newsletter_"in other words"_ décembre 2012

10
“ In Other Words “ est un projet de l’Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques BULLETIN MENSUEL DE L’UNITÉ LOCALE EUROCIRCLE Marseille, 12-2012 “ In Other Words “ est un projet de l’Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques In Other Words NEWS J ournaliste, vous avez dit “journaliste” ? Comment devient-on journaliste ? A cette question en apparence triviale, de beaucoup répondront de manière simple : “En faisant une école de journalisme”. En France, certaines écoles de journalisme représentent certes un sésame important pour entrer dans le métier. J’insiste ici sur l’adjectif “certaines”, car d’autres écoles ne bénéficient pas au contraire de l’aura nécessaire pour permettre à ses anciens élèves de montrer patte blanche dans le secteur médiatique. Inutile de nier le fait qu’une formation est toujours bienvenue dans le parcours de chacun et chacune et je ne m’aventurerai pas à remettre en cause de manière uniforme l’éducation post-baccalauréat. Par contre, je trouve utile de poser la question du type de formation. Un journaliste sera-t’il plus apte à effectuer son travail s’il est passé par une des grandes écoles de renom ? Que celles- ci lui permettent l’accès à un portefeuille de contacts intéressant est certain, mais sera- t’il pour autant un “meilleur” journaliste ? Quid de toutes celles et tous ceux qui ont choisi une autre voie ? Quid de la formation qu’on qualifie parfois presque péjorativement de “sur le tas” ? Et puis, quid de celles et ceux dont on pense qu’ils et elles partent avec un ou plusieurs “handicaps” de départ, que ce soit de part leur origine sociale, géographique, ou en raison de leur situation physique ? Ne sont-ils pas à même de devenir aussi d’excellents journalistes ? Si l’on prend le cas de ce qu’on appelle les “minorités visibles”, les rares exceptions comme Harry Roselmack ou Audrey Pulvar ne sauraient masquer le manque flagrant de representativité sociale dans son ensemble. Dans cette optique, il est intéressant de considérer l’approche d’autres pays, à commencer par l’Allemagne, où l’accent au sein des rédactions est davantage mis sur les qualités et competences personnelles que sur le parcours universitaire ou académique. Le monde des médias français n’est pas le reflet de la société et il est temps qu’il commence à le devenir. Editorial Sommaire Editorial Vie de l’équipe Point presse Recadrage Agenda 1 2-3 4 5-9 10 Soirée-débat à Eurocircle : “Journalisme et discrimi- nation” Point Presse : Journaliste et victime de racisme Des journalistes témoignent Agenda : les recommandations du mois “Milestones” Elif KAYI Coordinatrice de l’équipe

Upload: eurocircle

Post on 31-Mar-2016

217 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Journalisme et discrimination

TRANSCRIPT

“ In Other Words “ est un projet de l’Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques

B U L L E T I N M E N S U E L D E L ’ U N I T É L O C A L E E U R O C I R C L E

Marseille, 12-2012 “ In Other Words “ est un projet de l’Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques

In Other WordsNEWS

Journaliste, vous avez dit “journaliste” ?

Comment devient-on journaliste ?

A cette question en apparence triviale,

de beaucoup répondront de manière simple :

“En faisant une école de journalisme”.

En France, certaines écoles de journalisme

représentent certes un sésame important pour

entrer dans le métier. J’insiste ici sur l’adjectif

“certaines”, car d’autres écoles ne bénéficient

pas au contraire de l’aura nécessaire pour

permettre à ses anciens élèves de montrer

patte blanche dans le secteur médiatique.

Inutile de nier le fait qu’une formation est

toujours bienvenue dans le parcours de

chacun et chacune et je ne m’aventurerai pas

à remettre en cause de manière uniforme

l’éducation post-baccalauréat. Par contre, je

trouve utile de poser la question du type de

formation. Un journaliste sera-t’il plus apte

à effectuer son travail s’il est passé par une

des grandes écoles de renom ? Que celles-

ci lui permettent l’accès à un portefeuille de

contacts intéressant est certain, mais sera-

t’il pour autant un “meilleur” journaliste ?

Quid de toutes celles et tous ceux qui ont choisi

une autre voie ? Quid de la formation qu’on

qualifie parfois presque péjorativement de “sur

le tas” ? Et puis, quid de celles et ceux dont on

pense qu’ils et elles partent avec un ou plusieurs

“handicaps” de départ, que ce soit de part leur

origine sociale, géographique, ou en raison de

leur situation physique ? Ne sont-ils pas à même

de devenir aussi d’excellents journalistes ?

Si l’on prend le cas de ce qu’on appelle les

“minorités visibles”, les rares exceptions

comme Harry Roselmack ou Audrey Pulvar

ne sauraient masquer le manque flagrant de

representativité sociale dans son ensemble.

Dans cette optique, il est intéressant de

considérer l’approche d’autres pays, à

commencer par l’Allemagne, où l’accent au

sein des rédactions est davantage mis sur les

qualités et competences personnelles que

sur le parcours universitaire ou académique.

Le monde des médias français n’est

pas le reflet de la société et il est

temps qu’il commence à le devenir.

Editorial

Sommaire

Editorial

Vie de l’équipe

Point presse

Recadrage

Agenda

1

2-3

4

5-9

10

Soirée-débat à Eurocircle : “Journalisme et discrimi-nation”

Point Presse : Journal i ste et v ict ime de raci sme

Des journalistes témoignent

Agenda : les recommandations du mois

“Milestones”

Elif KAYI

Coordinatrice de l’équipe

In Other Words NEWS Page 2 Vie de l’équipe

In Other WordsNEWS

Edité mensuellement à Jaén y Almeria (Espagne),

Mantova (Italie), Mortagua (Portugal),Marseille (France),

Timisoara (Roumanie) et Tallin (Estonie)

avec l’approbation et le soutien de la Commission des Affaires Juridiques de

l’Union Européenne.

L’édition française est assurée par Eurocircle

L’entreprise éditrice ne peut être tenue responsable pour les commentaires de

ses collaborateures

De gauche à droite : Clara Martinez, Ursulla Duplantier, Elif Kayi et Samir Akacha

«Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser

une question, mais sur celui d’exiger une

réponse. »

Milan Kundera

Le 4 décembre, Eurocircle a accueilli dans ses

locaux trois journalistes, Samir Akacha, Ursula

Duplantier et Clara Martinez, pour échanger autour

du sujet « La discrimination dans le journalisme :

Comment devient-on journaliste ? ». La soirée s’est

déroulée dans le cadre du projet « In Other Words » et

est venue clore une année de travail d’observation des

médias locaux autour des sujets liés à la discrimination.

Chaque participant(e) s’est tout d’abord présenté(e),

rappelant son parcours personnel, comment il ou elle

est arrivé(e) dans le monde du journalisme, les premiers

pas dans le métier, les difficultés ou facilités à exercer,

etc. Pour plus d’informations, vous pouvez retrouver un

portrait détaillé de chacun dans la présente newsletter.

La discussion s’est portée ensuite sur le sujet spécifique

de ce qu’on appelle aujourd’hui la « diversité » dans les

médias. Une courte vidéo a été visionnée, montrant

Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, lors d’une

émission télévisée. Ce dernier répondait au présentateur

qui venait de lui indiquer qu’il n’y a « que des Blancs

» au sein de la rédaction de Mediapart. Fabrice Arfi

a alors immédiatement réagi en expliquant qu’ils ne

travaillent « pas avec des quotas ». L’intérêt de cette très

courte vidéo est la réaction du journaliste qui aborde

spontanément le sujet des quotas, laissant l’impression

que la question de la « diversité » est uniquement liée

à une question de « quotas ». Le présentateur dira

à la fin qu’il voulait juste le « taquiner », laissant aussi

l’impression que le sujet n’est pas pris au sérieux.

Nous nous sommes aussi attardés sur l’édito du blog

« C’est quoi l’histoire », réalisé par de jeunes journalistes

en herbe, dans le cadre de l’Atelier Journalisme

de Marseille et auquel Samir avait participé. Nous

retiendrons principalement cette phrase : « Et si ce sont

toujours les mêmes : des hommes, blancs, parisiens,

de 40 ans, d’origine judéo-chrétienne certifiée, ayant

fait de bonnes études, qui racontent ces histoires,

c’est embêtant. Il faut que d’autres puissent aussi

en être. Ce n’est pas une question de « respect de la

diversité » (air du temps), c’est une question politique:

il manque dans toutes les rédactions de France des

journalistes issus des classes et des quartiers populaires. »

Un spectateur est intervenu pour demander le

sens de cette phrase. Il a expliqué y comprendre

une question de légitimité et s’interrogeait sur le

fait qu’être « issu des classes et quartiers populaires

» puisse donner une légitimité pour parler de ces

quartiers. Samir a répondu en expliquant qu’il

s’agissait d’une question de représentativité. Il a ajouté

qu’aujourd’hui, de nombreux jeunes issus de ces

Soirée-débat organisée à Eurocircle, “La discrimination dans le journalisme :

Comment devient-on journaliste ?”

Marseille, 12-2012 n°15

Page 3Vie de l’équipe

priment pour les rédactions allemandes. Les participants se sont

accordés pour parler d’une situation « élitaire » en France, où il est difficile

d’accéder aux rédactions quand on ne dispose pas d’un portefeuille de

contacts ou qu’on n’est pas passé par une grande école de journalisme.

Clara a enfin présenté les différences entre ce qu’elle appelle « le

journalisme » et le « nouveau journalisme », qui concerne principalement

les médias en ligne. Clara, qui a expliqué avoir choisi le second pour la

spécialité de son Master, a souligné que cette spécialité est encore très peu

reconnue dans la profession qui préfère embaucher ou faire travailler

des journalistes spécialisés dans les médias traditionnels. Pour elle, il

s’agit un peu d’une sorte de « pari sur l’avenir », car elle pense que les

médias vont être amenés à se développer de plus en plus sur Internet.

Débat : “Comment devient-on journaliste ?” à Eurocircle

quartiers par exemple ont fait des études supérieures mais qu’on en

trouve encore peu voir pas au sein de rédactions de médias traditionnels.

D’où la question : comment expliquer cette situation aujourd’hui ?

Samir a insisté sur le fait qu’il y a un problème de représentativité

de la société dans son ensemble au sein des rédactions.

Un autre point abordé lors de la soirée concernait les différences de

formation entre la France et l’Allemagne. Ursula a expliqué avoir fait

des études portant sur la politique, l’économie et la littérature française,

et avoir appris beaucoup lors de stages qu’elle a effectués auprès de

différentes rédactions, mais surtout lors de son « Volontariat ».

Le « Volontariat » allemand est une sorte de contrat en

alternance, qui dure plusieurs mois et durant lequel le volontaire

– qui est rémunéré – travaille au sein de la rédaction du média qui l’a

sélectionné et bénéficie en plus d’une formation théorique dispensé

par des professeurs et professionnels. Ursula a insisté sur le fait que les

connaissances pratiques et les compétences sont valorisées en Allemagne

beaucoup plus que la formation académique. Elle a aussi précisé que

dans le cadre d’un travail en freelance, c’est le sujet et son intérêt qui

In Other Words NEWS Page 4 Point Presse

“J’en parle souvent à mes collègues : ils peinent à me croire lorsque je

leur décris cet «apartheid mental», lorsque je leur détaille les petites

humiliations éprouvées quand je suis en reportage, ou dans la vie ordinaire.

A quoi bon me présenter comme journaliste au Monde, on ne me croit

pas. Certains n’hésitent pas à appeler le siège pour signaler qu’« un

Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde ! »”

Mustapha Kessous explique aussi comment il “s’adapte”

à cette situation :

“J’ai dû amputer une partie de mon identité, j’ai dû effacer ce prénom

arabe de mes conversations. Dire Mustapha, c’est prendre le risque

de voir votre interlocuteur refuser de vous parler. Je me dis parfois que

je suis parano, que je me trompe. Mais ça s’est si souvent produit...”

Mais la discrimination vécue dans le cadre de son travail de

journaliste dépasse la discrimination dans le simple cadre du travail

pour toucher à son identité même. Ainsi en témoigne Mustapha

Kessous dans le dernier paragraphe lorsqu’il rappelle la triste

réalité de nombreuses personnes d’origine immigrée en France :

“Des histoires comme celles-là, j’en aurais tant d’autres à raconter.

On dit de moi que je suis d’origine étrangère, un beur, une racaille, un

islamiste, un délinquant, un sauvageon, un «beurgeois», un enfant issu

de l’immigration... Mais jamais un Français, Français tout court.”

Journaliste et victime de racisme

Retrouvez l’intégralité de l’article :

h t t p : / / w w w . l e m o n d e . f r / s o c i e t e / a r t i -

c l e/2009/09/23/ca - f a i t - b i en - long temps -que -

je -ne -prononce -plus -mon-prenom-quand- je -me-

p re s e n t e - a u - t e l e p h o n e _ 124 4 0 9 5 _ 3 2 24 . h t m l

“Moi, Mustapha Kessous, journaliste au «Monde»

et victime du racisme” par Mustapha Kessous

L’article date déjà un peu, puisqu’il a été publié par le journaliste

Mustapha Kessous le 23 septembre 2009 dans le quotidien

Le Monde, journal auprès duquel Mustapha Kessous est employé.

Dans cette tribune, le journaliste rapporte comment on l’a pris

pour le chauffeur de son collègue journaliste alors qu’ils couvraient

ensemble le Tour de France, ou comment on l’a confondu après

le prévenu alors qu’il couvrait un procès. Si elles restaient isolées,

ces anecdotes auraient presque de quoi faire sourire. Mais leur

recurrence impressionne. Certes les traits qu’elles prennent

semblent divers mais le fond reste le même : à de trop nombreuses

reprises, Mustapha Kessous n’est pas identifié comme un journaliste :

“Je pensais que ma «qualité» de journaliste au Monde allait enfin me préserver

de mes principaux «défauts» : être un Arabe, avoir la peau trop basanée,

être un musulman. Je croyais que ma carte de presse allait me protéger des

«crochets» balancés par des gens obsédés par les origines et les apparences. Mais

quels que soient le sujet, l’endroit, la population, les préjugés sont poisseux.”

Plus loin Mustapha Kessous rapporte l’incrédulité de

ses collègues quand il leur fait part de cette situation :

Marseille, 12-2012 n°15

Page 5Recadrage

Mon parcours de journaliste a commencé par un stage de

deux mois dans une radio locale, que j’ai effectué un an

après le bac. Au cours de ce stage, j’ai réalisé des sondages, j’ai

fait du montage et un reportage. Cela m’a donné un bon petit

aperçu du travail d’un journaliste. Ensuite, j’ai commencé mes

études pluridisciplinaires sur la France à Berlin. Ces études

comportent de la littérature, de la linguistique, des sciences

politiques, de l’histoire et de l’économie, axés sur la France.

Pendant mes études, j’ai fait un stage

de six semaines au sein de la radio de

l’université. C’était un travail qui m’a mise

dans les vraies conditions du métier : con-

férence le matin et parfois faire un report-

age pour l’émission du soir. Par moments,

c’était assez dur, car je n’avais pas encore

appris comment construire un bon report-

age par exemple, mais ça a été au final une

bonne « formation sur le tas » pour moi.

Cette expérience m’a beaucoup aidé pour décrocher un

stage auprès de la rédaction allemande de Radio France

Internationale à Paris, où j’ai toute de suite pu travailler

de manière autonome. Après mes études, j’ai aussi fait un

stage de trois mois dans la rédaction « Soirée Théma » chez

Arte à Strasbourg. Ce domaine était nouveau pour moi, car

jusque là, je n’avais encore jamais travaillé pour la télévision.

Après le stage à RFI, je suis parti en Chine, où j’ai com-

mencé par proposer mes services en tant que pigiste pour

des radios et journaux allemands. Malgré le contexte -je ne

maitrisais pas le chinois et je n’avais pas d’accréditation

presse- j’ai pu réaliser de nombreux sujets, aussi grâce à ma

copine chinoise. Cette expérience m’a sans doute beaucoup

aidé pour être sélectionnée au concours de « Volontariat »

de la chaîne publique NDR (radio/télé). Cette formation,

très reconnue en Allemagne, consiste à intégrer une chaîne

pendant un an et demi. C’est un peu comme un travail en

alternance : on travaille dans diverses rédactions (télé et

radio) pendant quelques semaines tout en recevant des

formations pratiques et théoriques sur le journalisme.

Le « volontariat » m’a permis d’enchaîner tout de

suite en décrochant plusieurs contrats à durée déter-

minée. Ces CDD sont très classiques en Allemagne

pour les auteurs. On est payé à la tâche mais on bé-

néficie de congés payés, d’assurance-maladie, etc.

Après avoir travaillé pour une rédaction de télévision

pendant quelques années en Allemagne, je me suis in-

stallée en France. Je travaille à présent comme pigiste

et/ou correspondant libre pour des radios allemandes.

En ce qui concerne la discrimination dans le métier de jour-

naliste, j’ai pu observer une fois au sein de mon ancienne

rédaction de télé allemande, qu’une

collègue n’avait pas été choisi pour

un poste de chargée de programme,

selon elle, parce qu’elle n’avait pas en-

core d’enfant et pourrait encore en

vouloir. Au lieu de la choisir pour ce

poste - c’était une collègue qui avait

beaucoup d’années d’expérience dans

cette rédaction - on a choisi un collègue

masculin tout jeune, qui venait juste

de terminer son « Volontariat ». Sinon, j’ai eu un ou deux

collègues d’origine étrangère - turque notamment - dans

cette rédaction, qui ne maitrisaient pas parfaitement

l’allemand et qui avaient un léger accent. Ils faisaient ré-

gulièrement des reportages, mais qui n’étaient pas soumis

aux contraintes de temps liées à l’actualité du moment.

Je n’ai malheureusement pas vraiment matière à comparer

concernant la France. Mes essais pour prendre contact avec

des sociétés de production françaises n’ont pas abouti, et

ma candidature auprès de France 3 est restée sans réponse.

Mon impression, et aussi mon expérience, me laissent pens-

er qu’il est plus difficile en France de proposer ses services

en tant que travailleur indépendant sans réseau, surtout

quand on ne sort pas du parcours classique de journalisme

(école de journalisme française reconnue, etc.). Il me sem-

ble qu’ici tout est plus formaté, que les journalistes forment

une élite, presque une caste. En Allemagne, on valorise

plus l’expérience et la qualité du produit fourni. Ainsi, on

a plus de facilités à décrocher une commande de report-

“J’aimerais bien être en contact avec des collègues français”

Ursula Duplantier

Par Ursula Duplantier, journaliste allemande

Marseille, 12-2012 n°15

Page 6Recadrage

age. On donne une chance si le produit est satisfaisant,

sans regarder l’origine ou la formation du journaliste.

C’est en tout cas mon impression liée à mon expérience.

Pour la pratique de mon métier en France, je ne ressens

pas d’obstacles particuliers dans la réalisation de report-

ages. C’est gratifiant pour moi de travailler en tant que

correspondante pour l’Allemagne, mais en même temps,

j’aimerais bien être plus en contact avec des collègues fran-

çais. Radio France, à qui je m’étais par exemple adressé,

m’a dit qu’il y avait déjà une équipe sur place. Je n’ai

pas encore pu découvrir comment il est possible de ven-

dre des reportages en tant que pigiste en France. Mais

en tous cas, cela a l’air plus compliqué qu’en Allemagne.

Par Clara Mª Martínez Rodríguez, journaliste espagnole

J’avais huit ans quand j’ai décidé que je voulais être journaliste.

J’avais eu la chance de pouvoir m’asseoir au micro, avec des autres

amies, pour faire une émission hebdomadaire pendant quelques

années. Je ne peux pas appeler cela vraiment du journalisme, car

on faisait du copier-collers de magazines d’adolescentes, mais cela

a été l’élément déclencheur de mon amour pour le journalisme.

A dix-huit ans, j’ai commencé mon périple à la faculté

de journalisme. On a étudié beaucoup d’histoire, de

l’économie, du droit, l’écriture journalistique, c’est-à-dire

plein de différentes matières qui devaient être la base de

nos connaissances pour la suite. Pour moi, l’essentiel nous a

manqué : mettre tout cela en pratique. Je pense pas que la base

soit la théorie, car finalement le journaliste se fait « sur le tas ».

Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer un grand journaliste

espagnol, Enrique Meneses - il est aujourd’hui âgé de quatre-

vingt-trois ans et il écrit toujours - et il m’a expliqué que les élèves

ne devraient pas aller dans des écoles de journalisme, mais au

contraire faire des formations telles que les sciences politiques ou

économiques, pour que leur travail soit ensuite plus pertinent.

Je partage en partie son avis, parce qu’au final, dans une école,

on apprend un peu de tout et rien de concret. Mais d’un autre

côté, je pense que les journalistes ont besoin d’avoir certaines

notions pour écrire ou faire un reportage pour la télévision

ou la radio. Sinon, ensuite, et comme c’est le cas en Espagne,

des personnes sans connaissances se retrouvent à occuper

un poste de « journaliste » et cela décrédibilise la profession.

Pendant ma deuxième année à l’université, j’ai commencé

à prendre contact avec des médias locaux. J’ai fait un stage

pendant quelque mois pour une petite radio. C’était intéressant

car je faisais tout le travail : chercher l’info, prendre les sons,

écrire le texte, etc. Je me confrontais avec différents problèmes

: plus de batterie, plus de disque pour enregistrer, mais il y

avait toujours des collègues d’autres médias qui étaient là pour

me sauver. A cette époque, je n’ai pas senti de discrimination

à mon égard, bien au contraire, il y avait une fraternité entre

membres de « la même communauté ». Cette expérience m’a

donné encore plus envie de continuer à faire ce que je voulais.

“Pourquoi un média te prendrait, toi, au lieu d’un journaliste français ?”

Recadrage

Marseille, 12-2012 n°15

Page 7

Pendant ma troisième année, j’ai fait un stage au sein d’un

magazine régional. C’était une expérience complètement

différente : la façon de travailler, l’ambiance. Le magazine

était trimestriel, donc nous avions beaucoup de temps pour

écrire nos reportages. Mais c’était moins intéressant d’un

point de vue journalistique car on faisait du publi-reportage.

On était là pour écrire de belles choses sur une ville, un

restaurant ou pour l’entité qui avait acheté de la publicité.

En septembre, j’ai pris un avion et je

suis partie en Corse pour faire mon

année d’étudiante Erasmus. C’est une

année qui restera gravée dans ma tête

pour le reste de ma vie. Pas au niveau

de la formation, car il y avait beaucoup

de matières que j’avais déjà faites, mais

au niveau personnel. L’expérience m’a

permise de faire une exposition photo,

et de commencer à me familiariser

avec le français. Après une année

magique, je suis rentrée chez moi pour

finir mes études. En juillet, j’ai eu

mon diplôme, et j’ai commencé un

nouveau stage. Cette fois, je l’ai fait

dans une agence de communication.

Dès le premier jour du stage, j’ai dû

tout faire : des nouvelles pour la radio régionale, des articles

pour notre site web, des communiqués de presse, etc. Cette

expérience m’a montré les deux côtés de la communication :

le journalisme et en même temps la communication dans son

sens pur. Je préférais sortir couvrir une nouvelle plutôt que

rester au bureau pour travailler sur un dossier de presse. J’ai

eu la chance dans tous mes stages de trouver de gens ouverts,

qui m’ont beaucoup appris, et qui m’ont surtout donné la

possibilité d’exercer ma profession. Après un an de stage, je

suis partie car il n’y avait pas d’argent pour garder une stagiaire.

Nous étions alors en 2010, et la crise se faisait déjà sentir en

Espagne. Trouver un travail commençait à devenir compliqué,

et cela a été mon excuse pour faire mes valises et rejoindre mon

copain, en France. Quand je suis arrivée à Marseille, j’avais

mon diplôme, et je croyais donc que j’avais tout ce qu’il me

fallait. Mais trouver une première expérience n’a finalement

pas été si facile que ça. J’ai envoyé des CV aux offres qui me

convenaient le plus. Mais la réponse était toujours la même : «

Non ». J’ai vite compris que sans un diplôme français, j’allais

avoir du mal à trouver un travail en tant que journaliste.

Mais je ne perdais pas espoir, et en novembre 2010 j’ai rejoint

le Marseille Bondy Blog. Ils m’ont donné la possibilité d’écrire,

et je les en remercie énormément. Dans cette équipe, la

discrimination n’a pas la place. Certaines personnes peuvent

penser qu’un blog ce n’est pas du vrai journalisme… Mais le

rédacteur en chef du site était un journaliste

avec un diplôme ! Je continue toujours à

écrire pour ce blog, car je peux ainsi faire

du journalisme sans pression. En avril

2011, j’ai fait mon Service Civique auprès

de l’association marseillaise Eurocircle, et

j’ai commencé à travailler pour le projet

In Other Words. En septembre, j’ai dû

arrêter parce que j’ai été prise à l’Ecole de

Journalisme et Communication de Marseille.

J’ai commencé mon Master 2 en

Communication et Contenus Numériques,

spécialité Nouveau Journalisme. Mon

année a été dirigée vers la notion de

nouveau journalisme, c’est-à-dire des

médias sur Internet. C’est à l’école où

j’ai commencé à sentir la discrimination

de l’élite journalistique. En tant que « Nouveau journaliste

», on se trouvait un degré au-dessous des « vrais J » (« Vrai

Journalisme »), on ne travaillait pas avec le même matériel, on

n’avait pas la même formation, ni les mêmes espaces de travail

et on n’avait pas en besoin de faire un test de connaissances

pour commencer la formation. Mais je suis très contente

du Master que j’ai choisi, j’ai trouvé des gens merveilleux,

compétents et solidaires lors de travaux de groupes. J’ai vu

aussi comment certains personnes n’hésitaient pas à marcher

sur les autres si nécessaire, pour leurs propres intérêts. C’est

ici qu’on commence à se former, et si on pense et agit déjà

comme ça au début, il sera très difficile de changer après,

quand vraiment on aura besoin de « lutter » pour un vrai poste.

L’année s’est très bien terminée, et malgré mon français j’ai

réussi à bien m’en sortir. Pour avoir le diplôme, on devait faire

un stage de trois mois dans un média. C’était compliqué pour

moi, je ne savais pas très bien vers où je voulais aller : vidéo,

Clara Martinez

In Other Words NEWS Page 8 Recadrage

“Comment j’ai plongé dans la marmite.”radio, presse écrite… La seule chose dont j’étais sûre, c’était

est que je ne voulais pas travailler dans un média quotidien,

car même aujourd’hui je ne me sens pas prête. J’avais peur de

ne trouver personne pour me prendre en stage, parce que ma

langue maternelle n’était pas le français. Finalement, MAGMA

(magazine trimestriel étudiant) m’a donné acceptée. J’écrivais

des articles pour le magazine papier, mais également pour le site

web. En même temps, comme ils font aussi de la vidéo, j’ai eu

la possibilité de « jouer » avec la caméra et les programmes de

montage. Encore une fois, je n’ai pas senti de discrimination

du fait que j’étais étrangère. Au contraire, ils m’ont toujours

aidée et ils m’ont accordé beaucoup de confiance lors de la

rédaction de mes articles. Quand la rédactrice en chef devait

corriger mes articles, elle me disait : « Ne t’inquiète pas, je

corrige aussi les Français ». Et ces mots me soulageaient,

même si la correction était plus importante pour moi.

En septembre dernier, j’ai fini mon stage et je me suis retrouvée

face à un marché du travail très compliqué, principalement en

raison du contexte économique dans lequel nous évoluons

aujourd’hui. Je devais chercher un travail en tant que journaliste,

et je ne savais pas vers où et qui me tourner. Je voulais, et je veux

encore, chercher un magazine faisant montre d’une sensibilité

écologique et sociale. Mais la plupart des contrats ne s’adaptent

pas aux circonstances. C’est ici, dans un contexte en dehors

de la faculté, que je ressens de la discrimination. Le fait d’être

étrangère me complique les choses. Un jour une dame m’a dit

: « Pourquoi un média te prendrait toi, au lieu d’un journaliste

français ? ». Je dois avouer que cette phrase m’a fait croire que

je ne travaillerais jamais comme journaliste en France. Mais

depuis, son discours a changé, et maintenant elle pense que «

mon français est formidable ». Donc je reprends la morale, et

je pense qu’un jour, je trouverai un média où j’aurai une place.

Je pense profiter de Marseille 2013 Capitale Européenne de la

Culture pour travailler pour des médias espagnols, et pourquoi

pas, pour des médias français qui cherchent un nouvel angle

pour cet événement. Nouvelle année, nouvelles chances !

Par Samir Akacha, journaliste français

C’est peut-être à cause de Tintin. Ou encore de Clark

Kent. Je ne me souviens pas enfant de mon premier

déclic pour le journalisme, mais entre devenir président,

égyptologue ou pilote de vaisseau spacial, le désir d’être

reporter est celui que j’ai nourri le plus longtemps.

A la faveur d’une découverte fortuite dans le journal,

j’apprends l’existence d’un atelier de journalime gratuit,

encadré par deux membres de la profession. C’était il y a trois

ans. A cette époque, la croyance la plus fortement partagée

par la population française, et par mes parents, était le

mythe du diplôme. Peut-être devrais-je préciser mon parcours

universitaire. J’obtiens mon Bac L il y a six ans, avant de me

diriger vers une classe prépa. Objectif: obtenir le concours

d’entrée à Sciences Po. Mon choix se porte sur l’histoire

l’année suivante, n’ayant pu obtenir le graal. Mauvais choix.

Malgré un fort intérêt pour la matière, je ne me sens pas à ma

place, même si cet essai m’offre l’opportunité durant tout un

semestre d’apprendre le roumain : «Bonjour, je suis Samir, je

suis de l’université de Provence, merci, père Noël». Il n’en reste

pas grand chose, mais je me familiarise avec une culture et

une langue magnifique, bien loin des clichés colportés par ces

hordes médiatiques sensationnalistes. Au mois de décembre

donc, face à ce malaise insupportable, je prends la décision

de quitter l’université. Ce fut un choc pour mes parents, qui,

comme le reste de la population française, pensaient ma réussite

à jamais compromise. Ce fut la meilleure décision de ma vie.

Perdu, mais rompant avec un modèle de réussite stéréotypé,

je me convaincs que le reste de l’année, j’en profiterai pour

me construire, élaborer mon projet d’avenir et apprendre par

moi-même et sur moi-même. Oubliant ces bonnes résolutions

une fois devant mon écran d’ordinateur, je me crée un avatar

et me plonge dans Second Life, cette simulation de vie en

ligne, qui a bien failli devenir ma seule et unique réalité. Mais

une chose extraordinaire en est ressortie. A force de parler à

d’autres personnes du monde entier à travers mon avatar, je

finis par maitriser la langue de Shakespeare, exploit qu’il me

fut presque impossible à réaliser durant ma scolarité. Trop de

grammaire et pas assez de conversation sans doute. Avec cette

connaissance, je me rends compte qu’il est possible d’évoluer

concrêtement en dehors de tout cadre institutionnel.

Marseille, 12-2012 n°15

Page 9Recadrage

Mais n’ayant pas nombre d’options devant moi, je reviens

vers l’université, pour rassurer mes parents, et peut-être aussi

moi-même. Cependant, ma liberté me manque, et je profite

de chaque opportunité pour échapper à une monotonie

affligeante. Je rejoinds le Pandore Libéré, journal étudiant,

qui m’offre là la chance d’envisager ce métier sérieusement.

Pendant un peu plus d’une année, je m’occupe des pages

débat, développe mon réseau et me familiarise avec le monde

associatif. Cette connexion entre media et monde associatif

n’allait plus jamais me quitter. A la

faveur d’un vaste mouvement de

protestation étudiant, conduisant

au blocage de la faculté, j’en profite

pour quitter une nouvelle fois le

système. J’avais dédié cette année

aux Lettres Modernes. Matières

passionnantes, mais sans chemin

sûr vers un avenir certain. C’est à ce

moment là que je rejoins l’Atelier

Journalisme de Marseille (AJM).

En parallèle de mes «études», j’apprends donc les bases du

journalisme, discute d’actualité et de presse, jusqu’à avoir la

certitude qui manquait à ma vie : j’allais devenir journaliste.

Ce monde s’est ouvert à moi, et ma vie a commencé à

s’accélérer. Après cette formation, direction Paris pour

un stage au mensuel Regards, puis la Grèce avec Safar

Expéditions Jeunesse, une association média, afin de réaliser

un documentaire sur la révolte des jeunes. Après un service

civique à Animafac et un réseau encore plus étendu, je

pousse les portes d’Eurocircle cette fois, pour donner une

dimension internationale à mon parcours. Pologne, Slovénie,

Allemagne, Luxembourg, Espagne, je multiplie les échanges

de jeunes et les trainings, me formant sur la créativité, les

nouveaux médias et d’autres problématiques européennes.

Mais l’expérience la plus emblématique reste la Suède, où

j’effectue un service volontaire européen de sept mois.

Avec une équipe de mon centre de jeunesse à Göteborg,

nous créons un club média, qui se conclut par l’organisation

d’un grand débat. Trois partis politiques et le mouvement

Occupy Göteborg répondent à l’appel, pour discuter du

traité ACTA. Ce fut une sorte de consecration : il m’était

donc possible de tout faire, même de devenir journaliste,

à force d’expériences, de rencontres et de voyages. Ces

expériences me confortent dans mes choix, je commence

même à cultiver une certaine fierté de ne pas être diplomé,

d’avoir un parcours atypique, quand je vois tout autour de

moi les difficutés de certains amis à s’accomplir, malgré

leurs masters. Le mythe du diplôme s’effondre, et la société

qui me pensait perdu me regarde avec un oeil différent.

De retour à Marseille, et après un stage au mensuel Le Ravi,

l’association qui organise l’AJM et s’occupe du Marseille

Bondy Blog, auquel je collabore

depuis trois ans, m’engage pour

développer de nouveaux projets,

notamment autour de la vidéo.

Aujourd’hui, j’ai pour objectif

de retourner en Suède en tant

que journaliste freelance. Je veux

devenir reporter parce que j’ai soif

d’apprendre, de connaître et savoir.

J’aime également échanger, partager

et débattre. L’écriture, la photo et la

vidéo viennent compléter ces motivations. J’ai l’impression

que c’est l’un des seuls métiers que je serais heureux

d’exercer. Confucius a dit un jour: «Choisis un travail que tu

aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour dans ta vie».

Samir Akacha

EUROCIRCLE47 rue du Coq13001 Marseille

Tel : +33-(0)491429475Fax : +33(0)491480585

E-Mail : [email protected]

Agenda

www.inotherwords-project.eu

L’équipe d’Autrement Dit recommande...

Nous vous recommandons également le

Dictionnaire de l’homophobie (PUF, 2003).

Ce dictionnaire a pour objectif d’expliquer

et d’étudier l’homophobie. C’est un ou-

vrage collectif, rédigé par des universi-

taires et des spécialistes de l’homophobie

et dirigé par Louis-Georges Tin.

Ce dictionnaire représente un véritable état

des lieux de l’homophobie dans le monde.

Marseille, 12-2012 n°15

L’équipe « In Others Word » vous recommande vivement le DVD

«Les nouveaux chiens de garde», adaptation de l’essai de Serge Halimi

concernant les médias, réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat.

Ce f i lm documentaire est sor ti au cinéma en France en

janvier 2012 et traite des col lusions entre médias français

( télévis ion et grands journaux) et pouvoir polit ique.

Pour commander le DVD en ligne :

http://www.acrimed.org/article3943.html

Pour télécharger le formulaire classique (avec bon de commande):

http://www.acrimed.org/article3944.html