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Janvier 2000 N° 13 DÉVELOPPEMENT DURABLE VILLES ET TERRITOIRES Innover et décloisonner pour anticiper les ruptures Jacques THEYS

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Janvier 2000

N° 13

DÉVELOPPEMENT DURABLEVILLES ET TERRITOIRES

Innover et décloisonner pour anticiper les ruptures

Jacques THEYS

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Articles de Jacques T H E Y S, avec les collaborationsde Cyria E M E L I A N O F F, Ariel A L E X A N D R E,

Marc W E C K S T E I N, Paul Henry B O U R R E L I E Ret du Center for Energy and Climate Solutions

DÉVELOPPEMENT DURABLEVILLES ET TERRITOIRES

Du concept à sa mesure et à sa mise en œuvre : innover et décloisonner pour anticiper les ruptures

Tous les textes publiés dans ce document n’engagent que leurs auteurs. L’ a rticle sur les “Contradictions de la ville durable”, destiné à être publié dans une revue sous une forme un peu différente, ne doit pas être cité ou re p roduit avanto c t o b re 2000.

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Après une longue période de scepti-cisme ou d'indifférence, le “dévelop-pement durable” commence aujour-d'hui à susciter une certaine curiositébienveillante, mais également à in-fluencer les pratiques des entreprisesou des institutions publiques. C'est enparticulier le cas dans les domaines del'aménagement du territoire et des po-litiques urbaines – où l'on constate quecette préoccupation est en effet pro-gressivement intégrée, sous la pres-sion des problèmes de terrain, et l'im-pulsion conjointe des politiques gou-vernementales, locales ou internatio-n a l e1.

Si l'intérêt est manifestement plusgrand qu'il y a quelques années, beau-coup de difficultés se posent néan-moins pour donner un caractèreconcret à un concept qui reste à l'évi-dence beaucoup trop large et imprécis.Il y a une forte demande de clarifica-tion - mais aussi d'outils pratiques, de-mandes qui ne sont ni l'une ni l'autreactuellement satisfaites.

C'est dans ce contexte qu'il a sembléutile de rassembler dans un mêmedossier un ensemble d'interventionsou de travaux récents portant tous -d'une manière ou d'une autre - sur lesrelations entre développement durableet aménagement du territoire, déve-loppement durable et politiques ur-baines. L'ambition n'est pas de fournirdirectement des outils opérationnels -il faudrait, pour cela, descendre à unniveau beaucoup plus fin -, mais plusmodestement de contribuer à insérerces outils dans un cadre plus cohérent.

Le document est structuré autour deq u a t re grands axes comprenant cha-

cun deux textes différents, et souventplusieurs annexes. Sont ainsi successi-vement abordés :

• Le “développement durable” du ter -r i t o i re ;• Le projet de “ville durable” et sescontradictions ;• Les indicateurs de développementdurable ;• Les perspectives en matière de re -c h e rche et d'innovation – abord é e s ,notamment, par le biais de “l'écologiei n d u s t r i e l l e ” .

Beaucoup des textes présentés sont lefruit de collaborations. Soit avec desauteurs – Cyria Emelianoff, ArielAlexandre, Marc We c k s t e i n . Soit avecdes institutions : la DATAR, l'InstitutFrançais de l'Environnement, l'Unive-sité Technologique de Troyes, le Club“BatiVille”… Certaines annexesconstituent même des apports totale-ment extérieurs (textes de Paul-HenryB o u r r e l i e r, de Cyria Emelianoff ou duCenter for Energy and ClimateSolutions). Il faut donc considérer cedossier également comme le produitd'un travail “collectif” – même si laresponsabilité d'ensemble est indivi-d u e l l e2.

Si plusieurs des articles contiennentune forte dimension critique, l'accentreste mis essentiellement sur les op-portunités qu'ouvre le concept de dé-veloppement durable.

Opportunités pas seulement pour uneprévention plus efficace des pro-blèmes d’environnement locaux ouglobaux, mais aussi pour l’innovationtechnologique (voir les deux textes surla construction et “l’écologie indus-

3

INTRODUCTION

1 Voir la “loi d’orientation pour l’aménagementet le développement durable du territoire” ou leprojet de loi sur l’aménagement et le développe-ment urbain.Le “développement durable” faitpartie des objectifs stratégiques du programmede modernisation du Ministère de l’Équipement,et a été explicitement intégré comme un des ob-jectifs de la Communauté européenne dans letraité de Maastricht.2 Les articles sans signature explicite ont étéécrits par Jacques Theys.Comme toutes les notesCPVS, le présent dossier n’engage que ses au-t e u r s .

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trielle”), pour la modernisation del’action publique, pour la réductiondes inégalités, et finalement, pour uneredynamisation de la vie démocra-tique – autour de la gestion à longterme des biens communs. Ces oppor-tunités seront néanmoins d’autant plusfacilement saisies par tous les acteursconcernés que, par ailleurs, des dispo-sitions seront prises pour éviter les si-tuations dont on sait déjà qu’elles sontmanifestement non durables. Et s’il nefallait retenir qu’une idée de ces diff é-rents papiers, ce serait celle d’une di-symétrie majeure entre politiques de“développement durable” et stratégiesde prévention des situations à l’évi-dence non durables (voir le premiertexte sur l’aménagement du territoire).

Volontairement tous les articles ras-semblés ici privilégient les aspects lo-caux et territoriaux de développementdurable. La dimension internationale

est très peu abordée directement –qu’il s’agisse de l’effet de serre, desenjeux de l’intégration européenne, oudes politiques commerciales (OMC,e ffets de la globalisation écono-mique...). L’une des raisons de cechoix est que ces aspects avaient déjàfait l’objet d’une autre note précédentedu Centre de Prospective3. De fait cedocument s’intègre dans une suitecontinue de travaux menés sur lemême thème par le CPVS et l’en-semble de la DRAST, qui en a fait unede ses orientations stratégiques (dansune perspective privilégiant fortementl’innovation). C’est par rapport à ceprogramme d’ensemble que les posi-tions personnelles prises ici, (commec’est le cas pour toutes les notes duCentre de prospective) doivent êtrelues et relativisées4 .

Jacques Theys

4

3 Note publiée en 1997 sous le titre: E n t re “gou -vernance” et “ingouvernabilité”: quelle formede gouvernement pour les changementsg l o b a u x ?4 On trouvera, à la fin de ce document, une listede quelques-uns des travaux publiés par leCentre de Prospective.

Les auteurs : Jacques T H E Y S est responsable du Centre de Prospective etde veille scientifique de la DRAST et directeur scientifique de l’InstitutFrançais de l’Environnement, Cyria E M E L I A N O F F est chargée de recherche au CSTB et chargée de cours à l’Université Technologique deTroyes, Ariel A L E X A N D R E est consultant, ancien directeur des aff a i r e surbaines de l’OCDE, Paul-Henry BOURRELIER est ingénieur général desMines, ancien président de la commission d’évaluation sur la politique deprévention des catastrophes naturelles, Marc W E K S T E I N est chef de dé-partement au CSTB.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

PARTIE I : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DÉVELOPPEMENT DURABLE ET GESTION DES RISQUES . . . . . . . . . . . . . . . . 7

– Un nouveau principe d’action pour l’aménagement du terroitoire ? :le développement durable et la confusion des (bons) sentiments . . . 9

• Annexe 1 : Les tendances “non durables” de l’aménagement du t e rr i t o i re euro p é e n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 5

• Annexe 2 : Retour de la croissance, retour de la mobilité ? . . . . . . 3 7

– Prévention des catastrophes naturelles et développement durable : deux univers de préoccupation qui s’ignorent . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 9

• Annexe 1 : P a u l - H e n ry Bourrelier : A propos des catastro p h e sn a t u relles, les problèmes posés par les évènements e x t r ê m e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 7

PARTIE II : LES VILLES DURABLES, ENTRE PROJET ET RÉALITÉ . . . . . 51

– Les contradictions de la ville durable (Cyria Emelianoff et Jacques Theys) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 3

• Annexe 1 : Cyria Emilianoff : l’agenda 21 de la Grande Synthe . . 6 5• Annexe 2 : SELA : quand inégalités sociales et inégalités

écologiques se cumulent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1

– Synthèse de l’atelier “ville durables, villes vunérables du colloque international de La Rochelle (1998) sur les ‘villes du XXIe s i è c l e ’ ”(Ariel Alexandre et Jacques Theys) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 5

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PARTIE III : QUELS INDICATEURS POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

– Vers des indicateurs de développement durable : se mettre d’accord sur une architecture avant d’empiler les briques (texte fait pour l’IFEN) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 5

– Vers des indicateurs de développement durable pour la construction(Club BatiVi l l e : Jacques Theys et Marc We c k s t e i n ) . . . . . . . . . . . . 9 9

PARTIE IV : QUESTIONS À L’INNOVATION ET À LA RECHERCHE . . . . 109

– Quelles recherches sur le développement durable ? un détour par les indicateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

– L’écologie industrielle : quelles perspectives à l’aube du XXIe s i è c l e ?Synthèse du colloques de Troyes (1999) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 9

• Annexe 1 : The Center for Energy and Climate Solution : The Internet Economy and Global Wa r m i n g . . . . . . . . 1 2 9

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Pa rt i e I

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,DÉVELOPPEMENT DURABLEET GESTION DES RISQUES

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Essayons, puisque l’occasion s’yprête, d’imaginer ce que sera la poli-tique d’aménagement du territoired’ici vingt ans. La décentralisation auprofit des agglomérations, des régionsou des “pays” sera faite... ou aura dé-finitivement échoué. L’ e ffort d’équi-pement lourd du territoire, commencédans les années 60, sera en majeurepartie achevée, ou en voie de l’être.L’échelle européenne sera devenue laréférence “naturelle” dans les grandschoix de localisation économique - etles institutions de Bruxelles aurontvraisemblablement pris le relais desstructures nationales - pour tenter deles infléchir. Que restera-t-il ? Sansdoute les politiques de services pu-blics et de redistribution sociale. Sansdoute aussi le “développement du-r a b l e”.

Que le “développement durable”puisse, à terme, devenir un des prin-cipes d’action majeur de la politiqued’aménagement du territoire n’estpourtant pas, aujourd’hui, une hypo-thèse qui apparaît très sérieuse1. Aforce de vouloir tout englober et dechercher désespérément à concilierl’inconciliable, le “développement du-r a b l e” est encore le plus souvent,rangé dans la catégorie des “bons sen-t i m e n t s” (“whishfull thinkings”) -heureusement sans contenu opéra-toire. Encore s’agit-il d’un comporte-ment “d’initiés” : une enquête réaliséerécemment dans la région Rhône-Alpes nous rappelle opportunémentque près de 95 % de la population dela région n’a aucune idée de ce dont ils ’ a g i t ; mais aussi, ce qui est plus ré-v é l a t e u r, près de 60 % des maires2.

L’ a ffichage du “développement du-r a b l e” dans le titre même de la nou-velle loi sur l’aménagement du terri-t o i r e3 contribuera, peut-être, à modi-fier ce déficit de notoriété, mais sansdoute pas à convaincre beaucoup des c e p t i q u e s : l’usage, désormais pres-que rituel, de l’expression n’en fait pasipso facto une priorité politique.S’agirait-il d’ailleurs d’une prioritéque se poserait immédiatement unproblème de contenu : car malgré sesambitions normatives, le développe-ment durable se prête difficilement àtoute forme de rationalisation à priori.On ne peut attendre de la science oudes experts qu’ils fournissent sur cethème le “prêt à porter” qu’on leur de-mande – ce qui renvoie les acteurs so-ciaux à la responsabilité de construire(et d’affirmer positivement) unconsensus des plus improbables. Cedouble constat s’applique tout particu-lièrement à l’aménagement du terri-toire.

Le paradoxe, pourtant, est que le mot“ f o n c t i o n n e”. A Bruxelles, des mil-liers d’agriculteurs, anticipant les re-vendications de Seattle, défilent pourune “agriculture durable”. A Aalborg ,une centaine de ville européennes, dé-cident de créer un réseau des “villesd u r a b l e s”, entraînant dans leur sillagetoute une “floraison d’Agendas 21”l o c a u x4. A Paris, l’OCDE, aprèsl’échec de “l’AMI”, fait du dévelop-pement durable, un de ses axes ma-jeurs de réflexion... Tout cela estcertes fragile et ambigu. Mais nesommes-nous pas en train d’assister àla construction d’un “nouveau myther a t i o n n e l”, sans lequel, nous rappelle

UN NOUVEAU PRINCIPE D’ACTION POUR L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ? :

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA CONFUSION DES (BONS) SENTIMENTS*

* Texte écrit en avril 1999 dans le cadre dug roupe de travail commun à la DATAR et auCPVS (DRAST) sur “L’avenir des politiquesd’aménagement du territoire ” . L’ e n s e m b l edes travaux de ce groupe sera pro c h a i n e m e n tpublié aux éditions de L’ A U B E - D ATA R .1A telle enseigne que, par exemple, la probléma-tique du “développement durable” n’apparaît pasexplicitement dans les travaux de prospectivelancés récememnt par la DATAR (“scénariospour la France de 2020”…).2 S o u r c e : Mission “Prospective et Stratégie” d ela Communauté Urbaine de Lyon – 1998.3 On est passé d’une “loi d’orientation pourl’aménagement et le développement dut e r r i t o i r e”(“loi PA S Q U A”) à une “loi d’orienta-tion pour l’aménagement et le développementdurable du territoire”(“loi Vo y n e t”) .4 La Charte d’Aalborg a été signée en mai 1994par 80 villes européennes. Environ 2000 collecti-vités s’étaient, en 1997, engagées, à l’échellemondiale dans l’élaboration d’Agendas 21 (pro-grammes locaux de développement durable).

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Armand Hatchuel, il ne peut y avoird’action collective org a n i s é e ?5. C’estl’hypothèse que l’on explorera icisous trois angles et à partir de troisp r o p o s i t i o n s :

– il existe, semble t-il, aujourd’hui, un“ e s p a c e” favorable à l’émergence du“développement durable” c o m m eprincipe d’action en matière d’aména-gement du territoire, ce qui n’était pasle cas il y a dix ans (approche histo-r i q u e ) ;

– pour devenir opératoire, ce principeappelle néanmoins une “praxis pu-

b l i q u e” o r i g i n a l e6, qui passe à la foispar des réformes institutionnelles et une ffort plus rigoureux de constructiondu concept (approche analytique) ;

– le pronostic, contrasté, que l’on peutfaire sur la probabilité de ces ré-formes, ouvre finalement plusieursscénarios possibles pour une transitionvers un aménagement du territoireplus durable, même si les marges demanoeuvre à court terme paraissentsingulièrement étroites (approchep r o s p e c t i v e

5 Armand Hatchuel – “L’action collective –C o o rdination, conseil, planification”– Annaleslittéraires de l’Université de Franche-Comté –1 9 9 8 .6 Pour reprendre le constat fait également parJ . G. Padioleau – dans son article : “R e f o n d a t i o n sl i m i n a i res de l’action publique conventionnelle(Groupe DATAR / CPVS – Décembre 1998).7 Sur cette histoire de la réception, en France, durapport Bruntland, voir les actes du colloque or-ganisé par l’Université Paris I (C3ED) en 1994(intervention de J. Theys).8 Sur ces effets en chaîne, voir l’article deFrancesco di Castri publié dans le tome 1 desactes du colloque de Fontevraud:“L’ E n v i ronnement au XXIème siècle”(les effetsen chaîne des globalisations), GERMES.

À L'ÉCOUTE DES RUPTURES : QUEL CHOIX DE TRAJECTOIRES ?

De 1987 à 1999 :Un changement radicalde perspectivesUne bonne idée, dit-on, est une idéequi vient au bon moment.

A l’évidence, ce n’est pas le cas enFrance, lorsque la CommissionBRUNTLAND publie le rapport quiva populariser le concept de “dévelop-pement durable” à l’échelle mondiale.En 1987, toute l’Europe continue à gé-rer les conséquences de la crise com-mencée en 1973; la priorité est aux re-structurations industrielles. MACIN-TOSH vient à peine de mettre sur lemarché le premier ordinateur indivi-duel. Le mur de Berlin n’est pas en-core tombé. Personne ne sait ce qu’estl ’ e ffet de serre. Il n’est pas étonnantque le “Développement Durable” s o i tperçu en France avec la plus extrêmeméfiance – pour ne pas dire dans laplus grande indifférence – comme unnouvel avatar de la bonne consciencea n g l o - s a x o n n e7.

Dix ans plus tard, la situation est trèsd i fférente. Non qu’on ait beaucoupprogressé pour donner un contenuplus précis au mot d’ordre, toujoursaussi flou, lancé par Mme Bruntland.Mais parce que les circonstances fontdésormais de ce “prêt à penser”, de ce“mythe rationalisateur”, une opportu-nité réelle pour l’action.

Les circonstances, c’est la conver-gence, tout à fait exceptionnelle, dechangements majeurs ou de bifurca-tions décisives à prendre dans les dixans à venir :

– la mise en place de la monnaieunique et de l’Agenda 2000, avec laperspective d’une intégration crois-sante de la France dans “l’Euroland”,d’une concurrence beaucoup plus viveentre les territoires, et d’une redistri-bution des aides européennes au profitdes futurs “adhérents” de la Commu-nauté élarg i e ;

– l’arrivée massive dans l’économieet la vie quotidienne des technologiesde l’information, puis des biotechno-l o g i e s ; et la constitution, autourd’elles, d’un “nouveau système tech-n i q u e”, dans lequel les services, maisaussi l’environnement, vont sansdoute jouer un rôle majeur ;

– les effets en chaîne des diff é r e n t e sformes de globalisation commerciale,financière, culturelle, écologique...8, etleurs multiples conséquences écono-miques (métropolisation, croissance dela mobilité, dérégulation des servicespublics, flexibilité, délocalisation...) ;

-– la mise en œuvre des 35 heures ;

– l’arrivée à l’âge de la retraite des“baby boomers”, avec ses consé-

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quences sur les modes de vie et lescomptes sociaux ;

-– la crise, de plus en plus manifestede l’intégration sociale, en particulierdans les villes ; et la remise en cause,qui en résulte, de la légitimité de l’ac-tion publique et, peut-être même, plusl a rgement, de l’ensemble du systèmep o l i t i q u e ;

– l’épuisement des effets de la décen-tralisation et le constat d’une certaineinadaptation des institutions locales àmaîtriser l’éclatement urbain et la dis-parition des frontières ville-c a m p a g n e ;

– l’émergence d’une attitude plus cri-tique par rapport aux risques liés à lamodernité, ou à une certaine concep-tion du productivisme9, s’accompa-gnant d’une sensibilité accrue aux en-jeux historiquement portés par l’éco-l o g i e ;

-– le choix, enfin, qui devra être fait,d’ici dix ans, d’une nouvelle politiqueé n e rgétique (abandon ou pas du nu-cléaire, mise en oeuvre ou pas des en-gagements sur l’effet de serre...).

Cette conjonction de tendances,d’événements, ou de choix à faireimpose de penser la période 2000-2007, qui sera celle des futurscontrats de plan, non pas dans lacontinuité des engagements encours mais comme une rupture ra-d i c a l e . Dans la redistribution descartes qui va en résulter, de nouveauxespaces de liberté vont être crées, desbifurcations vont s’ouvrir, et il im-porte de ne pas trop se tromper de tra-jectoire. C’est dans un tel contexte quele concept de développement durableprend tout son intérêt puisqu’il n’estrien d’autre, d’abord, qu’une règled’action à long terme en situationd’incertitude (“agir de manière à satis-faire les besoins des générations pré-sentes sans compromettre la possibi-lité des générations futures de satis-faire les leurs”1 0) – et donc une façonde gérer les risques liés à ce choix detrajectoires. Une simple règle de pru-dence dont il semble désormais diff i-cile de faire l’économie : “n ’ e n t ro n snous pas”, comme l’affirme AlainTo u r a i n e11, “dans une nouvelle histoirede la croissance où il ne sera plus rai -

sonnablement possible d’ignorer lesrisques sociaux ou écologiques quecelle-ci génère ?”.

Une opportunité est donc ouverte: en-core faut-il, pour qu’elle soit saisie,que les enjeux politiques qui lui sontliés soient perçus de manière suff i-samment claire – ce qui n’est sansdoute pas le cas aujourd’hui.

La rupture socio-économique : quel choixde modèle territorial decroissance ?

Une économie nouvelle fondée surl’information et les technologies duvivant, mais aussi sur les services etles loisirs est entrain d’émerger àl’échelle mondiale. Une des questionsessentielles pour l’aménagement duterritoire est de savoir comment cenouveau “système technique” va set e r r i t o r i a l i s e r. Pour la France, l’enjeuest particulièrement important : v at’on passer d’une stratégie d’écono-mie d’espace à une stratégie de gas-p i l l a g e ? S’il faut parler de bifurca-tion, c’est que ce choix au moins pournotre pays, reste encore ouvert.Si tous les pays n’ont pas la mêmestratégie d’aménagement ou deconservation de l’espace, c’est, natu-rellement, d’abord, parce qu’ils n’ontpas la même géographie ; et il n’y au-cune raison de penser, que cettecontrainte ne pèsera pas du mêmepoids dans le futur. Dans le cas del’agriculture, on voit bien1 2, parexemple, à quel point la disponibilitéen sol a déterminé des trajectoires deproduction extrêmement diff é r e n t e sentre des pays comme le Japon, l e sEtats-Unis, l’Australie – ou la majo-rité des pays européens. On pourraitfaire le même constat pour les villesou pour la production/consomma-tion d’énergie (schémas 1 et 2). Remarquons simplement que certainspays semblent moins “déterminés”que d’autres. C’est le cas, en particu-l i e r, de la France, manifestement “àc h e v a l” entre “l’Europe” et “les Etats-U n i s ” ; et qui peut donc à tout moment“ b a s c u l e r” d’un modèle à un autre, ense donnant l’illusion d’un choix dontelle n’a pas nécessairement lesm o y e n s . . .

11

9 Sur la nature de ces risques et sur cette prise deconscience, critique, voir, en particulier, le livred’Anthony Giddens: “Les conséquences de lam o d e r n i t é”, éditions L’harmattan, 1994 (publiéen anglais en 1990).1 0 Définition du rapport Bruntland.11 Alain Touraine, Pour sortir du libéralisme,Fayard, 1999 – Alain Touraine distingue troisétapes du développement économique: “accu-m u l a t i o n” ; “fondation de l’Etat providence” ; et“développement durable”.1 2 S o u r c e : Hayami et Rottan, “A g r i c u l t u r a lD e v e l o p m e n t : an International Perspective”.J H U P, 1985. Repris et adapté par Arnulf Grübler– Technology and Global Change. CambridgeUniversity Press, 1998.

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Trajectoires agricoles nationales : des stratégies différentes d'usage de l'espace

SCHÉMA N°1 :

SCHÉMA N°2 :

Production agricole par agriculteur

PNB/habitant (US$ 1990)

O GDPmer : PNB taux de change courant MEA : Moyen-Orient● GDPppp : PNB en parité de pouvoir d'achat NAM : Amérique du NordWEU : Europe de l'Ouest PAO : Asie-Pacifique-OcéanieEEU : Europe de l'Est LAM : Amérique LatineFSU : Ancienne URSS AFR : AfriqueSAS : Asie du Sud

Sur quelle trajectoire énergétique voulons-nous nous situer ?

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Mais, au-delà de la géographie, lesformes d’utilisation de l’espace sontaussi, bien évidemment, influencéespar les logiques technico économiquesdominantes. Le modèle “fordiste” d e sannées 50-80 s’était accompagnéd’une forte spécialisation fonction-nelle de l’espace, d’une décentralisa-tion sélective de l’appareil productif1 3,et d’un certain volontarisme en ma-tière de maîtrise foncière. Le nouveausystème “post fordien” qui émerge –caractérisé par une mise en concur-rence beaucoup plus vive des terri-toires et la recherche d’un maximumde flexibilité – semble, au contraire,devoir favoriser un recentrage sur lesmétropoles, une croissance encoreplus forte de la mobilité, et un usagebeaucoup plus anarchique et extensifdes espaces disponibles. “Plus la so -ciété va choisir le modèle de la flexibi -lité, et donc d’une polarisation enterme de revenus et de qualifications,plus l’urbanisation va, elle aussi, se po -l a r i s e r, mais de manière désorg a n i s é e ,dans les grandes villes : c’est la ville“ s t o c h a s t i q u e” ou “émerg e n t e”1 4”. Demême peut-on craindre que la globali-sation des marchés ne conduise à lagénéralisation du modèle d’exploita-tion agricole à “l’américaine” ( m o b i l i-sant beaucoup de capitaux et de tech-nologies nouvelles sur des espaces deplus en plus grands), et à une exten-sion sans cesse croissante des “terri-toires de la mobilité” – elle aussi for-tement consommatrice d’espace1 5.

Ce modèle extensif à l’américainen’est cependant pas le seul qui pa-raisse performant dans la compétitionterritoriale ouverte par les nouvellestechnologies et la globalisation.

On lui oppose de plus en plus un modèle “qualitatif” – apparemmenttout aussi attractif dans la course à l’innovation : celui symbolisé parle Bade Wurtemberg, la Bavière ouS i n g a p o u r1 6 ; modèle qui, au contraire,met l’accent sur l’économie et lamaîtrise de l’espace. L’utopie est icicelle de la “qualité totale” – niveauélevé de qualification et de forma-tion, qualité des infrastructures, qua-lité des relations sociales, qualité del’environnement, maximum de sécu-rité, ... bref le “zéro défaut” appliquéau territoire17.

A cause de son histoire et de sa si-tuation géographique – intermédiaireentre les Etats-Unis et les régionsdenses de l’Europe – la France estl’un des rares pays qui puisse encorechoisir entre ces deux modèles decroissance territoriale : “extensif” o u“ q u a l i t a t i f”. N’étant ni les Pays Bas,“ j a r d i n i e r s” par nécessité, ni laFinlande, au patrimoine inépuisable,elle ne peut, aujourd’hui, faire l’éco-nomie d’une stratégie spatiale1 8.C’est à ce choix décisif que sont déjàconfrontés l’agriculture, la conserva-tion de la nature et la politique ur-baine. Pour les générations futures, ilest clair qu’il s’agit d’une bifurcatione s s e n t i e l l e.

Mais la perspective du développementdurable invite, sans doute, à aller plusloin et, peut-être, à imaginer une troi-sième voie plus novatrice. Car mêmes’il intègre plus fortement la dimension“ e n v i r o n n e m e n t”, le modèle de“l’Allemagne du Sud” (pour ne pasparler de la Suisse ou de Singapour)présente l’inconvénient majeur de re-poser en grande partie sur l’exclusionsociale et l’externalisation des risques1 9.Au delà de l’opposition classique entre“capitalisme américain” et “capita-lisme rhénan”, “ville californienne” e t“ville rhénane”, le modèle d’un déve-loppement territorial soutenable, éco-nome en espace, mais aussi sociale-ment moins inégalitaire, reste donc en-core très largement à inventer2 0 – ce quiconstitue, finalement, une perspectivetrès stimulante pour la future politiqued’aménagement au territoire.

E n t re virtuel et réel :des terr i t o i res à re d é f i n i r

Une autre bifurcation à venirconcerne, plus fondamentalement en-core, la notion de territoire elle-même.

C’est autour des territoires ques’étaient, depuis des millénaires,structurés les activités, les modes devie, les institutions, les Etats. Cetteépoque de “sédentarisation” est, sansdoute, en train de s’achever.

Désormais la terre n’est plus un fac-teur de production indispensable audéveloppement des activités agricoles,

1 3 Avec un double mouvement de centralisationdes fonctions financières ou de“ c o m m a n d e m e n t”et de décentralisation destâches productives peu qualifiées.1 4 Citation empruntée à Alain Lipietz.Intervention du 19 juin 98 au séminaire“Ecologie Urbaine” o rganisé par la RATP (Actespubliés en mai 1999 – RATP – MissionProspective – N°122).1 5 Les négociations en cours à l’OMC et l’échecdes négociations de Carthagène ouvrent la pers-pective d’une dérégulation des marchés agricoleset d’un usage généralisé des organismes généti-quement modifiés en agriculture – tous deux fa-vorables au développement de grandes exploita-tions fortement capitalistiques.1 6 Même si Singapour n’a rien à voir avec laBavière du point de vue du fonctionnement de ladémocratie, certaines similitudes existent dans letraitement des inégalités sociales.1 7 On se situe dans une perspective où la “qualitég l o b a l e”dépend de celle du “maillon le plusf a i b l e”. Voir sur ce point les thèses de D. Cohensur lesappariements sélectifs, et la théorie du“O. RING”(Richesse du monde – pauvreté desn a t i o n s – Flammarion 1997).1 8 Par rapport à ses voisins, la France n’a appa-remment pas de problème d’espace, mais cettemoyenne masque une très grande hétérogénéité,des conflitstrès aigus dans certaines zonesconvoitées, et la relative pénurie d’espaces vrai-ment naturels de grande étendue.1 9 Voir l’article publié au printemps 99 parAlexandre Adler dans le Monde: “La nouvelleAllemagne ou le malentendu social Démocrate”.2 0 La question est extrêmement générale puis-qu’elle concerne aussi bien la maîtrise de l’ex-tension urbaine (“reconstruire la ville sur elle-même, canaliser la périurbanisation autour desréseaux de transports publics”) que la logistiquedes transports de marchandise, le statut foncierdes exploitations agricoles – aujourd’hui défavo-rable au maintien d’une agriculture de qualité –ou beaucoup d’autres enjeux à la fois écono-miques et spatiaux. Parmi les modèles régionauxde développement durable, on cite souventl’exemple de l’Emilie Romagne.

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ou, en tout cas, elle n’est plus le fac-teur majeur: de ressource rare, elle de-vient progressivement une charge encapital lourde à amortir. Il en est demême pour l’industrie qui, depuisbeaucoup plus longtemps, s’est aff r a n-chie de toute base locale ; “ l ’ é c o n o -mie contemporaine est ainsi massive -ment une économie de la déterr i t o r i a -lisation – avant d’être demain, peut-ê t re, celle de la virt u a l i s a t i o n”2 1. Pourles uns comme les autres, l’enjeu estmoins de maîtriser un territoire qued’accéder à des réseaux, pour partie,eux aussi déterritorialisés – ou sous-traits aux régulations territoriales...La sociabilité, elle aussi, ne se limiteplus aux relations de voisinage :comme le remarque, là encore, PierreL e v y, “l’humanité n’a jamais consacréautant de ses ressources à ne pas êtrel à ; à manger, dormir, travailler, se di-v e r t i r, vivre, hors de chez soi ; à s’éloi-gner de son domicile”2 2. En passant enmoyenne trois heures par jour devantla télévision on a, aujourd’hui, beau-coup plus de chance de connaître LosAngeles que certains quartiers de laville où l’on habite... et demainInternet ou les multimédias permet-tront de créer à l’infini des territoiresvirtuels nés d’une “collectivité de cer-veaux reliés les uns aux autres” – au-tant de mondes artificiels ou fictifs dif-férents à l’intérieur du cybermonde2 3.

La ville, elle même, s’affranchit du ter-ritoire et s’étend “hors des murs” s u run espace de plus en plus indéfinis-s a b l e : on passe irréversiblement de la“ville terroir” à une “nébuleuse écla-t é e”2 4 – sans centre ni périphérie ; et del’espace politique commun de la “cité”à un archipel de micro sociétés frag-mentées, repliées sur leur “entre soi”. . .

Il serait à l’évidence tout à fait excessifd’en déduire que la société immaté-rielle sera ainsi fondamentalement unesociété “hors sol”: il est clair, en re-vanche, que le risque de disjonctionentre territoire de production, territoirevécu, territoire institutionnel, et terri-toire représenté sera de plus en plusfort, faisant du territoire lui-même unenotion de plus en plus abstraite – aveccomme possible conséquence un aff a i-blissement sensible des fondementsmême de la politique2 5.

Le paradoxe est qu’au moment où sonrôle de support des activités maté-rielles se réduit, le territoire se voit in-vesti de nouvelles vertus ou valeurss y m b o l i q u e s : capacité à construiredes réseaux, cohésion, authenticité,sécurité, démocratie, conservation dupatrimoine, emploi... Selon GillesL i p o v e t s k y, cet intérêt ne serait pasc o n j o n c t u r e l : comme la décentralisa-tion, la muséographie, ou l’écolo-gisme, il s’accorderait parfaitementavec la sensibilité de l’individu “postm o d e r n e” en quête d’identité et d’af-firmation des diff é r e n c e s2 6”. Commele confirment plusieurs enquêtes ré-centes c’est ainsi tout un nouvel ima-ginaire du territoire qui se construit,dans lequel l’environnement, la com-munication et les loisirs occupent uneplace importante ; où ce n’est plus laville mais la campagne qui “rend libreet donne la sécurité” ; où la préfé-rence est donnée à des solutions quipermettent de “vivre en ville à la cam-p a g n e”. . .2 7

L’économie, elle aussi, redécouvre lelocal et produit, en permanence, denouveaux territoires symboliques(“hauts lieux”,“enclaves”, “zonesm a rginalisés”, “villes globales”...).Plus l’espace se banalise, plus la re-présentation que l’on se fait de terri-toires particuliers prend, en effet, del’importance – et crée de la valeur. Carc’est là, peut-être, une des bonnes sur-prises de l’aménagement du territoireque cette redécouverte par l’économiede la singularité des espaces, non pastellement comme lieux géogra-phiques, mais comme “multiplica-t e u r s” d’opportunités (“les effets ex-ternes positifs”) – et supports virtuelsde relations de proximité, de réseauxde confiance, de modes d’org a n i s a t i o nspécifiques. Là encore, pourtant, ils’agit en partie d’images ; de bonneset de mauvaises réputations qui se fontet se défont rapidement – rendant lesterritoires presque aussi “volatiles”que les produits qui s’y fabriquent,soumis, comme eux, à des stratégiesde marketing plus ou moins eff i c a c e s .Seules, finalement, quelques grandesmétropoles réussissent à échapper àcette redistribution permanente descartes symboliques.

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2 1 S o u r c e : Pierre Levy: “Qu’est-ce-que lev i rt u e l ?”. La Découverte/Poche. 1998.Désormais largement plus de la moitié du PNBmondial est consacrée à des activités comme letransport, le tourisme, la communication, l’infor-mation, la distribution... toutes liées à la mobilité.2 2 Le quartier tendant à n’être plus le territoireprivilégié que pour les personnes captives: per-sonnes âgées, jeunes enfants, personnes sans res-sources ou vivant dans les cités enclavées.2 3 Voir Pierre Levy, L’intelligence Collective,Pour une anthropologie du Cyberspace. LaDécouverte, 1994.2 4 Evolution pressentie dès 1913 par l’italienGiovannoni (comme le rappelle FrançoiseChoay) et dont l’école de Chicago avait, dès lesannées 30, anticipé les conséquences sociales.2 5 Vo i r, sur ce point, les travaux de Jean-MarieGuehenno (“La fin de la Démocratie –Flammarion 1993) et de Bertrand Badie.2 6 Gilles Lipovetsky, L’ È re du vide, Essai surl’individualisme contemporain, Gallimard, 1983.2 7 Selon un sondage récemment réalisé parl’IFOP pour le Sénat, 44% des français interro-gés voudraient vivre, d’ici 10 ans, dans une com-mune rurale, 26% dans une ville moyenne deprovince, 11% dans une grande ville, 5% en ban-lieue parisienne et 4% seulement à Paris même.Ces tendances confirment d’autres enquêtes (CE-VIPOF pour le DATAR en 1994, travaux del ’ I F E N . . . )

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Il y a naturellement une contradic-tion préoccupante entre cette idéali-sation du territoire, amplifiée parl’extrême ramification du systèmeinstitutionnel français, et son désin-vestissement physique, lié aux évo-lutions démographiques et socio-économiques. Un tel décalage nepeut pas ne pas s’accompagner decrises périodiques – nées de l’ir-ruption du réel dans un monde dé-sormais dominé par la communi-cation et la représentation symbo-lique. L’explosion des banlieues, lesinondations périodiques des mêmeszones vulnérables, l’incompréhen-sion devant le phénomène NIMBYou les fermetures d’usines, lacongestion chronique de certainesinfrastructures, les épisodes de pol-lution de l’air à répétition... témoi-gnent parmi bien d’autres événe-ments (comme les défaillances desréseaux) de ce “retour du réel”.

On comprend que ces crises puissentdonner lieu à une énorme demandede sécurité. Mais il faudra beaucoupde temps pour intégrer culturelle-ment le fait que derrière ces crises ily a aussi le bon ou le mauvais fonc-tionnement de systèmes territoriauxqui ont une réalité physique ; et demécanismes de solidarité – socialeou écologique – mal pris en comptepar les structures institutionnellesexistantes.

Ceci nous renvoie, une nouvelle fois,à la question du développement du-rable. Car c’est sans doute un des ou-tils parmi les plus efficaces dont ondispose pour éviter cette coupure an-noncée entre espace réel et espacevirtuel – et reconstruire sur des basesconcrètes une identité territoriale vé-ritablement démocratique. “ L i e r”,“articuler”, “couturer”, “ajuster”sont ici les mots clefs : “ajuster” lesterritoires politiques à ce qui en faitla réalité sociale (bassins d’emploi,pays...) ; “réarticuler” planificationphysique et développement écono-m i q u e ; “fabriquer des coutures”entre territoires disjoints, «lier” laqualité des espaces à celle des pro-duits (labelisation...). Comme on levoit, la tâche est immense.

La bifurcation de l’environnement

Si elle se produit, la recomposition desterritoires devra nécessairementprendre en compte l’enjeu, désormaism a j e u r, que constitue l’environne-ment. En terme politique, on est bien,là encore, en face d’une bifurcatione s s e n t i e l l e ; et d’une situation d’ur-gence, accentuée, en France, parl’existence de très fortes inégalitésécologiques – liées aussi bien à l’his-toire qu’à la géographie.Depuis trente ans, des progrès consi-dérables ont été faits dans la prise deconscience de ces problèmes écolo-giques – et beaucoup d’investisse-ments y ont été consacrés – sans quecela n’arrive à contenir une tendancegénérale à la “médiocratisation” d e smilieux naturels et du cadre de vie. Lemanque d’articulation, entre politiquede l’environnement et politiqued’aménagement du territoire a indis-cutablement contribué à cette perfor-mance décevante : “commencée encommun, l’histoire de ces deux poli -tiques s’est rapidement poursuivie sé -parément (à partir de 1975) et nous nepouvons aujourd’hui qu’en déplore rles conséquences2 8”. Pour l’avenir, desdéfis d’une toute autre complexité –-tels que celui du réchauffement clima-tique – devront être surmontés : et ilest plus évident encore qu’ils ne pour-ront trouver de réponse satisfaisanteque si cette articulation est mieuxf a i t e .

Une enquête récente a tenté de hiérar-chiser les tendances les plus préoccu-pantes pour le développement durableen France. Elle confirme très claire-ment cette importance centrale du lienenvironnement – aménagement duterritoire. Pour la majorité des expertsinterrogés, ce sont, en effet, les enjeuxliés à l’Aménagement du territoire (– àl’extension urbaine, à l’accroissementdes inégalités régionales ou locales, àl’explosion de la mobilité, etc.) qui ap-paraissent comme décisifs pour le dé-veloppement durable à l’horizon desvingt prochaines années – bien avantl ’ é n e rgie ou l’industrie (voir sché-m a 3 )2 9. Ce message est sans ambi-guïté, même s’il ne fait que confirmerbien d’autres analyses similaires...

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2 8 S o u r c e : Lucien Chabason in “Héritiers duF u t u r”. Editions de l’Aube, 1996 (Sous la direc-tion de R. Passet et J. Theys).2 9 S o u r c e : Groupe de travail “Scénarios deDéveloppement durable pour la France à l’hori-zon 2010 – Centre de Prospective et de Ve i l l eScientifique et BIPE.

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SCHÉMA N°3 : Hiérarchisation par les experts des enjeux du développement durable en France :la place centrale des thèmes liés à l'aménagement du territoire

1. Extension de la “suburbia” (périurbanisation)

2. Doublement de la mobilité individuelle

3. Accroissement des inégalités entre communesou régions

4. Développement de la métropolisation

5. Dualisation forte de la société, exclusion

6. Impacts de la filière agroalimentaire

7. Montée du sentiment identitaire

8. Redémarrage du nucléaire civil

9. 300 000 agriculteurs en France à l'horizon 2010

10. Affaiblissement des modes de régulationterritoriaux au profit des réseaux

11. Population mondiale de 7,5 milliards en 2010

12. Réchauffement climatique

13. Vieillissement de la population française

14. Vulnérabilité croissante aux catastrophes

15. Part croissante des grands groupesen termes de contrôle des marchés et privatisations, y compris de certains services publics environne-mentaux

16. Diversification accentuée des formeset statuts d'emploi, flexibilité, précarité

17. Ouverture croissante des frontières

18. Non-saturation de la demande solvabledes ménages

19. Rôle croissant des prix dans les arbitrages de consommation (baisse de qualité)

20. Développement des technologies du vivant

21. Croissance faible du parc de véhiculesélectriques ou hybrides

2 2 . Raréfaction du pétrole et croissance de son prix

23. Emergence lente de nouvelles activitésenvironnement en dehors de l'économie marchande

0 5 10 15 20 25 30

pourcentages

Source : BIPE et Groupe de travail CPVS : scenarii de développement durable pour la France de 2010

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La “bonne nouvelle” est que lecontexte économique semble, pourl ’ a v e n i r, plutôt favorable à ce rappro-chement souhaité entre environne-ment et aménagement. Dans unmonde où tout sera de plus en plusmobile, la qualité des territoires vasans doute jouer un rôle croissant ded i fférenciation compétitive (voir SU-PRA) et l’attractivité de l’environne-ment sera très vraisemblablement unfacteur de plus en plus déterminant decette “qualité globale” des territoires.Des opportunités considérables vont,par ailleurs, être ouvertes par la “dé-m a t é r i a l i s a t i o n” de l’économie et ledéveloppement de l’information et dess e r v i c e s3 0. Tout laisse enfin penser quel’environnement sera à terme, avecl’essor d’une véritable “écologie in-d u s t r i e l l e”, une des composantes cen-trale du nouveau “système technique”qui émerge aujourd’hui à l’échellemondiale – ce qui en fait un des mo-teurs possible du développement lo-cal, de la création d’emplois, et d’uneéventuelle spécialisation régionale.

Malheureusement, tout cela n’est en-core que virtuel. Le plus probable estque la globalisation et le changementdes modes de vie vont accroître laconcentration sur les métropoles, le lit-toral et les centres de transit ; que lesinégalités écologiques et sociales vonts ’ a c c r o î t r e ; que la valorisation écono-mique de l’environnement ne bénéfi-ciera qu’à des zones déjà privilégiées –avec comme conséquence une hausse(dans ces zones) du “foncier” et uneexclusion sociale encore accrue3 1 ; quela mobilité continuera à croître aumoins aussi vite que le PIB – et, avecelle, les dommages à l’environnementliés aux transports3 2 (on constate en ef-fet une “explosion” de cette mobilitédepuis le retour de la croissance,comme le montre l’annexe 2 ) .C’est entre le virtuel et le probable quese situe l’ambition du développementdurable. Il faut y voir non seulementun cadre commun pour réengager ledialogue interrompu entre environne-ment et aménagement du territoire,mais aussi une opportunité pour mo-d e r n i s e r, et ouvrir sur la société, despolitiques de l’environnement mani-festement à la recherche d’un seconds o u ff l e3 3. Là encore l’enjeu estd o u b l e : choisir une trajectoire qui

rende effectivement possible un mo-dèle de croissance diff é rent – plusécologique et économe en re s-s o u rc e s ; mais aussi, simultanément,ouvrir l’environnement aux réalitéssociales – à la précarité de l’emploi,à la vie dans les banlieues, à l’ag-gravation des inégalités – ce quemanifestement personne encore n’aréussi à faire .

Une transition institution-nelle inachevée : la démocratie incert a i n e

Ce n’est pourtant ni sur la question del’environnement, ni sur celle du mo-dèle de croissance – ou même du ter-ritoire – que s’est, depuis dix ans,structuré, le débat sur l’aménagementdu territoire, mais bien sur le pro-blème des institutions. Depuis la loi dedécentralisation votée ne 1982 laF rance s’est engagée dans une phased i fficile de “transition institutionnelle”qui, à l’évidence, n’est pas achevée.Compte tenu de l’évolution très rapidedu contexte, de l’accélération de l’in-tégration européenne, et de l’aff a i b l i s-sement de plus en plus visible du“pacte territorial républicain”, toutlaisse penser que, là aussi, une bifur-cation majeure devra être franchiedans les années à venir. Le choix quiva s’ouvrir sera fondamental puisqu’ilmettra en jeu plusieurs conceptionsopposées de la démocratie – plusieursfaçons de la moderniser.

La grave crise de l’action publique, lesrisques d’implosion de l’espace poli-tique, et l’adaptation à la mondialisa-tion placent tous les Etats devant uneinjonction paradoxale. D’un côté, ilsdoivent innover pour mettre en placedes institutions performantes – maisde l’autre, leurs marges de manoeuvrepour le faire sont de plus en plus ré-duites. Si chacun, et en particulier leséconomistes, reconnaît désormais lerôle des institutions comme facteursmajeurs de développement3 4, jamaisen effet, leur légitimité et leur eff i c a-cité n’ont été aussi contestées.

C’est dans le “no man’s land” e n t r eces deux raisons contradictoires – in-jonction réformatrice et devoir de mo-destie – que se situe ce que les anglo

3 0 Sur ces opportunités, et le risque de les gâcher,voir les premiers chapitres du livre: “H é r i t i e r sdu Futur”– Editions de l’Aube-Datar– 1 9 9 5(sous la direction de René Passet et JacquesT h e y s ) .3 1 On peut craindre que la hausse des valeurs fon-cières liée à la qualité de l’environnement limitelocalement l’accès au foncier pour les jeunesagriculteurs – ou rende l’espace trop coûteuxpour ceux qui y habitent aujourd’hui.3 2 Selon les estimations économiques réaliséespar J.P. Orfeuil les dommages à l’environnementliés aux transports devraient rester stables entre1995 et 2010.3 3 Voir le livre récemment publié aux éditionsR e c h e r c h e : Les politiques d’environnement, éva -luation de la pre m i è re génération 1971-1995(sous la direction de B. Barraque et J. Theys)3 4 Douglas North, récent prix Nobel, va ainsi jus-qu’à dire que “les institutions, définies commedes règles du jeu, déterminent en grande partieles performances économiques”. D. North,Institutions, Institutional Change and EconomicP e r f o r m a n c e, Cambridge University Press, 1990.

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saxons appellent la “bonne gouver-n a n c e”– un art de gouverner sans sou-veraineté absolue, sans principe hié-rarchique, sans rationalité substantive,sans valeurs communes. Avec beau-coup de scepticisme, Jean Leca en arécemment défini les instruments pri-v i l é g i é s3 5 : une propension marquée àla “comitologie” ; le partenariat surdes programmes ; la délégation de ser-vice public – et le soin de réguler cesservices confiés à des autorités auto-n o m e s ; un mode flexible de pilotagede l’action publique par des principes(ex ante) ou par l’évaluation (ex post).

Mais cette perspective critique – queJean Leca résume par l’expression la-pidaire “d’Etat creux” – rend malcompte de ce qu’il peut, par ailleurs, yavoir de séduisant dans la “bonne gou-v e r n a n c e” : la volonté d’ouvrir la dé-mocratie au plus grand nombre3 6,l’exigence éthique de transparence et“ d ’ a c c o u n t a b i l i t y”, un appel résolu àla responsabilité et à l’inventivité ins-t i t u t i o n n e l l e ; le souci d’innover dansla gestion des biens publics – en ac-cordant aux usagers le droit à la pa-r o l e ; le désir, finalement, de bouscu-ler les conservatismes – qu’ils soientcorporatistes ou notabiliaires3 7.

Force, en tout cas, est de constater quedans cette course à l’innovation insti-tutionnelle, la France a pris, par rap-port à ses voisins, un retard considé-rable. “Alors que l’ensemble desa u t res démocraties européennes pro -mouvaient des réformes fondamen -tales allant dans le sens d’une simpli -fication des stru c t u res, nous avonsmultiplié les niveaux de décision lo -cale et favorisé la fragmentation etl’émiettement rendant ainsi beaucoupde problèmes locaux insolubles”3 8.Malgré des promesses successives, laparticipation du public aux décisionsest restée également limitée3 9.Paralysés, plutôt que stimulés par ladécentralisation, nous n’avons pas,non plus, su trouver, des formes mo-dernes d’articulation entre Etat et col-lectivités locales, ou entre collectivitéslocales de niveaux différents. Et la co-opération interministérielle a plutôt ré-

gressé que progressé – comme en té-moignent les difficultés simultanéesdu Plan, de la Délégation à la Ville oude la DATAR (ou, à une échelle plusmodeste, la disparition du FondsInterministériel pour la qualité de lavie). Quelles que soient toutes lesbonnes raisons qui justifient une telleprudence (en particulier la possiblemise en cause de l’égalité républi-c a i n e4 0), on ne peut s’empêcher d’yvoir le signe préoccupant d’un essouf-flement de “l’invention démocra-t i q u e” en France.Dans un tel contexte, le “développe-ment durable” apparaît comme unedes rares ressources mobilisables pourune modernisation institutionnelle “end o u c e u r” – sans verser dans toutes lesillusions de la “bonne gouvernance”.Comme beaucoup de politiquesconstitutives, le concept est en eff e tassez souple pour favoriser à la fois ladécentralisation et l’acceptation d’ob-jectifs nationaux ou globaux ; la dé-mocratie directe et une certaine recon-naissance d’intérêts généraux com-m u n s ; l’intégration de politiques sansréelle cohérence et la réaffirmation deleur spécificité. S’ouvre ainsi une op-portunité incontestable pour redonnerun certain souffle et une plus grande“epaisseur temporelle”4 1 à la démocra-tie – au moment où celle-ci semble sé-rieusement aff a i b l i e .Ce qui explique, finalement, la grandeforce de séduction du “développementd u r a b l e” n’est pas tant qu’il réponde àquelques unes des interrogations ma-jeures de l’aménagement du territoired’aujourd’hui – la modernisation desinstitutions, l’environnement, le mo-dèle de croissance, la réimplicationdes individus dans la gestion des bienscommuns qui les concernent,... – maisplutôt qu’il parvienne à les lier dansune même vision d’ensemble.

Mais cela fait sans doute beaucoup dequalités pour deux mots aussi vagues.D’où la question posée en introduc-t i o n : et si le “développement durable”n’était qu’un leurre transitoire, qu’unemystification dangereuse ? Et si,comme dans le conte d’Andersen, leRoi était nu ?

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3 5 Jean Leca – L’Etat Cre u x – in: “La France audelà du siècle”. Editions de l’Aube – D ATAR 1994.36 Dans le même ouvrage, Michel Crozier évoqueainsi le passage nécessaire d’une “démocratied ’ a c c è s”à une “démocratie de délibération”.3 7 Voir sur ce thème de la bonne gouvernance lerapport publié par la cellule de prospective de laCommission Européenne (1996), et les travauxde J.G. Padioleau.3 8 Citation empruntée à Albert Mabileau in, “L esystème local en France”, Collection Clefs-Politique, Editions Montchrestien, 1994.3 9 Les quelques rares dispositions favorables à laparticipation dans les lois de 82 et 92 (Loi Joxe)n’ont pas été vraiment appliquées.4 0 “Le gouvernement central, soulagé des tâchestransférées à des niveaux locaux ou à des parte-naires privés, se verra accablé de critiques pourne plus assurer l’égalité entre les citoyens, voireles collectivités locales. Il se trouvera ainsi dansla situation de ce personnage de Molière, accuséd’intervenir dans une querelle de ménage où ilplaît à la femme d’être battue, mais qui aurait puêtre tout autant accusé de n’être pas intervenu”.Jean Leca, opus cité.4 1 Comme le remarque Javier Santiso, “la démo-cratie consacre une temporalité politique davan-tage centrée sur le présent que sur l’avenir, et fa-vorise un rétrécissement des horizons temporels;le temps de la démocratie, rythmé par les aléasélectoraux étant avant tout un temps limité”.S o u r c e : Schedel (Andréas) et Santiso (Javier)“Democracy and time”, International PoliticalScience Review, Janvier 1998.

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1. Croissance supérieure à 100 %Congestion + 150 %Transports aériens de voyageurs + 150 à 200 %Déchets nucléaires cumulés + 170 %Friches + 100 à 150 %Activité des services + 120 %Circulation sur les autoroutes + 100 %Nombre de journées de vacances + 100 %

2. Croissance supérieure à 50 %Circulation automobile + 50 à 80 %Transports routiers de marchandises + 50 à 80 %Fréquentation touristique + 40 à 100 %Longueur du réseau autoroutier + 50 à 80 %Longueur des lignes électriques + 80 %Superficies commerciales + 50 à 60 %

3. Croissance inférieure à 50 %Production des déchets ménagers + 40 à 50 %Construction de logements + 40 à 50 %Superficies artificialisées (bâties) + 30 à 50 %Espaces de faible densité + 40 à 50 %Production de biens intermédiaires + 40 %

Emissions de CO2 par les transports + 30 %Population périurbaine + 20 à 30 %Population de l’Ile-de-france + 15 à 25 %Consommation d’énergie + 25 à 35 %Population totale + 10 %Exposition au bruit (>65DB) + 10 à 20 %Surfaces boisées +10 %

4. DécroissanceEmission d’oxyde d’azote - 20 %Pollution domestique de l’eau - 20 %Prairies (Superficies) - 20 %Intensité énergétique - 25 %Population rurale / périurbaine - 30 %Partie naturelle du littoral - 15 à 30 %Surface agricole utile - 30 à 40 %Emissions de monoxyde de carbone - 50 %Nombre d’actifs agricoles - 50 à 70 %

* Estimations faites en 1994.Il s’agit d’ordres de grandeur.

SCHÉMA N°4 : Territoire et Environnement : quelques tendances d'évolution sur 20 ans (estimations : 1990–2010)*

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Une question est d’être convaincuque le “développement durable” e s tun choix stratégique indispensablepour les vingt ans à venir. Une touteautre de penser qu’il s’agit d’unconcept effectivement opératoire.Beaucoup de scepticisme subsiste ene ffet sur les retombées concrètes d’unprincipe aussi vague. Ce qui justifie,finalement, des pratiques assezpauvres – et un intérêt très réduit desélus ou du public.

Que reproche t-on concrètement audéveloppement durable ? D’être unmot mal défini, et finalement vide àforce de vouloir tout contenir. D’êtreun principe à l’évidence normatif –tout en étant incapable de fournir desnormes. De chercher désespérémentà concilier les contraires – en mas-quant, ou en oubliant naïvement, lescontradictions inhérentes au dévelop-pement (le mot lui-même étant,comme le remarque Gilbert Rist un“o x y m o r e”– une forme rhétorique quicherche à concilier les contraires – aumême titre que “l’obscure clarté”4 2) .D’être “le cheval de Tr o i e” de l’écolo-gie – pour les aménageurs – ; ou del’aménagement – pour les environne-mentalistes. Et finalement de vouloirfaire resurg i r, sous couvert de démo-cratie, une certaine forme de totalita-risme, ou en tout cas de dictature desexperts – ce qui est sans doute la cri-tique la plus grave .

Tout cela n’est pas faux et appelle entout cas un sérieux effort de clarifica-tion. C’est ce qui sera tenté, ici, danscette seconde partie ; en n’oubliantpas qu’il n’y a, dans ce domaine, au-cune “vérité scientifique” p r é é t a b l i emais seulement des interprétationspartielles. Le “développement du-rable est un principe d’action poli-tique et comme tel ne peut avoird’autre sens que celui que lui donnerala société, ou les sociétés concernées,à travers un processus de construc-tion pragmatique – et nécessairementpolitique. Tout ici – questions et ré-ponses – n’est donc qu’une contribu-tion au débat – qui ne fait que com-m e n c e r.

Un principe sanscontenu ?

Par principe tout développement sedoit aujourd’hui d’être “durable”... cequi évite à chacun de définir ce dontil s’agit. Dans la confusion qui en ré-sulte, il n’y a, finalement, pas d’autrealternative que de revenir à la défini-tion originelle proposée, rappelonsle, par la Commission Bruntland : “ l edéveloppement durable est un type dedéveloppement qui permet de satis -f a i re les besoins du présent sansc o m p ro m e t t re la possibilité pour lesgénérations futures de satisfaire lesl e u r s”.

Sous cette forme l’expression est àpremière vue une énigme : parconstruction personne ne peutconnaître les besoins des générationsfutures. On ne retient donc générale-ment du principe qu’un impératif caté-gorique assez vague qui est celui de“ l ’ a r t i c u l i o n”. Articuler d’abord lecourt terme et le long terme. Puis lelocal et le global. Et enfin, l’écono-mique, l’écologique et le social – lestrois “soeurs rivales” du développe-m e n t .

Faire un ou plusieurs pas dans cha-cune de ces trois directions aurait, sansaucun doute, des conséquences déjàtrès positives sur l’aménagement duterritoire – menacé à la fois de “court-t e r m i s m e”, de “localisme”, et “d’éco-n o m i s m e”. Mais l’impératif d’intégra-tion ne suffit probablement pas à don-ner un caractère opératoire à la notionde développement durable – surtout sion limite celle-ci à un simple collage“d’intérêts hétérogènes”.

Tout d’abord articulation ne veut pasdire juxtaposition. Roberto Camagni,conseiller pour la politique urbaine enItalie, a bien montré4 3 que ce qui estréellement en jeu dans l’intégration del’économique, du social et de l’envi-ronnement, c’est une modificationprofonde des objectifs traditionnelle-ment fixés dans chacun de ces troisd o m a i n e s : passer de la rentabilitééconomique à court terme à une “ e f f i -cacité allocative à long terme” ; de la

4 2 Source Gilbert Rist: “Le Développement, his -t o i re d’une croyance occidentale”– Presses deScience Politique – 1996.4 3 Roberto Camagni “Sustainable urban develop -ment strategies”– Colloque de la Rochelle sur laVille du XXIe siècle – (Octobre 1998 – Actes pu-bliés par le CERTU, Mai 1999).

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EXISTE T’IL ?

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recherche de l’égalité à celle d’une“efficacité distributive” ; et de lastricte conservation écologique à“l’équité environnementale” (voirschéma n°5). On est loin, comme on levoit, d’un collage “pour la forme”.

Et surtout articuler ne suffit pas.Même si on l’oublie, le développe-ment durable ne se réduit pas à cetimpératif, généreux et globalisant,de l’intégration: c’est aussi un prin-cipe relativement clair de hiérarc h i-sation de l’action publique. Il s’agitimplicitement de donner la préférenceau long terme sur le court terme ; auxgénérations futures sur les générationsp r é s e n t e s ; au global sur le local; maisaussi... aux besoins fondamentaux nonsatisfaits, aux populations ou régionsles plus vulnérables ; aux patrimoinesou “capitaux critiques”4 4 i r r e m p l a-çables... ce qui, finalement, justifieune certaine priorité à l’environne-ment dans la mesure où tous les cri-

tères précédents sont concernés (be-soins fondamentaux mal assurés par lemarché, risques globaux et à longterme, menaces d’effets irréversibles,absence de substituts possibles, intérêtpatrimonial manifeste...). Loin dem a rginaliser l’environnement, l’ob-jectif de développement durable enrenforce, donc, au contraire, la justifi-cation politique4 5.

Tout cela, en définitive, n’est pas aussiconfus qu’il n’y paraît et débouche, entout cas, sur quelques lignes d’action,semble t’il, assez claires en matièred’aménagement du territoire. Pas as-sez précis pour pouvoir se passerd’une définition collective par les ac-teurs concernés (approche procédu-rale), le développement durable l’estnéanmoins suffisamment pour êtreautre chose qu’un “fourre tout”ou unea u b e rge espagnole (approche substan-tialiste). C’est peut-être son meilleura t o u t .

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4 4 “Les capitaux critiques”ont comme caractéris-tiques d’être à la fois importants, sans substitutset menacés. Ils sont donc une source potentiellede fortes vulnérabilités.

SCHÉMA N°5 : De nouveaux objectifs pour le développement durable

Equité environnementale(intra et inter-générationnelle)

Efficacitédistributive

Efficacitéallocative delong terme

Pure profitabilité etcroissance économique

Pure équitéet bien-être Purs principes

écologiques etesthétiquesEnvironnement

social

Environnementéconomique

Environnementphysique(naturel et bâti)

Source : Roberto CAMAGNI

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Un principe normatifsans norme ?

En principe, la définition du rapportBRUNTLAND suppose l’existencede normes permettant d’arbitrer lesconflits d’intérêt entre générations dif-f é r e n t e s ; et de gérer les contradictionsévidentes entre les trois dimensions dudéveloppement économique, socialeet écologique. Or, ces normes, en par-ticulier dans le domaine de l’aména-gement du territoire ne peuvent êtredéfinies scientifiquement et abstraite-m e n t : si l’on sait à peu près ce quepeut être une gestion durable des res-s o u r c e s4 6, on est incapable, parexemple, de définir un seuil conve-nable en matière de “capacité dec h a rg e”des milieux – ou de donner unsens précis à la notion – encore plusmystérieuse – de “capital critique” ( àl’échelle régionale).

D’où des pratiques sans théories etdes théories sans pratiques débou-chant sur un kaléidoscope d’initia-tives dont il est, finalement, fort diff i-cile d’évaluer l’efficacité ou la réellen o u v e a u t é4 7. On comprend, dans cetteperspective, l’importance attachée àl ’ e fficacité des procédures, aux pra-tiques de transparence et de délibéra-tion collective – et l’insistance à fairedu développement durable unconcept essentiellement procédural.Comme le dit ainsi Franck Scherrer“l’essentiel, en matière de dévelop -pement durable des terr i t o i res netient pas, en effet , dans un pro -gramme à pre s c r i re, dans une formeidéale et unique, mais dans un choixde bonnes pratiques – ce qui place enp re m i è re ligne les modes de faire dela planification et de l’aménage -m e n t4 8”. On est donc en plein prag-m a t i s m e .

D’une certaine manière, l’absence denorme scientifique objective (ce quine veut pas dire de norme juridique ! )est un grand avantage. Elle limite lerisque d’une récupération autoritairedu développement durable par l’Etatj a c o b i n4 9. Elle ouvre, au contraire, lapossibilité pour chaque territoire dedéfinir démocratiquement ses propresobjectifs – puis de choisir de manièredécentralisée les moyens les mieuxappropriés pour y parvenir.

Mais pour faire face aux ruptures évo-quées dans la partie précédente, onvoit mal comment cette simple invita-tion à un pragmatisme décentralisé –même encadré par une réglementationmieux appliquée qu’elle ne l’est –pourrait suffire. Ce qui est plus pro-fondément en jeu dans cette ques-tion des “normes” du développe-ment durable, c’est notre capacitécollective à moderniser les formesde l’action publique. L’idée majeureproposée ici est que cette modernisa-tion passe par l’articulation de troismodes d’action à la fois différents etc o m p l é m e n t a i r e s : une incitation trèssouple au développement d’initiativesessentiellement décentralisées ; unepolitique active d’innovation institu-t i o n n e l l e ; et enfin, un recentrage desinterventions de l’Etat sur les risquesmajeurs de développement non du-rable. Cette structure à trois branches( “le trépied du développement du-r a b l e”) repose elle-même surquelques hypothèses très simples : lerôle moteur de l’action décentralisée,seule capable, à bonne échelle, d’uneintégration eff i c a c e ; la possibilité de“ r é g u l e r” la diversité des projets terri-toriaux par l’adhésion souple àquelques principes communs (tel que,par exemple, le principe de précau-t i o n . . . ) ; l’impossibilité de mettre enoeuvre ces principes sans une stratégierésolue d’innovation institutionnelle(“politiques constitutives”) ; et enfin,la nécessité de traiter de manière dis-symétrique – et donc spécifique – laquestion du développement durable etcelle des situations manifestement nondurables (c’est-à-dire susceptibles deconduire à des risques majeurs ou àdes impasses graves).

Il s’agit donc, en définitive, d’articulertrois modalités de rapport à la norme,trois logiques de gestion des risques.D’abord atténuer les tensions ou ex-ploiter les synergies entre dimensionsà priori antagonistes du développe-ment au niveau local – dans une pers-pective d’intégration, d’éco-eff i c a c i t é ,de valorisation des “patrimoines”, dequalité globale des territoires...Ensuite favoriser la réactivité et la ré-flexivité des acteurs concernés par unedynamique beaucoup plus forte d’in-novation institutionnelle : simplifierles structures, démocratiser les procé-

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4 5 Les inerties, les irréversibilités et l’absence desubstituts introduisent, en effet, une dissymétrieassez forte entre l’environnement et les autres di-mensions du développement (économique et so-c i a l e ) .4 6 Les économistes proposent dans ce domainedeux règles d’action assez simples: ne pas préle-ver plus de ressources renouvelables que l’ac-croissement du stock et limiter la consommationde ressources non renouvelables au minimumcompatible avec le développement de substituts(par le recyclage...).4 7 Comme c’est souvent le cas pour un nouveaudomaine d’action publique, le développementdurable donne essentiellement lieu à un “recy-c l a g e”(un “habillage”) d’actions déjà existantes.4 8 S o u r c e : Franck Scherrer. Intervention auColloque de la Rochelle; Octobre 1998.4 9 C’est la crainte exprimée par J.-G. Padioleau dans son article : “R e f o n d a t i o n sl i m i n a i res de l’action publique conventionnelle”,(Groupe DATAR/CPVS), Décembre 1998.

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dures, organiser l’évaluation et latransparence... Et enfin, garantir la sé-curité contre les risques intolérables –en en faisant la responsabilité centralede l’Etat – ce qui devrait commencerpar un repérage aussi précis que pos-sible des évolutions considéréescomme non durables. Parti de lanorme, on en arrive ainsi à un certainéquilibre entre principes, institutionset règles5 0 (voir le schéma n°6).

Le “terr i t o i re (pert i n e n t )”introuvable ?

E v o q u e r, comme on vient de le faire,la modernisation de l’action publique,c’est, quelque part aussi, s’interrogersur la “bonne échelle” de l’action... etdonc sur le “territoire pertinent”.

Malheureusement, là encore, c’est laconfusion qui domine : comme le re-marque Bertrand Zuindeau, la littéra-ture sur le développement durable estplutôt laconique sur cette question dut e r r i t o i r e5 1, ce qui ne peut que confor-ter la tendance naturelle de beaucoupde praticiens à considérer comme fi-nalement non pertinent ce problèmede la pertinence des échelles.

Ce qui frappe, en effet, lorsqu’on ana-lyse les discours sur la dimension ter-ritoriale du développement durable,c’est la juxtaposition d’affirmations etde positions en grande partie contra-dictoires. S’agit-il de contribuer à lasolution des grands problèmes plané-taires – ou de garantir la viabilité àlong terme de chaque territoire spéci-f i q u e ? Souhaite-t-on démocratiser lesinstitutions existantes, ou, plutôt, encréer d’autres, à partir de nouvelles so-lidarités écologiques ou communau-taires (Parcs régionaux, Bassins hy-drographiques, communautés de quar-t i e r. . . ) ? Donne-t-on la priorité à l’au-tonomie, à la singularité, au “dévelop-pement endogène” – ou, au contraire,à l’équité, à la réduction des externali-tés et à la mutualisation des risquesentre collectivités manifestement in-é g a l e s ? Tout cela, évidemment, n’estpas nécessairement converg e n t5 2. Onvoudrait sans doute pouvoir croire quetous ces discours sont eff e c t i v e m e n tcompatibles, que le “penser” g l o b a l e-ment et agir localement” n’est pas un

mythe, que la “gouvernance” peut ve-nir à bout de toutes les contradictions,mais on peut aussi craindre que cetteambiguïté ne serve, en définitive, qu’àune seule chose : à justifier le conser-v a t i s m e .

Car chacun sait depuis très longtempsque, loin d’être marginale, la questioninstitutionnelle, celle du “territoire per-t i n e n t”, est tout à fait centrale pour ledéveloppement durable – ce qui im-pose nécessairement de prendre parti.Yves Mesny, dans un article récent5 3,n’hésite pas à parler de “catastrophei n s t i t u t i o n n e l l e”, ajoutant “tant qu’onn’aura pas fait de ce terr i t o i re informeet segmenté sur le plan fiscal et sur leplan politique un terr i t o i re cohére n t ;tant qu’on n’aura pas re s t ructuré cet e rr i t o i re sur le plan de la re p r é s e n t a -t i o n ; tant qu’on n’aura pas mobiliséles intérêts autour de ce terr i t o i re, lep roblème de la ville ne sera pas résoluen France et avec lui la plupart de nosp roblèmes sociaux ; les centres ur -bains continueront à externaliserleurs problèmes sur les banlieues, etles périphéries continueront à êtrelaissées, comme elles le sont, àl ’ a b a n d o n . . .”. Ce diagnostic pourrait,sans beaucoup de retouches, êtreétendu à beaucoup de problèmes d’en-vironnement, rendus insolubles parl’inadaptation de nos structures lo-c a l e s .

Face à un tel constat, une solutions’impose d’elle-même : celle d’uneprofonde réforme territoriale. Dansla perspective qui est celle du déve-loppement durable on en distingue as-sez clairement quatre grandes compo-santes. D’abord un rééquilibrage nonéquivoque des pouvoirs au profit d’unnombre réduit de “collectivités deb a s e” – de taille suffisamment grandepour pouvoir apporter des solutions àla mesure et à l’échelle des problèmesréels. Cela suppose d’aller beaucoupplus loin dans les attributions confiéesaux pays et aux agglomérations (com-munautés urbaines, districts...) – avecune véritable représentation poli-t i q u e5 4. Ensuite, une réart i c u l a t i o ndes instruments économiques del’aménagement du territoire avecceux de la planification physique etde la politique foncière – commec’est déjà le cas dans une majorité des

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5 0 Dans un article publié récemment dans le jour-nal du Monde, Yves Mesny constate le dévelop-pement, au niveau européen, d’un “gouverne-ment par les principes”(principes d’équité, deprécaution, etc.), aux dépends des règles clas-siques (directives, règlements...). La propositionfaite ici est plus équilibrée et nuancée.5 1 Bertrand Zuindeau: “Le développement du -r a b l e : les enseignements de l’appro c h es p a t i a l e”. Communication au 45e séminaire del’OIPR. Octobre 1997.5 2 Olivier Godard a bien montré, en particulier,que le développement durable n’était pas une no-tion “fractale” : il n’y a en effet aucune raisonpour que les problèmes soient les mêmes, àtoutes les échelles.5 3 Yves Mesny, Te rr i t o i res de représentation poli -t i q u e – N° spécial de la Revue ESPRIT – : “LePari de la réforme”– Mars – Avril 1999.Rappelons que la carte territoriale de la Francen’a praitquement pas été changée depuis 1926.5 4 Vo i r, sur ce point, l’article déjà cité d’Yv e sM e s n y. Il n’y a pas de contradiction entre le ren-forcement du pouvoir d’agglomération, et le pro-jet, également suggéré, de systèmes plus larg e sde “gouvernance” permettant à ces aggloméra-tions de “négocier” avec l’ensemble des com-munes périphériques, par le biais ou pas, des dé-partements ou des régions.

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pays européens5 5. En troisième lieu,l’acceptation d’un certain emboîte-ment des échelles institutionnelles, etla réaffirmation claire des fonctions derégulation (pilotage, contrôle, coordi-nation, évaluation...) assumées parl’Etat et les collectivités intermé-diaires (comme les régions) – à l’ins-t a r, par exemple, des exemples anglaisou allemands. Et enfin, un mode degouvernement local beaucoup plusparticipatif et démocratique – laissantune large place à la médiation, au tra-vail associatif et à la délégation.

C’est sur ces bases redéfinies quepourra alors s’affirmer ce qui consti-tue sans doute la perspective la plusstructurante de tout aménagement du-rable futur : une vision renouvelée del’espace, “à la fois topologique et ou -v e rt e”, et donc alternative à la hiérar-chie et aux réseaux ; et donnant,comme le propose Cyria Emelianoff ,une place centrale à la singularité deslieux (“les potentiels locaux”) et auxarticulations qui les relient, de procheen proche, et par emboîtement succes-sif, à l’espace global et à la circulationdes produits5 6. Concrètement cela de-vrait, par exemple, conduire à “resou-der” les deux ensembles disjoints quesont aujourd’hui la politique urbaineet la politique régionale d’aménage-ment du territoire.

Parti de la confusion, on arrive donc,là encore, à une perspective relative-ment claire : l’image d’un territoireplus autonome, responsable des exter-nalités qu’il produit (selon le principede proximité énoncé par BertrandZ u i n d e a u : “ne fait pas à autrui ce quetu ne voudrais pas qu’il te fasse5 7”) etsoucieux de reconstruire en perma-nence les coutures, les articulationsqui le lient avec les autres (le “toposo u v e r t” de Cyria Emelianoff). Maistout cela n’est, malheureusement,qu’une perspective !

Des contradictions insurmontables ?

Face aux réalités concrètes de l’amé-nagement du territoire, de l’emploi oude la compétitivité... que peuvent ef-fectivement peser de tels principes ? :probablement peu. Il ne suffit pas

d’accoler deux mots contradictoirespour lever, ipso facto, comme par ma-gie, toutes les contradictions exis-tantes – surtout lorsqu’elles opposent,de manière souvent frontale, des inté-rêts aussi divergents que, par exemple,l’aménagement et l’environnement.Dans une des analyses les plus lucidesqui ait été faite sur le “développementd u r a b l e” Gilbert Rist dénonce ainsi –derrière cette “illusion virt u e l l e” – une“opération de camouflage”, un“l e u rre”... dont “l’unique objectif se -rait de soustraire à la critique unmode de développement globalementmis en question”5 8. Ce scepticisme re-joint sans doute celui d’une large ma-jorité de praticiens – qui continue àn’accorder au développement durablequ’une crédibilité douteuse.

Certes, beaucoup a été fait depuis dixans pour penser ces contradictions ettrouver des compromis. Toute l’his-toire récente du développement du-rable témoigne de l’effort – souventfructueux – réalisé pour favoriser“ l ’ i n t é g r a t i o n”, les “politiques sansr e g r e t”, les stratégies “gagnant – ga-g n a n t” ; et pour convaincre inlassa-blement les incrédules de l’intérêt dela prévention, de l’anticipation desrisques, des économies de ressources,des emplois qualitatifs, ou de la diff é-renciation compétitive par la qualitédes territoires... Tout un espace s’estainsi ouvert à l’innovation – dont tousles “recoins” sont loin encore d’avoirété exploités. Reste pourtant, au-delàde cet effort consenti, l’essentiel : desdynamiques de marché diverg e n t e s ,des intérêts corporatistes, locaux ousociaux opposés, des cultures et lo-giques sectorielles inconciliables, uncycle politique marqué par l’impa-tience – et donc de plus en plus in-compatible avec des stratégies à longterme... sans oublier beaucoup de pro-blèmes insolubles...

L’illusion serait en effet de laissercroire que toutes ces contradictionssont surmontables. Aussi bien, le prin-cipal intérêt du développement du-rable n’est il pas dans son aptitude àgommer les divergences (comme lecraint Gilbert Rist), mais plutôt danssa capacité à les mettre en évidence,à organiser la transparence pour, en-suite, mettre démocratiquement les dif-férentes options en débat.

5 5 En particulier l’Allemagne et les pays scandi-naves. Dans ces pays, l’Etat intervient, en re-vanche, beaucoup moins dans le financementd’opérations directes.5 6 Cyria Emelianoff – Thèse de doctorat en géo-g r a p h i e : “La ville durable, un modèleé m e rg e n t”. Janvier 1999. Un des enjeux cen-traux, non abordé dans la thèse est celui de l’arti-culation entre qualité des territoires et qualité desproduits [voir, sur ce point, les travaux d’ArnaudL AYADI (SCE)].5 7 Citant P. Nijkamp, Bertrand Zuindeau proposeune double règle de durabilité spatiale: 1) Lesconditions de durabilité doivent être vérifiées surl’espace de référence; 2) La durabilité interne nedoit pas être obtenue au détriment de la durabi-lité externe du territoire (principe d’équité quel’on retrouve dans la notion “d’espace écolo-g i q u e”proposée par l’économiste hollandaisO p s h o o r ) .5 8 Gilbert Rist – Le Développement – Histoired’une croyance occidentale. Presses de SciencesPo – 1996.

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On pourrait citer, pour illustrer cetteperspective, l’étude récemment réali-sée pour la région Ile-de-France sur lecoût d’usage de l’automobile pour leshabitants des zones périurbaines. Unedes conclusions de ce travail remar-quable est de montrer que ce coût estparticulièrement élevé pour les fa-milles modestes, au point de compen-ser les gains faits par ceux-ci sur leprix de leur logement5 9. Quand bienmême “le développement durable”n’aurait servi qu’à mettre en débat lerésultat d’une belle évaluation, et àmettre ainsi en évidence les contradic-tions de la périurbanisation – sacontribution à l’aménagement du ter-ritoire ne serait pas négligeable.

Mais cet avantage serait naturellementbeaucoup plus considérable si – au-delà du cercle limité des experts –l’approche nécessairement intégra-trice du développement durable pou-vait également servir à revaloriser le

débat public sur des projets poli-tiques ou des modèles de développe-ment à long terme – là où aujour-d’hui domine encore souvent la pru-dence, le non dit, l’ambiguïté – et fi-nalement, la méfiance pragmatiquepar rapport à toute vision politiqueglobale. Beaucoup de villes ou de ré-gions dans le monde ont su profiter decette opportunité pour relancer un dé-bat démocratique affaibli. Elles ont suencourager une compétition ouverte etvivace entre projets alternatifs, s’ap-puyant souvent sur des scénarioscontrastés à long terme. Pourquoi n’enserait-il pas de même en France – avecdes procédures et des échéancesconvenablement définies ? C’est peut-être un des objectifs réalistes quepourraient aussi s’assigner les futurscontrats de Plan – au-delà du recense-ment et de la négociation – sans douteplus concrets – de projets sectoriels etp o n c t u e l s .

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5 9 S o u r c e : Pollachini A. R. et J. P. Orfeuil –Dépenses pour le logement et les transports enI l e - d e - F r a n c e, INRETS/DREIF (1998). Lescoûts de déplacement pour les accédants aux lo-gements disposant de revenus modestes passentde 10% du budget en zone urbaine dense à 30%en périphérie éloignée.6 0 Travail non publié, disponible au CPVS –DRAST – Ministère de l’Equipement, 1997.

DEUX SCÉNARIOS POUR CONCLURE

En se situant dans l’hypothèse de rup-ture évoquée dans la première partie,comment donner un caractère un peumoins abstrait aux principes d’actionprésentés dans la seconde ? On le feraici pour conclure, sous la forme dedeux scénarios différents, ou plutôtd’esquisses de scénario : l’un plus op-portuniste, l’autre plus volontariste –choisis comme on le verra, parcequ’ils mettent bien en évidence l’op-position entre deux formes trèscontrastées d’intervention publique.

Une question de p e r s p e c t i v e : stratégie de “containment”, e ffets de signe, r é f o rmisme managérial,ou nouveau modèle ded é v e l o p p e m e n t ?

La question posée étant celle de l’arbi-trage entre générations successives, ilest, en effet, assez naturel de recourir àcette technique des scénarios. C’estd’ailleurs une piste qui a déjà été trèsl a rgement explorée : le “développe-ment durable” est un des thèmes qui adonné lieu à la production la plus

abondante de “visions à long terme”,stratégies, “livres blancs”, “imagesc o n t r a s t é e s”, “modèles alternatifs”. . .et on dispose donc, en apparence,d’une gamme très riche de références.En France, on peut citer, par exemple,les travaux qui ont accompagné la“Stratégie Nationale de développe-ment durable”, ou ceux de laCommission du Plan sur les “poli-tiques d’énergie à long terme”. Danscertains Etats comme les Pays Bas, detels exercices ont été engagés de ma-nière encore beaucoup plus systéma-tique pour couvrir tous les secteursd ’ a c t i v i t é : énergie, transport, tou-risme, agriculture...

Comme l’illustre le travail engagé ré-cemment par le Centre de Prospectiveet de Veille Scientifique6 0 qui a ex-ploré, de manière très qualitative cinqscénarios de développement durablepour la France à l’horizon 2030 (Vo i rl’encart n°1) – le principal intérêt deces exercices à long terme est peut êtrefinalement d’expliciter (de manièrepresque caricaturale) les diff é r e n c e sconsidérables de perspectives danslesquelles les stratégies de développe-ment durable sont envisagées.

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Pour les plus sceptiques, il ne peutainsi s’agir que de stratégies de“ c o n t a i n m e n t” (la priorité étant,d’abord, de mettre en oeuvre lesnormes et mesures de protection exis-tantes), ou même de politiques pure-ment symboliques, jouant sur les ef-fets de signe et les transformationsculturelles à long terme6 1.

Pour les plus volontaristes, le dévelop-pement durable ne peut, inversement,se concevoir sans une transformationradicale du modèle de croissance : lepassage d’une économie de biens àune économie de services, de nou-velles régulations internationales, unemaîtrise forte de l’étalement urbain,un redéploiement moins inégalitairedes services publics, le développe-ment d’une économie solidaire,ect...Entre les deux, il n’est pas éton-nant que le consensus se fasse plutôtsur une conception “managériale” e tréformiste mettant l’accent sur leséconomies de ressources, les straté-gies “gagnant, gagnant”, la gestion dela qualité, la mobilisation des compé-tences, et, ce qui est sans doute plusoriginal, sur une prise en compte dif-férente du temps dans l’action (ana-lyse du cycle de vie, passage à unegestion patrimoniale...). Remarquonssimplement, que malgré une étiquettecommune, il n’y a aucune communemesure politique entre ces approchesa l t e r n a t i v e s . . .

Il serait naturellement intéressant,mais aussi fastidieux, d’imaginer ceque deviendraient les politiquesd’aménagement du territoire si ellesintégraient chacune de ces concep-tions. Pour être plus cohérent avec cequi a été dit dans les parties précé-dentes, il nous semble cependant plusopératoire de se limiter à deux scéna-rios “non impossible”, mettant bien enévidence deux “visions” d i fférentes del’action publique : un scénario de va-lorisation immédiate des opportunitéset des marges de manoeuvre exis-tantes, dans le cadre de la politique ac-tuelle d’aménagement du territoire ; etun scénario plus volontariste mettantl’accent sur la prévention des situa-tions non durables.

Un scénario opport u n i s t e :la valorisation desmarges de manoeuvreeffectives

Le premier scénario envisageable estcelui d’une exploitation intelligentedes opportunités déjà ouvertes ou pré-visibles à moyen terme. C’est naturel-lement l’hypothèse la plus réaliste –en l’absence d’un consensus politiquefort sur le développement durable.

De quelle marge de manoeuvre eff e c-tive peut éventuellement disposer une

6 1 Au scepticisme des “environnementalistes” r é-pond ainsi celui des aménageurs, élus ou indus-triels. Pour les défenseurs de l’environnement, ilne saurait y avoir d’avancée en matière de déve-loppement durable sans que soit d’abord respec-tée une condition essentielle: la mise en oeuvredes dispositions existantes en matière de protec-tion de l’environnement (voir le débat sur“Natura 2000”) .6 2 Nom d’un des scénarios imaginés par EDFdans ses travaux sur le développement durable.

Une bonne illustration de l’éventail des perspectives généralement envisagées sous la dénomination commune de “dé-veloppement durable” nous est donnée dans le travail engagé en 1996 par le Centre de Prospective et de Ve i l l eScientifique – qui a exploré, de manière très qualitative, cinq scénarios de développement durable pour la France en2030 -. Le premier, “scénario du Double dividende” met l’accent, dans une logique d’efficacité “parétienne”, sur desstratégies de rationalisation économique et technique à court terme (réduction des gaspillages, création d’écotaxes,Agendas 21 locaux...). Le second, “Renaissance verte”6 2 fait l’hypothèse d’un nouveau cycle de croissance économiqueforte et d’innovation qui donnerait une place majeure aux activités économiques et aux emplois liés à l’environnementdans les décennies à venir (avec un marché de l’ordre de 1500 milliards de dollars en 2030). Le troisième, “SociétéF r u g a l e”privilégie une approche très normative de la conservation (de matière, d’énergie, d’espace...) à l’instar des pro-positions faites par le Wuppertal Institute en Allemagne (réduction des consommations de ressources par 4, puis par 10,dématérialisation radicale de l’économie...). Le quatrième, “Développement alternatif”fait l’hypothèse de changementsmajeurs dans les modes de vie, le temps de travail, la répartition des activités sur le territoire, les rapports Nord – Sud,et la structure des activités – avec des inflexions fortes dans les politiques de transport, d’urbanisme, de production agri-cole – et dans la fiscalité. Enfin, le dernier, “Ouverture du futur” essaye de maximiser les marges de manoeuvre et lespossibilités d’adaptation pour les générations futures (limitation des choix totalement irréversibles, maximisation de laflexibilité, réduction de la vulnérabilité...).

ENCART N°1 : Cinq scénarios de développement durable pour laFrance à l'Horizon 2030

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telle stratégie durable opportuniste ?Pour les experts6 3, la réponse est relati-vement claire : mettre d’abord pleine-ment en oeuvre les dispositifs contrac-tuels et réglementaires existants – àl’échelle française ou européenne; an-t i c i p e r, ensuite, sur les dynamiques dem a r c h é – par la fiscalité, l’innovationet la création de nouveaux services ; etenfin, s’appuyer sur la vigilance etl’inquiétude croissante de l’opinionpour développer l’information, étendrela labélisation, créer des observatoires,ouvrir les procédures, ou systématiserl’évaluation des politiques publiques(voir le schéma 7).

Cette stratégie plutôt raisonnable – et,il faut bien le dire, plutôt convenue –s’inscrit en effet assez bien dans lestendances, déjà visibles, du contexteactuel. La panoplie des procédurescontractuelles s’est considérablementenrichie dans les années précédentes ;et les opportunités vont encore s’ac-croître avec l’Agenda 2000 ou la nou-velle loi sur l’Aménagement duTe r r i t o i r e : contrats de Pays, contratsd’agglomération, contrats de Plan,chartes des Parcs Régionaux, schémasd’aménagement et de gestion deseaux, contrats territoriaux d’exploita-tion, Agendas 21 locaux, contrats eu-ropéens, etc. On imagine la marge demanoeuvre considérable que pourrareprésenter une utilisation intelligentedes 300 milliards de francs mobiliséspar les futurs contrats de plan ! Ducôté réglementaire, la simple applica-tion des engagements internationauxpourrait, à elle seule, suffire à justifierune stratégie active de développementd u r a b l e : il faudra, de toute façons’adapter à la constitution – déjà “pro-g r a m m é e” – d’un “espace écologiqueet sanitaire euro p é e n” avec desnormes élevées, et prendre des me-sures pour appliquer la loi sur l’air oustabiliser les gazs à effet de serre... Laconfiance dans l’innovation est, elleaussi, particulièrement forte – avecpeut-être enfin la perspective de rup-tures significatives dans des domainescomme les transports ou les énerg i e sa l t e r n a t i v e s : beaucoup y voient, deplus en plus, la solution “miracle” a u xproblèmes de ressources, de conges-tion urbaine ou de désertification ru-rale... La demande d’information, detransparence, d’indicateurs, d’évalua-

tions n’a jamais, de son côté, été aussip r e s s a n t e ; et les aménageurs eux-mêmes voient désormais un certainavantage à une plus large ouverture dudébat public. Enfin, tout permet depenser que les “écotaxes” vont, égale-ment, se développer – ne serait ce quepour financer la baisse des charges so-ciales liées à la mise en oeuvre des 35heures.

Si l’on ajoute à cela les opportunitésplus récemment ouvertes par la poli-tique gouvernementale de l’emploi,ou par la régionalisation des politiquesde transport ou d’énergie, on constateque la liste des atouts pour une poli-tique “au fil de l’eau” n’est finalementpas mince.

Curieusement l’aménagement du ter-ritoire n’apparaît que très marg i n a l e-ment dans cette liste des marges demanoeuvre effectives mises en avantpar les experts (voir une nouvelle foisle schéma 7). Certes, ce scepticismene s’applique qu’à la politique glo-b a l e : la DATAR joue, en réalité, unrôle majeur dans beaucoup des leviersd’action cités comme efficaces (de-puis les politiques contractuelles jus-qu’à l’aide à l’innovation en passantpar l’emploi et l’information) – et setrouve parfaitement en phase avec unedes idées centrales de ce scénario quie s t la concurrence sur la qualité dest e r r i t o i re s. Il faudrait, par ailleurs, te-nir compte des changements interve-nus depuis 1997 ou envisagés dans lanouvelle loi (comme les “schémas des e r v i c e”). Il n’en reste pas moins quela politique d’aménagement du terri-toire et un des domaines d’action pu-blique où la distance semble aujour-d’hui la plus grande entre l’impact po-tentiel – a priori considérable en termede “développement durable” (voir lapartie I) – et l’effet réellement es-compté. Distance à la fois budgétaire,administrative et culturelle...

C’est une des raisons pour lesquellesles résultats à attendre de ce premierscénario sont relativement limités.Tout d’abord, la majorité des opportu-nités ou des instruments aisément mo-bilisables concernent beaucoup plusles processus de production et la qua-lité des produits que la localisation desactivités sur le territoire : même si on

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6 3 S o u r c e : Groupe de travail du CPVS sur lesscénarios du développement durable pour laFrance à l’horizon 2030. Enquête du BIPE( 1 9 9 6 ) .

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SCHÉMA N° 7 : Quelles marges de manoeuvre effectives d'ici à 2010 ?

Politiques contractuelles de l'environnement

Recherche et développement

Taxes et redevances spécialiséesDéveloppement de technologies spécifiquesà l'environnementTransparence et promotion du systèmed'information sur l'environnement

FiscalitéDémocratie, niveaux et processusde décisionRéglementation et normesenvironnementales

Diffusion des techniques innovantes

Protection du patrimoine écologique

Prévention des risquesChangement d'organisation de l'agricultureet restructuration de l'espace rural

Grands travaux d'infrastructures

Education et formationPrise en compte de l'environnement dansles orientations technologiques générales

Aménagement du territoire

Construction européenne

Culture et médiasPrise en charge de la gestion de l'environ-nement par de nouveaux groupes sociaux

Organisation, formes et durée du travail

Planification spatiale

Politique du cadre et de la qualité de vie

Politique de la ville

Développement du consumérisme vertRelations extérieureset aides au développement

Distribution des revenusAffirmation de l'écologiecomme force politique majoritaireAdaptation du droit de la propriétéà la gestion des biens communs

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Moyennedes réponses

en %

Source : Groupe de travail “Développement durable” (BIPE-CPVS)

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savait lier l’une à l’autre, cette dissy-métrie resterait néanmoins très forte6 4.Et surtout, on reste dans une logiqueo p p o rtuniste de financement dep rojets et d’intervention sectorielledans laquelle les stratégies fines ettransversales de développement du-rable auront toujours des difficultés àse situer6 5. La panoplie des instru-ments actuellement existants pourraprobablement permettre de protégerdes espaces déjà sauvegardés, et derenforcer les atouts des régions ou desvilles déjà favorisées : elle ne semblepas en mesure de freiner les évolu-tions non durables des territoires quisubissent les pressions les plus fortesou supportent les handicaps les plusi m p o r t a n t s .

Un scénario volontariste :innovation institution-nelle et recentrage desinterventions de l’Etatsur la prévention des situations manifestementnon durables

Le fil conducteur de ce second scéna-rio est celui qui a été exposé dans laseconde partie de ce papier : articulerune stratégie volontariste de dévelop-pement durable autour d’un “tripode”constitué par une décentralisationbeaucoup plus forte, une politique ac-tive d’innovation institutionnelle et unrecentrage de l’action de l’Etat sur laprévention des risques les plus gravesde développement non durable (voir leschéma 6). Cela revient, comme on l’adit, à introduire une dissymétrie forteentre l’incitation au développementdurable (dans une perspective de“qualité globale” des territoires), et letraitement à long terme des situationsnon durables.

Là où le premier scénario mettait l’ac-cent sur une exploitation intelligentedes circonstances, des opportunités,ou des conjonctions aléatoires d’inté-rêt, il s’agit, cette fois-ci, de donner àl’articulation entre “aménagement duterritoire et développement durable”un ancrage institutionnel solide et per-manent. L’hypothèse centrale de cesecond scénario est qu’un tel ancragepasse nécessairement par une redéfini-

tion profonde des principes mêmes del’aménagement du territoire ; et parune nouvelle “division du travail”entre l’Etat, les collectivités locales ettous les autres acteurs impliqués.

Même si les grandes lignes de ce “nou-veau partage” ont déjà été esquisséesdans la partie précédente, il n’est sansdoute pas inutile de les répéter, en étant,cette fois-ci, un peu plus explicite. Lepoint de départ est celui de la “subsi-diarité active”6 6. Aux collectivités lo-cales et à la société civile de mettre enoeuvre démocratiquement et aux bonsniveaux (régions, pays, aggloméra-tions...), les politiques intégrées quipermettent un développement durabledes territoires, en en assumant pleine-ment la responsabilité. A l’État deprendre en charge, dans une p e r s p e c-tive de solidarité et de réponse auxbesoins non solvables,, les risquesécologiquement ou socialement intolé-rables, dans la mesure où ils sont mani-festement non maîtrisables au niveaulocal ou résultent d’inégalités de situa-tions inacceptables. Alors que le pre-mier scénario jouait sur la confusiondes rôles, le second cherche ainsi, aucontraire, à les spécifier, à les diff é r e n-c i e r. En caricaturant, on peut dire qu’ils’agit de distinguer plus clairement cequi relève du “comment vivre en -s e m b l e ?”– et ce qui s’apparente plutôtau “comment surv i v re ensemble ?”. Ou,si l’on préfère, de préserver l’initiativeet le “droit à l’erreur”– et donc un exer-cice plus large des responsabilités – engarantissant, en contrepartie, une pro-tection mieux affirmée contre lesrisques intolérables6 7.

Une telle différenciation des fonctionsne peut néanmoins se concevoir sansun minimum d’accord sur les objec-tifs, et d’encadrement des actions pardes principes et des règles du jeu clai-rement définis. La “clef de voûte” d ece second scénario est donc la mise enplace de “politiques constitutives”,faisant reposer l’aménagement du ter-ritoire et le développement durable surdes fondements juridiques solennels,“créateurs de formes d’action collec -tive stables, hiérarchisées, généralessur tout le terr i t o i re . . .”6 8. Il s’agitd’inscrire les négociations entre ac-teurs dans un ensemble de règles dujeu stabilisées à long terme mais aussi

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6 4 En ce qui concerne les PME-PMI, la DATAR arécemment diffusé une étude de RDI sur les rela-tions à renforcer entre la qualité de la productionindustrielle et des produits et la qualité des terri-toires. On y propose de développer collective-ment la labélisation et la certification de zonesd’activité (exemple de Landacres, dans le Pas-d e - C a l a i s ) .6 5 La logique de contractualisation de projets atoujours conduit à financer des projets d’investis-sement lourds – plutôt sectoriels. Elle pourra ser-vir à financer le transport combiné ou des ré-seaux d’assainissement ou de transfert d’eau,mais sans doute pas des programmes intégrés ded é v e l o p p e m e n t .6 6 “ Troisième voie entre le jacobinisme et la sub-sidiarité, le principe de subsidiarité active a étéclairement défini par Pierre Calame et AndréTalmant dans leur livre: “L’Etat au coeur;L e m é c a n n o de la gouvernance”. EditionsDesclee de Brouwer, 1997.6 7 “Le droit catégorique à l’erreur”, disait ainsi en1991 Bernard Gugenberg e r, “inclut le droit devivre dans un monde où aucune erreur humainene peut devenir une catastrophe irréparable; unmonde qui puisse fonctionner sans que tous agis-sent comme des automates, qui puisse tournersans que tout soit forcément garanti”. (Source:La Te rre outragée, Autre m e n t 1 9 9 1 ) .6 8 S o u r c e : J. G. Padiolau: Du terr i t o i re au gou -vernement des risques. L’action publique post-m o d e r n e. Groupe DATAR – CPVS – Novembre1 9 9 8 .

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d ’ a ffirmer clairement un certainnombre de principes d’action, telsque, par exemple, l ’ é c o c o n d i t i o n a l i t édes aides publiques, l’application duprincipe de précaution, ou la prioritédonnée à une gestion démocratiquedes biens publics. On se rapprocheainsi d’un modèle “de régulation àl ’ a l l e m a n d e”, avec une forte décentra-lisation, l’inscription dans le droit degrands principes d’actions, un “em-boîtement hiérarchisé” des diff é r e n t sniveaux de responsabilité, une réaff i r-mation du rôle de la planification phy-sique, et une place importante donnéeà l’évaluation6 9. C’est dire le rôle joué,dans cette perspective, par l’innova-tion institutionnelle.

Tout ne se résume pourtant pas à cetteidée de “politique constitutive”. Lad i fférence par rapport au modèle alle-mand ou européen est, en effet, que cesecond scénario continue à accorder àl’Etat, une fonction majeure dans letraitement à long terme des situationsmanifestement non durables.

Une telle démarche, très diff é r e n t edans sa méthode, de la stratégie op-portuniste renvoie naturellement à unequestion fondamentale : y a t-il oupas, en France, des dynamiques ter-ritoriales de développement non du-r a b l e s ? C’est sans doute à chaque ré-gion ou à chaque ville de répondre parelle-même à cette question. Al’échelle française, ou même euro-péenne, l’évaluation fait l’objet dec o n t r o v e r s e : la France n’est nil’Egypte – qui ne survit que par l’aideinternationale – ni le Sahel ou leBangladesh. Cela n’exclut pas, néan-moins, de considérer certaines évolu-tions comme manifestement non du-rables à long terme7 0 – soit qu’ellesconduisent à des impasses évidentespour les générations présentes ; soitqu’elles impliquent une réduction irré-versible des marges de choix – et doncune vulnérabilité excessive – pour lesgénérations futures.

Si l’on s’en tient à ces deux critères,on aboutit, finalement, à une liste re-lativement re s t reinte de ces situa-tions “insoutenables” :

– la tendance, qui semble aujourd ’ h u iacceptée, à un “apart h e i d” urbain, et

à la concentration dans environ unmillier de quartiers des inégalités éco -nomiques, sociales et écologiques lesplus graves7 1 ;

– la création de nouveaux “ghettos” àla périphérie lointaine des villes, etl’explosion, apparemment incontrô -lable, de la mobilité liée à l’éclate -ment urbain ;

– la possible marginalisation défini -tive de certaines zones de re c o n v e r -sion industrielle (et la re p ro d u c t i o ndes mêmes vulnérabilités dans les ré -gions de monoactivité)7 2 ;

– une agglomération parisienneconcentrant d’ici 30 ans 15 millionsd’habitants et plus du tiers de la ri -chesse nationale ;

– la concentration des infrastru c t u re s ,des activités et des populations dans leSud Est de la France (couloir rh o d a -nien, vallées et massifs alpins touris -tiques, littoral méditerranéen...) –c’est à dire dans les régions à la foisles plus vulnérables et écologique -ment les plus riches de France ;

– l’artificialisation non maîtrisée dulittoral et des estuaire s ; qui pour -raient pre n d re, eux aussi, leur carac -t è re attractif si elle se poursuivait aurythme actuel (nouvelle augmentationd’un tiers d’ici 20 ans) ;

– l’aggravation continue de la pollu -tion agricole en Bretagne et ses effetsrégionaux sur la filière agro - a l i m e n -t a i re et le tourisme ;

– les risques de “triple impasse (so -ciale, économique, écologique) résul -tant d’une surexploitation des re s -s o u rces ou d’un suréquipement dansc e rtaines filières professionnelles (pê -cheurs, transporteurs routiers, exploi -tants de carr i è re, producteurs dep o rc . . . ) ;

– le leg massif aux générations future sde problèmes écologiques actuelle -ment sans solution (changement cli -matique, traitement des déchets nu -c l é a i res, extension des superficies cul -tivées en plantes transgéniques, explo -sion du trafic aérien...) ;

– la vulnérabilité excessive de cert a i n s

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6 9 Voir G. Marcou et al: “L’aménagement du ter -r i t o i re en France et en Allemagne”. Paris. LaDocumentation Française. 1994. Ouvrage citépar J. G. Padiolau in “L’action publique post mo-d e r n e”.7 0 S o u r c e : Héritiers du Futur – Editions del’Aube (sous la direction de R. Passet et J. Theys– 1996).7 1 Un habitant sur 12 en France métropolitaine,soit près de cinq millions de personnes, résidedans l’une des 716 “zones urbaines sensibles”instituées par la loi de novembre 96 (source: IN-SEE première n° 573, avril 98). Selon lessources, le nombre de ces quartiers“ d é f a v o r i s é s”varie du simple au double (650 à1 3 0 0 ) .7 2 Voir le travail fait par Bertrand Zwindeau surle “développement non durable du BassinHouiller du Nord – Pas de Calais” ( c o m m u n i c a-tion présentée au colloque de Fontevraud, sep-tembre 1996. Source: La dimension spatiale dudéveloppement durable: une application aux ter-ritoires de conversion.).

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t e rr i t o i res (littoral, zones inondables,zones exposées, …) aux catastro p h e sn a t u relles ou technologiques ;

– et enfin, les pertes de valeur oucontraintes irréversibles liées à la dis -parition de certains “capitaux cri -t i q u e s” (espaces protégés re m a r -quables, patrimoines naturels ou cul -t u rels irremplaçables, espèces endé -miques menacées, nappes souter -raines vulnérables, sols encore nona rtificialisés dans les régions densé -ment construites, etc.)

On ne suggère naturellement pas, pourprévenir ou éradiquer ces risques, dereconstituer un équivalent du “gos-p l a n”. Tout l’intérêt de cette liste estjustement de s’en tenir à des objectifs– au lieu de préjuger, comme c’est ha-bituellement le cas, des moyens néces-saires. On imagine que, dans ce se-cond scénario, les stratégies de l’Etatpourraient très bien s’accommoder delogiques d’action assez diff é r e n t e s ,depuis la simple mobilisation des ou-tils existants (contrats de plan, sché-mas de service) jusqu’à un réfor-misme beaucoup plus “proactif” –comme celui qui est suggéré, page sui-vante, dans la proposition d’un “n o u-vel Agenda 21” pour l’aménage-ment du territoire (voir le schéma 8).L’essentiel est de rappeler, à travers ceplaidoyer pour un recentrage des ac-tions de l’Etat, que le développementdurable est d’abord un appel à débattresur les priorités, un appel à l’expres-sion de volontés politiques, avantd’être un ensemble – plus ou moinshétéroclite – de recettes techniques oud’instruments appropriés.

Admettons le : les atouts favorables àla mise en place de ce second scénariosont plutôt minces. Comme le re-marque J. G. Padiolau, “le réformismeinstitutionnel dérange les pratiques etles référentiels dominants” ; et per-sonne, aujourd’hui, n’est probable-ment prêt à défendre un certain recen-trage de l’Etat sur la prévention desévolutions non durables du territoire ;ni même simplement à admettre l’idéed’une liste de priorités, telle que cellesuggérée précédemment7 3. Il est sansdoute aujourd’hui beaucoup moinsrisqué pour la politique d ‘ a m é n a g e-ment du territoire d’accompagner desdynamiques de développement exis-tantes que de s’engager dans des voiesaussi lourdes et périlleuses que la pé-réquation fiscale entre communes7 4, laréduction des inégalités écologiques,un rééquilibrage radical des systèmesde transport ou la reconstruction desvilles sur elles mêmes...

Dans un monde de ruptures, emportépar la vitesse des transformation queconnaissent les modes de vie, les tech-niques, les territoires, ce sont sansdoute les institutions, plus encore queles opinions publiques, qui ont le plusde difficultés à changer. A l’heure del’intégration européenne et face à lamultiplication des revendicationsidentitaires, c’est pourtant de leur ca-pacité à évoluer que dépendra, engrande partie, la possibilité d’un amé-nagement durable du territoire – aubénéfice des générations futures. Etsans doute, aussi, celle d’un nouvelélan démocratique – qui en est à la foisla condition et l’horizon indépassable.

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7 3 Même si les négociations sur les contrats deplan ne sont pas terminées, il ne semble pasqu’elles conduiront à un rééquilibrage significatifen faveur des régions économiquement en crise,ni même en faveur de l’environnement (qui nedevrait bénéficier que d’une enveloppe d’environ2,5 milliards de francs sur une centaine attribuéspar l’Etat).7 4 La loi Chevènement du 1er Juillet 99 com-prend sans doute de fortes incitations à la “péré-quation fiscale”à l’intérieur des communautés decommunes ou d’agglomération, mais il faudra at-tendre pour en apprécier l’efficacité réelle, et lesexpériences passées n’incitent pas à l’optimisme.

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1 ) Si l’on définit le développement du-rable comme un développement quiassure les conditions à long terme desa reproduction et concilie la satisfac-tion des besoins des générations ac-tuelles et des générations futures, onpeut alors craindre que les tendancesactuelles conduisent à un développe-ment non durable de l’Europe.Plusieurs raisons peuvent être invo-q u é e s : la vulnérabilité et la saturationcroissante des régions “métropolitainesc e n t r a l e s ” ; le déséquilibre entre em-ploi et activité, notamment dans l’agri-culture ; l’éclatement des grandesv i l l e s ; les conflits d’usages croissantssur le littoral et les grandes vallées(notamment alpines) ; le “décrochage”économique et le risque de désertifica-tion d’une partie importante des ré-gions périphériques ; la dissociation,qui s’accentue, entre dynamique dé-mographique et dynamique écono-m i q u e ; enfin, la difficulté à construire,à l’échelle européenne, une véritablepolitique “d’infrastructures écolo-g i q u e s ” .Certes la politique européenne et celledes États limitent ces tensions : lesécarts entre régions riches et régionspauvres se sont relativement peu ac-crus, mais les tendances à la concen-tration et à la métropolisation n’ontpas encore produit leurs eff e t s .

2 ) Pour illustrer ces problèmes de dé-veloppement durable à l’échelle euro-péenne, on peut faire quelques

constats généraux : par exemple, 70 %de la production européenne est réali-sée sur 30 % de l’espace. Cette pro -p o rtion peut passer dans vingt ans à7 5 % sur 25 % du terr i t o i re . C e t t econcentration risque de créer des ten-sions dans la politique des régions oùelle se situe ; les Pays-Bas, le massifalpin et la plaine du Pô, au nord, aucentre et au sud de la “zone métropoli-taine”, sont des régions très vulné-rables cumulant de multiples pressionsé c o l o g i q u e s . L’extension continue deLondres et de la région parisienne sefait avec des coûts sociaux et en infra-structures fortement croissants ; laR h é n a n i e - Westphalie ne parvient pas àe ffacer les séquelles de son industriali-sation passée : un rapport récent de laCEE évalue à 700 milliards de francsle coût en énergie et en temps perdu liéà l’aggravation des encombrements enEurope, essentiellement dans la région“ c e n t r a l e ” .

3 ) Une autre source de déséquilibreexiste dans le domaine agricole. Surles 8 millions d’emplois agricoles dela Communauté, 75 % se trouventdans les régions du Sud de l’Europe.Or les terres les plus productives setrouvent dans les régions du Nord.L’agriculture hors-sol conduit à uneconcentration des élevages sur desparties de plus en plus limitées du ter-ritoire (25 % des élevages bovins, devolailles ou de porcs sont concentréssur moins de 4 % de l’espace) et ac-

Annexe 1 :

LES TENDANCES “NON DURABLES” DE L’ A M É N A G E M E N TDU TERRITOIRE EUROPÉEN

Source : J. Theys, in “Héritiers du futurs”,Éditions de l‘Aube, 1995

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centue la déconnexion entre les em-plois, le foncier et la production.L’ e ffondrement de l’agriculture dansles régions Sud de l’Europe – où ellereprésente encore de 15 à 30 % desemplois – ne ferait qu’accentuer lechômage que connaissent déjà lespays concernés (Espagne, Portugal,Grèce, Sud de l’Italie) et ce d’autantplus que l’entretien de facteurs de pro-duction aussi importants que l’eau etle sol est négligé. L’ é l a rgissement del’Europe aux ex-pays de l’Est devraveiller à ne pas accentuer ces tensionsp o t e n t i e l l e s

4 ) Le développement urbain est aussisource de déséquilibres à long terme.La tendance actuelle conduit à cumu-ler les inconvénients de la concentra-tion dans les métropoles et de la dis-persion de l’habitat urbain autour deces centres. Le modèle de la “villeéclatée” s’accompagne d’un accrois-sement de la ségrégation et des inéga-

lités des agglomérations et d’une ag-gravation des problèmes de transport(l’extension des villes dans un rayonde 30-50 kilomètres rend la mise enplace de transports collectifs quasi-ment impossible). Cela explique les li-mites de la capacité des pays euro-péens à maîtriser les problèmes d’en-vironnement liés aux transports (enparticulier l’effet de serre).Les inégalités spatiales sont donc undes facteurs majeurs de “non durabi-lité” du développement en Europe ou,en tout cas, de risque de non durabi-lité. Il reste à imaginer pour l’Europedes formes de développement quimettraient en concurrence plusieurspôles, ouverts sur le reste de l’Europeou du monde (par exemple un pôle py-rénéen-méditerranéen et un pôle cen-tré sur la Baltique) et à construire, àcôté de l’espace économique et moné-taire un “espace social” et un “espaceécologique” s’intégrant dans une pers-pective de développement durable.

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Dans un colloque organisé en 1996par la DATAR et le Centre deProspective et de Veille Scientifiquede la DRAST1, Alain Bonnafous, pro-fesseur à l'université Lyon II, rappe-lait la forte dépendance des flux detransport à la croissance : “Les trans -p o rts”, re m a rquait-il, “croissent en -c o re plus vite que l'économie lorsquecelle-ci est en expansion, mais ilsstagnent dès que la croissance estfaible et régressent plus fortement quela production en cas de récession.Cela signifie”, concluait-il, “que se -lon que l'on se trouve sur une phasedescendante ou ascendante des cycleslongs de croissance, dans une pers -pective de vingt ans, tel type de traficpeut être quasiment inchangé ou lar -gement quintuplé” .

Ce pronostic, partagé par la majoritédes experts de transport, sembleconfirmé par les évolutions actuelle-ment constatées en matière de mobi-lité – dans un contexte de retour de lacroissance. Les récentes statistiquespubliées par le Service des Etudes etStatistiques du Ministère de l'Equipe-ment font en effet état, pour la période1988-2000, d'une croissance annuellede la circulation des voitures sur lesroutes de l'ordre de 3,7 %2 (6% pourles autoroutes), d'une hausse du trans-port routier de marchandises de l'ordrede 4 à 5 % (5,2 % en 1999), et d'une

augmentation du transport aérien de 6% par an pour les lignes intérieures et11 % pour les lignes internationales(en nombre de passagers)3. Ces tauxd'augmentation (constatés malgré unehausse sensible du prix des carbu-rants) sont très largement supérieurs àceux qui avaient servi de base à l'éla-boration du “schéma de service-trans-port" et aux prévisions d'évolution desémissions de polluants urbains ou degaz à effet de serre (CO2) liés auxt r a n s p o r t s4. Ces prévisions reposaienten effet sur l'hypothèse d'un ralentisse-ment de la mobilité par rapport auxdécennies précédentes (taux de crois-sance annuels de l'ordre de 1,5 à 2 %).

A l'échelle des villes, les observations,également récentes, faites par leC E RTU et le Centre Technique del'Equipement de Nord Picardie sem-blent même faire apparaître non pasun ralentissement mais une reprise à lahausse de la mobilité (calculée ennombre de déplacements) dans beau-coup de villes françaises. C'est ce quiapparaît dans le graphique suivant(graphique 1), avec semble t'il une in-flexion à la fin des années 80 (voir lesexemples de Lyon et Marseille). Celas'accompagne, dans toutes les villesfrançaises, même à Strasbourg, d'uneaugmentation sensible de la “part demarché” de la voiture – accrue envingt ans de 10 à 20 % selon les villes.

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Annexe 2 :

RETOUR DE LA CROISSANCE, RETOUR DE LA MOBILITÉ ?

1 Alain Bonnafous : “Les transports, mobilité etrecomposition” in “Quels enjeux pour le terr i -t o i re français dans l'Europe de demain ?”,Techniques, Territoires et Société, n° 33, CPVS,D R A S T, MELT, décembre 1996.2 3,2 % en 1998 ; 3,8 % en 1999, 3,6 % envi-sagé pour l'an 2000 (pour la circulation sur lesautoroutes les croissances sont de 5,9 % en 1998,6,1 % en 1999, 5,3 % prévus en l'an 2000).3 Sources : Notes de synthèse du SES (DAEI,M E LT), n° 126, novembre-décembre 1999 (L et r a n s p o rt de voyageurs au diapason de la cro i s -sance en 2000, Croissance soutenue du transportde marchandises en 2000, Les transports en1 9 9 9 . . .) .4 Source : Évaluation environnementale des sché -mas de services de transport, Notes de sythèsedu SES (DAEI, MELT), mai 1999. Rappelonsque dans les scénarios “tendanciels” envisagésdans cette évaluation, les pollutions urbainesliées aux transports devraient diminuer à l'hori-zon 2020 de 65 à 85 %, et les émissions de CO2

augmenter de l'ordre de 20 %.

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P a rtant de la multiplicité des expé -riences des pays présents à la confé -rence, la question qui était posée auxi n t e rvenants du thème 1 (“Modèles etoutils de la prévention”) était simple :en matière de prévention des catas -t rophes naturelles va t’on vers unec o n v e rgence des politiques; ou peuton, au contraire, distinguer des mo -dèles et outils différents – corre s p o n -dants à des “philosophies d’actions”ou à des niveaux de développementeux mêmes contrastés?

A cette question s’en ajoutait une, plusspécifique: le concept de “développe -

ment durable” a t-il une place dansces modèles ? Dans quelle mesure a t-il, ou pas, modifié les politiques tradi -tionnelles de prévention des risques ?

De manière très schématique, on peutd i re que la conférence a permis dem o n t rer qu’il y avait bien plusieursmodèles de prévention contrastés (onen distinguera ici cinq); mais que l’in -tégration des catastrophes nature l l e sdans les politiques de “développementdurable” était à peine amorcée, mêmedans les pays où une telle politiquee x i s t e .

PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLESET DÉVELOPPEMENT DURABLE :

DEUX UNIVERS DE PRÉOCCUPATIONQUI S’IGNORENT

* Conférence de clôture de la DécennieInternationale des Catastrophes Naturelles(Nations Unies) organisée par le Comité françaispour la décennie.

I. LES MODÈLES EN COMPÉTITION

1 . Au point de départ de notre ré-flexion sur les modèles et outils il y aun constat: celui d’un décalage crois-sant entre la priorité de principe accor-dée à la prévention par rapport à la ré-paration des catastrophes – et la fai-blesse persistante des moyens qui luisont effectivement consacrés. Déca-lage entre le discours de la préventionet sa réalité.

Ce constat n’est pas nouveau. C’est laperception d’un tel décalage - et de sesconséquences négatives - qui a justifiédepuis plusieurs décennies la mise enœuvre progressive de politiques deprévention - dont on connaît bien au-jourd’hui les outils - et qui, mis en-semble, constituent désormais le mo-dèle “classique” de gestion préven-tive. Ce modèle classique que l’on

peut appeler “modèle de gestion pré-ventive spécialisé” a été très bien dé-crit, en séance plénière, par PhilippeVesseron, délégué aux risques ma-jeurs, à partir de l’exemple français.

Rappelons en, très brièvement, les ca-r a c t é r i s t i q u e s :

– d’abord un effort persévérant, maisparfois fastidieux, de connaissancedes aléas et des vulnérabilités;

– une information ouverte et transpa-rente du public, allant éventuellementjusqu’à sa participation aux décisions ;

– une prise en compte spécifique desrisques et des vulnérabilités dans laplanification ou l’aménagement au ni-veau local ;

Synthèse de l’atelier “Modèles et outils de la prévention” de la Conférence Internationalede Paris: “Prévention des catastrophes naturelles, aménagement du territoire et déve-loppement durable” (ONU, 17-19 juin 1999)*.

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– la construction d’ouvrages ou l’amé-nagement de dispositifs de protection(depuis les digues jusqu’aux forêtsanti avalanches...) ;

– des contraintes normatives, soit dansl’utilisation du sol, soit dans laconstruction ou la production ;

– la mise en place de mécanismesobligatoires, mais limités, d’assurancedes dommages ;

– et enfin, une bonne organisation pré-ventive de la gestion des situations decrise; et la mise en place d’un certain“retour d’expérience” en cas de catas-t r o p h e .

Ce modèle classique s’est déjà mis enplace dans beaucoup de pays et consti-tue un objectif pour beaucoupd’autres. Il a prouvé son efficacité, et,comme je l’ai déjà dit, on en connaîtbien, désormais, les outils. On peutdire que c’est un peu le modèle idéal,“l’idéal-type” auquel se référent lamajorité des spécialistes du risque.

2 . Et pourtant ce modèle a été forte-ment critiqué pendant la conférence,et je pense, en particulier, aux cri-tiques faites par Camilo CARDE-N A S2 à partir de l’expérience del’Amérique Latine.

Là-encore, je me limiterai à un rappelrapide des principales critiques, ren-voyant pour plus de détails aux actesdu Colloque :

– ce modèle idéal, classique, est assezbien adapté à la prévention des risquesmodérés” ou de moyenne intensité;mais ne constitue pas une réponse à lamesure des grandes catastrophes, et enparticulier de celles qui ont des im-pacts économiques et sociaux majeurs(exemple: impact du cyclone MITCHsur le développement du Honduras oudu Nicaragua) ;

– la prévention, dans un tel modèle, estlimitée à l’échelle locale et ne prend encompte ni les interdépendances régio-nales ou globales ni les relations entresources et effets des aléas ;

– les dynamiques de long terme sontnégligées (et, avec elles, les méca-nismes d’apprentissage) ;

– l’approche est essentiellement tech-nique et intègre mal les dimensionssociales et culturelles du risque, quisont pourtant fondamentales ;

– elle est trop spécialisée pour s’atta-quer aux véritables causes desr i s q u e s : croissance de la pauvreté etdes inégalités; accès limité à la pro-priété foncière, urbanisation incontrô-lée, pratiques agricoles mal maîtri-sées, déforestation massive, etc.3 ;

– elle repose implicitement sur une in-tervention forte des institutions localesou nationales alors que beaucoup depays souffrent d’un déficit institution-nel chronique (absence de moyens ad-ministratifs ou techniques, et souventde structures politiques ou juridiquesfortes et légitimes...) ;

– enfin, et peut-être surtout, ce “mo-dèle de gestion préventive spéciali-sée” s’appuie sur une rhétorique de laprécaution qui n’a aucune chance depouvoir s’imposer en deçà d’un cer-tain seuil de développement écono-m i q u e .

3 . C’est l’ensemble de ces critiques,prises parmi d’autres, qui a conduit lesintervenants de la conférence à propo-ser d’autres modèles alternatifs de pré-vention des risques, sans doute moinsstabilisés, et cohérents, mais peut-êtreplus réalistes. Pour ma part, j’en ai re-péré quatre autres. Je vais rapidementles passer en revue, par ordre d’appa-rition dans nos débats:

• Il y a d’abord le modèle “opport u-niste adaptatif”. Son point de départest un constat réaliste des limites – etparfois de l’impossibilité – de la pré-vention: on ne peut tout prévenir, enpratique on prévoit peu, mais on peutfaire une utilisation intelligente descatastrophes – y compris de celles quise produisent ailleurs. Cela supposed’être réactif, flexible, adaptatif. C’estun peu le modèle qui a été présenté parla Banque Mondiale lorsqu’elle a évo-qué l’idée de “réaménagement desportefeuilles d’investissement” ,de“création d’institutions dans l’ur-gence”, “d’utilisation opportuniste duchoc émotionnel lié à la catastrophe”,de “saut culturel”, etc. Le problèmedans ce modèle, c’est de ne pas réagir

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2 Responsable de l’Office pour la prévention desrisques de développement en Colombie (COR-P R E V E R )3 Sur ces limites, voir les interventions faites enséance plénière et en atelier sur la Chine,l’Amérique centrale et les Philippines.

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à l’événement en créant des irréversi-bilités à long terme inacceptables pourles populations (par exemple en lesdélocalisant massivement); c’est depouvoir maintenir à long terme cetteréactivité et cette capacité d’adapta-tion; c’est finalement d’avoir une poli-tique active de gestion post acciden-telle sur longue période, mettant plei-nement à profit les capacités d’ap-p r e n t i s s a g e .

Il y a naturellement une certaineconnexion entre ce modèle “opportu-niste adaptatif” et la notion plus clas-sique de retour d’expérience.

• Le second modèle alternatif est ce-lui d’une “planification ouverte àl’échelle régionale” (ouverte par op-position à spécialisée).

Trois caractéristiques le distinguent dumodèle classique. D’abord l’idée quel’intégration des risques dans l’amé-nagement du territoire doit se faire àune échelle géographique large - ré-gionale même internationale. Ensuite,la nécessité de passer des compromisavec la nature: on doit aussi savoircomposer avec les risques et pas né-cessairement chercher à les maîtriser,par exemple, par des digues. Et enfin,l’idée d’une planification à long termenégociée avec le maximum d’acteursconcernés - ceux-ci étant envisagés demanière très large, dans une perspec-tive d’intégration en amont.

C’est un peu ce qui a été présenté àtravers l’exemple des Pays Bas4.L’objectif, dans ce modèle, c’est enfait d’ouvrir à la prévention desrisques le maximum de marges de ma-noeuvre. Mais cela suppose de mettred’accord beaucoup d’acteurs à deséchelles multiples - et donc des procé-dures de négociation efficaces et ac-ceptées - ce qui est loin, comme on lesait, d’être toujours possible.

• “Agir d’abord, planifier ensuite”est le mot d’ordre du troisième modèlealternatif, présenté par ShirleyM a t i n g l y5 – que l’on peut appeler l emodèle “d’implication communau-t a i re”. L’enjeu n’est plus de rationali-ser la prévention par des plans ou desprocédures mais de créer des commu-nautés d’intérêt, de construire une cul-

ture commune, de constituer des ré-seaux d’acteurs capables de se mobili-s e r, soit pour mener eux mêmes desactions de prévention, soit pour faireface, le moment venu, à la catas-trophe. L’implication directe et la miseen réseau des acteurs les plus divers(entreprises, associations, médias,scientifiques, collectivités locales, as-surances, etc.) sont naturellement aucoeur de ce modèle. Le problème estque ces communautés d’intérêt (quipeuvent aussi jouer sur la mémoiredes événements passés), ont peu dechance de se développer dans deszones où les risques sont mal perçus,et qu’elles peuvent difficilement pas-ser l’échelle des solidarités locales –même si beaucoup d’espoir est misdans la possibilité de constituer, à par-tir d’elles, des réseaux décentralisésd’échanges d’expérience. On cons-tate, par ailleurs, que ces réseauxd’implication sont particulièrementfragiles, et qu’ils arrivent diff i c i l e m e n tà se maintenir dans la durée: on setrouve donc, là encore, face à une li-m i t e .

• Il ne faut pas oublier, enfin, un qua-trième modèle alternatif, qui, dans unecertaine mesure, rassemble tous lesautres et qui est, tout simplement, ce-lui du développement durable. Leparadoxe est qu’on en a très peu parlédans cette conférence alors que c’étaitexplicitement son objet. Comme jel’ai dit, ce modèle réunit tous les “in-grédients” des autres – l’opportu-nisme, l’élargissement des échelles etdes niveaux de solidarité, la mobilisa-tion des acteurs... Mais il s’en dis-tingue aussi fortement dans la mesureoù il inverse la perspective classiqued’une gestion des risques par des ins-titutions spécialisées: on part des pro-blèmes de développement, des pro-blèmes d’aménagement du territoire,en intégrant ensuite les risques... etnon l’inverse.

Si l’on en a très peu parlé, c’est qu’onen est encore très loin dans la majoritédes pays – y compris dans ceux qui s’intéressent au développement durable. Il y a sans doute, comme l’a bien montrée l’intervention deM . Bourrelier dans l’atelier 1, uneproximité théorique entre préventiondes risques et développement du-rable, mais cette affinité théorique

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4 Voir sur cet exemple des Pays-Bas, le n°46 de2 0 0 1 Plus qui lui est consacré (DRAST- C P V S ,1 9 9 8 )5 Conseiller gouvernemental et ancien directeurde “l’emergency management” pour la ville deLos Angeles.6 Voir sur ce point, l’intervention de P. F. Tenières Buchot dans l’atelier 1.

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n’a pas encore reçu de traductionconcrète. Et il faudra sans doute unelongue période d’expérimentationcommune pour qu’émerge un nou-veau modèle qui les associerait (voirl’encart 1).

Plus précisément, on constate, dans lapresque totalité des pays :

– une dissociation presque systéma-tique entre les programmes de déve-loppement économique, ou mêmeentre les politiques d’aménagement duterritoire à long terme et la préven-tion des catastrophes nature l l e s, gé-néralement “enfermée” dans des dis-positifs spécifiques ;

– une sous-estimation des dimen-sions sociales de la gestion desr i s q u e s, s’accompagnant d’une inadé-quation manifeste des politiques me-nées avec la situation quasi générale decumul des inégalités sociales et d’ex-position aux risques (la protection desplus pauvres n’étant pas assurée) ;

– un sous dimensionnement des mé-canismes d’assurance par rapport aucoût économique croissant des catas-trophes naturelles (500 milliards defrancs pour le tremblement de terre deKobé, 86 milliards d’Euros à l’échellemondiale pour la seule année 1998...)(voir l’encart 2) ;

– une incapacité à anticiper les ef-fets majeurs attendus du réchauff e-ment climatique (fréquence accruedes événements météorologiques –tornades, sécheresses, inondations,r a z - d e - m a r é e . . . ) .

La prévention des catastrophes natu-relles et les politiques de développe-ment durable constituent, en conclu-sion, deux “univers de préoccupation”qui s’ignorent presque totalement –même si l’on perçoit bien ce qu’ilspourraient potentiellement s’apporterm u t u e l l e m e n t .

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E N C A RT 2 : Le coût économique des catastrophes naturelles récentes (les 15 plus grands sinistres par ordre d é c roissant) - en millions de dollars.

S o u rce: Le Monde, 9 novembre 1999

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“Prévenir un danger ultérieur ou démontrer, par un renversement de preuve, l’absence de danger éven-tuel dénote deux préoccupations radicalement opposées. Dans la théorie statistique, la première est ap-pelée “risque de l’acheteur” (du client, du consommateur, de l’usager), la seconde est typique du“risque du vendeur” (privée ou publique), c’est-à-dire de l’entrepreneur d’une action.

Le “risque de l’acheteur” s’éprouve à relativement long terme, au moment de l’exploitation d’un ou-vrage, par exemple: les populations situées à l’aval d’un barrage ne sont pas noyées le jour de soninauguration, mais (parfois) plus tard. Le “risque du vendeur” est très proche de la démarche de qua-lité totale. Il s’agit de montrer que l’ouvrage respecte les normes de sécurité et a été réalisé selon lesbonnes pratiques en vigueur. La démarche du vendeur est toujours à court terme – c’est un minimum –avec une extension de risque sur une certaine période de garantie, forcément limitée puisqu’il y a eucession du vendeur à l’acheteur, de l’ouvrage désormais exploité par ce dernier. Entre la construction,la réalisation et l’exploitation, l’usage, il y a donc transmission plus ou moins progressive de respon-s a b i l i t é .

Lorsque c’est l’Etat (“les Pouvoirs Publics”), qui est à la fois vendeur et acheteur, promoteur et ex-ploitant, la confusion règne. On ne sait plus très bien où se situe le risque, le court terme, la démarchede qualité, les mesures de prévention... La séparation des responsabilités entre services techniques estun préalable indispensable pour éviter ce mélange des genres mais elle n’est pas, hiérarchiquement,toujours observée.”

Toute politique de gestion des risques est une politique de compromis entre les exigences de la so-ciété, de l’environnement et des entrepreneurs. C’est cette notion de compromis qui est au centrede la notion de développement durable qui joue à la fois sur les pratiques, les mécanismes de mar-ché et les systèmes de tarification.Pour être “durable”, une politique de prévention doit donc trouver un accommodement entre lesbonnes pratiques comportementales, la manière de fixer les règles du marché et la contrepartie tari-faire de cette prévention.

Ainsi, si l’on construit un immeuble au bord d’un cours d’eau, il convient de s’assurer qu’une telleconstruction est autorisée (bonne pratique), que le surcoût occasionné (fondations spéciales, mise horsl’eau des soubassements, etc.) entre dans les conditions usuelles du marché immobilier, enfin que lesprimes d’assurances (tarifs) sont bien versées pour couvrir les dégâts éventuels dus à des inondationscentennales ou de plus grande période. On constatera que ces termes de durabilité s’ajoutent les unsaux autres et coûtent cher. Si un immeuble situé au bord d’un cours d’eau s’avère meilleur marchéqu’un immeuble analogue qui en est éloigné, cela signifie que les conditions de durabilité ne sont pasréunies. Une enquête devrait alors être déclenchée pour comprendre ce qui a été oublié et y remédier.Si une telle enquête n’est pas effectuée, cela signifie que le bon sens n’est plus présent au sein des ser-vices publics, et donc qu’on ne peut plus les qualifier de véritables services publics...”Et pour être de bonne qualité, cette enquête doit aussi pouvoir être soumise à la controverse...

S o u rc e : P. F. TENIERES BUCHOT, Intervention dans l’atelier 1 “Modèles de la prévention”:

“Prévention et gestion du risque dans le domaine de l’eau” .

E N C A RT 1 - Le développement durable comme compromis entre différents risques

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Nous cherchions, au début de cetteconférence, à faire une typologie desmodèles de prévention des risques na-t u r e l s ; et je crois qu’on peut dire quenous y somme parvenus. Mais, natu-rellement, le plus important est quecette critique des modèles en concur-rence permette aussi, finalement, de ti-rer quelques conclusions relativementopérationnelles sur la manière d’inté-grer risques naturels et aménagementdu territoire. Mieux capitaliser les en-seignements des crises passées ou“ a i l l e u r s ” .

Je terminerai donc cette synthèse parune liste des propositions qui ont étéformulées dans les différentes interven-tions – sans chercher à les ordonner.Pour faire bonne mesure, je me limite-rai aux dix propositions suivantes :

1 . Aller pro g ressivement vers un dé-cloisonnement de la gestion desrisques nature l s, en les traitant a u s s icomme des problèmes de développe-ment économique, sociaux ou envi-ronnementaux. Les intégrer dans lespolitiques, plans et programmes de dé-veloppement ou d’aménagement duterritoire à toutes les échelles de tempset d’espace.

2 .P re n d re en compte les risques na-t u rels et leur gestion dans les outils etp ro c é d u res d’évaluation existants :études d’impact environnementales;méthodes d’évaluation de projets;normes de qualité; indicateurs de déve-loppement, de performance ou de qua-lité de vie; systèmes de “ratings”...;

3 . Donner la priorité, dans les straté-gies de développement durable à despolitiques de réduction de la vulné-r a b i l i t é aux risques majeurs – et enparticulier de la vulnérabilité des po-pulations les plus défavorisée, notam-ment dans les grandes villes du sud ;

4 . E l a r g i r et mieux articuler l e séchelles d’intégration des risque na-t u rels dans l’aménagement du terri-t o i re : passer du local au régional ouau national.

5 . S ’ o rganiser à toutes les échelles (dulocal à l’international) pour amplifierles effets d’appre n t i s s a g e ou de mo-

bilisation potentiellement positifs liésaux événements accidentels ou catas-trophiques. Développer les potentielsde “réactivité” à l’événement. Mieuxcapitaliser les enseignements descrises passées ou “ailleurs”.

6 . Mieux composer et “passer desc o m p romis” avec la nature. Prendreappui sur une meilleure connaissanceet compréhension des phénomènes etpotentialités naturelles pour ouvrir desm a rges de manoeuvre supplémen-taires dans le traitement des risques etdiversifier ainsi les stratégies de pré-vention ou de gestion de crise.

7 . Mieux intégrer les diff é rents ou-tils de gestion des risques en don-nant la priorité à des approches glo-bales. En part i c u l i e r, re n d re écono-miquement transparents les équi-l i b res et compromis à trouver entrerèglements, instruments de marc h é ,primes d’assurances et coûts de ré-p a r a t i o n pour parvenir, dans la pers-pective d’un développement durable,à une évaluation globale des coûts etbénéficier de la précaution6.

8 . Mettre en plan les outils d’une mo-bilisation des communautés i m p l i-quées par les risques de catastrophesnaturelles au niveau local. Développerla mise en réseau, la communication,les systèmes de responsabilité parta-gée, la constitution de cultures localesdu risque, la participation du public etdes entreprises à la gestion des risquesqui les concernent. Favoriser danscette perspective les échanges d’expé-rience au niveau international.

9 . C o m p a rer les avantages et les in-convénients des diff é rents modèlesc o n c u r rents de prévention desrisques nature l s en évaluant leur de-gré d’adaptation à la situation spéci-fique des pays ou régions concernées.Lancer parallèlement un programmede recherche International sur l’articu-lation entre prévention des risques etdéveloppement durable pour en déga-ger des principes d’action pratiques( “ g u i d e l i n e s ” ) ;

1 0 . Créer aux niveaux national etinternational des “fonds” spécifi-quement consacrés à la prévention,

II. QUELQUES PROPOSITIONS D’ACTIONS

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à partir de ressources provenant desbudgets publics, des organismes inter-nationaux de financement (BanqueMondiale...), des compagnies d’assu-rances, des entreprises et des ONG.

■ Comme on le constate, la plupart deces propositions s’inscrivent dans uneperspective radicale de décloisonne-ment de la gestion des risques natu-rels, et de réarticulation de cette ges-tion avec le développement durable etl’aménagement du territoire. Ellessupposent néanmoins deux conditionsp r é a l a b l e s :

– d’abord la poursuite des efforts faitspar les scientifiques pour mieuxconnaître et évaluer les risques (etdonc un soutien public aux recherchesmenées dans ce domaine) ;

– et ensuite et surtout un effet de soli-darité internationale permettant auxpays en développement, et en particu-

lier aux plus pauvres et vulnérablesd’entre eux, de disposer du minimumde marges de manoeuvre économiquepour mener des politiques de préven-tion eff i c a c e s .

Cela nous renvoie, bien évidemmentau projet de création d’un fonds inter-national de prévention (proposition10), mais aussi à la question, insuff i-samment abordée au cours du col-loque des modèles de développement:on peut penser, en particulier, au rôledes investissements internationauxdans le choix de ces modèles, auxconséquences de la globalisation éco-nomique, et à celles liées à une distri-bution de plus en plus inégalitaire desrichesses et des droits de propriété.

Comme on le voit la matière nemanque pas pour un colloque encoreplus ambitieux… sur d’autres types dem o d è l e s .

6 Voir sur ce point, l’intervention de P. F. Tenières Buchot dans l’atelier 1 et l’encartn ° 1 .

La prévention des inondations enFrance concerne directement plus dedeux millions de personnes et peut af-fecter près d’une commune sur trois.Une crue de la Seine de même am-pleur que celle de 1910, causerait au-jourd’hui au minimum 55 milliards dedégâts, selon l’estimation de l’institu-tion interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine, car leprogramme de protection de la régionparisienne en amont n’a été réaliséqu’au tiers des besoins estimés il y aun demi-siècle ; elle emporterait lesystème actuel d’assurance contre lesrisques naturels majeurs. Les consé-quences financières d’une telle inon-dation, qui peut se reproduire, pèse-raient directement sur le budget del’État.Or, la population n’est pas conscientede sa vulnérabilité aux inondations, en

raison de l’absence très fréquente deplans relatifs au risque dans les zonesinondables les plus urbanisées, des in-certitudes touchant aux choix descrues de référence, du développementincontrôlé de l’urbanisation en bor-dure des cours d’eau et de l’illusiongénérale de sécurité suscitée, malgréleurs limites, par la présence des ou-vrages existants. Bien que laprotectiondes biens et même des personnes nepuisse être considérée comme suiffi-sante, les solutions retenues ou envisa-gées en la matière ne sont pas fondéessur des analyses économiques ou ne ti-rent pas toutes leurs conséquences desrares études disponibles.

Le dispositif général de préventionmanque, enfin, d’efficacité en raison de l’obsolescence du cadre juridiquede base, de l’enchevêtrement et de la

confusion des compétences, de la mé-connaissance du coût de la défensecontre les eaux et du caractère dére-sonsabilisant du régime d’indemnisa-tion des vicctimes. En outre, la qualitédes plans de prévention du risqued’inondation est inégale, lorsqu’ilsexistent. Menée avant les inondationsqui ont affecté le sud de la France dansles derniers mois de 1999, l’enquêtede la Cour fait apparaître la nécessitéd’une réforme législative d’ensemble,notamment pour remédier à la situa-tion d’irresponsabilité à laquelleconduite le système actuel pour la réa-lisation des travaux de protectioncontre les inondations ou pour la créa-tion de services d’annonce des crues.

S o u rce : R a p p o rt de la Cour des Comptes 1999

E N C A RT 3 : La prévention des inondations en France

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Il a été beaucoup dit après les catas-trophes naturelles qu’il s’agit d’événe-ments exceptionnels (c’est-à-dire ex-trêmement rares) et/ou d’intensité ex-t r ê m e . C’est toujours un peu vrai maistautologique puisque c’est la défini-tion même des aléas naturels (dissipa-tion brutale d’énerg i e ) ; c’est particu-lièrement vrai des événements de lafin décembre 1 9 9 9 . Reste à voir ceque cela implique en matière de pré-vention et de réparation.

Je distinguerai plusieurs aspects ouconséquences du caractère extrêmedes aléas :

1o Sur le plan de la prévision et del ’ a l e rt e

La rareté de tels événements entraîneu n e f o rte incertitude sur leur fré -quence (ou probabilité); comme on nedispose généralement pas de sériesstatistiques significatives dans la pé-riode historique, on ne peut procéderque par des extrapolations dont les ré-sultats dépendent de la règle arbitraired’extrapolation que l’on choisit, oubien en se rapportant à des périodesgéologiques, ce qui introduit d’autrescauses d’incertitude.

On observera que la rareté est relativeaux aléas dans leurs caractéristiquess p é c i f i q u e s : tel phénomène météoro-logique à tel endroit, tel séisme dans

telle zone de telle faille etc. ; globale-ment, avec leur diversité les événe-ments exceptionnels se produisent ir-régulièrement mais finalement assezsouvent dans le monde, et même surun territoire de la superficie de laF r a n c e . Une des conséquences des ac-tions de l’homme et particulièrementdu changement de la composition del’atmosphère (accroissement des gaz àe ffet de serre) est de modifier la varia -b i l i t é et les caractéristiques même s’iln’y a pas une augmentation de l’inten-sité des événements moyens ou ex-trêmes (point qu’il est impossible deprouver dans l’état actuel de lascience, à supposer que cette notion aitun sens).

L’intensité de l’énergie dissipée classeles événements extrêmes dans la caté-gorie des phénomènes c h a o t i q u e s ; lap r é v i s i o n ne peut être faite que sur unedurée courte voire parfois quasi nullepour la manifestation initiale, cela enfonction de l’existense de phénomènesprécurseurs exploitables.

Ces deux caractéristiques ne signifientpas que l’alerte est impossible et qu’ilfaut y renoncer ; on verra au contraireque l’alerte est essentielle; mais il fautsatisfaire à deux exigences p a r t i c u-lières pour qu’elle soit eff i c a c e :

• l’alerte doit être diffusée jusqu’auxpersonnes menacées, en suivant en

Annexe 1 :

À PROPOS DES CATASTROPHES NATURELLES :LES PROBLÈMES POSÉS PAR LES

ÉVÉNEMENTS EXTRÊMESPaul-Henry Bourrelier*

* Ingénieur général des mines, ancien présidentde la mission d’évaluation de la politique fran-çaise de prévention des catastrophes naturelles.Ce texte a été écrit à la suite de la tempête dedécembre 99.

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temps réel le déroulement des phéno-mènes, en traitant les informations defaçon quasi instantanée, en expédiantdes messages ciblés et en utilisant descircuits de communication directs ete ff i c a c e s ;• les institutions (services publics, en-treprises) et la population menacéesdoivent être préparées par des exer-cices de simulation et doivent bienconnaître les consignes.

Ces exigences sont certes sévères maiselles ne constituent pas des objectifsimpossibles avec la technologie mo-derne à trois conditions q u e :

1 . L’équipement de surveillance et detransmission soit performant et surtoutrésistant aux agressions (il est très fré-quent qu’une grande partie des ré-seaux d’alerte soit mis hors d’usagedès le début des manifestations) ;

2 . les études préalables aient été faitespour modéliser les événements aucours de leur déroulement ;

3 . la vulnérabilité ait été étudiée d’unpoint de vue g l o b a l en considérant lesinteractions entre les diverses ruptures,pannes et dysfonctionnements de touten a t u r e .

2o Sur le plan des mesures constructives de prévention

Il s’agit de l’occupation du sol et del’entretien des espaces naturels et ur-banisés, des dispositions préventivesde la construction des immeubles (cal-cul des fondations, règles parasis-miques, paracycloniques, etc.), et desouvrages de protection (barrages,digues, paravalanches, etc.)

Ces dispositions assurent la sécuritépour un niveau de référe n c e des aléaspris en considération ; lorsque ce ni-veau est dépassé, elles peuvent réduireles effets mais dans certains cas ellespeuvent au contraire les aggraver :c’est souvent le cas des digues dont larupture, si elle est brutale peut se révé-ler catastrophique pour des populationqui se croyaient en sécurité.Le choix du niveau d’intensité del’aléa de référence est donc fonda -m e n t a l . On peut faire à ce sujet les ob-servations suivantes :

1 . Quel que soit le niveau choisi, ilpeut se produire un événement qui dé-passe son intensité ; simplement si onplace la barre très haut, la probalitéd’un dépassement sera extrêmementfaible sans qu’on soit réellement enmesure de donner avec certitude unevaleur à cette probabilité ;

2 . Le coût des mesures de protectiondes constructions croît considérable-ment avec le niveau de l’intensité der é f é r e n c e ; le calcul économique dé-montre que la valeur actualisée desdommages évités ne justifie générale-ment pas un haut niveau de référence(à très faible probabilité) : ceci tient aufait qu’il est coûteux, voire quasi im-possible de s’opposer de front auxforces de la nature lorsqu’elles attei-gnent une intensité extrême. Les me-sures appropriées consistent plutôt àéviter les lieux où ces forces s’expri-ment le plus violemment, pas une pla-nification de l’occupation du sol (pré-vention que les Américains qualifientde non structurelle) ;

3 . Il est logique d’adopter des niveauxde référence différents selon le carac-tère de l’ouvrage en question : on doitprotéger mieux les i n f r a s t ru c t u res vi -t a l e s, ce que les Américains désignentpar les life lines : certaines voies decommunication indispensables pourl’alerte et les secours ou simplementpour le rétablissement rapide des acti-vités vitales, le réseau d’électricité, leshôpitaux et toutes les installations dontl’endommagement pourrait être catas-trophique (centrales nucléaires, dépôtspétroliers et réseau de gaz, usines chi-m i q u e s … ) ; il est également logiquede mieux protéger les locaux recevantun public nombreux, les écoles…

4. Le niveau relève d’une décision pu-blique (directive, règlement…)puisque chaque opérateur ne peut éva-luer les risques qu’il fait courir à lacollectivité ou apprécier exactement saplace dans la chaîne des dommagesp o t e n t i e l s .

3o Sur le plan de la réparation

Les événements extrêmes peuventcréer des dommages qui posent desproblèmes méthodologiques impor-tants en matière d’indemnisation finan-

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cière et de choix pour la reconstruction.L’indemnisation par les assureurs estreportée au niveau de la réassurancedont la mission spécifique est de ré-partir les risques de la profession del’assurance au niveau planétaire; la ré-assurance est naturellement mondiali-sée et récemment elle s’est fortementc o n c e n t r é e ; toutefois les risques se cu-mulent sur les États-Unis et l’Europeoccidentale et la réassurance est en dif-ficulté pour réassurer les risques ex-trêmes à moins de pratiquer des tarifsd i s s u a s i f s ; d’où certaines interven-tions (sous forme par exemple de ga-rantie) de certains États (France, États-U n i s ) .

L‘octroi d’aides financières publiquesen complément des indemnités des ré-gimes d’assurance est presque tou-jours rendu nécessaire par l’impor-tance des dommages non couverts : si-nistrés non assurés, dommages exclusdes polices, franchises… La solidaritélocale, nationale, et internationale doits ’ e x p r i m e r, et elle comporte une di-mension morale en plus de la dimen-sion matérielle.Le dispositif français présente plu-sieurs anomalies sur lesquelles on acommencé à se pencher :

1 . La frontière entre les risques cou-rants et les risques de caractère catas-trophique est très floue : le régime ditdes catastrophes naturelles est à cetégard hybride : la plus grande partiedes indemnisations couvre les petitsrisques dispersés des inondations etmouvements de terrain qui pourraientêtre couverts par une assurance cou-rante (à condition de la rendre obliga-toire comme l’assurance tempête) ; ladistinction entre aléas n’a aucune jus-tification logique, les derniers événe-ments l’ont bien montré, commel’avaient déjà fait les cyclones tropi-caux dans les départements d’outre-m e r ; l’arbitraire qui règne est sourced ’ o p a c i t é ;

2 . Les risques catastrophiques cou-verts par le régime des catastrophesnaturelles n’ont pas fait l’objet depuisdix-huit ans d’un provisoirement ap-

p r o p r i é : le réassureur (la CaisseCentrale de Réassurance, compagnied’État), qui ne fait pas partie desgrandes compagnies internationalesmais qui est garanti par l’État français,n’a pas été en mesure de constituer desréserves et c’est même sa situation quia été la principale justification du relè-vement de tarif par le Ministre desFinances cet été ; on débouche doncsur une situation inversée dans la-quelle les compagnies peuvent puiserdans les réserves constituées pour lesrisques tempêtes qui ne font pas partiedu régime mais n’ont pas de réservespour les dommages inondations ex-c e p t i o n n e l s ! C’est l’État français quicouvrirait l’essentiel des indemnisa-tions pour ce type d’aléa s’il se pro-duisait à un niveau extrême ;

3 . Le régime dit des catastrophes natu-relles tel qu’il a été pratiqué n’encou-rage pas la prévention car il ne respon-sabilise pas et, paradoxalement, il par-ticipe moins que ne le font certainescompagnies à l’étranger au finance-ment des études préventives ;

4 . Enfin on soulignera la situation descommunes, dont beaucoup de biens nesont pas couverts et qui devront at-tendre des aides.

C o n c l u s i o n

Les dernières tempêtes doivent donnerlieu à réflexion sur les trois plans exa-minés ci-dessus : sur chacun d’eux lesdispositions prises en France méritentun retour d’expérience pour évaluerles corrections à appliquer ; un sérieuxajustement s’impose à mon avis.

Il ne faudrait surtout pas que le carac-tère extrême des aléas subis l’an der-nier conduise à considérer que, s’agis-sant d’événements exceptionnels, leretour de semblable désastre est haute-ment improbable et que de toutes fa-çons il n’y a rien à faire devant de telsdéchaînements des forces naturelles.J’espère avoir montré que de tels arg u-ments ne reposeraient sur aucun fon-d e m e n t .

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Pa rt i e I I

LES VILLES DURABLES,ENTRE PROJET ET RÉALITÉ

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Le scepticisme, pour ne pas dire l’iro-nie, qui ont récemment accompagnéles projets gouvernementaux de “pas-tille verte” ou de “journée sans voi-t u r e” ont peut-être eu pour vertu dep o s e r, en contrepoint, ce qui apparaîtcomme la question centrale pourl’évolution de l’environnement futur –et en particulier pour celle de l’effet des e r r e : comment articuler le tempslong de l’écologie et les transforma-tions au moins aussi lentes de la ville?C’est essentiellement autour de cet en-jeu que se construit aujourd’hui le pro-jet de “ville durable” – qui a pourautre ambition de trouver des compro-mis acceptables entre les objectifs – apriori opposés – du développement ur-bain (l’économique, le social, et l’éco-logique), et entre les exigences diver-gentes du local et du global.

Encore peu présente dans le débat pu-blic en France, la notion de “ville du-r a b l e” suscite pourtant dans la plupartdes pays voisins un intérêt multiformeauprès des collectivités locales, des ré-seaux de villes1, des associations, desEtats ou même des entreprises. Maiselle est loin de recueillir un consen-s u s ; et la question de son opérationa-

lité est ouverte. Comme celle de “dé-veloppement durable” l’expression estconfuse et il n’est pas étonnant qu’ellepuisse donner lieu à des interpréta-tions ou des appropriations locales to-talement divergentes. On peut raison-nablement penser que la thématiquede la “ville durable” va renouvelerprofondément le débat sur la ville2.Mais on peut également craindre quece discours des bons sentiments neserve finalement qu’à masquer descontradictions insurmontables3.

“ L’ e n v i ronnement, comme terme etc o n c e p t”, écrivait Hervé le Bras il y adix ans, “possède bien cette capacitéou cette ruse à exprimer les solidaritésau niveau local comme au niveau glo -bal, sans révéler les contradictionsqu’il re c o u v re4”. La même remarquepourrait, a fortiori, s’appliquer au dé-veloppement durable – dont l’ambi-tion totalisante est manifestement en-core plus grande. S’il nous a sembléutile de mettre en évidence l’ampleurde ces contradictions, c’est aussi pourmontrer qu’au moins dans les villes dun o r d5, celles-ci ne sont probablementpas insolubles.

LES CONTRADICTIONS DE LA VILLE DURABLE

Ce texte devrait être publié en septembre2000, sous une forme légèrement modifiée,dans une grande revue française.D’ici cettedate il ne peut être ni cité, ni re p ro d u i t .1 Le réseau européen des villes durables, appuyépar la Commission Européenne, regroupe plus de500 communes ou agglomérations en 1999.2 C. Emelianoff , 1999, La ville durable, un mo -dèle émerg e n t. Géoscopie du réseau européendes villes durables. Thèse de Doctorat en géogra-phie de l’université d’Orléans.3 J. Theys, 1999. Un nouveau principe d’actionpour l’aménagement du terr i t o i re: le développe -ment durable et la confusion des bonss e n t i m e n t s. A paraître. Editions de l’Aube( 2 0 0 0 ) .4 H. le Bras, N u m é ro d’Anniversaire du DÉBAT(10 ans), mai-août 1990, Gallimard.5 Pour des raisons évidentes, il ne nous a passemblé possible de traiter dans un même articlela situation des villes du Nord et celles du Sud.Pour l’analyse de celles-ci, on se référera aux tra-vaux de J. BINDE, directeur de la prospective àl ’ U N E S C O .6 Le Conseil International des InitiativesEnvironnementales Locales, association de col-lectivité territoriales créée en 1990 sous l’impul-sion de l’ONU, est chargé d’aider les collectivi-tés locales qui souhaitent élaborer des politiquesde développement durable.7 CCE, 1990. G reen Paper on the UrbanE n v i ro n m e n t, Bruxelles.

Cyria Emelianoff - Jacques Theys

DE LA VILLE ÉCOLOGIQUE À LA VILLE DURABLE

C’est à partir des années 90 que pro-gressivement le vocable de “ville du-r a b l e” se substitue à celui de “villeé c o l o g i q u e” - sous l’effet conjugué dela conférence de Rio et de la mise enplace, au niveau international, d’org a-nismes relais tels que l’ICLEI6. Au ni-veau européen, le Livre Vert sur l’en-vironnement urbain7 défend une ap-

proche moins sectorielle des poli-tiques publiques qui donne lieu, en1994, au lancement de la “campagneeuropéenne des villes durables”, ap-puyée par la Commission. En l’espacede cinq ans, plus de cinq cent collecti-vités territoriales se rattachent à ce ré-seau de villes, avec des engagementstrès variables d’une collectivité à une

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autre. D’autres initiatives voient, parailleurs, spontanément le jour au ni-veau local8. Les stratégies de dévelop-pement durable qui commencent àêtre bâties par les agglomérations oules communes prennent souvent lenom d’“Agendas 21 locaux”, en se ré-férant à l’Agenda pour le XXIe s i è c l eadopté lors du Sommet de la Terre, àR i o9. En France, où la mobilisation surce thème est tardive, une vingtaine decollectivités territoriales élaborent ac-tuellement ce type d’agenda.

Le concept de “ville durable”, qui està l’arrière plan de ces démarches, neconstitue naturellement pas la pre-mière tentative pour lier entre elles laquestion urbaine et celle de l’environ-nement. Mais alors que les approchesprécédentes se référaient le plus sou-vent à la métaphore de “la ville écolo-g i q u e”, il opère, par rapport à celle-ci,une triple rupture. Tout d’abord lespréoccupations d’environnement nesont plus dissociées des projets d’ur-banisme, des orientations écono-miques, des politiques sociales ou cul-turelles menées par les villes. Ce soucid’intégration s’accompagne, ensuite,de la volonté d’évaluer les consé-quences du développement urbain auniveau global ou à très long terme –c’est-à-dire à des échelles de temps oud’espace qui dépassent de très loincelles habituellement prises en comptepar les politiques locales. Enfin, unepensée de la ville comme environne-ment spécifiquement humain et socialse substitue progressivement aux pré-jugés anti-urbain des premières ap-proches écologiques.

Bien qu’il lui soit fortement rede-vable, le projet de “ville durable” p a r tdonc implicitement d’une critique del’écologie urbaine – dont il essaye desurmonter à la fois les contradictionset la vision réductrice. Depuis les an-nées 60 cette dernière – qu’elle soitscientifique, militante ou municipale –a tenté de construire une pensée et unepolitique de la ville qui soient fondéessur la reconnaissance des spécificitésécologiques et sur un effort persévé-rant de modélisation des “écosocio-s y s t è m e s” u r b a i n s1 0. D’une certainemanière, la “ville durable” fait leconstat de son relatif échec ; et misesur une stratégie alternative alliant ou-

verture et pragmatisme. Qu’à traversce double pari existe le risque de “lâ-cher la proie pour l’ombre”, et finale-ment d’échanger un concept réducteurcontre un autre sans contenu, est uneéventualité qui n’est pas à exclure...

C’est sans doute du côté scientifiqueque le sentiment d’être en face d’uneimpasse est le plus fortement ressenti.L’écologie urbaine en tant que disci-pline scientifique n’a connu en eff e tqu’un succès très limité – en tout cashors de proportion avec les espérancesqu’elle avait suscitées, ou avec les en-jeux qu’elle avait contribué, elle-même, à soulever. Elle s’est fourvoyéedans un quantitativisme étroit dontelle n’est pas parvenue à se dégager.La tentative de “représenter la villecomme un écosystème” n’a conduitqu’à réduire la complexité des activi-tés urbaines à une vision systémiqueassez pauvre – limitée à des flux dematière et d’énergie. Développée àpartir des années 60, avec les travauxde Wolman, Stoddart et Duvignaud”,l’application au milieu urbain des no-tions de métabolisme, d’écosystèmeou “d’empreinte écologique”1 2, n’auraeu finalement que peu de retombéespratiques. Trente ans auparavant,l’Ecole de Chicago, en inventantl’“écologie humaine”, n’avait pas suéviter non plus une vision en partiedarwinienne des sociétés urbaines etun déterminisme des relations socialespar la nature1 3. En passant sous silenceles dimensions sociales et culturellesde la ville, les promoteurs de l’écolo-gie urbaine s’exposaient, eux aussi, aumême risque. Risque néanmoins pluslimité car l’écologie urbaine aura fina-lement beaucoup moins d’influenceque l’Ecole de Chicago : dotée d’unefaible légitimité et de peu de moyens,la modélisation des écosystèmes ur-bains n’aura, de fait, que peu d’inci-dences sur les politiques municipales.C’est ailleurs que celles-ci cherche-ront leur inspiration.

Du côté des politiques d’environne-ment urbain, le sentiment est égale-ment qu’une certaine époque s’achève.Les pratiques d’écologie urbaine – quin’ont pas grand chose à voir avec lesthéories précédentes – sont critiquéespour leur caractère sectoriel et cloi-s o n n é. Fidèle aux services municipaux

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8 CCE, 1996. Villes durables euro p é e n n e s, rap-port du Groupe d’Experts sur l’EnvironnementUrbain, Commission Européenne, Bruxelles.9 L’Agenda 21 ratifié par 178 pays à Rio prônel’adoption d’un mode de développement durableà l’échelle planétaire et liste dans cette optiqueune série de proposition et de recommandations.1 0 La notion d’écosociosystème exprime les inter-actions entre économie, écologie et société à l’in-térieur d’un même espace “homogène”.11 - Wolman, 1965, The Metabolism of cities.- W. Stoddart, 1968, Cultural ecology, Mc MillanCo and The free press, New Yo r k .- P. Duvigneaud, 1974, La synthèse écologique,Populations, Communautés, Ecosystèmes,B i o s p h è r e .1 2 Il s’agit de chiffrer les ressources et les superfi-cies utilisées pour le développement des villes demanière directe ou indirecte (exemple: quantitéde sol agricole nécessaire pour l’alimentation detelle ou telle agglomération...). (Source: M.Wackernagel, W. Rees, 1999, N o t re empre i n t eécologique, Ecosociété, Montréal.1 3 J. Grafmayer (dir.), 1984. L’école de Chicago,Naissance de l’écologie urbaine, A u b i e r, Paris.

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d’hygiène qui lui ont donné naissance,l’écologie municipale s’intéresse es-sentiellement aux services urbains(eau et déchets), à la propreté, aux nui-sances, ou à l’extension des espacesverts rapportés au nombre d’habi-t a n t s1 4. On parle beaucoup d’intégra-tion sans parvenir à la réaliser1 5 – aveccomme conséquences une croissancetrès forte des coûts, et des politiquesqui se limitent le plus souvent à trans-former un problème d’environnement... en un autre1 6.

Plus autonomes dans les années 80,les services d’environnement se déga-gent difficilement de la vision hygié-niste et du fonctionnalisme de laCharte d’Athènes, qui, dans l’entredeux-guerres avait défini l’environne-ment urbain par trois éléments privilé-g i é s : le soleil, le vent, et l’espace vert– devenus, pour la circonstance, des“ m a t é r i a u x” de l’habitat1 7. Ces nou-veaux critères d’habitation, qui légiti-ment les constructions en hauteur dis-jointes afin d’exposer les logements àla lumière et au vent, puis les vaguesde pavillons lorsque la recherche d’es-pace explose en même temps que lamobilité, contribueront à rendre prédo-minantes à la fois la place à l’automo-bile en ville et ses nuisances, de la pol-lution locale à l’effet de serre. Au nomd’une certaine conception de l’envi-ronnement, les politiques d’écologieurbaine auront ainsi, paradoxalement,favorisé une dédensification des villesqui apparaît aujourd’hui comme undes problèmes écologiques majeurs1 8.

Ce n’est pas seulement sur la based’un tel diagnostic que s’impose de-puis quelques années l’idée d’un

changement de méthode, et le besoinde nouvelles approches – parmi les-quelles le développement durable. Lecontexte lui aussi a changé : les pro-blématiques écologiques se sont trans-formées, voire inversées ; la mondiali-sation et les pressions croissantes dumarché ont rendu obsolètes beaucoupd’outils classiques de l’écologie ur-baine et de l’intervention publique;une prise de conscience s’est opéréedu rôle central que devraient jouer lesvilles dans la prévention des risquesg l o b a u x1 9. Toutes ces évolutions vontdans le sens d’approches beaucoupplus intégrées – telles que celles quisont mises en oeuvre dans les initia-tives des “villes durables”.

Au delà de la lutte contre les nuisancesurbaines, celles-ci s’attachent ainsi àdes thèmes plus transversaux : la re-conquête des espaces publics, le recy-clage des espaces urbains et des res-sources, la nature loisirs en ville, lesmobilités “douces”, la maîtrise de lapériurbanisation, la réappropriationpolitique de la ville par ses habitants àtravers des formes de démocratie par-ticipative, l’aménagement du temps...Ces divers objectifs touchent à prioril’ensemble des choix d’urbanisme etdes dimensions de la vie en ville.Beaucoup doutent néanmoins qu’avecde telles ambitions le projet de villedurable puisse aller au delà des bonssentiments – du “wishful thinking”.En voulant concilier l’inconciliable, ilrisque en effet, plus encore que l’éco-logie urbaine, de s’exposer à descontradictions insolubles. C’est enparticulier le cas pour le premier deses objectifs qui est de redensifier lesvilles sans sacrifier l’accès à la nature.

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1 4 B. Barraque, 1993, Le gouvernement local etl ’ e n v i ro n n e m e n t, in Biarez S., Nevers J - Y (dir. ) ,Gouvernement local et politiques urbaines.1 5 C. Garnier, P. Mirenowicz (dir.), 1984,Métropolis, N°64 - 65 , consacré à l’écologie ur -b a i n e .1 6 Vo i r, par exemple, le problème des boues destation d’épuration, sous-produits de l’assainisse-m e n t ; ou de la dioxine produite par les incinéra-t e u r s .1 7 Le Corbusier, 1942/1957, La Chart ed’Athènes, Editions de Minuit1 8 Une enquête menée auprès d’experts écono-miques et de l’environnement a placé récemmentl’étalement urbain comme problème majeur pourle développement durable en France.1 9 Même si le sujet fait encore l’objet de contro-verses, une majorité d’experts sont, par exempled’avis que les solutions techniques ne suff i r o n tpas pour réduire les émissions de gaz à effet deserre et qu’il faudra donc également agir surl’évolution des villes les formes urbaines, ou lam o b i l i t é . . .2 0 G. Dubois-Taine et Y. Challas, dir, “La villeé m e rg e n t e”, éditions de l’Aube 1997.

LA VILLE À LA CAMPAGNE : UNE IMPASSEÉCOLOGIQUE

C’est à la fois au nom de l’environne-ment, et d’une certaine conception del’urbanité que les partisans de la “villed u r a b l e”se font aujourd’hui les défen-seurs inattendus d’une ville des“courtes distances”, dense, compacte,“reconstruite sur elle-même”. Ils s’op-posent ainsi à front apparemment ren-versé, à un autre modèle, celui de la

“ville émerg e n t e”, nébuleuse sans vé-ritable centre ni limites, étirée, frag-mentée, hypermobile2 0. Mais cette der-nière ne fait-elle pas, tout simplement,que matérialiser un vieux rêve écolo-gique – désormais partagé par 80 %de la population – celui de “vivre enville à la campagne” ? Et n’est-ce-pas,en définitive, un paradoxe de voir ce

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même modèle aujourd’hui dénoncépar ceux là même qui, d’une certainemanière, en sont à l’origine ?2 1

Force est, en effet, de constater quel ’ é m e rgence des préoccupationsd’environnement coïncide, au moinsen France, avec le tournant majeur dela “périurbanisation” : alors que les“ Trentes Glorieuses” s’étaient carac-térisées par une croissance urbainetrès forte (+ 75%), mais contenue surun faible espace (+ 2 5 %), le mouve-ment a été exactement symétrique àpartir des années 702 2. C’est, au moinsen apparence, au nom de valeurs por-tées par l’écologie – le besoin d’enra-cinement, la relation à la nature, lesouci du cadre de vie, le rejet de laville encombrée et polluée – que beau-coup de “périurbains” ont choisi demigrer vers les périphéries “ a l o r smême que leur choix, massivement ré -pété, avait pour conséquence dire c t ede freiner la dynamique des transport scollectifs, d’accélérer les phénomènesdes banlieues denses, et finalementd ’ a c c ro î t re la congestion et la pollu -tion auxquels ils pensaient échap -p e r”2 3.

Qu’aujourd’hui, au nom des mêmesvaleurs, les partisans de la “ville du-r a b l e” puissent se faire les avocatsd’un urbanisme dense – que les urba-nistes eux-mêmes considèrent commeobsolète – a donc de quoi surprendre,et laisse sceptique. C’est oublier quel’écologie a toujours été partagée entredeux passions contradictoires : un hé-donisme foncièrement individualiste,et un souci plus politique des “biensc o m m u n s”. Et sans doute lui prêterbeaucoup plus d’influence qu’ellen’en a réellement exercé.

La conception de la ville que portentles environnementalistes dans les an-nées 70 est, en effet, moins négative(et anti urbaine) que fondamentale-ment équivoque et contradictoire.Certes, il n’est pas rare de trouver sousleur plume les expressions “d’enferu r b a i n”, de “ville parasitaire” ou en-core de “ville dénaturée”. Mais ce sontaussi les défenseurs de l’environne-ment qui, à la même époque, sont lespremiers à se mobiliser pour les trans-ports en commun ou la réhabilitationdes logements. Leurs actions ponc-

tuelles en faveur d’une réappropria-tion de la ville par les piétons, les cy-clistes ou les habitants posent desquestions plutôt pertinentes qui trou-veront une postérité. Partageant avecLe Corbusier une vision foncièrementhygiéniste, ils s’opposent, contre ced e r n i e r, à un urbanisme fonctionna-liste et à une “architecture de tours etde barres” génératrice, à terme, de sé-grégation. D’un côté on érige en mo-dèle les villes noyées dans la verdure,le télétravail, l’autoproduction, ou lespetites communautés de voisinage2 4.De l’autre on met en avant les avan-tages de la centralité, l’importance desespaces publics, les solidarités dequartiers ou la démocratie locale. Si l’“ é c o t o p i e” californienne d’ErnestCallenbach va jusqu’à imaginer unmonde de minivilles autosuff i s a n t e s ,proches du système féodal2 5 ; si cer-tains remettent au goût du jour les uto-pies néo-rurales du 19E s i è c l e2 6 ;d’autres comme Ivan Illich ou AndréGorz, plus clairvoyants, dénoncent,dès la fin des années 60, les impassesdéjà perceptibles du tout automobileet le rêve, sans doute illusoire, de“l’entre soi” dans les lotissements pa-villonnaires à l’américaine2 7. Le mes-sage, s’il n’y en a un, n’est donc pasaussi univoque qu’il peut le sembler,ni d’ailleurs, par beaucoup d’aspects,très original2 8. Et c’est peut-être, endéfinitive, une des principales vertusde la “ville durable” d’en avoir dé-voilé les ambiguïtés manifestes et lescontradictions intenables.

Au niveau du terrain et des comporte-ments concrets, la réalité, là encore,apparaît plus contrastée qu’à premièrevue. Chacun sait, en effet, que l’exodeurbain n’a pas été seulement motivépar la nostalgie néo rurale ou “l’amourde la nature”. Il est surtout, comme l’aécrit François Beaucire2 9, le moyen parlequel, grâce à la voiture, toute une so-ciété a réussi à matérialiser ses aspira-tions, bien mieux solidement ancréesque l’écologie, à la propriété privée, àla sécurité et surtout à plus d’espaceh a b i t a b l e3 0. Mais c’est aussi, faut-ill ’ a j o u t e r, le résultat de décennies despéculation immobilière, et de poli-tiques publiques organisées, depuis lesannées 70, pour satisfaire ces mêmesa s p i r a t i o n s : aides aux logements ré-orientées vers la construction neuve

2 1 La remarque est de J. Levy: “Paradoxalement,ce sont ainsi ceux là même qui les dénoncent,qui se trouvent à l’origine des nouveaux mauxu r b a i n s”(cité dans “Le tournant géographique”,Belin, Mappemonde, 1999).2 2 Au cours du dernier quart du siècle, la popula-tion des agglomérations françaises les plus im-portantes a ainsi augmenté de 25% sur une su-perficie accrue de 75%. Le recensement de 1999confirme cette tendance (Source: FédérationNationale des Agences d’Urbanisme).2 3 S o u r c e : J. Levy, Opus cité page 8.2 4 H. Girardet, 1993, The GAIA Atlas of Cities,Anchor Books, London.2 5 E. Callenbach, 1975, E c o t o p i a, Banyan Tr e eBooks, Berkeley.2 6 Toute une littérature écologique trouve ainsimanifestement son inspiration chez les écrivainsanglais ou américains qui se sont violemmentopposés à la ville (Emerson, Ruskin, Carlyle,Thoreau, Jefferson,...) ou dans les utopies néo-ru-rales (en particulier “Les nouvelles de nulle part”de William Morris...).2 7 A. Gorz, 1978, Ecologie et Politique, Le Seuil.2 8 Tous les éléments du débat opposant les parti-sans de la ville dense et de la ville à la campagnesont déjà élaborés au XIXe siècle, que ce soit enEurope ou aux Etats Unis. Les écologistes n’ontdonc pas innové.2 9 Intervention au colloque des Agencesd’Urbanisme organisé à Bordeaux en Décembre98 (“La forme des villes et le développement du -r a b l e”) .3 0 En particulier, naturellement, pour les famillesavec enfants. Une étude récente de l’INSEE (IN-SEE première, n°514, Mars 1997) constate ainsique les logements français ont gagné 22m2 e nmoyenne de 1970 à 1993.

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de maisons individuelles ou l’acces-sion à la propriété, développement desinfrastructures routières, des parkings,et des grandes surfaces, défiscalisationde l’automobile3 1, effritement de laplanification urbaine, sous-investisse-ment dans les banlieues menacées dem a rg i n a l i s a t i o n3 2, effort insuffisant de“ r e g é n é r a t i o n” u r b a i n e . . .

Curieusement, c’est au nom de la mo-dernité qu’architectes ou urbanistesdéfendent aujourd’hui cette “villeé m e rg e n t e”, inscription dans l’espacede ce que François Ascher et FrancisGodard ont récemment appelé “Lanouvelle révolution urbaine”3 3. Maisla “ville à la campagne” ou laconstruction de villages urbains n’of-frent probablement que des perspec-tives limitées face aux défis de l’urba-nisation mondiale. Sur le plan de l’en-vironnement on en connaît les consé-q u e n c e s : multiplication par trois desdéplacements et des consommationsd ’ é n e rg i e3 4, par quatre des émissionsdes gaz à effet de serre, détériorationde la qualité de l’air, congestion desinfrastructures, dilapidation des sols,ou, finalement, banalisation des pay-sages... au détriment du rêve néo-ru-ral. Et la tranquillité pavillonnaire sec h i ffre aussi, en contrepartie, par despertes de temps, par des tensions liés à

l ’ h y p e r m o b i l i t é3 5 et par des dépensesde transport qui peuvent parfois plusque compenser les gains apparentsfaits sur le logement3 6.

L’ambition des partisans de la villedurable n’est certainement pas decontraindre les citadins à abandonnerleur voiture, ni à restreindre leur be-soin d’espace. Elle est d’abord, etbeaucoup plus modestement, de faireen sorte que les incitations publiquesexistantes contribuent non pas à exa-c e r b e r, mais au contraindre à “dé-t e n d r e” les contradictions qui résultentd’une telle liberté (et donc, parexemple, n’accroissant pas la “dépen-dance automobile”). Elle est aussid’imaginer et de proposer des s o l u t i o n sde compromis : des transports moinspolluants, une revalorisation des es-paces publics, une redensification sé-lective le long des axes de transport encommun ou dans les espaces intersti-tiels d’agglomération, la réhabilitationdes quartiers dégradés, la promotiond’un véritable urbanisme végétal3 7. . .

Mais derrière ces compromis raison-nables, et sous la banière consensuellede l’environnement ne s’agit-il pas, enréalité, de défendre un nouveauconservatisme, et une vision de la villeprofondément inégalitaire ?

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3 1 Les travaux de J. P. Orfeuil, directeur de re-cherche à l’INRETS, ont clairement montré quela fiscalité sur l’automobile avait été sensible-ment réduite en francs constants depuis les an-nées 80.3 2 “En Ile-de-France 16 milliards de francs ontété consacrés en 1992 pour subventionner lestransports publics (et du même coup encouragerla dispersion des franciliens) et seulement 400millions de francs pour alléger le coût du foncierdans les zones denses des agglomérations (afinde favoriser l’insertion)” ( S o u r c e : Y. Martin, L ajaune et la ro u g e, Avril 1998).3 3 Titre d’un article publié dans Le Monde du 9Juillet 1999.3 4 V. Foucher, 1997, Les densités urbaines et ledéveloppement durable, Editions du SGVN, laDocumentation française. Les chiffre cités expri-ment des différences par habitant entre villescentre et périurbain.3 5 S. Juan, A. Largo, H. Poirier, J-F. Orain,Poltorak, 1997, Les sentiers du quotidien.Rigidité, fluidité des espaces sociaux et trajetsroutiniers en ville, l’Harmattan.3 6 J. P. Orfeuil et A. Polachini, Les dépenses pourle logement et les transports des ménages franci -l i e n s, INRETS, 1998.3 7 C. Stefulesco, 1993. L’urbanisme végétal,Institut pour le développement forestier.

L’ÉCOLOGIE, FACTEUR DE DISCRIMINATIONContrairement aux politiques clas-siques d’environnement, les initiativesen matière de développement durablea ffichent, en principe, une ambitionsociale. A l’échelle des villes, l’enjeun’est pas seulement de rétablir un mi-nimum d’équité dans l’exposition auxrisques, l’accès aux services publicsou à la nature. Il est aussi de réconci-lier deux cultures qui traditionnelle-ment s’ignorent : une culture urbaine,qui a fait depuis longtemps de la ques-tion sociale une de ses préoccupationsm a j e u r e s ; et une culture écologiquequi a toujours privilégié la question dela technique.

A la croisée du social et de l’environ-nement, les projets de “ville durable”ne peuvent pas, en particulier, ne pasêtre confrontés au problème posé par

la croissance des “inégalités écolo-g i q u e s”. C’est en effet une évidenceque la qualité de l’environnement dif-fère considérablement d’un quartier àun autre ; et que cette forme d’inéga-lité se cumule, le plus souvent, aveccelles qui existent en matière de re-venu ou d’accès au travail. Il n’y a pasque dans les ville du “Sud” que leszones inondables ou celles qui setrouvent à proximité des usines àrisque concentrent très fréquemmentles populations les plus pauvres. ABrisbane, par exemple, les logementssont distribués à flanc de colline selonle même gradient, à la fois social etd’exposition aux risques : plus les re-venus sont élevés, moins les maisonssont inondables. En France, un quar-tier de banlieue construit en habitatcollectif a quatre chances sur cinq

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d’être traversé par une voie rapide3 8,et 30 % d’être cotoyé ou traversé parune autoroute… Les habitants desgrands ensembles ont une probabilitéquatre fois plus grande qu’ailleurs desubir un niveau de bruit très gênant.Nous pourrions ainsi multiplier lesexemples, montrant qu’historique-ment la qualité de l’environnement -assortie d’une valorisation foncière -a été un facteur de ségrégation so-c i a l e3 9. Ce qui explique, sans doute,que sa protection ait été perçuecomme l’expression de valeurs“ b o u rg e o i s e s” - ou comme un luxe declasse moyenne.

Force est de constater que les poli-tiques publiques engagées dans ce do-maine depuis trente ans n’ont pas faitde l’équité sociale une forte priorité, etqu’elles se sont relativement peu in-quiétées de leurs effets redistributifs :un rapport de 1990 laissait même en-tendre qu’elles auraient plutôt aggravéles inégalités et que les modes de fi-nancement utilisés seraient plutôt ré-g r e s s i f s4 0 . C’est cette tendance que sou-haitent, en principe, inverser les straté-gies de développement durable. Maisl’on peut craindre, qu’au contraire,elles ne fassent que l’aggraver.

Dans la pratique, tout d’abord, il n’estpas difficile d’observer que la majo-rité des Agendas 21 locaux adoptéspar les villes n’accordent à la dimen-sion sociale qu’une place toute rhéto-rique. Les aspects sociaux sont pris encompte de manière marginale, le plussouvent par la création d’emplois re-levant des programmes de l’Agenda.Certaines villes, comme Hannovre,font exception, en accordant une cer-taine attention aux problèmes d’ex-clusion et de pauvreté. Mais les ac-tions entreprises sont ponctuelles etrelèvent, en majeure partie du registrede l’aide sociale4 1.

L’utopie dominante, dans une pers-pective de compétitivité des terri-toires et de valorisation de l’imagedes villes est plutôt celle de la “qualitét o t a l e” : qualité de vie, de formation,des services, des infrastructures; hautniveau de sécurité ; normes d’envi-ronnement élevées. Bref ! le “zéro dé-f a u t” appliqué aux villes. Les projetsd ’ “ é c o - q u a r t i e r s”, aussi bien en

Europe qu’aux Etats-Unis ou enAustralie visent un standard de vieélevé, un standing écologique. Cesquartiers à haute qualité environne-mentale sont conçus selon les prin-cipes d’une “mobilité douce”, biendesservis par les transports en com-mun, abondamment végétalisés et do-tés de nombreux équipements deproximité. Mais à qui sont-ils destinéset qui en payera le prix ? On peutcraindre qu’ils ne servent que de vi-trines écologiques, dans le cadre destratégies plus générales de “marke-ting urbain”. Ou qu’ils ne favorisentles tendances, déjà fortes, à une cer-taine forme de “sécession urbaine”4 2.

A plus long terme d’autres contradic-tions encore plus fortes apparaissent,notamment par rapport aux objectifsde maîtrise de la mobilité ou de canali-sation de l’étalement urbain. La re-construction des villes sur elles mêmesne favorise pas forcément la mixité so-ciale, surtout dans les métropoles, où lademande de logements de standingprès des centres de commande est trèsforte (quartiers d’affaire ou pôles derecherche). L’expérience historique al a rgement montré que la réhabilitationdes quartiers (ou celle des anciennesfriches industrielles ou urbaines) nonloin des centres villes – en augmen-tant fortement les valeurs foncières -

se faisait aux dépends des anciens ré-sidents, et au profit de couches so-ciales beaucoup plus favorisées (pro-cessus de “gentrification”). Et il estclair qu’une forte hausse de la fisca-lité sur l’essence, une réduction dessubventions aux transports publics,ou de fortes restrictions à l’usage del’automobile risquent d’abord de pé-naliser les catégories déjà défavori-sées – et en particulier celles qui, ha-bitant en zone périurbaine lointaine,consacrent déjà plus du quart de leurbudget aux transports4 3.

Tous ces arguments mettent sérieuse-ment en doute la réalité des inten-tions, apparemment généreuses, de la“ville durable”. Mais ils ne suff i s e n tpas à démontrer que l’objectif envi-sagé – l’intégration des préoccupa-tions sociales et écologiques – est luimême déraisonnable ou contradic-toire. Le chiffre, précédemment cité,d’un quart à 30 % du revenu consacré

3 8 S o u r c e : R a p p o rt sur l’Etat del ’ E n v i ro n n e m e n t, IFEN, Editions la Découverte,1 9 9 9 .3 9 L’histoire du département de Seine-Saint-Denisest un bon exemple du rôle qu’a pu jouer l’envi-ronnement dans cette ségrégation en Ile-de-F r a n c e .4 0 S o u r c e : Plan National pour l’Enviro n n e m e n t,rapport au Parlement (Sous la direction deL . Chabason et J. Theys), 1990.4 1 Création de 250 emplois dans la protection del’environnement, d’une consultation pour les per-sonnes endettées, d’un abri pour les sans logis,repas gratuits et lieu de rencontre pour les en-fants des rues, etc. Bestandsaufnahme der kom -munalen Aktivitäten auf dem Weg zu einer nach -haltigen Stadt. Ein Betrag zur lokalen Agenda 21für Hannover,1998. Hanovre, 90 p .4 2 Il y aurait ainsi une certaine convergence entreles villes durables et le développement des quar-tiers privatisés, les “domaines résidentiels clos”en France, ou les “gated cities”en Californie.Les critères de qualité écologique font en eff e tpartie de ceux mis en avant par les promoteursde ces villes privées.4 3 Les coûts de déplacement passent pour les ac-cédants aux logements disposant de revenusmoyens ou modestes, de 10% en zone centrale à3 0 % dans les périphéries les plus éloignées desagglomérations (Source: A. Polachini et J.-P.Orfeuil, Les dépenses pour le logement et pourles transports des ménages franciliens, INRETS,1 9 9 8 ) .

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par les familles périurbaines modestesà leur transport pose déjà, en luimême, un problème social : pour cer-taines catégories de revenu, l’étale-ment urbain n’est pas à long termeéconomiquement viable. On peutcraindre également que ne se repro-duisent dans les lotissements pa-villonnaires les phénomènes de pau-périsation et de captivité constatésdans les grands ensembles – avec, làencore, la formation de ghettos4 4.Enfin, il faudra bien, à un moment ouà autre , trouver une solution politiqueà la montée des inégalités écologiques– et plus largement à l’aggravationdes problèmes – qui sont à la fois en-vironnementaux et sociaux – aux-quelles sont confrontées les régionsde vieille industrie et les grands en-s e m b l e s .

Ce qui est en jeu, en réalité, c’estl ’ é m e rgence d’une “nouvelle généra-t i o n” de projets et de politiques pre-

nant réellement comme socle cet im-pératif d’articulation entre dimensionsécologiques et sociales de la ville.Même si, là encore, il faut faireconfiance au pragmatisme et à l’ima-gination locale, il n’est pas diff i c i l ed’en pressentir quelques grands axes :la focalisation des efforts sur les quar-tiers ou populations en diff i c u l t é ; ledéveloppement de nouvelles formesd’économie ou de services ; une mo-dulation sociale des mesures d’incita-tions fiscales ; une plus grande impli-cation de la collectivité, sous toutesses formes dans les grandes opérationsde renouvellement urbain4 5. D’ores etdéjà, certaines villes se sont engagéessur cette voie4 6 et il est probable qued’ici dix ans ce sont elles qui auront lemieux résisté à l’effet de mode qui ac-compagne aujourd’hui les Agendas21... Encore faudra-t-il que les habi-tants se sentent concernés, et accep-tent de s’impliquer.

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4 4 S o u r c e : Plan Construction et Architecture,Ministère de l’Equipement, Questions de pro s -p e c t i v e, page 11 - 1 2 , 1 9 9 2 .4 5 On estime à environ 10 milliards de francs paran le besoin de financement public supplémen-taire qui serait nécessaire pour engager degrandes opérations de renouvellement urbain.Mais celui-ci peut aussi passer par des formesplus originales de coopération partenariale,comme le suggèrent J. Landrieur ou M. Sauvez.( S o u r c e : V. Chomentowski, L’avenir du rôle descollectivités territoriales dans le financement del’aménagement, Club Ville Aménagement,1 9 9 9 ) .4 6 En particulier une grande partie des villes duNord de la France qui ont mis en place desAgendas 21.4 7 S’il est possible de débattre d’aménagementpartiels, les controverses publiques sur les évolu-tions à long terme des agglomérations restentl’exception (on peut citer, a contrario, l’exempleactuel de l’agglomération lyonnaise)4 8 Dossiers et débats sur le développement du -rable, Le comité 21, Cités-Unies...4 9 Certains projets d’Agenda 21 menés par lesvilles françaises ont en effet été rédigés dansl ’ u rgence pour répondre au premier appel d’off r esur ce thème lancé en 1998 par le ministère del’aménagement du territoire et de l’environne-m e n t .

UN NOUVEL ÉVANGILE TECHNOCRATIQUE ?

Si beaucoup de villes restent finale-ment très discrètes sur le volet socialde leurs “Agenda 21”, elles sont, enrevanche presqu’unanimes à mettre enavant l’ouverture démocratique queceux-ci représentent. Mais c’est pro-bablement sur cette question de la dé-mocratie que les contradictions d’ob-jectifs apparaissent avec le plus d’évi-dence – et, avec elles, un décalage in-évitable entre les slogans et la réalité.Il ne s’agit pas seulement des pro-blèmes, très concrets, de mise enoeuvre. Mais aussi de la difficulté fon-damentale à articuler une démarcheglobale et à long terme4 7 avec lesrègles classiques du fonctionnementinstitutionnel et la brièveté des cyclesélectoraux. Si pour les uns le dévelop-pement durable symbolise la décentra-lisation, la participation, l’innovationinstitutionnelle, le retour du politique ;il n’est pour les autres qu’une nouvelleversion, plus évangélique que lesautres, du discours technocratique ; etune opération de camouflage qui per-met à l’Etat Jacobin de récupérer cer-taines de ses prérogatives.

C’est un euphémisme de dire que l’in-térêt soudain pour le “développement

d u r a b l e” n’est pas le produit d’unemobilisation véritablement spontanéede la société civile, ni même des ac-teurs locaux. Le concept doit saconstruction et sa diffusion à une poi-gnée de scientifiques et de respon-sables institutionnels qui ont su pro-gressivement mettre en place les relaisnécessaires. En France, ceux-ci sontrestés très centralisés ; et la mobilisa-tion - relative - sur le développementdurable doit beaucoup aux administra-tions et à quelques associations spé-c i a l i s é e s4 8. Contrairement à d’autrespays européens, les associationsd’élus se sont, en effet, peu investiessur ce thème. Et les structures qui au-raient été susceptibles de le démocra-tiser (ou d’ouvrir un espace public dedébat) – les médias, l’éducation ou larecherche - n’ont pas vraiment fonc-tionné. Il n’est donc pas surprenantque ce soit essentiellement à la suitede sollicitations nationales ou euro-péennes (appels à projet, subven-t i o n s4 9...). que les Agendas 21 ont étélancés, sans que cela traduise un senti-ment très aigu d’urgence parmi lesélus locaux ou la population.

On est donc en droit de se demandersi, sous couvert d’intentions louables,

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se référant à l’équité inter et intra gé-nérationnelle, une élite savante, arméed’un discours moralisateur sur l’étatde la planète et les responsabilités dechacun, n’est pas en train d’imposerune vision du monde, un nouvel évan-gile, auquel personne n’aurait explici-tement souscrit5 0. Sous un habillagehétéroclite, “bricolé” pour la circons-tance (et alliant l’économie aux réfé-rences éthiques, en passant par les in-dicateurs et les recettes techniques),les projets de ville durable masquenteux-mêmes difficilement leur carac-tère technocratique. Nombre de me-sures proposées, qui visent à modifierles modes de déplacement, les typesde consommation, les comportementsq u o t i d i e n s5 1, s’appuient sur des prin-cipes ou des normes dont la légitimitén’est pas acquise, et , parfois sur desvaleurs faussement partagées – en de-hors d’un cercle d’experts. Tout ceprocessus descendant concorde doncmal, a priori, avec l’idée, souvent re-vendiquée, d’une “légitimation par leb a s” des démarches de développe-ment durable.

C’est dans un tel contexte qu’inter-viennent, ou se superposent, les procé-dures de participation de public misesen place par les villes. Pour beaucoupd’acteurs locaux, le sentiment est ene ffet que l’assentiment démocratiqueest une condition essentielle d’opéra-tionalité du développement durable.La plupart des agendas 21 locaux ini-tient donc des concertations multi-formes avec les différents acteurs po-tentiellement concernés : groupesd’intérêt, associations, collectivitéspubliques, entreprises..., ou même di-rectement avec les habitants. Cer-taines villes, comme Leicester ouS t o c k h o l m5 2 mènent d’importantescampagnes d’information et de sensi-bilisation. D’autres, comme Bolognecherchent l’obtention d’un consensus,en acceptant au fil de la concertationpublique sur des études d’impact, desmodifications substantielles des pro-jets initiaux. Les plus ouvertes ont fi-nalement recours à la prospective pourconstruire, avec les acteurs impliquésune vision urbaine commune : ellesfavorisent l’élaboration collective descénarios contrastés, pour essayer, en-suite de trouver un compromis accep-table sur une dynamique de dévelop-pement durable pour la ville5 3.

Beaucoup de ces initiatives témoi-gnent d’une volonté réelle d’innoverdans les formes de participation. Maislà encore on peut se demander s’il n’ya pas une double illusion dans tous cesprocessus de consultation sur le déve-loppement durable. Illusion d’abordde penser que les engagements poli-tiques pourront être effectivement te-nus à long terme5 4. Illusion, peut-être,aussi, d’imaginer qu’une expressiondes habitants puisse effectivement al-ler au delà de revendications ponc-tuelles et immédiates5 5.

Toutes ces craintes sont sans doutefondées mais elles négligent l’essen-t i e l : quels que soient les risques réelsde dérive ou de récupération techno-cratique, il est néanmoins incontes-table que les projets de “ville durable”peuvent, aussi, être un formidable le-vier pour l’innovation démocratique.

Il y a à cela plusieurs raisons conver-gentes. D’abord la plupart des objec-tifs proposés sont irréalisables sans unminimum d’implication directe deshabitants - et sans doute sans la créa-tion ou le développement de structureso rganisant cet engagement (associa-tions de locataires, associations deq u a r t i e r, structures de gestion en biencommun des ressources ou des es-paces). Il est clair, en second lieu, quel ’ e fficacité de beaucoup des mesurespolitiques à mettre en oeuvre passeégalement par des innovations institu-tionnelles dans le “gouvernement” d e sv i l l e s : décloisonnement des serviceset des interventions sectorielles, priseen compte du temps long dans les dé-cisions, mise en place de nouvellesformes de partenariat et de “gouver-n a n c e”, création éventuelle de véri-tables pouvoirs d’agglomération , ren-forcement de la décentralisation5 6. Lescontradictions et les incertitudes quicaractérisent la “ville durable” c o n s t i-tuent, aussi, en elles-mêmes, une op-portunité objective pour la démocra-t i e : il n’y a pas de solution unique auxproblèmes posés et l’on comprend,dans ces conditions, l’importance atta-chée à l’efficacité des procédures, auxpratiques de transparence et de délibé-ration collective visant à dégager desconsensus pragmatiques. Paradoxa-lement, la principale vertu du “déve-loppement durable” ne serait donc pas

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5 0 Une enquête réalisée récemment dans la régionRhône-Alpes a permis de constater que près de95% de la population n’a aucune idée de ce quesignifie le “développement durable”mais aussi,ce qui est plus révélateur, près de 60% desm a i r e s !5 1 Par exemple, vis-à-vis du recyclage des dé-c h e t s .5 2 L e i c e s t e r’s local agenda 21 Action Plans,1998, Leicester City council.5 3 T. Deelstra, Y. Van Delft, 1999. The Euro p e a na w a reness scenario workshop method.Communication à la conférence de la Haye;“Strategies for sustainable cities”.5 4 Le catalogue de mesures proposées comprendune part importante de voeux pieux , et les enga-gements sont de toute façon limités par la briè-veté des mandats électoraux.5 5 Se pose de toute façon un problème de repré-sentation des intérêts des générations futures.5 6 Sur ces enjeux institutionnels, voir la synthèsefaite par M. C. Gibelli: villes durables et gou -vernance métro p o l i t a i n e in “Villes du XXIe

siècle, Actes du colloque de la Rochelle”,C E RTU, Décembre 1999.

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son aptitude à gommer les contradic-t i o n s5 7 mais plutôt sa capacité à lesmettre en débat. Enfin, il ne faut pasoublier l’intérêt que peut représenter,face au risque de désinvestissementcivique et de délégitimation de la poli-tique, l’organisation d’une compéti-tion ouverte sur des projets territo-riaux à long terme. L’ e x p é r i e n c emontre d’ailleurs, que toutes les villesqui se sont engagées dans cette voie enont tiré un bénéfice important enterme de participation à la vie poli-tique locale, et ceci à toutes lesé c h e l l e s .

Mais si certaines villes ont fait ainsi lepari de la démocratie, et de la capacitédes citoyens à prendre des responsabi-lités à long terme, c’est sans douted’abord parce qu’elles percevaientmieux que les autres l’urgence d’unesituation et la nécessité d’une actionimmédiate. Est-il vraisemblable depenser que ce sentiment d’urg e n c epuisse être d’une manière ou une autrelié à la conscience des problèmes glo-baux – et en particulier au risque dechangement climatique ? Le “p e n s e rglobalement et agir localement” n ’ e s t -il pas finalement un autre mythe ?

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5 7 Comme le craint G. Rist dans un livre très cri-tique écrit en 1996: Le développement , histoired’une croyance occidentale. Presses de SciencesPolitiques, 1996. A propos du “développementd u r a b l e”l’auteur n’hésite pas à employer alterna-tivement les termes de “leurre”, de “vœu pieux”ou d’“oxymore”.5 8 O. Godard, 1999, Le développement durable etle devenir des villes. Bonnes intentions et faussesbonnes idées. Futuribles N°209.5 9 Bertrand Zwindeau propose ainsi une doublerègle de “durabilité” s p a t i a l e : 1) Les conditionsde durabilité doivent être vérifiées sur l’espacec o n s i d é r é ; 2) La durabilité interne ne doit pasêtre obtenue au détriment de la durabilité externedu territoire (Source: “Le développement du -r a b l e : les enseignements de l’appro c h es p a t i a l e”. Communication au 45ème séminairede l’OIPR. Octobre 1997).

DE L’INCOMMENSURABILITÉ ENTRE LOCAL ET GLOBAL

L’intrusion du global au niveau localsoulève une ultime contradiction : est-il tenable de justifier la “ville durable”à la fois par un impératif catégoriquede protection de la planète, et par undiscours, presque totalement opposé,centré sur la vulnérabilité de chaqueterritoire, la recherche d’un dévelop-pement autonome, la valorisation desparticularismes…, quand ce n’est passur un repli identitaire ou communau-t a r i s t e ? Plus précisément une “villed u r a b l e”doit-elle d’abord contribuer àla solution des grands problèmes mon-diaux (au prix éventuel de sa crois-sance) – ou plutôt s’assurer de la via-bilité à long terme de son propre déve-l o p p e m e n t ?5 8 Il ne s’agit pas là seule-ment d’une querelle sémantique, nimême d’un conflit de priorités, maisde la difficulté profonde, plus exacer-bée qu’ailleurs, à articuler plusieursreprésentations, à l’évidence diff é-rentes, du territoire et de l’action poli-tique. On voudrait sans doute croireque tout cela est compatible ; mais onpeut aussi craindre que l’ambiguïté,une nouvelle fois entretenue, ne fasse,finalement, que nourrir des illusions,et retarder des solutions plus eff i c a c e s .

Cette fois-ci, pourtant, la contradictionsemble, a priori, artificielle. Par défi-nition même, le “développement du-r a b l e” suppose une égale responsabi-lité vis-à-vis des populations locales etde la planète. En vertu du principe deréciprocité (“ne fais pas à autrui ceque tu ne voudrais pas qu’il te fasse”)sa mise en oeuvre implique des straté-

gies de croissance “endogènes” qui nese fassent pas au détriment des autrest e r r i t o i r e s5 9. Les synergies entre inté-rêts locaux et intérêts globaux sont enoutre suffisamment fréquentes pourp o u v o i r, le plus souvent, faire l’écono-mie d’un tel altruisme. Les villes quiamorcent un plan de limitation des gazà effet de serre luttent simultanémentcontre la pollution locales ou les pro-blèmes de congestion. C’est d’ailleurs,sans doute, la perspective de ce“double dividende” qui a conduit ,après les conférences de RIO ouK Y O TO, un nombre étonnammentimportant d’entre elles a, s’org a n i s e ren réseaux pour tenter de limiter cesrejets atmosphériques. Basée àFrancfort, l’Alliance climatique re-groupe ainsi plus de six cents collecti-vités européennes. A l’échelle mon-diale, la campagne des villes pour laprotection du climat, initiée par leConseil International des InitiativesEnvironnementales Locales (ICLEI),incite les agglomérations à maîtriser lam obilité locale et la périurba n i s a t i o n .Le réseau des “villes sans voiture”,mis en place par l’association EURO-CITES, ou celui des “municipalitésitaliennes contre l’effet de serre”, té-moignent, également, de cette volontéassez surprenante des villes à s’enga-ger pour une cause globale. Toutes cesexpériences, qui impliquent essentiel-lement des villes du nord de l’Europe,montrent bien qu’il n’y a pas néces-sairement de contradiction interneentre les objectifs locaux et globauxde la ville durable. Mais il n’est pas

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d i fficile de leur opposer un nombre,tout aussi important, de contreexemples. Et certains vont même jus-qu’à contester l’utilité d’une tellec o n v e rg e n c e .

Beaucoup d’économistes réfutent, ene ffet, l’idée selon laquelle un dévelop-pement durable de la planète passeraitnécessairement par des contraintes ter-ritoriales homothétiques, et surtout pardes règles uniformes, au niveau local.Pour Olivier GODARD, par exemple,qui considère que “la contrainte écolo -gique n’a de sens absolu qui au niveaup l a n é t a i re”, il est tout à fait possibled’imaginer qu’“un équilibre puisseê t re trouvé à l’échelle mondiale pardes processus qui soient localementdéséquilibrés ou dommageables”6 0. Lalogique économique peut donc parfai-tement justifier que toutes les villesn’aient pas, en matière de développe-ment durable, ni la même ambition nila même trajectoire.

Symétriquement, il est assez irréalistede penser que toutes les collectivitéslocales s’engageant dans un Agenda21 ont nécessairement comme moti-vation première l’avenir de la planèteou même celui de leur région. Une lo-gique altruiste et une certaine autoli-mitation des besoins s’imaginent plusfacilement dans des communautés detaille restreinte, fonctionnant en mi-crosociétés fermées, que dans degrands métropoles6 1. Sauf incitationextérieure très forte, il est diff i c i l ed’imaginer que des élus locaux res-ponsables prennent le risque de s’en-gager dans des programmes à longterme dont leurs électeurs auront àsupporter le coût sans en tirer directe-ment les bénéfices6 2. D’autant qu’avecles marges de manoeuvre restreintesdont ils disposent, ils s’exposent àn’obtenir que des résultats très limités– du moins à l’échéance de leur man-dat. De fait, c’est bien plus de leur ca-pacité à répondre à des attentes lo-cales, ou à anticiper les crises spéci-fiques à chaque territoire, que les pro-jets de ville durable peuvent tirer leurlégitimité. D’où la priorité, assez lo-giquement donnée, à la sauvegardedes emplois, à la lutte contre l’exclu-sion, ou à la suppression de goulotsd’étranglement dans l’offre locale deservices ou d’infrastructures. To u tcela ne va pas spontanément vers une

gestion prudente des ressources mon-diales. L’égoïsme, l’exacerbation desparticularismes, l’exploitation dusyndrome NYMBY (“pas dans monj a r d i n”) ont, peut-être la vertu de fa-voriser les mobilisations indispen-sables. L’inconvénient est qu’ils setraduisent aussi, par une tendance as-sez naturelle à “externaliser” chez lesvoisins les problèmes localement in-gérables.

Comment éviter ces éventuellescontradictions entre dynamiques lo-cales et enjeux globaux ? Trois scéna-rios semblent, a priori, envisageables.Le premier est celui d’une autonomi-sation plus radicale du local et du glo-b a l : aux collectivités de mettre enplace – à la bonne échelle – les méca-nismes d’intégration ou de gestion enbien commun adaptés à chaque terri-t o i r e ; aux marchés, aux Etats et auxacteurs internationaux le soin d’ima-giner – et de faire fonctionner – lesinstrument qu’ils jugent les plus eff i-caces – normes, prix, contrats, fisca-lité...– pour réguler les interdépen-dances planétaires6 3. Le second reposesur l’hypothèse d’un improbable bas-culement culturel: l’émergence d’uneconscience commune des enjeux glo-baux, l’activisme croissant d’un so-ciété civile mondiale, et une forte re-politisation de la sphère privée - dé-bouchant sur une prise de responsabi-lité beaucoup plus forte des individus.Le paradoxe est que ce type de scéna-rio peut en fait très bien s’accorderd’un certain effacement des villes6 4.Le troisième et dernier scénario sup-pose, quant à lui, une transformationmajeure de nos modes de représenta-tion de l’espace.

L’incommensurabilité entre local etglobal, les difficultés que rencontrentles villes durables à articuler ces deuxéchelles, proviennent en grande partiede notre incapacité mentale et poli-tique à sortir d’une vision hiérarchiqueet pyramidale des territoires. La figuredu réseau permet sans doute de penserplus adéquatement les liens qui unis-sent aujourd’hui chaque individu à laglobalité technique, informationnelle,cognitive ou écologique de cette fin desiècle. Mais l’insertion des hommes etdes villes dans l’économie mondialegénère de nouvelles ruptures entrequartiers, entre régions urbaines et ar-

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6 0 O. Godard, Opus Cité, page 34.6 1 Aux Etats Unis, beaucoup de projets de “villesd u r a b l e s”sont en réalité des projets portés pardes communautés alternatives promouvantl ’ é n e rgie solaire, la mutualisation des tâches, etune certaine forme d’ascétisme dans la consom-mation . Ces communautés dissidentes consti-tuent des microcosmes isolés, qui n’ont pas vrai-ment d’impact sur les évolutions urbaines.6 2 L’idéal serait de trouver une échelle de déci-sion aussi proche que possible des citoyens, maisqui permette d’équilibrer les bénéfices et lescoûts des actions entreprises. Ce n’est sans doutepas à l’échelle des communes qu’un tel équilibrepeut être trouvé.6 3 On rejoint la séparation faite par A. Giddensentre l’intégration sociale, qui concerne les rela-tions localisées, et l’intégration de systèmes, liéeà la délocalisation d’une bonne partie de ces rela-tions (et dans laquelle les régulations écono-miques jouent un rôle majeur). A. Giddens,1990, The consequences of modernity,Cambridge Polity Press.6 4 Ce scénario correspond en effet assez bien àl’hypothèse d’individus regroupés dans des vil-lages ou des micro cités mais connectés à la pla-nète par les réseaux de communication et lesmarchés de consommation.

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rières pays, entre métropoles et terri-toires nationaux6 5 ; et les réseaux res-tent des formes relativement pauvresd’interaction et d’action collective.

Les stratégies de villes durables doi-vent au contraire pouvoir s’appuyersur une représentation de l’espace quiévite à la fois les excès de l’intégration(surimposition d’un ordre sur unautre) et ceux de l’éclatement (rupturedes solidarités territoriales, accroisse-ment des inégalités). C’est en s’inspi-rant de la topologie que l’on peut ànotre sens le mieux parvenir à com-prendre et à articuler les enjeux locauxet globaux du développement durable– en accordant à la fois une place cen-trale à la singularité des lieux (“les po-tentiels locaux”) et aux articulationsqui les relient, de proche en proche, àl’espace global6 6. Il s’agit, à travers leprojet de ville durable, d’aménagerdes solutions de continuité entre leséchelles, de créer des coutures entreles territoires, entre les régions, entreles pays, entre les cultures, mais aussientre les villes du Nord et du Sud(d’où le rôle important de la coopéra-tion décentralisée). Depuis longtempsl’architecte Christian Porztamparc amontré l’importance de ce travail decouture pour reconstruire la ville

contemporaine, réconcilier les tissusjointifs de la ville ancienne et lesconstructions éparses de la ville mo-d e r n e6 7. De la même façon d’autrescoutures peuvent être instaurées entrela ville et son environnement, à demultiples échelles.

Mais cette articulation, ce travail de“ c o u t u r a g e” requiert aussi de nou-velles formes de coopération entre desinstitutions trop souvent cloisonnéesou des échelles de décision beaucouptrop éclatées ; du maillon de la partici-pation individuelle, aux directives eu-ropéennes et aux conventions interna-tionales. C’est ce qu’exprime la notionde “subsidiarité active”qui impliquepour chaque niveau de décision poli-tique à la fois plus d’autonomie et plusde responsabilité vis-à-vis du “mondee x t é r i e u r”6 8. Partie d’une logique deprojets isolés, tiraillée entre le local etle global, la “ville durable” d é b o u c h edonc, finalement, sur une vision entiè-rement nouvelle de l’articulation desterritoires – à la fois entre eux et avecle “Monde” ; et sur une conceptionégalement originale du politique, ca-pable de concilier universalisme etparticularismes, unité et diversité. Celatémoigne, là encore, de sa mod e r n i t é

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6 5 S. Sassen, 1991, La ville globale, New Yo r k ,Londres, Tokyo, Descartes et Cie.6 6 C. Emelianoff, 1999, La ville durable, un mo -dèle émerg e a n t , Opus Cité.6 7 O. Mongin, 1994, Vers la troisième ville,Hachette. Introduction de C. de Porzanparc .6 8 P. Calame, A. Talmant, 1997, “L’Etat au coeur,le mécano de la gouvernance”. Desclée deB r o u e r. Chaque élu est ainsi un médiateur, garantde l’autonomie des habitants qu’il représente, et,en même temps, porte-parole auprès de ces habi-tants du monde qui les entoure.

UN CHOIX DÉCISIF QUI RESTE OUVERTLes contradictions que nous avonssoulevées identifient quelques unesdes impasses potentielles de la “villed u r a b l e”. La tentation néo-rurale,l’écologie de standing, l’évangélismetechnocratique ou le repli sur les inté-rêts de voisinage ne sont pas en me-sure d’infléchir les évolutions ur-baines vers un type de développementqui soit durable – c’est-à-dire quiouvre aux générations futures uneréelle liberté et de marges de ma-noeuvre dans les choix qu’elles aurontelles-mêmes à faire.

Il existe, cependant, comme on l’a vu,d’autres itinéraires pour repenser laville à partir de la multiplicité de sesdimensions – écologique, culturelle,sociale, géographique, politique,...Dans le creuset du développement du-rable s’invente aujourd’hui une pen-sée urbaine sur la base d’expériences

multiples, encore émergentes, qui por-tent à l’évidence, des contradictions,mais ouvrent simultanément tout unensemble de pistes d’actions et de ré-flexions prometteuses – manifeste-ment en résonance avec nombre dequestions posées aujourd’hui à nos so-ciétés et au fonctionnement de nos dé-mocraties. Certains pensent, avec uncertain fatalisme, que les villes danslesquelles nous vivrons au XXIe s i è c l esont déjà dessinées et déterminées parle poids de tendances historiques irré-versibles. Le projet de ville durable nerepose pas seulement sur la convictionque les politiques urbaines futures se-ront une des clefs majeures d’un déve-loppement durable à l’échelle de laplanète. Sa vertu essentielle est finale-ment de réaffirmer que la ville de de-main reste encore un choix ; et que cechoix doit être débattu collectivement.

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Le contexte

La ville de Grande-Synthe est situéedans l'agglomération de Dunkerque(200.000 hab), sur le littoral nord de laFrance à une vingtaine de km de lafrontière belge. Sa croissance urbaineest très rapide puisque la communecomprenait 1.800 hab en 1960 etqu'elle en compte aujourd'hui 26.500.Grande-Synthe se développe grâce àl'implantation de la sidérurgie sur l'eauen 1962 et devient une cité-dortoir.Plus de dix mille habitants s'y instal-lent dans les années 60, suivis par unenouvelle vague d'implantations indus-trielles et d'habitat social dans les an-nées 70.L'essentiel du travail de la mairieconsiste à transformer le paysage detours et de barres en ville aux fonc-tions et aux équipements diversifiés.Grande-Synthe bénéficie des pre-mières aides de l'Etat en France pourune politique sociale axée notammentsur l'amélioration du cadre de vie, audébut des années 80 (DéveloppementSocial des Quartiers). Un certainnombre d'immeubles sont détruits,afin de restructurer le tissu urbain.L'aménagement d'espaces verts, lefleurissement, dont les habitants sonttrès fiers, et le paysagisme transfor-ment l'image de la cité industrielle.Il faut souligner que la présence de las i d é r u rgie à Grande-Synthe donne àl'action municipale des moyens finan-ciers importants, qui lui permettent deconduire des politiques assez ambi-tieuses. La ville est néanmoins tou-chée par le chômage et les problèmessociaux liés au déclin de l'industrielourde (4.500 emplois actuellement

contre 12.500 dans les années 60).L'équipe municipale est actuellementcomposée de socialistes, de commu-nistes et d’autres forces de gauche,sans représentants du mouvementé c o l o g i s t e .

La spécificité de la démarche

L'Agenda 21 s'inscrit dans la conti-nuité du Plan Municipal d'Environ-n e m e n t1 qui avait simplement établiun bilan des actions menées par laville dans le domaine de l’environne-ment. Un manque de lisibilité et de co-hésion dans ces actions est diagnosti-qué. Au moment de prolonger lePME, en 1997, les partenaires deGrande-Synthe et notamment une per-sonne de Gaz De France2 impliquée auniveau national dans la promotion dudéveloppement durable (associationComité 21) convainquent la municipa-lité d'élaborer plutôt un Agenda 21,afin d'élargir la problématique trop en-vironnementale du PME. Ce contact àGaz De France est le facteur clef quiengage la ville dans un Agenda 21.Une mission “Développement Dura-ble” est mise en place début 97 pourlancer l'Agenda, composée d'un charg éde mission. Cette personne connaîtbien le fonctionnement des services dela ville puisqu'elle y travaille depuisvingt ans, étant auparavant responsabledu service des espaces verts. Sa mis-sion est explicitement une mission desensibilisation au développement du-rable, en interne et en externe. Elle sedécline en trois points :

Annexe 1 :

L'AGENDA 21 DE GRANDE-SYNTHE

* Synthèse réalisée dans le cadre d’une recherchecomparative européenne sur les agendas 21.1 Procédure financée par l’Etat qui a précédé lesChartes d’écologie urbaine.2 Gaz de France est l’établissement public charg éde la distribution du gaz en France. Cette entre-prise a été un partenaire privilégié de Grande-Synthe pour l’élaboration du Plan Municipald’Environnement dès 1994, dans le cadre du pro-gramme “écoville” lancé par Gaz de France pourdiversifier ses services aux collectivités et renfor-cer son image environnementale.

Cyria Emelianoff*

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1 . m o n t rer le bien fondé et les modali -tés pratiques d'une politique de déve -loppement durable,

2 . i n f o r m e r, sensibiliser et mobiliserles différents acteurs locaux,

3. amener les acteurs concernés, dansla mairie et chez les part e n a i res de laville, à identifier et formuler les ac -tions pertinentes pour une politique dedéveloppement durable3.

Le rôle dévolu à la mission Dévelop-pement Durable révèle bien la situa-tion des collectivités françaises faceau développement durable. Leur pre-mier constat et leur premier travail estd'opérer une sensibilisation à une no-tion qui reste peu connue au niveau lo-cal. Le responsable de l'Agenda àGrande-Synthe a la tâche de convain-cre ses collègues de la pertinence dudéveloppement durable, ce qui est untravail de longue haleine. Il s’agit en-suite de susciter chez eux une mobili-sation, puis une appropriation duconcept qui leur permette de cons-truire des propositions, chacun dansleur domaine. Sur cette base, un pro-gramme d'actions concerté et démo-cratique pourra être défini et réactua-lisé au fil de l’évolution de la dé-m a r c h e .

Une méthode “relationnelle”

La méthode mise en œuvre pour opé-rer cette sensibilisation se fonde sur lerelationnel. Le responsable del’agenda a fait connaître le développe-ment durable via un premier docu-ment élaboré avec l’aide de Gaz deFrance, qui est une version prélimi-naire de l’Agenda 21. Ce documentinsiste sur la transversalité des actionsmunicipales, sur la mise en cohérencedes actions déjà initiées et sur le ca-ractère concerté de l’Agenda 21. Maisc’est surtout sur le terrain des ren-contres que le travail de sensibilisationest opéré : des rencontres formelles(séances de sensibilisation avec tousles directeurs de services) et infor-melles (discussions, échanges depoints de vue), qui cherchent à susci-ter un relais chez les personnesc o n t a c t é e s .

Le chargé de mission souhaite tra-vailler sur un mode interactif avec lesservices, mais tous ne sont pas intéres-sés encore par les questions du déve-loppement durable. Un des moyens deles rendre plus actifs est de chercherce qui dans les actions menées parchacun répond aux principes du déve-loppement durable. Le responsable del’agenda a pu identifier ainsi quelquespetites actions qui ont permis de valo-riser les personnes qui les conduisent.Grâce à cette forme d’appropriationdu concept, ces personnes sont deve-nues des partenaires de la démarcheAgenda 21.

Une approche assez intégrée, mais pas encore participative

Après avoir présenté la démarche me-née par Grande-Synthe, il s’agit main-tenant d’analyser ce cas au regard denos trois hypothèses de travail.Le premier objet du travail de sensibi-lisation concerne l’intégration des di-mensions écologiques, économiqueset sociales de l’action publique locale.Ce trait fondamental du développe-ment durable est souvent rappelé.Mais la mise en œuvre de cette inté-gration exige qu’une majorité d’ac-teurs comprennent cette façon de voiret y souscrivent. La difficulté de tra-vailler dans les structures existantesexplique que les actions proposéesdans le cadre de l’Agenda relèvent en-core en majorité de thèmes environne-mentaux. Néanmoins, le chargé demission Développement Durable estconscient de ce biais, d’où le choix deGrande-Synthe d’opérer en continuune sensibilisation sur les trois voletsdu développement durable (i.e. econo-mic, social and environmental).On peut s’étonner que la ville n’ait paschoisi de commencer ce travail avec lapopulation. D’autant qu’elle bénéficied’une forte tradition de participationliée à la vie ouvrière et à la mobilisa-tion associative qui s'est construite ausujet de la restructuration urbaine deGrande-Synthe, notamment dans lesateliers publics d'urbanisme. Laconcertation a lieu en interne mais pasen externe. La participation du publicest prévue, mais dans une deuxièmeétape. Les éléments présentés précé-

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3 Grande-Synthe en marche vers un développe -ment durable. L’Agenda 21 local, 1999.

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demment éclairent ce choix. La muni-cipalité ne se sent pas assez forte pourinitier un débat public sur un thèmequ'elle maîtrise encore mal. Il est né-cessaire de travailler en interne afin decréer une première vision commune,afin que chacun puisse donner uncontenu plus précis au terme de déve-loppement durable, avant de répondreaux questions du public. On retrouvela même attitude dans d'autres villesfrançaises. Actuellement, le publicn'est associé à la réflexion que de fa-çon marginale, dans le cadre des ate-liers publics d'urbanisme, qui abor-dent occasionnellement les thèmes dudéveloppement durable.Si l'on considère enfin notre dernièrehypothèse, l'émergence de nouvelleséchelles d'action publique, elle ne sevérifie pas à Grande-Synthe. La villesait qu'une démarche parallèle est me-née par la Communauté Urbaine maisn’approuve pas forcément tous leschoix menés à ce niveau. Il existe uneconnaissance mutuelle des projetsmais pas de véritable travail commun.Ce point est assez caractéristique despouvoirs locaux en France, qui entre-tiennent entre eux une certaine rivalitéet défendent leurs territoires. L'agendan'est pas de taille à changer ce com-p o r t e m e n t .En outre, il s'avère que la démarchesuivie par la Communauté Urbaine deDunkerque est bien différente de cellede Grande-Synthe. La CommunautéUrbaine a choisi d’assimiler l’Agenda21 au Contrat d'agglomération4, un do-cument qui programme en Francetoutes les politiques à mener durant lapériode 2000-2006. Ce contrat va ten-ter de promouvoir le développementdurable dans toutes les actions com-munautaires. Il est trop tôt pour pou-voir juger de cette démarche très glo-balisante et de son opérationnalité parrapport aux objectifs du développe-ment urbain durable, tels que la maî-trise de l'étalement urbain, la mobilitédouce, la réduction des pollutions, lamixité sociale, la participation des ha-bitants, etc.Cette différence d'approche s'expliquepar le contexte politique et les person-nalités qui portent l'Agenda dans laCommunauté Urbaine de Dunkerqueet à Grande-Synthe. Le président de laCommunauté Urbaine souhaite un af-fichage clair du développement du-

rable, qui est ainsi un mot d'ordre po-litique. Les services et la mission pros-pective doivent traduire, concrétiserou afficher dans leurs actions le soucidu développement durable. La dé-marche est donc "top down", tandisqu'elle est plus horizontale à Grande-Synthe, procédant de relais en relais. Ilest important de souligner aussi quedans cette phase préliminaire d'élabo-ration des agendas 21 en France, lesdémarches adoptées sont assez dépen-dantes de la vision des quelques per-sonnes qui les portent. Les approchesen sont d'autant plus contrastées deville en ville.

Une action conçue dansla durée

L'expérience de Grande-Synthe a lemérite d'être assez structurelle et trèslucide sur le fait qu'on ne peut pasmettre en place une stratégie de déve-loppement durable si les différents ac-teurs ne s'approprient pas cette notion.Le travail de la mission est donc préa-lable à l'élaboration d'un véritableAgenda conçu au sens d'un programmed'actions. Mais justement, l'Agenda 21à Grande-Synthe n’est pas considérécomme un programme d'actions. Ils'agit bien plus d'une démarche qui doitêtre partagée progressivement par tousles services de la ville et s'exprimerdans l'ensemble des actions munici-pales. L'objectif visé est que la poli-tique municipale devienne une poli-tique de développement durable.Cet objectif est à la fois ambitieux etréaliste dans le sens où aucuneéchéance n'est arrêtée : la municipalitéprendra le temps nécessaire pour “semettre en marche” Elle ne se fixe pasen ce sens de contraintes et ne prenddonc pas de risques. Cette attitudes’explique aussi par le calendrier poli-tique : les prochaines élections muni-cipales peuvent modifier la composi-tion de l'équipe dirigeante et le mo-ment n'est pas propice pour lancer unprogramme d’actions. Le chargé demission souhaite plutôt ancrer la dé-marche dans l'action des services, sen-sibiliser suffisamment les collèguespour que le projet de développementdurable survive à un éventuel change-ment de direction politique. Ce travailsur la durée s'impose précisément à

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4 Les Contrats d’agglomération vont être prochai-nement mis en œuvre en application de la loi dejuillet 1999 sur l’aménagement du territoire.

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cause de la brièveté des mandats élec-toraux. La contradiction entre cesdeux temporalités, le court terme poli-tique et le long terme du développe-ment durable, est ici bien comprise.Le moyen concret d'engager plusavant les partenaires, sans qu'ils puis-sent facilement se rétracter, est auxyeux du responsable de l'Agenda lamise en place du CODE, le Conseild'Orientation du Développement et del'Environnement. Le CODE est ungroupe partenarial de 21 membres, ré-partis en six collèges : élus (3membres), partenaires sociaux (4),partenaires environnementaux (2),partenaires économiques (3), éduca-tion nationale (2), associations (7). Lerôle de ce Conseil est double : il est unrelais auprès de différents types d'ac-teurs pour que chacun diffuse la dé-marche du développement durabledans son domaine professionnel ; ilconstitue d'autre part le principal lieud'échanges et de construction del'Agenda, un forum du développementdurable. Cet Agenda finalisé devraitvoir le jour à la fin de l’année 2000.

Des actions surtout pédagogiques

Cette approche fondée sur la sensibili-sation ne signifie pas qu'aucune actionne soit programmée. En effet, l'aspectopérationnel est nécessaire pour prou-ver qu'une politique de développe-ment durable est réalisable, qu'ellen'est pas un vain mot. Le premieragenda élaboré en coopération avecGaz de France propose donc des di-zaines de petites actions, plutôt à vo-cation pédagogique, qui se mettent enplace lentement. Ces actions s'inspi-rent des recommandations formuléespar l'association nationale Comité 21.L'accent est mis sur les actions de sen-sibilisation et les actions environne-mentales. La ville veut être incitatricedans le domaine du développementdurable, donner l'exemple d'une prisede conscience appelant un change-ment de pratiques. Aucun grand projetn’est prévu. Il faut signaler toutefoisune action très innovante : Grande-Synthe serait la première commune enFrance à engager dans une de seszones industrielles une expérienced'écologie industrielle5. Les entre-

prises existantes commencent à êtrecontactées pour réfléchir à cette idée,encore largement à l'état de projet carla coopération sur ce thème entre lesd i fférents partenaires institutionnelsn'est pas facile.

Un pari sur l'avenir

L'approche de Grande-Synthe est unpeu un pari : le pari de la diffusion deces nouvelles idées et d'une dyna-mique qui naîtrait d'elles. Les choixactuels préparent les décisions àmoyen terme plutôt qu'ils ne favori-sent les actions présentes. La dé-marche progresse à son rythme, enfonction des relais que trouve la mis-sion développement durable, compo-sée d'une seule personne, pour élarg i ret concrétiser l'agenda. Un jeune vaêtre bientôt employé avec la fonctionde “démarcheur environnemental”,c'est-à-dire qu'il systématisera le tra-vail relationnel amorcé auprès desmembres de la municipalité, notam-ment sur les aspects d'économied ' é n e rgie, une première entrée poursensibiliser à la gestion durable desressources. Mais le devenir del'Agenda 21 de Grande-Synthe dépen-dra sans doute de la force du soutienpolitique accordé à cette démarche.

Le maire soutient l'idée de l'agenda etil n’y a pas actuellement de blocagepolitique majeur susceptible d'arrêterce processus. Le comité de pilotage del'Agenda regroupe 5 élus, 5 directeurset chefs de service, le chargé de mis-sion développement durable et le par-tenaire de Gaz de France. Bien sûr,tous les élus et chefs de services nesont pas convaincus par la démarche.En revanche, il n'y a pas encore deconflits entre les forces politiques ausujet de l'agenda, celui-ci n'étant pasétiqueté “projet écologiste”, commedans d'autres municipalités, ce quicontribue malheureusement souvent àle décrédibiliser, la bataille politi-cienne prenant le pas sur la batailled'idées. Les écologistes sont en eff e tabsents de l'équipe municipale deG r a n d e - S y n t h e .

Grande-Synthe table donc sur une ac-tion de fond, qui passe par la sensibili-sation, la formation, la persuasion

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5 L’écologie industrielle est une nouvelle ap-proche qui défend un fonctionnement écosysté-mique de l’industrie, notamment par le regroupe-ment et l’organisation de plusieurs industries en“biocénose”, les déchets de certaines entreprisesservant par exemple de matières premières pourles autres entreprises.

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dans l'objectif d'insuffler le dévelop-pement durable dans chaque action etpolitique de la ville, puis dans lescomportements des habitants deGrande-Synthe. Cette approche estpragmatique dans la mesure où toutesles conditions ne sont pas présentespour aller aujourd'hui plus loin, no-tamment en termes de volonté poli-tique. Cette démarche ne souhaite pasbrûler les étapes, ni décider à la placedes acteurs. Elle présente une ré-flexion approfondie sur les enjeux dudéveloppement durable, en espérantcréer une série de déclics pour une ap-propriation démocratique de ce projet.L'intérêt de cette démarche dans lecontexte français ne semble pascontestable, et doit beaucoup à l’aidecontinue fournie par le partenaire deGaz de France reconnu comme "ex-pert" du développement durable au ni-veau national. Nous souhaitons souli-gner pour conclure l'importance desrelais et des réseaux de personnes dansla mise en œuvre locale du développe-ment durable en France, à ce stadepréliminaire où la démarche n'est pasencore ancrée territorialement.

Conclusion

Le cas de Grande-Synthe, qui éclaireassez bien la situation française, meten évidence à la fois les faiblesses etles atouts de la démarche des agendas21 en France.Son point faible réside dans le carac-tère très hésitant des initiatives, quipeuvent bénéficier d'un certain aff i-chage, politique ou communication-nel, mais manquent d'applicationsconcrètes. L'indétermination des col-lectivités locales s'explique par le

faible niveau de connaissances dans lasociété française sur le développementdurable. Les relais qui ont pu jouerdans d'autres pays européens pour dif-fuser ce concept, notamment la re-cherche et l'action associative locale,ne se sont pas emparés de ce thème enFrance, la démarche des agendas 21restant avant tout une démarche exo-gène, qui repose sur des idées peu fa-milières aux collectivités locales.Un point plus positif est la capacité demobilisation sur ce thème, soutenuepar le gouvernement central, ou parquelques personnes clefs, et par desassociations qui détiennent égalementune expertise sur le développementdurable. Cette mobilisation peut trou-ver dans le mouvement de décentrali-sation encore en œuvre un terraind’expression favorable (“opportunitywindow”). La démarche des agendas21 est même susceptible de rendreplus effective la décentralisation, si lesélus s'en saisissent comme moyen dereformuler un réel projet politique lo-cal, avec la population.La procédure des agendas 21 est envoie d'être inscrite dans la politiquenationale d'aménagement du territoire,ce qui élargira sans doute le nombred'initiatives et incitera le système poli-tique traditionnel à s'approprier cettedémarche. Les choix de Dunkerquepeuvent le laisser supposer. Cet élar-gissement de la démarche nécessiteraune phase d'apprentissage, qui prendradu temps, pour les élus, les services etla population. Il faut aussi s'attendre àce qu'au terme de cette appropriation,le développement local durable soitredéfini, dans un sens qu'il n'est pasencore facile de déterminer.

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On se représente souvent le “dévelop-pement durable” sous la forme d’untriangle liant trois dimensions : “le so-cial”, “l’économique” et “l’environne-mental”. Si l’intégration du social etde l’économique est déjà une vieillequestion, posée depuis au moins deuxsiècles, si des progrès ont été faitsdans les vingt dernières années pourarticuler économie et environnement,presque rien en revanche n’est pro-posé, fait, ou même débattu sur le“troisième côté” du triangle, celui quilie les deux dimensions “écologique”et “sociale”. Sauf exception, il s’agitd’univers qui non seulement s’igno-rent mais entretiennent mutuellementune méfiance réciproque.

Or ces deux domaines ont pourtant, àl’évidence, des relations extrêmementfortes - de complémentarité ou d’op-position. On sait très bien, en particu-l i e r, qu’il existe en matière d’environ-nement de profondes “inégalités éco-l o g i q u e s”, des différences considé-rables d’exposition aux risques oud’accès aux ressources ; et il est clairque celles-ci ne sont pas indépen-dantes des autres formes d’inégalitéssociales - inégalités de revenu, d’em-ploi ou de consommation.

Malheureusement l’appareil statis-tique dont on dispose ne permet pas dedire grand chose de précis sur ce cu-mul probable des inégalités (écolo-giques et économiques).

Tout le système d’information existantsur l’environnement est en effet org a-nisé pour mesurer des paramètres phy-siques (m3 d’eau, nombre d’espèces,concentrations de polluants...) et nondes populations exposées (ou bénéfi-ciant de telle ou telle aménité ou d’unaccès à telles ou telles ressources). Laprise en compte du public se limite leplus souvent à des enquêtes d’opinion– qu’on a ensuite la plus grande diff i-culté à lier à des situations réelles.

Paradoxalement c’est aujourd’hui auxEtats-Unis qu’émerge le thème de la“justice enviro n n e m e n t a l e”1 et quecommencent à apparaître des étudescherchant à quantifier, de manière as-sez précise, les expositions auxrisques par groupe social ou ethniqueou par catégorie de revenu.

Les travaux réalisés en Californie parla School of Urban Planning de l’Université de Los Angeles(U.C.L.A.), et par des réseaux associa-tifs comme “Communities for a BetterEnvironment” sont, sur ce thème,e x e m p l a i r e s2.

On présentera ici les résultats d’unétude faite sur le “South East LosAngeles” (SELA), l’une des partiesles plus industrialisées de la grandemétropole californienne - aujourd’huila seconde des Etats-Unis3.

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Annexe 2 :

QUAND INÉGALITÉS SOCIALES ET INÉGALITÉS ÉCOLOGIQUES SE CUMULENT

I. L'ARTICULATION ENTRE LA QUESTION SOCIALE ETCELLE DE L'ENVIRONNEMENT, MAILLON FAIBLE DU“DÉVELOPPEMENT DURABLE”

1 Voir sur ce thème les réflexions de CynthiaGhorra-gobin publiées dans le n° 42 de 2 0 0 1P l u s sous le titre: “La prospective urbaine auxEtats-Unis ou les enjeux de la civilisation subur-baine” (CPVS, DRAST, MELT), 1997. Les prin-cipes généraux d’une “justice environnementale”ont été définis dans un texte publié par la MaisonBlanche en février 1994, signé par Bill Clinton.2 “Communities for a Better Environment” a étécréée pour mieux faire prendre en compte la di-mension sociale et ethnique dans la politique ca-lifornienne de l’environnement.3 S o u r c e : Holding our breath, environmental in -justice exposed in southeast Los Angeles,Communities for a Better Environment, July1998, Shipro Bansal and Sam Davis.

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A quelques kilomètres au sud-est deBeverly Hills, Santa Monica,Hollywood ou Malibu, S E L A est unexemple frappant de cumul des inéga-lités économiques, sociales et écolo-giques. Coeur industriel de LosAngeles, situé à proximité de son“centre”, “South East Los Angeles”concentre sur moins de 1 % de la su-perficie du “county” près de 8 % del’emploi industriel, 12 % des indus-tries chimiques, 20 % des usines detraitement des métaux. Trois centmille personnes y habitent, répartiessur le territoire de huit “communes”(“cities”) – dont trois sont les plusdenses de toute la métropole. Près de9 0 % de ses habitants sont originairesd’Amérique latine (“Latinos”), avecune proportion importante d’immigrésrécents (27 %).

L’Université de Los Angeles (UCLA)et “Communities for a Better Environ-ment” ont conduit en 1998 une évalua-tion détaillée des risques pour la santéliés à la pollution existante dans cettezone. Même si l’étude met d’abord enévidence le manque d’informationfiable, les données recueillies sont, enelles-mêmes, suffisamment probantespour confirmer l’hypothèse d’un cu-mul des différentes formes d’inégalités(voir tableau 1). Celles-ci sont en outreaccrues par une mise en œuvre beau-coup plus laxiste de la réglementation(que dans des zones beaucoup moinse x p o s é e s ) .

“South East Los Angeles” se caracté-rise d’abord par une forte densité rela-tive à la fois de population (4 fois lamoyenne de l’agglomération) et d’in-dustries (9 fois). Après les émeutes deWatts en 1965 et la crise industrielledes années 70, la population ouvrière“blanche” fortement syndiquée quittacette zone et fut remplacée par desémigrés d’Amérique latine, souspayés par des entreprises de plus enplus difficiles à contrôler.

Compte tenu de cette évolution, la si-tuation sociale à SELA est nettement

plus défavorable que dans le reste del’agglomération. Le revenu moyen estplus de deux fois inférieur à lamoyenne du “county” (40 %). Lepourcentage de personnes en-dessousdu seuil de pauvreté atteint presque2 5 %. Le taux de chômage est ledouble de la moyenne. Près des deuxtiers des habitants n’ont pas le di-plôme de “high school” (équivalent dubac). 14 % d’entre eux vivent dans deslogements surpeuplés (plus de 7 per-sonnes). Enfin le taux d’équipementen services de santé (médecins, litsd’hôpitaux) est 35 fois plus faible quedans la moyenne de l’agglomération.

Ces inégalités sociales se cumulentavec des “inégalités écologiques” pro-portionnellement encore plus fortes.Sur 1 % de la superficie de l’agglomé-ration sont en effet concentrées 18 %des émissions de toxiques dans l’air,12 % des sols pollués, 20 % des ins-tallations de traitement de l’eau ou desdéchets (décharges, usines d’incinéra-t i o n . . . )4. L’exposition aux risques deshabitants de SELA est, par unité desurface, 8 à 26 fois plus forte quedans la moyenne de l’agglomération(selon les risques) – alors que celle-ciest déjà globalement beaucoup plusexposée que le reste de la Californie5.Une analyse plus fine faite sur une descommunes de SELA montre que danscertains endroits les risques pour lasanté sont dix fois supérieurs à ce quiserait souhaitable pour les risques dec a n c e r, et près de 70 fois pour lesrisques non cancérigènes. Malgrécette concentration des risques les au-teurs remarquent que les contrôles desindustries polluantes sont beaucoupplus laxistes que dans les zones nonhabitées par des minorités raciales(pour les produits toxiques les pénali-tés sont six fois plus fortes et fré-quentes dans les communes habitéespar les “blancs” que dans celles où vi-vent les minorités – noirs, asiatiques,l a t i n o s . . . )

A cela s’ajoute une absence de rigueurdans le zonage des activités, l’aban-

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I I . “SOUTH EAST LOS ANGELES” (SELA) :UN EXEMPLE DE CUMUL ENTRE INÉGALITÉS SOCIALES ET INÉGALITÉS ÉCOLOGIQUES

4 Plus de deux millions de tonnes de produits chi-miques toxiques sont également traités dans lazone de SELA.5 Los Angeles représente, à elle seule, la moitiédes émissions de polluants toxiques de laCalifornie, et malgré les énormes efforts faits de-puis 1970, le seuil d’alerte pour la pollution auto-mobile reste dépassé 70 jours par an.

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don des espaces publics6, le dévelop-pement des friches, et les effets decoupure liés à la densité, égalementforte, des infrastructures routières oua u t o r o u t i è r e s .

SELA n’est malheureusement pas unexemple isolé dans l’agglomération deLos Angeles. D’autres chercheurs ca-

l i f o r n i e n s7 ont montré qu’il existaitune forte corrélation entre la localisa-tion des sources majeures de pollutionet les caractéristiques ethniques ou so-ciales des habitants. Or il semble bienque les politiques publiques mises enoeuvre, loin de corriger ces inégalités,ont plutôt tendance à les accentuer.

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6 Mike DAVIS a bien montré dans City ofQuartz, son livre le plus récent (1977, “LaDécouverte”), comment la ségrégation socialequi caractérise Los Angeles s’accompagnaitaussi d’un recul général des espaces publics.7 James L. Sadd et Al, E v e ry Breath you Ta k e :The Pollution in Southern California, EconomicDevelopment Quarterly, 1999.

III. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS

L’exemple de SELA a pour mérite denous rappeler que la question essen-tielle du développement durable resteet restera celle du “combat pour la jus-tice”, comme le disent d’ailleurs de-puis longtemps, dans un tout autrecontexte, les porte-parole des pays dusud. L’environnement a su au coursdes trente dernières années engager ledialogue avec l’économie. Il lui reste às’ouvrir au cours de ce nouveau sièclesur les réalités sociales: la précarité del’emploi, la vie dans les banlieues, la

pauvreté et le sous-développement“soutenu” dans le sud, l’exclusion etles inégalités dans le nord (inégalitésde revenu mais également inégalitésd’accès aux transports publics, aux lo-gements sociaux, ou aux services pu-blics). Sans cette intégration des priori-tés sociales – qui n’est pas contradic-toire avec les exigences purement éco-logiques – comment pourrait-on s’at-tendre à ce que les générations futuresconsidèrent l’environnement commefaisant partie de leur culture ?

Eléments de comparaison S E L A Los Angeles ( “ c o u n t y ” )

- Population totale 2 9 0 . 0 0 0 8 . 9 0 0 . 0 0 0- Densité de population (Sq/Mi) 1 0 . 0 0 0 2 . 3 0 0- Adultes “non-citoyens” 58 % 26 %- Latinos 87 % 37 %- Emploi industriel (en %) 38 % 20 %- Densité d’usines (Sq/Mi) 7 0 8- Taux de chômage 12 % 6 %- Revenu / tête / an 7.300 $ 16.500 $- Sans diplôme “high school” 67 % 30 %- Parlent peu ou pas l’anglais 40 % 15 %- Vivent en logement surpeuplé (plus de 7 personnes) 14 % 5 %

Densité relative à SELA / S E L A Los Angeles Moyenne de l’agglomération ( m o y e n n e )

- Services de soins 1 3 5- Emissions de toxiques (air) 2 5 1- Points noirs de pollution (“hot spots”) 11 1- Sols pollués (“superfund”) 1 6 1- D é c h a rges et systèmes de traitement (incinérateurs, stations

d ’ é p u r a t i o n . . . ) 2 6 1- Stockages défectueux de polluants, infiltrations 8 1

TABLEAU 1 : Comparaison entre SELA et l’ensemble de l’agglomération de Los Angeles (county). Début des années 1990.

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C A RTE 1 : SELA : une concentration exceptionnelle d'activités à risque

• Rule 301 : Sources dispersées de polluants (ex. : teintureries)• AB 2588 inventory : Points noirs, fortes concentrations de risques• Superfund : sols pollués

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Le développement durable urbain est-il durable ou viable à long terme ? En d’autres termes, ce développementest-il tel qu’il puisse satisfaire les be -soins – économiques, sociaux et éco -logiques – des générations actuelles,sans compro m e t t re la possibilité pourles générations futures de satisfaireles leurs ?Vingt exposés ont été présentés sur cethème du “développement durable desv i l l e s” ; l’éventail des sujets traités al-lant de l’approvisionnement alimen-taire aux “villes sans voiture” – enpassant par la lutte contre la pollutionde l’air, la vulnérabilité aux risques,les relations entre politiques de trans-ports et politiques d’urbanisme, lesproblèmes d’organisation institution-nelle, ou l’usage des instruments éco-

nomiques (péages, échanges de droit àp o l l u e r...). L’ensemble a été illustrépar de nombreuses études de cas cou-vrant tant les pays du Sud( M e x i c o , Curitiba, plusieurs capitalesafricaines) que du Nord (Va n c o u v e r,Portland, Toronto, l’agglomérationParisienne, Lyon, Berne...) mais aussil’Europe Centrale (Lubjana, Prague,Budapest, Varsovie...). Si tant estqu’une synthèse de tous ces exposéssoit possible, il semble que l’on puissela construire, de façon la plus simple,en trois parties :– quels problèmes, quels enjeux ?– quelles solutions, quelles formesnouvelles d’action publique ?– quelles marges de manoeuvre, op -p o rtunités ou contraintes ?

SYNTHÈSE DE L’ ATELIER “VILLES DURABLES, VILLES VULNÉRABLES” DU COLLOQUE INTERNATIONAL

“VILLES DU XXIè SIÈCLE“ (LA ROCHELLE 1998)

1 L’atelier était présidé par Roberto Camagni. L e sactes du colloque de La Rochelle (octobre 1998)ont été publiés en mai 1999 par le CERTU sousla direction de Thérèse Spector et Jacques Theys(DRAST - CPVS).

QUELS PROBLÈMES, QUELS ENJEUX ?

Des tendances communes, ce qui ne veut pas dire des situations comparables

On retrouve dans toutes les grandesvilles du monde des tendances com-m u n e s : extension incontrôlée de l’es-pace urbain (comme le doublement en15 ans de la superficie de Mexico...),dépendance par rapport à l’automo-bile, déclin économiques des centres,ségrégation sociale et formation deghettos, développement de la vio-lence, gaspillage de ressources, in-adaptation des structures institution-

nelles... Combinées entre elles, toutesces tendances conduisent à des im-passes évidentes, amplifiées par l’ex-trême rapidité du phénomène d’urba-nisation et sa concentration dans lesm é t r o p o l e s : il ne faut pas oublier quela population urbaine mondiale auraété globalement multipliée par 15 enmoins de 80 ans (entre 1950 et 2030).Comme illustration de ces tendancescommunes, on constate, par exemple,que le modèle d’organisation urbaine“à l’américaine” est en train de se gé-néraliser dans toutes les capitales del’ancienne Europe de l’Est – avec unemultiplication incontrôlée des grandes

Ariel Alexandre, Jacques Theys1

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surfaces à la périphérie des villes, etl’absence de toute politique volonta-riste de réhabilitation des banlieues oufriches industrielles (qui représententpourtant plus du tiers de la superficiedes villes) (exposé de Hanns-UveS c h w e d l e r ) .Ces tendances communes ne veulentcependant pas dire que les situationssoient comparables. Dans les villesdes pays en développement – où 1/3 à2/3 des emplois et des logements sontprécaires – il s’agit d’abord de faireface à des problèmes immédiats desurvie économique, d’approvisionne-ment en produits alimentaires, desanté publique. Cette vulnérabilité auprésent, jointe à l’insuffisance des res-sources financières publiques et à unesituation économique difficile em-pêche de songer à l’avenir, que celui-ci puisse devenir durable ou non(Interventions de Molly O’Meara etOlivio Arg e n t i ) .Dans les villes européennes les préoc-cupations à court terme sont égale-ment très présentes - la préservationde l’emploi, l’adaptation des infra-structures et la réponse immédiate à lademande de logements neufs en péri-phérie gardant un caractère prioritaire.C’est néanmoins dans ces villes que semanifestent avec le plus de clarté lescraintes liées aux conséquences pos-sibles d’un déclin de l’espace public,d’un étalement urbain non maîtrisé etd’une dépendance exclusive par rap-port à l’automobile (effets sur la pol-lution de l’air, la congestion, le coûtdes équipements...).En Amérique du Nord, et en particu-lier au Canada, l’accent est plutôt missur la nécessité de rendre les villesplus attractives – dans un contexte decompétition mondiale - et sur la sécu-rité individuelle – priorité numéro undes habitants. Si le premier facteur mi-lite en faveur d’une meilleure qualitéde l’environnement (comme compo-sante d’une stratégie de “qualité totaledes territoires”), le second joue en dé-faveur des transports collectifs, tou-jours considérés comme peu sûrs (ex-posé de John Farrow).D’une certaine manière, Mexico avecses presque 20 millions d’habitants –cumule tous ces problèmes : emploiset logements précaires (40 % ) ,manque chronique d’eau, pompage dela nappe phréatique et affaissement du

sol (de un à deux mètres depuis 1970),vulnérabilité aux risques, pollution del’air 4 fois supérieure aux normesOMS, absence de transports collectifs,étalement urbain et longueur crois-sante des déplacements (100 minutespar jour en moyenne, et jusqu’à 6heures pour les plus éloignés!), ségré-gation sociale et violence... autant defacteurs qui conduisent les classesmoyennes ou aisées à fuir la ville,quitte parfois à y accéder en hélico-ptère (60 héliports privés crées depuisdix ans !). On a là, peut-être, unexemple de ville “insoutenable” ( s e-lon l’expression de Daniel Hiernaux).À Mexico, comme dans la majoritédes métropoles choisies commeexemples, le traitement de la vulnéra-bilité à court terme l’emporte sur celuide la durabilité – le curatif passe avantle préventif. Malgré la multiplicationdes “Agendas 21”seule une infinie mi-norité prend réellement en compte lesrisques liés aux changements globaux( e ffet de serre, ..., épuisement des res-sources rares comme les sols culti-vables) ou aux catastrophes naturelles.

Visées pragmatiques,ou visions utopiques :les trois cercles de laville durable

Autant les besoins et les problèmesimmédiats sont aisés à définir, autantles éléments constitutifs d’un éventueldéveloppement urbain durable sontd i fficiles à déterminer avec certitude.Pour les uns, il s’agit d’assurer un dé-veloppement qui serait durable pourles villes elles mêmes. Pour d’autres,la priorité est de faire en sorte que lesvilles contribuent au développementdurable de la planète. En fait il faudrasans doute articuler ces deux objectifsafin que l’ambition du développementdurable bénéficie à la fois aux citadinset aux “citoyens du monde”.

A cette première distinction, il faut enajouter une seconde, qui conduit àclasser les intervenants de l’atelieren trois grandes catégories – en tro i s“ c e rc l e s” – selon l’ampleur qu’ilsassignent au projet de “ville du-r a b l e”.Pour les uns, la “ville durable” n ’ e s trien d’autre qu’une façon plus mo-

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derne d’intégrer l’environnement dansles politiques de la ville - dans uncontexte de compétition économiqueaccrue entre les territoires. Elle ren-voie à la vision hygiéniste classique,aux politiques d’assainissement, de ré-duction des pollutions et des risques,de lutte contre le gaspillage, deconservation des ressources (exposésde Bernard Barraque et de Alain LeS a u x ) .Pour d’autres, sans doute aujourd’huiplus nombreux, le développement ur-bain durable est essentiellement asso-cié à la maîtrise de l’étalement urbain,à la réduction de la mobilité automo-bile, à la pollution de l’air, à la mixitéfonctionnelle, - ce qui renvoie au dé-bat sur les formes urbaines et sur l’ar-ticulation entre politique du logementet politique des transports (interven-tions de Marc Sauvez, FranckS c h e r r e r, Christian Garnier, FrançoisL e v ê q u e . . . ) .Pour une minorité, enfin, le thème dela ville durable débouche sur une am-bition beaucoup plus vaste - puisqu’ils’agit de construire une nouvelle vi-

sion de la ville, de son f o n c t i o n n e-ment interne, et de ses relations avec“l’environnement extérieur”. A tra-vers la notion de ville durable, CyriaE m e l i a n o ff défend, par exemple, u n evision “topologique” de la structu-ration de l’espace qui donne uneplace centrale aux lieux et aux proxi-mités qui les relient (dans un conti-nuum allant de l’habitat et de son lo-gement à l’environnement global).Au “tisserand” (la ville du moyenâge) et au “tailleur” (celle de leCorbusier), elle oppose le “couturier”dont le rôle est de reconstruire desliens entre espaces disjoints, institu-tions “autistes”, communautés écla-tées et indiff é r e n t e s : rendre durable,c’est essentiellement faire un travailde couture. Une relation est ainsifaite entre reconstruction des proxi-mités géographiques et reconstitutiondu lien socio politique. On rejoint lesouci, également exprimé parAntoine Bailly, de donner au conceptde développement durable, une di-mension sociale et démocratique.

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QUELLES SOLUTIONS, QUELS MODES D'ACTIONPUBLIQUE ?

Les leçons d’une courteexpérience

Les expériences les plus remarquablesen matière de développement durable,même si elles demeurent partielles etincomplètes, comportent générale-ment les mêmes “ingrédients” qui nesont ni techniques, ni physiques, maisp o l i t i q u e s :– une détermination sans faille (éma -nant généralement d’un maire oud’une municipalité part i c u l i è re m e n tdynamique) fermement appuyée parla population (vision part a g é e ) ;– la mise en route rapide d’un pro j e tbien ciblé et clairement délimité dansle temps ;– la volonté de décloisonner les ap -p roches sectorielles, les cultures insti -tutionnelles et les serv i c e s ;– la mise en réseau des expériences etla constitution de dispositif d’évalua -t i o n .C’est du moins les conclusions qui

ressortent clairement des études de casprésentées dans l’atelier : To r o n t o ,Portland, Curitiba, Strasbourg, Berne,Bologne ou Gdansk...Toutes ces expériences inscrivent ledéveloppement durable dans un re-gistre essentiellement pragmatique.“En matière de développement du -rable des villes, l’essentiel ne tientpas, en effet, dans un programme àp re s c r i re, dans une forme idéale etunique, mais dans un choix de bonnespratiques, ce qui place en pre m i è religne les modes de faire de la planifi -cation et de l’aménagement” ( F r a n c kS c h e r r e r ) .Dans le même esprit, il est apparu quela question essentielle était moins dese mettre d’accord sur le diagnosticinitial (“le point de départ”) ou sur lesobjectifs finaux (“le point d’arrivée”)que de définir les processus de chan-gement (ce qu’il conviendrait de fairepour aller de la situation actuelle àune situation plus “durable”). Nous

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savons à peu près où aller, mais nousignorons comment y aller - d’où l’im-portance de la volonté politique et del ’ i m a g i n a t i o n .Pour conclure ce débat général sur lesmoyens, on a insisté sur la nécessitéde mieux connaître et évaluer les dif-férentes expériences en cours. A cetégard, plusieurs pays envisagent decréer des observatoires. Pour le mo-ment un certain consensus s’opère surquelques “solutions” allant sans doutedans le sens d’une ville plus durable :des villes plus compactes, unemeilleure maîtrise de la mobilité, despolitiques foncières actives2, une ges-tion patrimoniale des logements et desinfrastructures, la reconstruction desvilles sur elles-mêmes, un type d’habi-tat “polycentrique”, la mise en réseaudes villes moyennes, des procéduresde décision plus démocratiques...Mais chacune de ces solutions soulèvedes contradictions, et comme on l’avu, il n’y a pas de modèle idéal quipourrait s’appliquer indiff é r e m m e n tau Nord et au Sud de la planète ; dansles villes moyennes ou les métropoles.

Des initiatives essentiel-lement décentralisées

L’impulsion majeure en matière de“ville durable” vient aujourd’hui à lafois des collectivités locales et des or-ganismes internationaux - qui se sontattachés à mettre en réseau ces initia-tives décentralisées (charte d’Aalborg ,réseau européen des villes durables,réseau de l’ICLEI, réseau MOST del’UNESCO...) (exposés de CyriaE m e l i a n o ff, Corinne Larrue, AntoineB a i l l y, Jean-Pierre Piechaud...). Des“Agendas 21 locaux” sont en eff e tadoptés par un nombre croissant devilles – afin de concrétiser les recom-mandations de la Conférence desNations Unies à Rio sur le développe-ment durable. Certains pays ont prisune avance certaine (Suède, Irlande,Royaume-Uni, Danemark...), la Franceconservant, en ce domaine, un retardmanifeste (Jean-Pierre Piechaud). Laconsultation et la participation activedes habitants sont considérées, lors detelles initiatives, comme essentielles,de même que l’évaluation régulièredes progrès réalisés. En outre, beau-coup de ces “Agendas 21” font appel

à un partenariat entre secteur public etsecteur privé ; d’autres, parfois lesmêmes, impliquent les écoles et lesuniversités dans leurs eff o r t s ; l’idéesous-jacente étant qu’il ne pourra yavoir de développement durable que sitous les partenaires locaux y adhèrentet si les jeunes en font une affaire per-s o n n e l l e .La plupart des interventions ont souli-gné la nécessité qu’il y avait à adapterles modes de “gouvernance” pour fa-voriser ces initiatives décentralisées etles rendre crédibles – ce qui renvoieaux problèmes de la bonne échelle dedécision et de la coordination entreinstitutions nationales, régionales etlocales. Une plus grande liberté demanoeuvre sur le plan local est consi-dérée comme indispensable. Cela dit,si les villes souhaitent jouer un rôleaccru dans le développement durable,cela ne signifie pas pour autant que lesautorités nationales devraient être dé-c h a rgées de leurs responsabilités, auc o n t r a i r e : sans l’impulsion des pou-voirs publics nationaux, et sans uner é a ffirmation des objectifs de solida-rité, qui ne peuvent être pris encompte par les villes, on n’observeraque compétition sauvage, inégalitécroissante, et effets d’image sans len-d e m a i n .

Un axe majeur :la maîtrise de l’éclatement urbain et de la mobilité

La préoccupation essentielle qui estaujourd’hui assurée à la notion de“ville durable” est celle de la maîtrisede la mobilité – associée à elle de lapériurbanisation. En ce domaine lesjustifications de nature “écologique”rejoignent de plus en plus des objectifssocio économiques (coût des infra-structures, budget croissant consacréaux transports par les ménages lesplus modestes, affaiblissement desliens sociaux...). Il a été mentionné,par exemple, qu’à Lagos, les coûts detransport peuvent représenter aujour-d’hui jusqu’à 30 % du salaire – u nordre de grandeur que l’on retrouve enIle de France pour les familles mo-destes vivant en périurbain. Reste undébat de fond – non tranché - sur lesmesures les plus efficaces (incitations

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2 Le coût des équipements liés à l’étalement ur-bain pourraît être investi dans les politiques fon-cières permettant de canaliser la périurbanisationautour des réseaux de transport public.Voir lestravaux de Marc Wiel et le n°49 de 2001 P l u s ,consacré aux politiques de maîtrise de l’étale-ment urbain (sept. 9 9 ) .

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économiques, offre de transport, pla-nification urbaine...) et sur leur accep-tabilité sociale (exposé de François L e v ê q u e ) .Deux exemples ont été particulière-ment évoqué dans l’atelier : celui deC u r i t i b a, au Brésil, et celui deP o rt l a n d, aux Etats-Unis. Dans cesdeux villes l’urbanisation était rapideet mal contrôlée et l’automobile y te-nait lieu d’unique mode de transport.Leur développement risquait de deve-nir insoutenable. Dans ces deux villes,la solution est passée par u n em e i l l e u re intégration entre poli-tique d’usage des sols et politiquedes transport s. Résultats : en 20 ans(depuis 1975), la circulation automo-bile a diminué de 30 % à Curitiba,alors que la population a doublé :quant à Portland, où la population aaugmenté de 50 % en 20 ans, l’espaceurbanisé n’y a augmenté que de 20 %(à titre de comparaison, Chicago aconsommé, durant ces mêmes années5 0 % de terrains en plus, alors que,dans le même temps sa populationn’augmentait que de 4 % ! ) .D’autres exemples ont été proposésd’une possible cohérence entre trans-ports, habitat et développement éco-n o m i q u e : au Royaume-Uni et auxPays-Bas, en particulier, deux pays oùl’intégration de ces politiques est miseen oeuvre, une politique publiquesouple, combinant plusieurs instru-ments (interdictions, “guidelines”, in-citations financières...) permet pro-gressivement de concentrer les activi-tés auprès des noeuds de transport pu-blics, et de réduire l’usage de l’auto-mobile privée (intervention deMichaël Bach, complétée par Vi n c e n tKaufmann sur la Suisse).

Vers une vision patrimoniale de la ville

Qui dit maîtrise de l’étalement urbaindit aussi, sans doute, reconstruction dela ville sur elle-même. C’est en toutcas une des priorités que s’est fixé, parexemple, le gouvernement anglais(Michaël Bach). Reconstruire la villesur la ville en donnant la priorité abso-lue aux quartiers défavorisés (qui cu-mulent à la fois des problèmes so-ciaux, économiques et d’environne-ment) semble néanmoins une ambi-

tion encore plus difficile à atteindreque la maîtrise de la mobilité, tant lesobstacles à l’action sont majeurs (in-tervention de Chantal Duchêne). Comment rendre attractifs des espacesmarqués par la désindustrialisation,les erreurs en matière d’urbanisme, lese ffets de coupure liés aux infrastruc-t u r e s ? Comment faciliter l’emploi dans desquartiers où la fiscalité est déjà parti-culièrement élevée, les échecs sco-laires importants ? Qui pourra finan-cer les efforts de reconstruction ? Lesdébats de l’atelier ont plutôt reflété,sur ce thème, un sentiment générald ’ i m p u i s s a n c e .A plus long terme, le souci de ne pasobérer les capacités de développementdes générations futures devraitconduire à intégrer dans tout partid’aménagement une forte dose deflexibilité, ou plus encore de réversibi-lité, ce qui va à l’encontre de la culturetraditionnelle de l’action publique ur-baine, où l’on concrétise une décisionen la rendant irréversible. Les poli-tiques de l’habitant devront passerd’une gestion des flux (invitations à laconstruction neuve), à une gestion desstocks et des patrimoines. Une rééva-luation des outils de la politique fon-cière devra aussi être faite. Là encoreil faudra une profonde révolution descultures de l’aménagement pour quele pari de la ville durable ait unechance d’être tenu – tant on est loin,aujourd’hui, d’une vision patrimo-niale de la ville.

Les nouveaux espacesde l’action publique :planification intégrée et pouvoir d’agglomération

Au-delà d’une liste de priorités secto-rielles, le développement durableévoque d’abord un souci d’intégra-tion – entre les dimensions écono-miques, sociales et écologiques dudéveloppement. Cette intégration nese limite pas à un simple “collage”, àune simple juxtaposition de préoccu-pations existantes. Elle suppose queles principes de l’action publiquesoient eux-mêmes modifiés dans laperspective proposée par RobertoC a m a g n i : efficacité allocative à long

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terme, efficacité distributive et équitéenvironnementale. Il faut aussi tenircompte de la dissymétrie qui existeentre les contraintes selon leur degréde réversibilité, ce qui explique, enpartie, la priorité donnée à l’environ-n e m e n t .L’ a ffirmation de la nécessité d’une ap-proche intégrée débouche à la fois surle thème de la coordination entre ni-veaux de décision et sur celui d’uneplanification renouvelée (Maria-Cristina Gibelli). “Dans la plupart despays occidentaux, on est passé”,constate Franck Scherre r, “d’une pla -nification normative et pro g r a m m a -tique, à des démarches plus straté -giques, centrées la re c h e rche de l’ad -hésion la plus forte possible de l’en -semble des acteurs concernés.L’ a p p roche du développement du -rable re n f o rce cette tendance en insis -tant plus sur la pédagogie du pro j e tque sur le projet lui-même, sur la re -c h e rche du consensus démocratique leplus large possible - dans la mesureoù la résorption des dysfonctionne -ment urbains reposent au moins au -tant sur le changement des comport e -ments individuels que sur des déci -sions régaliennes”. Cela se traduitconcrètement par un “package” n é g o-cié d’actions réglementaires, finan-cières, techniques, institutionnelles al-lant des taxes et redevances sur la pol-lution aux chartes urbaines en passantpar les plans de transport (contraintes

de stationnement, villes sans voitures,i n t e r m o d a lité, péages...), les partena-riats public-privé, les politiques d’in-formation ou de participation du pu-blic (référendums locaux...). Bienque disparates, ces “packages” d ’ a c-tion vont, au minimum, dans le sensd’un décloisonnement des actionssectorielles et d’une diversificationdes instruments d’action locale.En même temps, les thèmes récur-rents du développement durableo u v rent nécessairement la planifica-tion urbaine sur un champ spatialbeaucoup plus large, celui des agglo-mérations, des bassins d’emploi oudes régions urbaines. On a abondam-ment souligné dans l’atelier la néces-sité de traiter les problèmes desgrandes villes à l’échelle des agglo-mérations – tout en maintenant la pos-sibilité d’une étroite articulation avecle niveau régional. En conséquence, levoeu a été émis que les institutionssoient modernisées pour permettre etlégitimer démocratiquement une vi-sion stratégique à long terme àl’échelle de l’agglomération toute en-tière (ce qui suppose la création depouvoirs d’agglomération élus...). Laquestion de savoir si cette “révo-l u t i o n” institutionnelle – qui se heurteà des obstacles dans tous les pays – estun préalable nécessaire, ou simple-ment un atout supplémentaire, pourles politiques de développement du-rable efficaces, n’a pas été tranchée.

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PEUT-ON ENVISAGER DES PROGRÈS ?

Un slogan plus qu’uneréalité

Pour être franc, et malgré les expé-riences évoquées ci-dessus, le “déve-loppement urbain durable” c o n s t i t u eencore, pour l’essentiel, un slogan ouune bannière, plutôt qu’une réalitégénérale. Nous en sommes plus àl’état de la réflexion, de l’aff i c h a g e ,qu’à celui de l’action.Nulle part la circulation automobilen’est véritablement limitée à l’échellede l’agglomération toute entière (leplus souvent seules quelques zonescentrales et/ou résidentielles sont pré-servées, comme en Allemagne ou en

Suisse). Nulle part un équilibre stableentre croissance économique, cohé-sion sociale et environnement satisfai-sant n’est systématiquement recher-ché, ni a fortiori obtenu. L’ é t a l e m e n turbain est mal contrôlé, en particulierdans les grandes métropoles (il fallait3 heures pour traverser à piedBangkok, il y a quarante ans, il en fautquatre pour le faire, aujourd’hui, env o i t u r e ! ) : or, un habitant en zone pé-riurbaine émet, en moyenne, pour sed é p l a c e r, 4 à 5 fois plus de gaz à eff e tde serre qu’en zone centrale. Rare-ment les habitants des grandes villessont impliqués, ou même, simplementconsultés, dans des décisions qui

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pourraient les engager vers un déve-loppement plus durable.Dans très peu de cas (et, pour le mo-ment, de façon encore trop secto-rielle), on dispose de scénarios alter-natifs, quantifiés et discutés qui per-mettraient d’adopter des mesures suf-fisamment éclairées, dans un proces-sus démocratique.O r, dans le même temps, les décisionstardent à être prises au niveau interna-tional pour prévenir les modificationsclimatiques à l’échelle planétaire alorsque la mondialisation de l’économiefavorise une consommation croissanted ’ é n e rgie et de ressources non renou-velables, et rend plus précaire et plusvulnérable le développement de nom-breuses villes du Nord, comme du Sud.Dans ces conditions, le développe-ment durable est-il condamné à resterune utopie ; ou sera-t-il, au contraire,perçu comme une opportunité permet-tant de sortir de la crise à laquelle sontconfrontées beaucoup des grandesmétropoles du monde ?Tout dépend de la manière dont lescontradictions qu’il recèle pourrontêtre dépassées dans les années futures.

Des contradictions insurmontables ?

Un tel bilan, plutôt modeste invite à segarder d’une vision par trop naïve dudéveloppement urbain durable : nonseulement celui-ci suscitera conflits etoppositions, mais il devra aussi, né-cessairement, se confronter, à sespropres contradictions.Quelques unes de celles-ci ont étéévoquées dans l’atelier :

– contradiction d’abord entre déve -loppement durable et équité : l’incita-tion à la réduction de la mobilitérisque de peser d’abord sur les mé-nages périurbains les plus modestes etles plus dépendants de l’automobile :la reconstruction de la ville sur lav i l l e” risque de repousser en périphé-rie les populations marg i n a l e s ; lacompétition par la qualité, qui oppo-sera “les villes durables” pourrait, fi-nalement, ne faire que renforcer lefossé entre villes riches et villespauvres - auxquelles les solutions ha-bituellement proposées (“le package”)s’appliquent mal ;

– contradiction, ensuite, au seinmême de la “demande d’enviro n n e -m e n t”, car c’est bien, en partie, la re-cherche d’une meilleure qualité del’environnement et d’accès à la na-ture qui a conduit à cette fuite vers lepériurbain, génératrice de congestionet de pollution croissante ;

– contradiction, en troisième lieu,e n t re développement durable et glo -balisation économique, celle-ci étantsans doute beaucoup plus favorable àdes stratégies de flexibilité et d’oppor-tunisme qu’à des stratégies de longt e r m e ;

– contradiction, enfin, entre dévelop -pement durable et démocratie – ou dumoins risque de conflit – lié à la foisaux ambitions normatives et planifica-trices de la ville durable et à la briè-veté des cycles électoraux. Onconstate, en effet, qu’il est difficile defaire participer le public à une gestionintégrée des villes, car “il y a contra -diction entre les qualifications spécia -lisées et les temps longs de l’enviro n -nement, et les demandes de part i c i p a -tion souvent ponctuelles et centréessur l’actualité” (Bernard Barraque).Une des conditions nécessaire poursurmonter ces contradictions est derendre le projet de ville durable “dési-r a b l e” pour les citadins actuels, quelque soit l’endroit où ils vivent, (ce quisuppose, comme le dit RobertoCamagni “de créer des métaphores ded é s i r a b l e”). Et ce désir ne pourra lui-même se concrétiser dans l’action quesi les contraintes et les avantages sontéquitablement répartis ; entre les ef-forts à faire aujourd’hui et ceux à fairedemain, entre les communes centres etles communes ou régions périphé-riques, entre les Pays du Nord et ceuxdu Sud.Mais pour créer de nouvelles “méta-phores de désirable” il faut aussi, sansdoute, “changer les cultures, etd ’ a b o rd celle des urbanistes et desp l a n i f i c a t e u r s” (interventions de JohnFarrow et de Chantal Duchêne).Ceux-ci doivent se “transformer enmédiateurs, pour laisser le public,dans sa diversité sociale, dire se quilui paraît réellement important, etl’amener à constru i re lui-même desp rojets viables pour le long terme”(Bernard Barraque).

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Des atouts à valoriser

Face à ces contraintes ou à ces contra-dictions, on peut, heureusement,mettre dans la balance un certainnombre d’atouts ou de marges de ma-noeuvre qui laissent envisagerquelques progrès dans les années à ve-n i r, au moins dans les grandes villesdu Nord.

L’atout essentiel dont dispose la“ville durable” est la multiplicitédes opportunités qu’elle ouvre pourles acteurs du développement ur-b a i n :– d’abord une o p p o rtunité écono-mique et budgétaire (plus grande at-tractivité des villes, baisse desc h a rges foncières et d’infrastructures,moindres coûts de réparation desdommages, création de ressourcesfiscales, meilleures péréquation desrecettes et dépenses...) ;– ensuite, une o p p o rtunité institu-tionnelle et pour la démocratie. Laville durable est, en effet, sans doute,un des rares moyens disponibles pourcasser les logiques de cloisonnementinstitutionnel, réintroduire du débatpublic dans le choix d’urbanisme, re-construire de la coordination et de lasolidarité entre les différentes échellesterritoriales, et finalement, moderniserl’action publique. C’est aussi un cadreirremplaçable de mise en cohérencedes politiques globales et des actionslocales - et donc de maîtrise de leur in-t e r d é p e n d a n c e .Un autre atout est l’existence d’unesensibilité croissante des habitants desgrandes villes aux problèmes d’envi-ronnement. Encore faut-il ajouter quela “ville durable” n’est pas un patri-moine à conserver, mais un projet glo-bal qui va bien au delà de la seule éco-l o g i e .

Parmi les marges de manoeuvre évo-quées, celle qui est apparue comme laplus évidente est la modernisation desinstitutions et des politiques publiques(la dimension technique ayant été peuabordée dans l’atelier). Malgré unscepticisme très répandu, qui fait direà beaucoup que les seules marges demanoeuvre seraient du côté de la so-ciété civile (intervention de CyriaE m e l i a n o ff), un large “gisement” i n-exploité demeure, en effet, du côté dela modernisation de l’action publique- aussi bien en matière d’innovationfiscale ou institutionnelle, que de co-ordination administrative ou de mé-thode d’évaluation à long terme desprojets (ex ante ou ex post). Sur cepoint, John Farrow, analysant les ex-périences de Toronto et Va n c o u v e r, abien mis en évidence le décalagecroissant qui existait entre le rythmed’adaptation des actions publiques etla dynamique d’évolution des agglo-mérations – une situation bien connuede ceux qui travaillent sur la “gouver-n a n c e”.

En conclusion, il est apparu que leconcept de développement urbain du-rable se trouvait au confluent deforces et de désirs à la fois contradic-toires et complémentaires : vision àlong terme et souci du quotidien ; vo-lontarisme politique et participationd é m o c r a t i q u e ; global et local ; eff i-cacité économique et équité socialeet environnementale...La ville durable sera celle qui saura ré-soudre de telles contradictions. Lechemin sera sans doute long et diff i-c i l e ; ne nous faisons aucune illusion. “Comme si la réalité de demain ne de -vait pas être faite de l’utopie d’hier etd ’ a u j o u rd ’ h u i . . .” disait à ce proposAndré Gide... il y a plus de 50 ans...

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L’ensemble de ces présentations sera prochainement publié dans leTo m e III des Actes de La Rochelle (éditions du CERTU, mai 2000).

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Pa rt i e I I I

QUELS INDICAT E U R SPOUR LE DÉVELOPPEMENT

DURABLE ?

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Introduction

Comment rendre un peu plus concrêtet opérationnel le concept, à l'évidenceconfus, de “développement durable” ?A cette question il est de plus en plusfréquemment répondu : “en constru i -sant ou en utilisant des indicateurs” .Il n'est donc pas étonnant que la de-mande pour de tels outils se soit forte-ment amplifiée depuis quelques an-nées, et ceci à toutes les échelles del'entreprise au niveau international, enpassant par les Etats ou les collectivi-tés locales.

Face à une telle pression, les re-cherches et les propositions se sontégalement multipliées, mais sans réus-s i r, jusqu'à présent, à convaincre1.

L'extrème diversité des expériencesexprime en réalité très clairementque l’on est encore, en matière d’in-dicateur de développement durable,dans une phase de tatonnement :face à une demande qui s’accroit,aucune offre, aucune “solution”

proposée ne s’impose d’elle-même.On voit néanmoins, selon les pays, oules institutions impliquées, se dessinerplusieurs stratégies alternatives pourcombler cet écart entre l’offre et la de-mande :

– recycler les travaux déjà réalisés surles indicateurs d’enviro n n e m e n t ;– s’aligner sur les amorces de ca -drage définies au niveau international(indicateurs de l'OCDE ou desNations Unies, par exemple) ;– se limiter à une évaluation des stra -tégies de développement durable,préalablement définies ;– ou, enfin, s’engager dans lac o n s t ruction d’un système spécifiqued ’ i n d i c a t e u r s .

C’est dans cette dernière perspective,nécessairement plus risquée, que se si-tue cette contribution .

Il s’agit, non pas de proposer des indi-cateurs, mais uniquement une procé-dure permettant de les concevoir avecune garantie suffisante de succès.

VERS DES INDICATEURS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE : SE METTRE D'ACCORD SUR UNE ARCHITECTURE

AVANT D'EMPILER LES BRIQUES*

* Texte écrit en 1996 pour l'Institut Français del ' E n v i ro n n e m e n t et déjà publié sous la formed'une Note de Méthode par cet Institut (Noten°8, juin 97 : Indicateurs de Développement du -r a b l e . Bilan des travaux étrangers et élémentsde réflexion.Cécile Rechatin, Jacques T h e y s) .1 Sur ces expériences, voir la synthèse très com-plète réalisée par Cécile Rechatin pour l'InstitutFrançais de l'Environnement, reprise dans laNote de Méthode du juin 97 (n°8) déjà citée.

I . LES RAISONS DE LA PRUDENCEConstruire un système d’indicateursest une tâche à la fois coûteuse et aléa-t o i r e : à l’expérience, on constate qu’ily a eu, dans ce domaine, beaucoupplus d’échecs que de succès, soit parceque les indicateurs proposés ne répon-daient pas à une demande, soit parcequ’ils ne s’appuyaient sur aucuneo ffre “solide” d’information de base.

Le risque d’un tel échec est – a fortiori– encore plus grand pour les indica-teurs de développement durable, tantle concept est flou et le champ à cou-vrir démesuré.

Ce risque justifie une démarche pru-dente dans laquelle le souci “d’assurerles fondations” l’emporte sur celui de

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vouloir assembler – de manière plusou moins hétéroclite – les “briques”(“buildings blocks”) de l’édifice.

C’est une telle démarche, très enamont de la construction des indica-teurs eux-mêmes qui est proposée ici.Il s’agit d’abord de mieux préciser lesconditions que devront remplir les in-dicateurs de développement durable.Puis de se donner une méthode per-mettant d’organiser en toute clarté lechoix de ces indicateurs – et d’impli-quer dans ce choix le maximum departies prenantes (des économistesaux biologistes, des experts aux res-ponsables politiques, ...).

Le principal obstacle à surmonter, estcelui de la complexité : trop de di-mensions, trop de niveaux de déci-sions, trop de données hétérogènesdoivent être pris en compte. Pour par-venir à relever ce défi, il est suggérétrois orientations très simples :

• d é c o m p o s e r la problématique glo-bale du développement durable en

sous-ensembles plus homogènes et“ g é r a b l e s”,

• articuler ces sous-ensembles autourd’une architecture peu contestable : untel “fil d’Ariane” nous semble êtrefourni par la définition de développe-ment durable, donnée par le rapportB r u n t l a n d1

• et enfin, m e t t re en concurrence - e tnon pas amalgamer- les conceptions etles visions, nécessairement diff é r e n t e s ,de ce développement telles que peu-vent l’envisager les défenseurs de l’en-vironnement, les économistes et lesresponsables des politiques sociales.

C’est en effet, nous semble-t-il, de ladynamique de confrontation entre cespoints de vue et non d’un consensus ar-tificiel que dépendra l’intérêt pourl’élaboration d’indicateurs, à unecondition préalable : que ces concep-tions différentes s’accordent sur unestructure de questionnement commune.

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2 “Le développement durable est un type de dé-veloppement qui permet de satisfaire les besoinsdes générations présentes, sans réduire la possi-bilité pour les générations futures de satisfaire lesl e u r s”

II. LE CAHIER DES CHARGESIl ne peut pas y avoir de systèmestable et pérenne d’indicateurs que s’ily a d’abord accord sur le “cahier desc h a rg e s”, c’est-à-dire sur les condi-tions qu’un tel système devra remplir.Il semble qu’un certain consensuspuisse se dessiner autour des condi-tions suivantes :

• La spécificité Beaucoup d’efforts ont déjà étéconsentis pour construire des indica-teurs économiques ou d’environne-ment. Il ne servirait à rien de refaire(ou pire, de défaire) ce qui a déjà étéréalisé en rebaptisant simplement lesinformations existantes du nom “d’in-dicateurs de développement durable”.La spécificité peut seule garantir queles indicateurs construits correspon-dront à la question posée par le rapportB r u n t l a n d .

• La multi-dimensionnalité L’idée que le développement durableintègre les dimensions économiques,écologiques et sociales n’est plus,semble-t-il, remise en question.

• La multi-temporalité Les indicateurs proposés doivent, p a rd é f i n i t i o n, mettre en relief la naturedes arbitrages inter-temporels à faireentre générations actuelles et généra-tions futures, sans privilégier, a priori,un horizon temporel par rapport à unautre. C’est une des raisons pour les-quelles ils doivent également per-mettre de traduire des d y n a m i q u e sd ’ é v o l u t i o n et pas seulement des situa-tions statiques.

• La diversité des échelles géographiques

Dans un pays comme la France, lesmoyennes nationales n’ont qu’un senslimité : il faut aussi disposer d’évalua-tion à l’échelle locale. De même, peut-on contester l’utilité d’indicateurs dedéveloppement durable qui ne pren-draient pas en compte les échelles ré-gionales ou globales.

• L’adaptation à des demandes diversifiées

Il y a une demande à la fois, pour desindicateurs intégrés, détaillés, ou sec-

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toriels, pour des comparaisons inter-nationales et des évaluations locales ;mais les priorités peuvent naturelle-ment être différentes selon les pays etles époques. Le système à construiredoit pouvoir ménager des possibilitésd’adaptation à ces différentes de-mandes.

Une de ses qualités requises essen-tielles est d’être flexible, de pouvoir sec o n c e v o i r, aussi bien, à l’échelle d’unEtat, d’une économie, d’un secteur(transports, agriculture,...), d’une col-lectivité locale ou même d’une entre-p r i s e .

Ces indicateurs doivent aussi, naturel-lement, être utiles pour la définition etle suivi des politiques et stratégies dedéveloppement durable.

• Une articulation claire entre données factuelles et évaluationsnormatives

Il y a, sans aucun doute, une dimensionnormative dans la notion de dévelop-pement durable. Mais il est indispen-sable de bien distinguer dans les indi-cateurs, ce qui relève d’une analyse defaits ou de situations, (indicateursd’état, de tendance....) et ce qui relèved’une évaluation normative (distancepar rapport à une norme,...). L’idéal se-rait de pouvoir associer à chaque don-née factuelle un critère normatif fournisoit par les scientifiques, soit par lesresponsables politiques.

• Un bon équilibre entre cohére n c eet pragmatisme, anticipation eta c t i o n

Il est probable que l’on ne disposerajamais d’un système suff i s a m m e n tvaste et scientifiquement incontes-table qui puisse recouvrir l’ensemblede la problématique du développe-ment durable. En revanche, il ne ser-virait à rien d’accumuler les donnéessans se fixer une direction précise. Unbon compromis consiste à se mettred’accord sur une architecture cohé-rente avant de choisir – en fonctiondes besoins (et de l’offre disponible) –les priorités dans la collecte des don-nées : il ne s’agit donc pas de fourniraux responsables politiques un “sys-tème clef en main”, mais un instru-ment pour choisir les indicateurs quileur sembleraient pertinents.

L’important est donc, comme on l’adéjà dit, de t rouver un consensus surune arc h i t e c t u re, avant d’amorcer,pragmatiquement le processus de col-lecte et traitement des données. E tdonc avant de porter attention auxcontraintes, fondamentales, de f a i s a -b i l i t é et de coût du système àc o n s t r u i r e .

Le choix du pragmatisme supposeaussi que les indicateurs proposés per-mettent, en priorité, de m e t t re en évi-dence les marges de manœuvreréelles pour l'action, et d'anticiper lesbifurcations majeures à long termedans le choix politique ou les compor-tements (approche dynamique).

• Une attention à l’essentiel : laconnaissance des stocks et des ca-pitaux les plus menacés

La complexité du système à construirene doit pas conduire à masquer ou àrelativiser l’essentiel : la nécessité depasser d’un système d’informationpresqu’exclusivement centré sur laconnaissance des flux (revenus, pro-ductions, consommations, émissions,prélèvements,...) à un système don-nant la priorité à la connaissance desstocks (capitaux, fonds, stocks, poten-tialités, vulnérabilités, richesses, ...).On rejoint là ce qui a déjà été dit sur laspécificité des indicateurs de dévelop-pement durable, par rapport aux indi-cateurs d’environnement.

• C’est à l’intérieur de cette atten-tion prioritaire donnée à la connais-sance des capitaux et des stocks quese situe le débat, tout à fait central,sur les diff é rentes conceptions pos-sibles de la soutenabilité : “ f a i b l e ,forte, extrèmement forte”... AndrewDobson définit ainsi quatre grandesconceptions qui nous semblent biensynthétiser les positions alternatives(voir Tableau I)3.

L’architecture qui est proposée ne sup-pose pas de choix pré-déterminé entreces visions concurrentes du dévelop-pement durable. Inversement, aucunen’est exclue a priori, ce qui sous en-tend, par exemple, que les indica-teurs doivent nous permettre de pré-ciser ce que peut être le “capital na-tional critique” ou d’isoler la partréellement “irréversible” des transfor-

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3 Source : Andrew Dobson A typology of envi -ronmental sustainabilities. E n v i ro n m e n t a lP o l i c i e s, Vol. 5, n°3, automne 1996.

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mations de ce capital (voir tableau I).

• Il est clair, enfin, que les indica-teurs devront respecter les pro p r i é-tés communes à tous les indicateurs(voir l’encart n°1) et notamment êtrelimités en nombre .Si l’on essaie de pre n d re en comptetous ces critères, on voit bien, finale -

ment, que la difficulté est de conci -lier une grande fermeté par rapportaux objectifs à atteindre (multi-di -mensionalité, spécificité, etc.) etbeaucoup de souplesse et de flexibi -lité dans la mise en oeuvre : c’estcette difficulté qui justifie le choixd’une architecture modulaire.

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1. Etre développés dans un cadre conceptuel faisant l’objet d’un concensus.

2. Etre clairement définis et faciles à comprendre.3. Etre aggrégeables.4. Etre objectifs (indépendants de celui qui collecte les données).5. Ne pas exiger trop de données nouvelles : privilégier les données

existantes ou mobilisables à un faible coût.6. Pouvoir être appropriés par les utilisateurs.7. Etre limités en nombre.8. Porter à la fois sur les “inputs”, les processus, les résultats (output) et les

impacts.

ENCART 1 : Rappel des propriétés souhaitables pour les indicateurs

CONCEPTIONS A B C D

QUESTIONS

Que faut-il soutenir ? Le capital le capital naturel Le capital naturel L'ensemble du(humain + naturel) “critique” “irreversible” patrimoine naturelayant une fonction (les fonctions et vulnérable “signifiant”

économique écologiques vitalespour l'Homme)

Pourquoi ? Accroître le bien- Accroître le bien- Accroître le bien- Respecter nosêtre matériel être matériel et être et respecter obligations par

non matériel. nos “obligations” rapport à lapar rapport à la nature

nature

Quelles préoccupations 1 et 2 1, 2, 3,4 (2 ert 6) (5 et 6)essentielles ? puis (1 et 5) puis (1 et 2)

Quel degré de Considérable Pas entre capital Pas entre capital Très limitésubsitualité entre produit par l'Homme produit parcapitaux naturels/ et capital naturel par l'Homme etnon naturels critique capital naturel

“irréversible”

Quel niveau de Faible Fort Fort Extrèmement for“soutenabilité” ? (conservation)

TABLEAU I : Quatre conceptions de la soutenabilité de l'environnement

Légende :1 . Besoins matériels humains indispensables.Génération présente - 2.Besoins matériels humainsindispensables.Génération futures.3 . Besoins matériels et non matériels ; aspirations.Génértation présente - 4 . Besoins matériels et non matériels ; aspirations.Générations futures.5 . Besoins “non humains”.Génération présente - 6 . Besoins ‘non humains’.Générations futures.

Source : Banque Mondiale.

Source : Andrew DOBSON, A typology of environmental sustainabilities. Environmental

policies, Vol. 5, n°3, Automne 1996

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L’idée de base suggérée pour laconstruction des indicateurs est dep a rtir d’une structure fortement in-tégrée mais décomposable en plu-sieurs “modules” ayant chacun unec e rtaine homogénéité et spécificité.

Naturellement, cette “structure” d o i trespecter les conditions définies pré-c é d e m m e n t .

Le fil conducteur choisi pour bâtircette stru c t u re multidimensionnelle estsimple : c’est la définition du dévelop -pement durable donnée par le rapportB runtland. Il s’agit d’évaluer dansquelle mesure une certaine dynamiqueet structuration du développement(module 1) est susceptible de satis -f a i re les besoins des générations pré -sentes et futures (modules 6 à 9), cequi suppose un renouvellement appro -prié des différentes formes de capitauxet de patrimoines (modules 2 à 5).Dans ce schéma bouclé, mais linéaire ,il nous a semblé par ailleurs utiled ’ i n t ro d u i re la dimension de l’aléa, del’imprévisible : le module 10 essayefinalement d’apprécier la capacité dusystème d’activités ainsi décrit à ré -agir à des évènements extérieurs.

L’architecture proposée pour cons-truire les indicateurs se compose doncde dix modules articulés les uns auxautres. Le schéma en escalier suggérédans les figures 2, 3 et 4 cherche à ex-primer de façon graphique ce qui noussemble essentiel dans cette articula-t i o n : chaque donnée de résultat (“sor-t i e”) d’un module est donnée d’“en-t r é e” pour le module situé en aval.Mais l’assemblage est, par ailleurs,constitué de manière à ce que chaquemodule puisse être décrit et évalué demanière autonome. L’avantage majeurd’une telle structure est ainsi d’alliersouplesse et cohérence, “opérationna-l i t é” et complexité.

Une approche heuristiquedu développement durable

Par définition il n'est pas possible deconnaître les besoins des générations

futures, et donc de définir normative-ment ce que devrait être un dévelop-pement durable. En revanche on peutfaire l'hypothèse que certaines trajec-toires de croissance nous éloignentd'un tel objectif – par exemple lors-qu'elles conduisent à un accroisse-ment des pollutions rémanentes supé-rieur à celui du PNB, à une baisse dela valeur globale des patrimoines, àune montée rapide des insatisfactions,à des tensions inégalitaires extrème-ment fortes, ou à une dilapidation des“capitaux critiques” indispensablesau développement futur.D'une cer-taine manière la structure en module –très simplement schématisée dans laf i g u re 1 – organise l'approche heuris-tique qui doit permettre de manièretrès pragmatique d'accumuler desprésomptions de risque d'un déve-loppement non durable pour les gé-nérations à venir.

1. Le module central (module 1) : dynamiquedes activités et stru c t u redu développement

• Ce module, “pivot” de la structure,décrit la manière dont population et ac-tivités transforment des ressources (na-ture, travail, capital, information) enproduits, services, revenus et sous-pro-duits (déchets, pollutions,...). Du pointde vue du développement durable,c’est l’efficacité de cette transforma-tion qui nous intéresse : productivitééconomique, intensité en emploi de laproduction (dimension sociale), ou in-tensité en ressources et en pollution(dimension environnementale). Laquestion majeure, en dynamique, est celle du “d é c o u p l a g e” (ou aucontraire, du couplage) entre crois-sance des activités et croissance desutilisations de ressources ou émissionsde pollution (soit au niveau global duPNB, soit au niveau de chaque activitéde production ou de consommation)(voir encart n°3). C’est dans ce moduleque l’on pourra également apprécierl’importance des activités, produits ouservices, liés à l’environ n e m e n t .

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III. PROPOSITIONS POUR UNE ARCHITECTUREM O D ULABLE

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FIGURE 1 : Une représentation synthétique de la problématique du développement durable

Un indicateur de couplage entre les transports, de voyageurs et de marchandises, et le PIB nous fournit une informa-tion intéressante sur l'intensité du PIB en mobilité motorisée. Sur la période 1970-1996, comme on peut le constatersur le graphique joint, celle-ci va croissante : on observe plus du doublement pour la mobilité voyageurs alors que lePIB (en volume) croît de l'ordre de 87 % environ.L'évolution de la mobilité des marchandises est plus contrastée surl'ensemble de la période, mais elle connaît depuis le milieu des années 80 une croissance nettement supérieure à cellede l'activité. L'augmentation de la mobilité motorisée se fait avant tout au profit de la route. En 1996, 84,5 % de celle-ci était due aux voitures particulières.

Sources : DAEI / SES (enquête TMR) - SNCF - RATP - INSEE

Transports intérieurs de voyageurs et de marchandises (indice base 100 en 1970)

Les tendances sont similaires dans les autres pays développés et notamment dans les pays de l'OCDE.

ENCART 3 : Exemple d'indicateur de couplage découplage : l'intensité en mobilité du PIB

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La dimension temporelle devrait pou-voir être prise en compte dès ce pre-mier module : on propose ainsi d’in-troduire une distinction entre investis-sements et biens de consommation,revenus consommés et épargne, et,dans les biens de consommation, entrebiens durables et non durables. Demême pourra t’on classer les pollu-tions émises en deux catégories : pol-lutions rémanentes et non rémanentes(assimilables dans l’année), et diff é-rencier les usages “réversibles” et “ir-r é v e r s i b l e s” des ressources. Enfin,c’est dès ce premier module qu’on de-vra chercher à évaluer les p o s s i b i l i t é s

de s u b s t i t u t i o n entre techniques oua c t i v i t é s .

Plusieurs indicateurs viennent immé-diatement à l’esprit pour illustrer cettepremière dimension : contenu en res-sources ou en “pollution” du dévelop-pement, accroissement net des capi-taux naturels ou artificiels (“g e n u i n es a v i n g s”), rapport entre croissance del’activité et croissance des prélève-ments de ressources ou des émissionsde pollutions rémanentes, intensité enemploi du système productif (dimen-sion sociale), productivité des facteursde production ou taux d’investisse-

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ment (dimension économique), im-portance relative du secteur “environ-n e m e n t” dans le PNB, etc. Le pro-blème est de choisir.

2. Modules 2 à 5 : dynamique et qualitédes patrimoines et descapitaux

• Le module 2 opère le passage entredes données portant sur les flux ( d eressources naturelles, d’investisse-ments, de déchets, d’émissions, ...) e tdes données sur les stocks – et ceci àun niveau national. On peut en tirerdes ratios de type “prélèvement de re s -s o u rces sur accroissement des stocks”ou “flux de pollution sur stocks de

pollution, ou capacités d’absorption”,à un niveau relativement aggrégé.Mais aussi apprécier le rythme de re-nouvellement du capital (dimensioné c o n o m i q u e ) ; les écarts, par niveaude formation, entre offre d’emploi etpopulation active (dimensions o c i a l e ) ; ou les taux de recyclage desdéchets (dimentions écologiques)..

C’est à ce niveau que l’on peut intro-duire le plus efficacement la diff é r e n-ciation entre les concepts de soutena-bilité (voir Tableau I) et des notionstelles que celle de “capital nature lc r i t i q u e”.(voir encart 4).

• Pour établir ces ratios, il est naturel-lement nécessaire d’avoir une descrip-tion aussi précise que possible de

FIGURE 2 : Le module 1

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l ’état des patrimoines ( c a p i t a u x ,fonds, stocks...) et de leur évolution.C’est l’objet du module 3 qui doit ar-ticuler approches nationales et ap-proches locales (par région, par “éco-z o n e”, ...) pour construire des indica-teurs de richesse et de rareté4.Tous les éléments patrimoniaux sontconcernés, et pas seulement ceuxqu’évaluent traditionnellement les“comptes de patrimoine naturel” :stocks de connaissance, niveauxd’éducation, épargne, capitaux mobi-liers et immobiliers, infrastructures,culture, structures institutionnelles,...qu’il s’agit d’apprécier à la fois sur unplan quantitatif et qualitatif (rythme dereproduction, diversité, vulnérabilité,r a r e t é , . . . . ) .

La priorité doit néanmoins être don-née à l’évaluation des patrimoines nonreproductibles, et en particulier, à unedescription des éléments les plusriches et les plus vulnérables du patri-moine naturel (indicateurs de biodi-v e r s i t é … ) .

• Le second module décrit, comme onl’a dit, la manière dont les stocks oupatrimoines sont affectés soit par desprélèvements, soit pas des additions(de produits, d’investissements, depollutions, ...) à un niveau national. Lamesure de ces impacts sera néanmoinsbeaucoup plus pertinente si on intro-duit, dans l’analyse de ces relationsflux/stocks, une dimension géogra-p h i q u e. C’est l’objet du module 4.On pourra, par exemple, à ce niveau

construire des indicateurs “factuels”de densité ou des indicateurs “norma-t i f s” de capacité de charge ; ou bienencore, comparer, par zone, niveaud’investissement ou de prélèvement etstock de capital ou de patrimoine (ri-chesse fiscale, richesse écologique…).C'est également à cette échelle qu'onpourra introduire des informations surles contraintes écologiques locales.

On peut, là encore, imaginer un grandnombre d’indicateurs différents :concentration ou dispersion de la ri-chesse économique ou fiscale (dimen-sion économique), concentration oudispersion des populations ou des si-tuations de précarité (dimension so-ciale), production par unité de surfaceet par domaine d’activité, distributionspatiale des pollutions, indice d’artifi-cialisation du territoire, richesse éco-logique par écozone (dimension éco-l o g i q u e ) , . . .

• Le module 5 introduit une autre di-mension géographique : celle du pas-sage entre données nationales et don-nées internationales ou globales. Il re-groupe des indicateurs “factuels”comme le montant des aides au déve-loppement ou les exportations de pol-lution, mais aussi des indicateurs plusnormatifs, tirés, par exemple, de la no-tion “d’espace enviro n n e m e n t a l”proposée par J. Opschoor ( ressourcepotentiellement disponible dans l'hy-pothèse d'une égalité d’accès aux res-sources d’environnement pour chaquehabitant de la planète). Il s’agit de

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Certains capitaux ou patrimoines naturels peuvant êre considérés comme “cri -tiques” dans la mesure où leur disparition (ou leur forte détérioration) seraitsusceptible de mettre gravement en cause le maintien ou le développementd'une activité déterminée ou constituerait une perte collective irréparable pourles générations futures.On peut considérer comme “critiques” les capitaux, ressources ou patrimoinesnaturels qui possèdent les trois caractéristiques suivantes :– ils ont une importance vitale ou “stratégique” pour le développement de telleou telle activité, ou pour l'ensemble de la collectivité ;– ils ne sont pas substituables (ou substituables à un coût très élevé…) ;– ils sont réellement ou potentiellement menacés (à plus ou moins long terme).L'institut Français de l'Environnement lancera en 1999 une enquête pour es -sayer de déterminer s'il existe, en France, de tels capitaux ou patrimoines “critiques”.

ENCART 4 : La notion de capital critique

4 Voir Orio Giarini – Dialogue sur la richesse etle bien-être. Rapport au Club de Rome.Economica, 1981.

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t rouver un instrument de mesure dela contribution de chaque pays (ourégion) au développement durablede la planète (et inversement).

Dans le domaine spécifique de l’envi-ronnement, plusieurs indicateurs peu-vent ainsi être imaginés : contributionde la France aux émissions globalesde gaz à effet de serre ou à la pollutiont r a n s f r o n t i è r e ; importation de res-sources naturelles “sensibles” ( b o i stropicaux, espèces menacées,...) enpourcentage du total mondial ; adhé-sion aux Conventions Internationales,vulnérabilité au changement clima-tique, niveau de contribution finan-cière au FEM, solde net des importa-tions et exportations de déchets,...

Naturellement, c'est aussi dans ce mo-dule que pourront être intégrées desinformations sur les risques de dépas-sement de telle ou telle contrainte éco-logique globale (non fermeture desgrands cycles écologiques, rupture deséquilibres climatiques, … etc.).

3. Modules 6 à 9 : satisfaction des besoinsdes générations présentes et future s

• Avec les quatre modules suivants (6, 7,8, 9), on passe d’une optique patrimo-niale (indicateurs de richesse) à celle dela satisfaction des besoins (indicateursde bien-être ) .Dans cette perspective, le module 6 j o u eun rôle central puisqu’il permet de passerdes outputs du système productif (pro-duits, services, revenus, effets ex-ternes,...) à la satisfaction des besoinsprésents et futurs, compte-tenu desstructures et mécanismes existants deredistribution intra et interg é n é r a t i o n-nelle. Sa fonction est en effet de repré-senter les inégalités de distributiondans l'accès aux biens ou services o udans l'exposition aux pollutions ouaux risques.

La liste des indicateurs possibles esttrès longue : niveaux de consomma-tion ou de revenus par catégorie so-

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FIGURE 3 : Les modules 2 à 5

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ciale, qualité de vie (également pargroupe social), exposition aux nui-sances, accés aux services liés à l’en-vironnement, indicateur global de“ b i e n - ê t r e”, inégalités écologiques,....Celle des “normes” e n v i s a g e a b l e s(seuil de pauvreté, seuil de gravité desrisques,...) ne l’est pas moins. Tout leproblème sera ici de sélectionner cequi permet de caractériser un dévelop-pement socialement durable (ou plutôtnon durable du point de vue de la sa-tisfaction des besoins).

Il est aussi indispensable de bien dis-tinguer dans le flux des biens, servicesou externalités mis à dispositionchaque année, ce qui est “mis en ré-s e r v e” pour les générations futures( é p a rgne longue, dette, revenus diff é-rés, produits durables, pollutions ré-m a n e n t e s , . . . ) .

• Le patrimoine disponible est, à côtéde la consommation de produits et ser-

vices, un élément qui contribuera éga-lement à la satisfaction des besoins etau “bien-être”. Il semble utile de re-grouper dans un module spécifique(module 7) les conditions d’accèsaux éléments de patrimoine d é c r i t sdans le module 3, en tenant compte dela distribution sociale et géographiquede ces capitaux et des dimensions ins-titutionnelles ou juridiques (condi-tions d’appropriation, distribution desdroits de propriété, gestion plus oumoins efficace des “patrimoines com-m u n s” et notamment des ressourcesécologiques non appropriées, ...).

• La satisfaction des besoins n’est passeulement liée à l’offre de biens, ouservices et à la disparition de patri-moines. Elle dépend aussi des préfé-rences individuelles ou collectives.Mesurer le décalage entre ces préfé-rences et la manière dont elles sont sa-tisfaites – c’est à dire évaluer des in-s a t i s f a c t i o n s – constitue également

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FIGURE 4 : Les modules 6 à 9

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une approche intéressante du point devue du développement durable. Onsait cependant que la construction despréférences et la gestion des “insatis-f a c t i o n s” fait intervenir des régula-tions politiques, culturelles, sociales,institutionnelles, qu’il s’agit égale-ment d’évaluer en statique et en dyna-mique. C’est l’objet du module 8 ded é c r i re à la fois ces relations entrep r é f é rences et satisfaction des be-soins et ces modes de régulation ins-t i t u t i o n n e l s.

Des indicateurs reflétant les prix rela-tifs des différents biens (exemple :prix relatif des transports collectifs parrapport aux transports individuels), lastructure des dépenses publiques(pourcentage du budget consacré àl’environnement) ou l’état de l’opi-nion publique (indice de satisfaction,ou de mécontentement, nombre dejournées de grève par an, importancedes conflits,...) sont parmi les “candi-d a t s” e n v i s a g e a b l e s .

C’est également dans le module 8 (etle suivant) que l’on pourra intégrer lesinformations relatives aux “institu-t i o n s” du développement durable :mise en oeuvre des Agendas 21, exis-tence de structures interministérielles,niveau de participation du public auxprocédures de décision, satisfactionvis à vis des institutions, développe-ment de la société civile (adhésion auxsyndicats et aux associations,...).

Du point de vue de l’environnement,une place particulière devra naturelle-ment être donnée dans ce module auxenquêtes permettant d’apprécier l’in-térêt que la population donne à cethème et son niveau d’engagementdans des actions environnementales(adhésion à des associations d’envi-ronnement, pratiques favorables àl’environnement, consentement àp a y e r, . . . ) .

• Il semble, par ailleurs, utile de com-pléter cette vision par un module sup-plémentaire analysant (toujours par lebiais d’indicateurs) la façon dont se fait

l’arbitrage entre préférences pour leprésent et préférences pour le futur. Ilest donc proposé de regrouper dans lemodule 9 les indicateurs qui mesu-rent cette préférence pour le présentou le futur : taux d’intérêt à longterme, taux d’endettement ou d’épar-gne, taux d’actualisation, rapport entreinvestissement et consommation, im-portance donnée à la conservation dupatrimoine ou à l’éducation, dépensesconsacrées à la prévention ou à la re-cherche, fonds de réserve ou de re-traite; ampleur et nature des “legs” auxgénérations future s (par rapport auxhéritages du passé),... Ce sont à l’évi-dence des informations qui intéressentle développement durable.

4. Module 10 : l'adaptation à l'imprévisible

Toutes les évaluations précédentes sesituent dans une perspective de conti-nuité des tendances : soit on se borne àconstater des situations a posteriori,soit on considère que les dynamiquespeuvent être déterminées avec de fortescertitudes. Mais le développement du-rable peut être envisagé dans unetoute autre perspective qui est la ca-pacité des sociétés, des économies oudes systèmes écologiques à s’adapterà des évènements ou à des rupture si m p r é v i s i b l e s. C’est pour rendrecompte de cette autre approche qu’ilnous semble indispensable d’envisagerun dernier module (module 10) danslequel on retrouvera des indicateursportant sur la vulnérabilité, la flexibi-lité, l’adaptabilité, l’inertie,... dessystèmes – et leur capacité à “absor-b e r” des ruptures ou des crises.

Là encore, on dispose de pistes de ré-flexion intéressantes, notamment cellesdéveloppées par les spécialistes del’écologie systémique sur ces phéno-mènes de r é s i l i e n c e ( H o l l i n g , . . . ) .Restent les deux questions – non réso-lues – de la faisabilité de ces indicateurset de l’information qu’ils pourraient ef-fectivement apporter pour la décision.

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“Un type de développement qui permet de satisfaire les besoins des générations présentes, sans réduire la possibilitédes générations futures de satisfaire les leurs”

FIGURE 5 : Proposition d'architecture modulable pour la construction d'indicateurs de développement durable

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TABLEAU II : La construction des indicateurs : une démarche en trois temps

Dimensions Economique Social Écologique etModules environnemental

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

1 : CHOIX DESINDICATEURS PAR MODULE

(PAR LES EXPERTS)

3 : MISE EN CONCURRENCE DES APPROCHES ET DES ACTEURS

2 : CHOIXDES

MODULESPRIORITAIRES

Comme on le constate, l’architecturemodulaire précédente constitue uneaide méthodologique à la constructiond’indicateurs mais ne dit rien – enelle-même – sur le choix des indica-teurs à élaborer. A partir de ce schématrois propositions de démarche sontfaites :

• tenir compte dans la construction deces différents modules des prioritésexprimées par les responsables poli-tiques et sociaux (s é l e c t i v i t é de la dé-m a rc h e) .

• mettre en concurrence plusieurs ap-proches possibles de ces indicateursde développement durable en laissantle soin de les élaborer à des acteursd i fférents représentant les dimensionséconomiques, sociales et environne-mentales (o u v e rt u re, c o m p é t i t i o n) .

• laisser la place à une c o n f ro n t a t i o nouverte des c o n c e p t i o n s possibles dudéveloppement durable portée par cesd i fférents acteurs. On aboutit ainsi àune démarche en trois temps :

1 : Sélectionner, module par module,les indicateurs appropriés et suscep-tibles d’être construits et suivis à uncoût et dans des délais raisonnables,

en s’efforçant de limiter au strict mini-mum le nombre des indicateurs rete-n u s .

2 : Choisir, en fonction des priorités,les modules qui devront être élaborésdans l’immédiat (à l’horizon d’un oudeux ans).

3 : Proposer à différents org a n i s m e spublics intéressés de prendre enc h a rge chacune des dimensions du dé-veloppement durable (économique,sociale, écologique et environnemen-tale) en mettant ces approches enc o n c u r r e n c e .Comme on l’a déjà dit, il n’y a pas ene ffet de raison de privilégier a priori,dans la construction d’indicateurs, uneconception unique du développementdurable : il serait, au contraire, extrê-mement stimulant de confronter plu-sieurs points de vue différents, mettantl’accent sur une vision plus écono-mique, plus écologique ou plus socialede cette même problématique.On pourrait donc imaginer que plu-sieurs institutions différentes (L'IN-SEE, l'Institut Français de l'Enviro-nnement, le Ministère des Affaires so-ciales et du Travail, la DATAR, lesMinistères sectoriels,…) se coordon-nent pour construire un noyau com-

IV. UNE DÉMARCHE APPROPRIABLE PAR DES ACTEURSMULTIPLES ET OUVERTE A LA DIVERSITÉ DESCONCEPTIONS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

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mun d'indicateurs ; ou au contraireconfrontent leurs points de vue à par-tir des perceptions nécessairementcontrastées qu'ils peuvent avoirdes enjeux du développement durable.

Comme le suggère Olivier Godard5, ilest en effet tout à fait possible que lesmêmes chiffres soient interprétés demanière extrèmement différentes enfonction des conceptions, qui, commeon l'a vu, peuvent être fort diverses dela “durabilité” (voir le tableau I). A unpartage sur la construction des indica-teurs pourra donc finalement s'ajouterun débat sur leur interprétation.Naturellement ce qui est ainsi envisa-geable à l'échelle nationale peut aussil'être au niveau local ou au sein desinstitutions européennes ou internatio-n a l e s .

4 : Tout reste à faireA partir de là, presque tout, comme onle voit, reste à faire. Il est clair, par

ailleurs, qu’une telle constructionm o d u l a i re laisse sans solution expli-cite le problème de l’aggrégationdes diff é rents indicateurs obtenusdans chaque module : on reste àl’évidence dans une démarche multi-c r i t è r e .

Il n’est cependant pas exclu – qu’aumoins dans l’optique essentiellementéconomique – on puisse parvenir à desévaluations beaucoup plus synthé-tiques et cohérentes, comme a tenté dele faire la Banque Mondiale à traversle concept de “genuine savings” ( a c-croissement annuel net de l’ensembledes capitaux, compte-tenu des diff é-rentes formes de dépréciation).

Préjuger à l’avance d’une telle possi-bilité de simplification nous semble,au stade actuel, non seulement réduc-teur mais contestable : nous préféronsdonc laisser cette question ouvertepour une phase ultérieure6.

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5 Dans l'Atelier qu'il a présidé pour l'IFEN,Olivier Godard a particulièrement insisté sur lanécessité de bien distinguer la mobilisation desdonnées chiffrées objectives et l'évaluation deces données, qui dans le cas du développementdurable, ne peut qu'être relatives à des systèmesde valeurs nécessairement diff é r e n c i é e s .6 Voir les travaux publiés, après cette note parl'IFEN et en particulier le document écrit par J . - L . Levarlet : “Les indicateurs de développe-ment durable; méthodes et perspectives”,Collection Études et Travaux, IFEN, n°24, oc-tobre 1999.

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La première tâche que s’est assigné leClub Bativille a donc été de circons-crire les dimensions du développementdurable, en essayant ensuite de réflé-chir au moyen le plus efficace de l’ap-pliquer au domaine de la construction3.

En comparant plusieurs options pos-sibles, c’est finalement une ap-p roche fonctionnelle qui s’est pro-g ressivement imposée. Le groupe de

travail mis en place a en effet choisi destructurer la grille des indicateurs pro-posés autour des différentes phases dela construction - de l’amont (concep-tion, utilisation des matériaux) à l’aval(démolition, réhabilitation).

La grille d’évaluation construite surcette base distingue les huit phases,huit dimensions et les 24 critère ss u i v a n t s :

VERS DES INDICATEURS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE POUR LA CONSTRUCTION*

* Synthèse de l'état d'avancement des travauxmenés par le Club “Bativille”, Jacques Theys,Marc We c k s t e i n .1 Ce groupe rassemblait Robert Angioletti(ADEME), Christophe Gobin (Dumez -Construction), Marc Weckstein (CSTB) et EricDurand (S’PA C E ) .2 Une première analyse de l’enquête DELPHI aété présentée dans les Cahiers du CSTB (numérode décembre 1999) avec comme auteurs MarcWeckstein, Luc Bourdeau, Jean-Alain Heraud etKostas Nanopoulos.3 Les résultats détaillés de cette phase ont égale-ment fait l’objet d’un cahier du CSTB (n° 2864,j a n v i e r-février 1996).

L’hypothèse de l’émergence de “développement durable” comme axe stru c t u -rant de l’activité du secteur de la construction est désormais fréquemment évo -quée à la fois par les experts et les industriels de ce secteur. Dès 1996 le ClubBativille – fondé par le CSTB, l’ADEME et le Centre de Prospective de laDRAST – a engagé des réflexions sur ce thème, avec comme objectif de définirune liste d’indicateurs pouvant être effectivement utilisés par les différents au -teurs de la “filière” – constructeurs, aménageurs, collectivités locales... Jusqu’àprésent, ce travail s’est déroulé en deux phases successives :

– Dans un premier temps un groupe re s t re i n t1 a proposé une liste de dimensionset de critères à pre n d re en compte pour évaluer la “ d u r a b i l i t é ” dans le do -maine de la constru c t i o n ;

– Dans une seconde étape, le Centre de Prospective de la DRAST, le CSTB,l’ADEME, et GTM Construction ont pris conjointement l’initiative d’élargir laréflexion et de lancer une enquête auprès des experts de domaine pour validerles critères proposés et aboutir à une liste plus précise d’indicateurs. L’ e n q u ê t e ,de type “DELPHI”, a été réalisée par le laboratoire BETA de l’Université LouisPasteur et le CESAG (laboratoire de re c h e rche de l’Université Robert Schuman,également à Strasbourg). Ces travaux, menés par Jean-Alain Heraud (BETA) etKostas Nanopoulos (CESAG) sous la direction d’un comité de pilotage composéde M. Gobin (GTM Construction), M. Weckstein (CSTB) et J. Theys (DRAST -CPVS) ne sont pas achevés. Il a semblé néanmoins intéressant d’en donner iciquelques résultats pro v i s o i res, d’autant que leur intérêt ne se limite pas au sec -teur de la constru c t i o n2.

On évoquera très brièvement chacune des deux phases.

I. PREMIÈRE ÉTA P E : L’ E X P L O R ATION DES DIMENSIONSE T DES CRITÈRES D’UN “ DÉVELOPPEMENT DURABLE ”DANS LE DOMAINE DE LA CONSTRUCTION

Jacques Theys, Marc Weckstein

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TABLEAU 1 : Dimensions et critères du développement durable dans le domaine de lac o n s t r u c t i o n : une pro p o s i t i o n

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En 1999 une nouvelle étape a été en-gagée afin d’avancer sur la voie del’opérationnalisation des 24 critèresproposés dans la phase précédente -et d’aboutir à une liste d’indicateurschiffrables à court ou moyen terme.Pour cela il nous a semblé indispen-sable d’organiser une consultationassez large des experts compétentsdans le domaine de la construction.La méthode choisie est celle d’uneenquête multicritère en deux phases(ce que les spécialistes appellent uneenquête “DELPHI”). La premièrephase vise essentiellement à mesurerla pertinence de la grille élaborée en1996. Une seconde phase aura en-suite pour objectif de préciser et desélectionner les indicateurs suscep-tibles d’être utilisés de manière opé-rationnelle.

Les résultats présentés ici sont issus dutraitement d’une p re m i è re vague der é p o n s e s limitée à une centaine d’ex-perts. Ceux-ci sont essentiellement deschercheurs (20 %), des maîtres d’ou-vrage (14 %), des urbanistes et archi-tectes (18 %), des bureaux d’ingénierieconseil (9 %). En revanche, les collec-tivités locales (7 %) et les entreprises( 1 2 %) restent encore sous-représen-tées par rapport à leur importance dansla filière – déséquilibre qui sera corrigéu l t é r i e u r e m e n t .

On se limitera ici à commenterquelques tableaux issus de ce premierdépouillement, en privilégiant les ré-sultats les plus généraux.

Ils concernent cinq aspects princi-p a u x :

1 . L’état des lieux des “pro b l è m e s ”2 . La hiérarchisation des enjeux ma -jeurs pour la société et le secteur de lac o n s t ruction (quels objectifs priori -t a i re s ? )3 . La perception du développementd u r a b l e4 . La validation des critères et des di -m e n s i o n s5 . Les relations entre développementdurable et innovation.

1. Le diagnostic :appréciation de la situation actuelledans le domaine del’habitat (tableau 2)

Une majorité des experts interrogésconsidère la situation dans le domainede l’habitat comme acceptable ou plu-tôt satisfaisante.

Quelques domaines d’insatisfactionmajeures apparaissent néanmoins :

• la maîtrise foncière ;• l’arbitrage entre qualité et accès aulogement pour les populations les plusd é f a v o r i s é e s ;• l’accès au logement pour les catégo-ries sociales exclues ou aux revenusmodestes (“droit au logement“) ;• les conditions de déplacement ;• et enfin la protection de l’environne-ment et de la santé.

2 . Les enjeux prioritaire s

L’enquête s’est intéressée à la fois à laperception des enjeux majeurs pour lasociété, et pour le secteur spécifiquede la construction.

En ce qui concerne les enjeux de so-ciété, les experts, considérés en tantque “citoyens”, placent en tête de leurhiérarchie l’emploi, l’éducation, la dé-mocratie, la protection de l’environne-ment et la paix dans le monde (voir letableau 3) .

En revanche, quand on interroge lesexperts en tant qu’acteurs du bâtiment,l’enjeu qui émerge le plus fortementest celui de la réponse à la demande(“qualité d’usage”), suivi, à forte dis-tance, par la qualité technique des ou-vrages (maîtrise des malfaçons), laqualification de la main-d’œuvre, lasécurité et les conditions de travail surc h a n t i e r, et enfin l’innovation institu-tionnelle. Les problèmes de qualitésont donc perçus comme plus impor-tants que d’autres aspects plus quanti-

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II. SECONDE ÉTAPE : VALIDATION DES INDICATEURSAUPRÈS DES ACTEURS DE LA CONSTRUCTION (enquête multicritère)

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Evaluation par« objectif »

Insatisfaisant Acceptable Plutôtsatisfaisant

Bon Ne sait pas

Cadre de vie 18 59 18 3 2

Qualité de vie 33 42 22 1 2

Maîtrise foncière 45 25 18 3 9

Coût du logement 20 46 24 4 6

Arbitrage qualité /accès au logement(populationsdéfavorisées)

44 36 14 3 3

Droit au logementpour tous

58 24 12 2 4

Protectionenvironnement etsanté

41 36 19 2 2

Qualitéarchitecturale

23 40 32 2 3

Conditions dedéplacement

45 34 15 2 4

Volume deconstructionneuve

25 39 23 6 7

Entretien etmaintenance duparc existant

36 40 14 5 5

TABLEAU 2 : Appréciation de la situation actuelle dans le domaine de l'habitat (en pourcentages)

tatifs (volume d’activité, coût de l’ar-gent...) (tableau 4) .

3. La perception du “développement durable”

Plusieurs questions portaient, dansl’enquête, sur la perception du conceptde développement durable.

Un consensus existe parmi les expertsinterrogés sur le définition que l’on endonne habituellement, celle proposéeil y a dix ans par la CommissionB r u n t l a n d .

Manifestement on est encore , pour lamajorité des experts, dans une situa-

tion de transition : le développementdurable n’est ni un vœu pieux, ni unepréoccupation entrée concrètementdans la pratique ; c’est plutôt “unconcept qui s’enrichit progressive-ment d’aspects concrets” (60 % desréponses) (tableau 5) .

Pour l’avenir le développement du-rable apparaît comme une notionbeaucoup plus structurante pour l’in-novation que pour le développementde l’activité elle-même. L’opinion gé-nérale est néanmoins qu’il s’agit d’unconcept qui, à long terme, sera struc-turant pour l’évolution du secteur de laconstruction (tableau 6) .

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(F : Fondamental, I : Important, M I : Moyennement important, S I : Sans Importance)

Solde : ne sait pas

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Importance des enjeux Aujourd’hui Demain

(en %) F I MI SI F I MI SI

Emploi 66 25 5 3 54 32 9 1

Sécurité (proximité) 14 60 23 1 20 50 21 1

Paix dans le monde 43 38 15 - 45 38 7 -

Développement du sud 27 44 21 5 40 39 12 1

Démographie (nord) 7 34 42 14 12 36 34 9

Démographie (sud) 18 49 23 7 28 40 22 1

Flux migratoires 3 41 48 6 13 33 43 3

Solidarité avec lesgénérations futures

36 48 15 - 44 37 12 1

Protection del’environnement

48 43 7 - 62 28 4 -

Education 54 38 6 - 58 38 1 -

Santé 33 52 12 1 34 52 6 1

Justice sociale et égalité 18 60 19 1 14 55 25 2

Maîtrise de l’aménagementdu territoire

14 63 20 1 30 51 14 -

Démocratie 53 34 7 2 54 30 7 1

Croissance économique 10 60 25 3 7 53 29 4

Gestion urbaine 10 62 24 1 20 56 17 -

TABLEAU 3 : H i é r a rchisation des enjeux actuels et futurs pour la société

4. La validation des dimensions et des critères : quelles priorités ?

L’analyse des réponses des cent ex-perts qui ont répondu à la premièrevague du questionnaire fait apparaîtreune certaine hiérarchie dans les di-mensions à prendre en compte dansl’évaluation de la durabilité :

– La minimisation des prélèvementsde re s s o u rces émerge très nettementcomme une dimension ou une pré-occupation majeure. Elle est citée

parmi les trois dimensions les plus im-portantes par trois experts sur cinq ; etprès de 40 % la classent en tête deliste. On peut donc parler d’un quasiconsensus sur le caractère essentiel decet objectif.

On trouve, dans une seconde catégo-rie, quatre dimensions citées à un rangm o i n d r e : assurer le maintien de lafonction d’usage (65 % des expertsclassent cette dimension parmi lesquatre plus importantes) ; participer etcontribuer à la vie urbaine (62 %) ;maîtriser les interfaces entre bâtimentet ville (55 %) et enfin permettre uneoptimisation technico-économique

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(F : Fondamental, I : Important, M I : Moyennement important, S I : Sans Importance)

Solde : ne sait pas

Importance des enjeux Aujourd’hui Demain

(en %) F I MI SI F I MI SI

Emploi dans la construction 8 58 23 1 8 51 22 4

Volume d’activité 7 52 25 4 4 48 30 4

Qualification de la main d’œuvre 29 49 14 - 33 52 3 -

Maîtrise des malfaçons, qualité technique 27 55 4 1 57 25 3 -

Productivité 6 52 31 2 9 47 26 3

Réponse à la demande qualité d’usage 52 35 4 1 57 25 3 -

Arbitrage durée de vie / adaptabilité 17 33 30 10 24 38 19 5

Exportation 4 38 40 8 8 36 36 5

Politique de Recherche / Développement 18 37 37 - 30 38 11 -

Innovation technique 18 45 25 2 27 39 16 2

Innovation institutionnelle 16 52 20 4 30 44 13 -

Utilisation des NTIC (conception) 8 44 35 3 26 38 20 3

Fonctionnement de la filière industrielle 5 32 44 7 11 30 38 4

Sécurité des chantiers Conditions detravail

29 47 15 - 34 42 12 -

Maîtrise du foncier 23 37 24 2 24 37 24 2

Coût de l’argent 10 36 40 4 12 36 36 4

Politique publique de construction 12 52 28 2 19 40 25 4

Connaissance des marchés - Prospective 11 48 33 2 25 48 18 1

TABLEAU 4 : H i é r a rchisation des enjeux actuels et futurs pour le secteur de la construction

(51 %). L’accent est ainsi mis sur l’ar-ticulation entre la construction et l’or-ganisation urbaine.

– Enfin, trois dimensions apparaissentplutôt comme secondaires, au moinspour les experts interrogés : les condi-tions de mise en œuvre ou de réalisa-tion des bâtiments (logistique de chan-t i e r, nuisances de chantier...), les pos-sibilités de rénovation - réhabilitation,et la “flexibilité” des logements (adap-tabilité, facilité de démolition...).

A un niveau plus fin des critères telsque les économies d’énergie, la maî-

trise de la mobilité, ou l’améliorationdes conditions de travail apparais-sent comme devoir jouer un rôle es-sentiel dans l’appréciation de la du-rabilité4.

5. Développement durable et innovation

Une des parties du questionnaire por-tait sur les relations entre innovation etdéveloppement durable. Des ques-tions étaient notamment posées sur lanécessité ou pas de faire des innova-tions (pour aller vers un développe-

4 Pour plus de détails voir le Cahier du CSTBn°3178, déjà cité.

/

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Le développement durable vous apparaît comme :

- Un voeux pieux 9 %

- Un concept théorique 23 %

- Un concept qui s’enrichit d’aspects concrets 59 %

- Un concept qui correspond déjà à desréalités concrètes

6 %

- Ne sait pas 3 %

TABLEAU 5 : P e rception du développement durable :théorie, vœu pieux ou enjeu réel ?

Pour la construction le « Développement durable » est une dimension :

- Sans effet 2 %

- Peu structurante 8 %

- Structurante au même titre que d’autres 60 %

- Déterminante 30 %

- Neutre pour l’activité 20 %

- Facteur de développement parmi d’autres 62 %

- Déterminante pour l’activité 18 %

- Peu porteuse d’innovation 4 %

- Porteuse d’innovation au même titre que d’autres 60 %

- Déterminante pour l’innovation 36 %

TABLEAU 6 : P e rception du développement durable :i m p o rtance pour la construction

ment durable), et sur les potentialitésexistantes ou anticipées pour y parve-nir eff e c t i v e m e n t .

Le tableau 7 qui suit positionne les 24critères dans ce double espace “poten-tialité” ou “nécessité” de l’innovation.Trois niveaux sont distingués danschaque cas : f o rt e (“potentialité ou“ n é c e s s i t é ” jugées “majeures” ou“plutôt importantes” par au moins lesdeux tiers des experts) ; f a i b l e ( p o t e n-tiel ou nécessité jugés “nuls” ou“faibles” par plus du tiers des ex-p e r t s ) ; et enfin m o y e n dans les situa-tions intermédiaires.

Ce graphique précise en outre si les in-novations sont envisagées à courtterme (C) ou moyen terme (M) .

Enfin le chiffre entre parenthèses in-dique la dimension à laquelle le critèreest liée selon le code suivant :

(1) : Permettre une optimisation tech-n i c o - é c o n o m i q u e .

( 2 ) : L’accompagner de conditions demise en œuvre acceptables.

( 3 ) : Conduire à un prélèvement mini-mal de ressources.

( 4 ) : Assurer le maintien des fonctionsd ’ u s a g e .

59 %

– Un vœu pieux

– Un concept théorique

– Un concept qui s’enrichit d’aspects concrets

– Un concept qui correspond déjà à des réalitésc o n c r è t e s

– Ne sait pas

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(2) conditions de travail C

(3) impact sur lesprélèvements de matières

premières M

(3)impact sur lesprélèvements de ressources

énergétiques M

(6) intermodalité desmoyens de transport C

(4) entretien - maintenanceoptimisées C

(4) consommations et rejetsC

(6) incorporation desservices de proximité C/M

(7) opportunitéd’amélioration desperformances M

(8) déconstruction -capacité de tri valorisation

M

(8) facilité dedémolition M

(2) logistique de mise enoeuvre C

(2) impact sur lavalorisation personnelle et

l’emploi C

(2) nuisances de chantier C

(6) impact du bâtiment surle milieu C

(7) capacité de l’adaptationM

(1) capacité à satisfaire lafonctionnalité C

(1) impactcapitalistique M

(5) maîtrise desflux de personnes

M

(5) maîtrise desflux immatériels

M

(6) impact sur lavaleur

patrimoniale dulieu M

(7) capacité àchanger

d’utilisation finaleM

(4) durée de vie -robustesse M

(6) intégration des coûtssociaux évités C/M

Faible Moyenne Forte

Potentialité d’innovation

F o rt e

M o y e n n e

F a i b l e

TABLEAU 7 : Besoins et potentiels d'innovation en matière de développementdurable dans la construction

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( 5 ) : Maîtriser la gestion des interfacesentre bâtiment et ville.

( 6 ) : Participer et contribuer à la vieu r b a i n e .

( 7 ) : Pouvoir permettre une rénova-t i o n - r é h a b i l i t a t i o n .

( 8 ) : Autoriser une déconstruction.

On constate, à la lecture de ce t a-b l e a u 7 une bonne corrélation des ré-ponses sur la nécessité et les potentia-lités réellement existantes.

Cette corrélation globale fait ressortircertaines contradictions néanmoinsexistantes sur des thèmes comme “lafacilité de démolition”, “la maîtrisedes prélèvements de ressources”,“l’amélioration des conditions de tra-vail” ou “l’intermodalité dans lestransports” – où subsistent, d’après lesexperts, des décalages potentiels im-portants entre l’offre et la demanded’innovation.

Ce sont donc là, a priori, des enjeuxprioritaires pour la recherche.

Conclusions pro v i s o i re s :

Il faut insister sur le caractère provi-soire et incomplet des résultats présen-tés dans cette synthèse sommaire.Malgré cela, les premières informa-tions obtenues apparaissent commenéanmoins comme très encoura-geantes à un double titre :

– d’abord elles permettent d’espére rla concrétisation prochaine du pro j e td’indicateurs de développement du -rable appliqué à la constru c t i o n ;

– elles expriment aussi un intérêt cer -tain des acteurs de la constru c t i o npour ce thème du développement du -rable, notamment dans ses re l a t i o n savec l’innovation et la re c h e rc h e .

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Pa rt i e I V

QUESTIONS À L’ I N N O VAT I O NET À LA RECHERCHE

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1. Dix ans déjà !

Je ne sais pas si quelqu’un l’a déjà re-marqué, mais nous fêtons en ce mo-ment le dixième anniversaire du rap-port Bruntland – qui, comme vous lesavez, a popularisé le concept de“Développement durable” (ou “ s o u-t e n a b l e ” ?). Y a-t-il ou pas matière àse réjouir de l’événement ? Tout dé-pend de l’instrument de mesure.Si la mesure est le nombre de col-loques ou d’articles publiés sur cethème, il y a toute raison de se prépa-rer à une belle fête. Si, en revanche,c’est le nombre de responsables poli-tiques ou de chercheurs qui sont au-jourd’hui, en France, convaincus quec’est un enjeu réel, qui justifie deschangements de priorité, la fête seracertainement plus triste. Une enquêterécemment réalisée dans la RégionRhône-Alpes nous révèle, parexemple, que près de 95 % de la po-pulation de la région n’a aucune idée

ler que le concept de “développementdurable” est d’abord un concept poli-tique –avant d’être un concept produitou interprété par les différentes disci-plines scientifiques.En réalité, il a même une double ori-gine politique, un double baptême ins-t i t u t i o n n e l :– d’abord, le rapport Bruntland lui-même, qui fixe un objectif normatif audéveloppement, y intègre l’environne-ment et le souci des générations fu-t u r e s ; et réaffirme la notion de “be-soin fondamental”, que l’on croyaitdéfinitivement abandonnée ;– et ensuite, la Conférence de Rio,cinq ans plus tard, qui fournit une es-pèce de “menu imposé”– climat, bio-diversité, déforestation... – et un cer-tain nombre de recettes pratiques oude principes : Agenda 21, Com-missions nationales du développe-ment durable, principe de précaution...

QUELLES RECHERCHES SUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ?UN DÉTOUR PAR LES INDICAT E U R S

Intervention au colloque CNRS/Nature-Sciences-Société sur “Les sciences au service du développement durable” ( 1 9 9 8 )

I. UN CONCEPT PLUS POLITIQUE QUE SCIENTIFIQUE

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pose de pouvoir résoudre des contra-dictions insolubles. C’est doncprendre le risque de gommer cesc o n t r a d i c t i o n s : comme le remarqueGilbert Rist2, le mot lui-même est un“ o x y m o r e”, une forme rhétorique quicherche à concilier les contraires, aumême titre que “l’obscure clarté” o u“l’ajustement à visage humain”;– ensuite, passer de l’environnement au “développement durable”, c’estéchanger un objectif que l’on croit cir-conscrire contre un concept encoreplus vague et indéfinissable. Et donc,s’exposer plus encore au sentiment dedémesure et de “fourre-tout” – et, fi-nalement, d’impuissance. Un “fourre-t o u t” qui pourrait être assez confor-table si, par ailleurs, le mot de “déve-l o p p e m e n t” ne connaissait pas lui-même une crise majeure, comme lespolitiques et les institutions qui en ontla charg e3 ;– aff i r m e r, enfin, comme le fait le rap-port Bruntland, la possibilité d’un dé-veloppement durable, c’est aussi, si-multanément, infirmer les craintes, unmoment exprimées, des limites à lacroissance. C’est réaffirmer la pri-mauté du développement sur l’envi-ronnement (et pas seulement dans lespays du Sud) – primauté qu’il sera en-suite tentant de transformer en prioritépour la croissance.On comprend que le développementdurable puisse ainsi être simultané-ment accusé d’être “le cheval deTr o i e” de l’écologie, pour les aména-geurs et les industriels, et de l’écono-mie ou de l’aménagement pour les en-v i r o n n e m e n t a l i s t e s .

– d’un côté des pratiques éclatées quine s’appuient sur aucune théorie ;– de l’autre des théories qui ne débou -chent pas sur des pratiques ;– et, dans l’un et l’autre cas, pratiqueet théorie, une appropriation duconcept qui s’est essentiellement tra -duite par le recyclage, le recodage, demodes de faire, de politiques, deconnaissances qui préexistaient aupa -ravant – “un réhabillage” qui, aupassage, s’est néanmoins enrichi dequelques thématiques originales, etd’un nouveau vocabulaire . . .

Mon sentiment, et ce n’est pas surpre-nant compte tenu de ce que je viens dedire, est que ce travail d’appropriation,de recodage, de recyclage, s’est fait enFrance plus facilement du côté despraticiens que du côté des scienti-fiques. Seuls les économistes, et, à unmoindre degré les juristes, se sont for-tement engagés dans un effort de théo-risation du développement durable.Parce que les premiers pouvaient ré-employer des connaissances déjà dé-veloppées sur l’économie des res-sources naturelles – ou sur la crois-s a n c e – ; et parce que les secondscherchaient à fonder sur des bases nontechniques un droit de l’environne-ment en cours de constitution et de lé-gitimation (on peut penser, en particu-l i e r, aux développements multiples surle principe de précaution ou les droitsdes générations futures...).Mais, tout compte fait, ce qui dominee n c o re est un grand scepticisme surla possibilité et même l’intérêt dedonner un contenu réellementscientifique à ce concept qui ne

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cherche français concernés par cethème, ce groupe n’a finalement pasréussi à déboucher sur des conclusionsconcrètes, ou, en tout cas, celles quiont été faites n’ont pu trouver le sup-port institutionnel indispensable à leurmise en application eff e c t i v e ;– le programme “développement du-r a b l e”, qui avait été lancé en 1993 parle Service de la recherche du ministèrede l’Environnement, a été, dès 1996,fusionné avec celui, plus traditionnel,pourtant sur “l’économie de l’environ-n e m e n t”– ce qui lui a fait perdre l’es-sentiel de sa spécificité ;– on peut remarquer, enfin, que lethème du “développement durable”reste, paradoxalement, très peu pré-sent, en tant que tel dans les rapports

de conjoncture rédigés récemment parle CNRS dans le cadre du comité“Environnement, société et dévelop-pement à long terme” du programme“Environnement, vie et société”5. Jedirais même étonnamment absent.Si cette situation, dont on peut com-prendre, encore une fois, les justifica-tions passées, se poursuit, il est clairque le décalage entre théorie et pra-tique en matière de ”développementd u r a b l e” n’est pas prêt de se réduire enFrance. Au-delà de l’opportunité poli-tique gaspillée, c’est aussi la recherchequi manquera ainsi l’occasion d’uncertain renouvellement de ses théma-tiques, et surtout d’un mode plus inter-disciplinaire de fonctionnement.

I I . LES INDICATEURS, OUTILS DE MÉDIATION ENTRETHÉORIE ET PRAT I Q U E

Face à ce constat, qui est plutôt celuid’une “démobilisation générale”, il se-rait assez surréaliste de proposer desorientations ou des priorités en ma-tière de recherche. Même si lecontexte était plus favorable, je nem’y risquerais d’ailleurs pas, n’enayant ni la légitimité, ni la compé-tence. Ce que je propose plus concrè-tement de faire, dans cette secondepartie de mon intervention, c’estd’illustrer le type de travaux qui pour-raient éventuellement être engagés enpartant d’une piste précise – et limi-t é e – qui est celle des indicateurs dedéveloppement durable.

de proposer de tels indicateurs à unhorizon de trois ans.

Dans beaucoup de pays où cette expé-rience à haut risque a été tentée, lesexperts sollicités se sont le plus sou-vent contentés de recycler les indica-teurs classiques d’environnement, eny ajoutant, sans souci réel d’intégra-tion, quelques données à caractère so-cial ou économique6. Il nous a semblénéanmoins, que si l’on voulait contri-buer effectivement à la définition depolitiques publiques de développe-ment durable, il fallait aller plus loin.D’abord, en essayant de garder auconcept toute sa spécificité et sa ri-

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2. L’énigme de la définition “Bru n t l a n d :un principe normatifsans norme”

Pour construire ces indicateurs, noussommes partis d’une question a prioritrès simple : comment traduire sousune forme chiffrée la définition du dé-veloppement durable proposée par lerapport Bruntland, “un type de déve -loppement qui permet de satisfaire lesbesoins du présent sans compro m e t t rela possibilité pour les générations fu -t u res de satisfaire les leurs” ?La réponse, on le sait, n’a, elle, rien desimple. Sous cette forme, l’expressionest en effet une énigme : par construc-tion, personne ne peut connaître lesbesoins des générations futures. Mais,surtout, cette définition du rapportBruntland suppose l’existence de“ n o r m e s” permettant d’arbitrer lesconflits d’intérêt entre générations dif-f é r e n t e s ; et de gérer les contradictionsévidentes entre les dimensions “ri-v a l e s” du développement – é c o n o-mique, sociale et écologique. Or, ilfaut bien constater qu’au moins jus-qu’à présent, les différentes disci-plines n’ont pas été capables de four-nir de telles normes 7. Et celles-ci, detoute façon, ne sauraient qu’être rela-tives – par rapport à des conceptionsdu développement qui continueront,longtemps encore, à s’opposer.C’est cette situation inconfortable quia conduit beaucoup d’experts “raison-n a b l e s”à recommander une démarchepurement “procédurale” de construc-tion des indicateurs, laissant aux ac-teurs concernés le soin de faire eux-

typologie proposée par AndrewDobson constitue un outil d’interpré-tation qui nous a semblé particulière-ment intéressant8) ;– et enfin être pragmatique, c’est-à-dire délibérément orientée vers l’ac-tion et l’aide à la décision.

Cette dernière condition nous renvoieà la question des normes et “principesd ’ a c t i o n”. Heureusement, la diff i c u l t éde définir scientifiquement les critèresd’un développement durable n’em-pêche pas les stratégies menées dansce domaine de pouvoir s’appuyer surdes règles de comportement, ou desrègles de précaution, relativements i m p l e s .Même si on ne sait pas définir lesbesoins des générations futures, onpeut en effet présumer que celles-cia u ront d’autant plus de chance depouvoir les satisfaire :– que nos choix techniques et nos ma -n i è res de pro d u i re et consommer se -ront efficaces et prudents (ce qui im -plique un certain “d é c o u p l a g e” e n t rec roissance et usage des re s s o u rces oupollution pro d u i t e9) ;– que l’on préservera et développerales capitaux et les patrimoines (à lafois en quantité et en diversité), et enp a rticulier ceux considérés comme“ c r i t i q u e s”1 0 ;– que l’on évitera un décalage allanten s’accentuant entre les besoins oules aspirations des groupes sociauxles plus vulnérables et leur satisfac -tion effective ;– que les comportements et les institu -tions re f l é t e ront une forte préfére n c e

7 Avec quelques exceptions: l’économie fournit,par exemple, des normes relativement solidespour gérer les ressources renouvelables (et, à unmoindre degré, non renouvelables). 8 Beaucoup d’autres grilles de lecture ont été pro-posées par les économistes (Pearce, Turner) ou àpartir des travaux de Boltansky et Thévenot sur

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3. Une structuremodulaire

Pour répondre aux conditions précé-dentes en évitant l’impression d’inco-hérence, il est très vite apparu que laseule solution réaliste était de structu-rer la collecte des indicateurs autourde modules ayant chacun leur spécifi-cité mais étroitement liés les uns auxa u t r e s .

Le fil conducteur choisi pour bâtircette structure multidimensionnelles’est imposé de lui-même : il s’agitde la définition du développementdurable proposée par le rapportB r u n t l a n d . L’enjeu que nous noussommes fixé était de “traduire”cette définition par le plus petitn o m b re d’informations possible.

Dans sa plus large extension, la struc-tucture élaborée comprend dix mo-dules (voir la figure 5 de l’article surles indicateurs page 98). Elle doitdonc permettre d’apprécier dansquelle mesure une certaine dynamiquede développement (module 1) est sus-ceptible de satisfaire les besoins desgénérations présentes et futures (mo-dules 6 à 9) grâce à un renouvellementapproprié des différentes formes decapitaux et de patrimoine [ou des ca-pacités de “reproduction” des sys-tèmes écologiques] (modules 2 à 5).Il nous a par ailleurs semblé utile, dansce schéma bouclé, mais linéaire, d’in-troduire la dimension de l’aléa, del ’ i m p r é v i s i b l e : un dernier module estcensé regrouper des informations surla capacité des systèmes analysés à ré-agir à des événements extérieurs ou à

construire des indicateurs de richesseet de diversité à partir de donnéesd’inventaire sur les patrimoines.Enfin, les modules 4 et 5 introduisentla dimension géographique : distribu-tion spatiale des potentialités et desrisques, contribution aux problèmesglobaux et “balance écologique exté-r i e u r e”.

Avec les quatre modules suivants onpasse, comme on l’a dit, d’une optiquepatrimoniale (indicateurs de richesse)à une optique de satisfaction des be-soins (indicateurs de bien-être). Celle-ci n’est pas seulement liée à l’offre debiens et de services ou à l’accès auxpatrimoines (dont les mécanismesd’appropriation sont décrits dans lemodule 7). Elle dépend aussi de préfé-rences individuelles ou collectives etde la manière dont ces préférencessont construites et régulées par lesgroupes sociaux ou les institutions(module 8). Il nous a semblé particu-lièrement important de mettre ici l’ac-cent sur deux aspects centraux du dé-veloppement durable : la croissance(ou la réduction) des inégalités écolo-giques et l’importance de la préfé-rence implicitement accordée au futurdans les comportements présents : dé-penses consacrées à la prévention et àla préservation des patrimoines, tauxd’actualisation, rapport entre investis-sement et consommation, endettementà long terme, etc. (module 9).

Il est clair que toutes ces pistes nepourront être explorées simultané-ment. Mais, à l’inverse, aucune d’entreelle ne peut être a priori t o t a l e m e n técartée. Un autre intérêt non négli-

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Il n’a pas été difficile de s’apercevoir,en parcourant chacun des modules quela définition ou la mesure des indica-teurs posait, en effet, toute une série dequestions pratiques adressées à la re-c h e r c h e .Beaucoup de ces questions ont déjàété soulevées sans recevoir de réponseclaire. D’autres sont plus originales.Quand on essaye d’en faire la liste, onne peut qu’être impressionné par la di-versité des thèmes appartenant à l’unede ces deux catégories.

• Je citerai, dans le désordre, les ques-tions suivantes :

– Comment mesurer les phénomènesde “couplage-découplage” e n t re acti -vités économiques et enviro n n e m e n t ?

– Qu’est-ce que des re s s o u rces ou descapitaux “critiques” ( r a res, impor -tants, non substituables...) ?

– La différenciation entre risque oupollution à long terme et à court termea-t-elle un sens (pratique et théo -rique), et comment traiter efficace -ment des phénomènes cumulatifs etdes problèmes de stock (choix de l’ho -rizon, intégration des flux...) ?

– Y a-t-il des bases théoriques qui per -mettent de constru i re, à côté des “in -dicateurs de bien-être”, des “indica -teurs de richesse”1 3 ou de qualité desp a t r i m o i n e s ?

lations, par exemple, avec la den -s i t é ? ) ?

– A quelle échelle est-il pert i n e n td’appréhender les problèmes de déve -loppement durable ? Faut-il privilé -gier une approche institutionnelle oué c o l o g i q u e ? Comment, en outre ,p re n d re en compte l’imbrication desé c h e l l e s et donc les niveaux de déci -s i o n ?

– Par quels systèmes de mesure re p r é -senter les relations entre stocks et fluxde re s s o u rc e : évaluations écono -miques, bilans matière - é n e rgie, mo -dèles de “re p roduction” des re s -s o u rces, analyses du cycle de vie ?Qu’est-ce que l’économie et l’écolo -gie peuvent nous appre n d re conjointe -ment sur la gestion de ces re l a t i o n s ?

– Y a-t-il des moyens simples pourévaluer les “échanges extérieurs” d ere s s o u rces ou de pollutions ? La no -tion d’“espace écologique” ( p ro p o -sée, dans cette perspective, parOpschoor) a-t-elle une significations c i e n t i f i q u e ? Plus généralement, ledéveloppement des échanges va-t-ildans le sens d’un développement du -r a b l e ? Ou faut-il, au contraire, favo -riser un développement autocentré(mettant en pratique le principe dep ro x i m i t é ) ?

– La notion de “besoins fondamen -t a u x”, et plus largement celle de be -soin, est-elle encore pertinente, et

III. QUESTIONS À LA RECHERCHE

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rôle de l’innovation, application duprincipe de précaution…) et sur quelsc r i t è res comparer plusieurs techniquesc o n c u rre n t e s ?

– Quels enseignements, pour le déve -loppement durable, peut-on, finale -ment, tirer des modèles de cro i s s a n c eà long terme, et comment les enrichirpour mieux en tenir compte ?

• Comme on le constate, les questionsne manquent pas. Mais ce qu’il y a deplus passionnant dans ce voyage à tra-vers les “univers” du développementdurable est qu’aucune d’entre elles nepeut avoir de réponse purement disci-plinaire. À travers les indicateurs, on

ne fait en définitive que retrouver uneé v i d e n c e : se préoccuper du dévelop-pement durable, c’est essentiellementfaire un travail de “couturage”1 4, dejointure, de reconnexion entre des po-litiques publiques ou des approchesscientifiques qui ont une tendancecroissante à l’autonomisation – c e r-tains diront à la schizophrénie...Malgré son apparente aridité, ce détourpar les indicateurs ne nous éloignedonc pas de l’objectif que se sont éga-lement assignés les organisateurs ducolloque d’aujourd’hui: construire in-lassablement des passerelles et des mé-diations entre des “visions du monde”et des savoirs éclatés.

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Un événement

Il arrive que certains colloquessoient aussi des événements. Celui-ci, incontestablement en est un,puisque c’est la première fois que l’ondébat, en France, de “l’écologie indus-trielle” en tant que telle et pas seule-ment des économies d’énergie, du re-cyclage, du “management environne-mental” ou du “développement du-rable”. Il faudra donc se souvenir quec’est ici, à Troyes, dans cette univer-sité technologique, à cent jours duchangement de siècle, que l’on a, pourla première fois, discuté de ce thèmede manière ouverte et approfondie ; etparvenu, je l’espère, à lancer une nou-velle dynamique.

Naturellement, il est difficile de pro-nostiquer quelle sera, ensuite, la por-tée de cet événement. Sommes-nousen face d’une révolution, d’une rup-ture, ou est-ce simplement une modepassagère et le “recyclage” d’idéesdéjà anciennes ? Et s’il s’agit réelle-ment d’une innovation, d’une idéeprometteuse, par quelles voies, àquelle vitesse, va-t-elle se diff u s e r,pour reprendre une question, bien po-

sée dès l’introduction, par ArnulfG r ü b l e r ?

Il est, évidemment, trop tôt pour led i r e ; car, comme beaucoup d’entrevous l’on fait remarquer tout au longde ces quatre jours, l’écologie indus-trielle est un concept finalement extrê-mement récent, un concept émerg e n t ,et qui n’est donc pas encore stabilisé.Mon sentiment, cependant, est quel’on peut être relativement optimiste.C a r, contrairement à ce qui s’est passépour “l’écologie urbaine”, la notiond’écologie industrielle n’est pas seule-ment théorique: elle s’ancre, déjà,dans la pratique des entreprises. Etl’on peut même dire que, dans ce do-maine, la pratique a plutôt tendance àprécéder la théorie. En témoigne,d’ailleurs, la large participation des in-dustriels à ce colloque…

Quatre questions majeures

Comme tous les thèmes nouveaux,l’écologie industrielle suscite beau-coup de questions diverses. Et c’estautour de ces interrogations que je

L'ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE :QUELLES PERSPECTIVES À L'AUBE DU XXIe S I È C L E ?

Synthèse du colloque international de Troyes sur l'Écologie industrielle (octobre 1999)*

* Les Actes de ce colloque seront prochainementpubliés en français et en anglais sous la directionde D.Bourg et S. E r k m a n .

Lorsque je suis arrivé ici, au tout début du colloque, quelqu’un m’a demandé sij’avais le texte de ma conclusion. Naturellement, je n’y avais pas pensé ! Ce queje vais donc vous dire maintenant n’est que la traduction maladroite et “àchaud” de ce que j’ai personnellement entendu pendant ces quatre jours – p a r -t i c u l i è rement denses et riches.Ce sera, nécessairement, une synthèse à la fois partielle et subjective. Part i e l l e ,car je n’ai pas pu, bien évidemment, assister à tous les ateliers, ni même à toutesles séances plénières. Subjective, car il y a presqu’autant de visions de l’écolo -gie industrielle que de participants au colloque, et qu’il faudrait beaucoup plusde recul pour dégager, à partir de ces divergences, des éléments de consensus.Simplement, je vais m’efforcer de pre n d re une voie moyenne entre les enthou -siastes et les sceptiques, entre les ingénieurs et les philosophes, entre les cher -cheurs et les entreprises… en m’excusant, à l’avance, de ne pouvoir satisfaire niles uns, ni les autre s .

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vous propose de structurer lesconclusions du colloque. J’aborderaidonc successivement quatre grandesséries de questions qui, comme vousle verrez, en appellent beaucoupd’autres – plus, d’ailleurs, que de ré-ponses catégoriques et définitives.

• La première question, bien évidem-ment, est celle de la ou des d é f i n i-t i o n s. Qu’est-ce que l’écologie in-d u s t r i e l l e ? S’agit-il d’un concepts u ffisamment clair et circonscrit oud’un “objet non identifié” ? Et enquoi la notion est-elle réellementnouvelle ou pas ?

• La seconde question est celle dus e n s. Quelle signification doit-on don-ner au développement actuel de l’éco-logie industrielle ? Dans quelle dyna-mique sociale, économique, technolo-gique ce développement s’inscrit-il ?Faut-il être optimiste ou pessimiste surles perspectives futures ? En d’autrestermes, s’agit-il d’une mode ou d’unmouvement de fond du système in-d u s t r i e l ?

• La troisième série de questions est denature plus p o l i t i q u e. Peut-on envisa-ger un développement spontané del’écologie industrielle, porté essentiel-lement par les entreprises et lesconsommateurs, ou faudra-t-il, au

contraire, des incitations politiquespour en assurer la promotion ? Plusgénéralement, quels acteurs doivent-ils être impliqués prioritairement : lesentreprises, ou également les États, lesassociations, les collectivités localesou les citoyens ? Et comment, parailleurs, organiser la coopération entreces acteurs ?

• Enfin, je terminerai par une dernièresérie de questions qui sera un peu “l aconclusion de la conclusion” et quiportera sur quelques enjeux majeurssoulevés par l’écologie industrielle.J’aborderai ces enjeux sous la formede d i l e m m e s. Il me semble, en eff e t ,que l’écologie industrielle ouvre à lafois beaucoup d’opportunités nou-velles et quelques risques non négli-geables. Et c’est cette combinaisonde risques et d’opportunités, cettetension entre les deux qu’il est aussiintéressant d’expliciter si l’on sou-haite des pas en avant significatifspour le futur. Spontanément l’écolo-gie industrielle évoque déjà unecontradiction dans les termes ; maiselle en recèle également beaucoupd’autres et il est intéressant, – c o m m enous l’avons d’ailleurs fait depuisquatre jours – de les explorer ; carc’est bien autour de ces tensionscontradictoires que se construirontles dynamiques de demain.

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I. AU-DELÀ DE L’ANALOGIE : LA QUESTION DESDÉFINITIONS

L’expression d’“écologie indus-trielle” intrigue ; et l’on a, en effet,tout au long du colloque, beaucoupdébattu de sa définition. Est-ce sim-plement une métaphore, une analo-gie formelle ? Ou est-ce plutôt unediscipline ; un ensemble ordonné deprincipes d’action ; ou encore uneliste, plus ou moins cohérente, depratiques concrètes ? Sans doute toutcela à la fois et c’est ce qui fait à lafois la richesse et l’ambiguïté,comme c’est le cas, également, pourdes expressions voisines comme “lamodernisation écologique” ou le“développement durable”.

Plus qu'une vague métaphore

A l’origine, comme vous le savez, leconcept d’écologie industrielle estd’abord une simple image. Une façontrès paradoxale et provocante de re-présenter le système industrielcomme un type particulier de sys-tème écologique. Au cours du col-loque on a utilisé indifféremment lesmots d’“analogie”, de “métaphore”,de “représentation”, de “nouvelle vi-sion”, de “nouveau paradigme” maisaussi d’“utopie créatrice”, d’“inspira-tion”, de “traduction”…

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Ce qui est clair, c’est qu’il ne s’agitpas, en principe, seulement d’unevague métaphore. L’écologie indus-trielle emprunte en effet à l’écologie àla fois des concepts généraux, la rela-tion à l’environnement, les notions desystème, d’homéosteris, de symbiose,d ’ é q u i l i b r e … ; mais aussi des prin-cipes ou modes de représentationbeaucoup plus précis empruntés àl’écologie systémique ou à la thermo-d y n a m i q u e : les notions de métabo-lisme ou de biocénose ; l’attentioncentrale portée à la transformation, aubouclage et à la conservation des fluxde matière et d’énergie à travers les“écosystèmes” industriels.

On peut naturellement discuter de lalégitimité d’une telle assimilationentre système écologique et systèmeindustriel, et c’est ce qui a été larg e-ment fait, en particulier dans l’ateliersur l’épistémologie. Si vous vous ensouvenez, G. Billen – qui, d’une cer-taine manière, était le porte-parole del’écologie comme discipline –, nous apourtant clairement affirmé qu’il yavait une filiation certaine entre l’éco-logie systémique et l’écologie indus-trielle, ce qui voudrait dire qu’il y aentre les deux termes plus qu’une ana-logie formelle.

Remarquons simplement que l’écolo-gie industrielle ne fait qu’une utilisa-tion très sélective des concepts del’écologie – et qu’il lui arrive aussiparfois de n’en faire qu’un usage pu-rement rhétorique.

Une nouvelle discipline ?

La filiation entre écologie systémiqueet écologie industrielle ne fait pas né-cessairement de cette dernière unenouvelle discipline, une nouvelle téo-r i e ; ni même un nouveau paradigmescientifique. Comme l’a dit EdwardCohen-Rosenthal, il s’agit plutôtd’une “c o n s t ruction sociale hybride”qui “à travers l’enchevêtrement descience, de méthodes, d’ingénierie, detechniques de conception, mais aussid’éthique et de nouveaux modes d’or -ganisation sociale” cherche à trouverun compromis entre deux mondes apriori séparés, celui de l’environne-ment et celui de l’économie.

L’écologie industrielle n’est doncpas une discipline. Mais elle suppose,en revanche, la mobilisation de disci-plines très diverses : d’abord l’infor-matique, l’engineering et la physique-chimie, mais aussi l’écologie, le droit,le design, l’économie, la logistique…Elle est donc par nature interdiscipli-n a i r e ; mais il faut remarquer que cetteintégration de disciplines se fait essen-tiellement par des méthodes d’ingé-nieur ou d’“ingénierie économique”:l’analyse de système, les bilans ma-t i è r e - é n e rgie, les calculs d’optimisa-tion, les analyses de cycle de vie.C’est d’ailleurs dans ces approchesque l’écologie industrielle trouve au-jourd’hui une part essentielle de sonidentité et de son efficacité.

Une ambition également normative

On a donc naturellement beaucoupparlé de ces méthodes – souvent so-p h i s t i q u é e s – et de leur développe-ment, au cours de ce colloque. Mais,vous le savez, la démarche de l’écolo-gie industrielle n’est pas seulementdescriptive ou analytique. Son ambi-tion est d’être aussi prescriptive, nor-mative. Son but est de définir desnormes ou des principes pour l’action.Il ne s’agit pas seulement de se re-présenter les sytèmes industrielscomme des écosystèmes, mais de lesf a i re fonctionner réellement commedes écosystèmes – et certains ontmême dit “d’imiter la nature” .

Tout un débat contradictoire a eu lieudans le sens et la portée idéologiquede cette invitation à imiter la nature– débat qui n’a pas été véritablementconclu, même dans l’atelier sur“l’épistémologie”. Dans la pratique, etc’est ce qui est important, cette in-jonction à “imiter la nature” se traduitpar un mélange de principes éthiquesou moraux très généraux – “m o d é re rses besoins”, “ne pas gaspiller”,“ p r é f é rer la qualité à la quantité”,“ s ’ i n t é resser à l’usage plutôt qu’à lap o s s e s s i o n” – mais aussi par tout unensemble d’objectifs très précis dontla liste a été faite par Suren Erkman, etceci à plusieurs reprises : “boucler etoptimiser les stocks”, “étanchéifier etminimiser les pertes”, “intensifier et

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accroître la qualité de service parunité de ressources consommée”,“alléger et dématérialiser” .

En réalité, la grande réussite de l’éco-logie industrielle est d’avoir en eff e tréussi à coupler des principes d’actiona priori assez vagues et des objectifsfinalement assez précis et opération-nels – ce qui lui permet de jouer à lafois sur le terrain de la communicationet sur celui de l’efficacité. Et pourmoi, une des surprises majeures de cecolloque et d’avoir pu constater queplusieurs des entreprises présentespartageaient déjà largement la liste desobjectifs non équivoques proposés parSuren Erkman.

Il y a pourtant une distance importanteentre des principes ou des objectifsd’action, même précis, et des normes.O r, pour l’instant, l’écologie indus-trielle, qui n’est pas, comme on l’a vu,une discipline, ne semble pas à mêmede fournir ces normes, même si on abeaucoup parlé de “facteur 4”, de“facteur 10”, c’est-à-dire des proposi-tions d’économie de ressources faitespar le Wuppertal Institute. On pour-rait, par ailleurs, s’interroger sur lacompatibilité réelle de certains des ob-jectifs poursuivis. Plusieurs interven-tions faites dans les ateliers ont ainsiévoqué les possibles contradictionentre, par exemple, le recyclage et ladurabilité, ou entre le recyclage et ladématérialisation… et il y en a, certai-nement, beaucoup d’autres.

Un ensemble de mieuxen mieux identifié, depratiques managériales

Si l’on se méfie des abstractions, ou sil’on est sceptique sur le messagescientifique ou éthique véhiculé parl’écologie industrielle, on peut néan-moins être d’accord sur un constattangible qui est l’émergence de nou-velles pratiques de management dansles entreprises. Une dernière façon,très pragmatique, de donner uncontenu à l’écologie industrielle, c’estdonc, tout simplement, de la définircomme une liste de stratégies alterna-tives aux politiques classiques “end ofpipe” qui ont été dominantes ans lesannées soixante-dix.

Quelles pratiques ? Ce qui est clair,c’est que l’écologie industrielle n’estpas seulement une autre façon, plus“moderne”, de regrouper et de nom-mer les politiques classiques de “tech-nologie propre”, de “recyclage”,d ’ “ e fficacité énergétique”, de “luttecontre le gaspillage”, etc. Ce qui enfait la véritable spécificité, la véri-table innovation, c’est l’ambitiondésormais affichée de pre n d re encompte les effets de système, les ef-fets de réseau, les symbioses, lescomplémentarités, au niveau des fi-l i è res ou des territoire s. Les parcséco-industriels, les biocénoses indus-trielles, l’intégration des services (voirl’exemple donné par W. Stahel des la-veries automatiques couplées à desdancings), les politiques intégrées dedéveloppement, les formes nouvellesde partenariat, sont au cœur de cettenouvelle écologie appliquée au fonc-tionnement socio-économique.

Même si on les a très souvent mélan-gées au cours de ce colloque, ces deuxgrandes catégories de pratiques – i n d i-viduelles, d’un côté (au niveau duconsommateur ou de l’entreprise),collectives ou coopératives del ’ a u t r e – supposent, à l’évidence, desoutils et des arrangements institution-nels extrêmement différents. On a,avec raison, mis l’accent sur ce quiétait en train de changer, aujourd’hui,dans la stratégie individuelle des en-treprises. Mais il ne faut pas oublierque c’est sans doute à l’échelle del’aménagement des territoires ou del ’ o rganisation de filières que les vir-tualités de l’écologie industrielle sontles plus grandes.

Que ressort-il, finalement de cette trèslongue première partie sur les défini-t i o n s ? Essentiellement deux mes-s a g e s :

• d’une part, que l’écologie indus-trielle ne doit pas nécessairement sefixer comme ambition d’être une nou-velle science, un nouveau paradigmescientifique qui viserait à “naturaliser”les relations entre économie et envi-r o n n e m e n t ,

• mais qu’elle doit plutôt valoriser sesspécificités et ses forces qui sont à lafois l’ouverture multidisciplinaire, le

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souci d’innover dans les formes de co-opération et d’organisation, et unpragmatisme cognitif, c’est-à-dire

l’ambition de lier en permanenceconnaissance et action.

Comme tout concept naissant, l’écolo-gie industrielle n’appelle pas seule-ment une clarification de vocabulairemais également une mise en perspec-tive. Comment interpréter son émer-gence dans le contexte des annéesq u a t r e - v i n g t - d i x ? Quel pronosticpeut-on faire sur son développementf u t u r ? S’agit-il d’une mode passagèreou, comme on l’a dit plusieurs fois,d’une “rupture épistémologique” oud’une “bifurcation stratégique” du-r a b l e ? Sur toutes ces questions, le col-loque, là encore, a apporté beaucoupd’éléments précis d’analyse.

Mercredi soir, en introduction, quel-qu’un a dit que le nombre de per-sonnes sensibilisées à l’écologie in-dustrielle se limitait aux lecteurs dulivre de Suren Erkman1 . Pourtant, ceque j’ai entendu au cours de ces troisjours me laisse plutôt penser qu’ils’agit d’un concept promis à un bela v e n i r. Pourquoi ce pronostic opti-m i s t e ? Mais parce qu’il me sembleque l’écologie industrielle est portéepar un contexte qui lui est particulière-ment favorable. Elle s’inscrit en eff e t ,à l’évidence, dans la dynamique natu-relle de modernisation qui a la particu-larité de coupler étroitement la dimen-sion économique et la dimension éco-logique.

Une dynamique de développement portée par le contexte

Au moins q u a t re facteurs devraienten effet favoriser l’émergence del’écologie industrielle.

• Le premier de ces facteurs est latransformation de la pro b l é m a t i q u ede l’enviro n n e m e n t. Les risques ne

sont plus de même nature : ils se si-tuent de plus en plus à l’aval, du côtédes produits, des consommateurs oudes écosystèmes ; ils sont de plus enplus interdépendants (comme on l’avu dans un des ateliers en évoquant laliaison phosphate-cadmium) ; ilsconcernent, désormais, une multipli-cité d’échelles. Les solutions et les at-tentes changent, elles aussi. Le coûtdes techniques de traitement “end ofpipe” croît fortement ; et l’on s’aper-çoit qu’elles ne font, le plus souvent,que transformer un problème en unautre. Les exigences des consomma-teurs sont, elles aussi, de plus en plusfortes –à mesure qu’ils sont mieux in-formés. Bref, la gestion de l’environ-nement se trouve confrontée à un cer-tain nombre d’impasses que l’écologieindustrielle peut sans doute contribuerà surmonter.

• Le second facteur favorable est lad y n a m i q u e actuelle du “système in-d u s t r i e l”. Un nouveau “systèmetechnique” émerge à l’échelle mon-d i a l e et il est de plus en plus probableque la prise en compte de l’écologieen sera une des composantes impor-tantes. Les évolutions techniques etéconomiques favorisent le développe-ment des services, la dématérialisa-tion, la concurrence par la qualité etpar l’innovation. Les sources de pro-ductivité, elles aussi, évoluent et rési-dent plus qu’avant dans la capacité ào rganiser des réseaux de plus en pluscomplexes d’acteurs au sein de fi-lières ou de territoires. La création devaleur ajoutée se déplace elle-mêmevers l’amont, de la production à laconception, au design ou au marke-ting. On retrouve là plusieurs élé-ments de convergence avec les objec-tifs et les approches qui sont celles del’écologie industrielle. Mais surtout,

1 Suren Erkman, Vers une écologie industrielle.Comment mettre en pratique le développementdurable dans une société hyper- i n d u s t r i e l l e ?,Éditions Charles-Léopold Mayer, 1998.

II L’ÉMERGENCE DE L’ECOLOGIE INDUSTRIELLE ET SESPERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT :QUELLE SIGNIFICATION HISTORIQUE ?QUEL RAPPORT À LA MODERNITÉ ?

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celle-ci a l’énorme avantage de pou-voir en quelque sorte rationaliser, sta-b i l i s e r, les relations de confiance (oude méfiance) entre les consommateurset l’entreprise sur le thème plein d’in-certitudes de l’environnement. C’estpeut-être, en effet, finalement une deses fonctions essentielles d’être unbon “réducteur d’incertitudes”.

• Le troisième facteur favorable est l echangement dans les formes et ou-tils du management. On constate queles approches évaluatives – r e c h e r c h ede la qualité globale, Normes IS0, au-dits, analyses de risque… – jouent unrôle croissant dans le management desentreprises. Or, l’écologie industriellea le grand avantage de fournir des ou-tils de gestion relativement chiffrés etdirectement compréhensibles à la foispar les financiers et les ingénieurs responsables de la qualité. C’est unavantage que n’avait pas l’écologieurbaine.

• Enfin, je n’y insisterai pas, il est clairque le développement de l’informa-tique, de nouvelles technologies de lacommunication et de la “c y b e rc u l-t u re” est, lui aussi, un facteur favo-rable au développement des méthodesliées à l’écologie industrielle – et j’aicru même apercevoir plusieurs pa-piers portant sur des systèmes vir-t u e l s de coopération entre entreprisespour la gestion de ressources ou deproduits au sein de filières ou de terri-toires.

La convergence de ces quatre facteurslaisse penser que l’écologie indus-trielle s’inscrit a priori assez biendans la phase d’adaptation à longterme dans laquelle sont entrées au-jourd’hui les économies les plus per-formantes – et, avec elles, beaucoupd’entreprises. Elle s’affirme commeune des composantes essentielles dece que plusieurs auteurs appellent dé-sormais “la modernisation écolo-g i q u e”2, une nouvelle étape de la mo-dernité qui intègre étroitement perfor-mance économique et préoccupationécologique. On peut donc être opti-miste sur son développement futur etc’est d’ailleurs ce sentiment d’opti-misme qui a dominé pendant le col-l o q ue.

Une convergence quidevra aussi êtreconstruite

Plusieurs nuances se sont cependantexprimées par rapport à la perspectived’un développement spontané del’écologie industrielle et des idéesqu’elle défend.• Arnulf Grübler, par exemple, a faittrès justement remarquer que si lecontexte était globalement favorableaux innovations éco-industrielles,celles-ci n’auraient pas nécessaire-ment lieu dans les domaines écologi-quement les plus stratégiques, commeles équipements lourds, l’urbanisationou les infrastructures3.

• On s’est également interrogé sur lescontradictions possibles entre les ob-jectifs d’économie de ressources et ladynamique des prix de ces ressourcesà l’échelle mondiale – elle-même liéeà des restructurations financières ou àdes reconfigurations imprévisibles.

• Certains ont fait remarquer quel’écologie industrielle était sans doutebien adaptée à la gestion des flux ma-tériels quantifiables, mais pas néces-sairement à celle de risques qualitatifs(comme les O.G.M. ou les élémentschimiques en trace) ou à la gestion desproblèmes de stocks (pollutions déjàa c c u m u l é e s ) .

• A également été évoquée la craintede voir les préoccupations écolo-giques se dissoudre dans des ap-proches trop globales – et assez ap-p r o x i m a t i v e s – de “management de laqualité” ou être utilisées dans desstratégies de communication.

• Enfin, plusieurs voix se sont inquié-tées de l’illusion méthodologique q u iconsisterait à penser qu’une bonneanalyse systémique ou un bon calculd’optimisation peuvent eff e c t i v e m e n tremplacer la réalité des relations, sou-vent conflictuelles, entre acteurs – e nmasquant la dimension proprementpolitique de ces relations.

Ceci nous mène tout naturellement autroisième point de cette conclusion quiva donc porter sur la mise en œuvrepolitique des objectifs de l’écologiei n d u s t r i e l l e

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2 Voir sur ce thème l’article de Frederick W.Buttel publié dans N a t u re, Sciences et société,“Ecological modernization as social theory”,J a n v i e r-Février 2000.3 Voir l’argumentation développée par le mêmeauteur dans son livre récent: “Technology andglobal change”, Cambridge University Press,1 9 9 8 .

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L’écologie industrielle a-t-elle ouaura-t-elle besoin de politiques spéci-fiques pour assurer son développe-ment futur ? Si l’on estime, comme jeviens de le dire, qu’elle bénéficie na-turellement d’un contexte favorable laréponse n’est pas évidente : il suff i tpeut-être tout simplement d’accompa-gner la tendance spontanée. En fait, cequi est intéressant est que cette ques-tion des incitations politiques n’a pasété véritablement posée au cours ducolloque. Personne ne pense qu’unestratégie éco-industrielle doive oupuisse être imposée de manière dicta-toriale et qu’il faille revenir au GOS-PLAN –même si celui-ci utilisait déjàune comptabilité matière. Mais, sansaller jusqu’à cette extrémité, il estfrappant de constater que les exemplesde politiques publiques explicitantclairement les instruments qui pour-raient être utilisés pour encourager lacoopération entre entreprises complé-mentaires dans la gestion des res-sources, ou même la création de parcsindustriels ont été très peu nombreux.

Une affaire de motiva-tion, d'auto-contrôle etde management

Le sentiment général, tel que j’ai pu lepercevoir ici, est plutôt que le déve-loppement de l’écologie industrielle,est d’abord l’affaire des entreprises– en relation avec les consomma-t e u r s – et qu’il passe donc d’abord parune transformation des méthodes degestion, par une meilleure qualité del’information et plus généralement parun changement des cultures et filièresde formation. L’écologie industrielleest vue souvent comme un outil demotivation à l’intérieur des entrepriseset les questions de développementsont posées, essentiellement, en termede changement des motivations.

Sans que cela ait été directement ex-primé, beaucoup de participants parta-gent l’idée que l’écologie industrielles’imposera très progressivement dansles entreprises comme un instrument

de management environnementalcomplémentaire de ceux qui existentd é j à ; qu’elle en est, en quelque sorte,le prolongement naturel même si,pour l’instant, une certaine méfiancesubsiste par rapport à l’utilisation dece terme. On a donc beaucoup parlé decertification, de normes ISO, d’éco-audits, d’analyses du cycle de vie…– et beaucoup moins d’incitations fis-cales ou de politiques d’aménagementdu territoire.

Ce biais est sans doute dû au faitqu’on a surtout abordé les stratégiesd’innovation ou de produits internesaux entreprises ; et beaucoup moinsl ’ o rganisation des filières, les pro-blèmes de sous-traitance, la structura-tion des réseaux locaux, ou mêmel ’ o rganisation des marchés. Mais, iltraduit aussi une réalité concrète quiest que, jusqu’à présent, l’essentiel desprojets de parcs industriels ou des sys-tèmes coopératifs de gestion “ en bienc o m m u n ” des ressources ou des dé-chets se sont faits sur la base d’ac-cords volontaires.

Peu de réflexion sur lespolitiques publiques

On aurait pu imaginer des “scénarios”d’implication plus forte de l’État, desautorités locales, des associations, desinstitutions internationales. On auraitpu aussi comparer l’efficacité des dif-férents instruments possibles d’incita-tion. Mais cela n’a pas été fait – e tc’est donc probablement des thèmesqu’il faudra aborder dans une autrer e n c o n t r e .

Par rapport à ce constat général de re-lative faiblesse de nos réflexions sur ladimension politique, je voudrais ce-pendant citer deux exceptions quimontrent bien que la question se poseau moins pour certains des partici-p a n t s :

• d’abord, plusieurs intervenants despays du Sud (Inde, Guinée, To g o … )ont clairement présenté les stratégies

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III. L'ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE PEUT-ELLE SE PASSER DEP O L I T IQUE ?

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nationales qui avaient été mises enœuvre pour assurer une exploitationdurable de leurs ressources et les diff i-cultés ou obstacles que celles-ci ren-contraient. Les problèmes d’articula-tion entre les stratégies des entreprises(en particulier des entreprises multina-tionales) et les politiques nationalesont été à cette occasion très explicite-ment abordés ;

• en second lieu, l’intervention de l’État a été plusieurs fois évoquée surdeux thèmes précis qui sont la stan-dardisation des méthodes d’analyseet l’organisation des systèmes d’in-f o r m a t i o n.

Je conclurai cette troisième partie endisant qu’il y a sans doute une certaine

d i fficulté pour l’écologie industrielle àpasser d’une approche très justementcentrée sur l’entreprise, les produitsou les technologies à une approchecentrée soit sur la gestion coopérativeen “ bien commun ” de ressources oude risques (par exemple à l’échelle lo-cale), soit sur des stratégies globalesde développement durable. C’est, dans une certaine mesure, unparadoxe puisque la démarche metelle-même au centre de ses préoccupa-tions les effets de système et de réseauet les problèmes d’articulationd’échelle (du local au global). Celafait partie des enjeux qui devront êtreabordés dans le futur ; des paradoxeset des dilemmes dont je vais mainte-nant faire une courte liste pour termi-ner cette conclusion.

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I V. L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE FACE À SES DILEMMES

Ce qui me frappe en effet dans l’éco-logie industrielle, après avoir écoutéles multiples intervenants de cetteconférence, c’est qu’elle est à la foisun formidable instrument d’ouverture,d’innovation, de progrès – à la foispour l’économie et pour l’environne-m e n t –, mais que comme toute inno-vation elle est aussi susceptible decréer de nouveaux risques, de nou-veaux problèmes, de nouvelles im-passes. Elle peut aussi être un formi-dable instrument de fermeture. Il estintéressant, à mon sens, de bien expli-citer ces contradictions, ces dilemmes,pour pouvoir éventuellement les anti-ciper ou les éviter.

Sans prétendre aucunement être ex-haustif, je vais donc terminer cetteconclusion en en citant quelques-uns.

• Il y a d’abord le dilemme du lan-g a g e. L’écologie industrielle trouveson identité dans la création d’un nou-veau langage. Mais comme on le sait,tout noueau langage, surtout s’il esttechnique et complexe, est à la foisune ouverture et une barrière. Est-ceque ce langage, qui est essentiellementun langage de chercheur et d’ingé-nieur est compréhensible par les ges-tionnaires et les financiers (pour nepas parler des citoyens !). Est-ce qu’iln’y a pas, comme on l’a dit, un chaî-

non manquant entre l’écologie indus-trielle et les choix stratégiques des en-t r e p r i s e s ?

• Il y a, ensuite, le dilemme de l’in-f o r m a t i o n. L’écologie industriellevise à créer, diff u s e r, échanger beau-coup d’informations nouvelles. Qui vagarantir la qualité de cette informa-t i o n ? Qui va faire le tri entre les in-formations utiles et celles qui sont re-dondantes ou superflues ? Qui va stan-dardiser les méthodes ? Et surtout, jus-qu’où les entreprises vont-elles accep-ter la transparence, qui est au cœurmême de la démarche éco-indus-trielle.

• Troisième dilemme : celui de la so-ciété sans déchets, du recyclage et dubouclage généralisé des flux. L’ é c o-logie industrielle vise à systématiser lerecyclage et la réutilisation des dé-chets. Mais l’on sait que cela pose desproblèmes redoutables d’org a n i s a t i o ndes marchés, de régulation des prix etsurtout de sécurité et de traçabilité.Comment gérer les impacts sur lespays producteurs de matières pre-m i è r e s ? Comment éviter une satura-tion des marchés et un eff o n d r e m e t ndes prix, des matériaux recyclés.Comment surtout éviter les problèmesque l’on a connu récemment sur la ré-utilisation des boues de stations d’épu-

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ration ou sur celle de carcasses inciné-rées ou de sous-produits toxiques dansl’alimentation du bétail (poulets à ladioxine, vache folle…) ?

• Quatrième dilemme : celui de lagestion des systèmes, de la mise enplace de réseaux coopératifs au ni-veau de filières ou de territoire s.L’écologie industrielle débouche, à uncertain moment, sur la nécessité d’unegestion en bien commun, d’une ges-tion coopérative de certaines res-sources ou sous-produits. Commentcette gestion coopérative est-elle com-patible avec la concurrence entre lesentreprises et peut-elle réellement sefaire sans intervention extérieure, parexemple de l’État ou des collectivitésl o c a l e ? Le recours à l’anayse de sys-tème comme méthode ne risque-t-ilpas, en d’autres termes, de masquer ladimension essentiellement sociale etpolitique de ces probèmes de coopéra-tion entre acteurs pour la gestion debiens communs pas nécessairementappropriables par chacun ?

• Le cinquième dilemme, c’est celuide la motivation, de l’incitation, du“m o t e u r” à long terme. En dimi-nuant la pression sur les ressources eten améliorant leur productivité, l’éco-logie industrielle ne va-t-elle pas, endéfinitive, conduire rapidement à unechute des prix qui, à termes, se tra-duira par une motivation beaucoupplus faible en faveur des politiquesd’économie et de conservation ?Comment, en d’autres termes, une lo-gique d’ingénierie pourra-t-elle s’arti-culer efficacement avec une logiqueé c o n o m i q u e ? Comment aussi conci-lier la “visée” à long terme qui doitêtre celle de l’écologie industrielleavec des logiques financières ou decommunication qui privilégient sou-vent la rentabilité ou l’impact à courtt e r m e ?

• Le sixième et avant-dernier dilemmeest celui de l ’ e n v i ro n n e m e n t. L’ é c o-logie industrielle est sans doute un for-midable instrument d’ouverture del’économie et de l’entreprise sur l’en-vironnement et l’écologie. Mais nerisque-t-elle pas de donner de l’envi-ronnement une vision partielle, tron-

quée, une vision d’ingénieurs, centréesur les problèmes de gestion de fluxm a t é r i e l s ? On voit bien, en effet, queles dimensions sociales, territoriales,esthétiques… de l’environnement res-tent peu présentes dans les démarchesqui ont été discutées au cours de cesquatre jours.

• Enfin, je terminerai par un dernierdilemme, qui a été également été évo-qué, et qui est celui de l’équité. Cettedimension de l ’ é q u i t é est incontesta-blement présente dans le concept dedéveloppement durable. Certainementmoins dans celui d’écologie indus-trielle. Dans la mesure où cette der-nière exige des instruments complexeset débouche sur des stratégies de co-opération sophistiquées, ne risque-t-elle pas, en définitive, d’accroître lesinégalités entre grandes et petites en-treprises ou entre les pays du Nord etceux du Sud ? Ne va-t-on pas finale-ment, en généralisant cette approche,gommer les problèmes de redistribu-tion considérables liés à un accès in-égal aux ressources ou à l’environne-m e n t ? C’est là encore une énormeq u e s t i o n .

■ Tous ces dilemmes, cette tensiondynamique entre risques et opportu-nités, dessinent assez clairement uneespèce d’agenda pour les progrès fu-turs et, je l’espère, pour une nouvelleconférence.

Il faut donc déjà penser à une nouvelleétape, inventer de nouveaux dévelop-pements, créer de nouvelles passe-relles, en particulier avec les ré-flexions sur la société de l’informationou sur la globalisation (dans toutes sesd i m e n s i o n s ) .

Mais j’ai conscience que, pour l’ins-tant, le problème vital, l’enjeu essen-tiel, reste de stabiliser les méthodes etd’assurer leur diffusion. Et je croisqu’il faut encore une fois féliciter leso rganisateurs de ce colloque quis’achève de nous avoir donné tous lesoutils et toute la motivation néces-saires pour continuer efficacement à lefaire – isolément ou, je l’espère, enpoursuivant le dialogue qui s’est ici sibien amorcé.

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La notion de métabolisme industriel a été introduit dès la fin des années 60,notamment par le physicien et économiste américain Robert U . Ay res, ac -tuellement professeur à l’INSEAD.

Il s’agit, à travers cette notion, de décrire le fonctionnement des systèmesp roductifs comme des processus de transforamtion de re s s o u rc e s .N a t u rellement, le concept peut être étendu aux opérations d’aménagement,au génie civil (analyse du cycle de vie des équpements) ou à la ville (c’estce qu’a essayé de faire “l’écologie urbaine”).

Pour illustrer sur un cas concret cette notion, on peut donner l’exemple, ré -cememnt analysé par le Wu p p e rtal Institut, du jus d’orange consommé enAllemagne, même s’il peut paraître anecdotique.

L’analyse faite par le Wu p p e rtal peut se résumer aux quelques chiffres sui -v a n t s :

– 55 millions de tonnes de jus d’orange sont produits chaque année,

– plus de 90 % sont consommés en Europe, aux USA et au Japon,

– plus de 80 % du jus d’orange consommé en Europe vient du Brésil,

– l’Allemagne est le plus gros consommateur du monde par tête avec 21l i t re s / p e r s o n n e / a n ,

– le jus d’orange est transporté sur plus de 14 000 kms en moyenne duBrésil aux différentes villes allemandes, concentré à 8 % et congelé à moins18 degrés,

– une tonne de jus nécessite 100 kilos de pétrole, 20 tonnes d’eau (pour 1 verre de jus, 22 v e rres d’eau), et globalement 25 tonnes de matière ,

– aux USA les pro p o rtions sont encore plus grandes : 1 000 litres d’eau et2 litres de pétrole par litre de jus,

– la consommation annuelle d’un allemand (21 litres) nécessite 24 m2 d et e rr i t o i re ,

– donc 150 0 0 0h e c t a res de terrain au Brésil pour désaltérer l’Allemagne(3 fois la superficie des cultures fru i t i è res dans ce même pays),

– si tous les habitants du monde avaient le même niveau de consommationque les Allemands, il faudrait 130 000 km2 d’orangeraies (trois fois la su -perficie de la Suisse).

Tous ces chiffres, cités par Suren Erckman dans son livre sur l’ÉcologieIndustrielle, illustrent bien, sur un exemple très simple, les enjeux terr i t o -riaux et en termes de re s s o u rces liées à la production-consommation desbiens ou services, qui a désormains, nécessairement, des implications glo -b a l e s .

Mais naturellement, la dimension “consommation de re s s o u rces” n’estqu’un aspect à pre n d re en compte dans les choix productifs ou d’aménage -m e n t . L’écologie industrielle ne peut donc être qu’un outil parmi d’autre sdu développement durable.

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E N C A RT 1 : Une illustration des applications de l’écologieindustrielle : le métabolisme industriel desp roduits de grande consommation.

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Présentation

Le texte qui suit a été publié par le“Center for Energy and ClimateSolutions”, un institut de re c h e rc h ea p p a rtenant à une fondation améri -caine, “ The Global Environment andTechnology Foundation ”. Cette fon -dation a essentiellement comme objec -tif de promouvoir les nouvelles techno -logies dans les entreprises améri -caines, et en particulier les technolo -gies de la communication.Il porte sur l’impact de la “net-eco -nomy” sur l’énergie et le changementg l o b a l .Même s’il ne s’agit que d’un résumé etsi les informations collectées par leC e n t re peuvent être discutées, il nousa semblé intéressant d’en re n d recompte car ce texte illustre bien lespréoccupations qui sont celles del’“écologie industrielle”.

Jacques Theys

Executive summary

This paper explores the impact of thegrowing Internet economy on currentand future trends in energy consump-tion.

The world is only beginning to cometo grips with the complex conse-quences of the exploding growth of e-commerce and the Internet economy.To be sure, the impacts on the way welive, work and consume will be histo-

ric, both positively and negatively. Weneed to understand the potential crea-ted for environmental gains and struc-tural reductions in energy and resourceuse, as well as the need for certain in-dustries to adapt to very large strategicchallenges and opportunities.

This paper reflects an analysis of cur-rently available but incomplete data,and begins to construct some roughscenarios. Hopefully these scenariosbegin the process of identifying oppor-tunities and challenges for businessleaders and policy makers and sugges-ting the directions of future researchand initiatives. These dynamics willfundamentally shape the path to sus-tainability in the US and around thew o r l d .

Our key points and conclusions:

• The nation experienced remarkableeconomic growth in 1997 and 1998,about 4% per year, driven to a signifi-cant extent by industries that produceinformation technology (IT). The re-sulting increase in electronic businesstransactions also played a role. Theoverall productivity of the economyappears to have increased substan-t i a l l y, driven by the IT sector.

• During those same two years, the na-tion's energy consumption – the prin-cipal source of air pollution and thegases linked to global warming –hardly grew at all. In the previous 10

1 Joseph Romm with Arthur Rosenfeld andSusan Herrmann - The Center for Energyand Climate Solutions (www. c o o l -companies.org). A Division of The GlobalE n v i ronment and Technology Foundation( w w w.getf.org), 1999.

Annexe 1 :

THE INTERNET ECONOMY AND GLOBAL WA R M I N G(LA “NET ECONOMIE” ET LE CHANGEMENT GLOBAL)

A Scenario of the Impact of E-commerce on Energy and the Enviro n m e n t *

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years, U.S. e n e rgy intensity, measuredin energy consumed per dollar of grossdomestic product declined (i.e., im-proved) by under 1% per year. In both1997 and 1998, it improved by morethan 3% – an unprecedented changeduring a time of low energy prices. In1998, U.S. emissions of greenhousegases rose only 0.2%, the smallest risesince 1991 (which was a recessiony e a r ) .

• Preliminary analysis by EPA andA rgonne National Laboratory sug-gests that roughly one third of the re-cent improvements in energy intensityare “structural” Structural gains tradi-tionally occur when economic growthcomes in sectors of the economy thatare not particularly energy intensive,such as the IT-producing sector, whichincludes computer manufacturing andsoftware (as opposed to more energ y -intensive sectors, including chemicalmanufacture, the pulp and paper in-d u s t r y, and construction).

• The remaining two-thirds improve-ment comes from gains in the energ ye fficiency of all sectors. In traditionale n e rgy eff i c i e n c y, a computer factorywould use more efficient motors, asoftware company might using moree fficient lighting in its buildings, or achemical manufacturer might redesigna process for making a chemical to cutthe energy used per pound of product.

• Traditional structural gains will li-kely continue, since the IT- p r o d u c i n gindustries continue to show highgrowth rates. The EPA has performeda preliminary analysis of the potentialimpact of structural changes driven byrapid growth of the IT-producing in-dustries. The analysis suggests thatmainstream forecasts may be o v e re s t i -m a t i n g U.S. energy and carbondioxide emissions in the year 2010 byup to 5%— while significantly u n d e -re s t i m a t i n g overall U.S. economicg r o w t h .

• Traditional energy efficiency willalso likely accelerate for two reasons.First, more and more companies aredeveloping and implementing strate-gies to reduce their greenhouse gas(GHG) emissions and these strategiesinclude investing in energy eff i c i e n c y.

Second, major energy service compa-nies are increasingly offering “energ youtsourcing” deals in which they takeover corporate energy managementfor Fortune 1000 companies and in-vest in energy efficiency to a much hi-gher degree than those companies had.These deals eliminate many of the bar-riers that have slowed more wides-pread adoption of energy eff i c i e n c ytechnologies and strategies in the pastd e c a d e .

• Equally important (and a primary fo-cus of this paper), the Internet eco-nomy itself seems to be generatingboth structural gains and eff i c i e n c ygains. Internet structural gains will oc-c u r, for instance, if the manufacturingof software on disks and CDs (delive-red by plane and/or truck) continues toshift toward purely electronic files de-livered over the Internet. If companiesput their stores on the Internet usingsoftware, rather than constructing newretail buildings, that would also repre-sent an Internet structural gain.Dematerialization saves energ y. TheInternet makes possible what might becalled e - m a t e r i a l i z a t i o n . By 2003, e-materialization of paper alone holdsthe prospect of cutting energ yconsumption by about 0.25% of totalindustrial energy use and net GHGemissions by a similar percentage. By2008, the reductions are likely to bemore than twice as great. We also be-lieve the Internet Economy could re n -der unnecessary as much as 3 billions q u a re feet of buildings – some 5% ofU.S. commercial floor space – whichwould likely save a considerableamount of construction-related energ y.By 2010, e-materialization of paper,construction, and other activities couldreduce U.S. industrial energy andGHG emissions by more than 1.5%.

• Internet energy efficiency gains po-tentially cover a broad spectrum of ac-t i v i t y. In business-to-consumer e-com-merce, for instance, a warehouse cancontain far more products like booksper square foot than a retail store.Warehouses themselves also typicallyuse far less energy per square foot thana retail store. So books and other pro-ducts sold over the Internet would li-kely consume less energy per bookthen traditional retail-based sales.

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• More important is business-to-busi-ness e-commerce, which is estimatedat 5 to 10 times the size of business-to-consumer e-commerce. As traditionalmanufacturing and commercial com-panies put their supply chain on theInternet, and reduce inventories, over-production, unnecessary capital pur-chases, paper transactions, mistakenorders, and the like, they achieve grea-ter output with less energy consump-tion. Federal Reserve Board ChairmanAlan Greenspan told Congress in June“Newer technologies and foreshorte-ned lead-times have, thus, apparentlymade capital investment distinctlymore profitable, enabling firms to sub -stitute capital for labor and other in -puts far more productively than theycould have a decade or two ago. ”1

Imagine the Internet energy eff i c i e n c ygains if electronic commerce leads “toa reduction in overall inventories of$250-$350 billion, or about a 20% to25% reduction in current U.S. inven-tory levels.”2 Few things have a larg e renvironmental benefit than pollutionprevention, especially in the energ y -intensive manufacturing sector. Notmaking products that wouldn’t havebeen sold or not building manufactu-ring plants that aren’t needed is purep r e v e n t i o n .

• Another important effect is that theInternet appears to be promoting grea-ter use of home offices, allowing tele-commuters to spend less time at theo ffice and also spawning many purelyhome-based businesses. The Internetprovides home-based workers moreaccess to more useful information andincreasingly high-speed connectionsto coworkers and/or customers. Andas e-commerce itself grows, both busi-ness-to-consumer and business-to-bu-siness, more jobs will involve spen-ding a considerable amount of time onthe Internet, jobs that can perhaps bedone as easily from home as from tra-ditional workplaces. This shift will in-crease energy consumption in homes,but will likely save far greater energ yin avoided office building constructionand utility bills, as well as reducedcommuting energ y.

• There are aspects of the Internet thatwill probably entail m o re e n e rgy use,such as greater small-package delivery

by truck. These cases may not, howe-v e r, result in a net increase in energ yuse; efficient package delivery bytruck may replace at least in part inef-ficient personal driving to malls, su-permarkets, bookstores and the like.This will be particularly true if most ofthe packages are delivered by the PostO ffice, which already passes virtuallyevery home in the country daily. Thegreat unknown question at this point iswhether or not a significant fraction ofAmericans will change their drivinghabits over the next few years once itis possible to make a critical mass ofc y b e r-trips on the Internet. That is,will the Internet be the mall of the 21s t

C e n t u r y ?

• Christmas shopping over the Internetfor gifts that were going to be shippedanyway can avoid a considerableamount of transportation energ yconsumption and air pollution. Thebiggest environmental benefit occursfor gifts (or other e-commerce pur-chases) that do not have to be shippedby air freight, since that is the moste n e rgy-intensive form of shipping. Welabel those e-commerce choices thatmaximize energy savings and environ-mental benefits “e e e - c o m m e rc e. ”

• The Internet is growing so quickly,and data on it remain so inadequate,that it is certainly not possible to drawmore than tentative conclusions at thispoint (particularly in areas as diff i c u l tto analyze as the possible substitutionof Internet use for transportation).That is why we have labeled this ana-lysis a scenario, and not a prediction.We believe the Internet may alreadybe reducing the energy intensity of theindustrial sector, and that it holds thepotential to have its most significantimpact in this area. If so, this would bethe Internet’s biggest impact on the en-vironment, since this sector is respon-sible for a third of the nation’s air pol-lution and the vast majority of its ha-zardous waste and other pollutants.We believe the Internet could signifi-cantly reduce the contribution of thecommercial building sector to the na-t i o n ’s energy intensity and that gainsin this sector will likely outweigh in-creases in electricity use in residentialbuildings. We suspect the Internet eco-nomy will be no worse than neutral in

1 Alan Greenspan, “High-tech industry in theU.S. economy,” Testimony Before the JointEconomic Committee, U.S. Congress, June 14,1999, www. b o g . f r b . f e d . u s / b o a r d d o c s / t e s t i-mony/1999/19990614.htm [Hereafter Greenspan,“High-tech,” June 1999].2 Andrew Wy c k o ff and Alessandra Colecchia,The Economic and Social Impact of Electro n i cC o m m e rc e, Organisation for Economic Co-Operation and Development (OECD), Paris,France, 1999, www. o e c d . o rg / s u b j e c t / e _ c o m-m e r c e / s u m m a r y.htm. [Hereafter OECD 1999.] Interms of citations, this paper takes a similar ap-proach to that of the OECD study (p. 26):“While this book tries to rely on scholarly workand solid statistical data as much as possible, togain insight into the macroeconomic impact of aphenomenon that is changing as quickly as e-commerce requires relying on private datasources, expert opinion, the popular press andanecdotal statistics as well.”

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the transportation sector, but couldwell have a large positive impact. Ingeneral, we believe one label com-monly used for e-commerce, “friction-less,” has a useful analogy here.Friction causes energy to be lost.Frictionless commerce saves energ y.

• If, indeed, the Internet is already re-ducing energy intensity, then it is li-kely to have a very big impact in theyears to come. The Internet economyis projected to grow more than ten-fold – from its current level of tens ofbillions of dollars today to more than$1 trillion in a few years. Moreover,while the Internet economy remains asmall share of the total U.S. economy,it represents a much higher fraction ofthe g ro w t h in the economy. That is theessential point for this paper, whichexplores the likely impact of theInternet on the relationship betweenthe growth in the economy and thegrowth in energy use.

• We believe the combination of trendsdescribed above makes it likely thatthe years 1997 to 2007 (and probablybeyond), will not see the same low-le-vel of energy intensity gains that theprevious 10 years saw, which were un-der 1% per year. We expect annual im -p rovements in energy intensity of 1.5%– and perhaps 2.0% or more. If thiscomes to pass, most major economic

models used in the country will needto be modified. For instance, the go-v e r n m e n t ’s main energy forecastingarm, the Energy InformationAdministration, uses a figure of 1.0%or less for its projection of annuale n e rgy intensity improvements. If theactual number is closer to 1.5% to 2%,then a number of related forecasts mayneed to be changed, such as the num-ber of power plants the United Stateswill need to build in the next decade,and the cost to the nation of achievinggreenhouse gas reductions. Already,p re l i m i n a ry data suggest that energ yintensity in 1999 will likely drop bym o re than 2.0%.

• It may be that many other factors wi-dely used in economic models – buil-ding construction per GDP, paper useper GDP, and the like – also need to bechanged. This might in turn affect theimpact of GDP growth on the inflationrate. The Internet economy could wellallow a very different type of growththan we have seen in the past. In otherwords, the scenario we are presentingin this paper is that if there is a so-cal-led “New Economy,” as many appa-rently now believe, there is also a“New Energy Economy,” whichwould have profound impacts one n e rg y, environmental, and economicf o r e c a s t i n g .

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PUBLICATIONS DU CENTRE DE PROSPECTIVE ET DE VEILLE SCIENTIFIQUE SUR LE THÈME DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

A. Collection “2001 Plus”N° 27 : Le syndrôme Nymby (1993)N° 32 : Télétravail et transports : Une étude de l’administration américaine (1994)N° 38 : Le véhicule électrique à l’horizon 2004 : controverses en Californie (1996)N° 40 : Le “Lebensraum Stadt” – “la ville espace de vie”. Mobilité et communication dans les grandes villes

allemandes en 2020 : deux scénarios (1997)N° 46 : Aménagement de l’espace et gestion des risques aux Pays-Bas (1998)N° 47 : Lutte contre l’exclusion dans les quartiers en difficulté - L’expérience britannique (1997)N° 49 : Maîtriser l’étalement urbain : une première évaluation des politiques menées dans quatre pays (1999)

B. Techniques, Territoires et SociétéN° 18/19 : Les écologistes en politique (1992)N° 22/23 : L’ a rgument écologique et l’aménagement (1993)N° 24/25 : La production de l’assentiment dans les politiques publiques (1994)N° 30 : Le développement durable urbain en débat : réflexion à partir de l’exemple canadien (1995)N° 31/34 : Projets d’infrastructures et débat public (1996-1997)N° 35 : De la ville à la mégapole : essor ou déclin des villes au XXIe siècle - 4e p a r t i e : La ville durable,

une nouvelle utopie? (1998)

C. Notes CPVS

Série “Équipement”N° 4 : Éléments pour une prospective de la sécurité (J.-P. G a l l a n d )N° 6 : Véhicules électriques, véhicules hybrides : quelles perspectives (Yves Tu g a y é )N° 9 : Transports et pollution de l’air : une question controversée (J.-P. G i b l i n )N°10 : Les risques du Ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement (J.-P. G a l l a n d )

Série “Environnement”N° 1 : Société immatérielle et mutations des valeurs : vers de nouvelles représentations de l’environnement

et du territoire (J. T h e y s )N ° 4 : (Hors série) : L’environnement au XXIe siècle - Continuité ou rupture ? Réflexions sur la “gouvernance”

globale. (J. T h e y s )

D. Ouvrages collectifs, publications ou communications• La société vulnérable, Presses de l’École Normale Supérieure, 1987 (sous la direction de J.-L. Fabiani et J. T h e y s )• L’ e n v i ronnement entre le maire et l’État, ADEF, 1990 (sous la direction de G. Jeannot, V. Renard et J. T h e y s )• Héritiers du futur (synthèse du groupe de prospective de la DATAR sur Aménagement du territoire et

Développement durable), Éditions de l’Aube, 1996 (sous la direction de R. Passet et J. T h e y s ) .• La ville éclatée (synthèse d’un séminaire co-organisé avec la DAEI et l’ENPC), Éditions de l’Aube, 1998 (sous la

direction de P. Veltz, N. M a y, J. Landrieu et T. S p e c t o r )• Prévenir les risques : de quoi les experts sont-ils responsables ? (synthèse d’un séminaire du Centre de prospective -

DRAST), Éditions de l’Aube, 1998 (sous la direrction de J.-P. G a l l a n d ) .• Villes du XXIe siècle, Tome III, ateliers “villes durables”, en cours de publication au CERTU (sous la direction de

T. S p e c t o r, F. Menard et J. T h e y s ) .

E. Séminaires, groupes de travail, recherches• Le développement durable : quels enjeux pour le réseau scientifique et technique du MELT ? (compte-rendu d’un

séminaire organisé par la DRAST au Laboratoire central des Ponts et Chaussées, juin 1999, RDI).• Indicateurs de développement durable pour la Construction. Groupe de travail Bativille (CSTB, ADEME, CPVS)

Cahiers du CSTB, décembre 1999.• Recherche sur l’acceptabilité socio-économique d’un scénario alternatif dans le domaine énerg i e - t r a n s p o r t - e ffet de

serre (projet commun DRAST- P R E D I T T, ADEME, recherche en cours).• Groupe de travail “Scénario de développement durable pour la France à l’horizon 2010 (travaux non publiés, élé-

ments de dossiers accessibles).• Séminaire Franco-suédois sur l’intégration de l’environnement dans les politiques de transport – l’approche écono-

mique (Actes en cours de publication).• L’ é m e rgence d’une offre économique et technologique dans le domaine des techniques de prévention appliquées à

l’environnement (recherche réalisée par RDI, en cours).• Environnement et aménagement du territoire dans les années 1990-2010 (J. Theys, CPVS, 1992, pour la préparation

du SDEC – Schéma de développement de l’espace communautaire)

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NOTES CPVS DÉJÀ PARUES

Série Equipement

N° 1La recherche dans le champ

Equipement - logement - transports - tourisme :état des lieux et enjeux

Jacques THEYS

N° 2Questions sur l’état producteur

Gilles JEANNOT

N° 3La politique de recherche et de développement Européenne

dans le domaine des transports :son évolution et ses effets à venir sur la recherche publique en France

Jean-Marc SALMON

N° 4Eléments pour une prospective de la sécurité

Jean-Pierre GALLAND

N° 5Les territoires de la prospective

Serge WACHTER

N° 6Véhicules électriques et véhicules hybrides :

quelles perspectives pour le futur ?Yves TUGAYÉ

N° 7La prospective et la ville : un état des lieux

Thérèse SPECTOR

N° 8Les politiques territoriales en question

Serge WACHTER

N°9Transports et pollution de l’air : une question controversée

Jean-Pierre GIBLIN

N°10Les risques du ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement

Jean-Pierre GALLAND

N°11Les recherches stratégiques sur les transports terrestres : enjeux et dynamiques d'évolution (1996-2000)

André PÉNYN°12

L'évolution du marché des études dans le domaine de l'aménagementPierre DUBUS en collaboration avec Pierre Pelliard et Serge Watcher

Série Environnement

N° 1Société immatérielle et mutation des valeurs :

vers de nouvelles représentations de l’environnement et du territoireJacques THEYS

N° 2L’expert contre le citoyen ? : le cas de l’environnement

Jacques THEYS

Hors sérieL’environnement au XXIe siècle

continuité ou rupture ? Réflexions sur la « gouvernance »Jacques THEYS

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Directeur de la publication :Jacques Theys : responsable du Centre de Prospective et de Veille Scientifique

Rédaction :Jacques Theys

Secrétariat de rédaction :Monique Cavagnara, CPVS

Conception, réalisation, impression :LE CLAVIER

ISSN 1263-2325

Achevé d’imprimer : 1ER trimestre 2000Dépôt légal n° 1098