nathalie arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil...

32
ÉDITÉ PAR LUTTE OUVRIÈRE n° 181 - février 2017 - 2,50 € LUTTE DE CLASSE Union communiste internationaliste (trotskyste) ISSN 0456-5143 ISSN 0456-5143 © LUTTE DE CLASSE Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs Meeting de Nathalie Arthaud au Cirque d’Hiver de Paris, le 30 septembre 2016. n La « lutte contre l’islamophobie » n Végétarisme, véganisme et antispécisme n La Constitution italienne n Les trotskystes et Cuba LDC

Upload: others

Post on 25-Dec-2019

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

ÉDITÉ PAR LUTTE OUVRIÈRE n°181-février2017-2,50€

LUTTE DE CLASSEUnion communiste internationaliste (trotskyste)

ISSN 0456-5143ISSN 0456-5143©

LU

TTE

DE

CLA

SSE

Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

Meeting de Nathalie Arthaud au Cirque d’Hiver de Paris, le 30 septembre 2016.

n La « lutte contre l’islamophobie »

n Végétarisme, véganisme et antispécisme

n La Constitution italienne

n Les trotskystes et Cuba

LDC

Page 2: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe - c/o Lutte ouvrière - BP 20029 - 93501 PANTIN CEDEX • Édité par Éditions d’Avron, 6, rue Florian, 93500 Pantin. SARL au capital de 7622,45 € - Durée : 50 ans. Gérant : Michel Rodinson. Associés : René Marmaros, Isaac Szmulewicz, Jean-Claude Hamon. Directeur de publication et responsable de la rédaction : Michel Rodinson. Impression : IMS - 93500 Pantin. Commission paritaire des publications n° 0419D11453. Tirage : 5 000 exemplaires.

Qui sommes-nous ?La revue mensuelle Lutte de

classe est éditée par l’Union com-muniste (trotskyste), plus connue sous le nom de son hebdoma-daire, Lutte ouvrière.

Lutte ouvrière est une organi-sation communiste, révolution-naire et internationaliste. Elle est membre de l’UCI (Union com-muniste internationaliste), qui regroupe dans plusieurs pays des organisations partageant les mêmes idées et les mêmes objectifs.

L’Union communiste interna-tionaliste est un courant qui se revendique de la filiation d’idées incarnées successivement par Marx et Engels, Rosa Luxemburg, Lénine et Trotsky. Elle considère que l’organisation capitaliste re-présente le passé de la société humaine, pas son avenir, et que la société capitaliste basée sur la propriété privée, le marché, la concurrence et le profit devra être remplacée, à l’échelle de la planète, par une société basée sur la propriété collective des ressources de la terre et des ins-truments de production, ainsi que sur une économie démocra-

tiquement planifiée assurant à chacun de ses membres un accès égal à tous les biens matériels et culturels.

Elle se revendique de la ré-volution russe de 1917, qu’elle considère comme la première et jusqu’à présent unique révolu-tion où le prolétariat a pris du-rablement le pouvoir étatique pour tenter de transformer la société dans un sens collectiviste, avant d’être écarté du pouvoir politique par la dictature d’une bureaucratie usurpatrice.

Les organisations qui se reven-diquent de l’UCI considèrent que les idées communistes doivent être réintroduites dans la classe ouvrière qui, seule, peut en faire une force de transformat ion sociale.

Tout en participant aux luttes quotidiennes des travail leurs dans la mesure de leurs possi-bilités, les militants des organi-sations de l’UCI défendent par-mi ceux-ci les intérêts politiques généraux de la classe ouvrière. Ils sont convaincus que les tra-vailleurs sont seuls capables de remplacer le capitalisme par une

société libre, fraternelle et hu-maine, car ils constituent la ma-jorité de la population et n’ont aucun intérêt au maintien de l’ac-tuelle société. Ils sont aussi les seuls, par leur nombre et leur concentration, à avoir les moyens de contrôler le pouvoir politique issu de leur intervention.

Ils considèrent que les travail-leurs constituent à l’échelle du monde une seule et même classe sociale et que leur présence à toutes les étapes de la production et de la distribution des biens produits leur permet de contrô-ler démocratiquement tous les rouages de l ’économ ie, a f i n qu’elle fonctionne pour satisfaire les besoins de tous.

La revue Lutte de classe est l’expression collective, en langue française, de l’UCI. Chacune des organisations qui s’en reven-dique a, par ailleurs, ses propres publications sous la forme d’une presse politique, ainsi que, pour la plupart d’entre el les, d’une presse ouvrière sous la forme de bulletins d’entreprise réguliers.

Abonnements pour un an (8 numéros)

Plis ouverts• France, DOM-TOM 15 €

• DOM-TOM, par avion 17 €

• Europe 20 €

• Reste du monde 24 €

Plis fermés• France, DOM-TOM 32 €

• DOM-TOM, par avion 37 €

• Europe (lettre prioritaire) 45 €

• Monde (lettre prioritaire) 58 €

Chèque à l’ordre de Lutte ouvrière ou virement à : Lutte ouvrière - CCP Paris 24 274 60 R 020 IBAN FR28 2004 1000 0126 2746 0R02 087 - BIB PSSTFRPPPAR

CorrespondanceLutte ouvrière BP 20029 - 93501 PANTIN CEDEX

Sur InternetPortail de Lutte ouvrière http://www.lutte-ouvriere.org Site multilingue de l’Union communiste internationaliste http://www.union-communiste.org E-mail : [email protected]

Au sommaire de ce numéro

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs 1

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie » 7

Végétarisme, véganisme et antispécisme : à propos de la considération humaine pour la souffrance animale 13

Italie : la Constitution hors des mythes 18

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine 21

ÉDITÉ PAR LUTTE OUVRIÈRE n°181-février2017-2,50€

LUTTE DE CLASSEUnion communiste internationaliste (trotskyste)

ISSN 0456-5143ISSN 0456-5143

© L

UTT

E D

E CL

ASS

E

Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

Meeting de Nathalie Arthaud au Cirque d’Hiver de Paris, en septembre 2016.

n La « lutte contre l’islamophobie »

n Végétarisme, véganisme et antispécisme

n La Constitution italienne

n Les trotskystes et Cuba

LDC

Page 3: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017 1

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

Après la primaire de la droite, celle de la gauche occupe la scène médiatique jusqu’au 29 jan-vier. Les sept candidats, dont cinq ont été ministres de Hollande et partagent à ce titre la res-ponsabilité de sa politique antiouvrière, tentent de se distinguer et de faire illusion auprès des classes populaires. Montebourg parle de la fiche de paye, Hamon du revenu universel, Valls du revenu décent, quand Peillon essaye de vendre son bouclier fiscal. Les candidats du PS sont concurrencés sur leur droite par Macron, qui s’y voit déjà, et sur leur gauche par Mélenchon. S’il s’adresse lui aussi aux travailleurs, dénonçant parfois leur sort avec virulence, seules leurs voix l’intéressent. Mélenchon a placé sa campagne sous le slogan « la France insoumise ». En prétendant défendre « les intérêts de la France », il se soumettra inéluctablement à ceux des capitalistes français.La seule candidate qui s’affirme communiste et qui fera vraiment entendre le camp des travail-leurs dans cette élection présidentielle est Nathalie Arthaud. Même si elle est ignorée de tous les principaux médias, sa campagne est bien lancée. Nous reproduisons ci-dessous un extrait de son intervention au meeting d’Annonay (Ardèche) du 18 janvier, dans lequel elle développe le programme de classe qu’elle propose aux travailleurs conscients d’approuver.

[...] Faire entendre nos inté-rêts de salariés, de chômeurs, de retraités à l’opposé de la po-

litique patronale, affirmer nos revendications, nos objectifs en tant qu’exploités, c’est ce qu’il y

a de plus utile à faire dans ces élections.

Parce que les jeux sont faits.

Le 15 novembre 2016 à Firminy, à côté de Saint-Etienne.

LDC

Page 4: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

2

Tous ceux qui sont susceptibles d’accéder au second tour sont des serviteurs zélés de la bour-geoisie. Alors i l n’y a pas de suspense : celui qui sortira des urnes en mai sera un ennemi des travailleurs. Pour les tra-vailleurs, le match est truqué ! Il ne faut pas marcher dans cette duperie électorale.

Mais puisqu’on nous donne la parole au premier tour, eh bien il faut la prendre, pour s’ex-primer, pour mettre en avant nos préoccupations de travail-leurs, d’ouvriers, de chômeurs, de retraités. Ne laissons pas le monopole de la parole à des po-liticiens bourgeois, qui pensent en bourgeois ! Faisons-nous entendre ! Nous avons notre propre politique à défendre, une politique indépendante, une politique de classe, un pro-gramme pour les travailleurs.

POUR ÉRADIQUER LE CHÔMAGE : UN TRAVAIL ET UN SALAIRE POUR TOUS

Le premier point de ce pro-gramme, c’est d’éradiquer le chômage. Le patronat, et à sa suite tous les politiciens, pré-tendent qu’on ne peut pas faire tourner une usine sans com-mandes assurées et garanties. Nous, travailleurs, nous devons affirmer qu’on ne peut pas vivre sans travail et que notre vie ne

peut pas dépendre des aléas de leurs carnets de commandes. Nous ne sommes pas des ma-chines que l’on peut brancher et débrancher. Nous avons une vie, une famille. Les loyers, les factures tombent tous les mois, même quand on a perdu son boulot. Il faut remplir l’estomac des enfants…

Il faut que tout le monde ait un travail et un salaire. La pre-mière mesure, de bon sens, est d’interdire les licenciements et les plans de suppressions d’em-plois, à commencer par les en-treprises qui font des bénéfices, sous peine d’expropriation. Re-gardez PSA. PSA a réalisé sur les 18 derniers mois 2,4 mil-liards de bénéfices et a suppri-mé 17 000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7 à 8 milliards d’euros de profits chaque an-née, a supprimé 4 700 emplois entre 2008 et 2015, et en sup-prime encore 650 ! Oh, ils se dé-brouillent toujours pour ne pas parler de licenciements, mais au final cela fait des milliers de chômeurs en plus. Eh bien, il faut commencer par stopper tous ces grands fabricants de chômeurs.

Je n’oublie pas les salariés des plus petites entreprises et je sais qu’ils sont aussi concernés par les licenciements, mais leur situation dépend bien souvent de ces grands groupes. C’est le

cas par exemple de l’usine Logo dans le Jura, qui est menacée de dépôt de bilan avec 220 licen-ciements à la clé parce que le principal acheteur, LVMH, a dé-cidé de stopper ses commandes. Eh bien, il faut imposer à LVMH qu’il assure un salaire à tous les salariés de Logo, qui ont contri-bué à la prospérité du groupe !

Parallèlement, il faut aussi créer des millions d’emplois pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, pour tous ceux qui n’ont droit, de-puis des années, qu’à quelques heures de boulot ici et là, pour tous ceux qui sont rejetés de la production parce qu’ils sont invalides ou handicapés. C’est possible immédiatement en im-posant que le travail soit ré-parti entre tous. Et ce serait une mesure salutaire pour l’en-semble du monde du travail.

Dans presque toutes les entre-prises, dans le privé mais aussi dans le public, la charge de tra-vail a été accrue, les horaires de travail – auxquels il faut ajou-ter le temps de transport – sont devenus insoutenables. Il faut soulager ceux qui ont un em-ploi en diminuant leur temps de travail et en créant des em-plois, de vrais emplois, en CDI, avec un salaire complet. Il faut faire le contraire de ce que Re-nault est en train de faire en imposant un second accord de compétitivité avec heures sup-plémentaires et samedis tra-vaillés obligatoires !

Et regardez ce qui se passe avec l’épidémie de grippe : est-ce qu’il y a trop d’infirmières ou d’aides-soignants dans les hôpitaux ? Regardez ce grand gâchis qu’est l’Éducation natio-nale. Est-ce qu’il y a trop d’en-seignants ? Pour ce qui est des logements, i l en manque un million d’accessibles à un sa-laire d’ouvrier ; est-ce que nous n’avons plus besoin de maçons ? D’ingénieurs ? Il y a nombre de besoins à satisfaire dans la société et donc autant d’emplois à créer.

DR

Page 5: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

3

Certains nous expl iquent qu’avec la modernisation des moyens de production et les gains de productivité, il y aura de moins en moins d’emplois. Mais ça, c’est un raisonnement de patron. Au lieu de créer le chômage pour les uns et les surcharges de travail pour les autres, les robots et les gains de productivité devraient soula-ger les salariés, baisser les ca-dences et le temps de travail de tous. Mais cela suppose qu’on ne fasse pas fonctionner les en-treprises pour obtenir toujours plus de profits.

Si nous la issons fa i re le grand patronat, ce ne sont pas six millions de chômeurs qu’il y aura bientôt, mais sept ou huit millions. La répartition du tra-vail entre tous et la réduction du temps de travail sont des objectifs nécessaires pour les travailleurs.

Ce sont même des perspec-tives vitales pour toute la so-ciété. Parce que le chômage est un fléau qui pourrit la so-ciété de l’intérieur. Il aggrave la misère, i l marginalise. I l pousse à l’individualisme, à la

compétition entre travailleurs. C’est aussi de là que naissent la peur de l’autre et la déshu-manisation de la société. La lutte contre le chômage est une condition de la survie de la société.

Dans les rues de Tours, le 8 novembre 2016, contre la mise en place de groupements hospitaliers de territoire (GHT), prétexte à suppressions de postes, à polyvalence et à flexibilité imposées.

LDC

Page 6: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

4

PAS UN SALAIRE À MOINS DE 1 800 EUROS NET ; 300 EUROS D’AUGMENTATION POUR TOUS

Il faut augmenter les salaires et les pensions de retraite. Les principaux candidats suscep-tibles d’accéder à l’Élysée nous expliquent qu’il est impossible pour les entreprises d’augmen-ter le smic. Le Pen explique, je la cite, qu’elle « n’a jamais proposé une augmentation du smic payée par les entreprises », parce qu’elle ne veut surtout pas créer de difficultés au pa-tronat ! Et les difficultés qu’ont des mi l l ions de femmes et d’hommes à se loger, à se soi-gner et même tout simplement à se nourrir, les privat ions qu’ils s’inf ligent parce qu’ils sont payés au lance-pierres, elles n’existent pas ? Le Pen et tous les autres candidats s’en moquent. Eh bien, pas nous !

Il arrive à la CGT de chif-frer à 1 800 euros le salaire qui serait nécessaire aujourd’hui pour vivre convenablement. La moitié des salariés gagnent moins de 1 800 euros dans ce pays. Eh bien oui, aucun sa-laire ne devrait être inférieur à 1 800 euros net. Et il faudrait augmenter de 300 euros tous les salaires. Ce ne serait que du rattrapage, après plusieurs dé-cennies de blocage des salaires qui démolit progressivement le pouvoir d’achat d’un même salaire nominal.

Il suffit de faire ses comptes. Il faut payer entre 500 et 700 eu-ros pour le loyer ou le crédit logement, et parfois bien da-vantage ; 50 ou 100 euros par mois pour le gaz, l’électricité, l’eau ; 50 ou 100 euros pour les assurances, la complémentaire santé. Il faut payer l’accès à In-ternet, le téléphone portable. Il faut payer les traites de la voiture, l’assurer, faire le plein, c’est encore 400 ou 500 euros minimum qui s’en vont. Il faut encore payer les impôts sur le

revenu, la taxe d’habitation. À la fin, il reste moins d’une ving-taine d’euros par jour, pour payer nourriture, vêtements et autres articles de consom-mation courante ou encore quelques sorties, l’accès aux loisirs et à la culture. Et avec des enfants, c’est encore bien plus serré.

Alors 1 800 euros net, c’est bien le minimum qu’i l nous faut pour tous les salaires et les pensions ! Quant aux mini-ma sociaux comme le RSA, ou l’allocation adulte handicapé, ils doivent être transformés en salaire car tout le monde doit avoir le droit d’être intégré à une activité utile.

Ces 1 800 euros ne sont qu’un

rattrapage. Il y a dix ans le smic, qui est aujourd’hui à 1 150 eu-ros net, était de 1 000 euros. Et déjà à l’époque, il avait pris du retard sur l’inf lation. En dix ans le smic a augmenté de 15 %. Savez-vous de combien a augmenté le salaire des grands PDG ? De 65 % !

Alors oui, i l faut un mini-mum de 1 800 euros net par mois et une augmentation de 300 euros de tous les salaires. Et pour que ces hausses soient du-rables, il faut que les salaires, les pensions de retraite suivent les augmentations du coût de la vie, celles des loyers, du gaz, des mutuelles, des impôts et taxes. On nous dit qu’il n’y a plus d’inflation, mais il suffit de

Piquet de grève à MC Syncro (Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines), sous-traitant de PSA Poissy, pour les salaires et l’embauche des

intérimaires, en décembre 2016.

LDC

Page 7: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

5

comparer sa taxe d’habitation, sa facture d’électricité ou d’as-surance pour voir que les prix augmentent. Eh bien, il faut que nos salaires et nos pensions suivent !

De bonnes âmes, très bien payées, m’ont déjà expliqué à maintes reprises que ce pro-g ram me est complètement utopiq ue et q u’i l forcerait nombre d’entreprises à mettre la clé sous la porte. Je parle de 1 800 euros par mois et on me parle d’utopie ! C’est donc de l’utopie d’espérer vivre sans avoir à compter le moindre euro ? C’est de l’utopie d’espé-rer pouvoir se chauffer comme il faut, payer des études à ses enfants, le permis ? Eh bien, si c’est de l’utopie, si ce n’est pas imaginable dans le cadre de ce système, c’est l’aveu qu’en dehors du renversement de la bourgeoisie il n’y aura pas de salut pour les travailleurs.

M a i s c u r ieu s e me nt , le s mêmes qui parlent d’utopie dès que l’on parle du salaire des tra-vailleurs constatent, sans s’in-digner outre mesure, les aug-mentations extravagantes des Carlos Ghosn, des Tavares, les PDG des grandes entreprises. Les mêmes n’ignorent pas la hausse des dividendes des ac-tionnaires des entreprises du Cac 40, et surtout l’accroisse-ment incessant de la fortune des plus riches. Alors, dire que 1 800 euros est utopique, c’est un choix de classe.

S’il y a une utopie, c’est d’at-tendre ces augmentations des bourgeois ou d’un futur pré-sident de la République ! Pour y parvenir, il faudra renouer avec les luttes collectives et im-poser un nouveau rapport de force contre le patronat.

CONTRÔLE DES TRAVAILLEURS SUR LES ENTREPRISES

Je l’ai dit, la société est riche, très riche. Les patrons nous

disent qu’ils n’ont pas d’argent pour embaucher, pour augmen-ter les salaires ! On ne les croit pas ! Tout ce qui compte pour eux, ce sont leurs profits.

C’est pourquoi les travail-leurs doivent imposer la trans-parence sur les comptes des entreprises, les vrais, pas ceux qu’i ls déclarent ou qui sont communiq ués au x comités d’entreprise. Le grand patronat a érigé le mensonge et l’opacité en art de gouverner. Et même s’il est de bon ton pour les politi-ciens de parler de transparence et de dénoncer l’évasion fiscale, ils continuent de défendre le se-cret des affaires et d’interdire aux salariés de divulguer les informations dont ils disposent sur les comptes de l’entreprise.

En avril dernier, les députés européens du PS, de l’UDI, du Modem, de la droite et du FN se sont retrouvés pour voter, tous ensemble, la directive euro-péenne sur la protection du se-cret des affaires. Et pour cause ! Si les travailleurs avaient ac-cès à toutes ces comptabilités, ils mesureraient l’escroquerie qui consiste à parler de coût du travail. Le travail ne coûte pas aux patrons, i l leur rap-porte. Le moindre centime que la bourgeoisie gagne lui vient de l’exploitation du travail ; les millions d’euros que dépensent les riches pour maintenir leur

train de vie de parasites sont extraits de la peine et de la sueur des travailleurs.

En levant le secret bancaire et commercial, on permettrait aux comptables, aux secrétaires, aux magasiniers, à tous les tra-vailleurs, de communiquer les informations qu’ils ont. Il y a bien des salariés révoltés par les agissements de leur direc-tion, parce qu’ils savent qu’ils sont contraires aux intérêts des travailleurs, de la population ou de l’environnement.

Ils sont souvent les premiers à tirer la sonnette d’alarme, simplement parce qu’ils sont aux premières loges et qu’ils voient ce qui se passe. Alors, il faut leur donner les moyens légaux de tout dire de ce qu’ils voient, sans être menacés de licenciement ou de mesures de rétorsion. Il faut supprimer le secret des affaires.

Cette mesure est un objectif essentiel car il modifierait le rapport de force entre le patro-nat et les travailleurs en don-nant de nouvelles armes aux travailleurs. Il en serait fini du chantage patronal, des ru-meurs et des fausses informa-tions. Les travailleurs sauraient à quoi s’en tenir, ils pourraient anticiper, s’organiser face aux attaques patronales et prendre l’initiative pour imposer les in-térêts des travailleurs.

UN PROGRAMME DE CLASSE

Voilà notre programme ! Ce n’est pas, comme tous les autres candidats, un catalogue de pro-messes numérotées qui seront aussi vite bafouées qu’el les ont été inventées. C’est un pro-gramme qui doit nous orienter pour nos combats quotidiens.

Et c’est un programme de survie pour les couches popu-laires, qui découle de nos be-soins. C’est le programme le plus radical, car nous sommes les seuls à nous engager totale-

Colloque sur les avantages, pour les patrons, du renforcement du secret

des affaires.

UN

ISTR

A

Page 8: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Élection présidentielle : voter Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs

6

ment du côté des travailleurs. Parce que, contrairement aux autres candidats, nous ne cher-chons pas à épargner la bour-geoisie et ses profits : nous la combattons et nous sommes prêts à la combattre jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’ex-proprier en réquisitionnant les grandes entreprises. Parce que, contrairement aux autres candidats, nous ne considérons pas la compétitivité, le marché et la concurrence comme des lois de la nature, mais comme les bases d’un système établi par une minorité et qui ne fonc-tionne que pour une minorité. Nous pouvons défendre ces in-térêts vitaux pour le monde du travail, parce que nous sommes communistes.

LE VOTE ET LE PARTI QU’IL MANQUE AUX TRAVAILLEURS

J ’appel le les travai l leurs qui sont d’accord avec ce pro-gramme à voter pour ma candi-dature. Je les appelle à faire un vote de classe et de combativité. Voter, ce n’est pas encore agir et se battre réellement. Mais le combat commence dans les têtes. On ne peut pas se lancer dans le combat sans être sûr de sa légitimité. On ne peut pas gagner sans être sûr de nos in-térêts, sans comprendre où sont nos ennemis, nos faux amis. Tout cela se forge dans le com-bat des idées et le combat poli-tique. Le premier tour de cette élection nous donne l’opportu-nité d’avancer dans ce sens-là, alors il faut y aller !

Nous n’avons pas encore de parti à opposer à la bourgeoisie. En tout cas pas de parti capable de mener le combat politique à armes égales avec les partis bourgeois. Et c’est tout le pro-blème. Si les conditions d’exis-tence des travailleurs reculent

depuis des décennies, s’ils sont désorientés, si la confusion règne dans beaucoup de têtes, c’est qu’il n’y a plus de parti ouvrier digne de ce nom depuis longtemps.

Le vote pour ma candida-ture permettra, le temps d’une élection, de faire apparaître les travailleurs comme une force politique, comme un camp poli-tique. Mais il faut qu’il se main-tienne après les élections. Car les travailleurs n’ont pas seule-ment besoin d’exprimer leurs intérêts au moment des élec-tions. Ils ont besoin de mener le combat en permanence, au quotidien dans les entreprises, en permanence contre la poli-tique antiouvrière relayée par les gouvernements.

Il faut un parti qui affirme que la société est divisée en

deux classes aux intérêts irré-conciliables et que nous devons nous battre, en ne comptant que sur nos propres forces, pour dé-fendre notre droit à l’existence. Un parti qui affirmera que les travailleurs peuvent se passer du grand capital parce que ce sont eux qui font tout fonction-ner dans la société.

Voter, ce n’est pas encore construire un parti. Mais c’est déjà se rassembler de façon ponctuelle derrière un drapeau. Et d’élections en élections, de mouvements de grève en mani-festations, cela participe de la construction du parti. Alors vo-tez et entraînez les gens autour de vous pour faire entendre le camp des travailleurs et ai-dez-nous à construire un parti pour les travailleurs. [...]

18 janvier 2017

Page 9: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017 7

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

Une politique de construction de fronts pour « lutter contre l’islamophobie » est de plus en plus défendue par une partie de l’extrême gauche. Au point de perdre tout repère de classe, et d’user de démagogie vis-à-vis de l’islam politique.

Le débat sur cette question s’est amplifié avec les diffé-rentes affaires de jeunes filles voilées à l’école, à partir de 1989, et surtout après la loi de 2004 sur l’interdiction du voile à l’école. Il s’est poursuivi avec la polémique sur l’interdiction du voile intégral dans l’espace public, adoptée en 2010.

Depuis les attentats de 2015 et 2016, cette question a pris de l’ampleur. Par exemple, le lamentable épisode de l’affaire du burkini a remis en lumière, l’été dernier, la façon dont les politiciens de droite comme de gauche sont prêts à faire feu de tout bois pour détourner l’at-tention de l’opinion des pro-blèmes essentiels du moment, par démagogie électorale.

Cette récupération de la ques-tion du voile, de la burqa ou du burkini par des politiciens qui se moquent de l’oppression des femmes et ne sont laïcs que lorsqu’ils parlent de l’islam, est choquante. C’est une campagne raciste.

Pour autant , en tant que militants communistes, nous sommes aussi des adversaires résolus de toutes les religions et de toute oppression, et l’ac-tuelle campagne ne doit pas faire perdre aux révolution-

naires toute boussole.

LA GALAXIE DE L’ANTI-ISLAMOPHOBIE

Depuis plusieurs années, une galaxie de groupes se donnant pour objectif la « lutte contre l’islamophobie » se développent et prennent diverses init ia-tives. Certains, comme l’UOIF (Union des organisations isla-miques de France) ou PSM (Par-ticipation et spiritualité musul-manes), sont ouvertement des associations de prosélytisme religieux. D’autres se défendent d’être des organisations reli-gieuses et se cachent derrière des revendications d’égalité, de lutte contre le racisme et contre l’islamophobie. C’est le cas du CCIF (Collectif contre l’islamo-phobie en France), de Mamans toutes égales, du Collectif une école pour toutes, Féministes pour l’égalité, et plus récem-ment d’Alcir (Association de lutte contre l’islamophobie et les racismes). Le Parti des in-digènes de la République (PIR) est aussi à ranger dans cette galaxie.

Depu i s l ’at tentat cont re Charlie hebdo, en janvier 2015, les initiatives de ces groupes

se sont multipliées : rassem-blement anti-islamophobie le 18 janvier 2015 à Paris ; mee-ting contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire le 6 mars 2015 à Saint-Denis ; Marche de la dignité et contre le racisme organisée par le PIR le 31 octobre 2015 ; meeting à Saint-Denis contre l’état d’ur-gence le 11 décembre 2015, ou encore, le 21 septembre der-nier, le meeting d’Alcir baptisé « Pour un printemps de la liber-té, de l’égalité et de la fraterni-té », organisé dans le 20e arron-dissement de Paris.

Ces différentes initiatives ne prêtent pas forcément à la cri-t ique. Le rassemblement du 18 janvier 2015 était une ré-ponse à une manifestation d’ex-trême droite organisée le même jour pour « expulser tous les islamistes ». Et organiser des ré-unions contre l’état d’urgence ou marcher contre le racisme peut sembler juste. La question est de savoir qui organise ces initiatives, quelles idées s’y ex-priment, et ce que des militants qui se disent d’extrême gauche y font et y disent.

Ces rassemblements ont tous été en réalité des tribunes pour des organisations islamistes et communautaristes.

Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF.

RA

HO

UD

EY

FA.

Page 10: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

8

Lors du rassemblement du 18 janvier 2015, des jeunes brandissent des drapeaux al-gériens, turcs, marocains, des panneaux portant des sourates du Coran, et une grande ban-derole : « Touche pas à mon prophète ».

Le meeting du 6 mars 2015 était coorganisé par l’UOIF. Ce-lui du 11 décembre faisait, lui aussi, la part plus que belle aux militants religieux. Certes, des laïcs (journalistes du Monde diplomatique ou représentante du Syndicat de la magistrature) s’y sont exprimés, mais en par-tageant la tribune avec Tariq Ramadan, Ismahane Chou-der, porte-parole de PSM, ou Marwan Muhammad, porte-pa-role du CCIF.

On retrouve les mêmes par-mi les signataires de l’appel pour le meet ing d’A lcir du 21 septembre 2016. Le nom des porte-parole des associations et groupes rel igieux musul-mans figure sur l’affiche, ornée d’une photo d’une femme voi-lée drapée… dans un drapeau bleu-blanc-rouge.

Parmi les signataires de cet appel on trouve le NPA, qui a appelé à ce meeting sur son site, avec cette affiche puant le pa-triotisme et le républicanisme.

Ces différentes initiatives se sont faites avec la participation ou le soutien de groupes ou par-tis de gauche (Attac, Ensemble,

EELV) ou d’extrême gauche (anarchistes l ibertaires, an-tifas, NPA). Et le 18 décembre 2016 encore, a eu lieu une confé-rence internationale contre l’is-lamophobie et la xénophobie, à Saint-Denis, à laquelle appe-laient conjointement le Parti des indigènes de la République et le NPA, et dont l’appel était signé par Olivier Besancenot et Tariq Ramadan.

DES ORGANISATIONS OBSCURANTISTES ET RÉACTIONNAIRES

Il est vrai que le NPA recon-naît des désaccords politiques avec certaines de ces organisa-tions. Certes ! Quand on sait qui sont ces porte-parole de l’an-ti-islamophobie à côté desquels une partie du NPA juge bon de s’afficher, on est même en droit de juger que le mot est faible.

L’UOIF ? Elle a participé, en toute logique, aux défilés contre le mariage homosexuel. Elle a notamment accueilli dans ses congrès Christine Boutin, Dieu-donné, Alain Soral, et les deux égéries de la Manif pour tous, Frigide Barjot et Ludovine de La Rochère. Réactionnaires de toutes religions, unissez-vous !

Le CCIF est représenté par Marwan Muhammad. Cet an-cien trader donne aujourd’hui des conférences en compagnie d’Abou Houdeyfa, l’imam de

Brest qui explique dans ses prêches que ceux qui écoutent de la musique « seront trans-formés en singes ou en porcs ». Marwan Muhammad signe ré-gulièrement des communiqués communs avec Idriss Sihamedi, responsable de l’association BarakaCity, lequel, sur un pla-teau télé en janvier 2016, expli-quait qu’il était « un musulman normal », et qu’en conséquence il « ne serre pas la main des femmes ». Récemment Marwan Muhammad, lors d’un débat, a affirmé que la polygamie ne le regardait pas, puisqu’el le était, « comme l’homosexualité, un choix de vie personnel ».

Terminons ce bref tour d’ho-rizon avec l’association PSM (Participation et spiritualité musu l manes), représentée entre autres par Ismahane Chouder, militante provoile, antiavortement et homophobe, qui se définit pourtant comme féministe et a pris la parole dans tous ces meetings. Hassan Aglagal, un militant marocain du NPA, plus lucide que nombre de ses camarades, écrit dans une tribune intitulée Assez de PSM dans nos luttes : « Participa-tion et spiritualité musulmanes (PSM) est l’association qui repré-sente en France le mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et bien-faisance), mouvement de l’islam politique fondé en 1973 au Maroc par le mystique soufiste Abde-lassame Yassine. » Ce groupe est notamment responsable, au Maroc, « de l’assassinat de deux étudiants d’extrême gauche », en 1991 et 1993.

LE RETOUR DES « RACES »

Le Parti des indigènes de la République (PIR) est lui aussi présent à tous ces rassemble-ments, quand i l n’en est pas l’organisateur.

Le PIR ne se place, lui, pas seulement sur le terrain de la lutte contre l’islamophobie, mais plus généralement sur

Manifestation du 18 janvier 2015, « contre l’islamophobie », quelques jours après les attentats.

DR

Page 11: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

9

celui de la défense politique de tous ceux qu’il appelle les indigènes, c’est-à-dire des vic-times du colonialisme. Enfin, pas toutes : le PIR, peut-on lire sur la page de présentation de son site, « constitue un espace d’organisation autonome de tous ceux qui veulent s’engager dans le combat contre les iné-galités raciales qui cantonnent les Noirs, les Arabes et les mu-sulmans à un statut analogue à celui des indigènes dans les an-ciennes colonies ». Il semble que les Asiatiques, pourtant tout autant victimes des horreurs de la colonisation et de l’impéria-lisme, n’intéressent pas parti-culièrement le PIR.

Ce parti, qui a notamment été à l’origine de la Marche pour la dignité et contre le racisme d’octobre 2015, se réclame non seulement de la défense de la religion musulmane mais, au-delà, remet au goût du jour un terme utilisé par l’extrême droite : la « race ». Ce mot, que des générations de militants du mouvement ouvrier et de scien-tifiques ont banni de leur voca-bulaire, pour la bonne et simple raison que les races n’existent pas dans l’espèce humaine, revient ces derniers temps, y compris dans l’extrême gauche, sous sa forme brute ou à tra-vers le néologisme « racisé ». Ce mot est utilisé sans la moindre nuance dans des dizaines de publications, tracts, journaux, discours, jusqu’au NPA.

Ces idées se sont tellement diffusées, au moins dans une fraction de la jeunesse mili-tante, que des organisations de cet te mouvance ont pu convoquer à Reims, du 25 au 28 août 2016, un « camp d’été décolonial » dans lequel les « non-racisés » (c’est-à-dire les Blancs) étaient tout bonnement interdits. Lors du mouvement contre la loi travail, au prin-temps dernier, des AG ont été organisées dans des facultés, notamment à Saint-Denis et à Tolbiac à Paris, réservées aux

« racisés ».Le PIR se veut le porte-pa-

role de cette évolution. Il étudie toute la société sous le prisme de la couleur de la peau, jamais sous celui des classes sociales ni des rapports économiques. Il assume totalement cette vision racialiste, fondée sur l’idée que les Blancs sont tous coupables de l’oppression des peuples co-loniaux hier, et des immigrés aujourd’hui. Dans son dernier livre, Les Blancs, les Juifs et nous, la porte-parole du parti, Houria Bouteldja, écrit : « Au-dessus de moi, il y a les profiteurs blancs. Le peuple blanc, propriétaire de la France : prolétaires, fonction-naires, classes moyennes. Mes oppresseurs. Petits actionnaires de la vaste entreprise de spo-liation du monde. » Puis : « Le Français, dans son bureau, ça roule pour lui. L’Arabe, lui, est balayeur. »

Ce l ivre abject défend les idées les plus réactionnaires, à commencer par un antisé-mitisme nauséeux (« Vous les Juifs […] je vous reconnaîtrais entre mille, votre zèle est tra-hison. »), une homophobie as-sumée, une exaltation de « la redoutable et insolente virilité islamique » (sic), et une prise de position contre le féminisme, dénoncé comme une exporta-tion blanche : « Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magis-tère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches. […] J’ap-partiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. »

Ces propos devraient suffire, lorsque l’on est communiste révolutionnaire, à s’interdire de faire tribune commune avec ceux qui les profèrent et qui sont pour nous ni plus ni moins que des ennemis politiques.

LE « FÉMINISME BLANC »

Une pa r t ie de l ’ex t rême gauche, dans la foulée de la

mouvance islamiste et du PIR, se débarrasse donc du fémi-nisme d’un revers de la main en introduisant la notion, relative-ment nouvelle, de « féminisme blanc ». Les femmes qui inter-viennent dans les meetings que nous avons mentionnés se disent toutes féministes, mais d’un féminisme islamo-compa-tible, qui consiste à dire : « Je suis une femme, donc je fais ce que je veux, et si j’ai envie de me cacher derrière un voile cela ne regarde que moi. »

C’est une nouvelle variante du relativisme culturel, qui af-firme depuis bien longtemps déjà que, européens et impéria-listes que nous sommes, nous n’aurions pas à juger des pra-tiques « culturelles » des autres pays, en particulier ceux qui ont été colonisés.

Nous nous sommes déjà ex-primés sur le paternalisme que sous-tend cette pseudo-théorie, lorsqu’elle est défendue par des militants de gauche ou d’ex-

Affiche pour le meeting du 21 septembre 2016 organisé par l’Association de lutte contre

l’islamophobie et les racismes (ALCIR), soutenu par le NPA, avec

une photo célébrant à la fois le voile et le drapeau français !

ALC

IR

Page 12: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

10

trême gauche européens : le port du voile, par exemple, leur serait insupportable, à eux. Mais ils l’estiment assez bon pour des femmes musulmanes. Pourquoi ? Parce qu’ils les esti-ment moins évoluées qu’eux ?

Non, le fa it d’exciser les femmes ou de les inciter ou les forcer à vivre toute leur vie cachées aux yeux des hommes, dans une forme d’apartheid sexuel permanent, n’est pas une « prat iq ue cu lturel le » au même titre qu’une danse folklorique. C’est une attaque sauvage contre la moitié de l’humanité.

Bouteldja, qui dit préférer appartenir « à [sa] race et à l’is-lam » plutôt que de dire que son corps lui appartient, va même plus loin : « Un féminisme déco-lonial doit avoir comme impé-ratif de refuser radicalement les discours et pratiques qui stigma-tisent nos frères. » Elle absout ainsi d’avance les lapideurs de femmes et les exciseurs, au nom du féminisme décolonial.

On peut également mention-ner le récent livre de Nargesse Bibimoune, Confidence à mon voile. On y l it par exemple : « Mon cher voile, dis-leur que tu es la preuve de ma soumission à Dieu et uniquement Lui ! Dis-leur

qu’à mes yeux tu es un instru-ment d’émancipation face à une société qui souhaiterait me dic-ter ma manière d’être une femme libérée. »

L e s m i l i t a n t e s c o m m e Nargesse Bibimoune ou Hou-ria Bouteldja choisissent donc d’être des esclaves volontaires de dieu ou des hommes. Tant pis pour elles. Mais nous, mi-litants communistes et révolu-tionnaires, nous pouvons aussi choisir notre camp : dans l’af-faire du voile, puis celle du bur-kini, des dizaines de féministes algériennes, turques, maro-caines se sont exprimées pour dire leur rage devant la com-plaisance de l’extrême gauche française face à ces symboles d’oppression, elles qui risquent tous les jours leur vie à les refu-ser. C’est à elles que vont notre solidarité et notre respect.

LA COMPLAISANCE DE L’EXTRÊME GAUCHE

Une partie de la « gauche de la gauche » organise avec ce mi-lieu réactionnaire toutes sortes d’initiatives, leur ouvre ses co-lonnes ou discute doctement avec eux de leurs positions.

Ce n’est pas par accident. Il y

a longtemps que la LCR, et plus encore le NPA, se refusent à critiquer clairement le voile, et font preuve vis-à-vis de l’islam d’une bonne dose de démago-gie. On se souvient de l’affaire de la candidate voilée du NPA dans le Vaucluse, en 2011. Se re-fusant à affirmer sans ambages le caractère oppressif du voile et de ses divers avatars vesti-mentaires, des membres de ce parti sont allés par exemple, en août dernier, jusqu’à organiser dans le cadre de leur université d’été une manifestation pour défendre le droit des femmes à porter le burkini, aux cris de « Trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ». On n’est, on le voit, pas très loin du féminisme décolonial.

Le NPA a déclaré, à la suite d’une réunion de sa direction nationale les 17 et 18 septembre dernier, que « le NPA, ses mi-litants, ses porte-parole et son candidat seront au cœur de l’ac-tion contre le racisme et l’isla-mophobie ». Un communiqué du 16 octobre appelle à « faire de la lutte contre l’islamophobie une véritable priorité ».

Cela n’a rien de fortuit, de la part d’un courant qui a pour habitude d’épouser les idées d’autres courants, dans l’espoir de gagner l’oreille de telle ou telle fraction de la jeunesse, de la petite bourgeoisie intellec-tuelle ou du monde du travail. Autrement dit : tentons d’atti-rer les jeunes des banlieues à nous… en nous rangeant der-rière des organisations qui, elles, disent ce que ces jeunes veulent entendre, quelque ré-actionnaires que soient leurs idées.

Cet opportunisme est une vieille tradition d’une partie du mouvement trotskyste, la même qui l’a conduite, dans le passé, à soutenir sans s’en dé-marquer les nationalistes des pays colonisés, comme le FLN algérien, ou certains courants staliniens, à trouver des vertus aux associations les plus réfor-

Houria Bouteldja, une des porte-parole du Parti des indigènes de la République, dans un cortège de soutien au Hamas.

PIR

Page 13: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

11

mistes, comme Attac, ou à faire les yeux doux aux décroissants.

COMMUNISME ET RELIGION

Pour just i f ier leur indul-gence pour l’islam politique, les divers groupes d’extrême gauche qui gravitent dans ce mouvement cherchent des jus-tifications théoriques.

La religion musulmane, ex-pl iquent-i ls d’abord, serait , en France, une religion d’op-primés et, à ce titre, non com-parable aux autres religions qui, elles, seraient du côté des oppresseurs.

Que l’islam soit en France une religion majoritairement prati-quée par des opprimés, c’est-à-dire des prolétaires, c’est une certitude. Mais faire ce constat doit-i l mener à se montrer conciliant avec cette religion ? Bien au contraire ! Davantage encore, justement parce que ceux qui sont touchés par cette religion sont les nôtres, nous devons la combattre ! La classe ouvrière, précisément parce qu’elle est la classe opprimée de la société, a moins accès au savoir, à la culture que d’autres couches de la société, ce qui la rend plus perméable à tous les préjugés. Et si ceux-ci prennent la forme de préjugés religieux parmi les travail leurs d’ori-gine maghrébine ou africaine, ils en prennent d’autres, dans d’autres couches du proléta-riat. À commencer par le ra-cisme, hélas bien présent dans la classe ouvrière française. Et pourtant, aucun militant n’imagine ne pas le combattre sous prétexte qu’i l s’agit de préjugés d’opprimés. Pourquoi en serait-il autrement avec la religion ?

Autre argument : le marxisme n’aurait pas de vraie tradi-tion antireligieuse. C’est par exemple ce que prétend un en-seignant de Seine-Saint-Denis, qui défend la liberté de porter le voile à l’école, Pierre Teva-

nian. Son ouvrage, La haine de la religion, explique, en le fal-sifiant, que Marx n’était fina-lement pas si antireligieux que cela. On y lit : « C’est aujourd’hui l’athéisme et le combat antire-ligieux, l’irréligion en somme, qui peut être considérée comme l’opium du peuple de gauche. »

Que le marxisme ne se soit jamais donné comme objectif prioritaire de faire de la pro-pagande antireligieuse, certes. Les communistes ne sont pas des laïcards, du nom de ce cou-rant de bourgeois radicaux au tournant des 19e et 20e siècles qui considéraient que la lutte contre la religion était plus im-portante que la lutte des classes, ou plutôt qui préféraient large-ment que les ouvriers se battent pour la laïcité plutôt que pour remettre en cause l’ordre social.

Marx savait que les préju-gés religieux étaient les consé-quences de l’oppression, et qu’ils ne disparaîtraient pas avant une transformation pro-fonde de la société, en d’autres termes, avant que la société communiste, en supprimant l’exploitation et l’oppression, supprime du même coup les causes de la religion. Et la ligne de démarcation que tracent les communistes, dans la société actuelle, n’est pas entre les laïcs et les religieux, mais entre les prolétaires et les bourgeois.

Pour autant, les marxistes ont toujours considéré la pro-pagande antireligieuse comme indispensable. Être commu-niste, c’est être matérialiste, et être matérialiste, c’est être athée. On peut être athée et se battre, dans une grève, aux cô-tés d’un travailleur croyant. Mais cela n’empêche pas qu’il est du devoir de n’importe quel révolutionnaire communiste d’essayer d’arracher non seu-lement les militants qu’il veut gagner à sa cause, mais même ses camarades de travail et de lutte, à l’emprise de la religion. Trotsky l’expliquait, en 1923 : « Nous adoptons une attitude

tout à fait irréconciliable vis-à-vis de tous ceux qui prononcent un seul mot sur la possibilité de combiner le mysticisme et la sentimentalité relig ieuse avec le communisme. La reli-gion est irréconciliable avec le point de vue marxiste. Celui qui croit à un autre monde ne peut concentrer toute sa passion sur la transformation de celui-ci. » Et à la fin des années 1930 il écrivait encore, dans Défense du marxisme : « Nous, les révo-lutionnaires, nous n’en avons jamais fini avec les problèmes de la religion, car nos tâches consistent à émanciper non seu-lement nous-mêmes mais aussi les masses de l’influence de la re-ligion. Celui qui oublie de lutter contre la religion est indigne du nom de révolutionnaire. »

LE PIÈGE DE « L’ISLAMOPHOBIE »

Il est donc évidemment pos-sible de lutter à la fois contre les discriminations racistes et contre la religion.

C’est la raison pour laquelle le terme d’islamophobie nous a paru ambigu, et il l’est tou-jours par certains aspects, bien que le mot soit devenu d’usage courant. Nous rejetons et com-battons les discriminations qui peuvent s’exercer à l’encontre des musulmans, parce que nous sommes pour la liberté de culte. Mais nous sommes athées, op-posés à toutes les religions. Et l’équation, imposée par les is-lamistes et leurs amis, selon la-quelle lutter contre la religion musulmane signifierait être raciste, est une escroquerie.

Une partie de la classe poli-tique française actuelle rejette et discrimine les musulmans, en tout cas les pauvres, ceux des cités et des usines, car elle ne rejette certainement pas les milliardaires des théocraties du Golfe. Et il est compréhen-sible que nombre de jeunes se sentent victimes d’une oppres-

Page 14: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »

12

sion spécifique, qui existe bel et bien. Comment admettre que les politiciens de droite, qui hurlent à la laïcité et veulent interdire les menus de substi-tution dans les cantines, soient les mêmes qui combattent pour permettre l ’ insta l lat ion de crèches de Noël dans le hall de leur mairie ?

La laïcité des pol it ic iens bourgeois d’aujourd’hui est à géométrie variable, et elle est tournée contre la religion mu-sulmane, comme elle l’a été en d’autres temps contre les Juifs. Et c’est d’autant plus choquant que les mêmes n’ont pas hé-sité, dans le passé, à se servir de l’islam pour tenter de ca-naliser la colère et le ressenti-ment des jeunes des banlieues, comme le fit Sarkozy lorsqu’il créa le Conseil national du culte musulman.

DÉFENDRE LE COMMUNISME

Mais nous estimons que c’est notre rôle, en tant que commu-nistes, de dénoncer l’emprise de la religion musulmane sur la jeunesse d’origine immi-grée ; de nous battre, de militer pour essayer d’arracher celle-ci au « brouillard de la religion », comme écrivait Marx, pour lui ouvrir les yeux, lui faire com-prendre que son émancipation ne se fera pas par la soumis-sion à des principes religieux d’u n autre âge, mais dans l’union de classe avec le reste du prolétariat.

Notre tâche de révolution-naires n’est pas de conforter les travailleurs dans leurs préju-gés religieux, mais de les com-battre. D’expliquer que l’islam politique, fût-il radical, n’a ja-mais combattu l’oppression so-ciale ; que c’est un courant pro-fondément anticommuniste ; que là où il est au pouvoir, il

l’est aux côtés de la bourgeoi-sie, réprime les grèves et as-sassine les militants ouvriers ; que l’islam, comme toutes les religions, prône la soumission et la résignation face à l’ordre social, en un mot que les partis politiques islamistes sont des partis bourgeois. De reprendre à l’identique, en ajoutant sim-plement au mot christianisme ceux de judaïsme et d’isla-misme, les paroles de Marx : « Les principes sociaux du chris-tianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le pro-létariat, qui ne veut pas se lais-ser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que de son pain. »

C’est notre rôle d’expliquer aussi que, si les musulmans sont victimes de discrimina-tions, c’est aussi un résultat de la politique des groupes dji-hadistes eux-mêmes, dont le caractère aveugle des attentats vise précisément et consciem-ment à provoquer des réactions de rejet contre les musulmans chez les Français non issus de l’immigration. Les travailleurs musulmans, en France, sont les secondes victimes des at-tentats, après les morts et les blessés. I l s’agit d’une pol i-tique consciente des dirigeants de l’islam politique, qui rai-sonnent de la même façon que les dirigeants impérialistes, et sont tout autant des ennemis des opprimés.

Pour mener ces lut tes et défendre ces idées, les précé-dents dont on peut s’inspirer ne manquent pas, à commencer par l’exemple du bolchevisme. Car les actuelles attaques isla-mophobes ne sont rien à côté de ce qu’était l’antisémitisme dans la Russie tsariste, qui prenait la forme de pogromes et de mas-sacres de masse. Les militants

bolcheviks, dans ce contexte, n’ont pas choisi la démagogie vis-à-vis du nationalisme juif, et encore moins de la religion, mais ont lutté inlassablement pour arracher les opprimés juifs à cette inf luence, et les intégrer dans le combat général mené par le prolétariat. Le rôle des militants juifs dans le Parti bolchevik et dans la Révolution russe montre à quel point ils ont réussi.

* * *Aujourd’hui, 170 ans après

le Manifeste communiste, il faut apparemment encore rappeler que le communisme n’est pas compatible avec la religion.

Il est aff ligeant de voir des prétendus révolutionnaires se solidariser avec des rebuts d’idées que l’on trouve dans des livres comme ceux de Hou-ria Bouteldja. Ces idées sont la négation même des idées communistes.

Cette évolution est un symp-tôme du recul réactionnaire qui touche la société. Le seul remède contre ce délitement, c’est de défendre sans relâche les perspectives communistes, l’idée qu’on ne peut pas com-battre l’oppression en défen-dant une autre forme d’oppres-sion. C’est de garder sa boussole de classe, de se battre inlas-sablement pour redonner une conscience aux travailleurs plu-tôt que la diluer encore un peu plus, de militer pour construire un parti communiste ouvrier.

Dans ce combat, il est indis-pensable de gagner au com-munisme des jeunes travail-leurs issus de l’immigration, non pas en encourageant leurs préjugés religieux mais en en faisant des révolutionnaires, c’est-à-dire des athées, capables de contrebalancer dans leur propre milieu les idées propa-gées par les ennemis du mouve-ment ouvrier.

15 janvier 2017

Page 15: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017 13

Végétarisme, véganisme et antispécisme : à propos de la considération humaine pour la souffrance animale

Des vidéos chocs des conditions d’abattage des animaux à la remise en cause d’habitudes ali-mentaires voire vestimentaires, en passant par la dénonciation de l’industrie agroalimentaire, la cause animale est arrivée sur le devant de la scène.

Une des associations emblé-matiques de ce courant, l’as-sociation L214 Éthique et Ani-maux, dont les vidéos et photos d’animaux maltraités ont été largement diffusées, n’existe que depuis 2008. Et comme l’a dit à la presse un de ses res-ponsables à l’occasion d’une manifestation contre l’abattage des vaches gestantes rassem-blant plusieurs centaines de personnes et relayée par les médias : « Il y a dix ans, pour une action comme celle-là, on aurait été dix et on se serait fait char-rier tout l’après-midi. »

S’appuyant sur cette sensibi-lisation d’une partie de la po-pulation, il y a quelques mois, plusieurs personnal ités du monde du spectacle, des médias et des écrivains ont publié une tribune dans la presse sous la forme d’un plaidoyer pour le véganisme. Ils y défendaient l’idée d’une alimentation uni-quement végétale et le refus de consommer des produits issus de l’exploitation des animaux, comme les pulls en laine, les chaussures en cuir ou encore le miel des abeilles par exemple.

Comme c ’est le cas dans d’autres pays riches, un véri-table courant s’est développé, touchant essentiellement une partie de la petite bourgeoi-

sie et ayant également un écho parmi les jeunes.

PRENDRE EN CONSIDÉRATION LA SOUFFRANCE ANIMALE

Les idées sur les liens entre les êtres humains et les ani-maux n’ont cessé d’évoluer, tant du point de vue des concep-tions philosophiques et scien-tifiques que du point de vue des sentiments de la majorité des gens. En Europe, jusqu’au 18e siècle, même les penseurs les plus avancés considéraient que, par rapport au monde

animal, ce qui faisait la spé-cificité humaine était d’avoir une âme. Les premiers maté-rialistes de ce 18e siècle eurent l’audace d’imaginer que de la seule matière et de son orga-nisation puissent émerger non seulement la vie mais aussi la pensée, renouant ainsi le lien entre l’humanité et toutes les espèces vivantes. Puis Darwin, avec la découverte de l’évolu-tion des espèces, a donné des fondements scientifiques précis à cette vision unifiée des êtres vivants. À partir du 19e siècle, dans les villes des pays les plus industrialisés, à commencer par la Grande-Bretagne, où la

Une femelle chimpanzé joue avec un bébé tigre blanc dans un zoo de Caroline du Sud.

GA

ÏASP

HÈR

E

Page 16: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Végétarisme, véganisme et antispécisme : à propos de la considération humaine pour la souffrance animale

14

première loi sur la protection des animaux date de 1825, des sentiments différents envers les animaux ont commencé à émerger publiquement. Ceux-ci attisaient en retour l’inté-rêt scientifique pour l’étude du comportement des animaux.

Aujourd’hui, les découvertes scientifiques nous permettent de comprendre la sensibilité des différentes espèces ani-males en comprenant leur sys-tème nerveux. Nous savons que certaines espèces ont un lan-gage qui peut même être très élaboré et que certaines, les plus évoluées, sont capables d’avoir une conscience de soi comme les grands singes, avec tout ce que cela implique de conscience des autres et de sen-sibilité à la souffrance d’autrui. Le primatologue Franz de Waal a raconté qu’il avait observé une femelle bonobo, espèce très proche des chimpanzés, aider un oiseau blessé à s’échapper de l’enceinte du zoo où elle-même était retenue. Mais de toutes les espèces animales, l’espèce humaine est celle qui a pu produire la pensée abstraite la plus élaborée, socle de tout notre développement social. Et notre sensibilité à la souffrance d’autrui jusqu’à la sensibilité à la souffrance des autres es-pèces animales, ce respect de l’autre et de la vie en général, est d’abord l’expression de la capacité, grâce à notre pensée abstraite, de nous mettre à la place de l’autre.

C’est aussi cette capacité qui est à la base de la soif de com-préhension de l’espèce humaine et donc du progrès scientifique. En retour, ce progrès scienti-f ique a constamment élargi l’horizon de notre compréhen-sion du monde. C’est ainsi que l’humanité a pris conscience de la nécessité d’être responsable de son environnement et des conséquences de son action. La prise en considération de la

1 Livre III, section 6, chapitre 46

souffrance animale fait partie de ces préoccupations et de cette conscience. C’est une pré-occupation fondamentalement progressiste et il est positif que ce genre de problèmes émerge.

Les marxistes, à commencer par Marx lui-même, dès avant le succès du darwinisme, ont toujours vu en l’être humain un produit de la nature. Et la phi losophie marxiste a tou-jours défendu l’idée du respect de cette nature et de toutes ses formes de vie, non à partir d’une conception mystique, mais à partir de la conscience que notre destin y était lié. Ce que Marx résumait dans son ouvrage Le Capital en écrivant : « La société elle-même n’est pas propriétaire de la Terre. Il n’y a que des usufruitiers qui doivent l’administrer en bons pères de famille, afin de transmettre aux générations futures un bien amélioré. »1

Ma i s s i l ’hu ma n ité peut avoir une conscience toujours plus aiguë de ce qu’elle devrait faire, son organisation sociale la paralyse. L’économie capi-taliste, fondée sur la propriété privée des moyens de produc-tion et la sacro-sainte concur-rence, l’empêche de planifier l’ensemble de ses actions, donc de les maîtriser et d’en contrô-ler les conséquences. Et c’est ignorer l’essentiel que de ne pas prendre conscience de cet obstacle fondamental au pro-grès humain et à une gestion harmonieuse entre les actions humaines et l’environnement dont fait partie le monde ani-mal. C’est d’autant plus le cas que l’organisation capitaliste marque aussi au fer rouge de la recherche du profit toute l ’organ isat ion économ iq ue et toute la production. Rien n’y échappe, ni la production de nourriture, ni même bien sûr les conditions d’élevage et d’abattage des animaux.

LES PROFITS DE L’AGROALIMENTAIRE, AUX DÉPENS DES ANIMAUX ET DES HOMMES

En mars 2016, une vidéo tour-née en cachette dans un abat-toir du Pays basque par l’asso-ciation L214 montrait comment certains animaux étaient sai-gnés alors qu’ils étaient encore conscients, ce qui est illégal. À l’époque, le gouvernement avait réagi en annonçant des inspections systématiques de tous les abattoirs. Par la suite, d’autres vidéos filmées en ca-méra cachée par la même asso-ciation ont rendu publiques les conditions d’abattages des bo-vins, des moutons, des cochons ou des chevaux.

L’objectif de cette association est de dénoncer l’abattage des animaux. Mais ce que montrent aussi ces vidéos, c’est la réalité du travail dans les abattoirs : un travail à la chaîne, déshumani-sant, comme il en existe dans de nombreuses entreprises de production de différents sec-teurs de l’économie ; un travail rendu peut-être encore plus dur et plus violent justement par la souffrance et la mise à mort des animaux. Ce n’est pas ce sur quoi les associations de dé-fense des animaux, ni la presse, ont insisté. Pourtant, toute une partie du problème est là. La situation des animaux dans les élevages et les abattoirs est, comme celle des travailleurs, soumise à la pression du profit capitaliste. Directement dans les abattoirs privés, indirec-tement dans les abattoirs pu-blics, où elle est contrainte par les économies budgétaires. Et comment pourrait-i l en être aut r e me nt ? Peut- on i m a -giner une multinationale de l’agroalimentaire accepter de voir réduire ses profits ou sa part de marché par souci de la souffrance animale ? Peut-on imaginer un gouvernement

Page 17: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Végétarisme, véganisme et antispécisme : à propos de la considération humaine pour la souffrance animale

15

qui ne cesse de couper dans les budgets publics comme ceux des hôpitaux avec tout ce que cela a de criminel, n’agissant pas de même avec les services vétérinaires responsables du contrôle des abattoirs ? Même du simple point de vue de la souffrance animale, ne pas voir le rôle fondamental que joue cette recherche du profit re-vient à éluder les vraies causes des maltraitances dénoncées. Et alors, plutôt que d’aborder le problème en réf léchissant du point de vue de la remise en cause globale de l’organisation économique et sociale actuelle, certains préfèrent se tourner vers le végétarisme voire le véganisme.

VÉGÉTARISME ET VÉGANISME : DU GESTE INDIVIDUEL AUX CONCEPTIONS MALTHUSIENNES

Manger de la viande ou ne pas en manger est un choix personnel qui peut avoir des motivations extrêmement di-verses comme des raisons de santé ou encore des habitudes alimentaires. Il y a aussi des centaines de millions d’êtres humains qui sont végétariens de fait, car la viande leur est inaccessible. Mais il y a ceux qui sont végétariens pour mar-quer leur opposition à ce qui se pratique dans les abattoirs ou pour dénoncer le fait de tuer des animaux pour se nourrir. Les véganes, adeptes du véga-nisme, sont des végétariens qui, en plus de ne pas manger de nourriture animale, refusent de consommer tout produit issu de l’exploitation des animaux.

C e s g e s t e s i n d i v i d u e l s peuvent résonner comme des attitudes conséquentes. Et du strict point de vue de la souf-france animale, elles le sont. Mais si on prend un peu de recul, ces démarches sont dé-risoires, y compris dans leur dénonciation.

Ceux qui se refusent à man-ger de la viande doivent bien se nourrir. Or, quelle production alimentaire n’est pas entachée d’oppression et d’exploitation ? Ce ne sont pas les fruits et les légumes qui souffrent, certes. Mais ceux qui les cultivent et les récoltent. Là aussi des vi-déos ont révélé des choses cho-quantes. Des reportages ont montré par exemple l’exploi-tation féroce de travailleurs maghrébins, essentiellement des femmes, dans des serres du sud de l’Espagne et l’am-biance raciste et machiste qui pouvait y régner. En France même, l’exploitation féroce est la règle à l’égard des ouvriers agricoles, souvent immigrés. Et qu’en est-il des conditions de travail dans le reste des usines de l’agroalimentaire ? Elles ne sont pas meilleures que celles des abattoirs !

Quant à ceux qui refusent tout produit de l’exploitation des animaux, comme les vête-ments en cuir ou en laine, ils semblent faire bien peu de cas de l’exploitation des êtres hu-mains. L’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, le 24 avril 2013, qui avait fait 1 138 morts et plus de 2 000 blessés, avait révélé à l’opinion publ ique mondiale les conditions de tra-vail chez ces sous-traitants du textile d’un grand nombre de grandes marques aux quatre

coins de la planète. Et on pour-rait prendre de très nombreux exemples car tout ce qui est produit dans cette société capi-taliste l’est par des travailleurs, des ouvriers, des employés, des petits paysans, dont des cen-taines de mil l ions n’ont pas d’autre choix pour survivre que d’aller se faire exploiter dans une usine, un port, un entrepôt, un champ... et dont la vie ne vaut, aux yeux de leurs exploiteurs, parfois pas beau-coup plus cher que celle d’un animal de compagnie. Il y a quelques années, un véritable courant existait également ici dans les pays riches pour dé-noncer cette exploitation féroce dans les pays pauvres, à com-mencer par celle des enfants. Mais d’une cause à l’autre, tout s’est passé comme si, dans cette époque de reculs et de renon-ciations, devant l’immensité de la tâche que représentait la lutte contre l’exploitation, une certaine opinion publique avait fait le choix de se rabattre vers quelque chose de plus à por-tée de dénonciation comme la cause animale.

Il n’empêche que toute l’éco-nomie mondiale est fondée sur l’exploitation. De la plus barbare, dans tous les sens du terme, comme celle qui peut exister en Afrique dans les mines des régions diaman-tifères, à la plus moderne et la

Une chaîne de production dans un abattoir d’agneaux.

ERIC

FR

AN

SCH

I

Page 18: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Végétarisme, véganisme et antispécisme : à propos de la considération humaine pour la souffrance animale

16

plus sophistiquée mais qui peut être aussi meurtrière. Les filets antisuicides des usines du géant Foxconn, sous-traitant d’Apple en Chine, en ont été un exemple frappant qui, lui aussi, a fait le tour du monde. Il ne s’agit sû-rement pas de penser qu’il est possible de vivre en dehors de tout cela, et encore moins de s’y résigner, mais au contraire de combattre ce système dans sa globalité. Ce n’est pas au nom d’une généralisation de la dé-nonciation de tel ou tel aspect de l’économie capitaliste qu’en tant que communistes révolu-tionnaires nous menons notre combat. C’est au nom du combat global contre cette société d’ex-ploitation, pour l’émancipation des opprimés et pour la mise en place d’une société commu-niste capable d’organiser dé-mocratiquement la production à l’échelle mondiale, de la pla-nifier, en prenant en compte les besoins de tous.

Enfin, dans ce courant qui va de ceux qui sont choqués par les révélations sur les pra-tiques d’abattage aux adeptes du véganisme le plus strict, il y a ceux qui théorisent qu’il faudrait aujourd’hui arrêter toute production de viande ou de poisson. Ceux-là ne se sou-cient pas des conséquences sur les centaines de millions voire les milliards d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim ou souffrent de carences alimentaires. Là, i l ne s’agit plus de geste individuel mais d’un militantisme sur un ter-rain carrément réactionnaire. Ceux-là ne font que recycler les vieilles conceptions du pasteur anglais Malthus. Au début du 19ᵉ siècle, alors que la révolu-tion industrielle avait plongé dans la misère tant de travail-leurs anglais, Malthus trouvait qu’il y avait trop de pauvres à nourrir et que le plus naturel était de les laisser mourir. Bien sûr, tous les végétariens ne sont pas malthusiens. Et la plupart de ceux qui sont sensibles à la souffrance animale sont aussi

sensibles à la souffrance hu-maine… mais pas tous.

L’ANTISPÉCISME, THÉORIE À LA MODE MAIS SANS FONDEMENT

Une des théories à la mode chez les véganes est « l’anti-spécisme ». Ce terme a été in-venté dans les années 1970 en extrapolant l’idée de l’antira-cisme. Selon ses défenseurs, les êtres humains exploiteraient les animaux parce qu’i ls les considéreraient comme infé-rieurs. Ce serait du « spécisme », tout comme le racisme serait le mépris d’une race envers une autre.

Cette analogie avec le ra-cisme n’aide absolument pas à

y voir clair. D’abord, il faut rap-peler que les découvertes scien-tifiques ont montré qu’il n’y avait pas de races chez les êtres humains. L’humanité est biolo-giquement une et indivisible. Par contre, i l y a des classes sociales, des oppresseurs et des opprimés. Le racisme n’est pas le produit d’une opposition entre races mais celui de la lutte entre classes sociales. C’est une idéologie au service des oppres-seurs pour diviser les opprimés suivant leur origine géogra-phique, la couleur de leur peau, leur religion, ou quelque autre prétexte que ce soit… Entre les espèces animales, il n’y a pas de lutte de classe, ni de lutte entre espèces. Il y a l’évolution. Et si on veut réfléchir aux rapports entre les êtres humains et les

Page 19: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Végétarisme, véganisme et antispécisme : à propos de la considération humaine pour la souffrance animale

17

espèces animales, c’est du côté de l’évolution biologique et so-ciale de l’espèce humaine qu’il faut regarder.

Pendant la plus grande partie de son histoire, l’humanité s’est comportée vis-à-vis du monde animal exactement comme les autres animaux entre eux. Les ancêtres des êtres humains ont d’abord été des charognards se nourrissant de cadavres d’animaux. Puis l’évolution bio-logique a transformé l’espèce humaine. Équipés d’armes et d’outils qu’ils ont été capables de fabriquer, les êtres humains sont devenus chasseurs, c’est-à-dire des prédateurs comme bien d’autres animaux. Enfin, l’évolution sociale prenant le relais de l’évolution biologique, l’humanité s’est mise à accumu-ler ses premiers savoir-faire et ses premières connaissances. Et dans différents endroits de la planète, indépendamment les uns des autres, il y a une di-zaine de milliers d’années envi-ron pour les premiers, certains êtres humains ont découvert la possibilité de domestiquer des animaux et de faire pous-ser des plantes. De prédateurs, ils sont devenus producteurs. Cette étape fondamentale de l’histoire humaine repose sur la domestication d’animaux et l’apparition de l’élevage. Mais cela n’aurait aucun sens de le regretter. Cette étape fonda-mentale a également entraî-né la division de la société en classes, les inégalités sociales, et même le développement de l’esclavage et des guerres. Mais ce bouleversement fantastique, auquel de nombreux anthropo-logues ont tenu à donner le nom de révolution néolithique, a été le socle de tout l’essor de la civi-lisation humaine.

Dix mille ans plus tard, l’hu-

manité pourrait-elle se passer de l’élevage ? Aujourd’hui, sa-chant que plusieurs milliards d’êtres humains ne mangent pas à leur faim, c’est une évi-dence que non ! Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Comment l’humanité se nourrira-t-elle ? Quels seront alors les rapports entre les êtres humains et les animaux ? Ces questions sont légitimes. Mais il faut espérer que l’humanité se sera aussi débarrassée des inégalités sociales et de l’orga-nisation économique capita-liste aberrante fondée sur la concurrence et la recherche du profit maximum. Alors, que pourrait faire une humanité capable d’utiliser le haut degré de développement des forces productives dans une économie planifiée démocratiquement à l’échelle mondiale ? C’est im-prévisible car des possibilités immenses s’ouvriront alors.

La sensibilité à la souffrance animale est un sentiment pro-fondément humain dans tous les sens du terme. C’est celui d’être touché par la souffrance d’autrui, d’être capable d’empa-thie envers les autres, y compris les animaux. Et ce genre de sen-

timent altruiste doit pousser à vouloir comprendre le monde actuel dans sa globalité. Car comprendre que l’humanité est aujourd’hui empêtrée dans des contradictions où une infime minorité exploiteuse profite de sa position dominante pour étouffer la société, est la clé de bien des problèmes.

C e t t e c o m p r é h e n s i o n peut pousser à vouloir agir consciemment pour mener le combat contre le système capi-taliste actuel. C’est-à-dire ex-proprier la classe dominante pour mettre l’économie mon-diale au service de tous. C’est le communisme. Ce n’est sû-rement pas la solution à tout. Mais c’est le seul moyen pour que l’humanité soit enfin en si-tuation de maîtriser ce qui n’est en définitive rien d’autre que sa propre société, rien d’autre que le fruit de ses propres actions. Et c’est le seul moyen qu’elle puisse enfin gérer consciem-ment toutes les conséquences de ses actes jusqu’à, par exemple, sa manière de s’alimenter et ses rapports avec le reste du monde animal.

12 janvier 2017

Reconstitution d’une des agglomérations les plus anciennes, le village néolithique de Çatal Höyük situé dans l’actuelle Turquie.

CD

ARM

AN

GEA

T.BL

OG

SPO

T.FR

Page 20: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 201718

Italie : la Constitution hors des mythes

Le référendum italien du 4 décembre sur la réforme constitu-tionnelle s’est soldé par un non massif à cette réforme et la démission du Premier ministre Mat-teo Renzi, qui en avait été le promoteur. Le non a été en grande partie une réaction populaire témoignant du mécontentement à l’égard du gouvernement Renzi, mais, parmi les partisans du non, on trouvait aussi bien les partis de droite – Forza Italia de Berlusconi et la Ligue du Nord de Matteo Salvini – qu’une partie de la gauche et de l’extrême gauche. Ces dernières motivaient leur non à une réforme de la Constitution en lui attribuant un caractère démocratique et social particulier, celui d’une République « née de la Résistance ». Cet argument, traditionnel au sein de la gauche italienne, requiert quelques mises au point comme le fait l’article suivant, traduit du journal de nos camarades de l’Internazionale (Italie – UCI) et écrit à la veille du référendum.

Dans la campagne pour le ré-férendum sur la réforme consti-tutionnelle du 4 décembre, de nombreux appels propagan-distes ont fait référence aux orig ines de la Const itut ion italienne, à ses particularités et même à sa… beauté. Mais, au-delà de l’échéance référen-daire, i l est bon d’être clair sur cette question. En effet des idées et des mythes, autrefois largement diffusés surtout par le Parti communiste ital ien (PCI), sont aujourd’hui repris et recyclés par un vaste front de courants politiques et intellec-tuels plus ou moins de gauche, avec pour résultat d’augmenter la confusion et de mettre de nouveaux obstacles sur la voie de la maturation politique de la classe travailleuse.

LA GUERRE ET LA PEUR DE LA RÉVOLUTION

Comme une bonne part ie des Constitutions européennes d’aujourd’hui, celle de l’Italie est un produit de la Deuxième Guerre mondiale. Pour mieux

dire, elle est un produit du nou-veau partage du monde qui en a résulté. Plus même, elle re-flète la peur, partagée par tous les gouvernements au cours du conf lit et même avant ce-lui-ci, que puisse se répéter ce qui déjà s’était produit à l’issue de la Première Guerre mon-diale : un cycle de révolutions ou de tentatives révolution-naires, qui en 1917 avait mené le prolétariat au pouvoir dans un pays, la Russie, et menacé sérieusement le système capi-taliste dans nombre d’autres, dont l’Italie.

Bien sûr, le cadre avait alors changé. La révolution russe, dans la seconde moitié des an-nées 1920 déjà, avait été dévo-rée par la dégénérescence bu-reaucratique, dont Staline et le stalinisme avaient été l’ex-pression, et par le ref lux des luttes ouvrières et paysannes en Europe, Amérique et Asie. En tout cas, la vague de grèves de 1943 et 1944 en Italie pouvait faire penser à l’approche d’une nouvelle crise révolutionnaire. Dans ces grèves, les militants liés au PCI clandestin avaient

eu un rôle fondamental.Il est vrai que Staline avait

déjà donné de grandes assu-rances à ses alliés anglais et américains sur le fait qu’i l n’avait aucune intention d’im-pulser des révolutions sociales, ni dans les zones occupées par l’armée soviétique, ni en se ser-vant des partis communistes d’Europe occidentale. Du reste, en 1943 il avait dissous l’In-ternationale communiste, der-nier reste désormais formel de l’internationalisme révo-lutionnaire de Lénine. Trois ans auparavant, il avait fait as-sassiner Trotsky dans son exil mexicain, offrant un moment de soulagement aux gouverne-ments du monde entier. Encore auparavant, i l s’était chargé d’éliminer les dirigeants révo-lutionnaires les plus influents dans le cours de la guerre civile espagnole qui avait éclaté en 1936. Mais personne, y compris Staline, ne pouvait garantir que la flamme de la révolution prolétarienne ne se serait pas rallumée.

Un premier reflet juridique de la peur des classes diri-

Page 21: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Italie : la Constitution hors des mythes

19

geantes fut en Italie le Mani-feste de Vérone de la République de Salò de 1943. Mussolini et les fascistes tentaient de trou-ver un peu de bienveil lance du côté d’une classe ouvrière rendue toujours plus hostile à la poursuite de la guerre et à l’aggravation de la misère. La seule épithète « sociale » accolée à la république mussolinienne en dit long à ce propos. Le Ma-nifeste de Vérone fixe les règles pour la convocation d’une As-semblée constituante, définie comme « pouvoir souverain d’origine populaire » ; et le fait qu’il proclame que « la base de la République sociale et son pre-mier objet est le travail » donne à réfléchir.

La ressemblance est évidente avec le premier article de la Constitution républicaine de 1946, si souvent évoqué par des politiciens et des dirigeants syndicaux qui présentent cette phrase vide comme un certi-ficat de garantie du caractère de démocratie sociale qu’au-rait l’État italien ou, mystifica-tion encore plus dangereuse, comme une sorte de police d’as-surance pour la classe travail-leuse. Ce n’est sans doute pas un hasard si le rédacteur de cet ar-ticle fut le démocrate-chrétien Amintore Fanfani, qui fut un partisan convaincu du corpo-ratisme fasciste et professeur de « mystique fasciste » ainsi que signataire du tristement célèbre Manifeste pour la dé-fense de la race de 1938.

TOGLIATTI À LA REMORQUE DE LA BOURGEOISIE ITALIENNE

Le 2 juin 1946, un an après la fin de la guerre, la popula-tion italienne était appelée au même moment à élire les repré-sentants à l’Assemblée consti-tuante et à s’exprimer par ré-férendum sur le maintien de la monarchie ou le passage à la ré-publique. Les événements qui accompagnèrent la convocation

de l’Assemblée constituante, le rôle des principaux partis qui la composaient, c’est-à-dire la Démocratie-chrétienne, le Parti communiste, le Parti socialiste, ne peuvent certes pas être ana-lysés dans un seul article de journal. Contentons-nous de dire que ce qui pesa fortement fut les pressions exercées par les forces militaires alliées, par le Vatican, ainsi que la conduite du PCI de Togliatti. Déjà lors de ce qui fut appelé le « tournant de Salerne » de 1944, ce dernier expliqua péremptoirement à

un parterre incrédule de mi-litants à peine sortis des per-sécutions fascistes que ce qui était à l’ordre du jour n’était pas le renversement de l’ordre capitaliste (ni même de la mo-narchie) mais seulement l’affir-mation d’un régime constitu-tionnel et parlementaire. C’était la traduction italienne de la politique étrangère de Staline qui, à part le ton différent de la propagande, ne changea même pas lorsque, au cours de l’année 1947, on entra dans l’époque de la guerre froide.

Après l’attentat contre Togliatti, en juillet 1947: des manifestations imposantes auxquelles lui-même ordonna de mettre fin.

CR

ÉDIT

DA

GO

SPIA

;IT

Le congrès du PCI stalinien en 1951, sous des mots d'ordre qui n'ont plus rien de révolutionnaire

DEL

LAR

EPU

BB

LIC

A

Page 22: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Italie : la Constitution hors des mythes

20

Malgré cela, d’importants secteurs ouvriers, surtout dans les vi l les du Nord, considé-raient que leur participation à la Résistance n’avait été que la première étape d’une révolu-tion socialiste. On eut la preuve de la diffusion de ce sentiment quand, en juillet 1948, un étu-diant de droite attenta à la vie de Togliatti, le secrétaire gé-néral du PCI. Les travailleurs descendirent dans la rue, se lançant dans une grande grève générale et une série de ma-nifestations de caractère in-surrectionnel. Le bilan fut de dizaines de morts et de cen-taines de blessés. Le secrétaire du PCI, de son lit d’hôpital, don-na une nouvelle grande preuve de responsabilité en imposant la suspension de la grève et des manifestations de rue. Pour les cercles dirigeants de la bour-geoisie italienne, le rôle de la direction communiste en tant que soutien au capitalisme était définitivement confirmé.

Le Vatican doit encore à To-gliatti et à son réalisme poli-tique la confirmation des ac-cords du Latran signés entre Mussolini et le cardinal Gas-parri en 1929, qui furent in-sérés dans la Const itut ion à l’article 7. Les Partis socia-liste et communiste auraient pu mettre la Démocratie chré-tienne en minorité à l’Assem-blée constituante, mais le PCI se rangea avec celle-ci contre le front des forces laïques. Ainsi, bien au-delà de la liberté du culte, on réaffirma une posi-tion privilégiée de l’Église ca-tholique qui a permis jusqu’à aujourd’hui sa présence vaste et diffuse dans des domaines comme l’enseignement et la santé, en plus d’une série de fa-cilités fiscales pour les autorités ecclésiastiques.

LES CONSTITUTIONS BOURGEOISES

Un examen plus approfondi

de la Constitution demande-rait plus de place. Mais c’est justement parce qu’en fin de compte son originalité est bien moins grande que ses affinités avec les Constitutions démo-cratiques bourgeoises typiques qu’on peut en dire ce que déjà Marx disait de la Constitution française de 1848 à propos des libertés démocratiques : « Cha-cune de ces libertés fut procla-mée comme un droit absolu du citadin français, mais toujours avec cette note marginale qu’elle n’était illimitée que dans la me-sure où elle n’était pas bornée par les “droits égaux d’autrui et la sécurité publique”, ou par des “lois ayant justement pour tâche de maintenir cette har-monie’’ ». En d’autres termes : au droit proclamé dans la pre-mière part ie de chaque ar-ticle s’ajoute presque toujours un renvoi aux modalités, aux formes, aux limites dans les-quelles un tel droit peut être exercé. Concernant la liberté de grève, la Constitution ita-lienne spécifie ainsi : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » (ar-ticle 40). On peut en dire autant pour la liberté d’association, de réunion, de presse, etc.

Les quelques parties de la Constitution où des droits sont exprimés clairement et sans conditions ont été, au cours des décennies qui nous séparent de son entrée en vigueur, tout simplement ignorées par les gouvernements, les partis, et même la magistrature. C’est le cas de l’article 36, qui affirme garantir à chaque travailleur un salaire permettant une exis-tence digne pour lui et sa fa-mille. Cette arrogante indif-férence à l’égard d’un article de la Constitution a aussi été celle des syndicats. L’abolition de l’échelle mobile des salaires et l’accord sur la concertation contractuelle de 1993, qui ont profondément contribué à l’ap-pauvrissement de la classe ou-vrière jusqu’à nos jours, vont

tout à fait en sens contraire de l’article 36.

En 2012, l’introduction de l’obligation d’un équilibre bud-gétaire par la modification de l’article 81 de la Constitution a éliminé en pratique la validité de tout droit constitutionnel. C’est comme s’il était écrit en bas de chaque article : « Droit d’instruction, de soins médi-caux, d’assistance aux handi-capés, etc., mais seulement si cela n’implique pas un déficit budgétaire. »

Pour conclure, le mythe de la Constitution ne tient pas à l’épreuve des faits historiques. Plus que de la Résistance, la Constitution est née des équi-libres internationaux qui se sont établis dans l’après-guerre et de la nécessité d’amortir les possibles tendances révo-lutionnaires des classes tra-vailleuses en faisant semblant de reprendre, à sa manière et dans un premier temps, leurs revendications. Le but était de garantir la continuité du pou-voir de la classe capitaliste. Ce qu’il pouvait y avoir de révo-lutionnaire dans la Résistance, en premier lieu les aspirations socialistes et communistes des militants ouvriers, a été élimi-né du papier de la Constitution. Tout au plus il en a été fait une caricature.

Des fleuves de rhétorique pa-triotique ne peuvent effacer le caractère de classe du pouvoir politique, en Italie comme dans le reste du monde. Le pouvoir, jusqu’à nos jours, n’a jamais été dans les mains du peuple et la seule vraie souveraine-té est celle du capital et de ses possesseurs. La Résistance n’a créé aucun parcours historique particulier pour l’Italie et son pâle ref let constitutionnel l’a encore moins fait. Les travail-leurs d’Italie ont face à eux un appareil d’État, avec son Parle-ment, ses lois, sa Constitution, qui est fondamentalement un instrument aux mains de la grande bourgeoisie.

Page 23: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017 21

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

La mort de Fidel Castro, le 25 novembre dernier, a été l’occasion pour la majorité des médias de déverser leur fiel sur le régime né de la révolution cubaine de 1959. Pour des commentateurs défendant le point de vue des possédants, le régime castriste n’est qu’une méprisable dictature puisqu’on n’y vote pas ; ils oublient que, si on vote aux États-Unis, le président peut être élu avec trois millions de voix de moins que sa rivale. Et personne n’a relevé que, malgré l’embargo et la disparition de l’aide soviétique, Cuba reste au 67e rang dans le classement de 188 pays en fonc-tion de leur indice de développement humain et, mieux encore, au 30e rang pour l’éducation et au 33e pour l’espérance de vie. Ces résultats, très enviables pour la plupart des pays du monde, y compris les États-Unis, expliquent à la fois l’élan populaire manifeste lors des obsèques du dirigeant cubain et la hargne des puissances impérialistes.

Nous ne revenons pas ici sur l’histoire de la révolution cu-baine, mais sur le débat qu’elle déclencha au sein du mou-vement trotskyste ; un débat commencé dès l’apparition des démocraties populaires, en Eu-rope de l’Est après 1945.

En concluant que les démo-craties populaires, la Chine de Mao et le Cuba de Castro étaient des États ouvriers, plus ou moins déformés puisque la classe ouvrière, à la diffé-rence de la révolution russe, n’y avait joué aucun rôle dirigeant, la major ité du mouvement trotskyste induisait que des forces politiques étrangères, voire hostiles, au prolétariat pouvaient néanmoins donner naissance à des États ouvriers.

L’Anticapitaliste (1/12/2016), l ’hebdomadaire du NPA, et Inprecor (novembre-décembre), revue du Bureau exécutif de la IVe Internationale, ont publié le même article de François Sa-bado sur Fidel Castro et la ré-volution cubaine. Il y reprend un aspect de l’appréciation du

courant international auquel appartiennent des militants du NPA, selon lequel « l’alchi-mie entre Fidel et Che Gueva-ra renoue avec les meilleures traditions internationalistes du mouvement ouvrier » que se-raient la conférence Triconti-nentale de 1966, les maquis de Che Guevara au Congo en 1965 et en Bolivie en 1967, et l’in-tervention cubaine en Ango-la à partir de 1975. Mais il ne rappelle pas que son courant a considéré Cuba comme un État ouvrier ayant seulement besoin de quelques réformes. Il conclut sur sa crainte de le voir prendre la « voie chinoise ou vietnamienne », en clair celle du capitalisme.

On est loin de l’euphorie dé-clenchée en 1959 par la victoire castriste chez les intellectuels et au sein de l’ancêtre du Bu-reau exécutif, le Secrétariat in-ternational (SI), courant dirigé alors par Michel Pablo, Pierre Frank, Ernest Mandel et Livio Maitan.

NAISSANCE MIRACULEUSE D’UN « ÉTAT OUVRIER PARTICULIER »

Lorsque la révolution cu-baine éclata en janvier 1959, le mensuel français du SI, La Vérité des travailleurs, reprit un article de Voz proletaria (Voix prolétarienne), journal argen-tin du courant trotskyste lati-no-américain alors associé au SI, dirigé par Juan Posadas et ayant des camarades à Cuba. Le rédacteur estimait que, « les armes à la main, les guérilleros peuvent aller très loin dans la pression sur le gouvernement et pour les décisions sociales, éco-nomiques et politiques ». Mais « jusqu’à maintenant le mouve-ment de Fidel Castro s’est borné à obtenir l’appui des populations paysannes. Aucun de ses mots d’ordre n’a été lancé pour obtenir l’appui du prolétariat. En plus de la composition bourgeoise de la direction du mouvement, son alliance avec Prio Socarras [président de la République de 1948 à 1952, renversé par un

Page 24: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

22

coup d’État] ne pouvait attirer le soutien du prolétariat. »

En septembre-octobre 1959, la revue du SI, Quatrième Inter-nationale, décrivait encore les dirigeants castristes pour ce qu’ils étaient : « une équipe d’ori-gine sociale plutôt petite-bour-geoise et même intellectuelle, que ne soutient aucun parti, aucun mouvement politique organisé », ayant « des traits particuliers aux révolutionnaires de 1848 et aux Zapata mexicains de 1911 » et soulignait que « les formes de l’appareil étatique sont, mal-gré l’épuration du personnel, restées les mêmes, c’est-à-dire bourgeoises ». Elle concluait : pour que la « révolution cubaine se maintienne et réalise ses ob-jectifs démocratiques bourgeois — liquidation réelle de toutes les séquelles de l’impérialisme, la terre aux paysans qui la tra-vaillent —, elle a besoin de s’as-seoir sur l’organisation adéquate des masses révolutionnaires, organisées en partis, comités, syndicats », ajoutant que, « dans ce processus, l’organisation d’un parti marxiste révolutionnaire de masse s’avérera le facteur essentiel ».

Ma i s en décem bre 1960 Pierre Frank annonçait dans La Vérité des travailleurs : « Cuba, un nouvel État ouvrier ». Selon lui, « à l’exception de petits sec-teurs non décisifs pour l’écono-

mie de l’île de Cuba, l’économie est nationalisée et planifiée. Le vieil appareil d’État bourgeois est détruit : l’armée rebelle et les milices ouvrières et paysannes constituent les forces armées du régime actuel. Autrement dit, il n’y a plus à Cuba un régime ca-pitaliste ; il existe les bases d’une économie socialiste. » Un article de mai 1961 de Voz proletaria précisait que Cuba était un « État ouvrier particulier » car « l’appareil étatique n’est pas de composition ni de structure ou-vrière. À Cuba n’existe pas une forme de pouvoir soviétique, des conseils ouvriers et paysans. »

Selon ces camarades, il y avait donc eu d’abord un gouverne-ment bourgeois après l’entrée de Castro à La Havane en jan-vier 1959. Mais à l’été, Castro changeant le président de la République et Guevara prenant la direction de la banque na-tionale, Cuba devenait un gou-vernement ouvrier et paysan... puis un État ouvrier, quand Castro nationalisa en 1960. Ain-si, les mêmes hommes, le même parti, pouvaient tour à tour re-présenter une coalition capi-taliste, un gouvernement ou-vrier et paysan et la dictature du prolétariat. Les rapports de force entre classes réelles ne comptaient pas, puisqu’ils pou-vaient rester fixes pendant ces changements d’étiquette !

C’était aussi tirer un trait d’égalité entre socialisme et nationalisation, une aberration pour des marxistes. L’État de la bourgeoisie peut prendre le contrôle de l’économie, mais cela n’a rien à voir avec le so-cial isme, qui est la mise en commun de toute l’économie pour toute la société, et n’a de sens qu’à l’échelle mondiale. Cela, seule la classe ouvrière peut le faire, parce qu’elle est une classe internationale, et à condition qu’elle s’empare du pouvoir en brisant l’ancien ap-pareil d’État de la bourgeoisie, ce que personne ne fera à sa place.

À Cuba, le prolétariat avait une importante tradition de lutte. Dès 1933, des militants trotskystes y avaient même eu de l’influence. Et, même sous la dictature de Batista, de 1952 à 1959, il y eut une forte comba-tivité ouvrière. La principale centrale syndicale, la Confé-dération des travail leurs de Cuba, était dirigée par une bu-reaucratie corrompue, liée au dictateur, mais il y avait des militants combatifs dans les transports, le sucre et le tabac.

En 1954, ces travai l leurs s’opposèrent avec succès à la construction d’un canal, ima-giné par les États-Unis, qui au-rait coupé l’île en deux. Et il y eut aussi plusieurs vagues de grèves entre 1957 et 1959. Mais cette combativité ne se tradui-sit pas sur le plan politique. Le parti trotskyste s’était dissous en 1947 et le PC ne proposait qu’une alliance avec des partis bourgeois, s’alliant même avec Batista dans les années 1940. Des ouvriers militants, et même des trotskystes, rejoignirent le mouvement de Castro, dans le maquis ou en appui dans les villes. Mais la classe ouvrière ne fut jamais en situation de prendre la tête de la lutte pour renverser Batista. Jamais n’ap-parurent les organes de pouvoir ouvrier qui auraient pu être les instruments de la démocra-

Castro dans la Sierra Maestra.

K.S

. KA

RO

L

Page 25: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

23

tie ouvrière. Les travailleurs cubains ne cherchèrent pas à prendre en main la direction de l’île, pas plus qu’ils ne brisèrent l’appareil d’État comme les ou-vriers russes en 1917.

LE FANTÔME DE LA RÉVOLUTION PERMANENTE

En mai 1961, La Vérité des travailleurs affirma pourtant que « la révolution permanente accomplit son œuvre ». C’était piétiner le contenu réel que lui donnait Trotsky. Dans L’In-ternationale communiste après Lénine, par exemple, il expli-quait à propos de la révolution chinoise de 1925-1927 que, si celle-ci « contient en soi des ten-dances à devenir permanente », cela n’est possible « que pour autant qu’elle contient la possi-bilité de la conquête du pouvoir par le prolétariat. [...] Seul le pro-létariat, après s’être emparé du pouvoir de l’État et avoir trans-formé celui-ci en instrument de lutte contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation aussi bien à l’intérieur du pays qu’au-delà de ses frontières, conquiert par là la possibilité d’assurer à la révolution un ca-ractère continu, autrement dit de l’amener jusqu’à l’édification de la société socialiste intégrale. Une condition nécessaire à cela est de mener par conséquent une politique préparant le proléta-riat en temps voulu à conquérir le pouvoir. »

Le 6 juillet 1961, dans une lettre adressée à Castro, Michel Pablo lui décernait néanmoins un brevet de marxisme : « Pour tout ce que vous avez fait jusqu’ici et faites actuellement, vous ap-partenez de facto à la lignée des grands révolutionnaires, qui ont su découvrir, assimiler, interpré-ter et développer le marxisme de manière créatrice et profon-dément révolutionnaire, comme Rosa Luxemburg, comme Lé-nine, comme Trotsky [...]. La ma-nière révolutionnaire, directe, fraîche et antidogmatique, sou-

vent originale, avec laquelle vous avez abordé et résolu les questions importantes [...]. C’est la voie du véritable marxisme créateur. » Et cela, comme Pablo le soulignait, « en l’absence d’un parti marxiste et d’institutions soviétiques » et bien que la révo-lution soit « encore dirigée d’en haut par les hommes de l’armée révolutionnaire ». Pour Pablo et le SI, la révolution socialiste pouvait être réalisée par une guérilla paysanne dirigée par des intellectuels non marxistes, sans parti ouvrier révolution-naire et sans aucune interven-tion dirigeante et consciente de prolétaires en lutte !

Depuis 1953 existait un autre courant, le Comité internatio-nal, regroupant l’Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert, la So-

cialist Labour League (SLL) bri-tannique de Gerry Healy et le Socialist Workers Party (SWP) américain de James P. Cannon. En août 1961, la revue de l’OCI, La Vérité, analysa la révolu-tion cubaine. Bien qu’ils aient en commun la même analyse que le SI des démocraties popu-laires et de la Chine, des États ouvriers déformés, ils furent moins pressés de conclure que Cuba était un État ouvrier. « Le gouvernement cubain est un gouvernement petit-bourgeois, par sa base sociale originelle, par sa composition sociale, par son idéologie. [...] Ou bien l’État traditionnel rajeuni évoluera vers une bureaucratisation et une victoire bourgeoise, et il dé-truira les éléments de pouvoir ouvrier, milices, conseils [...] ; ou bien milices et conseils devien-

La revue Quatrième Internationale, en 1975.

Page 26: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

24

dront les organes et la base d’un État ouvrier. » L’État cubain était toujours bourgeois et pas encore ouvrier. Cela ne fut pas du goût du SWP, dont la majori-té avait, dès 1959, une approche de la question voisine de celle du SI. En 1963, le SWP réintégra ce dernier, qui prit le nom de Secrétariat unifié (SU). Quant à savoir de quel côté penche-rait l’État cubain, les lecteurs de La Vérité attendirent 1979 pour apprendre que c’était de-venu un État ouvrier déformé. Et encore c’était l’appréciation d’un seul dirigeant de l’OCI, autorisé à dire son sentiment, tandis que ses camarades in-diquaient qu’ils se réservaient d’en rediscuter.

LES CASTRISTES : DES ANTI-IMPÉRIALISTES MAIS PAS DES SOCIALISTES

Les castristes avaient pour-tant été clairs. Fidel Castro se présentait en 1959 comme « ni socialiste, ni capitaliste, mais humaniste », cherchant des al-liés au sein de la bourgeoisie opposée au dictateur Batista et souhaitant maintenir des relations avec les États-Unis. Ernesto Guevara donna la clé de leur orientation : « Pour savoir jusqu’où Cuba ira, il vaudrait mieux demander au gouverne-ment des États-Unis jusqu’où il a l’intention d’aller. »

La radicalisation des diri-geants cubains fut en effet la conséquence de l’intransi-geance de l’impérialisme amé-ricain qui, craignant que le succès castriste ne fasse tache d’huile en Amérique latine, re-fusa tout compromis. Guevara l’expliquait ainsi : « Ce qui in-quiète l’impérialisme, [...] c’est le sort du pétrole vénézuélien, du coton mexicain, du cuivre chilien, des troupeaux argen-tins, du café brésilien, qui font la r ichesse des monopoles américains. »

Les dirigeants cubains au-

raient pu plier devant l’impé-rialisme mais, nationalistes conséquents, ils exproprièrent les compagnies américaines puis l’essentiel de l’économie. Et quand, en 1960, Washing-ton rompit les accords commer-ciaux avec Cuba, notamment sur l’achat de sucre, les cas-tristes se servirent de l’exis-tence des deux blocs, en conflit depuis 1947, pour se rappro-cher de l’URSS, qui allait dé-sormais leur fournir une aide économique indispensable à

leur survie. Le mouvement cas-triste fusionna alors avec le Parti communiste.

Les castristes renversèrent la dictature de Batista et ré-sistèrent plus d’un demi-siècle à l’impérialisme américain ; à ce titre, il était juste de les soutenir. Mais cela n’en faisait ni des révolutionnaires prolé-tariens, ni des marxistes, dont le but est l’émancipation des travailleurs du monde entier, et donc de favoriser le développe-ment d’organes de pouvoir de la classe ouvrière elle-même, instruments indispensables à l’expression de la démocratie ouvrière.

Guevara quitta un poste de ministre pour combattre au Congo en 1965 et en Bolivie, où il devait être tué en 1967. Son engagement était indiscutable, mais il ne se situait pas dans le camp du prolétariat. Dans son Journal de Bolivie, rédigé pendant sa dernière guérilla, apprenant que des mineurs, pourtant fer de lance du mou-vement ouvrier bolivien, sont en lutte pour défendre leurs

Castro et Khrouchtchev, le grand amour.

Ernesto Che Guevara.

UPU

RE

VO

LUC

ION

Page 27: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

25

droits, il estime que c’est une perte de temps et qu’ils feraient mieux de rejoindre son maquis.

LES TROTSKYSTES ET LA GUÉRILLA

E n A m é r i q u e l a t i n e , à l’époque, sévissaient des dicta-tures au service des États-Unis et soutenues par eux. Il n’y avait guère de vie parlementaire. Et, en l’absence de partis commu-nistes révolutionnaires offrant une autre issue, de nombreux jeunes de la petite bourgeoisie, sous l’impulsion de la révolu-tion cubaine, prirent les armes plutôt que rejoindre un parti traditionnel. Toute une géné-ration, en Amérique latine, vit alors dans la guérilla paysanne le moyen de changer la société. Le rôle des militants trotskystes aurait dû être de proposer un combat autrement plus radical : choisir le camp du prolétariat. Les trotskystes latino-améri-cains qui le firent réussirent à recruter des castristes, mais Pablo et le SU engagèrent leurs militants dans des guérillas.

En 1965, Pablo, plagiant des théoriciens de la guérilla qui considéraient la misère des paysans comme un brevet révo-lutionnaire et étaient hostiles à la classe ouvrière, décréta : « La force principale révolutionnaire dans l’écrasante majorité des pays du tiers-monde n’est pas le prolétariat restreint et relative-ment privilégié des villes, mais la paysannerie traditionnelle, les ouvriers agricoles des exploi-tations étrangères ou féodales ou capitalistes indigènes, et les couches d’orig ine paysanne qui affluent dans les villes sans possibilité de s’intégrer dans le processus productif. » Il se pla-çait ainsi aux antipodes d’un Trotsky qui, dans une confé-rence sur la révolution russe en novembre 1932 devant des étudiants danois, avait expli-qué que la paysannerie est un ours qui a besoin, pour que sa combativité serve à renverser

le capitalisme, d’un « dirigeant loyal » : le prolétariat.

Le SU refusa cependant de suivre Pablo, qui le quitta. Le SU mit encore en avant la gué-rilla à son congrès de 1969. Et bien qu’en Argentine on assis-tât la même année à un réveil mi l itant du mouvement ou-vrier, le SU soutint la guéril-la de l’Armée révolutionnaire du peuple (ERP), un temps sec-tion argentine du SU. Ce n’est qu’après l’anéantissement de l’ERP dans les années 1970 qu’il y mit fin.

UNE REMISE EN CAUSE DU TROTSKYSME QUI VIENT DE LOIN

Cuba n’était pas le premier pays où le SI-SU découvrait l’existence d’États ouvriers nés sans révolution ouvrière. Ce fut le cas des démocraties po-pulaires, ou de la révolution chinoise de 1949. Au lendemain de la guerre, le SI expliqua que les démocrat ies populaires étaient des États bourgeois mais, dès que l’URSS en prit le contrôle en 1948 et que les stali-niens leur accolèrent l’étiquette « social iste », les dirigeants du SI les déclarèrent États ou-vriers, « déformés » car la classe ouvrière n’avait joué aucun rôle

actif dans leur création.

Ils firent de même avec la C h i ne de 19 49 s a n s ten i r compte des enseignements de Trotsky. Dans une lettre adres-sée aux trotskystes chinois le 22 septembre 1932, après avoir rappelé que « celui qui, en po-litique, juge selon les étiquettes et les dénominations, et non se-lon les faits sociaux, est perdu », Trotsky avait ainsi analysé les armées paysannes de Mao : « Le fait que des communistes se trouvent individuellement à la tête des armées paysannes ne change en rien le caractère social de ces dernières. » Il ajou-tait : « Lorsque le Parti commu-niste, fermement appuyé sur le prolétariat des villes, essaie de commander l’armée paysanne par une direction ouvrière, c’est une chose. C’est tout autre chose lorsque quelques milliers ou même quelques dizaines de milliers de révolutionnaires qui dirigent la guerre paysanne sont ou se déclarent commu-nistes, sans avoir aucun appui sérieux dans le prolétariat. Or, telle est avant tout la situation en Chine. » Il concluait : « En fait, le parti [communiste] s’est sé-paré de sa propre classe. [...] La guerre paysanne par elle-même, sans une direction immédiate de l’avant-garde prolétarienne, ne peut que donner le pouvoir à une

Conférence de presse de la direction de l’ERP (Armée révolutionnaire du peuple, un temps section du Secrétariat unifié) en juin 1973, de gauche à droite,

Roberto Santucho, Benito Urteaga, Gorriarán Merlo et Jorge Carlos Molina.

Page 28: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

26

nouvelle clique de la bourgeoisie, [...] qui en pratique se différen-ciera très peu du Kuomintang de Tchang Kaï-chek. »

En officialisant en 1951 ces c ha ngements d’ét iq uet tes , la major ité du mouvement trotskyste voyait des révolu-tions socialistes là où il n’y en avait pas. De fait, ces États se si-tuaient dans le même contexte que bien d’autres États devenus indépendants après 1945. Dans les pays pauvres de la planète, la faiblesse de la bourgeoisie, mais aussi cel le du mouve-ment ouvrier révolutionnaire, souvent dévoyé par les partis socialistes et staliniens, avait retardé l’avènement de la révo-lution socialiste mondiale. Dans ce contexte, plusieurs États prirent en mains l’économie, défendirent l’indépendance et entamèrent la réforme agraire, comme l’Égypte de Nasser, sans que le mouvement trotskyste n’y voie un État ouvrier.

Cela revenait aussi à faire croire que des forces politiques étrangères au prolétariat pou-vaient conduire une révolution socialiste. Le SI continua un temps de répéter qu’il fallait un parti révolutionnaire et l’in-tervention du prolétariat pour allers vers le socialisme mais, après Cuba, ces condit ions n’étaient plus indispensables. Cuba fut présenté comme un État ouvrier où la révolution était faite. Sur cette lancée, ils virent de l’internationalisme dans la conférence Triconti-nentale, qui rassembla en 1966 à La Havane des gouverne-ments du tiers-monde, ou dans les déclarations de Guevara appelant à « un, deux, trois, de nombreux Vietnam » , là où n’y avait que de la solidarité entre nationalistes et l’espoir d’États indépendants du tiers-monde de voir se multiplier des mou-vements identiques en rupture avec l’impérialisme, pour af-faiblir ce dernier et améliorer leurs chances de survie.

C’était d’autant plus risible

que les castristes, en se rap-prochant de l’URSS et des sta-liniens, s’attaquèrent au parti trotskyste qui s’était réorganisé à Cuba en 1960. Les trotskystes cubains furent les premiers à voir en Cuba un État ouvrier mais ils voulaient maintenir une organisat ion i ndépen-dante. Ainsi, selon le SI, Castro conduisait la révolution socia-l iste et menait la révolution permanente... tout en empri-sonnant les trotskystes et en empêchant l’édition de La Révo-lution permanente de Trotsky ! Après plusieurs procès et sé-jours en prison, les trotskystes cubains furent tolérés mais in-terdits de publications et d’acti-vités. Et il fallut du temps avant que le SU se rappelle de leur existence.

La révolution cubaine a mis en place une protection sociale enviable. Mais, pas plus qu’en Chine ou au Vietnam, elle n’a mis fin à la domination impé-rialiste. Cela, seule la révolu-tion prolétarienne peut le réa-liser pour toute la planète. Le problème est resté posé et le monde impérialiste a poursuivi son existence. Depuis, la Chine et le Vietnam ont réintégré le marché mondial. Et Cuba pour-rait suivre.

CONSTRUIRE DES PARTIS OUVRIERS RÉVOLUTIONNAIRES RESTE INDISPENSABLE

L’abandon par le SU de la construction d’organisations révolut ion na i res i ndépen-dantes dans les pays étique-tés États ouvriers, provoqua d’autres ruptures.

Tous les trotskystes d’Amé-rique latine n’avaient pas suivi les consignes du SU. Des mili-tants qui pouvaient partager l’analyse de Cuba mais qui re-jetaient la guérilla maintinrent une activité dans les villes et les usines ; a fortiori après 1969 et le soulèvement des ouvriers de

Cordoba, ville argentine ayant alors la plus forte concentra-tion industrielle d’Amérique du Sud ; une combativité ouvrière ensuite réprimée par des coups d’État militaires dans tout le cône sud.

En 1979, la guérilla du Front sandiniste de libération natio-nale (FSLN) renversa la dicta-ture de Somoza au Nicaragua. Cela provoqua une double rup-ture dans le SU, avec la Frac-tion bolchevique du trotskyste argentin Nahuel Moreno, mais aussi avec la Tendance léni-niste-trotskyste proche du cou-rant lambertiste. Les deux frac-tions reprochèrent l’alignement du SU derrière les sandinistes, identique à celui derrière Cas-tro vingt ans avant.

Le SU approuva en effet les sandinistes lorsqu’ils expul-sèrent la brigade Simon Boli-var – des trotskystes morénistes venus combattre aux côtés du FSLN. La majorité des militants latino-américains quittèrent alors le SU pour construire leur courant international.

Leurs continuateurs main-tiennent cette position. Ainsi, à la mort de Castro, le journal argentin El Socialista a salué « la révolution cubaine de 1959, un exemple pour les révolution-naires et les militants combatifs du monde » tout en y prônant une révolution socialiste.

LE SWP DES ÉTATS-UNIS RALLIE LE CASTRISME

Entre 1979 et 1990, ce fut la rupture du SWP américain avec le SU. Pour le SWP et le SU, Cuba était un État ouvrier, mais le SU parlait de déformations bureaucratiques et critiquait l’alignement du PC cubain sur le Kremlin, tandis que pour le SWP Cuba, le Nicaragua et la Grenade étaient identiques à la Russie de 1917-1923.

En 1979, Jack Barnes du SWP dénonça l’action des trotskystes cubains vingt ans avant. Le SU

Page 29: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

27

publia la défense de ces der-niers, écrite par deux militants argentins, Adolfo Gilly et An-gel Fanjul, présents à Cuba à l’époque. En 1983, le SWP pu-blia une nouvelle revue, New International (Nouvelle inter-nationale), contenant une cri-tique de Trotsky, du trotskysme et de la révolution permanente, ainsi qu’un article d’un stali-nien cubain opposant Lénine à Trotsky. Le SWP exhuma des écrits de Lénine d’avant 1917 allant dans le même sens, espé-rant ainsi s’attirer les bonnes grâces des castristes, l iés à l’URSS. Le SWP rêvait d’une « internationale léniniste de masse » avec les partis au pou-voir à Cuba, au Nicaragua et à la Grenade.

Le SU rejeta cette proposi-tion, en remarquant que les Cu-bains ne voulaient pas d’inter-nationale. Après une période où la direction du SWP écarta de ses rangs les partisans du SU, il rompit avec ce dernier en 1990. Depuis, aucune internationale castriste n’a vu le jour. Mais le SWP agit comme s’il en était la section américaine, publiant chaque semaine des articles en sa faveur, comme l’hommage de Raúl Castro à son frère. Il a aussi écarté tous les éventuels contradicteurs de Barnes, ce

qui a démoli ce parti.

Ce suivisme, aux multiples visages, n’a pas fait progresser la cause de la révolution prolé-tarienne. La lutte pour l’indé-pendance nationale, même si elle amène une rupture avec l’impérialisme, ne peut par elle-même conduire à la révolution socialiste. Pour renverser la do-mination impérialiste, la lutte révolutionnaire doit dépasser le cadre national et déboucher sur l’arène internationale. Mais cela ne peut être que l’œuvre de la lutte révolutionnaire de

la classe ouvrière, et pas celle de nationalistes, aussi radicaux soient-ils.

Personne ne peut remplacer l’action du prolétariat. Dans la lettre aux trotskystes chinois déjà citée, Trotsky rappelait ce que la révolution russe lui avait appris : « L’ouvrier aborde les problèmes sous l’angle so-cialiste ; le paysan sous l’angle petit-bourgeois. L’ouvrier tente de socialiser la propriété qu’il a reprise à ses exploiteurs ; le paysan, tente, lui, de la parta-ger. L’ouvrier veut faire servir les châteaux et les parcs dans l’intérêt général ; le paysan, pour peu qu’il ne puisse les partager, est enclin à brûler les châteaux et à déboiser les parcs. L’ouvrier fait ef fort pour résoudre les problèmes à l’échelle étatique, et selon un plan ; mais le pay-san aborde tous les problèmes à l’échelle locale, et se conduit d’une façon hostile envers le plan du centre, etc. Il est évident que le paysan peut lui aussi s’éle-ver jusqu’à un point de vue so-cialiste. Sous le régime proléta-rien, une masse de plus en plus grande de paysans se rééduque dans l’esprit socialiste. Mais cela exige du temps. »

13 décembre 2016

La brigade Simon Bolivar, des militants trotskystes du courant de Nahuel Moreno, venus de plusieurs pays d’Amérique latine

pour combattre aux côtés des sandinistes.

LE S

OC

IALI

STA

La une de l’hebdomadaire du Socialist Workers Party (SWP) reproduisant l’hommage à Castro de son frère Raúl et une lettre

du dirigeant du SWP, Jack Barnes, mettant sur le même plan le nationaliste Castro et le communiste Lénine.

Page 30: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

• Face aux ravages de la mondialisation capitaliste, l’impasse du souverainisme ( n° 147, 10 juin 2016) 

• États-Unis : les avatars de l’alternance démocrates-républicains et la classe ouvrière (n° 148, 10 novembre 2016)

AFRIQUE• Afrique du Sud : de l’apartheid au

pouvoir de l’ANC (n° 118, 29 janvier 2010)

• L’Afrique malade du capitalisme (n° 104, 16 juin 2006)

MOYEN-ORIENT• Moyen-Orient :

la barbarie des djihadistes et celle de l’impérialisme (n° 138, 14 novembre 2014)

• Israël-Palestine : comment l’impérialisme, en transformant un peuple en geôlier d’un autre, a poussé les deux dans une impasse tragique (n° 109,1er février 2008)

EUROPE• Un quart de siècle après

l’éclatement de l’Union soviétique, le peuple ukrainien victime des rivalités entre les impérialistes et Poutine (n°140, 6 mars 2015)

• L’Europe : ni la cause de la crise du capitalisme ni un moyen de la surmonter (n° 136, 11 avril 2014)

• L’immigration dans l’Europe en crise (n° 135, 24 janvier 2014)

• La Grèce face à la crise (n° 133, 14 juin 2013)

• Allemagne : vingt ans après, où en est la réunification ? (n° 122, 19 novembre 2010)

AMÉRIQUE• Amérique latine : les

gouvernements entre collaboration et tentatives de s’affranchir de la domination des États-Unis (n° 105, 24 novembre 2006)

• La longue lutte des Noirs américains (n° 142, 19 juin 2015)

ASIE• Afghanistan, Pakistan : toute

une région déstabilisée par l’impérialisme (n° 128, 18 novembre 2011)

• L’Inde : de l’exploitation coloniale au développement dans l’inégalité (n° 102, 10 mars 2006)

• La Chine : nouvelle superpuissance économique, ou développement du sous-développement ? (n° 101, 27 janvier 2006)

Ces brochures peuvent être envoyées sur demande

en joignant 5 timbres à 0,70 euro par brochure.

Les brochures du Cercle Léon Trotsky sont publiées depuis octobre 1983.noustenonsàladispositiondenoslecteurslalistecomplète

des brochures non épuisées.

IDÉES/HISTOIRE• Syriza, Podemos... quelles perspectives pour les « gauches radicales » ? (n° 146, 8 avril 2016)

• Les combats pour l’émancipation des femmes et le mouvement ouvrier (n° 144, 8 janvier 2016)

• Le réchauffement climatique, un révélateur de l’irresponsabilité du capitalisme (n° 143, 9 octobre 2015)

• Temps de travail, salaires et lutte des classes (n° 141, 10 avril 2015)• Développement des sciences et fondements des idées communistes (n° 139, 23 janvier 2015)

• Guerre de 1914-1918 : la classe ouvrière livrée à ses bourreaux par la trahison des directions du mouvement ouvrier (n°137, 19 septembre 2014)

• La crise actuelle de l’économie capitaliste et ses origines (n° 131, 22 février 2013)

• La Turquie, du kémalisme à l’islamisme, et les perspectives de la classe ouvrière (n° 130, 25 janvier 2013)

• Il y a cinquante ans, la fin de la guerre d’Algérie, mais pas la fin de l’oppression (n° 129, 16 novembre 2012)

• Avec Mitterrand et après… la gauche au gouvernement (n°126, 13 mai 2011)

• Aux origines lointaines et proches de la révolte des peuples arabes (n° 125, 1er avril 2011)

• Le prolétariat international, la seule classe capable de mettre fin au capitalisme et à l’exploitation (n° 124, 4 mars 2011)

• Les religions, l’athéisme et le matérialisme (n° 123, 28 janvier 2011)• Les syndicats hier et aujourd’hui (n° 121, 15 octobre 2010)• La décroissance : faire avancer la société à reculons (n° 117, 10 décembre 2009)

FRANCE• L’enseignement public (n° 114, 30 janvier 2009)• Au-delà de la crise actuelle, la faillite des solutions bourgeoises à la crise du

logement (n° 111, 13 juin 2008)• La grande bourgeoisie en France (n° 110, 18 avril 2008)

FACE À LA FAILLITE DU CAPITALISME, ACTUALITÉ DU COMMUNISME

• Textes des interventions d’Arlette Laguiller et de Nathalie Arthaud dans les meetings de Lutte Ouvrière (n° 115, 1er trimestre 2009)

Les brochures du Cercle Léon Trotsky

Page 31: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

FRANCE

PARISLe Point du Jour 58, rue Gay-Lussac, Paris 5e

La Brèche, 27, rue Taine Paris 12e

ALBERTVILLESNC le Maryland 106, rue de la République

ALBIMaison de la Presse Place du Vigan

ANGERSLibrairie Contact 3, rue LenepveuLibrairie Les Nuits bleues 21, rue Maillé

ARGENTEUILLibrairie Presse-papier 28, avenue Gabriel-Péri

BESANÇONLes Sandales d’Empédocle 95, Grande-Rue

BOURGESLa Plume du Sarthate 83, avenue Arnaud-de-Vogüé

BRESTLa Bouquinerie Place Guérin

CHAMBÉRYTabac-presse des Portiques 9, rue de Boigne

CLERMONT-FERRANDTabac presse du Mazet 5, place du Marché aux poissons

DIJONRelais H, quai n° 1 Gare SNCF de Dijon

DOLELa Passerelle 16 bis, rue de la Sous-préfecture

GAPLibrairie-papeterie Davagnier 3, place Jean-Marcellin

GRENOBLETabac-presse Le Brazza 18, place Sainte-ClaireTabac-presse Le Berriat 97, cours Berriat

IVRY-SUR-SEINELibrairie Envie de lire 16, rue Gabriel-Péri

LA ROCHELLELibrairie Les Saisons 21, rue Saint-Nicolas

LYON 7e

Terre des livres 86, rue de Marseille

MARSEILLELibrairie L’Odeur du Temps 35, rue Pavillon, Marseille 1er

Librairie de l’arbre 13, rue des Trois-Mages

NANTESLibrairie Vent d’Ouest 5, place du Bon-Pasteur

RENNESTabac-presse La Civette (Centre commercial des Longs Champs)

ROUENMag Presse, Rue Saint-Sever

TOULONKiosque à journaux Cours Lafayette - Place Hubac

VALENCELibrairie Notre temps 30, Grande-Rue

GUADELOUPE

POINTE-À-PITRELibrairie Jasor Rue SchoelcherMatch – Grand Camp

LA DOMINIQUE

ROSEAUFrontline Co-op 78, Independence street

HAÏTI

PORT-AU-PRINCELibrairie La PléiadeLibrairie Phénix Lalue 212, en face rue Chrétien

ALLEMAGNE

BERLINBuchhandlung Schwarze Risse Gneisenaustr. 2a – Im Mehringhof 10961 Berlin

BELGIQUE

BRUXELLESLibrairie Aurora Avenue J.-Volders, 34 B-1060 Bruxelles (Saint-Gilles)Librairie Joli Mai Avenue Paul-Dejaer, 29 B-1060 Bruxelles

POLOGNE

VARSOVIEGlowna ksiegarnia naukowa im. B. Prusa Sp. Cyw Krakowskie przedmiescie 7

SUISSE

GENÈVELibrairie du Boulevard 35, rue de Carouge

Où trouver Lutte de classe ?

On peut également se procurer Lutte de classe (langue française) dans un certain nombre de librairies de plusieurs autres villes en Allemagne ainsi que de plusieurs autres pays, notamment l’Argentine, le Canada (Québec), l’Italie, le Mexique. Pour plus de précisions, écrire à Lutte ouvrière.

Page 32: Nathalie Arthaud, pour faire entendre le camp des travailleurs · les 18 derniers mois 2,4- mil liards de bénéfices et a suppri-mé 17000 emplois en trois ans. Sanofi réalise 7

Lutte de classe n° 181 • février 2017

Le mouvement trotskyste et la révolution cubaine

30

Lisez la presse révolutionnaire internationale !

ALLEMAGNE

Das rote Tuch - Mensuel du BundrevolutionärerArbeiterAbonnement un an : Allemagne 11 €, autres pays 15 €Correspondance : Das rote Tuch, Postfach 10 08 02, 45008 ESSENhttp://www.bund-revolutionaerer-arbeiter.org

BELGIQUE

Lutte ouvrièreArbeidersstrijd

communiste trotskiste

communistisch trotskistisch

Lutte ouvrière - ArbeidersstrijdAdresse : BP 62 5100 JAMBES - BELGIQUEhttp://www.lutte-ouvriere.be et http://www.arbeidersstrijd.be

ESPAGNE

VOZ OBRERAMensual trotskysta (Unión Comunista Internacionalista)

Correspondance:[email protected] DE CORREOS - 10210 - SEVILLAhttp://www.vozobrera.org

ÉTATS-UNIS

BimensueltrotskysteAbonnement par avion, sous pli fermé USA, Canada, Mexique six mois : 13 $ - un an : 26 $Autres pays, 6 mois : 19 $ - un an : 37 $PO box 13064, BALTIMORE, MARYLAND 21203http://www.the-spark.net

revuetrimestrielle publiée par The SparkAbonnement par avion, sous pli fermé USA, Canada, Mexique, un an (4 numéros) : 16 $Autres pays, un an (4 numéros) : 25 $PO box 13064, BALTIMORE, MARYLAND 21203

FRANCE

Hebdomadairetrotskyste Prix :1,20€Abonnements : France - DOM TOM, six mois : 20 € ; un an : 40 €Autres pays, par avion, sous pli fermé : nous consulterVersements à LUTTE OUVRIÈRE - CCP PARIS 26 274 60 Rwww.lutte-ouvriere-journal.org

GRANDE-BRETAGNE

MensuelAbonnement : écrire à la boîte postalehttp://www.w-fight.org contact e-mail : [email protected]

TrimestrielpubliéparWorkers’fightBM ICLC - LONDON WC1N 3XXAbonnement 1 an : GB £8 - Reste de l’Europe : £10

GUADELOUPE - MARTINIQUE

BimensueltrotskysteAbonnement un an : Pli fermé : 30,50 € - Pli ouvert : 23 €Guadeloupe : Combat ouvrier - Philippe Anaïs 1111 Rés. Matéliane, l’Aiguille - 97128 GOYAVEMartinique : Combat Ouvrier – Louis Maugée BP 821 - 97258 FORT-DE-FRANCE CEDEXhttp://www.combat-ouvrier.net

HAÏTI

Mensuelrévolutionnaireinternationalistepubliéparl’Organisationdestravailleursrévolutionnaires(UCi)BP 2074 - PORT-AU-PRINCE - HAÏTIe-mail : [email protected]

ITALIE

MensuelduCercleouvriercommunistevia Nievo Ippolito 32-57100 LIVORNO - ITALIAAbonnement 1 an : 12 €http://www.linternazionale.it - contact e-mail : [email protected]

TURQUIE

Sınıf Mücadelesi(Luttedeclasse)Mensuel trotskysteCorrespondance : BM ICLC - LONDON WC1N 3XXhttp://www.sinifmucadelesi.net

Luttedeclasse-Prixhorszoneeuro :Argentine :3pesos-Canada(Québec) :$2.00-Danemark :11DKK-Haïti :20gourdes-Suisse :3fS

AFRIQUE

Mensuel trotskyste publié par l’UnionafricainedestravailleurscommunistesinternationalistesP.A.T. - BP 42 - 92114 CLICHY CEDEXhttp://www.uatci.org