morel 1992 entretien bob connolly

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  • 7/24/2019 Morel 1992 Entretien Bob Connolly

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    Rfrence papier

    Morel A., 1992, Rigueur et passion. Entretien avec le cinaste BobConnolly , Terrain, n 19, pp. 159-170.

    Rfrence lectroniqueBob Connolly et Alain Morel, Rigueur et passion , Terrain [En ligne],19 | octobre 1992, mis en ligne le 22 avril 2005, consult le 29 octobre2014. URL : http://terrain.revues.org/3053 ; DOI : 10.4000/terrain.3053

    Les australiens Robin Anderson et Bob Connolly, MARI et femme etcoralisateurs, ont cette anne, pour la troisime fois, obtenu le prixdu Festival international de FILMS sociologiques etethnographiques cinma du rel 1, pour Black Harvest.Ce FILM

    est la suite de deux autres ralisations : First Contact, origine de toutce travail remarquable, dj prim en 1983, et Joe Leahy'sNeighbours prim en 1989. Leur objectif initial avait t dereconstituer ce que fut la rencontre, les premiers contacts, de tribuspapous des HIGHLANDS de Nouvelle-Guine avec des Blancs. Ilsse sont attachs l'expdition organise par trois chercheurs d'or2dans les annes 30, expdition qui avait t filme car cesexplorateurs avaient eu la bonne ide d'emporter avec eux unecamra. Ils avaient enregistr le regard que les Papous portaient sureux. Trs naturellement, pourrait-on dire, ceux-ci les ont pris pour

    des dieux, accompagns de revenants incarns par les porteurspapous de l'expdition recruts dans la rgion ctire. B. Connolly etR. Anderson ont retrouv les FILMS tourns par les explorateurs etles ont projets aux Papous qui avaient vcu, il y a cinquante ansdj, cette rencontre. Ils ont film leurs ractions et lescommentaires suscits par ces images. Par exemple, ces tmoinsracontent dans First Contact qui comporte des extraits de ces films quel fut leur tonnement de constater que ces dieux n'taient pasdivins en toute chose, qu'ils avaient aussi un appareil digestif et desdsirs sexuels. Pour preuve les quelques mtis qui natront des

    premiers contacts avec les femmes papous.2

    Aprs First Contact, B. Connolly et R. Anderson ont eu l'ide de fairede l'un de ces mtis, Joe Leahy fils naturel du chef de l'expdition,Michael Leahy le protagoniste d'un autre FILM sur les Papousaujourd'hui. Joe Leahy a d'abord t lev par sa mre, une Ganiga,comme n'importe quel Papou ; mais, comme il diffrait physiquementdes autres, son oncle, Dan Leahy, rest vivre dans la rgion, l'areconnu comme le fils de son frre Michael. De ce fait, pris en chargepar son oncle, il a aussi reu une formation occidentale, ce qui lui a

    permis de devenir manager. Il dirige une plantation de caf prospreet possde tous les signes extrieurs de richesse d'un colon ayant

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    russi. Mais il n'est pas que cela. Il est un mdiateur entre le mondepapou et le monde occidental, et c'est ce qui a intress lesralisateurs.

    3Mdiateur/mtis, Joe connat aussi bien le fonctionnement d'uneentreprise capitaliste que les modes de pense et les valeurs de sesdemi-frres. Il peut en tirer profit : il a besoin d'ouvriers agricoles etse propose de mettre en exploitation les terres tribales. Mais il ne secontente pas de cela. Comme la plupart des mdiateurs, qui sontaussi des patrons, il s'emploie activement tendre son influence au-del de la sphre conomique, celles du social et du politique. Pourcela il joue le jeu avec beaucoup d'habilet. Par exemple, il participe

    au systme de prestations/contre-prestations traditionnel ; il vient,avec sa Mercedes, recevoir devant toute la tribu le modeste paquetd'un kilo de sucre que le chef lui remet rituellement pour sceller leuraccord, comme s'il tait un des leurs, plus minent parce qu'il estriche, mais semblable. Pourtant la distance sociale sous-jacente estgrande3.

    4Joe Leahy's Neighbourgs, c'est la rencontre de mentalits diffrentesmues par des valeurs et des logiques distinctes, rencontre quisemblait positive, en 1985-87, quand le FILM fut tourn. Elle

    aboutissait une conjonction prometteuse entre l'esprit d'entrepriseet les intrts multiples mdiatiss par Joe, mais aussi par PopinaMa, son associ, le chef des Ganigas, qui fait miroiter aux hommesde la tribu les bnfices (maison, voiture...) que lui-mme espreobtenir de ce partenariat. Cette double mdiation est renduencessaire par le fait que les conceptions conomiques des Ganigassont plus voisines du troc que de l'investissement capitaliste. Cetterencontre d'intrts aboutit la mise en chantier d'une nouvelleplantation avec un financement bancaire obtenu par Joe, qui, cetitre, s'arroge 60 % des bnfices. Les Ganigas, qui prtent leurs

    terres, n'obtiendront que 40 %. Joe est en position de force et, deplus, il s'assure de leur collaboration comme ouvriers agricoles dansla plantation qui ne rapportera que dans cinq ans, lorsque les cafiersseront maturit. Ici se termine le deuxime film.

    51991. Le temps de la rcolte, de l'enrichissement, est arriv. LesConnolly sont de retour pour la troisime fois. Mais rien ne va plus.Subitement les cours du caf s'effondrent. Joe s'emploie expliqueraux Ganigas ce qui se passe, les convaincre d'tre patients et, pourne pas perdre la totalit du travail dj INVESTI , d'accepter detravailler salaire rduit en attendant la remonte des cours. BlackHarvest, c'est le temps de l'incomprhension. Les Ganigas n'ont pas

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    la mme conception du temps et ne comprennent pas lesmcanismes conomiques ni les lois du march ; ils sont frustrs etse croient tromps par Joe. De plus, au mme moment, la guerreintertribale endmique se dchane. Respecter les obligationsd'alliance, dfendre les siens, venger ses morts, tout cela devient

    prioritaire. Joe voudrait que la survie de la plantation et del'entreprise laquelle sont associs les Ganigas passe avant. Il nerussit pas les convaincre. A court d'arguments, il tente de frapperleur esprit par une provocation stupfiante : pour leur fairecomprendre ce qui va arriver si le caf n'est pas ramass et pourritsur les branches c'est un des moments forts de Black Harvest ilorganise une mise en scne ayant une forte charge affective etsymbolique pour les Papous. Les grains de caf pourri, comme lecorps d'un dfunt, sont placs dans une natte suspendue deuxpoteaux conformment au rituel des funrailles. Il tente de dtourner

    l'efficacit symbolique du rituel son profit ; cela ne marche pas, lesGanigas sont scandaliss. Joe connat bien les Ganigas mais il ne lescomprend plus. La rcolte est perdue. Joe s'effondre ; il pleure. Il achou, conomiquement, bien sr ; mais il ne s'agit pas que de cela,on le sent bien. Son projet n'tait-il pas de faire sortir son peuple qu'il croyait tre prt le suivre jusqu' faire de lui leur chef de cequ'il considre comme un monde dpass, cruel et probablementsans avenir ?

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    Si Joe Leahy's Neighbours et Black Harvest sont des FILMS trsprenants et trs mouvants, ce sont aussi des FILMS ethnographiques trs russis. Les ralisateurs nous montrent desmanifestations de la culture papou d'aujourd'hui dans sa relationcritique dsir, envie, emprunt, dtournement, incomprhension,rejet la culture occidentale et ses attributs. La force de ces filmsvient de ce que ces manifestations sont saisies sur le vif, dans dessituations d'interactions, o les protagonistes ont se dbrouilleravec les autres et avec la ralit, et non pas, comme dans la plupartdes documentaires, sur la foi de ce que les personnages confient auralisateur avec ce que cela comporte d'invitable autocomplaisanceet de secrtes dissimulations. B. Connolly et R. Anderson ont faitbeaucoup de terrain, parlent couramment le pidgin et ont habitu lesvillageois leur prsence filmante . Ils sont si bien parvenus s'intgrer aux situations que les choses se passent comme s'il n'yavait ni tiers ni camra, et cela mme dans la situation d'entretien. Ace point d'intimit avec le rel dans ce qu'il comporte de complexe etde contradictoire ce que le documentaire atteint rarement,privilgiant davantage la ralit personnelle d'un individu , leursfilms ressemblent des fictions ; et ce d'autant plus qu'ils ont tconus et construits dans le but de raconter une histoire.

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    L'intrt exceptionnel de ces films ne tient pas au fait que lesralisateurs auraient eu la chance de dtenir un trs bon sujet et dese trouver l, au bon moment, en position de raliser ce qu'onappelle un scoop. On pourrait avoir cette impression en voyant leursfilms. En fait ce qui donne l'impression d'tre toujours au cur de

    l'action, c'est leur capacit savoir tre l quand il le faut, choisirles moments qui sont pertinents du point de vue du fil conducteurqu'ils ont dtermin. L'entretien sur ce point est trs clairant. Qu'ils'agisse de la prparation, du tournage ou du montage, B. Connollyexpose ses conceptions personnelles et les difficults pratiques etthoriques qu'ils ont rencontres. Il rpond aussi aux critiques qui luiont t adresses.

    8Terrain: Comment est ne l'ide de raliser First Contact ?

    Bob Connolly: Un de mes amis, spcialiste d'histoire orale, faisaitune mission de radio consacre l'engagement colonial del'Australie en Papouasie-Nouvelle-Guine. C'tait un sujet de FILM trs intressant. Et, avec Robin, nous avons commenc par regarderce qui existait sur l'histoire de cet engagement. Trs peu de chosesen fait, seulement quatre livres. Robin commena alors la recherche.Elle s'est concentre sur cette priode des annes 30 o lesAustraliens pntrent dans les valles du centre du pays. Robin adcouvert que dans les HIGHLANDS il y avait des gens qui sesouvenaient de la venue des premiers Europens. Mais, cinquanteans plus tard, les diffrentes vagues de pntration tendaient seconfondre compltement dans leur mmoire. Il nous a fallu environhuit mois de recherches minutieuses pour distinguer les diffrentesexpditions et tre en mesure de concevoir le type particulier decontact que les frres Leahy4avaient tabli. Telle fut la gense de cefilm.

    10C'tait un film pour la tlvision. Nous tions forms par la tlvision.

    Aujourd'hui je ne le ferais plus de la mme manire. Il y a beaucoupde musique et c'est trs rapide ; mais tout le monde semble l'aimer !

    11Terrain: Cette exprience a modifi votre conception dudocumentaire...

    12B. C. : Mon Dieu, oui ! Aprs le film nous avons dcid d'crire un

    livre sur ce mme sujet5. Cette exprience a transform mon attitudeconcernant la ralisation, alors que j'avais dj ralis une

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    quarantaine de FILMS pour la tlvision, toujours sous la pressiondu temps. Pour crire ce livre nous avons obtenu une bourse del'universit de Canberra qui nous a permis, pendant dix-huit mois, defaire des recherches sur le terrain et en bibliothque. Il nous a falluun an pour l'crire. C'tait mon deuxime livre. Le premier avait t

    rdig la hte, alors que nous avons consacr du temps celui-ci ;toute la lenteur du travail universitaire.

    13J'ai alors ralis, ce dont je n'avais pas, de fait, conscienceauparavant, que j'avais t form faire des FILMS avec unequipe de professionnels, o chacun joue son rle, selon le modleimpos par l'institution. Comparativement l'criture ne ncessitequ'une machine crire. Nous nous sommes dit que la camradevrait tre notre machine crire et que si c'tait le cas alors les

    contraintes diminueraient.14

    De plus, Robin, venant de l'universit, avait une autre vision deschoses. Elle n'avait pas apprci dans le cinma tout ce qu'il fautfaire pour trouver l'argent au dpart, ni non plus de devoir utiliser leservices d'une quipe de professionnels qui cotent extrmementcher et qui s'inquitent de savoir s'ils auront un dessert pour ledner... Elle n'aimait pas cette faon de travailler.

    tre son propre oprateur15

    A cette tape nous avons dcid de faire un FILM sur la Nouvelle-Guine, tout en revenant, mais d'une manire totalement diffrente,au type de FILM que j'avais fait prcdemment, c'est--dire surdes situations contemporaines. Heureusement nous avons pubnficier du systme de bourses accorde par la Commission du filmaustralien. Avec l'argent on peut faire tout simplement ce que l'onveut. Nous avons achet notre propre quipement et sommes alls

    l'cole pendant six mois ; nous avons lou les services d'unprofessionnel, plein temps, pour qu'il nous entrane au maniementde la camra 16 mm et la prise de son. Nous ne savions pasencore, qui de nous deux, allait faire l'image ou le son, chacun tantpersuad qu'il filmait mieux que l'autre.

    16J'ai trouv la partie technique trs simple. Vous n'avez qu' fairecorrectement le point. Dans la ralisation de ce genre de film, ce quicompte est ce qui se passe devant la camra. Vous n'avez besoin qued'tre attentif ce que vous faites. Dans nombre de films

    documentaires, parce qu'il ne se passe rien, il faut qu'esthtiquementcela soit trs joli et donc pour cela avoir recours des ralisateurs de

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    premire classe !

    17Avant de raliserJoe Leahy's Neighbours, Robin et moi tions terrifisparce que nous PENSIONS que nous n'avions pas la comptence

    ncessaire pour faire l'image du film. Nous tions terriblement seuls ce moment-l et au dbut nous avons eu pas mal de difficults.Pourtant je crois que Black Harvest est moins bien film que JoeLeahy's Neighbours o j'ai t trs conservateur : j'ai utilis unobjectif de dix millimtres, prs des gens, ce qui signifie que tout doittre au point ; compar une prise de vues distance avec unefocale plus longue, c'est une faon de FILMER trs conservatrice.

    18En 1985 nous tions prts retourner en Nouvelle-Guine avec l'ide

    d'y vivre. Nous savions que nous allions faire un film sur Joe Leahy leGaniga. La relation entre Joe et les Ganigas nous donnait l'occasionde saisir le choc contemporain entre la culture occidentale et laculture tribale. Nous avions, je crois, sur la question coloniale uneconception politique plus nuance aprs avoir crit notre livre Premiercontact. Dans un film il est plus facile de porter des jugements devaleur superficiels sur les bons et les mchants, sur le colonialisme etl'exploitation ; l'criture d'un livre vous oblige justifier tout ce quiest avanc, creuser les choses sans trahir leur complexit. Cela aeu une grande influence sur la conception de Joe Leahy'sNeighbours: nous avons cherch nous loigner des simplifications,telles que tous les Noirs sont des victimes innocentes et tous lesBlancs sont de vicieux oppresseurs. Nous avons plutt essay denous attacher aux faits, la manire dont les gens sont pris l'intrieur des vnements, la relation entre les actes et les intrtspersonnels. L'envie de faire ce film rsulte de notre volutionpersonnelle sur ces sujets.

    19Terrain: Avez-vous t influenc par Frederic Wiseman ?

    20B. C.: Hospitalest un des meilleurs films que j'aie jamais vus. Je n'ait influenc par aucun de ses derniers films. Je suis terriblementimpressionn par sa capacit couvrir le sujet, et par cette approche en mosaque qui est la sienne : tout un ensemble de petitesscnes qui se suffisent elles-mmes et qui, une fois misesensemble, semblent garder un dbut et une fin autonomes. Monterde cette faon donne plus fortement la notion de progression. Mais jen'ai jamais t intress plus que cela. J'aime le narratif. Le seul

    FILM que j'aie vraiment aim au Cinma du rel c'est Brothers'Keepers!6Parce qu' la fin quelque chose arrive : il est acquitt ! Je

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    sais que c'est trs vieux jeu ; tout le monde dit que je suis fou etdmod, mais j'aime qu'il arrive quelque chose. En Australie, on nouscritique pour tre, en quelque sorte, des auteurs frustrs...

    J'ai trouv les anthropologuesillisibles 21

    Terrain : Votre manire de travailler n'est pas sans rapport aveccelle des anthropologues, comme eux vous sjournez longtemps surle terrain et cherchez comprendre les choses de l'intrieur. Qu'enpensez-vous ?

    22

    B. C.: Quand nous avons crit le livre dont je vous ai parl, j'ai lutout, presque tout, de ce que les anthropologues avaient crit sur lesujet. C'est terrible dire, je les ai trouv illisibles et ennuyeux. Apart quelques-uns qui sont exceptionnels, la plupart desanthropologues sont convaincus qu'il leur faut utiliser dix mots pourdire ce qu'ils pourraient exprimer avec trois. Je ne veux pas suggrerqu'acqurir un peu de savoir est une chose dangereuse. Mais il y aune manire de trop s'enfoncer dans la complexit anthropologiqued'une culture qui peut tre hypnotisante. Personnellement, laNouvelle-Guine m'intresse en tant qu'elle se rattache moi-mme

    ou notre culture. Je me suis intress ces gens non partir d'unebase thorique mais partir des relations personnelles que j'avaistablies avec eux en tant qu'individus et je crois qu'au bout ducompte c'est payant. Il s'agit d'autre chose qu'une sorte de positionanti-intellectuelle. Les critiques que j'ai faites ne m'ont pas empchde m'tre imprgn, en discutant avec les anthropologues, d'unepartie de leurs connaissances, par osmose en quelque sorte.

    23Je m'intresse peu aux FILMS ethnographiques qui me semblent

    tristes. Il me vient l'esprit ces films interminables, mornes, sans fin,o des gens taillent la hache ; la fin une voix trs sonoreannonce : Boumpa aiguise sa hache ! Les films ethnographiquesqui m'intressent traitent des relations d'une culture aux autrescultures.

    24Terrain: Quel sujet vouliez-vous prcisment traiter quand voustes revenus dans les HIGHLANDS ?

    B. C.: Lors d'une visite pralable avant de faire Joe Leahy'sNeighbours Joe nous avait dit qu'il tait trs impatient d'emmenerune demi-douzaine de chefs de tribus faire un tour d'Australie pour

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    leur montrer, je cite, comment travaille un vrai pays . Le projet defaire cette plantation avec les tribus tait en route et les gens, disait-il, ne savaient pas comment fonctionne un vrai pays, l o un hommeet sa femme travaillent de neuf heures cinq heures ; ils nevoulaient pas l'couter. C'tait le plan de Joe et c'tait ce qui nous a

    dcid faire un FILM 7. Nous sommes alls dans les HIGHLANDS, avec l'ide d'y rester trois mois et de repartir avec eux pour le

    voyage. Bien sr, cela n'a jamais eu lieu, et nous avons fait JoeLeahy's Neighbours.C'tait en 1985.

    26Plus tard, Joe nous a dit que ce voyage se ferait en 1990, l'anne ola nouvelle plantation donnerait des rsultats et o il y aurait pleind'argent. Avec cet argent Joe pourrait les emmener en Australie etnous pourrions faire ce FILM . Cette fois devait tre la bonne. Ce qui

    ne se produisit pas non plus, parce que trois semaines aprs notrearrive l-bas, en 1990 avant la ralisation de Black Harvest leprix du caf s'effondra. Nous avions dj pris des images de larcolte, au cas o, mais ce moment-l nous n'tions mme pas srsde refaire un film avec eux. La chute des cours du caf,instantanment, a transform la situation et nous avons pens qu'elleallait devenir intressante. Nous avons alors construit une maison aumme endroit que prcdemment, en 1985, la limite de laplantation entre la maison de Joe et celle de Toumo.

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    Terrain: Tenez-vous principalement vos informations de Joe ?

    28B. C. : Pas du tout. Il nous tenait au courant de ses ides. Notreinformateur le plus intressant fut, de loin, Joseph Madang, tupendant le tournage de Black Harvest.En fait notre information estfonde sur un trs large rseau. Les gens venaient nous ; noustions comme des hutres dans le flux et le reflux de la MARE ,captant ce qui passe. Nous leur offrions une tasse de caf et lescoutions simplement. Ils nous demandaient ce que Joe pensait, et

    lui faisait de mme, mais nous avions pour principe de ne pasrpondre. Ainsi de nombreuses informations circulaient autour denous, sur ce que nous devions apprendre, comme l'antipathie d'untelpour Joe, que nous avons progressivement dduit de ces informationsen rapport avec la situation. Joe ne nous en aurait jamais parl !

    29Terrain: Combien d'heure de rushes avez-vous tourns ?

    30B. C. : Approximativement 22 000 mtres de FILM 16 mm soit

    environ trente heures de rushes. On peut le faire si on analyse. A lafin, j'utilisais des chutes de pellicule, des petits morceaux, je n'en ai

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    pas laiss beaucoup.

    Imaginer le rel

    31Terrain: Vous aviez presque toujours la camra avec vous. Pourtantvous n'avez tourn que trente heures de rushes. Qu'est-ce qui vousdcidait filmer ?

    32B. C.: Il y a tout un jeu d'intrigues qui se droulent en mme temps.Au dbut il est trs difficile de comprendre ce qui se passe. La tche at malgr tout simplifie par le fait que nous savions que les chosestournaient autour de Joe. Nous avions compris aussi que Popina, chefde la tribu et pre adoptif de Joe, allait devenir important parce qu'ilavait engag tout son prestige dans le dveloppement de la nouvelleplantation. Et puis le prix du caf s'effondre. Immdiatement nousavons compris que nous tenions le sujet du FILM : Que va-t-il sepasser ?

    33Alors que faire ? C'est facile de tourner 3 000 mtres en troissemaines. Pas de problme, il y avait une guerre tribale au coin de larue et il y avait des tus !

    34La mthode que nous avions exprimente en ralisant Joe Leahy'sNeighbourspour viter d'utiliser inutilement notre pellicule avec toutce qui se passait chaque jour et aussi, bien sr, afin de ne rien raterd'important, avait t de construire une sorte de grilled'interprtation, de structure si vous voulez. En nous promenant,nous discutions de l'ensemble afin d'arriver construire une structurequi nous permette d'valuer n'importe quel vnement, de bien lesituer, et d'tre en mesure de dire, entre cinq choses qui seproduisent, c'est cela que nous allons filmer ; par exemple, s'il s'agitde Popina, on ne FILMERA pas la visite qu'il fait l'occasion d'unecrmonie ; on ne retiendra dans ce qu'il fait que ce qui se relie,d'une certaine faon, cette structure. Cela doit apporter quelquechose et mme quelque chose de poids, aussi consistant qu'un roc !Bon. Cela semble simple. C'est, de loin, la chose la plus difficile danstout le tournage et il faut s'y atteler chaque jour, ne pas cesser des'interroger sur ce qui se passe. Quelles sont les implications de cela,qu'est-ce qui arriverait si... ? Nous nous sommes entrans laborerdes modles hypothtiques. Nous essayions d'imaginer ledveloppement des choses, de thoriser une situation de telle faonque lorsque les choses se prsentaient nous puissions rpondre trs

    rapidement sans chercher contrler la situation. C'est la situationqui devait nous contrler compltement. Peu importe ce qui advient

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    semble comprendre combien c'est efficace.

    38Terrain: Avez-vous regrett de ne pas avoir FILM certaineschoses ?

    39B. C. : Pas beaucoup. Dans le second FILM , des images de laguerre. Tous les jours on se reprochait de ne pas tre dans le champde bataille mais c'tait trop difficile, la situation tait trop mouvante.On croit tre sur le ct, que la bataille va aller dans un autre sens etqu'on pourra effectivement la filmer, et subitement elle est l, on seretrouve en plein milieu. Nous avons t deux fois au cur de labataille. C'tait trs dangereux et je n'tais pas prpar mourirpour ce film. Je m'tais dj retrouv dans de telles situations

    auparavant, dans des meutes et je savais ce qui peut arriver. Robin,qui avait moins peur que moi, n'avait pas suffisamment ralis quelle vitesse les choses peuvent chapper tout contrle, et je luidisais toujours de se coucher. Il y avait de foutues flches et onpouvait tre touch trs facilement. Aprs avoir travaill pendantquinze ans sur des films tourns sur la ligne de front au Vietnam, jele sais.

    Le grand problme : les films trop

    longs40

    Terrain: Faites-vous le montage vous-mme ?

    41B. C.: Avant Joe Leahy's Neighbours nous travaillions avec desmonteurs professionnels. Pour ce FILM je suis revenu avec lesrushes et j'y ai travaill moi-mme. J'ai beaucoup aim a, aim lasensation physique du montage.

    42Le grand problme dans ces FILMS sont les vingt premiresminutes, parce qu'il faut faire progresser une histoire et, en mmetemps, expliquer ; et l'un freine l'autre. On ne peut, comme avecl'crit, librement composer un ensemble, il faut faire avec le matrieldont on dispose. Au dbut, on n'est pas du tout assur de ce qui sepasse, notamment lorsque les images sont particulirementinadquates. Plus tard, lorsque les choses se sont effectivementmises en place, c'est plus facile, le matriel se monte tout seul. Maisau dbut, vous cherchez constamment un moyen d'introduire une

    tribu, de montrer qu'il s'agit d'une tribu, de faire comprendre sarelation avec Joe, de raconter l'histoire de Joe, tout cela, c'est

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    incroyablement difficile faire. J'ai mont pendant neuf mois danscette foutue pice. Robin venait voir chaque soir et nous endiscutions.

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    Mais je continuais penser que nous avions besoin d'un monteur.Celui que je voulais, qui avait mont First Contact, n'tait pasdisponible. Nous avons travaill avec un autre et la chose la plusaimable que je puisse dire son sujet est que a n'a pas march.Pour de petites choses... Par exemple, il disait : La Mercedes-Benzde Joe n'a pas l'air suffisamment cher. Une Mercedes diesel ne vapas, il faut une vraie Mercedes. Il tait trs bon sur beaucoup dechoses, mais cela n'a pas march. La fin a t difficile entre nous. Ilavait essay une construction que je n'aimais pas mais qu'il persistait trouver bonne. On a continu y travailler encore deux semaines.

    Il croyait l'inspiration pour mettre les choses en place. J'ai alors ditque ce n'tait pas ma faon de travailler, que c'tait difficile,dsagrable, que je n'tais pas si habile, qu'il me fallait y rflchirbeaucoup. Il m'a alors dit que c'tait impossible ; j'ai rpondu oui et ilest parti, et nous avons pouss un soupir de soulagement.

    44Nous avons fait une pause. Puis j'ai demand Ray Thomas de venirfinir le montage et de rduire les cent dix minutes ce que nousPENSIONS avoir de la valeur. Il est arriv avec toute sa fracheur.Il a travaill avec moi pendant 7 ou 8 semaines. Dans le documentmont il a d'abord regard la construction. Puis nous avons repris leschoses au dbut, examinant chaque squence. J'avais deuxmachines, il pouvait, en regardant les bobines reprer de meilleuresprises ou dcider d'allonger glisser par exemple une image de cafpourrissant sur l'arbre ou de raccourcir ceci ou cela. Il a tfabuleux, gnial, pour couper, pour faire une bonne toilette. Unefaon essentielle d'clairer les choses et de faire comprendre.

    45Trs souvent les documentaristes commencent avec le monteur ds

    le dbut et lui font faire des choses qu'il ne devrait jamais faire, c'est--dire le travail intellectuel, la construction, l'assemblage des images,parce que la majeure partie de ce qui se produit dans ce FILM n'apparat qu'aprs avoir vu le matriel. Cela sort de celui-ci ; c'estcomme voir un diamant dans une pierre. Ce sont des connexions quine peuvent parfois tre tablies que lorsqu'on met bout bout lessquences. Juxtaposer les squences de faon que les relationsapparaissent clairement, c'est extraordinaire ! Par exemple, il y a unechose qui ne nous est apparue qu'au montage : ce sont lessentiments profonds de Joe. Dans Black Harvest il est constamment

    au bord de l'nervement ; ce qui tait dissimul ici c'tait sonangoisse de partir, la faon dont il tait dchir par son amour du lieu

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    et, d'une certaine faon, son affection pour les gens. Mais ce qu'illaissait paratre c'tait sa haine, sa rage, son angoisse et sa solitude.Il disait tout le temps qu'il attendait impatiemment de partir, maisderrire tout cela il cachait un sentiment plus profond pour la terre.

    46Terrain: Avez-vous refus certaines coupes ; les ralisateurss'opposent presque toujours ce que soit supprime telle ou tellechose ?

    47B. C. : Comme je vous l'ai dit, je suis expriment aprs avoir faittoutes ces horribles erreurs et j'ai travaill aussi sur nombre de filmsd'autres ralisateurs. Et le principal problme de tous ces films c'estleur longueur. Il faut tre un imbcile pour penser qu'on puisse tre,

    d'une manire ou d'une autre, immunis contre cela. C'est une desraisons pour lesquelles j'ai fait intervenir un monteur. Le FILM estencore trop long. Je devrais en enlever 6 minutes, si, absolument !Channel Four est aussi de cet avis et veut couper 20 minutes ; maisils ne le feront pas !

    Un perptuel jeu d'intrigues48

    Terrain: On vous a reproch d'avoir un regard de Blanc et d'avoir

    privilgi le point de vue de Joe...49

    B. C.: C'est ridicule. Je n'ai pas de parti pris. Si j'en avais un, masympathie pencherait plutt, au contraire, en faveur des Highlanders.Mais on ne peut pas se permettre de penser en termes de sympathie.Il y a un point de vue dans le FILM , c'est le ntre : les deux ctssont entrans dans un processus sur lequel personne n'a de contrle.Joe est dans une position de pouvoir parce qu'il peut articuler toutesces choses, parce qu'il en a une plus large comprhension ; il avoyag davantage, donc au niveau superficiel il se dbrouille mieux.Sa position, le fondement de son point de vue, sont exposs demultiples faons. J'ai beaucoup film des informateurs de Joe en trainde lui glisser l'oreille des secrets propos de telle ou telle personnecomplotant ceci ou cela, et c'tait comme a pour lui tous les jours.Malheureusement n'apparat pas dans le film l'image de cettepression constante laquelle les gens le soumettaient, cettedimension politique, trs tonnante. Ces gens ne travaillent pascomme nous de 9 17 heures pour gagner leur vie. Leur travail cesont leurs relations entre clans et individus, entre les chefs et lesautres tribus, c'est un jeu d'intrigues permanent. Joe ne pouvait pas

    chapper cela. Il essayait aussi simplement de faire marcher uneplantation mais il tait comme une le dans un ocan tribal et, d'une

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    faon extraordinaire, il devait se dbrouiller tout seul. C'tait saprincipale occupation, plein temps ; il ne participait que rarement la gestion quotidienne de la plantation. Il avait des gens pour cela.

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    Terrain : Mais donnez-vous les moyens de comprendre la logiquedes Papous ?

    51B. C. : Laissez-moi vous donner un autre exemple de ce soi-disantpoint de vue de Joe. Les gens m'ont dit : Ils semblent se battrepour rien, vous ne montrez pas la raison du conflit. Je vais vousdire pourquoi ils se sont battus. Ils ont pris les armes parce que leursennemis ont tendu une embuscade un bus rempli de femmes d'uneautre tribu et les ont violes toute la nuit. La police et les membres

    de leur tribu sont venus rclamer une compensation. Douze d'entreeux ont t taills en pices, et jets la rivire. Le chef de la policea couru pour sauver sa peau et son assistant est tomb mort d'unecrise cardiaque. Avant la premire attaque de reprsailles desennemis, le chef de la police est venu et a distribu des fusils dechasse et des obus toute la tribu ; il leur a dit qu'il allait y avoir uneattaque par-devant et qu'eux devaient attaquer par-derrire. Toutcela n'est pas trs joli. Cela montre la police adoptant uncomportement tribal et tmoigne d'une violence gratuite,symptomatique de la plupart des violences qui se dchanent l-bas.Nous n'avons pas montr cela. Si nous avions donn les raisons duconflit, cela aurait-il lgitim le fondement de leur position ? Ce queje peux dire c'est que la ligne, que nous avons prise ds le premiercombat, et dont je suis dcidment bien aise, a t : les Ganigas ontfait la guerre parce que leurs allis le leur ont demand, il s'agissaitde faire face leurs obligations tribales. Mais la raison pour laquellecette guerre a commenc est curante.

    Je suis un professionnel

    52Terrain: A un moment donn il y a de fausses funrailles10et dansle FILM les Ganigas sont pigs... par Joe. On vous a reproch, enmontrant le regard de Joe sur ce qui se passe, en mettant lespectateur en position d'extriorit, de tourner les Papous endrision.

    53B. C.: Il y avait quinze big men qui, chacun, ont fait un discours

    sur ce que pouvaient tre ces funrailles. Quatre d'entre euxfiguraient dj dans les tournages effectus auparavant ; ils taient

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    extraordinaires. Un matriel fabuleux. Personne ne savait rellementqui avait fait cette mise en scne : tait-ce Joe ? tait-ce l'ennemi ? Iln'y avait pas de place pour dmler cette confusion et tablir lavrit. Quelques-uns ont devin mais la plupart non. Ils ont cru quec'tait l'ennemi. A un moment, pendant que les Ganigas discutaient

    de toute cette affaire, Joe il est l, il attend dans la plantation quetout le monde soit prsent regarde la drobe. Je l'ai vu et j'aijustement pu le FILMER . Pour moi il tait absolument lgitime de lemontrer l o il tait et, au montage, de rduire cela l'essentiel.

    54Terrain: Mais le danger n'est-il pas de ridiculiser les Papous ?

    55B. C.: Il y a un principe selon lequel il n'est pas permis de traiter des

    Papous ou des Noirs comme de gens rels. On ne peut rien faire quiles rende drles ; il faut qu'ils soient d'innocentes victimes. Pour moic'est franchement du racisme, un racisme invers mais nanmoins duracisme. C'est un problme grandissant aux tats-Unis. Le point devue universitaire et les notions d'Histoire noire, sont mes yeux uncolossal ratage d'intention et une dangereuse tendance fasciste. Jen'accepte pas cette manire de prsenter les choses. Je connais cesgens trop bien ; j'ai vcu parmi eux trop longtemps. Je ne peux lesconsidrer comme des innocents. Je veux dire que ce sont des gensordinaires, qui suivent leur propre intrt personnel, essayant d'allerde l'avant. Des gens qui agissent non seulement selon leur proprenature mais en fonction des forces qui s'exercent sur eux. C'est ainsique je les vois.

    56Terrain: Quand Joe est en face de vous et qu'il pleure, tant donnvos relations amicales, est-ce que cela ne vous gne pas de leFILMER ?

    57B. C. : Pourquoi le serais-je ? Je suis un professionnel. Il voulait

    pleurer. J'tais son confident ; la relation est tablie depuis desannes. Il est clair qu'il y a entre nous une sorte de contrat. Quedevais-je faire dans cette situation ? Aurais-je d poser la camra etle consoler ? Est-ce que cela aurait d'une certaine faon adouci sonchagrin ? C'est tout simplement absurde ! Ceux qui critiquent celasont des gens qui, d'vidence, n'ont jamais fait de FILM .

    58Terrain: Dans les circonstances tragiques du tournage, n'avez-vouspas ressenti la ncessit de porter immdiatement secours auxblesss grave.

    B. C.: Quand vous tes dans une bataille, la plupart du temps il n'est

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    pas possible d'intervenir parce que vous tes le dernier souci desprotagonistes, ils sont trop accapars par ce qui les occupe. Maisintervenir a immdiatement pour effet de redoubler les difficultspour tourner le FILM . A partir de l, il n'est plus possible des'approcher moins d'un quart de mile de ces batailles, sinon on est

    vis et il y a de grandes chances d'tre touch. Tout cela n'est pas excusez une pointe d'autosatisfaction pour des mauviettes. Cegenre de travail est dur, trs difficile ; tout le temps vous tesconfront des cas de conscience. Prenons l'exemple de l'homme quidans le film est allong parmi les femmes qui pleurent ; il a reu uneflche et va trs mal. J'ai film cela et j'ai pens que ce serait l'imagedu film la plus forte parce qu'elle voquait pour moi la Piet : lafemme pleurant sur l'homme. Et je me suis dit : que va-t-il arriver ?Il est fichu comme les autres. Alors nous l'avons mis dans la voitureet nous l'avons conduit l'hpital et pay les cent guines11.

    Immdiatement nous sommes devenus des cibles. Je le savais ! Quefaire dans de telles circonstances ?

    60Chaque situation est diffrente. Une quipe de la BBC en Algrievoulait FILMER une excution et ils ont demand qu'elle soitretarde parce que leur camra s'tait bloque. C'est la pire choseque j'aie jamais entendue. C'est dgotant. Chaque situation estdiffrente et personne ne peut tablir des rgles rigides. Tout ce quel'on peut faire c'est se fier, sur le moment, son sens de l'humanit

    et de l'thique. Cela peut parfois coter une prise de vues. Aucuneprise de vues n'a jamais pu justifier, pour moi, d'agir contre mesprincipes, je ne l'ai jamais fait en vingt ans de cinma et ne le feraijamais. Ceux qui m'adressent ces reproches ne savent pas que j'y aipens un million de fois.

    61Terrain: Des ministres de Nouvelle-Guine ont vu Black Harvest.

    62B. C.: J'ai envoy une cassette Joe qui l'a montre son ami le

    ministre des Finances. Celui-ci a essay de trouver des fondsconsacrs au dveloppement pour rtablir la plantation. Les banquesont toutes dit non, laissez tomber !

    63J'ai aussi envoy une cassette au haut-commissaire des servicesd'migration en Australie parce que la demande d'immigration faitepar Joe avait chou ; il tait dsespr, ainsi que sa famille qui neveut pas revenir dans les HIGHLANDS , mais s'installer enAustralie. En fait, profondment, lui veut retourner y vivre. Si le filmpeut les aider, je suis ravi qu'il puisse s'en servir, de la manire quilui plaira.

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    64Terrain: Vous avez dit que vous ne pouviez plus retourner dans lesHIGHLANDS ...

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    B. C.: Je ne sais pas si nous y retournerons. Pour le moment je nepeux pas. Il y a une tribu appele les Kougas, ennemis traditionnelsdes Yougas auxquels sont associs les Ganigas, qui me considrentcomme un Ganiga qui aide sauver des vies. Il y a un contrat surmoi (pour me tuer) et je l'ai pris trs au srieux.