moins de 30 ans. Selon les normes africaines, la population est très « informatisée » : 33 % en Tunisie, 21 % en Égypte. Facebook est un réseau social très populaire dans les deux pays. En janvier dernier, Facebook comptait 2 168 240 utilisateurs en Tunisie (20,48 %) et 5 444 960 (6,77 %) en Égypte. A titre de comparaison, la Belgique en comptait 3 925 780 (37,66 %) à la même période. A cela vient s’ajouter le rôle des cybercafés et surtout des téléphones mobiles (85 % en Tunisie et 71 % en Égypte), la majorité des vidéos postées sur YouTube ces dernières semaines ont d’ailleurs été � lmées avec des téléphones portables. On constate donc que les nouvelles technologies

n’ont pas été un facteur négligeable dans cette histoire.

28 000 tweets par heureOn a aussi beaucoup « tweeté » (voir encadré) pendant les révolutions. Ce qui a donné lieu à d’énormes ¢ ux d’informations. Selon certaines sources, la Tunisie aurait connu après le 27 décembre des pics allant parfois jusqu’à 28 000 tweets par heure. Les tweets relatifs à la révolte tunisienne étaient toujours accompagnés du hashtag « #sidibouzid ». En Égypte, le mot-clé était « #jan25 » (en réfé-rence à la première journée d’actions massives). Le 25 janvier, on a enregistré jusqu’à 100 tweets par minute avec le hashtag « #jan25 ». Twitter a ainsi fourni un � ux incroyable d’informations brutes permettant de suivre les événements minute après minute. Mais le hashtag a aussi réuni tous les utilisateurs concernés au sein d’une communauté solidaire.

Une page Facebook transformée en plateforme d’organisation

Internet était l’un des rares endroits où les gens pouvaient encore donner leur avis. En e� et, presse indépendante et partis d’opposition (légaux) étaient quasiment inexistants. En Tunisie, lorsque le jeune Mohamed Boua-zizi (26 ans) s’est immolé par le feu, les médias nationaux (contrôlés) ont tout fait pour présenter l’a� aire comme un acte criminel. Et à l’étranger, cette histoire serait peut-être passée inaperçue si les Tunisiens n’avaient pas posté sur Facebook ou sur leurs blogs autant de vidéos, de photos et autres témoignages sur la violence policière et les victimes. « Pour nous organiser, c’est Facebook,

les e-mails et SMS », raconte Maher, un jeune organisateur des protestations à Sidi Bouzid. « Nous échangeons de l’information sur les mani-festations, la violence de la police. Par exemple, lorsque nous avons vu les images de la violence dans d’autres villes, nous sommes directement allés manifester devant le commissariat local. Voilà comment les manifestations se propagent comme du feu. » En Égypte, la situation est comparable. En juin 2010, des agents tabassent à mort le jeune Khaled Saïd (28 ans). Peu après, un groupe Face-book est créé à la mémoire du jeune homme (El Shaheed, le martyr). La photo du jeune homme mort fait l’e� et d’une bombe. La page est de plus en plus visitée et se transforme en véritable plateforme d’organisation : les gens y postent leurs témoignages, des vidéos ou photos prises avec leur portable, mais aussi des conseils sur la manière d’organiser ses amis, de contourner les barrages policiers, etc. La page (en arabe) compte actuellement près d’un million de fans.

Des messages sur les billets de banque

L’utilisation de Facebook a permis une di� usion incroyable d’informations et d’actions à l’intérieur du territoire égyptien, mais aussi au-delà. Tous ceux qui possèdent une connexion internet ou un téléphone mobile peuvent désormais prendre

des initiatives. Le fait que des milliers de Tunisiens et d’Égyptiens ont vaincu leur peur du régime a fait beaucoup. Ainsi, ceux qui pensent que les sites et initiatives « online » ne sont le fait que d’une poignée de techniciens et fanas d’informatique se trompent. S’il est vrai que les initiatives viennent des internautes les plus expérimentés, elles ont aussi été prises par le monde réel, révolté face à l’oppression. « La révolution se fait dans la rue, mais ces outils nous ont permis de réagir et mobiliser rapidement des centaines voire miliers de jeunes. » Facebook, Twitter et les autres sites ont servi à l’organisation des actions dans le monde réel. L’info en ligne a continué de se propager hors ligne. C’est ainsi qu’en Égypte, par exemple, des infos ont pu être transmises en inscrivant des messages sur les billets de banque, de préfé-rence des petites coupures pour être sûr qu’elles parviennent également aux moins fortunés.

\ Vous trouverez davantage d’infos sur le rôle d’Internet et des nouveaux médias sur notre site www.ptb.be.

Sites web intéressants

ÉGYPTE

• Le site du très sérieux journal anglais www.almasryalyoum.com• Le site du mouvement du 6 avril www.6april.org• La page Facebook sur Khaled Saïd www.facebook.com/ElShaheeed (arabe) et www.facebook.com/elshaheeed.co.uk (anglais)• Le site du Parti communiste égyptien egyptian.wordpress.com• Le site du syndicat indépendant www.egytimes.org

Blogs en anglais et/ou en anglais/arabe :• egyptianchronicles.blogspot.com• www.arabist.net• www.arabawy.org

Sites sur l’Égypte :• www.jadaliyya.com• www.juancole.com• www.monde-diplomatique.fr• egyptelections.carnegieendowment.org

TUNISIE • www.nawaat.org (blog collectif, créé en 2004)• www.albadil.org (en arabe, mais grâce à Google Translation, il est possible de comprendre de quoi on parle)• www.tunezine.com• tunileaks.appspot.com (aperçu des documents WikiLeaks en rapport avec la Tunisie)

Censure, comment la contourner ?

� Tant en Tunisie qu’en Égypte, les autorités ont tenté d’avoir la mainmise sur Internet. En vain, dans les deux cas.

Au fur et à mesure que l’opposition grandissait en Tunisie, la censure exercée par la dictature augmentait. L’Agence tunisienne d’Internet (ATI), fondée en 1996, et rattachée au ministère des Communications, a joué ici un rôle-clé. En e� et, l’ATI dispose d’un équipement très sophistiqué permettant de bloquer dans l’heure un ou plusieurs sites, mais aussi de rendre d’autres services tels que YouTube – bloqué depuis novembre 2007 déjà – totalement inaccessibles. L’ATI est allée plus loin encore et a bloqué certaines pages personnelles d’accès à Twitter, Gmail, Facebook, etc., en « injectant » un mauvais code permettant d’intercepter les données de connexion des personnes en question. Ces données ont ensuite été utilisées pour e� acer les comptes. Mais les militants tunisiens ont pu compter sur l’aide internationale, et en particulier sur le réseau militant Anonymous relié à WikiLeaks. Leurs techniciens ont aidé les Tunisiens en leur transmettant les instruments et les connaissances qui leur ont permis de contourner les attaques de la dic-tature. En Égypte, les autorités ont attendu le vendredi 28 janvier pour bloquer l’accès à Internet dans une tentative de

briser le mouvement de protestation. Dans certaines régions, même l’accès au réseau mobile a été coupé. Le but étant de priver le mouvement de protestation de ses principaux outils de communication. En 15 minutes à peine, 80 millions d’Égyptiens se sont ainsi retrouvés coupés du monde extérieur. Du jamais vu dans l’histoire de l’Internet.

Le monde au secours des Tunisiens et des Égyptiens

Très vite, l’aide a commencé à fuser des quatre coins du monde. Les militants de « We Rebuild », par exemple, ont faxé des listes de numéros de téléphone joignables à partir d’un ancien modèle de modem téléphonique et permettant de se connecter. L’américain John Scott-Railton a réalisé des enregistrements audio de ses nombreuses conversations téléphoniques avec des Égyptiens et a ensuite posté le lien sur sa page Twitter (http://twitter.com/Jan25voices). Google a même développé une toute nouvelle plateforme, Speak2Tweet, permettant aux Égyptiens d’appeler un numéro spécial et de livrer un témoignage. Et � nalement, le lien vers les enregistrements audio a été posté automatiquement sur la page Twitter (twitter.com/#!/speak2tweet avec hashtag #egypt).

< FRANK SONCK

Twitter, tweets et hashtags Twitter est un service en ligne qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages brefs (tweets) de maximum 140 caractères. Chaque message peut être accompagné d’un ou plusieurs hashtags, une sorte de mot-clé qui indique le sujet du message. Grâce à la fonction recherche de Twitter et sur base du hashtag, il est donc possible de retrouver tous les messages qui traitent d’un sujet déterminé.

« La révolution se fait dans la rue mais, grâce aux nouveaux médias, nous avons pu réagir plus rapidement et nous avons réussi à mobiliser des centaines, voir des milliers de jeunes », explique un jeune. (Photo darkroom productions)

Une page Facebook reprenant des photos de manifestations contre le régime Moubarak dans toute l’Égypte. Ceux qui ont une connexion Internet ou un téléphone mobile peuvent désormais aider à propager la révolution.

Nawal El Saadawi : « Les femmes égyptiennes ont participé en grand

nombre à la grande révolution égyptienne du 25 janvier. Il y en avait

de tous les âges et de toutes les classes sociales. Il y a également eu

des victimes. » (Photo Al Jazeera English)

Page 11: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

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INTERVIEW | NAWAL EL SAADAWI

« La révolution nous a tous unis »

Certaines femmes ont été tuées, d’autres ont été arrêtées par la police. Sur ce plan, il n’y a eu aucune différence avec les hommes

� Nawal El Saadawi est l’une des centaines de milliers de personnes qui, des journées durant, ont main-tenu l’occupation de la place Tahrir au Caire. Trois questions à cette fé-ministe sur le rôle et la signi� cation de la révolution pour les femmes égyptiennes.

Même si elle a 79 ans, cette femme de lettres égyptienne, passionnée et internationalement reconnue, n’a pas manqué ce rendez-vous avec l’histoire. Dans les années 90, elle a également été invitée comme marraine à l’une des fêtes du 1er mai du PTB. Au cours de la révolution en Égypte, on a pu la voir aussi sur la place Tahrir au Caire.

Quelle était l’ampleur de la participation des femmes à la révolution, en Égypte ? Nawal El Saadawi. Les femmes égyp-tiennes ont participé en grand nombre à la grande révolution égyptienne du 25 janvier. Il y en avait de tous les âges et de toutes les classes sociales. Il y a également eu des victimes. Certaines ont été tuées, d’autres ont été arrêtées par la police. Sur ce plan, il n’y a eu aucune di� érence avec les hommes. La révolution a fait disparaître toutes les di� érences entre hommes et femmes, elle les a tous unis, indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur classe ou des autres

di� érences qui nous ont été imposées par le système capitaliste esclavagiste, raciste, militariste, patriarcal, tant local que mondial.

Vous collaborez désormais à la remise sur pied d’une association des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nawal El Saa-dawi. Nous, les femmes d’Égypte, après la chute du chef du régime corrompu d’op-pression, nous nous sommes lancées dans la reconstruction de l’Union des femmes égyptiennes. Sous le régime de Moubarak et de sa femme, cette association a subi une interdiction à plusieurs reprises. Ces derniers jours, un très grand nombre de femmes – et d’hommes – qui ont participé à la révolution, ont rejoint notre association.

Vous n’en êtes pas à votre première révolution… Nawal El Saadawi. Je n’avais encore que dix ans et j’étais à l’école primaire, que je m’insurgeais déjà contre les oppresseurs étrangers et intérieurs de mon pays. Ça a commencé par la résistance contre le colonialisme anglais. Ensuite est venu

le régime du roi Farouk. Je suis entrée en révolte contre le néocolonialisme américain et je me suis opposée aux régimes de Sadate et Moubarak. Le moment crucial de notre récente révolution s’est passé quand nous avons obtenu la victoire sur les gangs de Mou-barak qui envahissaient la place Tahrir

avec des chameaux et des chevaux. Ces attaques ont fait beaucoup de morts. Mais nous sommes parvenus à capturer un grand nombre de ces hommes de main et nous avons alors découvert sur leurs papiers d’identité

que c’étaient des policiers habillés en civils. Cette première victoire, le 2 février, a abouti à la seconde victoire et à la chute de Moubarak, le 11 février.

< RIET DHONT

LE RÔLE DES SITES DE RÉSEAUX SOCIAUX DANS LES RÉVOLUTIONS

Twitter et Facebook : les pigeons voyageurs du 21e siècle

� Les révoltes en Tunisie et en Égypte sont-elles les premières révolutions Facebook ou Twitter ? La question fait débat sur la toile, et y répondre n’est pas simple.

Une chose est sûre, si le peuple tunisien, le peuple égyptien, et celui d’autres pays par la suite, est descendu dans la rue, c’est avant tout pour crier son ras-le-bol de l’oppression, du chômage et de la pauvreté généralisée. Chaque révolte a son propre Twitter, des pigeons voyageurs durant la guerre des Quatre-vingts ans (1568) aux sms durant la révolte du peuple philippin contre le président Estrada au début de l’année 2001. De tout temps, les gens ont cherché des modes de communication « alternatifs ». Cela n’a rien de nouveau. Les médias modernes jouent néanmoins un rôle plus important et novateur. En particulier dans des pays comme la Tunisie et l’Égypte. Cela est probablement dû au fait que ces deux pays ont une population très jeune. En Égypte, par exemple, 60 % des habitants ont moins de 30 ans. Selon les normes africaines, la population est très « informatisée » : 33 % en Tunisie, 21 % en Égypte. Facebook est un réseau social très populaire dans les deux pays. En janvier dernier, Facebook comptait 2 168 240 utilisateurs en Tunisie (20,48 %) et 5 444 960 (6,77 %) en Égypte. A titre de comparaison, la Belgique en comptait 3 925 780 (37,66 %) à la même période. A cela vient s’ajouter le rôle des cybercafés et surtout des téléphones mobiles (85 % en Tunisie et 71 % en Égypte), la majorité des vidéos postées sur YouTube ces dernières semaines ont d’ailleurs été � lmées avec des téléphones portables. On constate donc que les nouvelles technologies

n’ont pas été un facteur négligeable dans cette histoire.

28 000 tweets par heureOn a aussi beaucoup « tweeté » (voir encadré) pendant les révolutions. Ce qui a donné lieu à d’énormes ¢ ux d’informations. Selon certaines sources, la Tunisie aurait connu après le 27 décembre des pics allant parfois jusqu’à 28 000 tweets par heure. Les tweets relatifs à la révolte tunisienne étaient toujours accompagnés du hashtag « #sidibouzid ». En Égypte, le mot-clé était « #jan25 » (en réfé-rence à la première journée d’actions massives). Le 25 janvier, on a enregistré jusqu’à 100 tweets par minute avec le hashtag « #jan25 ». Twitter a ainsi fourni un � ux incroyable d’informations brutes permettant de suivre les événements minute après minute. Mais le hashtag a aussi réuni tous les utilisateurs concernés au sein d’une communauté solidaire.

Une page Facebook transformée en plateforme d’organisation

Internet était l’un des rares endroits où les gens pouvaient encore donner leur avis. En e� et, presse indépendante et partis d’opposition (légaux) étaient quasiment inexistants. En Tunisie, lorsque le jeune Mohamed Boua-zizi (26 ans) s’est immolé par le feu, les médias nationaux (contrôlés) ont tout fait pour présenter l’a� aire comme un acte criminel. Et à l’étranger, cette histoire serait peut-être passée inaperçue si les Tunisiens n’avaient pas posté sur Facebook ou sur leurs blogs autant de vidéos, de photos et autres témoignages sur la violence policière et les victimes. « Pour nous organiser, c’est Facebook,

les e-mails et SMS », raconte Maher, un jeune organisateur des protestations à Sidi Bouzid. « Nous échangeons de l’information sur les mani-festations, la violence de la police. Par exemple, lorsque nous avons vu les images de la violence dans d’autres villes, nous sommes directement allés manifester devant le commissariat local. Voilà comment les manifestations se propagent comme du feu. » En Égypte, la situation est comparable. En juin 2010, des agents tabassent à mort le jeune Khaled Saïd (28 ans). Peu après, un groupe Face-book est créé à la mémoire du jeune homme (El Shaheed, le martyr). La photo du jeune homme mort fait l’e� et d’une bombe. La page est de plus en plus visitée et se transforme en véritable plateforme d’organisation : les gens y postent leurs témoignages, des vidéos ou photos prises avec leur portable, mais aussi des conseils sur la manière d’organiser ses amis, de contourner les barrages policiers, etc. La page (en arabe) compte actuellement près d’un million de fans.

Des messages sur les billets de banque

L’utilisation de Facebook a permis une di� usion incroyable d’informations et d’actions à l’intérieur du territoire égyptien, mais aussi au-delà. Tous ceux qui possèdent une connexion internet ou un téléphone mobile peuvent désormais prendre

des initiatives. Le fait que des milliers de Tunisiens et d’Égyptiens ont vaincu leur peur du régime a fait beaucoup. Ainsi, ceux qui pensent que les sites et initiatives « online » ne sont le fait que d’une poignée de techniciens et fanas d’informatique se trompent. S’il est vrai que les initiatives viennent des internautes les plus expérimentés, elles ont aussi été prises par le monde réel, révolté face à l’oppression. « La révolution se fait dans la rue, mais ces outils nous ont permis de réagir et mobiliser rapidement des centaines voire miliers de jeunes. » Facebook, Twitter et les autres sites ont servi à l’organisation des actions dans le monde réel. L’info en ligne a continué de se propager hors ligne. C’est ainsi qu’en Égypte, par exemple, des infos ont pu être transmises en inscrivant des messages sur les billets de banque, de préfé-rence des petites coupures pour être sûr qu’elles parviennent également aux moins fortunés.

\ Vous trouverez davantage d’infos sur le rôle d’Internet et des nouveaux médias sur notre site www.ptb.be.

Sites web intéressants

ÉGYPTE

• Le site du très sérieux journal anglais www.almasryalyoum.com• Le site du mouvement du 6 avril www.6april.org• La page Facebook sur Khaled Saïd www.facebook.com/ElShaheeed (arabe) et www.facebook.com/elshaheeed.co.uk (anglais)• Le site du Parti communiste égyptien egyptian.wordpress.com• Le site du syndicat indépendant www.egytimes.org

Blogs en anglais et/ou en anglais/arabe :• egyptianchronicles.blogspot.com• www.arabist.net• www.arabawy.org

Sites sur l’Égypte :• www.jadaliyya.com• www.juancole.com• www.monde-diplomatique.fr• egyptelections.carnegieendowment.org

TUNISIE • www.nawaat.org (blog collectif, créé en 2004)• www.albadil.org (en arabe, mais grâce à Google Translation, il est possible de comprendre de quoi on parle)• www.tunezine.com• tunileaks.appspot.com (aperçu des documents WikiLeaks en rapport avec la Tunisie)

Censure, comment la contourner ?

� Tant en Tunisie qu’en Égypte, les autorités ont tenté d’avoir la mainmise sur Internet. En vain, dans les deux cas.

Au fur et à mesure que l’opposition grandissait en Tunisie, la censure exercée par la dictature augmentait. L’Agence tunisienne d’Internet (ATI), fondée en 1996, et rattachée au ministère des Communications, a joué ici un rôle-clé. En e� et, l’ATI dispose d’un équipement très sophistiqué permettant de bloquer dans l’heure un ou plusieurs sites, mais aussi de rendre d’autres services tels que YouTube – bloqué depuis novembre 2007 déjà – totalement inaccessibles. L’ATI est allée plus loin encore et a bloqué certaines pages personnelles d’accès à Twitter, Gmail, Facebook, etc., en « injectant » un mauvais code permettant d’intercepter les données de connexion des personnes en question. Ces données ont ensuite été utilisées pour e� acer les comptes. Mais les militants tunisiens ont pu compter sur l’aide internationale, et en particulier sur le réseau militant Anonymous relié à WikiLeaks. Leurs techniciens ont aidé les Tunisiens en leur transmettant les instruments et les connaissances qui leur ont permis de contourner les attaques de la dic-tature. En Égypte, les autorités ont attendu le vendredi 28 janvier pour bloquer l’accès à Internet dans une tentative de

briser le mouvement de protestation. Dans certaines régions, même l’accès au réseau mobile a été coupé. Le but étant de priver le mouvement de protestation de ses principaux outils de communication. En 15 minutes à peine, 80 millions d’Égyptiens se sont ainsi retrouvés coupés du monde extérieur. Du jamais vu dans l’histoire de l’Internet.

Le monde au secours des Tunisiens et des Égyptiens

Très vite, l’aide a commencé à fuser des quatre coins du monde. Les militants de « We Rebuild », par exemple, ont faxé des listes de numéros de téléphone joignables à partir d’un ancien modèle de modem téléphonique et permettant de se connecter. L’américain John Scott-Railton a réalisé des enregistrements audio de ses nombreuses conversations téléphoniques avec des Égyptiens et a ensuite posté le lien sur sa page Twitter (http://twitter.com/Jan25voices). Google a même développé une toute nouvelle plateforme, Speak2Tweet, permettant aux Égyptiens d’appeler un numéro spécial et de livrer un témoignage. Et � nalement, le lien vers les enregistrements audio a été posté automatiquement sur la page Twitter (twitter.com/#!/speak2tweet avec hashtag #egypt).

< FRANK SONCK

Twitter, tweets et hashtags Twitter est un service en ligne qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages brefs (tweets) de maximum 140 caractères. Chaque message peut être accompagné d’un ou plusieurs hashtags, une sorte de mot-clé qui indique le sujet du message. Grâce à la fonction recherche de Twitter et sur base du hashtag, il est donc possible de retrouver tous les messages qui traitent d’un sujet déterminé.

« La révolution se fait dans la rue mais, grâce aux nouveaux médias, nous avons pu réagir plus rapidement et nous avons réussi à mobiliser des centaines, voir des milliers de jeunes », explique un jeune. (Photo darkroom productions)

Une page Facebook reprenant des photos de manifestations contre le régime Moubarak dans toute l’Égypte. Ceux qui ont une connexion Internet ou un téléphone mobile peuvent désormais aider à propager la révolution.

Nawal El Saadawi : « Les femmes égyptiennes ont participé en grand

nombre à la grande révolution égyptienne du 25 janvier. Il y en avait

de tous les âges et de toutes les classes sociales. Il y a également eu

des victimes. » (Photo Al Jazeera English)

Page 12: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

12 Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | HISTOIRE |

ImpérIalIsme en égypte | Deux siècles D’ingérence étrangère

Comment l’Occident a sous-développé l’égypte

Nasser, Premier ministre d’Égypte entre 1952 et 1970, nationalise le canal de Suez en 1956. Les puissances coloniales vont intervenir militairement. Et vont perdre… (Photo wikipedia.org)

Le canal de Suez, qui relie la mer Méditerranée à la mer Rouge, a été construit grâce à des capitaux étrangers. Des dizaines de milliers de travailleurs égyptiens sont morts en le creusant. (Photo collection Agenda ADHEMAR)

Il y a deux siècles, l’Égypte rivalisait avec l’Europe en terme de développement économique. Cette dernière, rejointe après par les États-Unis, a mis un frein au développement de la nation impudente.

Dès 1800, l’Égypte connaît un développement économique qui n’est pas sans rappeler celui de l’Eu-rope occidentale. Certes, l’Égypte de Mohammed Ali (qui dirigea le pays entre 1803 et 1849) n’est pas aussi industrialisée que l’Angleterre, mais le pays, tout en conservant un système de relations féodales, prend la voie d’un développement rivalisant avec de nombreux de pays européens. Le pays est capable de produire les aliments en suffisance. Il est protégé des marchandises européennes par des monopoles d’État. Pour nombre de biens, aucune concurrence n’est permise. Bien entendu, comme en Europe, ce développement économi-que se fait sur le dos des travailleurs égyptiens qui sont exploités, tout comme en Belgique ou en Angleterre. Mais l’Égypte s’industrialise, se déve-loppe, elle n’est pas « en retard ».

Une croissance brisée par une défaite militaire

L’Égypte se sent à l’étroit, elle cherche à étendre son influence. Construisant une armée puissante, les troupes de Mohammed Ali vont conquérir une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Palestine, etc. Les Égyptiens ne sont pas les seuls à convoiter le Moyen-Orient, ses

u richesses, son marché. La position hégémonique de l’Égypte menace celle de l’empire britannique. A la tête d’une coalition militaire, les Britan-niques entrent en guerre contre les troupes égyptiennes. Ce dernier ne peut résister bien longtemps et subit un lourde défaite. Le 27 novembre 1840, l’Égypte signe une convention avec les Britanniques, qui menacent de raser Alexandrie. Ce texte prévoit, entre autres, que l’Égypte abandonne la partie du Proche-Orient qu’elle occupait. Cette déroute va briser l’en-volée économique égyptienne pour des décennies. La Grande-Bretagne victorieuse impose au Caire une ré-duction de son armée, une très lourde amende et une ouverture totale aux produits et industries européennes. Ce sont les premières mesures mises en place par le vainqueur à l’encontre du vaincu : le rendre inoffensif et mettre son industrie par terre, afin de l’affaiblir économiquement pour longtemps.

endettement et mise sous tutelle

Les successeurs de Mohammed Ali, héritant d’une Égypte défaite, vont soumettre le pays aux multinationales européennes, surtout anglaises et françaises. Toute liberté est laissée aux groupes industriels occiden-taux pour pénétrer le marché. Le pouvoir égyptien va leur accorder de nombreuses terres pour y bâtir des voies de chemin de fer, des entreprises, etc. Le canal de Suez, qui relie la mer Méditerranée à la mer Rouge – évi-tant ainsi aux navires marchands de contourner l’Afrique – est construit durant cette période grâce à des

capitaux étrangers. Cette œuvre pha-raonique sera exécutée par le peuple égyptien au seul profit des puissances étrangères... avec la complicité du gouvernement de l’époque. Le pouvoir égyptien collabore en endettant le pays pour acheter des actions de la « Compagnie de Suez ». Il offre une main d’œuvre gratuite pour creuser le canal (des serfs qui, dans une Égypte toujours féodale, doivent effectuer

des corvées pour l’État) et fournit les matières premières. Achevé en 1869, ce canal a largement endetté l’Égypte et coûté la vie à des dizaines de milliers de travailleurs égyptiens. L’endettement et la création du canal constituent deux autres mesures pour faire reculer une nation en expansion économique. Et surtout faire fructifier les capitaux européens. Entre 1850 et 1875, l’Égypte se munit de chemin de fer, de mines, de canaux. Pour chacune de ces constructions, elle paye les entreprises de constructions européennes en empruntant aux banques européennes. Ces infrastructures ne profitent pas aux Égyptiens, elles servent les compagnies étrangères, leur permettant d’exporter des matières premières. En 1875, la dette nationale est tellement énorme que l’Égypte fait faillite. Elle est mise sous tutelle britannique et française. Pendant plusieurs années (entre 1878 et 1880), le ministre des Finances de l’Égypte est un banquier anglais, et le ministre des Travaux publics, un banquier français. Ce pays ne sert plus qu’à rembourser sa dette : la majorité des fonctionnaires et des militaires sont renvoyés ou ne sont plus payés, les taxes écrasent les paysans, les ouvriers et les communes. Quand un village ne peut pas payer ses taxes, ses terres sont saisies par l’État qui les remet aux créanciers à la place de liquidités.

Une économie sous dépendance

En 1881, une révolte nationaliste éclate

au sein de l’armée égyptienne. Les officiers exigent un gouvernement indépendant et veulent mettre un terme à l’ingérence étrangère. Pour mater les contestataires et préserver ses intérêts, l’armée britannique débarque à Alexandrie et occupe tout le pays. L’Égypte (même si elle n’en a pas formellement le titre) devient une colonie britannique. Un pillage à grande échelle va dé-buter. L’Égypte en porte les traces, aujourd’hui encore. À ce moment, le principal rôle de l’Égypte est de produire du coton bon marché pour les industries textiles européennes. Cette matière première occupe 70 % de la produc-tion agricole et constitue 90 % des exportations. La terre égyptienne ne produit presque plus rien d’autre. Elle doit importer 85 % de ses aliments. Toutes les opérations un tant soit peu rentables sont aux mains de compa-gnies étrangères. Ceci est la dernière mesure : s’attaquer à la paysannerie, pour qu’elle ne cultive plus de denrées alimentaires et ainsi rendre le peuple totalement dépendant de l’extérieur. Armée inoffensive, industrie locale détruite, dette colossale, création d’un canal idéal pour le commerce et paysannerie contrôlée, l’occupant a réussi son coup… Outre le coton, les autres domai-nes de l’économie qui pourraient rapporter des bénéfices (banques, transports, constructions, etc.) sont dominés par des capitaux européens. Si cela rapporte des sous, ce n’est pas égyptien. Si cela ne rapporte rien, comme une route entre deux villages pauvres... cela n’existe pas.

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13Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011| HISTOIRE |

1970-2010 : quatre décennies perdues

Les agriculteurs, comme l’ensemble du peuple égyptien, sont très durement touchés par la politique économique initiée par Sadate puis par Moubarak. Et depuis les années 1990, lorsque les subventions alimentaires ont été supprimées, les gens ont de moins en moins à manger. (Photo archives)

En 1970, Nasser est rem-placé par Anouar el-Sadate. En 1981, Moubarak prend le pouvoir à son tour. Ils changent de cap et replongent l’Égypte dans une po-litique satellitaire des États-Unis. L’Égypte connaît alors 40 ans de régression politique, économique et sociale.

Le règne de Sadate s’ouvre par une nouvelle défaite militaire. En 1973, la guerre du Kippour entraîne la défaite de l’Égypte et de la Syrie face à Israël. À la suite du conflit, un accord de paix (accords de Camp David) est signé entre l’Égypte et Israël en 1977. Il constitue l’un des principaux piliers de la politique américaine au Moyen-Orient. La stratégie est claire : la paix entre l’Égypte et Israël doit permettre de mettre fin à la ques-tion palestinienne et de briser une possible unification des pays arabes qui entendent mener une politique indépendante de l’Occident. Au niveau économique, l’arrivée de Sadate constitue le début d’un bouleversement qui va replonger l’Égypte dans la voie du sous-déve-loppement.

u la religion contre les nasseristes

« Mais l’héritage de Nasser était encore très fort en Égypte. C’était un obstacle pour Sadate qui voulait suivre les préceptes de la Banque mondiale et brader les entreprises publiques au profit de compagnies privées », affirme Mohammed Hassan, spécialiste du monde arabe. « Le nouveau président égyptien devait se débarrasser de ceux qui se reven-diquaient encore de la politique de Nasser. À l’époque, Moubarak a eu un rôle bien particulier. Sa mission était de former des gangs et de les armer à travers les services secrets pour combattre les nasséristes et les communistes. Mais la répression ne suffisait pas. Il fallait aussi combat-tre l’héritage de Nasser sur le plan idéologique. Sadate s’est servi de la religion. Il s’est présenté comme un homme de Dieu, un musulman dévoué. Il a introduit de nombreuses mesures afin de consolider l’impor-tance de la religion dans la société égyptienne. Par exemple, en faisant réciter des versets du Coran avant le journal télévisé. Sadate a également libéré les Frères musulmans empri-sonnés. Ce qui dément d’ailleurs

l’idée que la dictature égyptienne était nécessaire pour contenir la montée de l’islamisme. Cela a été utilisé afin de justifier l’État policier soutenu par l’Occident1. » La politique néolibérale n’attein-dra sa vitesse de croisière que sous Moubarak. En 1991, Moubarak conclut un accord avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Sur l’insistance de ces derniers, la réforme agraire est fortement ra-lentie, la fonction publique subit un dégraissage important, les salaires sont rabotés et le budget de la santé publique est fortement diminué.

le «gouvernement des hommes d’affaires»

L’élite économique et le capital étranger s’en portent à merveille mais, pour l’économie nationale, c’est la catastrophe. Dans les années 90, l’économie recule de 5 %. Sur le plan social, le tribut est encore plus lourd. Tant dans les villes que dans les campagnes, chômage et pauvreté grimpent en flèche. Au même moment, les subventions alimentaires sont progressivement supprimées : les gens ont de moins en moins à manger.

En 2004 arrive un nouveau gou-vernement – celui qui est tombé avec le départ de Ben Ali – surnommé le « gouvernement des hommes d’affaires ». Sa politique ? Suivre le modèle capitaliste américain. Dans la première année, il privatise plus que durant toute la décennie précédente. Ainsi, des pans entiers de l’économie nationale se retrouvent dans les mains du capital étranger. En même temps, les investisseurs étrangers sont attirés par un régime de bas salaires, de semaines de travail très longues et de protection syndicale très faible, voire nulle. La crise économique mondiale a fait grimper en flèche les prix des denrées alimentaires et a fait dé-gringoler les salaires. Il y a dix ans, un Égyptien sur six vivait dans la pauvreté extrême. Aujourd’hui, c’est quasiment un sur deux. La crise, qui sévit partout, a frappé l’Égypte bien plus durement. D’où le soulèvement populaire.

1. Entretien avec Mohamed Hassan : Où va l’Egypte ? Où va le monde arabe ? Grégoire Lalieu, Michel Collon, www.michelcollon.info

Marc Vandepitte**repris de L’Égypte après Moubarak. Et la suite ?

www.dewereldmorgen.be

<

Impérialisme, définitionL’impérialisme est le processus par lequel les puissances capitalistes dominent politiquement et écono-miquement des pays étrangers. Les multinationales occidentales pillent les ressources des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Elles y trouvent des débouchés pour les capitaux qu’elles accumulent et y exploitent de la main-d’œuvre bon marché. Elles n’achètent pas les ressources à leur juste valeur et les populations locales ne profitent pas de ces richesses. Ce pillage ne serait pas possible si, dans ces pays exploités, il n’y avait pas des dirigeants pour défendre les intérêts des multinationales. Ces dirigeants s’enrichissent au passage. Ils constituent ce qu’on appelle la bourgeoisie « compradore ».

Intérêts belgesJuste après les Britanniques et les Français, ce sont les Belges qui investissent le plus dans la région. À titre d’exemple, c’est une compagnie belge qui a construit le quartier chic d’Héliopolis (au nord du Caire) ainsi que les tramways d’Alexandrie et du Caire. Ce sont des Belges aussi qui ont construit le pont entre la place Tahrir et Zamalk, en plus du palais de Moubarak. La bière numéro un sur le marché est la Stella Artois.

Un modèle alternatif... qui finit par s’écrouler

En 1956, Nasser nationalise le canal de Suez : les vieilles puissances colo-niales interviennent militairement. La France, l’Angleterre et Israël attaquent, mais, sans le soutien américain, ils doivent se retirer. Nasser triomphe et devient l’un des symboles du mouve-ment de libération du Tiers Monde.

Poursuivant dans cette voie, Nasser nationalise des dizaines d’entreprises européennes construites pendant la période coloniale pour les intégrer à l’économie nationale. Si Nasser s’appuie sur la bour-geoisie égyptienne, les populations les plus pauvres bénéficient aussi de ces réformes. Des emplois sont créés grâce au développement de l’industrie et au renforcement de

l’État. Les dépenses publiques offrent un enseignement gratuit, des soins de santé accessibles à tous. Les problèmes ne sont pas absents. Les injustices, la répression et les inégalités ne sont pas supprimées. Ce n’est pas le but du régime. L’Égypte de Nasser n’est certainement pas un paradis. Il n’empêche que le pays est un modèle alternatif, une partie importante des Égyptiens en

a bénéficié. Lorsqu’en 1967, en six jours à peine, l’armée de Nasser est écrasée par Israël, le modèle nationaliste s’écroule. Politiquement, Nasser ne se relèvera jamais complètement de cette défaite militaire. Le pays est prêt pour la contre-révolution et la réouverture aux capitaux étrangers...

JoaquiM da Fonseca<

le nasserisme et la construction d’une égypte indépendante

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Égypte, comme l’ensemble du Moyen-Orient, connaît un éveil du mouvement populaire contre la domination étrangère. En Égypte, la révolte gronde et la colère se cristallise autour de la présence de troupes britanniques le long du canal de Suez. Début 1952, des émeutes éclatent dans tout le pays. En juillet, des officiers égyptiens issus de ce mouvement renversent la monarchie et installent un nouveau pouvoir nationaliste. Leur objectif est de sortir le pays de la domination économique étrangère, de créer une Égypte développée industriellement. Gamal Abdel Nasser dirigera le pays jusqu’à sa mort, en 1970. Avec l’aide de l’URSS, il va soutenir la construction d’industries modernes. Il protégera le pays des importations étrangères en élevant des barrières douanières. Cette nouvelle politique va effrayer les puissances européennes qui sentent leur domination économi-que menacée. Les États-Unis, qui à l’époque cherchent à supplanter les Britanniques dans la région, ne voient pas non plus d’un bon œil la transformation de l’Égypte en un pôle anticolonial.

Page 14: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

14 Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | INTERvIEw |

Les révolutions et grandes manifestations dans le monde arabe font souffler un vent d’optimisme dans le monde entier. Que signifie, pour vous, ce mouvement qui a démarré dans votre pays ? Hamma Hammami.C’estunegranderévolution,quecesoitauniveaudespaysarabesoud’autrespaysdenotrerégion.D’autrespeuplespeuventtirerdecetterévolutionquelquesleçons. D’abord,lepeupletunisienafaitcetterévolutionens’appuyantsursespropresforces.Dansbeaucoupdepaysarabes,desgensprétendaientqu’onnepouvaitpasfairederévolutioncontredesdicta-turescommecelledeBenAlisanslesoutiendelaFrance,desÉtats-Unisoud’autresforcesétrangères.Notrepeupleamontréqu’ens’appuyantsursespropresforces,onpeutdéposerundictateurcommeBenAli,fortd’unappareilsécuritairegigantesque. Ensuite,lepeupletunisienafaitcetterévolutiondansuneunitépresquetotale.Pendantplusd’unmois,onn’apasentenduunseulmotd’ordrereligieux,quiauraitpudiviserlepeupletunisien.Lepeupletunisiens’estuniautourdesesaspirationsdémocratiques,économiquesetsociales.

Pour vous, cette révolution n’est pas finie. Pourquoi ? Hamma Hammami.Larévolutionestencoretoujoursencours.Ellen’apasencorevraimentréalisésesbutsdémocratiquesetsociaux.Elleavaincuundictateur,maisellen’apasencorevainculadictature.Lapolicepolitique,pilierprincipaldeladictature,estencoretoujourslàettrèsactived’ailleurs.Leparlementesttoujourslà.C’estunparlementfantochecarilfallaitl’accorddeBenAlipourpouvoirysièger.LeprésidentparintérimestunmembredupartideBenAli,trèsprochedelui.LegouvernementesttoujoursdirigéparlepremierministredeBenAli,MohammedGhannouchi,etsesministresviennentdumêmeentourage.Leshautsresponsables,corrompus,détiennenttoujoursleurspostes.LaConstitutionarendupossibleladictature,elleestencoreinchangée.Ladictatureafaitpasserd’innombrablesloisanti-démocrati-quesetantisocialespourseprotégeretellessontencoretoutesenvigueur.Auxmainsdugouvernementactuel,toutescesloisetinstitutionspeuventànouveauêtreutiliséescontrelepeuple.LerégimedeBenAliestdoncencoretoujoursenplace. C’estpourcelaquelemouvementpopulairecontinue,malgrélespro-messesdugouvernementactuel.Ilexigeladissolutiondel’actuelgouvernement.Ilrefusedesgouver-nements«remaniés»commeceluiqu’onamaintenant.L’ancienpartiaupouvoir,leRCD(RassemblementConstitutionnelDémocratique,quiétaitjusqu’au18janvierdernierencoremembredel’InternationaleSocialiste,NdlR),doitêtreréellementdissous.Non,onnepeutdoncpasdirequelarévolutionsoitterminée.Ellen’apasencorevainculesforcesréactionnaires.

Ellessonttoujourslà,maisaffaiblies.Ondoitcontinuercetterévolutionavecgrandedétermination,maisaussiavecbeaucoupdesenstactiquepourpréserverl’unitédupeupletunisienetnepastomberdansdesdivisionsquipourraientavoirdesrépercussionstrèsnégativessurlamarchedecetterévolution,quelespeuplesdumondearaberegardentavecbeaucoupd’espoir.

Certains présentent la révolution en Tunisie comme un événement spontané... Hamma Hammami.C’estfaux.Ilsledisentpourdiscréditeretnier,

aucoursdecesdernièresannées,lerôledesforcesrévolutionnairesetprogressistesdansl’opposition.C’estunemanièreaussidedirequ’ilfautchercheruneissueàcetterévolutionavecl’ancienpartiau

pouvoir,queleshommespolitiquestraditionnelssontobligésderepren-dreladirectiond’unmouvementquin’enapas.Cemouvementn’étaitspontanéquedanslamesureoùiln’étaitpasorganiséauniveaunational.Iln’avaitpasunedirectionunique,unprogrammecommun.Maisçaneveutpasdireabsencedeconscienceetabsenced’organisation. Laconscienceexiste,carlesacteursdecemouvementsontavanttoutdesmilitantsdegauche,desprogressistes,dessyndicalistes,desmilitantsdesdroitshumains.Cesontdesjeunesdiplôméschômeursquiappartiennentaumouvementétudiant.Notrepartiestlà,nosforcessontprésentes.Lesislamistes,parcontre,n’ontpasvraimentpartici-pé.C’estpourcelaque,danscetterévolution,iln’yaaucunmotd’ordrereligieux.Mêmesipolitiquement,lesislamistesontsoutenulemou-vement. Auniveaudel’organisation,lesmilitantssesonttrèsviteorganisésencomités.Dèslepremierjourdecetterévolution,ilyaeudanscertainsvillagesunvidedepouvoirréel.Ensembleaveclesdémocrates,nousavonsalorsappelélesgensàs’organiser.Cequ’ilsontfaitdanslesvillagesetdanslesrégions,parfoisdansdesassemblées,quis’appellent«assembléespopulaires»ou«assembléesdesauvegardedelarévolution»,parfoisencomitésouenligues,celadépend.IciàTunis,lesgenssesontorganisésencomitéspopulairesoucomitésdequartier.Ilsontchoisileursdirigeantsparmilesmilitantslesplusactifsaucoursdecetterévolution.Lastructurationestencorefaibleetembryonnaire.Iln’yapasencoredevéritablecentralisationauniveaunational.Mais,petitàpetit,cescomitéssesonttransformésencomitésquidiscutentdelasituationetdel’avenir,etdecequelapopulationpeutfaire.

Le Front du 14 janvier s’est constitué il y a quelques semaines. Qui

y retrouve-t-on ? Quel est son programme ou que revendique-t-il ? Hamma Hammami.Auniveaupolitique,lagaucheestparvenueàserassemblerdansunfrontquis’appellele«Frontdu14janvier»enréférenceaujourdelafuitedeBenAli.Lagaucheaunpoidsindéniabledansnotrepays.Quecesoitauniveaupolitiqueousyndical,auniveaudelajeunesseoudumouvementdesfemmes,auniveaudesdroitshumainsoudumouvementculturel.Cefronts’estrassembléautourdesmotsd’ordreetrevendicationspopulaires.Onytrouvedonclarevendicationdedissolutiondugouvernement,ladissolutiondupartiaupouvoir.LeFrontrevendiqueaussilaformationd’ungouvernementprovisoire,constituépardesélémentsquin’ontrienàvoiraveclerégimedeBenAli,sonparti,ladictature.Cegouverne-mentprovisoireauraitpourtâcheessentiellelapréparationd’électionspouruneAssembléeConstituante.C’estcelle-ciquidevrarédigerlaConstitution,lesinstitutions,lesloisfondamentalesd’uneRépubliquePopulaireDémocratiqueàlaquelleaspirelepeupletunisien. Noussommesaussiunisautourd’uneplateformeéconomiqueetsociale,carnousconsidéronsqueladictatureétaitliéeàunebaseéconomiqueetsociale,unebour-geoisiecompradore(bourgeoisietirantsafortunedesesliensaveclesmultinationalesétrangères,NdlR)quipillelaTunisieencollaborationavecdessociétésetentreprisesfrançaises,italiennes,espagnoles,portugaises,belges.Nousvoulonsnonseulementunedémocratiepolitiquemaisaussiunedémocratiesociale,parcequenousconsidéronsquelarévolutionactuelleestunerévolutiondémocrati-

queetnationale,unerévolutionpopulairequidoitpréparerdeschangementsfondamentauxpourtoutelaso-ciététunisiennedansl’avenir. LeFrontdu14janvieratenulesamedi12févrierson

premiergrandmeetingpublicauPalaisdesCongrèsdeTunis.Avecunegranderéussite,quidépassaitdeloinnosattentes.Lamobilisationn’aprisqu’àpeinetroisàquatrejours.Plusde8000personnesétaientréunies,beaucoupn’ontpassuentrer.Dujamaisvu.

Le 11 février, un comité beaucoup plus large s’est constitué. Hamma Hammami.Oui,uneréunionausiègeduConseilNa-tionaldesAvocatsarassemblélesreprésentantsde28organisations.Presquetoutel’oppositionàBenAli,saufdeuxpartisquisontentrésdanslegouvernementdeGhannouchi.Hormisles10organisationsduFrontdu14janvier,ils’agitdelacentralesyndicaleuniqueUGTT,dupartiisla-misteEnnadha,desAssociationsdesAvocats,desEcrivains,desJournalistes,del’UniondesÉtudiantsTunisiensetd’autresencore.Toussontd’accordsurdespropositionsconcernantlafondationd’un«ConseilNationalpourlaSauvegardedelaRévolution».La

Hamma Hammami, figure clé de l’opposition tunisienne à Ben ali

« Notre révolution a vaincu le dictateur, mais pas encore la dictature »

Emprisonné à de nombreuses reprises sous la dictature de Ben Ali pour son opposition, Hamma Hammami, porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), est aujourd’hui une des figures les plus en vue de la révolution tunisienne. Nous l’avons rencontré à Tunis.

u

Notre peuple a fait la révolution en s’appuyant sur ses propres forces, sans soutien d’autres forces étrangères.

Hamma Hammami, porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT).

On doit continuer cette révolution avec détermination et avec beaucoup de sens tactique pour préserver l’unité du peuple tunisien.

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15Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011| INTERvIEw |

plateformenevapasaussiloinqueleFrontdu14janvier,puisqu’ellenedemandepasladissolutiondecegou-vernement.Certainesforcescommel’UGTTontacceptécegouvernement.Maisles28signatairesexigentquece«ConseilNational»aitunpouvoirdedécisionconcernanttouteslesloisetmesuresenpréparationdesnouvellesélections,afindegarantirqu’ellesserontvraimentdémocratiquesetsedéroulerontdanslalibertétotale.Ilsréclamentledroitdesurveillancedetouteslesdécisionsdugouvernementetl’obligationdesoumettrepourapprobationauConseilNationaltouteslesnominationsàdeshautesfonctions.LessignatairesappellentlapopulationdetouteslesrégionsetlocalitésàformerdesComitésdeSauvegardedelaRévolutionetl’UGTTmettousseslocauxàleurdisposition.CesComitésserontreprésentésdansleConseilNational.

Vous rassemblez là les différentes classes et couches de la population qui étaient et sont en opposition à la dictature. Cette démarche correspond au caractère de cette révolution, que vous appelez nationale et démocratique, pourquoi ? Hamma Hammami.DepuisHan-nibal(généraldeCarthage,ancêtredelaTunisie,dansl’Antiquité,NdlR),cepaysn’ajamaisconnudedémocratie.Nilespaysans,nilespetitscom-merçants,nilesartisansoupetitsproducteurs,nilesprofesseursouinstituteurs.Toutcemondeaspireavanttoutàladémocratie,ensembleaveclesouvriers.Ilfautenêtreconscient. Nousessayonsd’unirlepeupleautourd’uneseuletâche:enfiniravecladictature.Nousessayonsd’évitertoutedivergence

parmilesforcespopulaires,cequipourraitêtreex-ploitéparlaréac-tion.Ons’estmisd’accordaveclesislamistesetaveclesautresforcespourpréservercetteunitédupeupletunisienetnepastomberdansdesluttespartisanes.Maiscetteré-volutionestaussi

nationale.Lesgensserendentcomptequel’élitebourgeoisecorrompueestdenaturecompradore,quipillenotre

paysauprofitdesociétésétrangères.Celles-cicherchentàproduireàbonmarchépourexportercesproduitsversleursmarchés,nonpaspoursatisfairelesbesoinsdelasociététunisienne.L’ingérencedespuissanceseuropéennesetaméricainesproviententreautresdecequ’ellesveulentàtoutprixprotégerleursmultinatio-nales.Nousavonsbesoind’unpland’industrialisationenfonctiondesbesoinsdenotrepeuple.C’estcelaquelesgensréclament.LeFrontdu14janvierrevendiquelaconstructiond’uneéconomienationaleauservicedupeupleoùlessecteursvitauxetstratégiquessontsouslasupervisiondel’État.

Vous êtes porte-parole d’un parti communiste. Qu’en est-il d’une perspective socialiste en Tunisie ? Hamma Hammami.Unerévolutionsocialisten’estpasàl’ordredujouraujourd’hui.Oui,entantquemarxistesnousestimonsqu’endéfinitive,ilfaudrapasserausocialisme.Ceseranécessairepournepasêtreprisdanslefiletducapitalismemondialquiesttenupardesgrandesmultinationalesaméricainesetautres.Ceseraaussilaseulefaçondemettrefinàl’exploitationdel’hommeparl’homme.Maiscettefaçondevoirleschosesn’estpasencorepartagéelargementdutoutici.Nousnepouvonspasmarchertropvite. Ilfauttenircomptedesrapportsdeforcepolitiques.Laclasseouvrièreestenretardsurleplandelaconscienceetd’organisation.Lemouvementcommunisteestencoreassezfaibledansnotrepays,mêmes’ilprogressebeaucoup.Lesautresclassessontassezprésentesparl’intermédiaireducamplibéral,ducampislamiste...Ilnefautdoncpasfairedefauxpas. Atraverscetterévolution,despremiersjalonsdusocialismepeuventnéanmoinsêtreétablisauniveauéconomique.Ainsi,noussommespourlanationalisationdesgrandesentreprisesauprofitdestravailleurs.Commeditplushaut,celas’imposedéjà

d’unpointdevuedurecouvrementdenotreindépendance.Nousn’allonspasnationaliserpourquecelaprofiteàunebourgeoisied’État(uneclassequis’enrichiraitàlatêtedunouvelÉtat,NdlR).Laclasseouvrièredoitpouvoirdirigercesentreprisesd’unemanièredémocratique. Maiscelanevautpaspour

touslessecteursdel’économie.Nouseffraierionsl e s p e t i t scommerçants,lesartisans,lespetitspatronsdesnombreuxateliersquecomptenotrepays,nouslesmonterionscontrelarévolution.Et,surtout,ilfautpenseraux

paysans.Lapaysanneriecheznousesttrèsdiversifiée.Ellen’estpasorganiséeetelleaccuseengénéraluntrèsgrandretardauniveaudelaconscience.Quelquesrégionssontplusavancées,làoùilyadesouvriersagricoles,quisontparfoisdevenusdespaysanspauvres.Ilsontreçudeslopinsdeterre,maisnelestravaillentpasparmanquedemoyens.Ceux-làverronteux-mêmeslacollectivisationcommeuneissuepositive.Maisilyaaussidesrégionsoùlespaysansréclamentdepuisdesdécennieslaterrequedegrandscapitalistesleurontconfisquéemaisqu’ilstravaillentnéanmoins.Parlerdecollectivisation,celaleurrappelleraittoutedesuitelepillagedeleursterresaucoursdesannées60.Anotreavis,onpourrapasserdefaçongraduelleetdiversifiéeausocialisme,toutenmaintenantl’unitélaplusgrandedupeupleetdanslamesureoùsonexpériencelemèneàenvoirl’utilitéetlanécessité.Iln’yapasdeschémaunique.Maisilyaunbutunique,lesocialisme.

Baudouin deckers<

Hamma Hammami : « Nous sommes pour la nationalisation des grandes entreprises au profit des travailleurs. Mais cela ne vaut pas encore pour tous les secteurs de l’économie. » (Photo 10b travelling)

Les paysans, les petits commerçants, les artisans ou petits producteurs, les professeurs ou instituteurs et les ouvriers égyptiens n’ont jamais connu la démocratie. Et c’est ce à quoi ils aspirent avant tout. (Photo Levhartice)

Le Front du 14 janvier revendique une économie nationale au service du peuple où les secteurs vitaux sont sous la supervision de l’État.

En définitive, il faudra passer au socialisme pour ne pas être pris dans le filet du capitalisme mondial (…) Mais nous ne pouvons pas marcher trop vite.

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16 Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | INTERvIEw |

IntervIew | Le professeur sami Zemni

« La religion joue de moins  en moins un rôle politique »

En 1979, l’Iran chassait le chah. Aujourd’hui, le pouvoir ira-nien est aux ayatollahs. L’histoire va-t-elle d’ici peu se répéter en Égypte et en Tunisie ? Nous avons posé la question à Sami Zemni, professeur de sciences politiques et écrivain.

Sami Zemni. Dans ces pays, les rap-ports de force sont différents. Il n’y a pas de scénario unique pour la région. On peut difficilement dire que la révolte de Téhéran en 1979 et celle de Tunis

en 2011 sont similaires. Comme si, en trente ans, le monde n’avait pas connu de changements. L’Iran est un État persique, avec une forme d’islam spécifique : le chiisme. La Tunisie et l’Égypte sont sunnites. En Iran, il existe un clergé organisé avec ses intérêts propres : c’est presque une classe. Dans le monde arabe, on ne voit presque pas cela et les imams, cheiks et muftis sont des fonctionnaires payés par l’État. De même, l’histoire politique, économique et culturelle de ces pays est absolument, mais alors, là, absolument différente.

u En fait, je ne vois que deux simi-litudes superficielles entre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui s’est passé en Iran voici 30 ans. Un : sur papier, il s’agit ou s’agissait de musulmans. Deux : le peuple a chassé des dicta-teurs soutenus durant des lustres par l’Occident – Moubarak et Ben Ali en Égypte et en Tunisie, et le chah en Iran. Aujourd’hui, les groupes qui s’appuient sur l’islam font partie de la réalité et constitueront aussi un facteur politique à l’avenir. Mais cela dépend du pays où l’on se trouve. On ne peut prédire aujourd’hui la direction que ça va prendre.

Y a-t-il des gens qui ont intérêt à mettre en avant l’image négative de ce scénario iranien ? Sami Zemni. Je ne sais pas s’il y a toujours là-derrière un intérêt direct. Mais il est vrai que les islamophobes, qui se servent en permanence de stéréotypes et de clichés sur le Moyen-Orient, ont un agenda politique néocon-servateur. Eux l’ont, en tout cas. Le fait qu’ils présentent les Arabes comme des robots qui

reproduiront à l’infini les préceptes de l’islam n’est pas un hasard. Et encore moins qu’ils partent du principe que les Arabes ne sont pas mûrs pour la démocratie. Dans leur pensée, les musulmans sont arriérés et antidé-mocratiques, et ainsi de suite.

Il y a aussi des analystes qui croient que les organisations religieuses – l’Ennahda en Tunisie et les Frères musulmans en Égypte – vont évoluer dans la direction de l’AKP turc, le parti gouvernemental islamiste du Premier ministre Erdogan. Ont-ils de bonnes raisons de le croire ? Sami Zemni. En partie. L’Ennahda tunisienne a toujours été la plus pro-

gressiste de tout le monde arabe. En 1991, son chef spirituel, Rached Ghannouchi (à ne pas confondre avec Mohamed Ghannouchi, actuel dirigeant tunisien, NdlR), a dû prendre le chemin de l’exil.

Ses écrits traitaient presque toujours de l’islam et la démocratie, de l’islam

et les droits de l’homme, etc. En fait, cet homme a été la grande source d’inspiration d’Erdogan et de son AKP. On pourrait même dire qu’in-directement, l’Ennahda a été elle aussi à la base du modèle turc. Mais cela ne veut pas dire que la Tunisie va reprendre ce modèle. Il s’appuie sur une armée forte défendant le nationalisme d’Atatürk et le laïcisme, mais tolérant aussi au pouvoir la présence d’un parti islamiste. En Tunisie, l’armée joue un tout autre rôle, moins politique. Ce n’est donc pas demain que l’armée et l’Ennahda parviendront à s’entendre. La possibilité de voir cela en Égypte est plus grande. Mais, là, les Frères musulmans ont un plus grand chemin encore à parcourir. L’organisation est bien davantage empêtrée dans sa vieille vision de l’homme et de la société : une vision qui tourne autour de l’harmonie. Cette harmonie doit prétendument s’en prendre à l’inégalité dans la société. Les Frères musulmans reconnaissent l’existence de cette inégalité. Même s’ils ne parlent pas de classes, mais de couches qui doivent collaborer. Un peu comme les partis chrétiens d’ici, à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Maintenant, pour en revenir à votre question : les Frères musulmans vont donc bel et bien devoir sceller un tel accord avec l’armée. Mais, pour cela,

l’organisation doit avant tout réaliser une sérieuse modernisation.

Selon vous, l’AKP peut-il être un modèle pour ces organisations ? Sami Zemni. C’est possible, mais il ne faut pas jubiler trop vite. Il est certain que les gens de gauche ne doivent pas agiter de grands drapeaux en faveur de ce modèle. Ce serait de toute façon un progrès pour le monde arabe et les intérêts du peuple seraient mieux servis qu’avec les actuels dictateurs. Les intérêts occidentaux un peu moins. En soi, c’est une bonne affaire. Mais l’AKP reste un parti conservateur modéré, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il se montre très progressiste.

Vous parlez parfois de la laïcisation du Moyen-Orient. Qu’en est-il ? Sami Zemni. Il faut d’abord pré-ciser clairement ce qu’on entend par laïcisation. Le fait qu’en Égypte, on a vu aussi bien des chrétiens coptes que des musulmans sur la place Tahrir est à mes yeux une marque de laïcisation, d’individualisation et de pluralisation. Ils n’ont pas attendu l’appel d’un cheik, d’une institution ou d’une organisation. Le fait que des gens s’immolant par le feu se disent « martyrs », alors que le suicide est un grand tabou dans le monde islamique, est aussi significatif. Une grande laïcisation est en cours, mais c’est encore tout autre chose qu’une déconfessionnalisation. Les jeunes générations restent en général croyantes – on parle de 5 à 10 % d’agnostiques et d’athées en Égypte et de 15 à 20 % en Tunisie : tout cela, ce sont des approxima-tions. Mais la foi est devenue une affaire plus personnelle et elle joue aussi un rôle de moins en moins politique. Cela vaut aussi pour les chrétiens coptes, d’ailleurs. L’Église copte avait interdit à ses fidèles de participer aux manifestations, car la hiérarchie ecclésiastique est in-dissociablement liée au régime de Moubarak. Nous avons entendu ce que disaient les jeunes coptes : qu’ils aillent promener ! Ce n’est pas non plus en coptes qu’ils sont descendus dans la rue, mais en citoyens. L’un des groupes Facebook à la progression la plus rapide exige d’ailleurs que la religion des Égyptiens ne soit plus mentionnée sur leur passeport.

Thomas BlommaerT<

Une image du Qasr el-Nilbrug, où musulmans et chrétiens ont manifesté ensemble. « Le fait qu’en Égypte, on a vu aussi bien des chrétiens coptes que des musulmans sur la place Tahrir est à mes yeux une marque de laïcisation, d’individualisation et de pluralisa-tion », déclare Sami Zemni. (Photo 3arabawy)

L’histoire politique, économique et culturelle de l’Iran et de l’Égypte sont totalement différentes

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17Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011| FORUM |

Le racisme antimusuLman inverse victime et coupabLe

pas mûr pour la démocratie ?Au nom de la guerre contre l’isla-

misme, l’Occident a soutenu des dictateurs, tels Ben Ali et Moubarak. Décryptage par Michel Collon.

La merveilleuse révolte des Tunisiens et des Égyptiens a fait des miracles : on entend à présent les États-Unis vanter la « transition dé-mocratique » alors que pendant des décennies, ils ont fourni aux tyrans chars, fusils-mitrailleurs et séminaires de formation à la torture ! La France, pareil. Et cette révolte plonge dans l’angoisse les stratèges du Grand Empire US, du Petit Empire français et leurs protégés israéliens. Merci, les Arabes ! Objet de cette angoisse : comment changer un peu pour ne rien changer à l’essentiel ? Comment maintenir leur domination sur le pétrole du Moyen-Orient, sur les matières premières et sur les économies en général ? Comment empêcher que l’Afrique aussi se libère ? Mais il faut aller au fond des choses. Se réjouir des premiers pas ne peut cacher le chemin qui reste à parcourir. Ce n’est pas le seul Ben Ali qui a pillé la Tunisie, c’est toute une classe de profiteurs, tunisiens, mais surtout étrangers. Ce n’est pas le seul Moubarak qui a opprimé les Égyptiens, c’est tout un régime autour de lui. Et derrière ce régime, les États-Unis. L’important, ce n’est pas la marionnette, mais celui qui en tire les fils. Washington, comme Paris, cherche seulement à remplacer les marionnettes usées par d’autres plus présentables.

un chávez ou un morales arabe ?

La question que les Tunisiens, les Égyptiens et les autres souhaitent résoudre n’est pas : « Quel “nouveau” dirigeant nous fera de nouvelles promesses qu’il ne tiendra pas, avant de nous taper dessus comme avant ? » Leur question est plutôt : « Aurai-je un vrai travail avec un vrai salaire et une vie digne pour ma famille ? Ou bien aurai-je pour seule issue une barque qui ira s’échouer en Méditerranée ou dans une prison européenne pour sans-papiers ? » L’Amérique latine vivait tout récemment en-core la même pauvreté et le même désespoir. Les énormes profits du pétrole, du gaz et des autres matières premiè-res partaient gonfler les coffres-forts d’Exxon et de Shell pendant qu’un Latino sur deux vivait sous le seuil de pauvreté, sans pouvoir payer le médecin ou une bonne école à ses enfants. Tout a commencé à changer en 2002, quand Hugo Chavez a nationalisé le pétrole, modifié tous les contrats avec les multinationales, exigé qu’elles paient des taxes et que les profits soient partagés. L’année suivante, 11,4 milliards arrivaient dans les caisses de l’État (pendant vingt ans, c’était zéro !), et celui-ci mettait en route des programmes sociaux : soins de santé et enseignement pour tous, doublement du salaire minimum, aide aux coopératives et aux petites entreprises créatrices d’emplois. En Bo-livie, Evo Morales a fait de même. Et l’exemple se répand. Atteindra-t-il la Méditerranée et le Moyen-Orient ? À quand un Chávez ou un Evo arabe ? Le courage de ces masses en révolte mérite une organisation et un leader, honnêtes et décidés à aller jusqu’au bout. Une véritable démocratie politique est impossible sans la justice sociale. En fait, les deux problèmes sont étroitement liés. Car

u

personne n’installe une dictature pour le plaisir ou par simple perversion. C’est toujours pour maintenir les privilèges d’une petite couche qui accapare les richesses. Les dictateurs sont les employés des multinationales.

Washington se moque des gens

Face à la colère des Tunisiens, quel « homme nouveau » a proposé Washington ? Le premier ministre de l’ancien dictateur ! Face au désir

de changement des Égyptiens, qui ont-ils tenté de mettre au poste ? L’ancien chef de l’armée, créature de la CIA ! On se moque des gens. Il y a cinq ans, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Védrine, osait déclarer que les peuples arabes n’étaient pas mûrs pour

la démocratie. Cette théorie reste dominante dans une élite française qui pratique plus ou moins ouvertement le racisme anti-arabe et l’islamophobie. En réalité, c’est la France qui n’est pas mûre pour la démocratie. C’est la France qui a massacré les Tunisiens en 1937 et 1952 et les Marocains en 1945. C’est la France qui a mené une guerre longue et sanglante pour empêcher les Algériens d’exercer leur droit légitime à la sou-veraineté. C’est la France qui, par la bouche d’un président négationniste, refuse de reconnaître ses crimes et de payer ses dettes aux Arabes et aux Africains. C’est la France qui a protégé Ben Ali jusqu’au pied

de l’avion qui l’emportait. C’est la France qui a imposé et maintient les pires tyrans dans toute l’Afrique.

L’actuel racisme antimusulman permet de faire d’une

pierre deux coups

Premier coup : en Europe, on divise les travailleurs selon leur origine (un tiers des ouvriers français ou belges sont d’origine immigrée récente) et pendant qu’on fantasme sur la burqa, les patrons attaquent allègrement les salaires, les condi-tions de travail et les retraites de tous les travailleurs, voilés ou pas. Deuxième coup : par rapport aux pays arabes, l’islamophobie permet d’éviter les questions gênantes. Au lieu de se deman-der « Mais qui leur a imposé ces dictateurs ? » et de répondre : l’Europe, l’Europe d’en haut, l’Europe des multinationales, on présente les Arabes comme « pas mûrs pour la démocratie » et donc dangereux. On diabolise en inversant la victime et le coupable.

Or, voici le débat fondamental, et il dé-pend de nous tous qu’il soit mené ou occulté : pourquoi les États-Unis, la France et compagnie – qui n’ont que le mot « démocratie » à la bouche – ne veulent en réalité absolument pas d’une véritable

démocratie ? Parce que si les peuples peuvent décider eux-mêmes comment utiliser leurs richesses et leur travail, alors les privilèges des

corrompus et des profiteurs seront en grand danger !

Grand bouleversement

Le monde change à toute allure. Le déclin des USA ouvre de nouvelles perspectives pour la libération des peuples. De grands boulever-sements s’annoncent… Mais dans quel sens iront-ils ? Pour qu’ils soient positifs, il dépend de chacun de nous qu’une véritable information

circule, que les dos-siers honteux soient largement connus, que les stratégies secrètes soient démasquées. Tout ceci permettra d’instaurer un grand débat, populaire et international : de quelle économie, de quelle justice sociale les peu-ples ont-ils besoin ? Or, l’information

officielle sur tout ceci est une catastrophe, et ce n’est pas par hasard. Dès lors, pour que ce débat se mène dès maintenant et partout, chacun de nous a un grand rôle à jouer. Informer est la clé.

Michel collon

L a ver sion complète de cet article « Le monde change, et nous avons un grand rôle » figure sur le site Investig’Action www.michelcollon.info

<

\

Des syndicalistes indépendants manifestent contre la corruption devant le siège de la Fédération des syndicats égyptiens (EFTU), dont le président est un proche de Moubarak. (Photo 3arabawy)

L’important, ce n’est pas la marionnette, mais celui qui en tire les fils. Washington, comme Paris, cherche seulement à remplacer les marionnettes usées par d’autres plus présentables

Il y a cinq ans, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Védrine, osait déclarer que les peuples arabes n’étaient pas mûrs pour la démocratie

Pendant qu’on fantasme sur la burqa, les patrons attaquent allègrement les salaires, les conditions de travail et les retraites de tous les travailleurs, voilés ou pas

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18 Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011 | MONDE |

IntervIew d’AlAIn Gresh (le Monde diploMatique)

« les États-Unis ont perdu un levier important de leur politique régionale »

Mai 2010 : des jeunes Palestiniens jettent des pierres sur une jeep israélienne. L’Égypte cautionnait un processus de paix israélo-palestinien qui n’a plus aucun contenu. (Photo Edo Medicks)

« Ça fait des années qu’on cautionne dans toute la région des régimes autoritaires. »

Les révolutions tunisienne et égyptienne provoquent un énorme bouleversement politique et éco-nomique. Elles remettent aussi en cause le rôle des États-Unis, de l’Europe et d'Israël.

La région qui va du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord a une importance stratégique due à ses vastes réserves de gaz et de pétrole, ainsi que l’im-portance du canal de Suez qui lie la Méditerranée à la Mer Rouge. Ces deux éléments donnent un poids géopolitique à l’Égypte. Dès lors, l’Europe a longtemps hésité avant de demander à Ben Ali et Moubarak de s’en aller. Certains membres du gouvernement français ont même reçu des faveurs personnelles de ces dictateurs. Ces faits interpellants reflètent la stratégie de défense des intérêts de l’Occident. C’est donc l’occasion d’une rencontre avec Alain Gresh, spécialiste du monde arabe et directeur adjoint du Monde Diplomatique. Né en Égypte, il est aussi président de l’Association des journalistes français spécialisés sur le Maghreb et le Moyen-Orient (AJMO).

Peut-on dire qu’il y avait une certaine connivence entre Moubarak et Ben Ali, d’une part, et les dirigeants politiques européens, d’autre part ? AlainGresh. Il s’agissait d’une connivence totale. Ça fait des années qu’on cautionne dans toute la région, au Maghreb comme au Proche-Orient, des régimes autoritaires. Cela s’est fait essentielle-ment sur base d’un argument que ces régimes eux-mêmes nous ont fourni, c’est-à-dire « c’est nous ou les islamistes ». La menace islamiste a, notamment après le 11 septembre, servi de prétexte pour une politique qui ne consistait pas seulement à avoir des relations diplomatiques normales avec ces régimes, mais même de leur donner une caution en disant qu’ils « allaient vers la démocratie, même si c’était un peu lent ». Cela était en parfaite

u

contradiction avec tout ce qu’on savait sur ces pays, notamment qu’ils étaient gouvernés par des élites qui non seulement construisaient un système autoritaire, mais en outre pillaient le pays.

La crise socio-économique que traversent aujourd’hui ces pays trouve son origine non seulement dans les pillages par les élites, mais ne se trouvent-elles aussi dans la politique de libéralisation et de privati-sation imposée par le FMI et la Banque mondiale ? AlainGresh. Ce sont en effet surtout la France et l’Union européenne qui ont fait pression pour l’adoption de ces réformes de libéralisation et qui en ont profité. Mais les élites au pouvoir en ont bénéficié aussi. Ces libéralisations et surtout la privatisation de grandes entreprises en Égypte et en Tunisie ont profité à une toute petite élite qui s’est enrichi massivement. Quand on

voit les sommes qui sont mainte-nant attribuées à M. Moubarak ou M. Ben Ali, il s’agit de dizaines de mil-liards de dollars. Ce sont des sommes absolument énor-mes. Évidemment,

cela se faisait au vu et au su de nos dirigeants qui par ailleurs parlent de « lutte contre la corruption ». À l’inverse, on pourrait dire que ces pays se sont ancrés dans la mondialisation et ont développé des relations économiques importantes avec notamment l’Union européenne.

Parmi les causes de ces révolutions, on pointe souvent la situation économique au sein de ces pays… AlainGresh. Tout à fait. L’économi-que et social, c’est-à-dire la pauvreté et les inégalités, ont fourni la poudre. Ce qui a, ensuite, fait exploser cette poudre a été le caractère insuppor-table de la domination autoritaire et dictatoriale. L’arbitraire total du pouvoir ne se limitait pas seulement aux opposants politiques, mais s’étendait à tous les citoyens. Mais l’étincelle qui a fait exploser la Tunisie a été un marchand de 4 saisons qui n’avait rien de politique et à qui on a confisqué pour la énième fois son gagne-pain. Et on ressent la même chose en Égypte, une volonté de retrouver cette dignité. Le socio-économique forme la base, mais la révolte va au-delà de ça.

Au vu de l’importance stratégique de l’Égypte, est-ce que ces révoltes menacent les intérêts des États-Unis et l’Europe ? AlainGresh. Les peuples ne se positionnent pas en premier lieu par rapport à l’Occident ou aux États-Unis. Ils veulent tout simplement redevenir maîtres de leur destin et pouvoir définir eux-mêmes leur pro-pre politique. Mais cela va forcément changer énormément de choses. Depuis des années ces pays étaient sous la coupe des États-Unis. Surtout l’Égypte était devenue une sorte de

relais de la politique américaine et israélienne dans la région. L’Égypte était à l’avant-garde de la lutte contre l’Iran et contre le Hamas à Gaza, et cautionnait un processus de paix israélo-palestinien qui n’a plus aucun contenu. L’Égypte était vraiment un pilier fondamental et cela, je pense, va changer. Cela ne veut pas dire que l’Égypte va rompre le traité de paix avec Israël, mais on va sans doute assister à une politique égyptienne plus indépendante, plus revendicative,

mais pas forcément antioccidentale. Un peu comme le modèle turc peut-être. Un pays qui est membre de l’OTAN, qui a d’excel-lentes relations avec les États-Unis, mais qui, en même temps,

depuis quelques années, acquiert un poids autonome. L’important se trouve là. Ces pays vont redevenir des acteurs de la scène régionale et internationale.

Vous ne craignez pas que les États-Unis essayent d’influencer ces révoltes, notamment à travers les liens qu’ils ont avec l’armée égyptienne, pour garantir leurs intérêts ? AlainGresh. Les États-Unis sont une grande puissance et ils ont un certain nombre de moyens d’action. Ceci étant, on a vu aussi les limites de ces moyens. Il ne faut pas surestimer la capacité des États-Unis à agir dans une telle crise. À long terme par contre, ils disposent de certains moyens, comme l’aide à Israël, l’aide alimentaire et les relations militaires.

Pour les États-Unis, le plus important est évidemment la paix entre Israël et l’Égypte. Je ne crois pas que cela sera remis en cause, mais de toute façon, je pense que les États-Unis ont perdu un levier important de leur politique régionale et ça, c’est quelque chose qui me semble très important.

On voit maintenant des révoltes partout dans le monde arabe. Ces deux révolutions peuvent-elles vraiment entraîner des changements profonds dans le reste de la région ? AlainGresh. Les ingrédients essentiels des explosions en Égypte et en Tunisie sont présents dans tous les pays arabes : crise économique et sociale, autoritarisme et une jeu-nesse qui arrive massivement sur le marché du travail sans trouver un emploi. Maintenant les régimes sont différents d’un pays à l’autre. Chaque pays a sa particularité, mais on sent partout cette volonté de retrouver cette dignité et le droit à la parole. Les pouvoirs le sentent encore mieux. Pratiquement partout encore avant que les révoltes se répandent, il y a eu des concessions. Parfois de type financier, comme à Bahreïn et au Koweït ; en Syrie, on a rétabli des subventions ; au Yémen, le président a renoncé à la présidence à vie et, en Jordanie, on a changé de gouver-nement. Il me semble que, quelle que soit la suite des évènements, il y a déjà une situation qui a changé et qui va profondément modifier le monde arabe.

Marc Botenga<

Alain Gresh

« La situation va profondément modifier le monde arabe. »

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19Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011| MONDE |

états-Unis/EUropE

Une domination mondiale menacée par les révolutions arabes

« Celui qui contrôle le pétrole du Moyen-Orient tient les écono-mies de l’ensemble du monde par la gorge », a un jour déclaré Dick Cheney, l’ancien vice-président de George W. Bush. Or, les révolutions dans le monde arabe pourraient remettre en cause ce contrôle américain, et plus globalement occidental.

L’Arabie saoudite, l’Irak, les autres pays arabes et l’Iran renferment deux tiers des réserves de pétrole de la planète. Le contrôle du Moyen-Orient n’a cessé d’être une des priorités de la super-puissance étatsunienne. Pas tellement pour combler ses propres besoins en pétrole – le continent américain est son principal fournisseur – mais pour tenir les autres économies du monde (l’Europe mais aussi la Chine) « par la gorge » en contrôlant le robinet du pétrole. Ceci explique le soutien américain aux monarchies arabes du golfe Persique, à l’occupation sanglante de l’Irak, aux menaces de guerre contre l’Iran. Dans cette région se trouve aussi le canal de Suez, qui relie la Médi-terranée à l’océan Indien, une des routes de navigation commerciale et militaire de la plus haute importance stratégique. Enfin, une grande partie de ces pays arabes sont en bordure de la Méditerranée. Les bas salaires ont attiré un grand nombre d’investisseurs occidentaux européens. L’industrie textile belge a ainsi délocalisé plusieurs entreprises en Tunisie. L’importance cruciale de la région pour les puissances occidentales explique leur soutien inconditionnel à Israël, n° 1 de l’aide américaine militaire avec 3 milliards de dollars, et qui remplit pleinement son rôle de gendarme occidental dans la région. Elle permet aussi de comprendre

u leur alliance avec l’Arabie saoudite, le pire ennemi de la démocratie dans le monde arabe. Pays à qui les états-Unis vendront au cours des deux prochaines décennies pour plus de 60 milliards de dollars d’armes, un record annoncé par Obama fin 2010. Cet enjeu économique et straté-gique explique aussi que les états-Unis ont soutenu les dictatures en Tunisie et en Egypte et soutiennent encore les régimes pro-occidentaux en Jordanie, au Yémen, à Bahreïn, au Maroc et ailleurs.

Gouvernement belge

Aujourd’hui, Obama, Merkel, Sarkozy et les autres dirigeants occidentaux rivalisent en déclarations de soutien aux « aspirations démocratiques des peuples arabes ». Mais peut-on les croire ? Ils connaissaient tellement bien la nature des régimes dictatoriaux arabes que c’est aux tortionnaires de l’armée de Moubarak que la CIA livrait à la torture des prisonniers venus d’Afghanistan et d’ailleurs. Le gouvernement belge n’est pas en reste. Dans le cadre de la présidence européenne en automne 2010, le site du ministère des Affaires étrangères vantait les mérites du partenariat de l’Union européenne avec la Tunisie. On pouvait y lire que « l’accord d’association instaure un dialogue politique régulier. A l’instar des autres partenaires méditerranéens, le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme en constitue un volet essentiel. »1. Aujourd’hui, Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Herman Van Rompuy plaident tous pour une tran-sition rapide et dans l’ordre. Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a déclaré : « Nous avons une grande expérience en matière

de démocratie. Nous pouvons donc aider l’Egypte à réaliser la transition. » Or, l’expérience des peuples des pays arabes est que cette Union euro-péenne et les états-Unis ont surtout de l’expérience dans le soutien à des dictatures brutales au Caire, à Tunis et ailleurs, durant des décennies… Mais aujourd’hui, les puissances occidentales font tout pour limiter les dégâts. Et la démocratie n’est pas leur préoccupation. Ils soutiennent les régimes de transition, comme le gouvernement Ghannouchi (premier ministre sous Ben Ali depuis 1999) en Tunisie ou celui des généraux (proches du Pentagone) en Egypte, des régimes composés des anciennes élites. Ensuite, ils préparent l’avenir pour garantir leurs intérêts. Ainsi le New York Times du 12 février révélait que

des plans existent pour un glissement d’une partie du soutien financier militaire étatsunien à l’égypte vers des « fonds qui contribueront à la création de partis politiques » favo-rables à Washington.

Les plans américains bouleversés

Dans la mesure où les révolutions pourraient réussir à instaurer des gouvernements populaires, comme on l’a vu en Amérique latine les dix dernières années, c’est la stratégie planétaire des états-Unis qui pourrait chanceler. Fin 2010, Barack Obama considé-rait le Moyen-Orient suffisamment « pacifié » – lisez sous contrôle nord-américain – pour pouvoir se concentrer sur ce que les milieux dirigeants US considèrent comme leur plus grand défi : la Chine émergente. Des experts prédisent que, d’ici deux décennies, l’économie chinoise, aujourd’hui n° 2 mondial, aura rattrapé les états-Unis, une évolution qui ne plaît aux multinationales US. Cet été Obama, Hillary Clinton, secrétaire d’état (chef de la diplomatie) et Ro-bert Gates, ministre de la Défense,

s’étaient rendus dans différents pays asiatiques, avec pour but de creuser les divergences entre la Chine et d’autres pays du continent. La Sep-tième flotte de l’armée américaine avait entrepris dans le même temps des grandes manœuvres près des côtes chinoises. Tout en décrochant de nouvelles facilités portuaires pour ses navires de guerre en Asie du Sud. L’encerclement militaire du géant asiatique se resserrait, loin des caméras. Aujourd’hui, les révolutions et soulèvements dans le monde arabe bouleversent entièrement ces plans. Après la Tunisie et l’égypte, plusieurs régimes clés de la région risquent de tomber. Par exemple, Bahreïn, qui abrite la Cinquième flotte américaine. Jamais Washington ne s’était imaginé devoir envisager de quitter cet émirat du golfe Persique un jour. Autre exemple. Le Yémen, au sud-ouest de l’Arabie saoudite. La chute d’Ali Abdullah Saleh, un autre dictateur pro-US, porterait le danger aux portes du royaume saoudien. Or, si l’Arabie saoudite « tombe », Israël même se retrouverait orpheline… C’est le dernier pion du domino US dans la région qui serait alors en danger. Des défaites des régimes arabes encourageront les peuples des conti-nents africain, américain et asiatique, qui vivent encore sous des dictatures similaires, à s’affranchir également. George W. Bush et l’élite dirigeante de Washington espéraient en 2001 faire du 21e siècle LE siècle de la do-mination absolue nord-américaine. Or, la première décennie de ce siècle pourrait devenir la dernière de la suprématie étatsunienne.

Baudouin deckers

1. diplomatie.belgium.be

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Deux tiers des réserves mondiales de pétrole se situent dans le monde arabe et en Iran. On comprend mieux le soutien américain à l’occupation sanglante en Irak (photo) et aux monarchies arabes. (Photo The U. S. Army)

Le 20 février dernier, des milliers de manifestants scandaient dans les rues de Rabat, au Maroc : « The people want change » (Le peuple veut du changement). Si les révolutions du monde arabe arrivent à mettre en place des gouvernements populaires, c’est la stratégie planétaire des États-Unis qui pourrait chanceler. (Photo Belga)

Page 20: Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

20 Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

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