nicoletta zalaffi-nogueira

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Nicoletta Zalaffi est née à Venise en 1932. Après ses études à Parme, elle se marie très jeune et part s’installer avec son mari et ses enfants à Paris au début des années 50. Très cultivée, intéressée par toutes les formes d’expression artistique, elle s’adonne à la peinture, à la sculpture au graphisme et à la photographie. Malheureusement, son mariage bat très vite de l’aile et elle essaie de com- penser les conséquences désastreuses de cette union ratée par une grande activité culturelle. Ses loisirs sont remplis par le théâtre, la musique et le cinéma. Spectatrice assidue des projections de la Cinémathèque Fran- çaise (rue de Messine, rue d’Ulm et plus tard Palais de Chaillot), elle y côtoie, parmi d’autres, les futurs repré- sentants de la Nouvelle Vague : Truffaut, Godard, Rivette, etc. Cet amour du cinéma allait prédestiner à notre rencontre. Je débarque à Paris en décembre 1961, en provenance de Lisbonne où un mandat d’arrêt me visait. Quelques jours après mon arrivée, je me suis dirigé vers la salle de la rue d’Ulm de la Cinémathèque Française que j’allais fré- quenter, par la suite, avec une maladive fréquence de drogué de la pellicule. Le premier dimanche de 1962, dans la matinée, François Truffaut y présentait et commentait des extraits de son nouveau film pas encore sorti, «Jules et Jim». La salle était bondée et parmi les gens assis par terre, une jolie femme installée aux pieds de mon fauteuil. Par courtoisie, je lui ai offert ma place. Ce fût le geste qui m’a coûté le plus cher de toute mon existence: trente et un ans de complicité, de bonheur et de vie ensemble ! Notre vie réelle de couple, commence à Bruxelles, le 9 mai 1963 où nous avons été engagés par Jacques Ledoux, patron de la Cinémathèque Royale de Belgique. Après quelques mois de rodage de vie à deux, nous avons dé- cidé de regagner Paris. Et pendant que je travaillais à l’Institut Pédagogique National, comme cinémathécaire d’abord et ensuite assistant-réalisateur (Rohmer, Eustache, Almendros, Rouquier…), Nicoletta m’épaulait dans mon travail de journaliste pigiste de plusieurs revues et journaux de cinéma. Je rencontrais des cinéastes et elle photographiait les interviewés. Cette collaboration unique a duré toute sa vie. Une seule fois en trente et un ans de vie commune nous avons failli nous séparer : lorsqu’elle a essayé de me convaincre qu’un film russe très académique, d’après Tchekov, «La Cigale», de Samson Samsonov (1955), que j’avais détesté, était une œuvre de qualité. Nous étions encore à Bruxelles et j’ai pu la rattraper de justesse à la gare. Cette histoire explique mieux que tout autre l’importance que le cinéma avait pour nous. En décembre 1977, j’ai pris la direction du C.A.C.-Voltaire à Genève. Elle est venue me rejoindre quelques mois plus tard pour me seconder. Sans sa détermination, son enthousiasme et sa solide collaboration, je n’aurais pas réussi à redresser la situation catastrophique où se trouvait le C.A.C.-Voltaire. Elle l’a dirigé avec moi de 1978 à 1994, les trois premières années à titre gracieux et les sept suivantes avec un salaire symbolique. Par la suite, grâce aux interventions successives de trois membres du Comité, son travail a été mieux reconnu. Néanmoins, bien qu’ayant vécu seize ans à Genève, elle n’a jamais obtenu un permis de travail, vivant ainsi clandestinement. Cette situation hypocrite était un secret de polichinelle et arrangeait bien tout le monde, sauf elle… Ses affiches étaient très appréciées, malgré les limites budgétaires auxquelles nous étions assujettis. Cela lui permettait cependant d’être plus inventive au niveau des 3 couleurs (noir, blanc et la couleur supplémentaire) que l’on pouvait se payer et avec lesquelles elle était obligée de jongler. Quant à ses photos (auxquelles une exposition sera consacrée en 2011), elles ont fait le bonheur de plusieurs cinémas et cinémathèques : le Studio Action à Paris, la Cinémathèque du Luxembourg, le National Film Theater à Londres, etc. Elle aurait pu exposer dans d’autres lieux, mais il aurait fallu pour cela investir du temps et de l’énergie qu’elle préférait consacrer à son travail au C.A.C.-Voltaire. Tous deux, nous nous sommes engagés à fond dans notre travail, nous épaulant mutuellement, soutenus que nous étions par le public genevois et par des magistrats cultivés qui comprenaient l’importance de notre mission. Je pense notamment à André Chavanne et à Claude Ketterer. Mais tout ça c’est du passé et comme disait Shaskepeare, «le reste est silence ». Rui Nogueira P.S. : Ces notes servent de pense-bête pour les mémoires que je rédige actuellement et qui auront pour titre «Au Royaume des Gougnafiers» (Roman sans Cocaïne). Nicoletta ZALAFFI — NOGUEIRA 1932 — 1994

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Biographie de Nicoletta Zalaffi-Nogueira

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Page 1: Nicoletta Zalaffi-Nogueira

Nicoletta Zalaffi est née à Venise en 1932. Après ses études à Parme, elle se marie très jeune et part s’installer

avec son mari et ses enfants à Paris au début des années 50.

Très cultivée, intéressée par toutes les formes d’expression artistique, elle s’adonne à la peinture, à la sculpture

au graphisme et à la photographie. Malheureusement, son mariage bat très vite de l’aile et elle essaie de com-

penser les conséquences désastreuses de cette union ratée par une grande activité culturelle. Ses loisirs sont

remplis par le théâtre, la musique et le cinéma. Spectatrice assidue des projections de la Cinémathèque Fran-

çaise (rue de Messine, rue d’Ulm et plus tard Palais de Chaillot), elle y côtoie, parmi d’autres, les futurs repré-

sentants de la Nouvelle Vague : Truffaut, Godard, Rivette, etc. Cet amour du cinéma allait prédestiner à notre

rencontre.

Je débarque à Paris en décembre 1961, en provenance de Lisbonne où un

mandat d’arrêt me visait. Quelques jours après mon arrivée, je me suis dirigé

vers la salle de la rue d’Ulm de la Cinémathèque Française que j’allais fré-

quenter, par la suite, avec une maladive fréquence de drogué de la pellicule.

Le premier dimanche de 1962, dans la matinée, François Truffaut y présentait

et commentait des extraits de son nouveau film pas encore sorti, «Jules et

Jim». La salle était bondée et parmi les gens assis par terre, une jolie femme

installée aux pieds de mon fauteuil. Par courtoisie, je lui ai offert ma place.

Ce fût le geste qui m’a coûté le plus cher de toute mon existence: trente et

un ans de complicité, de bonheur et de vie ensemble !

Notre vie réelle de couple, commence à Bruxelles, le 9 mai 1963 où nous

avons été engagés par Jacques Ledoux, patron de la Cinémathèque Royale

de Belgique. Après quelques mois de rodage de vie à deux, nous avons dé-

cidé de regagner Paris. Et pendant que je travaillais à l’Institut Pédagogique

National, comme cinémathécaire d’abord et ensuite assistant-réalisateur

(Rohmer, Eustache, Almendros, Rouquier…), Nicoletta m’épaulait dans mon

travail de journaliste pigiste de plusieurs revues et journaux de cinéma. Je

rencontrais des cinéastes et elle photographiait les interviewés.

Cette collaboration unique a duré toute sa vie. Une seule fois en trente et un

ans de vie commune nous avons failli nous séparer : lorsqu’elle a essayé

de me convaincre qu’un film russe très académique, d’après Tchekov, «La

Cigale», de Samson Samsonov (1955), que j’avais détesté, était une œuvre de qualité. Nous étions encore à

Bruxelles et j’ai pu la rattraper de justesse à la gare. Cette histoire explique mieux que tout autre l’importance

que le cinéma avait pour nous.

En décembre 1977, j’ai pris la direction du C.A.C.-Voltaire à Genève. Elle est venue me rejoindre quelques mois

plus tard pour me seconder. Sans sa détermination, son enthousiasme et sa solide collaboration, je n’aurais

pas réussi à redresser la situation catastrophique où se trouvait le C.A.C.-Voltaire. Elle l’a dirigé avec moi de

1978 à 1994, les trois premières années à titre gracieux et les sept suivantes avec un salaire symbolique. Par

la suite, grâce aux interventions successives de trois membres du Comité, son travail a été mieux reconnu.

Néanmoins, bien qu’ayant vécu seize ans à Genève, elle n’a jamais obtenu un permis de travail, vivant ainsi

clandestinement. Cette situation hypocrite était un secret de polichinelle et arrangeait bien tout le monde, sauf

elle…

Ses affiches étaient très appréciées, malgré les limites budgétaires auxquelles nous étions assujettis. Cela lui

permettait cependant d’être plus inventive au niveau des 3 couleurs (noir, blanc et la couleur supplémentaire)

que l’on pouvait se payer et avec lesquelles elle était obligée de jongler. Quant à ses photos (auxquelles une

exposition sera consacrée en 2011), elles ont fait le bonheur de plusieurs cinémas et cinémathèques : le Studio

Action à Paris, la Cinémathèque du Luxembourg, le National Film Theater à Londres, etc. Elle aurait pu exposer

dans d’autres lieux, mais il aurait fallu pour cela investir du temps et de l’énergie qu’elle préférait consacrer à

son travail au C.A.C.-Voltaire. Tous deux, nous nous sommes engagés à fond dans notre travail, nous épaulant

mutuellement, soutenus que nous étions par le public genevois et par des magistrats cultivés qui comprenaient

l’importance de notre mission. Je pense notamment à André Chavanne et à Claude Ketterer. Mais tout ça c’est

du passé et comme disait Shaskepeare, «le reste est silence ».

Rui Nogueira

P.S. : Ces notes servent de pense-bête pour les mémoires que je rédige actuellement et qui auront pour titre

«Au Royaume des Gougnafiers» (Roman sans Cocaïne).

Nicoletta ZALAFFI — NOGUEIRA1932 — 1994