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LA REVUE DE LA MTRL REVUE TRIMESTRIELLE D’INFORMATION DE LA MTRL – N° 81 – MARS 2014 – 1 ¤ Mutuelle et Santé “Le nombre d’ordonnances comptant 10 médicaments ou plus délivrées chaque année en France s’élève à près de 14millions.” Jean de Kervasdoué [à partir des données collectées par Celtipharm]

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Page 1: Mutuelle et Santé - Monespassur · Directeur de la publication : Romain Migliorini. Administrateur : Thierry Thévenet. Éditeur délégué : Les Éditions du Chaland. ISSN : 1253-921X

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2014

– 1

¤

Mutuelle et Santé

“Le nombre d’ordonnances comptant10 médicaments ou plus délivrées chaque année

en France s’élève à près de 14 millions.”Jean de Kervasdoué

[à partir des données collectées par Celtipharm]

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La Revue de la MTRLMutuelle et Santé

n° 81

La Revue de la MTRL - Mutuelle et Santé est la publication officielle de la MTRL, une Mutuelle pour tous,37, avenue Jean-Jaurès 69007 LyonTél. : 04 72 60 13 00. Fax : 04 72 60 13 01N° Azur : 0 810 811 494

Internet : mtrl.fr et reflexe-prevention-sante.mtrl.frSecond site web : mtrl-id.come-mail : [email protected] et [email protected]° de CPPAP : 0417 M 05960.21e année – trimestriel – mars 2014 – n° 81Le numéro : 1 ¤, dans tous les bureaux et agences de la MTRL. Abonnement annuel : 4 ¤.Directeur de la publication : Romain Migliorini.Administrateur : Thierry Thévenet.Éditeur délégué : Les Éditions du Chaland.ISSN : 1253-921XImpression : IMAYE Graphic, 53000 Laval.

VIE DE LA MTRL• Brèves

• Prévention avec le Tout-Lyon

• Notre site mtrl-id.com3

TRANSPARENCE SANTÉIl faut un accès directaux données de santé

7

ÉCONOMIE DE LA SANTÉLiberté pour

les données de santé10

POINT DE VUELes gaspillages liés aux soins

13

JEU DE GOCandide – ou presque –

au royaume d’Homéopathie16

CONNAÎTRELe microbiote

qui ne voulait pas mourir20

ÉDITORIAL

L Y A UN AN ET DEMI, à cette même place, nous exprimions le plusgrand scepticisme sur la réalisation d’une promesse présidentielle, faiteau congrès de la Mutualité française, de revenir sur la taxe spéciale sur

les conventions d’assurances de 3,5 %, appliquée à deux reprises en 2012aux mutuelles. Cette promesse avait même semblé suffisante à la FNMFpour qu’elle s’éclipse de bonne grâce de la négociation avec l’Assurancemaladie et les syndicats de médecins sur les dépassements d’honoraires, leurpermettant d’aboutir à l’accord peu glorieux que l’on sait.

Malheureusement, la redéfinition des contrats responsables n’a pas eu lieu àla date envisagée (octobre 2013), et elle ne paraît pas devoir s’inscrire dansun avenir proche.

Au contraire, la charge fiscale s’alourdit encore : la loi de Finances de laSécurité sociale 2014 vient d’imposer une nouvelle “contribution”dénommée Forfait médecin traitant – avec effet rétroactif sur 2013 ! – autitre du programme national de financement du médecin traitant. Elles’élève à 2,5 ¤ par an par personne couverte dès lors qu’il y a eu au moinsune consultation de généraliste dans l’année. Pour commencer… Rappelonsque la taxe CMU était de 1 % quand elle a été instituée il y a quatorze ans,elle atteint 6,27 % aujourd’hui !

On pourrait continuer la litanie avec l’impôt sur les sociétés, qui poursuitbenoîtement sa progressivité depuis sa mise en place dans notre métier, maisun événement récent, sur un sujet différent, mérite qu’on s’y attarde un peu.

La Commission d’accès aux documents administratifs vient d’obliger laCNAM à communiquer les chiffres concernant les prescriptions de Mediatorsur la période 2008-2010. Et l’on découvre que celui-ci a été prescrit à prèsde 80 % en dehors de son autorisation de mise sur le marché : au lieu derespecter son indication pour lutter contre le diabète, il était prescrit commecoupe-faim dans le cadre de régimes amaigrissants. Et ce jusqu’à 15 fois plusdans les départements du pourtour méditerranéen que dans ceux du nord etde l’est de la France ! Sans doute la proximité des plages ? ou celle entre lesmédecins du cru et les visiteurs médicaux de chez Servier ?

Toujours est-il que la CNAM connaissait parfaitement cette situation, dontles risques sanitaires et le coût financier avaient été dénoncés depuislongtemps, mais c’est la détermination du collectif Initiative TransparenceSanté qui a permis de faire la démonstration des dangers qui pourraient êtreévités si les données de santé étaient plus facilement accessibles.

Pour l’heure, le choix des pouvoirs publics est à la taxation, alors que lesFrançais sont de plus en plus lucides sur les raisons de la hausse constante deleur budget santé. Ils se rendent bien compte qu’il est vain de chercher àremplir une baignoire qui fuit.

Le président, Romain Migliorini

Il faut refaire la plomberie…

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Vie de la MTRL

LA MTRL, PARTENAIRE DES « COUPS DE CŒUR DE L’ÉCONOMIE EN BOURGOGNE »…

L e 4 mars, dans les locaux de l’agence MTRL du Creusot, se sont déroulés les premiers « Coups de cœurde l’économie en Bourgogne » à l’initiative du magazine Top Bourgogne - Franche-Comté, qui se consa-

cre à la vie économique et sociale de la région et met à l’honneur les acteurs engagés dans la vie locale.Mutuelle bourguignonne grâce à ses cinq agences situées en Saône-et-Loire, la MTRL a souhaité s’asso-cier à ces « coups de cœur » qui récompensent des entreprises de tailles et de métiers différents, toutesaxées sur le savoir-faire, l’innovation et le développement. Plusieurs entreprises faisant confiance à laMTRL ont d’ailleurs été récompensées à cette occasion.

Autour de M. Romain Migliorini, président de la MTRL, et de M. Florent Dessus, directeurde Top Bourgogne - Franche-Comté, la cérémonie a rassemblé plusieurs dizaines de participants.En présence de Mme Evelyne Cuilleraud, vice-présidente du conseil général de Saône-et-Loire,et de M. Bernard Echalier, président de la Chambre de commerce et d’industrie.

… ET « EN POITOU-CHARENTES »

De même, le 24 janvier, la MTRL avait participé aux « Coups de cœur de l’écono-mie en Poitou-Charentes », sous l’égide de la revue Top Poitou-Charentes dirigée

également par M. Florent Dessus. Quinze entreprises de la Vienne étaient à l’honneuret ont eu l’opportunité de présenter leur activité, en présence de M. Jean-PierreRaffarin, sénateur de la Vienne et ancien Premier ministre.

LES RENCONTRES PRÉVENTION DE LA MTRL

L a MTRL a lancé en 2014 une nouvelle initiative au service de ses adhérents. Un programme de 22 réunionsde santé a été mis en place pour le premier semestre. Les rencontres se déroulent au siège de la Mutuelle,37 avenue Jean-Jaurès à Lyon, les jeudis à 18 heures.

RUGBY MUSIC LIVE :AU PROFIT DE L’ASSOCIATION DE BIENFAISANCE POUR ENFANTS MALADES

L e 5 avril 2014, le Palais des Sports de Lyon accueille le Rugby Music Live, événementsportif, musical et médiatique au profit de l’association lyonnaise MBM (Manifestationsde bienfaisance pour les enfants malades), parrainée par Yann Cucherat, champion de

gymnastique. Avec des partenaires tels que la Ville de Lyon et de nombreuses entreprises.Durant cette journée, le Palais des Sports se transformera en terrain de rugby indoor avec

des matches d’équipes composées de personnalités du sport et du spectacle. Au programmeégalement un grand concert du NRJ Music Tour réunissant de nombreux artistes.

Un événement au bénéfice de l’association MBM, qui travaille notamment pour le CentreLéon-Bérard et des structures associatives accueillant des enfants handicapés.

3La Revue de la MTRL � mars 2014 � numéro 81

M. Echalier

Mme Cuilleraud

Remise de son prix à la responsable de l’Atelier de Marie, créatrice de vêtements à Poitiers.

27 mars. Dr Patrick Léger (prise en charge des insuffisants respiratoires) :“Pourquoi je n’arrive pas à m’arrêter de fumer ?”3 avril. Carole His, naturopathe : “Détoxication de printemps par l’alimentation et les plantes”.10 avril. Dr Philippe Fiévet, médecinnutritionniste : “Nutrition, acide ou basique :quelles conséquences ?”17 avril. Dr Patrick Léger : “Je ronfle, c’est grave ?”24 avril. Dr Philippe Fiévet : “Application de la nutrition en médecine : analyse de cas”.15 mai. Carole His : “Harmoniser son humeurgrâce aux fleurs de Bach”.22 mai. Loïc Fournet, ostéopathe : “L’ostéopathie, du traitement à la prévention”.5 juin. Dr Philippe Fiévet : “Cancer de la prostate et du sein”.

12 juin. Carole His : “Préparer sa trousse à pharmacie naturelle”.19 juin. Sylvie Tholomier, pharmacienne : “Les Oméga-3 dans l’alimentation : influence sur la santé”.26 juin. Loïc Fournet : “L’ostéopathie, une pratique qui s’adapte à tous les âges”.

Pour toute information,contacter Frédérique Ersonmez-Barbier au 01 44 71 52 41 ou par mail :[email protected]

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Vie de la MTRL

Notre site mtrl-id.com actuellement en lignesera totalement opérationnel à la fin du mois de mars

C omme nous l’avions annoncé dans le dernier numéro de la revue, la Mutuelle a souhaité mettre en ligne un second siteinternet essentiellement dédié à une information en continu. Il ne se substitue naturellement pas à mtrl.fr où chaqueadhérent peut accéder à son compte personnel et consulter ses données confidentielles. Regarder les vidéos produites

par la MTRL – et bien d’autres encore –, lire les articles d’information médicale, prendre connaissance d’ouvrages dont nousencourageons la lecture, aller sur des sites dont nous apprécions l’intérêt en fournissant les liens pour y accéder… c’est ce quece site permettra de faire. Vous jugerez sur pièces.

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Transparence santé

Tribune Santé – Vous êtes partisan du partage desdonnées de santé publiques qui, aujourd’hui, sontcentralisées par la Caisse nationale d’assurancemaladie (Cnam). Pour quelles raisons ?Jean de Kervasdoué – Aujourd’hui, un médecin dis-pose d’un arsenal thérapeutique considérable. Pour don-ner une idée : dans une pharmacie, il y a 15 000 référen-ces de produits divers, dont quelque8 000 médicaments, constitués à partird’environ 4 000 principes actifs. Or on saitqu’un médecin généraliste connaît, enmoyenne, entre 200 et 300 médicaments,et un spécialiste environ une trentaine.C’est la raison pour laquelle nous pensonsqu’il est essentiel d’analyser l’ensemble deces prescriptions pour s’assurer que le« Dr Dupont » a bien prescrit à « MadameDurand » le traitement qu’elle était en droitd’attendre, compte tenu de son état desanté. Curieusement, les ministres de laSanté ne s’intéressent qu’à l’efficacité desmédicaments mis sur le marché, ce qui estla moindre des choses, mais ne regardentpas la question de la prescription, pourtantprimordiale sur le plan médical.Autrement dit ?J.d.K. – Il existe des variations considéra-bles de pratiques cliniques et, donc, de prescriptionspour des patients présentant les mêmes symptômes.Ainsi des dépenses en cardiologie, qui varient de 1 à 9selon le département. Pourquoi prescrit-on neuf foisplus à Paris qu’en Ardèche ? Il y a à la fois de la sous-

prescription, de la sur-prescription et des prescriptionsinadaptées. C’est cela, pour moi, la vraie inégalité : tousles patients ne reçoivent pas des soins de qualité.

Cette volonté de transparence ne viserait-elle pasfinalement à contrôler l’activité des médecins ?J.d.K. – Il ne s’agit pas de mettre un policier derrière

chaque praticien, mais de repérer, grâce àdes programmes informatiques, des pres-criptions systématiques, des actes médicauxinhabituels, des disparités dans les prati-ques… L’objectif est double : offrir à cha-cun, où qu’il se trouve, les meilleurs soins,et s’assurer que les prescriptions ne nuirontpas à la santé du patient.

Vous pensez à l’affaire du Mediator ?J.d.K. – Cette affaire cumule tous les scan-dales : ce médicament bénéficiait de faussesallégations et il était quand même prescrit.

Selon vous, il aurait suffi de regarder lesdonnées de la Caisse nationale d’assurancemaladie pour éviter ce scandale et, partant,les décès ?J.d.K. – Bien entendu, mais malgré sa gra-vité cette affaire n’est qu’un cas parmi des

millions d’autres. J’ai demandé à Celtipharm (sociétéspécialisée dans la collecte des informations de santéauprès des pharmacies, ndlr)1 le nombre d’ordonnancescomptant dix médicaments ou plus délivrées chaqueannée en France. Il y en a près de 14 millions ! Or

Une pétition circule réclamant l’ouverture des données

de santé publique détenues par l’Assurance maladie.

Parmi les milliers de signataires de ce manifeste, l’économiste

Jean de Kervasdoué, professeur au Conservatoire national

des arts et métiers et ancien directeur général des hôpitaux,

s’explique sur sa prise de position dans le numéro

d’octobre 2013 de Tribune Santé

« Il faut un accès directaux données de santé »

“ L’objectifest double :offrir à chacun,où qu’il setrouve, lesmeilleurs soins,et s’assurer queles prescriptionsne nuiront pas à la santé dupatient.”

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dix médicaments, c’est plus de 3 millions d’interac-tions possibles, avec tous les risques que cela induit.

On parle de 18 000 décès imputables chaque annéeaux effets secondaires des médicaments…J.d.K. – C’est tout à fait vraisemblable. Il y a dix ans,j’avais étudié l’admission en urgence dans onze hôpitauxde l’est de la France. Sur les 990 cas enregistrés, entre unquart et un tiers des admissions étaient dues à des mala-

dies iatrogènes médicamen-teuses (provoquées par un traite-ment médicamenteux, ndlr).

Cette surconsommation a également un coût. L’un desenjeux de l’accès aux donnéesn’est-il pas aussi de réduire lesdépenses ?J.d.K. – Oui, il y a aussi unedimension économique. Unseul exemple : si, en France, onprescrivait les statines (ouhypocho le s t é ro l émiant s )comme on le fait en Allema-gne, c’est-à-dire avec discerne-

ment, on réaliserait 1 milliard d’euros d’économies.Dans l’Hexagone, plus de 80 % des visites chez unmédecin font l’objet d’une ordonnance, contre 40 %aux Pays-Bas.

Comment expliquer ces variations ?J.d.K. – Une première réponse est culturelle. Les Fran-çais pensent qu’un bon médecin est un médecin quiprescrit, et qu’en outre il existe forcément un remèdepour chaque maladie. Ce qui n’est pastoujours le cas. Par ailleurs, ce gâchis col-lectif trouve une de ses origines dans lefait que les Français ne considèrent pasl’argent de la Sécurité sociale commeétant le leur. Or ils travaillent toute leurvie pour payer leurs seules cotisations àl’Assurance maladie.

Cela dit, les données dont vous réclamezl’accès sont la propriété de la Cnam, quiles conserve farouchement…J.d.K. – L’Assurance maladie, c’est nous.La Cnam n’est que l’administrateur desdonnées qu’elle collecte. Aujourd’hui, elle permet auxchercheurs, sous certaines conditions, l’accès à unéchantillon de 50 000 assurés. On peut également fairedes requêtes spécifiques. Mais si, en droit, l’accès estpossible, dans les faits, c’est quasiment impossible. Nousdisons donc qu’il faut laisser un accès direct, en veillant,bien entendu, à ce que l’anonymat soit préservé. Mêmela Commission nationale de l’informatique et des

libertés (Cnil), très vigilante sur ces questions, a donnéen 2011 l’autorisation à Celtipharm d’y accéder, consi-dérant que les conditions de sécurité étaient remplies.Pour autant, l’Assurance maladie continue de s’yopposer, soutenue pour l’instant par l’État.

Un rapport de l’Inspection générale des affairessociales (Igas) est attendu sur le sujet. Permettra-t-ild’infléchir cette position ?2

J.d.K. – On peut s’attendre à ce que l’accès accordé auxchercheurs soit plus facile, mais il est peu probable qu’ilsoit élargi à d’autres utilisateurs, comme les assureurs oules industriels, de peur qu’ils en fassent un usage com-mercial. C’est d’autant plus ridicule que, si on s’en tientà l’industrie pharmaceutique, elle a monté son propresystème de collecte de données, via notamment sonréseau de visiteurs médicaux. Toutes ces précautions,c’est de la poudre aux yeux.

Diriez-vous qu’une agence comme l’Agence nationalede sécurité du médicament (ANSM), qui demande envain de pouvoir bénéficier des données en temps réel,est empêchée de travailler ?J.d.K. – Oui, bien sûr. Qu’elle n’y ait pas droit est scan-daleux. On a hérité d’un système centralisé, on possèdeune multitude de données, un atout que beaucoup depays n’ont pas, et pourtant on ne les exploite pas. Onpréfère se tirer une balle dans le pied.

Depuis les années 1980, l’activité hospitalière faitl’objet d’un Programme de médicalisation des systèmesd’information (PMSI). En tant que « père » du PMSI,souhaiteriez-vous que ce mode d’évaluation soitétendu ?

J.d.K. – Je souhaiterais qu’on généraliseà la médecine de ville, via l’open data(ouverture des données, ndlr), ce qu’on aété capable de faire avec la médecinehospitalière. Aujourd’hui, on a une basede données nationale dans laquelle sontrépertoriées toutes les personnes quisont hospitalisées, dans le public ou leprivé. Cela représente 17 millions deséjours. On peut savoirqui est opéré, de quoi,où, etc., ce qui nous per-met d’être plutôt bieninformés sur la réputa-

tion des hôpitaux et de leurs services.

Comment expliquer les réticences de la Cnam ?J.d.K. – C’est une vieille histoire qui remonte à 1926,année de l’invention des principes de la médecine libé-rale, suivie en 1927 par la création des syndicats médi-caux, dont la Confédération des syndicaux médicauxfrançais (CSMF). Celle-ci a réussi à mettre dans ses prin-

“ On possède une multitude dedonnées, un atoutque beaucoup depays n’ont pas, etpourtant on ne lesexploite pas.”

“ En France,plus de 80 % des visites chezun médecin fontl’objet d’uneordonnance,contre 40 % aux Pays-Bas.”

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cipes le non-contrôle des pratiques cliniques, renforcéencore quand Philippe Douste-Blazy était ministre de laSanté (2004-2005). En clair, il y a unaccord objectif entre la profession médi-cale et l’Assurance maladie pour que lesmédecins ne soient pas interrogés surleurs pratiques.

C’est encore une question de culture…J.d.K. – Plutôt une question de pou-voir. Les médecins ont été suffisammentpuissants pour faire en sorte de ne pasêtre contrôlés.

Trou de la sécu d’un côté, non-contrôle de l’autre… Que faut-il faire ?J.d.K. – Je crois qu’il faut sonner la finde la récréation. Pour moi, les chosessont assez simples. Il faut maintenir lasolidarité dans le domaine de la santé.Contrairement à ce que pensentcertains hommes politiques, les systèmes solidaires sontmoins onéreux et plus efficaces. Mais la solidarité, cen’est pas la pagaille. Il faut donc s’assurer que les dépen-ses de soins sont appropriées.

L’accès aux données de santé vous paraît donc être« la » solution ?J.d.K. – Rien n’est « la » solution. On connaît les parti-cularités de la France. On compte 2 850 hôpitaux etcliniques contre 2 000 en Allemagne, autrement pluspeuplée, et 640 au Royaume-Uni ; on prescrit beaucoupet on préfère les spécialistes aux généralistes. On saitégalement que faire évoluer le système vers des réformesstructurelles prend plutôt dix ans que cinq, quand celamarche ! Mais on peut affirmer que le contrôle desprescriptions et des pratiques cliniques peut se mettrerapidement en place. Pour ce faire, l’open data est unecondition nécessaire. Et là, on réussirait à réduire ledéficit de l’Assurance maladie sans diminuer la solida-rité, mais en la consolidant au contraire.

N’y a-t-il pas de craintes à nourrir concernant larupture de l’anonymat ?J.d.K. – Pour le dire simplement, je me moque del’identité des assurés sociaux. Ce qui m’intéresse, c’est desavoir si on opère plus de la prostate à Marseille qu’àLille, et pourquoi.

En clair, il y a plus de risques à ne rien faire qu’àlibérer les données de santé ?

J.d.K. – Absolument. Encore une fois, lasituation actuelle est dramatique. Nousfaisons payer nos dépenses d’assurancemaladie à nos petits-enfants. Il y a untabou politique sur les dépenses de santé,qui sont en réalité des dépenses médi-cales. Et, comme médecins et industrielsentretiennent l’idée que santé etmédecine sont synonymes, diminuer lesdépenses médicales reviendrait, seloneux, à détériorer le système de santé. Or c’est plutôt l’inverse.

Qu’attend le gouvernement ?J.d.K. – Sénèque disait qu’il n’y a pas devent favorable pour celui qui ne sait pasoù il va.

D’autres pays, comme le Royaume-Uni, ont ouvert la voie. Quelles leçons en tirer ?J.d.K. – Les États-Unis ont été les premiers à lancerl’open data, en 2009. Ce travail d’évaluation concernetous les assureurs, publics et privés. Les ordonnancessont en permanence analysées. Ce sont ensuite lesmédecins qui communiquent entre eux ou avec lespharmaciens pour attirer l’attention sur tel ou tel cas,signaler un éventuel problème. Du coup, il n’y a pasbesoin d’en passer par des sanctions. �

Propos recueillis par Élisabeth Bouvet

1. Celtipharm fournit des informations à la Haute Autorité de santé (HAS), à des chercheurs et à des laboratoires.2. Initialement prévu pour être rendu en juillet, le rapport de l’Igas a finalement été remis début octobre 2013.

En savoir plus : www.opendatasante.com

Le mouvement opendata en France

“ Il faut maintenirla solidarité dans ledomaine de la santé.Contrairement à ceque pensent certainshommes politiques,les systèmessolidaires sont moinsonéreux et plusefficaces.”

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Économie de la santé

La Revue de la MTRL � mars 2014 � numéro 81

A l’occasion de l’affaire duMediator, l’associationInitiative Transparence

Santé (ITS) a demandé à la Caissenationale d’assurance maladie, enjuillet 2013, de lui fournir lesdonnées statistiques détaillées sur dixans, de 1999 jusqu’en 2009, annéeoù le médicament de Servier a étéinterdit. Objectif, à partir de cesdonnées : évaluer, dans chaquedépartement, quel a été le coût pourla collectivité de la consommation deMediator, et dans quelle mesure cesprescriptions ont été prises en chargealors qu’elles n’auraient pas dû l’être.

Refus du directeur général de laCNAM, au prétexte que cette affaireest en cours devant le tribunal degrande instance de Paris. Mais laCommission d’accès aux documentsadministratifs (CADA) l’a contreditle 21 novembre 2013, affirmant quecette restriction au droit d’accès neportait atteinte à aucune phase dufutur jugement.

Au-delà de « l’affaire », un principe affirmé par la loi

Mais la question ainsi posée par ITSà propos du Mediator marque l’en-trée dans un problème beaucoup plusvaste, qui est celui de l’accès aux don-nées de la CNAM et de tous autresorganismes publics disposant de sta-tistiques sur la santé, aux fins d’étu-

des économiques destinées à amélio-rer la gestion de l’Assurance maladie,ainsi que des études médicales etpharmaceutiques visant à l’améliora-tion de la santé publique.

La loi du 17 juillet 1978 reconnaîtà tout citoyen le droit d’obtenir detoute administration communicationdes documents détenus dans le cadrede sa mission de service public. LaCNAM est bien un service public,financé par prélèvements obligatoires,et doit donc, par principe, communi-quer ces documents. Seules réserves,le respect de la vie privée des patientset des professionnels de santé. Ce sontles deux thèmes de cet article.

Quelles sont ces données,quel est leur volume ?

Ce problème a fait l’objet d’un rap-port récent commandé par la minis-tre Marisol Touraine à Pierre-LouisBras, inspecteur général des Affairessociales. Les sources des chiffres enquestion sont collectées et détenues,en premier lieu, par le Système natio-nal d’information interrégimes del’Assurance maladie (SNIIRAM),géré par la CNAMTS, qui tire sesdonnées de 1,2 milliard de feuilles desoins, En second lieu, ce sont lesinformations médico-administrativessur les séjours hospitaliers.

Ces données concernent les patients(numéro d’anonymat – expression

incluant le NIR, numéro d’identifica-tion au répertoire, ou numéro INSEE,chiffré deux fois de manière irréversi-ble –, sexe, mois et année de naissance,code postal du domicile, code CIM 10en cas d’affection de longue durée,ALD) ou les professionnels de santé :nom et prénoms, en clair ou rempla-cés par un code, selon l’habilitation dulecteur, spécialité, lieu d’exercice(géocodage), statut conventionnel(secteur 1 ou 2, par exemple)…

Les données d’identité des personnessont supprimées et remplacées par un« numéro d’anonymat » ou numéro dechaînage, qui est obtenu par un chif-frement irréversible du NIR.

La durée de conservation des don-nées du SNIIRAM a été fixée à 3 ans,après l’épisode du Mediator, quandl’intérêt de la base pour des étudespharmaco-épidémiologiques a étémieux compris. La CNAMTS etl’Agence technique de l’informationsur l’hospitalisation (ATIH) sont enoutre autorisées à conserver les don-nées antérieures, archivées sur 10 ans.

Les chercheurs sont devenus les prin-cipaux utilisateurs des données. Ils ontreprésenté, en 2012, 57 % des deman-des (12 649 sur 22 296), suivis durégime général de la Sécurité sociale.Cela illustre la richesse de la base.

Mais le délai d’extraction des don-nées est au total de 17 mois, dont 11pour les formalités administratives et

Liberté pourles données de santé

En prenant connaissance de l’interview accordée par Jean de Kervasdoué à Tribune Santé

sur la nécessité de pouvoir accéder aux données que recueille l’Assurance maladie,

nous avons pensé qu’il serait intéressant d’avoir, en complément, l’analyse de l’économiste

Jean Matouk, afin de décrypter les raisons qui motivent les responsables de la CNAM et

du ministère de la Santé pour s’opposer, malgré les recommandations du Premier ministre,

à cette divulgation. Les bonnes raisons, mais surtout les mauvaises…

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11La Revue de la MTRL � mars 2014 � numéro 81

6 pour l’extraction elle-même. Cedernier délai tient au volume du gise-ment, qui est de 20 milliards delignes de prestation. Si ce délai tech-nique de 6 mois n’est guère réducti-ble, le délai administratif sera forte-ment réduit si l’on élargit l’accès.

Les risques de réidentification

Les données constitutives sont desdonnées individuelles nominativescollectées pour assurer le rembourse-ment des soins ou la rémunérationdes établissements lors de chaqueacte. Quand les décomptes sonttransmis ensuite à la base centrale duSNIIRAM par les caisses, ces don-nées individuelles nominatives sontanonymisées. Les noms, les adressesn’y figurent plus, et le NIR est rem-placé par un identifiant propre, aumoyen d’un procédé irréversible.

L’anonymat des personnes n’est paspour autant garanti ; une réidentifica-tion indirecte est éventuellement pos-sible. Le caractère indirectementnominatif des données individuellesrésulte de leur précision, de leur chaî-nage et de leur exhaustivité, toutespropriétés qui font justement leurintérêt, notamment pour un usage enépidémiologie, dans le cadre de lavigilance sanitaire, ou en économie dela santé pour le suivi des parcours despatients. Mais chaînage et exhausti-vité sont aussi des caractéristiques quifacilitent les réidentifications.

Cependant, compte tenu des moyensà mettre en œuvre, seule une organisa-tion très centralisée pourrait organisercette réidentification. Le processus neresterait pas secret longtemps. Un lan-ceur d’alerte interne ne tarderait pas à ledénoncer. La crainte des sanctionspénales attachées à une telle entreprisesemble suffisante pour qu’aucune insti-tution ne prenne ce risque.

L’inspecteur général Pierre-LouisBras, malgré tout, considère que le ris-que de réidentification existe et quecela ne permet pas d’envisager un accèslibre à l’ensemble des données. C’est decela qu’il faut débattre avant d’aborderle problème très sensible des donnéessur les professionnels de santé.

Liberté d’accès pour tous ou contrôle “à la française” ?

S’il y a réidentification, il y a atteinte àla vie privée et transgression du secretmédical. La pathologie d’untel devientconnue, voire publique. Si, cependant,là était le seul risque – on vient de levoir, à probabilité très faible pour unindividu ou une petite structure –, samise en balance avec les avantages quel’on pourrait tirer d’études conduisantà une meilleure gouvernance et ges-tion de l’Assurance maladie, à ladécouverte de pratiques médicalesautorisées mais finalement dangereu-ses, le choix serait évident : on prend lerisque de transparence totale, et l’onpoursuit l’éventuel diffuseur.

Mais le problème est différent si,justement, une structure de taille suf-fisante, banque, compagnie d’assu-rance, peut se constituer un fichiernominatif réidentifié qui lui permetteensuite de sélectionner ceux à qui elleoctroie crédit ou qu’elle accepte d’as-surer. On peut imaginer l’usage quepourrait en faire un grand laboratoirepharmaceutique pour proposer à desclients bien choisis, et, si possible,psychologiquement affaiblis par unegrave maladie, « leur » molécule. Onpeut imaginer qu’il se serve de tellesdonnées pour biaiser les résultatsd’études cliniques : discriminer parexemple, par âge ou niveau de gravitédans la pathologie, les patients sujetsd’une expérimentation clinique.

Face à ces risques d’usages illégiti-mes, deux positions sont possibles. Lapremière, plutôt anglo-saxonne,considère que la loi et les administra-

tions ne peuvent pas prévoir toutesles transgressions possibles d’un texte,sans trop réduire l’espace de la liberté.Elle ouvrirait donc le plus largementpossible l’accès, quitte à poursuivrepar voie judiciaire les transgressionsillégitimes, avec fortes pénalitésfinancières. La voie française acceptela limitation des libertés, en tentantd’éviter par avance les transgressions.Dans le cas présent, j’aurais tendanceà choisir une totale ouverture auxdonnées non nominatives, ce quin’est même pas encore le cas, et à faireprécéder l’ouverture aux donnéesréidentifiables d’une enquête trèslégère et rapide (pas de 11 mois !)sur l’usager et l’usage.

La protection des donnéesrelatives aux professionnels

Ces données ne constituent pas vrai-ment la « vie privée » des profession-nels, mais il est possible, sous certai-nes conditions, de reconstituer leurshonoraires totaux, donc, en gros,leurs revenus. Toutefois, ces revenusétant pour partie, et souvent en tota-lité, constitués de sommes perçuesselon un barème public et financéspar des prélèvements obligatoires, cesrevenus, comme ceux des fonction-naires, ne doivent-ils pas être transpa-rents aux contribuables ?

Cependant, l’éventuelle transpa-rence de ces données pourrait répon-dre aussi à un désir des patientsd’accéder à celles-ci afin de pouvoirfaire, de manière éclairée, le choix desprofessionnels pour un recours auxsoins. Un patient qui doit subir une

Le ministère de la Santé, en contradiction avec les engagements du Premierministre, soutient la CNAM dans son refus d’ouvrir l’accès aux données de santéqu'elle collecte, qui concernent et appartiennent à tous les assurés sociaux.

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Économie de la santé

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prothèse du genou n’a-t-il pas le droitde pouvoir choisir en toute connais-sance de cause, et pas seulement surrumeurs, le professionnel qui semblele plus expérimenté pour cet acte, enmême temps que connaître les dépas-sements d’honoraires qu’il demande.Les « performances » du secteurhospitalier ne sont-elles pas déjàdisponibles et ne font-elles pas déjàl’objet de « classements » annuelsdans certains magazines ? Cettepublicité des performances renforce,en un sens, l’égalité devant les soins.

L’exemple britanniqueEn Grande-Bretagne, depuis 2000,les patients ont obtenu une certainepossibilité de choisir, et, pour favori-ser cette liberté nouvelle, le NationalHealth Service diffuse des informa-tions précises sur les producteurs desoins par son site NHS Choice. Ildonne, pour chaque cabinet, le nomdes généralistes, les heures d’ouver-ture, et autres informations prati-ques… mais aussi des performancesmédicales comparées des cabinetsobtenues par sondage.

On peut y consulter l’appréciationportée par les patients sur les tempsd’attente mais aussi sur les consulta-tions tant des médecins que des infir-mières. Le site permet aux internautesde porter une appréciation (classementde une à cinq étoiles) et de publier descommentaires sur le cabinet.

L’information ainsi dispensée n’estpas individuelle, le cabinet (et non lemédecin) est considéré commel’unité qui assure la responsabilité dela prise en charge des patients. Maiscette appréciation d’une équipemédicale, et non d’un médecin isolé,n’est pas plus mauvaise, et si, enFrance, les médecins se regroupaientplus en cabinets mixtes, et surtoutsi l’on accédait enfin au paiementpar capitation, une telle évaluationglobale prendrait tout son sens.

La réalité françaiseEn France, les organisations médica-les et les médecins opposent plusieursarguments à une telle transparence.Elle serait contraire au principe

déontologique, puisque la médecinene peut être pratiquée comme uncommerce, ce qui exclut toute formede publicité, et cette transparence enserait une forme.

D’autres, en contradiction appa-rente, estiment que ces données parti-cipent du secret industriel etcommercial, argument aussi invoquépour restreindre l’accès aux informa-tions relatives aux médecins. LaCADA a jugé, en ce sens, que lesdonnées relatives aux professionnelsétant indirectement nominatives,« l’accès d’un tiers à cette base seraitsusceptible de porter atteinte au secretcommercial qui protège l’activité libé-rale des professionnels concernés ».

Ces deux arguments, y compris ladécision de la CADA, paraissentinfondés. L’activité médicale n’esteffectivement pas une activité bénéfi-ciant du secret commercial ou indus-triel, et le sophisme sur la publicité netient pas non plus.

Le législateur français a entrouvertune porte, en ce sens que « les caissespeuvent fournir des informations […]sur la participation des professionnelsde santé à la formation continue, à lacoordination des soins et à la démar-che d’évaluation de la qualité profes-sionnelle » et « fournissent touséléments d’information sur les tarifsd’honoraires habituellement deman-dés ». C’est la base juridique du siteAMELI, par laquelle la CNAMTSdiffuse des données nominatives surles professionnels de santé, notam-ment la situation conventionnelle(secteur 1/secteur 2) et des donnéessur les tarifs moyens pratiqués.

L’ouverture complète desdonnées sur le corps médicalest légitime

La proposition du rapport Bras den’ouvrir les données financières, car ilfaut bien les appeler par leur nom,qu’à la seule partie de rémunérationque les médecins perçoivent en fonc-tion de leurs objectifs de santé publi-que est bien trop timide. Il paraîttout à fait légitime d’ouvrir complète-ment les données relatives aux tarifsdes médecins, incluant les dépasse-

ments qu’ils prennent, quand ils nesont pas dans le tarif conventionné,par prestation.

Faut-il pour autant accepter qued’autres informations relatives à lapratique soient dévoilées ? Pourcertains, ces données permettraientaux complémentaires santé de discri-miner entre les professionnels desanté. A supposer que ce risque soiteffectif, il est toujours possible, si onveut y faire obstacle, de prohiber parla loi de telles pratiques ; de plus, ledébat vient d’avoir lieu pour la« chaîne » optique. Une telle discri-mination des complémentaires serait-elle illégitime ? La question doitrester posée.

Autre « mésusage » possible cité parle rapport Bras : « Il n’est certainementpas souhaitable que se développe unclassement des médecins basé sur leurpropension à prescrire des arrêts detravail ; la même inquiétude peut êtreévoquée pour ce qui concerne lapropension à prescrire certains médi-caments recherchés pour d’autresmotifs que des raisons exclusivementsanitaires. » Si l’on peut être d’accordavec la première objection – encoreque le passage à la capitation réduiraitévidemment le nomadisme médical,donc la propension de certains méde-cins à prescrire trop d’arrêts de travail –,la seconde est irrecevable. Ces pres-criptions sont illégales et, pour certai-nes – voir la récente enquête dumagasine de télévision Capital –, ellesrelèvent de la justice.

Mais si, comme il est souhaitable,on ouvre très largement l’accès auxdonnées des professionnels, si possi-ble en favorisant les regroupementsen cabinets de groupe pluridiscipli-naires ou « centres de santé », et enpassant à la capitation, il faudra aussiprévoir des procédures rapides etefficaces de contestation ou correc-tion de ces données par les médecinseux-mêmes. �

Jean Matoukagrégé de sciences économiques,

professeur des universités

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Point de vue

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Les gaspillages liés aux soinsDans plusieurs pays européens, les dépenses de santé diminuent. En France,

leur croissance, en partie maîtrisée par des mesures réglementaires qui accroissent

le reste à charge des assurés, persiste. Comparativement aux pays de l’OCDE, elles sont

supérieures de deux points du PIB, soit 40 milliards. Si nos dépenses de santé étaient

égales à celles des Japonais, dont les indicateurs de santé sont meilleurs que les nôtres,

nous aurions économisé, en 2010, 61 milliards de dollars

D epuis des décennies, on saitque, dans la plupart desnations occidentales, 30 % des

dépenses de soins constituent ungâchis financier et humain, car ellessont inutiles et dangereuses.

Quatre sources de gaspillagesont reconnues

� La gestion administrative, qui seraitréduite de 7 milliards si elle était auniveau de la moyenne européenne.� Les fraudes, estimées à 1,35 mil-liard par l’Assurance maladie et à10 milliards par l’European Health-care Fraud and Corruption Network.� Les prix de certains médicaments etdispositifs médicaux. L’inadéquationdes activités de soins.� Les inadéquations peuvent êtreidentifiées par les variations géogra-phiques des activités de soins et par lesuivi des recommandations de bonnepratique.

Longtemps, les études des varia-tions du volume des soins, inexplica-bles par des facteurs démographi-ques, économiques, sanitaires,sociaux ou d’offre de soins, furentlimitées au taux de séjour hospitalier,qui en France comme ailleurs varied’un département à l’autre d’unminimum de 1 à 3. Aujourd’hui, elles

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concernent toutes les activités desoins et sont d’une ampleur au moinségale. Le suivi des recommandationsde bonne pratique, qui logiquementdevraient orienter les prescriptionsdes professionnels, a démontré que,dans la plupart des pays occidentaux,30 à 40 % des prescriptions médica-les n’étaient pas celles conseillées parla communauté scientifique.

Au total, le montant des gaspillagesconstatés dans les soins atteindrait7 milliards pour la gestion, au mini-mum 3 ou 4 milliards pour les frau-des, 1,36 milliard pour les médi-caments, 500 millions pour les trans-ports des malades, 55 milliards pourles inadéquations des prestations, soitun total supérieur à 70 milliards d’euros, le tiers des dépenses de santé.Une somme proche du total de l’im-pôt sur le revenu : 74 milliards.L’emballement de l’offre et de lademande est à l’origine d’une crois-sance du volume de soins qui, depuis7 ans, est de 3,13 % annuellement.� Une raison démographique : l’aug-mentation de la population et sonvieillissement expliquent 1 % de cettecroissance.� Les deux tiers restants sont liés àl’accroissement inadéquat de la pro-

duction et de la productivité des pro-fessionnels libéraux et hospitaliers,sans utilité médicale.

Cette inadéquation relève de l’em-ballement de l’offre et de la demandede soins. L’offre de soins est inadé-quate en trois circonstances :lorsqu’elle ne respecte pas les recom-mandations scientifiques, les préfé-rences des malades, les risques demaladie.� Les recommandations scientifiquesne sont pas toujours suivies par lesprofessionnels pour diverses raisons :ils les ignorent, elles heurtent leurshabitudes, leur crédibilité est insuffi-sante, elles sont inapplicables auxmalades de plus en plus nombreuxsouffrant de plusieurs pathologies.� Lorsque les avantages et les risquesdes propositions thérapeutiques etdiagnostiques ont été clairementexposés, le patient peut exprimer sespréférences. Lorsque le choix n’estpas offert au malade, ce sont les pré-férences du médecin qui sont misesen œuvre, expliquant, notamment encas de paiement à l’acte, un taux derecours plus élevé à des actes médi-caux ou chirurgicaux.� En médecine générale, devant dessymptômes banals qui fréquemmenttémoignent de troubles fonctionnelsliés à des difficultés existentielles etnon à une maladie, le médecin estdans une situation d’incertitude diag-nostique. Pour la réduire, le praticiendispose d’une ressource inépuisable :l’écoute du patient. Lorsqu’il n’est pasdisponible pour un échange prolongéet un examen clinique attentif, le pra-ticien ne dispose pas des renseigne-ments cliniques qui lui permettraientde moduler les indications des exa-mens complémentaires, des traite-ments et des propositions diagnosti-ques faites au patient.

Ne pas ajuster le comportementmédical au risque réel évalué sur descritères cliniques est un dogme uni-versitaire. Tout symptôme appelle lamise en œuvre de techniques d’explo-ration pour aboutir à un diagnosticprécis. Bien plus, pour les universitai-

res, les données cliniques ne permet-tent pas un diagnostic, qui doit tou-jours être confirmé par une donnéebiologique ou radiologique ou endos-copique ou par une biopsie.� Dans le modèle biomédical, unmédecin n’est en droit de rassurer unpatient en lui affirmant qu’il ne souf-fre pas d’une maladie mais de trou-bles fonctionnels et de malaises liés àdes facteurs psychologiques, profes-sionnels, économiques, familiaux ouconjugaux qu’après avoir éliminéavec certitude une pathologie organi-que liée à une maladie répertoriée. Ce modèle biomédical, en constantdéveloppement depuis un demi-siècle, est le seul connu des universi-taires et de leurs élèves qui, durantleur internat, n’ont jamais soignédes patients sans maladie maisexclusivement des sujets atteintsd’une pathologie bien caractériséedont l’évolution illustre et justifie cemodèle biomédical.� Evaluer les risques d’atteinte à lasanté d’un patient, ajuster les déci-sions à ses besoins, à la gravité poten-tielle de ses symptômes et à sespréférences sont autant de tâchesauxquelles les études médicales nepréparent pas les médecins.

L’expansion des demandesdes patients de soins sansutilité est liée à trois raisons

� La première est l’encouragementdes pouvoirs publics et des médias àdes actions de prévention médicalequi ne sont pas sans risque pour lapopulation et dont l’effet principalest le développement du marchépour le plus grand bien des indus-triels. Par exemple : la recherched’une maladie d’Alzheimer chez unepersonne âgée qui décrit des troublesbanals de la mémoire, sans retentisse-ment sur sa vie quotidienne ; ledépistage de plusieurs cancers ;certaines vaccinations ; la répétitiondes bilans biologiques.� La seconde est sociale : la crois-sance des difficultés sociales, écono-miques et professionnelles, la dégra-dation de l’environnement et desconditions de logement amplifient la

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Point de vue

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fréquence des états de mal-être quiexposent ces sujets aux risques desprescriptions d’imagerie, de biologieet de médicaments.� La troisième est idéologique : lasanté pour nos contemporainsdépend exclusivement de la méde-cine. Les prescriptions d’actes techni-ques et de médicaments en réponseaux demandes de ces malades sontinadaptées aux désirs réels de cespatients, qui ont besoin d’écoute etde conseils.

L’inadéquation des soinsrésulte également de leur distribution

Les soins ne sont pas organisés par unensemble d’acteurs coordonnantleurs activités pour répondre auxbesoins des malades, mais par desindividus ou des structures travaillantisolément. Le modèle séculaire dessoins ambulatoires en France est celuidu « petit commerçant libéral ». Lemodèle des soins hospitaliers est ledéveloppement de la concurrenceavec les soins ambulatoires et lesstructures hospitalières voisines,publiques ou privées. Dans unevision systémique, ayant pour objec-tif l’amélioration permanente de laqualité des soins, le modèle des soinsambulatoires serait agencé pour coor-donner et suivre les activités de tousles acteurs participant aux soins desmalades. Le modèle des soins hospi-taliers serait fondé sur la complémen-tarité. Ces deux modèles intégre-raient les activités de l’ensemble desacteurs et des structures de soins.Aujourd’hui, le morcellement et l’in-dividualisme des professionnels, lecloisonnement des activités de soinsne permettent ni le suivi des maladesni la coordination des activités de lamultitude des acteurs qui, en raisonde leurs compétences spécifiques etde l’étendue des besoins des patients,interviennent dans la production desoins. C’est par métaphore, par trans-fert de sens, que le terme de systèmeest utilisé pour décrire la productionde soins en France.

L’inadéquation des soins iraen s’aggravant aussi longtempsque les solutions connuesdepuis des décennies neseront pas mises en œuvre

Construire un système de soinsprimaires, assurant sur un territoiredonné une permanence des soinspour répondre à plus de 90 % dessoins courants et pour gérer les soinsd’urgence à l’exception des urgencesvitales, devrait être la première déci-sion à prendre au plan gouverne-mental. Ce projet entraîneraitobligatoirement une couverture duterritoire par des centres de soins oùles généralistes délégueraient unegrande partie des activités de soinsconcernant la surveillance de l’évo-lution des maladies chroniques à despersonnels infirmiers et les tâches degestion à du personnel administra-tif. Des représentants de la popula-tion devraient, si la démocratiesanitaire n’est pas un mythe, êtreassociés aux modalités de fonc-tionnement de ces centres multi-disciplinaires. Les modalités derémunération des médecinsdevraient limiter le paiement à l’acteau profit de la capitation, du sala-riat, du paiement au forfait pourcertaines pathologies chroniques.Un dossier médical informatiségarantirait à chaque malade un suiviet une coordination des soins.

D’autres décisions seraient nécessaires

� Exclure du panier des soins rem-boursables toutes les thérapeutiquesqui n’ont pas fait la preuve scientifi-que de leur efficacité.� Réduire le nombre des services desoins de suite et de réadaptation auprofit des soins et des hospitalisationsà domicile. Fermer des structureshospitalières lorsqu’en raison d’uneactivité réduite la qualité des soins yest insuffisante.� Développer des structures dédiées àla chirurgie ambulatoire afin d’éviter50 % des hospitalisations complètesen chirurgie.

Au-delà des mesures réglementairesconcernant la construction d’un système de soins, changer le modèlede formation des professionnels estune obligation. Ce modèle biomédi-cal répond aux besoins de traitementdes maladies mais aucunement auxbesoins de soins. Apprendre auxmédecins à prendre soin des patientsen leur enseignant les scienceshumaines et sociales, les préparer à lagestion de la relation médecin-malade serait un immense progrès.Limiter, comme aujourd’hui, laformation des médecins aux sciencesbiologiques les prépare à traiter desmaladies mais ne leur apprend pas àprendre soin des malades. �

Pr Claude Béraud

15La Revue de la MTRL � mars 2014 � numéro 81

http://www.claudeberaud.fr/?58-les-gaspillages-lies-aux-soinsArticle publié le 14 décembre 2013

Point de vue

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Jeu de go

Candide – ou presque –

Premier contact avec le médicament homéopathique :de petits tubes remplis de granules de sucre, portant desnoms en latin suivis de chiffres de dilutions centési-males qui font penser, avec un rien de malice, au petitpois sous une pile de vingt matelas qui empêchait dedormir la princesse du conte de fées tant elle avait l’épi-derme sensible. Imaginons alors une pile de 30 matelas :le petit pois, lui, est toujours là, mais qui pourrait biendire à quel endroit précis il se trouve ? Vous voyez où jeveux en venir ?Christelle Charvet. – Imaginer que des dilutions infinité-simales puissent avoir un effet sur un organisme nécessitede repenser des schémas que nous prenons pour des vérités.� Première affirmation non fondée : un effet pharmaco-logique repose obligatoirement sur la présence de molé-cule dans la substance ; l’efficacité est dose dépendante.Dit autrement : un produit qui n’est pas pondérable n’estpas efficace…

Comment, au XXIe siècle, rester dans ces certitudes alorsqu’en physique quantique la notion d’une réalité informa-tionnelle sans support matériel est établie ?

� Deuxième dogme : « un élément perdu dans unimmense volume d’eau ne peut être perçu à distance ».

Comment, alors, un requin peut-il percevoir la présenced’une goutte de sang dans plusieurs milliers de m3 d’eaude mer ?� Troisième dogme : « l’eau n’a pas de mémoire ; la preuveen est qu’il a été démontré que les expériences du Dr JacquesBenveniste n’étaient pas reproductibles ».

Et celles du Pr Louis Rey, celles du Pr Luc Montagnier etde tous ces chercheurs qui, grâce aux nanotechnologies,ont montré la structure nanomoléculaire de l’eau et sacapacité de se modifier en fonction de la substance qu’onimmerge ?

Bref : l’infiniment petit existe, et il n’est plus possible del’ignorer. Alors soyons aussi curieux et courageux queGalilée qui osa exprimer sa conviction que la Terre étaitronde et qu’elle tournait autour du Soleil quand la scienceofficielle affirmait l’inverse. Nul doute que, dans le sièclequi vient, les découvertes sur l’infiniment petit prouve-ront scientifiquement la réalité de l’action du petit poissous les 20 matelas !

Lorsqu’on pénètre pour la première fois dans ce monde de « l’infinitésimal étonnant »,

très vite que le rituel y tient une place déterminante, rituel un peu magique auquel

apparence et, après tout, seul le résultat compte, car, depuis le temps que cette pratique

d’esprits forts, elle aurait dû finir par disparaître en tant qu’outil de santé comme une

Or il n’en est rien, et le rituel se poursuit, car les pratiquants sont tout aussi nombreux

et ses effets indésirables quasi inexistants, à l’inverse de la triste rançon que paie

A partir de ce statu quo, qui se maintient assez bien dans notre pays, malgré

sur l’AMM qui n’est pas indispensable pour la diffusion des produits homéopathiques,

et fortement impliqués afin de leur poser quelques questions qui les contraignent

Le docteur Christelle Charvet, gynécologue obstétricienne,

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Abandonnons le conte de fées et admettons qu’il puissedemeurer une trace de substance active à la 30e dilutioncentésimale, ce qui représente “à peu près” une goutted’eau dans l’océan que vous voulez : ne pensez-vous pasque l’action bénéfique éventuelle du médicament 30 CHprescrit tiendra pour une large part à un effet placebodont personne, en médecine allopathique aussi, neconteste la réalité ?CC. – Interrogeons-nous quelques instants sur l’effet placebo. De nombreuses études ont été menées et rapportées dans le livre du Dr Patrick Lemoine1.Le placebo entraînerait des réactions auniveau des neuromédiateurs avec un réelpouvoir d’amélioration de certains symp-tômes. L’imagerie par résonance magné-tique nucléaire démontre l’activation dezones cérébrales après administrationdu placebo comme avec des substances« dites actives ».

L’effet placebo de toutes les thérapeu-tiques (y compris les médicaments allopa-thiques) est estimé aux environs de 30 à40 % en fonction des pathologies. On trouvemême des chiffres de 70 %.

En ce qui concerne le médicament homéopathique, denombreuses études ont montré qu’il existait un effet diffé-rent de l’effet placebo2 ; la méta-analyse citée dans TheLancet de 20053 et si controversée rapporte très clairementplusieurs études démontrant l’effet non placebo du médi-cament homéopathique, même si de nombreuses étudesavaient été exclues pour des problèmes de méthodologie.En effet, 110 essais homéopathiques ont été comparés avec

110 études portant sur des médicaments allopathiques ;après élimination des biais – effectif insuffisant, par exem-ple –, seules 8 études homéopathiques ont été conservées,mais seulement 6 études allopathiques ! Les preuves d’effi-cacité supérieure des traitements homéopathiques à celledu placebo sont dites faibles, mais pas nulles…

Rappelons que l’éditorialiste avait titré cet article : « Lafin de l’homéopathie ». Force est de constater, près de10 ans après, qu’il n’en est rien. Des expériences chez l’ani-

mal d’élevage ont, elles aussi, montré que le choix dumédicament homéopathique comptait dans l’ef-

ficacité ; je pense en particulier à l’étude faitesur les dindes élevées en élevage industriel4,

auxquelles est administré soit un placebo,soit un traitement homéopathique (Nuxvomica 9 CH, Arnica 9 CH), soit unautre traitement homéopathique (Nuxvomica 9 CH, Arnica 9 CH et Gelse-mium 9 CH) ; si la comparaison entre

les deux premiers groupes montre uneffet significativement différent en faveur

du traitement homéopathique, l’ajout de lasouche Gelsemium apporte aussi une différence

significative dans l’efficacité ; cette étude illustrel’efficacité non placebo du médicament homéopathique.

Une remarque sur l’effet placebo, qui existe comme vousle faites judicieusement remarquer dans toutes les théra-peutiques : si en tant que médecin je prends en charge parexemple des migraines, des troubles du sommeil, des bouf-fées de chaleur, avec un médicament allopathique, 30 %des patients auraient été améliorés par un placebo : lechoix du médicament allopathique sous-entend que j’ai

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Jeu de go

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au royaume d’Homéopathieselon l’élégante et mystérieuse formule du docteur Jean-Louis Masson, on s’aperçoit

les pratiquants semblent se plier sans beaucoup d’interrogations. Ce n’est peut-être qu’une

médicale subit des démonstrations implacables d’irrationalité et les sarcasmes de nombre

forme d’ésotérisme incapable de résister au développement des connaissances scientifiques.

à souligner les bienfaits qu’ils en retirent, relevant que son coût est modeste

en la matière la médecine allopathique, par-delà ses résultats incontestables.

les escarmouches récurrentes – sur le remboursement par l’Assurance maladie,

etc. –, on est tenté de se faire l’avocat du diable auprès d’homéopathes reconnus

à sortir des explications bateau dont les médias habituellement se contentent.

a accepté volontiers de se prêter à l’interrogatoire.

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fait prendre le risque d’effets secondaires graves à 30 % despatients, qui n’en auraient pas eu besoin ; dans ces condi-tions, je préfère, en première intention, choisir un médica-ment homéopathique : lui aussi est inutile dans 30 % descas, est utile et différent du placebo dans 70 % des cas,mais il ne sera jamais responsable de la mort d’un individu.

1. Dr Patrick Lemoine, Le mystère du placebo, Editions Odile Jacob.2. Recherche en homéopathie, Editions CEDH, 2005.3. Shang A, Huwiler-Muntener K, Nartey L et al, Are the clinicaleffects or homeopathy placebo effects ? Comparative study ofplacebo-controlled trials of homeopathy and allopathy, Lancet, 2007,Sep 2 ; 366(9487) ; 690.4. Bruckert K, Les hématomes à l’abattoir chez la dinde. Essai deprévention homéopathique, thèse vétérinaire, ENVL, Univ. Claude-Bernard, Lyon 1, 1997.

Nous y voilà : l’absence d’effets indésirables du médica-ment homéopathique ! Est-il si pertinent que cela de pré-tendre qu’un médicament n’a aucun effet indésirable sansrisquer de s’entendre dire que c’est bien là la preuve qu’iln’a aucun effet tout court… Ne pensez-vous pas que cetargument, presque toujours mis en avant pour soulignerl’avantage du recours à l’homéopathie, relève plus de lapensée magique que de l’argumentation scientifique ?CC. – Attention : je n’ai jamais dit que le médicamenthoméopathique ne pouvait pas être responsable d’effetssecondaires ; j’ai simplement dit que l’homéopathie nepouvait pas tuer quelqu’un ougénérer des effets secondaires gra-ves ; tous les homéopathes ontobservé des effets secondaires quitraduisent justement la réactivitéde l’organisme. Prenons, parexemple, une de mes patientes quiavait des bouffées de chaleur ; jelui prescris Sulfur : elle me signaledès le lendemain qu’une petite pla-que d’eczéma que je n’avais pasvue lors de la consultation s’estétendue et qu’elle s’est grattéetoute la nuit. Que signifie cetteobservation ? En prescrivant Sul-fur, j’ai fait réagir le terrain decette patiente au niveau de la peau,qui est, comme tous les dermato-logues le savent, un tissu particulièrement réactif – pousséede psoriasis ou eczéma en période de stress… Il s’agit doncde symptômes qui traduisent la réactivité de l’organisme aumédicament choisi ; j’ai pu dire à la patiente que le médi-cament choisi était bien « son » médicament ; j’ai modifiéla dilution et tout est rentré dans l’ordre.

Il existe donc très clairement, parfois, des effets secondai-res non souhaités, non dangereux qui, à mon avis, sont unepreuve de plus de l’efficacité non placebo du médicamenthoméopathique. Il est d’ailleurs amusant de voir que cer-tains médecins qui ne « croient » pas au médicament

homéopathique disent parfois à leurs patients de se méfierdes effets secondaires de l’homéopathie ! Moi qui prescrisdes contraceptions hormonales et des traitements hormo-naux de la ménopause, en avertissant les patientes des ris-ques graves, je vous assure que je n’ai aucune crainte à pres-crire des médicaments homéopathiques…

« J’ai modifié la dilution et tout est rentré dans l’ordre » :c’est cela aussi qui intrigue, reconnaissez-le, cet “infinité-simal étonnant” qui voudrait que la substance précisé-ment infinitésimale – ou son ombre, ou son reflet, voireson immanence… – agisse différemment en passant de5 CH à 7, ou de 7 CH à 9, et ainsi de suite. C’est aussicurieux à comprendre que les posologies habituelles desmédicaments homéopathiques : 3 granules 3 fois parjour, par exemple ! Pourquoi 3 et pas un seul une fois parjour quand la question de dose médicamenteuse ne joueabsolument pas de la même façon qu’en allopathie ?Revenons à votre patiente : Sulfur était « son » médica-ment. Soit, et disons, par commodité, que la prescriptionétait de 3 granules matin et soir. Pourquoi une modifica-tion de la posologie n’aurait-elle pas permis d’éviter dechanger la dilution ?CC. – Vos questions deviennent de plus en plus subtiles aucours de cet entretien : vous vous homéopathisez !

Avez-vous entendu parler de l’hormésis* ? Non, ce n’estpas une île grecque, mais la notion scientifique d’inversion

des doses ; cette loi s’applique à denombreuses substances et énonceque l’effet d’un toxique peut s’in-verser en fonction de sa dose ; ilest assez logique de penser qu’il enest de même pour l’homéopathieet que la hauteur de dilution inter-vient dans le signal que perçoitl’organisme. En recherche fonda-mentale, il a été montré que l’ex-crétion urinaire d’arsenic chez desrats intoxiqués par l’arsenic et trai-tés par des dilutions d’Arsenicumalbum était variable en fonctionde la hauteur de dilution ; danscette expérience, l’excrétion uri-naire d’arsenic était significative-ment plus élevée après administra-

tion d’Arsenicum album 7 CH par rapport à la dilution5 CH ou 9 CH, d’efficacité aussi significative**.

Le nombre de granules prescrit vient d’une habitude desprescripteurs : peu d’importance entre 3, 5, 7 granules ;5 est plus pratique car les tubes granules commercialisésen France contenant 80 granules, un tube correspond àune prise de 5 granules 2 fois par jour pendant 8 jours(compte rond) ; au-dessous de 3 granules, les homéopa-thes ont l’impression que le signal est insuffisant, alors quece n’était pas le cas il y a quarante ans, disent les anciens.Il s’agit peut-être d’un défaut de réaction des organismes

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« modernes » lié à la pollution ; l’homéopathie étant unemédecine d’expérience, nous respectons la prescriptiond’au moins 3 granules par prise.

En ce qui concerne la répétition des prises, elle est fon-damentale dans les situations aiguës ; si l’on pense que lemode d’action est lié à un « signal », tout s’éclaire, et ildevient évident qu’il faut envoyer un signal fréquemmenttant que l’organisme ne réagit pas ; si une réaction est obte-nue, on espace les prises puis on arrête le médicament.Pour une pathologie chronique et une modification du ter-rain en profondeur, une dose par semaine suffit, le signaln’ayant pas besoin d’être répété quotidiennement.

Ma patiente « Sulfur » avait reçu du Sulfur en 15 CH :voyant une réaction cutanée, j’ai choisi de changer la dilu-tion pour modifierla réaction de l’or-ganisme au produitet j’ai espacé les pri-ses ; il n’était paslogique d’augmen-ter la fréquence deprise, puisque l’or-ganisme avait déjàréagi.

Il faut bien com-prendre que la pres-cription de l’ho-méopathie est baséesur le ressenti dumédecin face au patient, tant pour le choix du ou desmédicaments que pour la répartition des prises. Non, l’ho-méopathie n’est pas une science exacte, mais qui peutencore croire que la médecine en est une ?…

* Les Cahiers de l’hormésis, Institut de recherche sur le phénomènede l’hormésis, mars 2011, n° 1.** Cazin J.C, Cazin M, Gaborit J.L and coll., A study of the effect ofdecimal and centesimal dilutions of arsenic on the retention andmobilization of arsenic in the rat, Human Toxicology, 1987; 6:315-320.

Juste une dernière pour la route, comme on dit… Je saisbien qu’un médecin, face au patient, n’a pas forcémentà traiter une maladie mais un être qui est, ou qui sesent, malade, ce qui ouvre un champ beaucoup plusvaste pour le type de traitement et le choix du ou desmédicaments qu’il va utiliser. En homéopathie, quandon voit la myriade de substances que la pharmacopéepropose, et dont certaines sont indiquées pour les mauxles plus variés et la plus grande diversité des états d’âme,cette infinité des possibles offerte au praticien laisseplutôt dubitatif. Vous avez certainement un remèdecontre le scepticisme ?CC. – Vous vous soignez en faisant cet entretien et enpubliant mes réponses ?

Votre question en appelle une autre : ne croyez-vous pasqu’en allopathie il y a aussi une myriade de médicaments ?

Rappelons qu’en allopathie le soin s’adresse non pas à unmalade particulier mais seulement à une maladie. Pour-tant, le Vidal, livre dans lequel les médecins se renseignentpour choisir un médicament, compte plus de 4 600 spécia-lités ! J’ai recensé, pour les inhibiteurs de recapture de séro-tonine, nouvelle classe thérapeutique d’antidépresseurs,pas moins de 111 médicaments, alors qu’il ne s’agit pasd’une thérapie individualisée mais d’un seul principe phar-macologique pour soigner le même type de dépression.

En homéopathie, l’individualisation, la personnalisationdes traitements rendent nécessaire l’accès à un nombreimportant de médicaments ; actuellement, nous disposonsdans la pharmacopée française de plus de 3 000 souches,avec des dilutions variables. Ce nombre va être réduit en

raison des enregis-trements homéopa-thiques européens,qui ne garderontque les médica-ments dont la pres-cription peut êtreétayée par des réfé-rences bibliographi-ques ou des justifi-catifs d’expérience.Il nous restera suffi-samment de mé-d icament s poursoigner correcte-

ment tous les patients, sceptiques ou non, qui considèrentque leurs symptômes leur sont particuliers, et revendi-quent une prise en charge individualisée.

J’aimerais terminer cet entretien par un regard plusgénéral sur la santé. En médecine conventionnelle, nousabordons le patient par la maladie ; jamais personne dansles facultés ou dans ma formation hospitalière ne m’aenseigné ce qu’était l’état de « bonne santé » et comment lapréserver : nous attendons la pathologie ; les symptômesdits fonctionnels sont étiquetés souvent psychosomatiques,au mieux méprisés, mais parfois traités par antidépresseurs,qui masquent le symptôme sans le traiter et au risque d’effets secondaires. La prise en charge homéopathiquepart du principe que tout symptôme traduit un déséqui-libre de l’organisme et exprime une souffrance physiqueet/ou psychique : cette souffrance mérite d’être écoutée,comprise et traitée par des conseils hygiéno-diététiques etdes médicaments homéopathiques personnalisés ; nousévitons ainsi l’évolution vers une lésion, plus difficile àtraiter en homéopathie comme en allopathie.

« Mieux vaut prévenir que guérir » et « D’abord ne pasnuire » sont les devises qui me guident pour assurer aupatient une prise en charge globale, optimalisée et sécurisée. �

Propos recueillis par Christian Charron

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Les bactéries apparaissent alorscomme des alliés insoupçonnésau bon maintien de la santé de

l’organisme. La notion de symbioseest apparue. En somme, c’est enpoussant ces micro-organismes dansleurs derniers retranchements, sous lapression insupportable des antibioti-ques, que l’on a appris à les apprécierautrement.

Survivre dans un milieu hostile estdélicat. Les bactéries ont besoin de senourrir, de se multiplier et de se dis-séminer, tout en s’adaptant aux chan-gements rapides de température, ense défendant face aux agresseursviraux ou à d’autres bactéries. Lasolution de la symbiose a résolu pasmal de problèmes existentiels rencon-trés par ces petites bêtes. Avant cela,la solution d’intégrer une cellule a vule jour, pour échapper à la toxicitémortelle de l’oxygène apparaissantsur Terre. Les mitochondries, organi-tes cellulaires produisant de l’énergie(l’ATP) par oxydation de substrats –lipides et sucres –, sont les vestigesvisibles et nécessaires de ces anciennesbactéries, avec leurs gènes bien à partdans la cellule eucaryote. Mais ellesont été prises au piège de la machine-rie cellulaire les hébergeant et n’ontpu se développer ainsi. La symbiosereprésente alors une autre solution desurvie, plus avantageuse.

La flore de fermentation représenteun bel exemple de coopération réci-

proque : les polysaccharides végé-taux, souvent structurels dans lesplantes, ne sont pas digérables par lesenzymes des humains, mais le micro-biote les prend en charge lorsqu’ilsatteignent le côlon, et sa capacité dedégradation enzymatique nous four-nit des nutriments absorbables telsles acides gras à courte chaîne, dontle plus fameux est l’acide butyrique.Ces petites molécules – 4 carbonesen général – sont gazeuses et lipidi-ques, de la famille des acides grassaturés. Une fois absorbées par l’in-testin, ces molécules sont utilisées àdes fins énergétiques par l’êtrehumain. Elles servent aussi à lamaturation cellulaire intestinale ; etde plus font un peu la loi enversd’autres bactéries qui nous attendentau tournant pour nous infecter.

Un rôle déterminant pour une solide immunité

Les lactobacilles et les bifidobactériesjouent ce rôle de protection vis-à-visdes bactéries opportunistes apportéesen général par la nourriture. D’ail-leurs, on sait bien maintenant quel’établissement d’une solide immu-nité dépend de la présence stimulantede ces bactéries dès la naissance, maisaussi que la colonisation du tractusdigestif à la naissance déclenche lamaturation des organes digestifs ausens large du terme. On commenceaussi à s’apercevoir que l’équilibre et

le devenir psychique et comporte-mental de l’individu dépendent deces mêmes microbes !

Mais n’importe qui ne se laisse pascoloniser par n’importe quoi. Lasymbiose est là aussi. L’hôte fabriquedes molécules d’adhésion sur sonépithélium intestinal, et ces moléculesretiennent certaines bactéries “souhai-tées”, au détriment d’autres moinsdésirables. Par exemple, les moléculesde type lectine de l’individu s’accro-chent aux peptidoglycanes membra-naires bactériens, et l’accrochagephysique des bactéries favorise forte-ment l’interaction de celles-ci avec lescellules épithéliales ; les entérocytesreçoivent alors des signaux activantleur métabolisme et leur prolifération,par exemple ; cette stratégie estévidemment essentielle au maintiend’une bonne relation. Pour que çadure, il faut nécessairement quechacun bénéficie des interactions, ainsil’évolution de l’un se fera en parallèleavec celle de l’autre. L’individu va alorsbénéficier de la résistance à un jeûneprolongé, d’avantages en termes defertilité, de renforcement des défensesimmunitaires ou encore de bonnescapacités de digestion.

Mais on est bien obligé de s’aperce-voir que les bactéries sont apparuesbien longtemps avant les humains, etqu’elles ont évolué depuis bien pluslongtemps que nous. L’idée intéres-sante, c’est que les bactéries nous ont

Le microbiotequi ne voulait pas mourir

Depuis plus d’une vingtaine d’années, on assiste à un regain d’intérêt envers nos

bactéries intestinales. D’abord considérées comme dangereuses, puisque appartenant

à l’univers des microbes chers à nos biologistes de la fin du XIXe siècle, leur image

a changé progressivement, au fil du temps, par l’accumulation des connaissances

Le microbiotequi ne voulait pas mourir

Le microbiotequi ne voulait pas mourir

Le microbiotequi ne voulait pas mourir

Le microbiotequi ne voulait pas mourir

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tolérés dans la mesure où nous pou-vions leur apporter des avantages évo-lutifs. Dans cette hypothèse, les ani-maux possédant un intestin facilitentla propagation, la protection et l’ha-bitat des micro-organismes. On peutdire que faute de mieux à l’heureactuelle, la symbiose devenait inévita-ble pour survivre ! Les génomes ontdû eux aussi co-évoluer pour mainte-nir stable la cohabitation.

La symbiose se met en place dès lespremiers jours de la vie, elle évolue aufil des ans en fonction de l’hygiène, ycompris alimentaire, et des antibioti-ques éventuels. Une mauvaise santéintestinale est en relation directe avecune dysbiose, et on sait maintenantque celle-ci conduit à un grand nom-bre de maladies.

Le nouveau défi qui se présente à lasymbiose, c’est le changement ali-mentaire, avec en plus l’abondancede nourriture disponible dans les paysoccidentaux. Or les bactéries évo-luent bien plus vite que nous face àces changements : la symbiose estrompue, il y en a un qui court devantsans se préoccuper de celui qui resteen arrière, nous !

Actuellement, la flore intestinaleest devenue capable de prendre encompte l’excès de nourriture dispo-nible ; depuis peut-être une tren-taine d’années. Le microbiote déli-vre de nouveaux messages pris encompte par l’individu. Les signauxmicrobiens, envoyés par nécessité desurvie, conduisent l’animal – pasque l’homme – à stocker davantaged’énergie. Mais, comme l’homme nedépense pas en rapport pour mainte-nir l’équilibre entrées/sorties – entout cas pas suffisamment –, onentre dans le surpoids et l’obésité, etdans le diabète.

Il n’y a pas que la quantité de nour-riture qui influence la symbiose. Leremplacement des fibres alimentairesfermentescibles issues des végétauxpar les lipides alimentaires modifieprofondément non seulement la flore,mais surtout induit un état inflamma-toire modéré mais constant. A celas’ajoute la rupture de la perméabilitéintestinale, générant par elle-même de

l’inflammation par une autre voie, etfavorisant le passage abusif de micro-organismes dans le corps. On entre làdans le vaste domaine des maladiesentéro-métaboliques, et directementdans l’induction des pathologies auto-immunes. Si l’hypothèse génétique deces maladies est retenue, son influencerelative dans le déclenchement desmaladies paraît faible face aux facteursenvironnementaux nutritionnels.

Faire d’un citoyen un consomma-teur en fait directement un malade,qui consomme comme un malade…Les bactéries ont pris de l’avance,nous ne sommes pas encore “ajustés”aux nouvelles conditions alimentai-res, et donc la symbiose ne se fait pluscorrectement : on est donc maladesde désynchronisme.

Un millier d’espèces de bactéries

Si le génome humain contient envi-ron 30 000 gènes, la palme revientaux bactéries qui elles en possèdentde 200 000 à 300 000, puisque lenombre de bactéries dans l’intestinavoisine les 1014 et que le microbiotepèse plus de 1,5 kg. Le nombre d’es-pèces tourne autour de 1 000. Il

existe un peu plus de 50 phyla bacté-riens sur Terre, mais 4 sont principa-lement retrouvés dans l’intestin : Fir-micutes et Bacteroidetes, sans douteles plus importants à l’heure actuelle,ainsi que les Actinobactéries et lesProtéobactéries. Disons que 9 autresgroupes sont observés en faible pro-portion dont les Chlamydiae, Cyano-bacteria, Deferribacteres, Deinococ-cus-Thermus, Fusobacteria, Spiro-chaetes, Verrucomicrobia. Tout cepetit monde-là fabrique une pléiadede molécules informatives dont onn’est pas près de déterminer le rôle !

On s’est rendu compte, depuisenviron cinq ans, que le microbiotedes gens obèses était différent de celuides gens minces. Ce microbiote par-ticulier délivre des signaux quicontrôlent la prise de poids. On noteque les Bacteroidetes (Gram négatif )sont minoritaires chez les gens obèsespar rapport aux minces. Heureuse-ment, cela est réversible si les sujetsadoptent un régime alimentaire pau-vre en sucres et surtout en graisses.Ce qui est également intéressant, c’estque le séquençage bactérien intestinalmontre qu’environ 70 % des séquen-ces génétiques identifiées sont uniques

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à chaque personne. De ce fait, la pro-portion de flore modifiée commune àchaque personne pourrait être assezfaible, mais quand même suffisantepour déclencher les changementsmétaboliques observés.

Chez les souris, 4 semaines denourriture riche en graisse – surtoutsi elle est donnée la nuit ad libitum –modifient l’équilibre microbien. Lesbactéries Gram positif diminuent auprofit des Gram négatif : les Firmicu-tes prennent largement le dessus, lesBacteroidetes diminuent de 50 %chez les souris obèses ! Cela est attestépar l’augmentation de la présencedans le sang d’une molécule particu-lière de paroi bactérienne, le lipopo-lysaccharide. Il semblerait que le LPSpasse dans le sang en se couplant auxlipoprotéines fabriquées en réponse àl’alimentation grasse. Cette moléculedéclenche une réaction inflamma-toire métabolique qui régule forte-ment l’action de l’insuline. Ce lipo-polysaccharide circulant déclenche laproduction de cytokines dans le corpsaboutissant à l’insulinorésistance :l’insuline pancréatique est bien sécré-tée, mais elle n’est pas assez utiliséecar les récepteurs cellulaires sont inef-ficients à la capter. On a donc coexis-tence de quantités anormalement éle-vées dans le sang d’insuline, spéciale-ment après les repas, et de glucose àdes taux eux aussi évidemment élevés.

C’est évidemment très fâcheux à plusd’un titre, et le glucose est retiré de lacirculation pour être transformé entriglycérides dans le tissu adipeuxpuisqu’il n’est pas assez utilisé par lescellules qui en ont besoin. On a doncl’équation redoutable : sucre + résis-tance à l’insuline = prise de poids. Etce n’est qu’un début…

Le LPS autorise aussi le tissu adi-peux à se multiplier… et là c’est lacatastrophe. On peut alors stockerjusqu’à 450 kg de graisse ! Il y a de laplace puisque les cellules adipeusespeuvent se multiplier.

L’industrie alimentaire, obstaclemajeur à un changementsalutaire d’alimentation

Evidemment, il y a bien un moyen,c’est de restreindre sa nourriture et dela varier davantage vers les végétaux,mais les habitudes prises, les effortsdémesurés déployés par l’industriealimentaire pour nous faire consom-mer un maximum à tout prix – et aumoindre coût – sont des obstaclesmajeurs au changement salutaire denourriture, changement devenuquand même inéluctable tant lesdégâts sont importants dans lemonde entier. En fait, là comme ail-leurs, c’est la paresse des individus quicrée le problème. Redisons-le sanscesse, en fin de compte, le responsa-ble c’est vous !

Retrouver une alimentation plusconforme à notre physiologie permetde rectifier l’équilibre microbienintestinal, de faire chuter l’inflamma-tion créatrice de nombreuses mala-dies et de non moins nombreuxmorts, spécialement cardiovasculai-res. On a peu de moyens utiles enpharmacie pour contrer les effetsdésastreux d’une telle situation. Lesprobiotiques représentent alors unealternative très intéressante et nondangereuse, surtout s’ils sont associésaux prébiotiques, ces fibres particu-lières qui nourrissent et font croîtreles bifido et les lactobacilles. Par ail-leurs, les prébiotiques possèdent deseffets propres, anti-inflammatoires,sur le métabolisme.

Il est intéressant de constater que lesevrage du nourrisson permet l’éta-blissement de la plupart des phylabactériens – dans ce cas, l’alimenta-tion se diversifie, les bactéries qui ontbesoin de nutriments particulierstrouvent leur compte. Il est doncassez futé de “coloniser” les enfantsjuste après la naissance avec des pro-biotiques. Car les premiers arrivésétant les premiers servis, les probioti-ques implantés auront toutes leschances de rester là toute la vie del’individu et de préserver au mieux lasymbiose. Il existe bien des variationsde microbiote lors de la puberté et dela ménopause, mais en fait on n’y

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connaît que très peu encore. Finale-ment, le microbiote pourrait devenirune certaine forme de carte d’identitéde l’individu, mais avec en supplé-ment un panel d’informations essen-tielles concernant le développementde l’organisme, son état de risque demaladie en rapport avec l’inflamma-tion, et son métabolisme.

On poursuit donc les études visantà connaître le microbiome. On s’estaperçu qu’il y avait plus de simili-tude de flore entre les individusvivant dans des conditions socialessimilaires que chez des individusissus d’une même famille. Si, dansune communauté, plusieurs indivi-dus présentent un cancer du côlon,les membres de celle-ci pourraientalors avoir un risque accru du mêmecancer. Il semble même que les bac-téries peuvent contrôler les préféren-ces alimentaires individuelles,comme celle du chocolat. En effet,la séquence pourrait être celle-ci :l’hôte manque de certains ingré-dients dans son alimentation, desbactéries disparaissent tandis qued’autres en profitent pour prendre laplace – la niche écologique –, ledérèglement de flore est installé, lesmessages de survie sont alorsenvoyés au sujet afin de rectifier sesenvies alimentaires… et il ressent lebesoin de manger du chocolat pournourrir ses bactéries. Pourquoi pas ?C’est sans doute simpliste mais pasfaux pour autant, en tout cas en par-tie très vraisemblable : les débuts depreuve arrivent ! De même, l’organi-sation des circuits neuronaux impli-qués dans le comportement alimen-taire – et contrôlant l’obésité – sem-ble être sous la dépendance dumicrobiote. Si tout cela n’est évi-demment pas démontré, dira-t-on,la preuve ne remplace pas forcémentl’intelligence…

Géopolitiquedu microbiote intestinal

La diversification des espèces bacté-riennes s’est peut-être faite afin d’aug-menter les chances de survie de celles-ci. Si le concept de symbiose peuts’appliquer à l’homme, les bactéries

elles aussi sont dans l’obligationd’établir des liens particuliers avecleurs congénères. Il existe une vérita-ble géopolitique de population ausein du microbiote. Les espèces aéro-bies soustraient l’oxygène afin quevivent les bactéries anaérobies – ilexiste une proportion très précise debactéries aérobies-anaérobies retrou-vée tout au long de l’intestin. Certai-nes bactéries dégradent des nutri-ments, et les produits libérés servent àd’autres espèces. Ainsi, l’éliminationdes lactobacilles par une antibiothé-rapie, ou, à l’inverse, la favorisationde leur survie par apport microbienprobiotique ciblé, peut égalementagir sur d’autres espèces non initiale-ment ciblées. Les lactobacilles pro-duisent de l’acide acétique et lacti-que, du peroxyde d’hydrogène (l’eauoxygénée) et des substances antimi-crobiennes qui permettent la mise enplace d’un équilibre avec d’autresespèces qui tolèrent ces conditionsacides ou oxydantes, par exemple. Unantibiotique peut donc affecter unensemble bactérien bien plus impor-tant que celui visé au départ.

On voit donc émerger, avec de plusen plus de force et de preuves, la réa-lité d’une alimentation délétère,quantitativement – avez-vous remar-

qué la taille des pots de pop-corn aucinéma ? – et qualitativement ; leremplacement de produits issus de lanature par des produits élaborés enusine (voyez le surimi) éloigne, qu’onle veuille ou non, l’homme de sesracines (le juste mot ?), de ses rap-ports intimes avec le monde. D’ail-leurs, il est intéressant de constaterque la psychanalyse et les techniquespsychologiques sont apparues lorsquel’industrialisation connaissait unintense développement à la fin duXIXe siècle : l’homme tellement coupéde sa nature éprouvait-il ainsi lebesoin de tenter de renouer aveccelle-ci ? �

Philippe FiévetMédecin nutritionniste

Maître en sciences et biologie médicales

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L’assemblée générale de la MTRLest fixée au mercredi 16 avril 2014 à 17 heures

à l’École normale supérieure de Lyon46, allée d’Italie 69007 Lyon

(Métro B : station Debourg – Bus n° C22 : arrêt Halle Tony-Garnier)

Lors de cette assemblée générale, vous pourrez assisterà une conférence de santé sur le thème :

“ Prévenir l’infarctuset l’accident vasculaire cérébral ”

animée par le docteur Michel de Lorgeril,cardiologue et chercheur au CNRS