mystère eucharistie

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    Hans Ur s von Bal thasarHans Ur s von Bal thasar

    Mystre de

    l'Eucharistie

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    Nous reproduisons ici le texte intgral dun expos du sminaireEucharistie (IET 2005-2006/2) crit par fr. Giacomo Gubert ocd.

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    HHANSANS UURSRS VONVON BBALTHASARALTHASAR ::

    MYSTRE DE L'EUCHARISTIEMYSTRE DE L'EUCHARISTIE

    La source de la contemplation chrtienne du Mystre n'est ni unechose, ni une vrit, et une image, elle est Dieu lui-mme dans son engage-ment infini pour le monde et pour moi . [] Et je ne peux jamais faireabstraction de l'action dramatique de Dieu dans l'incarnation, la croix et la

    rsurrection du Christ, pour contempler "l-derrire" une "essence" deDieu reposant en soi, ternellement bienheureuse et fondamentale. Ce quenous contemplons, quand nous mditons l'amour de Dieu, c'est le "dond'amour du Christ ", et ce don nous fait penser que si un seul est mort pourtous, alors tous sont morts (2 Co 5,14 BJ)1. Nous allons donc contempler, partir de sa source et de son sommet, l'action fondamentale du Dieu tri-nitaire et les ractions des hommes cet appel divin. Nous le ferons en par-

    courant les uvres du thologien suisse Hans Urs von Balthasar, en luidonnant souvent la parole, afin qu'il s'explique lui-mme et en donnant unordre conomique notre lecture : Incarnation, Trinit, Eglise, Nous.

    Richesse et pauvret de Jsus Christ

    Vous connaissez en effet la gnrosit de notre Seigneur Jsus Christqui, pour vous, de riche qu'il tait, s'est fait pauvre, pour vous enrichir desa pauvret (2Co 8,9 TOB). Saint Paul exprime ici le mystre de la knose

    par une formule paradoxale; il ne dit pas: Il vous a enrichis de sa riches-se, qu'il n'a pas jalousement gard pour soi mais bien il vous a enrichisde sa pauvret qu'il a assume. Il faut donc dpasser notre opposition derichesse et pauvret: saint Paul a reconnu en Jsus Christ une pauvrerichesse ou une riche pauvret. Von Balthasar crit : Revtu de toute-puis-sance, [Jsus] agit et parle avec une souverainet dans laquelle Dieu serend prsent ; pauvre, il est celui qui est absolument sans pouvoir et sans

    dfense, celui qui, devant les autorits du monde, ne peut que cder, et quiinitie les siens la mme pauvret devant Dieu2.

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    Abandon

    Richesse et pauvret, ces deux premires consquences de l'incar-nation de la Parole, se rencontrent rellement pour la premire fois dans lelieu central de cet vnement : la parole qui s'abandonnant se fait non-

    parole3. L'eucharistie, pour le Fils et pour nous, est un mystre d'abandonaux mains du Pre. Von Balthasar crit : La parole devient chair. Cette for-mule signifie d'abord simplement : la parole -cette forme dtermine, con-nue de chacun, de manifestation personnelle - revt une manire d'tretrangre la parole. Comme telle, la chair ne parle pas. Quand le mot"chair " est mis pour "homme", l'action de parler n'est qu'une des formesd'activit de cet tre, l'homme. [] L'existence humaine est limite, c'estune existence voue la mort ; l'instant de la mort, l'activit par laquellel'homme se manifeste cesse une fois pour toutes ; ce que l'homme a dit, aucours de la vie mortelle - important ou non - est en tout cas li la formede la temporalit, donc aussi de prcarit et par l, inluctablement, de la

    vanit. [] Que l'existence mortelle, la "chair ", puisse s'noncer elle-mmecomme "parole" immortelle, c'est une contradiction qui devrait faire cla-ter et supprimer l'homme. Mais si c'tait la Parole divine, ternelle, qui

    voulait s'exprimer exactement dans une chair mortelle - si mystrieuse-

    ment que ce ft - ce n'est pas l'homme lui-mme qui pourrait raliser ceprojet, moins qu'il ne mt toute son existence charnelle, mortelle et pris-sable, la disposition de la Parole divine pour lui permettre de s'exprimerainsi ; il faudrait que tout entier, dans sa naissance et sa mort, sa parole etson silence, son tat de veille et son sommeil, ses succs et ses checs et toutce que peut comporter l'existence humaine, il s'abandonnt comme unalphabet ou comme un clavier pour devenir expression parle. Mais c'estalors qu'apparat le paradoxe total. Car une fois la Parole (de Dieu) devenue

    chair, tout ce qui doit tre manifest doit, en dpit de toutes les impossibi-lits apparentes, tre prsent dans cette "chair", dans cette existence finieet prissable4. Nous contemplons donc Jsus Christ, le Verbe incarn, quigrandit dans un abandon toujours plus complet la conduite de Celui quipeut seul tirer de toute l'existence vcue cette parole dfinitive dont il a

    besoin pour conclure sa nouvelle et ternelle Alliance5.

    L'eucharistie comme achvement de l'abandon du Fils

    Dans l'eucharistie, l'abandon du Fils au Pre devient dfinitif, selon

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    toutes les dimensions de l'tre divin. Ecoutons le thologiens suisse qui dit:Il existe deux lments dissociables, quoique lis l'un l'autre, danslesquels l'vnement de l'abandon "s'achve", en ce double sens qu'il va"jusqu' la fin " sans reprise possible (Jn 13,1) et qu'il parvient par l mme acqurir, au-del de lui-mme, la forme propre, celle que Dieu lui conf-re : ce sont l'eucharistie et la transcription par la parole de la vie de Jsusdans le milieu de l'Eglise primitive. Les deux lments sont l'effet de laparadosis ou acte de livrer : celle-ci comprise maintenant non comme l'ac-te de Dieu qui livre le Fils, ou comme l'acte de l'Eglise qui transmet ce quilui a t livr, mais comme le don de soi de Jsus (1P 2,23 ; He 9,14), quidevient, en vertu de ce don, ce qu'il doit tre pour Dieu et pour les hommes.[] Dans un seul geste, Jsus se dessaisit dans ce don, il se livre lui-mme

    dans l'tat d'abandon entre les mains du Pre qui permet que cet tat soitdfinitif (et Jsus lui en rend grces), il se livre aux mains de l'Esprit quiralise le sacrement, comme il a ralis l'incarnation en Marie, il se livreenfin aux mains de l'Eglise qui fait (hoc facite) activement travers lestemps ce que le geste de Jsus lui a remis. On n'opposera pas l'impuissan-ce eucharistique qui consiste exister pour l'Eglise sous le voile le plus opa-que d'un morceau de pain et d'une coupe de vin, au plein pouvoir que sup-pose un tel don (Jn 10,18). Pas davantage on ne mettra une tension entrel'autorit (Mt 28,18) ou le pouvoir souverain (Ep 4,10 et ailleurs) de celuiqui est lev la droite du Pre et son tat eucharistique d'impuissance, carle lion de la tribu de Juda (Ap 5,5) est identique l'Agneau comme gorgplac ct du trne (Ap 5,6.9.12) par-dessus les temps (ds l'origine dumonde, Ap 13,8). Les ides de substitution, de rachat, d'expiation et desacrifice, qui toutes se compntrent, traversent toutes les couches duNouveau Testament, et elles sont essentiellement lies la Croix anticipe

    dans l'eucharistie6.

    Une volont d'abandon minemment active

    L o il y a un Pre, Origine sans origine,l'acte parfait d'une volon-t divine filiale est l'abandon. Von Balthasar crit : La passivit de laPassion, Jsus se laissant enchaner, flageller, clouer sur la croix, transper-cer, est l'expression d'une volont d'abandon minemment active, qui pourcette raison transcende les limites de l'autodtermination pour se laisserdterminer sans aucune limite 7.

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    L'abandon du Pre, l'abandon au Pre

    Le Pre reoit et livre en mme temps le Fils. Il le reoit pour lelivrer. Le Pre rpond l'acte parfait de libert filiale de Jsus Christ par unacte parfait de libert paternelle. Le thologien suisse dit : Une telle volon-

    t de don, qui s'offre l'intrieur du geste eucharistique de se partager au-del de toutes les barrires de la finitude humaine, devrait paratre au fondcomme orgueil promthen, si elle n'tait pas en elle-mme l'expressiond'un tre dj dtermin, dont on dispose. Paul et Jean le voient clairementquand ils dcrivent l'abandon de Jsus aux siens et au monde comme tantau concret l'abandon du Pre, le Pre livrant ce qu'il a de plus prcieux, sonFils, par amour du monde qu'il a cr et par fidlit l'Alliance qu'il a scel-le avec lui (Rm 8,32 ; Jn 3,16). [] C'est le Pre qui veut rconcilier aveclui, dans le Fils, le monde en sa totalit (2Co 5,18), et qui donc attend decelui qui doit devenir homme quelque chose qui dpasse de loin le pouvoird'un homme. Mme s'il a une authentique volont de correspondre ce quele Pre lui demande, le Fils ne peut ainsi, en dernire instance, que -au-deldes forces humaines - se laisser mettre la disposition de la volont duPre. Que Celui qui fut fait homme abandonne tout ce qu'il a aux autreshommes, c'est d'une certaine manire moins important que le fait qu'il se

    livre et s'abandonne lui-mme aux mains du Pre qui l'offre, le partage, ledisperse l'infini8.

    La multiplication du pain eucharistique

    Von Balthasar crit : Cet homme est transform par le feu ardentde Dieu en d'innombrables tincelles ("non confractus, non divisus"), il estdans un tat de telle disponibilit Dieu que Dieu peut le distribuer ind-finiment travers le temps et l'espace, sans jamais l'puiser. C'est bien Dieu

    le Pre qui nous distribue le Fils eucharistique, et c'est Dieu le Saint Espritqui ralise chaque fois la multiplication ineffable de l'vnement uniqueen une ralit qui sans cesse, se rpte. Mais - et c'est l le plus important -celui qui a t livr un jour, tu sur la croix, rpandu, transperc, ne revien-dra jamais sur le don qu'il a fait de lui-mme. Il ne reviendra jamais sur safragmentation dans l'eucharistie pour se retrouver lui-mme dans son int-grit. Mme en tant que ressuscit, il est toujours celui qui se donne, se

    rpand9

    .

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    Pro nobis

    Le Pre le fait pour nous, le Fils le fait notre place, l'Esprit Saintrconcilie toujours ce pour nous ce notre place. Ecoutons vonBalthasar qui crit: Ce don, dans notre monde dchu, avait d'avance une

    intention salvifique : le Fils est "envoy" par le Pre dans la drliction dela croix, parce qu'il "se charge" rellement du pch du monde (Jn 1,29),qu'il le reprsente dans sa totalit (2Co 5,14-21 Ga 3,13 ; Ep 2,14-16). Simystrieux que puisse rester le comment de cette "substitution", il ne fautpas en problmatiser le fait mme. Le "pour nous" n'a pas seulement unsens juridique et moral de satisfaction, mais un sens de part en part rel et,si l'on veut, "physique" : c'est ma drliction, cause par mon pch, c'est

    ma mort plonge loin de Dieu dans les tnbres de la mort ternelle qu'ilprouve dans le fait d'tre "livr" [] ; seul le Fils unique du Pre, qui apour nourriture la volont du Pre, peut savoir et prouver de faon dfini-tive et insurpassable ce que cela veut dire de devoir tre priv de cette nour-riture et de souffrir la "soif" infernale absolue (Jn 19,28). C'est prcismentpar la privation de toute nourriture de la part de Dieu [] que Dieu fait deson Fils la nourriture du monde entier10.

    L'extension l'universel spatio-temporelEn ayant radicalement assum tous, Jsus Christ peut aussi se don-

    ner radicalement tous. Le don ne sera toutefois parfait que lorsque larponse aussi sera parfaite. Von Balthasar crit : La concentration de lafaute sur l'unique "corps qui porte les pchs" est en mme temps l'exten-sion l'universel de cet homme unique, exemplaire et dernier ; ainsi, sarsurrection signifie aussi bien l'inversion que la suite logique de ce qui a

    t commenc dans l'incarnation et dans la passion : Celui qui a puissancesur toute chair, la puissance de tout assumer en soi, a maintenant la puis-sance correspondante de se donner tout ce qu'il a reprsent, dans uneeucharistie laquelle aucune limite n'est fixe, ni par l'existence personnel-le de Jsus au ciel aprs la rsurrection, ni par la transfiguration de toute laCration aprs la parousie, car le Fils de Dieu fait homme est pour l'terni-t la mdiation eucharistique travers laquelle nous pourrons avoir part la vie trinitaire de Dieu. [] On pourra dire que ceci : l'ultime eucharistie

    du Fils aprs la parousie - aux noces de l'Agneau - sera un acte d'engendre-ment et de don de soi infini sous tous les rapports, car, ce moment-l seu-

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    lement, la fiance glise sera dfinitivement devenue "pouse del'Agneau"11.

    Le rgime sacramentel

    Von Balthasar poursuit : En attendant, l'eucharistie reste lie aurgime sacramentel valable l'intrieur du temps ; non pas (comme on l'asouvent cru) parce que Jsus aurait surmonter une distance entre son exi-stence cleste et la manire dont il se rend prsent sur terre, mais parce quenous-mmes, dans notre existence temporelle, nous avons besoin que noussoient allous des "temps forts", des vnements qui taillent, pour ainsidire dans l'coulement continu du temps, des encoches o notre pied puis-se s'appuyer dans sa marche vers l'ternit. Il serait stupide et ingrat envers

    Dieu de vouloir aller au-del de cette "conomie"12.

    Ouverture dfinitive de l'acte trinitaire

    Von Balthasar peut donc en conclure : Voici ce qu'en fin de com-pte cela signifie : l'acte par lequel le Pre se donne, par lequel il verse le Fils travers tous les espace et tous les temps de la cration, est l'ouverturedfinitive de l'acte trinitaire lui-mme, dans lequel les " personnes " deDieu sont des "relations" ; nous pouvons dire : des formes de don absolu etde "fluidification" aimante. Dans l'eucharistie, le Crateur a russi fluidi-fier la structure finie, cre, sans la briser et sans la contraindre ("nul nem'enlve la vie" : Jn 10,18) au point d'en faire le porteur de la vie trinitaire.Le "langage" de l'existence humaine - dans sa spontanit comme dans sonassujettissement au pouvoir dominant de la souffrance et de la mort - estdevenu intgralement langage et expression personnelle de Dieu13.

    Eucharistie, sommet de la source trinitaire

    Une eucharistie trinitaire est l'origine de cette conomie dusalut dont l'achvement mme est eucharistique. Dieu se rvle fidle lui-mme : un mystre de dsappropriation et disponibilit jusqu'au bouttraverse intimement la vie trinitaire. Von Balthasar crit : Dieu n'a doncpas besoin de "changer" lorsqu'il ralise les merveilles de sa charit []Tous les "abaissements" contingents de Dieu dans l'conomie de salut sontdepuis toujours inclus et dpasss dans l'vnement ternel de l'Amour14.

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    Les knoses trinitaires

    Le thologien suisse voit dans la gnration du Fils la premireknose, qui est l'origine des autres knose trinitaires. Von Balthasar expli-que : Nous ne saurons jamais exprimer la profondeur abyssale de l'auto-

    donation du Pre qui, dans une ternelle "supraknose" se "destitue" detout ce qu'il est et de tout ce qu'il peut pour produire un Dieu consubstan-tiel, le Fils. Tout ce qui est pensable et imaginable pour Dieu est d'avanceinclus et dpass dans cette destitution de soi qui constitue la personne duPre et la fois celle du Fils et de l'Esprit15. Cette premire knose s'lar-git, comme d'elle-mme, en une knose de toute la Trinit ; en effet, le Filsne pourrait tre consubstantiel au Pre autrement qu'en se dsappropriant

    son tour, et leur "nous", qui est l'Esprit, ne peut pareillement tre Dieuque s'il scelle comme "Personne" cette dsappropriation identique dans lePre et le Fils, tant donn qu'il ne veut rien "pour lui", mais pure procla-mation et effusion de l'amour du Pre et du Fils, comme le montre sa mani-festation au monde (Jn 14,26 ; 16,13-15). Enfin, grce cette knose origi-nelle, les autres knoses de Dieu dans le monde sont en principe renduespossibles et elles en sont de simples drivations. ce niveau, la premire"autolimitation" du Dieu trinitaire se produit par le don de la libert aux

    cratures. La deuxime, plus profonde encore, se fait par l'alliance. [] Auterme, la troisime knose, qui n'est pas seulement christologique maisappartient toute la Trinit, s'institue sur la base de l'incarnation du Filsseul : celui-ci dmontre l'aspect toujours eucharistique de son attitude dansle pro nobis de la croix et de la rsurrection pour le monde16.

    Le sommet de la rponse du Fils

    Von Balthasar crit : On veut bien que l'on dise, comme on le faitcouramment dans la perspective grecque de l'manation, que le Pre expri-me dans le Fils sa propre plnitude, de telle manire que le Fils manifestetoutes les formes possibles de l'imitation de Dieu (ce qu'on appellerait le"monde des Ides"). Mais, avant cela, il faut maintenir que le Fils, dans sonadhsion au don paternel, se tient prt lui-mme accepter toute forme,imaginable par Dieu, de profusion de soi-mme. Et l'on ajoutera qu'ausommet, dans l'hypothse o des cratures libres surgissent, on aura la

    forme de l'eucharistie qui, telle que nous la connaissons, se rattache de lamanire la plus troite la passionpro nobis. Cette "disponibilit" (comme

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    obissance toujours prte rpondre l'appel) peut aussi bien et doitmme tre comprise comme une "offre spontane", si bien que toute ided'une volont exclusivement paternelle qui serait "octroye" sans que leFils y participe, est impensable a priori17.

    De l'eucharistie la cration par l'allianceL'eucharistie, en tant que sommet de la rponse du Fils, prcde et

    anticipe la cration et l'alliance. La libert du Fils et la libert des craturessont fondes sur cette rponse eucharistique. Le thologien suisse crit :Le raisonnement sera donc tout fait correct si l'on remonte de l'euchari-stie, comme sommet de la rponse du Fils, l'alliance qu'elle rend possible,et de l'alliance la cration qui apparat ainsi dans toute sa signification. De

    plus, l'alliance et la cration ne sont pas seulement rendues possibles par larponse "eucharistique" du Fils au Pre, mais elles sont dj "anticipes"par elle, de telle sorte que l'une et l'autre ne peuvent devenir ralit qu'ausein de cette rponse et englobe en elle. Cela ne veut nullement dire que lalibert de la crature et la libert de la rponse l'alliance seraient dsap-propries d'avance de leur mouvement autonome et comme touffes parla "toute-puissance" de la bont divine. [] En effet nous l'avons vu,l'amour tout-puissant de Dieu est dj, au sein mme de la Trinit, en

    mme temps impuissance, qui peut non seulement remettre en propre auFils une libert divine gale celle du Pre, mais aussi confrer la cratu-re, faite l'image divine, une authentique puissance de libert et la prendretotalement au srieux. En revanche, cela veut dire qu'une telle prise ausrieux, en raison de sa saisie libre dans le geste eucharistique du Fils, nepeut entraner Dieu dans aucun processus tragique, aucune dchirure deson essence (ce qui quivaudrait l'engager dans un enfer indompta-

    ble)18

    ." Ils m'ont ha sans raison "

    Von Balthasar ajoute : Par ailleurs, le fait que la libert humaineet sa perversion ne se dveloppent jamais qu'au sein de l'eucharistie du Fils,tant donn que celle-ci -lue rgressivement en allant de la croix l'allian-ce, et de l'alliance la cration - est depuis toujours la condition pralablede tout monde rel et possible, c'est ce que montre bien la confrontation de

    la totale gratuit de l'amour divin avec le non-sens absolu du pch : " []qu'ainsi s'accomplisse la parole qui est crite dans leur loi : ils m'ont ha

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    sans raison " (Jn 15,25) ; et pourtant : "Si je n'tais pas venu, si je ne leuravais pas adress la parole, ils n'auraient pas pch" (Jn 15,22). Sous cesaffirmations, on peut comprendre que la Lumire apparue dans le mondedepuis la cration luit dans les tnbres (Jn 1,4-5) et qu'elle "claire touthomme" (Jn 1,9)19.

    Dramatique de l'eucharistie

    Il faut maintenant se demander si les sacrifices que l'Eglise("nous") offre au Pre ne sont que des petits feux trangers qu'on introduitfurtivement et fautivement dans le temple de la liturgie de l'amour trinitai-re ou si, au contraire, ils appartiennent, d'un certaine faon, bien diffren-cie et articule, l'unique sacrifice du Christ. Von Balthasar crit : "Si l'on

    reconnat le caractre inclusif du "pour nous" de la croix, on atteste aussique l'humanit, consciemment ou non, est toujours prsente dans la dra-matique de la passion; et l'Eglise du Christ, parce qu'elle connat le myst-re et y croit, en possde, elle, la pleine conscience. Elle le sait d'autant plusque Jsus lui-mme, dans la nuit qu'il fut livr, lui a donn cette connais-sance, sous la forme d'une participation son acte : "Faites ceci en mmoi-re de moi"20. Mais alors comment l'humanit et l'Eglise sont-elles prsen-

    tes ? Quelqu'un agit leur place et pourtant elles ne semblent pas tre quedes spectatrices, trangres au drame. Nous essayerons donc de compren-dre le rle des acteurs humains du drame, partir de celui des deux prota-gonistes, Simon Pierre et Marie, la mre de Jsus.

    La multitude des pcheurs

    Le point de dpart est le suivant : Jsus est mort pour nous alorsque nous tions encore ennemis (Rm 5,8.10). Nous tions encore

    pcheurs. Il n'existe pas encore un alter, une pouse, le Corps mystique duChrist, que le protagoniste du drame en tant que tte pourrait s'associer. Ilest seul, le seul qui agit. Aux pcheurs, il ne demande que de consentir au"pro nobis", de ne pas l'empcher d'accomplir la volont divine. L'heure (lacne et la croix) est venue. Mais mme l'implicite ou explicite assentimentdes pcheurs [en tant que pcheurs], crit von Balthasar, est thologique-ment insignifiant : c'est la joie goste du coupable qui sait qu'un autre a

    l'intention de souffrir sa place21

    . Aux pcheurs on ne peut donc deman-der aucun consentement : ils doivent tre mis devant le fait de la mort duChrist pour eux. Une fois morts par la mort du Christ et avec la mort du

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    Christ ils pourront rpondre par la reconnaissance : reconnaissance de l'ac-te et reconnaissance pour l'acte en se conformant lui. Von Balthasar crit:D'abord la reconnaissance, par les croyants, du fait que le sacrifice duChrist s'est opr "pour nous et pour tous les hommes" ; en d'autres termes,la foi explicite en la transformation qui s'est produite par l'Acte de Jsus.

    [] Mais dans cet acte de foi est dj inclus l'autre lment [] savoir lavolont de suivre les traces de Jsus22. Ce point de dpart demeure pourles sicles, mme quand l'pouse aura dj donn son consentement l'ac-te de l'Epoux, mme quand ils seront une seule chair, corps et tte.

    Marie de Bthanie

    Marie de Bthanie, la contemplative23, donne d'avance et sans le

    savoir, son consentement la mort de Jsus. Le Fils n'a pas besoin, avantd'entrer dans la passion et dans la mort, de l'onction du Pre, qu'il possdedepuis toujours, mais bien de l'onction de la proto-glise aimante et cro-

    yante, que Marie de Bthanie reprsente. C'est un consentement sans con-ditions d'une femme qui ne veut pas savoir, comprendre, prciser, dlimi-ter comme Simon Pierre le fera et qui annonce le oui de la nouvelle Eve.Le sacrifice de Marie de Bthanie a la forme d'un simple laisser faire, nepas empcher intuitif et inconscient.

    Simon Pierre : jamais !

    Jsus demande ceux qui l'ont suivis jusqu' Jrusalem, jusqu'son heure, de manger le pain, son corps livr, de boire le vin son sang

    vers, de se laisser laver les pieds par lui. Il le demande Pierre, il ledemande Judas. Il le demande des pcheurs qui l'aiment et qui prfre-raient souffrir pour leur Bien-Aim plutt que de le voir souffrir leur

    place. C'est la loi johannique de l'amour, affirme von Balthasar. SimonPierre aurait voulu depuis longtemps offrir sa vie pour Jsus. Dans l'histoi-re humaine, combien de hros ont sacrifi leur vie pour un idal ? MaisJsus, d'aprs Jean, a voulu que Pierre, lui aussi, accepte le lavement despieds (cf. Jn 13,6-9). Le Matre veut qu'au lavement des pieds, Pierre donneson consentement in persona Ecclesiae l'intgrale subversion de l'ordrehumain des valeurs religieuses. Dieu est au-dessus, l'homme est au-des-sous. Le Saint est en haut, le pcheurs est en bas24. Pierre qui veut de tout

    son tre faire communion avec le Saint de Dieu, celui qui a les paroles dela vie ternelle, Pierre, l'aptre qui est appel aimer le plus Jsus Christ,

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    doit vouloir ce qu'il ne peut vouloir aucun prix : le renversement de l'or-dre du monde, l'asservissement du Matre25. Mme si, en tant quepcheurs, ils ne peuvent ni comprendre vraiment ce que cet abaissementsignifie, ni par consquence en souffrir pleinement, Simon Pierre, avec tousles aptres et ensuite tous les croyants, sont appels dire ce oui doulou-reux l'acte du drame. Les aptres, en se laissant laver les pieds par leMatre, en mangeant au Cnacle le pain corps de Jsuset le vin sangvers, donnent leur consentement la passion et la croix de l'aim. Il n'ya pour celui qui aime rien de plus dur que de laisser souffrir l'aim saplace, lui donner la permission de parcourir le chemin qui mne vers lasouffrance, l'abandon de Dieu, la mort, l'enfer pour lui. Ainsi les discipless'unissent au seul sacrifice du Christ.

    " Le sang qui coule de la Croix peut nous tuer "

    Chantal, la protagoniste du romanLa joie de Bernanos, voquant laCne, dit : Et sans doute Jsus offrit son corps tous les hommes, mais Ilne pensait qu' un seul. Le seul auquel ce Corps appartnt vritablement,humainement, comme celui d'un esclave son matre, s'tant empar de luipar ruse, en en ayant dj dispos comme d'un bien lgitime, en vertu d'un

    contrat de vente en due forme, correct. Le seul ainsi qui pt dfier la mis-ricorde, entrer de plain-pied dans le dsespoir ainsi que le premier meur-trier s'tait couvert de la nuit. Le seul homme entre les hommes qui poss-dt rellement quelque chose, ft pourvu, n'ayant plus rien dsormais recevoir de personne, ternellement26. Judas engloutit le corps livr(cf. Jn 13,18) et, au lieu de consentir au sacrifice de l'ami, il en disposecomme d'une chose.

    Marie la mre de Jsus

    Nous connaissons toutefois les limites du consentement de SimonPierre et des aptres. Le premier des aptres n'est pas l, au Golgotha. Lesautres non plus, sauf le disciple que Jsus aimait. Cependant, crit vonBalthasar, il est un lieu o cet acte inchoatif de la communaut est dj plei-nement accompli: c'est celui de l'adhsion de Marie et son "oui" quidevient, au pied de la croix, l'assentiment dans l'excs de souffrance l'ac-te sacrificiel de son Fils27. L'glise n'existe pas sans ce oui total et dfi-nitif, sur lequel le Pre peut compter d'avance, comme l'Annonciation.Sous la Croix, Marie est unie "au plus profond" la mort de son Fils : elle

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    est l'abandonne comme Jsus est l'abandonn. Elle est dj unie radicale-ment la mort du Christ, son sacrifice. Celle qui sait dire au Pre le ouiplein et total d'Isral, est la parfaite rceptrice de l'eucharistie28.

    Marie de Magdala

    Le Christ, qui doit accomplir seul le chemin, qui des enfers le mneau Pre des cieux, rencontre la troisime Marie. Elle doit renoncer tou-cher le Ressuscit (noli me tangere) et par l mme elle consent au retourde son Bien-Aim vers le Pre. Jsus Christ monte donc au ciel accompa-gn par ce consentementpersonam Ecclesiae gerens de Marie de Magdala.Le renoncement de Marie de Magdala est la forme postpascale du sacrificede l'Eglise ; c'est un vide combl par la joie d'annoncer la rsurrection. Va

    trouver mes frres et dis-leur que je monte vers mon Pre qui est votrePre, vers mon Dieu qui est votre Dieu (Jn 20,17).

    L'glise, nouvelle Eve

    Von Balthasar en conclut : [Jsus] livre et remet [ l'Eglise] nonseulement les fruits de sa vie et de sa passion, mais aussi sa propre person-ne. Dans sa passion, il s'est laiss mener par la volont des pcheurs qui

    "ont fait de lui ce qu'ils ont voulu" (Mt 17,12). A ce moment, il est aussiport par le "fiat" de l'glise fminine qui souffre avec lui ; c'est de la mmemanire que, dans son eucharistie en particulier, il sera remis aux mains del'glise. Et, partir de ce cur de l'glise, il est remis finalement aux mainsde quiconque devient pour lui une "mre" en faisant la volont du Pre eten lui donnant de natre dans le monde. Mme, on doit affirmer que laremise de Jsus aux mains de Marie, la naissance et la mort, est pluscentrale que la remise aux mains du ministre ecclsial, dont elle demeurela condition pralable. Avant que n'intervienne dans l'Eglise le ministremasculin, l'Eglise comme femme et "aide de l'homme" (Gn 2,20) est l'u-vre. Et une action ministrielle ne peut tre exerce, en tant que telle, pardes prtres dans une Eglise dont le mystre est celui du Fils incarn, cruci-fi et ressuscit, que si elle est assume d'abord par la femme qui est "plusque ministre" et qui contient en elle tout le ministre, l'unique qui pronon-ce le "oui" ncessaire a l'incarnation du Verbe. C'est sur la base de ce "oui"

    archtypal que s'exerce, avec plus ou moins de ferveur, la foi des autresmembres de l'Eglise. [] Et de mme, dans la clbration de l'eucharistie,c'est encore partir de ce "oui" que se dploie la volont plus ou moins con-

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    sciente des fidles d'difier dans l'amour (souffrant) le projet de Dieu con-cernant le salut du monde et de l'Eglise. Ils ne sont peut-tre pas nom-breux, ceux qui ont pleine conscience de ce qui est douloureux dans l'actesacrificiel auquel ils participent, et qui savent vraiment que dans cetteaction, chaque fois qu'elle se produit, ils "annoncent la mort du Seigneur"(1Co 11,26)29. Le nouvel Adam, vrai homme et vrai Dieu, cherche l'aide dela nouvelle ve, pour pouvoir s'unir comme tte tout son corps. Sous cetaspect, le "sacerdoce commun" des fidles constitue, avec Marie commeprincipe premier et archtype, la base et la condition de possibilit dusacerdoce ministriel30.

    " Faites ceci en mmoire de moi "

    Von Balthasar poursuit : Ce qui vient d'tre dit ne s'explique quesi on comprend le "Faite ceci en mmoire de moi" comme l'institution, parJsus, d'une action propre de l'Eglise, qui peut avoir lieu ds que lui-mme,dans la passion, devient le sujet passif dont on dispose. Avant que Jsus, depar la volont du Pre, soit livr aux mains des pcheurs, il se livre lui-mme aux mains de l'glise, et plus prcisment de ceux qui doivent, dansl'glise et pour elle, assumer le rle de ce qui tait jusque-l sa responsabi-

    lit personnelle. Il n'y a pas que les pcheurs renvoyer Dieu le boucmissaire expuls hors des frontires ; l o la Mre de Jsus se tient unie son Fils, doivent aussi se trouver ceux qui, officiellement, au nom del'glise, offrent Dieu "l'Agneau gorg" pour tous les pcheurs en faveurdesquels il se laisse gorger, en dehors de l'glise ou dans l'glise. [] Maisune offrande de ce genre, qui se trouve dsormais la place que Jsus occu-pait au cours de sa mission active, ne peut cependant avoir d'efficacit

    qu'en vertu d'un mandat reu explicitement d'assumer cette place et cettefonction du Christ. Car, s'il ne peut jamais rejoindre en perfection le "oui"du consentement marial (quoiqu'il doive toujours le prsupposer), le "oui"fminin du consentement ecclsial ne peut jamais se substituer l'offrandeofficielle qui se ralise au nom de Jsus lui-mme. [] Cette reprsentationdu Christ, au sein de la fminit de l'Eglise mariale et croyante, est rserve l'homme. Elle trouve sa place dans le champ o l'homme et la femme sefont vis--vis au plan de la vie surnaturelle: si l'homme nat du corps de la

    femme, la communaut croyante, par ailleurs, est assume (par la commu-nion eucharistique) dans le corps unifiant du Christ homme. De l on com-prend aussi le caractre instrumental et transitoire de la fonction minist-

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    rielle, ncessaire cependant la base pour que le Christ devienne corporel-lement prsent dans la transsubstantiation31.

    L'eucharistie en nous

    Von Balthasar crit : La participation l'eucharistie se fait par unvrai "manger et boire", qui est un processus d'assimilation d'une autre sub-stance dans la sienne. Il est certes exact de dire que, dans le sacrement, c'estle Christ qui nous assimile lui, plutt que ce soit nous qui nous l'assimi-lons. Toutefois, le phnomne est plus complexe. Car, dans la Passion,quand il a pris en lui nos pchs, le Christ nous a assimils lui. Dans l'v-nement eucharistique, par contre - si le symbole de manger et de boire doittre un signe ralis- c'est bien le croyant qui offre son espace de vie au

    Seigneur et le laisse en disposer. Ce qui voudrait dire que, dans la profon-deur de notre tre, les frontires doivent galement tomber prsent,comme elles sont tombes pour le Christ au cours de sa vie et de sa mort,ou, pour tre plus prcis, comme elles se sont avres dpasses a priori32.

    L'abandon du chrtien

    Von Balthasar affirme : Voici la principale frontire qui doit tom-

    ber : disposer de soi (mme dans l'acte de foi) au lieu de laisser Dieu dispo-ser de soi. [] Laisser cela se faire en nous par la prsence du Seigneur dansnotre substance, c'est communier vraiment33.

    Le repas funraire et le festin de joie ternelle

    Von Balthasar poursuit : Cette premire suppression de frontirenous conduit ncessairement la seconde, qui est entre Passion et fte,

    Vendredi saint et rsurrection. Car prsent, celui qui donne la loi notresubstance est aussi celui pour lequel la fte consiste faire la volont duPre jusque dans la drliction. Pour celui qui meurt sur la croix, plus lemoindre indice de fte humainement parlant. Pas davantage pour les chr-tiens dans les camps de concentration et dans d'autres situations inhumai-nes - pas seulement souffrances physiques, mais aussi absence de commu-nication spirituelle. Dans la "forme divine", le Fils est combl de toute com-munication avec le Pre dans l'Esprit Saint. Mais quand son amour prend

    la forme knotique de l'obissance par amour pour le Pre - et ainsi inau-gure sa forme eucharistique - le Saint Esprit, qui unit le Pre et le Fils,devient esprit de la mission objective venant du Pre, esprit qui dans le Fils

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    veut l'accomplissement inconditionnel de la mission. Et cette objectivationde l'esprit d'amour est la condition de possibilit de la knose, en d'autrestermes : de l'ouverture de l'amour trinitaire dans la cration ; en d'autrestermes encore : de la transformation de la communication trinitaire encommunion eucharistique. L'objectivation de l'Esprit d'amour et en mmetemps sa transformation en un esprit objectif ecclsial, qui ne se laisse pasmesurer au critre de l'exprience religieuse personnelle. Pour lui, une ftede noces -entre le Christ-poux et l'glise-pouse- peut tre clbre lmme o tel croyant particulier n'en ressent pas beaucoup ou mme rien.Ce qu'il ressent comme dsolation peut tre dans le Saint Esprit ecclsialvritable consolation. Ce qu'il ressent comme rupture de la communica-tion, solitude dsolante dans le dsert du monde athe, peut tre dans le

    mme Esprit accomplissement de la communion, car celle-ci ne peut pas seraliser si elle n'inclut la croix du Christ, sa drliction, son expiration del'Esprit, sa descente aux enfers34.

    Exprience eucharistique de Paul

    Presss de toute part, nous ne sommes pas crass; dans desimpasses, mais nous arrivons passer; pourchasss, mais non rejoints; ter-

    rasss, mais non achevs; sans cesse nous portons dans notre corps l'ago-nie de Jsus afin que la vie de Jsus soit elle aussi manifeste dans notrecorps. (2 Cor 4,8-10 TOB) La profondeur de la configuration de l'existen-ce chrtienne l'existence du Christ ne devient manifeste que quand ontien compte des dimensions trinitaires de cette dernire, sinon on n'auraitqu'une relation prive et morale entre le chrtien et le Christ (qui ne peutd'ailleurs exister l'tat isol), et non sa plnitude et son principe ecclsia-

    le et sacramentel. Ce que Paul dcrit ici, est exprience eucharistique : com-ment le corps donn du Christ devient la loi interne du corps de Paul (c'est--dire de son existence concrte), comment l'eucharistie transforme l'exi-stence corporelle de Paul en une existence ecclsiale, plus simplement ; enun membre du corps du Christ. Dans la mesure o l'eucharistie ne peut trespare de l'glise et que l'glise est "imprgne" de l'Esprit Saint du Preet du Fils, la relation personnelle du croyant au Christ se dilate aux dimen-sions trinitaires. Loin d'tre relation prive avec le Christ, l'eucharistie est

    l'accueil, dans l'Eglise, de ce don du Pre qui est le Fils. Telle est la raisondfinitive qui permet de considrer la souffrance personnelle, comme fai-sant partie de la fte sur le plan ecclsiale et sacramentel. La fte de noces

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    est une totalit qui comprend tout, organise par Dieu le Pre avec le Filset l'Esprit, accomplie dans la mort et la rsurrection et l'Eglise et l'euchari-stie, tandis que le jene, le jugement, l'embarras des jarres vides, cela n'estjamais qu'un moment particulier l'intrieur de la fte35.

    AdorationLa vnration du Trs Saint Sacrement n'est pas une dvotion

    accessoire de l'Eglise. C'est la rponse ncessaire l'eucharistie en nous ;cette rponse elle-mme doit donc avoir une forme eucharistique, formeque von Balthasar dcrit l'aide des paires conceptuels tat - vnement etaction - contemplation.

    Etat -vnementLe thologien suisse crit : Le Seigneur vient, et c'est la son acte;

    mais cette venue n'est pas suivie d'un acte de dpart. Essayons de nousexprimer autrement : la clbration eucharistique est rellement un vne-ment, c'est pour ainsi dire une irruption de l'ternit dans le temps ; mais cette irruption ne suit aucun dpart de l'ternel hors du temps. Car l'ter-nit a rencontr dfinitivement le temps, elle est perptuellement en tat de

    transition vers le temps ; le temps et l'espace ont trouv dans le don duChrist "pour nous", "pour tous", le moyen de dpasser leurs limites en unetemporalit et une spatialit illimites : c'est l'indice que le don du Fils seconfond avec celui du Pre et de l'Esprit ternel. II n'y a plus lieu de fairede distinction entre tat et vnement : l'vnement ternel de l'amour tri-nitaire de Dieu, qui est galement son tat ternel, s'est manifest aumonde en un vnement unique, inconfondable, historique : l'incarnation,la vie, la mort et la rsurrection de Jsus Christ. Cet vnement unique afait de l'vnement- tat divin un vnement pour le monde "une fois pourtoutes" de sorte que chaque messe que l'on clbre proclame toujours nouveau cet "une fois pour toutes" de la mort de Jsus Christ. Mais elle leproclame de telle faon que, malgr la permanence du Seigneur qui necesse de se rpandre dans l'eucharistie, l'accent original de l'aujourd'hui etdu maintenant de sa venue, de sa vie, de sa mort, du don qu'il nous fait, esttoujours pos de faon nouvelle pour nous qui sommes plongs dans l'espa-

    ce et dans le temps. [] Et c'est pourquoi existe la "vnration du Trs SaintSacrement", partout o l'on conserve le Pain et le Vin de la clbration, queles croyants le voient ou non. Par cette vnration, le coeur voque et rend

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    prsent le point o l'amour ternel fait irruption dans le temps et o letemps s'ouvre l'amour ternel. Personne n'est capable de l'voquer et dese le rendre pleinement prsent au cours de la clbration communautaire.On s'avance et l'on reoit le Pain, peut-tre aussi le Vin, on le mange, onretourne sa place, et cinq minutes aprs, on sort de l'glise36.

    Action - contemplation

    Le thologien suisse poursuit : On trouve dans la vie de foi duchrtien quelque chose qui correspond la dualit vnement - tat tra-vers laquelle le Seigneur se manifeste dans l'eucharistie : c'est la dualitaction - contemplation. L'action sacramentelle renvoie une ralit qui ladpasse et, parce qu'elle est avant tout accueil de l'amour de Dieu, elleimplique une phase essentiellement contemplative, qui aspire se dployerau-del de l'acte. Je dois et je veux mditer et pntrer toujours plus pro-fondment "les grandes choses que le Seigneur a faites pour moi ". Je doiset je veux ouvrir les dimensions de mon existence spirituelle ce manger et ce boire matriels, car c'est elles que le Seigneur s'adresse en s'offrant amoi. Je dois largir cet acte matriel aux dimensions de mon existence, quiest elle-mme englobe par le trs saint vnement - tat du Seigneur

    eucharistique. Tout l'aspect profane de ma vie est clair par cette ralitsacrale. Le seul moyen que j'aie pour me prparer consciemment l'irra-diation de cette lumire, c'est la contemplation. [] La contemplation []est l'attitude du croyant qui tente de se montrer reconnaissant, de raliseren lui ce qu'il a reu dans le sacrement, d'absorber et de digrer spirituelle-ment ce qu'il a aval matriellement. Pour le chrtien, cet effort ne dpas-sera jamais le stade de la tentative. Mais la grce eucharistique prviendra

    cet effort pour l'largir aux dimensions de l'tat eucharistique

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    .Vanit de vanit

    L'infinie vanit du tout, expression chre au pote italienGiacomo Leopardi, est incluse dans la " vanit divine " de l'acte eucharisti-que. Von Balthasar crit : Le chrtien sait - parce que ses actes volontai-res lui ont permis d'approfondir ce savoir - que toute ralit profane estsous-tendue par quelque chose de Trs Saint qui la justifie. Pourquoi ?Parce que toutes ces ralits profanes, avec leurs significations si absorban-tes, sont en fin de compte dnues de sens, tant qu'elles ne trouvent pas au-del d'elles-mmes un fondement ultime; elles prennent une apparence

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    fantomatique et dsespre, elles fuient un prsent absurde pour se prci-piter vers un avenir apparemment plus riche de sens, mais dont la prcari-t, les ambiguts, la vanit n'chappent personne. Cette vanit qui mar-que tout aussi inexorablement que la mort nos efforts quotidiens pour trou-ver une signification l'existence, n'est-elle pas contenue pour le chrtiendans la trs sainte vanit qui caractrise l'eucharistie ? Quoi de plus inuti-le, en effet, que ce don total que Dieu nous fait dans le Christ, que cette sor-tie de Lui-mme et cette knose, que cette profusion et cette prodigalit,que ces perles jetes aux pourceaux ? Cette absurdit extrme est le seulfoyer de sens qui nous permette de nous orienter, si du moins nous dai-gnons renoncer pour une fois nos cerveaux lectroniques et nous mettre rflchir. Ce n'est pas en ajoutant les unes aux autres nos vanits, mme

    en nous servant d'un ordinateur, que nous obtiendrons une signification.Mais "ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est fai-blesse de Dieu est plus fort que les hommes" (1 Co 1, 25). Et si toute larecherche d'une signification qui se manifeste travers l'histoire de l'huma-nit doit avoir un sens aux yeux de Dieu, ce ne peut tre que dans la mesu-re o elle se trouve intgre, mesure et justifie par la folie et la faiblessede l' Amour de Dieu dans le Christ 38.

    ConclusionLe Mystre de l'eucharistie traverse tout le Mystre divin.

    L'abandon de Jsus Christ s'achve dans l'eucharistie : il s'abandonne auPre, l'Esprit, l'Eglise, aux pcheurs. Ainsi il entre dans son tat dfini-tif (eschatologique).

    La vie trinitaire elle-mme est marque par un mystre de dsap-propriation et de disponibilit totale, dont la forme est eucharistique.

    L'Eglise entre dans le feu de l'amour trinitaire en donnant son consente-ment, pour toute la cration, au sacrifice unique du Christ. Elle le faitd'abord avec Marie, nouvelle Eve (principe mariale) et ensuite avec SimonPierre, qui reprsente le nouvel Adam (principe ptrinien).L'eucharistie en nous abolit les frontires entre disposer de soi et lais-ser Dieu disposer de soi et par consquence entre passion et fte.

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    Notes

    1 H. U. von Balthasar, Dans l'engagement de Dieu, Paris, Apostolat des di-tions, 1973, p. 54-55.2 H. U. von Balthasar, La Gloire et la Croix, t. 3, Thologie 2. Nouvelle

    Alliance, trad. R. GIVORD, Paris, Aubier-Montaigne, 1975, p. 124.3Ibidem .4Ibidem , p. 124-125.5Ibidem, p. 127.6Ibidem , p. 129-130.7 H. U. von Balthasar, Nouveaux points de repres , Paris, Communio-Fayard,1980, p. 323.8 Ibidem p. 177-178.9 H. U. von Balthasar,Points de repres , trad. B. KAPP, Paris, Fayard, 1973.p.

    143.10 H. U. von Balthasar, Nouveaux points de repres , p. 324.11Ibidem, p. 179-180.12Ibidem, p. 180.13Ibidem, p. 326.14 H. U. von Balthasar,Pques, le mystre , trad. R. GIVORD, Paris, Cerf, 1996,p. 10-11.15 Ibidem.16 H. U. von Balthasar,La dramatique divine, t. 3, L'action, trad. R. GIVORD

    et C. Dumont, Namur, Culture et vrit, 1990, p. 307.17Ibidem, p. 306.18 Ibidem.19Ibidem.20 Ibidem, p. 361.21 H. U. von Balthasar, Die Messe ein Opfer der Kirche ?, dans SpiritusCreator, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1967, p. 205.22 H. U. von Balthasar, La dramatique divine, , p. 367.

    23 Cf. H. U. von Balthasar,Die Messe ein Opfer der Kirche ?.. ., p. 201-202.24 H. U. von Balthasar, Die Messe ein Opfer der Kirche ?..., p. 197.25Ibidem .26 Cf. H. U.von Balthasar, Le chrtien Bernanos, trad. M. DE GANDILLAC,Paris, Seuil, p. 476.27 Cf. H. U. von Balthasar,La dramatique divine, , p. 367.28 Cf. H. U. von Balthasar,Points de repres , p. 84 et H. U. von Balthasar,

    Die Messe ein Opfer der Kirche ?..., p. 202-20429 H. U. von Balthasar, La dramatique divine, , p. 369.

    30 H. U. von Balthasar,La dramatique divine, , p. 370.31 H. U. von Balthasar, La dramatique divine, , p. 371-372.32 H. U. von Balthasar,Nouveaux points de repres , p. 327-328.33 Ibidem.

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    34 Ibidem.35Ibidem.36 H. U. von Balthasar,Points de repres , p. 146-147.37 Ibidem.38 Ibidem.

    Bibliographie

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    Couvent des Carmes - Bruxelles -