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Notes du mont Royal Cette œuvre est hébergée sur « No- tes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DE LA PAGE INTERNET Remacle.org www.notesdumontroyal.com

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Page 1: Notes du mont Royal ←  · Macan, depuis la préface persane de celui-ci jusqu'à l'appendice. M. Nasarianz, professeur à l'Institut arménien de Lazarow, à Moscou, a bien voulu

Notes du mont Royal

Cette œuvre est hébergée sur « No­tes du mont Royal » dans le cadre d’un

exposé gratuit sur la littérature.SOURCE DE LA PAGE INTERNET

Remacle.org

www.notesdumontroyal.com 쐰

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RETOURÀL’ENTRÉEDUSITE ALLERALALISTEDESAUTEURSARABES

FERDOWSI/FIRDOUSI

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LIVREDESROIS

TomeI:Préface—Introduction—Kaïoumors,1erroidePerse —Houscheng—

Thahmouras,LevainqueurdesDivs—Djemschid—Zohak—Feridoun—Minoutchehr

—Newder—Zew,filsdeThahmasp —Guerschasp—Keïkobad—KeïKaous:Guerre

contreleMazenderan.

TomeII:Préface—KeïKaous(suite) :ExpéditiondeKeïKaousdansle

Berberistan,etautreshistoiresHistoiredeSiawusch-HistoiredeSohrab-

HistoiredeSiawusch.-.DépartdeKhosroupourlepaysd'Iran —KeïKhosrous

:PremièreguerrecontreAfrasiab.

TomeIII :Préface—KeïKhosrous(suite):HistoiredeKamousdeKaschan-

CombatdeRustemetduKhakandelaChine-HistoireducombatdeRustemcontre

leDivAkwan-HistoiredeBijenetdeMenijeh-Histoireducombatdesdouze

champions.

TomeIV:Préface—KeïKhosrous(suite):LagrandeguerredeKeïKhosrou

contreAfrasiab—Lohrasp—Guschtasp-histoiredesseptstations- Combat

d'IsfendiarcontreRustem.-AventuredeRustemetdeScheghad

TomeV:Préface—Bahman,filsd'Isfendiar—Homaï—Darab—Dara,filsde

Darab—Iskender—DynastiedesAschkanides—DysnastiedesSassanides:

ArdeschirBabekan-Schapour(filsd'Ardeschir),SaporI-Ormuzd(filsde

Schapour),HormisdasI-Bahram(filsd'Ormuzd),VaranesI-Bahram(filsde

Bahram),VaranesII-Bahram(filsetpetit-filsdeBahram)VaranesIII-Nersi

(filsdeBahram),NarsesI-Ormuzd(filsdeNersi)HormisdasII-Schapour

DhoulAktaf,SaporII-ArdeschirleBon,ArtaxerxesII-Schapour(filsde

Schapour),SaporIII-Bahram(filsdeSchapour),VaranesIV-Yezdeguerdle

Méchant,IsdegertesI-BahramGour(1èrepartie),VaranesV.

~TomeVI:Préface—BahramGour(2èmepartie),VaranesV-Yezdeguerd

(Sipahdost),IsdegertesII-Hormuz,HormisdasIII-Pirouz,Peroses-Balasch,

Balasces-Kobad,Cavades-KesraNouschirwan,Chosroës-Hormuzd,Hormisdas.

~TomeVlI:Préface—KhosrouParviz,ChosroësII-Kobad(filsdeParviz)ou

Schirouï,CavadesII(Siroës)-Ardeschir(filsdeSchirouï),ArtaxerxesIII-

GurazappeléFérayîn,Schahr-Barz-Pourandokht,reine-Azermidokht,reine-

Farrukhzad-Yezdegird,IsdegertesIII—Tableanalytiquedesnomspropreset

desprincipalesmatières.

OeuvrenumériséeparMarcSzwajcer

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RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI

FERDOWSI/FIRDOUSI

LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII)ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer

TomeIIIpartieV

précédent

FERDOWSI

LELIVREDESROIS.

FERDOWSI

LELIVREDESROIS

TOMEIV

PRÉFACE.

Cevolumecontientl'histoireépiquedel'époquelaplusbrillantedelaPerse,pendantlaquellecepaysaleplus

agisurlemondeparl'épéeetparlesidées.Nousyvoyonsletriomphedel'IransurleTouran,l'apparitionde

Zoroastre et l'extension desa religion, le pouvoir des grands rois arrivé à son pointculminant, et les signes

précurseurs de sa décadence prochaine. Lesdernières grandes figures épiques du poème, Keï Khosrou et Afrasiab,

Isfendiar et Rustem, disparaissent ; la tradition antique va cesser,et il ne reste plus à remplir que le court

intervalle entrel'avènementautrônedeBahmanetlaconquêtedelaPerseparAlexandreleGrand.Jusqu'àcette

époqueletondulivrenechangepas,etlesmatériauxdontFirdousidisposecontinuentàêtredelamêmenature:

ilsconsistentavanttoutdanslesrécitspopulairesrecueillissouslesSassanides,auxquelslepoèteajouteles

traditionsqu'ilapuretrouveretdontilindiqueparfoisl'origine.C'estainsiqu'ilnousdonnequelquesdétails,

malheureusementbienincomplets,surlasourced'oùilatirélerécitdelamortdeRustem.

Plus on étudiera l'œuvre de Firdousi, plus on seconvaincra,jecrois,qu'iln'arieninventé,etqu'ils'est

contenté de revêtir de son brillant coloris les traditions quiformaient l'histoire populaire de la Perse. Ces

traditionsdevaientreposerdanscepays,commecheztouslespeuples,surdessouvenirsantiquesconservésdansdes

chantspopulaires,perpétuésparlatransmissionorale,ets'altérantgraduellementparl'introductiond'aventures

merveilleusesetromanesques,quisouventfinissentparrecouvrirlefondoriginalaupointdelefairedisparaître

sous leflotdesfablesaumilieudesquellesilseperd.Onpeutenvoirunexempleextrêmedanslesaventuresde

GuschtaspàRoum,quiconserventàpeineunetracedesrapportsquionteulieuentrelesPersesetlesGrecs.Rien

n'estplusintéressantpourlacritiquelittérairequelafablehéroïquedesPerses;car,paruneexceptionrare

dans l'histoire des littératures, nous pouvons la contrôlerjusqu'à un certain point, à l'aide de documents

authentiques,etnousformerparanalogieuneopinionsurledegréd'importancehistoriquequ'onpeutattribueràla

traditionpopulairechezd'autresnations,oùaucunmonumentcertainnevientànotreaide.Aureste,toutcequeje

désirefaireobserverestquenousnedevonstraiterleLivredesRoisnicommeunehistoirenicommeuneinvention

dupoète,maiscommeunereprésentationexactedelatraditionpersane,tellequ'elleexistaitauXesiècle.Tousles

fragmentsdecettehistoirepopulairequenoustrouvonsdansleslivresdesGuèbres,dansMoïsedeKhorèneetdans

leshistoriensarabesantérieursàFirdousi,coïncidenttropavecleLivredesRoispourlaisserundouteraisonnable

sur ce point. Quelquefois la forme d'une ancienneballade est si bien conservée qu'on pourrait presque la

reconstituer,comme,parexemple,cellequiadûfournirlefonddelapetiteaventureracontée.D'autresfoison

aperçoitun certain travail littéraire par lequel on s'est efforcé decoordonner des récits différents d'un même

événement, ou de réuniren une seule narration les récits de faits différents, maisanalogues. Le présent volume

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offreunexempledecegenredanslerécitdesexpéditionsdeKeïKhosroucontreGangueDiz.Jenesaissiondoit

attribueràFirdousi,ouauxcompilateursdurecueildontilseservait,cetravaildecombinaison,quin'apasrendu

clair cequiauparavantétaitprobablementassezobscur;maisilestévidentquesil'auteuravaitinventécette

histoire,ill'auraitarrangéed'unefaçonplusintelligible.

LapartieduvolumelapluscurieusepourlacritiquelittéraireduLivredesRoisestlefragmentcomposépar

Dakiki,etconservéparFirdousi,unpeuparpitiépourlamémoiredesonprédécesseur,unpeuparvanitéd'auteur

quiveutmontrersapropresupériorité.Ilparleavecpeud'estimedutalentdeDakiki,etmêmeunlecteureuropéen

aperçoit la différence entre la manière de raconter des deux poètes; mais les matériaux dont ils se servaient

étaient à peu près lesmêmes, et, sous le rapport du fond et du contenu, l'œuvre de Dakikiaurait été pour nous

l'équivalentduLivredesRois.

Ilaparu,depuislapublicationdutroisièmevolume,quelquesouvragesrelativeàFirdousi;voiciceuxdontj'ai

eu connaissance :Mohammed Mehdi, d'Ispahan, a publié à Téhéran, l'an 1267 de l’hégire(1850), une édition

lithographiéedeFirdousi,enunvolumein-folio…C'est,autantquej'aipum'enassurer,lareproductionexactede

l'éditiondeTurnerMacan,depuislapréfacepersanedecelui-cijusqu'àl'appendice.

M.Nasarianz,professeuràl'InstitutarméniendeLazarow,àMoscou,abienvoulum'envoyerlasecondepartied'un

essaidecritiquelittéraireethistoriquedeFirdousiqu'ilapublié…(Aboul-KasimFirdousi.deThous,auteurdu

LivredesRois,etc.parStephanNasarianz;Moscou,1851,in-8°).

EnfinM.deSchackafaitparaîtreàBerlindeuxchoixdetraductions,enversallemands,desépisodeslesplus

importantsduLivredesRois,souslestitressuivants:HeldensagenvonFirdusi,zumerstenMalemetrischausdem

Persischenübersetzt,nebsteinerEinleitungüberdasiranischeEpos,vonA.F.vonSchack;Berlin,1851.in-8°;et

EpischeDichtungenausdemPersischendesFirdusi,vonA.F.vonSchack;Berlin,1853,2vol.in-8°.

L'impressionduprésentvolume,commencéeen1847,puisinterrompueen1848parsuitedesévénementspolitiques,

n'aétéreprisesérieusementqu'en1851.Celongintervallemeservirapeut-êtred'excusepourquelqueschangements

danslatraductionetdansl'orthographe;c'estainsiqu'ontrouveraaucommencementlelacdeZereh,etplustard

lamerdeZereh;demêmelamerdeKeïmak,etplustardlamerde Kaimak,etpeut-êtred'autresirrégularitésdu

mêmegenre.

FERDOWSI

LELIVREDESROIS

SUITEDUREGNE

DEKEÏKHOSROU

*****************

LAGRANDEGUERREDEKEÏKHOSROUCONTREAFRASIAB

LOUANGEDUSULTANMAHMOUD.

QuelesbénédictionsdeDieusoientsurceroiquifaitlesdélicesdutrône,delacouronneetdusceau;surle

maîtredelagloireetdesrichesses,lemaîtredel'épée,delacottedemaillesetdestravauxdelaguerre!Son

trésor souffre de seslargesses,maissonpouvoiretsafortunes'enaccroissent;sonarmées'étendd'unemerà

l'autre;lemondereposesouslesailesdesondiadème.Ilnerestepasd'ordanslesminesdelaterrequinesache

qu'ildoiveêtredistribuéparlui.Leroiprendl'oràsesennemisetledonneàsesamis;Dieu,quiaccordela

victoire,estsonsoutien.Ilprodiguesestrésorsdanslesfestins;maisquandarrivelecombat,ilprouvequ'il

sait endurer les fatigues ; il fait porter fruit aux branchesdel’arbre de la foi et de l'intelligence, et une

simpleopiniondeluiestplussagequelaraison desautres;saprévoyancelegarantitdetoutmal,etDieuest

toujourssonrefuge.Quandilattaqueavecsonépéetranchante,ilbouleverselemonde;samain,quifrappeavecle

fer,répanddesjoyaux;ilnedemandesurlaterrequelagloiredemériterduciellenomd'unemerdegénérosité,

quandilestassisaubanquet,etd'unlionàvisagedesoleil,quandilestaumilieudelabataille.Laterreetla

mer,etlesoleildanslescieux,témoignentquejamaisiln'yaeuunroipareilàluiencourage,engénérosité,en

ardeurpourletravail,engloireetenrenom;et,s'ilnemêlaitpaslatendresseàlabravoure,ileffraieraitles

astresparsonregard.Soncorpsestpleindeforce,etsonarméesiserréequeleventnepeutpasserautravers;

derrièresestroupessetiennentseptcentséléphantsterribles;Dieuetl’angeGabrielsontsesalliés.Ildemande

destributsàtouslesrois,àtouslesgrands,àtouslesbraves;ets’ilss'yrefusent,ilprendleursprovinces,

leurstrésors,leurscouronnesetleursdiadèmes.Quioseraenfreindresestraitésoudésobéiràsesordres?Ilfait

brillerletrônedelaterre,etdanslabatailleilestcommeunemontagnecouverted'unecuirasse.

LeroiAbou'lkasim,levaillanthéros,quiarracheraitunonagredesgriffesdulion,Mahmoud,lemaîtredumonde,

qui dans le combat abaisse dans la poussière les têtes lesplus hautes, puisse-t-il rester roi, et son puissant

drapeau formerlediadèmedelaluneaussilongtempsquelemondeseramonde!carilestl'ornementducielqui

tourne;assisaufestin,ilestlenuagequilaissetomberlapluie.C'estunroiintelligent,glorieuxetjuste;

puisselemonden'êtrejamaisprivédesatêteetdesondiadème!Ilaunearméeetducourage,destrésorsetun

conseiller;ilaimeégalementlescombats,lesfêtesetlesfestins.Unseultapis(domination)aétéétendusurle

monde,etsatracenes'effaceraplus;etlàoùsetrouventsurcetapislecoussinetlesiège,estlaplacede

Fadhl,filsd'Ahmed,surquireposelapaixdecetempire,etquiestlasourcedel'intelligencedanslatêtedes

grands. Jamais les Khosroès n'ont euun ministre comme lui, modéré, généreux, croyant, sage, éloquent,sincère,

incorruptible,dévouéauroietadorateurdeDieu.Ceministre,savantetjuste,amisfinàmespeinesinnombrables.

J'aimisenverscelivredetraditionsempruntéesàunvieuxrecueil,espérantqu'auxjoursdemavieillesseil

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porteraitfruitetmedonneraitdelagrandeur,del'oretundiadème.Maisnevoyantpasderoigénéreuxbrillersur

letrônedesKeïanides,jegardaismonlivrejusqu'àcequejevisseparaîtreunhommelibéral,dontlamunificence

n'auraitpasbesoindeclef;undéfenseurdelafoi,ungardiendelacouronne,quiillustreraitlediadèmeetle

trôned'ivoire,quiseraitpuissantdanslecombatdesbraves,quiconnaîtraitlesecretdeschoses.C'estainsique

j'ai traversé soixante-cinq années dans lapauvreté, la misère et les fatigues ; lorsque cinq années se furent

ajoutéesauxsoixante,jefuslasetcommeivredessoixante-six.Majoue,quiavaitressembléàlatulipe,était

devenuejaunecommelapaille;etmescheveux,noirscommelemusc,avaientprislacouleurducamphre;mastature

droitesecourbaitsousl'âge,etmesyeuxdenarcisseperdaientleuréclat.Quandj'euscinquante-huitans,j'étais

encorefort,quoiquemajeunessefitpassée;j'entendisungrandcridanslemonde,annonçantquelestêtesétaient

délivréesdessoucisetlescorpssoustraitsauxdangers;queFeridounlesageétaitressuscité;quelesiècleet

laterreétaientsesesclaves;qu'ilavaitconquiscemondeparsajusticeetsamunificence;qu'ilportaitlatête

plushautquelesroisdesrois,etquelestracesdesonhistoireétaientbrillantes.Puissentl'empreintedeson

piedetsesracinesdureréternellement!Depuisquej'aientenducecri,jeneprêtel'oreilleàaucunautrebruit.

J'aicomposécelivreaunomduroi;puissenttouteslesgrandeursêtresonpartage!Carlemaîtredel'épée,dela

couronne et du trône sera mon soutiendans la vieillesse ; et je ne demande au Créateur tout-puissant quede

m'accorderassezdeviepourachevercelivreaunomduroidumonde,etfaireentendremavoix;ensuitemonvil

corpsappartiendraàlapoussière,etmonâmevivanteauxsaintesminesduparadis.

Legénéreuxmaîtredumonde,ledispensateurdelajustice,quiafaitparaîtresurlaterrelabravoure,lemaître

del'IndeetdelaChine,del'IranetdupaysdeTouran,lemaîtredelasplendeuretdupouvoirsuprême,luique

n'osentapprocherlescalomniesetlesmauvaisesparoles,luidontlavoixfendlesmontagnesetlesrochers,quiest

uncrocodiledansl'eauetunléopardsurlaterre,lemaîtredumonde,Mahmoud,quiressembleausoleil,leliondes

combatsquifrappedel’épée,memettraau-dessusdetouslesbesoins,etmeferaporterhautlatêteaumilieudes

héros.Puissentsatêteetsontrôneêtreéternels!puissesafortuneégalerledésirdesesamis!Quandilest

assisaufestin,l'orn'estpourluiquedelapoussière,etsoncœurnecraintpasdelerépandre.Vaillantserait

celuiquisauraitlecélébrer,etsijelecélèbre,quiest-cequimecomprendra?Carc'estunroiau-dessusde

touteimaginationetdetoutepuissance;ilestcommelediadèmesurlatêtedeJupiter.

J'aifaituneœuvre,ôroi,quiresteracommeunsouvenirdemoidanslemonde.Lespalaisquel'onélèvetombent

enruinessouslapluieetl'ardeurdusoleil;j'aiconstruitavecmesversunpalaismagnifique,auquellatempête

etlapluienenuirontpas;lesannéespasserontsurcelivreettousleshommesdesensleréciteront.Queleroi

maîtredumondesoitbéni!quejamaispersonnenevoieletrôneprivédelui!Sesœuvressontseslouanges,etla

terre entière est remplie de ses traces. Hélas ! jesuis impuissant à le louer, mais je veux au moins bénir la

poussièredesespieds.Quelemondeentierviveparsagrâce,quel'intelligencecélèbresafortune.Soncœurest

toujoursjoyeux,commelegaiprintemps,aumilieudecemondequichange,etilrendjoyeuxlecœurdupeuple;il

esttoujoursvictorieuxetsaparoleesttoujourssublime.Puisseleroidesroisdemeurerdanssagloireetdansson

bonheur!puisselemauvaisœilresterloindelui!puisse-t-ilêtreau-dessusdetoutbesoin,aussilongtempsque

tourneralecielsphériqueetquelesastresletraverseront!Jecontinueraiàmettreenverscevieuxlivrecomposé

detraditionsvéridiques.Jen'aipasbesoindesavisd'unmaîtrepourmontrerlesrévolutionsdusort;etpuisqueje

suisarrivéauxcombatsdeKeïKhosrou,ilfaudraentendredesaventuresdemagie;jeferaipleuvoirdesperlessur

cettehistoire,jesèmeraidestulipessurlespierres.J'aipumaintenanttissercedrapd'or,parcequej'aitrouvé

depuislongtempscequifaitvivrelaparole.Otoiquiobserveslepassé,tantôttuesjoyeux,tantôttuesremplide

chagrin ! Que cette voûte du ciel au mouvement rapide est étonnante! l'âme en est accablée de peines toujours

nouvelles.Lapartdel'unn'estquemieletsucre,santé,viedélicateetgrandefortune;lesannéesd'unautresont

rempliesdedouleursetdefatigues,etsoncœurestserrédanscemondepassager;laviedutroisièmes'écouledans

lesdéceptions;tantôtilestenhaut,tantôtenbas.C'estainsiquelesortnousélève,etladouleurproduitepar

lesépinesestplusgrandequeleplaisircauséparlacouleurdelarose.Quiconqueentredanssasoixantièmeannée

ne peut plus comptersur ce qui est au-delà ; peu d'hommes dépassent soixante et dixans, et moi, qui ai subi

l'influencedesrotationsduciel,jesaisque,sionlesdépasse,iln'yaplusquemalheurs;etilfautpleurer

unetellevie.Silessoixantefiletsdesannéesétaientdesfiletsàpoisson,l'hommeintelligentytrouveraitune

issue;maisnousn'échapponspasaucielquitourneniàlavolontédumaîtredusoleiletdelalune.Lemaîtrede

laterreabeaulutterpéniblement,aimerlescombats,jouirdesestrésors,ilfautqu'ilpartepourl'autremonde

etlaisseicitoutcequiétaitlebutdesesefforts.PrendslesortdeKhosroucommeunexemple,acceptecomme

nouvellescesvieilleshistoiresdumonde;apprendsqueKhosrou,avecl'épée,laruseetlesstratagèmes,apunison

grand-pèredelamortdesonpère.Ilatuésongrand-père;maislui-mêmen'estpasrestésurlaterre,etlemonde

acessédeliresesordres.Telleestlaloidecemondepassager;efforce-toideresteréloignédetoutepeine.

*******************

COMMENCEMENTDURÉCIT.

KEÏKHOSROUREUNITUNEARMEECONTREAFRASIAB.

LaluttedeGouderzetdePiranétantterminée,leroivictorieuxsepréparapourunenouvelleguerre,etdetous

côtésarrivèrentlesgrands,accompagnésd'arméesinnombrables.Lebruitdestrompettesmontaversleciel,etl’on

dressadanslaplainelesenceintesdestentes;onplaçasurledosd'unéléphant un trône de turquoise, et la

surfacedelaterreondoyaitcommeleNil.Leroi,ceintdelacouronne,montasurcetrône,etunbruits'élevadela

plaineetdelacour;iln'yavaitpasdeplacepourdormirdanslavillenipourmarcherdanslacampagne.Lorsque

leroi,assissursonéléphant,eutdonnélesignaldelaguerreenjetantlesboulesdanslacoupeetens'armant

pourlecombat,iln'étaitpluspermisàpersonnedansl'empirededemeurerautrepartqu'àlacourduroi:telétait

lecommandementdel'illustreKhosrou,quiportaithautlatête.Ilenvoyadesordressurtouteslesfrontièresoùil

avaitdirigédesarméespourvuesdesesconseilsetdesesinstructions,àLohrasp,Aschkeschpromptàfrapper,qui

tiraitlecrocodiledufonddelamer,puisàl'illustreRustem,lePehlewanbien-aimé,nobleettoujourscalme;et

ilrappelaàlacourtousceuxquiétaientbravesetavidesdecombats.Ensuiteilouvritsestrésorsetpayala

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solde del'armée;ilparlabeaucoup desmânesdesonpèreetdistinguaparmilafouletroishommesàlaparole

facile,aucœurserein,etpromptsàfrapperdel’épée:Rustem,legrandPehlewan;Gouderzlesagace,levieuxloup

; enfinThous,lePehlewanauxbottinesd'or,quiportaitledrapeaudeKaweh.Leroidumondeleurdit:Hommes

illustres, princes fortunés!lesdignitésetleshonneursquejevousaccordedépassenttoutcequ'aucunhommea

jamaisrêvé.Mettez-vousenroutedetroiscôtésetpréservez mon arméedescoups de l'ennemi. Je necesserai de

combattreAfrasiabnipendantlejourbrillantnipendantlesheuresdusommeil.J'aiappeléunearméedetoutesles

provinces,etjemèneraiàbonnefincetteguerreetcettevengeance.

Il choisit dans sa cour des envoyés éloquents, intelligents et bonsconseillers ; il fit écrire dans chaque

province,àtousceuxquiavaientdurenometdel'indépendance,unelettredisant :KeïKhosrou,levictorieux,a

donnélesignalsurledosdesonéléphant,etlemondeestdevenusemblableauNil.Nevouslivrezdoncniaurepos

niausommeil,maispréparez-vousàlaguerrecontreAfrasiab.Cettelettreayantétéluepartouslesprincesqui

commandaientdansl'empire,lesbravesdumondeentierpoussèrentuncriquifitbondirlaterrecommebondissentles

vaguesdelamer,etlesgrandsdetouteslesprovincessedirigèrentavecleurstroupesverslacourduroi.

Touslesgrandsdetouslespaysayantéquipéleurstroupespourlaguerre,Khosrouvisitacesdifférentesarmées

etétablitdetouscôtésdescamps.Ilchoisitparmicestroupesrenomméestrentemillecavalierspromptsàfrapper

del'épée,etplaçaauprèsdelui,aucentredel'armée,ceshommesquiavaienttrempélesmainsdansdusangpourse

préparerau combat. Ilassignad'uncôtéuneplaceàThous,puisàMenouschanetKhouzanauxsagesconseils,qui

étaientroisdansleKischwerdeFarsetqu'accompagnaientdesgrandsauxcasquesd'or;l'unétaitroiduKhouzistan,

etdanslescombatslecompagnondelafortune;l'autreétaitroideKerman,etilnepensait,àl'heuredela

bataille,niauxconseilsniauxretards;plusloinilplaçaArischavidedecombats,etleroideGouran,lehéros

destructeurdesarmées;Sabbah,lesavantroiduYémen;Iredjaucœurdelion,aucorpsd'éléphant,lemaîtredu

monde,levictorieuxetpuissantroidupaysdeKaboul;SchemmakhSouri,roidesSouriens,armépourlecombat;plus

loin, Guiweh, le guerrier toujours victorieux, ledestructeurdesarmées,leroidupaysdeKhawer,lemaîtredu

monde,lesavant,lepur.IlplaçaàsagauchetouslesdescendantsdeKeïkobad,princesdistinguésparlesavoiret

lanaissance,etlesmitsouslecommandementdeDilafrouz.LesgrandsdelafamilledeZerir,quifrappaientavec

leurépéependantlanuit,malgrélesombrebrouillard;BijenfilsdeGuiv,avecRehhamlebrave,queleroicomptait

parmisesgrands;GourguinfilsdeMilad,etleshérosdeReï,quiétaienttousarrivésselonl’ordreduKeïanide;

enfinlefilsdeZerasp,l'adorateurduglorieuxAdergouschasp, se placèrenttous derrièreKhosrou pourformer sa

garde,etleurslancesperçaientlebrouillard.

EnsuiteilconfiaàRusteml'ailedroite,corpsdetroupesquiétaitcommeunseulcœuretunseulhomme;ilplaça

àdroitetousceuxquivenaientduZaboulistan,mêmelesprincesetlesparentsduDestan,pendantqu'ilréclamait

pourlui-mêmetoutl'honneurettouteladirectionducombat.Ilchoisitensuitepourformerl'ailegaucheunearmée

brillante comme le soleil au signe duBélier. Le Sipehdar Gouderz fils de Keschwad s'y trouvait avec leSipehdar

Hedjir,FerhadetlesgrandsdeBerdaetd'Ardebil,formantdesescadronsdevantlemaîtredumonde,ilsdemandèrent

àêtrecommandésparGouderzetseplacèrentàgauchedesestroupes.EnsuiteKhosrouordonnadecouvrirlecentrede

l'arméeparunerangéed'éléphantsdeguerre;onplaçalestourssurledosdeséléphants,etlaterretremblasous

euxcommeleseauxduNil.Onfitmonterdanslestoursdesmilliersd'archersvaillantsdanslecombat;ettrois

centscavaliers,tousavidesdebataillesetguerriersillustres,formaientlagardedechaqueéléphant.Ilordonna

auxhérosdeBagdad,quiaccompagnaientZenguehfilsdeSchaweran,àcettetroupechoisieparmileshommesdeKarkh,

deserangeràpied,armésdeleursarbalètes,devantleséléphants.Siunemontagneprofondededeuxmilless'était

trouvéedevanteux,ilsauraientpercélecœurdurocheravecleurstraits;personnenepouvaitrésisteràleurs

coups. Derrière les éléphants se tenaientdes fantassins portant des lances longues de neuf coudées, faitespour

percer les têtes ; ils tenaient devant eux des boucliers duGhilan, et le sang bouillonnait dans leurs cœurs.

Derrière ceshommes qui portaient des lances se trouvait une lignede braves couverts de boucliers et armés de

flèches qui perçaientlescuirasses,etderrièreeuxdescavaliersvaillantsdontlescarquoisétaientremplisde

flèchesenboisdepeuplier.Ensuiteleroiformauncorpschoisidetroupesdel'Occidentmuniesdeboucliers,de

cuirasses et de casques de Roum ; c'étaient trentemille braves qui portaient haut la tête, et qu'il confia à

Feribourz,levaleureuxcavalier,etàTokhar,roiduDehistan,quiméprisaitsesennemis;Tokharétaitissudela

racedel'illustreDeschmeh,famillealorstrèspuissante.ÀcôtédeFeribourzsetrouvaitNestouh,autourduquelse

pressaitunefouledegrandsetdechefsaguerrisquivenaientdudésert,descavaliersarmésdelances.Àleurtête

marchait Hedjirdevant lequel un lion n'étaitqu’une faible gazelle.Khosrou lui ordonna de se placer à côté de

Nestouh, et l'aile gauchede l'armée devint comme une montagne. Il y avait encore les troupesdu Roum et du

Berberistan, sous un chef nommé Leschkersitan :c'étaient trente mille hommes, fantassins et cavaliers, qui se

rangèrentàlagaucheduroi.EnsuiteilyavaitunearméedebravesduKhorasan,ambitieuxetconnaissantleshommes

; leur chef étaitMinoutcher, fils d'Ariseh, qui les conduisaitaux lieux où s'acquiert la gloire. Au-delà se

trouvaitunhommeillustre,delafamilledeKeroukhan,unprincedelaracedeKeïkobad,appeléleroiFirouz,un

chef qui enflammait les cœurs etanimait lesarmées ; il était roi de Garteheh et ressemblait à un lion qui

terrasserait un éléphant furieux. Le roi les plaça à côté deMinoutcher, et nomma le chef de cette famille

ordonnateur del'armée.Ensuites'avancèrentlesgrandsdumontKaf:ilsmarchaientfièrement,armésdelanceset

d'épées;c'étaitunetroupedelasouchedeFeridounetdeDjamschid,dontlecœursegonflaitdesangquand ils

pensaientàlaracedeZadschem.Ilchoisittrentemillegrandsderaceroyalequifrappaientdel'épée,etconfia

cettearméeàGuiv,filsdeGouderz,cequiremplitdejoietoutecettefrontière.DerrièreGuivsetrouvaitYaweh,

filsdeSemkenan,etlesprincesetlesgrandsarrivèrentaccompagnésdehérospleinsdeprudenceetdecourage,et

se rangèrent derrière le Sipehdar Guiv pour le soutenir.Ensuite Khosrou envoya à leur droite dix mille braves

cavaliers quiperçaientles ennemis avec leurs poignards ; il plaçadix mille autres héros pleins de bravoure

derrière Gouderz fils deKeschwad. Berteh, qui frappait de l'épée, s'avançait au milieu decette armée avec des

montagnardsformésparpelotons,pourveniràl'aidedeGuiv;c'étaitunetroupequiportaithautlatêteetqui

étaitcomposéedevaillantsguerriers.Ilenvoyaàl'ailegauchetrentemillecavalierschoisisetpropresaucombat

;Zewarehconduisaitàlabataillecettearméedejeunesgenspleinsd'uneardeurguerrière.Ensuiteleroichoisit

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dix mille braves, toushommesillustres, tous armés de lances, commandés par Karen, levaillantchefdececorps

renommé,enordonnantàcehéros,quilançaitsonchevaletdésiraitlecombat,d'occuperl'intervalleentrelesdeux

armées.PuisildonnaàGustehemfilsdeGuejdeheml’ordred'accompagnerlevaillantKaren,etaufilsdeThousdese

rendrepartoutavecdestrompettesetdestimbales;d'empêcherlesméchants,ettousceuxquin'adoraientpasDieu,

decommettredesinjustices;deveilleràcequepersonnenemanquâtdevivres,etàcequenulnefûtopprimé;de

demanderauroitoutcedontonauraitbesoin,etd'êtreentouteschosesauprèsdeluil'interprètedel’armée.

LemondeétaitcouvertdechariotsetdubétailquelefilsdeThousamenaitpourservirdenourritureàl’armée.

Il fit faire des reconnaissancesde tous les côtés par des éclaireurs ; il réveilla de leur sommeilceux qui

dormaient.Sesespionsserépandirentpartout,et,veillantsanscesse,ils'informaitdetoutcequisepassait;il

établitdes sentinelles sur toutes les hauteurs et ne laissait pass'éparpiller les troupes. Les vallées et les

montagnes, les désertset les plaines étaient remplis de la poussière que soulevait cettearméede braves qui

entrelaçaientlesrênesdeleurschevaux,quitousportaienthautlatêtepourlecombat,etdontaucunnesentaitla

fatigueoulapeur.Leroimenaitavecluisestrésors,et,ayantainsidisposésestroupes,illevajusqu'auciel

sondiadèmedeKeïanide.Lescœursdesméchantsetdesbonsn'avaientd'autredésirquelecombat.

AFRASIABAPPRENDLAMORTDEPIRANETLESPREPARATIFSDEGUERREDEKEÏKHOSROU.

LeroiduTouranétaitassisenreposdel'autrecôtédeDjadj,sursontrôned'ivoire;ilétaitassissurles

bordsduGulzarriounavecquelquesamis,tousdesgrandsetdeshéros.Ilavaitréunideuxtiersdesesmillefois

milleguerriers,unearméepourvuedetoutl'appareildeguerre,dévoranttoutsurlafrontièredupaysdeKerouschan,

feuillesdesarbres,semencesetmoissons,fruitsetbourgeons;lamortconvoitaitlemondeentier.LeroidesTurcs

setenaitàBeïkend,entouréd'ungrandnombredeparentsetd'alliés;touslesgrandsdeMatchiuetdelaChine

campaientsurlafrontièredupaysdeKeschan.Lemondeétaitremplidetentesgrandesetpetites;ilnerestait

plusd'espacelibresurlaterre.Afrasiablesage,l'ambitieux,résidaitàKunduz,jouissantdelavieetdurepos;

ilavaitfaitsademeuredecettefrontière,parcequeFeridounavaitfondéKunduzetyavaitbâtiuntempledefeu,

surlesmursduquelonavaitincrustéenlettresd'ortoutleZendavesta;CenomdeKunduzestpehlewi,commetu

dois savoir, si tu connais cette langue ; maintenant on a changé ce nom enBeïkend,car notre temps est rempli

d'imposturesetdefraudes.Afrasiab,quiétaitdescendantdeFeridoun,nesepressaitpasdequitterKunduz.Luiet

sesamiss'établirentdanslaplaine,ettoutesonarméedéfiladevantlui.Soncampétaitentouréd'uneenceinteen

brocartdeChineetcontenaitungrandnombred'esclaves.Danscetteenceintesetrouvaientdestentesenpeaude

léopard, selon la coutumeintroduite par Pescheng, roides Turcs. Dans la tenteprincipale était placé un trône

incrustéd'oretdepierresprécieuses,etleroideTourans'yasseyait,unemassuedanslamainetundiadèmesur

latête.Devantlaportedel'enceinteétaitplantéungrandnombrededrapeauxdesbraves;carquiconqueoccupait

un poste d'honneur auprès du roi,comme son frère, quelques-uns de ses vaillants fils et les plusdistingués des

grands,étrangers àsafamille,plaçaitsatenteprèsdecetteporte.Sondesseinétaitdepartirpoursoutenirson

arméeetderejoindrePiransurlechampdebataille.Maisunmatinaccourut,rapidecommelapoussière,uncavalier

qui lui rendit compte du sort de Piran, et tous les blessésrevinrentl'unaprèsl'autreenpleurantetlatête

couvertedepoussière.ChacunracontacequiluiétaitarrivéetlemalquelesIraniensavaientfait;ilsparlèrent

dePiran,deLehhak,deFerschidwerdetdetouslesgrandsquis'étaientmontrésaujourducombat;ilsracontèrent

lesmalheursquiétaientarrivéssurcechampdebataillependantlecombatetpendantlaretraite,etcomment,le

jouroùKeïKhosrouavaitparucouvrantlepaysdesestroupesd'unemontagneàl'autre,toutel’arméeétaità sa

merci,commeuntroupeaueffrayéquiavaitperdusonpâtre.

Afrasiabentenditcerécit,etsatêtesetroubla,sesyeuxsevoilèrentetsoncœurs'assombrit;ildescenditde

sontrôned'ivoireenpoussantdescris;iljetasacouronneauxpiedsdesgrands;onentenditleslamentationsde

sonarmée,etlesjouesdeshérospâlirentdedeuil;onfitsortirdelatenteduroilesétrangers,etlesmembres

desafamilleseréunirentenconseil.Afrasiabpleuraitdedouleur;ilarrachaitsescheveuxetversaitdeslarmes

ens'écriantavecamertume:Omon filsRouïn,quiportaissihautlatête;ôLehhak,quiambitionnaislapossession

dumonde;ôFerschidwerd,ôcavaliersetlionsaujourducombat!Cettebatailleneluilaissaitplusnifrères,ni

fils,nigrands,nichefsd'armées.Ilselamenta,etpritenfinunenouvellerésolution;ladouleuretleregret

qu'iléprouvaitdelapertedesonarméedevenantpluspoignants,ilprononça,danssadétresseetl'amertumedeson

cœur,cesermentsolennel:JejureparDieuquejenemesoucieplusdemontrône,etquejenecouvriraiplusma

têtedudiadème;unecuirasseseramatunique,unchevalmontrône,uncasquemondiadème;unelanceseral'arbre

souslequeljeme reposerai. Je neveux plus jouir des délices de la vie, ni vivre comme un homme quiporte la

couronne,avantd'avoirvengésurKeïKhosrou,issud'uneracemaudite,lesangdemesgrands,demescavaliersqui

frappaientdel'épée.PuisselafamilledeSiawuschdisparaîtredumonde!

Ilpoussaitencorecescris,lorsqu'ilreçutdesnouvellesdeKeïKhosrou,etappritqu'unearméeétaitarrivée

surleDjihoun,quelepaysentierétaitcouvertdetroupes.Danssadouleuretsondésespoir,ilréunitsonarmée et

parlalonguementdePiran,dusangdesonfrèreFerschidwerd,deRouïnetdetantdebraves,lionsaujourducombat.

Voicilemoment,dit-il,denousvenger,deverserdusangetd'attaquerGuivetRustem.Jemedonnetoutentieràmon

amourpourlesmensetàlavengeancequejeveuxtirerdel’Iranetdesonroi.LesgrandsduTouranrépondirentà

Afrasiab,lesyeuxremplisdelarmes:Noussommestouslesesclavesduroi,nousbaissonslatêtedevantsesordres

etsesdesseins.Jamaismèren'amisaumondedesfilstelsquePiran,RouïnetlenobleFerschidwerd.Nousvoici

maintenantdevantleroi,noustous,grandsetpetits,etquandnousverrionslesmontagnesetlesvalléesconverties

enunemerdesang,nosguerriersrenversésetétendussurlesol,aucundenousnequitteraitlechampdebataille.

Puisselemaîtredelalunenousêtrefavorable!

LecœurduroidesTurcsrajeunitàcesparoles;ilsouritetpritdenouvellesmesures;ilouvritlaportede

sontrésoretdistribualasolde;soncœurétaitgonflédudésirdelavengeance,etsatêteétaitrempliedevent.

Il abandonna à sonarmée tous les troupeaux de chevaux qu'il possédait dans le désertet dans la montagne ; il

choisit cent mille cavaliers armés d'épéeset propres à la guerre, et les envoya à Balk-Bami, munis de ses

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instructionsetdesesordres;carGustehemfilsdeNewdersetrouvaitlàavecdescavaliersintelligentsetprêtsà

luimontrerlechemin.Ensuiteilchoisittrentemillecavaliersdignesdelivrerbataille,etleurordonnadelonger

leDjihounetd'explorersurdesbarqueslehautdelarivièrepourqu'onnepût,pendantlanuit,fairesubitement

une attaque avec des bateaux. Ilenvoya partout des troupes et mit en œuvre des ruses de touteespèce. Mais la

volontédeDieuletoutpurétaitqueleroiinjustepérit.

Pendantlanuitnoireils'assitaveclessages,aveclesmobedsexpérimentésetdebonconseil,quiluitinrent

beaucoupdediscours,etdisposèrenttoutselonleurfantaisie;tousétaientd'avisqueleroidevaitpasserde

l'autrecôtéduDjihoun.Ilcherchaàseprémunircontrelemalquesesennemispourraientluifaire,etdivisason

arméeendeuxparties;ilordonnaàKarakhan,sonfilsaîné,deparaîtredevantlui;onauraitditquec'était

Afrasiablui-même,tantilluiressemblaitparlastature,parl'aspect,parl'intelligenceetlaprudence.Illui

confialamoitiédesonarmée,composéed'hommesexpérimentés,renommésetvaillants;illuiordonnadeserendreà

Boukhara,deformerderrièresonpèreunrempartcommeunrocher,d'envoyerincessammentauxcampsdesarmesetdes

troupes,etdefoiretransporterdesvivresàdosde chameau.

AfrasiabfitsortirsonarméedeBeïkendetl'amenaentoutehâteauDjihoun;ilcouvritlesbordsdufleuvede

sestroupes,réunitmillebarquesetcanotsetlesfitpasseretrepasserpendantunesemaine.Lesplainesetles

montagnesn'étaientqu'unemassed'hommesarmés,etlamultitudedeséléphantsetdeslionsdeZemremplissaitde

leurbruitlesguésduDjihoun;l'eaudisparaissaitsouslesbarques,l'arméecouvraitledésertd'Amouï.Afrasiab

suivitsonarméeetpassalarivière,toutoccupédeplanspourlecombat;ilenvoyadetouscôtésdesdromadairesde

course,chacunmontéparunhommeprudentetintelligent.Regardez,leurdit-il,àdroiteetàgauche,etexaminezoù

ilsetrouveunespacesuffisantpourunesivastearmée.Lorsquecesbravesrevinrentdeleurscourses,und'euxdit

auroiquiportaithautlatête:Unetellearmée,pourfairelaguerre,abesoindefourrages,dematérieldetoute

sorteetd'unlieuoùellepuissecamper.OrilsetrouvesurleborddelamerdeGhilanuneroute,desprairiespour

leschevauxetdelaplacepourlecampement,etleprévoyantKarakhanyamèneradesvivres,pareau,denoirecôté

duDjihoun.Entrelesdeuxarméessetrouverontdessablesetunlargedésert,oùl’ondresseralestentesetleurs

enceintes,quitiendrontlieudemaisons.Lecœurd'Afrasiabrajeunitàcettenouvelle,etilgranditsursontrône

impérial;ilavaitbeaucoupd'expérienceetneseréglaitpassurlesparolesd'unmaître.Ildisposalecentrede

l'arméeetlesailesducentre,ilenvoyadesdétachementspourobserverl'ennemi,fixaunendroitpourlaréserveet

lesbagages,etassignaleurplaceauxdeuxailes.Ilfitdesdispositionsdignesd'unroipourl’ordredebataille,

plaça au centre cent mille hommes armés d'épées, en seréservant ce poste, car il était lui-même le chef et

ordonnateurdel'armée;ilmitàsagauchePescheng,quiétaitfortcommeunléopardvaillant,quin'avaitsonégal

niparmilesgrandsdel'arméeniparmilescavaliersdumondeentier,quilançaitsoncheval,saisissaitlaqueuedu

léopardetl'arrachaitparlaforcedesonbras,quiportaitunelancedeferetenperçaitlesmontagnesdansle

combat.SonnométaitPescheng,maissonpèrel’appelaitSchideh(lebrillant), parce qu'ilressemblait au soleil

brillant.Leroiluidonnacentmillebravesportanthautlatêteetprêtspourlecombat.

Schidehavaitunfrèreplusjeunequelui,maissonglorieuxégalenbravoure;cehérosportaitlenomdeDjehn,

etsonpiederrantavaitfoulélemondeentier.Sonpèreleprenaitpourconseiller,cariln'yavaitpasd'esprit

plus sage dans toute lacour.AfrasiabluidonnatrentemilleChinois,cavaliersdignesdelivrer combat, et lui

confia l'aile gauche, en disant : Puisse tabonne étoile ne jamais te quitter ! Son quatrième fils s'appelait

Afrasiab;ilseprésentaenarmesdevantsonpère,quiluidonnatrentemilleTurcsdeTchiguil,cavaliersportant

hautlatêteetarmésdelances,etluiordonnadegarderlesderrièresdel’arméedePescheng,etdenepasfléchir

quandmêmeilpleuvraitdespierres.EnsuiteilconfiauncorpsdetroupesàKehilaetunautreaufilsd'Ila,petit-

filsduroiAfrasiab,quiauraitarrachédelachairdudosdeslionspourlafairerôtir;c'étaientdeuxbraves,

deuxcavaliersduTouran,dontlescœursétaientcommedesrochers.Pourformerl'ailedroite,ilchoisitunearmée

devantlaquellelesoleildisparaissaitdumonde,leshommesdeTharaz,lesGouzzetlescavaliersdeKhallukh,en

touttrentemillehommespropresaucombat,auxquelsildonnapourchefsoncinquièmefils,hérosillustreetavide

de batailles ; son nom était Gurdguir ; il perçaitles montagnes de son épée et de ses flèches. Démour fils de

KhirindjasraccompagnapourvolerausecoursduvaillantDjehn.Ensuitepartirenttrentemillebraves,ardentspour

lecombat,armésdepoignardsbrillants.Nestouh,leguerrierpleind'expérience,lescommandaitsouslesordresdu

valeureux Pescheng. Après euxs'avancèrenttrentemillehéros,desTurcomansarmésdemassues,d'épées et d'arcs,

sous la conduite du Sipehbed Aghrirès qui brûlaitde combattre, et qui, assis sur son cheval,ressemblait à une

montagne.Ensuiteleroichoisitparmilesguerriersillustresquarantemillehommesarmésd’épées;leSipehdarde

cettetroupeétaitGuersiwezaucorpsd'éléphantàl'âmeambitieuse.Leroiquiportaithautlàtête,lechefdes

grands, lesoutien de l'armée, lui donna le commandement des éléphants. Puis ilchoisit dix mille braves qui

n'étaientjamaislasdecombattre,etleurordonnadesecouvrirleslèvresd'écumeaumilieudesdeuxarmées, de

lancerisolésleurschevauxsurl'ennemietdejeterlaterreurparmilesIraniens.

Lestroupestournèrent ledosà l'orient;etlanuitétanttombée,onattachaleséléphantssurlaroute,etle

roiquifaisaitlagloiredumondeordonnaquel'arméesedirigeâtverslemidi.

KEÏKHOSROUAPPRENDQU'AFRASIABS'AVANCEPOURL'ATTAQUER.

Lorsquelemaîtredumonde,Khosrou,eutreçuparlabouchedesesespionsvigilantslanouvellequelesTurcs

étaientenmarcheetqueleroiAfrasiabamenaitsestroupesdel'autrecôtédufleuveetfaisaitpasserleDjihoun

unearméesouslaquelledisparaissaientlesrochersetlesable,ilappelaleshérosetleurrépétatoutcequ'il

avaitentendu.Ilchoisitunearméedeguerriersetdegrandsdel'Irantellequelescirconstancesl'exigeaient,des

hommesquiavaientéprouvélesmalheursetl'amertumedelavie;ilsdevaientalleràBalkhausecoursdeGustehem

filsdeNewder.IlordonnaàAschkeschdeconduiredestroupes,deséléphants,destrésorsetdel'argentàZem,pour

empêcherl'ennemidetombersurlesderrièresdesIraniensetdedéconcerterleursplans.Ensuiteilfitmonter à

chevalleshéros,fitbattrelestimbalesd'airainetdonnal'ordredudépart;ils'avançaprudemment,sagementet

aveclenteur,carlaprécipitationdanslaguerreamènelerepentir.

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Arrivédansledésert,Khosrous'occupadelamarcheetdel'ordonnancedesonarmée:elleavaitàsadroitele

Kharezm,oùlessablesdudésertpermettaientdelivrerbataille,àsagaucheleDehistanetunegrandequantité

d'eau,aumilieu,dusable,etdevantelle,Afrasiab.LuiavecRustem,Thous,Gouderz,Guivetunenombreuseescorte

dehérosillustres,fitletourdecethéâtredelaguerreetexaminaledésertentoussens.Ileutdesnouvellesde

l'armée de son grand-père, et son cœur en fut troublé ; car cettearmée, ces éléphants de guerre et ces braves

étaientplusnombreuxqu'ilnel'avaitcru.Ilentourasoncampd'unfossé,envoyadeséclaireursdetouscôtés,et

pendantlanuitilfitremplird'eaulesfossésducôtéoùsetrouvaitAfrasiab.

Lorsquelesoleil,quibrillaitdanslesigneduBélier,jetasesrayonssurtoutelasurfacedelaterre,leroi

desTurcsvitl'ennemi;ilfitsonnerdestrompettesd'airainetavancersestroupes.Lemondefutremplidusondes

claironsetdubruitdel'armée,tous lesbravessecouvrirentdeleurscasquesdefer;onauraitditquelasurface

delaterreétaitd'acieretquelecielportaitunecuirassedelances.Lesdeux,arméesdemeurèrentainsideux

joursetdeuxnuits,personneneprononçantunmot,lescavaliersrestantàchevaldesdeuxcôtes,etlesfantassins

setenantdevanteux.Onauraitditquelemondeétaitchangéenunemontagnedeferetquelavoûteducielétait

revêtue d'une cuirasse. Les astrologues étaient assisdevant les deux rois, réfléchissant profondément et tenant

devanteuxleurstablesastronomiques;ilscherchaientàl'aidedesastrolabeslesecretducielpourdécouvrirsur

quiiltourneraitavecfaveur;maislecielregardaitlechampducombat,etlesastrologuesnesavaientquedire.

PESCHENGSEPRÉSENTEDEVANTSONPEREAFRASIAB.

Lequatrièmejour,quandvintlemomentd'agir,levaillantPeschengseprésentadevantsonpèreetluidit:O

maîtredumonde,quiporteshauttatêteparmilesgrandsetlespetits,iln'yapassouslecielunroiglorieux

comme toi, et le soleil et la lune ne sont pas tes ennemis ! Unemontagne de fer fondrait en entendant le nom

d'Afrasiab ; la terrene résisterait pas à ton armée, ni le soleil brillant à ton casque ;aucun roi n’oserait

s'opposeràtoi,sicen'estKhosrou tonparent,cethommedemauvaiserace,quin'apasdepère.Tuavaistraité

Siawuschcommeunfils,tuluiavaisprodiguélessoinsetlestendressesd'unpère,tun'auraispaspermisqu'un

ventnuisible,venuduciel,eûtsoufflésurlui;maistul’asprisendégoûtlorsquetut'esas-taurequ'ilvoulait

teravirlacouronne,letrôneetd'armée;etsileroimaîtredumondenel'avaitpasmisàmort,ilseserait

emparédusceauetdudiadème.

Maintenantvoicicethommequivienttecombattre,maisquineresterapaslongtempssurlaterre;carquiconque

oublielesbienfaitsauralesortdeSiawusch.Tuasélevécetinfâme,cepérirversKhosroucommeun tendrepère,tu

n'aspaspermisquesonpiedtouchâtlaterre;tul'asgardéjusqu'àcequ'ilfutdevenugrandetque,grâceàtes

soins,ilfutpropreàporterunecouronned'or;alorsils'estenfuiduTourandansl'Irancommeunoiseau;on

aurait dit qu'iln'avaitjamaisvusongrand-père.Rappelle-toicequePiranafaitparcharitépourcettehomme

déloyaletindigne,quiaoubliétoutelatendressedePiran,aremplisoncœurdehaineetsatêted'agitation,et,

danssoningratitude,atuécegénéreuxPehlewanlorsqu'ilesttombéentresesmains.Maintenantilvientdel'Iran

avecsesgriffesaiguës,àlatêted'unearmée,pourcombattresongrand-père;ilnesecontentenid'or,nide

diadème,nidechevaux,nid'épées,nidetrésors,nid'untrône,ildemandelesangdesesparents;cesontles

seules paroles qu'on entend desa bouche. Mon père, tu es roi, tu es un homme savant et vertueux,tu rendras

témoignageàlavéritédemesparoles.LesIraniensnevalentpastantdediscours;nebrisedoncpasainsilecœur

detonarmée;qu'a-t-ellebesoind'astrologues?C'estavecl'épéequelesbravesaccomplissentdeshautsfaits.Les

cavaliersquisontavecmoiàl'ailedroitesonttous,corpsetâme,pourlecombat,etsileroimelepermet,jene

laisseraipasunIranienenvie;jecloueraileurscasquessurleurstêtesavecdesflèches,sansm'inquiéterde

leursfossésnideleursrigoles.

Afrasiabécoutacesparolesetrépondit:Netehâtepas,n'agispasdanslacolère.Toutcequetudisestvrai,

etilnefauttenirenhonneurquelavérité;maistusaisquelevaillantPirann'afoulésurlaterrequelaroute

dubien;soncœurneconnaissaitpasl'injusticeetlemensonge;ilnecherchaitquecequiétaitbonetvrai;il

étaitfortcommeunéléphantaujourducombat;soncœurétaitcommelameretsajouecommelesoleilbrillant.Lui

etsonfrèreHouman,quiétaitunléoparddanslabataille,levaillantLehhaketFerschidwerdetcentmilleTurcs,

cavaliers avides de vengeance, tous désireux de gloireetpropresaucombat,partirentd'icipleinsd'uneardeur

bouillante;maismoij'étaisensecretpleindesoucisetdesoupirs.C'estainsiqu'ilfuttuésurlechampdela

vengeance,etquesousluilaterredevintunebouesanglante.ToutlepaysdeTouranenalecœurbrisé,etlesâmes

sedéchirentdanscettegrandedouleur;tousnerêventquelePiranmort,personnen'invoquepluslenomd'Afrasiab.

Attendonsquemeshéros,mesgrands,lescavaliersdemonarméesesoientaccoutumésàvoirlesIraniens,quele

deuil,ladouleuretlesouciaientdisparudeleurscœurs,etquelesIraniensaussiaientvuunesigrandearmée

avecsestrésors,sestrônesetsesdiadèmes.Ceseraitunfunesteprojetquedevouloirlivreruncombatgénéral,

nous serions battus et il ne nous resterait en mainque du vent. Faisons avancer des champions isolés, et nous

inonderonslaplainedusangdesIraniens.

Pescheng luirépondit:Oroi!sic'estainsiquetuveuxlivrercombat,alorsc'estmoiquiserailepremier

championdel'armée;carjesaislancermoncheval,jesuisunéléphantaucorpsd'airain,jeneconnaispersonne

quiosât,aujourducombattre,souleverunepoussièrequeleventferaitvolerjusquesurmoncheval.Jebrûlede

combattreKeï-Khosrou, car c'est le jeune roi du monde, et s'il accepte ledéfi, comme je n'en doute pas, il ne

sortira pas vivant de mes mains; alors le cœur etle dosde cette armée seront brisés, et elle sera réduite à

l'impuissance;etsiunautrechampionvientlessecourir,j'abaisseraisur-le-champsatêtedanslapoussière.

Afrasiab répondit: Ojeunehommesansexpérience!c'estmoiqueleroidesroisvoudracombattre,ets'ille

fait,j'accepterailalutte,etjefouleraisousmespiedssoncorpsetsagloire;s'ilseprésentesurlechampde

batailleenlacedemoi,toutel'arméepourrasereposerdesescombats.Schidehluidit:Ohommepleind'expérience

!siKhosrouvientt'attaquer,songequecinqfilssetiennentdevanttoi,etquenousneresteronspasspectateurs

oisifs,quandmêmetuvoudraisaccepterlecombat;carnil'arméenilesadorateursdeDieun'approuveraientquetu

temissesenavantpourtemesureraveclui.

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AFRASIABENVOIEUNMESSAGEÀKEÏKHOSROU.

Le roi dit àPescheng:Omon filsquiporteshautlatête,puisselamauvaisefortuneêtreloindetoi!Tu

attaquerasKhosroudanslabataille,net'affligedoncpas.Sorsd'ici,rends-toiaumilieudel'armée,choisisun

hommesage,etpars.QueDieuleCréateurteprotège,etquelatêtedetesennemissoitabaissée!

PorteàKeïKhosroumonmessage,etdis-lui:Cequetufaisestcontrelacoutumeetlaloidumonde,etlatête

d'unpetit-filsquicombatsongrand-pèredoitêtrepleinedeméchancetéetdedésordre.LavolontéduCréateurest-

elledoncquelemondesoitremplideluttesetdehaines?Siawuschn'apasététuésansl'avoirmérité,caril

s'estdétournédesesmaîtres.Etsij'aifailli,qu'ontdoncfaitPiran,Rouïn,LehhaketFerschidwerd,pourqu'il

aitfallulesliersurleurschevaux,inondésdesangetsemblablesàdeséléphantsivres?Situdisquejesuisun

méchanthomme,auxpenséesperverses,etnédelaraced'Ahriman,faisattentionquetuesissudemafamilleetque

ton insulte retombesurtoi-même.LaissecettevengeanceàGouderzetàKaous,quisehâterontd'amenerunearmée

contremoi.Jene parlepasainsiparcequej'aipeuretquejesuisdevenucraintifenvieillissant.Mestroupes

sontnombreusescommelesabledelamer;cesontdeslionsvaillantsetdesbravesqui,surmesordres,ômonfils,

fonttrembleraujourducombatlemontGanguecommelesvaguesdelamer.NéanmoinsjecrainsDieu,lesangverséet

la mauvaise fortune quifera tomber sur ce champ de bataille les têtes de tant de hérosinnocents. Et si tu ne

renoncespasàmecombattre,necrains-tupaslahontequipourraitrejaillirsurtoi?

Situveuxfaireavecmoiuntraitésoussermentetl'exécutersérieusement,jet'aideraiàconservertestrésors

et tonarmée. Si tu veux oublier le sort de Siawusch et traiter tongrand-père dans le Touran comme s'il était

Siawusch,alorsDjehnetlevaillantPescheng,quifaittremblerdanslecombatlemontGanguecommelesvaguedela

mer,seronttesfrères;quantauxpaysqueturéclamespourl'Iran,j'enferaisortirlesTurcs,ettoutcequeje

possèdedestrésorsdemesaïeux,enor,encouronneset-entrônes,enchevauxetenarmes,toutcequimerestede

l'héritagedemongrand-pèreZadschem,lesrichessesdesgrands,leurstrônesetleursdiadèmes,enfintoutcequetu

peux,désirerpourtonarmée,jeterenverrai.MonfilsestunPehlewan,etsonpèreesttonparent;lesdeuxarmées

sereposerontdesfatiguesetdescombats,etnospeinessechangerontenfêtes.

MaissiAhrimanpoussetonâmeàterevêtirdetonlinceul,situneveuxquecombattreetverserdusang,s'iln'y

apasdeplacedanstoncerveaupourmesconseils,alorsavance-toiau-devantdetonarméepouressayersitesvœux

serontcomblésdanscettelutte,ettousdeuxnousnousmesureronssurlechampdebataillependantquecesgrandes

arméessereposeront.Sijesuistué,lemondeseraàtoi,mestroupesseronttesesclaves,monfilsseratonparent

;etsitutombesdemamain,jeneferaidemalàaucundestiens;tonarméeserasousmaprotection,tousseront

desgrandsauprèsdemoietserontmesamis.Situneveuxpasmecombattre,situn'osespast'opposeraucrocodile

plein d'expérience, voici Pescheng quiseprésentedevanttoienarmes;n'hésitepasàaccepterlecombatqu'il

t'offre.Lepèreestvieux,maissonfilstiendrasaplace;ilestjeune,prudent,fortetglorieux;ilt'attaquera

surlechampdebataille,ilyapporterauncœurdelionetdesgriffesdeléopard,etnousverronsalorssurquile

cieltomberafavorablement,surlatêtedequiilplaceralacouronnedesagrâce.Ouencoresituneveuxpasdelui

commeadversaire,situveuxquelecombatsoitlivréd'uneautremanière,attendsquemonarméesesoitreposée

cettenuit;etdemain,quandlesmontagnesseserontceintesdeleurdiadèmed'or,quandlanuitsombreauraretiré

d'elleslepandesarobeetcachésatêtesoussonvoiledefeutre,nouschoisironsdansnosrangsdesbravesportant

hautlatêteetarmésdelourdesmassues;lesangteindralaterrecommedubrocart,nouscoucheronssurlesolnos

ennemis.Le second jour, à l'heure où chante le coq, nous planerons lestimbales surle dosdes éléphants, nous

amèneronsleshérosdenosarméespournousseconder,etnousferonscoulerdesruisseauxdesang.Letroisièmejour

nousmèneronsaucombatdesarméessemblablesàdesmontagnes,nouslivreronsunebataillegénérale,etnousverrons

lequeldenouslecielsublimerejette,etlequelilhonore.—Simonennemirefused'obéiraumessagequetuportes,

s'il recule et ne veut pas consentiràce que je propose, alors provoque-le àun combat corps à corps, loin de

l'armée.

Peschengchoisitparmiles chefsintelligentsquatrehommesquiavaientsouventsouffertlachaleuretlefroiddu

monde,ensuiteilrenditseshommagesauroi,etsortit;sonpèreavaitlesyeuxremplisdelarmesetlecœurgonflé

de sang. Pescheng prit dans l'armée mille braves, hommes de sens,habiles au combat,et partit. Les vedettes

iraniennesl'aperçurentdeloin:ellesvirent l'étendardbrillantdeTour,etlesTurcsquiformaientlatêtedu

cortège,jeunesgenssansexpérience,attaquèrentlesvedettessurlarouteetcommencèrentàl’improviste,avantque

Schidehfûtarrivé,àverserdusang.QuelquesIraniensétaientblessésetlecombatétaitengagélorsqueSchideh

survintetaperçutlechefdesIraniens.Soncœurseserra,ilrappelasesbravesducombatetditauxIraniens:

Envoyezuncavalierauprèsduroi,selonlesusagesetlescoutumes,etfaites-luidirequ'ilestarrivéunbrave,du

nomdeSchideh,quiporteauroiunmessaged'Afrasiab,lemaîtredelaChine,lepèredelamèreduroidel'Iran.

Uncavalierquittaentoutehâtelesavant-postesetcourutauprèsduroidel'Iran,disant:Unmessagerduroide

Touran,unhérospleindedignité,accompagnéd'undrapeaunoir,estarrivé,etdéclarequesonnomestSchideh;il

demandelapermission de s'acquitter de son message. Le cœur duroifut ému de ces paroles, il versa des larmes

brûlantes,etdit:Schidehestmononclematernel,ilestmonégalenstatureetenbravoure.Ilregardal’assemblée

pourchoisirundesgrands,etnevitqueKaren,delaracedeKaweh;illuidit:Rends-moiauprèsdeSchidehavec

empressement,porte-luimessalutationsetécoutesonmessage.Karensortitducamp,ilvitlebrillantdrapeaunoir,

s'approchadeSchidehetlecombladesalutationsdelapartduroietdesIraniens.Lejeuneprince,àsontour,

ouvritsaboucherempliedeparolesdouces,carilavaitunespritéveilléetuneâmesereine.Ilrépétalesparoles

Afrasiabsurlereposetlesfêtes,sur les combats etlesdangersde laprécipitation.Karenécoutalesparoles

caressantesdecetillustrefilsd'unpèrepleindesagacité,puiss’enretournaversleroidel'Iran,etluirépéta

lemessage,carc'étaientdesparolessensées.

KEÏKHOSROUREPONDAAFRASIAB.

KhosrouécoutalesparolesdeKaren,ilserappelacequis'étaitpasséautrefois,etsemitàriredelatentative

de songrand-pèreetdelamanièredontilcherchaitàruseretàleduper.Ensuiteildit:Afrasiabserepent

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d'avoirpassélefleuve.Sesyeuxdébordentdelarmesetseslèvressontpleinesdeparoles;maismoncœurestgros

d'anciennesdouleurs.Ilessayemaintenantdemefairetrembler,dem'effrayerparlasupérioritédesonarmée;mais

ilnesaitpasquelecieltout-puissanttourne,aujourdumalheur,sansobéiràl'ordredepersonne,orMaintenant,

cequimeresteàfaire,c'estdem'avancercontrelui,lecœurremplidehaine.Jememesureraiavecluidansle

combat,jenechercheraipasdedélaiaumomentdelalutte.

Touslessagesettouslesgrandsdel'arméedirentd'uneseulevoix:Cedesseinn'estpasraisonnable.Afrasiab,

quiestunhommed'expérienceetdesagesse,nerêvequedesexpédients;ilneconnaîtquelafraudeetlesarts

magiques,quelatromperie,lahaineetlaméchanceté.IlamaintenantchoisidanssonarméeSchideh,parcequ'ila

vuenluiuneclefpourouvrirlaportedumalheur,etilprovoqueaucombatleroidel'Iran,pourremplirnosjours

dedouleur.Neméprisepassavieillesse,nemetspasendangerl'Iranettontrône.Sic'estSchidehquicombatle

roi,ilnousferapâlird'inquiétude;carsiSchidehtombedetamain,cen'estqu'ungranddemoinsdanscette

armée;maissitut'éloignesdenousetsituestué,toutl'Iranpérira;aucundenousneresteraenvie;aucune

ville,aucuneprovincedel'Iranneserontsauvées;carnousn'avonspersonnedelaracedesKeïanidesquipuisse

s'armerpourtevenger.l’ongrand-pèreestunvieillardpleind'expérience,ilestaimédansleTouranetenChine;

ildemandepardondumalqu'ilafaitetneveutcombattrequequandilneluiresteraplusd'autreressource;il

offre de tirer de ses trésors et de teremettre les richesses, les chenaux, l'argent que Tour a amasséspour

Zadschem,etlestrônesd'or,lescouronnes,lesceinturesd'oretleslourdesmassuesdesgrands,pourracheterles

crimesquiluipèsent;iloffredefairequitterauxTurcstouteslesvillesqueturéclamespourl'Iran.Rentrons

doncdansl'Iranvictorieuxetcontents,etoublionscequis'estpasséautrefois.

C'estainsiqu'ilsparlèrenttous,vieuxetjeunesexceptéRustem,l'illustrePehlewan,quidétournaitlatêtede

lapaixetdontlecœurdésiraitvengerSiawusch.Leroisemorditleslèvresetjetaunregardsombresurlesgrands

;ensuiteildit:Nousnedevonspasquittercechampdebataillepourrentrerdansl'Iran.Oùsontdonclescombats

quenousdevionslivrerlesserments quenousavonsfaits,lescaissesd'oretlesprisonniers quenousvoulions

prendre,leschaînes quenousavonspréparées?Commentnousexcuserions-nousdevantKaous,commentoserions-nous

paraîtredevantlui,siAfrasiabresteenvieetsursontrônecommemaîtredumonde,pendantquel'Iranestdévasté

?Sais-tuquelcrimeacommisTourcontreIredjlefortuné,pourluiravirsacouronneetsontrône,etcequ'Afrasiab

a fait souffrir à Newder ? Puisse-t-il n'être jamais heureux, même en songe ! Ensuite Afrasiab atué innocent

Siawusch,pours'emparerdesestrésors,desontrôneetdesondiadème.MaintenantunTurcrusédecettecourse

présentedevantnousetdemandeàmecombattre;pourquoipâlissez-vous?Celam'étonnedevotrepart,etmonancien

désirdevengeances'enaccroîtencore.Jamaisjen'auraiscruquelesIraniensreculeraientdevantcetteguerre.Je

ne vois dans l'armée de l'Iran que Rustem, mon ami,le héros au cœur droit, qui se hâte d'accepter le combat

lorsqu’Afrasiablefourbenousl’offre.

QuandlesIraniensentendirentcesparolesduroi,ilsserepentirentdeleurfaute;ilstâchèrentdes'excuser,

endisant : Nous sommes tes esclaves, mous n'avons parlé que partendresse pour toi. Le roi des rois ne cherche

qu'unebonnerenomméeetuneheureusefinàcetteentreprise;maisleglorieuxmaîtredumonde,dontlavolontéest

suprême, ne voudra pas qu'on nous blâme,que l'on dise qu'il n'y avait parmi les Iraniens personne qui eûtose

combattreSchideh,qu'aucuncavaliernes'estprésentésurlechampducombat,etqueleroiseulavaitlecouragede

lefaire.LeroidesMobedsnevoudrapasnouscouvrird'unehonteéternelle.

Leroileurrépondit : OMobeds !vousquiêtesmesguides,sachezqueceSchideh,aujourdelabataille, ne

comptepassonpèrepourunhommedignedecombattre.Afrasiabluiaforgéunearmureavecunartmagique,impie,

étrangeetméchant;etvosarmesnevousservirontpascontrecettecuirasseetcecasqued'acier.Sonchevalest

d'uneracededivs,ilauncœurdelion,ilcourtcommelevent.Iln'yaqueceuxàquiDieuadonnéladignité

royalequipuissentrésisteràSchidehetluiéchapperdanslecombat.D'ailleursilnedaignerapassemesureravec

vous;ilcroiraitdéshonorersadignitéetsanaissance.Maislepetit-filsdeFeridounetlefilsdeKobadsont

deuxcombattantségauxencourageetenrang.EntuantSchideh,jebrûlerailecœurcrimineldesonpèrecommeila

brûlélecœurdeKaousparlemeurtredesonfils.Lesbravesetleslionsdupaysd'Iranaccueillirentavecdes

acclamationscesparolesduroi.

KEÏKHOSROUREPONDAAFRASIAB.

LeroiordonnaàKaren,sondévoué serviteur,departiretdeporteràSchidehcetteréponse:Lalutteentrenous

estancienneetterrible,etcequiaétéfaitadépassétoutemesure.Unhommeconsidérable,quiaacquisdurenom

danslaguerre,necherchepasdesdélaisaumomentducombat.Maintenantnousverronsàquilemaîtredusoleilet

delaluneserafavorablesurcechampdebataille.JenedemandepaslepaysdeTourannitestrésors,carcette

demeurepassagèreneresteàpersonne;maisjejureparlapuissancedeDieuquiacréélemonde,parlediadèmede

Kaousquim'aélevé,quejenevouslaisseraipasletempsdevoirl'âpreventdel'automnepassersurlesroses.

Ensuitetuparlesderichesses,dechevaux,d'oraccumulé:nousn'avonspointbesoindecestrésorsquiproviennent

del'oppressionetdel'injustice;carquiconqueestsoutenudeDieuseratoujoursheureuxetlafortuneluisourira

toujours.Tonpays,testrésors,tonarméesontàmoi,àmoitontrôneettondiadèmed'or.Peschengestvenucouvert

d'unecuivrasse,avecuneescorteetbeaucoupdepompe,etm'aprovoquéaucombat;demain,àl'aubedujour,ilsera

monconvive,ilmeverraabattredestêtesavecmonépée.Jeneveuxpasqu'aucunhommedel'arméed'Iranseprésente

devaetluiauchampdebataille,ilsuffitdemoietdeSchideh,dudésertetdemonépéetranchante,etj'amènerai

àlafinladestructionsursatête.Etsijesuisvainqueurdanscecombat,jen'accepteraipaslesdélaisquetu

proposes;desdeuxcôtésnousferonspousserdescrisparnoschampions,etlaplaineserateintedusangquenous

verserons.Ensuitenousconduironsaucombatnoshérosentroupesserrées,semblablesàdesmontagnes.

Leroiajouta:TudirasensuiteàSchideh :Oprinceavidedegloire,maisdépourvudesens,tuesvenutoutseul

duTourantejeterdansdesfilets,monpaspourychercherlerenometlagloire,nilacausedumessageAfrasiab,

maisparcequetesmauvaisesactionssontimpatientesdetedétruire.C'estDieuquit'apousséhorsdecettearmée,

ettonlinceulteserviraicidetombeau;ceprinceinnocent,qu'onaégorgécommeunagneau,teporteramalheur,et

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tonpèreverserasurtoideslarmesamèrescommeKaousenversesursonfils.

KarenquittaleroientoutehâteetserenditauprèsdePeschengaudrapeaunoir,àquiilrépétatoutesles

parolesqu'onluiavaitdites,necachantnilebonnilemauvais.Schidehs'enretournaauprèsd'Afrasiab;soncœur

cuisaitcommelachairplacéesurlefeu.LeroidesTurcsfutconsternédecetteréponse,et,danssadouleur,il

poussaungrandsoupir,caranciennementilavaitfaitunrêvedontiln'avaitjamaisparléàpersonne;satête

tourna,soncœurtrembla,ilsentitapprochersachute,ets'écria:Demaintantdemortscouvrirontlechampde

bataillequelesfourmisnepourrontplusletraverser.EnsuiteilditàSchideh:Apartirdedemainlaissepasser

deux jours sansparler de combat. On dirait que mon âme est brisée parl'idée de cette bataille, et je suis si

malheureuxquejevoudraism'arracherlecœur.Sonfilsrépondit:Oroi desTurcsetdelaChine!netedécourage

pasainsiaujourdelavengeance.Lorsquelesoleilélèverasonétendardbrillantetéclaireralavoûtesombredu

ciel,moietKhosrounousseronssurlechampdebaille,etjeréduiraiceroienpoussière.

COMBATDEKHOSROUAVECSCHIDEHFILSD'AFRASIAB.

Lorsquelevoileazuré duciel futéclairé,etquelemondefutdevenusemblableàunjoyaujaune,levaillant

Pescheng, la tête remplie du vent de la jeunesse, nerespirant que les combats, monta à cheval ; il couvrit sa

poitrinebrillanted'unecuirasse;ilplaçasursatêteuncasqueroyaldefer,mitsondrapeaudanslamaind'un

Turc courageux et se renditfièrement sur le champ de bataille. Lorsqu'il fut arrivé auprès desIraniens, un des

grandsaccourutversleroietluidit:Uncavaliers'estavancéentrelesdeuxarmées,hautlatête,poussantdes

etcris,etl’épéeàlamain.Ceguerrierillustreetpromptàfrapperdemandequ'onannonceauroiquePeschengest

arrivé. Le roisourit et demandasa cottedemailles;ilélevadroitenl'airl'étendard,signedesonpouvoir,

plaçauncasqued'orsursatêteetremitsonétendardàRehhamfilsdeGouderz.

Toussesbravesétaientdansl'angoisseetdansleslarmes;ilsétaientcommesiunfeuardent,lesconsumait,et

ils'élevaaumilieud'euxungrandcri:Oroi!nefatiguepastoncorpsdecettearmuredefer.Laplacedesrois

estsurletrône;queceluiquiteforcederevêtircettearmuredecombatnetrouved'autredemeurequedansla

terrenoire;quenuldesesdesseinsneluiréussisse!Leroi,armédesacuirasse,desamassueetdesoncasque,

leurenvoyalemessagesuivant:Quepersonnenequittelecamproyal,niladroitenilagauche,nilecentrenises

ailes;quepersonnenerecherchelecombatnines'agite;quetousobéissentàRehhamfilsdeGouderz.Quandle

soleil sera arrivé au faîte du ciel, vous irez voir sur qui lemalheur est tombé, et si vous trouvez que c'est

Pescheng qui estvainqueur, Rustem aura la direction de la guerre ; soyez tous devantlui comme des esclaves

obéissants,etvoustrouverezbientôtunremèdeàvotredouleur;carlesmoyensdesalutetlescombatssontfaciles

pourunearméequiaunchefcommeluiAinsinelaissezpasvoscœurs,seresserrer;telestlecommencementetla

findesguerres,quetantôtonestenhautettantôtenbas,tantôtonestdanslajoieettantôtdanslaterreur.

IllançaBehzad,sonchevalcouleurdenuit,quiauraitroulédevantluilevent,tantilallaitvite.Ilportait

unelance,uncasqueetunecuirasse,etlapoussièrequesoulevaitsonchevalmontaitauxnuages.Schideh,quise

tenaitentrelesdeuxcamps,l'aperçut;ilpoussadesapoitrineungrandsoupir,etluidit:Tueslefilsdunoble

Siawusch,ôhommesageetadmiré!tueslepetit-filsduchefdel'arméedeTouran,dontlecasquefroisselasphère

delalune;maistun'agispascommeondevraitl'attendred'unhommequiadel'expérienceetquiaéténourripar

lasagesse;carsituavaisdusens,tuneseraispassiimpatientd'attaquerlefrèredetamère.Maissituveux

combattre,éloigne-toidesarmées;choisisunlieuécarté,pourqueniIraniensniTouraniensnenousvoient,car

nousnevoulonspasd'amisnid'aides.

Leroiluirépondit :Olion quidéchiresdanslecombat!jesuislefilsdecetinnocentSiawuschquifuttuépar

leroi,etmoncœurestulcéré;jesuisvenusurcetteplainepourmevenger,etnonpaspourconquériruntrôneet

unsceau.Tum'asprovoquéaucombat,unseuldetous,commetuenavaisprisl'engagementdevanttonpère;tum'as

provoqué, et personne n'estd’unrang assez élevépourque j'ose l'envoyer à la rencontre. Maintenant désigne un

champdebatailleloindenosarmées.

Ilsconvinrentquedesdeuxcôtéspersonneneviendraitàleuraideetneprendraitpartaucombat,etqu'aucun

malheur ne devait assombrir les jours de leur porte-étendard. Ilss'éloignèrent ensemble de leurs armées, joyeux

commedeshommesquivontàunefête,etchoisirent,dansuneplainepropreaucombatetfaisantpartiedudésertde

Kharezm,unlieusistérileetsidépourvud’eauqueleslionsetlesléopardsn'ymettaientpaslepied,queles

aiglesn'ytraversaientpasleciel;c'étaitenbasundésert,stérile,enhautunmirage.Làilscommencèrentun

grand combat ; c'étaient deux chevaux et deux bravessemblables à des loups, deux cavaliers pareils à des lions

affamésetpleinsderageaujourdelachasse.Ilss'attaquèrentavecleurslongueslances,etlorsquelesoleil

devintplusardentdansleciel,leurslancesn'avaientplusdeferetlescaparaçonsetlesrênesdeleurschevaux

étaienttrempésdesueur.IlssecombattirentalorsimpitoyablementaveclesmassuesdeRoum,aveclesflèchesetles

épées;laterredevintnoiredusangdescavaliers,maisilsnesentirentpasdefatiguesurlechampdebataille.

Lorsque Schideh vit le courage et la force deKhosrou, les larmes tombèrent de ses cils sur ses joues, et il

reconnut que cette puissance était le don de Dieu et qu'il ne luirestaitqu'àpleurersursapropreperte.Son

chevalétaitépuiséparlasoifetilsentaitlui-mêmefaiblirsesforces.Danscettedétresseilréfléchit,etse

dit:Sijeproposaisauroidemettretouslesdeuxpiedsàterrepourlutteretnouscouvrirdesueur,ilrefuserait

ungenredecombatqu'iltrouveraithonteuxetqu'ilcroiraitindigned'unroi.Etpourtant,sijeneréussispasà

luiéchapperdelasorte,jemetrouveraiinfailliblementdanslagueuledudragon.Alorsildit:Oroi !toutle

mondesebatavecl'épéeetlalanceetmanieenmêmetempslesrênes;maisilvaudraitmieuxnouscombattreàpied

etnousattaquercommedeslions.Khosrou,lemaîtredumonde,compritàl'instantlapenséedesonennemi;ilsedit

enlui-même:sijelaissepartircelionavecsaforceetsesgriffes,cedescendantdeFeridoun,cepetit-filsde

Pescheng,ilabattrabiendestêtes,ileffrayerabiendeshérosaucœurdelion,etsij'acceptelecombatàpied,

j'affligerailesIraniens.Rehhamluidit:Otoi quiporteslacouronne!nedéshonorepastafamilleparunetelle

action.SiKhosrousebatàpied,pourquoialorsya-t-iltantdecavalierssurcetteplaine?Siquelqu'un doit

mettrepiedàterre,mevoici,moiquisuisdelaracedeKeschwad;resteici,pourquejem'avancecontrelui,prêt

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aucombat;tuesleroi,lemaîtredumondequiportehautlatête.LeroiréponditàRehham:Omonami,ôvaillant

Pehlewan ! SchidehestunhérosdelafamilledePescheng;sachedoncqu'ilnevoudrapassebattreavec toi ;

ensuite,tun'espasdeforceàluirésister,carlesTurcsn'ontpasdechefcomparableàloi.C'estunbravedela

racedeFeridoun,etjamaismèren'amisaumondeunfilsaussivaillant;cen'estdoncpasunehontepourmoide

marcheràlui,etnousallonslivreràpieduncombatdeléopards.

Del'autrecôté,l'interprètedeSchidehs'approchadeluietluidit:Eloigne-toiplutôtqued'attendrelemal

queteferatonennemi.Tun'asd'autrepartiquedet'enretourner,cartunepeuxrésisteràKhosrou .S'enfuirà

tempsdevantl'ennemivautmieuxqued'affronterlescoupsetlebruitetletumultedelabataille.Schidehrépondit

àsonillustreinterprète:Ilneconvientpasauxbravesdesecacher.Sacheque,depuisquej'aiprislesarmes,

j'élèvematêtejusqu'ausoleil;jamaisjen'aivusurunchampdebatailleunhérosaussifort,aussiglorieux,

aussi vaillantqueSchideh ;maisilvaudraitmieuxpourmoiêtremisautombeauquedefuir,unefois que j'ai

commencélecombatNousnepouvonsnoussoustraireàlarotationduciel,quandmêmenousposerionslepiedsurles

yeuxdudragon;etsijedoismouriricidesamain,niunenneminiunaminepeutmepréserver.Jesaisd'où

viennentcetteforceetcettebravoure:c'estlagrâcedeDieuquireposesurcehérosillustre.Peut-être,étantà

pied,levaincrai-je,etdanscecombattreverserai-jesonsangpartorrents.

LeroidumondeditàSchideh :Ohérosdelaracedesgrands!certesiln'yajamaiseuunhommedelafamille

desKeïanidesquiaitcombattuàpied;néanmoins,sitelesttondésir,jenerefusepasdetesatisfaire.

KHOSROUTUESCHIDEH.

Leroidescenditdesonchevalcouleurdenuit;ilôtadesatêtesoncasqueimpérial,remitàRehhamsonnoble

destrierets'avançasemblableàAdergouschasp.Peschenglevitdeloinàpied;levaillantcrocodilemitaussipied

àterre,etilss'attaquèrentsurlaplainecommedeséléphants;ilstrempèrentdesangtoutelapoussière.Quand

Schidehvitlapoitrineetlastatureduroi,etqu’ilsentitcettepuissancedonnéeparDieuetcettevigueur,il

prialecieldelesauver;carilsavaitquelecorps duTourann'auraitplusdevaleurquandlatêteenserait

abattue.Khosrous'aperçutdesespenséessecrètes,etvoyantsoncorpsquifléchissait,illesaisitaveclavigueur

queluiavaitdonnéeDieulecréateur,commeunlionquimetlagriffesurunonagremâleetleterrasse.Illeprit

aveclamaingaucheaucou,avecladroiteaudos,lesoulevaetlejetarudementparterre.Touteslesvertèbresde

Schidehfurentbriséescommedesroseauxparlaviolenceducoup,etsesjambesfurentcassées;Khosroutirason

épéetranchante,perçalapoitrineduprince illustre ettaillaenmorceauxlacuirassesursapoitrine.Ensuite,

danssadouleur,ilversadelapoussièresursapropretêteetditàRehham;Ceméchantsanségal,ceetvaillant

Schidehétaitlefrèredemamère;témoignez-luidelapitiéaprèssamort;élevez-luiuntombeauroyal;embaumez

satêteavecdumusc,del'ambreetdel'eauderose,etsoncorpsavecducamphrepur;suspendezàsoncouune

chaîne d'or et placez sur sa tête un casquerempli d'ambre. L'interprète de Schideh se tenait sur la route en

observantsonmaître;ilcontemplaitlecorpsduprinceillustre;etlorsqu'onl'eutsoulevédusableetemporté

verslecampduroi,ils'approchadeKhosrouens'écriant:Oroi glorieux,distributeurdelajustice!j'étaisun

faibleesclavedeSchideh,etjene-suispasuncombattant,unPehlewan.Fais-moigrâceparpitié,ôroi!pourque

lecielseréjouissedetavie.Leroirépondit:Raconteàmongrand-père,aumilieudesacour,toutcequetum'as

vufaire.

Lecœuretlesyeuxdesgrands deTouranétaientfixéssurlaroute,attendantleretourdeSchidehduchampde

bataille;uncavalierparutcourantsurlamolleroutedesable,latêtenue,lesyeuxremplisdechaudeslarmesde

sang.Illeurdévoilalemystèrecaché,ilracontatoutdevantleroidesTurcs.Lemaîtredelaterredésespéradesa

vie ; il arracha ses cheveuxblancs comme le camphre et répandit sur sa tête des flots depoussière. Tous les

Pehlewansdel’arméearrivèrent,etquiconquevoyaitlevisageduroidesTurcsmettaitenlambeauxsesvêtementssur

sapoitrine,touslescœursétaientdéchirés,etils'élevaaumilieudel'arméeunetellelamentationquelesoleil

etlaluneenfurentémus.

Afrasiab dit en pleurant : Dorénavant je nechercheraiplusnireposnisommeil.Soyezmescompagnonsdansce

deuil,voustous,pleurezmonfils!Lapointedenosépéesneverrapluslefourreau,jenemelivreraiplusjamais

àlajoie.Lionsensemblelespansdenoscottesdemailles,dévastonstoutlepaysd'Iran;necomptonspaspourun

homme,maispourunebêtefauve,quiconquen'apaslecœurpercédedouleur.Puisseaucunœilneverserjamaisdes

larmesdepitiésurceuxdontlesyeuxnepleurentpasavecdechaudeslarmesdesangnotredouleursurlapertede

cevaillant,cavalierauvisagedelune,dececyprèsquicroissaitauborddufleuve!Dévoréd'unepeinequ'aucun

médecinnepouvaitguérir,ilversaitdeslarmesdesang.Touslesgrandsouvrirentleslèvresetrépondirentauroi,

disant:PuisseDieulejustetefairesupportercemalheur,puisse-t-ilfairetremblerlecœurdetesennemis!

Aucundenousnes'occuperauninstant,lejouroulanuit,d'autrechosequedesadouleuretdelavengeancede

Pescheng.Nousferonsrugirlecœurdel'armée,nous la conduirons au champ de bataille, où ellemoissonnera des

têtes.DéjàavaientdisparuPiranetHouman,etmaintenantils'élevaitvengeancesurvengeance;l'arméeavaitle

cœurbrisé,l'âmeduroiétaitrempliededouleur,etlecampentierretentissaitdecristumultueux.

COMBATGÉNÉRALDESDEUXARMÉES.

Lorsquelesoleilmontrasatêteau-dessus dudosdutaureauetquelechantdel'alouettes'élevadelaplaine,on

entenditdanslespavillonsdesdeuxroislesondutambouretlebruitdestimbalesetdestrompettes.Djehnamena

trente mille héros prêts à frapper del'épée, propres au combat ; et Khosrou, voyant ces préparatifs,ordonna à

Karen,quiétaittoujoursprêtpourlabataille,desortirducentredel'arméeavecuncorpsdetroupessemblableà

une montagne, et le vaillant Djehn entressaillit de peur. A l'aile droite s'avança, rapide comme lapoussière,

GustehemfilsdeNewder,avecsonétendarddecombat.Lemondedevintvioletsouslapoussièrequesoûleraientles

héros, laterre fut couverte d'hommeset l'airremplid'étendards. Pendant ce combat, ni Khosrou niAfrasiab ne

quittèrentlecentredeleursarmées,maislaluttedevinttellequeleshérosetlesbravesn'enavaientjamaisvue

depareille.OntuatantdeTouraniensquelechampdebatailledevintunemerdesang,etcelacontinuajusqu'àce

quelecielsecouvrîtdeténèbresetquel’œildescombattantss'obscurcit.LevaillantKarenfutvictorieux,etle

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courageuxDjehnfutbattu.Lorsquelalunes'assitsurletrônedusoleil,leshérosrevinrentduchampdebataille;

le roi fut content des Iraniens, car ils avaient vaincudans le combat. Ils se préparèrent toute la nuit à une

nouvellebataille,etneselivrèrentniausommeilniauxbanquets.

Lorsque le soleil leva sa tête dans le signe duCancer, le monde fut plein depréparatifs pour le combat, de

musiqueguerrièreetdebruit.Lesarméesdesdeuxempiresformèrentleursrangs,leurslèvresécumèrentdansleur

ardeurpourlabataille.Khosrous'éloignadesderrièresdel'armée,accompagnéd'unamihumble,mitpiedàterreà

quelquedistanceetglorifiaDieulonguement.Ilsefrottalevisagecontrelaterresombre,disant:Osaint maître

delajustice,tusaisquej'aiétéopprimé,etquejemesuissoumisàtavolontédansceslongsjoursdemalheur!

Paisexpierescrimesauméchantparlesang,tuesleguidedeceluiquiasouffert.Delàilserenditaucentrede

sonarméeenpoussantdescrisdeguerre,lamerempliededouleur,lecœurpleindecolèrecontrelaracedeZadschem,

etplaçasursatêtesoncasquefortuné;lebruitdelamultitude,lesondestrompettes,lesouffledesclaironset

descymbalesd'airainmontèrentversleciel.Del'autrecôtés'avança,semblableàunemontagne,unearméeagitée,

forméeencorpsunearméesemblableauxflotsdelamer,aucentredelaquellesetrouvaientDjehnetAfrasiab.

Lorsque ces deux armées s'ébranlèrent, on aurait ditquelesvalléesetledésertsemouvaient,lesoleilfut

obscurciparlapoussièreetparlespointesd'acieretlesplumesd'aigledesflèchesqu'onlançaitLebruitdes

trompettes,lapoussièresoulevéeparleshommesetlescrisdescavalierssurcechampdebatailleétaienttels,que

le fer, lesmontagnesetlesrochers,lescrocodilesdanslameretlesléopardsdansledésertenfondaient.La

terreétaitrempliedeclameurs,lecielétaitenébullition,etlesondestimbalesfendaitlesoreillesdulion

féroce.TuauraisditquelemondeentierétaitunAhriman,ouquelecielcombattaitlaterre.Detouscôtés on

voyaitdesmontagnesdemortdesarméesdel'IranetduTouran;toutledésertdesablen'étaitquesang,ettêtes,

etmains,etpieds;lecœurdumondetremblait;toutcepays,fouléparlesfersdeschevaux,ressemblaitàundrap

trempédanslesang.Leshérosd'Afrasiabarrivèrentcourantcommeunvaisseausurl'eau,etsedirigèrentversles

toursrempliesd'archersqueportaientleséléphants;c'était,devantlecentredel’arméedesIraniens,commeune

fortificationélevéesurledosdeséléphantsetbarrantlechemin.Iltombadestoursunepluiedetraits,etle

bruitdescoupsdonnesetreçussefitentendre.Leséléphantsetlescavaliersarmésdelancess'avancèrentetun

grandcorpsdetroupessortitducentredel'armée.Afrasiabobservad'unedistancededeuxmillescettearmée,ce

combat,cestoursetceséléphants;ilfitavancerseséléphantsdeguerreetsonarmée,etlemondedevintobscur,

lalumièredujourdisparut.Ils'écria:Oillustres guerriers!pourquoivousrendez-vouslecombatsidifficile?

Vousresteztousenfacedecestoursetdeceséléphantspendantquel'arméedesIraniensestgrandeets'étendà

desmillesau-delà:portez -vousàdroiteetàgauche,etéloignez-vousducentreetdestours.IlordonnaàDjehn,

qui avait de l'expérience dans la guerre, de partiravec les grands de l'armée, d'emmener dix mille cavaliers

aguerris,armésdelancesetpropresaucombat.Thuwurg,levaillantéléphant,partitdesoncôtéavecseshérosvers

l'ailegauche,semblableàunloup.LorsqueKeïKhosrouvitcetteattaquedesTurcs,quandilvitquelesoleilavait

disparudumonde,ilsetournaverslesprincesdeSemengan,ceslionsavidesdecombats,etleurordonnadeseporter

àl'ailegauche,brillantscommelesoleildansleBélier;ilspartirentavecdixmillecavaliersillustres,ardents

pourlecombatetperçanttoutavecleurslances; ensuiteleroiditàSchemmakh,roideSour:Choisis,parmiles

hérosdel'Iran,dixmilleguerrierscouvertsdecottesdemaillesetarmésdemassuesàtêtedebœuf;tirel'épée

dansl'espacequiséparelesarméesetnelaissepersonnereleverlatêteimpunément.Lesdeuxarméesse jetèrent

l’une sur l'autre : tu aurais dit qu'elles étaient fondues l'une dans l'autre.On entendit detouscôtés le

retentissementdescoups,etdestorrentsdesangs'écoulaientdelascèneducarnage.

Lorsquelapoussières'élevaitàdroiteetàgauche,lemaîtredumondedemandasacottedemaillesdecombat;on

envoya d'un autre côté les éléphants et lestours, le monde devint comme les flots du Nil ; Khosrou s'avança du

centreaccompagnédeRustem,deMenouschanetdeKhouzan,lessoutiensdel'armée;lesondestrompettesetdes

claironsmontaversleciel.D'uncôtédeKhosrousetenaitleSipehdarThous;touslesPehlewansauxbottinesd'or

s'avancèrent le cœur aigri,portant l'étendard de Kaweh, et formèrent l'aile gauche du roi. A ladroitedu roi

marchaitRustem,avidedecombat,avecsonfrèreZewareh;GouderzfilsdeKeschwad,leguerrierexpérimenté,etun

nombredegrandsetdenoblessetinrentprèsdeRustem,demêmequeZeraspetMenouschan,lesageconseiller.On

entenditlebruitdescoupsdonnésetreçussurlechampdebataille.Personneneverraplusunpareilcombat:tout

ledésertdesableétaitcouvertdeblessésetdemorts,d'hommesdontlejourétaitpassé;ilyavaittantde

cadavresquelepiednetrouvaitpasdeplacepours'yposer;laplaineinondéedesangressemblaitauDjihoun,on

nevoyaitquedeshommesanstêteoulatêteenbas;lescrisdescavaliersetdeschevauxcouvraientlesondes

tambours;onauraitditquelecœurdesmontagnessefendaitetquelaterres'envolaitaveclescavaliers:ily

avaitdestêtessanscorps,descorpssanstêtes;lescoupsdeslourdesmassuesrésonnaient,lespoignardsetles

épéestranchantesflamboyaient,etlesoleilcherchaitlechemindelafuite;tuauraisditqu'unnuagenoirétait

arrivéetversaitunepluiedesangsurlechampdebataille.

Khirindjasfuttué,àl'ailegauche,delamaindeFeribourzfilsdeKaous;etKerila,quiàluiseulvalaitcent

éléphants,tombaàl'ailedroitesouslescoupsdeMinoutchehr.Unouragans'élevaàl'heuredemidietunnuage

couvritlafacedusoleilquiéclairelemonde,laterres'obscurcitetlesyeuxsetroublèrentdanslesténèbres.A

l'heureoùlesoleilbaissait,lecœurduroidesTurcsbonditd'angoisseenvoyantcetourbillondecavaliersdetous

tes pays, de toutes les frontières, de tous lesroyaumes,couverts de cuirasses de toutes formes, portant des

drapeaux de toutes couleurs, qui diapraient le monde entier derouge, de jaune et de violet. Guersiwez, qui

commandaitlaréserveduroi,voyantcequisepassait,amenatoutessestroupesdanslamêlée;ilenvoyaàdroite

deshérosillustresunisdecœuretdecorps,etdéployademême,verstoutel'ailegauche,destroupespoursoutenir

lalutte;c'étaientquarantemillecavaliersvaillants,touschoisispourlecombat.Enarrivantdesderrièresde

l'armée, Guersiwez accourut auprès de son frère, qui, à sa vue,sentit renaître son courage et fit avancer ses

troupes. Alors onentendit le bruit des coups donnés et rendus, et la face du ciel futvoilée par les flèches.

Lorsquelesoleildisparutetquelejourpâlitàl'aspectdelanuit,Guersiwez,leruséPehlewan,accourutauprèsde

sonfrèreetluidit:Quidenosbravesvoudramaintenantlivrercombat?Laterreestcouvertedesang,lecielest

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rempli depoussière. Rappelle ton armée, ne fais plus d'effort, puisque lanuit est venue ; dans un instant tu

entendraslecridedétressedesTurcs,tutetrouverasaumilieudelamêlée,tonarméeseraenfuite;n'exposepas

ainsitapersonne.Maislecœurd'Afrasiabbouillonnaitdecolère;danssonemportementiln'avaitpas d'oreilles

pourcesparoles;illançasonchevalau-devantdel’arméeets'avançarapidement,suividudrapeaunoir.Iltua

quelques-unsdesplusrenommésparmilesIraniens,etKhosrou,quis'enaperçuts'élançaàleursecours.Lesdeux

roisdesdeuxpayss'approchèrentremplisdehaineetaccompagnésdecavaliersordinaires.MaisGuersiwevetDjehnne

voulurentpasqu'AfrasiabsebattitavecKhosrou;ilssaisirentlabridedesoncheval,latournèrentetcoururent

avecleroiversledésertdesabled'Amouï.

Lorsqu'ilfutparti,Ustukilas'élançarapidement,commelapoussière,pourcombattreKhosrou.Ilétaitaccompagné

duroiIla,quiressemblaitàunvaillantcrocodile,etdeBurzouïla,quiportaithautlatêtedanslabataille.

C'étaienttroiscavalierstouraniens,deshommesviolentsetrenommés.Leroilesaperçut;illançasonchevaldu

milieudel'armée,s'avançacommeunemontagne,frappalehérosUstukilaaveclalance,lesoulevadu dosde son

chevaletlejetasurlesol.LeroiIlacourutsurlefrontdel'arméeetdonnauncoupdelancesurlaceinturedu

roi;maislalanceneputentamerlacuirasse,etlecœursereindeKhosrouneressentitaucunecrainte.Leroi,

voyantlecourageetlaforced'Ila,tirasoudainsonépéetranchante,lefrappaaumilieuducorps,lecoupaendeux,

et remplit de peur l'âme des grands.Burzouïla, voyant ce coup, et l'ardeur, la force et la puissance duroi,

s'enfuitdanslesténèbres;tuauraisditquesapeausefendaitdeterreursursoncorps.

QuandlesTurcsvirentlavaleurvictorieusedeKhosrou,aucundeleursbravesnerestasurlechampdebataille,

etcefutcommeunarrêtdemortpourAfrasiabd'êtreforcédemontrerledosà Khosrou.Quandils'aperçutdela

fuitedescavaliersturcs,tuauraisditquesesjoursétaientfinis,etpendantqu'ilsabandonnèrenthonteusementle

champdebataille,ilfitcrieràKhosrou:Toncouragedelionvientdesténèbres,etnousnenousretironsque

parcequec'estuncombatdenuit.Aujourd'huileventapourunefoissoufflépourluiett'acomblédebonheur;

mais regarde-nousdemain,quandlejourbrillera,regardealorsnotredrapeauquiremplitdejoienosâmes;alors

nousconvertironslasurfacedel'Iranenunemerdesang,nouschangeronslesoleilenpléiades.C'estainsiqueles

deuxroisdesdeuxpaysseretirèrentdansleurcamp,prêtsàrecommencerlecombat.

FUITED'AFRASIAB.

Lorsque la moitié de la nuit sombre fut écoulée, etque la moitié du ciel eut passé au-dessus des montagnes,

Afrasiabfitchargerlesbagages,distribuaàtoutel’arméedescasquesetdescuirasses,etordonnaunerondededix

millecavaliersturcsmontéssurdeschevauxcaparaçonnés.Ensuiteilditàsonarmée:JevaisrepasserleDjihoun,

etilfautquevouspassiezàmasuite,enbonordre,uncorpsaprèsl'autre.DanslanuitsombreAfrasiabquittaavec

sonarméeledésertd'Amouïetpassalefleuve,etlasurfacedupays,danstouteslesdirections,restaitcouverte

detentesgrandesetpetites,abandonnéesparlestroupes.Lorsquelespremièreslueursdujourvibrèrentducôtédu

Levant, les vedettes iraniennes ne virent plusd'ennemi sur la plaine, et allèrent annoncer au roi qu'il était

dispensédelabataille,quetoutelaplaineétaitcouvertedetentesetdeleursenceintes,maisqu'onn'yvoyait

pas un seulcavalierennemi.Acettenouvelle,Khosrousehâtadeseprosternerdanslapoussièrepouradorerle

saintMaîtredelajustice,disant:Ocréateur resplendissantdelumière,maîtredumonde,toiquiveillessurtous

etnourristous;tum'asdonnéladignitéroyale,lediadèmeetlepouvoir,tuasaveuglélecœuretlesyeuxde

l’ennemi.Faisdisparaîtredelaterrel'oppresseur,rends-lemisérablepardesterreursincessantes.

Lorsquelesoleilélevasonbouclierd'oretquelanuitsecouvritdesacheveluredeturquoises,lemaîtredu

mondes'assit sur son trône d'ivoire et posa sur sa tête la couronne quiréjouissait les cœurs. Son armée vint

l'adorer,souhaitantqueceroidignedutrônevécûtéternellement;elleétaitrassasiéedestrésorsquel'arméedu

roidelaChineavaitlaissés.Chacunseditqu'ilétaitfâcheuxqu'Afrasiabeûtréussiàs'échapperavecsonarmée,

avecsesclaironsetsestimbales,etqueceprinceillustresefûtdérobéainsisainetsauf,danslanuitsombre,

auxmainsdesPersans.Leprudentroileurdit: Ograndsdel'arméed'Iran,quandl'ennemiduroiesttué,c'est

bien;quandils'enfuitdelabatailleets'envaerrant,c'estmieux.Puisqueledistributeurdesvictoiresnousa

donnélagloire,lapuissance,lediadèmeetladignitéimpériale,faitesmonterversluivosactionsdegrâces,et

quandviendralanuitdumalheur,adorez-leégalement,carilrendetmalheureuxquiilveut,etfaitmontersurle

trône,quandilluiplaît,unhommesansvaleur.Voseffortsetvosinterrogationsdesastresn'ypeuventrien,car

sesesclavesnepeuventrésisteràsavolonté.Jeresteraicinqjourssurcechampdebataille;lesixièmeestle

jourdeHormuzdquiéclairelemonde,leseptièmenouspartirons,carAfrasiabnefaitqu'augmenternotredésirde

vengeance,etnousvoulonslecombat.

Pendant ces cinq jours ils cherchèrent sur le champde bataille tous les morts de l'armée iranienne et les

lavèrent,etleroiconstruisitunmausoléedignedecesmorts.

KHOSROUANNONCESAVICTOIREÀKAOUS.

Khosroufitvenirunscribemunidepapier,demuscetd'ambre,etl’onécrivitunelettreàKaous,danslesformes

qu'exigentlacoutumeetlerespect.OncommençalalettreparleslouangesdeDieu,notreguideverslabonneetla

mauvaisefortune.Ensuiteleroicontinua:Leroi,monmaître,quitremblepourmaviecommeferaitunpère,puisse

sonpouvoirdurerautantquelesrochers,puisselecœurdesesennemisêtrepercé!Jesuisvenudel'Iranjusqu'aux

sablesduFarab,etpendanttroisnuitsj'ailivrétroisgrandesbatailles.Lenombredescavaliersd'Afrasiabétait

telqu'unhommedesensnelerévéraitpasmême.J'envoieauroilestêtescoupéesdetroiscentshéros;c'étaient

son frère et desparentsetdesfilsetd'illustresgrandsetvassauxd'Afrasiab;ensuite j'envoie captifs deux

centsdecesnobles,dontchacunestégaldanslecombatàcentlions.Toutescesbataillesontétélivréesdansle

désertdeKharezm,ettoutesontétébéniesparleciel.Afrasiabestparti,etnouslesuivonsentoutehâte,pour

voircequ'amèneralarotationdumonde.Onapposasurlalettreunsceaudemusc,etKhosrousemitàtraverserle

désertdesable,disant:Bénissonscechampdebataille,etpuissechaquearméeêtregouvernéeparuneétoilequi

portebonheur!

AFRASIABARRIVEÀGANGUEDIZ.

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Lorsqu’AfrasiabsefutdéterminéàrepasserleDjihoun,iltraversalefleuverapidementcommeunouragan,son

arméeseréunitàl’arméede Kara-khan,etchacunracontacequiluiétaitarrivédanslabataille.LeroidesTurcs

ettousceuxdesaracequisurvivaientversaientdeslarmesabondantessurlamortdesonfilsillustre,deses

grands,desesparentsetdesesalliés,etl’onentenditdeslamentationstellesqu'onauraitditquelesnuages

faisaientpleuvoirdusangdesyeuxdulion.

Il fit une halte à Boukhara, parce qu'il désiraitfairerecommencerlecombatdeslions.Ilconvoqualesplus

courageuxdesgrandsdesacourquirestaientenvie;maislorsquelesnoblesettouslesbravesquiétaientadmisà

donnerunavisfurentrassemblés,ilsdéclarèrentauroiqu'ilsdésespéraientdelaguerre.Touslesplusvaillants

denotrearméesontmortsetnotrecœurensaigne.Decentiln'ensurvitprobablementpasvingt,etilnenousreste

qu'àpleurerlesmorts.Nousetungrandnombredenosalliésavonsrenoncéànosrichessesetànosenfants, et

avons livré sur l'autre rive du Djihoun une batailletelle que le roi l'avait ordonnée. Tu sais ce qui nous est

arrivéparsuitedenotrefolie,cartuesleroietnoussommestessujets.Sidoncleroiveutsuivreunavissensé,

ilconduiral'arméed'iciàDjadj,etquandKhosrouviendrapourlecombattre,ilseratempsdemettresurpiedune

armée.Puisse-t-ilplaireauroideseretirerderrièreleGulzarriounetdesetenirenreposdanssonparadisde

Gangue,quiestledépôtdesestrésorsetsonchampdebataille!Tousseréunirentàcetavis,etpersonnen'en

ouvritunautre.

IlspartirenttouspourleGulzarrioun,lesyeuxremplisdelarmes,lesjouesinondéesdesang.LeroidesTurcs

resta trois jours sur les bords du Gulzarrioun et se délassa enchassant au faucon et au guépard. De là ils se

dirigèrentversGangue,sanss'arrêterlongtempsnullepart.Leroiypossédaitunevillesemblableauparadis,dont

lesolétaitdemuscetlesbriquesétaientd'or.Ils'yreposaheureuxetsouriant;tuauraisditquelasécurité

était sa compagne. Il appela de tous côtés une arméeBans nombre, des grands qui portaient haut la tête, et des

héros,etsemitàjouirduviaetdesbosquetsfleuris,dusondesharpesetdesrebecs,desroses,desjacintheset

descoupes.Iljouitainsidelavieenattendantqu'ilvîtcommentlesorttourneraitetquelsecretsecachaitsous

cequiétaitapparent.Maisbientôtarrivèrentdesespionsquiluidirentensecret:Khosrouaconduitsonarméede

cecôtéduDjihoun,ilaquittéleborddufleuveetarrivedansledésert.Faisattention,etpréparesur-le-champce

qu'ilfaut,carl'ennemivaparaîtreinopinément.

KEÏKHOSROUPASSELEDJIHOUN.

LorsqueKeïKhosroueutpassédel'autrecôtéduDjihoun,iloublialafaim,lereposetlesommeil.Aussitôtque

sonarméeeuttraversélefleuveilenvoyadesmessagersàtouslesgrandspourlesexhorterànepass'effrayerde

sonarrivéeetàprierpourluiDieuletrèssaint.Ildistribuadegrandstrésorsauxpauvres,endonnantdavantageà

ceux qui étaient heureux de levoir. Ensuite il s'avança sur la frontière de Soghd, où il trouva unmonde tout

nouveau,quiétaitlademeuredeshiboux.Ildistribuaencoredestrésorsdanscepaysetdésiraqu'ilfûtcultivé.A

chaque station arrivait une escorte de cavaliers pour protéger leroi. Khosrou reçut des nouvelles de Gangue et

d'Afrasiabetdesonarmée;ilappritqueKakuleh,undescendantdeTour,pleindehaineetderancuneetimpatient

devoirlejourdelabataille,étaitarrivéauprèsd'Afrasiabavecunearméequiressemblaitàdeslionsdéchaînés;

qu'AfrasiabavaitenvoyéunepartiedeseshérosàDjadjpourfaireapporterletrôneetlacouronnedesTurcs;

qu'il avaitexpédié,souslecommandementdeThuwurg,unegrandearméedansledésert, et que tous lesprince du

désertavaientacceptélaguerrecontreKhosrou,etpromisdecouperlecheminauxIraniens.

Khosrou, le maitre du monde, méprisa ces mouvements ;son esprit ne s'occupait que d'Afrasiab. Il ordonna à

l'armée,quiarrivaitdeBerdaetd'Ardebil,des'avancerpardivision,deleprécéderetdeluirendrecomptedes

braves, des Mobeds et desgouverneurs d’Afrasiab. Celte armée partit sous le commandement deGustehem, qui ne

s'effrayait pas du combat des lions. Ensuite ilordonna à l'armée venue du Nimrouz de partir avec Rustem, le

destructeurdesbraves,etdemontersurdeschevauxfortscommedesdromadairesardentsàlacourse,entenanten

laissedeschevauxfrais,pour surprendrelesTurcsparunemarcherapide.Cesdeuxchefs,l'honneurdescouronnes

qu'ilsportaient,partirent,l'unversledésert,l'autreversDjadj.

Leroilui-mêmerestaunmoisdanslepaysdeSoghd,quiluidevinttoutdévoué;ildonnadel'argentàsonarmée

etlafitreposer,ilguettaitlemomentoùilfaudraitlivrerbataille.Ilrassemblatousceuxquiétaientpropresau

combat, quiconnaissaientl'artetlesrusesdessièges;ils'enfitdesamisetremplitdeterreurlatêtedes

méchants.Ensuiteilpartitdu pays de Soghd et de Kaschan avec une armée fière, couverted'armures, préparée au

combat et telle que le monde en restaconfondu. Les Turcs apprirent que l’armée de Khosrou, quiambitionnait la

possessiondumondeetquicherchaitlavengeance,s'avançait:tousseréfugièrentdansleschâteauxforts,lemonde

seremplitd'agitationetdebruit.KeïKhosrouadressalaparoleàsonarmée,disant:Maintenantilfautfairela

guerresurunplannouveau.CeuxparmilesTurcsquinousobéiront,quiregretterontdenousavoircombattus,neles

attaquezpas,neversezpasleursang,nepermettesàpersonnedeleurfairedumal;maisceuxquis'aviseraientde

nousattaquer,ceuxdontlecœurhaineuxneveutpassuivrelabonnevoie,ilvousestpermisdeverserleursang,de

lesattaquerpartoutetdelespiller.Onproclamadevantl'arméequ'ilnefallaitpasprendrelesvivres,nimontrer

delahaine,nifairelaguerreàquiconqueneportaitpasdanssoncœurdelahainecontreleroi.

C'estainsiqu'ilssedirigèrentversleTouran;lemondefutremplidetumulteetdeclameurs;l'arméeduroi

desroisnefitaucuneattentionàceuxquiluiobéissaient;maislesTurcs,depeurd'Afrasiab,refusaientl'eauà

ceuxdontleslèvresétaientaltérées,etsiquelqu'undel'arméeduroirestaitenarrière,ontrouvaitbientôtsur

laroutesoncorpsprivédelatête.LesIraniensmarchèrentcontrelesforteresses,etpartoutoùsetrouvaitun

hommequivoulûtsedéfendre,lesmursdisparaissaientàl'instant,etl'arméenelaissaitderrièreellenichâteaux,

nipalais,niesclaves,hommesoufemmes,nichevaux,niriendebonoudemauvais.C'estainsiqueKhosroutraversa

centfarsangs,nelaissantdeboutniunchâteaudanslamontagneniunedemeuredanslaplaine.

Lorsqu'ileut amenél’arméesurlesbordsduGulzarrioun,ilvisitatouslesalentoursavecunguide,etytrouva

un pays semblable à un jardin au printemps ; lesvallées et les plaines, les montagnes et les terres pleines de

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beauté. Les montagnes étaient remplies de bêtes fauves, les plainescouvertes d'arbre et la terre digne d'être

habitéeparceuxauxquelslafortuneestpropice.Ilenvoyadesvedettesetdesespionspourêtregarantidedangers

cachés ; on plaça le camp du jeune roi surles bords de l'eau ; le maître du monde s'assit sur son trône d'or,

entourédesgrands,sesserviteurs,etilpassasesnuits,jusqu'auretourdelapurelumièredujour,dansdesfêtes

quifaisaientsortirlesmortsdeleurstombesdanslaterrenoire.

Del'autrecôté,Afrasiab, quisetenaitàGangue,necessaitnipendantlejourbrillant,nipendantletempsdu

sommeil,dedireàtoussesconfidents,auxgrandspleinsdevigilanceetdesagesse:Maintenantquel'ennemiest

arrivéjusqu'ànotrechevet,commentpourrions-nousrestertranquillesàGangue?Tousluirépondirent:Notreennemi

étantproche, nous ne voyons que le combat, car pourquoi nous soumettrionsnous ? Ils le dirent, se levèrent et

passèrenttoutelanuitàmettreenordreleurarmée.

SECONDEBATAILLEENTREKEÏKHOSROUETAFRASIAB.

Al'aubedujour,àl'heureoùl’onentendlecoq,lebruitdestimbalesmontadansl’airdupalaisd'Afrasiab,

unearméesortitdeGanguedansledésert,unearméetellequelaplacemanquaitauxfourmisetauxmouches;elle

s'approchaduGulzarrioun,etlaterredevintcommelemontBisoutoun;ellemarchatroisjoursettroisnuits;le

mondeseremplitdeterreur,dedésordreetderapine;elleétenditsesrangssurseptfarsangs;elleétaitplus

nombreusequelesfourmisetlessauterelles.Lequatrièmejourelleseformaenordredebataille,etl'écumedela

rivière monta jusqu'au soleil. Afrasiabet ses grands, des cavaliers portant haut la tête et pleins desagesse,

occupaientlecentre;àl'ailedroitesetrouvaitDjehnfilsd'Afrasiab,quiélevaitsalanceau-dessusdusoleil;

à l'ailegauchesetenaitThuwurg,lelionducombat,semblableàunloup,entourédecavaliersexpérimentés;à

l'arrière-gardeétaitGuersiwez,lehaineux,quidevaitêtrel'appuidel'arméecontrel'ennemi.Khosrou,del'autre

côté, occupait lecentre de l'armée, dont il était le soutien, semblable à unemontagne ; ilétait entouré de

Gouderz,deThousfilsdeNewder,deMenouschanetKhouzan,lesprinces victorieuxetjoyeux,deGourguinfilsde

Milad,etdeRehham,lelion,deHedjiretdeSchidousch,levaillant,lebraveFeribourzfilsdeKaoustenaitl'aile

droiteavecunearméequineformaitqu'uncœuretuncorps;àl'ailegauchecommandaitMinoutchehr,quinecédait

jamais dans le combat des héros ; Guiv fils de Gouderz, le soutienet le protecteur des frontières, commandait

l'arrière-garde.Lesclousdessabotsfaisaientdelaterreunemontagnedefer,etlesangconvertitenrubisl'eau

dufleuve;lapoussièresoulevéeparl’arméeformaitunnuageau-dessusdestêtes,etlesondestamboursfendaitle

cœurdesrochers;l'airdevintcommeunvoilenoir,etlebruitdestimbalesfaisaittremblerlesastres,laterre

vacillait comme un nuage noir ; tu aurais dit que lesarmées ne pourraient y tenir ; la plaine se couvrait de

cervelles,demainsetdepieds,etiln'yavaitplusdeplacelibresurlesol;lessabotsdeschevauxfendaient

lestêtesdesmorts,etlesétincellesdeleursfersmontaientdansl'air.Leshommesdesenssetenaientàl'écart;

lesdeuxarméesconvenaientque,siellesrestaientlongtempssurcetteplainedeladésolationetdelavengeance,

pasuncavaliernesurvivraitetlecielmêmes'écroulerait.Lebruitdeshachesquifracassaientlescasquesétait

tel,quelesâmesdisaientadieuauxcorps.

Quand Keï Khosrou vit les convulsions de la bataille,il sentit le monde peser sur son cœur ; il se retira

derrièrel’armée,et se présenta devant le Créateur, demandant justice etdisant: O toi qui es au-dessus de la

sagessedessaints,maîtredumonde,roiau-dessusdetouslesrois!Sijen'avaispasétévictimedel'injustice,

sijen'avaispasététorducommeleferdanslaforge,jenedemanderaispaslavictoire,jenet'importuneraispas

de mes prières. Il parlaainsi en frottant ses joues dans la poussière, et lemondefut rempli de ses cris

d'angoisse.Àcemomentmêmes'élevaunoragequibrisaitlesbranchesjoyeusesdesarbres,soulevaitlapoussièredu

champdebatailleetlalançaitcontreleroietl'arméedesTurcs.LesTouraniensfurentébranlés,lesunsétaient

blessésoumorts,lesautresprisonniers;maisquandAfrasiabapercevaitunTurcquiquittaitlabataille,illui

coupaitlatêteavecsonépéeetneluidonnaitpourlinceulquelapoussièreetlesable.Lecombatcontinuajusqu'à

cequelecieletlaterrefurentobscurcis,etqu'ungrandnombredeTurcsfurentcaptifs;lanuitvint,revêtuede

sonvoilecouleurdemusc,desortequ'onnepouvaitplussebattre;lesroisrappelèrentleursarméesduchampde

bataille,lorsquelecieleutrépandusesténèbressur la face de la terre ; toutelaplaine depuis lepied des

montagnesjusqu'auborddufleuveétaitcouvertedecottesdemailles,decuirassesetdecasques;onallumapartout

desfeux,etdespatrouillesparcoururentlesenvironsdescamps.

Afrasiabsepréparaitàunnouveaucombat;ilvoulaitattendrequelesoleilfûtlevé,eûtéclairélesflancsdes

montagnesetrendulaterrebrillantecommeunrubisdeBadakhschan.MaisleCréateurenavaitordonnéautrement,et

l’onnepeutrésisteràsavolonté.

AFRASIABSEREFUGIEAGANGUI-BEHISCHT.

Lanuitétaitnoirecommelevisaged'unnègre,lorsqu'unmessagerdeGustehemfilsdeNewderarrivaauprèsde

Khosrou,disant:Puisseleroidumondevivreéternellement!Noussommesderetour,contentsetvictorieux.Nous

avons surpris leshéros d'Afrasiab pendant le temps du sommeil. Ils n'avaient pas unseul cavalier en vedette,

personneparmieuxn'avaiteuunpeudeprudence;pendantqueleurschefsseréveillaient,noustirâmesnosépéeset

noslourdesmassues,etlorsquelanuiteutfaitplaceaujour,ilnerestaitplusenviequeKarakhanetunpetit

nombredeseshommes.Toutelaplaineestcouvertedeleursmembresetdeleurstêtes;laterreestleuroreilleret

lapoussièreleurcouverture.

IlsurvintdegrandmatinunmessagerdeRustem,montésurundromadaire,etporteurdebonnesnouvelles,disant:

Nousavonsapprisdansledésertoùsetrouvaientlesennemis,etavonssuivientoutehâtecetteindication;Rustem

marchait jour et nuit, et s'il avait été seul,il n'en aurait pas moins continué sa route. Nous avons atteint

l'ennemiàl'heureoùlesoleilquiéclairelemondelèvesatêteau-dessusdesmontagnes;Rustembandasonarc,et

lorsqu'ilfutplusprès,ilmitsoncasquesursatête,et,aveclapremièreflèchequ'ilfitpartirdesamain,le

désertfutdélivrédel'arméedesTurcs.MaintenantilestentrédansleTouran,poursuivantsavengeance,etleroi

enauraprochainementdesnouvelles.

UneclameurjoyeuseremplitlecampetfrappalesoreillesduroidesTurcs,quiordonnaàl'instantàtousses

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serviteursdemonteràcheval.Aumêmemomentarriva,engrandehâte,uncavalierauprèsd'Afrasiabenpoussantdes

crisetannonçantqueKarakhansurvivaitpresqueseuldesonarméeetarrivaitavecsoixantehommes,pendantqueles

Iraniensentraient dans le Touran, en si grand nombre qu'ils épuisaient l'eaudes ruisseaux. Afrasiab dit à ses

conseillers:Lafortunenoustrahitencoreunefois:siRustemsaisitmonpalais,noussommesperdus d'un seul

coup.MaisilcroiraquenoussommessansnouvellesetengagésàcombattreKhosrou.Allonslesurprendrerapidement

commelefeu;inondonslaterred'untorrentdesangcommeleDjihoun,etsiKhosrounoussuit,ilestprobableque

deuxtiersdesonarméenereverrontpluslesterrassesetlesmursdesaville.Toutel'armée,touslessagesetles

chefspartagèrentcetavis;onabandonnalesbagages,etl'armées'élançadansledésertrapidementcommelefeu.

Maisbientôtunéclaireurarrivadudésert,annonçantàKhosrouquel'airétaitobscurcidelapoussièresoulevée

parl'arméedesTurcs.IlavaitvuquelesTurcsavaientdisparuetvintdireauroidupeuplequetoutelaplaine

étaitcouvertedetentesdetouteespèce,maisquepersonnenes'ytrouvaitplus.Khosroucompritqueleroidela

Chineavaitquittélechampdebataillesiinopinémentparcequ'ilavaitreçudesnouvellesdeGustehemetdeRustem

quiavaientprécipitésamarche.Ilfitpartirsur-le-champunmessager,qu'ilenvoyaengrandehâteàRustem,etlui

fitdire:Afrasiabarenoncéàlabataillequ'ilallaitmelivrer,etsansdouteilvasejetersurtoi.Tiensprête

tonarméeetsoissurtesgardes;nequittenijourninuittoncarquoisettesflèches.Lemessagerétaitunhomme

d'expérience et tel qu'il le fallait ; il connaissaitla route et ce qui était hors la route ; il partit, et

lorsqu'ilarrivaauprèsdeRustem,iltrouvalehérosaucœurdeliontoutarmé,etsestroupeslamassuesurl'épaule

etl'oreilletendueversunbruitlointain.IlfitàRustemsonmessage,dontlebutétaitd'assurersasécurité.

DesoncôtéKeïKhosrou,leroiavidedevengeance,s'assitenreposetenpaix;ildistribuaàl'arméetoutce

qu'onavaittrouvé,lesgrandesetlespetitestentesetlestrônesdetouteforme.IlfitrechercherlesIraniens

morts, les fit laverpour enlever le sang et la boue, les fit mettre dans des linceuls etleur construisit un

mausoléeroyal.Lorsqu'ilsefutdébarrassédusangetdelapoussièreducombat,ilfitplierlesbagages,monterà

chevalsestroupesetsemitàsuivrerapidementlestracesduroidesTurcs.

Afrasiabétantarrivéprèsdesaville deGangue,crutqueRustemdevaitêtrelivréausommeil,etilditaux

chefsdesestroupes:Allonslesurprendre,allonsledétruireluietsonarmée.Maisilaperçutdanslesténèbres

uneronde;ilentenditdanslaplaineunbruitdechevaux;ilfutconfondudelavigilancedeRustem,s'arrêtaetse

mitàréfléchirquesonarméeétaitaffaiblieetbattue,queseshommestenaientàladoucevie,queRustempromptà

frapperétaitdevantlui,etderrièreluileroietsesvaillantscavaliers.Ilappelaceuxquisetrouvaientprèsde

sapersonne,leurparlalonguementdesesinquiétudesetdemandaleuravis.Undesesconseillersditauroiillustre

:Pourquoiendurerions-nousdenouveaulesfatiguesdelaroute?VoiciGangue-Dizoùsontlestrésorsduroi;c'est

unendroitquiahuitfarsangsdelongueuretprèsdequatreenlargeur,quiestremplidefemmes,d'enfants,d'hommes

et d'unegrandearmée;c'estlesiègedupouvoiretdel'empire,dutrôneetdelacouronne.Aucunaiglenepeut

volerau-dessusdesesmurs,personnemêmeensongen'enavudeplushauts;ils'ytrouvedesvivres,tonpalais,

ton diadème et une armée ; tu y jouiras de testrésorspendantquel'ennemiauraàsupporterlesfatiguesdela

route.Voicicepaysqu'onappelleleparadis,oùtoutestplaisir,reposetdélices;danschaquecoinsontune

sourceetunbassind'eaulongetlarged'uneportéedeflèche;tuyasamenédesMobedsdel'IndeetdeRoum,tuen

asfaitunedemeurecommeleparadis,etduhautdelatouronobservefacilement,àladistancedevingtfarsangs,

ceuxquisetrouventdanslaplaine.N'as-tudoncpasautrechoseàfairesurlaterrequedelivrerdesbatailles?

Àlafinlemondeneresteàpersonne.

Leroiécoutacesparoles;ellesluiconvinrent,etilrepritconfiancedanslesort.Ilentrajoyeusementdans

Gangui-Behischtavecsonarméeettoutsonappareildeguerre;ilfitletourdelavilleetn'ytrouvapasunpouce

deterreinculte.Ilyavaitunpalaisdontletoits'élevaitjusqu'auxnues,etquiavaitétébâtiparlepuissant

roi.Ilentradanslasalled'audienceetytintsacour;ildonnaàsestroupesdel'argent,illeurdonnadel'or

;ilenvoyadetouscôtésdesarméesàlatêtedesquellesilplaçadesprinces.Surlatoursetenait debout un

guetteur,pendantlejourungardien,pendantlanuitunesentinelle.Àladroitedurois'assirentlesnoblesetles

Mobeds,etilappeladevantluil'hommequiécrivaitseslettres.

AFRASIABÉCRITAUFAGHFOURDELACHINE.

OnécrivitunelettreauFaghfourdelaChine,auquelleroi,aprèsmillesalutationsdit:Larotationducielne

m'amènequedescombats.J'airelevéunhommequej'auraisdûtuer,etmaintenantilmerendlaviedure!Jeserais

heureuxsiunprincecommeleFaghfourvenaitici,carmonâmeesttémoindel’affectionquejeluiporte.Maiss'il

ne peut pas venir lui-même, qu'il envoieune armée et qu'elle s'avance de ce côté, prête au combat. L'envoyé

d'Afrasiab arriva à lacourde Chine à l'heure dusommeil. Le Faghfour, qui portait haut la tête, le reçut avec

politesseetluiassignaunpalaisagréable.

PendantcetempsAfrasiabperditàGuanguelerepos,l'appétitetlesommeil;ilfitplacerdesbalistessurles

mursetmettrelesbastionsenétatdedéfense;ilordonnaauxmécaniciensdeporterdelourdespierressurlatour

;ilappelaungrandnombred'artificierduRoum;ildistribuasestroupessurlesmursdelaforteresse,etunchef

pleindevigilancedisposasurlatourlescatapultesetlesbalistes,lesarbalètesetlesboucliersenpeaude

rhinocéros.Touslesbastionsétaientremplisd'hommescouvertsdecottesdemaillesetdecasques;unefoulede

forgeronssefatiguaientàplacerpartoutdescrochetsd'acierattachésàdelongueslances,poursaisiravecces

griffesaiguësceuxquis'approcheraientdesmarsoulesforceràs'enfuir.Ildistribuadel'argentàl'arméeetla

pourvut de tout ; il fit à chacun des largesses de toute espèce ;il distribua des casques, des épées, des

caparaçons, des bouclierschinois, des flèches et des arcs sans nombre à son armée, enn'omettant personne qui

pouvaitsebattre.

Lorsqu'ileutremplicedevoir,ils'assitjoyeusement,luietsesserviteursquil'avaientaidéàpréparerle

combat;touslesjourscentjoueursdeharpeauxvisagesdePérisserassemblèrentdevantletrôneduroi;jouret

nuitiltintsacouretfitchanterdesesclavesenbuvantduvin;chaquejouriljetaauventuntrésor;ilne

pensaitniaujourniaulendemain.Quandl'avenirl'inquiétait,ilpensaitquepeut-êtreilnelefrapperaitpaset

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qu'ilnefallaitpass'entourmenter.Ilvécutainsidanslesplaisirspendantdeuxsemaines.Quisaitquelestle

cœurquidemainserajoyeux?

KEÏKHOSROUARRIVEDEVANTGANGUE.

DanslatroisièmemarcheKeïKhosrouarrivadevantGangue;ilentenditlebruitdesflûtesetlesondesharpes,

etsourit;ilfitletourdesfortificationsetrestaconfondudecechangementdelafortune,sedisant:Celuiqui

aconstruitcesmursnel’apasfaitpourrésisteràdesennemisetaumalheur;maislorsqu'ileutversélesangdu

roi de l'Iran, il s'est réfugiédans ces murs devant nous. Il regarda avec étonnement cette ville ;il la vit

semblable à la sphère céleste qui réjouit le cœur. Il dità Rustem : O Pehlewan ! ton esprit lucide peut-il

comprendrequedegrâces,quedevictoiresdanslescombatsDieu,lemaîtredumonde,nousaaccordées!Ceméchant,

pluscélèbrequetouslesméchants,poursacolère,saperversitéetsadémence,s'estenfuidevantnousdanscette

forteresse,poursesoustraireauxcombats;ceméchant,quiestlechefdetouslesméchantsdecemonde,estdevenu

encoreplusmauvais,maintenantqu'ilestvieux.SijenerendaispasgrâcesàDieu,jenemériteraispasdedormir

danslanuit,carc'estluiquidonnelavictoireetladomination;c'estluiquiacréélesoleiletlalune.

D'uncôtélavilleétaitadosséeàunemontagne,etlàelleétaitgarantiecontretouteattaque;del'autrecôté

coulaitunfleuvequiréjouissaitl'âmedeshommes.Ondressasurtoutelaplainelesenceintesdestentes,onplanta

ledrapeaudesKeïanides;l'arméeoccupaunespacedeseptfarsangs,ettoutelaterresesoumitàelle.Rustem

plaçasoncampàdroiteetdemandaauroi,maître de la terre,lecommandement d'un corps d'armée; à gauche se

trouvaitFeribourzfilsdeKaous,dontlecœurseréjouissaitdusondesclaironsetdestimbales,etseshommes

vinrentetdressèrentl'enceintedesestentes;ensuitelefilsdeGouderzchoisitlaplacedesoncamp.Lanuit

vint;detouscôtésonentenditdesclameurs;lemondeseremplitdeluttesetdebruit;lecœurdelaterrebondit

dusondetantdeclairons,detrompettesetdefifres.

Lorsquelesoleilenvoyasesrayonsdelavoûteducieletqu'ileutdéchirélevoilenoirdumonde,lerois'assit

sursonchevalcouleurdenuitetfitletourdel'armée;ilditàRustemaucorpsd'éléphant:Omonami,chefde

l'armée!j'espèrequelemondeneverraplusAfrasiab,mêmeensonge;soitqu'ilpérissedanslecombat,soitqu’il

tombevivantentremesmains,ilsentiralapointedel’épéed'unserviteurdeDieu.Jecroisquedetouscôtésdes

troupes arriveront à son aide, car sa puissance estgrande ; on le craint, et c'est par crainte qu'on voudra le

secourir,etnonparhainecontrenousoudegaietédecœur.Mais,avantqu'ilpuisseréunirsonarmée,nousferons

tousnoseffortspourluicoupertouteretraite,nousdémolironslesmursdesaville,nousenjetteronslespierres

etlaterredanslefleuve.Lesjourspéniblessontpasséspourl'armée,etlafatiguevasechangerenrepos.Quand

l'ennemichercheunrefugederrièredesmurailles,unearméen'aplusàcraindrelescombatsetlalutte.Afrasiab

estdécouragédanscetteville,quicertainementneseraplusqu'unhallier.Rappelons-nouslesparolesdeKaous;

portonstouteslesforcesdenosâmesàfairejustice.Iladit:cettevengeance,avectoutessesramifications,ne

serajamaisrecouverteparlarouilleetlapoussièredestemps;unegénérationaprèsl'autrepérira,jusqu'àceque

centfoissoixanteanssoientpassés.Ceseracommeunarbrequipoussetoujoursdesfeuillesvertes;et,danscette

vengeancedesrois,lecœurnetremblerapasdevantlamort.Lepèrepassera,maislavengeancerestera,etlefils

deviendraleguidequitransmettracettedouleuràunautre.Lesgrandsluirendirenthommage;ilsl'appelèrentle

roiàlafoisainte,disant:Puisses-tuterminerlavengeancedetonpère!puisses-tuêtretoujoursheureuxet

toujoursvictorieux!

DJEHNVIENTPORTERUNMESSAGED'AFRASIAB.

Lelendemain,lorsquelesoleilsemontraau-dessusdescimesdesmontagnesetqu'ilplaçasonflambeaud'orsous

lavoûteduciel,onentenditungrandbruitdanslaforteresse,etKhosrouendevintinquiet.Toutàcouponouvrit

la porte du château etcesecretmystérieuxfutdévoilé.Djehn,accompagnédedixcavaliers,sortitdelaville.

C'étaitunprinceprudent,richeetpleindeconnaissances.Ils'avançajusqu'àlaportedel'enceintedes tentes

royales,ouilmitpiedàterreavecsoncortègeillustre.Legrandchambellanentraauprèsduroietluiannonça

l'arrivée de Djehn avec dix cavaliers. Le roi des rois s'assit surson trône d'ivoire et plaça sur sa tête la

couronnequiréjouissaitlescœurs;ensuitelevaillantMenouschansortitetamenaDjehn,leprinceprudent.Lorsque

celui-cifutarrivéenprésenceduroi,Khosrouversadeslarmesquiinondaientsesjoues;Djehns'arrêtaconfondu;

ilôtadesatêtesoncasqueroyal,s'avançajusqu'aupieddutrône,rendithommageauroietl'adora,endisant:O

roiillustre,puisses-tufaireéternellementlebonheurdumonde!puissenotrepaysteporterbonheur!puissentle

cœuretlesyeuxdetesennemisêtrearrachés!puisses-tuêtretoujoursfortuné,toujoursservirDieu,ôtoiquias

étendutamainsurnotrepays!Puissenttondépartettonretouravoirétéheureux!Puisses-tuêtredisposéàde

bonnesparoles!J'apporteunmessaged'Afrasiab,sileroialapatiencedem'écouter.

LeroiayantentenducesparolesdeDjehn,ordonnadeplacercethommesagesuruntrôned'or.Djehns'assitet

s'acquittadumessagedesonpère,disant:Afrasiabestassissursontrônedansladouleur,etlescilsdesyeux

mouillésdelarmes.D'abordjeporteauroilessalutationsduchefdel'arméedeTouran,aucœurdéchiré ;ilm’a

dit:GrâcessoientrenduesàDieu,enquiestnotrerefuge,decequemonpetit-filsestparvenuàunteldegréde

puissance,qu'ilconduitl'armée,qu'ilgouvernel'empire,qu'ilmontesurlavoûteducielquitourne!Ducôtédu

père,sesaïeuxontétérois,depuisKeïKobad;ducôtédelamère,ildescenddeTour;satêtedépasselestêtes

desroisdelaterre,etsonnomestlediadèmequisurmonteletrôneimpérial.L'aiglequivoledanslesnuesetle

vaillantcrocodiledanslesflotsdelamersontlesgardiensdetontrône;lesbêtesfauvesseréjouissentdeta

fortune,etlesprinces,avecleurscouronnesetleursjoyaux,sonttesinférieurs.C'estl'œuvrelaplusétonnante

duDiv,lemaudit,qu'iln'aitjamaisetvouluquemaperte.Commentmoncœura-t-iltellementfailli,quemalgréma

tendresseetmadroiture,j'aituédemamainlenobleSiawusch,lefilsinnocentdeKaous!Monâmeenestdéchirée,

jesuisassisdansmadouleur,ayantperdulafaimetlesommeil.Cen'estpasmoiquil'aitué,c'estleDivimpur,

qui aenlevé de mon cœur la crainte de Dieu. Le monde lui appartenait, jen'avaiscontre lui qu'un prétexte, je

n'avaispourmoidanscetteluttequ'unmensonge.Maintenanttuesdevenuhommedesensetroi,tuapprouveslesbons

;regardedoncquedegrandesvilles,rempliesdejardinsdepalais,deplacesetdemaisons,ontétédévastéesdans

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cette guerre de vengeance, dontSiawusch et Afrasiab sont le prétexte ;pense à tous cescombats de cavaliers

vaillants,auxcorpsd'éléphantsetfortcommedescrocodiles,quin'onteud'autrelinceulquelagueuledeslions

et dont les têtes ont été séparéesde leurs corps ;pense qu'il n'est pas resté un lieu derepos, même dans le

désert,etquetoutecettepartiedumondeestdésoléeetdepeuplée;pensequenotrenomnerappellera auxhommes,

jusqu'aujourdelarésurrection,quedescombatsetdescoupsd'épéestranchantes.Dieulecréateurnepeutnous

approuver ; et à la fin nous nous tordrons sous la douleur dumalque nous avons fait. Si tu veux lecombat,

certainementtoncœurnesereposerajamaisdelaguerre.Réfléchisàlarotationdusort,etnepuisedesleçonsque

danselle.Carnoussommesdansunevillefortifiéeettun'asquelacampagneouverte,ettatêtepleinedevengeance

ettoncœurremplidesang.J'appellemavilleGangue;c'estmonparadis,quiaétécrééparmonpaysetplantépar

moi;c'estlàqu'estmonarmée,etmontrésor,làmonsceauetmondiadème;c'estlàquejesèmeetquejejouis;

c'estlàqu'estlademeuredemeslionsducombat,pendantquelebeautempsetleschaleurssontpasséspourtoi,et

quelesrosesetlestulipesauxtrcouleursbrillantessontfanées;l'hiveretlefroidvontveniretgèleronsles

mainssurleshampesdeslances;etquandlesnuagesmontrerontleursridessurleversantdesmontagnes,laterre

decepaysdeviendracommedelapierre.Desarméesarriverontdepartoutoùjelesappelle,ettunerésisteraspas

àlarotationdusoleiletdelalune.Supposequelafortunequichanget'abandonnedanslabataille:alorslesort

t'accableraau-delàdetoutcequetuaspucraindre,etunautrequetoiprofiteradetapeine.Etsitudis:Je

prendrailepaysdesTurcsetlaChine,jeferaiécroulerlecielsurlaterre,j'extermineraicettecouravecl'épée

etAfrasiabtomberadansmamain,necroispasquecelasoitdansl'avenir,carcelui-làneserajamaisbroyé,qui

n'estpasdestinéàpérir.Jesuislepetit-filsdeZadschem,leplusgranddesrois,jesuisdelatracedeFeridoun

etdeDjamschid,jepossèdelasagesseetladignitéqueDieudonneauxrois,jesuiscommeleSeroschetj'aides

ailes comme lui.Quand le malheur me serrera de près, je ne demanderai te conseil àaucun maître, et, selon la

volontédeDieu,jedisparaîtraiàl'heuredusommeil,commeuneétoiledisparaîtdevantlesoleil.Jetraverseraila

merdeKaimak,jet'abandonneraimonarméeetmonempire.Gangue-dizseratarésidenceetmonpaysetmonpeupleneme

verrontplus;maisquandlejourdelavengeanceauraparu,alorsaiesoindetenirprêtetonarmée,carjeviendrai

mevengerdetoietrétablirentoutlieumafoi.

Maissituveuxrenonceràtouteidéede guerre,situveuxrendreheureuxcepayspartaclémence,j'ouvriraimes

trésorsdecouronnesetdeceintures,mestrésorsd'argent,d'oretdepierreries,ettuprendrascequeFeridoun

n'avait jamais donné àIredj,etneparlerasplusdevengeance.SitudemandeslaChineetle Matchin, tu es le

bienvenu,etcarilfautallerlàoùlecœurnouspousse.LeKhorasanetleMekransontdevanttoi,etjeconsensà

tout ce que tu voudras. J'enverrai autant de troupes que tudésireras sur la route que le roi Kaous a éprise ;

j'enrichiraitonarmée,jetedonneraiuntrôned'oretondiadème;jetesoutiendraidanstouteslesbatailles,et

devantmacourjetereconnaîtraicommeroi.Discequetuveux,cequetudésires,réfléchissurlepasséetsurton

avenir. Mais si tu refuses monconseil, si tu médites vengeance contre ton grand-père,alors prépare-toi à la

bataille,aussitôtqueDjehnserarevenu:jesuisprêtpourlecombatcommeunléopard.

KEÏKHOSROUREPONDÀDJEHN.

LeroiécoutalemessagedeDjehnetleregardaensouriant;ensuiteilluidit:Otoiquirechercheslecombat,

j'aiécoutétesparolesducommencementàlafin.D'abord,quantauxsouhaitsquetuasfaitspourmoi,puissent-ils

se vérifier pour mon trône, ma couronne et mon sceau !Quant aux salutations que tu m'as portées de la part

d'Afrasiab,dont les yeux sont remplis de larmes, selon ton récit, je les aientendues ; puissent-elles porter

bonheuràmacouronneetàmontrône,quej'espèrevoirtoujoursheureuxetvictorieux!Ensuite,quantàcequetu

dissurlesgrâcesqu'ilrendauCréateurdevoirsonpetit-filsdévouéàDieu,plusheureuxquetouslesroisdela

terre,etleprinceleplusaiméetleplusvictorieux,jeterépondsqueDieum'adonnétoutcequeditAfrasiab;

puissemonméritenepasêtreau-dessousdecettefortune!Quoiquetuaieslaparoleséduisante,tun'espaspurde

cœur,niunvraiserviteurdeDieu.Quandonestpuissantparl'esprit,ilfaudraitquelesactionsvalussentencore

mieuxquelesdiscours.Feridoun,lebienheureux,n'estpasdevenuunastre,etsoncorpsn'apasquittélaterre

noire,ettudisquejem'élèveau-dessusduciel;tuasdoncrenoncéàtoutepudeur?Tonespritnecomptequesur

lafraude,etlaparoledansbouchen'estqu'unornement.Teslèvressontpleinesdeparolesettoncœurpleinde

mensongesquinepeuventéblouirunsage.N'appellepasmonpère,quetuasassassiné,roidelaterre,maintenant

qu'il ne reste plus même les ossements de Siawusch. De même, par excès de haine, tu as traînéma mère de

l'appartementdesfemmessurlavoiepublique,etmoi,quin'étaispasencorenédemamère,tuasversédufeusur

matête.Quiconquesetrouvaitdevanttontrôneamaudittonâmeperverse,carjamaispersonnedanslemonden'avait

agiainsi,niunroi,niunhéros,niunhommequelconque.Unprincequitraîneunefemme,saproprefille,devantles

hommesetlalivreauxbourreaux,quilafrappentdefouets,pourqu'ellefasseunefaussecouche!LesagePiranest

survenu:ila vucequejamaisiln'avaitvunientendu.MaislavolontédeDieuétaitquej'élèveraismatêteau-

dessusdelafoule;iladétournédemoilemalquetuvoulaismefaire,carlesortavaitsurmoidesdesseins

secrets.Plustard,lorsquemamèrem'eutmisaumonde,tum'asenvoyéchezdespâtres,commeunenfantsansvaleur,

tum'aslivréenpâtureaulion;deschèvresétaientmesnourrices,desbuffles,mesgardiens;jen'avaispasde

reposlejour,jenedormaispaslanuit.Ainsipassaletemps ;àlafinPiranmeramenadudésertetmeconduisit

auprèsdetoi;tuavaispenséquej'étaisdignedutrôneetdelacouronne,ettuvoulaismetrancherlatêtecomme

àSiawuschetn'accorderpasmêmeunlinceulàmoncorps;maisDieuletrèssaintm'aliélalangue,etjesuis

restéconfonduàlaplaceoùj'étaisassis;tum'astrouvéunêtresanscœuretsanstête,etalorstuasajournétes

mauvais dessins. Ensuite pense à ce que Siawusch a faitdans sa droiture, et ce qu'il a souffert de maux et de

privations.Ilt'achoisidanslemondeentiercommesonrefuge,commeilconvenaitàunbrave;ilaabandonnépour

toiletrôneetlacouronne,ilestvenuett'asaluécommeroidelaterre.Ilaagidebonnefoietarenvoyéson

cortègepourquetunel'accusespasdeperfidie.

Lorsquetuasvusapoitrineetsonnombril,sapuissance,sabravoureetsesmanières,tamauvaisenatures'est

émueettuastuécethommeaucœurpur;tuascoupécettenobletêtequiportaitunecouronne,commesic'étaitune

têtedemouton.DepuisletempsdeMinoutchehrjusqu'aujourd'huitun'asétéqu'unméchantetunmalveillant.Le

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malheur a commencépar Tour, qui s'est livré à sa méchanceté en face de son père ; etainsi, de génération en

génération,iln'yaeuniconduiteroyale,nifoi,niloi;tuasfrappélecoudel'illustreNewder,lepèreduroi

etnéderaceroyale,tuastuétonfrèreAghrires,quiétaitdouxetnecherchaitqu'unebonnerenommée.Depuisque

tu existes tuas été méchant et de mauvaise race, et tu as suivi la voied'Ahriman.Sil'onvoulaitcomptertes

méfaits,ondépasseraitlenombredesrotationsduciel;tuesunrejetonenvoyédel'enfer,nedispasquetuesde

naissancehumaine.

EnsuitetudisquelemauditDivatournétoncœurettavolontéverslemal;c'estainsiqueZohaketDjamschid,

lorsqu'ilsontrenoncéàlavertu,ontditqu'Iblisajetéleurâmehorsdelavoie,etlesarendusimpuissantspour

lebien.Maislemalheurnelesapasabandonnés,àcausedeleurmauvaisenatureetdesconseilsdeleurmaîtrele

Div.Quiconquedétournesatêtedelavoiedroite finiraparêtrecourbéetaffaibli.

Encore,danslecombatcontrePescheng,oùPiranatuétantdecavaliers,laterreaétérougieparsangdesfils

deGouderz,cartunecherchesfairedelapeineetnesuisquelavoiedumal.Etmaintenanttuesvenuavecmille

foismillecavaliersturcsprêtspourlabataille,tuasamenétonarméeàAmouïpourmecombattre,etPeschengs'est

présentédevantmoi;tuasenvoyépourqu'ilmetranchâtlatête,etensuitetuseraispartipourdévastermonpays.

MaisDieu,lemaîtredumonde,m'estvenuenaideetaabaissélafortunedemesennemis.Dis-moiàprésentsimon

cœurpourraitseréjouirdetonbonheur,sijepourraisêtreheureuxdetevoirsurletrône?Réfléchis-dansquels

termesjedoisparlerdetesactionsquandjeveuxêtresincère?Dorénavant,etjusqu'àlarésurrection,jenete

parleraiplusqu'avecmonépéetranchante.Jelutteraicontretoiavectoutelapuissancedemestrésorsetdemes

armées,àl'aidedemabonneétoileetdelarotationdusoleiletdelalune;jemetiendraihumblementdevantDieu,

jenedemanderaid'autreguidequelui,dansl’espoird'arracherlesmauvaisesherbesdujardin,derajeunirlemonde

parlajusticeetlagénérosité,dedétruiremesennemis,etd'ôterlediadèmeauxméchants.Répèteàmongrand-père

toutesmesparoles,etqu'ilnecherchepasunprétextepouréviteruneluttepareille.

IldonnaàDjehnunecouronneincrustéedechrysoprases,uncollierd'oretdeuxbouclesd'oreilles.Djehns'en

retournaauprèsdesonpèreetluirapportatoutcequis'étaitpassé.Afrasiabs'émutdelaréponsedeKhosrou,son

cœur se remplit de douleur et sa têted'impatience ; il distribua à son armée des trésors et de l'argent,des

massues,desépées,desmorionsetdescasques.

KEÏKHOSROUATTAQUEAFRASIABETS'EMPAREDEGANGUE-DIZ.

Pendanttoutelanuit,etjusqu'àcequelesoleilsefûtlevéàl'horizoneteûtfaitbrillerlamontagnecommele

dosd'unéléphantblanc,Afrasiabs'occupaàmettreenordresonarmée,etaucunTurcneselivraausommeil.Lorsque

lesondestimbalessefitentendreàGangue,laterresecouvritdeferetl'airseremplitd'unepoussièrenoire,

etKhosrou,lechefdesMobeds,leroibienveillant,montaàchevalàfautedujour.Ilfitletourdelavilleet

formasonplandebataille.IlordonnaàRustemdeseportersuruncôtédelavilleavecuncorpsd'armée,qui

ressemblaitàunemontagne;d'unautrecôtédevaitsetenirGustehemfilsdeNewder;dutroisième,Gouderz,dontte

conseil portait bonheur ; enfin auquatrième côté resta le roi, qui accomplissait toujours sa volonté,avec ses

timbales,seséléphantsetsesvaillantecavaliers.Ildistribuaàsestroupestouteslesarmesdontellesavaient

besoinet s'avança contre la ville. Il ordonna à l'armée de creuser unfossé autour des murs, et tous ceux qui

étaientpropresàcetravailetpouvaientservirdansl'attaquedelaville,qu'ilsfussentdelaChineoudupaysde

Roum, qu'ils fussent des Mobeds ou des hérosexpérimentés de tous les pays, entourèrent rapidement la ville et

employèrenttouteleurhabileté.Ilfitcreuserainsiunfosséprofonddedeuxlongueursdelanceetrangeasonarmée

toutautour,pourquelesTurcsnepussentpasfaireunesortieinattenduependantlanuit.Ilfitplacerenfacede

chaque porte deux centsbalisteset établir derrière les troupes deux cents catapultes ;ensuite il disposa deux

centsarbalètesauprèsdechaqueporte,desorteque,lorsqu'unennemisemontreraitsurlesmurs,lescatapultes

versassentunegrêledepierressurluietluiécrasassentlatête,pendantqueleshommesdeRoum,armésetmunisde

leursarbalètes,setiendraientderrièrelalignedescatapultes;enfinilordonnaquedeuxcentséléphantsfussent

placéstoutautourdesfortificationsdelaville.

Le fosséqu'oncreusait entamait lesfondationsdumur;onyplaçaitdescolonnesdebois, et l’on soutenait

ainsilemurenluifaisantunebasedetroncsd'arbres;ensuiteonrecouvraitceboisd'unecouchedenaphtenoir:

c'étaitleroiquiavaitordonnécetteruse.Lespierresquelançaientlesmachinesetlesflèches des arbalètes

firentpâlirlesjouesdesbraves:au-dessoussetrouvaientlefeu,lenaphteetleboisetau-dessus,lescoupsdes

lourdesmassues.

Ayantpréparéainsil'attaquedesquatrecôtéscommeondoitfairedansunsiège,leroidelaterres'éloigna

pour prierDieu;ilquittal'armée,serenditaulieudesprièresets'adressaensecretauMaîtredumonde;il

invoqua Dieu ; dans son désir devengeance, il se tordit dans la poussière comme un serpent, disant :

L'accomplissementdesvœuxetlapuissanceviennentdetoi;entoutdanger;lesecoursvientdetoi.Situvoisque

cequejeveuxestjuste,nemeforcepasd'abandonnercelieu,renversecesmagiciensdeleurtrône,contentemon

cœur,etrends-moifavorablelafortune.

Ilrelevalatêteaprèssaprièreetrevêtitd'unecuirassesapoitrinebrillante,pritsesarmesets'élançaau

combat,rapidecommelafumée.Ilordonnaquechaqueportefutattaquéefortementparuncorpsd'armée;onmitle

feu au bois et au naphte ; on lança despierres à la tête desassiégés. Le bruit des arbalètes et lafumée

obscurcirent la face radieuse du soleil ; la terre devintbleue, le ciel couleur de lapis-lazuli à cause de la

poussièrequefaisaientleverlesbalistesetlescatapultes;onentendaitlescrisdeséléphantsetlesvoixdes

chefs ;on voyait les éclairs des épées et des lourdes massues, onaurait dit que la lune et le soleil se

combattaient, tant ilpleuvaitdes coups d’épées et tant la poussière était noire.Lenaphte incendia les troncs

d'arbres,qui,parlapermissiondeDieu,brûlaientcommeduboisdechauffage;onauraitditquelamuraillese

soulevaitets'écroulaitcommeunemontagne.UngrandnombredeTurcsvaillantsfurentprécipitésdecesmursainsi

que des lionsquitombentinopinémentdansunefosse,etlaviedeceshommesquelafortuneavaitabandonnésse

termina.

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Uncridevictoires'élevadel'arméeduroiaumilieuducombat;toustournèrentleursyeuxverslabrèchedela

forteresse,etRustemaccourutavidedecombats.Afrasiabappritaussitôtdequelcôtélemurdelavilles'écroulait

;ilarrivarapidecommelapoussièrequivoie,criantàDjehnetàGuersiwez

Qu'importe la muraille ? c'est avec les épées qu'unearmée doit former ses murs. Pour sauver le pays et vos

enfants, poursauvervostrésorsetvosparents,liezensemblelespansdevoscottesdemailleetnelaissezpas

autourdevouscesennemis.TouteunearméedeTurcs,semblableàunemontagne,sejetasurlabrècheenbataillons

serrés ; ils combattirent comme des lions, et uneimmense clameur s'éleva des deux côtés ; les cavaliers Turcs

tremblaientcommelesfeuillesdusauleetdésespéraientdusalutdeleurpays.AlorsleroiordonnaàRustemde

fairemettrepiedàterreàtousceux,quiportaientdeslances,etdelesfaireavancercontrelabrèche;ungrand

nombredehérosillustres,avidesdecombats,armésdecarquois,d'épées,deflèchesetdehachesd'armessetinrent

à cheval derrièreRustem, le glorieux ; levaillant roi lui-même les dirigeait au plus fort de la lutte. Les

cavaliersetlesfantassinsdesdeuxarméessejetèrentdanslecombatparmassessemblablesàdesmontagnes.Rustem,

avidedevengeance,amenatoutessestroupessurlabrèche,commeunlionfurieux;ils'avançaàpied,rapidement

commelapoussière,abattitledrapeaunoird’Afrasiabetplantasurlemurledrapeauvioletduroidel'Iran,qui

portaitunefiguredelion;lecrivictorieuxdel'arméeduroid'Iranretentitduchampdebataille,ungrandnombre

deTurcsfurenttués,etlafortunedesTouraniensbaissa.Aumomentoùlecombatfutleplusacharné,Rustemsaisit

desamainetjetaparterredeuxhommes,GuersiwezetlevaillantDjehn,lessoutiensdutrônedeTouran,lefrère

etl'illustrefilsd'Afrasiab,etc'estainsiqu'ilssuccombèrentàleurmauvaisefortune.

L'arméedesIraniensentradanslaville,unearméeaucœurulcéréetavidedevengeance;ellesemitàsaccager

etàtuer,etl'onn'entenditquedesclameursetdeslamentations;lesenfantsetlesfemmespoussaientdescriset

abandonnaientleursmaisonsauxIraniens;maisquedefemmes,qued'enfantsenbasâgequidisparurentsousles

piedsdeséléphants!Toutelavillefuyaitcommelevent,personnenepensaitplusàsonpays,touslesyeuxétaient

remplisdesangdanscettedétresse,carlafortunedeshérosduTouranétaitvaincue;leursfemmesetleursenfants

étaientcaptifs,leurstrésorspris,leursâmesblesséesparleciel,leurscorpspercésdeflèches.

AFRASIABS'ENFUITDEGANGUE.

Afrasiabserenditdanssonpalais,lecœurgonflédesang,lesyeuxremplisdelarmes;ilmontasurlatouroùse

trouvaitsonpalais;ilmontaetregardasaville.Ilvitquedeuxtiersdeseshommesdeguerreétaientmorteet

quelerestes'étaitenfuiducombat;ilentenditlesvoixdescavaliers,lescrisdesfemmesetlesondestimbales

qu'onbattaitsurledosdeséléphants;ilvitleséléphantsqu'onfaisaitpassersurdeshommes,qu'ilslaissaient

écrasésetcouchéssurlaterre;ilvitlavillerempliedefuméeetdelamentations;ilvitl'incendie,lepillage

etlatempête;ilvitlesunsjoyeuxetlesautresaccablésdedouleursetdefatigue.Ilenestainsidans cemonde

passager.

Lorsqu’Afrasiabvitcetétatdeschoses,cesmassacresetcetabandondelafortune,quandilcompritqu'ilavait

perduDjehnetsonfrère,sonpays,sacouronne,saroyauté,sontrôneetsaceinture,ilditenlui-même,lecœur

navréetdéchiré:Dequelsmalheursm'accablelasphèrecéleste!Jevoisdesjourstelsqu'êtretuéetmourirneme

paraît-plusunmalheur.Ildescenditdelatour,remplidedouleur;ilditadieuautrônedelaroyautéens'écriant

:Quandtereverrai-jedansunjourdebonheur,dereposetdedélices?Ilquittacelieu,danssontrouble, et

disparut;sonespritetsaraisons'envolèrentcommeunoiseau.Ilavaitfaitconstruiresoussonpalaisunchemin

souterrain;personne,danssonarmée,nesavaitquececheminexistaitsouslaforteresse.Ilchoisitdeuxcentsde

sesgrandsetdisparutparcechemininconnu;delàils'enfonçadansledésertetlaissatoutsonpaysétonnéde

sonabsence;personnedanslemondenesutcequ’ilétaitdevenu,tantsafuiteavaitétéprécipitée.

KeïKhosrouentradanssonpalaisetfoulaauxpiedssonétoile;lerois'assitsurletrôned'oretfitchercher

Afrasiab de tous côtés. On le chercha pendant longtemps, mais on netrouva aucune trace du chef des hommes qui

portaienthautlatête;leroidemandadenouveaucequ'étaientdevenusGuersiwezetDjehn,etlechefdel'arméedu

Touran,commentilétaitpartietoùilsecachait,oùétaitsonlieuderefuge,puisqu'ilnesetrouvaitpluslà.De

touscôtésonréponditàKhosrouqu'enn'avaitdécouvertaucunetracedelui.Leroivictorieuxécoutacesparoleset

dit aux Iraniens : Mon ennemi s'estenfui comme un lâche ; mais sa gloire et sa puissance étant passées,il est

indifférentqu'ilsoitmortouqu'ilsoitvivant.

KHOSROUPROTÈGELESFEMMESD'AFRASIAB.

Ensuite Khosrou choisit dans son armée des hommes desens, des nobles qui avaient de l'expérience et de la

bravoure,etleurdit:Puissentvoscorpsêtreenbonnesanté;puissentvoscœursêtreremplisdejustice!Jevous

confielagardedelaportedupalaisdeceTurc,dontlafortuneestmauvaise;faitestousvoseffortspour la

défendre;carilnefautpasquemêmelesoleilduhautdelavoûtedesrieuxpénètredanslepalaisd'Afrasiab,et

je ne veux pas qu'on entende dans la rue la voix desesfemmesauvisagevoilé.Ilenvoyadessurveillantspour

prendresoindestroupeauxdechevauxquipaissaientlibrementautourdeGangue,etilnefitdumalàaucunmembre

delafamilled'Afrasiab,commeilconvientàunroi.

Quandl'armée iranienne,vitcequefaisaitleroi,elleéclataenmurmures,disant:KeïKhosrousecomporteici

demanièrequ'ondiraitqu'ilestdanslamaisond'unhôte!Ilneserappellepaslesangdesonpère,àquiona

tranchélatêteparfolieetparinjustice;iloubliesamère,qu'onatiréedusanctuairedesontrôneetdeson

palais pourlatraînerdanslarue!Ceroinepeutdoncfairedumalàpersonne,parcequ'ilaétéélevépardes

pâtresetasucélelaitdesbrebis!Pourquoinedétruit-ilpaslademeured'Afrasiab,commeunléopardauxgriffes

aiguës?Pourquoineréduit-ilpasenruinessonpalaisetsasalled'audience?Pourquoilesflammesnes'élancent-

ellespasdelagrandeplace?

OnrapportaàKeïKhosroucesproposdesIraniens,motpourmot;ilenvoyaunmessagerpourconvoquerlessages

etleurfitunlongdiscours,disant:Ilnefautjamaismontrerdelacolère,nilouerceuxquiagissentfollement.

Ilvautmieuxque,malgrémondésirdevengeance,jesoisjuste,etquandjepourraissatisfairemespassions,queje

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pense à mon renom, car les bienfaitssont les souvenirs qu'on laisse sur la terre. Le monde ne reste àpersonne

éternellement,etlarotationducielpeutrépandredesmalheurssansnombresurquielleveut.

Ensuite le roi du monde ordonna qu'on amenât ensecret les femmes d'Afrasiab, toutes filles de rois, toujours

couvertes de voiles, et dont aucune n'était jamais sortie de l'appartement des femmes dans larue. Lorsque les

Iraniensrapprirent,ilscoururentaupalais,remplisdedésirsdevengeance,carceshéroscroyaientqueKhosrou

mettraitàmortlesfemmes,etilsvoulaientlestraiteravecindignitéets'apprêtaientàlespilleretàlestuer.

Onentenditsortirdel'intérieurdupalaisdesvoixlamentablesdisant:Oroisage,distributeurdelajustice!tu

saisquenoussommesentièrementsansdéfense,etpourtantnousn'avonspasméritéd'êtrecouvertesd'indignitéset

d'opprobre.Lareineprincipale,accompagnéedesesfilles,parutenchancelantdevantleroi;uneesclavesetenait

devantchacunedecesfemmes;chacuneportaitundiadèmederubissurlatête,etdespierreriesbrillaientcommele

soleilsurleursrobesbrodéesd'or.Lecœurivredelaterreurqueleurinspiraitleroidesrois,ellesportaient

chacuneunecouped'orrempliedeperles,derubis,demuscetdepierresprécieuses,etleurstêtess'abaissaient

dansleurhonte.D'unemainellesportaientlacoupe,del'autreunencensoirdanslequelbrûlaientdel'ambreetdu

boisdesandal;onauraitditqueSaturneversaitduhautdescieuxdesétoilessurlaterre.

La grande reine s'avança vers le trône ; elle renditdes hommages au roi, et toutes ces idoles, élevées si

délicatement,se mirent à l'adorer de la même manière, toutes pleurant amèrementet survivantà peine à leur

disgrâce.Soisgénéreuxaujourdubesoinenversceuxquin'ontconnuqueleluxeetl'accomplissementdeleursdésirs

!Ellesluirendirenthommagedansleurdouleur,etlareineluidit:Onoble roi,dontlestracessontfortunées!

quelbonheur,silepaysdeTourann'avaitpasremplitoncœurdepeinesdudésirdelavengeance!Tuseraisvenuici

heureuxetpourêtrefêté;tuseraisvenul'alliéetlebienvenudesprinces;commeroietmaîtredecepays,tu

auraisplacélepiedsurletrônedetongrand-père,etSiawuschn'auraitpasététuéparlafolied'Afrasiab. Et

pourtantc'estcequ'aamenélarotationdusoleiletdelalune;c'estcequ'afaitAfrasiab,issud'unemauvaise

race,quinedoitpascompter,mêmeensonge,surtonpardon.Jeluiaidonnédesconseils,maisiln'enapasprofité

;ilafollementdétournésatêtedemesavis.Dieum'esttémoinquemesyeuxontversédeslarmesdesang.Ensuite

Djehn,monfilsettonparent,quines'estdétachéqu'avecdouleurdesliensquil'attachentàtoi,esttémoinde

l'anxiétéqu'ilyavaitdansmoncœuretdansmonâmepourSiawusch,quandilsetrouvaitchezmoi,etcombiende

conseilsAfrasiab,teméchant,arefuséd'entendreetdesuivre,jusqu'aumomentoùlafortunel'aabandonné,oùson

royaume a été boule versé, où sa couronne et sa ceinture ont étélivrées pillage, ses jours assombris, sa tête

humiliée, et sa vie rendue pire que la mort. Il est étonnant quesa peau ne se soit pas fendue sur son corps.

Maintenant jette unregardderoisurnousquisommesinnocentes.Noussommestoutesdépendantesde Khosrou, nous

n'entendons dans le monde d'autre nomque le sien, et il ne voudra pas faire souffrir ces femmesinnocentes des

mauvaises actions d'Afrasiab, le magicien, ets'attaquer sans réflexion ù celles qui n'ont pas fait de mal, les

affliger, les blesser et verser leur sang. Car il n'est pas digned'un roi de trancher une tête qui n'est pas

coupable.Toi,ôroi,tuasd'autresintentions;personneneresteéternellementdanscemondepassager:faisdonc

quetun'aiespasàtremblerdehonteaujouroùilfaudrarendrecomptequandDieut'interrogera.

Lorsque Khosrou entendit ces paroles, il s'attendritsur ces femmes aux beaux visages, que la fortune avait

abandonnées,dontlesjouesvoiléesbrillaientcommedeslampes,dansleurdouleuretleurangoisse,etlecœurdes

hommesdesenstremblaitd'émotion,carchacunpensaitàsafemmeetàsesenfants.Leschefsdel'armée,lesprinces

vaillantsrendirentdeshommagesaupuissantroi,priantleglorieuxKhosrou,aunomduCréateurdumonde,denepas

fairetombersavengeancesurcesfemmes,tesageKhosrouleurrépondit:Malgrétoutcej'aiàmeplaindre,jene

feraidemalà.personne,siavidedevengeancequesoitmonâme.Jesuissoucieuxdecequefaitceprincepuissant,

maislemalheurdesesfemmesmepeine,etquoiqu'ilaitagiméchammentenversmamère,pleinedevertus,jeneveux

pasfairelemêmemalàd'autres.Lemaîtredumonde,cefilsdeparentssaints,ordonnaauxfemmesd'Afrasiab de

rentrer dans leur demeure, en leur disant :Ayez confiance et ne croyez pas ceux qui vous diraient de mauvaises

paroles.Necraignezdorénavantriendemoi;jenesuispastraîtrecommeunmisérable;personnen'oseravousfaire

dumal,etlaviedequiconquel'essaieraitneseraitpaslongue.Restezavecconfiancedansvotrepalais,vouantà

Dieuvoscorpsetvosâmes.

KEÏKHOSROUADRESSEDESCONSEILSAUXIRANIENS.

LeroivictorieuxditauxIraniens:Puissentletrôneetlacouronnedureréternellement!Touteslesvillesdu

Touranquevousavezconquisesserontdesdemeurespourvouscommel'Iran.Écartezdoncdevosâmestouteidéede

vengeance,rendezheureuxcepaysparvotreclémence;carlecœurdeshabitantsestremplideterreur,etpartoutla

terre est pétrie de sang versé. Jevous donne tous les trésors du Touran, et je n'adresse à ceux quej'enrichis

qu'uneseuleprière:faitesdeseffortspourpratiquerlebien;vousavezéprouvélefroid,amenezleprintemps.

D'iciàpeujevaisrassasiercettearméeentièredetrésorsetd'or,maisilfautvousabstenirdeverserdusang,il

nefautpastrancherlatêtedesinnocents;iln'estpasdigned'unhommedes'agiterfollement,defrapperles

vaincus;détournezvosyeuxdesfemmes,détournez-lesdetoutepersonnequisortiravoiléedanslarue,respectezle

biendesautres,carcesontlesbiensquichangentenennemislesamis.Fairedumalà-ceuxquin'enontpasfaitne

trouvepasgrâcede-motDieu.Quiconquevoudrameplaire,qu'ils'abstiennededésolermonempire,etqu'onappelle

injusteetmauditquiconquerenddésertlepaysoùjeréside!

Ensuiteleroiordonnaàsonarméed'ouvrirletrésorpublicduTouran,àl'exceptiondutrésorprivédunoble

Afrasiab,auquelpersonnen'avaitaccès.Ildistribuatoutleresteàl'armée,l'argent,lesarmes,lestrônesetles

couronnes. De tous côtésl'armée innombrable des Turcs, qui s'était dispersée, revint auprèsdu roi, qui leur

pardonna,lestraitaavecbontéets'empressad'arrangerleursaffaires.IldistribualepaysdeTouranparmiles

chefsdesonarmée,àchaquehérosillustreildonnauneville,etdanslepaysentier,quiconquen'obéitpasauroi

nesauvapassatêtedesmainsdesbraves.Aussitôtqueleslettresdesgrandsfurentparvenuesdanslesprovince,

toutlepayssesoumit,etdetouscôtésarrivèrentauprèsduroides-envoyésquiseprosternaientàterredevant

lui,portantdesprésentsetdeslettresdesgrands,quitoussedéclaraientsessujets.

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LETTREDEKEÏKHOSROUÀKAOUSPOURLUIANNONCERSAVICTOIRE.

Khosrouappelaceluiquiécrivaitseslettres,luidittoutcequiétaitnécessaire,etcomposaunelettrepour

KeïKaoussurleTouranetcequis'étaitpasséavecl'arméedesTurcs.IlcommençaparleslouangesdeDieu,quia

délivrélaterredesesmaux,réveillél'astreendormidel'empire d'unemanière siéclatanteetabaissélestêtes

des magiciens ; dequivienttoutpouvoir,toutesagesse,toutejustice,quiréjouitlecœurdeceuxquiontété

opprimésdanslemonde.Ensuiteilcontinua:Parl'étoiledeKeïKaouslepuissant,l'expérimenté,leroiauxtraces

heureuses,Gangue,lavilled'Afrasiab,aétépriseetlafortunedeceTurcs'estendormie.Surunseulchampde

bataille et dans un seul combat, quarante mille de sesvaillants chefs, portant haut la tête, armés de lourdes

massues, ontététuéssurlesbordsduGulzarrioun.Ensuites'estélevéunoragequiaarrachélesracinesetles

branchesdesonarbre.Unepartiedesonarmée,quicherchaitànousrésister,futjetéedansl'eau,etlui-mêmese

retiraàGangui-behischt,uneplaceforteremplied'hommesetàdéfendre.Al'assautdelaforteresse,noustuâmes

bientrentemillehommesdanslecombat;letyransedéfenditbravement,maisnisonartnisafortunenepouvaient

lesauver:sonarméesedispersasurtoutelasurfacedupays,etlui-mêmeadisparu.Plustardj'enverraiauroi

desnouvelles,quandlafortunem'auraaccordéd'autresfaveurs.

EnsuiteKhosrous'établitjoyeusement,entouréd'échansonsauvisagedepéris,tenantenmaindescoupesdevin,

etilsereposaainsijusqu'àcequeleprintempssemontraetquelemondedevintunparadisremplidecouleursetde

parfums.Toutledésertétaitdiaprédefleurscommedelasoiebrodée,etl'airtachetédenuages commele dosdu

léopard;lesonagresetlesgazellescouraientdansledésert;etc'estainsiqueKhosroupassaquelquetempsdans

le bonheur, enchassant avec des guépards et avec des faucons ailés, en buvant duvin au parfum de musc, et en

compagniedefemmesbellescommelesidolesdeTharaz.Leschevauxtraversaientledésert,courantcommedesonagres,

remplisdeforce,lecoufortcommelecoudulion,l'oreilledresséeetlatête finecommelescerfs.Pendantce

tempsleroienvoyadetouscôtésdesespionspourchercherdanslemondeentierl'injusteAfrasiab.

KHOSROUAPPRENDQU'AFRASIABAREJOINTL'ARMÉEDUFAGHFOUR.

OnreçutdelaChineetduKhotenlanouvelle qu'Afrasiabs'ytrouvait,queleFaghfourdelaChineavaitfaitune

allianceaveclui;quetoutelaChineétaitrempliedu bruitdesarmes;quetoutlepaysentrelaChineet le

GulzarriounétaitoccupéparunearméesouslecommandementduKhakandelaChine;quepersonneneconnaissaitla

valeurdesprésents,lenombredesesclavesetdeschevauxcaparaçonnésqueleKhakandelaChineluiavaitenvoyés;

qu'onluirendaitdeshommagesenluidonnantletitrederoi;qu'ils'étaitemparédetouslestrésorsdePiran,

dontl’orformaitlachargedesixmillechameaux;qu'ilavaitemportétoutescesrichessesduKhoten,etqu'il

amenaitunearméeformidable.

Lorsquecesnouvellesd'AfrasiabsefurentrépanduesparmisesanciennestroupesauxquellesKhosrouavaitaccordé

lavie,ellesquittèrentlesIraniensetsepréparèrentàvengerleurdéfaite;desorteque,lorsqu’Afrasiabsortit

duKhoten,unearméeseréunitautourdelui,tellequ'onauraitditquelemondeneluirésisteraitpasetqueles

astresnel'égalaientpasennombre.IlsedirigeadelaChineducôtédeKeïKhosrou,lecœurirritéetaccompagné

d'une armée avide de vengeance. LorsqueKeï Khosrou appritlamarche de cette armée, ilenvoya sur la route des

éclaireurs;ensuiteilordonnaàGouderzfilsdeKeschwad,auSipehdarGourguinetàFerhadderesteràGangue,

d'êtrejustesetprudents,etdefairefairedesrondes,jouretnuit.IlditàGouderz:Cestroupessontàtes

ordres;siledangervient,ellesteserontfidèles;situvoisunTurcquiparledel'ennemisipeuquecesoit,

pends-leàl'instantaugibet,lespiedsenhautetlatêteenbas;maisnefaispasdemalàceuxquin'enfontpas

;aiesoindel'arméeetdutrésor.

Lebruitdestamboursetlesondesclochettesdeschameauxetdeséléphantssefirententendredel'enceintedu

palais,etunearméetellequelesoleilfutsaisidel'ardeurducombatsortitdeGangue.Khosrouformaseslignes

debatailleaussitôtquesestroupesfurenthorsdelaville,ets'avançaàleurtêteverslesmontagnes.Lorsqu'il

nerestaentrelesdeuxarméesqu'unedistancededeuxjournées,lemaîtredumondeappelaleshérosquiportaient

hautlatêteetleurdit:Tenez-voustranquillescettenuit,etgardezvosarmespendantlesommeiletlerepos.Il

envoyadesrondesquitraversaientlaplaineetfaisaientletourducampduranttoutelanuit;ils'arrêtaainsi

pendantunesemaine,qu'ilemployaàfairetouslespréparatifspourlecombat.Lehuitièmejour,unevedetterevint

etannonçaàKhosrouqu'unearmées'avançait,etleroiplaçasestroupesenordredebataille,demanièreàexciter

lacuriositédusoleiletdelalune.

Lorsqu’Afrasiab vit cette armée, il forma ses lignesen face d'elle, et dit à ses conseillers : Ce champ de

batailleestpourmoiunepromenadeetunfestinquej'auraisacceptéavecjoie,mêmeàl'heuredusommeil,etsile

combatnes'étaitpasprésenté,jel'auraisprovoqué.J'aiétélongtempsenfuite,matêteestrempliedeplansde

vengeanceetmoncœurpleind'ardeurpourlecombat.JenesaissiceciprésagelafortunedeKeïKhosrou,ouunsort

plus heureux pour moi ; mais jesuis décidé à le combattre en personne, et à y trouverl'accomplissement de mes

désirsouladouleuretlamort.Toussesconseillers,qu'ilsfussentsesparentsoudesétrangers,répondirent :

S'ilfautqueleroicombattelui-même,pourquoialorscettearméeetcettepompeguerrière?EnChineetdansle

Touran,toussontàtesordres,qu'ilssoientdetaraceouderaceétrangère.Quenotreviesoittarançon,tela

éténotreserment,defidélitédepuislecommencement.Quecentparminoustombentoudixmille,qu’importe?maisne

metspasendangertavie.Noustesommestousdévouésdecœur,carnousnevivonsqueparlagrâcedetondiadème.Un

criimmenses'élevadel'armée,lemondeseremplitdetumulteguerrier;lesétoilesparurentaufirmamentsombre,

etlafaced'ordusoleils'obscurcit.

LETTRED'AFRASIABAKEÏKHOSROU.

LeroidesTurcschoisitdanscetteassembléetrois hommepleinsd'expérience,etenvoya pareuxàKhosrouce

message:Tuasfaitbeaucoupdecheminpourmesuivre.Ilya,ôroi,millefarsangsdupaysd'Iranjusqu'àGangue,

etdeuxarméesnombreusescommelesfourmisetlessauterellesonttraversélesmontagnesetlesplaines,lessables

etlesmarais;lesterressontdevenuesdesmersdesangverséparlavengeancedepuisGangueetlaChinejusquedans

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l'Iran,etsil'ordredeDieuletrèssaintréunissaitdansunevalléelesangdetouscesmortsquiestrépandusur

lapoussière,ilformeraitunemercommelamerdeKolzoum,etlesdeuxarméesdisparaîtraientdanslesang.Situ

veuxmestrésors,oumonarmée,oulepaysdeTouran,oumontrôneetmacouronne,jetelesabandonneraietje

disparaîtrai;maismavie,tunel'aurasqueparl'épée.Neletentepas,puisquejet'aiservidepèreetdemère,

etquejesuisdelaracedeFeridounl'enchanteur;neletentepas,quoiquetoncœursoittroubléparl'enviede

venger tonpère,etquelerespectquetumedoisaitététerniparlamortdeSiawusch,qui,aprèstout,était

coupableetavaitremplimonâmededouleuretdesoucis.Ensuiteréfléchissurlarotationdesastrespuissants,qui

apportenttantôtlesalut,tantôtlaperte.Soixanteannéesontpassésurmatêtedepuisquej'aifaitmapremière

campagneàlatêtedesgrands;tuesjeuneetroidel'Iran,tuaslagriffeduliondanslabataille;choisisun

champdecombatécartéetloindeshommesquiadorentDieu,etnousnousybattrons,loindenosarmées.Sijetombe

soustamain,tonfilettireralecrocodiledufonddeseaux,maisn'attaquepasmafamillenimesalliés,pardonne-

leur,etnetelaissepasalleràcetteragedevengeance.Si,aucontraire,jetetue,jejureparlaprotectionque

jedemandeàDieuquejenepermettraipasqu'unseulparmilestiensaitàsouffrir,ouqu'ilentendelebruitdes

armesdanslecombat.

Khosrouécoutalesparolesdumessager,puisilditaufilsdeZal,filsdeSam:CeTurcmalfaisantetfourbene

distingueradoncjamaisquandsafortunes'élèveetquandelles'abaisse?Ilaéchappéparuneruseaumalheurdont

il étaitmenacéparnous,maisquivoudraattendrequ'ilsoitremontésurletrône du Touran.Il parlemaintenant

d'uncombat;est-cequ'ilchercheletombeaudeSchideh?Ilestpetit-filsdeFeridounetfilsdePescheng,etje

nedérogeraipasenlecombattant.Rustemluirépondit:Oroi !neplacepasainsidufeudanstonsein.Ceserait

unehontepourtoidecombattreenpersonne,quandmêmeceseraitPeschengquisetrouveraitenfacedetoi.Ensuite

iltepriedenepasattaquersonarmée,safamilleetsonpays;maistuasunearméequiremplitlaterred'unemer

àl'autre,etquiestd'uneautreopinion.Pourfaireavectongrand-pèreuntraitédevantDieu,ilnefaudraitpas

qu'ilyeûtdelafaussetédanslescœurs.Conduistonarméeentièreaucombat,etméprisecesparolestrompeuseset

vaines.

suite

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RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI

FERDOWSI/FIRDOUSI

LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII)ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer

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FERDOWSI

LELIVREDESROIS.

TOMEIV

COMBATENTRELESIRANIENSETLESTOURANIENS.

Khosrou,àcesparolesdeRustem,changead'avisetditaumessager:Cethommeauxmauvaisesintentionss'attache

à moipourquejemebatteaveclui.IladonnéàSiawuschdesassurancesencoreplussolennelles,maissalangue

étaitpleinedemensongesetsoncœurpleind'injustice.LechefdesTurcsnegagnerapasdegloireparsaperversité

:sonespritestétrangementconfusetsoncœurremplidefausseté.S'ilveutabsolumentsebattre,ilyenad'autres

quemoiavecquiilpeutsemesurer:voiciTehemtenetlevaillantGuivquirecherchentlecombatcontrele lion

mâle.Carsilesroisdevaientsebattreaveclesrois,àquoiserviraientlesarméesettoutcetappareildeguerre

?Dorénavantjen'auraiplusàluttercontretoi,cartuvasvoirlejourdesténèbresetdumalheur.

Lemessagerpartitrapidecommelevent,etrépéta àAfrasiabtoutcequ'ilavaitentendu.Lecœurduroise

remplitdesoucis,iln'avaitaucuneenviedelivrerbataille;maisKhosrouamenaitsonarmée,etcelledesTurcs

futobligéedes'ébranlerdesoncôté.L'unes'avançaitentoutehâte,l'autremarchaitavechésitation,etlaterre

remuaitcommelesflotsdelamer.Ilpleuvaitdesflèches,commesilesnuageseussentversédelagrêlesurles

casquesetlescuirasses.Depuisl'aubedujourjusqu'àcequelesoleilsecouchât,semblableàunrubis,laterre

futtrempéedesangetfouléeparlessabotsdeschevaux;mais,àlatombéedelanuit,lesarméesrentrèrent,car

lesyeuxdescavaliersétaientobscurcis.

Khosrou, en arrivant à son camp, entouré des pompesde la royauté et de la guerre, dit à Thous : Le fils de

Pescheng nepeut pas être satisfait de la bataille qu'il a livrée aujourd'hui,et je pense qu'il voudra nous

surprendrecettenuit,etdélivrerainsisonâmedeseslongssoucis.Ilfitcreuserunfosséàtraverslaroute,du

côtéoùl'arméeduTouranpouvaitarriver,etdéfenditd'allumerdesfeuxoudelaisserentendrelaclochetted'un

cheval.

Ilchoisitlescavalierslesplusbravesdel'armée,etendonnalecommandementàRustem;ensuiteilfitun

seconddétachement d'Iraniens, leur ordonna de revêtir leurs armes decombat, et en confia le commandement au

SipehdarThous,enluiordonnantdeseporterducôtédesmontagnes.Ainsi Tehemtendevaitconduiresestroupesdu

côtédesplaines,etThousducôtédesmontagnes,etleroileurordonnades'avanceràunegrandedistance,maisde

restertouslesdeuxdanslaplaine,l’unàdroiteetl’autreàgauche,sansmontrerdelumièresnidetorches,soit

ducôtédudésert,soitducôtédelamontagne,pourqu'Afrasiab,s'ilpréparaituneattaquedenuit,futprispar

derrièreentrelesdétachements,etrestâtcommeunjeunefaucondanslacage:devantluilefossé,derrièreluiles

corpsdétachés,etenarrièredufossé,leroiavecsonarméeetseséléphants.

AFRASIABFAITUNEATTAQUEDENUIT,ETESTBATTUPARKEÏKHOSROU.

LeroidesTurcs,aussitôtquelanuiteutenvahi leciel,revêtitsesarmesdecombat,luietsonarmée.Il

appelalesplusexpérimentésdesesguerriers,etparlalonguementdeschosespassées;ensuiteilajouta:Cethomme

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vil et traîtres'est approché follement de l'armée de son grand-père. Sans doute àcette heure ses troupes sont

endormies,disperséesdanslaplaineetsurlamontagne;rejetonsdoncdenoscœurstoutecrainte,etsurprenonsles

Iraniensàl'aubedujour.Sinousréussissonsàlesvaincrecettenuit,vousmeverrezremontersurmontrône;mais

s inotre fortune ne retrouve pas sa splendeur, c'est que tout n'est quedéception, et la bravoure n'est qu'un

mensonge.

Lesgrandsapprouvèrentceplan,etselevèrentpourseprépareraucombatdenuit.Afrasiabchoisit cinquante

millecavaliersdesonarmée,deshommespleinsd'expérience,quifrappaientdupoignard.Ilsefitprécéderpardes

éclaireurs, de vieux soldats remplis d'ardeur pour lecombat. Le guide des éclaireurs se rendit près du camp de

Khosrou,nullepartiln'entenditunevoixdegardedenuit;iltrouvatoutlemondeenrepos;iln'aperçutniune

ronde, ni du feu, ni unsouffle de vent ; personnen'avaitl'air de penser aux Touraniens. Voyant cela, il s'en

retournaencourant,etdit:Personneparmieuxn'al'espritlucide;ilsdormenttousd'unsommeildemort,ouils

ontpasséleurjournéeàboireduvin;onnevoitnullepartuneronde,etdanstoutelaplaineiln'yadeboutque

lesbroussailles.

Afrasiabentenditcesparoles,etsoncœurenfutremplidejoie.Ilfitpartirsonarmée,montaàchevallui-

même,etluietseshérosprirentleursarmesdecombat.LesTurcspartirent,semblablesauxflotsdelamer;ils

avaienthâtedesejetersurl'ennemi.Leurmarchesefittranquillement,sansbruit,sanssondeclairon,sanscris;

maislorsqu'ilsfurentprèsducampdesIraniens,lestrompetteséclatèrent,lestimbales suspenduesauxpommeauxdes

selles se firent entendre, etle drapeau noir s'éleva hautdansl'air. Toute l’avant-garde de l'armée lança ses

chevauxetpoussadescris,maisunepartiedescavalierstombadanslefossé,etlerestesedérobaaucombat.D'un

côtés'avançaRustem,quirevenaitdelaplaine,etl'airseremplitdelapoussièrequefaisaientleverseschevaux

; de l'autrecôtéarrivèrentGuiv,ThousetGouderz,précédésdeclaironsetdetimbales ;enfinleroidesrois

s'avançaavecledrapeaudeKaweh,etl’airdevintvioletparlamassedesépéesdesescavaliers.Alorsonvitdes

coupsdonnésetreçus,deshommescaptifsetmorts;etleschevauxperdirentbaleineetleshommeslaraison.Ilne

restapasenviedixTouranienssurcent,etceuxquisurvécurentfurentforcésdes'enfuirparleurmauvaiseétoile.

Lorsque le roi de Touran reçut ces nouvelles du champde bataille, il en fut tellement affligé, que même les

blessés quipleuraientetselamentaientsemirentàgémirsursadouleur.Ildit:Iln'yapasdesagessequi

puisse échapper à la rotationdu-ciel. Qu'importe que l'ennemi nous ravisse la vie ? frapponsencore un coup

désespéré ! Il faut ou pétrir jusqu'au dernier, ouressaisir la couronne d'Iredj. Les cris des combattants

s'élevèrentdesdeuxcamps,lemondefutremplidusondestrompettesd'airain,et lesdeux armées, occupant une

lignedetroisfarsangs,saisirentlesjavelotsetlesépées;lechampdebatailledevintcommeunemer,onnevoyait

plusnilesoleilbrillantnilalune.Lestroupess'avancèrentparcorpsd'armée,commelesvaguesquesoulèvela

tempête.Onauraitditquelesvalléesetlesplainesn'étaientquedusang,etquelesoleilavaitdisparudela

sphèrecéleste;personnen'avaitpitiédesonproprecorps,etlafaceducielétaitcommecouvertede goudron.

Alorss'élevaunventtelquepersonnenesesouvenaitd'unpareil:ilsoulevalapoussièreduchampdebatailleet

lalançasurlatêteetdanslesyeuxdesTouraniens,leurarrachalescasques,etleroidesTurcsrestaconfondu.

Toutelaplainen'étaitquesangetcervelles,etlesablepritlacouleurdujujube.Lescavaliersturcs,qui,dans

leursjoursdeloisir,regardaientcommerienlachasseauxléopards,virentqu'ilsnepouvaientluttercontre le

cielquisoulevaitlaterreetlapoussièredudésert.Khosrou,lorsqu'ilvitcettetourmentequis'élevaitetle

courageetlafortunedesIraniensquis'affermissaient,s'avançaducentredesonarmée,accompagnédeRustem,de

Guiv,deGouderzetdeThous,etprécédéparlestimbales;lecentreentierdel'armées'ébranla;d'uncôtémarchait

le roi, de l'autre Rustem; l'airétait rempli de poussière comme d'un brouillard, mais d'un brouillard d'oùil

pleuvait des coups de massue et d'épée ; partout on voyait desmonceaux de morts comme des montagnes, et des

fontainesdesangjaillirentsouslesdeuxarmées;l'airdevintcommeunvoilebleu,laterrecommeunemerdesang,

ettantdeflèchestraversaientleciel,qu'ilressemblaitàl'ailedel'aigle.Afrasiabregardaconsterné,ilvit

paraîtrelebrillantdrapeauvioletdeKhosrou,etcachalesienaucentredesestroupes.Ilabandonnasonarmée

rangéeenbataille,luietlesgrandsduTourans'enfuirent;ilemmenamillehommesvaillantsdesesalliés,des

hommes propresau combat, et chercha à travers la campagne la route du désert,sauvant sa vie des mains de ses

ennemisenfatiguantsoncorps.Khosroucherchasongrand-pèredanslesrangs del'armée,ilseprécipitaversle

centredesTurcs,pressantsonchevalavecl'étrieretsehâtant,maisilnevitpasunetraced'Afrasiab.LesTurcs

regardèrent le centre de leur armée, et nevirent plus le drapeau noir ; alors ils implorèrent la grâce du roi

Keïanideetjetèrentleursarmes.Khosroulesreçutavecbonté,etleurassignaunlieuséparédesestroupes;il

fitplaceruntrôned'or,parerl'intérieurd'unetented'ornementschinois,apporterduvinetamenerdesmusiciens

appelaengrandnombreleschefsdesonarmée,etpassalanuit,jusqu'àlaclartédujour,dansunefêtequifaisait

sortirlesmortsduseindelaterrenoire.

Lorsquelesoleilélevasamaindanslavoûtecéleste,etdéchiraavecsesongleslesjouessombresdelanuit,le

roidesrois,roidel'Iran,selavalatêteetlecorps,etcherchaunlieupoursesprières,oùaucundesIraniens

nepûtlevoir,oùaucunebêtefauvenepûtentendresavoix.Depuislematinjusqu'àcequelalunefutmontéesur

sontrôned'ivoire,eteutplacésursatêtesacouronnequiravitlescœurs,leroirestaenadorationdevantDieu,

leremerciantdecettetournureheureusedesafortune,frottantsanscessesonfrontdanslapoussièreetinondant

sesjouesdedeuxruisseauxdelarmes.Delàilrevintverssontrôneetsacouronne,marchantfièrement,joyeuxde

cœuretcomblédebonheur.OnrelevadelapoussièreduchampdebatailletouslesIraniensquigisaientparterre,

qu'ilsfussentmortsouencoreenvie,maisonjetadecôtéavecdédainlescorpsdesennemis,etamesurequele

champdebataillefutdéblayédeleurscadavres,onlecouvritdetombeauxpourlesIraniens.Khosrouabandonnaàson

armée tout le butin qu'on trouva sur le champ debataille, et s'en retourna à Gangui-behischt avec ses troupes

pourvuesdetoutcequ'ilfautpourlecombat

LEKHAKANDELACHINEENVOIEUNAMBASSADEURÀKEÏKHOSROU.

Lorsqu'onsutdansleMadjinetenChinecequis'étaitpasséentrelesTurcsetleroidel'Iran,leFaghfouret

leKhakansetordirentdedouleur,etl'onneparlaquedutrônepuissantdel’Iran.Ilsserepentirentdessecours

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qu'ils avaient fournis à Afrasiab, et, dans leur inquiétude, se mirent à chercher unremède. Le Faghfour dit :

DorénavantAfrasiabneverrapluslafortune,pasmêmeensonge,etsansdoutenousseronspunispourluiavoirenvoyé

destroupesetdestrésors;notrepartseralerepentir,etnotrepaysseradévasté.Onpréparaalorsdesprésents,

produitsdelaChineetduKhoten,etl’onréunitainsiungrandtrésor;leFaghfourappelaunenvoyédontlecœur

étaitbon,etlechargeadebeaucoupdeparolesconvenables.ToutcequelaChineproduitdeplusrare,del'oretdes

perlesnonpercées,ilenvoyaauroipourseleconcilier,etlesmessagerssemirentenroute.CesgrandsdelaChine

cheminèrentsanss'arrêter,etarrivèrentàGangueenseptjours.

Levictorieuxmaîtredumondelesreçutgracieusement,leurassignaunedemeureconvenable,etacceptacequ'ils

lui apportaient, des raretés, des caissesrempliesd'or et des esclaves. Ensuite il dit à l'envoyé : et Dis au

Faghfour:N'encourspasfollementmadisgrâce.Ilnefautpasqu'Afrasiabserendeauprèsdetoi,mêmedanslanuit

sombre,àl'heuredusommeil.L'envoyépartit,ilcourutcommelevent,etrépétaauFaghfourlemessageentierqu'il

avaitreçu.LeFaghfourl'écouta,etenvoyadanslanuitquelqu'unauprèsd'Afrasiab,etluifitdire : Tiens-toi

loindesfrontièresdelaChineetduKhoten,etsubislapeinedetesmauvaisesactions.Leméchantquis'égare

trouvetoujourslapunitiondesesméfaits.

AFRASUBPASSELELACDEZEREH.

Afrasiab,àcesparoles,serepentitdecequ'il avaitfaitautrefois.Ilrenonçaauxpompesdupouvoirpoursauver

savie,etpritlaroutedudésertàtraverslepays.Chaquejourcen'étaientquesoucis,lassitudeetchagrins,et

c'estainsiqu'ilarrivaaumontAsprouz,étantauxaguetsjouretnuit,depeurdesesennemis,etnevivantquedu

produitdesachasse.Ilcontinuaainsi,jusqu'àcequ'ilatteignîtlelacdeZereh,lesreinsbrisésdefatigueet

delagênedescourroiesetdesboutonsdesonarmure.Lorsqu'ilfutsurlerivagedecettemerprofonde,iln'envit

nilemilieu,nilebord,etunmarinierluidit:Oroi ,tunepeuxpassercettemerprofonde.J'aisoixanteetdix-

huitans,etjen'aijamaisvuunebarqueniunvaisseaulatraverser.LenobleAfrasiabluirépondit:Heureuxcelui

quimeurtsurl'eau!Puisquel'épéedel'enneminem'apastué,jenemelaisseraipasfaireprisonnier.Ilordonna

àtoussesgrandsdemettredesbarquesàl'eau,etfitvoileversGangueDiz;c'étaitunhommequiportaithautla

têtedanslebonheuretdanslemalheur.ArrivéàGangueDizetsetrouvantensûreté,ilsemitàdormir,àfestoyer

etàsereposerdesfatiguesdelaguerre,disant:Restonsici,libresdesoucisetdansmajoie;nepensonsplusau

passé.Quandmonétoileobscurcieseraredevenuebrillante,jerepasseraisurmesvaisseauxlelacdeZereh,jeme

vengeraidemesennemis,jejetteraidelagloiresurmarouteetsurmonrègne.

LorsqueKeïKhosrouappritcequis'étaitpasséetquelevieillardavaittentéunenouvellevoie,ilditàRustem

: Afrasiab a passé l'eau et est allé à Gangue Diz. Il a prouvé par lefait ce qu'il m'avait dit : que le ciel

puissantnel'abandonnaitjamais.Ilapassésurdesvaisseauxl'eaudeZereh,ettoutenotrepeineestperdue;mais

jeneparleraijamaisàmongrand-pèrequ'avecl'épée,etnelaisseraipasvieillirmavengeance.Aveclaforceque

m'adonnéeDieu,lemaîtredelavictoire,jemeceindraipourvengerSiawusch,jerépandraimonarméedanstoutela

ChineetdansleMekran,jetraverserailamerdeKeimak,etquandlaChineetleMadjinmeserontsoumis,jen'aurai

plusbesoindel'aidedupaysdeMekran.JeferaipasseràmonarméelelacdeZereh,silecielquitourne veut

m'êtrefavorable,etquelquelongsquesoientlesretardsquenousauronsàsubir,ilfautespérerquecethommede

sangtomberadansnosmains.Vousavezsupportébiendesfatigues,vousavezlaisséderrièrevouslespayscultivés;

prenez sur vousencore cettenouvelle peine, cela vaut mieux que d'abandonnerle monde à votre ennemi, et l’on

célébrerajusqu'àlarésurrectionvotrevictoireetladéfaited'Afrasiab.

CediscoursirritalesPehlewans,leursbouchesseremplirentdeparolesvaines,leurssourcilssefroncèrent;

ilsdirent:C'estunemerpleinedevagues,etl'arméeesttropnombreusepourlalivreraitventetàunenavigation

desixmois.Quisaitquienreviendra?Afrasiabportemalheuràl'armée.Surterre,noussommestoujoursdansla

bataille;surmer,noussommesdanslagueuleducrocodile.Chacuntintdesproposdetouteespèce,etlesclameurs

devinrentgrandes,maisRustemdit:Ograndsdel'empire,ôchefsexpérimentésetéprouvésdanslesfatigues,ilne

fautpasquenospeinesrestentinfructueusesets'enaillentaugréduventdelamollesse;ensuiteilfautquece

roivictorieuxrecueillelefruitdesabonnefortune.Noussommesvenusdel'Iranjusqu'àGangue,etnousn'avons

rencontréquedesmainsavidesdecombat.IlfautqueKhosroujouissedecequ'ilapréparé;c'estpourcelaqu'il

estvenuici,etpourcelaqu'iliraplusloin.

AcediscoursdeRustem,l'arméefituneréponseunanimedansunnouveausens;lessagesetpuissantschefsse

levèrentetprononcèrentdebonnesparoles,disant:Noustoussommeslesesclavesduroi,sesesclavesetsesamis;

lecommandementestàtoisurlaterreetsurl'eau,noussommestessurjetsettesféaux.

KEÏKHOSROUENVOIEAKAOUSLESCAPTIFSETDESPRÉSENTS.

Leroifutheureuxdecesparoles,etreçutgracieusementlesgrands,qu'ilfitasseoirselonleurrang.Ilouvrit

laportedestrésorsdesongrand-père,et,sansparlerdesaparentéetdesesdevoirsdepetit-fils,ilfitcharger

defortsdromadairesd'oretdebrocartbrodédeperles,etdixmillebœufsdehautestatured'armesdeguerre;

enfinonchargeadevantluideuxmillechameauxdetrésorsd'argent.Ensuiteleroiordonnaquetouteslesparentes

et toute la familled’Afrasiab, que ce fussent des princesses ou des esclaves,fussent amenées la nuit dans des

litières,etportéesdupalaissurlaplacedevantsarésidence;enfinilfitvenircentprincesetnobles,tous

renomméspourleurbravoure,tousparentsetalliésd'Afrasiab,quiavaientlesyeuxremplisdelarmesde pitiésur

leurmaître,commeDjehnetGuersiwez,etquiétaientsesserviteursdepuisleberceau,etmilleprisonniersturcset

chinois, que Khosrou avait pris comme otages qui lui répondaient deleurs villes ; puis il choisit dix mille

Iraniens,endonnalecommandementàGuiv,etluidit:Ohommedontlepiedlaissedestracesfortunées,rends-toi

aveccecorpsd'arméeauprèsdeKaous.Ilordonnaqu'onappelâtunscribe,quidevaitapporterdupapieretdelasoie

delaChine,etluifitécrire,surlesaffairesd'Afrasiab,unelettreavecdunoirdefumée,dumuscetdel'eaude

rose.Quandleroseauduscribefutmouilléavecdumuscetdunoir,leroicommençaparleslouangesduCréateur,

quiconserveetquidétruit;c'estluiquiadonnésaformeàl'univers;ilestlecréateurdelafourmietde

l'éléphant,de tout, depuis le brin d'herbe sansvaleur jusqu'aux flots du Nil ; devant sa puissance tout est

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égalementimpuissant;ilestlemaîtredel'existenceetlemaîtredunéant;lasphèrecélestenetournepasavec

duretéau-dessusdeceuxqu'ilprotègetendrement.Puissentreposersurleroidelaterrelesbénédictionsdecelui

quicréalatrameetlachaînedutissudurepos!Jesuisarrivéà GangueDiz,qu’Afrasiababâtipourluiservirde

lieuderefugeetderepos,etoùsetrouvaientsontrôneetsacouronne,sapuissance,sondiadème,sestrésorset

sonarmée.Nousavonslivrédescombatsincessantspendantquarantejours,etlemondeestdevenuétroitpournotre

ennemi;àlaetfinils'estdérobéànosmains,ettousceuxdessiensquisontparvenusàsesauveronteulecœur

percédedouleur.Guivvaraconterauroi,l'unaprèsl'autre,touslesévénementsdecettelutte.Quandtuouvrestes

lèvresenprièredevantDieu,prietendrementpourmoi,lejouretlanuit.J'aiconduitl'arméedansleMadjinetla

Chine,etdelàjelamèneraidanslepaysdeMekran;ensuitenouspasseronslelacdeZereh,siDieuletrèssaint

veutnousêtresecourable.

Guivquittaleroidesrois,et semitenmarcheavecunearméenombreuseetdevaillantshéros;après avoir

marchérapidementcommeleventetdévorélaroute,ilarrivaprèsdelarésidenceduroiKaous.Lorsquecelui-ci

reçutdesnouvellesdecefilsdePehlewan,dontlespiedslaissaientdestracesfortunées,ilenvoyaau-devantde

luidestroupes,etlesgrandsallèrentàsarencontre.LevaillantGuivparutdevantleroiavecuneescortedehéros

;c'étaitcommeundésertremplidelions.Lorsquel’œilduSipehbedtombasurleroi,ilbaisalaterredevantson

trône;Kaouslevit,selevaensouriantetluipassasesmainssurlesjoues.Illuifitdesquestionssurleroi

etl'armée,surlafaçondontlesoleiltournaitetlaluneluisaitsureux.

LevaillantGuivluiracontacequ'ilsavaitdeshérosetdupuissantroi,etlevieuxlionserajeunitsousces

paroles.EnsuiteKaousremitlalettredeKhosrouàsonscribe,quilalutauroidel'Iran,ettouterassemblée

restadansl’étonnement,tousfurentcontentsetjoyeux,etdeslarmesdejoiemouillèrentleursjoues.Tousfirent

desaumônesauxpauvres,etmaudirentlemécréantAfrasiab.LeroiKaousdescenditdesontrône,ôtadesatêtela

couronnedesKeïanides,sortit,seroulasurlaterresombre,etfitdesprièresdevantDieuletrèssaint.Delàil

revint dans sonpalais,etordonnaunefêteroyale,dans,lajoiedesoncœur.Guivracontaauroitoutcequ'il

avaitvuettoutcedontleroidel'Iranl'avaitchargé.

Kaousfitapporterduvinetappelerdesmusiciens;ilconvoqualeschefsguerriersdel'Iranetpassalanuità

parleretàécouterlesréponses.Quandlanuitsombrecommençaàdisparaître,sesconviveslequittèrentprécédésde

flambeauxetrentrèrentdansleurspalais,lecœurenjoieetengaieté.

Lorsquelesoleilmontraduhautduciellespointesbrillantesdesesrayons et que la nuit secouales rênes

rassembléesdeseschevaux, onentenditletambouràlaportedupalais,etlesgrandsserendirentàlacour.Le

maîtredumondefitappelerGuiv,lefitasseoirsursonillustretrôneroyaletluiordonnadefaireapporterles

présentsdeKhosrou,etdefaireamenerlesnoblesetvaillantechefsprisonniers,lesfemmesvoiléesetinnocentes

qui avaient souffert de la tyrannied’Afrasiab dans l'intérieur de son palais, enfin Djehn, et Guersiwez aux

intentionssinistres,luiquiavaitrenverséparterreSiawusch.QuandilvitleméchantGuersiwez,ilmauditcet

hommequiméritaitdesmalédictions,etfitemmenerdedevantsontrôneDjehnchargédefers;ensuiteiljetales

yeux sur les filles de l'illustreAfrasiab et ses cils se mouillèrent de larmes ; il leur accorda unasile dans

l'appartementdesesfemmes,etleurdonnaunintendantetdesserviteurs.Quantauxprisonniersetauxotages,il

fixa lesortdechacunàpart:lesunsfurentconfiésàdesgardiens,lesautresjetésdanslesfers,etonles

emmenahorsdelaprésencedupuissantroi.EnsuiteildistribuaauxIraniensdestrésorsdetouteespèce,deforet

desperlesnonpercées,pourqu'ilsinvoquassentlesgrâcesdeDieusurleroidelaterre.Ildistribuaauxgrands

lesprisonniersdeguerre,dontiln'envoyaaucundanssonproprepalais,dequelquequalitéqu'ilsfussent.Ensuite

ilfixalademeuredeDjehn,sonentretien,sesserviteursetsonsurveillant.Ilyavaitunsouterrainsombredans

lechâteau,tristeàvoiretressemblantàunetombe:cefutlelieuqu'ilassignaàGuersiwez.Telleestlamanière

d'agirdelafortuneinstable.Heureuxceluiquiestroi,s'ilalamaingénéreuseetlecœurpur!ilsaitquece

mondepassera,etiléviteraleshommesinsensés;maissisonintelligenceestfaibleetsisesdésirssontvicieux,

ilressembleraàceuxqu'unmédecinappellefous.

Quandleroieutdisposédetoutlemonde,ilrenvoyadupalaistouslesétrangers;unscribepréparadupapier,

renditlapointedesonroseau finecommedel’acier,etl’onécrivitdeslettresdanschaqueprovince,àtousles

grandsetàchaqueprince,pourannoncerquelepaysdesTurcsetlaChineétaiententièrementsoumisauroi,etque

le léopard etla brebis allaient ensemble à l'abreuvoir. Kaous donna de l’or et del'argent aux pauvres, qu'ils

fussentétrangersousespropressujets, et la foulequisepressaitpour recevoir ses largesses était telle que

pendantdeuxsemainesonnevoyaitpaslesoldevantlepalaisduroi.Latroisièmesemaine,ils'assitsurletrône

du pouvoir, en paix et dans toute sa majesté ; les flûtesetleschansonsrésonnèrent;lescœurssaluèrentles

coupesdevin,etpendantseptjourslevinrougecoulaitàflotsdanslepalaisduroiKaous.Àlafindumoisil

préparadesprésentspourGuiv,parmilesquelsbrillaientforetlesturquoises;c'étaientdesplateauxd'oretdes

coupesdeturquoise,desceinturesd'oretdesbridesd'or,desesclavesornésdechaînesprécieusesetdeboucles

d'oreilles,desbraceletsetdescouronnesincrustéesdepierresfines,desrobes,destrônes,destapisdebelles

couleurs etparfumés, et d'autres présents. Ensuite il fit appeler Guiv, le fitasseoir sur un trône d'or ; on

apportalesprésentsdevantlui,etGuivseprosternadevantletrôneduroi.

RÉPONSEDEKAOUSALALETTREDEKEÏKHOSROU.

Ensuiteentraunscribe,apportantdupapier,dumuscetdel'ambre,etilécrivitlaréponseduroi:Dieunousa

donnédelajoieetlafortunenousacomblédebonheur,carnotrefilsestvictorieux,ilaestdignedupouvoir,de

lacouronneetdutrône.Ceméchantquitenaitlemondeentierdansl'angoisse,quilepossédaitpourledévasteret

fairelaguerre,s'estenfuidevanttoietvaerrantdanslemonde,etpersonneneprononceplussonnomqu'ensecret.

Toutesavieiln'afaitqueverserdusang,commettredesbassessesetexciterlesdiscordes;ilafrappéaucou

Newder,lecouronné,l'héritierdesroisnosancêtres;ilestlemeurtrierdesonfrère,assassinduroi;c'estun

méchanthomme,dontlesintentionssontmauvaises,dontlenomestdéshonoréetl'intelligenceperverse.Nepermets

pasquesonpiedfoulelaterredansleTouran,ouleMekran,ousurlesbordsdelamerdeChine,etespéronsque

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l'universenseradélivré,etquelaterreseraguériedesesmaux.Purifielemondedelasouilluredesméchants,

desparolesetdesactesdeceshommesinsensés.Réjouis-toidelajusticedeDieulecréateur,soispourlemondele

commencementd'uneèredebonheur,etespéronsquejetereverraijoyeusementquandtuaurasremplidedouleur le

cœurdenosennemis.DorénavantjemetiendraienprésencedeDieu,letrèssaint,dequiviennentl'espoiretla

crainte,jusqu'àcequetureviennesvictorieuxetremplidebonheur.Puissetatêteresterjeuneettoncœurplein

dejustice!puisseDieuêtretonguide!puisseletrônenejamaiscesserd'êtreoccupépartoi!

Onplaçasurlalettrelesceauduroi,etGuivquittalepalaisetsemitenroute;ilnes'arrêtanullepart

danssonchemin,etarrivaàGangueauprèsdeKhosrou.

Iloffritseshommagesauroi,luiremitlalettreetluirapportalemessagedesongrand-père.Leroifutheureux

decesparoles,ilfitapporterduvinetappelerleschanteursetleséchansons,etselivrapendanttroisjoursaux

festins,joyeuxdesesvictoires.Lequatrième,lorsquelesoleilquiéclairelemondeallumasesrayons,Khosrou

distribua àsestroupesdescasquesetdescuirasses,etleurcommuniqualemessagedesongrand-père.Ildonnaà

GustehemfilsdeNewderlecommandementd'unegrande,glorieuseetvaillantearmée,etsemitenmarchedeGangue,sa

villechoisie,verslaChine,soumettantpartoutlespeuplesavecl'épée.Aucunjournesepassaitsanscombat,ni

mêmelanuitsombre;pendantlejouronenvoyaitdesvedettes,pendantlanuitonplaçait des sentinelles.C'est

ainsiqueKhosroucontinuasaroute,consumédedouleuretlecœurgonflédesang,jusqu'àcequ'ileûtatteintla

villequ'avaitfondéesonpère;ilerradanslejardindeSiawuschetvitlelieuoùlevaseavaitdébordédeson

sang,etdelà.ils'enretournaverssontrôneets'adressaensecretaujugesuprême,disant:SiDieu,l'unique,le

jugequidistribuelajustice,veutêtremonguide,jeverseraiici,etdelamêmemanière,commedel'eau,lesang

d'Afrasiab.

KEÏKHOSROUENVOIEUNMESSAGEAUFAGHFOURDELACHINEETAUROIDUMEKRAN.

Ilchoisitdansl'arméedesmessagersquisavaientparleretécouter,lesenvoyaauprèsduKhakandelaChine,du

FaghfouretduroiduMekran,etleurfitdire:Sivousvoulezvousconvertiràlajusticeetm'obéir,sivousvous

repentez de vos mauvaises tractions, envoyez des vivresau-devant de l'armée, que vous verrez infailliblement

paraîtresurlaroute;maisquiconquemedésobéit,simêmeils'abstientdem'attaquer,quiconquenemereçoitpas

avecdesfestins,qu'ilpréparesonarméepourlecombat.Unmessagerserenditdanschaquepays,àchaqueendroitoù

ilyavaitunprince.LeFaghfouretleKhakandelaChineetlesgrandsdetouslespaysfurenteffrayés;ils

parlèrentauxmessagerschaleureusement,ilsprononcèrentdesparolesdoucesavecdesvoixdouces,disant:Noustous

sommeslessujetsduroi,nousnerégnonsqueparsapermisesion.Nousinspecteronsleslieuxoùpasserontles

braves,ets'ils'ytrouvedesendroitsdifficiles,nouslesaplanironsdepuislafrontière,etnousyapporterons

desvivresetdesprésents.Tousleshommesdesensdirent:S'ilpasseparnotrepayssansyfairedemal,nous

ferons de grandes largesses aux pauvres, nous luipréparerons des présents et des vivres. Le messager reçut des

cadeauxinfinis,etrevintàlacourcontentetheureux.

MaislemessagerillustrequiallachezleroiduMekranletrouvadansunetoutautredispositiond'esprit.Ilse

renditdevantsontrône,luiremitlalettreets'acquittadumessagequ'ilgardaitdanssamémoire.Leroiéclata

soudaineninjurescontrelui,etremplitdeterreurlecœurdel'assembléeens'écriant:Disauroidel'Iran:Ne

cherchepasàétablirsurmoiunesupérioritéinconnuejusqu'ici;l'époqueestsoumiseàmafortune,lemondeest

brillant,grâceàmontrôneetàmacouronne.Quandlesoleilselèvedansleciel,c'estsurcepaysqu'iljetteses

premiersrayonsavectendresse.J'aidelasagesseetuntrésorrempli,unearméedegrandsetdebraves,etunemain

vaillante.Situmedemandeslepassagepourtoi,c'estbien;cartoutêtrevivantestlemaîtredemarchersurla

terre,etjenet'empêcheraipasdepasser,situnefaispasdedommagedansmonpaysetsituvienssansarmée.

Mais si tu entresdans ce pays avec des troupes,sache que tu n'as aucun droitdans mon royaume, et je ne te

permettraipasdeletraverseretdefoulerunendroitquelconquedecettefrontière;jenetelaisseraipasla

gloirederesterleroivictorieux,sifavorablequetesoittabonneétoile.

AussitôtqueKhosroueutreçucetteréponse,ilmitenmarchesonarmée,etlemaîtredumondearrivafièrement

danslepaysdeKhoten,accompagnéd'unearméeglorieuse.LeFaghfouretleKhakandelaChineallèrentau-devantde

lui pour lui offrir leursexcuses et leurs hommages ; ils s'avancèrent vers lui à troisstationsau-delà de la

frontièredelaChine,euxetleursgrands;toutelarouteétaitaplaniecommelamain,etlesvalléesetledésert

étaientornéscommeunerésidenceroyale.Partoutsurlarouteétaientpréparésdesvêtementsetdesvivres,apprêtés

desfestinsetétendusdestapis.Amesurequel'armées'approchadelaville,ellefutreçueavecdesfêtesentout

lieu ; on suspendaitaux murs des brocarts de Chine, on versaitsur les troupes du safran et de l'argent. Le

Faghfour,quis'étaitmisàsonaiseavecleroi,leprécédaetsedirigeaverssonpalais.Làilluidit:Nous

sommeslessujetsduroi,simêmenoussommesdignesdel'être;lemondeestheureuxparl'effetdelafortune,etle

cœurdetesamisseréjouitàcausedetoi.Sinotrepalaisn'estpasdigneduroi,aumoinsjepensequ'ilvaut

mieuxquelaroute.Leroientradanslepalaislatêtehauteets'assitdanslamagnifiquesalled'audience;le

Faghfourfîtapportercentmillepiècesd'orchinoisescommecadeaudebienvenue,etsetintdeboutdevantKhosrou

aveclesgouverneursdesprovinces,sessagesconseillers.

KhosrourestatroismoisenChine,entourédesgrandsdel'arméed'Iran,ettouslesmatinsleFaghfourvintlui

rendrehommageetluiporterdenouveauxprésents.Lequatrièmemoisleroidel'IranquittalaChineetsedirigea

versleMekranenlaissantRustemàKhoten.

BATAILLEENTREKEÏKHOSROUETLEROIDUMEKRAN;MORTDECELUI-CI.

KeïKhosrous'avançait,etlorsqu'ilfutprèsduMekran,ilchoisitdanssonarméeunhommeplein d'expérience,

l'envoyaauprèsduroiduMekranetluifitdire:«llfautquelesroisaientdel'intelligence.Regarded'oùje

suisvenu;jenesuispasivreetnem'endorspassurmesplans.Montrôneetmacouronnerendentlemondebrillant,

ettouteroyautéestdépendantedemafortune.Préparedoncpourmonarméedelanourritureetuneroute,prépare

pourmoiunbeaupalais.Quandunearméen'apasdevivres,tusaiscequiarrive,carpersonneneconsentàêtre

livréàladétresse;touteslesmainsenlèverontlanourritured'autrui,sijenepeuxpasfaireparveniràchacun

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lasienne.Simeshommesnetrouventpasdevivres,ilsvousapporterontlaguerre,ilsrendrontétroitelaterre

devant leursennemis. Ainsi, si tu ne veux pas écouter mes paroles, tu marcherasdans le sang d'une multitude

d'hommes;situattaquesceslions,contrelesquelstun'asaucunevengeanceàexercer,tuferasdévastertoutlepays

duMekran.»

Lemessagerpartitets'acquittadesonmessage;maislesconseilsetlajusticen'avaientpasaccèsdanscette

âme; cette tête insensée bouillonnadecolère,etsacervelleseremplitdemauvaisespensées. Leroi réunit son

arméeéparse,sepréparaàlivrerbatailledansledésert,etréponditàl'envoyé:«Va-t'en;retourneauprèsde

monennemi,etdis-luiquelarotationdelafortuneincertainet'arendujoyeuxetpuissant;maisiléprouveranotre

supérioritéquandils'avancera:ilsauraquisontlesbravesetleshéros.»

Aussitôtquel'envoyéduroifutparti,toutleMekranseremplitdeclameurs,l'arméeoccupatoutlepaysd'une

chaînedemontagnesàl'autre,elleoccupaledésertetleMekran.Leroifitamenerdeuxcentséléphantsdeguerre;

onauraitditqu'iln'yavaitplusd'espacelibresurlaterre;lehennissementdeschevauxetlescrisdel'armée

étaienttelsquelalunes'égaraitdansleciel.UnevedetteaccourutauprèsdeKhosrouetluiditqueleMekran

étaitobscurciparlapoussièrequesoulevaitl'armée,quelepaysentierétaitcouvertdedrapeauxetd'éléphants,et

queleroipouvaitlesvoiràunedistancededeuxmilles.Leroiordonnaauxtroupesdeformerlesrangsetdesaisir

lesmassuesetlesépées.

UncavalierduMekrans'avançadanslaplaineetpassalanuitàfaireletourdel'arméedesIraniens.Tokhar,le

gardien du camp iranien, quin'avait jamais peur d'un combat, arriva sur lui, et l'attaqua commeun lion féroce

attaqueunéléphantpleindefierté.Illefrappadel'épéeetlecoupaendeux,etlecœurduroiduMekranse

remplitdeterreur.Lesdeuxarméesformèrentleurslignesetlecieldisparutsouslapoussièrequ'ellessoulevaient

;elless'approchèrentcommedeuxmontagnesetsejetèrentl’unesurl'autreavectouteleurmasse.LesipehdarThous

s'avançaducentre,etlemondefutremplidusondesclaironsetdestimbales;Thousétaitprécédéparledrapeau

deKawehetsuiviparleshérosauxbottinesd'or;l'airfutobscurciparlesjavelinesetlesplumesdesflèches,

laterredevintcommeunemerdepoix.ThousfrappaleroiduMekranaumilieudesonarmée,etl'âmedurois'envola

parlablessure.

Unhommedit àKhosrou:Oroi ,coupons-luilatête!maisilrépondit:Nesoyonspascruelsenverslui.Celui

quitranchelatêteàunroinevautpasmieuxqu'unfilsd'Ahriman.Ilnefautpasmettreànucethommequiaété

ainsifrappéàtraverssacuirasse.Préparez-luiuntombeauetversezdumuscetdel'eauderosesurluicommesi

c'étaitdel'eausimple;couvrezsonvisageavecdesbrocartsdeChine,carilestmortdelamortdesgrands.

Dixmillehommesdecettearmée,descavaliersetdeshérosquiperçaientleursennemisavecl'épée,furenttués,

millecentquarantefurentfaitsprisonniers,etlatêtedeceuxquisurvivaientétaitrempliedeterreur.Ons'empara

deséléphantsetdestrésors,destentesetdestrônesprécieux.Ensuitelesbravespleinsd'ardeurpourlecombatse

mirentàtoutdévaster.Lesgrandsdel'Irans'enrichirent,etungrandnombred'entreeux,s'emparèrentdetrôneset

dediadèmes.Onentenditdanslesvillesetlescampagnesleslamentationsdesfemmes;toutledésertettoutle

Mekranétaientremplisdeterreur.Onmitlefeuauxportesdesvilles,etlecielsemblaits'écroulersurlaterre.

Onperçabeaucoupd'hommesavecdesflèches,ons'emparadesfemmesetdespetitsenfants.

A la fin la colère du roi contre ce peuple s'apaisaet il ordonna à son armée de se retirer ; il commanda à

Aschkesch,dontl'intelligenceétaitprompte,demettrefinàcepillage,àcescombatsetàcetteeffervescence;de

nepermettreàpersonneunactedecruauté,pourqueceuxquinepouvaientsedéfendren'eussentpasàsouffrir.Tous

leshommesdebiendecepaysvinrentauprèsduroipourdemanderpardon,disant:Noussommesinnocentsetréduitsau

désespoir,nousavonstoujoursétéoppriméspardestyrans.Siunroivoituninnocent,ilestdignedeluid'en

avoirpitié.Lorsqueleroifortunéentenditcesparoles,ilfitfaireuneproclamationàl'armée,etl'oncriaà

hautevoixsouslaportede l'enceintedelatenteroyale;ôPehlewans,hommesdebonconseil,sidorénavantil

s'élèveunseulcriprovoquéparl'injustice,larapine,lesrixesetlaturbulence,jeferaicouperendeuxceuxqui

commettentdesviolencesetquinecraignentpasDieu,ledistributeurdelajustice.

LeroidumonderestaunandansleMekran ;ilfitamenerdetouscôtésdesconstructeursdenavires,etlorsque

leprintempsvint,quelaterreverdit,quelesmontagnessecouvrirentd'anémonesetlesplainesd'herbages.,etque

lespâturagesdeschevauxetlesréservesdechasseseparèrentderosesetdesfleursdesarbresfruitiers,leroi

enjoignitàAschkeschderesteravecunearméedansleMekran,avecl'ordred'ymaintenirsonautorité,denefaire

quecequiestbienetdroit,etden'enfreindreenrienlajustice.Lui-mêmequittalavilleetpritlechemindu

désert,déterminéàsupportertouteslesfatigues.

LavolontédeDieuletrèssaintfutqu'onnetrouvâtpasdepoussièredansledésert; l'airétaitrempli de

pluie,laterrepleinedeverdure,lemondeentiercouvertdetulipesetdefenugrec.Leshommesamenèrentau-devant

del’arméedesvivressurdeschariotsroulantsattelésdebuffles,toutelaplaineétaitverte,partoutonpouvait

camper,lecielétaitremplidenuages,etlaterresaturéed'eau.

KEÏKHOSROUPASSELAMERDEZEREH.

LorsqueleroifutsurlesbordsdelamerdeZereh,lesbravesdéboutonnèrentleurscottesdemailles. Le roi

rassemblatouslesmarinsdelaChineetduMekran,ilfitfaireàterretoutcequedoiventfaireleshommesquand

ilsveulentlancerdesvaisseauxsurl'eau.Ilfitréunirdesvivrespouruneannée,pourservirpendantlepassage.

Lemaîtredumonde,leroial'étoileheureuse,quicherchai!,lechemindeDieu,s'éloignaduborddelamer,le

visageresplendissant;ilsemità prierhumblementetàadorerleCréateurdumonde.IldemandaauTout-Puissantde

leconduiresainetsaufàl'autrerive,luietsonappareildeguerre,sonarmée,lesgrandsdel'Iranettoutesa

cour,disant:OCréateurdumonde,tusaiscequiestconnuetcequiestsecret,tueslemaîtredelaterreet.de

lamer,turègnessurlapluieetlespléiades,tueslegardiendemavieetdemonarmée,demontrône,de mes

trésorsetdemacouronne.

Lamerétaitsiagitéequepersonnen'échappaitaumaldecœur;pendantsixmoislesvaisseauxnaviguèrent,et

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tout lemondeétaitobligéd'ytrouverunlieuderepos.Leseptièmemois,etaprèsquelamoitiédel’année fut

écoulée,leventdunordpoussaleroiversl'autrecôté,lesvoilesseretournèrent,lesvaisseauxallaientlapoupe

devantetsortirentdelarodequ'ilétaitraisonnabledesuivre,sedirigeantversunlieuquelesmarinsappelaient

la Gueule-du-lion ;mais Dieu fit de manière que les vents du ciel ne fussent pascontraire à l'étoile du roi.

L'arméerestaconfonduedecequ'ellevoyaitdanscetteeau,etchacunlemontraitàKhosrouavecledoigt.Ony

voyaitdes lions et des taureaux, et les taureaux sebattaientavecleslions;onyvoyaitdes hommes dont les

cheveuxétaientcommedeslacets,etlapeaucouvertedelainecommecelledesbrebis;lesunsavaientuncorpsde

poissonetunetêtedeléopard,lesautresunetêted'onagresuruncorpsdecrocodile;d'autresavaientdestêtes

debuffle,etdeuxmainsparderrièreetdespiedspardevant;d'autresencoreavaientdestêtesdesangliersurdes

corpsdemouton.Toutelamerétaitrempliedecescréatures;chacunlesmontraitauxautres,etinvoquaitDieule

distributeur de la justice; et par la grâce du Créateur duciel,l’air se calma et la tempête cessa. Ils

traversèrentlamerenseptmois,sansquelatempêterecommençât.

QuandKhosrouabordalaterreferme,quandilvitlesplainesetlaterrehabitable,ilseprésentadevantDieule

Créateur et se prosterna à plusieurs reprises le visage sur le sol.Il fit tirer de l'eau les vaisseaux et les

barques:ilavaithâted'agir,etc'étaitlemomentpoursehâter.Ilavaitdevantluiundésert,dessablesetdes

plaines;maisils'engageadanslessablesmouvants,lecorpsdispos.IltrouvadesvillesquirappelaientlaChine,

maislalanguedeshabitantsressemblaitàcelleduMekran.Ilsereposadanscesvillesetdemandadesvivrespour

sonarmée;ilconfiacepaysàGuiv,endisant:Lafortunet'afavorisétoujours.Nesoispassévère,mêmeenvers

lescoupables,carcepaysettoutechosen'ontaucunprixàmesyeux;jen'attacheplusaucunevaleuràpersonne;

je ne veux plus que me tenir en prièredevant Dieu. Ensuite il choisit dans l'armée un guerrier illustre,qui

comprenaittoutesleslangues,etenvoyaparluiunmessageàtouslesprinces,disant:Quiconqueveutlereposet

l'accomplissementdesesdésirs,qu'ilvienneavecconfianceàmacour,qu'ilaitlecœurjoyeux,lamainouverte,

les intentionsamicales;maisquiconquedésobéitàcetordreporteralapeinedesamauvaisedisposition.Pasun

seuldecesprincesnedésobéit;ilsarrivèrentàlacourcommedessujets,etleroilesreçutavecbienveillance

lorsqu'ils parurent, et éleva leurs têtes jusqu'ausoleil. Ensuite il demanda des nouvelles de Gangue Diz et

d'Afrasiab,etdutrônadupouvoir,etparmilafouledesprinces,l'und'euxpritlaparoleetluidit:Tune

rencontreras ni desrivières ni des montagnes, et, en comptant tout, les bons et lesmauvaischemins, il n'y a

jusqu'à Gangue que cent farsangs.Du côté où le roi de Touran est allé, il ne se trouve plus beaucoupd'hommes

injustes, mais lui-même est à Gangue avec ceux qu'il aamenés, depuis qu'il a passé la merde Zereh. Le roise

réjouitdecesnouvelles,etlesfatiguesqu'ilvoyaitdevantluin'effrayaientpassoncœur.Onpréparadesprésents

pour les princes, puis on demanda les chevaux de ces hommespleins d'expérience ; le roi leur ordonna de s'en

retourner,etlui-mêmesemitenrouteversGangueavecsonarmée.

KEÏKHOSROUARRIVEÀGANGUEDIZ.

Khosroumitenordresestroupesetleurdistribualasolde,ensuiteilleurparladeDieudequivienttoutbien,

disant:QuiconquerecherchelemalsetetordrasouslespunitionsqueDieuluiinfligera.Ilnefautpasquevous

entriezenmassedanslavilledeGangue,afinquepasunepattedefourmin'aitàsouffrir.Quandlemaîtredumonde

aperçutGangueDiz,sesjouesdisparurentsousseslarmes;ildescenditdechevaletoffritseshommagesàDieu,la

têtedanslapoussière,disant:Otoiquieslejugesuprêmeetsaint,jesuistonesclave,lecœurremplidecrainte

etdeterreur;tum'asdonnéunehautestatureetladignitéroyale,unearmée,ducourage,unebonneétoileetdu

pouvoir,desortequej'aipuvoirces-mursetcettevillequemonpèreaélevésau-dessusdusol.C'estSiawusch

qui,parlapuissancequeDieuletrèssaintluiadonnée,afaitsortirdesfossésunepareillemuraille.Letyrana

étendulamainsurluietadéchirétouslescœursparsonmeurtre.

L'arméesemitàpleurersurcesmursenpensantavecdouleuràl’innocentSiawusch,quifuttuéparlamainde

sonennemi,cequiavaitsemédanslemondeunesemencesifécondedevengeance.

Afrasiabavaitreçulanouvellequeleroimaîtredumondeavaitpassélamer;ilavaittenusecretcequ'ilavait

appris et était parti dans une nuitsombre, sans le dire à personne. Il avait abandonné ses chefs pleins

d'expérience,ets'étaitenfuitoutseul,lecœurremplideterreur.LorsqueKeïKhosrouentradansGangue,latête

pleine de tristesse,le cœur gonflé de sang, il vit ce jardin enchanteur qui ravissaitles âmes, et ces arbres

fruitiersplantésparSiawuschetquiressemblaientauxlampesduparadis;partoutonvoyaitdessourcesd'eauet

des bosquets de roses ; la terre était couverte de fenugrecet les branches des arbres étaient la demeure des

rossignols ;chacun dit : Voici unebelledemeure,nouspourrionsyvivreheureuxjusqu'ànotremort.Ensuitele

prudentroiordonnaauxIraniensdes'assurerduroideTouran;ilslecherchèrentdansledésert,danslesjardins

et les palais, ils prirent desguides pour les conduire partout. Ceux qui le poursuivirentpartirent comme des

insensés,espéranttrouverquelquepartunetracedelui.Danscetteardenterecherche,ilsdécouvrirentunefoulede

sesgrands,ettuèrentbiendesinnocents,maisnetrouvèrentaucunetraceduroiinjuste.

Le roi resta pendant une année à Gangue Diz dans lesfêtes et les banquets. Le monde était comme un paradis

enchanteur,pleindebosquetsderoses,deparcsetdejardins.Leroinepouvaitserésoudreàpartir;ilrestaità

Gangue,victorieuxetcontent;maislesPehlewansdel'arméed'Iranseprésentèrentdevantluitousensemble,etlui

dirent:Silecœurduroineveutpass'émouvoir,c'estqu'ilnesesoucieplusdutrônedel'Iran;probablementton

grand-pèreAfrasiabapassédel'autrecôtédel'eau,etlevieuxroiKaous,quiestassissurletrône,n'aplusde

puissanceetdemajestéroyale,nidetrésorsetd'armée;sidoncAfrasiabs'estdirigé,emplidehaine,versl'Iran,

quiprotégeranotrepays?EtsijamaisAfrasiabrecouvreuntrôneetundiadème,toutesnosfatiguesaurontété

stériles.

Le roi répondit aux Iraniens : Votre conseil estutile, et il convoqua tous les grands de la ville,il parla

longuementde ces hommes qui avaient souffert de si grands maux, ensuite ilprit l'homme le plus digne, le plus

respecté,lepluscapabledupaysetlerevêtitd'unerobed'honneur,choisissantainsidansGangueDizunamipour

gouverneur,etluidit:Resteicijoyeusement,net'inquiètepasdenotreennemi.Ildistribuaensuitetoutcequ'il

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avaitdechosesprécieuses,dechevauxetdetrésorsaccumulés;toutelavillefutenrichieparluietpourvuede

bracelets,detrônesetdediadèmes.

KHOSHOUPARTDEGANGUEDIZETSERENDASIAWUSCHGUERD.

Aumomentoùseréveillelecoq,onentenditlesondestimbaless'éleverdupalais,etunearméeempressée et

avidedepartirsemitenrouteversledésert.Touslesgrandsdetouslesdistrictsaccoururent,etdechaquelieu

oùsetrouvaitunprinceonapportaitsurlaroutedesvivrespourleroietsonarmée,etpartoutoùpassaientles

troupes, les vallées et les plaines ressemblaient à un marché.Personne n'eut envie de lever la maincontre les

Iraniens,nidanslesmontagnes,nidansledésert,nipendantqu'ilscheminaient,nipendantqu’ilssereposaient.

Lesgrandssetrouvaientsurlaroute,attendantKhosrouavecdesprésentsetdesoffrandesd'argent,etàontouril

leurdistribuadesrobesd'honneurtiréesdesontrésor,etnepermitpasqu'ilssefatiguassentàraccompagner.

Guiv alla à sa rencontre avec son armée et avec tousceux qui avaient du pouvoir dans ce pays, et lorsqu'il

aperçut latêtemajestueuseduroi,ilmitpiedàterreetl'adora.Lemaîtredumondelesreçutgracieusementet

leur prépara des demeures avecla magnificence d'un Keïanide. Quand Khosrou fut arrivé auprès desvaisseaux, il

descenditsurlaplageetinspectalesvoiles;ilrestadeuxsemainessurleborddelameretparlasanscesseavec

Guiv,àquiildit:Quiconquen'apasvuGanguenedoitparrienaumondeselaisserempêcherd'yaller.

Ensuiteilfitfairetouslespréparatifsdedépart,etlorsquelesbarquesfurentmisesàl'eau,ilordonnaà

tousceuxquiseconnaissaientennavigationetquimontraientducouragesurlamerprofonde,dedéployerlesvoiles

etdes'avancersurleseauxsansfond.Lesventsquisoufflaientétaientsivifsquecettemer,pourlepassagede

laquelleilfallaitordinairementunan,futtraverséeenseptmoisparleroietl'armée,sansqu'unemancheeûtété

mouilléepar l'effet d'un vent contraire. Le roi fit débarquer l'armée etattacher les navires ; il regarda la

plaine,s'avançaetfrottasesjouescontrelaterre,enfaisantsaprièreàDieuletrèssaint.Ildistribua en

abondancedesvivresetdeshabitsauxmatelotsetàceuxquiavaientétéaugouvernail;ilfittirerdesontrésor

del'argentetdesprésentspourtousceuxquiavaientsupportédesfatigues.Ensuiteilquittaleborddel'eauet

s'avança dans ledésert,etleshommesleregardèrentavecadmiration.Aschkescheutdesesnouvellesets'avança

avecunearméetouteéquipéeàsarencontre;ildescenditdecheval,baisalaterreetrendithommageàKhosrou.On

ornatoutledésertettoutleMekran,onfitvenirdetouscôtésdesmusiciens;partoutsurlesroutesetdansles

endroits éloignés on entendait le son des instruments; l'airsemblait la chaîne, et les cordes des instruments

formaientlatrame;onsuspenditdespiècesdebrocartauxmurs,onversadel'argentetdusucresouslespiedsdu

chevalduroi.TouslesprincesdupaysdeMekrantousleshommesillustres,tousleshérosarrivèrentavec,des

présentsetavecdesoffrandesd'argentauprèsduroivictorieux,etAschkeschapportatoutcequecepaysproduitde

plusprécieux.Leroiapprouvatoutcequ'ilvitdelamanièredontAschkeschavaitgouvernécepays,etilchoisit

undesgrands,lenommaprinceduMekran,luifitbeaucoupdeprésentsetlesaluacommeroidupays.

Lorsqu'ilarrivaduMekranauxfrontièresdelaChine,luietlesgrandsdel'arméed'Iran,RustemfilsdeZal,

filsdeSam,vintàsarencontreavecsonarmée,quiétaitheureuseetréjouiederevoirleroi.QuandKeïKhosrou

parutdanslelointain,lehéros,quiaperçutsonparasol,mitpiedàterredeloinetl'adora;leroipleinde

fiertéleserradanssesbrasetluiracontalesmerveillesqu'ilavaitvuessurmer,etcommentAfrasiablemagicien

avaitdisparu.

Ildevintl'hôtedeRustemdanslaChine;maisaprèsunesemaineilquittalaChineetleMudschin,etarrivaà

Siawuschguerdlevingt-cinquièmejourdumoisdeSefendarmuz.Étantentrédanscettevilledesonpère,lesjoues

inondéesdelarmesetlecœurbrisé,ilserenditàl'endroitoùGuersiwez,leméchant,etGueroui,lemaudit,le

meurtrier,avaienttranchélatêteauroid'Irancommeàunêtrevil;ilpritdecetteterrenoireetlarépandit

sursatête;ilsedéchiralesjouesetlapoitrine,etRustemfrottasonvisagesurcetteterreetnoircitlaface

deGuerouiparsesmalédictions.KeïKhosroudit:Oroi !tum'aslaissédanslemondecommeunsouvenir,etjemie

laisserai rien debout dans ma vengeance ; madouleur durera tant que le monde existera ; j'ai détruit le trône

d'Afrasiab,etdorénavantjenejouirainidureposnidusommeiltantquej'aurail'espoirdelesaisirdemamain,

etderendrelemondesombreetétroitdevantlui.Ensuiteilsedirigeaversletrésordesonpère,quesamèrelui

avaitindiqué;ilouvritlaportedutrésoretdistribualasoldeàsestroupes.Ilrestadeuxsemainesdanscette

ville,donnaàRustemdeuxcentstonnesd'oretfitàGuivdegrandsprésents.

LorsqueGustehemfilsdeNewderfutinforméqueleroiavaitprislaroutedelavilledesonpère,ilsemiten

marchepourlerejoindre,avecunearméenombreusedegrandsetdehérosiraniens,etquandilreconnutdeloinla

têteetlacouronneduroi,ildescenditdechevaletparcourutàpiedunegrandedistance.Toutel'arméed'uneseule

voix rendithommageauroidelaterre,audistributeurdelajustice,etleroiordonnaàGustehemderemonterà

cheval,etpartitaveclui,heureuxettenantdanssamainlamaindufilsdeNewder.

IlsserendirentàGanguiBehischt,etleroihonoragrandementsonarmée,àlaquelleilsefiaitcommeàunarbre

fruitier,quichaquesaisonproduitdenouveauxfruits.Personnenecessadeselivrerauxbanquetsetàlachasse,ni

leroiniunseuldesescavaliers.Ilfutsibonpourtoutcequ'ilyavaitdevaillantsparmilesTurcs,qu'ilne

leurrestaitrienàdésirer;pendantlaclartédujouretpendantletempsdusommeililnecessadeleurdemander

desnouvellesd'Afrasiab;maispersonneparmieuxneputluienindiquerunetraceetiln'étaitplusquestionde

lui dans le monde. Un soir lemaître du monde se lava la tête et le corps, s'en alla au loin avecle livre du

ZendavestaetsetintpendanttoutelanuitdevantleCréateurenpleurantetlefrontprosternéparterre.Ildit:

Tonfaible serviteur a l'âme éternellement remplie de douleur. Il nevoit pas de traces d'Afrasiab, ni dans les

montagnes,nidanslesable,nidansledésert,nidansl'eau.Cethommenemarchepasdanstesvoies,ôDistributeur

delajustice!etnerespectepersonnedanslemonde;tusaisqu'ilestloindelajusticeetdelabonnevoie,et

qu'ilaversébeaucoupdesanginnocent.Est-cequeDieu,l’unique,lejuste,neserapasmonguidepourdécouvrirce

méchant;car,bienquejesoisunserviteurindigne,aumoinsadoreDieulecréateur?Lenometlavoixd'Afrasiab

ontdisparudumonde,sonséjourestunsecretpourmoi;maispourtoiiln'yapasdesecret.Situessatisfaitde

lui,ôDieudelajustice,alorsdétournedematêtel'enviedelecombattre,éteinsdansmoncœurcefeudela

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vengeanceetfaisquetavolontédeviennelamienne.Lejeuneetfierprince,surlequelveillaitlafortune,quitta

lelieudesesprièresetmontasursontrône.IlrestapendantunanàGanguiBehischtetsereposadesémotionset

destravauxdelaguerre.

KEÏKHOSROUS'ENRETOURNEDUTOURANDANSL'IRAN.

Après son long séjour à Gangue, il sentit le besoinde revoir Kaous ; il confia le commandement de ce pays à

GustehemfilsdeNewder,depuisKaschgarjusqu'àlamerdelaChine,etluilaissaunearméeinnombrable,disant:

Veille et sois heureux,étendstamainsurlaChineetleMekran,envoiedesmessagersavecdeslettresàchaque

prince,cherchedesnouvellesd'Afrasiab,pourquenouspuissionsendélivrerlafacedelaterre.Ilemporta du

musc,desesclaveshommesetfemmes,desbridesd'or,desrobes,destrônes,deschevaux,destapistelsqueles

fournitlaChine,deschosesprécieusesdetouteespèceproduitesparlepaysdeMekran,etfitpartirdevantluidix

millebœufstrainantdeschariotschargés.Chacundisaitquejamaisonn'avaitvuetquejamaisiln'avaitexistédes

richessespareilles.Sonarméeétaitsinombreusequ'elleremplissaitsursonpassage,jouretnuit,lesmontagneset

lesplaines;lorsque,l'arrière-gardechargeaitlesbêtesdesomme,l’avant-gardearrivaitaugîte,dejourenjour.

DecettemanièreilatteignitDjadj,oùilsuspenditsacouronneau-dessusdutrôned'ivoire.Ilrestaplusd'une

semaineàSoghd,oùTelimanetKhouzanseprésentèrentdevantlui;delàilserenditàlaville de Boukhara,où

l'airfutobscurciparlapoussièresoulevéeparsonarmée;ils'ylivraauxfêtesetaurepospendantunesemaine

;lasecondesemaineilentra,couvertd'unvêtementneuf,dansletempledufeu,enpoussantdescrisetenpleurant

lestempspassés,cetemplequeTour,filsdeFeridoun,avaitfondéetdontilavaitélevélestours.Ilversade

l'oretdel'argentsurlesMobedsetjetadespierresfinesdanslefeu.Ilsedécidaàquittercepays,etpartit,

heureux d'avoir satisfait les désirs deson cœur. Il passa le Djihoun du côté de Balkh, après avoir éprouvéles

luttesetl'amertumedelavie;ildemeuraunmoisàBalkh,ensuiteilseremitenmarche,etdanschaquevilleun

grandl'attendaitavecsestroupes,etl’onpréparadesfêtesdanstouslesendroitsoupassaientleroietsonarmée.

IlarrivaàThalikanetàMervroud,oùlemondeétaitremplidessonsdesflûtesetdesinstrumentsàcordes.Delà

leroimarchaversNichapouravecseséléphants,sestrésorsetsonarmée.Iltrouvatoutelavilleparée;onappela

lesmusiciensetleschanteurs,onversasurlui,pendanttoutletrajet,del'argentetdusafran,etqued'oretque

demusc!Ildistribua,desestrésors,del'argentàtousceuxdelavillequiPaientpauvresouquivivaientdeleur

travail, etépuisa ainsi cinquante-cinq caisses d'argent. Au bout d'une semaineil se dirigea vers Reï, trouvant

partoutsurlaroutedeschants,delamusiqueetduvin.Pendantdeuxsemainesils'occupadanscettevilleàfaire

du bien ;la troisième il partit pour Schiraz, après avoir envoyé de Reïquelquesmessagers montés sur des

dromadairesauprèsdeKaous,danslepaysdeFars.

RETOURDEKEIKHOSROUAUPRÈSDESONGRAND-PERE.

Lecœurduvieuxroirajeunitparcesnouvelles;tuauraisditqu'ilenavaitgrandi.Ilfitplacerdestrônes

d'ordanslessallesd'audienceetfitparersonpalaisd'ornementschinois.Onpréparadesfêtesdanslescampagnes

etsurlaroute;onpavoisapartoutlesmaisons,lesruesetlesmarchés.Touslesgrandsetlespuissants,tousles

gouverneurs des villesallèrent au-devant de Khosrou ; partout on érigea des arcs detriomphe, et le monde

ressemblaitàdubrocartd'or;partoutonmêladumuscetdespierreriesetonlesversasurlestêtesduhautdes

arcs.

KeïKaoussortitdelavilleavecleshérosauxtracesfortunées;lejeuneroiaperçutauloinsongrand-père;

illançasonchevalardent,Kaousetluis'embrassèrent,etlegrand-pèrelebaisaàplusieursreprisessurlatête

et sur lesjoues. Tous les deux versèrent des larmes amères d'avoir vécu silongtempspresque sans espoirde se

revoir.KeïKaouscélébraleslouangesdeceprinceheureux,dontlestracesétaientfortunées,disant:Puissentle

monde,letrônedupouvoiretlaplacedesroisn'êtrejamaisprivésdetoi!Jamaislesoleiln'avuunprincecomme

toi,niunecuirasse,ouuncheval,ouuncasquecommelestiens.Lecieletlaterren'ontpasvuuneroyautécomme

latiennedepuisquelepouvoirestdescendudeDjamschidàFeridoun.Aucunprincen'asupportéautantdefatigueset

n'avucommetoitoutcequiestconnuetcequiestsecretsurlaterre.Puisses-turendreheureuxlemondebrillant

! puissent le cœur et l'âme de ton ennemi périr !PuisseSiawuschrevenir,fût-cepourunseuljour!tagloire

combleraittoussesvœux.Leprinceluirépondit:Toutcelaestdûàtafortune;unebranchedetonarbreaporté

fruit.

Legrand-pèrebaisaKhosrousurlatêteetsurleslèvres,disant:Puisses-tunejamaismequitter,nijourni

nuit!Khosroufitapporterdeschrysoprases,desrubisetdespiècesd'or,etlesversasurlatêteduroi,jusqu'à

cequecetteoffrandecouvrîtentièrementlespiedsdutrôneincrustédepierresfines.Kaousfitentrerlacouret

placerdestablesdansuneautresalle;etlesgrands,comblésderichesses,s'assirentavecluidanslasalledorée

des festins.Le jeune roi raconta les merveilles qu'il avait vuessur mer et celles que ses grands lui avaient

racontées.IlparladelameretdeGangueDiz,etàsesrécitsleshérossoupiraientaprèscettebelleville,ces

plainesetcesvallées,cesprairiesetcesjardinsbrillantscommedeslampes.

KeïKaousrestadansl'admirationdesonpetit-filsetcommençaàcomprendrelagrandeurdesesactions;illui

dit:Lesparolesjeunesd'unjeuneroirajeunissentlejouretlalune.Personnen'avudanslemondeunroicomme

toi,aucuneoreillen'ajamaisentendudepareilsrécits.Maintenantcélébronscettenouvelleétoile,célébronstous

Khosrou,lacoupeenmain.Ilfitornerlasalledoréedesfestins,apporterduvinetappelerdeséchansons aux

lèvresderubis.PendantseptjourslevincoulaàflotsdescoupesdanslepalaisdeKeïKaous;lehuitièmejourle

roiouvritsestrésorsetrécompensa,selonlesdegrés,lesfatiguesqueceshommesavaientéprouvées.Auxgrandsqui

n'avaient pasquittéKhosroudanslescombatsetdanslesfêtes,danslajoieetdanslechagrin,onpréparades

présentsselonleurmériteetl'onchoisitcequ'ilyavaitdeplusprécieuxdansletrésor.Chacunpartitpoursa

province, portant haut la tête et accompagné d'unearmée glorieuse. Ensuite le roi s'occupa des troupes et leur

distribualasolded'uneannée.

Alorslegrand-pèreetleroiquiambitionnaitlapossessiondumondes'assirentseulspourtenirconseil.Khosrou

ditau roi Kaous : A qui pouvons-nous demander la direction si ce n'estau Créateur ? Moi et mon armée avons

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parcouru,lecœurblessé,lesdéserts,lesmontagnesetunemerquiexigeuneannéedetraversée;maisnousn'avons

trouvéaucunetraced'Afrasiab,nidanslesplaines,nidanslesmontagnes,nisurl'eau.S'ilparvientpourunmoment

àrentreràGangue,unearméeserassembleraautourdeluiàl'instantdetouslescôtés,etnousauronsdevantnous

lesmêmestravauxetlesmêmesfatigues,quandmêmeDieunousdonneraitlavictoire.Legrand-pèreréponditàson

petit-fils par unsageconseildevieillard,disant:Courons,nousdeuxàchevalautempled'Adergouschasp.Nous

laveronsnostêtesetnoscorps,nospiedsetnosmains,commec'estlacoutumedeshommesquiadorentDieu.Nous

offrirons en secret noshommagesàDieuenmurmurantdesprières.Nousnoustiendronsdeboutdevant le feu, avec

l'espoirqueDieuletrèssaintnousguidera,etqueceluiquimontrelechemindelajusticenousindiqueralaroute

quiconduitaulieuderefuged'Afrasiab.

Ilsconvinrentdeceplanetilsl'exécutèrentsanssedétournerduchemindroit.Ilsmontèrentàchevalentoute

hâteetcoururentautempled'Adergouschasp;ilsyentrèrentvêtusderobesblanches,lecœurtremblantetpourtant

pleind'espérance;envoyantlefeu,ilsversèrentdeslarmes,puisilss'approchèrentetrépandirentdessusdes

pierreries.Cesdeuxroisydemeurèrentengémissant,enpleurantetdansladouleurquiremplitlessuppliants;ils

adressèrentdesprièresauCréateur,ilsversèrentdespierreriessurlesMobeds,etKhosrou,lesjouesinondéesde

larmesquicoulaientdesescils,couvritdepiècesd'orleZendavesta.IlsrestèrentainsiunesemainedevantDieu;

maisnecroispasqu'ilsadorèrentlefeu,carlefeu,danscetemple,n'étaitquelelieuverslequelonsetourne

dans la prière. Lesyeux des adorateurs étaient remplis de larmes. Si profondes quesoient tes pensées, tu as

toujoursbesoindeDieuletrèssaint.Leroietlesnoblespassèrentunmoisdansletempled'AderAbadgan.

AFRASIABESTPRISPARHOUM,DELAFAMILLEDEFERIDOUN.

PendantcetempsAfrasiaberraitpartoutsanstrouverdenourritureetderepos.Sonespritétaitinquiet,son

corpss'usait;ilcraignaittoujoursundanger.Alorsilvoulutchoisirdanslemondeunlieuoùsonâmepûtjouir

detranquillitéetsoncorpsdesanté;orilyaprèsdeBerdaunecavernesurlehautd'unemontagnerocheusequi

touchelesnues,etAfrasiab,nevoyantniau-dessusdeluiunfauconquivolât,niau-dessousdestracesdelionsou

destanièresdesangliers,yportadesvivres,yfitsademeuredepeurdelamort,ettailladanslacaverneune

chambreélevée;c'étaitunlieuéloignédetoutevilleetprèsd'uncoursd'eau:appelle-lel'antred'Afrasiab.

Ildemeurapendantquelquetempsdanscette caverne,serepentantdesesactionsetlecœurgonflédesang.Un

princequidevientsanguinairenerestepaslongtempssurletrôneroyal.Voiciunroi,maîtredutrône,nésousune

bonneétoile,favoridelafortune,quiaeudesennemisaussitôtqu'ileutcommencéàverserdusang.Heureuxleroi

quin'ajamaisvucoulerlesangdesrois!

Danscetempsunhommedebien,unsagedelafamilledeFeridoun,qui,danstoutelamajestéetlapuissanced'un

Keïanide, était un adorateurhumble de Dieu eten toute chose prêt à servir le roi, avait fait de toute cette

montagnesonlieudeprières,etvivaitloindesplaisirsetdelafoule.Lenomdecethommepleindevertusétait

Houm;iladoraitDieuloindesterreshabitées.Danslacimedelamontagnesetrouvaitunefentederocher,tout

près de sa demeure et éloignéedes hommes.L'ermite vêtu du froc y faisait ses prières,lorsque son oreille fut

frappéed'uneplaintesortantdelafentedurocher:Otoi quiasétéunroinoble,illustre,grandetpuissant,

quiasétélejugedesjuges,toiquiasétélemaîtredelaChineetdupaysdesTurcs,toidontlestraitesliaient

tous les pays, tu possèdesmaintenant une caverne pour ta partdans le monde. Où sont tes gens de guerre et ta

couronne?Oùsonttonpouvoir,tavaleur,toncourage,taforceettonintelligence?Oùsonttapuissance, ton

trôneettoncasque?Oùsonttesprovincesettesarméesnombreuses,ôtoiquiesmaintenantdanscetantreétroit,

quiesréfugiédanscetteforteressederochers?

Houmentenditcesplaintesfaitesenlangueturque;ilabandonnasesprièresetquittacelieuendisant:Ces

lamentations au milieu de la nuit ne peuvent être que les crisd'Afrasiab.Cettepenséesefortifiaenlui;il

chercha pendantquelque temps l'entrée de la caverne obscure, monta sur la montagnependant le temps du sommeil,

découvritl'ouverturedel'antred'Afrasiab,arrivacommeunlionfurieux,sedépouillabravementdesonfroc,saisit

lelacetqu'ilportaitenguisedecordonetquiluiassuraitlaprotectiondumaîtredumonde,etentradansla

caverne.Quandilfutprèsd'Afrasiab,celui-cisautasurlui,lesdeuxhommesluttèrentlongtemps;maisàlafin

Houmamenaleroisouslui,leterrassaetluilialesbraspendantqu'ilétaitàterre.Ensuiteilpartit,traînant

Afrasiab,et,malgrésarésistance,courantcommeuninsensé.Ilestnaturelqu'ons'étonnedecetteaventure.Mais

quand on est roi dans ce monde, il ne fautambitionner que la gloire de la bonté, il ne faut pas se livrer aux

jouissances.Afrasiabavaitraisondechoisirunecaverne commesapartdanslemonde;commentpouvait-ilsavoir

qu'elledeviendraitlelieudesaperte?

AFRASIABÉCHAPPEAHOUM.

HoumliaainsilesbrasàAfrasiabetl'entraînadulieudesaretraite.Afrasiabluidit:Ohommeintelligentet

pieux,quiadoresDieuletrèssaint,queveux-tudemoi,quisuisunroisurlaterre,demeurantdanscettecaveet

metenantcaché?Houmluirépondit:Taplacen'estpasici,lemondeestremplidetonnom,dunomdeceluiquia

tuéunfrèreparmilesroisdelaterre,quiaoffenséDieuparlemeurtred'Aghrires,del'illustreNewderetde

Siawusch,l'héritierdesKeïanides.Neversepaslesangdesrois,pourn'avoirpasàéchangertonpalaiscontreune

cavernesansfond.Afrasiabluirépondit:Ohommepuissant,quitrouves-tusansfautedanslemonde?Larotationdu

cieltout-puissantafaitdemoiuninstrumentdepeine,defatiguesetderuine;maispersonnenepeutsesoustraire

auxordresdeDieu,quandmêmeilposeraitsonpiedsurlecoududragon.Jesuismalheureux,aiedoncpitiédemoi,

quoique j'aie commis desinjustices.Jesuislepetit-filsdeFeridounlebienheureux;relâchelesliensde ton

lacet.Oùveux-tumeconduireliéignominieusement?Necrains-tupasDieuetlejouroùtuluirendrascompte?

Houmrépondit:Ohommeméchantetmalveillant,probablementilneterestepasbeaucoupdetemps.Tesparoles

sontdouces comme unfrais jardin de roses ; mais ton sort est entre les mains deKhosrou.Néanmoins son cœur

souffraitdecetétatmisérable,etilrelâchalesnœudsdesonlacetroyal.Afrasiab,voyantquecesaint homme

étaitémudesplaintesd'unroi,s'arrachadesesmainsparuneffortviolent,etplongeadanslelac,oùildisparut.

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OrilarrivaqueGouderzfilsdeKeschwads'amusaitàcourirdanslesenvironsdelarésidenceduroiavecGuivet

d'autresnobles,etqu'ils'approchadulacavecsoncortège.IlaperçutHoumquitenaitsonlacetetcouraitsurle

borddel'eaucommeunhommeivre.Ilvitaussiquel'eauétaittrouble;ilobservaceserviteurdeDieuquiavait

lesyeuxégarés,etditenlui-même:Est-cequecesainthommepécheraitdanslelacdeKhandjest?Uncrocodile

aurait-ilsaisil'hameçondestinéàunpoisson,etl'hommeserait-ilconfonduàcetaspect?IlditàHoum:Osaint

homme,fais-moiconnaîtretonsecret;quecherches-tudanscetteeaudulac?est-cequetuveuxylavertoncorps

malpropre?Houmluirépondit:Otoiquiporteshautlatête,faispouruninstantattentionàcequim'arrive.J'ai

unedemeuresurlehautdecettemontagne,oùunserviteurdeDieupeutadorerloindelafoule.Jemetenaisdevant

Dieudanslanuitsombre,livréàl'adorationpendanttoutelanuit;mais,àl'heureoùdesoiseauxfontentendre

leurs voix, des accentsplaintifs ont frappé mon oreille. A l'instant mon esprit lucide m'adonné l'idée que je

pouvaisarracherdumondelaracinedetantdevengeances,parcequedetellesplaintes,àl'heuredusommeil,ne

pouvaientvenirqued'Afrasiab.Jemesuislevé,j'aicherchédanstoutelamontagneetdanstouteslescavernes,et

j'aifiniparvoirl'entréedelarentraitedel'hommequiseplaignait.Lemisérableétaitcouchédanssonantre,

pleurantamèrementsacouronneetsontrône.Lorsquejesuisentré,ils'estmisdeboutets'estroidiaveclesdeux

piedscontrelerocher;maisjeluiailiéavecmoncordonlesdeuxmainssiserréesqu'ellesdevinrentdurescomme

une pierre,de sorte que le sang sortait de ses ongles ; ensuite je l'ai traînéen courant hors de la montagne

pendantqu'ilcriaitetselamentaitcommeunefemme;ils'esttantplaint,atantcriéetfaittantdeserments,

qu'àlafinj'airelâchésesliens,etc'esticiqu'ilaéchappéàmamain,etmoncœuretmonâmesontbrisésdesa

fuite.Ils'estcachédanscelacdeKhandjest.Jet'aidittoutselonlavérité.

LorsqueGouderzeutentenducerécit,illuivintenmémoired'anciennesprophéties;ils'enretournaversle

templed’Adergouschasp,toutpensifetcommeunhommequiaperdularaison.Ilcommençaparadorerlefeuetadressa

desprièresauCréateurdumonde;ayantfinisesdévotions,ildévoilasonsecretetracontaauxdeuxroiscequ'il

avaitvu,etlesroismontèrentàl'instantàchevaletquittèrentlepalaisattenantautempled'Adergouschasp.

KAOUSETKHOSROUSERENDENTAUPRESDEHOUM.

Kaousétaitabsorbédanssespenséessurcetévénement,pendantqu'ilserendaitauprèsdel'ermite.LorsqueHoum

aperçutlevisageetlacouronnedesrois,illeurrenditleshommagesquileurétaientdusetlesroisinvoquèrent

surluilesgrâcesdeDieulecréateurdumonde.Kaousluidit:GrâcessoientrenduesàDieu,quiestnotrerefuge,

decequej'aivuunhommepieux,puissant,sageetfortHoum,leserviteurdeDieu,répondit:Puisselaterreêtre

heureuse par ta justice ! Puisse la vie de cejeune roi être prospère ! Puisse le cœur de ses ennemis périr !

J'adoraisDieusurcettemontagne,lorsqueleroiapassépouralleràGangueDû;maprièreétaitqueleCréateurdu

monde renditheureuseparluilafacedelaterre.Quandilrevint,j'étaiscontentetjoyeux,etj'adressaisde

nouveaumesprièresàDieu.UnenuitlebienheureuxSeroschetmedévoilatoutàcouplesecretdusort,descris

sortirent de cette caverne sans fond,je les entendis et j'écoutai attentivement cette voix. Quelqu'unpleurait

amèrementlapertedesestrésorsetdesacouronne,desonarmée,desonpaysetdesontrôned'ivoire.Jedescends

delacimedelamontagneverscettecaverneétroite,tenantenmainlelacetquimesertdecordon,etj'aperçoisla

têteetidesépaulesd'Afrasiab,quis'étaitarrangéunlieudereposdanslacaverne.Jeleliedurcommepierre

avecmonlacet,jeletraînemisérablementhorsdel'antreétroit;sursesinstancesjerelâchelesnœudsdulacet,

et,arrivéauborddulac,ilsedéfaitdesesliens;danscemomentilestcachédansl'eau;maisondoitespérer

danslejugesuprêmedumonde.Silecielveutleperdre,ceseraparGuersiwez,pourlequelsonsangbouillonnede

tendresse,etsilegrandroiveutordonnerqu'onamènesonfrèrelespiedsliés,etqu'ilsoitcousudansunepeau

devachejusqu'àcequ'ils'évanouisse,alorsAfrasiabsortirasansdoutedel'eau,quandilentendralescrisdeson

frère.

LeroiordonnaauxgardesdupalaisdepartirarmésdeleursépéesetdeleursboucliersduGhilan,etl'onamena

lemalheureuxGuersiwez,quiavaitcausétantdetroubledanslemonde.Kaousditaubourreaudeletraînerdevant

lui,deluiarracherduvisagelevoilequicouvraitsahonte,decoudresursesépaulesunepeaufraîchedevache,

demanièreàôtertouteforceàsoncorps.LapeaudeGuersiwezsefenditsurluideterreur, ildemandagrâceet

invoqualesecoursduCréateur.Afrasiabentenditsescris,etparutàlasurfacedel'eau,émuetenlarmes;ilse

mitànagerdanslelac,etarrivaàuneplaceoùilpouvaitprendrepied.Quandilentenditlescrisducôtédela

terre,lescrisdesonfrère,lamortluiparutpréférableàcequ'ilvoyaitGuersiwezl'apercevantdansl'eau,les

yeuxremplisdesang,lecœurpleind'horreur,poussaungrandcri:Oroi delaterre,chefdeshéros,couronnedes

rois,oùsonttapompeettonentourageroyal,oùsonttacouronne,tontrésorettonarmée?Oùsonttonsavoiretla

puissancedetamain,oùsontlesgrandsdévouésauroi?Oùsonttagloireettonrenomdanslescombats,oùsontton

palaisettacoupecélèbresdanslesfestins,pourquemaintenanttuaiesbesoindetecachersousleseaux?Voici

donclesortquel'étoileduDivt'apréparé!Afrasiabsemitàpleurerlorsqu'ilentenditcesparoles,etversades

larmesdesangdansl'eaudulac.Ilrépondit:J'aierrédanslemondeentier,enpublicetensecret,espérant

changercettemauvaisefortune,maismaintenantmonmalheurs'estencoreempiré;laviem'estdevenueodieuseetton

sortaremplimontramededouleur.Oh!faut-ilqu'undescendantdeFeridoun,qu'unfilsdePeschengsoitainsi

tombédanslesfiletsducrocodile!Tapeausefendsouscecuirdevache,etjenevoispersonnequidansl’âmeait

pitiédetoi.

APRASIABESTPRISPOURLASECONDEFOISETMISAMORTAVECGUERSIWEZ.

Pendantquecesdeuxprincesseparlaientainsi,l'espritdudévotHoumcherchaituneruse.Lorsqueceserviteur

deDieueutreconnuAfrasiabetqu'ileutentendusesplaintesamèresetsescris,ils'avançaunpeusurlapointe

deterreoùilsecachait,jusqu'àcequ'ilpûtl'entrevoirdeloin.IldétachasonlacetdeKeïanidequiluiservait

decordon,seglissaenrampantcommeuntigre,lançalelacetrouléetpritlatêteduroidanslenœud.Illetraîna

dansl'eauverslaterre,etAfrasiabperditconnaissance;lesainthommelesaisitparlesbrasetlespieds,le

tira de l'eau comme unvil fardeau, le lia, le livra auxdeux rois, et partit ; tuaurais dit qu'il était le

compagnonduvent.

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Khosrous'approcha,uneépéetranchanteenmain,latêterempliedehaine,lecœurpleind'hostilité;Afrasiab

l'insenséluidit:J'aivuensongecejourdetriomphepourtoi.Lecielatournélongtemps,etàlafinila

déchirélevoiledessecrets.Ensuiteilajoutad'unevoixforte;ôméchant,quiiraschercherlavengeance,dis-moi

pourquoituveuxtuertongrandpère?Khosrourépondit:Omalfaiteurdignedetoutreprocheetdetouteignominie,

jevaisd'abordteparlerdumeurtredetonfrère,quin'avaitjamaisfaitdemalàunroi;ensuitedeceluide

Newder,leroiillustre,ledescendantetl'héritierd'Iredj;tuluiascoupélatêteavecl'épéetranchante,etas

jetédanslemondeundésordreterrible;enfinjeteparleraideSiawusch,lecavalierleplusvaillantparmitous

leshéros:tuluiastranchélatêtecommeàunebrebis,etceméfaitadépassélavoûteduciel.Pourquoias-tutué

mon père, pourquoi n'as-tu pas prévu un jour de malheurcomme celui-ci ? Tu t'es précipité dans les crimes, et

aujourd'huituentrouveslarétribution.

Afrasiabrépondit:D'unmauvaishommeonnepeutattendrequelemeurtreetl'insulte.Lepasséaétécequetu

dis;cequidevaitarriverestarrivé;maintenantilfautquej'écoutecequetudis,maispermetsquejevoiele

visagedetamère,ensuiteturaconterasceshistoires.Khosrouluidit:Quantàcedésirdevoirmamère,rappelle-

toilesmauxquetuasaccumuléssurmatête.Monpèreétaitinnocent,moijen'étaispasencorené,etpourtantque

demalheursn'as-tupasdéverséssurlemonde!Tuastranchélatêteàunroiquelacouronneetletrôned'ivoire

ontpleuré amèrement ; mais aujourd'hui est le jour de la vengeance deDieu, et la récompense qu'il donne aux

méchantsestlemalheur.

Khosroulefrappaaucouavecsonépéeindienneetjetadanslapoussièresoncorpsdélicatementélevé;lesang

coloracommeunrubissonvisageetsabarbeblanche,etsonfrèredésespéradelavie.C'estainsiqueletrônedes

roisrestavidedeluietquesafortunesetermina.Sesmauvaisesactionsamenèrentlemalheursurlui-même.Mon

fils, ne cherche pas la clef de la chaînequi retient le mal ; si tu la cherches, sache que le crime finit par

détruirelecriminel.UnroiàquiDieuadonnélamajesténedoitemployerdanssacolèrequeleschaînesetla

prison;s’ilversedusang,ilresteraabhorréetlecielsublimelepunira.UnMobedaditàBahramleviolent:Ne

verse pas le sang des innocents; si tu veux que la couronne te reste, sois toujours clément etbienveillant.

Réfléchisàcequelecorpsaditunjouràlatête:Otête !puisselaraisonêtretoujourslacompagnedeta

cervelle!

Guersiwezfuttémoindusortdesonfrèreaîné,sesjouespâlirent,soncœursetroubla.Lesexécuteursdeshautes

œuvresl'entraînèrent,chargédelourdeschaînes,accablédesonmalheur,entourédegardesetdebourreaux,commeil

convientauxméchants.QuandilarrivadevantKeïKhosrou,ilinondadanssadouleurseslèvreslividesdelarmesde

sang. Le roi des rois, roide l'Iran, se mit à lui parler du vase et du poignarddontil s'était servi pour le

meurtre de Siawusch, de Tour, fils de Feridoun et du faroucheSelm, et d'Iredj, qui avait été un puissant roi.

Ensuite il donnasesordresaubourreau,quitirasonépéetranchante,s'approchalecœurpleinderésolutionet

coupaleSipehbedendeuxparlesreins.Toutel'escortedesroisavaitlecœurremplideterreur;onjetaentas

lesrestesdesdeuxfrères,etlafouleformaitunlargecercleautour.

KAOUSETKHOSROUS'ENRETOURNENTDANSLEPAYSDEFARS.

LorsqueleroieutainsiobtenudeDieul’accomplissementdesesvœux,ils'enretournadulacautempledufeu.

Luietsongrand-pèreversèrentbeaucoupd'orsurlefeu,récitèrentleursprièresenmurmurantetrestèrentdebout

unjouretunenuitdevantleJuge,leGuidesuprêmedumonde.QuandZerasp,letrésorierdeKeïKhosrou,arriva,

Kaous donna tout un trésor à Adergouschasp, et auxMobeds des robes d'honneur, de l'or, de l'argent et beaucoup

d'autreschoses;ildistribuaunautretrésorauxpauvresdelavilleetàceuxquivivaientdutravaildeleurs

mains,etrajeunitlemondeparsajusticeetsalibéralité.EnsuiteilmontasurletrônedesKeïanides,ouvritla

portedelasalled'audienceetrestasilencieux.

On écrivit une lettre dans chaque province, à chaqueseigneur et à chaque prince ; depuis l'orient jusqu'à

l'occidentilyeutunelettrepourchaqueendroitoùsetrouvaitunprinceillustre,annonçantquelaterreétait

délivrée de l'oppression dudragon par l'épée de Keï Khosrou, qui, grâce à la force queDieu, le maître du la

victoire,luiavaitdonnée,n'avaitprisaucunreposetn'avaitjamaisôtésonarmure;quelesmânesdeSiawusch

étaientrendusheureuxparlui,quetouslespaysdelaterreluiétaientsoumis,etqu'ilavaitfaitd'abondantes

largesses auxpauvres, aux serviteurs de Dieu et à ses hommesdeguerre.Ensuite le roi du mondedit : Ohommes

illustres,fortunésetpuissants!faites-sortirvosfemmesetvosenfantsdelaville,etportezavecvousdansla

plainedesvivresetdelamusique.Ilexécutaceplanetnes'occupaquedecettefête;tousleshérosdelafamille

royaleetdelafamilledeZeraspserendirentautempled'Adergouschasp,etleroiKeïKaouspassaquarantejoursen

fêtes,avecdeschantsetdescoupesdevin.

Lorsquelanouvelleluneparutaucielbrillantecommelesoleil,etsemblableàlacouronned'orsurlatêted'un

jeuneroi,lesgrandssemirentenroutepourlepaysdeFars,rassasiésdecombatsetdediscours;danschaqueville

qu'ilstrouvèrentsurleurroute,lafoulesepressaitautourduroi,etKaousouvraitsescaissesd'oretenrichit

tousleshommesdebien.

MORTDEKEÏKAOUS.

LorsqueKaouseutretrouvésasécurité,ilénonçadevantDieutouteslespenséessecrètesdesoncœur,disant:O

toiquiesau-dessusdusort,toiquinousinstruisentoutcequiestbien,c'estdetoiquej'aireçumadignité

royale, ma gloire, mafortune, ma puissance, mon diadème, ma valeur et mon trône. Tu n'asdonné à personne des

trésors,untrôneetungrandrenomcommeàmoi.Jet'aiadressédesprièrespourqu'unvengeurprîtlesarmespour

vengerSiawusch,etaivumonpetit-fils,lajoiedemesyeux,mevengeretsevengerlui-même.Ilestambitieux,

pleindedignité,deforceetd'intelligence,ildépassetouslesroisdelaterre;maiscentcinquanteansont

passésurmoi,etmatêteetmabarbe,noirescommedumusc,sontdevenuesblanchescommeducamphre;mataillede

cyprèss'estcourbéecommeunarc,etjeneregarderaispascommeunmalheurquemafinarrivât.

Peudetempsaprèsilnerestaitdeluidanslemondequelesouvenirdesonnom,etKeïKhosrou,leroidumonde,

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montasurletrôneets'assit,lemaîtredecetteterrepleinedeténèbres.TouslesIraniensillustresarrivèrentà

pied,labouchepleinedeparoles,touscouvertsderobesbleuesetnoires,etrestèrentpendantdeuxsemainesportant

ledeuilduroi.Ilsbâtirent,pourletombeaudeKaous,unédificeélevédelahauteurdedixlacets;ensuiteles

grandsdelacourapportèrentunepiècedesalinnoirdeRoum,brochéd'or;onyrépanditdugui,ducamphreetdu

musc,etonyenveloppalecorpsdesséchéduroi;onleplaçasuruntrôned'ivoireetl’onposasursatêteune

couronnedecamphreetdemusc.QuandKeïKhosrousefutéloignédecetrône,onfermal'entréedulieuderepos,et

personnenerevitplusleroiKaous,quisereposaitdesbataillesetdelavengeance.Telleestlaloideceséjour

depassage,tunerestespastoujoursàt'yfatiguer.Leplussagenepeutéchapperauxgriffesdelamort,niles

plusbraves,sousleurscottesdemaillesetleurscasques;etfusses-turoi,fusses-tuZerdehischt,tacouchesera

laterreettonoreillerseralabrique.Essayed'êtrejoyeux,chercheàatteindrel'objetdelesdésirs,etquandtu

l'asobtenu,rechercheunebonnerenommée;maissachequelemondeesttonennemi,quelaterreseratonlitetla

poussièretonvêtement.

Pendantquarantejoursleroiportaledeuildesongrand-père,setenantloindelajoie,delacouronneetdu

trône ;au quarante et unième jour, il s'assit sur son trône d'ivoire etplaça sur sa tête la couronne qui

réjouissaitlescœurs.L'arméeserassembladevantsonpalais:lesnoblesetlesgrands,portantdesdiadèmesd'or,

lesaluèrentcommeroietversèrentdespierreriessursacouronne;lemondeentiercélébraunegrandefêtelorsque

leroivictorieuxs'assitsurletrône,etc'estainsiquetoutelaterreobéitàKhosroupendantquesoixanteannées

passèrentsurlemonde.

KEÏKHOSROUPRENDLAVIEENDEGOUT.

L'âmedeceroi,quiétaitcomblédesbiensdumonde,seremplitdepenséessurlesjoursquis'écoulaientetsur

lepouvoirqu'ilexerçait.Ilsedit:Partout,danstouslespayshabités,depuisl'IndeetlaChinejusqu'auRoum,

depuisl'Occidentjaserqu'auxlimitesdel'Orient,danslesmontagnesetlesdéserts ,surlaterreetsurlesmers,

partoutj'aidétruitmesennemis,partoutjesuismaîtreetroi,etlemonden'aplusàcraindrelesméchants.Bien

desjoursontpassésurmatête;Dieum'adonnétoutcequejedésirais,quoiquemoncœurtoutentier,n'aitété

dévouéqu'àlavengeance.Maismonespritnetrouvepasdesécuritécontremespassions,ilpenseaumaletàlafoi

d'Ahriman.JedeviendraiméchantcommeZohaketDjamschid,jedeviendraicommeTouretSelm.D'uncôtéj'aiungrand-

pèrecommeKaous,del'autrejesuisdemaracedeTouran,pleinedemagie.CommeKaousetcommeAfrasiablemagicien,

quinevoyait,mêmeenrêve,quedusangetdelafraude,jedeviendraiunjourinfidèleàDieu,etlaterreur

envahira monesprit serein, la grâce de Dieu me quittera, je m'adonnerai àl'injustice et à la folie, enfin je

m'avanceraidanscesténèbresjusqu'àcequematêteetmacouronnetombentdanslapoussière,etilnemerestera

qu'unmauvaisrenomdanslemondeetunemauvaisefindevantDieu.Cettechairetcesjouescoloréespériront;mes

ossementsserontdispersésdanslaterre.Toutcequiestbienenmoidisparaîtraetseraremplacéparl'ingratitude

enversDieu,etmonâmedemeureraobscuredansl'autremonde.Quandunautreaurasaisimacouronneetmon trône,

quandmafortuneauradisparu,ilneresterademoiqu'unnommaudit,etlarosedemesfatiguespasséesserachangée

enépine.

Maintenantquej'aivengélesangdemonpère,quej'aibienordonnélemondeentier,quej'aifinisàmorttous

ceuxquileméritaientcommevicieuxetrebellesàlavoiedeDieu,qu'ilnerestepasunendroitdansledésertet

dansleslieuxhabitésquineconnaisselestitresdemahautefortune,quetouslespuissantsdelaterresontmes

sujets,sigrandsquesoientleurstrésors,sirichesquesoientleursjoyaux,maintenantquejerends moregrâceà

Dieu,quim'adonnécettemajestéroyale,cetterotationfavorabledesastresetcepouvoir,ilvautmieuxqueje

m'empressedeparaîtredevantDieu,avantquemagloires'évanouisse,espérantqu'ilvoudra,danscetétatdebonheur

etpendantquej'adoreensecretleCréateur,transportermonâmedansleséjourdesbons,puisqu'ilfautquecette

couronneetcetrônedupouvoirpérissent.Personnenepeutacquérirunnomplusgrand,mieuxsatisfairesesdésirs,

avoirplusdepouvoir,debonheur,dereposetdedignitéquemoi.J'aivuetj'aientendutoutcequiregarde le

monde,sonbonheuretsonmalheur,secretsouconnus,etj'aivuquel'homme,qu'ilcultivelaterreouqu'ilporte

unecouronne,finitparpasserparlamort.

Leroiordonnaàsongrandchambellanderenvoyertousceuxquiseprésenteraientàlacour,maispoliment,avec

tousleségardspossiblesetsansrudesse.IlfermalacourdesKeïanides,etallaensoupirant,etlesvêtementsen

désordre, selaverlatêteetlecorpspourlaprièreetchercherlavoiedeDieuavecleflambeaudelaraison.

Ensuiteilrevêtitunerobeblancheetneuve,pouradorerDieuavecuncœurpleind'espérance;ilserenditaulieu

desprièreseténonçadevantleJugebienveillantsespensées secrètes:Otoi quiesau-dessusdesâmeslesplus

saintes,quiascréélefeuetfaterresombre,dirige-moidonne-moidelasagesse,préservemonintelligence de

l'erreur.Jet'adoreraitantquej'existerai;j'essayeraidefairemieuxquejen'aifait;pardonne-moimespéchés

passés,donne-moilesoucidubienetdumal.ÉcartedemavielesmalheursdusortetlesrusesduDiv,quienseigne

toutmal,pourquelespassionsnedominentpasmonâmecommeellesontdominéKaous,ZohaketDjamschid.Quandle

Div me cache la porte de la vertu, quand ses mensongesacquièrent du pouvoir sur moi, éloigne de moi ses

machinations,pourquemonâmeneseperdepas.Conduis-laauséjourdesbons,etprendssoustagardemavoieetmon

honneur.

Il se tint debout, jour et nuit, pendant une semaine;soncorpsétaitlà,maissonâmeétaitautrepart.La

semaineterminée,ildevintsifaiblequ'ilneputplussetenirdanslelieudesprières;illequittalehuitième

jouretmontarapidementsurletrônedesrois.

LESGRANDSSEPLAIGNENTDECEQUEKHOSROUFERMESACOUR.

TouslesPehlewansdel'arméed'Iranrestèrentconfondusdecequefaisaitleroi,ettousceshommesillustres

dans les combats eurent chacun une idée différente. Lorsque le roiglorieux fut monté sur le trône, le grand

chambellan parut à laporte de la salle d'audience et ordonna qu'on levât le rideau etqu'on laissât entrer les

braves.Lesgrands,lesvainqueursdeséléphants,leshommesauvisagedelion,commeThous,Gouderz,levaillant

Guiv, Gourguin, Bijen et Rehham le lion, entrèrent, lesmains respectueusement croisées ; en voyant Khosrou ils

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l'adorèrent,ensuiteilsluidévoilèrentleurspenséessecrètes,disant:Oroi,ôhéros,ôhommevaillant,ôjuge,ô

maîtredumonde,ôpuissantparmilespuissants!Jamaisunroicommetoines'estassissurletrôned'ivoire;le

soleiletlacouronneempruntentdetoileursplendeur;c'esttoiquidonnesleurforceauxcuirasses,auxépéeset

auxchevaux,toiquiallumeslefeudubienheureuxAdergouschasp.Lesfatiguesnet'effrayentpas,lestrésorsne

t'amollissent pas,ettesrichessessontau-dessousdesfatiguesquetuaséprouvées.Nous,lesPehlewans,sommes

toustesesclaves;nousnevivonsqueparcequenoustevoyons.Tuasjetédanslapoussièretoustesennemis,etil

neresteplusdanslemondeunobjetdecrainteetdeterreurpourtoi.Lesarméesetlestrésorsdetouslespays

t'appartiennent,etchaquelieuoùtuplacestonpiedportelestracesdetestravaux.Nousnesavonspourquoiles

penséesduroisontdevenuessombresaumilieudecettefortune.Letempsdesjouissancesestarrivépourtoidansce

monde,etnonpaslemomentdessoucisetdudépérissement.Sileroinousenveutpourquelquechose,sisatristesse

estlasuitedenosfautes,qu'illedise,etnousrendronslajoieàsonâmeennousrepentantavecdeslarmesde

sangetdufeudanslecœur;ou,s'ilaensecretunennemi,queleroidelaterrenousl'indique;touslesrois

quiportentdescouronnesmettentl'honneurdeleurtrôneetdeleurdiadèmeàtuertesennemisouàperdreleurvie

unefoisqu'ilsontplacésurleurtélélecasquedesbraves.Queleroi?nousdisesonsecretetchercheavecnousle

remèdeàsonmal.

Leroiillustreleur répondit:OPehlewansquidemandezlavoieàsuivre!aucunennemidanslemondenemecause

desouci;aucundemestrésorsn'estdissipé;l’arméenemedonneaucunchagrin,etaucundevousn'acommisde

fauteenversmoi.Depuisquej'aivengémonpère,j'airétablipartoutlajusticeetlafoi,etilnerestepasune

poignéedeterrenoirequin'aitreçul'empreintedemonsceau.Mettezdoncvosépéesdansleursfourreaux,laissez

lacoupedominerleglaive;faitesretentir,aulieudubruitdesarcs,lesondesflûtesetdesrebecsaccompagnant

unbanquetpleindedélices.PendantseptjoursjemesuistenudeboutdevantDieuenméditantdespenséespieuses:

J’aiundésirsecret,jel'aisoumisauCréateuretjelediraiàtouslorsqu'ilm'aurarépondu,etqu'ilm'auradonné

sesordresquiconduisentaubonheur.Etvousaussi,allezadorer-Dieu;allezleprierdem'accordermondésiretma

joie,carc'estluiquidonnelepouvoirsurle-bienetlemalàceuxauxquelsilmontrelavoie;ensuitelivrez-

vousàlajoieetnesoupçonnezpasdemalenmoi.SachezqueleCiel,quines'arrêtejamais,neconnaîtnisujetni

roi;ilnourritlesjeunesetlesvieux,ettoutcequinousarrivedejusteoud'injustenousvientdelui.Les

Pehlewans quittèrent le roi, remplis de douleur et d'incertitudes,et Khosrou ordonna au grand chambellan de

s'asseoirderrièrelerideaudelasalled'audience,etdenelaisserentrerpersonneauprèsdelui,nidesétrangers

ni ses familiers. A la nuit il serendit au lieu de ses prières et ouvrit les lèvres devant Dieu lejuste, le

Seigneur,disant:Otoi quiesplusgrandquelesplusgrands,quifavorisesceuxquisontpursetbons,soismon

guideversleciel,pourquejepuissequitterceséjourpassagersansquemoncœursesoittournéverslemal,etde

manièrequemonâmetrouveuneplacedansleséjourdesheureux.

LESIRANIENSAPPELLENTZALETRUSTEM.

Unesemaines'étantpasséesansqueleroisefûtmontré,onentenditdesmurmuresetdesparolesconfuses.Tous

l e sPehlewans, les grands, les hommes sages et de bon conseil, commeGouderz, et Thous fils de Newder,

s'assemblèrent,etparlèrentlonguementdecequiestjusteetinjuste,decequ'avaientfaitlespuissantsrois,tant

ceuxquiadoraientDieuqueceuxquiétaientméchants.Lesgrandsetlessagesayantainsirappelélesactionsdes

rois,lepèredeGuivditàsonfils:Otoi quelafortunefavorise,toiquiastoujoursrévéréletrôneetla

couronne,toiquiassupportétantdefatiguespourl'Iran,quiasquitté silongtempstonpaysettafamille,voici

une affaire ténébreuseet que nous ne devons pas négliger. Il faut que tu ailles dans leZaboulistan auprès du

SipehdardeKaboul,etquetuportesàZaletàRustemcemessage:LeroisedétournedeDieuets'égare.Ilafermé

saporteauxgrands,etnouscraignonsqu'ilnes'associeauDiv.Nousluiavonsexposénosregretsetnosprières;

nous l'avonsimploréd'agirenversnousselonlajustice.Ilnousaécoutéslonguementetn'apasrépondu;nous

voyonsquesonâmeesttroubléeetsoncœurremplidevent;nouscraignonsqu'ilnesepervertissecomme le roi

Kaous,etqueleDivneledétourneduchemindroit.VousêtesdesPehlewans,lesplussagesdeshommesetlesplus

puissantspouragirentoutechose.MaintenantrassemblezdeKanoudjetdeDambar,deMarghetdeMaïtousleshommes

debonconseil,etlesastrologuesdeKabouletlessagesduZaboulistan,etamenez-lesavecvousdansl'Iran;carce

royaumeestpleinderumeursdepuisqueKhosrounousrefuseaccèsetconseil;nousnoussommesconsultésdetoute

manièreetnousn'espéronsunesolutionqueduDestan.

Guiv,ayantécoutélesparolesdeGouderz,choisitdansl'arméedeshommesvaillants,et,pousséparsessoucis,

sehâta.desemettreenroutepourleSéistan.Lorsqu'ilfutarrivéauprèsduDestanetdeRustem,illeurracontales

chosesétrangesqu'ilavaitvuesetentendues.Zaldevintsoucieuxetréponditàl'illustreGuiv:C'estungrand

malheurquinousarrive.EnsuiteilditàRustem:AppelleduZaboulistanlessages,lesastrologuesetlesMobeds,

etfais-lesveniràKaboul,pourqu'ilsnousaccompagnent.TousceshommesseréunirentauprèsduDestan,etilsse

mirentenrouteensemblepourl’Iran.

Khosroucependants'étaittenutouteunesemainedeboutdevantDieuetlehuitièmejour,lorsquelesoleil qui

éclairelemondeseleva,ilmontasursontrôned'or,etlegrandchambellanouvritlerideaudelaportede la

salled'audience.TouslesPehlewansetlesMobedsseprésentèrentdevantleroidelaterre,etlemaîtredumonde,

lorsqu'illesvit,lesreçutgracieusementetleurassignaleursplacesselonlacoutumedesKeïanides.Lesgrands

pleins de sagesseet de bons conseils se tinrent longtemps debout devant lui ;personne parmi ces serviteurs

illustresduroines'assit,tousgardèrentleursmainscroisées.Àlafinilsouvrirentleslèvresetdirent:Oroi

desMobeds,quiporteshautlatête,toilejusteàl'âmesereine,lepouvoiretlamajestédelaroyautésontàtoi

;tout,depuislesoleiljusqu'audosdupoissonquisupportelaterreestàtoi.Tonespritclairconnaîttoutce

quiexiste;adresse-nousdesparolesdesagesse;noustoussommestesesclaves,deboutdevanttoi,tesPehlewans,

tessagesconseillers.Qu'ilplaiseauroidenousdirequellefautenousavonsfaiteetpourquoiilnousexclutdesa

présence.Depuislongtempsnoscœurssontpleinsdetourmentsetd'affliction.Queleroidécouvresonsecretànous,

lesgardiensdesesfrontières,ànous,quinesavonsplusquellevoiesuivre;etsic'estlamerquil'importune,

nousladessécherons,nouslacouvrironsd'unecouchedepoussièredemusc;sic'estunemontagne,nousl'arrache-

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feronsdesesfondements,nousperceronsdenospoignardslecœurdesennemisduroi.Sidestrésorspeuventguérir

sonmal,iln'auraplusjamaisàs'affligerdumanquederichesses,carnoustoussommestestrésoriers;noussommes

tousremplisdetristesse,noustouspleuronssurtespeines.

Lemaîtredumonderépondit:JenesuisjamaissansavoirbesoindemesPehlewans;moncœurn'estaffligénipar

ladiminutiondesforcesdemamain,nipar lacraintedeshommes,niparlemanquedetrésors;aucunennemin'a

paru dans mes provinces, et je n'ai à avouer aucune crainte dece genre. Mais mon cœur a conçu un désir qui ne

cesseraplusdansmonâme.Pendantlanuitsombre,jusqu'àcequelejourbrillantparaisse,jem'occupedel’espoir

d'accomplircedésir,et,letempsvenu,jevousdiraimonsecret,jedévoilerailescrismystérieuxdemon âme.

Retournezchezvous,heureuxdevosvictoires,etnedonnezpasaccèsdansvoscœursàdemauvaisespensées.Tousles

Pehlewans,ceshommesnobles,luirendirentleurshommages,latristessedansl'âme.

KEÏKHOSROUVOITENRÊVELESEROSCH.

Lorsqu'ils furent partis, le roi vigilant ordonna debaisser le rideau de la salle d'audience et s'assit en

pleurantdanssadouleur,setordantetlesjouespâles.IlserenditdevantDieu,lemaîtresuprême,etlepriapour

qu'illeguidât,disant:OCréateurduciel,sourcedetoutbien,detoutejustice,detoutamour!cetteroyauté

n'aaucunevaleurpourmoi,sileSeigneurn'estpascontentdemoi.J'aifaitbeaucoupdebienetbeaucoupdemal,

accorde-moicependantuneplacedansleparadis.

C'estainsiqu'ilrestadeboutpendantcinqsemainesenimplorantleMaîtredel'univers.Durantunenuitsombre

sespeinesnelaissèrentaucunreposauroi;aumomentoùlaluneparutauciel,ils'endormit;maissonesprit,

quiavaittoujoursl'intelligencepourcompagne,nedormitpas.IleutunrêvependantlequellebienheureuxSerosch

lui dit à l'oreille ces parolessecrètes: O roi à l'étoile heureuse, favori de la fortune, tu as usé bien des

colliers,desacouronnesetdestrônes.Maintenantquetuasobtenutoutcequetudésirais,situétaisenlevé

soudaindecemonde,tutrouveraisuneplacedanslademeureduJugesuprême;nerestedoncpassur cetteterre

sombre. Quand tu distribuerastes biens, donne tes trésors à ceux qui en sont dignes ; laisse àd'antres cette

demeurepassagère,enrichislespauvres,rendsjoyeuxceuxquitesontdévoués.

Quiconqueéchappeàlagueuledudragondoitêtremisàl'abridesgriffesdumalheur;quiconqueasupportédes

fatiguespourtoi,sachequ'ilnelesasupportéesquedansl'espoirdegagnerdesrichesses.Quandtupartiras,fais

deslargessesauxIraniens,cartuneresteraspluslongtempsici.Choisispouroccuperletrôneunroiquiprotège

touteslescréaturesjusqu'àlafourmi,etquandtuaurasdisposédumonde,netereposepas,carlemomentdeton

départarrive.

Quandleroi,quiavaitéprouvétantdefatiguesdanssavie,seréveilla,ilvitquelelieudesprièresétait

inondéd'untorrentdeseslarmes;ilrecommençaàpleurer,posasonfrontsurlaterreetadressaseshommagesau

Créateur,disant:Sijemeurssoudain,j'auraiobtenudeDieutoutcequedésiremoncœur.Ilmontaalorssurson

trône,siègedelaroyauté,serevêtitd'unerobequin'avaitjamaisservi,ets'assitsurletrôned'ivoire,comme

lemaîtredumonde,maissanscollier,massuenicouronne.

ZALFAITDESREPRÉSENTATIONSÀKEÏKHOSROU.

AlafindecettesemaineZaletRustemarrivèrentenfin,lecœurpleindetristesse.QuandlesIranienseneurent

lanouvelle, ils s'empressèrent d'aller à leur rencontre, tous l'âmeulcérée, et lorsque Rustem et Zal parurent,

accompagnésdeleursMobedsaccomplisdanstouteslesvertus,tousceuxquiétaientdelafamilledeZeraspfirent

caparaçonnerleurschevauxpourlesrecevoir;demêmeThous,quiportaitledrapeaudeKaweh,ettouslesgrandsaux

bottinesd'or.LorsqueGouderzfutarrivéprèsdeTehemten,deslarmesdesangcoulaientdesescilssursesjoues;

toutel'armées'avança,touslesvisagesétaientpâles,touslescœursnavrésetdésolésàcausedeKhosrou;les

IraniensdirentàZaletàRustem:Leroiaétéégaréparlesconseilsd'Iblis.Toutesacourestrempliedeson

armée,maisdepuisbiendesjoursetdesnuitspersonnen'apulevoir.Chaquesemaineonouvre unefoislaportede

lasalled'audience,etnousyallonsetnousentrons;maisetKhosroun'estplusceroi,ôPehlewans,quevousavez

vuheureuxetl'espritserein.Satailledecyprèsestcourbée,etlaroseauxcouleursbrillantesdesonbonheurest

cueillie.Jenesaisquelmauvaisœilesttombésurlui,etpourquoicettefleurfraîches'estfanée.Est-cequela

fortunedesIraniensseraitobscurcie,oulesastresvoudraient-ilsperdreleroi?

LevaillantZalleurrépondit:Ilparaîtqueleroiestlasdutrône.Tantôttoutvabiendanslavie,tantôttout

nousestcontraire,tantôtnoussommesdanslebonheur,tantôtdanslemalheur;maisn'abandonnezpasainsivotre

cœurauxsoucis,carlessoucistroublentl'âmesereine.Nousferonstousnosefforts,nousdonneronsdesconseilsà

Khosrou,etnosconseilsluirendrontfavorableslesastres.Lesnouveauxarrivésserendirententoutehâteàla

cour;onouvritàl’instantlerideaudelaporteetonlesadmitavecplaisir,dansl’ordredeleur rang.D'abord

le Destan, et Rustem au corps d'éléphant,puis Thous et Gouderz et leurs compagnons, ensuite Gourguin, Bijen,

Gustehemettousleshérosqu'ilsamenaient.

Leroidesrois,envoyantlevisageduDestanetenentendantsouslerideaulavoixdeRustem,selevaplein

d'étonnementdesontrône,leurfitlesquestionsd'usageensetenantdeboutetleurtendantlamain;iladressala

parole à chacun des sages qui étaient venus deKaboul, de Kanoudj, de Dambar et du Zaboulistan, les reçut

gracieusementetassignaàchacunsaplaceselonlamanièredesKeïanides;ensuiteildonnadesplacesd'honneur,

d'aprèsleursrangs,àtouslesIraniensquiétaiententrés.

Zalluiadressaseshommagesàplusieursreprises,disant:Puisses-tuvivreheureuxaussilongtempsqu'ilyaura

desmoisetdesannées!DepuisletempsdeMinoutchehrjusqu'àKeïkobad,depuiscestroisillustresdontnousnous

souvenonsdepuisZewfilsdeThamaspetKeïKaous,depuistouscesroispuissantsdontlestracésétaientfortunées,

depuisSiawusch,quiétaitpourmoicommeunfils,quiétaitunprincepleindemajesté,degrandeuretdegloire,

nousn'avonspasvuunroiaussisage,aussiillustre,aussifavoriséparlagrâcedeDieuquetoi.Puissetaroyauté

dureréternellementpartesvictoires,partabravoure,partabontéettasagesse!Tuasparcourulemondepoury

répandrelajustice;maintenant,àtonretour,jouisdetavictoire.Quelestleroiquinesoitpasdelapoussière

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soustespas,quelestlepoisonquetonnommeguérissepas?

Maisj'aiapprisunechosequin'estpasconvenable,etjesuisaccouruaussitôt:unhommeestvenudel'Iranme

direqueleroivictorieuxaordonnéaugrandchambellandeneplusouvrirlerideaudelasalled'audience,etde

nouscachersonvisageroyal.JesuisaccouruaucridedouleurdesIraniens,commeunaigle,commeunvaisseausur

l'eau,pourdemanderauroidumondequelestsonetsecret.Lesastrologuesetlesgouverneursdesprovinces,les

chefs de tous les pays que je connaisse Kanoudj, deDambar, de Margh et de Maï sont arrivés avec leurs tables

astronomiquesindiennespourapprofondirlesecretducieletsavoirpourquoiilrefusesesfaveursàl'Iran.Ilfaut

troischosespourmenerbonnefintouteaffaireetpourpréserverdetoutmalletrônedesrois,cesont:untrésor,

letravailetdeshommesvaillants;horsdelàiln'yanihonneuràgagnernibatailleàlivrer.Ensuiteilreste

unquatrièmepoint:c'estd'adorerDieu,deprierdevantluijouretnuit,carilvientenaideàsesserviteurset

repousseceux,quipourraientlesperdre.Nousferonsdeslargessesauxpauvres,nousdonneronscequenousavonsde

plus précieux, pour que Dieutranquillise ton âme, pour qu'il protège ton esprit par la raisoncomme par une

cuirasse.

KEÏKHOSROUREPONDÀZAL.

KhosrouécoutacesparolesduDestan et luiréponditparunsagediscours.Illuidit:Ovieillardàesprit

clair,tesparolesettesconseilssontbienveillants.DepuisletempsdeMinoutchehrjusqu'àcemomenttuasvécu

sanstourmenteretsanssoupçonnerpersonne;etl'illustreRustemaucorpsd'éléphant,lesoutiendesKeïanides,les

délicesdel'armée,aélevéSiawuschetn'ajamaislaisséarriverjusqu'àluiquelebien.Maintefoisunearméeen

voyantsamassue,satêted'éléphant,lacrinièredesonchevaletsonbras,s'estenfuiesanscombattre,ensemant

lesflèchesetlesarcsdanslesvalléesetsurlesplaines,etc'estainsiqu'ilamarchédevantmesancêtres,quand

ils allaient aucombat,commeunguidequiportebonheuretmontrelechemindelavictoire.Sijerappelaistes

glorieusesfatigues,j'auraisquelquechosedenouveauàdirependantcentgénérations,etpourtantsil’oncomparait

meslouangesavecteshautsfaits,ellesparaîtraientpresqueunblâme.

Quantàlaquestionquetum'asadresséesurmestractions,surmesmalaisesetmacourfermée,jevaistedire

tout,pourquetulesaches,ôhéros!MondésiruniqueestdirigéversDieu;j'airenoncéaumondeavecmépris;je

metiensjouretnuitdeboutenprière,suppliantleJugeetleGuidesuprêmequ'ilmepardonnemespéchéspasséset

qu'iléclairemarouteobscure;qu'ilm'enlèvedecettedemeurepassagère,qu'ilneréservepluspourmoidesfêtes

etdesfatiguesdanscemonde;qu'ilm'accordeunséjourheureuxdanslesjardinsduparadisetqu'ilmeguidevers

lebien.Ilnefautpasquejem'écartedecettevoiedroiteetquematêtes'égarecommecelledesroisanciens.J'ai

demandéetobtenubeaucoupdanslemonde,maisilfautquejemeprêtepareaudépart,carlesbonnesnouvellessont

arrivées. Hier matinmesyeuxsesontendormisetlebienheureuxSeroschestarrivé,envoyéparDieu,redisant:

Prépare-toi,lemomentdetamortestproche,ettesmalheursettesinsomniessontterminés.Monrègneetlessoucis

del'empire,delacouronne,dutrôneetdelaceintureroyalesontfinis.

LecœurdesIraniensétaitaffligéparleroi;ils setroublaientetleuresprits'égarait.Zal,àcesparolesde

Khosrou,semitencolère,poussaungrandsoupiretditauxIraniens:Cecin'estpasbien.Iln'yapasdeplace

pourlaraisondanscecerveau.Depuisquejeportelesarmes,jemesuistenudevantletrônedesKeïanides,mais

jamaisjen'aivuunroiquiaitparléainsi;etpuisqu'ilnousaparléfranchement,ilnefautpasnoustaire,il

nefautpasdonnernotreapprobationquandilfaitdesdiscourspareils.JecrainsqueleDivnel'aitinspiré et

n'aitdétournésatêtedelavoiedeDieu.FeridounetHouscheng,lesadorateursdeDieu,n'ontjamaisportélamain

surcetarbredumal.Jevaisluidiretoutelavérité,quandmêmejedevraisenperdrelavie.

LesIraniensluirépondirent:JamaisunKeïaniden'aproférédesparolescommelui,etnousappuieronstoutceque

tudirasàKhosrou.Puisse-t-ilnepasabandonnerlescoutumesetlavoiedesrois.

ZALFAITDESREPROCHESÀKEIKHOSROU.

Zal,àcesparoles,semitdeboutetdit :OKhosrou,lenoble,lejuste!écoutecequeditunvieillardquiade

l'expérience;sisonavisestfaux,nelesuispas;maissisaparoleestamèreetvraie,siellefermelaporteà

laperversitéetalaruine,nem'enveuillepasdecequejeparlesifranchementdevantcetteassemblée.Tamère

t'amisaumondedanslepaysdeTouran;c'estlàqu'ontététonberceauettademeure.D'uncôté,tuespetit-fils

d'Afrasiab,quinevoyaitquedelamagie,mêmeenrêve.Kaous,leméchant,étaittongrand-père;sonvisageétait

plein derides,etsoncœurremplidefraudes.Sonpouvoir,sontrône,sacouronneetsaceintureétaientrévérés

depuis le levant jusqu'aucouchant;maisilvoulaits'éleverau-dessusducieletcompter tous les cercles dans

lesquelssemeuventlesastres.Jeluiaidonnébeaucoupdeconseilslà-dessus,jeluiaiparléavecamertume,ila

écoutélesconseilsetn'enapasprofité,etjemesuisdétournédelui,blesséetpeiné.Quandils'estélevédans

l’air,ilafaitunechutedanslapoussière;Dieuletrèssaintluiafaitgrâcedelavie,etl'ingratestrevenu

latêtepleinedepoussière,lecœurremplidel’erreur.

Tuesvenudansl’IranetasrangésurlesplainesduKharezmcentmillehommesarmésd'épées,couvertsdecottes

demailles,tenantenmaindesmassuesàtêtedebœuf,prêtspourlecombatcommedeslionsféroces;ensuitetues

sortiduetfrontdel'arméepourlebattre,tuesalléàpiedau-devantduvaillantPescheng;etpourtantlemonde

n'étaitpasdépourvudehérosportantdesmassues,pourqu'ilt'aitfalluplacersurlatêtetoncasquedecombat.

CarsiPeschengt'avaitvaincu,tuauraisdonnéaccèsdansl'IranaupuissantAfrasiab;lesfemmesetlesenfants

desIraniensneluiauraientpaséchappé,etpersonneneluiauraitrésisté.Dieut'afaitsortirsainetsaufdes

mainsdePescheng,ilaeupitiédetoietafaitréussirtesplans.Tuasmisàmortquiconqueinspiraitdela

terreuretn'adoraitpasleSeigneurdistributeurdelajustice.

Lorsquenousdisionsquelemomentétaitarrivépourlerepos,pourleshabitsdefête,pourlesprésentsetles

coupesdevin,lestempssontdevenusencoreplusdifficilespourlesIraniens,lesmauxplusgrands,lescœursplus

affligés.MaintenanttuasabandonnélesvoiesdeDieuetasprisdesvoiestortueusesdumal,quineteporteront

pasprofitetneplairontpasauCréateurdumonde.Sitelleesttonintention,ôroi,personnenesegrouperaautour

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detoipourt'obéir,ettut'enrepentiras;réfléchisetnefaispaslavolontéduDiv;carsitusuissesvoies,le

Maître del'univers t'arrachera ta majesté royale, tu resteras accablé depeines et de péchés, et personne ne

t'appelleraplusroi;c'estauprèsdeDieuqu'estl'asile,vadoncàlui,c'estluiquidisposedubonheuretdu

malheur.Siturejettesentièrementmesconseils,situtefiesàAhrimanleméchant,personnenetesalueraplus;

ilneteresteranifortune,nihommagesroyaux,nicouronne,nitrône.Puisselaraison guidertonâme,puisseton

cerveauêtrepréservéd’égarementpardespenséessaintes!

LorsqueleDestaneutcessédeparler,leshérosdirentd'uneseulevoix:Noustousapprouvonslesparolesdu

vieillard;ilnefautpascacherlaportedelavérité.

RÉPONSEDEKEÏKHOSSOUETREPENTIRDEZAL.

KeïKhosrouécoutalediscoursduDestan,etsecontintpendantuntempsenétouffantseslarmes,ensuiteildit

gravement:OZal ,hommepleind'expérience,toiquiasvécudesannéesinnombrablesenmontranttouteslesvertus

d'un homme, si je te parlais sévèrementdevant toute l'assemblée, Dieu n'approuverait pas que je tetraitasse

durement,ensuiteRustemenseraitaffligé,etl'Iranauraitàsouffrirdesadouleur.EtRustemestunhommetel,que

sij'énuméraistouteslesfatiguesqu'ilasupportées,ellesdépasseraienttoutessesrichesses;ilafaitdeson

corps unbouclier pour moi, et n'a laissé à mes ennemis ni sommeil nijouissance. Aussi vais-je te répondre

doucement,etnepasbrisertoncœurparmesparoles.

Ensuiteilditàhautevoix :Ohérosàlafortunevictorieuse,j'aiécoutétoutcequeleDestanaditdevantmes

sujets!JejureparDieu,leseigneur,lemaîtredumonde,quejesuisloindesvoiesduDiv.Toutemonâmetend

versDieu,c'estlàquechercheleremèdeàmessoucis.J'aiobservéce-mondeavecunespritserein,etlaraisona

étélacuirassequim'apréservédesesmaux.

Alorsils'adressaàZal,disant:Netelaissepasalleràlapassion;metsdelamesuredanstesparoles.Tuas

ditd'abordquejamaisunhommedesensetderaisonn'étaitsortidelaracedeTouran.Jesuislemaîtredumonde,

filsdeSiawusch,jesuisunroidelafamilledesKeïanides,etnesuispasuninsensé.Jesuislepetit-filsdu

maitre du monde, Keï Kaous, du roi fortuné,plein de sagesse, qui a fait les délices des hommes. Par ma mère

j'appartiensàlafamilled'Afrasiab,dontlahainem'aprivédelafaimetdusommeil,d'Afrasiabquiétaitpetit-

filsdeFeridounetfilsdePescheng.Jen'aipasàrougirdemarace,carleslionsdel'Iransesontréfugiéssur

lesbordsdelamerdepeurd'Afrasiab.Ensuitetum'asrappeléqueKaousafaitpréparerunecaisseatteléed'aigles

etqu'ilavoulus'éleverau-dessusdesonrangderoi;maissachequemêmelespluspuissantsnes'emportentpas

contrelesrois.

Quantàmoi,puisquej'aivengémonpère,soumislemondeparmesvictoires,misàmortquiconqueméritaitun

châtimentoufaisaitpesersurlaterrel'injusticeetlatyrannie,jen'aiplusrienàfairedanslemonde,carla

dominationdesméchantsestfinie.Toujours,quandjeréfléchisprofondémentsurlaroyautéetcettedominationqui

duredepuistantdetemps,jecrainsdedevenircommeDjamschidetKaous,etdeperdrecommeeuxlaraison,oucomme

Zobakl'impuretlevaillantTour,quiontfatiguélemondeparleuroppression.Jecrainsqueletemps,enamenant

laglacedelavieillesse,nem'emmène,commeeuxversl'enfer.

Ensuitetum'asreprochéd'avoircombattuSchidehcommeunléopardpleindecourage;or,jel'aifaitparcequeje

nevoyaisdansl'Iranaucuncavalier,aucunhommequipûtlancersonchevaldanslabataille,quiauraitvouluse

mesureravecluitoutseul,ouqui,s'ils'étaitélancépourlecombat,n'auraitdenouveauhésité.Touthommesur

quinereposaitpasunedignitédonnéeparDieu,ouàquilesastresn'auraientpassouri,n'eûtétédanslamainde

Schidehqu'unepoignéedepoussière;c'estpourquoijel'aicombattuenpersonne.Depuiscinqsemainesj'ouvremes

lèvresjouretnuitpouradorerDieu,pourquelemaîtredumonde,letrèssaint,medélivredemessoucisetdu

séjoursurcetteterresombre.Jesuislasdemonarmée,demontrôneetdemacouronne;jesuisimpatientdepartir

etj'aifaitmebagages.Toi,ôvieuxetsageDestan,filsdeSam,tudisqueleDivm'atenduunpiège;maisjene

mesuispaségarédanslesténèbresetlesdétoursduchemin,monâmequiestépuiséeetmoncœurquiestvide.Jene

saispasoùtutrouvesdansmavielespunitionsdeDieuetlesmalheursdusort.

Acesparoles,le Destanfutconfonduetsesyeuxsetroublèrent.Ilselevaenpoussantuncri,etrestadebout,

s'écriant:Oroi ,adorateurdeDieu!j'aiparléàlahâteetcommeuninsensé;tuesunsaintetunsagebénide

Dieu.Puisses-tumepardonnerlafauteàlaquellem'aentraînéleDiv!Pendantdesannéesinnombrablesjemesuis

tenudevantlesrois,ceintpourleurservice;maisjamaisjen'aivuunroidemanderdecettemanièreàDieu,le

créateurdusoleiletdelalune,lavoieàsuivre.Khosrouestdevenunotreguide,puisselemalheurresterloinde

lui ! J'aurais voulu ne pasme séparer de toi ; ma raison en est témoin pour mon âme troublée ;cependant ta

résolutiondenousquitter doitprévaloirdansl'Iran,auprèsdetouslesamisduroi,surlapeinequ'elle leur-

donne.Maisnousnedésirionspasnousséparerdetoi,ôKhosrou,notrejusteetbienveillantmaître!Quandleroi

eutentendulesparolesduDestan,ilapprouvalesexcusesdesonvieilami;ilétenditsamain,saisitcelledeZal

etleconduisitsurletrôneàcôtédelui,carilsavaitqu'iln'avaitparléainsiquepartendressepourleroiau

visagedesoleil.

KHOSROUANNONCEAUXIRANIENSSESDERNIERESVOLONTÉS.

Ensuite le roi dit à Zal-Zer : Maintenantapprêtez-vous tous, toi, Rustem, Gouderz, Guiv et tous les hommes

illustresetvaillants;faitestransporterhorsdelavilledestentes;emportezdanslaplaineledrapeauimpérial

;preneztouteslestentesgrandesetpetites,etpréparezunendroitpourvotredemeuredanslaplaine;prenezles

drapeauxdesgrands,deséléphantsetuncortège,etétablissezgaiementuncamp.Rustemfitcequeleroiavait

ordonné ; on tira des magasinsles tentes et on les emporta, et les Iraniens se rendirent tous dansla plaine,

obéissantàl'ordredeKhosrou.Lesolsecouvritd'unemontagneàl'autredetentesblanches,noires,violetteset

bleues;aumilieus'élevaitledrapeaudeKaweh,quijetaitsurlaterresesrefletsrouges,jaunesetviolets.

Auprès ducampement du roi se trouvait celui de Zal, surmonté d'un drapeaunoir ; à sa gauche était le Pehlewan

Rustem,aveclesgrandsdeKaboulàl'espritserein;au-devantducampduroiétaientcampés.Thous,Gouderz,Guiv,

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Gourguin,SchapouretlevaillantKhorrad;derrièrelui,BijenetGustehem,aveclesgrandsquiraccompagnaient.

Leroidesroiss'assitsurletrôned'or,ayantenmainunemassueàtêtedebœuf;d'uncôtésetenaientZalet

Rustem,semblablesàunéléphantquiportehautlatêteetàunlionféroce;del'autrecôté,Thous,Gouderz,Guiv,

Rehham,SchapouretGourguinlebrave,ayanttouslesyeuxattachéssurluietattendantcequ'ildécideraitsurle

sortdesonpeuple.Alorsleroiditd'unevoixforte:Ohommes illustres,favorisdelafortune,quiconqueadu

sensetdel'intelligencesaitquelebienetdemalnedurentpas;noustoussommesnéspourmourir,etlemondeest

fugitif:pourquoidonccettetristesse,cessoucisetcespeines?Pouvons-nousemporterquelquechosedanschacune

denosmains?Nousdevonstoutlaisserànosennemisetpartirnous-mêmes.Aujourd'huilebutdemesfatiguesest

atteint,maisd'autresrécompensesetd'autresrétributionsrestentdevantmoi.CraigneztousDieuletrèssaint,ne

vousattachezpasàcetteterresombre;carcejourpasserasurnous,etletempscomptechacunedenospulsations.

DeHouscheng,deDjamschidetduroiKaous,quionttousjouidutrône,deshonneursroyauxetdelacouronne,ilne

restedanslemondequedesnoms,etpersonnenelitlesordonnancesdesmorts.Beaucoupd'entreeuxontétéingrats

enversDieu,et,àlafin,ontdûtremblerdevantleursmauvaisesactions,lesuiscommeeuxunesclavedeDieu,et

quoiquej'aiepassémaviedanslesluttesetlesfatigues,quej'aiefaitbiendeseffortsetsupportébiendes

peines,jemourrai, car j'ai vu que personne ne reste ici, et maintenantj'aidétachémoncœuretmonâmedece

séjourdepassage,j'enaifinidemessoucisetdemestravaux;j'aiobtenutoutcequej'aidésiré,etjedétourne

mesyeuxdutrônedesKeïanides.

Ceuxquiontsupportédesfatiguesdansmonservice,jeleurdonnetoutcequ'ilsveulentdemestrésors.Ceuxà

quijedoisdelareconnaissance,jeraconteraileursactionsdevantDieu,quiconnaîtcequiestbien.Jedonneaux

Iranienstoutcequej'aideprécieux,mesarmes,monor,mestrésorstramasses;quiconqueestpuissantparmivous,

jeluidonneuneprovince;jemesouviendraidetoutesmestonnesd'or,demesesclavesetdemeschevaux, j'en

apporterailalisteetjelesdistribuerai,carjesuisprêtpourledépart,etmoncœurs'estdétachédesténèbres

decettevie.Maisvous,portezunemainjoyeuseaufestinetlivrez-vousauplaisirpendantunesemaine.PriezDieu

quejetrouvedélivrancedecettedemeurepassagèreetquejepuissemereposerdemesfatigues.

LorsqueKeïKhosrouleureutdonnécesconseils,leshérosdel'Iranrestèrentconfondus.L'undit:Ceroiest

possédéduDiv,etlaraisonestdevenueétrangèreàsonespritJenesaiscequiluiarrivera,etoùcetrôneet

cettecouronnetrouverontsécurité.Ilssedispersèrentpargroupes,etlesplaines,lesvalléesetlesmontagnesse

remplirentd'hommes.Lebruitdesflûtesetlescrisdeschevauxdanslaplainefurenttelsquetuauraisditqu'ils

perceraientleciel.C'estainsiqu'ilsselivrèrentauxfêtespendantunesemaine,etpersonneneserappelaitplus

seschagrinsetsesfatigues.

KHOSROUINDIQUEÀGOUDERZSESDERNIERESVOLONTÉS.

Lehuitièmejourlerois'assitsursontrône,sanssoncollier,samassueetsoncasquedeRoum.Commeletempsde

sondépartapprochait,onouvritlaported'undesestrésors.Aussitôtquelaportedecenobletrésorfutouverte,

le roi donna à Gouderzfils de Keschwad ses instructions, disant : Observe ce qui se passedans le monde, non

seulementcequisepasseaugrandjour,maiscequisefaitensecret.Ilyauntempsoùilfautamasserpéniblement

destrésors,etuntempsoùilfautlesdépenser.Aiesoindespostesfortifiésetdespontssurlesfrontièresde

l'Iran,quisontenruines,etdesréservoirsd'eaudansl'Iran,quiontétédétruitspendantlesguerresd'Afrasiab

;recherchelesenfantssansmère,lesveuvessansabri,lesvieillardsquisontdanslebesoinetquicachentleur

misère;ouvrepoureuxlaportedutrésor,soisgénéreuxenverseuxetcrainslamauvaisefortune.Ensuiteprendsun

autre de mes trésors, celui qu'on appelle Badawer,et qui est rempli de couronnes, de joyaux et de pierreries,

emploie-ledanslesvillesdévastées,quisontdevenuesdestanièresdeléopardsetdelions;danslesendroitsoù

ilyadestemplesdufeudésertsetsansprêtres,etpoursecourirleshommesinfirmesquiontdépenséleurfortune

dans leurs jours dejeunesse;enfintureconstruirasaveccenobletrésorlespuitsquisontsanseaudepuisun

nombred'années.Traitel'argentcommeunechosevile,etpenseàlamort.

EnsuiteilprescrivitàGouderzdeprendreletrésorappeléArous,queKaousavaitamassédanslavilledeThous,

etdeledonneràZal,àGuivetaumaîtredeRaksch.Ilfitcomptertouteslesrobesqu'ilpossédait,lesregardaet

enfitprésentàRustem,demêmequedescolliersetdeschaînesqueportentleshéros,descuirassesetdelourdes

massues.Touslestroupeauxdechevauxqu'ilpossédait,etquipaissaientenlibertédansdeslieuxquelconques,il

lesdonnaauSipehbedThous.IlfitprésentàGouderzdetoussesparcs,desesjardinsetdequelquespalaisqu'il

nomma.Touteslesarmesdontils'étaitservi,desarmesprécieusesdanslesquellesilavaitsouffertlesfatiguesde

laguerre,onlesremitauvaillantGuiv,lorsqueKhosroufutlas dutrône.IldonnaàFeribourzfilsdeKaousle

restedesespalais,sestentesgrandesetpetitesetleursenceintes,sesécuriesetlesbêtesqu'ellescontenaient.

Ensuiteilpritunecuirasse,uncasque,une couronned'or,unechaîneplusbrillantequeJupiter,etdeuxanneauxde

rubisétincelantssurlesquelsétaitgravélenomduroidelaterreetquiétaientconnusdumondeentier,etles

donnaàBijen,disant:Prends-lescommeunsouvenir,etnesèmejamaisquelasemencedubien.

EnfinilditauxIraniens:Montempsarriveetmesvœuxvontêtreexaucés.Quechacundevousmedemandecequ'il

désire,carlemomentestvenuoùcettecourvaêtredispersée.Touslesgrandsétaienttristesetenlarmes;ilsse

consumaientdedouleurparcequ'ilsallaientperdreleroidesrois,etchacunsedit:AquiKhosroulaissera-t-il

l'héritagedutrône?

ZALDEMANDEAKHOSROUUNEINVESTITUREPOURRUSTEM.

LorsqueZal,ledévouéserviteurduroi,entendit cesparoles,ilbaisalaterre,serelevaetdit :Omaîtredu

monde!jenepuistecachermondésir.TusaistoutcequeRustemafaitdansl'Iran,danslescombats,dansles

fatigues,danslesdangersetdanslesguerres.LorsqueKeïKaousalladansleMazandéran,paruneroutelongueetun

chemindifficile,etquelesDivsl'eurentenchaîné,lui,ThousetGouderz,quiportehautlatête,Tehemtenpartit

seul,aussitôtqu'ilreçutlanouvelle,sedirigeaentoutehâteversleMazandéran,forçaavecmillefatigueset

mille dangers le passage à travers des déserts, des ténèbres, des Divs, des lions, desmagiciens et des dragons

terribles,etarrivaauprèsduroi.IldéchiralecôtéduDivblancetlesreinsdeBidetd'AuladfilsdeGhandi;il

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coupad'unseulcouplatêteàSendjeh,etsescrisdetriomphemontèrentjusqu'auxnuages.Ensuite,quandKaousfut

revenudansleHamaveran,onlechargeadelourdeschaînes,etavecluiThous,GouderzetGuiv,sesvaillantset

sageschampions.Tehemtensemitenrouteavecunegrandearmée,avecdeschefschoisisdansl'IranetleZaboulistan,

et délivra de leurschaînesKaous,Gouderz,GuivetThous.Quand,danslesguerresdeKaous,ileuttuésonfils

Sohrab,unfilstelquen'enontjamaiseudanslemondenigrandsnipetits,ill'apleurépendantdesmoisetdes

années.QuandilacombattuKamous,ilaréduitenpoussièretoutlepaysparsabravoure.Maisj'auraisbeauparler

deseshautsfaits,jenepourraisjamaislesénumérertous.Sileroiestfatiguédutrôneetdelacouronne,que

laisse-t-ilàcetamiaucœurdelion.

Leroirépondit:Sesgrandesactions,sesfatiguesetlesdangersqu'ilasubispourmoi,quipeutlesconnaître

entièrement,sicen'estleCréateurduciel,lemaîtredelajustice,dureposetdel'amour?Maissavienes'est

pas passéedans le secret et je ne connais pas son semblable dans toutes lesparties du monde.Il fitvenir un

scribe,quiapportadupapier,del'ambreetdumusc,etl’onécrivitunbrevetduroidelaterre,deKeïKhosrou,à

lafoipure,quiportaithautlatête,enfaveurduSipehbed,duhérosaucorpsd'éléphant,célébrépoursabravoure

partoutelacour,lechampiondel'arméedanslemondeentier,lemaîtredumonde,levigilantetjeunechefde

l'armée,luiattribuantleZaboulistanjusqu'àlamerduSind,toutleKaboul,Dambar,Maietl'Inde;ensuiteBost,

GhazninetleZaboulistan,ettouslespaysjusqu'auKaboulistan;toutleKischvrerdeNimrouzfutdonnéauSipehdar

victorieuxquifaisaitlagloiredel'armée.Onapposasurlebrevetunsceaud'or,selonlacoutumedeKeïKhosrou,

le distributeur delajustice.LeroiluiremitlebrevetetpriaDieuquelemondefûtheureux par Rustem. Les

grandsquiétaientvenusavecZal,lefilsdeSam,lecavalier,entenantsurlapoitrineleurstablesastronomiques,

reçurentdeKhosroudesrôles,del'argentetdel'or,etchacununecouperempliedepierresfinesdetouteespèce.

KEÏKHOSROUDONNEUNELETTRED'INVESTITUREÀGUIV.

LegageGouderzselevaetadressaauroiundiscourspleindedroiture,disant:Oroi àlafortunevictorieuse!

jen'aipasvusurletrôneunmaîtredumondecommetoi,depuisMinoutchehrjusqu'àKeï-Kobad,depuisKaousjusqu'à

toi,ôroidenobletenaissance!J'aitoujoursétéenarmesàlatêtedesgrands,jamaisjenemesuisreposéun

seuljourdemesfatigues.J'avaissoixanteetdix-huitfilsetpetits-fils:maintenantilm'enrestehuitetles

autressontmorts.EnsuitelevigilantGuivapasséseptansdansleTouran,sanssavoircommentsenourriretse

reposer;lesonagresétaientsanourrituredansledésert,etlespeauxdesbêtesfauvesformaientsonvêtement.À

lafinleroiestvenudansl’Iran,avutoutcequis'étaitpasséetcombienGuivavaitsouffertpourlui.Maintenant

lemaîtredumondeestlasdutrôneetdelacouronne,etGuivespèredeluiunbienfait.

Leroirépondit:Guivafaitplusquecela.Qu'ilsoitmillefoisbéni!queleMaîtredumondeleprotège!que

lecœurdesesennemissoitremplid'épines!Toutcequej'aiestàtoi;puissetonâmerestersereineettoncorps

sain!Ilordonnaauscribed'écrireavecdumuscetdel'ambre,surdelasoie,unelettreaunomduroi,contenant

l'investituredeKoumetd'Ispahan,quiestlarésidencedesgrandsetlademeuredesprinces.Onapposaunsceaud'or

surlalettre,etleroiprononçadesbénédictionssurelle,disant:PuisseDieuêtresatisfaitdeGouderz,puissele

cœurdesesennemisêtreremplid'angoisses!EnsuiteilditauxIraniens:Puisse-t-ilnejamaisêtrelasdefaire

degrandesactions!Sachezqu'ilestlesouvenirquejelaisseaprèsc'estledéfenseurquejevouslaisseàma

place.Obéissez-lui, vous tous, et ne vous écartez pas des volontés deGouderz. Tous les héros de la famille de

Gouderzcomblèrentdenouveauleroideleursbénédictions.

KHOSROUACCOUDEUNEINVESTITUREÀTHOUS.

Gouderz s'assit et Thous se leva, s'avança versKhosrou, baisa la terre et dit: O roi, puisses-tu vivre

éternellement!puisselamaindumalheurrestertoujoursloindetoi!MoiseuldecesgrandsdescendsdeFeridoun;

j'étais le chef de la maison jusqu'à ce que Keï-Kobad sefût élevé. J'ai porté les armes au premier rang des

Iraniens,etjamaisjen'aidéfaitlaceinturequiserremesreins.AumontHemawen,moncorpsaétéblesséparma

cuirasse,quiétaitmonseulvêtement;danstoutecetteguerre,faitepourvengerSiawusch,l'arméeaétésousma

gardechaquenuit.ALawen,jen'aipusauverl'armée,etjesuisrestémoi-mêmedanslagueuledudragon.Dansle

Hamaveran,Kaousfutfaitprisonnier,etThouseutàporterunechaîneaucou.Jamaisjen'aiabandonnél'armée,

jamaispersonnenes'estplaintdemoi.Maintenantleroiestlasdelacouronneetdutrésor,ilveutquittercette

demeurepassagère;quelordremedonne-t-il,quelpouvoirmelaisse-t-il?oumeshautsfaitsdeviendront-ils un

objetdereprochepourmoi?

Leroiluirépondit:Tesfatiguesdépassentcequelafortuneafaitpourtoi.Restedonclegardiendudrapeau

deKaweh;resteSipehdaretgardeledroitdeporterlesbottinesd'or.TapartdanslemondeestleKhorasan,et

lesgrandsdecepaysaurontsoindetasécurité.Onécrivitundécretdanscesens,devantlesgrandsetlesnobles,

onyapposaunsceaud'or,etleroiluidonnaunechaîned'oretuneceintured'or,prononçabiendesbénédictions

surlui,disant:Puisseuncœurnejamaistehaïr!

KEÏKHOSROUDONNELAROYAUTÉÀLOHRASP.

Quandlesaffairesdesgrandsfurentarrangées,leroidesroisétaitmaladedefatigue;maisilrestaitunnom,

parmiceuxdesgrands,quin'avaitpasparusurcettelistededécretsduroi:c'étaitceluideLohrasp.Leroi

ordonna àBijen d'amener Lohrasp devant lui, couvert de son casque. Quand lemaître du monde le vit, il se leva

vivement,lebénit,étenditlamainverslui,descenditdesonillustretrôned'ivoire,ôtadesatêtelacouronne

quiréjouissaitlescœurs,laremitàLohraspetlesaluaroidupaysd'Iran,disant:Quetonnouveautrôneteporte

bonheur,quelemondeentiersoittonesclave!Jetedonnemaroyautéetmestrésors,aprèsavoiréprouvébiendes

chagrinsetdesfatigues.Dorénavantneprononceplusuneparolequinesoitjuste,carc'estparlajusticequetu

obtiendraslàvictoireetlebonheur.NedonnepasaccèsauDivdanstonâme,situveuxquetafortunerestetoujours

jeune.Soisprudent,netelaissepasalleràlacolère,observetoujourstesparoles.EnsuiteilditauxIraniens:

Puissiez-vousjouirdubonheuràl'ombredesontrôneetparl'influencedesafortune!

LesIraniensétaientconfondusdecesparoles,ettousrugirentcommedeslionsfurieux;ilsrestèrentstupéfaits

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decequ'ilsauraientàdonneràLohraspletitrederoi.Zalselevaaumilieud'euxetditfranchementcequ'il

avaitdanslecœurenadressantaugrandroicesparoles:Ilpeutteplairedevouloirrendrehonorécequin'estque

vile poussière ; maisquiconque appellera sérieusement Lohrasp roi, que la tête de safortune soit couverte de

poussière!quelathériaquesechangeenpoisondanssabouche!Jamaisnousnenoussoumettronsàcetteinjustice.

QuandLohraspestarrivédansl'IranauprèsdeZerasp,jel'aivu;ilétaitpauvreetn'avaitqu'unseulcheval.Tu

l'asenvoyéàlaguerrecontrelesAlains,tuluiasdonnéunearmée,undrapeauetuneceinture,etleroin'apas

penséunseulinstantàtantd'autresdesesgrands,desdescendantsdesrois.Jeneconnaispassonorigine,jene

saisquelleestsafamille;jamaisjen'aientenduparlerd'unroidecetteespèce.

LorsqueleDestanfilsdeSameutprononcéces paroles, toute l'assemblée lui témoigna sa sympathie,et l’on

entenditlesvoixdesIraniensquis'écriaient:Dorénavant,ôroi,nousneteservironsplus!Aucundenousn'iraà

laguerre,sileroiplaceLohraspau-dessusdenous.

KhosrouécoutalesparolesduDestanetluirépondit:Neparlepas avecprécipitationetencolère,carquiconque

dit une chose injusten'obtient du feu que la fumée. Dieu n'approuve pas en nous le mal,et les méchants ont à

tremblerdevantlarotationdusort.C'estDieuquidonneàunhommelabonnefortune,lerenddignedelaroyautéet

enfaitunornementpourletrône.LeCréateurdumondem'esttémoin,quandj'assurequeLohrasppossèdetoutesces

vertus;iladelamodestie,delapiétéetunegrandenaissance;ilseraunroinoble,victorieuxetamidela

justice.IlestdescendantdeHouscheng,lemaîtredumonde;iladelaprudence,delasagacitéetdel'intégrité;

ilextermineralesmagiciens,ilmettraenévidencelavoiedeDieuletrèssaint.Sonépoqueserarajeunieparses

conseils,etsonfils,dontlafoiestpure,agirademême.Saluez-lecommeroi,et,paramourpourmoi,nevous

écartezpasdemonavis.Quiconquedésobéiraàmesdernièresvolontésperdraleprixdetouteslesfatiguesqu'il

aurasupportéespourmoi,ildeviendrarebelleàDieu,etdetoutepartsoncœurseraenvahideterreurs.

LorsqueZaleutentenducesparolessaintes,ilétenditsesbrasetposasesdoigtssurlaterre;ilsouillases

lèvresenbaisantlapoussièrenoire,reconnutàhautevoixLohraspcommeroi,etditauroidumonde:Puisses-tu

êtreheureux!puisselamaindumalheurnejamaisl'atteindre!Quipouvaitsavoir,sicen'estleroinobleet

victorieux,queLohraspétaitderaceroyale?Enluiprêtantserment,prosternésurlaterrenoire,j'aisouillémes

lèvres;nemel'imputepasàfaute.LesgrandsversèrentdespierreriessurLohraspetluirendirenthommagecommeà

leurroi.LeroibienheureuxditauxIraniens:Adieu,ôtrônequiravislecœur!Quandj'auraiquittécettevile

terre,jeprieraiDieu,letrèssaint,pourqu'ilvousréunissedenonveauàmoi.Ilbaisasurlajouetousles

grands,pourprendrecongé,etenversantbeaucoupdelarmes.Ilembrassatousleshérosenfaisantentendredescris

d'angoisse,etdisant:Oh!sijepouvaisemmeneravecmoitoutecetteassemblée!

Toutel'arméedel'Iranpoussauncritelquelesoleils'égaradanslescieux;lesenfants,leshommesetles

femmes derrière les rideaux,la foule dans les rues etles marchés, et les assemblées firentretentirl'air de

lamentations et de soupirs, et de chaque carrefour on entendit lescris du deuil du roi. Khosrou dit alors aux

Iraniens:Demainvousprendrezlamêmeroutequemoi.Voustousquiavezunbeaunometunegrandenaissance,soyez

contentsdecequefaitleSeigneur.Jevaismaintenantpréparermonespritàlamort.Jeparsenlaissantunebonne

renommée;jen'aipasattachémoncœuràcettedemeurepassagère,desortequeleSeroschdaignemeservirdeguide.

Ayantainsiparié,ilfitamenerduvestibulesoncheval,etserenditàsonpalaisroyal,levisagetristeetsa

tailledecyprèscourbée,pendantquesonarméeinvoquaitlesecoursdeDieu.

KEÏKHOSROUDITADIEUÀSESFAVORITES.

Ilavaitquatrefemmes, bellescommelesoleil;personnen'enavaitvudepareillesmêmeenrêve.Illesappelade

leurappartementauprèsdelui,etdévoilalesecretdesonâmeàcesidoles,disant:Jevaisquittercemonde

fugitif;nevousabandonnezpasàladouleuretauxsoucis.Vousnemereverrezplusjamais;jesuislasdecemonde

pleind'injustice.JevaisallerauprèsdeDieu,lejuge,letrèssaint;jenesaispaspourquoijeresteraisici.

Lesquatrebellesauvisagedesoleilperdirentlaraisonetpoussèrentdescrisdedouleuretd'amour,elles se

déchirèrentlesjoues,elless'arrachèrentlescheveux,ellesmirentenlambeauxleursparuresmusquées.Àmesure

qu'ellesretrouvèrent leur raison, elles dirent en gémissant et en selamentant : Emmène-nous de ce séjour de

passage,soisnotreguideverslebonheur!Lenobleroileurdit:Plustardvoussuivrezlamêmeroute.Oùsontles

sœursdeDjamschid,lemaîtredumonde,oùsonttantdetêtescouronnéesetleurpompe,oùestmamère,lafille

d'Afrasiab,quiatraversésivaillammentlesflotsduDjihoun.OùestMahAférid,lafilledeTour,unefemmecomme

personnen'enavudanscesiècle?Toutesellesontpourcouchelapoussièreetlabrique,etjenesaissielles

sontdansl'enferondansleciel.Quetuplacesundiadèmesurtatêteouquetutecouvresd'uncasque,lesgriffes

etlesdentsdelamortlesatteindront.C'estdelavertuqu'ilfautseparer,carlamortnepeutl’enleverà

personne.Netâchezpasdem'effrayerdesterreursdelamort,carlaroutequejevoisdevantmoiestaisée.

IlpoussauncrietappelaLohrasp,àqui ilparlalonguementdesefemmes,disant:Voicimesidoles!voici

celles qui ont rendubrillante ma chambre à coucher. Laisse-leur le même établissementet le même palais aussi

longtempsquetuvivras,carilnefautpasqueDieu,quandilt’appelleradevantlui,couvretonâmedehontedece

quetuaurasfait.Crainsd'avoiràrougirdevantdeuxroisquandtumetrouverasavecSiawusch.Lohraspluipromit

toutcequ'ildemandait,etqu'ilgarderaitdansleurretraitecesfemmesquepersonneneverrait.EnsuiteKhosrou

serrasaceintureetrevintaumilieudesIraniens,àquiildit:Retournez-vous-enàvospalais;neremplissezpas

voscœursdeplaiesetd'angoissesàcausedemoi;nevousfamiliarisezpastropaveccemonde,carilestnotre

ennemisecret.Soyeztoujoursfiersetjoyeux;nepensezàcemoiqu'enbien.SoyezcontentsetconfianteenDieu;

quand vous partirez,soyezheureuxetsouffriez.Touslesgrandsdel'arméed'Iranposèrentleurtêtesurlesol

devantleroi,s'écriant:Lesconseilsduroinousserontcherscommelavie,etceaussilongtempsquedureranotre

vie!

KEÏKHOSROUSERENDDANSLAMONTAGNEETDISPARAÎTDANSLANEIGE.

IlordonnaàLohraspdes'enretourner,etajouta:Mesjourssontpassés.Toi,va,occupeletrônedelaroyauté

enrespectantlescoutumes;nesèmedanslemondequelasemencedubien.Quandtuserasexemptdesoucis,nete

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laisse,pasenorgueillirparletrôneetparlestrésors.Rappelle-toiquetunetarderaspasàpartir,quelaroute

quiteconduitauprèsdeDieuestdifficileàpercevoir.Cherchetoujourslajusticeetexerce-latoujours;honore

ceuxquisontlesmeilleursdanslemonde.Lohraspdescenditdechevalàl'instant,baisalaterreetrestaabsorbé

parladouleur.Leroiluiditadieu,ajoutant:Soislatrameetlachaînedelajustice.

Quelques chefs de l'armée, des grands pleins devigilance et des héros partirent avec Khosrou : c’étaient le

Destari,Rustem,Gouderz,Guiv,ensuiteBijenlevaillant,etlecourageuxGustehem;leseptièmeétaitFéribourz

filsdeKaous;enfinlehuitième,l'illustreThous.Leurcortègesemitenroutepartroupes,etleroimontadela

plaine jusque sur la crête d'unemontagne. Là ils restèrent une semaine à se reposer et à mouillerleurs lèvres

desséchées, en se lamentant et en se désespérant de ceque faisait le roi ; personne ne devinait comment cette

affairedouloureuse se passerait, et chaque Mobed disait en secret quejamais personne n'avait raconté une chose

pareilledanslemonde.

Lorsquelesoleillevasatêteau-dessusdelamontagne,ils'assemblaunefouledetouslescôtésdumonde;cent

mille Iraniens, hommes et femmes, vinrent entourer le roi avec descrisetdeslamentationsquiremplissaientla

montagne etébranlaientlesrochers;ilss'écrièrenttous:Oroi !ques'est-ilpassé,quetonespritsereinse

soitremplidedouleuretdetristesse?Situasàteplaindredetonarmée,situesarrivéàméprisercetrône,

dis-nousenlaraisonetnequittepaslepaysd'Iran,nedonnepasunnouveaumaîtreàcevieuxmonde.Nous tous

seronslapoussièresouslespiedsdetoncheval;noussommes les adorateurs de tonange gardien Adergouschasp.

Qu'as-tufaitdetonsavoir,detonintelligenceetdetasagesse,toiquiasvuleSerosch,quin'étaitpasapparu,

mêmeàFeridoun?NousprieronstousDieu,nousferonstousnosadorationsdansletempledufeu,espérantqueDieu,

letrèssaint,aurapitiédenousetqu'iléclaireratoncœurdeMobedennotrefaveur.Leroidesrois,confondu,

appelalespluspuissantsparmiceuxquisetrouvaientdanscettefoule,etleurdit:Toutvabienici,etilnefaut

paspleurersurcequivabien.SoyezreconnaissantsenversDieu;soyezpieuxetapprenezàconnaîtreleCréateur.

Nousseronsbientôtréunisdenouveau,nevousaffligezdoncpasdemondépart.

Ensuiteilditauxgrands quil’avaientaccompagné:Retournez-vous-endecettemontagnesansleroi.Lechemin

quiestdevantmoiestlong;onn'ytrouvenieau,niherbes,nifeuillesd'arbres.Épargnez-vouslarouteetle

retour;dirigezvosespritsverslalumièredeDieu.Personnenepeuttraversercessablesàmoinsd'êtredouéde

beaucoup de force de puissance. Trois parmi les héros qui portaienthaut la tête, le Destan, Rustem et le vieux

Gouderz,quiétaitpleind'ambitionetdesagacitéetn'oubliaitrien,écoutèrent,leroietpartirentMaisThous,

Guiv,Feribourz,BijenetlevaillantGustehemnevoulurentpaslequitter;ilscontinuèrentàmarcheraveclui

pendantunjouretunenuit,maisledésertetlasécheresselesépuisaient,Onaperçutalorssurlarouteunesource

d'eau,etKhosrou,lemaîtredumonde,s'yrendit.Ilss'arrêtèrentauprèsdecetteeaulimpide,ilsenburentetse

reposèrent.Leroiditàcesgardiensdesfrontièresdel’Iran:Aujourd'huinousnedépasseronspascelieu.Nous

parleronsbeaucoupdupassé,carvousnemeverrezpluslongtemps.Quandlesoleilauralevésondrapeaubrillantet

couvertd'orliquidelasombresurfacedelaterre,alorslemomentoùjedoisvousquitterseravenu,etj'estepère

êtreencompagnieavecleSerosch.Simoncœurserévoltaitcontremarésolution,j'arracheraisdemoncorpscecœur

troublé.Quandunepartiedelanuitnoiresefutécoulée,leroiillustreseprosternadevantDieu;illavasatête

et son corps dans l'eaulimpidedelasource, et récita par devers luile Zendavesta. Ensuite il dit aux grands

pleinsdeprudence:Jevousfaisdesadieuxéternels.Lesoleilvamontrersesrayons,etdèscemomentvousneme

verrezplusqu'enrêve.Nerestezpasdemaindanscedésertdesable,quandmêmeilpleuvraitdumusc;carilviendra

delamontagneungrandoragequiarracheralesbranchesetlesfeuillesdesarbres,etiltomberaducielsombreune

neigetellequevousneretrouveriezpaslaroutedel’Iran.

LESPEHLEWANSSONTENSEVELISSOUSLANEIGE,

Lestêtesdesgrandsfurentrempliesdesoucisàcesparoles,etilss'endormirenttristement.Lorsquelesoleil

levasafaceau-dessusdesmontagnes,leroiavaitdisparudesyeuxdesgrands.Ilssedispersèrentpartoutpourle

chercher ; ilsparcoururentlessablesetledésert.IlsnevirentnullepartunetracedeKhosrou,etrevinrent

commedeshommesquiontperdularaison,lecœurserréettourmenté,carilsavaientpartouttraversélepayset

n'avaientpastrouvéleroi.Ilsrevinrentàlasourced'eauenselamentant,lecœurpleindedouleuretd'angoisse,

ettousceuxquiyétaientréunisrenoncèrentàl'espoirderevoirleroidumonde.Feribourzdit:Quantàceque

Khosrounousadit(puisselaraisonêtretoujourslacompagnedesonâme)!,voicimonavis,quandnousnousserons

reposésetauronsmangé,nousresteronsauprèsdecettesourcepourunenuit,carlaterreestchaudeethumideetle

cielestserein;jenevoispaspourquoinousquitterionscetendroit.Ilsseplacèrentdonctousauprèsdelasource

et parlèrent longuement de Khosrou, disant : Personne neverra jamais une chose si étonnante, si longtemps qu'il

restesurlaterre;jamaisnousn'avonsentendudireparleshérosquelquechosequiressembleàcettedisparition

duroi.Hélas!quesontdevenussapuissanteétoileetsa sagesse,sonpouvoir,sabravoureetsahautestature?

Leshommesdesensrirontquandonleurdiraquequelqu'unestallétoutvivantdevantDieu.Quipeutsavoircequi

luiestarrivé,etquedirons-nous,carlesoreillesrefuserontd'entendrelavérité!Guivditauxgrands:Jamais

il n'y a eu dansle monde un homme aussi grand que lui en bravoure, en générosité, enjustice et en vertus, en

beauté,enstature,enrenomméeetennaissance.Danslecombatetàlatêtedesonarmée,c'étaitunéléphant;dons

lefestin,c'étaitunelunecouronnéed'undiadème.

Aprèscelailsmangèrentcequ'ilsavaientets'empressèrentdes'endormir.Maisenmêmetempsilselevaunvent

quiamenaitdesnuages,etlecielpritl'aspectdel'œildulion;laneiges'étenditsurlaterrecommelavoile

blanched'unvaisseau,etleslancesdeshérosdisparurentsouselle;uneneigeprofondeetlourdetombaetcouvrit

partout laterre d'une surface égale. Les vaillants héros Thous, Bijen,Feribourz et Guiv ne surent comment se

préserver;ilsfurententièrementcouvertsdeneige:jenesaispourquoiilsrestaientenplace.Pendantquelque

tempsilspiétinèrentsouslaneigeetformèrentuntrouescarpédetouscôtés;maisleursforcess'épuisèrent,età

lafinlavielesquitta.

CependantRustemrestadanslamontagneavecZal,Gouderzetquelquescavaliers;ilsypassèrenttroisjoursen

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pleurant;lequatrième,lorsquelesoleilquiéclairelemondeseleva,ilsdirent:Cetteaffaireestbienlongue;

voicidéjàquelquetempsquenousrestonsdanscesmontagnesetcesrochers.Sileroiadisparudelaterrelorsque

leventduciels'estdéchaîné,oùsontdoncalléslesautresgrands?Ilestàcraindrequ'ilsn'aientpassuivile

conseildeKhosrou.Ilspassèrentunesemainesurlehautdelamontagne,etfurententièrementdécouragésauboutdes

septjours.Ilserraientçàetlàenselamentantetenpleurant;ilsseconsumèrentaufeudecettedouleur.Gouden

fils de Keschwad arrachait ses cheveux, versait deslarmes, se déchirait les joues ; à la fin il dit : Jamais

personnen'aéprouvécequim'estarrivéparlefaitdelaracedeKaous.J'avaisunearméedefilsetdepetits-

fils,quiétaientlesmaîtresdumonde,etdontchacunportaitundiadème.LesguerresquidevaientvengerSiawusch

lesonttoustués,etcettevengeanceadétruitmafamille.Voiciencoreundemesfilsquidisparaîtdevantmoi!

Quiajamaisetéprouvélesmalheursétonnantsquim'arrivent?LeDestanluiparlalonguement,disant:Ilfautque

laraisonseréconcilieaveccequefaitDieu.Amoinsqu'ilsnereviennenteux-mêmesetretrouventlaroute,comment

enverrait-onunetracedanslaneige?Ilnefautpasrestersurcettemontagne,oùiln'yapointdenourriture;

ilfautnousenretourner.Nousenverronsicideshommesàpied,quiretrouverontunjourlestracesducortègedu

roi.

Ilsquittèrentlamontagneenpleurantdedouleur,chacunpariantsanscesseoud'unfils,oud'unparent,oud'un

ami,oudeceroiquiavaitétécommeuncyprèsdansunjardin.Leshommesàpiedpartirent,trouvèrentlesmorts,

lesenlevèrentdelamontagneetlesportèrentdanslaville:voilàcommentleurs familles revirent ces grands.

Chacuned'ellesleurconstruisitunetombeetportalonguementleurdeuil.Telssontlacoutumeetl'étatdumonde,

qu'il ne reste paséternellement, même aux meilleurs ; il élève l'un en le prenant dansla poussière noire, il

arrachel'autreautrônedesKeïanides,etilneseréjouitpasdel'un,ilnes'attristepasdel'autre;telleest

lanaturedeceséjourpassager.Oùsontmaintenantceshérosetcesroisdelaterre?Écartedetoncœurlessoucis

aussilongtempsquetulepeux.

LOHRASPAPPRENDLADISPARITIONDEKEÏKHOSROU.

LorsqueLohraspeutapprislesortduroi,l'arméeserenditdesoncampauprèsdelut.Ils’assitsurletrône

avec sacouronne d'or, et les héros arrivèrent avec leurs ceinturée d'or ;tous les hommes importants, les plus

illustresparmilesgrandss'assirentdevantlui,Lohrasplesregarda;seleva,etleuradressaavecbienveillance

des paroles vraies endisant à haute voix: Ochefs de l’armée, vous qui avez entendu tous les conseils et les

dernièresvolontésduroi,quiconquen'acceptepasvolontiersmonrègneoublielesavisdeKhosrou.Toutcequ'ilm'a

ditetenjoint,jel'exécuterai;jeferaimeseffortspourlebien,jesuivraisesordres,etvousaussi,nerefusez

pas d'obéir à ses dernièresvolontés et n'ayez pas de secret pour moi. Quiconque ne répète passouvent les

recommandationsd'unroimourantestcriminelenversDieu;toutcequevoussavezdebonetdemauvais,ilfauttout

meconfier.

LefilsdeSamluirépondit:Khosrout'adonnéletitrederoi;jemesuissoumisàsesconseilsetàsavolonté,

etjenem'enécarteraipas.Tuesroi,etnoustoussommestessujets;nousnedésobéironspasàcequetudésires

etordonnes;moietRustem,ettoutcequivitdansleKaboul,nousnecesseronsdet'êtredévoués,etquiconquene

marchepasdanscettevoieneserajamaisheureux.Lohrasp,ayantentenducesparoles,leremerciaetrespiraplus

librement;illuidit:Puissentvotrejusticeetvotredroiturevouspréserverdetoutmaletdetoutediminution

devotrefortune!carDieuvousacrééstels,quelessoucisetlesmalheursdoiventvousresterinconnus.Lemaître

du monde, dont l'étoile étaitfortunée,dontlesjoursétaientheureux,vousadonnéleNimrouz;maintenant j'y

ajoutelegouvernementdetouslespaysdontvousvoudrezvouschaîner.Jen'aipasàpartageravecvousdestrésors;

carmoi,mafamille,monempire,toutestàvous.

EnsuiteilditàGouderz :OPehlewandumonde!dis-moilessecretsquecachetoncœur.Gouderzluirépondit:Je

suisdésormaisunhommeseul,j'aiperduGuiv,RehhmetBijen.Lesouvenirdelapertedesafamillel'émut,etil

dit en se lamentant et en poussant des cris: O Guiv , héros au corps d'airain ! ô Bijen, qui ambitionnais la

possessiondumonde,vainqueurdeslions!IlleditetdéchiradelatêteauxpiedssarobedesaiedeChineetsa

toniquedebrocartdeRoum.EnsuitelevieuxGouderzajoutaens'adressantauxnobles:Heureuxceluidontlatombe

estlacompagne!J'approuvetoutcequeleDestanadit;jen'aipasunsecretdevantlui.Tuesleroietnoustous

sommestessujets;nousnenousécarteronspasdutraitéquinouslieetdel'obéissanceenverstoi.Touslesgrands

rendirenthommageauroietplacèrentleurironthumblementsurlaterre.LecœurdeLohrasprajeunitsousleurs

paroles,satailleserelevaetsastaturegrandit.Ilchoisitunjourfortunépourplacersursatêtelacouronnede

laroyauté;etcommeFeridoun,denaissanceillustre,avaitposélacouronnesursatêtelejourdeMihrgan,cejour

bénidumoisdeMihroùlesoleilatteintlemilieuduciel,luiaussipara cejourlasalled'audiencedesrois,et

fitbrillerl'Irand'unenouvellesplendeur.

Tel est le monde, tantôt il élève, tantôt il rabaisse; il guide l'un, il précipite l'autre, et ne laisse à

personneledroitdeluiimposercequ'ilfera,nilamanière,niladuréedesonaction.Puisquej'aiterminélavie

deKhosrou,jemetourneversLohrasp,jevaism'occuperdesacouronneetdesaroyauté;jevaisleplacersurson

trône,parlapermissiond'ungrandroivictorieux,dequidépendentl'espérance,lacrainteetlaruine,quiremplit

debonheurlecœurdesesamisetdétruitlesméchants.Tellessontlacoutumeetlanaturedumonde;iltournede

celui-civerscelui-là,etdecelui-làverscelui-ci.Quanduneâmeestrouilléeparlemalheur,levieuxvinenlève

cetterouille;quandlavieillessesurprendunhomme,levieuxvinlerajeunit.Parlevinapparaissentlesqualités

del'homme,c'estlui,quiestlaclefd'uncœurfermé.Quandunpoltronleboit,ildevientunhéros;quandun

renardleboit,ildevientunliondévorant;quandunmalheureuxleboit,ildevientjoyeuxetsesjouesbrillent

commelafleurdugrenadier;quiconqueenprendenmainunecoupeneveutplusquedesfêtes,etdesflûtes,etdes

rebecs.Maisàmoitumedemandesdeshistoiresanciennessurlesparolesetleshautsfaitsdeceshommesdebien:

écoutedonccequeraconteunvieuxDihkan,etrappelle-toitoutessesparoles.

suite

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FERDOWSI/FIRDOUSI

LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV)ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer

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FERDOWSI

LELIVREDESROIS.

TOMEIV

XIV

LOHRASP

(Sonrègnedura120ans.)

LOHRASPFONDELETEMPLEDUFEUÀBALKH.

LorsqueLohraspsefutassissurletrônedelajusticeetqu'ileutplacésursatêtelacouronnedesroisdes

rois, il se mit à célébrer le Créateur et à lui rendre des grâcesinnombrables. Ensuite il dit : Soyez pleins

d'espérance,decrainteetderespectpourleJugesuprêmeetsaint.C'estluiquiacréélecielquitourne,qui

augmenteladignitédesesserviteurs.Quandileutcréélamer,lesmontagnessetlaterre,ilétenditsurellesle

cielsublime.Lecieltournerapidement,laterreestimmobileetleCréateurneluiapasdonnédepiedspourse

mouvoir.Pendantquetoncœurseréjouit,laMortauxgriffesaiguësteguettecommeunlionférocepleinderancune.

Abandonnonsledésirdenousagrandir,convenonsdenotreignorance,nenousservonsdecettecouronneroyaleetdece

trônepuissantquepourrendrejustice,pourdonnerlatranquillitéetobtenirdesconseils,pourquenotrepartdans

cemondefugitifnesoitpaslavengeance,lamalédictionetlafatigue.Jeferaiplusquenem'aordonnéKhosrou;

j'écarteraidemoncœurtoutehaineettouteenvie.Soyezjustesetlajusticevousrendraheureux;jouissezdu

reposetoubliezleshaines.Lesgrandsdelaterreluirendirenthommageetl'appelèrentroidumonde,etlenoble

Lohraspjouitdureposetfutsage,richeetcontinuellementprospère.

PlustardilenvoyadeshommesàRoum,dansl’Inde,enChineetdanstouteslescontréeshabitées.Quiconque

étaitsavant,quiconqueétaithabilearpenteursemitenrouteetserenditentoutehâteauprèsduroi.Lui-même,

quiavaitgoûtétoutel'amertumedelascience,partitàl'instantpourBalkh,oùilfitconstruireunevilleremplie

decarrefours,deruesetdemarchés.DanschaquecarrefourtrouvaitunendroitpourcélébrerlafêtedeSedeh,quele

roifaisaitentourerd'untempledefeu.Ensuiteilconstruisituntempledefeu,quiportaitlenomdeBerzin,un

templemagnifique,grandetriche.

GUSCHTASPQUITTELOHRASPENCOLERE.

Lohraspavaitdeuxfils,beauxcomme deuxlunes,dignesdelaroyauté,dutrôneetdudiadème;l’uns'appelait

Guschtasp,l’autreZerir;ilsabattaientlestêtesdeslionscourageux,ilsdépassaientleurpèreentoutescience,

ilstenaientlapremièreplacedansl'arméeparleurbravoure;c'étaientdeuxprincesfiers,dontlestracesétaient

fortunées, des petits-fils de Keï Kaous, le maître du monde.Ils faisaient la joie de Lohrasp ; mais il ne le

témoignaitpasàGuschtasp,carlatêtedecelui-ciétaitpleinedevanité,etLohraspenétaitinquiet.

Ilsepassaainsibeaucoupdetemps,etlecœurdeGuschtasps'aigritcontresonpère.Orilarrivaqu'unjouron

plaçadanslepaysdeFarsletrôneduroisousunarbrequirépandaitdesfleurs;Lohraspinvitaquelquesgrands

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parmileschefsdel'armée.Ilsdemandèrentàtabledescoupesdevin,etilsmirentdebonnehumeurlecœurduroide

laterre.Guschtasp,aprèsavoirbuduvin,selevaetdit:Oroipleindejusticeetdedroiture,puissetonrègne

être heureux,puisse ton nom vivre à jamais ! Dieu et Keï Khosrou, le roi juste,t’ont donné le diadème et la

ceintureroyale.Moijesuisunesclavedevanttoijesuisleserviteurdetonétoileetdetacouronne.Jeneconnais

personne, parmi les hommes les plus braves,qui oserait se présenter devant moi au jour du combat, si ce n'est

Rustem,lecavalier,lefilsdeZalfilsdeSam,aveclequelpersonnenepeutsemesurer.LorsqueKeïKhosroueut

conçudesinquiétudessurtoi,ilt'aremisletrôneetestparti.Simaintenanttuveuxmedonner,àmoiquisuis

parmi ceux qui sontdignesderégner, le trône et la couronne desKeïanides, je me tiendrai devant toi comme un

esclave,ainsiquejelefaisaujourd'hui,etjet'appellerairoi.

Lohrasp répondit:Omon filsprudent,laviolencenesiedpasàunprince.Sijeterappelleles dernières

parolesdeKeïKhosrou,écoute-moietnedétournepastatêtedecequiestjuste.Ceroi,distributeurdelajustice,

m'adit:Ilfautuncourantd'eaudansunjardinprintanier;maisquandl'eauyafflue,quelecourantdevient

fort,toutlejardinestdévastéparlui.Tuesencorejeuneneetdemandepastantdepouvoir;pèsetesparoleset

parleavecmesure.

Guschtasp,àcediscours,semitencolère,etquittasonpère,lesjouespâlesderage,ens'écriant:Traite

biendesétrangers,resteainsietrepoussetesfils!

Ilavaituncortègedetroiscentshommes,tousdesbraves,tousprêtsàcombattre;ilserenditauprèsd'eux,

appela ces hommes, leurexpliqua tous ses secrets, et ajouta : Faites vos préparatifs pourpartir cette nuit ;

détachezvoscœursetvosyeuxdecettecour.Und'entreeuxluidit:Quelcheminprendras-tu?situpars,quel

lieuderepostrouveras-tu?Ilrépondit:Dansl'IndeonmerecevrabienetavecplaisirJ'aiunelettreduroide

l'Inde,écritesurdelasoieavecdumuscnoir,danslaquelleilmemandeque,sijevienschezlui,ilseregardera

commemonsujetetnes'écarteraenriendemesvolontésetdemesordres.Aussitôtquelanuitfutdevenuesombre,il

montaàchevalavecsatroupe,etpartitbouillantdecolèreetlamassueenmain.

DèslegrandmatinLohraspeneutlanouvelle:ilenfutaffligéettoutsonbonheurs'évanouit.Ilappelales

plussagesdesonarméeetleurexposal'étatdeschoses,ajoutant:VoyezcequeGuschtaspafait:ilaremplimon

cœurdesoucisetcouvertmatêtedepoussière.Jel'aiélevéjusqu'àcequ'ilfûtgrandetfûtdevenuunhérossans

égaldanslemonde;maisaumomentoùjemedisaisqu'ilallaitporterfruit,ildisparaîtdemonjardin.Ildit,et

restalongtempsabsorbé,danssespensées;àlafinilfitvenirZeriretluiparlaainsi:Choisismillehommesdans

l'armée,descavaliersvaillantsetprêtsaucombatetmarcheentoutehâteducôtédel'Inde,et,s'illefaut,dans

lepaysdesMagiciens.GustahemfilsdeNewdersemitenrouteversle.Roum,etGourazehs'empressademarchervers

laChine.

ZERIRRAMÈNEGUSCHTASP.

CependantGuschtaspcontinuaitsaroutelesyeuxenlarmes,lecœurremplidehaine,decolèreetdepassion;il

marchajusqu'àcequ'ilfûtprèsdeKaboul.Ilvitdesarbreschargésderoses,uneprairieetdel'eau,etluiet

lessienss'arrêtèrentdanscelieuagréableets'yreposèrentunjour.Toutelamontagneluioffraitleplaisirde

lachasse,etdansleruisseaucoulaituneeaudélicieusecommeduvinoudulait.Danslanuitsombre,ildemandadu

vinàsonéchanson,etl'onportadesflambeauxsurlebordduruisseau.Lorsquelesoleilquiéclairelemondefut

sorti brillant des montagnes, ils quittèrent leur bosquetavec des guépards et des faucons ;d'autres de ces

cavaliersvaillantslaissaienterrerlibrementleurschevaux,etbeaucoupd'entreeuxsemirentàdormirsurlebord

del'eau.

PendantcetempsZeriravaitlancésonchevalsurlestracesdeGuschtasp,nes'arrêtanullepartlongtemps.

Lorsqu'onentendit un bruit de chevaux sur la route, les hérosqui accompagnaient Guschtasp sortirent de leur

campement ;Guschtaspécoutaattentivementetditauxgrands:Cecinepeutêtrequelehennissementduchevalde

Zerir,quialavoixd'unlion,etsic'estZerirquitient,iln'arrivepasseul,maisilestaccompagnéd'unearmée

avidedecombats.Danscemomentapparurentsurlarouteunepoussièrevioletteetundrapeauàfigured'éléphant,et

l’on vit le Sipehbed Zerir courantdevant ses troupes avec la rapidité du vent. Quand il aperçutGuschtasp, il

s'avançapied,toutseul,lesyeuxfixéssurlui,courant,rendantgrâceauCréateurdumondeetsaluantsonfrère.

Ils s'embrassèrent et s'assirent joyeusement sur la prairie.Guschtasp, le vaillant prince, appela tous ceux qui

étaientdeschefsdansl'armée;onlesappelaetilss'assirent,etlesparolesvolèrentdetouslescôtés.

UndeschefslesplusillustresditàGuschtasp:Ohérosàlaceintured'orllesastrologuesdupeupled'Iran,

tousceuxquenoussavonsavoirapprofondilascience,prononcentsurtonhoroscopequetuesunKeïKhosrou,quetu

serasassiscommeroisurletrônedupouvoir;mais,maintenantquetuvasdevenirsujetderoidel'Inde,nousne

t'approuvonspas.Iln'yapasparmilessiensunadorateurdeDieu,etjamaisilsnes'entendrontavectoi.Prends

gardequecequetuveuxfairesoitconformeàlaraison.Tonpèretetraitetoujoursavecbontéetjenesaiscequi

apul'affliger.Guschtaspluirépondit:Otoiquicherchesungrandrenom!jenesuispasrespectéparmonpère,

ilneveutdubienqu'àlafamilledeKaous,c’estàellequ'ildestinelepouvoiretlacouronnedesrois.Nimoini

toin'avonsnotreplaceauprèsdelui;ilneveutquenousréduireàlaservitude.Jevaism'enretourneràcausede

toi,maismoncœursegonfledesangquandjepenseàLohrasp.S'ilmedonneletrônedel'Iran,jel'adoreraicomme

leSchamaneadoresesidoles;sinonjeneresteraipasàsacour,moncœurnesecalmerapassouslerayonsdesa

lune,j’iraioùl'onnemedécouvrirapasetjelaisseraiàLohraspl'empireettoutlereste.

Ildit,quittacetteprairieetserenditauprèsduroiillustre.QuandLohraspetsesgrandseurentnouvellede

sonapproche,ils allèrent au-devant de lui avec un grand cortège.Enrevoyantsonpère,l'ambitieuxjeunehomme

descendit de cheval etl'adora. Lohrasp le serra, sur sa poitrine, et le repentir de sonfils lui rendit la

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tranquillité;ildit:Puissetacouronneêtrebrillantecommelacouronnedelalune!puisses-tuvaincreleDiv,

carilt'enseigneraitsanscesselesvoiesdumal,commeunméchantDestourauprèsd'unméchantroi!Jenesuis

maîtredelacouronneetdutrônequedenom,c'estàtoiqu'appartiennentl'amourdessujets,lecommandement,les

alliancesetlafortune.Guschtasprépondit:Oroi,jemetiensdevanttaportecommeunserviteur,etquandmêmetu

diminueraismeshonneurs,jet'obéirai,etmavieseralegagedemafidélité.

Lesgrandspartirentavecluienmarchantpompeusementetencaracolantjusqu'aupalaisduroi,quifitparerla

salle d'audience incrustée de pierreries, placer des tables etapporter du vin bon pour la santé. On célébra un

banquettelquelesétoilesdecercledelalunepouvaientsurlasalle,etlesgrandfurentivresàcepointque

chacunplaçaitsursatêteunecouronnederoses.LohraspmontrabeaucoupdefaveuràlafamilledeKaousetnecessa

deparlerdeKeïKhosrou.Guschtaspversaitdedépitdeslarmesdesangettintàsonconfidentdesdiscoursdetoute

sorte,disant:J'aibeaulutteravecmaraison,jenepuistrouverunmoyendesupporterceci;sijeparsavecdes

cavaliers,commeilconvientàunprince,monpèreenverraencorequelqu'unavecunearmée,pourmeramenerpartous

lesmoyensetilm'accableradedemandesetdeconseils,etsijeparsseul,j'enauraidelahonteetenvoudraià

Lohrasp.SonâmeestdévouéeàlafamilledeKaous,etsatendressen'estjamaispoursesenfants.Ehbien,sijepars

seul,comment,enmequestionnant,saura-t-onquej'aiétéprince?

GUSCHTASPPARTPOURLEROUM.

Quandlanuitfutdevenuesombre,Guschtaspplaçaunesellequiluiappartenaitsurunchevalnoirquiétaità

Lohrasp.IlrevêtitunetuniquedebrocartdeRoum,attachauneplumed'aigleàsondiadèmeetemportaautantqu'il

luienfallaitd'oretdepierreriesdignesd'unroi.IlquittalepalaisetsedirigeaversleRoum,lecœuravide

d'untrône,l'espritanxieuxdetrouverlavraieroute.Lorsqueson pèreappritcequ'ilavaitfait,ilsetordit de

douleurettoutesajoies'évanouit;ilappelaauprèsdeluitouslessagesetleurparlalonguementdeGuschtasp,

disant:Cethommeaucœurdelionabaisseradanslapoussièrelatêtedetouslesrois.Quepensez-vous,quelremède

voyez-vous?Neprenezpaslégèrementcetteaffaire. Un Hirbed répondit:Oroi ,àquilafortuneestfavorable,

puissentleshommesrévérertoujourstontrôneetlacouronne!Personnen'aeuunfilscommeGuschtasp,jamaisun

desgrandsn'aentenduparler,dequelqu'unquiluifûtcomparable.Ilaagranditonroyaume,tesennemishaïssent,

latêteparcraintedelui.Envoiedetouscôtésdeshommesdesgrandspleinsdecœuretquipeuventtevenirenaide

;ets'ilrevientneluimontrepasdel'aigreur;faispreuvedevertuetneprétendspasêtrel'égalducielquia

vubiendesroiscouronnéscommetoi,maisquin'aaccordésafaveuràpersonnepourtoujours.ConfieàGuschtaspune

armée,posesursatêteundiadèmeglorieux.Jenevoispasdanslemondeentierdehéroscommelui,sicen'est

Rustem, le Pehlewan illustre ; jamais oreille n'a entendu parlerd'un prince son égal en stature, en beauté, en

prudenceetenintelligence.Lohraspenvoyaquelques-unsdesesgrandsetfitcherchersonfilsdanslemondeentier.

Ils se mirentenroute, mais ils revinrent ayant perdu tout espoir, car ils étaient partissous une étoiletrop

lente.Lohraspeuttoutleblâmedecetteaventure,maisGuschtaspeutpoursapartlesfatiguesetlessoucis.

GUSCHTASPARRIVEAROUM.

LorsqueGuschtasparrivaàlamer,ildescenditdechevaletunreceveurdepéageslevit;c'étaitunvieillard

dunomdeHeischoui,hommegénéreux,debonconseil,prudentetheureux.Guschtasplesaluaetluidit:Puissela

raisonêtretoujourslacompagnedetonâmepure!Jesuisunscribedupaysd'Iran,quichercheàacquérirunnom;

jesuisintelligentetd'unespritsereinetobservateur.Situmefaispassercettemerdansunebarque,jet'en

auraiunereconnaissanceéternelle.Heischouiluirépondit:Tuesdigned'unecouronneouaumoinsd'unecuirasseet

d'uneépée,etpropreàdévasterunpays.Dévoiletonsecretetconfie-le-moi,maisn'essayepasàtraverserainsila

mer.Ilfautoumefaireunprésentoumedirelavérité,cartun'asnil'airnilesmanièresd'unscribe.Guschtasp

écoutaHeischouietluidit:Jen'aipasdesecretpourtoi,etjetedonneraivolontierstoutcequetudemanderas,

cediadèmeoucesceau,oudel'oronmonépée.Illuidonnaunepoignéedepiècesd'or;lereceveurenfutcontent,

semitsur-le-champàdéployerlavoiled'unebarqueetamenal'ambitieuxjeunehommedanslavilleoùrésidaitle

Kaisar.

C'était une ville dans le pays de Roum, dontl’étendue était de plus de trois farsangs ; elle avait été

construiteparlepuissantSelm,etétaitdevenuelesiègedesvaillantsKaisars.LorsqueGuschtaspyentra,ily

cherchapourgîte un endroit désert et erra pendant une semaine dans Roum,demandantdutravaildanscetteville

riche,carilavaitdépenséetdonnétoutcequ'ilpossédait,desortequesoncœurpleindejusticen'étaitpas

satisfait.Enerrantainsidanslaville,ilentradanslepalaisetdanslesbureauxduKaisar,etditauchefdu

divan:Ohommesecourable,jesuisunscribedupaysd'Iranquichercheàacquérirunnom;jevoudraist'aiderdans

tabesogneetferaibientoutcequiestàfairedanslebureau.Lesscribesquisetrouvaientaupalaissefirentdes

signesl'unàl'autreendisanttoutbas:Cethommeferaitcrierunroseaud'acieretsamainbrûleraitlepapier;

ilfaudraitlemontersurunpuissantdestrieretsuspendreàsonbrasunarc,àsaselleunlacetEnsuiteilslui

direntàhautevoix:Nousavonsdéjàplusd'écrivainsqu'ilnenousenfaut,ôhommeintelligent

AcesparolesGuschtaspsortitdubureau,lacœurpleindedouleur,lesjouespâles,etsedirigea,enpoussant

ungrandsoupir,verslegardiendeschevauxduroi.C'étaitunhommegénéreux,vaillant,prudentjuste,dontlenom

était Bessad. Lejeune homme qui portait haut ta tête s'approcha de Bessad, le bénit et le salua humblement. Le

gardienleregardaetlereçutamicalement,lefitasseoiràcôtédeluietluidit:Quies-tu,dis-le-moi,cartu

as la dignité et l'aspect d'un roi ?Guschtasp lui répondit: O homme illustre, je puis monter un jeune cheval

bravementetcommeilconvientàuncavalier.Situveuxmegarder,jemerendraiutile,jet'aideraiquandtuauras

delapeineetdumal.Bessadluirépondit:Neparlepasainsi,tuesunétrangerettuparaisunhommedistingué.

Il y a là le désert et la mer, et les chevaux courent enliberté, comment pourrais-je confier un troupeau à un

inconnu?

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Guschtasp l'écouta et partit soucieux ; on aurait ditque la peau se fendait sur son corps ; il se dit :

Quiconque fait delapeineàsonpèrerecueillelui-mêmedespeinesplusgrandes.Ensuiteils'élançarapidement,

courantversleschameliersduroietditàleurchef:Puissetonespritresteréveilléetserein!Quandcethomme

desensvitGuschtasp,ils'avançaversluietluiassignalaplaced'honneur;ilétenditentoutehaieuntapiset

luiapportaquelquechoseàmanger.Guschtaspluiadressadenouveaulaparoleetluidit. :Oami fortunéetàl’âme

tranquille!confie-moiunecaravanedechameauxet,s'ilteplaît,assigne-moiunepaie.Lechamelierluirépondit:

Ohommeaucœurdelion,cettebesogneneteconviendrajamais.Pourquoimedemanderquelquechoseàmoi?Tuferais

mieuxdet'adresserauKaisar,quitemettraau-dessusdubesoin;net’adressequ'àlacour,etsituveux,jete

donneraiunchevaldebonnemineetunhommequiteserviradeguide.

Guschtasplesaluaetlequitta,sedirigeantverslaville,engrandedétresse;sessoucispesaientsurson

esprit, etilserenditauquartierdesforgerons.LàilyavaitunhommenotablenomméBourab,unbonetjoyeux

forgeron, qui ferrait leschevauxduroi,etqueleKaisarestimaithautement;ilavaittrente-cinq ouvriers et

apprentisquisefatiguentaveclemarteauetleferGuschtasprestalongtempsassisdanssonatelier,etàlafin

l'artisans'ennuyadelevoirlàetluidit:Ohommebienveillant,quedésires-tudansmonatelier?Guschtasplui

répondit:Ohomme àlafortunepropice,jen'aipointpeurdumarteauetd'unrudetravail.Situveuxmegarder,je

t'aiderai et je travailleraivaillamment avec ce marteau et cette enclume. Quand Bourab entenditces paroles, il

consentitàsefaireaiderparlui;ilchauffaunegrandemassedeferdanslefeuetlatraînasurl'enclumequand

ellefutchaude.OndonnaàGuschtaspunlourdmarteau,etlesforgeronsformèrentcercleautourdelui.Ildonnaun

coupdemarteauetbrisal'enclumeetlamassedefer,ettoutlemarchéretentitd'exclamations.Bourabfuteffrayé

etluidit:Ojeunehomme,nil'enclume,nilemarteau,nilefer,nilapierre,nilesouffletnerésistentàtes

coups!Guschtaspfutdésespéréàcesparoles,jetalemarteauetpartitdévorédefaimcariln'avaitaucunmoyende

seprocurerdelanourritureetunlogis.Maisnilamisère,nilarichesse,nilerepos,nilajoie,nilesfatigues

nedurentpourpersonne;lebienetlemalpassentégalementsurnousetquiconqueadusensneselaissejamais

abattre.

UNDIHKANREÇOITGUSCHTASPCHEZLUI.

Guschtasppartit,lecœurensouci,enpoussantdescrisetenmaudissantlecielsublimedecequesapartdans

lemonden'étaitquedupoison.Prèsdelaville,ilvitunbourgavecdesarbresfleurisetdeseauxcourantes:

c'étaitungaiséjourpourdeshommesvaillants.Ilaperçutsurleborddel'eauunarbrequijetaituneombrelarge

etsouslequelonétaitàl'abridusoleil;lejeunehommes'assitdansl'ombre,setordantdanssadétresse et

l'âmenoiredesoucis,etdit:OJugetout-puissant!cettevienem'adonnépourmapartqueduchagrin;jevois

quemonétoileestmauvaiseetjenesaispourquoitantdemalheurstombentsurmatête!Unhommenotabledecebourg

agréable,unhommepuissantdanslepays,passaauprèsdeGuschtaspetlevoyantlesyeuxremplisdelarmesdesanget

lementonappuyésurunemain,luiadressa ces paroles: Onoblejeunehomme!pourquoies-tusi soucieux et si

sombred'esprit?Situveuxquittercelieuetvenirdansmamaison,tupeuxjouirpendantquelquetempsde mon

hospitalité,etpeut-êtrecesdouleursdetoncœurdisparaîtront,ettespaupièressécheront.Guschtaspluidit:O

homme qui cherches un bon renom ! dis-moi quelle est ta famille ? Le chefdu bourg lui répondit : Pourquoi

m'adresses-tucettequestion?JesuisdelaraceduvaillantroiFeridoun,etavecunetelleparentépersonne ne

peut être méprisé par le monde. Quand Guschtasp eutentendu ces paroles, il se mit en route et accompagna le

personnageillustre,quilemenadanssamaisonetlaparapourlerecevoir.Sonhôteletraitacommeunfrèreet

satisfitpendantquelquetempsàtoussesdésirs.Ainsis'écoulauncertaintemps,ainsisepassèrentquelquesmois.

HISTOIREDEKITABOUN,FILLEDUKAISAR.

OrilarrivaqueleKaisaravaitl'intention,lorsqu'ilauraitunefilledevenuegrandeetdésirantsemarier,et

qu'ilverraitarrivéletempsdeluidonnerunépoux,detenirdanssonpalaisuneassembléedesgrands,dessages,

deshommesdebonconseil,enfindetousceuxquiétaientseségauxetlespluspuissantsparmileshommesillustres,

puisalorsdefairetraverseràcettefilleauvisagedelunetoutecetteassembléeréuniedanslepalais,pourse

choisirunmari,maisenrestantentouréed'esclaves,desortequ'aucunhommenepûtapercevoirmêmesondiadème.

OrleKaisaravaitalorsdansl'appartementdesfemmestroisfillescélèbresdanslemondepourleurstature,

leurbeauté,leurgrâce,leurvertuetleurmodestie.L'aînéeportaitlenomdeKitaboun;elleavaitdel'espritet

uncaractèresereinetjoyeux.Unenuitellevitenrêvetoutlepayséclairéparlesoleil;ellevitparaîtreune

massed'hommestellequelesPléiadess'enfuirentdevantcettefoule;àlatêtedecetteréunionsetrouvait un

inconnu,unétranger,lecœurpleindesoucis,latêtepleinedesavoir;ilétaitgrandcommeuncyprès,beaucomme

lalune,ets'asseyaitcommeun.roiquis'assiedsursontrône.Kitabounluiremitunbouquetdefleursetenreçut

undelui,pleindebeautéetdeparfum.

Lematin,lorsquelesoleilcommençaàrayonner,etquelesommeilquittalestêtesdesgrands,leKaisarréunit

unegrandeassembléedetouslesbravesetdetousleshéros;ilss'assirentgaiementdanscetteréunion,ensuiteon

appelaKitaboun au visage de lune. Elle quitta sa chambre, entourée de soixante esclaves, et tenant en main un

bouquetderoses;elletraversalafoulejusqu'àcequ'ellefûtfatiguée,maispersonneneluiconvint,etelles'en

retourna de la salled'audience dans l'appartement des femmes, marchant fièrement, maispleuranten secret et

désirantdanssoncœurunmari.Laterreétaitalorsnoirecommeleplumageducorbeau;maislorsqueleflambeaudu

soleilselevaau-dessusdesmontagnes,leKaisarordonnaderéuniraupalaisimpérialtouslesnotablesriches,mais

d'unranginférieur,espérantqu'und'euxplairaitparsabeautéàKitaboun.Lorsquecettenouvelleserépanditparmi

lesgrands,leshommesrenommésetleschefs,leprudentchefdubourgditàGuschtasp:Combiendetempsveux-tu

doncrestercaché?Vaaupalais,carilsepeutquelacouronneetlatrônedupouvoirt'échoient,etquetoncœur

soitdélivrédesessoucis.

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Guschtaspl'écoutaetpartitaveclui;ilentrarapidementdanslepalaisduKaisar,oùilseplaçadansun

coin,séparé des grands, et s'assit tristement et l'âme désolée. Desesclaves pleines d'intelligence arrivèrent,

ensuite Kitabounentouréedeservantesauxjouesderose;ellefitletourdelasalledesonpère,précédéeet

suiviedesesesclaves.QuandelleaperçûtdeloinGuschtasp,ellesedit:Voilàmonrêvequis'éclairaetsur-le-

champelleparadesonricheetnoblediadèmelatêteheureuseduprince.LorsqueleDestourquil'avaitinstruite

vitcetacte,ilcourutàl'instantauprèsduKaisar,s'écriant:Elleachoisidansl'assembléeunhommedontla

tailleestcelled'uncyprèsdanslaprairie,dontlesjouessontunjardinderoses,etlesbrasetlesépaulestels

qu'ilsjettentdansl’étonnementceuxquilesvoient.Maisnesavonsquiilest,maisondiraitquetoutcequeDieu

peutdonner de majesté repose sur lui. Le Kaisar répondit : A Dieu neplaise que j'aie une fille qui amène de

l'appartement,desfemmesledéshonneursurmafamille!Sijedonnaismafilleàcethomme,j'auraisàcourberle

frontdehonte;ilfautdoncqu'ontranchedanslepalaislatêteàelleetàceluiquelleachoisi.LeDestourlui

répondit:Cen’estpasuneaffairesigrave.Ilyaeuavanttoibiendesprinceschoisisdecettemanière.Ortuas

dit à mafille de prendre un mari, et non pas de prendre un prince illustre ;etelleachoisiceluiquiluia

convenu;nedétournepastonespritdelavoiedeDieu.Cettecoutumevientdetesancêtres,tespèrespleins de

fierté,dedévotionetdevertus,etc'estparellequeRoums'estfortifié;n'introduispasdenouvellesvoiesdans

cepaysflorissant,ceneseraitpasdigned'unroi;neprononçapasdepareillesparoles,etnemarchepasdansune

voieoùtun'asjamaismarché.

LEKAISARDONNEKITABOUNAGUSCHTASP.

LeKaisarl'écoutaetsedécidaàdonnersafilleillustreàGuschtasp.Illuidit:Parsavecelle;tune

recevrasdemoinitrésors,nitrône,nisceau.Guschtaspvoyantcelarestaconfonduetadressadelonguesprièresau

Créateurdumonde;ensuiteilsetournaverscettejeunefemmequiportaithautlatête,etluidit:Otoi quies

élevéedélicatementetdansl'abondance;pourquoitonchoixest-iltombésurmoiparmitantdechefs,tantd’hommes

portantdesdiadèmesglorieux?Tuaspréféréunétrangerquinepeutpastedonnerdesrichessesetavecquitu

vivras pauvrement.Choisisundeteségauxparmilesgrands,pourquetunetedéshonorespasauprèsdetonpère.

Kitabounluidit:Ohommedepeudeconfiance!net'affligepasdecequelecielamène;sijemecontentedeton

sort,pourquoidemanderundiadème,untrôneetunecouronne?

KitabounetGuschtaspsortirenttristementetensoupirantdupalaisduKaisar.Quandilsfurentarrivéschezle

chefdubourg,illeurdit:Soyezcontentsetheureux!Illeurfitpréparerunemaisondanslebourg,etyfit

porterdesvivresetlesplusbeaux,tapis.QuandGuschtaspvitcela,ilenrenditgrâcesàcetillustreetglorieux

seigneur.Kitabounpossédaitdesparuressansnombreetunequantitédepierresfinesdetoutesorte.Ellechoisit

parmiellesunjoyautelquel'œildusagen'enajamaisvudepareil;ilsleportèrentàunhommequiseconnaissait

enpierreries:illereçutavecuneadmirationinfinie,etleleurpayasixmillepiècesd'or,unesommedigned'un

roi.Ilsachetèrentcequileurétaitnécessaireetcequiétaitconvenabledansleurpauvreté.Avecle reste de

l'argent,ilsvécurent;tantôtilsétaientheureux,tantôtilspleuraient.

Toutel'occupationdeGuschtaspétaitlachasse,toutelajournéeilportaitsoncarquoisetsesflèches.Orun

jour,auretourdelachasse,soncheminleconduisitprèsdeHeischoui;ilétaitchargédeproduitsdesachassede

toute espèce etmarchait, le carquois encore rempli de flèches ; il porta toute sachasse, grande et petite, à

Heischoui. Quand celui-ci l'aperçut, ilcourut au-devant de lui gaiement et l'âme réjouie, étendit un tapispour

qu'ils'y assît, et apporta quelque chose qu'il pût manger.Guschtaspsereposaetmangea,etpuiss'enretourna

auprèsdeKitaboun,aussirapidequelapoussière.QuandGuschtaspfutdevenul'amideHeischoui,ils'attachaàlui

commeunesclave,àcausedesasagesse;quandilsortaitdubourgpourtuerunchevreuil,ilenportaittoujoursà

Heischouideuxparts,latroisièmeétaitpourlechefdubourgoupourundesprincipauxhabitants.C'estainsique

Guschtaspvivaituniaveclechefdubourg,jouissantdelaviepaisiblementetsagement.

MIRINDEMANDEENMARIAGELASECONDEFILLEDUKAISAR.

IlyavaitunhommeàRoum,dunomdeMirin,quienvoyaunmessageauKaisaretluifitdire:Jesuisunhomme

de haut rang, riche et puissant;lagloirede ma bravoure est arrivée jusqu'au ciel. Donne-moi ta noble fille,

rajeunis par moi tondiadème et ton nom. Le Kaisar répondit : Dorénavant je ne prendraiplus de gendre comme

autrefois.Kitabounetcethommederienqu’elleachoisim'ontdétournédecettevoie.Maintenantquiconque veut

s'allieràmafamille,etfût-ceunhommed'unrangplusélevéquelemien,devrafaireunegrandeaction,pourque

lespuissants reconnaissent son pouvoir, qu'il devienne illustre dans lemondeetqu'ilmeservedesoutien.Que

Mirinailleàl'entréedelaforêtdeFasikoun,etqu'iltrempesoncœur,samainetsoncerveaudansdusang.Ily

verraunloupgrandcommeunéléphant,dontlecorpsestcommelecorpsd'undragonetlaforcecommecelled'un

crocodile;iladesdéfensescommeunsanglierdescornes,etunéléphantn'oseraitpastenircontrelui.Niunlion

mâle, ni un éléphant, ni un tigre, ni un homme,si vaillantqu'il soit, n'ose traverser cette forêt. Quiconque

parviendraàluifendrelapeauserapourmoiunappui,ungendreetunami.

Mirinsedit:Danscenoblepays,mesancêtresnesesontjamaisbattusqu'avecdelourdesmassuesetcontredes

princes,depuisqueDieuafondéRoum.QuedemandedoncmaintenantleKaisar?est-ceparhainequ'ilmeparleainsi

? Il faut que je trouvemoyen de faire ce qu'il veut, il faut que je m'y prenne de lameilleure manière que je

pourrai.Cethomme,quiétaitlefavoridetous,rentradanssonpalaisetfitdesréflexionsdetouteespèce;il

apportadeslivres,lesplaçadevantlui avec untableaudesconstellationsetsonhoroscope,etvitquedansun

certaintemps,ildevaitvenirunhommeillustredel'Iranquiferaittroisgrandesactionsdépassanttousleshauts

faitsdesgrandsdeRoum.D'abordildeviendraitlegendreduKaisaretbrilleraitcommelediadèmesurlefront

impérial;ensuiteilparaîtraitdansleRoumdeuxbêtessauvagesquiferaientdumalàtoutlemonde,ettoutesles

deuxseraienttuéesparcethomme,àquiaucunennemi,sipuissantqu'ilfût,neferaitpeur.

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Quandilappritl'histoiredeKitaboun,quiavaitunisonsortàceluiduvaillantGuschtasp,etl'amitiéqui

liaitcelui-ciavecHeischouietlechefillustredubourg,ilaccourutauprèsdeHeischoui,luiracontatoutcequi

s'étaitpassé,et luiexpliqua la constellation qui, selon les savants de Roum, annonçait lesmerveilles qui se

passeraientdanscepays.Heischouiluidit:Resteaujourd'huijoyeusementetamicalementchezmoi.L'hommequetu

m'asindiquéestunhommeillustre,etportehautlatête;toutelajournéeilnes'occupequedelachasse,etne

pensepasautrôneduroidel'Occident.Hier,iln'estpasvenuchezmoietn'apasréjouimonâmeparsaprésence,

maisilvasansdoutedirigericisespasaussitôtqu'ilreviendradelachasse.Ilapportaduvinetilssemirentà

boire,assisaumilieudeparfumsetdefleurs,lescoupesd'orenmain;lorsqu'ilseurentvidéquatrecoupesdevin,

levaillantcavalierparutdanslaplaine.HeischouietMirinl'aperçurent,etcoururentau-devantdeluidanscette

plainefaitepourlescombats.MirinleregardaetditàHeischoui:Personnen'estsonégaldanslemonde;cehéros

illustre,aveccettestature,cesbrasetcettegrandemine,doitêtredefamilleroyale.Heischouiluirépondit:

Cet hommegénéreux n'est heureux que sur un champ de bataille, et sa bravoure,sa modestie, sa noblesse et son

intelligencesontencoreplusgrandesquen'indiquesamine.QuandGuschtasps'approchad'eux,ilsdescendirent de

leursdestriersetHeischouiarrangeauneplaceauborddelamer,fitapporterentoutehâteunenouvelletable,fit

venirduvinetdejeuneséchansons,etpréparaunbanquetd'uneespècenouvelleavecsesjeunesamis.Quandlevin

couleurderubiseutrougilesjouesdesconvives,HeischouiditàGuschtasp:Ohéros!tum'appellestonmeilleur

ami sur la terre, tu ne connaispersonnemieux que moi ; or Mirin a pris refuge auprès de moi; c'est un homme

illustreetriche,ilsaitécrire,c'estunsavantetunhommehabile,quipeutcalculerlemouvementducielsublime

;ilsaitprédire,d'aprèslessagesdeRoum,laprospéritéouladésolationdetoutpays;iltiresonoriginedela

familledeSelm,dontilconnaîtlesnomsdepèreenfils;ilpossèdel'épéedeSelm,l'épéequeSelmnequittait

jamais;c'estuncavalier,unhéros,unlionvaillant,quiatteintavecsaflècheunaigledansleciel.Maintenant

il voudraitencoregrandirets'allierauKaisardeRoum;ilaparléauKaisaretareçuuneréponse,etcette

réponsefaittremblersoncœur.LeKaisarluiadit:TutrouverasdanslaforêtdeFasikoununloupgrandcommeun

dromadaire,etlorsquetul'aurastué,tudeviendrasdansleRoummonhôtehonoré,tudeviendrasunprincepuissantet

mongendre,etlemondem'accorderacequiestmondroit.MaintenantsituveuxaiderMirin,jeseraitonesclave,et

cethommeillustredeviendratonparent.

Guschtasprépondit:Cetteaffairem'agrée,tellequevouslaproposez.Maintenantoùestcetteforêt?Comment

peut-ilyavoirunebêtefauvequifaitlaterreurdesgrandsetdespetits?

Heischouidit:Cevieuxloupaunestatureplushautequ'unfortdromadaire;sesdeuxdéfensessontcommeles

défensesd’éléphant,sesyeuxsontrougescomme lafleurdujujubier,sapeauestdurecommecelleducrocodile,ses

cornessontcommedespoutresdeboisd'ébène,etquandilestencolère,ilperced'unseulcoupdeuxchevaux.Bien

desprincesillustressontpartisd'iciavecdelourdesmassues,etsontrevenusdecetteforêtsans avoiratteintle

but,couvertsdehonteetlecœurfondudepeur.Guschtasprépondit:Apportez-moicetteépéedeSelmetamenezun

chevalfieretardent.J'appellecettebêteundragonetnonpasunloup,carsachezqu'iln'yapasdeloupgrand

commeundromadaire.

Acesparoles,Mirinpartitetcourutàsonpalais;ilchoisitdanssesécuriesunchevalnoir,unecottede

maillesmagnifiqueetuncasquedeRoumpritcettericheépéed'acierqueSelmavaitdamasquinéeavecdupoisonetdu

sang,ettiradesontrésorbeaucoupdeprésents,desrubisetd'autrepierreries,cinqdechaqueespèce.Lorsquele

soleileutdéchirésachemisecouleurdesuieetfutsortidesonvoile,Mirin,quiambitionnaitlapossessiondu

monde,quittasonpalaisetcourutauprèsdeHeischoui.Guschtasp,desoncôté,revintdelachasseetsedirigeavers

eux;Heischoui,quiétaitauxaguets,levit,etluietMirinallèrentàsarencontre,étonnésdelafacedeson

cheval etdelagrandeurdesonépée.GuschtaspregardalesprésentsdeMirin,choisitparmiletoutlechevalet

l'épée,donnaleresteàHeischouietréjouitl'âmedecethommeambitieux.Ilserevêtitrapidementdelacottede

mailles,montasurlechevaldebataille,bandasonarc,suspenditlelacetaucrochetdelaselle,etlecavalier

quiportaithautlatête,etsonchevalnoir,étaientprêts.HeischouietMirin,quidésiraitlapossessiondumonde

et était venu ensuppliant, l'accompagnèrent jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés sur lalisière de la forêt de

Fasikoun,entremblantpourluietlecœurgonflédesang.

GUSCHTASPTUELELOUPDEFASIKOUN.

Quandilsfurentarrivésprèsdelaforêtetdelatanièreduloup,Mirintremblaenpensantàceloupterrible

etmontraàGuschtasp,avecsondoigtétendu,lelieuoùsetenaitledragon,etluietHeischouis'enretournèrent

dansleurterreur,lecœurgonfléetlesyeuxpleinsdelarmesdesang.Heischoui,enquittantcethommequiportait

hautlatête,dit:Nousneleverronsplus.Hélas!quelletaille,quelbras,quelvisage,quelleforceetquelle

massue!Guschtasps'approchadelaforêt,soncœuravidedecombatsdevintsoucieux.;ildescenditdesondestrier

pleindefierté,etsemitàprierleMaîtredumonde,disant:ODieu!letrèssaint,lenourricier detousles

êtres,toiquidirigeslarotationdusort,viensàmonaidedanscedanger,aiepitiédel'âmeduvieuxLohrasp.Si

cepuissantdragon,queleshommesdépourvusdesensappellentunloup,parvientàmevaincre,monpère,quandille

saura,pousseradescrisetenperdralesommeil;ilresteradansl'excèsdesadoubleurcommeuninsensé,errant

partout,poussantdescrisetcherchantmestraces;etsijem'enfuis,effrayéparcettebêteméchante,j'auraià

voilermatêtedehontedevantlafoule.Ildit,etremontasursondestrier,poussantdescris,bouillantd'ardeur,

tenantenmainsonépée,etl’arcsuspenduaubras,c'estainsiqu'ils'avançaprudemmentetlecœurgonflédesang.

Quandilfutarrivédanslefourré,ilfitéclatersavoixcommeletonnerrequisortd'unnuagedeprintemps.Leloup

l'aperçutàl'entréedelaforêt,poussauncriquimontajusqu'auxnuagesnoirs,etdéchiradesesgriffeslasurface

dusolcommeunlionouunvaillantléopard.Guschtaspvitcedragon,ilfrottasonarcetletendit;rapidement

commeleventilfitpleuvoirdesflèchessurleloup:sonarcfutpourluicommeunnuageprintanierquilancela

foudre.LabêteféroceayantétéblesséeparlestraitsdeGuschtasp,ladouleurréveillasoncourage;saisiede

fureur,elles'élançaencourantcommeungranddromadairelescornesenavant,àlamanièredescerfs,lecorps

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endoloriparsesblessuresetlecœurgonflédesang.Arrivéeprèsducavalier,elledonnauncoupdedéfensecontre

leflancnoirduchevaletledéchiradepuislestesticulesjusqu'aunombril.Guschtasptirasonépée,mitpiedà

terre,frappaleloupaumilieudelatêteetluifenditlesépaules,ledosetlapoitrine.

GuschtaspseprosternadevantleMaîtredesbêtesféroces,lemaîtredetoutescience,lemaîtredubonheuretdu

malheur,etrendithommageauCréateur,disant:Otoi quiascréélemonde,tuesleguidedeceuxquisesont

égarés,tueslemaîtresuprême,ledistributeurdelajustice,leDieuunique.Toutaccomplissementdenosvœuxet

toutevictoirenedépendentquedetavolonté,toutemajestéettoutescienceneportentquetonnom.Ilsereleva

aprèscetteprière,arrachaauloupsesdeuxlonguesdéfensesetsortitàpieddelaforêt;ilmarchajusqu'àce

qu'ileûtatteintlamer.Làétaientassisauborddel'eauHeischouietMirin,pleinsdesoucis,neparlantquedece

quis'étaitpâmé;leursdiscoursroulaientsurGuschtaspetleloup,etilsdirent:Hélas!cebraveetvaillant

cavalierestmaintenantengagédansungrandcombatetdéchiréparlesgriffesduloup.

Quand Guschtasp parut à pied, les joues couvertes desang et rouges comme la fleur de fenugrec, ils

l'aperçurent,selevèrentbrusquementetsemirentàpousserdescrisdedétresse.Ilslepressèrentdansleursbras

avec pitié, les joues pâles, lescilsinondésde larmes comme d'une pluieprintanière, demandant comment s'était

passésoncombatcontreleloup,etracontantcombienleurscœursavaientéprouvéd'anxiétépour.lui.Guschtaspdità

Heischoui:Ohommedebonconseil,iln'yadoncdansRoumaucunecraintedeDieu,pourquedepuisdelonguesannées

onlaissedecettefaçonvivredanslepaysundragonféroce,quituetousleshommesquipassent,etpourquile

Kaisarn'étaitpasplusqu'unepoignéedepoussière?Jel'aifenduendeuxavecl’épéedeSelm,etjevousaidélivré

detoutecetteterreur.Allez,ethâtez-vousdevoircettemerveille,regardezcevilmonstreauquelj'aidéchiréla

peau.Alevoir,ondiraitquec'estunéléphanténormeetquiremplittoutelaforêtparsalargeuretsalongueur.

Touslesdeuxserendirentàlaforêtencourant,heureuxdecesparolesetl'âmetranquille.Ilsyaperçurentun

loupgrandcommeunéléphant,avecdesgriffesdelion,etdelacouleurd'uncrocodile,fenduendeuxd'unseulcoup,

depuislatêtejusqu'aumilieuducorps,commesil'onavaittaillédeuxlionsdansuneseulepeau.Acettevue,ils

s'étendirentenlouangessurcethommeillustre,quiétaitcommelesoleildelaterre.Ilsrevinrentdelaforêtle

cœurjoyeux,etdescendirentdechevalauprèsdecelionvaleureux;Mirinluioffritdesprésentsdignesd'unhomme

vaillant,maisiln'acceptaqu'unautrecheval,ets'enretournaàsamaison.

Quandilarrivaduborddelamerverslelieudesonrepos,Kitabounaucœurclairvoyantallaàsarencontreet

lui dit :Où as-tu trouvécettecottedemailles, puisque tu n'es parti d'ici que pour la chasse, et cetteépée

damasquinéequifendraituneenclume?Illuirépondit:Otoidontlesjouesressemblentàlalune,écoute-moi!

Sache,monâme,qu'ilestvenuunecompagnied'hommesrichesdemonpays,etquelques-unsdemesparentsm'ontfait

présent decettecottedemailles,decetteépéeetdececasqueenprenantcongédemoi.Kitabounapportaduvin

parfumécommedel'eauderoses,etenbutavecsonmarijusqu'àcequ'ilfûttempsdedormir.Cesdeuxjeunesgens,

quiobservaientlesastres,secouchèrentheureux,maisGuschtasp bondit à tout momentdanssonsommeil ; car il

rêvaitdesoncombatavecceloupquiressemblaitàunvaillantetfurieuxdragon.KitabounluiditQu'ya-t-ildonc

cettenuit,quetutremblesainsi,quoiquepersonnenetetouche?Ilrépondit:J'airêvédemafortuneetdemon

trône. Alors Kitabouncomprit que par sa naissance il était de rang tout à fait royal,qu'il était un grand

personnage,maisqu'ilnevoulaitpasleluidirenidemanderdupouvoirauKaisar.

Guschtaspluidit encore:Otoi ,auvisagedelune,àlastaturedecyprès,auseind'argent,auparfumdemusc

!préparetoutpourquenouspuissionspartirpourl'Iranetnousrendredanslepaysdesbraves:tuyverrasun

royaumeremplidesplendeuretunroijusteetgénéreux.Kitabounluirépondit:Neparlepasfollement,netedécide

pasàpartirdansunmomentd'impatience.Situasl'intentiondequittercepays,entends-toid'abordavecHeischoui

;ilsepeutqu'iltefassetraverserlamersursabarque,carquandilt'aamenédanscettebarque,lemondeena

étérajeuni.Quantàmoi,jeresteraiicidansunlongdeuil,carjenesaisquandjetereverrai.Ilssemirentalors

àpleurer,dansleurlit,surl’aveniretàseconsumerdufeuintérieurdeleurdouleur.Maislorsquelesoleildans

sa rotation commença à briller dans la voûte du ciel,les jeunes époux, pleins de prévoyance et le cœur rempli

d'espoir,selevèrentdeleurlitmoelleuxetfirentdespréparatifspourleurdépart,disant:Dequellemanièrele

cielva-t-iltournerau-dessusdenous,est-ceaveccolèreouavecfaveur?

Mirin,desoncôté,partitcommelevent,serenditentoutehâteauprèsduKaisar,etluidit:Oillustreet

puissantmaître!lesravagesdeceloupsontfinis,lecorpsdecedragonremplittoutelaforêt,etjevoudraisque

tuallassesvoircettemerveille.Ilestarrivésurmoipourm'attaquer,maismonbrasluiaassenéuncoupquil’a

fendu de la tête jusqu'aumilieu du corps, et le cœur du Div a tremblé de ce coup. A cesparoles, le Kaisar se

redressa, ses joues pâles se colorèrent, ilordonna qu'on fit partir de la ville des bœufs, des voitures et des

tentes,qu'onpréparâtunlieudefestinetqu'onyenvoyâtduvin,delamusiqueetdeséchansons.

Ilssemirentenroute,avecdesbœufsquitraînaientdesvoitures,pourcetteforêtcélèbreàcauseduloup;en

arrivant,ilsvirentcetéléphantfurieuxfenduparuncoupd'épéedelatêtejusqu'aumilieuducorps,lefirent

traînerdehorssurlaprairiepardefortsbœufsattelésauxvoitures,etlemonderegardacevieuxloup,quedis-je,

unloup!ceterriblelion.QuandleKaisarvitlecorpsdecetéléphantfurieux,ilsefrottadejoielesmains,et

lemêmejourilappelalechefduDiwandanssonpalais,donnasafilleàMirinetfitécrireunelettreàtousles

grands,àtouslesévêques,àtouslespatriciensetàtousleschefs,queMirin,lelion,leplusfierdesfilsdu

Roum,avaitdélivrélepaysduloupformidable.

AHRENDEMANDEENMARIAGELATROISIEMEFILLEDUKAISAR.

IlyavaitunhommeplusjeunequeMirin,dontlatailledépassaitcelledetouslesgrandsduRoum:c'étaitun

hérospleindedignité;sonnométaitAhren,ildescendaitd'uneracepuissante,soncorpsétaitd'airain.Cefils

duroiserenditauprèsduKaisaretluidit:Puissecepaysprospérersoustoi!JesuissupérieuràMirinentoute

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chose,jesuisplusriche,monépéeestplusforte,moncourageplusgrand.Donne-moitafillecadetteetjerendrai

brillantstonarméeettondiadème.LeKaisarrépondit:Tuaspeut-êtreentenduquelsermentj'aifaitdevantle

Créateur.J'aijuréquemafillenechoisirapassonmari,etquejedévieraidescoutumesdemesancêtres.Ilfaut

faireuneactioncommecelledeMirin,ensuitetuserasmonégal.IlyadanslemontSekilaundragonquidévaste

pendanttoutel’annéecepays;situdélivresleRoumdecedragon,jetedonneraimafilleetdestrésors,etune

province. Il est l'égal de ce loup quiabattait les lions, et son souffle empoisonné est un piège que noustend

Ahriman.Ahrenluirépondit:Jeferaicequetuordonnes:quemaviesoitgarantedemabonnevolonté.

IlquittaleKaisar,suffoquédesesparoles.Ilditàsesamis:Cecoupdemortduloupn'apuêtredonnéque

parl'épéed'unhéros;commentMirinaurait-ilpufaireunetelleaction?LeKaisarnesaitpasdistinguerunhomme

d'unautre.J'iraiauprèsdeMirinetluiferaidesquestions:ilm'indiquerapeut-êtrequelqu'unquiaitunmoyen

desalut.IlcourutaupalaisdeMirinetenvoyaunserviteurpourannoncersavisite.OrMirinavaitunesalletelle

que la lune n'en possède pas une semblabledans son orbite ; c'était un homme ambitieux, hautain et brave, qui

portaitsurlatêteundiadèmecommeleKaisar.Unesclaveluiditqu'Ahrenaucorpsd'éléphantarrivaitavecune

escorte;alorsilfitarrangersasalleencoreplusmagnifiquement,etsesprincipaux,domestiques sortirentpour

recevoirAhren.QuandMirinlevit,ill'embrassaetluidemandadesnouvellesdesasanté.Ensuiteilsrenvoyèrent

tout le monde de la salle d'audience, et les deux princess'assirent tout seuls sur le trône. Ahren lui dit :

Réponds-moi,etnecherchepasàmetromperdanscequejetedemande.JedésireépouserlafilleduKaisar,quiest

laplusgrandedameduRoum.Je l'ai ditauKaisar, et il m'a répondu que je devaiscombattreledragondansla

montagne;raconte-moidonctoncombatavecleloup,etsers-moideguideetdemaître.

Mirin,àcesparolesd'Ahren,setroublaetréfléchitques'ilrefusaitdedireàAhrencequeGuschtasp, le

championdumonde,avaitfait,celanéanmoinsneresteraitpascaché;qu'unhommedevait,avanttout,agiravec

droiture,pendantquelesvoiesténébreusesettortueusesneconduisaientqu'àdeslarmes;qu'ilvalaitdoncmieux

direlavérité;quepeut-êtrececavaliervaillantabattraitlatêtedudragon,etqu'alors,luietAhrenétantamis

etsesoutenant,ilneresteraitdanslesmainsdeleursennemisqueduvent;plustardilspourraientdétruirele

cavalier,carleursecretresteraitbiencachéquelquetemps.IlditàAhren:Jetediraicequis'estpasséavecle

loup,quandtum'aurasprêtéungrandsermentdenejamaisparlerdecesecretnijourninuit,etdenejamaisouvrir

les lèvressur ce sujet. Ahrens'engagea sur-le-champ par un serment solennel et accepta en toutpoint cette

convention.AlorsMirinappliqualeroseausurlepapieretécrivitunelettreàHeischoui,dans laquelleildit:

Ahren,quidescenddelafamilledesKaisars,estunprinceambitieux,riche,justeetpossesseurd'untrône;il

demandeàépouserunefilleduKaisar,ladernièrequiluireste;maisledragonluitendraunpiègeettâcherade

ledétruire.Ilestvenuchezmoipourmedemanderunmoyendesalut,jeluiaidévoilécequis'estpasséetluiai

racontéexactementl'histoireduloupetduvaillantcavalier.Celuiquim'atiréd'affairevoudrasansdouteaussi

tirerd'affaireAhren,donnerainsidelapuissancedanscepaysàdeuxhommes,etplacersursonproprefrontun

diadèmebrûlantcommelesoleil.

Ahren,quicherchaitunmoyendesalut,serenditentoutehâteauprèsdeHeischoui,etlorsqu'ilfutarrivéau

borddelamer,l'ambitieuxHeischouil'aperçut,reçutdeluicettelettrefaitepourleflatter,lesaluahumblement

etrompitlefilquifermaitlalettre.Ensuiteilluidit :Ohommeillustre,puissentlesâmesnoblesnejamais

êtreaffligées!UnjeuneetglorieuxétrangeradonnéàMirinsaviepourgageetmaintenant,quandilcombattrale

terribledragon,ilfautespérerqu'ilnepérirapasdanscettelutte.Jenepuisqueparler,c'estàtoid'agir;

mais c'est toujours quelque chose que de donner debonnes paroles. Contente-toi, cette nuit, de cette maison ;

établis-toiici,etréjouis-toidel’aspectdelamer,carlehérosillustreviendrademainetjeluidiraitoutce

quetuvoudrasquejeluidise.

Ilsplacèrentdesflambeauxsur leborddelameret.semirentàmangeretàboireduvinjusqu'àcequeles

lueursdumatinserépandissentdusoleilsurlasurfacevertedelaterreetlavoûtebleueduciel.Danscemoment

unvaillantcavalierparutsurlaplaine;l'illustreAhrenl'aperçutduborddelameretditàHeischoui:Cet

hommeglorieuxarrive;regarde,lecielestremplidelapoussièrequesoulèvesoncheval.Quandilfutplusprès,

lesdeuxhommesaucœurjoyeuxcoururentàpiedau-devantdelui;levaillantcavaliermitpiedàterreetdemandaà

Heischouiduvinetdelanourriture.Heischouis'empressadeluiadressercesparoles:Puisses-tuêtreheureuxjour

et nuit, ô homme-illustre ! Regarde cedescendant des Kaisars, qui fait la joie du ciel qui tourne. Il estnon

seulementdelaracedesKaisars,maisiladupouvoir,ungrandrenom,destrésorsettoutcequ'ilfaut.Ildésire

devenirlegendreduKaisar,etcherchequelqu'unquipourraitleguider.Iln'yapersonnequelesKaisarsquisoit

desonrang;ilestbrave,puissantethautdetaille.Ilafaitsademande,etonluiaréponduparunenouvelle

exigence,carleKaisarluiadit:Deviensvainqueurdedragons;situesdemarace,faisuneempreintedeKaisar.

Devantlesgrands,ilneparle,jouretnuit,quedeMirin,enrépétantquequiconqueveutdevenirunornement du

trônedoitêtrel’émuledurenometdelafortunedeMirin.Or,ilyanonloind'iciunehautemontagne,quioffre

partoutdeslieuxpropicesauxfêtesetauxbanquets;maisundragondemeuresurlesommetdelamontagne,ettout

lepaysdeRoumestterrifiéparsesravages.Iltireduseindesairslevautour,ilarrachelecrocodileterribledu

fonddelamer;sonhaleineetsonveninbrûlentlaterre;jamaispersonnen'arienvudesemblable.Situparviens

àletuer,tujetterasdansl'étonnementlemondeentier;etsiDieuletrèssainttevientenaidedanscette

entreprise,lesoleilnetourneraplusqueselontongré.Nousneconnaissonsaucunhommedeguerrequisoittonégal

enstatureetenforcevictorieuse.Guschtaspluirépondit:Va,etprépare-moiunlongkhandjar,quidoit,avecla

poignée,mesurercinqempans;ilfautqu'ilaitdesdeuxcôtédesdentsaiguëscommeunserpent,qu'ilporteune

pointe semblable à une épine, qu'il ait été trempéavec du poison et du sang, qu'il soit tranchant et d'un poli

brillant;donne-moiundestriercaparaçonné,unemassue,uneépéeetunerobeindienne,etavecl'aidedeDieuetde

mafortunevictorieuse,jeprécipiterailedragonduhautdesonarbre.

GUSCHTASPTUELEDRAGON,ETLEKAISARDONNESAFILLEÀAHREN.

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AhrenpartitetapportatoutcequeGuschtaspavaitdemandé,etquandtoutfutpréparé,celui-cimontaàcheval

surleborddelamer,etsesamispartirentaveclui.LorsqueHeischouiaperçutlemontSekila,illeluimontradu

doigtetseretira.LuietAhrens’enretournèrent;maislehéros,quiambitionnaitlapossessiondumonde,arriva,

aumomentoùlesoleilcommençaitàlancersesrayons,devantlamontagneoùétaitlademeuredecetaffreuxserpent.

Quandledragonvitsahautestature,ilessayadel'attirerversluiavecsaqueue;maislejeunehommesuspendit

soncarquois aucrochetdelaselleetfitpleuvoirunegrêledetraits.Ledragons'approchaplusprès,alorsle

héros rassemblatoutes ses forces et lui enfonça le khandjar dans la gueule, eninvoquant le nom de Dieu, le

distributeurdelajusticeetdetoutbien.Ledragonserrasesdentsaiguëssurlekhandjar,maisl'armeentratout

entièredanssonpalais;ilversaduveninjusqu'àcequ'ilfûtépuisé,lamontagnefutinondéedeceveninetde

sonsang.AlorsGuschtasp,lelion,saisitsonépéeetenfrappauncoupsurlatêteduvaillantdragon,dontla

cervellejaillitsurtoutcegrandrocher.Lehéros,àquilafortuneétaitfavorable,descenditdecheval,arracha

sur-le-champdeuxdentsdelagueuledudragon,puisallaselaverlatêteetlecorps.Ilseprosterna,lefront

contrelaterreetenpoussantdescris,devantleCréateur,lemaîtredelavictoire,quiluiavaitaccordécegrand

triomphesurledragonetsurlevieuxloup.Ils'écria:LohraspetlenobleZerirétaientfatiguédeGuschtasp,

corpsetâme,etpourtantmonespritbrillant,moncœurpuretlaforcedemonbrasontsuffipourabattreunpareil

dragon;maislesortnem'aapportéquedessoucisetdelamisère,etm'aversédupoisonaulieudethériaque.

PuisseDieum’accorderdelaviejusqu'àcequej'aierevupouruneseulefoislestraitsduteroi!Jeluidirais:

Aquoim'aservilarecherchedutrône?Jel'aipoursuivie,maislafortunem'aabandonné.

Ensuiteilmontasursondestrier,lajoueinondéedelarmesetsonkhandjarbrillantenmain;arrivéprèsde

Heischouietd'Ahren,illeurracontacequiluiétaitarrivédemerveilleux.IlditàAhren:Cekhandjartranchant

adétruitledragon.Vousavezeupeurdel'haleinedupuissantdragonetdecombatcontreleloup;maismoije

crainsbiendavantagelalutteavecdeschefsvaillants,fiersetarmésdelourdesmassues,quelecombatavecon

crocodilequisortdesprofondeursdel’eau,armédesesgriffes.J'aivubiendesdragonscommecelui-cietneme

suispasrefuséàlescombattre.HeischouietAhrenécoutèrentcejeunehéros,dontlesparolesetlasagesseétaient

dignes d'unvieillard, et ces deux hommes, qui portaient haut la tête, lesaluèrent humblement lorsqu'ils eurent

entendusondiscours,etluidirent:Ovaillant lion,jamaisunemèrenemettraaumondeunhéroscommetoi.Ahren

luioffritbeaucoupdechosesprécieusesetdeschevauxmagnifiques,couvertsdeparures;maisiln'acceptaqu'une

épée,unchevalnoir,unarc,desflèchesàtripleboisetunlacet,etdonnaàHeischouitoutl'oretlespièces

d'étoffe.Guschtaspditalorsàsesdeuxpuissantsamis:Ilnefautpasquequiquecesoitapprenneriendececi,

niquej'aivucevaillantdragon,niquej'aientendulecriduloup.Ensuiteilpartit,heureuxetcontent,etse

renditentoutehâteauprèsdeKitaboun.

Ahrenpartit,amenadesbœufsetdeschariots,etlivralecorpsdudragonàsesserviteurs,disant:Conduisez-

leaupalaisduKaisar,mettez-ledevantlesyeuxdeschefsdel'armée.Lui-mêmedevançalesbœufsetleschariots,

etcourutauprèsduKaisar.OnappritalorsàRoumcequis'étaitpassé,etleshommesquiavaientdel'expériencese

hâtèrentdevenir,etilsvirentcepuissantdragonquelevaillanthérosavaitabattu.Lorsquelesbœufssortirent

delamontagneetarrivèrentdanslaplaine,lafoulepoussauncriimmenseàl'aspectdelablessurequ'avaitreçue

ceterribledragon,quifaisaitunelourdechargepourlesbœufsetleschariots.Lavoixdelamultitude montait

jusqu'auciel,etl’onauraitditquelesbœufssuccomberaientsouslepoids.Quiconquevoyaitlablessurefaitepar

le coup d'épée etentendaitlebruitdesbœufsetdeschariotsdisait:C'estuncoupdonnéparAhriman,quoique

l'épéequiafrappésoitcelled'Ahren.

CependantleKaisarsortitdesonpalais,rassemblalesgrandsetlessagesetcélébraparunfestinlamortdu

dragon,depuisl'aubedujourjusqu'àcequelemondefûtcouvertdeténèbres.Aussitôtquelesoleilsursontrône

eut posé lacouronne sur sa tête et queles feuilles des platanes furent dorées par ses rayons, le Kaisar fit

chercherleDestour,demandadesnouvellesdesasantéetlefitasseoirsurletrôned'or;touslespatricienset

tous les docteurs de la villequi avaient un nom honoré se réunirent devant l'évêque avec leKaisar et ses

conseillers,etl’ondonnaàAhrenlafilleduKaisar,duconsentementdesamèrepleinedetendresse.Aussitôtque

cettefouleeutquittélasalled'audience,lecœurduKaisarillustres'épanouitetildit:Cejourestmongrand

jouretlepuissantcielremplitmonâmedejoie,carpersonnedanslemonde,parmilesgrandsetparmilespetits,

n'ajamaiseudeuxgendrescommemoi.Ilfitécrireunelettreàtouslesprincesquipossédaientuntrôneouun

diadème,pourleurdirequelevaillantdragonetlefierloupétaienttombéssouslescoupsdedeuxhéros.

GUSCHTASPSEDISTINGUEDANSLECIRQUE.

LeKaisarfitconstruiredevantsonpalaisunetribunequiressemblaitàsontrônebrillant;sesdeuxgendres

serendirentaucirque,etréjouirentsoncœurenchanté,entirantdesflèchesenjouantàlaballe,enjoutantavec

deslances;enfaisanttournerleurschevauxavecunartparfaitilss'élançaientàgaucheetàdroite,onaurait

ditquel’équitationn'étaitfaitequepoureux.Quelquetempss'étantainsipassé,lasageKitabouns'approchade

Guschtaspetluidit:Otoiquiesassistristement,pourquoiaffligertonâmedesoucis?IlyaàRoumdeuxgrands

pluspuissantsquelesautres;ilspossèdentdescouronnes,destrésorsetdesdiadèmes:l'und'euxestceluiquia

tuélevaillantdragon,ilaaffrontébiendesdangerssanstournerledos;l'autreestceluiquiafendulapeauau

loup,ettoutleRoum,estpleindesagloire.OrilssetrouventsurlecirqueduKaisar,recueillantdel'honneur,

combattantetfaisantvolerlapoussièrejusqu'auciel.Vaàl'endroitoùsetientleKaisaretregarde:ilsepeut

queleschagrinsdetoncœurensoientsoulagés.Guschtaspluirépondit:Omonépousefidèle!lorsquetonpère,le

chefdecepeuple,chassedelavillesongendre,commentveux-tuqu'ilagissecommeilconvientàunhomme,quandil

mevoit?Néanmoins,situledésires,jesuivraitonavis,ômonguide!

Ildemandaalorsqu'onplaçâtlasellesurunchevalquienroulaitlaterresoussespieds;ilpartitetarriva

aucirqueduKaisar,s'avançajusqu'àcequ'ilpûtvoirlescoupsderaquette,demandaauxjoueursuneballeetune

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raquetteetlançalaballedroitparmilescavaliers,toutenpoussantsoncheval.Lesmainsetlespiedsdeshéros

s'arrêtèrent,personnenerevitdanslecirquelaballequeGuschtaspavaitlancée:elleavaitdisparusouslecoup

desaraquette.Oùdoncuncavalieraurait-ilpulatrouver,sivitequ'ileûtcouru?Lescavalierspâlirent,toute

laplaceétaitenconfusionetpleinedubruitdesvoix.Ilssedécidèrentalorsàprendrelesarcsetlesflèchesde

boisdepeuplieretquelques-unsdesplusbravess'avancèrent.Guschtasp,voyantcetumulte,sedit:Voicilemoment

demontrersontalent,jetalaraquette,saisitunarc,ettoutRoumlevalesmainsau-dessusdelatêted'étonnement

desescoups.

LeKaisarregardacethommequiportaithautlatête,ilregardasesmains,sesbrasetseslongsétriers,et

demanda:D'oùvientcecavalierquis'élanceainsiàdroiteetàgauche?J'aivubiendesbravesquiportaienthaut

latête,maisjamaisjen'aientenduparlerd'unhommecommelui.Appelez-lepourquejeluidemandequiilest,si

c'estunangeouunhommecommenous?OnappelaGuschtaspdevantleKaisar,dontl'âmesoupçonneusetremblait;il

prodiguaàGuschtasplesnomsdevaillantcavalier,chefdesbraves,diadèmesurlefrontdesgrandsetluiadressa

desquestionssursapatrie,sonnometsafamille.Lejeunehommeneréponditpasàsesquestions;maisilluidit

:JesuiscevilétrangerqueleKaisaraéloignédelaville.Lorsquejesuisdevenusongendre,ilm'achassédela

ville,etpersonnen'alumonnomsurlalistedelacour.KitabounaétéinjustementtraitéeparleKaisar,parce

qu'elleachoisiunmariétranger;ellen'arienfaitqueconformémentauxmœursdupays,etcetactededroiturelui

avaludemauvaistraitements.Leloupmalfaisantdanslaforêt,ledragonterribledanslamontagne,ontétéabattus

parmescoups,etHeischouiaétémonguidedanscesaffaires.J'aiencoredansmamaisonlesdentsdecesbêtes,et

lesbrèchesdemonépéesontmespreuves.QueleKaisarinterrogelà-dessusHeischoui;carc'estunehistoiretoute

récenteetnonuneaffaireancienne,

Lorsque Heischoui fut arrivé et eut apporté les dentset raconté ce qui s'était passé, le Kaisar se mit à

demander pardonàGuschtaspetluidit:Ojeunehomme,letempsdecetteinjusticeestpassé.Oùestcettenoble

Kitaboun ? Si tu m'appelles son tyran, ce n'est pas sans raison. Il se mit en colèrecontre Mirin et Ahren et

remarquaquejamaisriennerestesecret.Ensuiteilmontasurunchevalauxpiedsdevent,etallachezcettefemme

auxmœurspures.Ilrendithommageàsafille,labeautéouseindelis,àl'espritsage,disant:Omafilleau

visagedelune!tuaschoisiunmariquiestdignedetoi,tuasfaitleverplushautlatêteàtoutetafamillepar

cebonacierquetuasfaçonné.Quandsafillelevitdanscetteattitudehumble,elles'approchadelui,lesmains

croiséesetluirendithommageenl'adorantetenparlantpendantlongtempstoutbasdanslapoussière.Alorsillui

dit:Neluias-tujamaisdemandéquiétaitsafamille?Peut-êtret'a-t-ildévoilésonsecret.Ellerépondit:Je

l'aisouventquestionné,maisjenel'aijamaisvumêmes'approcherdelavérité.Ilneveutpasdiresonsecret

devantmoi;ilcacheàtousquelleaétésademeure,quelestsonpays,quelleestsanaissance;ilditquesonnom

estFarrukhzad.Monopinionestqu'ilestdegrandefamille,carilestavidedecombatsetunvaillanthéros.Là-

dessus le Kaisar rentra dans son palais, et leciel tourna ainsi pendant quelque temps sur le monde. Un matin

Guschtaspseleva,etcejeunehommepleindesensserenditauprèsduKaisar.Celui-cirestaconfonduàsonaspect;

illefitasseoirsurletrôned'or,etfittirerdutrésoruneceinture,unanneauetunmagnifiquediadèmeimpérial

;ensuiteill'embrassa,luiplaçasurlatêtelediadèmeetsemitàparlerdecequis'étaitpassé.Ensuiteildit

àtousceuxquiétaientprésents:Faitesattention,vous,jeunesetvieux!voustousobéirezàFarrukhzad,nousne

vousécartereznidesesordresnidesonexemple.Lemêmeavisfutdonnédanstoutl'empireàchaqueroietàchaque

prince.

LETTREDUKAISARAILIAS,AQUIILDEMANDEUNTRIBUT.

LesplusprochesvoisinsduKaisarétaientlesKhazars,quiavaienttoujoursassombrisesjours.Leprincedu

paysdesKhazarsétaitIlias,filsdeMihras,lemaîtredumonde.LeKaisarécrivitunelettreàIlias,tellequ'on

aurait dit qu'ilavait mis du sang sur la pointe de son roseau. Tu t'es longtempsjoué de nous, à Khazar, mais

maintenantdesjoursdetonrepossontfinis.Envoie-moiàl'instantuntribut,delourdesredevancesetquelques-uns

detesgrandscommeotages,sinonFarrukhzadviendracommeunéléphantenfureuretfouleraauxpiedstonpayspour

mevenger.Iliaslutlalettre,trempasonroseaudansdupoisonetrépondit:Autrefoisiln'yavaitpastantde

valeurdansleRoum;sijenevousdemandepasdetribut,vousdevriezêtrecontentsdansvotrepays.Vousdeveztout

cecourageàunseulcavalier,àcethommequiatrouvéunrefugeauprèsdevous;maissachequececiestunpiège

d'AhrimanetqueFarrukhzadn'estqu'unseulhomme,fût-ilsemblableàunemontagnedefer.Nelefatiguepasavec

unepareilleguerre,carjenelaisseraipastraînerenlongueurcetteaffaire.

LorsqueMirinetAhrenentendirentparlerdetoutceci,d’Iliasetdupiègequ'ilpréparait,Mirinenvoyaau

Kaisarunmessageetluifitdire:Iliasn'estpasundragonquiselaisseprendredansunpiège,niunloupqu'on

peut tuer par une ruse etqui se tord quand on l'asperge de poison. Lorsque allias attaqueradans sa colère,

Farrukhzad,quiambitionnelapossessiondumonde,pleureradeslarmesdesang;attends-toidoncàcequecethomme

pleind'orgueilsetordedeterreursurlechampdebataille.

CesparolesrendirentsoucieuxleKaisar,etilpâlitenpénétrantleursmenéesténébreuses.IlditàFarrukhzad

:Tuesunnoblehomme,tuescommeunornementplacésurlefrontdecepays.Sachequ'Iliasestunvainqueurde

lions;quandilestencolère,ildevientunéléphantaucorpsd'airain;dis-moisituesdeforceàluttercontre

lui,etnecherchepasencelaàtefairehonneurenmetrompant;carsitunecroispaspouvoirluitenirtête,je

m'arrangeraiavecluiamicalement,jeleferairevenirparladouceur,jeverseraisurluidebonnesparolesetdes

trésors.

Guschtaspluirépondit:Pourquoitouscesdiscoursettoutecettehésitation?Quandjeseraimontésurmon

destrierdontlespiedsimprimentleurstracesdanslaterre,jenecrainspointtoutlepaysdesKhazars;maisil

nefautpasqu'aujourducombatilsoitquestiondeMirinetd'Ahren,carilsneporteraientdanslabatailleque

leurhainecontremoi,leurfaussetéetleur dispositiondigned'Ahriman.Quandl’arméedesKhazarssortiradeson

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pays,prendsavecundetesfilslecommandementdemestroupes,etalors,parlaforcequem'adonnéeDieul’unique,

levictorieux,jem'avanceraiaveclesbravesetnelaisseraienvieniIliasnisonarmée;jedétruiraisagrande

puissance,sontrôneetsacouronne;jelesaisiraiàlaceinture,jel'enlèveraidudosdesoncheval,jerelèverai

jusqu'auxnuagesetlejetteraisurlesol.Lelendemain,lorsquelesoleileutparueteutréfléchidansl'eauson

bouclierd'or,lebruitdestrompetteséclataducôtédesKhazarsetlapoussières'élevadroitjusqu'ausoleil.Le

Kaisar,quiportaithautlatête,ditàGuschtasp:MaintenantfaisparaîtretestroupesetGuschtaspsortitdeRoum

;ilaperçutl'arméeetleshérosdesKhazarsdanslaplaine,s'avança,tenantunemassueàtêtedebœuf,semblableà

un cyprès élancé sur le bord d'uncourant d'eau, choisit dans la plaine son champ de bataille et fitvoler la

poussièrejusqu'auxnuages.QuandIliasvitlapoitrineetlastaturedecethommeetcommentsamainbrandissaitla

massue,ilenvoyauncavalierauprèsdeluipourtrompersonespritsubtil.Lemessagers'avançaetluidit:Ohomme

pleindefierté!nedéploiepastantdebravourepourleKaisar;carmaintenanttuesleseulcavalierdecette

armée, tu es sonprintemps, tu es son héros. Ecarte-toi du milieu des deux armées ;pourquoi te tiens-tu ainsi,

l'écumesurlalèvre?Iliasestunlionaujourducombat,ilviendraterejoindreplusrapidementquelapoussière

;situveuxdesprésents,ilestriche,etilestinutilequetuusestamaindanslesfatiguespourobtenirceque

tupeuxdésirer;choisisunepartdelaterre,ettuenseraslemaître;Iliasseratonamiettonsubordonné,etne

sedétacherajamaisdetonalliance.

Guschtaspluirépondit:ilesttroptard!Onaprononcédesparolessansmesure,tuascommencécettequerelle

etmaintenantturevienssurcequetuasdit;maislesdiscoursneserventplusàrien,ilesttempsdelutteret

d'engagerlecombatLemessagers'enretourna,allantcommelevent,etapportaàIliaslaréponsequ'ilavaitreçue

;maiscommelesoleilpâlissaitsurlacrêtedesmontagnes,ilétaittroptardpourlivrerunebataille;lanuit

vintetenveloppad'unvoilecouleurd’ébènelafacerougedusoleil.

COMBATDEGUSCHTASPETD’ILIAS,ETMORTDECEDERNIER.

Lorsquelesoleils'aperçutdecevoile,ilmontasursontrônedanslesigneduSagittaire;lasourcedujour

devintrougecomme la sandaraque, et partout s'éleva le bruit desclaironsetdestimbales.Onentenditdesdeux

côtéslefracasdesarmes,etlechampdebataillesetransformaenunfleuvedesang.LeKaisars'avançarapidement

surl'ailedroite,ayantlaissésesdeuxgendresauprèsdesbagages;àl'ailegauchesetenaitsonfilsSekil, à

l'ailedroiteleKaisaraveclestimbalesetleséléphants;lesdeuxarméess'ébranlèrentparescadrons;onaurait

ditquelaluneetlesoleilsecombattaient.Guschtasps'élançaau-devantdesrangs,montésurundestrier,tenant

danssamainuneépéesemblableàunserpent.

Iliasditauxsiens:LeKaisarmedemandedeluipayertribut,parcequ'iladanssacourundragonpareil;

c'estdelàqueviennentsesprétendions.EtGuschtaspditenvoyantIlias:C'estmaintenantqu'ils'agitdemontrer

sabravoure.Lesdeuxcavalierspoussèrentleurschevaux;ilsétaientarmésdelancesetdeflèchesquitraversaient

lescuirasses.Iliasfitvolerdesamainuneflèche,espérantfaireàGuschtasplapremièreblessure;maiscelui-ci

lefrappasurlacuirasseavecsalance,etlevaillanthérosblessaàl'instantsonennemi;ille précipitadeson

chevalcommeunhommeivre;puis,allongeantlebrasetluisaisissantlamain,ilremportaloindesescavaliers,en

le traînant, et, arrivé près du Kaisar, le jetadevant lui. Ensuite il conduisit ses troupes contre l'arméedes

Khazars,courantsurlaroutecommeunouragan,tuantetprenanttantd'ennemisquelemondeenrestaconfondu.Toute

l'arméede Roum s'étant précipitée après lui en poussant des cris, Guschtasps'arrêta pour la regarder, et s'en

retourna.IlrevintauprèsduKaisaraprèsavoirlancésestroupes,etparutdevantluivictorieuxetlatêtelevée.

QuandleKaisarlevitquitterl'arméeetparaîtresurlaroute,ils'avançadanssajoieversluiavecsestroupes,

le baisa sur la tête et sur les yeux, et se répandit engrâces envers le Créateur du monde. Ensuite ils s'en

retournèrentgaiement;lechefdel'arméeluiplaçasurlatêteundiadème,ettoutleRoumreçutleprinceavecdes

présents et des offrandes. Onpara la terre entière pour des fêtes, on fit venir du vin, de lamusique et des

chanteurs.Telleestlacoutumedusortquivarie,tantôtilt'abreuvedemiel,tantôtdepoison.

LEKAISAREXIGEDELOHRASPUNTRIBUTPOURL'IRAN.

C'estainsiquelecieltournapendantquelquetemps,cachantsesdesseins,danssoncœuretnelesmontrantpas

ouvertement. EnsuiteleKaisar,avidededomination,ditàGuschtasp:Demandeunepartiedumondependantquetu

vis.Réfléchissurmesparolesdanstonesprit,carc'estparlaréflexionqu'ilgranditetqu'iljouit.J'enverrai

unmessagerdansl'Iran,unhommed'expérience,sageetnoble,etjeferaidireàLohrasp:Tuesheureuxdeposséder

lamoitiédumondeetdedisposerdestrésorsdesgrands.Situveuxmepayertributpourtonpays,tupourrasjouir

detesrichessesetdetagrandeur;sinon,j'enverrailescavaliersduRoum,quiferontdisparaîtrelaterresous

lessabotsdefleurschevaux.Guschtasprépondit:Tuleveux,etlemondeestsouslaplantedetonpied.

OrilyavaitunhommeillustredunomdeKalous,unhommeprudent,sage,debonconseiletheureuxdansses

entreprises.LeKaisarl'appelaetluidit:Pars,vaàlacourduroietdis-lui:Situveuxpayertributpour

l'Iran,obéiràmesordresetabaissertatête,jetelaisserailetrôneetlacouronnedel'Iran,tuseraslemaître

dumondeàlafortunevictorieuse;sinon,j'aidestroupesnombreusestiréesduRoumetdudésertdescavaliers

armesdeélances.Prendsdoncgarde;laplaineretentiradubruitdesarmes,etFarrukhzadseraàlatêtedemon

armée;jedévasteraitonpaysentier,j'enferaiunrepairedelionsetdecrocodiles.Lemessagerpartit,rapide

commelevent,latêtepleinedesagesse,lecœurremplidejustice.

Quandilfutarrivéprèsdupuissantroi,ilvitcetteportesublimeetcepalaisélevé.Legrandchambellaneut

avisdesavenue,accourutauprèsduroietdit:Ilyaàlaporteunvieillardpleind'expérience,quiestsans

douteunmessagerduKaisar;ilamènebeaucoupdecavaliersillustres,etdemandeuneaudienceduroi.Acesparoles,

Lohrasps'assitsursontrôned'ivoireetposasursatêtesacouronnequiréjouissaitlescœurs,etlesgrandsde

l'Iran,auxcœursjoyeux,àlafortuneprospère,s'assirentsoussontrône.Ilordonnaalorsdeleverlerideaudela

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porte et de faire entrer lemessager ; celui-ci se présenta devant le trône, rendit hommage auroi et le salua

humblement ; ensuite il s'acquitta du message dupuissantKaisar,maisenseconduisantlui-mêmeavecsagesseet

modération. Le roi fut blessé de ses paroles, il fut confondu decette tournure du sort. Il fit arranger

magnifiquementunappartement,etdemandaduvin,delamusiqueetdeschanteurs;ilenvoyaaumessagerdestapisde

brocart,desvêtementsetdelanourriture.C'estainsiqu'ill'accueillitpardesfêtes,commes'iln'avaitpasreçu

unmessagedeguerre;maisdanslanuitilsecoucha,setordantdanssessoucis;tuauraisditqueladouleuretle

chagrinétaientsescompagnons.

Lorsquelesoleilfutmontésursontrôned'oreteutdéchirédesesongleslajouedelanuitsombre,Lohrasp

fitappelerdevantlui.Zeriretluiparlalonguementdetoutechose.Al'aubedujour,Kalousdemandauneaudience,

etonl'admitauprèsduroi;onfitsortirdelasalleroyaletouslesétrangers,etl'onfitasseoirlemessager

devantLohrasp,quiluidit:Ohommepleindesens!puissentlesâmesnejamaisnourrirquedespenséesprudentes!

Jevaistefaireunequestion,donne-moiuneréponsevraie.Situesunhommesensé,tunetelaisseraspasallerà

l'enviederuser.AutrefoisleRoumn'étaitpassivaillantetleKaisarétaithumbledevantlesrois,etmaintenant

ilenvoiedanstouslespaysdesmessagerschargésderéclamerdestributs,ildemandelestrônesdesautres;c'est

ainsiqu'Ilias,quiétaitunhérosrenomméetbelliqueuxdanslepaysdesKhazars,aétésaisiparluietréduitavec

sonarméeenesclavage.Quiest-cequiamontréauKaisarcetteroutedel'ambition?Lemessagerrépondit:Oroi

pleindeprudence!c'estmoiquifusenvoyédanslepaysdesKhazarspourréclamerletribut;j'aieuàsupporter

biendumaldanscetteambassade,etpersonnenem'aadressédesquestionscommetufais;maispuisqueleroim'a

reçusicourtoisement,ilneseraitpasjustequejemepermissedeletromper.Uncavalierestarrivéauprèsdu

Kaisar,unvainqueurdelionsquiestsortidesforêts;ilseritdesplusbravesaujourdelabatailleetdes

coupesdevinautempsdesfestins;jamaisl'œildepersonnen'avuuncavaliercommeluiaucombat,aubanquetetà

lachasse.LeKaisarluiadonnélaplusbelledesesfilles,quiétaitsonplusprécieuxdiadème.Ilestlesujetde

touslescontesdansleRoum,carilatuéleterribledragon;ensuiteilyavaitunloupquiressemblait à un

éléphantdansledésert,etleKaisarn'osaitpasallerducôtéoùilsetrouvait:lejeunehommel’aabattu,luia

arrachélesdéfensesetenadélivrélepaysdeRoum.

Lohrasp lui dit :O homme véridique ! à qui ressemblecehérosbelliqueux,devantquiasuccombéleterrible

dragonetquiestdevenul'objetdescontesdupeupledeRoum?Kalousrépondit:Ondirait,aupremieraspect,qu'il

ressembleexactementàZerir,etl’onterépondraitsur-le-champquec'estlevaillantZeriravecsastatureetsa

mine,sasagesseetsonbonconseil.

Acesparoles,levisagedeLohrasps'épanouit,etilrépandittoutessesgrâcessurcethommedupaysdeRoum;

il luidonnaungrandnombred'esclavesetdescaissesrempliesd'or,etlelaissapartirdesacour,heureuxet

content,enluidisant:RapportemaintenantauKaisarquejeviensavecunearméeavidedecombats.

ZERIRPORTEAUKAISARUNMESSAGEDELOHRASP.

Lohrasprestalongtempsassis,absorbédanssespensées;ensuiteilfitappelerdevantluiZerir,àquiildit;

Cethommen'estautrequetonfrère;préparedoncunmoyend'arrangercetteaffaire,etnerestepasici.Si tu

tardes,ilensortirapournouslaruine;ainsinetereposepasetnedemandepasunchevalparesseux.Emmèneun

chevaldemain,remporteuntrône,desbottinesd'or,unecouronneetledrapeaudeKaweh.Jedonneraiàtonfrèrema

couronneetneluiimposeraipasdereconnaissancepourcela.Vad'icijusqu'àHaleb,prêtàlivrerbataille,etne

parleàtonarméequedecombats.LeSipehbebZerirrépondit:Nousdécouvrironscesecret.Sic'estlui,ilestle

maîtreetleroi,etlesplusgrandssontsessujets.

Ildit,etsemitàfairesespréparatifsetàchoisirunearméeillustre.Lespetits-filsd'hommespuissantset

nobles,deKaousetdeGouderzdelafamilledeKeschwad,ensuitelesfilsdeZerasp,Bahram,levainqueurdeslions,

etRivniz,enfinSchirouieh,leconquérantdumonde,etArdeschir,petit-filsdufieretvaillantGuivetfilsde

Bijen,deuxnobleslions,deuxhérosquiportaienthautlatête,deuxhommesderacepure;tousceschefsvinrent,

amenant,chacundeuxchevaux:ilsbrillaienttouscommeAdergouschasp,Onnes'arrêtapasjusqu'aupaysd'Haleb,et

le mondefutremplidecombatsetdubruitdeshommesetdesarmes.Onplantaledrapeauimpérial,ondressades

tentes et leurs enceintes, et leSipehbed Zerir plaça l'armée sous les ordres de l'orgueilleux Bahram. Lui-même

partitdéguisécommeunhommequiporteunmessageouunebonnenouvelleàunroi;ilemmenaavecluicinqdeses

amis,deshommesdesens,prudentsetbraves.

ArrivéauprèsdupalaisduKaisar,ilfutaperçuparlegrandchambellan,quisetenaitsurlaporte;leKaisar

lui-mêmeétaitdanslepalais,sonhumeurétaitsombre,etKalousetGuschtaspétaientaveclui.QuandleKaisar

entenditannoncerunenvoyé,ilordonnadelefaireentrer,etGuschtaspfutbienaisedecettearrivée.Zerirentra,

semblableàuncyprèsélancé,ets'assitenfacedutrônedunobleprince.Ildemandadesnouvellesdelasantédu

Kaisar, lui adressasesexcusesetfitdespolitessesàtousleshommesdeRoum.LeKaisarluidit:Tun'aspas

adressélaparoleàFarrukhzad,lajusticeestétrangèreàtoncœur.LenobleZerirréponditauKaisar:C'estun

esclavequis'estlassédesaservitude;ils'estenfuidupalaisduroi,etmaintenantjeletrouvedanscehaut

rang.Guschtaspl'écoutasansrépondre,sansdouteparcequ'ilpensaitàl'Iran;maisleKaisar,enentendantces

parolesdujeunehomme,sentitlereposdesonâmetroublépardessoupçons,etseditqu'ilfallaitpourtantquece

discoursn'exprimâtaufondquelavérité.

Ensuite il reprit : O messager, annonce-nous lesnouvelles que tu apportes, qu'elles soient hostiles ou

amicales.ZerirdonnaauKaisarlemessagedeLohrasp:Quandceluiquidoitrendrelajustices'endétourne,ilne

trouveraplusnullepartunlieuderepos;sidonctut'écartesdel’anciennecoutume,j'établiraidorénavantle

siègedemonempireàRoumetnelaisseraipasbeaucoupdemondedansl'Iran.Ainsi,parsd'ici,ouprépare-toiau

combat ; tu as entendu mesparoles, décide-toi, car l’Iran n'est pas le pays des Khazars, etmoi je ne suis pas

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Ilias,aupouvoirduqueletdesacourtut'essoustrait.LeKaisarrépondit:Jesuistoujoursprêtàcommencerle

combat. Aujourd'hui tu es un ambassadeur ; retournedoncensûreté ; il ne nous reste qu'à préparer unchamp de

bataille.ZerirécoutalaréponseduKaisar,enfutblesséetpartitsansretard.

GUSCHTASPS'ENRETOURNEDANSL'IRANAVECZERIR,ETLOHRASPLUIABANDONNELETRONE.

Zerirs'étantlevé pourpartir,leKaisardemandaàGuschtasppourquoiiln'avaitpasfaitentendreuneréponse.

Guschtasp lui dit : J'ai été autrefois au service du roid'Iran, et toute l'armée et toute la cour du roi

reconnaissent meshauts faits. Il vaut donc mieux que je me rende auprès d'eux, que jeleurparleetquejeles

écoute.J'obtiendraid'euxtoutcequetudésires,jeferaibrillertonnomdanslemondeentier.LeKaisarrépondit

:Tuesleplussagedeshommesetlepluscapable defaireréussirmesdésirs.

Guschtasp,ayantécoutécesparoles,montasurunchevalardentetserenditaucampdeZerir,undiadèmesurla

tête,unchevalauxpiedsdeventsouslui.LorsquelestroupesaperçurentGuschtasp,lefilsorgueilleuxdeLohrasp,

ellesseportèrentàsarencontreàpied,lecœurpleindedouleur,levisageinondédelarmes.Tousseprosternèrent

devantlui,joyeuxdecequeleurspeines,quiavaientdurésilongtemps,étaientterminées.Aussitôtqu'ilfutprès

deZerir,ilmitpiedàterre,lasdecesluttes;illeserradanssesbrascommeunfrèreaîné,et,aussitôtqu'il

putparler,ilsemitàluifairedesquestions.Ilss'assirentsurletrône,entourésdesgrands,despuissantset

deshérosdel'Iran.LefortunéZerirditàGuschtasp:Puisselebonheurêtretoncompagnonpendanttoutetavie!

Notrepèreestvieux,tuesjeunedecœur!Pourquoiévites-tulesregardsdesvieillards?Notrepèreestmalàson

aisesurcetrône,ilsetourneversladévotionenversDieuletrèssaint.Ilt'envoieuntrôneetdestrésors,etil

est inutile que tu exposes ton corps auxfatigues. Il a dit que l'Iran entier était à toi ; à toi le trône,la

couronne et l'armée ; qu'un coin lui suffisait dans le monde, etqu'unautrequeluidevaitoccuperletrônedu

pouvoir.

AlorsZerirluifitapporterlamagnifiquecouronne impériale,lesbracelets,uncollieretletrôned'ivoire.

LorsqueGuschtaspvitletrônedesonpère,ilmontadessus,lecœurjoyeux,etplaçasursatêtelacouronne.Les

petits-fils de Keï Kaous, qui avait étéle maître du monde, tous les descendants fortunés de Gouderz, telsque

Bahram,SchapouretRivniz,tousceuxquiavaientunedistinctionquelconque,luirendirenthommagecommeàleurroi

etl'appelèrentroidelaterre,ettousleshommesdeguerresetinrentdeboutdevantluidansleursarmures.Quand

Guschtaspvitcesbonnesdispositions,cettedéterminationetcetaccomplissementdesesdésirs,ilenvoyaauKaisar

un message et lui fit dire : Toutce que tu peux désirer de l'Iran est accompli, et les paroles quej'entends

dépassenttouteespérance.Zeriretl'arméecomptentquetuviendrasenpompedanscelieu;tousselierontàtoi

paruntraité,tousdonnerontleurvieengagedeleurloyauté.Situnecrainspaslafatigue,traverseledésert,

carlesaffairesdecemondevontàtongré.

LorsquelemessagerfutarrivéauprèsduKaisar,illuiracontatoutcequ'ilavaitvuetentendu,etleKaisar

selevaaussitôt,montaàchevaletpartit.Ilcourutainsijusqu'àcequ'ilfûtarrivéauprèsducampdesIraniens,

auprèsdeleursbravesetdeleurslions.Guschtasplevit,selevaàl'instant,demandaàsesserviteursunchevalde

main,allaau-devantdelui,leserrasursapoitrineetluiadressaunelongueallocution.LeKaisarreconnutalors

queFarrukzad était Guschtasp, quidonnaitdel'éclatàlacouronnedeLohrasp;illecombladelouanges et lui

rendithommage;ensuiteilss'enretournèrentversletrône.LàleKaisars'excusadecequ'ilavaitfaitautrefois,

cariltremblaitdevantcetteétonnantefortune.Leroiacceptasesexcuses,serrasatêtecontresapoitrineetlui

dit:Quandl'airdevientsombre,ilfautrallumerdesflambeaux.Envoie-moicellequim'achoisi,carelleapartagé

mesdouleursetmeslonguespeines.

LeKaisars'éloigna,souffrantdefatigueetdehonte,eténumérantdanssoncœurméchantbiend'autresgriefs.

IlenvoyaàKitaboundestrésors,undiadèmerougeetcinqrubis,milleesclavesetservantesdeRoum,uncollier

orné de joyauxdignes d'une reine. cinq charges de chameaux de brocart chinois, etun homme intelligent, comme

gardiendecestrésors.Ensuiteunenvoyéremitauroietcomptaunàundevantsontrésorierdeschevaux arabes

caparaçonnés,descottesdemailles,desrobesd'étoffeindienne,del'or,desbrocarts,descouronnes,dessceauxet

toutcequel'onacoutumedefairevenirduRoumetdelaChine; il fit distribuerdesarmesetdel'argentà

l'arméedel’Iranetenvoyabeaucoupdeprésentsauxgrandsdecepays,àquiconqueétaitdelaracedesKeïanides,à

quiconque était unPehlewan,frappant de l'épée, portant haut la tête ; il voulutquechacuneûtsapart,etil

accompagnatouscesdonsd'actionsdegrâcesadresséeàceluiquiavaitcrééletempsetl'espace.

LorsqueKitabounfutarrivéeauprèsduroi,lebruitdestimbaleséclataàl'entréedesoncamp,l'arméesemit

enrouteversl'Iranetlapoussièresoulevéeparleschevauxenvahitlesairs.LeKaisarl'accompagnapendantdeux

journées,maisalorsGuschtaspdétournalesrênesdesonchevalardent,illerenvoyadecepaysenluijurantamitié

;illefitretournerversleRoumencomblantsesvœuxetdisant:Aussilongtempsquejevivrai,jenedemanderai

pas de tribut du Roum, car j'ai été heureux dans cepays. Il continua sa route en toute hâte, jusqu'à ce qu'il

touchâtl'Iran,qu'ilarrivâtdanscepaysdeshérosetdesbraves.QuandLohraspappritqueZerir,lesgrandset

Guschtasplevaillantlion,arrivaient,ilallaau-devantd'eux,accompagnédetouslesprinces,detousleshommes

puissantsetillustresdupaysdel'Iran.Guschtaspdescenditsur-le-champdecheval,baisalaterreettémoignasa

joie,etLohrasp,envoyantsonfils,leserracontresapoitrineetselamentadetoutcequelesortluiavaitfait

souffrir.Ilsarrivèrentaupalaisdesrois;ilsbrillèrentcommelesoleildanslesigneduPoisson.Lohraspdità

sonfils:Nem'enveuxpas,carc'étaitlavolontéduCréateur.Ilétaitécritenhautquetudevaisquitterton

pays.Ill'embrassa,luiposalacouronnesurlatête,luirendithommageetfutheureuxdelerevoir.Guschtasplui

dit:Oroi!puisselemonden'êtrejamaisprivédetoi!Sihautquetum'élèves,jeresteraitoujourstonsujetet

jem'efforceraiàmarcherdanslapoussièrequimarquelestraces de tespieds.Puissetonsortresterheureux;

puissions-nousnejamaisêtreprivésdetonglorieuxnom!L'empiredumonden'appartientlongtempsàpersonne,et

tantqu'onlepossèdeilaccabledefatigue.

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Telestlemondeinstable!Nesèmepaslagrainedumal,autantquetupeuxt'enempêcher.JeprieleSeigneur,

Dieul'unique, de me laisser assez longtemps sur la terre pour quej'achève dans mon beau langage ce livre des

anciensrois;ensuitemoncorpsquiaétévivantappartiendraàlapoussièreetmonâmeéloquenteausaintparadis.

XV.

GUSCHTASP.

(Sonrègnedura100ans.)

FIRDOUSIVOITDAKIKIENSONGE.

Unenuitlepoèterêvaitqu'iltenaitenmainunecouperempliedevinparfumécommedel'eauderose.Toutà

coupDakikiparutdevantluietsemitàluiparlerdecettecoupedevin.IlditàFirdousi:Neboisduvinque

selonlamanièredeKaousleKeïanide,cartuaschoisipourmaîtredanscemondeunroiàquilesortjettedes

couronnesdesdiadèmesetdestrônes:Mahmoud,leroidesrois,leconquérantdesvilles,quifaitparticiperchacun

àsafortuneroyale,dontlestrésorsnediminuerontpas,dontlespeinesn'augmenterontpasd'iciàquatre-vingt-

cinq ans, qui mènera son armée en Chine, à qui tous lesprinces ouvriront la route et qui n'a besoin de parler

durement àpersonne, car toutes les couronnes des rois tomberontelles-mêmes dans sa main. Tu as fait quelques

progrèsdanscelivre,etmaintenanttuasatteinttoutcequetudésirais;etmoiaussij'avaisdelamêmemanière,

avantlui, commencé ce poème ; si tu retrouvesmes vers, nesois pas avareenvers moi ; j'avais composé mille

distiquessurGuschtaspetArdjasplorsquemavies'estterminée;maissicetrésorarriveauprèsduroidesrois

monâmes'élèveradelapoussièrejusqu'àlalune.Jevaisdoncrépéterlesparolesqu'iladites,carjesuisenvie

etluiestlecompagnondelapoussière.

LOHRASPSERETIREABALKHETGUSCHTASPMONTESURLETRONE.

LorsqueLohraspeutdonnésacouronneàGuschtasp,ildescenditdesontrôneets'apprêtaàpartir.Ilserendit

à Balkhlachoisie,danscetempleduNoubeharquiétaitalorspourlesadorateurs du feuunlieu de pèlerinage,

commelaMecquel’estaujourd'huipourlesArabes.Cethommepleindedévotionserenditdanscetemple,s'yétablit

etseceignitdukoschti.Ilfermalaportedutempleglorieux,ilnesouffritaucunhommed'uneautrereligiondans

sonenceinte;ilrevêtitlarobedelindesprêtres;c'estainsiqu'ilfautadorerl'Intelligencesuprême.Ilse

dépouilladesesbracelets,laissapendresescheveuxnonfrisésettournasonvisageversleJuge,ledistributeur

delajustice.IlrestaainsitrenteansdeboutdevantDieu;c'estdecettemanièrequ'ilconvientdel'adorer.Il

adressasanscessedesprièresausoleil:telleavaitétélacoutumedeDjamschid.

LorsqueGuschtaspfutmontésurletrônedesonpère,qu'ileuthéritédesapuissanceetdesahautefortune,il

plaçasursatêtelacouronnequ'ilavaitreçuedeLohrasp.Oqu'unecouronneornebienlatêted'unhommenoble!Il

dit : Je suis leroi, l'adorateur de Dieu le très saint qui m'a donné ce diadème. Ilme l’a donné, ce puissant

diadème, pour que je pusse chasser lesloups du troupeau des brebis. Ma main ne s'appesantira pas sur ceuxqui

m'aideront ; je ne rendrai pas étroite la terre aux hommesnobles, et, à mesure que j'appliquerai les règles de

conduitedesrois,jeramèneraiaucultedeDieulesméchants.Etilrenditlajusticedetellefaçonquelesbrebis

pouvaientboireauruisseauàcôtédesloups.

Plustard,lafilleillustreduKaisar,dontlenométaitNahidetàquilepuissantroiavaitdonnélenomde

Kitaboun,mitaumondedeuxfilssemblablesàdeslunesbrillantes.L'und'euxétaitlefortunéIsfendiar,unprince

guerrier,uncavaliervaillant;l'autreétaitBeschouten,unhérosquifrappaitdel'épée,unprinceillustre,un

destructeurdesarmées.Lorsqueceroieutsoumislemonde,ilvoulutêtreunautreFeridoun;touslesroislui

payèrent tribut, et il s'attacha les cœurs de tous ceux quiavaient de la loyauté. Seulement le roi Ardjasp, le

maîtreduTouran,devantlequellesDivssetenaientcommedesesclaves,nefîtpasparvenirsontributetnevoulut

recevoiraucunavis;maiss'ilrefusad'écouterdesconseils,ilfutobligédesubirdeschaînes.Ardjaspdemandait

mêmetouslesansuntributauroi;maispourquoipayertributàceluidontonestl'égal?

ZERDOUSCHTPARAÎTETGUSCHTASPADOPTESARELIGION.

Quelquetempss'étantainsipassé,unarbreparâtsurlaterre,unarbrequipoussadanslepalaisdeGuschtasp,

s'élevantjusqu'autoit,avecdesracinesabondantesetdesbranchesnombreuses;sesfeuillesétaientdesconseils,

son fruit étaitl'intelligence, et comment pourrait mourir celui qui s'en nourrirait? Les traces de ses pieds

étaientbénies,sonnométaitZerdouscht:c'estluiquiatuéAhrimanquifaitlemal.Ilditauroidumonde:Je

suisleprophète,jesuistonguideversDieu.Ensuiteilapportaunbassinremplidefeu,disant:Jel'aiapportédu

paradis,etleSeigneurdumondetedit:Acceptelafoi,regardececieletcetteterre,quej'aicrééssansargile

etsanseau,regarde-les,pourvoircommentjelesaifaits.Réfléchisàquiilseraitpossibledecréerdeschoses

pareilles,sicen'estàmoiquisuisleSeigneur.Situreconnaisquec'estmoiquiaicréécemonde,ilfautquetu

m'appellesleCréateur.Acceptedemonmessagersabonnecroyance,apprendsdeluisavoieetsonculte,aiesoinde

fairecequ'iltedit,choisispourguidel’intelligenceetmépriselemonde.Apprendslevraiculteetlareligion

véritable,carlaroyauténevautriensanslacroyance.

Lorsqueleroiexcellententenditdeluilabonnedoctrine,ilacceptadeluilavraievoieetlevraiculte;

sonvaillantfrère,lefortunéZerir,quiabattaitlesplusterribleséléphants,ensuitelevieuxroidesrois,qui

s'étaitretiréàBalkh,parcequesoncœurblesséavaittrouvéamerlemonde,enfinleschefs,lespuissants,les

savants,lesmédecins,lessagesetlesbravesserendirenttousauprèsduroidelaterre,seceignirentdukoschti

etseconvertirentàlanouvellefoi.AlorssemontrèrenttouteslesgrâcesqueDieuaccorde,lemaldisparutducœur

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desméchants,lecultedesidolespéritetceluidufeus'étendit,lestombeauxseremplirentdelumièredivine,les

semencesfurentpuresdetoutesouillure.LenobleGuschtaspmontasursontrôneetenvoyadesarméesdanstoutesles

partiesdelaterre;ilfittraverserlemondeentierpardesMobeds,etfonda,selonlesrègles,destemplesdu

feu.Ilétablitd'abordlefeubrillantdeMihr;regardequelculteilfondadanstouslespays!Ilyavaitun

noble cyprès venu du paradis ;Guschtasp le planta devant la porte du temple du feu, écrivit surcet arbre que

Guschtaspavaitadoptélabonnecroyance,etilpritpourtémoinlenoblecyprèsquec'estainsiqu'ilrépandaitla

foidonnéedeDieu.

Quelquesannéespassèrent,lecyprèscontinuaàcroître,etdevintsigrandqu'onn'auraitpaspuentourerson

troncavecunlacet;lorsqu'ileutpoussébiendehautesbranches,leroijetaautourdel'arbrelesfondementsd'un

palais haut dequarante coudées et large de quarante, dans lequel on n'employadepuis les fondations ni eau ni

argile.Ilyconstruisitunesallecouverted'orpurdontlesmursétaientd'argentetlesold'ambre;ilyfit

sculpterDjamschidadorantlesoleiletlalune,ilyfitreprésenterFeridounavecsamassueàtêtedebœuf,etles

figuresdetouslesgrands.Regardequiajamaisdonnéunepareillepreuvedepuissance!Lorsquecepalaisd'orfut

achevédanstoutesabeauté,leroidelaterreenincrustalesmursdepierreries,entoural'édificed'uneenceinte

deferetenfitsarésidence.Ensuiteilenvoyapartoutcemessage:Oùdanslemondesetrouve-t-ilquelquechose

qui ressemble au cyprès de Kischmer ?Dieu me l'a envoyé du paradis et m'a fait dire que c'est de ce lieuque

j'entrerai au paradis. Maintenant, vous tous qui entendez monconseil, rendez-vous à pied devant le cyprès de

Kischmer;adoptezlavoiedeZerdouscht,ettournezledosauxidolesdelaChine.Ceignez-voustousdukoschtiau

nomduroidesIraniensetparrespectpourlui;nepensezàvosanciennescoutumes,reposez-voustousàl'ombrede

cecyprès,etdirigez-vous,selonl’ordreduprophètevéridique,versletempledufeu.

Ses ordres furent répandus dans le monde entier,parmi les grands et parmi les princes, et tous ceux qui

portaientdescouronnesserassemblèrent,selonsavolonté,autourducyprèsdeKischmer;c'estainsiquecelieu

d'adorationdevintunparadis,etZerdouschtyenchaînaleDiv.Appellelecyprèsarbreduparadis,situnesaispas

pourquoituluidonneraislenomdecyprèsdeKischmer.Pourquoinerappellerais-tupasrejetonduparadis,carqu'y

a-t-ildanslemondequiressembleaucyprèsdeKischmer?

GUSCHTASPREFUSEAARDJASPLETRIBUTDEL'IRAN.

Quelquetempss'étantainsipassé,lemaîtreâgéseprésentadevantleroi.LevieuxZerdouschtditauroidu

monde:Iln'estpasconvenablepournotrereligionquetupayestributaumaîtredelaChine,cen'estpasdignede

notre foi. Je ne puis yconsentir ; car nos rois, dans les temps anciens, n’ont jamais payéun tribut et des

redevances aux Turcs, qui étaient un peuple sansreligion, sans puissance et sans force. Guschtasp accueillitce

discoursetrépondit:Jenelaisseraipluspayeraucuntribut.UnvaillantDiveutnouvelledecequisepassait,se

renditàl'instantauprèsduroidelaChineetluidit:Oroidelaterre!danslemonderentierlespetitsetles

grandsobéissentàtesordres,etpersonnen'osesesoustraireauxtraitésquetuluiasimposés,sicen'estlefils

deLohrasp,leroiGuschtasp,quiveutconduireunearméecontrelesTurcs,quideplusaétabliunenouvellerégion

etarenoncéàlavoiedesadorateursdesidoles.Ilmontreouvertementtoutesoninimitié,iloseraprétendreàêtre

indépendantdetoi.Orj'aiplusdecentmillecavaliersquejet'amèneraitous,situledésires,pourquenous

examinionscequ'ilfait,etgarde-toibiend'avoirpeurdelecombattre.

QuandArdjasp,lemaîtredesTurcs,entenditlesparolesduDiv,ildescenditdesontrône;l'inquiétudesur

Guschtasplerenditfaibleetmalade,etilfutremplidecrainteduroidelaterre.Ensuiteilrassemblatousses

Mobedsetleurrépétatoutcequ'ilavaitappris,disant:Guschtaspaquittél'ancienculteetlafoi;lasagesse

et la sainte grandeurquirésidaientenlui l’ont abandonné. Un vieux fous'estprésentédevantluidansl'Iran,

prétendant être un prophèteet lui disant : Je viens du ciel, je viens d'auprès du Maître dumonde. J'ai vu le

Seigneurdansleparadis,quiaécrittoutceZendavesta;j'aivuAhrimandansl'enfer,maisjen'aipaspusupporter

sonvoisinage;alorsleSeigneurm'aenvoyéauprèsduroidelaterrepour luienseignerlareligion.Lechefdes

grandsdupeupleded'Iran,lepuissantfilsduroiLohrasp,quelesIraniensappellentGuschtasp,s'estceintdu

koschti;ensuitesonfrère,levaillantcavalier,leSipehdardel'Iran,dontlenomestZerir,quiparmisesbraves

atoujoursétécommeunpèreetparmisesscribescommeunœil,ettouslesautres,ontexaminésadoctrineetonteu

peurdecevieuxmagicien;ilsonttousadoptésareligion,lemondes'estégarédanssavoieetsonculte.

C'estpardetelsmensongesetdetellesfoliesquelevieillardaréussiàs'établirdansl'Irancommeprophète.

Ilaordonnéauroideplanterdesamainuncyprèsetafermélavoieancienneparladoctrinequ'ilaapportée.Il

amontréàceroiorgueildeuxunbassinremplidefeuetunlivre,etluiadit:CeciestleZendavesta,etc'està

cefeuquedoivents'adresserlesprières.Ilfautmaintenantécrireunelettreàcethommequisesoustraitàmes

ordres,ilfautluifairebeaucoupdeprésents,carlesprésentsqu'onn'apasdemandéssontbienreçus,etluidire

dequittercetteroutedeperdition,etdecraindreleMaîtreduparadis,d'éloignercevieillardimpieetdecélébrer

unefêteselonnotremanièreantique.S'ilsuitnotreconseil,satêteetsespiedséchapperontànoschaînes;mais

s'il refuse de nousécouter, s'il échange son ancien visage contre un nouveau, nous rassemblerons nostroupes

dispersées,nousconduironsdanslaplaineunegrandearmée,nousentreronsdansl'Iranpourdétruiresonœuvre,nous

n ecraindrons pas son inimitié et sa résistance, nous le pousseronsdevant nous et nous l'abaisserons, nous le

lieronsetlependronsvivantaugibet.

LETTRED'ARDJASPAGUSCHTASP.

LesbravesdelaChinefurentdesonavis;ilschoisirentparmieuxdeuxhommes,dontl’unétaitlepuissant

Bidirefsch,unvieuxetvaillantmagicien,unlouphargneux;l'autreétaitunmagiciendunomdeNamkhast,etdontle

cœurnecherchaitqueladestruction.

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Ardjaspécrivitunebellelettre,pleinededignité,àl'illustreKhosrou,quiavaitembrassélanouvellefoi.Il

écriviteninvoquantleMaîtredumonde,quiconnaîtcequiestcachéetcequiestouvert,etdisantquec'était

Ardjasp,lechefdesbravesdelaChine,lecavaliermaîtredelaterre,lehéroschoisi,quiadressaitunelettre

digned'unroiauchefdescavaliersdel'Iran,auvaillantGuschtasp,roidumonde,auKeïanideillustreetdignedu

trône,aupossesseurdelaterre,augardiendutrône,aufilsaînéetpréféréduroiLohrasp.Ilditdans cette

lettreroyaleremplied'hommagesetécriteencaractèresturcs:Oillustreroidumonde,toiquientouresdegloire

lacouronneduroidesrois,puissetatêteresterjeuneettonâmeettoncorpsrestersains!Puissentlesreinsdu

Keïanide ne jamaisfléchir!J'aientenduquetuaschoisiunevoieperverse,ettuasobscurcipourmoilejour

brillant.Ilestvenuunvieillard,ungrandfourbe,quit'aremplil'âmedecrainteetdeterreur;ilt'aparléde

l'enferetduparadis,etaeffacédetoncœurtoutejoie;tul’asaccueilli,luietsadoctrine,tuluiasaplanila

voie ettu as célébré son culte ; tu as rejeté les coutumes de tes ancêtres,les grands de la terre qui t'ont

précédé,tuasdétruitlareligiondesPehlewans;pourquoin'as-tupasregardédevantetderrièretoi?Tuesle

filsdeceluiqueleroibienheureuxKeïKhosrouachoisiaumilieudesonarméepourluidonnerlacouronne;le

Créateur, Ormuzd letout-puissant, qui a formé le ciel et la terre, t'a choisi parmi sesélus et t'a donné une

majestéplushautequ'aufilsdeDjamschid.KeïKhosroulevindicatifettoiavezjouideplusgrandshonneursque

touslesKeïanides.Oprinceorgueilleux!lepouvoir,laroyauté,lafortune,lapuissance,lamajesté,lagrâce,

desdrapeauxbrillants,deséléphantsparés,unegrandearméeetdestrésorsinépuisables,toutt'aétéaccordé,et

touslesroissesontsoumisàtoi;tuasbrillédanslemondeentiercommelesoleilaumoisd'Ardibehischtdansle

signeduBélier;Dieut'achoisidanslemondeentier,ettouslesprincessetiennentdevanttoideboutcommedes

esclaves.

Maistun'aspasadoréleSeigneurdumonde,tun'aspassutrouverlavraieroute,ôhommeégaré!etlorsque

Dieueutfaitunroidetoi,unvieuxmagicient'afaitdévierdelavoie.Quandlanouvellem'enestarrivée,j'aivu

enpleinjourlesétoiles,etjet'écriscettelettreamicale;carnousavonsétéamisetsoutiensl'undel'autre.

Lorsquetuauraslucettelettre,lave-toilatêteetlecorps,nevoisplusjamaiscetimposteur,détachelekoschti

donttut'esceint,etcommenceàteréjouiravecduvinbrillant.Nerejettepaslescoutumesdesroistesancêtres,

lespuissantsmaîtresdumonde,quit'ontprécédé.Situteconformesàcebonconseil,ilnet'arriveraaucunmalde

lapartdesTurcs,etlepaysdeKaschan,laChineetlepaysdesTurcsserontàtoitoutcommel'Iran.Jetedonne

cestrésorsinfinisquej'aiaccumulésavectantdepeines,deschevauxauxcouleursdebonaugure,auxcaparaçons

d'oretd'argent,auxbridesornéesdepierreries;jet'enverraidesesclaveschargésdeprésents,debellesfemmes

auxcheveluresparées.Maissiturepoussesmonconseil,tespiedsserontprisdansmeschaînesdefer;jepartirai

unmoisoudeuxaprèscettelettre,jedévasteraientièrementtonpays;j'amèneraiunearméedeTurcsetdeChinois

dontlestentesseront sinombreusesquelaterre nepourralesporter;jerempliraidemusclelitduDjihoun;

j'épuiserai l’eau de la mer avec des outres ; je brûleraiton palais couvert de sculptures ; je te détruirai

entièrement,racinesetbranches,jedévasteraitonpaysparlefeud'unboutàl'autre;jecoudraiavecdesflèches

tousvoslinceuls.TouslesvieillardsparmilesIraniensquinevalentpluslapeinequ'onenfassedesesclaveset

dontonnepeutplustirerungrandprix,jelesdécapiteraitous;j'emmènerailesfemmesetlesenfants,etenferai

desesclavesdansmonpays;jeferaiundésertdevosterres,j'arracheraiparlesracinestousvosarbres.J'aidit

maintenantdepuis le commencement jusqu'à la fin tout ce que j'avais à dire ;médite profondément cette lettre

d'exhortation.

ARDJASPENVOIEDESMESSAGERSAGUSCHTASP.

LorsqueleDestourduroieutterminélalettre,enprésencedetouslesgrandsdel'armée,Ardjasplaplia,y

apposasonsceau,laremitàcesvieillardsdupaysdesmagiciensetleurdonnasesordres,disant:Soyezprudents,

rendez-vousensembledanssonpalais;quandvousleverrezassissursontrôneetàsaplaced'honneur,courbez-vous

jusqu'àterre,saluez-lecommeonsaluelesrois,sansjeterunregardsursacouronneetsontrônedeKeïanide ;

quandvousserezassisdevantlui,alorslevezvosyeuxverssacouronnebrillante,acquittez-vousdemonmessagequi

porte bonheur et écoutezattentivement sa réponse. Quand vous l'aurez entendue jusqu'au bout,baisez la terre et

parlez.

Bidirefsch,avidedevengeance,quitta ArdjaspetdirigeasondrapeauversBalkhlacélèbre,accompagnédeson

amiNamkhastlepervers,queceuxquicherchaientunebonnerenomméedevaientéviter.ArrivésdupaysdeTouranà

Balkh,ilsdescendirentdechevaldevantlepalaisduroi;ilsallèrentàpiedjusqu'auprèsdeluietjusqu'àceque

leursyeuxtombassentsurleseuildelasalled'audience.Quandilslevirent,assissursontrône,brillantdanssa

place d'honneur comme le soleil, ils se prosternèrent commedes esclaves devant le Keïanide, le roi d'unpeuple

heureux,et lui remirent la lettre royale écrite en caractères turcs. Le roiayant déplié cette lettre, en fut

confonduetsemitàtremblerdecolère;ilfitappelerl'illustreDjamasp,quiétaitsonguide,etlesélusde

l'Iran,lesSipehbeds,lesgrandspleinsd'expérienceetlesMobeds.Ilappelaauprèsdeluitouscesgrandsetils

apportèrentleZendavesta;ilappelaZerdouscht,sonprophèteetsonMobed,etZerir,sonbien-aimé,lechefdeson

armée.LeSipehbedZerirétaitsonfrère,lechefdesbravesdesonarmée;ilétaitalorsPehlewandumonde,car

Isfendiar le cavalierétait encoretrop jeunepour cette dignité ; il était l'asile du monde et le soutien de

l'armée,etcommandaitauxtroupescommeleroilui-même;ilavaitdélivrélaterredesméchants, et danschaque

combatonvoyaitsalance.AlorslemaîtredumondeditàZeriretauvaillantetfortunéDjamasp:Ardjasp,lechef

desTurcsdelaChine,m'écritunelettrequevoici,etilleurmontralesparolesrudesqueleroidesTurcslui

avaitadressées,ajoutant:Quepensez-vousdececi,quedites-vous,quelleetquandseralafindecetteaffaire?

Quelmalheurd'avoirétél'amid'unhommequipossèdesipeudesagesse!Moijesuisdelaraced'Iredjlesaint;

et lui est de la race de Tour lemagicien. Comment pourrait-il y avoir entre nous la paix quepourtant j'avais

espérée?Quiconqueadebonsavisàdonner,qu'illesdonnedevanttous!

ZERIRRÉPONDAARDJASP.

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Pendantqueleroiprononçaitcesparoles,leSipehdarZeriretIsfendiartirèrentleursépéesets'écrièrent:

S'ilyaquelqu'undanslemondeentierquirefusedereconnaîtreZerdouschtcommeprophète,quineveuillepasse

soumettre à sesordres, qui ne vienne pas à la cour du bienheureux roi, qui ne setienne pas, ceintcomme un

serviteur,devantsontrônebrillant,quin'adoptepasdeluilavraievoieetlabonnedoctrine,quinesoitpasle

serviteurdelavraiereligion,nousluiferonsrendrel'âmeavecnosépées,noussuspendronssatêteauplushaut

gibet. Zerir, le Sipehdar de l'Iran, le vaillantcavalier, le lion bondissant, dit au roi de la terre : Oroi

illustre!situveuxm'endonnerlapermissionjerépondraiàArdjasplemagicien.LeroiGuschtaspyconsentitet

luidit:Ehbien,pars;fais-luisur-le-champuneréponse,etfais-laluitellequ'ellebrûletouslesbravesde

Khallakhcommeuncharbonardent..

Zerir,lenobleIsfendiaretDjamasp,leDestourheureuxentoutechose,lequittèrenttouslestroisensemble,

leursvisagesfroncés,leurscœurspleinsdecolère.IlsadressèrentàArdjaspunelettresévère,uneréponsetelle

quesalettrel'avaitméritée.LeSipehbedZerirlapritdanssamainetl'emportatoutouverteetsanslaplier.Il

laportaauroietlaluilut,etGuschtasp,lemaîtredumonde,restaconfondud’admirationpourlesageSipehbed

Zerir,lecavalier,pourDjamaspetIsfendiar,lefilsduroi.Ilfermalalettreetécrivitsonnomdessus;on

appelaauprèsdeluilesmessagers,etilleurdit:Prenezmaréponseetportez-la-lui,etnemettezplusjamaisles

piedssurlecheminquiconduitchezmoi;sileZendavestanegarantissaitpasdetoutmallesmessagers,jevous

auraisréveillésdevotresommeil,jevousauraispendusvivantsaugibet.Puissecethommesansvaleurapprendrepar

toutceciqu'ilnedoitpointleverlatêteenfaceduroi!

Illeurjetalalettreenajoutant:Partez,etportezceciàceTurcmagicien;dites-luiquesaperte est

proche,quelemomentarriveoùl'eauetlaterreluimanqueront.Puissesoncouêtrefrappéetsataillebrisée,

puissentsesosêtredispersésdanslaterre!S'ilplaîtàDieu,jerevêtiraipourlecombatencoredanscemois-ci

macottedemaillesdefer,jemèneraimonarméedansleroyaumedeTouran,jedévasterailepaysdesKergsars.

LESENVOYÉSD'ARDJASPS'ENRETOURNENTAVECLARÉPONSEDEGUSCHTASP.

Leroidelaterre,ayantterminésondiscours,fitappelerSiyah-Piletluiconfiatesdeuxguerrierschinois,

endisant:Emmène-lesetconduis-leshorsdel'Iranetau-delàdenosfrontières.LesenvoyésduSipehdardela

Chinequittèrentlemaîtredumonde,roidelaterre,humiliés,renvoyésettraitésavecméprisparGuschtasp.Ilsse

rendirentdelavillefortunéedeBalkhàKhallakh,maisilsn'yfurentpasfortunés.Lorsqu'ilsaperçurentdeloin

lepalaisduroi,surlequelétaitplantéledrapeaunoir,ilsdescendirentdeleursmonturesbondissantes,lecœur

brisé,lesyeuxaveuglésparleslarmes.Ilsallèrentainsiàpiedjusqu'auprèsdelui,vêtusdenoiretlevisage

pâle;ilsluiremirentlalettreduroiqueZerir,lecavalier,avaitécriteenréponseàArdjasp.Ilfitconvoquer

sesscribesetleshommesjeunesetvieuxduTouran,etordonnaauxscribesdeluilired'abordtoutelalettredu

commencementàlafin.Unscribeouvritlalettreetlalutà ceroideraceturque.

Voicicequisetrouvaitdanscettelettreduroi,dusoutiendel'Iran,duvaillantcavalier,deGuschtaspfils

deLohrasp,dumaîtredumonde,dignedutrône:Dieuaenvoyéauprèsdemoiunprophète,devantlequeltousles

grands se tiennent deboutcomme des esclaves, et qui te fait dire : O homme vil et audacieux,dont le visage

ressembleàceluideslionsetdesloups,tut'essoustraitauvraiculteetàlareligionsainte,ettoncœurs'est

remplideperversitéetd'erreurs.Lalettreméprisablequetuasadresséeauroiestarrivée,etnousavonsentendu

desparolesquin'auraientpasdûvenirdetoi,desparolesquepersonnen'auraitdûniécrire,nimontrer,nilire,

nientendre.Tuasditquedansquelquesmoistuconduirasunearméecontrecebeaupays;maisilnesepasserani

beaucoupdemoisnibeaucoupdejoursavantquenousamenionsnoslionsdecombat.Dispense-toidetedonnerbeaucoup

depeine,carnous-mêmesavonsouvertlesportesdutrésor,nousamèneronsdesmilliersdemilliersdebraves,tous

deshommescommedeslions,quifrappentavecleurslances,tousdelaraced'Iredj,tousdesPerses,etnonpasde

laraced'Afrasiab,nonpasdesTurcs,tousauvisagedelune,tousàfigurederoi,tousdescyprèsélancés,tous

disantlavérité,tousdignesdelaroyautéetdutrône,tousdignesdetrésors,decouronnesetdecommandements,

toustenantdeslancesetvainqueursdelions,tousdesornementsdesarméesetdestructeursdesarmées,tousayant

acceptélafoi,toushommesdesens,tousdignesdebraceletsetdebouclesd'oreilles,touslalanceaupoinget

montés sur desdestriers, tous portant monnom gravé surs leurs anneaux. Quand ils sauront quej'ai placé les

timbalessurmonéléphant,ilsaplanirontlesmontagnesaveclessabotsdeleurschevaux;quandilsmettrontleurs

cuirassesaujourdelabataille,ilsferontvolerlapoussièreau-delàdelavoûtesublimeduciel;assissurleurs

chevauxcommedesrochers,ilsbriserontlesrochersavecleursépées.Deuxhommeschoisisparmieux,deuxvaillants

cavaliers, le SipehdarZerir et Isfendiar, quand ils revêtentleurscottes de mailles de fer, n'hésitent pas à

attaquerleciel;quandilslèventau-dessusdel'épauleleurslourdesmassues,ilenjaillitdelagloireetdela

puissance.Lorsqu'ilsviendrontàlatêtedel'armée,ilfaudrabienquetufassesattentionàeux;ilsressemblent

ausoleilavecleurscouronnesetsurleurtrône,etleurvisageresplenditdemajestéetdebonheur;cesontdes

hérosetdeschefschoisis,deshommeslouéspartous,agréablesàtousetdesMobeds.NecomblepasleDjihounde

musc,carj'ouvriraimoi-mêmelesportesdetontrésoravare,et,s'ilplaitàDieu,jetecombattraiaujourdela

batailleetjejetteraitatêtesousmespieds.

LeroidesTurcs,ayantlucettelettre,descenditdesontrôneetrestauninstantconfondu,puisilordonnaà

sonSipehbedd'appelerdèslelendemaindegrandmatinsestroupesdetouteslespartiesduroyaume.Lesbravesde

l’armée,leschampionschoisisdelaChineserépandirenttousdanslepaysdeTouran,etréunirentsesarméesetles

chefsdesfrontièresdesonempire.IlavaitpourfrèresdeuxAhrimans,dontl'unsenommaitKehreml'autreEndirman

;onleurdonnadestimbales,deséléphantsetdesdrapeauxrouges,jaunesetviolets,etArdjaspleurconfiatrois

centmillehommeschoisis,tousdescavaliersvaillants.Ilouvritlaportedesontrésoretdistribualasolde;il

fit sonner les trompettes d'airain et préparer les bagages,ensuite il appela son frère Kehrem et lui donna le

commandementd'uneailedel’armée;ilmitl'autreailesouslesordresd'Endirman,etlui-mêmepritlecentre.Ily

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avaitunTurcdunomdeGurgsar,unhommedéjàvieux:onauraitditqu'ilneconnaissaitquelemal;Ardjasplui

donnalecommandementenchef;ensuiteilremitàsonfrèreBidirefschundrapeauavecunefiguredeloup.Unautre

Turc,appeléKhaschaschlevaillant,qu'unlionn'eûtpasoséattaquer,futnomméchefdeséclaireursetdel'avant-

garde;ilreçutd'Ardjaspundrapeau;c'étaitluiquidevaitparleraunomduroi.EnsuitelechefdesTurcsenvoya

àundessiens,nomméHouschdiv,unmessageetluifitdire:Gardelesderrièresdel'armée,etsiquelqu'undes

nôtress'enretourne,tue-leaussitôtquetulerencontreras,etacquitte-toidecettemissionavecintelligence.

C'est ainsi qu’Ardjasp partit dans une colèreterrible, le cœur gonflé de sang, les yeux pleins de larmes,

dévastant tout, brûlant les maisons, détruisant les arbres, brancheset racines ; c'est ainsi que le chef des

mécréantsconduisitsonarméedanslepaysd'Iran,lecœurremplidehaine.

GUSCHTASPRASSEMBLESONARMEE.

LorsqueleroiGuschtaspentenditqueleroidesTurcsetdelaChinesepréparait,luietsonarmée,avait

quittélelieudesarésidenceetenvoyéau-devantdeluileféroceKhaschasch;lorsqu'ilsutqu'Ardjaspétaitparti

avecunearméepourdévastertoutlepaysd’Iran,ilordonnaàsonSipehbedd'équiperdèslelendemainmatintousles

éléphantsettouteslestroupes,etécrivitunelettreauxcommandantedesesfrontières,disant:LeKhakanaquitté

lavoiedeshommesdebien;amenezvostroupesàmacour,carmonennemiestsortideslimitesdesonpays.Aussitôt

quelescommandantsdesfrontièreseurentreçulalettrequileurannonçaitl’approchedel'ennemiquiambitionnait

lapossessiondumonde,ilparutàlacourduroiunearméeplusnombreusequelesbrinsd'herbesurlaterre.Les

héros du monde entier s'armèrent pour le maître de laterre, le chef des Keïanides ; tous les commandants des

frontièressedirigèrent,sursonordre,verssacourroyale,etilnesepassapasbeaucoupdetempsavantquemille

foismillehommesfussentarrivésetfussentcampésauprèsduroi,duhérosillustre,dumaître bienveillant pour

tous.

Leroi fortuné se rendit au camp, inspecta l'armée etchoisitceuxquiétaientpropresaucombat;ilétait

heureuxdecequ'ilvoyait,etsonespritétaitconfondud'unsigrandconcours.LelendemainGuschtasp,accompagné

desMobeds,desnobles,desgrandsetdesSipehbeds,ouvritlesportesdecetrésorqueDjamschidavaitrempli,et

payaàl'arméelasoldepourdeuxans.Ayantdistribuélasoldeetdonnédescuirasses,ilfitsonnerlestrompettes,

battrelescymbalesetfairelesbagages.Ilordonnadeporterdevantl'arméeledrapeauimpérialdubienheureuxroi

Djamschid,etconduisitsestroupesàlaguerrecontreArdjasp,destroupestellesquepersonnen'enavaitjamaisvu

depareilles.Lapoussièrequesoulevaientleschevauxetleshommesétaitsinoirequ'onnevoyaitplusnilejour

brillantnilalune,etleshennissementsdeschevaux,etlebruitdelafouleétaienttelsquele.sondestimbales

n'arrivaitpasauxoreilles.Desdrapeauxnombreuxsedéployaient,lespointesdeslancesperçaientlesnuagescomme

des arbres croissant sur les montagnes ou des champs deroseaux au printemps. C'est ainsi que, par ordre du roi

Guschtasp,l'arméetraversalesprovincesl'uneaprèsl'autre.

DJAMASPDÉVOILEAGUSCHTASPL'ISSUEDELABATAILLE.

AyantquittéBalkhlaglorieuseetétantarrivéssurleDjihoun,leroietsonarmées'arrêtèrent.Guschtasp

sortitducamp,descenditdechevaletmontasuruntrône;ilfitappelerl'illustreDjamasp,songuidespirituel,

lechefdesMobeds,leroidesnobles,leflambeaudesgrandsetdesSipehbeds,unhommed'uncorpssipuretd'une

âmesisaintequel'avenirétaitouvertpourlui;ilétaitgrandastrologueetavaitatteintlepremierrangen

sagesseetensavoir.Leroiluiadressadesquestions,disantDieut'adonnélavraiedoctrineetuneintelligence

lucide;iln'yapersonnedanslemondequitesoitcomparable,etleMaîtredumondet'aaccordétoutsavoir.Il

fautquetucalculeslesastresetquetumediseslesortquim'attend,quelseralecommencementetquelleserala

findececombat,etquiserafrappéparlemalheurdanscelieu.

CesquestionsaffligèrentlevieuxDjamasp,etilréponditàGuschtaspd'unairdésolé:J'auraisdésiréque

Dieu,ledistributeurdelaJustice,nem'eûtpasdonnécetteintelligenceetcettefaculté,carsijenelapossédais

pas,leroinem'auraitpasdemandédeluiprédirel'avenir.Jenelediraipas,carsijeledisais,leroidesrois

meferaitmourir;àmoinsque,parjusticeenversmoi,ilnes'engagesolennellementànepasmefairenimelaisser

fairedumal.Leroiluidit:JejureparlenomdeDieu,parlenomdusaintquinousaapportélavraiefoi,par

laviedeZerir,levaillantcavalier,parl'âmedunobleIsfendiar,quejamaisjeneteferaidemat,quejamaisje

n'ordonneraiàd'autresdet'enfaire,quetun'aurasrienàcraindredemoi.Distoutcequetuvois,cartuconnais

desmoyensdesalut,etmoijelescherche.

Lesagerépondit:Onobleroi,puissetacouronneresteréternellementjeune!Net'affligepasdecequedira

tonesclave,n'écoutepastacolère,carheureuxestceluiquinevoitpasdesesyeux!Sache,ôvaillantetillustre

Keïanide, qu'au moment où la bataille amèneraface à face les héros, et où ils pousseront leurs cris et leurs

clameurs,tucroirasqu'onarrachetouslesrochersdeleurbase.Lesplusbravess'avanceront,l’airseraobscurci

parlapoussièreducombat;tuverrasalorslecieldevenirgris,laterrepleinedefeu,l'airremplidefumée;à

travers tout ce bruit des épées etles coups des lourdes massues qui tombent comme les marteaux d'acierdes

forgerons,lesonaigudescordesarcsperceralescerveaux;lemondeserempliradusoufflebrûlantdelalutteet

ducombat,etlavoûteetlescerclesducielserontbrisés;lescourantsd'eauserontsouillésparlesang des

hommes,ettuverrasbiendesfilsprivésdeleurspèresetbiendespèresprivésdeleursfils.

Ardeschir,leKeïanideillustre,lechefdesprinces,levaillantguerrier,lanceralepremiersonchevalrapide

etabattraquiconques'opposeraàlui;ilrenverseradeleurschevauxtantdecavaliersturcsqu'onnesaurajamais

leur nombre ; mais àla fin il sera tué, et son grand nom disparaîtra. Ensuite Schidasp,de naissance royale,

pousserasondestriernoirsurlestracesd'Ardeschir,pourvengersamort;ilsemettraencolèreettirerasonépée

;iltueradanscecombatbiendeshommesmaissamauvaisefortuneleperdraàlafin,etcettetêtequiportaitune

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couronne en sera privée. Alors mon fils s'élancera ceint de maceinture, il s'élancera au milieu du champ de

bataille,semblableàRustem,pourvengerSchidasp,lefilsduroi,etnombreuxsontlesgrandsetleshérosdela

Chinequecelionvaillantcoucherasurlaterre.Ilsupporterabeaucoupdefatiguesdanscettelutte,maisoserai-je

dire au roi des rois comment, lorsque les Iraniens aurontjeté le drapeau brillant de Kaweh, mon fils Guerami,

apercevant duhaut de son chenal ce drapeau impérial gisant dans le sang et la poussière, sautera à bas de son

cheval, le saisira etl'emportera bravement, comment il tiendra le drapeau violet dans unemain et l'épée dans

l'autre,renverseraainsilesennemisetarracheralavieauxAhrimans?Maislemomentviendraoùunennemiacharné

abattraavecsonépéetranchantelamaindeGuerami,quisaisiraledrapeauavecsesdents,quiporteradansses

dentsledrapeauviolet,jusqu'àcequ'uneflècheluitraverselemilieuducorps,etquelehérosdisparaissepour

toujours.

Alors le noble Nestour, fils de Zerir, sortira àcheval des rangs, semblable à un lion courageux ;il fera

disparaîtrebiendesennemis;personnen'aurajamaisvuuncombatplusglorieuxquelesien,etàlafinilreviendra

victorieux, ayant fait sentiraux ennemis la force de son bras. Nivzar, le fils du maître dumonde, le cavalier

d'élite,s'avancera,ilseruerasurcesAhrimans,abattraparmieuxsoixantebravesetdéploieraunevaleurdigne

d'unPehlewan;maislesTurcsfinirontparlefrapperàlatêteetjetterontsurlesolsoncorpsdehéros.Le

vaillantlion,lecavalieravidedecombats,quiportelenomdeZerir,s'avanceraalors,armédulacetetmontésur

un destrier isabelle appartenant àIsfendiar, brillant dans sa cuirasse d'or comme la lune et jetantdans

l'admirationtoutel'armée.Ils'emparerademillebravesdel'arméedesTurcs,leslieraetlesenverraauprèsdu

roi, et partout où il montrera son visageroyal le sang de nos ennemis coulera en ruisseaux. Tous éclateronten

louangesdecehéros,enlevoyantdétruireunsigrandnombredesplusbravesparmilesTurcs,quin'oserontplus

tenirdevantlui,etleroidupeuplequidemeuresousdestentestremblera.Zerirapercevralecorpsdupuissant

Ardeschir,dontlevisageseranoircietlesmembresjaunis;illepleureraamèrement,sacolères'allumera,il

exciterasonchevalarabedecouleurisabelle,sedirigeraversleKhakan,rempliderageetdudésirdelavengeance,

commes'ilallaitl'arracherdesoncheval;envoyantArdjaspaumilieudesonarmée,ilchanteraleslouangesduroi

Guschtasp,détruira des rangs entiers d'ennemis, et ne s'inquiétera de personnesur la terre ; il récitera le

Zendavesta de Zerdouscht, et neplacera sa confiance dans le monde qu'en Dieu ; mais à la fin safortune

s'assombrira,etcetarbrechoisiseraabattu.UnTurcnomméBidirefschs'avanceraverslehérosarméd'unelanceet

portantledrapeauviolet,maisilnes'aventurerapasàsemettreenfacedelui,etseplaceraenembuscadesurson

chemin;ils'ytiendracommeunéléphantfurieux,uneépéetrempéeavecdupoisonenmain;etquandleroidela

terrereviendraducombat,sonarmuredéchirée,sahached'armesbrisée,ceTurcluilancerauneflèche,sansoserse

montrer,etleroideshommeslibresmourradelamainduvilBidirefsch,quiemporterachezlessiensledestrieret

laselledeZerir.Quiest-cequilevengeralepremier?

Toutenotrearméeglorieuseetpuissantetomberasurl'ennemicommedeslionsetdesloups;ilyauraunemêlée

générale,etlaterreserarougieparlesangdeshéros.Levisagedetouslesbravespâlira,etleshommestomberont

les uns sur lesautres en chancelant ; une poussière noire volera jusqu'au soleil,et à travers cette poussière

personneneverralafacedelalune.Lespointesdeslances,desflèchesetdesépéesétincellerontcommedesastres

dontl'éclatpercelebrouillard.Qued'hommesmortssouslescoupsdeshérosetjetéslesunssurlesautres,tous

blessés,tous couchés d'un sur l'autre, le père sur le fils, le fils sur lepère ! Au milieu des cris et des

lamentationsdesblessés,onferaprisonniersceuxquirestentdebout,ettantd'hommesdecettearméeseronttués

quelechampdebatailleserainondédeleursang.

AlorsleviletviolentBidirefschs'avanceracommeunloupvorace,uneépéetrempéeavecdupoisondanslamain

etmontésurundestrierbondissant,semblableàunéléphantfurieux;ungrandnombredehérosillustresdel'armée

duroitomberontsoussescoups,jusqu'àcequelefortunéIsfendiar,suividesestroupes,protégédeDieu,lance

sonchevalardentcontrelui,lesyeuxpleinsdesang,lecœurremplidehaine.Illefrapperadesonépéeindienne,

etlamoitiédesoncorpstomberaduhautdesoncheval.Isfendiarsaisirasamassuedeferetferabrillersaforce

etsahautestature.ParuneseuleattaqueilébranleralesTurcs,etquandilaurarompuleursrangs;pourquoiles

laisserait-ilenvie?Illesmoissonneraaveclapointedesalance,illesdétruiraentièrementetlesdispersera,

etàlafinleroidelaChines'enfuiradevantIsfendiar,lehérosglorieux;ilsetourneradanssafuiteversle

Touran,lecœurbrisé,lesyeuxversantdeslarmesdesang;iltraverseraledésertavecunepetiteescorte,leroi

seravictorieux,etsesennemisserontdéfaits.

Sache,ôroidesrois,l'élu deDieu,quejet'aiditmaintenanttoutcequisepassera,ettun'entendraspasde

moiuneparoledeplus.Cessedejetersurmoidesregardscourroucés,car,cequejet'aidit,jenel'aiditque

surtonordre,ôroivictorieux!Quantauxautresquestionsquem'afaitesleroifortunésurcettemerprofondeet

cette route ténébreusedudestin,jen'airienvuquej'aiecachéauroi;s'ilenétaitautrement,pourquoilui

aurais-jedévoilélessecretsquej’airévélés?

Lorsqueleroimaîtredu.mondeeutentenducessecrets,ils'affaissadanslecoindesontrône,samassued'or

s'échappa,desesmains;tuauraisditquetoutesagloireetsaforcel'avaientabandonné;ils'appuyasur son

visageetrestasilencieux,ilneprononçaplusuneparoleets'évanouit.Lorsqu'ilfutrevenuàlui,ildescenditde

sontrôneetpleuraamèrement,disant:Aquoimeserventletrôneetlaroyauté,puisquemesjoursvonts'assombrir,

puisquemes fils beaux comme des lunes, mes braves, mescavaliers, mes rois vont périr ? A quoi me serviront

l'empireetlafortune,lepouvoir,l'armée,lacouronneetletrône,puisqueceuxquimesontlespluschers,les

meilleursdel'arméeetlesplusillustresvontdisparaîtreetm'arracherducorpscecœurdéchiré?

EnsuiteilditàDjamasp:Puisqu'ilenestainsi,jen'appelleraipasmonvaillantfrèreaumomentoùilfaudra

allersurlechampdebataille;jenedésoleraipaslecœurdemavieillemère,jedéfendraiàZerirdeprendrepart

au combat, jeconfierai le commandement de l'armée au fortuné Gurezm. J'appelleraidevant moi mes nobles et mes

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jeunesfils,dontchacunm'estchercommemoncorpsetmavie,jenelesrevêtiraipasdeleurscuirassespourles

placeràlatêtedestroupes.Commentlapointed'uneflèchedeboisdepeuplierarriverait-ellesurcettemontagne

etcesrochersquis'élèventau-dessusduciel?

Lesageréponditaumaîtredelaterre:Oroi glorieuxettendredecœur!siceshommesnesetrouventpasau-

devantdesrangsdel'armée,leurscasquesdeKeïanidessurlatête,quioseras'opposerauxhérosdelaChine,qui

ramèneralasplendeurdenotrereligionpure?Lève-toidecettepoussièreetmontesurletrône;nelaissepasse

perdrelamajestédelaroyauté,carceciestlesecretdeDieu,iln'yapointderemède,etcequelaitleSeigneur

n'estpasunechoseinjuste.Ilnetesertàriendetelivreràtadouleur,carcequidoitsefaire est comme

accompli.Nelaissepastonâmes'abattredavantage,acceptelajusticedeDieu.C'estainsiqueDjamaspluidonna

beaucoupdeconseils;leroil’écouta,redevintbrillantcommelesoleiletremontasursontrône;ils'yassitet

se mit à penser autombâtqu'il allait livrer au maître de Djiguil, quiambitionnait la possession du monde ;

l'anxiétédesonâmel'empêchaitdedormir,etil.avaithâtedecommencerlalutteetlabataille.

suite

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RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI

FERDOWSI/FIRDOUSI

LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV-partieVI)

ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer

précédent

FERDOWSI

LELIVREDESROIS.

TOMEIV

GUSCHTASPETARDJASPMETTENTENORDRELEURSARMÉES.

Selon le conseil de Djamasp, le roi quitta ce lieu àl'aube du jour, aussitôt que l'éclat des étoiles eut

disparu, et serendit au camp ; il plaça cette armée choisie dans un endroit où levent du matin apportait des

jardinsjusquedanslesmaisonsleparfumdesroses.Ilenvoyadetouscôtésdeséclaireurs,commec'étaitlacoutume

desPerses.Undecescavaliersrevintetditauroi:Oroi, l’arméedesTurcsesttoutprès;c'estunearmée,ô

maîtredelaterre,tellequ'iln'enestjamaissortidupaysdesTurcsetdelaChine;elles'estarrêtéeprèsde

nousetacouvertdesestenteslamontagne,lesvalléesetlaplaine.LechefdesTurcsachoisideséclaireurs,les

aenvoyés,etilssesontrencontrésaveclesnôtres.

AlorslenobleGuschtasp,levaillantroi,appelaauprèsdeluisonSipehbed,lefortunéZerir,luidonnaun

drapeauetluiordonnadepartirentoutehâte,depréparerleséléphantsetdefaireprendrelesarmesauxtroupes.

LeSipehbedpartitetmitenordrel'armée,quitoutentièrenedésiraitquecombattrelesTurcs.Leroidumonde

plaçasouslecommandementd'Isfendiarcinquantemillecavaliersd'éliteetluiconfial’unedesailesdel'armée,

carilavaituncœurdelionetunepoitrinedetigre.Al'autreailedel'arméeleroimitdemêmeunbeaucorps

d'élite,qu'ilconfiaàSchidasp,cenobleguerrier,sonfilsetsonégal.Ensuiteildonnacinquantemillebraves

cavaliersàZerir,sonSipehbed,etlecommandementducentredel'armée,carc'étaitunlionfurieuxetleDestourdu

roi.Enfinilchargeadel'arrière-gardeleflambeauduroi,Nestouràlanaissancefortunée.Ayantainsidisposéses

troupes,ilremontasurlamontagne,l'âmerempliededouleuretlecorpsbrisédefatigue;ils'yassitsurson

trônebeauetbrillant,etobservadelàlesarmées.EnsuiteArdjasp,leroidescavaliersdelaChine,mitdemême

sestroupesenordredebataille;ildétachadestroupesvenuesdeKhallakhcentmillehommes,descavaliersbraves

etexpérimentés,etlesenvoyaauprèsdeBidirefsch,quiavaitlesgrandestimbalesetundrapeaud'or,etàquiil

confiaunedesailesdel’armée,carlelionlepluscourageuxn'osaitpaslecombattre.Ildonnalecommandementde

l'autreaileàGurgsaretmitsoussesordrescentmillecavaliersd'élite;ensuiteilplaçadanslecentredeson

arméeuncorpsdetroupesbonnesetchoisies,etlesconfiaàcemagicienobstinéquiportaitlenomdeNamkhast,

filsdeHazaran.Ilgardacommeréservecentmilleautrescavaliersquiavaientmontréleursprouessesdanslemonde,

etlesplaçademanièreàpouvoirsecourirchaquepartiedesonarmée.Enfinunhommeglorieux,expérimentéetqui

portaithautlatêtedanslescombats,setrouvaitderrièrelalignedebataille:Kehremétaitlenomdecenoble

cavalier,surquilabonneetlamauvaisefortuneavaientsouventpassé;c'étaitunfilsd'Ardjasp,quienfitle

gardiendel'armée,etnommaordonnateurcethommeaccoutuméàdisposerlestroupes.

COMMENCEMENTDELABATAILLEENTRELESIRANIENSETLESTOURANIENS.

Lorsquelanuitfutpassée,quelejoureutparuetquelesoleilquiéclairelemondeeutcommencéàbriller,

les deuxarméesmontèrentàchevalpendantqueleroiGuschtasplesobservaitduhautdelamontagne.Leglorieux

roi,voyantd'enhautquelesguerrierssemettaientenselle,fitamenerRehzad,sonchevalnoir:tuauraisditque

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c'étaitlemontBisutoun.Onrevêtitledestrierdesescaparaçons,etlevaillantPehlewanlemonta.Lesdeuxarmées

s'approchèrentl'unedel'autre,etl'onsonnadesclaironsd'airainsurledosdes éléphants;lesrangsdesbraves

seformèrent,etleshérosprovoquaientceuxquiétaientdignesdelescombattre.

Onfitd'abordtomberunepluiedeflèchesquiressemblaitàunegrêledeprintemps,etlesoleildisparutdu

mondé:quiconquen'apasvuunesemblablemerveillenepourraitlecroire.Lafacedusoleilétaitcachéeparles

pointesdesflèches,quiformaientcommeuntorrentd'eau;tuauraisditquel'airportaitunnuagedontilpleuvait

del'acier.Lamassedescavaliersarmésdemassuesetportantdeslancesquisejetaientlesunssurlesautres,

étaittellequel'airdisparutdumonde,ayantpris,lacouleurdelanuit,etquelaterreentièrefuttrempéede

sang.

Lepremierquis'avançafutuncavalierpleindedignité,Ardeschir,lefilsduroidumonde;ilentrasurle

champde bataille comme un éléphant ivre ; tu aurais pu croire que c'étaitle Sipehbed Thous. C'est ainsi qu'il

courutdecôtéetd'autreaumilieudesarmées,sanssedouterdusortquelaluneetlesoleilluipréparaient;mais

uneflèchelefrappaaumilieuducorpsettraversasalourdearmure;leprincetombadesoncheval,etsoncorps

royalfutcouvertdesangetdepoussière.Hélas!cehérosaubeauvisage,resplendissantcommelalune;leroisage

nedevaitpaslerevoir!

Aprèsluis'avançaOrmuzd,l'hommeaucœurdelion,dontlesjouesbrillaientcommedestulipesaumilieudela

verdure.Ils'avançatenantenmainuneépéetrempéeavecdupoison;ilpoussadesrugissementscommeunlionquiva

abattreunonagre,ettuamillecavaliersennemispourvengerlehérosfilsduroi.Mais,aumomentoùilvoulait

quitterlecombataprèsavoircolorédesanglafacedelaterre,uneflècheperça sacottedemailles,etceroi,

filsderoi,succomba.Hélas!cenoblehommedeguerremourutsansquesonpèrel'eûtrevu!

EnsuiteseprésentaSchidasp,quiressemblaitauroietbrillaitcommelalune;ilétaitassissurundestrier

pareilàuncrocodile,rapidecommeleventetaveclapuissanced'unéléphant.Ilparutsurlechampdebatailleen

faisanttournersalance;ilfaisaittournercommeunbâton,toutengouvernantsoncheval.Ils'écria:Oùestle

vaillantKehrem,quiressembleàuntigreetàunloup?UnDivsortitdesrangs,disant:C'estmoi,etjesuis

celuiquisaisitdesdentsunlionaffamé.Ilss’escrimèrentavecleurslancesrapidementcommelevent,etlefils

duroifrappaleTurcdesalance,l'enlevadelaselle,luicoupalatêteetjetaparterrelecorpsdecethommequi

portait une ceinture d'or. Ensuite il s'avança vers le front deshéros de la Chine ; assis sur son cheval, il

ressemblait à un rocher;jamaisœiln'avaitvuunhommecommelui:ilétaitsibeauqueles yeux le suivaient

partoutoùilallait.MaisunTurclançacontreluiuneflèche,etceroi,filsderoi,périt.Hélas!ceprinceélevé

délicatement,sonpèrenerevitjamaissonvisage!

MORTDEGUERAMI,FILSDEDJAMASP.

Alorsuncavaliersortitdesrangs del’armée,lenoblefilsdeDjamasp,leDestourduroi,uncavaliervaillant

dontlenométaitGuerami,etquiressemblaitàRustemfilsdeDestan,filsdeSam.Ilétaitmontésurundestrier

couleurisabelle,etunlacetétaitrouléautourducrochetdesaselle.Ils'arrêtadevantlesrangsdesChinoiset

invoquaDieu,ledistributeurdelajustice;ensuiteils'écria:Quelestparmivousl'hommeaucœurdelionqui

osebraverunelancequidétruitlavie?Oùestcemagicienquineveutfairequesesvolontés,etquis'appelle

NamkhastfilsdeHazaran?

Namkhast s'avança sur-le-champ vers lui ; tu auraisdit qu'un rocher était assis sur son cheval. Les deux

cavaliersagiless'escrimèrentaveclesmassuesetleslances,aveclesépéesetlesflèches.Gueramiétaitunhéros

fort comme un lion, levaillant Namkhast ne pouvait lui résister, et cet homme de guerres'enfuit quand il eut

éprouvélaforceduKeïanideetvusonépéetranchante.Gueramis'élança,brûlantdecolère,lecœurgonflédesang

etremplidudésirdelavengeance,l’âmepleined'ardeurpourlecombat,etsejetaaumilieudesrangsdesennemis.

Levents'élevaalorsducôtédesmontagnes;lesdeuxarméesseprécipitèrentl’unesur l'autre,etsoulevèrentune

poussièreépouvantable.Aumilieudecechocdesarmées,decescoupsd'épéeetdecettepoussièrenoire,ledrapeau

brillantdeKawehéchappadesmainsdesIraniens.Gueramiaperçutcedrapeaubleuqu'onavaitlaissétomberdudos

d'unéléphant,mitpiedàterre,lesecouapourenfairetomberlapoussièreetlenettoya.LesbravesdelaChine

virentqueGueramiappuyaitlalancedudrapeausurlaselledesoncheval,enôtaitlaterreetlenettoyaitdela

poussière;lesplusvaillantsd'entreeuxl'entourèrent,l'attaquèrentdetouscôtésetluiabattirentunemainpar

uncoupd'épée.AlorsilsaisitledrapeaudeFeridounavecsesdents,et,ômerveille!ilfrappadelamassueavec

lamainquiluirestait;maisàlafinilsletuèrentmisérablement,etlejetèrentsurcesolchauddesangversée

commeunechosevile.Hélas!cevaillantcavalierpleindecœur,lesagevieillardnelerevitplus!

Nestour, le lion, le vaillant Keïanide, le fils deZerir, s'avança sur-le-champ ; il tua des ennemis sans

nombre,carilavaitapprisdesonpèrel'usagedesarmes,etàlafinilrevintvictorieuxetheureux,etseplaçade

nouveau devant son père.Ensuitelecavalierchoisi,Nivzar,filsduroidumonde,s'élança,monté sur un cheval

rapideettelqu'iln'avaitpassonpareilparmidesmilliers.C'estainsiqu'ilparutsurlechampdebataille,où

il s'écria d'une voix forte: Oguerriers d'élite ! y a-t-il parmi vous un homme illustre, plein d'expérience,

vaillantetsachantmanierlalance,quiveuilleveniràmarencontre,lalanceàlamain,carvoicidevantvousun

hommedecœur?Lescavalierschinoiscoururentsurluietcherchèrentàlerenverser,maislecourageuxNivzar,le

cavalierillustredanslemondeentier,traversaentoussenscettemassedebraves,semblableàunéléphantfurieux

ouàunlionféroce;tuauraisditqu'ilenroulaitlaterresoussespieds;iltuacentvingtdeceshéros,tous

élevésaumilieudesbatailles;maisàlafinlaflèched'unearbalètelefrappa,uneflèchelancéecommesic'était

un-foudreduciel;iltombaduhautdesonchevalrapide,auxbellescouleurs,etmourut;telestlesortdes

batailles!Hélas,encoreunnoblecavalierquifuttuéavantd'avoirremplisadestinée!Ilressemblaitàsonpère

etétaitsonégal;hélas!quelbeauvisageetquellehautestature!

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Lorsque ce héros aux beaux traits fut mort, desmilliers de milliers de cavaliers qui l'entouraient se

précipitèrentdanstouslescoinsduchampdebataille,etsoulevèrentlapoussièredelasurfacedelaterre.C'est

ainsique deux semaines se passèrent dans des combats incessants, pendantlesquels pas un cavalier ne dormit un

instant;lesterresétaientcouvertesdemortsetdeblessés,lapoussièreempêchaitleventdepasser,lesvallées

et les plaines étaient couleur de tulipe, lesang coulait dans les campagnes et dans le désert, et le champ de

batailleétaittellementencombrédecorpsquepersonnenepouvaitymarcher.

MORTDEZERIR,FREREDEGUSCHTASP.

Deuxsemainessepassèrentainsi,etàchaqueinstantlecombatdevintplusvif.AlorsparutlevaillantZerir,

montésurunpuissantchevaldecouleurisabelle:ilsejetasurlecampdesennemiscommeuneflammequi,poussée

parlevent,dévorelesherbes.Iltualesunsetrenversalesautres,etquiconquelevitneputtenirdevantlui.

QuandArdjasps'aperçutquecefilsdeLohraspallaitanéantirsonarmée,ils'adressaàhautevoixàsestroupes,

s'écriant : Voulez-vous donc livrer au vent le pays deKhallakh : voici deux semaines qui se passent dans cette

lutte,etjen'envoispasencorepoindrelafin.LeshérosduroiGuschtaspontdéjàtuéungrandnombredesplus

illustresparminous,etmaintenantvientZerir,commeunloupfurieux,commeunlionquidéchiretout,etiltue

tousmeshommes,mesTurcsquiportenthautlatête,meshéros.Ilfautpenseràunmoyendesalut,oureprendrele

chemindupaysdesTurcs;carsiZerircontinueainsipendantquelquetemps,ilnelaisseraexisterniArdjasp,ni

Khallakh,nilaChine.Quelestparmivousl'hommedésireuxdegloirequiosesortirdesrangsdel’armée,allerau-

devantdelui,seuletcommeunhomme,etacquérirunrenomillustredanslemondeentier?Quiconquepousserason

chevalhorsdenosrangsetjetteraZerirdanslapoussièreenfaceduciel,jeluidonneraimaproprefille,jelui

confieraimondrapeau.

Lestroupesneluirépondirentpas,cartoutel'arméed'Ardjaspétaiteffrayéedecesanglier.Danscemomentle

SipehbedZerir,lePehlewandumonde,arrivasemblableàunloupettombasurlesTurcscommeunlionoucommeun

éléphantfurieux,tuantlesunsetrenversantlesautres.AcetaspectArdjaspsetroubla,lemondedevintsombre

devantsesyeux,etilditencoreunefois:ObravesdelaChine,grandsethérosetTurcsdelaChine,nevoyez-vous

pasvosparentsetvosalliés,n'entendez-vouspaslescrisdesblessésfoulésauxpiedsdecethommefurieux,qui

frappedelamassuecommeSametdesflèchescommeArisch,dontlefeuconsumetoutemonarmée,etquivalivreraux

flammesmonpaysentier?Quelestparmivousl'hommeàlamainvaillantequis'opposeraàcetéléphantenfureur?

Quiconquesaisiracedestructeurdesbravesetlejetteraàbasdesondestrier,jeluidonneraiuntrésord'or,

j'élèveraisondiadèmeau-dessusduciel.

Maispersonnenerépondit,etArdjaspenfutétonné,etsajouepâlitIIrépétatroisfoislesmêmesparoles,et

restaconfondudenepointrecevoirderéponse.Alafin,Bidirefsch,lecolère,levil,lechien,lemagicien,le

vieuxloup,ditàArdjasp:Opuissantsoleil!toiqui,delaracinejusqu'àlacime,esl'imaged'Afrasiab,jet'ai

apportémavie,jeteladonne,jelaplacedevanttoi.Jem'avanceraiverscefurieuxéléphantivre,etj'espèrele

vaincreetjetersurlaterresoncorps,sileroiveutmedonnerlecommandementdecettearméeinnombrable.

ZERIRESTTUEPARBIDIREFSCH.

Leroifutheureuxdel'entendreetcélébrases louanges.Illuidonnasonpropredestrieretsaselle,illui

donnasonjavelottrempéavecdupoison,javelotquiauraitpercéunemontagnedefer.Lemagicienhaineuxetimpur

s'avançacontrelevaillantetprudentcavalier;maisquandillevitdeloin,sifortetsianimé,levisagecouvert

depoussière,lesyeuxremplisdelarmes,tenantenmainunemassuecommeSamlehéros,quandilvitdevantluiune

montagne de morts, il n'osa passe présenter en face de Zerir. Il se glissa inaperçu derrière lui,et lança son

javelottrempéavecdupoisonsurlecavalier,filsderoi,quines'yattendaitpas.Lejavelottraversalacuirasse

d uprince, son corps royal fut inondé de sang et il tomba de cheval.Hélas ! ce vaillant fils de roi ! Le vil

Bidirefschmitpiedàterre,ledépouillaentièrementdesonarmure,amenalechevaldeZeriraumaîtredelaChine

etluiportasaceinture,sonbeaudrapeauetsondiadèmecouvertdepierreries.Toutel’arméedesTurcspoussaun

cridejoie,etl'onplaçaledrapeausurledosd'unéléphant.

Guschtaspregardaduhautdelamontagneetn'aperçutpluscettelunequitournaitaumilieudelapoussière;il

dit:Jecrainsquecettelunequitournait,etdontlalumièrenecessaitd'éclairercettearmée,quemonvaillant

frère, le fortuné Zerir,quiabattaitleslionsféroces,n'aitétérenversédecheval,carles braves cessent de

s'élanceretd'attaquer;jen'entendspluslescrisdesfilsdesgrands;est-cequelechefdesnoblesseraittué?

Ilenvoyadeshommesàchevalsurlechampdebataille,làoùl’onapercevaitledrapeaunoir,etleurdit:Allez

voircequ'estdevenumonroyalfrère,carmoncœurétouffedesangdansmoninquiétudepourlui.Leroidelaterre

étaitdanscetétatlorsqu'undesmessagersrevintenversantdeslarmesdesang,etluidit:Talune,legardiende

ta couronne et de ton armée, lePehlewan du monde, le vaillant Zerir, hélas ! a été tuémisérablement par les

cavaliersturcs!Bidirefsch,lechefdetouslesmagiciensdelaterre,l’ajetéàterreetaemportéledrapeaude

Kaweh.

LorsqueleroidumondeappritqueZerirétaittué,l'imagedelamortsedressadevantlui;ildéchiratousses

vêtements jusqu'au nombril, versa de la poussière sur lacouronne royale, et dit au sage Djamasp : Que dirai-je

maintenantauroiLohrasp?Commentoserai-jeenvoyerunmessageràsacour,quedirai-jeàmonvieuxpère?Hélas!

cehéros,filsderoi!hélas!iladisparucommelalunebrillantedanslebrouillard!Amenez-moiGulgoun, le

destrierbaideLohrasp,etplacezsursondoslaselledemoncheval;jepartirai,jelevengerai,carjepérisde

ladouleurquemecausesamort;jeveuxessayerdelevenger;jeveuxrépandresafoietsareligion.

Le Destour plein d'expérience lui dit : Reste ; cen'est pas à toi de chercher à le venger ; si Guschtasp,

obéissantauxordresduDestourquiconnaissaitlessecretsdel’avenir,mitpiedàterre,serassit,etditàses

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troupes :Qui parmi vous est le lion qui vengera le noble Zerir, qui lancerason destrier pour ce combat, qui

ramènera le cheval et la selle demon frère ? Je fais une promesse devant Dieu le maître du monde, unepromesse

d'honnêtehommeetderoi!Quiconques'avancerapourcecombat,jeluidonneraimafilleHomaï.Maisaucunhommede

l'arméenes'avança,personnenefitunpas.

ISFENDIARAPPRENDLAMORTDEZERIR.

CependantIsfendiarappritquecefilsderoi,cehéros,étaittué,quesonpèreenpérissaitdedouleur,et

qu'ilvoulaitvengercettemortlui-même.Lehérosillustresetorditlesmains,disant:Quenoustientdoncen

réservenotremauvaisefortune?Chaquejour,quandj'aivuZeriraumilieudelabataille,j'aitremblédevantce

sort;hélas!cecavalier,cehéros,ceprinceàquilesortaenlevésacouronnedelatête!Quiest-cequiatué

unpareiléléphantdeguerre,quiaarrachédusolcettemontagnedefer?Ilremitàl’undesesfrèressondrapeau,

sonarméeetsonposte,etseportaenavant:ilserenditaucentredel’armée,oùilrevêtitsonarmuredecombat,

etpritdansamainledrapeauimpérial.Ilavaitcinqfrères,tousdignesdutrône,tousillustres,touségauxdu

roi,quitoussetenaientdeboutdevantIsfendiar,carc'étaitluiquidétruisaitlesarmées.

Ilseplaçaaucentredel'armée,aupostedeZerir,ilseplaçaaucentrecommeunvaillantlion;ensuitece

soutiendel’arméeditauxnobles:Ohommesillustresetchampionsduroi!écoutezcequej'aiàdiredebon,et

ayezconfiancedanslareligiondumaîtredumonde!Sachez,ôrois,quevoicilejouroùl'ondistingueraentrela

bonneetlamauvaisedoctrine.Gardez-vousdecraindrelamortouautrechose,carpersonnenemeurtqu'aumoment

assigné,etsilafortuned'unhommedoitchanger,qu'ya-t-ildemieuxquedemourirsurlechampdebataille?Ne

faitespasattentionaumorts,necherchezpasdesecours,necomptezpourrienvostêtes.Gardez-vousd'espéreren

la fuite,gardez-vous decraindrelalutte,baissez les pointes de vos lances pour combattre luttez longtemps et

agissez avec bravoure. Si vous vous conduisez selon mes ordres,alors mon âme restera dans mon corps, votre nom

deviendraillustredanslemondeentier,ettoutel'arméed'Ardjasp,levieuxloup,périra.

Isfendiarenétaitlà desaharangue,lorsqu'onentenditlavoixdesonpère,quis'écriaitsurlamontagne:O

mes grands ! mes héros,vous qui m'êtes tous chers comme mon corps et mon âme, ne craignezpas les lances, les

flèchesetlesépées,caraucundenousnepeutéchapperàsonsort.Jejureparnotresaintereligion,parlavie

d’Isfendiarlehéros,parl'âmedeZerir,lecavaliergénéreux,quivientd'êtrereçudansleparadis,quej'aiécrit

unelettreàLohrasp,danslaquellej'aipromisaunomduvieuxroique,silafortunem'accordelavictoire,je

remettraiàIsfendiarlacouronneetletrôneaumomentdemonretourdecechampdebataille,quejeluidonneraila

couronnedelaroyauté,commemonpèremel'adonnée,quejemettraitoutemonarméesouslesordresdeBeschouten,

quejeplaceraisursatêteunecouronneroyale.

ISFENDIARATTAQUEARDJASP.

Quand Isfendiar, le héros au corps d'éléphant, lemaître de la prudence, l'homme doué d'une force terrible,

entenditcescrisdesonpère,ilbaissalatête,navrédedouleur;ils'avança,lalanceaupoing,latêtecourbée

de honte pour son père,monté sur un puissant destrier couleur de cendre,furieux comme un Div qui vient de

s'échapperdesesliens,sejetasurl'arméeennemiecommeunouraganquitombesurdesfeuillesderoses,ettuades

Turcs et coupa des têtes, tellement qu'en levoyant chacun reculait devant lui. Nestour, le fils de Zerir, le

cavalier,sortitdesatente,sedirigeaverslegardiendeschevauxdesonpère,etluidemandaunchevalreposé,bon

coureur, un destrier bondissant, rassasié d'orge ; il plaça surle dos du cheval une selle d'or, le brida, le

caparaçonna,etattachaaucrochetdelasellesonlacetdeKeïanide;ilrevêtitsacuirasse,montaàcheval,et

s'avançadanslaplaine,lalanceenmain;ilchevauchaainsijusqu'auchampdebataille,etcherchauncheminpour

parvenirjusqu'aucorpsdesonpère.Ilsehâtaetpressalepasdesondestrier;ilselivraàlavengeanceettua

desennemis;àchaquePersequ'ilrencontrasursoncheminildemandaoùiltrouveraitlehérosdel'armée,disant:

OùesttombéZerir,monpère,levaillantcavalier?

IlyavaitunhommedontlenométaitArdeschir,uncavaliergénéreux,unhéros,unlion;lejeuneprincelui

demandalecheminverslecorpsdesonpère,etlehérosleluiindiqua,disant:Ilest tombéaucentredel'armée,

prèsdecedrapeaunoir;vas-ysansdélai,carc'estlàqu'ilgît,etilsepeutquetulerevoiesencoreunefois.

Leprincelançasoncheval,tuadesTurcs,poussadescrisdedouleuretsuivitlestracesdesonpère,jusqu'àce

qu'ilfûtarrivéauprèsdelui.Lorsqu'ilvitZerirmortetgisantsurlesol,etqu'ilfutassezprèspourvoirson

visage,sesyeuxs'obscurcirent,lecœurluimanqua,ilperditlaraisonetsejetaduhautdesonchevalparterreet

surlecorpsdesonpère,décriant:Otoi,malunebrillante,flambeaudemoncœur,demesyeuxetdemonâme,toi

quim'asélevéavectantdepeineetdesoins,maintenantquetuesparti,àquimeconfies-tu?Depuisqueleroi

Lohraspt’adonnélecommandementdel'arméeetàGuschtaspletrôneetlediadème,tuasdirigél'arméeetgouverné

lesprovinces,tuasappelélaguerredetoustesvœux.Lemondeacélébrétonnomselontesdésir,maistuesmort

avantd'avoirfaitcequetuvoulais,jevaisallerauprèsdetonfrère,leroifortuné,etluidire:Descendsdeton

beautrône,carmonpèren'apasméritédetapartcetteindifférence;va,ettirevengeancedetesennemis!

Ildemeuralongtempsencetétat,ensuiteilremontasursondestrieretserenditenpoussantdescrisauprèsdu

roi,quiétaitassissurlahauteur,au-dessusduchampdebataille;illuidit:Oroibienveillant,vaetdemande

vengeancedelamortdemonpère;monseigneuresttombé,etsabarbenoireparfuméedemuscreposesurlapoussière

sèche. LorsqueNestoureutditcesparolesauroi,lejourbrillantdevintnoirdevant les yeuxde Guschtasp, le

mondedevintsombredevantlemaîtredemonde,etsoncorpsdehérosserapetissa.Ils'écria:Amenez-moimoncheval

noir,apportezmacottedemaillesetmoncasque,caraujourd'huimêmejevaisfairecoulerpartorrentslesangdes

hérospourvengermonfrère,jevaisjeterdanslemondeunfeudontlafumées’elèverad'icijusqu'àSaturne.Mais

quandlesgrandsregardèrentcechampdebataille,cesarméesetcelieudeleurlutte,oùleroisepréparaità

commander,oùilvoulaitallerpourvengerZerir,ilsluidirentd'uneseulevoix:Ochefdelareligion,ilnefaut

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pasquetupartesainsi;ilnefautpasquetoi,leroi,tucombattes,carArdjaspsejetteraitsurtoi.Nousne

souffrironspasquelaroidesrois,lemaîtredumonde,ailleaucombatpoursevenger.Pourquoifaudrait-ilqu'il

commandâtlui-même ses troupes ? Djamasp, le noble Destour, lui dit: Tu ne dois pas te rendre sur le champ de

bataille ; donne àNestourledestrierque tu voulais monter, et envoie-le combattre tes ennemis, car ilvengera

mieuxlamortdesonpèrequetunepourraislefaire.

NESTOURETISFENDIARTUENTBIDIREFSCH.

GuschtaspdonnaàNestoursonchevalRehzad,sacuirasseetsoncasqued'acier;lefilsquiavaitperduson

pèrerevêtitcettearmure,montasurRehzad,ledestriernoir,etsemitàchevaucherverslechampdebatailleassis

surcechevaldebellecouleur;ilseplaçadevantlesrangsdesennemis,poussaunsoupirets'écria:Jesuis

Nestour,lefilsdeZerir,contrelequelleplusvaillantlionn'osepass'avancer.OùestBidirefsch,lemagicien,

quis'estemparédudrapeaudeKaweh?PersonneneréponditaunobleNestour.IllançaRehzad,ledestriercouleurde

nuit,ettuaungrandnombredebraves,maispersonnenes'avançacontrelui.Desoncôté,Isfendiarabattitunefoule

innombrabledeTurcs.

QuandleroidelaChineaperçutNestour,cerejetondelaracedesKeïanides,cefilsdePehlewan,ilditaux

siens:Quelpeutêtrecethommequisaitdonnerdepareilscoupsdelance?Ilatuéunnombreinfinidemesbraves

;est-cequeZerir,lecavalier,seraitencoreenvie?Quandilm'aattaquéd'abord,c'estainsiqu'ilalancéson

destrier.OùestdoncBidirefsch,lehéroschoisi?Appelez-leàl'instantdevantmoi.

Bidirefschparutsur-le-champ,tenantdanssamainledrapeaudeKaweh,montésurledestrierroyal deZerir,et

revêtudelacuirassedecePehlewan;ils'avançajusqu'auprèsduprinceNestour,leflambeaudel'armée,lefilsdu

frèreduroi;ettouslesdeux,leTurc,chefdesmagiciens,etlefilsdeZerirsecombattirentavecl'épéeetles

flèches.OndonnaavisdececombataufortunéIsfendiarfilsdeGuschtasp,etilsehâtadevenirauprèsd'eux.Le

chefdesmagicienslevitetexcitasonchevalpourseretirerducombataussitôtqu'ilsefutaperçuquec'étaitsur

lui qu'arrivait lehéros ; il lança son épée empoisonnée à la tête d'Isfendiar,espérant faire pâlir ce visage

brillant;maisl'armetrempéedansdupoisonmanqualehéros.IsfendiarlasaisitetenfrappaBidirefschsurle

côté,commefrappentlesPehlewans,etdemanière à faire sortir la pointedel’épée de l'autrecôté. Bidirefsch

tombadesonchevaletmourut:ilavaitétévaincuparlefilsduKeïanide.

Isfendiardescenditdesondestrier,dépouillalevilmagiciendel'armuredel'illustreZerir,luiséparala

têteducorps,s'emparaduchevaldeZerirauxbellescouleursetdesondrapeau,etemportalatêtedeBidirefsch.

Toutel'arméepoussadescrisdejoie,desacclamationsquimontaientplushautquelavoûteducieletannonçaient

queleroiétaitvainqueur,avaittuésonennemi,rapportéledrapeauetramenéledestrierisabelledeZerir.Lefils

duroi,levaillantcavalier,s'approchaàchevaldeGuschtaspetplaçadevantluilatêteduvieuxmagicien.Il

avaittuéceluiquiavaittué:c'estainsiqueleveulentlacoutumeetlaloi.

ARDJASPS'ENFUITDELABATAILLE.

Ayant ainsi mené à bonne fin cette noble vengeance,Isfendiar fit placer une selle sur le cheval de Zerir,

retournaauchampdebatailleetdivisal'arméeduKeïanideentroiscorps;ildonnalepremieràNestour,cehéros,

l'honneurdel'armée,leprinceàlanaissancefortunée;ilconfialesecond,composédegrandsdel'Iranetd'hommes

vaillants,àsonfrèreetilseréservaletroisième,quipoussaitdescriscommeunnuaged'oùsortletonnerre.

Nestour,àlatêtehauteetaucorpspur,etNousch-Ader,levictorieux,seplacèrenttouslesdeuxdevintIsfendiar,

ledestructeurdesarmées,ets'engagèrentparunsermentsolennelànepasrevenirvivantsdececombat,ànepas

reculer devant le méchant Ardjasp, quand même leglaive de leurs ennemis fendrait la terre. Les trois cavaliers

s'étantainsiengagés,ilspartirentpourlecombat;lorsqu'ilss'élancèrentdumilieudeleurstroupes,leshéros

etlesbravesdel'Irans'ébranlèrenttousensembleetremplirentlemondedurefletdeleurscuirasses.Ilstuèrent

tantd'hommesdel'arméeturque,quelaplacemanquaitpoursebattre,etlesanginondaittellementlesvalléeset

lesplaines,quedesruisseauxdesangfaisaienttournerlesmoulins.

Ardjasp, voyant cela, s'avança accompagné de sesgrands et de ses braves ; et Isfendiar, le destructeur des

héros,abaissa sa lance contre ces vaillants Divs de race turque ; il leurcloua la poitrine contre le dos, et

continuaainsijusqu'àcequ'ileûtabattulesplusfiersdeleurschefs.LeKhakancompritquedorénavantpersonne

n'oseraitpluss'opposeràIsfendiar,quel'arméeétaitébranléeetlabatailleperdue;ilrestaenplacejusqu'àce

quelejoureûtbaissé,setenanttoutcetempsaumilieudutumulte,ensuiteilpartitetsedirigeaversledésert,

pendantquelesiraniensseruèrentsurcettearméeinnombrabledesChinois;ilslestuèrentdetouscôteseten

grandnombre;mais,àmerveille!unhommeeneutpitié.

ISFENDIARFAITGRACEAUXTURCS.

Lorsque les Turcs virent qu'Ardjasp était parti etque de tous côtés ils étaient frappés par des épées

brûlantes,tousleursgrandsmirentpiedàterreets'approchèrentd'Isfendiar;ilssedépouillèrentdeleurscottes

de mailles, ils jetèrent leurs arcsturcs et lui dirent dans leur détresse : O roi, fais grâce de la vie à tes

esclaves!Nousaccepteronstareligion,nousnousyinstruirons,nousadoreronstouslesfeuxsacrés.LesPersesne

firentaucuneattentionàcesparoles,ilslesfrappèrentdeleursépéesetentuèrenttantqueleursangcouvritle

monded'unrougebrillant.MaisIsfendiarécoutaleurscris,etleurfitgrâcedansleurvieetdansleurpersonne;

le héros au corps d'éléphant, leroi, fils de roi, fit proclamer parmi ses troupes victorieuses : O illustres

Iraniens ! cessez de tuer lesChinois ; maintenant que cette armée ennemie est vaincue, arrête ceshorreurs, ce

carnage,carilssontaffligés,abaissésetsansressources;laissezdonclavieàceschiens,abstenez-vousde

fairedenouveauxprisonniers,neliezpluspersonne,neversezplusdesang,necourezplusainsi,nefoulezpasaux

piedscemorts,faitesletourduchampdebatailleetcomptezlesblessés;pourl'amourdel'âmedeZerir,neles

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faitespasprisonniers;nerestezpaspluslongtempssurvoschevauxdeguerre.

Quandlestroupeseurententendusaproclamation,ellesserendirenttoutesauprèsduvaillanthéros,rentrèrent

dansleurcampetbattirentletambourpourcélébrerleurvictoire.Ellesnedormirentpasdejoiependanttoutela

nuit,carellesavaientremportéunevictoiredignedeRustem.Lorsquecettenuitsombrefutpassée,lesangs'était

écoulédanslaplaineetledésert;l'illustreKeïanide,accompagnédesgrandsdel'armée,allavoirlechamp de

bataille;ilerraparmitouscesmorts;quandilenreconnutun,illepleura,continuantsoncheminjusqu'àce

qu'iltrouvâtsonfrère,misérablementtué,etgisantsurlechampdebataillecommeunechosevile;quandillevit

danscetristeétat,ildéchirasesvêtementsroyaux;ildescenditdesonchevalauxbellescouleursetsaisitsa

barbedesesdeuxmains,s'écriant:OroideshérosdeBalkh,toute mavieestdevenueamère;hélas!cechef,ce

prince,ceroi,ceflambeaudumonde,cediadèmedel'empire!

Il se baissa et le souleva de terre, il essuya levisagedumortdesespropresmains,etleplaçadansun

cercueild'or;tuauraisditqueZerirn'avaitjamaiséténé.EnsuiteilplaçalesKeïanidesetsesjeunesfils

mortsdansdescercueils,etordonnadecompterlesmortsetd'emporterceuxquiétaientblessés.Onparcouruttout

l'espaceoùl’ons'étaitbattu,surleshauteurs,dansledésert,surlaplaineetsurlesroutes,etl'ontrouvaque

trente mille Iraniens étaient tombés, dont sept centschefs illustres ; mille quarante chefs étaient blessés et

avaientéchappéaudangerd'êtrefoulésauxpiedsdeséléphants;ducôtédesTurcsilyavaitcentmillemorts,dont

onzecentsoixantetroisnotables,ettroismilledeuxcentsblessés.Nerestepasdansunpareilendroit,situpeux

l'éviter.

GUSCHTASPS'ENRETOURNEABALKH.

LeKeïanideillustre,levaillantroiGuschtasps'enretournaduchampdebatailleàBalkh,etordonnaàson

Destour demettre le lendemain matin l'armée en marche vers le glorieux paysd'Iran. Dès le matin le Sipehbed

illustrefitsonnerdestrompettesd'airainetchargerlesbagages;l'arméesetournaversl'Iran.Touslescœurs

étaientfiers,tousdésiraientdenouveauxcombats.Onenlevalesblessés,onn'enabandonnaaucun;onlesporta

tousdanslepaysd'Iran,enlesconfiantàdesmédecinssavants.

Lorsqueleroidumondefutderetour,ilfiançaàsonfilsaînésafilleHomaïlafortunée:telleétaitla

coutumeetlaloichezlesPerses.IlconfiaàNestourunearméecomposéedecentmillehommes,tousdevaillants

cavaliers,quiperçaientavecleurslances,etluidonnasesordres,disant:Ohérosquisaiscombattre,retourne

surtespas,courssurlesTurcs,pénètredanslepaysdeKhallakh,tuetoutcequetutrouverasafinderongerle

sangdetonpère.Ilordonnaqu'onpourvûtNestourdetoutcequiluiétaitnécessaireetdetoutcequipouvaitlui

êtreutile.Nestourpartitàl'instantavecsestroupes,etleroi,s'étantassissursontrôneetayantplacésursa

têtelacouronnedesKeïanides,donnaaccèsàtoutesonarmée;ilouvritlesportesdesontrésoretdistribuaà

toussesguerriersdesornementsprécieux;ensuiteildonnaauxchefslecommandementdesvillesetnelaissapasser

personnesansluiavoiraccordéquelquechose:ceuxquiétaientdignesdegouvernerunroyaume,illeurenconfiaun

;ceuxquiavaientméritédesdignités,illesélevaauxdignités,etayantainsirécompenséchacunselonsonmérite,

illesrenvoyatousdansleursdemeures.

Plustardilsedirigeaverssontrôneetdéfenditl'entréeàlacour;ils'assitsurletrôneimpérialetfit

construireuntempledefeupourybrûlerduboisd'aloèsindien;onyfitunpavéd'orpur,toutelacharpenteétait

en bois d'aloès, et l’on répandit surle sol de l'ambre gris. Il fit exécuter tout selon les règles et les

proportions, donna à cet édifice le nom de la maison de Guschtasp,fit écrirece nom au-dessus de la porte du

sanctuaire,etyétablitDjamaspcommeMobed.Ensuiteiladressaunelettreàtoussesgouverneurs,danslaquelleil

dit : Le Seigneur ne nous apas laissé avilir ; il a converti en jours nos nuits devenuessombres, il a rendu

victorieux les Keïanides en tout lieu. Ardjaspest parti accablé de malédictions, et nous sommes couverts de

bénédictions ; qui auraitfaire cela, si ce n'est le Créateurdumonde ? Quand vous entendrez la nouvelle de la

victoiredevotremaître,envoyezvostributsautempledufeu.LeKaisar,roideRoum,enapprenantqueleroiétait

heureuxetArdjaspdansl'infortune,expédiadesmessagersavecdesprésentsd'esclavesetdechevauxcaparaçonnés,

etleroiduBerberistanetlesprincesdel'IndeetlesroisduSindenvoyèrentleurstributs.

GUSCHTASPENVOIEISFENDIARDANSTOUSLESPAYSPOURLESCONVERTIRÀLARELIGIONDEZERDOUSCHT.

Alorslehérosillustres'assitsursontrôneroyal;ildonnaaccèsauxgrandsdesonempire,auxpuissants,

auxprincesdenaissanceroyale.LevaillantIsfendiarseprésentadevantlui;iltenaitdanssanainlamassueà

têtedebœuf,ilportaitsurlatêteuncasquedeKeïanideetsonvisagebrillaitau-dessousdececasquecommela

lune. Il se plaça devant Guschtasp dans la positiond'un esclave, la tête penchée, les mains placées sous les

aisselles.Leroidumondeleregardaetl'auraitpréféréàsaproprevieaumondeentier.Ilsouritetluidit:O

hérosIsfendiar!n'as-tupasenviedecombattre?Lehérosquifrappaitdel'épéerépondit:Lecommandementestà

toi,cartuesleroietl'Irant'appartient.L'illustreKeïanideluidonnaunecouronned'oretouvritdevantluila

portedutrésor;illuiconfiatoutpouvoirdansl'Iran,carilavaitlaforced'unvraiPehlewan;illuidonnaun

drapeau,destrésorsetunearmée,enajoutant:Iln'estpasencoretempsetpourtoidet'asseoirsurletrône.

Ensuiteildit:Monteenselle,convertisàlavraiefoitouslespaysetdelaterre.

Lefierfilsduroi, lehérosquifrappaitdel'épée,partitpourfaireletourdetouslespaysavecsonarmée.

IltraversaleRoumetl'Hindoustan,iltraversalesmersetlesténèbres,interprétantpartoutlesmystèresdela

religion,selonl'ordredeDieu,parquitoutecréaturesubsiste.Lorsquecespeuplesentendirentlafoivraiequ'il

leurapportait,ilsadoptèrentsesvoiesetsonculte,ilsreçurentcettebonnereligion,allumèrentlefeusacré

danslestemplesdesidoles,etécrivirenttousdeslettresauroi,disant:Nousavonsreçud'Isfendiarlareligion,

nousnoussommesceintsdukoschti,etIsfendiarnousafaitremisedutribut,ainsiilnefautplusnousledemander,

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car nous sommes rentrés dansl'ordre, et cette religion est la vraie ; envoie-nous maintenant leZendavesta de

Zerdouscht.Guschtasp,ayantluleslettresdesrois,s'assitsursontrôneetrassemblasesamis;ilenvoyaun

Zendavestadanschaquepays,àchaqueprinceetàchaqueroi,etilordonnaàl'illustrePehlewandeparcourirles

quatrecoinsdumonde.

Quelquepartqueceroisemontrât,ilnetrouvapersonnequieûtosélecombattre;toussesoumirentàses

ordres,etlesméchants,danslemondeentier,secachèrent.AyantainsiassujettiàGuschtasptoutelaterrer,il

ôta sa ceinture d'or,s'assitcommeunKeïanidesuruntrôneroyal,etsereposaquelquetempsavecsestroupes.

Ensuite il appela son frèreFerschidwerd, réunit une armée d'hommes vaillants, lui en donna lecommandement, lui

remitbeaucoupd'argentetdejoyaux,luiconfialegouvernementduKhorasanetlefitpartir.

Ainsisepassaquelquetemps;lemondeétaitpurifiéetsoumisàlafoisainte;alorsIsfendiarenvoyaun

messageràsonpèreetluifitdire:Oroiillustreetvictorieux!j'aiépurélemondeparlagrâcedeDieu,et

l'ombredel'aigleroyalcouvretouslespays;personnenecraintplusriendelapartdepersonne,aucunhommedans

lemondenemanqued'ornid'argent,laterrebrillecommeleparadis,lemondeentierestcultivéetcouvertde

moissons,lescavaliersprotègenttouslespays,etleslaboureurssontoccupésauxtravauxdelaterre.Lemonde

étant ainsi en repos,et les hommes qui suivent de mauvaises voies étant dispersés, quem'ordonnes-tu, ô roi des

hérosquiportenthautlatête!Fais-moisavoircequetudésiresdecesdeuxchoses:ouquejemerendeàtacour

pourtevoir,ouquej'exécutetoutautreordrequetuauraisàmedonner?Lemessagerallaporterauroicesbonnes

nouvellesd'Isfendiar.

GUREZMCALOMNIEISFENDIAR.

Le conteur m'a raconté que, dans le temps où le roiavait donné un trône à Isfendiar, il y avait un homme

orgueilleux,dontlenométaitGurezm,unhérosrenomméquiavaitlivrémaintcombat.Ilnourrissaitdanssoncœurde

la haine contre Isfendiar,je ne sais quelle en était l'origine. J'ai entendu dire qu'il étaitde la famille de

Guschtasp,etquedetouttempsilavaitvouludumalaufilsduroi;touteslesfoisquelenomd'Isfendiarétait

prononcé,ilparlaitcontreluietledépréciait.

Orunjourleroiillustreétaitassissursontrônedegrandmatin,ilavaitadmisleschefsdesonarmée,les

grands,lesroisetleshommesdehautenaissance.Gurezmvintetpritsaplacedevantleroifortuné,cherchantun

prétexteetunmoyendeheurterlavieillebranchedel’arbreroyalaveclanouvelle,etderenversercelle-ci.Onse

mitàparlerdufilsduroi,etvoicidequellemanièrel'hommemalveillantarrivaàsesfins.Ilcommençaaussitôtà

setordrelesmainsetdit:Lepiredesennemisestunmauvaisfils,etilfautsegarderdelegrandirenfacede

soi.VoicicequenousaditunMobedàlafoipure:Quandunfilsdevientfortetpuissant,lesortdupèreenest

plusmalheureux,etquandunesclavesesoustraitinsolemmentàl'obéissancedueàsonmaître,ilfautluitrancher

latête.Lorsquej'aid'abordentenducetteparoledel'hommequiconnaîtlessecrets,ellenem'apasparujuste.

Le roi du monde s'écria : Que veut dire ceci ? Quiestlemaître de cesecret, et quel est ce secret ? Le

Keïaniderépondit: Ohommevéridique,cen'estpaslemomentdedévoilercemystère.Leroidesroisquittason

trôneetditaufourbe:Viensprèsdemoi,dis-moitout,ducommencementàlafin,disquelestlesecretdemes

ennemis qu'on me cache. Leméchant Gurezm répondit : Il faut qu'un homme intelligent ne fasseque ce qui est

convenable.Leroim'amisau-dessusdetoutbesoindanslemonde,jenedoispasavoirdesecretpourlui.Jene

refuseraiauroiaucunconseil,quandmêmeilnel'approuveraitpas;jeneluicacheraijamaisrien,quandmêmeil

aimeraitmieuxquejen'eussepasparlé,carsijeparleets'ilnem'écoutepas,ilvauttoujoursmieuxdévoilerun

secretqued'enfairemystère.Sachedonc,ômaîtredumonde,qu'Isfendiarméditedeluttercontretoi;beaucoupde

troupessesontrenduesauprèsdelui,toutel'arméetournelesyeuxverscehéros,etsonintentionestdetejeter

danslesfers,cariltesupporteimpatiemmentàlatêtedel'empire;etunefoisqu'ilt'aurasaisietenchaîné,il

s'empareradumondeentier.Tusaisqu'Isfendiarestunhommequin'apassonégaldanslecombat,etquandila

formélenœuddesonlacetroulé,lesoleilmêmen'oseraits’opposeràlui.Voicicequej'aientendudire,jete

l'airépétéselonlavérité,maintenanttusaurasfairepourlemieux,carlasagesseetlecommandementsontàtoi.

Pendant ce récit de Gurezm, le roi illustre de l'Iranresta confondu, et dit : Qui a jamais entendu chose

pareille?Ildevintsombreetpritenhainesonfils;ilnebutplusdevin,ilneselivraplusàlajoie,et

s'assitloindufestinenpoussantdessoupirs.Toutecettenuitlessoucisl'empêchèrentdedormir,ilétaitindigné

contre Isfendiar. Lorsque les premières lueurs du jourrayonnèrent du haut des montagnes, et que la lumière des

astreseutdisparu,leroiGuschtaspappelasonDestourDjamasp,l'hommepleind'expérience,etluidit:Rends-toi

auprèsd'Isfendiar,appelle-leetamène-lesansdélaiauprèsdemoi.Dis-luideseleveretdevenirauprèsdemoi,

deliremalettreetdenepastarderuninstant,carils'agitdegrandesaffaires,etlui,lepluspuissantprince

dupays,doityassister;dis-luiquelemondevaluiappartenir,carjenepuisconduirelesaffairessanslui.Il

écrivitunelettrepressanteàsonfils,danscestermes :OillustreetfortunéIsfendiar,j'envoielevieuxDjamasp

quiaconnuLohrasp;aussitôtquetuleverras,tuceindrastesreinsetpartirasaveclui,montésuruncheval

rapide;s'iltetrouveendormi,lève-toiàd'instant;situesdebout,netardepasunmoment.Lesagepartit,

emportantlalettreduroi;ilfitgrandehâteetfranchitlesmontagnesetlesplaines.

DJAMASPARRIVEAUPRESD'ISFENDIAR.

Isfendiarsetrouvaitalorsdansledésert,selivrantàlachasse;quelqu'unluirapportaqueleroi,disait-

on,avaitenvoyéDjamaspverslui.QuandIsfendiarentenditcebruit,ilenfutétonné,émuetsouritamèrement.Il

avaitquatrefilsexcellents,tousavidesdecombats,tousarmésdelances,dontl'uns'appelaitBahman,lesecond

Mihrinousch, letroisièmeAder-Afrouz,lehérosprudent;enfinlequatrièmeportaitlenomdeNousch-Ader;c'est

luiquiétablissaitlestemplesdufeu.Bahmanditauroidelaterre:Puissetatêteresterverteàtoutjamais!

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Leroia souri amèrement, je n'y comprends rien, Isfendiar lui répondit:Omon fils, dans ce moment, quelqu'un

arrivepourmoidelacourdemonpère.Leroiestencolèrecontremoi,soncœurs'estdétournédesonserviteur.Son

noblefilsluidemanda:Pourquoicela?Qu'as-tufaitaumaîtredel'empire?Lechefdesprincesluidit: Omon

fils,jen'aipasconscienced'avoircommisunefauteenversmonpère,sicen'estd'avoirenseignélavraiefoi,

d'avoirallumépartoutdanslemondelefeusacré,d'avoirpurifiélaterreavecmonépéetranchante.Commentlecœur

duroipourrait-ilm'envouloir?MaisilparaîtqueleDivl’atrompé,pourqu'ilaitcettefolleenviedemejeter

danslesfers.

Pendantqueleprinceselivraitàcesréflexions,onvitdeloinlapoussièrequesoulevaitunetroupearmée:

c'était leflambeaudumonde,leDestourduroi;luietIsfendiarsereconnurent,descendirentdeleurschevaux

bondissants,etlehérosetlevieillards'avancèrenttouslesdeuxàpied.LefortunéIsfendiardemandaàDjamasp

commentseportaitleroi,levaillantmaître.Lesageluirépondit:Ilestenbonnesantéetcontent;ilbaisala

têteduprince,luiremitlalettredesonpèreetl'informaexactementdel'étatdeschoses,etcommentleDivavait

pervertileroi.IsfendiarditauprudentDjamasp:Quemeconseilles-tudanscescirconstances?Sijemerendsàla

couravectoi,monpèrememaltraitera,etsijemerefuseàparaîtreauprèsdemonmaître,jesorsdel'obéissance

quejeluidois.Trouveunmoyendesalut,ôsagevieillard,carjenepuisresterdanscetteincertitude.Lesagelui

dit:Oprince, gardiendesfrontières,vieuxdesavoiretjeunedecorps!tusaisquemêmelacolèred'un père

contresonfilsestplustendrequeleplustendreamourdufilsenverslepère.Ilfautquetupartes,telestmon

avis,car,quoiqu'ilfasse,tonpèreestleroi.

Lemessagerduroietleprincequiportaithautlatête,étanttombésd'accord,s'enretournèrentensemblechez

Isfendiar,quifitdescendreDjamaspdansunbeaupalais,etensuiteilssemirentàboire.Onfitbrûlerdevant

Djamasp du boisd’aloès;onauraitditqu'oncélébraitunefêtejoyeuse.LelendemainIsfendiars'assitsurson

trône,etungrandnombredesesbravesserassemblèrentautourdelui;lenobleprincedonnalecommandement de

l'arméeàBahman,partitavecquelqueshéros,arrivaàlacourduroi,serevêtitdesesarmesetplaçalecasquesur

satête.

GUSCHTASPFAITCHARGERDECHAÎNESISFENDIAR.

Lorsqueleroisutquesonfilsétaitarrivéetqu'ilavaitcouvertsatêteducasquedesKeïanides,ilréunit

les grandsetlespetits,etfitplacerdevantluileZendavestaentier;ilfitasseoirsurdessiègestousles

Mobeds,ensuiteonappelaceprincequifrappaitdel’épée.Lehérosparut,lesmainslevées;ils'approchadeson

pèreetluirendithommage;ilsemitdeboutdevantleroicommeunesclave,latêtebaissée,lesmainsplacéessous

lesaisselles.LeroidesroisditauxMobeds,auxgrandsetauxchefsdel'armée:Supposezqu'unhommenobleeût

élevéunfilsavecbeaucoupdesoin,l'eûtconfiéàunenourriceautempsoùilavaitbesoindelait,luieûtmissur

latêteunecouronneroyale,l'eûtgardéjusqu'àcequ'ilfûtdevenufort,luieûtenseignéàboiredu vin et à

monteràcheval,quecethommeillustresefûtdonnébeaucoupdepeinepourlui,eteneûtfaituncavalierexpert

danslescombats,quelefilsfûtarrivéàl'âged'homme,brillantcommel'orquisortdelamine,quelesambitieux

l'eussent recherché, que lespoètes l'eussent célébré, qu'il fût devenu un bon cavalier,victorieux dans les

batailles,lehérosdetouslescombatsetdetouslesfestins,qu'ileûtmissoussespiedslemondeentier,qu'il

sefûtrendudignedudiadèmeimpérial,quelepèreeûtgardéqueletrôneetlacouronne,secontentantderester

danslepalaiscommegardiendesbiensdelafamille,quelefilseûtétélemaîtredumonde,desdrapeauxetde

l'armée,lepèreréduitàunecouronned'oretàuntrône,etquelefils,pourcetrôneetcediadème,eûtvoulu

trancherlatêteàsonpère,eûtconspiréavecsonarméecontrelui,eûteulecœurenflammédudésirdelecombattre,

setrouverait-ilunhommequiapprouvâtcela?Enest-ilunseulparmivousquiaitjamaisentenduchosepareille?

Quedites-vous,vieillards,decefils,etquedoitfairelepère?

Lesgrandsrépondirent:C'estunechosequel'onnepourraitconcevoir.Unpèreenvieetlefilsrecherchantle

trône,jamaisiln'yeutriendeplushonteux.Leroileurdit:Voicicefilsquienveutàlaviedesonpère!mais

jelefrapperaiavecunbâton,jelefrapperaipourenfaireunexemple;jelejetteraidanslesfers,commeill'a

mérité, je l'enchaînerai comme personnen'a été enchaîné. Le fils lui dit: O mon père à l'âme noble, pourquoi

désirerais-jetamort.Jen'aipasconscienced'unefautequej'auraiscommisecontretoipendanttoutemavie;mais

tuesleroi,tueslemaître,jet'appartiens,etleschaînesetlaprisonsontàtoi.Ordonnequ'onmelie,et,si

tuveux,qu'onmetue!moncœurestenreposetmonespritestcalme.

Le roi des rois ordonna d'apporter les chaînes, deles mettre à son fils et de l'emmener. On appela des

forgerons,quivinrentavecdesmenottes,descolliersetdelourdeschaînes,et,enprésenceduroimaîtredumonde,

enchaînèrentlesmainsetlespiedsduhéros,etleslièrentsifortementquequiconquelevitversadeslarmesde

pitié.Quandoneutentourélecoud'Isfendiard'uncercledefer,leroiordonnadeleconduireàuneforteresse,

disant:Amenezunéléphantmâlequicourecommeunoiseauvolantàtired'aile.Onfitvenirunéléphantvigoureux

etl'onplaçaIsfendiarsursondos;onemmenad'auprèsdesonpèreillustre,lesyeuxremplisdelarmesetlecœur

blessé;onleconduisit,gardéetentourédeSipehbeds,verslechâteaudeGunbedan,oùonleplaçasurlehautdela

montagne.Onyapportaquatrecolonnesdeferauxquellesonl’attachafortement:c'estainsiqu'ilfutprécipitédu

trône et que sa fortune périt. Le roilui donna quelques gardiens, et le cœur du fils du Pehlewan futrempli de

douleursetdesoucis:c'estainsiqu'ilcontinuaàvivreenchaînéetversantdetempsentempsdeslarmesamères.

GUSCHTASPSERENDDANSLESEISTANETARDJASPREUNITDENOUVEAUSONARMÉE.

AinsisepassaunlongtempspendantlequelleroiserenditdansleSéistan,pouryintroduireleZendavestaet

enprendre pour témoins les Mobeds. Lorsque le roi illustre y arriva,le Pehlewan de l'armée, Rustem, le roi du

Nimrouz,lecavalierpleind'expérience,l'égaldeSam,vintàsarencontreavecsonpère,levieuxDestan,avecses

grandsettousleschefsdesonarmée;ilsplacèrentsurlesroutes,d'unefrontièreàl'autre,desmusiciensqui

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jouèrentdeleursinstruments;ilsallèrentjoyeusementau-devantdelui,etlefortunéroienfutréjoui;ilsle

conduisirentàZaboulcommeleurhôte,selouanttousdeboutdevantluiainsiquedesesclaves;ilsapprirentla

doctrineduZendavesta,serevêtirentdukoschtietallumèrentlefeusacré.

Deuxanssepassèrentpendantcettevisite,etdurantcetempsGuschtaspetlefilsdeZaljouirentdelavie.

Mais touslesrois,quelquepartqu'ilsfussent,apprirentcequeGuschtaspavaitfait;ilsapprirentqu'ilavait

misdansleschaîneslePehlewandumonde,qu'ilavaitcourbésouslesferslecorpshéroïquedeson fils, qu'il

étaitallédansleZaboulistanpourrépandresareligionetmaudirelespuissantesidoles,ettousserévoltèrent

contrelui,tousbrisèrentlestraitésquilesliaientenverslui.

LorsqueBahmaneutapprisquesonpèreillustreavaitétéenchaînéparordreduroi,sansavoircommisdefaute,

luietsesfrèreslicencièrentleurarméeetprirentlalongueroutedeGunbedan:ilsarrivèrentauprèsIsfendiar.

CesfilsduKeïanidearrivèrentcommedeslions,etdemeurèrentauprèsdeluipourl'égayer;ilsnevoulurentpasle

laisserseuldanssaprison.

CependantleroidelaChinefutinforméquelaluneavaitdisparudusigneduSagittaire,queGuschtasps'était

mis encolèrecontreIsfendiar,qu'ill'avaitenvoyéignominieusementenprisonetchargédechaînes,quelui-même

étaitallédeBalkhdansleZaboulistan,qu'ilavaittraverséledésertetpasséleDjihoun,qu'ilétaitétablià

ZaboulcommehôtedeZal,etquedeuxarméess'étaientdéjàpasséesainsi;qu'àBalkhilnerestaitdesIranienset

deleurarméequeleroiLohrasp,avecseptcentsadorateursdufeu,tousuniquementoccupésàprierdevantl'autel,

qu'ils étaient seuls dans la ville, sans aucun des grands,excepté les gardiens du palais de Homaï, et qu'en

conséquenceilfallaitseleversansaucunretard.

LemaîtredeDjiguilappelatoussesgrandsetsepréparaàattaquerLohrasp.Sachez,leurdit-il,queleroi

GuschtaspestallédansleSéistanavecsonarmée;ils'estétabliavecelleàZaboul,etdanstoutsonroyaumeil

n'yapasuncavalier.C'estlemomentdeprendreunerevanche,etilnousfautmettresurpiedunegrandearmée.Le

noble Isfendiar, son fils, estenprisonetchargédelourdeschaînes.Quelestl'hommehabileàapprofondir les

secretsquiveutexplorercettelongueroute,laparcouriravecdesdétoursetenévitantlescheminafréquentés,et

examinerlasituationdesIraniens?

OrilyavaitunmagiciennomméSutouh,quisavaitpasserpartouslescheminsetpénétrertouslessecrets;il

dit:Jesuisunhommesoupleettoujoursprêtpourlaroute;quefaut-ilfaire?dis-moitoutcequ'ilfaut.Leroi

delaChineluirépondit:Vadansl'Iran,observeavecintelligenceetpénètrepartout.

L'espionparcouruttoutelarouteetentradansBalkhlaglorieuse,pourvoirsileroiyétait.Iln'ytrouva

pasGuschtasp,etnevitqueLohraspetdeshommesquiadoraient;ils'enretournaauprèsduKhakan,etluiraconta

commentilavaitappriscelaensecret.Ardjaspfutheureuxdecesnouvelles,etsesentitdélivrédeseslongssoucis

; il appela auprès de lui tous les chefs de l'armée, etleur ordonna de partir et de rassembler leurs troupes

dispersées.Tousleshérossemirentenroutepourlesmontagnesetlesplainesetpourlespâturagesdestroupeaux,

etrappelèrentauprèsduroisonarmée,lescavalierschoisisdesonempire.

FIRDOUSIFAITLACRITIQUEDEDAKIKI.

Lorsquecelivretombaentremesmains,ilmemanquaitunmoispouravoirsoixanteans.J'examinaicesvers,et

ilsmeparurentfaibles;biendesdistiquesmesemblèrentmalfaits,maisjelesaicopiésici,pourqueleroivoie

cequ'estunrécitdépourvud'art.Lejoaillierapporteicideuxjoyaux;queleroiveuilleprêterl'oreilleàses

paroles.Sil’onestréduitàraconterdecettefaçonilvautmieuxsetaireetnepasfatiguersonesprit;quandon

penseàlafatiguedel'espritetducorpsqu'ons'impose,ilvautmieuxnepascreuserunemineoùl’onnedoitpas

trouverdepierresfines;quandletalentn'égalepasl'élan,ilestplussagedenepasentreprendreunlivredes

rois,etquandilfautquelaboucherestevidedenourriture,ilvautmieuxnepasdresserunetabledépourvuede

mets. J'avais trouvé un livre plein d'histoires, et dontles paroles étaient graves et vraies ; c'étaient des

traditionsanciennesécritesenprose,etleshommesdetalentétaientbienloindel'idéedelesmettreenvers;

personnen'ysongeait,etmoncœurenchantésemitàypenser.Deuxmilleansavaientpassésurcelivre,siles

recherches ont indiqué le nombrevéritable. Jebénissais donc le poète (Dakiki) qui avait donné l'exemple de le

mettreenvers;ilestvraiqu'iln'enavaitriméquepeu,unrécitdefêtesetdebataillesentremille;néanmoins

ilavaitmontréauxpoèteslecheminpourmettresursontrônecetteroyauté.Ilavaitreçudesprincesdeshonneurs

etdestrésors,etcen'étaientquesesmauvaisespassionsquiluiavaientattirédespeines.Ilavaitcélébréles

roisetornéparseslouangeslefrontleshommesillustrescommeundiadème;maissaparolepoétiqueétaitfaible,

etilneréussitpanàrajeunislestempsantiques.

Jemesuisemparéavecbonheurdecelivrecommed'unprésagedefortune,etjeluiaiconsacrémontravail

pendant biendesannées;maisjenevoyaispasd'hommeéminent,généreuxetbrillantsurletrônedesrois:mon

poèmedevintpourmoiunsoucicontrelequeljen'avaisd'autreremèdequelesilence.Jevoyaisunjardin plein

d'arbres,unlieudignedeservirderésidenceàunhommefortuné,maisnullepartonn'yvoyaituneporte;ilse

portaitd'autre parure que le nom de la royauté ; il mefallait une entrée digne du jardin, et si elle eût été

étroite,ellenem'auraitpasconvenu.J'aigardémonpoèmependantvingtans,jusqu'àcequej'aietrouvéquelqu'un

quifûtdignedecetrésor.AlafinAboulKasim,lemaîtredumonde,luiquiarajeunilacouronnedesroisdes

rois,lepuissantMahmoud,lemajestueux,legénéreux,auquellaluneetSaturnerendenthommage,estvenuets'est

assissurletrônedelajustice!Quiasouvenird'unmaîtredelaterrecommelui?Sonnomestdevenulacouronne

surlefrontdemonœuvreetsagloirearendumoncœursombrebrillantcommel'ivoire;jamais,depuisquelemonde

existe,iln'yaeudeprincecomparableàluiengénérosité,ensagesse,engloireetenbravoure;ildépassetous

lesroisanciens,etilnes'élèvepasunsouffledeblâmecontresesactions.L'argentn'estàsesyeuxquedela

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poussière;ilnecraintnilesfêtesnilescombats;autempsdesfêtesildonnedel'or,autempsdescombats,des

coupsd'épée,etjamaisilnerefusenil'unnilesautresàceuxquilesrecherchent.

L'ARMEED'ARDJASPARRIVEABALKHETTUELOHRASP.

JevaismaintenantrajeunirlerécitdelaluttecontreArdjaspet,parmontalent,délivrerdemauvaisesherbes

l ejardin. Ardjasp ordonna que Kehrem, toujours prêt à frapper del'épie, parât devant lui, le maître de cette

assembléedegrandsduTouran:c'étaitsonfilsaîné,quilevaitsatêtejusqu'ausoleilbrillant.Illuidit:

Choisisdansl'arméedescavaliers,deshérosdignesdecombattre,etparsd'ici;marcheentoutehâtejusqu'àBalkh,

carc'estdelàquenosjoursontétérendusamers.Coupelatêteàtousnosennemis,àtouslesadorateursdufeu,à

touslesAhrimansqueturencontreras,brûleleursmaisons,convertispoureuxennuitlejourbrillant.Ilfautque

la fumée dupalais de Guschtasp fasse voler les flammèchesde l’incendie jusqu'à la voûte bleue du ciel. Si tu

trouvesIsfendiarenchaînéparlespieds,metsfinàsavie,tranche-luilatêteetremplislemondedetagloirepar

cehautfait.Toutlepaysd'Irant'estlivré,tuesl'épée,etl'ennemiesttonfourreau.Souspeujequitteraià

montourKallakhetmarcheraiparétapesetrapidement;jerassembleraimonarméedispersée,etjedépenseraimes

trésorsamassés.Kehremluirépondit:Jevaisobéir;quemavierépondedel'accomplissementdetesordres.

Lorsquelesoleileuttirésonépéerayonnanteetquelanuitsombreeutretirédevantluilepandesarobe,

Kehrementraavecsestroupesdansl'Iran,etlaterredevintnoirecommelevisaged'unnègre.Aussitôtqu'ileut

envahicepays,Kehremlâchalamainauxméchantsetauxadorateursdesidoles;ilsdépouillèrentleurscœursde

toutevertu,ilsnes'appliquèrentqu'àdévasteretàtuer.QuandlesTurcsfurentarrivésprèsdeBalkh,labouche

rempliedeparolesamères,etquandLohraspeutnouvelledeKehrem,ilenfutaffligé etlechagrindevintson;

compagnon.IlditàDieu:OCréateur,tuesau-dessusdelarotationdusort,tuestout-puissant,éternel,tusais

tout,tueslemaîtredusoleilbrillant,leprotecteurdemafoi,demoncorpsetdemonesprit,demonâme,demes

forcesetdemavigueur.Nemelaissepasdevenirprisonnierdanslesmainsdeceshommes,cartueslesoutiende

ceuxquit'implorent!

IlnesetrouvaitalorsàBalkhaucundesgrandsaucundescavaliersarmésdemassues,maisilseprésentamille

artisansdubazar,deshommespeupropresaucombat.Quandl'arméedesTurcsfutproche,Lohrasprevêtitsonarmure

deguerre,etserenditdutemplesurlechampdebataille,latêtecouverted'uncasquedeKeïanide.Malgrésonâge,

ilpoussadescriscommeunéléphantivre,tenantdanssamainunemassueàtêtedebœuf,etàchaqueattaqueil

abattitavecsalourdemassuequelques-unsdeschefsdesTurcs.Chacunditqueceguerrierillustredonnaitdescoups

commeIsfendiarseul en donnait. Il pétrissait de sang lapoussière,dequelquecôtéqu'illançâtsondestrier;

quiconqueentendait la voix de Lohrasp sentait son courage faiblir. Kehrem ditaux Turcs : Ne l'attaquez pas

isolément,faitesuneffortcommun,enveloppez-le,pousserdescriscommedeslionsfurieux!

Alors s'éleva le bruit des haches d'armes quibrisaientles cuirasses et le tumulte des cavaliersavides de

combats.Lohrasp,restéseulaumilieudesennemis,invoquadanssadétresselenomdeDieu;ilsesentitaccablé

parlepoidsdesannéesetl'ardeurdusoleil,etsafortunebaissait.Uneflècheturquefrappalevieillard,etce

vaillantadorateurdeDieufutrenversé;satêtecouronnéetombadanslapoussière,etunefouledecavaliersse

rassemblaautourdelui.IlsbrisèrentsonarmuredeKeïanide,ilstaillèrentenpiècessoncorpsavecleursépées;

tousavaientpenséquec'étaitunjeuneguerrier;maislorsqu'ilseurentôtélecasquedelatêteduroi,ilsvirent

sescheveuxblancscommelecamphreetsonvisagecélestenoirciparleferdesoncasque.

Tousrestèrentdevantlui,confondus, disant:Commecevieillardamaniésonépée!SiIsfendiaravaitétéici,

notrearméeauraitpéridanscetteplaine.Pourquoisommes-nousvenusensipetitnombre,carnoussommesvenuscomme

untroupeauquivaaupâturage?Kehremréponditàsescompagnons:C'étaitlàcequenousavionsàfaire,etlebut

denosfatiguesétaitcecombat,carceprinceétaitleroiLohrasp,lepèredeGuschtasp,lemaîtredelaterre;il

aétélemaîtredumonde,entourédelamajestéqueDieuaccordé;toutesavies'étaitpasséedanslesfestinsetsur

leschampsdebataille,maisdanssavieillesseils'étaitconsacréàDieu,etsoncœuravaitrenoncéàlacouronneet

autrône.MaintenantqueGuschtaspaperducesoutien,iltremblerapoursondiadèmeimpérial.LesTurcsentrèrent

dansBalkh,etlemondefutdésoléparlesdévastationsetlesmeurtresqu'ilscommirent;ilssedirigèrentversle

templedufeu,verslepalaisetlasalledoréeduroi;ilsbrûlèrenttoutleZendavesta,ilsconsumèrentparlefeu

toutcequ'ilyavaitdeplusprécieux.Ilsetrouvaitdansletemple quatre-vingts prêtres,dont les langues ne

cessaient de prononcer le nom de Dieu : ils lestuèrent tous devant le feu sacré, ils mirent fin à leur vie de

dévotion,etleursangéteignitlefeudeZerdouscht.Jenesaisquiatuéceprêtrelui-même.

GUSCHTASPAPPRENDLAMORTDELOHRASPETMARCHEVERSBALKH.

OrGuschtaspavaitunefemmepleinedesens,prudente,rempliedesagesseetd'uneintelligencepuissante;elle

pritdanslesécuriesuncoursieretlemonta;elles'habillaàlamanièredesTurcs,sortitdupalaisetpritla

routeduSéistan.Toutémuedecequis'étaitpassé,ellenesemitpasàdormirquandelleatteignitunestation,

maisparcourutdansunjourladistancededeuxjournées,etcontinuaainsijusqu'àcequ'ellefûtarrivéeprèsde

Guschtasp,etpûtluidonnerdesnouvellesdelapertedeLohrasp.Elleluidit:Pourquoias-tutardésilongtemps;

pourquoias-tuquittéBalkh,lavilleillustre?IlyestarrivéunearméeduTouran,etlejourestdevenuameraux

hommesdeBalkh;toutlepaysestpleindepillageetdemeurtres,etilfautquetut'enaillesd'ici.Guschtasp

lui répondit : Pourquoi tant de soucis ?pourquoi cette douleur et ce deuil à cause d'une attaque ? Quand jeme

mettrai en route avec une armée, tout le pays de la Chinefléchiradevantmoi.Ellerépliqua:Neparle,passi

follement,carilt'estarrivéunechoseterrible.Onatué,devantBalkh,Lohrasp,leroidesrois,etnosjoursen

sontdevenussombresetpleinsd'amertume.PuislesTurcssontentrésdansle templeNousch-Aderetonttranchéla

tête au vénérableZerdouschtetàtouslesprêtres,etlefeubrillants'estéteintdanscesang.Onnedoitpas

fairesipeudecasdepareilsméfaits!Ensuiteonaremmenécaptivestesfilles;necomptepaspourpeuunsi

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grandmalheur!Sicen'eûtétéqueladétressedeHomaï,lecœurd'unhommedesensenseraitbrisé!EtBeh-Aferid,

tafille,quelesouffledel'airn'avaitjamaistouchée,ilsl'ontenlevéedesontrôned'or,ilsluiontarrachésa

couronneetsesbracelets!

CesparolesremplirentdedouleurGuschtasp,etdeslarmesdesangcoulèrentdesescils;ilconvoqualesgrands

de l'Iran et leur raconta tout ce qu'ilavait entendu. Il fit venir celui qui écrivait ses lettres ; il ôtasa

couronneetquittasontrône;ilenvoyadetouscôtésdescavaliersetexpédiadeslettresàtouteslesfrontières,

disant:Neprenezpasletempsdelavervostêtes,nefaitespasattentionauxmontagnesetauxvallées,accourez

tousàmacour,armésdecottesdemailles,demassuesetdecasquesdeRoum.Onportacettelettreàchaqueprince

quiavaitdupouvoirdansl'empire..

Lorsqu'unearméedecavaliers,prêtepourlecombat,sefutrenduedetouteslesprovincesàlacourduroi,il

distribualasolde,quittaleSéistan,etsuivitlaroutedeBalkh,lavilleillustre.Ardjasp,apprenantquel'armée

deGuschtasp,lemaîtredumonde,lemaîtredutrôneetdelacouronne,étaitenmarche,amenaduTourantantde

troupesquelafacedusoleiletdelalunefutobscurcie;ilcouvritdesonarméetoutl'espacedemerenmer,et

nullepartonnevoyaitpluslasurfacedusol.Lorsquelapoussièrequesoulevaientlesdeuxarméessefutconfondue,

quelaterrefutdevenuenoireet l'aircouleurdelapis-lazuli,lesarméesétendirentleursrangsdesdeuxcôtés,

tenantenmaindeslances,desépéesetdesjavelots.Al'ailedroitedesIranienssetrouvaitFerschidwerd, lefils

duroi,quiaimaitàcombattreleslionsféroces;àl'ailegauchesetenaitlevaillantNestour,àquilecielqui

tourneempruntaitsalumière;leroiGuschtaspétaitaucentreetsurveillaitsestroupessurtouslespoints.Du

côté des Touraniens,Kender commandait l'aile droite, ayant derrière lui les fantassins,etlebagage;àl’aile

gauchesetrouvaitKehrem,quifrappaitdel'épée,etaucentreArdjasp,entourédesacour.

La voix des timbales se fit entendre des deux côtés,la terre était couverte de fer, le ciel était couleur

d'ébène;onauraitditquelavoûteduciels'envolerait,quelaterresebriseraitsouslepoidsdesannées;les

rocherscachaientleurscimes,frappésdeterreurparlehennissementdeschevauxetlescoupsdeshachesd'armes;

laplainesecouvraitdecorps,sanstête,couchésdanslapoussièreetbrisésparleslourdesmassues;lesépées

flamboyaient,lesflèchespleuvaient,leshérospoussaientdescrisendonnantetenrecevantdescoups,lesastres

cherchaientàs'enfuir,lesarméesprodiguaientleurvie,lesfersdeslancesetlesmassuessecourbaient,lechamp

debatailleétaitjonchédemortsgisantàterre.Biendeshommesétaientfoulésauxpiedsdeschevaux,lagueuledes

lionsétaitleurlinceul,etlesangleurservaitdecercueil;onnevoyaitquedestêtessanscorps,descorpssans

tête;lescavaliersressemblaientàdeséléphantsécumants,etlespèresn'avaientpasletempsdes'apitoyersur

leursfils.C'estainsiquetournaitlavouteduciel,etl'onsebattitpendanttroisjoursettroisnuits,avec

haineetavecrage,avecardeuretenpoussantdesclameurs.Lechampdebatailleétaitdansunétattelquelaface

delalunefutrougieparlesangquijaillissait.Danslamêlée,FerschidwerdsejetacommeunlionsurKehrem,qui

frappaitdel'épée;maisilfuttellementblesséquesonâmesortitdesoncorpsgracieux.BiendesIraniensfurent

tués,etlaterrefutcouvertedusangdesbraves.Guschtaspavaittrente-huitfils,vaillantsdanslamontagneetdm

héros dans la plaine : tous tombèrent sur ce champde bataille, et le roi, que la fortune avait abandonné, se

désespéra.

GUSCHTASPS'ENFUITDEVANTARDJASP.

AlafinlesortaccablatellementGuschtaspqu'ilfutforcédefuir.LesTurcslepoursuivirentpendantdeux

stations,espérantleprendre;maisunemontagnesetrouvadevantlui,couvertedeverdure,etsurlaquelleily

avait dessourcesquipouvaientfairetournerdesmoulins.Cettemontagne,danstoutsonpourtour,n'offraitqu'un

seulchemin,etGuschtaspleconnaissait.Ilmontadanslamontagne,lecœurbrisé,accompagnédesestroupes,et

laissaunepartiedeseshéroscampéssurcechemin.LorsqueArdjasparrivadansceslieuxavecsonarmée,ilfitle

tourdelamontagnesanstrouverunaccès,etoccupaalorstoutlepaysd'alentour,cherchantunmoyenderéussite.

Guschtasp,leroiaunoblecaractère,sevoyaitsansressource;onallumadesfeuxdanslamontagne,etl’onybrûla

desépinesetdesbroussailles;chacundesgrandstuaundestrierpours'ennourrir,etilssemirentàméditersur

leurpositionsansissue.

Leroi,pleindegrandeurd'âme,sevoyantentourépar l'ennemi, prit,dedésespoir, sa tête dans sesmains,

appelalesageDjamasp,luiparlalonguementdesastres,etajouta:Dis-moicequetusaisdelarotationduciel,

hâte-toidel'interroger:ilfautabsolumentquetumedisescequipeutmesauverdanscemalheur.Djamasp,àces

paroles, seleva et s'écria: O roi plein de justice, si tu veux m'écouter, si tu veux avoir confiancedans la

rotationdesastres,jetediraitoutcequejesais,pourvuquetumeregardescommeunhommevéridique.Leroilui

répondit:Toutcequetusaisdessecretsduciel,confie-le-moi,etnemecacherien;car,quandmêmematêtese

heurterait contre les nuages, je ne pourrais échapper à la rotationduciel.Djamaspluidit: O roi, écoute ma

paroleetprête-moil'oreille!Jesais,ôroi,qu'Isfendiaruseseschaînes,plongédanslemalheur.Situveuxlui

rendrelaliberté,tuneresteraspasenfermédansceshautesmontagnes.Guschtasprépliqua:Ohommevéridique,ce

quetudisestlavérité,cequetudemandesestlevrai.J'avaischargédechaînes,dansmonproprepalais,monfils

innocent,surlesparolesd'unennemi;depuiscetempsjem'ensuisrepenti,moncœurétaitblesséetjecherchaisun

remède.SijevoisIsfendiarparaîtresurcechampdebataille,jeluidonneraimontrôneetmacouronne.Maisqui

oseraserendreauprèsdemonnoblefils,quidélivreradeseslienscethommeinnocent?

Djamasplui répondit:Oroi,jevaispartir,carc'estuneaffairegrave.Leroi,maîtredumonde,ditàDjamasp

:Puisselaraisonêtretoujourstacompagne!Parspendantlanuitsombrepourallertrouvercetami,quenousavons

affligémalgrésoninnocence;porte-luimesbénédictions,soisbonpourlui,parle-luibien,soisbonpourluiplus

quejamais.Dis-luiquel'hommequiafaitcommettrecetteinjusticeaquittécemonde,larageaucœur,etquemoi,

quimesuisprêtéauxintentionsdecetinsensé,jemesuistordudedouleuraprèsavoirétéinjuste,etquejesuis

prêtàfairelebienenexpiationdumal.S'ilveutrejeterdesoncœurtoutepenséedevengeance,ilabaisseradans

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lapoussièrelatêtedenosennemis;sinon,ceroyaumeetcetrônesontperdus,etcetarbredesKeïanidessera

arrachéavecsesracines;s'ilvient,jeluidonneraimontrôneetmestrésorsdetousgenresquej'aiaccumulés

péniblement;DieuetDjamasp,quiestmonguide,sonttémoinsdecetteparole.

Djamasprevêtitunearmuretouranienne,descenditdelamontagnesansprendreunguideet,arrivédanslaplaine,

iltraversaprudemmentl'arméeturquependantlanuit;ensuiteilfitcourirsonchevalrapidementcommelevent,

jusqu'àcequ'ilfûtarméauprèsdufilsduroi.Unefoisqu'ilfutprèsduchâteaudeGunbedan,ilétaithorsdes

atteintesdesortetdesmainsdesméchante.

DJAMASPSERENDAUPRESD'ISFENDIAR.

Unnoblefilsd’Isfendiar,dontlenométaitNousch-Ader,setenaitsurlesrempartsduchâteau,regardantla

routepourvoirsiquelqu'unvenaitdel'arméed'Iran,etledireàsonpère;ildevaitdescendredèsqu'ilverrait

quelqu'un.Lorsqu'ilaperçut Djamasp chevauchant sur la route, un beau casquetouraniensurlatête,ilsedit:

VoiciuncavalierduTouranquiarrive,jevaismehâterdel'annonceràmonpère.Ildescenditpromptementdurempart

et s'écria: OillustrePehlewan!j'aivadeloinsurlarouteuncavalierdontlatêteestcouverted'uncasque

noir.Jevaism'enretournerpourvoirsic'estunsujetdeGuschtasp,ousic'estunennemi,unhommed'Ardjasp.Si

c'estunTurc,jeluitrancherailatête,jejetteraidanslapoussièresoncorpsmaudit.

LenobleIsfendiarluirépondit:Unhommequiprendcetteroutesansescorte,quipeut-ilêtre?Probablement

c'estquelqu'unquiarrivedel'arméed'Iranavecunmessagepournous,etmmpèreauraplacésursatêtececasque

turcdepeurdenosvaillantsennemis.Nousch-Ader,àcesparolesduPehlewan,s'enretournaencourantauxremparts

duchâteau,etlorsqueDjamaspfuttoutprèssurlaroute,leprincelereconnutdescenditetannonçaàsonpèreque

lefortunéDjamaspétaitdevantlaporte.Isfendiarfitouvrirlesportes,lesageDjamaspentra,luirendithommage,

et lui répéta, du commencement jusqu'à la fin,le message de Guschtasp et toutes les bénédictions dont il était

chargé. Isfendiar lui répondit:Otoi ,héritier des héros, homme sage, puissant et fier, comment peux-turendre

hommageàunhommeenchaîné?Quandonadesfersauxmainsetauxpieds,onn'estpasunenfantdeshommes,maisun

Ahriman.Tum'apporteslesbénédictionsdugrandroidel'Iran,toncœurestdoncdépourvudetoutsentimentduvrai

?C'estArdjaspquim'aenvoyédesbénédictions,puisqu'ilainondéledésertdusangdesIraniens.Onm'achargéde

chaînes, moi, innocent, parce que sansdoute c'est Gurezm qui est le fils du roi, et qu'il fallait que jefusse

enchaîné.MaisjeprendsmesfersàtémoindevantDieuqueGuschtaspm'afaitinjustice,etqu'Ahrimans'estréjoui

desparolesdeGurezm.Voicilarécompensedemespeines!etletrésorqu'onaapprêtépourmoi,cesontdesfers!A

Dieuneplaisequejel'oublie,etquetesparolesmerendentinsensé!

Djamasp lui dit : Otoi qui parles vrai, toi le conquérant du monde, le vainqueur des héros, l’homme

bienveillant,situdétournesainsitoncœuravecdégoûtdetonpère,alorsletrônedecerois'écroule!Maisque

ton cœur s'apitoie sur le roi Lohrasp, l'hommepieux, que les Turcs ont tué dans la bataille, et sur les vieux

Hirbeds,cesadorateursdeDieu,quisetenaientdevantl’autelensilenceetlebarsomenmain,cesMobedsdontona

tuéquatre-vingts,cessagesvouésauculteetpursdecœur,dontlesangaéteintlefeudanslesanctuaire!Ilne

faut pas traiterlégèrementunpareilméfait.Quetoncœurs'apitoiedoncsurtongranditpère,quetacolèrese

montre,quetesjouespâlissent!Silavengeancequetudoisàtongrand-pèrenetefaitpast'élancerdecelieu,

Dieuleguideteréprouvera.Isfendiarlui répondit:Ohommedegrandrenom,dontl'étoileestpuissante,ôhéros

quiatteinsl'objetdetoustesvœux,réfléchisdoncquecevieuxLohrasp,ledévot,lepèredeGuschtasp,seramieux

vengéparsonfils,quiaraviàsonpèreletrôneetleshonneursroyaux!

Djamaspdit:Situneveuxpasvengertongrand-père,situn'asaucunevergognedanslecœur,apprends que

HomaïlaprudenteetBeh-Aferid,tessœurs,dontlesvisagesn'ontjamaisétévusmêmeparlesouffle del'air,sont

prisonnièresdesTurcs,qu'ellessontaffligéesetmalheureuses,qu'ellesvontàpiedetqueleursjouesontpâli.

Isfendiarrépondit:Est-cequeHomaïs'estsouvenuedemoiunseuljourpendantquej'étaisenchaînédanscelieu?

EtlanobleBeh-Aferid,ilsemblaitqu'ellenem'avaitjamaisvudanslemonde.

Djamasp répondit: OPehlewan, l'esprit de ton père est troublépar son sort ! Il est maintenant dans la

montagne, entouré de sesgrands,lesyeuxremplisdelarmes,leslèvresprivéesdenourriture;ilestcernépar

l'arméedesTurcs,ettuneleverrasplus,niluinisondiadème.Dieulecréateurn'approuverapasquetudétournes

toncœurdelatendresseetdelafoi.Tuaseutrente-huitfrères,desléopardsdesmontagnes,deslionsdudésert;

tous ils ont pour couche la terre et la brique, car nos ennemisn'en ont pas laissé un seul en vie. Isfendiar

répondit:J'aieutantdefrèresillustres,ettousontpasséleursannéesdanslesfêtesetmoidanslesfers,sans

qu'ils se soient souvenus de moidansmamisère;etsimaintenantjememettaisàlivrerbataille,àquoi cela

servirait-il,puisqueleursennemislesontanéantis?

QuandDjamaspentenditunepareilleréponse,sonâmefutblesséeetremplied'angoisses;ilseleva,lecœuren

colèreetdeslarmesdedésespoircoulantdesesyeux;ildit:OPehlewandumonde,sitroublésquesoienttoncœur

et ton âme,écoute-moi ! Que diras-tu du sort de Ferschidwerd, qui a été sans cesseaffligé et attristéde tes

malheurs, qui, dansles batailles et dans les fêtes, partout où il se te trouvait, étaitrempli de colère et de

malédictionscontreGurezm,etquej'aivucouvertdeblessuresfaitesparl’épée,lecasqueetlacuirassefendus

sursoncorps?Monâmesebriseparl'excèsdemondésirdetefléchir;aiedoncpitiédemesyeuxquibrûlent

AcesparolesdeDjamaspsurFerschidwerd,lesjouesd’Isfendiarsecouvrirentdelarmesdesang,soncœurse

erraetils'écria;Hélas!monvaillantfrère,lehéros,lebrave,leprinceaucœurdelion,leroi!c'estmoi

quedéchirenttesblessures,mesjouessontinondéesdusangdemoncœur!Quandilfutdevenupluscalme,ildità

Djamasp:Pourquoim’avais-tucachécela?Faisvenirdesforgeronspourqu'ilslimentsurlechamplesferssurmes

pieds.Djamaspamenadesforgeronsavecdesenclumesd'acieretdelourdsmarteaux;ilslimèrentleschaînes,les

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clous,lecollierunebarredeferduRoumsemblableàunpont;maistouscesfersneselimaientquelentement,et

leprisonnierdevintimpatientdecettelenteur.Ilditauforgeron:Omaladroit,tuasfaitcesfers,ettunesais

paslesbriser!Ildégageasamain,semit deboutet,danssacolère,étenditsesmembreschargésdechaîne;il

roiditsesjambes,iltorditsesmainsetbrisad'uncouptouslesfersettoutesleschaînes;mais,leschaînes

tombées,ilétaitépuiséils'affaissadefatigueetperditconnaissance.L’astrologuefitcetexploitmerveilleux,

etinvoqualesgrâcesdeDieusurleprinceillustre.Lehéros,douédecetteforceétonnante,lorsqu'ileutrepris

sessens,plaçadevintluitouslesfersettoutesleschaînes,disant:VoicilesprésentsdeGurezm,quimesontsi

utiles pour les batailles et pour les fêtes ! Puis ilplongea son corps endolori dans un bain, car ses membres

étaientfroissésparleschaînesetsapoitrineparlesfers.

Ensuite il demanda une cuirasse de roi et une tuniquede Pehlewan, et se fit amener son destrier ardent et

apportersoncasqueetsonépée;maisenjetantlesyeuxsursoncheval,ilinvoqualenomdeDieu,ledispensateur

de toute grâce,en s’écriant : Si j'ai commis une faute, je l'ai expiée dans les fers ; mais qu'adonc fait ce

destrierbarbe,quimarchaitsifièrement,pourqu'onl’aitfaitmaigrirainsi?Lavez-le,nelaissezpasunetache

sursarobe,etdonnez-luiàmangerpourqu'ilreprennesesforces.Puisilenvoyacherchertouslesforgeronsqui

étaientmaîtresdansleurart;ilsarrivèrent,luifirentdesmailles,etréparèrentsonarmureentière.

ISFENDIARVOITSONFREREFERSCHIDWERD.

Lanuitvint, noirecommeAhrimanlevindicatif,etlebruitdesclochettessefitentendredanslechâteau;

IsfendiarmontasursondestrierdePehlewan,tenantenmainuneépéeindienne,etlui,etBahmanetNousch-Ader,qui

portaithautlatête,partirentpourleurlongueroute,précédésdeDjamasp,leDestourdufortunéGuschtasp,qui

leurservaitdeguide.Lorsquecesvaillantscavaliersfurenthorsdesmursduchâteauetdanslaplaine,leSipehbed

tournasonvisageverslecieletdit:OJuge suprêmeetvéridique!tueslecréateurtout-puissant,tuasremplide

joiel'âmed’Isfendiar.Sijesuisvictorieuxdanscecombat,sijepuisrendreétroitlemondepourArdjaspetfaire

tombersurluilavengeancedueauroiLohrasp,àcesvieillardsinnocentsetàmestrente-huitfrèresquiontrougi

deleursanglapoussièredudésert,jem'engagedevanttoi,lemaîtredelajustice,ànepasmevengerdemonpère

pourlesfersdontilm'achargé.J'établiraidanslemondecentnouveauxtemplesdufeu,jepurifierailaterrede

tous les tyrans ; personne neverra mon pied sur un tapis avant que j'aie construit centcaravansérails dans le

désert,dansdeslieuxdésolés,oùaucunebêtefauvenepasse,quel'onagreettoutgibierévitent;jecreuseraidix

millepuitsetplanteraidesarbresautour.J'amèneraiàlavraiefoiceuxquin'ontpasdeguide,j'abaisseraià

terrelatêtedesmagiciens;jemetiendraienadorationdevantDieu,etpersonnenemeverrajamaismelivrerau

repos.

Ildit,etlançasondestrier;ilarrivaauprèsdeFerschidwerdetlevitétendusurunecouche,endormi,blessé

etdéfait;sesyeuxversèrenttantdelarmesquelemédecinfuttouchédesadouleur.Isfendiarditàsonfrère:O

lionquirecherchaislecombat,quiest-cequit'afaitcesblessures?Dis-lemoi,pourquejetevengedansle

combat,tonennemifût-ilunvaillantlionouunléopard.Ilrépondit:OPehlewan,c'estGuschtaspquim'ablesséà

mort. S'il n'avait pas jeté dansles fers un homme comme toi, les Turcs ne m'auraient pas traitéainsi. De même

Lohrasp,levieuxroi,ettoutBalkhontpériparsafaute.Personnen'ajamaisvunientenduparlerdemauxpareils

àceuxquenousavonsendurésparsuitedesparolesdeGurezm.Maisnetemetspasencolère,sonmets-toiàla

justicedeDieu;restedanslemondecommeunarbrequiportefruit.Moi,jeparspouruneautredemeure;maistoi,

ilfautqueturestesiciéternellement.Quandj'auraiquittélaterre,garde-moiunsouvenir,etréjouismesmânes

parlesbienfaitsqueturépandras.Adieu,ôPehlewandumonde,puisses-tuêtreheureuxetvivreéternellement!

Ildit,sesjouespâlirent,etFerschidwerd,lelionglorieux,mourut.Isfendiarfrappadesamainsacuirasse,

ildéchiratouslesvêtementsdesoiesursoncorps,s’écriant:ODieu,lesaint,lesublime!soismonguidedans

lemonde,pourquejepuissevengerFerschidwerd,fallût-ilréduireenpoussièrelespierresetl'eau!Jeverserai

lesangd'Ardjasp,jecalmerailesmânesdeLohrasp.Ilplaçasonfrèremortsurlaselledesoncheval,lecœurplein

devengeance,latêteéperdue.Ilserenditdanslaplainesurunehautemontagne,emportantsonfrèreliésurun

chevalisabelle,etsedisant:Maintenantquepuis-jefairepourtoi?Commentpourrai-jeéleveruntombeau!Je

n'aiavecmoiniargent,nior,nijoyau;jen'ainidesbriques,nidel’eau,nidesmaçons.Alafinleprince

illustreplaçasonfrèreaupiedd'unarbrequidonnaitdel'ombre;illuiôtasonarmuredeguerreetluifitun

linceuldesatuniqueetdel'étoffequiprotégeaitsatête.

Delàilpartitpourl'endroitoùsetrouvaitGuschtasp,leroiégarédelavraieroute.Ilvittantd'Iraniens

tués que la terre et le sable en avaient disparu ; ilpleuraamèrementlesmorts,cesmalheureuxdontlesjours

étaientpassés.Dansunlieulecombatavaitétérude,sonœilfutfrappéparlevisagepâledeGurezm,àcôtéduquel

gisaituncheval,etsurlequelonavaitjetéunpeudepoussière.Isfendiar,s'adressantaumort,s'écria:Ohomme

insensé et misérable ! réfléchis sur les parolesqu'un sage de l'Iran a prononcées quand il a révélé le profond

secret,qu'unsageennemivautmieuxqu'unami,carlasagesseestbonnechezunamietchezunennemi.Unhommesage

réfléchitsurcequ'ilpeutfaire,etnesefatiguepasl'espritàrechercherunechosequiestau-dessusdeson

pouvoir.Tuasvoulut’emparerdemaplacedansl’Iran,ettuasamenéparlàtoutecettemisèredanslemonde,tuas

détruitlasplendeurdecetempire,tuasuséderuse,tuasproféréunmensonge,etturépondrasdansl'autremonde

detoutlesangquiaétéversédanscettebataille.

Ensuiteildétournasatêtedecesmortsenpleurant,ets'approchadugrosdel'arméedesTouraniens.Ilvitun

camps'étendentdanslaplainesurseptfarsangs,ettelquelecielenétaitdanslastupeur;unfosséétaitdressé

toutautour,pluslargequelaportéed'uneflèche.Iltraversacefosséparmilleefforts,etlançasonchevaldans

laplaine;unerondedeTurcs,composéedequatre-vingtscavaliers,traversadanscemomentlechampdebataille,et

arrivasurluitouteendésordre,poussantdescrisetluiadressantdesquestions.Unhommeaucœurde lion lui

demandacequ'ilcherchaitsurlechampdebataille.Ilrépondit:Vousnepensez,surlechampdebataille,qu'au

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reposetauxfêtes;etlorsqueKehremareçuavisquevousaviezlaissépasserIsfendiar,ilm'aordonnédeprendre

monépéetranchanteetdevousdétruire.Iltirasonépéeetsejetasureux,eninvoquantlesouvenirdelabataille

qu'ilsavaientlivréeàGuschtasp;ilrenversaungrandnombred'entreeuxsurlaroute,etserenditdelàauprèsdu

roi.

ISFENDIARARRIVEDANSLAMONTAGNE,AUPRÈSDEGUSCHTASP.

Ilarrivasurlamontagnerocheuse,aperçutsonpèreetluirendithommage.Lepère,dontlecœurétaitnavré,se

leva,lebaisaetluipassalamainsurlevisage,endisant:GrâcessoientrenduesàDieu,ôjeunehomme,deceque

jet'airevu,lecœurenjoie!Nem'enyeuxpasdanstonâme,net'indignepascontremoi,etn'emploiepastaforce

àtevenger.Gurezm,cethommeméchantetdemauvaisenature,aaveuglémonâmeetl’adétournéedemesfils.Ses

mauvaisesparolesontamenélemalheursurlui-même,etsesmauvaisesactionsontperducemauvaishomme.Maisje

jure par le Créateur du monde, qui sait tout ce quiest connu et ce qui est caché, qu'aussitôt que je seraide

nouveauheureuxetvictorieux,jeteremettrail'empire,letrôneetlacouronne.Jefonderaibiendestemplesdans

lemonde,jetedonneraitouslestrésorscachésquejepossède.

Isfendiarrépondit:Puisseleroiêtrecontentde moi.carsonapprobationestlacouronne,letrôneetle

diadèmequej'ambitionne!Quelemaîtreduamondesacheque,lorsquej'aivusurlechampdebatailleGurezmcouché

surlaterre,j'aipleurésurcethommequim'avaitcalomnié,j'aipenséavecl’angoisseauxpeinesquelecœurdu

roiavaitendurées.Ilm'estarrivécequiétaitdansmadestinée;maiscequiestpasséjeleregardecommedu

vent.Maintenant,quandjetirerail'épéedelavengeance,quandjesortiraidecesrochers,jenebaisseraiexister

niArdjasp,nileKhakandelaChine,niKehrem,niKhallakh,nilepaysdeTouran.

Lorsquel'arméesutqu'Isfendiarétaitdélivrédeseslourdeschaînesetdesamauvaisefortune,ellearrivapar

troupessurlacimedelamontagne,auprèsdumaîtredelaterre;touslesgrands,qu'ilsfussentdesafamilleou

étrangers,posèrentleurfrontsurlesoldevantlui.Isfendiar,àl'étoilefortunée,leurdit:Ohommesillustres,

quipercezavecvosépées,tirezvosglaivestrempésavecdupoison,allezaucombatettuezlesennemis!Lesgrands

luirendirentleurshommages,s'écriant:Tuesnotrediadème,tuesleglaivedenotrevengeance,nous t'offrons

tousnotreviecommegage;nosâmessontréjouiesdetavue.Ilsemployèrenttoutelanaîtàmettreenordrel'armée

etàpolirleurscuirassesetleursépées.DenouveauGuschtaspparlatristementaufortunéIsfendiardesmalheursdu

sort;etsesyeuxinondèrentsesjouesdedeuxtorrentsdelarmeslorsqu'ilparladelamortdesesjeunesfils,

pleinsd'ardeurpourlecombat,quifurenttuéssurlechampdebataille,etportaientsurleurtêteunecouronnede

sang.

CettemêmenuitArdjaspappritqueGuschtaspavaitétérejointparsonfils,quecelui-ci,sursaroute,avait

tué denombreusesvedettes,etquelerestes'étaitenfuidevantlui.Ildevint soucieux, convoqua ses grandset

parlalonguementens'adressantàKehrem:Nousavionscomptésurautrechoseencommençantcetteguerre.Lorsque

l'armées'estmiseenroute,j'aiditquelemondeétaithorsdedangersinoustrouvionsceDivdanslesfers,queje

seraislemaîtredestrônesdel'IranetdelaChine,etquetouslespaysnousrendraienthommage.Maisaujourd'hui

quecefilsduDivestenliberté,noussommesinquietsducombat,etnostêtessontlivréesauvent.Personne,parmi

lesTurcs,n'estsonégaletnepeuttenirdevantluidanslabataille,etilvautmieuxquenousnousenretournions,

contentsdenotrefortuneetdenotrevictoire,dansleTouran,avecnoscouronnesetnostrônes.Ilfitréunirtout

ce qu'il avait de précieux, tous lestrésors, les chevaux caparaçonnés, tout ce qu'il avait enlevé deBalkh, la

glorieuse,etlefitremettreàKehrem.IlavaitencorequatrefilsplusjeunesqueKehrem,quifurentchargésde

fairelesbagagesetdelesplacersurcentchameaux,quipartirentpartouteslesroutes,chacunmontéparunguide.

Maislecœurd'Ardjaspétaitpleindecrainte,satêteremplied'impatience,etlafaim,lereposetlesommeil

lefuyaient.OrilyavaitunTurc,nomméKergsar,quisortitdesrangsdel'armée,s'approchaduroi,etluidit:O

maîtredesTurcsetdelaChine,nelaissepasfoulerauxpiedstagloireparunseulhomme!Regardeleur armée

défaite,battueetenfuite,leurfortunetouteébranlée,lesfilsduroimortsetlui-mêmedésespéré.Ilneluiest

venuenaidequeleseulIsfendiar,ettubriseraislecouragedetonarmée,tulalaisseraivaincrepardesparoles

etsanscombat!Jesuisl'égald'Isfendiardanslabataille,etjejetteraisurlaterrelecorpsduhéros.Ardjasp

écoutacesparoles,vitquec'étaitunhommevaillantetprudent,etluirépondit:Ohérosavidedecombats!tuas

du renomunehautenaissanceetdelavaleur;situfaiscequetupromets,sitabravourevaaussiloinqueta

langue,jetedonneraitout,depuisleTouranjusqu'àlamerdelaChine;jetedonnerailestrésorsduTouran,tu

seraslechefdemonarméeetj'obéiraitoujoursàtesordres.Etsur-le-champillemitàlatêtedel'armée,etlui

promitlegouvernementdesdeuxtiersdumonde.

Lorsquelesoleileutlevésonbouclierd'oretquela nuit sombre eut pris,dedésespoir, sa tête dansses

mains,qu'elleeutjetésatuniquecouleurdemuscetquelafacedumondefutdevenuebrillantecommeunrubis,une

grande arméesortitdelamontagne,conduiteparIsfendiar,levaillantmaîtredumonde.Lui-mêmesetenaitdevant

l'armée,unemassueàtêtedebœufsuspendueàsaselle;leroiGuschtaspaucentre,l'âmerempliedudésirdese

vengerd'Ardjasp;Nestour,lefilsdeZerir,pleindepenséesprofondesdevantlequelleslionsférocess'enfuyaient

de laforêt, se plaça à l'aile droite ; il commandait en chef et veillaitàl'ordonnancedesestroupes;enfin

Kerdouï,levaillant,avaitl'ailegaucheets'avançaitbrillantcommelesoleilausigneduBélier.Del'autrecôté

Ardjaspformaitsesrangs;lesastresnevoyaientpluslaplaine,tantilyavaitdelancesetd'épéessombres,et

l'airétaitrempli de drapeaux de soie brodée. Le centre, où Ardjasp se tenait,était noir comme de l'ébène ; à

l’ailedroiteétaitKehrem,aveclesclaironsetlestimbales;àl'ailegauchesetrouvaitleroideDjiguil,auquel

lelionaujourducombatauraitvouluemprunterducourage.

Ardjasp,voyantcettemassedecavaliersvaillantsetarmésdelances,partitetchoisitunecollineélevée,

d'oùilobservaitlesarmées,detouscôtés;soncœurétaitterrifiéparsesennemis,lemondeétaitsombreetnoir

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devantsesyeux.Ilfitamenerparlesconducteursdeschameauxdixcaravanesdedromadaires.,etditensecretàses

grands:Silabatailleduretroplongtempspournous,sielleneparaîtpasnousapporterlavictoire,lagloireet

lajoieded'âme,moietmesintimesnoustrouveronsmoyendefairenotreretraiteavecsécuritésurdesdromadaires

rapides.

LorsqueIsfendiaraumilieudesdeuxarmées,semblableàunlionfurieuxetlaboucheécumante,s'ébranlacomme

lecielquitourne,samassueàtêtedebœufenmain,tuauraisditqu'ilremplissaittoutelaplaineetquesapeau

se fendrait, àcause du feudelacolèrequi le consumait. Le bruit de la bataille et le son des trompettesse

faisaient entendre, les héros de l'armée s'ébranlèrent, la plainesemblait une mer de sang, et les épées

scintillaientdansl'aircommelesPléiades.Isfendiarappuyaitsurlesétriersilpoussaitdescrisdetonnerreen

frappantavecsamassueàtêtedebœuf;ilserraitdanssamainsamassued'acier,ettuatroiscentsbraves au

centre de l'armée, s'écriant : Aujourd'hui je réduirai enpoussièrelamer,pourvengerlamortdeFerschidwerd.

Ensuiteilsejetasurl'ailedroite,abandonnalesrênesàsondestrierardent,ettuacentsoixantehéros.Kehrem,

voyantcela,s'enfuit,etIsfendiars'écria:Voicicommentjevengemongrand-père,dontlamortaremplidetrouble

lecœurduroi!Ensuiteiltournalesrênesverslagauche,ettoutelaterredevintcommeunemer desang.Iltua

centvingt-cinqdesplusvaillants,tousdesgrands,possesseursdecouronnesetdetrésors,etils'écria :Voici

commentjevengemestrente-huitnoblesfrèresquisontmorts.

Acettevue,ArdjaspditàKergsar:Cettearméeinnombrableestdétruite;iln'yaplusunhommedeguerre,il

neresteplusunseulhommedevantlesrangs.J'ignorepourquoituesdemeurésilencieux,etpourquoitum'asconté

toutesceshistoires.CesparolesréveillèrentlecouragedeKergsar,etilallaau-devantd'Isfendiarlehéros;il

s'avança,unarcroyaletuneflèchedeboisdepeuplieràtêted'acierenmain.Quandilfuttoutprès,ilplaçala

flèchesurl'arcetlalançacontrelapoitrineduPehlewan.Isfendiars'affaissasurlasellepourfairecroireà

KergsarquelaflècheavaittraversésacuirasseetavaitblessélapoitrinebrillanteduKeïanide.Kergsartiraune

épéed'acierluisantetvouluttrancherlatêteàIsfendiar;celui-cieutpeurd'êtreblessé,détachaducrochetde

sasellesonlacetroulé,etlelança,enprononçantlenomdeDieulecréateur,surlecoudeKergsar;satêteet

soncoufurentprisdanslenœud,etIsfendiarjetaparterresoncorpstremblant;puisilluilialesdeuxmains

fortementsurledos,serraleboutdusudsurlanuque,enlevaKergsardedevantlesrangsdesarméesetletraîna

danslecampiranien,labouchecouverted'uneécumesanglante. OenvoyasonennemiauprèsdeGuschtasp,lelivraaux

mainsduroiaucasqued'or,etdit:Attachecethommedansl'enceintedetestentesetgarde-toidelemettreà

mort,jusqu'à ce quetuvoiescontrequilafortunesedéclareetquiseravictorieuxdanscecombat.Ensuiteil

retournaàlabatailleetamenatoutesonarméeaucombat,endisantauxbraves:OuestdoncKehrem?onnevoit

plus son drapeau à l’aile droite. Etoù est Kender, le vainqueur des lions, qui frappe del’épée et perce les

montagnesavecsalanceetsesflèches?

OnrapportaàArdjaspqu'IsfendiarétaitalléattaquerKergsar,quel'airétaitdevenuvioletdurefletdeleurs

épées,etqueledrapeauàfiguredeloupavaitdisparu.Ceprodigeremplitdesoucil’âmed'Ardjasp;ildemandaun

dromadaireetsedirigeaversledésert;luietsesintimesmontésaussisurdesdromadairespartirentenmenant

leurschevauxàlamain;illaissal’arméesurlechampdebatailleetpritavecsesgrandslaroutedeKhallakh.

Isfendiarpoussadescris,etsavoixfaisaittremblerlesmontagnes;ilcriaauxIraniens:Netenezpasvosépées

dansvosmainssansvousenservir,faites-leurdesfourreauxdanslecœuretaveclesangdevosennemis,faitesdu

pays de Touran une montagne de Karen.Lesbraves, avides de vengeance, se raffermirent sur leurs étriers,et les

arméessejetèrentl’unesurl'autre;laterre,lespierresetl'herbedisparaissaientsousdestorrentsdesangqui

faisaient tourner les moulins. Toute la plaineétait jonchée de pieds, de têtes et de troncs dont les poitrines

étaientfenduesetdontlesmainstenaientencorelesépées;lescavalierss'élancèrentsurlechampdebataille,

maissanspouvoirramassertouteslesparuresquilecouvraient.

Quand les Turcs apprirent qu'Ardjasp était parti, lapeau se fendait sur leurs corps ; ceux qui avaient des

chevauxs'enfuirent, les autres jetèrent leurs casques et leurs cuirasses,et se rendirent auprès d’Isfendiar en

poussant des cris de détresse,et leurs yeux versèrent des larmes comme les nuages du printemps. Lehéros leur

accordaleurgrâce,etdecemomentnetuapluspersonne.Ilimposasilenceàsoncœursurlemeurtredesongrand-

père,etchargeaungranddelagardedesTurcs.Luietsonarméeserendirentauprèsduroi,leurspoitrines,leurs

épéesetleurscasquesd'orcouvertsdesang;sonépéeétaitcolléeàsamainparlesang,sapoitrineetsesépaules

étaientfroisséesparlacuirasse.Ontrempasamainetsonépéedansdulaitpourlesséparer,ontiralesflèches

desacottedemailles;ensuitecehéros,quiambitionnaitlapossessiondumonde,semitdansl'eau,selavalatête

etlesmembres,joyeuxdecœuretsaindecorps.Ildemandaunvêtementdedeuiletseprésentadevantlemaîtredela

justiceetdelavérité,etGuschtaspetsonfilsrestèrentrespectueusementetentremblant,pendantunesemaine,

devantDieu,letrèssaint,enadorantleCréateur,ledispensateurdelajustice.LehuitièmejourIsfendiarse

montra,etKergsars'approchadesontrône,désespérantdanssonâmedeladoucevie,etlecorpstremblantdepeur,

commelafeuilledusaulequ'agitelevent.Ildit:Oroi !cetteassembléenetesaurapasgrédemamort.Jeserai

tonesclave, je me tiendrai derrière toi, je te servirai toujours deguide pour la fortune, j'amoindrirai chaque

malheurquipeutt'arriver,jeteconduiraiauchâteaud'airain.Isfendiarordonnaqu'onlereconduisîtàsestentes,

lesmainsetlespiedsliés.EnsuiteilserenditaucampquiavaitappartenuàArdjasp,lemeurtrierdeLohrasp;il

distribualeschosesprécieusesquis’ytrouvaient,etenparalescavaliersetlesfantassins;ilmitàmort,parmi

lesTurcsqu'ilavaitemmenésprisonniers,ceuxquiavaientfaitdumalàsonarmée.

GUSCHTASPENVOIEISFENDIARDENOUVEAUCONTREARDJASP.

Ensuiteilserenditauxtentesduroi,etluiparladetouteschoses,deLohrasp,deFerschidwerd,desesfils

glorieuxauxjoursdescombats,etdelamanièredontillesavaitvengés.Guschtaspluirépondit:Ohommevaillant

!tuteréjouispendantquetessœurssontdansl’esclavage!Heureuxceuxquisonttombéssurleschampsdebataille

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et dontlestêtesnesontpascourbéessouscettehonteinfligéeparlesTurcs!Quandonmeverraassissurle

trône,quedirontmessujets?Jepleureraisurcedéshonneuraussilongtempsquejevivrai,etmatêteestremplie

defeu.J'aipromisdevantleCréateurtout-puissantque,situentresvaillammentdanslepaysdesTurcssans y

périr, si tu braves l'haleine du dragon et délivres tes sœursdu pouvoir des Turcs, je te donnerai la couronne

impériale,letrônedupouvoir,enfintousmestrésors,quinet'aurontcoûtéaucunepeine.Isfendiarluirépondit:

Puisse le monde n'être jamais privédetoi!Jesuisesclavedevantmonpère,etcen'estpaslaroyautéque je

recherche.QuemoncorpsetmonâmetesoientgarantsquejenedésirepastonIrèneettonpouvoir.Jepartirai,je

me vengeraidenouveaud'Ardjasp,jedétruiraitoutlepaysdeTouran,jeramèneraimessœursdelacaptivitésur

leurstrônes,grâceàlafortunedumaîtredumonde,dugrandroi.Guschtasplebénit,disant:Quelaraisonsoit

toujourstacompagne!QueDieuteprotègeenroute,queletrônesoitàtoujourstaplaceauretour!

Guschtaspappeladestroupesdetouslescôtés,departoutoùsetrouvaitunMobedouun.seigneur;ilchoisit

parmiellesdouzemillehommes,tousdescavaliershabilesàmanierunchevaletdebonrenom.Illeurdistribuades

trésors et de l'argent, et n'en laissa aucun mécontentde ses présents ; il donna à Isfendiar un trône et une

couronneincrustéedepierreriesdignesd'unroi.Onentenditdesvoixdemandantdanslacourduroiqu'onamenâtpour

lesprincesdeschevauxtenanthautlatête.Onportadanslaplainelestentesetledrapeauàfigured'aigleroyal

;l'armées'ébranla,etlapoussièreobscurcitlesoleilbrillant.Isfendiarquittalepalaisetserenditdansla

plaine,oùiltrouvaunearméeprêteaucombat.

*********************

suite

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RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI

FERDOWSI/FIRDOUSI

LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV-partieV-partieVI)

ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer

précédent

FERDOWSI

LELIVREDESROIS.

TOMEIV

HISTOIREDESSEPTSTATIONS.

LOUANGESDUROIMAHMOUD.

Maintenantjevaisconterl'aventuredesseptstations;jelaconteraidansunbeauetfraisrécit,pleinde

combatsetd'entreprises,deconseilsetderésolutions,d'actesdevengeanceetdejustice,debataillesetdefêtes,

etsilafortuneveutpourunefoisveniràmonaideetdonnerunlibreessoràmontalent,jeparleraisousles

auspicesduroiMahmoud,desonglorieuxrègneetdesacouronneroyale.Puisseleroidumondevivreéternellement,

etlesgrandsdelaterrerestersesesclaves!Quandlesoleilbrillants'estmontré,quandilatendrementparéla

facedelaterreetposésursatêtelacouronnedanslesigneduBélier,l'Occidentetl'Orientenontétéheureux;

lesmontagnesontétépleinesderoulementsdutonnerre,lesbordsdesruisseauxsesontcouvertsdenarcissesetde

tulipes;lesnarcissesontdonnédesenchantements,lestulipesdelapatience,lenarddesangoissesetlafleurdu

grenadierdesparures.Lecœurdesnuagesestremplidefeuetleurœilpleindelarmes,c'estlebruitd'unemusique

pleinederageetdecolère;quandlafoudres'éteintetl'eautombeentorrents,lestêtess'endormentsousce

bruit;maisquandtuteréveilles,regardelaterre,quiestbellecommedusatinpeintenChineparMani.Lorsque

laterrebrillesouslesoleil,ellevoitlesjouesdunarcisseetdelatulipecouvertesdelarmes,ellesouritet

dit:Ocoquettes,c'estd'amourpourvousquejepleure,etnonpasdedouleuroudecolère.Eneffetlaterrene

souritquequandlecielpleure,aussinecomparerai-jepasauciellamainduroi,carlecielnefaitpleuvoir

qu'auprintemps,etneressemblepasàlagénérositéincessantedesrois:c'estausoleil,quandilsecouvredeson

diadèmedanslesigneduBélier,queressemblelamainduroi.Quesestrésorsproviennentdelaterreoudel'eaude

lamer,quecesoitdel'oroudumusc,jamaisilnecachesasplendeur,nidevantlepauvre,nidevantleprince

pleindefierté.LamainduroiAboulkasem,cegrandprince,estégalementgénéreuseenverslesbonsetenversles

méchants ; jamais il ne recule devant une largesse, jamais il ne serepose au jour de l'action ; quand il a à

combattre, il livrebatailleetsaisitlatêtedesrois,maisàquiconquebaisselatêtedevantluiildonneses

trésorsetnepensepasàlapeinequ'ilsluiontcoûtée.PuisseMahmoudresterlemaîtredumonde,répandreses

bienfaits et rendre justice ! Maintenant fais attention à ce queraconte du château d'airain le vieillard plein

d'expérience,etconserves-enlesouvenir.

PREMIÈRESTATION.—ISFENDIARTUELESDEUXLOUPS.

LorsqueleDihkanquiraconteleshistoireseutplacélatable,ilfitlerécitdesseptstations;ilsaisitde

la mainunecouped'or,etsemitàparlerdeGuschtasp,duchâteaud'airain,deshautsfaitsd'Isfendiar,desa

routeetdesinstructionsdonnéesparKergsar,disant:IsfendiarétaitsortideBalkh,laboucheetl'âmeremplies

deparolesamères;ilquittasonpèreetpritlarouteduTouranenemmenantKergsar.Ilcontinuajusqu'àcequ'il

fûtarrivéàunendroitoùdeuxroutesseprésentèrent;ilyfitdressersestentesetcellesdel'armée,placerles

tables,etdemanderduvinetdelamusique.Tousleshérosdel'arméearrivèrentets'assirentàlatableduroidu

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peuple.Ensuiteilordonnaqu'onamenâtdevantluiKergsaraucœurulcéré,etqu'onluiremplitcoupsurcoupquatre

foisunecouped'or,puisilluidit:Otoi ,dontlafortuneestassombrie,jeteferaiparvenirautrôneetàla

couronne;siturépondsselonlavéritéàtoutesmesquestions,toutlepaysdeTouranseraàtoi;jeteledonnerai

quandjeseraivictorieux;j'élèveraitatêtejusqu'ausoleilbrillant;jeneferaidemalàaucundetesalliésni

àceuxdetesfils;maissituessayesdemementir,tonmensongen'aurapasdesuccèsauprèsdemoi;jetecouperai

endeuxavecmonépée,jerempliraideterreurcetteassembléepartonexemple.Kergsarluirépondit:Oillustreet

fortuné Isfendiar ! tu n'entendras de moi que des paroles vraies; de ton côté, fais ce qui convient à un roi.

Isfendiarluidit:Maintenantindique-moioùestlechâteaud'airainquisetrouvesurlafrontièredel'Iranetdu

Touran. Combien de routes y conduisent,combien de farsangs y a-t-il et quel est le chemin le moinsdangereux ;

combiendetroupesytient-ontoujours,etcombiensonthautslesmurs?Dis-moitoutcequetuensais.

Kergsar lui répondit : OIsfendiar,ô roi aux traces fortunées ! trois routes conduisent d'ici à cettecour

d’Ardjasp,àlaquelleildonnelenomdesonchâteaufort;l'uneexigetroismois,lasecondedeuxmois,etl'on

peutconduireunearméeparl'uneetparl'autre;surlapremièreontrouvepartoutdel'eau,desfourragesetdes

villes,etelletraverselespossessionsdedeuxtiersdesgrandsduTouran.Surlaseconde,quiexigedeuxmois,tu

serasdansl'embarraspourlesvivres;iln'yapasd'herbagesnideréservoirsd'eaupourlesbêtes,ettun'y

trouveras pas de lieu ou l'arrêter. La troisième route se parcourtdans une semaine, et l'armée arriverait le

huitième jour devant lechâteau d'airain ; mais elle est pleine de lions, de loups et dedragons vaillants, aux

griffesdesquelspersonnen'échappe.Ensuiteilyaunemagiciennedontlesrusessontpiresquelesloupsetles

lionsetmêmequelespuissantsdragons.Elleprendunhommeetleportedelamerjusqu'àlalune,etelleprécipite

unautredansunabîme.Onrencontresurcetteroutedesdéserts,dessimourghs,etunfroidaffreuxquifaitéclater

lesarbresquandlevents'élève.Ensuiteonsetrouvedevantlechâteaud'airain,unchâteautelquepersonnen'ena

vudepareilnin'enaentenduparler.Lacrêtedesesrempartss'élèveplushautquelesnuagesnoirs,ilestrempli

detroupesetd'armesetentouréd'unerivièred'eaucourantedontlavuetroublel'espritetqueleroipasse en

bateauquandilserenddanslaplainepourchasser. SiArdjaspétaitassiégécentansdanscefort,iln'aurait

besoinderientirerdelacampagne,carilyadanslechâteaudeschampsensemencésetdesprairies,desarbres

fruitiersetdesmoulins.

Isfendiarécoutacesparoles,secoua latêtependantquelquetempsetsoupira;à lafinildit:C’estlaseule

routepournous,cariln'yariendemieuxdanscemondequ'unchemincourt.Kergsarrépondit:Oroi ! jamais

personnen'aentreprisdepasserparlaforceetenfaisantdubruitparlaroute desseptstations,àmoinsd'avoir

renoncéàlavie.Lehérosrépliqua:Situesavecmoi,tuverrasmoncourageetmaforced'Ahriman.Dis-moiquije

trouveraid'abordenfacedemoietquiilfautquejecombattepourm'ouvrirlaroute.Kergsarrépondit:O roi

fortuné, ô cavalier élu, deux loups viendront t'attaquerd'abord, un mâle et une femelle, chacun semblable à un

éléphantterrible;ilsportentsurlatêtedescornescommedescerfsetsontavidesdecombattredeslions;ils

ont desdéfensescommedeséléphantsfurieux,despoitrinesetdesmembreslargesetdesflancsmaigres.Isfendiar

ordonnaalorsqu'onramenâtlemalheureuxdanssatentechargédeseschaînes;ilfitpréparerunefêteetplaçasur

satêtesondiadèmedeKeïanide.

Lorsquelacouronnedusoleildescenditversl'horizonetquelecieldévoilaàlaterresessecrets,lebruit

destimbaless'élevadelaporte,laterresecouvritdefer,lecieldevintcouleurd'ébène.Isfendiarpritlaroute

duTouranparlesseptstations,etpartitavecsonarméeheureuxetcontent.Ayantmarchéjusqu'àlastation,il

choisitdanssonarméeunhommeillustre,Beschouten,unhommepleindevigilance,etquigardaitl'arméecontreles

embûchesdel'ennemi.Illuidit:Maintiensl'arméedansl'ordre;jesuisinquietdecequem'aditKergsar;je

suislechef,ets'ilm'arrivemalheur,ilnefautpasqu'ilenarriveautantauxautres.

AlorsIsfendiarserevêtitdesonarmuredecombat;onaffermitlessanglesdesonchevalnoir,etils'avança

verslesloups,enserrantlesjambesaveclaforced'unéléphantterrible.Lesloupsvirentsapoitrineetsesbras,

saceinture,samainetsamassue;ilsdirigèrentleurcourseversluidanslaplaine,commedeuxéléphantsfurieux

etavidesdecombat.Lehérosbandasonarc,etpoussauncriterrible,commeunlionrugissant;ilfitpleuvoirdes

flèchessurcesAhrimans,etseprécipitadansledangerquijusque-làavaitaccablé touslescavaliers. Lesloups

souffrirentdespointesdesesflèches;aucunneputapprocherdeluisansêtreatteint.Isfendiarlesregardale

cœurtranquille,etvitquelesdeuxbêtesfauvesétaientaffaibliesetendétresse;iltirauneépéetrempéeavec

dupoison,poussasonchevalets'élança;illeurfenditlatête,leurdéchiralapoitrine,etfitnaîtredeleur

sangdesrosessurlapoussière.Ildescenditdesondestriercélèbre,etreconnutdevantDieuquesapropreforce

n'aurait passuffi.Ilfitdisparaîtredesoncorpsetdesesarmeslestracesdusangdesloups,choisitdansce

lieuunendroitpurdesang,ettournasonvisagecoloréverslesoleil;lecœurencorepleindesoucisetlatête

couvertedepoussière,ildit:OJuge ,dispensateurdelajustice,c'esttoiquim'asdonnédelaforce,dusenset

delabravoure.Tuascouchécesbêtesfauvesdanslapoussière,tuserasmonguidepouraccomplirlebien.

Quand les troupes et Beschouten arrivèrent, ilstrouvèrent le héros dans l’endroit où il avait prié ; ils

restèrentconfondusdesonexploit,ettoutel'arméesemitàfairedesréflexionsetdit:Faut-ilappelercethomme

unloupouunéléphantfurieux?Puissentcecœur,cetteépéeetcettemaindureréternellement!Queletrôneduroi,

etlepouvoir,etlesfêtes,etl'arméenesoientjamaisprivésdelui!Leshéros,pleinsdesagesse,firentdresser

leurstentesauprèsd'Isfendiar;ilspréparèrentunetabled'or,mangèrentetburentduvin.

SECONDESTATION.—ISFENDIARTUELESLIONS.

Kergsarn'avaitenpartagequelechagrin devoirsafortune des hommes de guerre etd'Isfendiar. Celui-ci,

ordonnaqu'onluiamenâtleprisonnier,quivintentremblantetlesyeuxremplisdelarmes;illuidonnatrois

coupesdevin,etluidemanda:Quedis-tumaintenant?quellemerveillevais-jevoir?Kergsarréponditauprince:

Omaîtredelacouronne,roiaucœurdelion!àlaprochainestationtuserasattaquépardeslions,aux griffes

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desquelslecrocodilenerésistepas;etl'aiglecourageux,sivaillantqu'ilsoit,n'osepasvolerau-dessusdela

routedeslions,Isfendiar,aucœurserein,semitàsourire,etluidit:OTurc infortuné,tuverrasdemaincomme

jeseraibraveenfacedeslionsetenlescombattant.

Lorsquelanuitfutdevenueprofonde,leroiordonnaàl'arméedequittercelieu,etarméesemitenmarchedans

lesténèbresetencélébrantselouanges.Quandlesoleileutconvertile sombre voiledelanuitenunvoilede

brocartjaune,leSipehbedarrivaaulieuducampementdesbravesetdanslaplaineoùildevaitcombattreleslions

;ilfitappelerBeschouten,luidonnadesconseilssansnombre,etluidit:Jeteconfiecettenoblearmée,etje

parspourlivrercombat.

Alorsilpartit,etlorsqu'ilfutprèsdeslionslemondedevintsombredevantleursâmes.L'unétaitunmâleet

l'autreunefemelle;ilsarrivèrentsurluivaillammentetbravement.Lemâles'étantapproché,Isfendiarlefrappa

d'uncoupd'épéequidonnaàsafacelacouleurducorail,etlefenditendeuxdepuislatêtejusqu'aumilieududos

;lecœurdelalionnefutremplideterreur,maisellebonditcommeavaitfaitlemâleets'élançasurlui;lehéros

lafrappadesonépée,etfitroulersatêtedanslapoussière.Lamainetlapoitrineduhérosétaientcouvertesde

sang;ilsejetadansl'eauetselavalatêteetlecorps,endemandantdel'aideàDieuseul,letrèssaint.Ildit

aumaîtresuprêmedelajustice,autrèssaint:C'esttoiquiastuécesbêtesfauvesparmamain.

Pendantcetempslestroupesétaientarrivées;Beschoutenregardalespoitrinesetlesmembresdeslions,et

toutel'arméerendithommageàIsfendiaretl'appelaleprinceleplusillustredelaterre.Ensuitelehérosqui

leuravaitservideguideserenditautentesducamp;ondressalestables,etlechefdel’armée,àl'espritpur,

fitapporterdesmetsdélicats.

TROISIÈMESTATION.—ISFENDIARTUELEDRAGON.

AlorsIsfendiarordonnaqueleméchantetmalheureuxKergsarparûtdevantlui.Illuidonnatroiscoupesdevin

couleurderubis,etquandlescoupesdevineurentégayécetAhriman,illuidit:Ohommemalheureuxetmisérable,

révèle-moi ce que tu saisde ce que je dois voir demain. Il répondit : O roi, dont la grandeurdépassetoute

grandeur,quetoutmalsoitloindetoi!Tut'esélancétoutd'uncoupcommelefeu,etc'estainsiquetuaspassé

parcesdangers;maistunesaispascequeturencontrerasdemain!Aiepitiédelafortunequiveillesurtoi!

Quandtuarriverasdemainàlastation,tutrouverasdevanttoiundangerbienplusgrand:ilviendraàtarencontre

undragonterrible,quiattireavecsonhaleinelepoissondelamer,dontlesoufflebrûlantmettoutenfeu,dontle

corpsestunemontagnederoche.Tuferaismieuxdet'enretourner,ettonintelligenceattesteraquececonseilest

bon.Tuneteménagespastoi-même,maisménagedonccettebellearméequetuasrassemblée.Isfendiarluirépondit:

Ohommedemauvaisenature,jetetraîneraiavecmoidansteschaînes,ettuverrasquedanslecombatledragon

n'échapperapasàmonépéetranchante!

Ilordonnaalorsqu'onamenâtdescharpentiersetqu'onapportâtdespieuxsolidesetlourds;ilfitfaireun

bonchariot de bois, qu'on garnit tout autour d'épées, et sur lequel onplaçaunebellecaisse.Lescharpentiers

ingénieux construisirenttoutcela;leprinceambitieuxdelacouronnedevaits'asseoirdanslacaisseetatteler

devantdeuxnobleschevaux.Ils'assitdanslacaissepourfaireunessai,etsefittraînerainsipendantquelque

tempsparleschevaux,revêtud'unecottedemailles,tenantenmainuneépéedeKabouletlatêtecouvertedeson

casquedehéros.Quandleprinceeuttoutpréparépourlecombatcontreledragonetqu'ileutachevécetravail,le

mondedevintnoircommelevisaged'unnègre,etlalunemontrasontrôneplacéausignedeBélier.Isfendiars'assit

sursonchevalSchoulek,etpartit,suiviparsonarméeillustre;lelendemain,quandlemondefutpleindelumière

etqueledrapeaudelanuitsombreeutdisparu,Beschoutenseprésentadevantleprinceavidederenom,accompagné

desgrandsetdesesparents.Lehérosmaîtredumonderevêtitsacottedemailles,etconfiaaufortunéBeschouten

lecommandementdel’armée;cethommeaucœurdelionfitamenerlechariotetlacaisse,etlevaillantrois'y

assit;onyatteladeuxnobleschevaux,etilsedirigearapidementducôtédudragon.Celui-cientenditdeloinle

bruitdesrouesetvitbondirleschevauxardents;ilarriva,semblableàunemontagnenoire;tuauraisditqu'il

obscurcissaitlesoleiletlalune;sesdeuxyeuxétaientcommedeuxfontainesrempliesdesangbrillant,etlefeu

sortait de sa gueule. Il ouvrit une bouche qui ressemblait à unecaverne noire, et jeta un regard furieux sur

Isfendiar, qui, àl'aspect de ce monstre, demanda la protection de Dieu et retint sarespiration. Les chevaux

cherchaientàsesoustraireàl'attaquedudragon;maisillesaspiraavecsonsouffleetlesengloutitainsiquele

chariot.Lehéros,quisetrouvaitdanslacaisse,devintinquiet;maislesépéesentrèrentdanslagueuledudragon

et s'yfixèrent;ilvomituntorrentdesangetneputsedégager,carlesépéesétaientcommedeslames,etsa

gueulecommeleurfourreau.Ilétaitembarrasséduchariotetdesépées,etsaforcecommençaitàfaiblir;alorsle

hérossortitdelacaisse,tenantdanssamaindelionuneépéetranchante;etluifenditlecrâne.Lesexhalaisons

duveninrépandus'élevaientdelaterreetétourdirentIsfendiar;iltombacommeunemontagneets'évanouit.

CependantBeschoutenlesuivaitetarrivaitavecsonarméenombreuse;ileutpeurqu'unmalheurn'eûtatteintle

prince;soncœursegonfladesangetsonvisagesecouvritdelarmes;toutel'arméeéclataenlamentations,tous

mirentpiedàterreetabandonnèrentleurschevaux.Beschoutenaccourutetluiversasurlatêtedel'eauderose,et

leprince,quiambitionnaitlapossessiondumonde,ouvritlesyeuxetditàcesguerriersquiportaienthautlatête

:Lesexhalaisonsdupoisonm'ontfaitévanouir,maisjen'aireçuaucuneblessure.Ilselevaets'approchadel'eau,

commeunhommeivredesommeil;ildemandaàsontrésorierunvêtementfrais,entradansl'eau,etselavalatêteet

lecorps.Ils'adressaàDieu,letrèssaint,touttremblant,etserouladanslapoussière,s'écriant:Quiauraitpu

tuercedragonsansêtresoutenuparleMaîtredumonde?Toutel'arméerenditgrâceàDieu,enseprosternantdevant

ledispensateurdelajustice;maisKergsarfutpleindedouleurdecequ'Isfendiar,qu'ilavaitcrumort, était

encorevivant.

QUATRIÈMESTATION.—ISFENDIARTUELAMAGICIENNE.

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Leroifitplacerl'enceintedesestentessurleborddel'eau,ettoutel'arméedressalessiennesautourde

lui.Ilfitmettreduvinsurlatableetinvitadesconvives;ilbutdeboutàlasantédeGuschtasp,lemaîtredu

monde.Ensuiteilordonnaqu'onamenâtensaprésenceKergsar,quiétaitblesséaucœuretmarchaitentremblant;il

luidonnadeuxcoupesdevinroyal,souritetluiparladudragon, disant: Ohommevildecorpsetsansvaleur,

regardecevaillantdragonquienveloppaitsesvictimesavecsaqueue,etdis-moicequiseprésenteraàlastation

prochaine,etquellesnouvellesfatiguesetquelsdangersj'auraiàsubir.

Kergsar répondit: O roi victorieux, puisse ta bonne étoile te servir ! Demain, quand tut'arrêteras à la

station, tu seras salué par une magicienne qui a vubien des armées avant celle-ci, et dont le cœur n'a jamais

tremblédevantpersonne.Quandelleveut,elleconvertitenmerledésert,etfaitdescendreàl'horizonlesoleil

quiestauzénith,Onluidonne,ôroi,lenomdeGhoul.Netelaissepasentraînerdanssesfiletsparlafouguede

tajeunesse.Retournedansl'Iran,contentd'êtrelevainqueurdudragon;carilnefautpasmettretagloireen

péril. Isfendiar, qui ambitionnait la possession du monde, luidit: O homme méchant et impudent, tu raconteras

demain ce que tu me verrasfaire, car je traiterai cette magicienne de manière à briserle dos et le cœur aux

magiciens.Parlavictoirequ'accordeDieu,l'unique,ledispensateurdelajustice,jemettrailatêtedesmagiciens

sousmespieds.

Lorsquelejoureutrevêtusatuniquepâle dusoir,etquelesoleil,quiéclairelemonde,futdescenduversle

couchant,Isfendiarmitenroutesonarmée,fitchargerlesbagages,etadressauneprièreàDieu,dequivienttout

bien.Leroifitmarcherl'arméependanttoutelanuit,etlorsquelesoleilélevasoncasqued'or,semblableàun

rubisdanslesigneduBélier,lasurfaceentièredelaterresourit,etIsfendiarremitlecommandementdel'arméeà

Beschouten;ilpritunecouped'or,demandaunebelleguitare,etseparacommepourunefête,luiquiallaitlivrer

uncombat.Ilvituneforêtsemblableauparadis;tuauraisditqueleciels'étaitconvertienunetulipe;onn'y

apercevaitpaslesoleilàtraverslesarbres,etpartoutonvoyaitdessourcesdontl'eauétaitpareilleàl'eaude

rose.Ildescenditdecheval,commel'endroitleméritait,choisitdanslaforêtlebordd'unefontaine,pritdanssa

mainlacouped'or,etquandilsesentitégayéparlevin,ilappuyalaguitarecontresapoitrineetse mit à

chanterdetoutesonâme.Ildit:LemalheureuxIsfendiarnevoitjamaisdevin,n'apointdecompagnonspouren

boire, nerencontrequedeslionsetdesdragonsvaillants,n'estjamaisdélivrédesgriffesdumalheur,n'éprouve

jamaisunpeudeplaisirencemondeparlavued'unebelleauvisagedePéri,etDieuaccompliraittouslesdésirs

de son cœur, s'il voulait lui donnerune de ces femmes dont le traits ravissent l’âme, dont la statureégale le

cyprès,dontlevisagebrillecommelesoleil,dontlescheveuxdemuscdescendentjusqu'auxpieds.

Lamagicienneentenditlesparolesd'Isfendiar,ets'enépanouitcommelaroseauprintemps;ellesedit:Voici

unlionquiestentrédansmesfilets,paré,chantant,etunecoupepleinedans la main. Cette créature impure,

pleinederidesethideuse,semitàécriresesformulesdemagiedanslesténèbres,etsechangeaenunebellefille

turque,avec des joues comme de brocarts de Chine et des cheveux noirs commele musc. Elle s'approcha ainsi

d'Isfendiar,lesdeuxjouessemblablesàunjardinderoses,etdesfleursdanslesein.Quandleprincel'aperçut,

ilchantaplushaut,jouaplusgaiementetbutdavantage,disant:ODieu,l'unique,ledistributeurdelajustice,tu

esleguidedanslamontagneetdanslaplaine!Jeviensdedésirerqu'unefilleauvisagedePériviennemerendre

heureuxdanscetteforêt,etvoiciqueleCréateurmeladonne,queleDistributeurdelajusticemel'accorde!Que

moncœuretmonâmel'adorent!

Illui donna une coupe remplie d'un vin parfumé de musc, et ses jouesen devinrent couleur de rubis. Or il

possédait une belle chaîned'acier,qu'iltenaitprête,maiscachéedevantlamagicienne.Zerdouscht, qui l'avait

apportéeduparadispourGuschtasp,laluiavaitattachéeaubras.Leprincelançacettechaîneautourducoudela

magiciennedemanièreàluienleversesforces.Ellepritlaformed'unlion,maisiltirasonépéeetluidit:Tu

nepeuxmefairedumal,quandmêmetuauraislepouvoird'entasserdesmontagnesdefer.Reprendstaformeréelle,

etjevaistedonnermaréponseavecmonépée.Alorsparut,prisedanslachaîne,unevieillefemmepuante,caduque,

dontlatêteetlescheveuxétaientblancscommelaneige,etlevisagenoir,etIsfendiarlafrappad'uncoupdeson

glaivetranchant.Puisses-tunejamaisvoirunepareilletêteetunpareilsein!

Aumomentoùlamagicienneexpira,lecieldevintsombre,desortequelesyeuxnevoyaientplus;unorage

s'éleva,etunepoussièrenoirerenditinvisibleslesoleiletlalune.Isfendiarmontasurunehauteuretpoussaun

cricommeletonnerrequiéclate.Beschoutenaccourutavecl'armée,etdit:Oroiglorieux!nilescrocodiles,ni

lesmagiciens,nileslions,nilesloups,nilesléopardsnerésistentàtescoups.Puisses-turesterainsi,portant

hautlatête,carlemondeabesoindetaprotection!Maislesvictoiresd'Isfendiarmettaientenfeulatêtede

Kergsar.

CINQUIÈMESTATION.—ISFENDIARTUEUNSIMOURGH.

Leprince,quiambitionnalapossessiondumonde,seprésentadevantleCréateur,etrestalongtempslefront

prosternécontreterre;ensuiteilfitdressersestentesdanslaforêt,etl'oncouvritunetabledetoutcequi

étaitnécessaire.Ilordonnaàl'exécuteurdeshautesœuvresdeluiamenerlemalheureuxKergsar;onl'amena,et

lorsqueIsfendiarlevit,illuidonnatroiscoupesdevinroyal.Kergsarfutréjouiduvincouleurderubis.Le

princeluidit:OTurc infortuné,regardelatêtedelamagiciennesurcegibet.Tum'avaisditqu'ellejetterait

monarméedanslamer,etqu'elleélèveraitsapropretêtejusqu'auxPléiades.Maintenantdis-moicequejeverraià

laprochainestation,puisquenousavonsvucequevalaitlamagicienne.

Kergsar lui répondit : O toi qui es un éléphant deguerre au jour du combat ! à cette station tu trouveras

quelquechosedeplusdifficile;réfléchis-ybien,etsoissurtesgardesplusquejamais.Tuverrasunemontagne

dontlacimeestdanslesnuages;c'estlàquedemeureunoiseaupuissant;lesvoyageursl'appellent simourgh,

c'estcommeunemontagneailéeetavidedecombat.S'ilvoitunéléphant,ill'emportedanssesserres;ilenlèvede

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lameruncrocodile,etdelaterreunléopard,etn'aaucunepeineàlesporter.Nelecomparepasauxloupsouàla

magicienne.Iladeuxpetitsquisontgrandscommelui,etilsagissenttoujoursdeconcert.Quandils'élancedans

lesairsetétendsesailes,laterreperdsesforcesetlesoleilsamajesté.Situt'enretournaismaintenant,tuy

gagnerais;cartunepeuxluttercontrelesimourghetlahautemontagne.Lehérosaucœurpuissantsouritetdit:O

prodige!jeluiclouerailesdeuxépaulesaveclespointesdemesflèches,jeluifendrailapoitrineavecmonépée

indienne,jeferairoulerdanslapoussièresatêtesihaute.

Lorsquelesoleilbrillantbaissaetquesondospesasurlecouchant,lechefdesbravesmitenmarchel'armée,

enréfléchissantsur ce qu'il avait entendu dire du simourgh. Ilaccompagnal'arméependanttoutelanuit;mais

lorsquelesoleils'élevaau-dessusdesmontagnes,queleflambeaudumonderajeunitlaterreetchangeal'aspectdes

valléesetdesplaines,ilremitlecommandementdel'arméeàBeschoutenetpartitavecseschevaux,sacaisseetson

chariot.Lepuissantprincepartitrapidecommelevent,etvitunemontagnedontlacimes'élevaitjusqu'auciel;il

plaçaseschevauxetsonchariotdansl'ombredelamontagne;sonesprits'abandonnaàsespensées,etilpriaDieu,

l'unique,parl'ordreduquellemondeestné.Quandlesimourghaperçutd'enhautlacaisseetqu'ilentenditauloin

lebruitdel’arméeetlesondesclairons,ils'élançadesonrocher,commeunnuagenoir,etlesoleiletlalune

disparurent. Il voulutsaisiravecsesserreslechariot,commeunléopardsaisitsaproie;maisilenfonçales

épéesdanssesdeuxailesetsesdeuxailerons,etsaforceetsamajestéypérirent.

Pendantquelquetempsilfrappaaveclebecetlesgriffes;maisàlafinilfutépuiséetsetinttranquille.

Quandsesdeuxpetitsvirentlesimourghpousserdescrisetverserdeslarmesdesang,ilss’envolèrentdecelieu,

demanièrequeleurombreaveuglaitlesyeux.Lorsquelesimourghfutaffaibliparsesblessures,etqu'ileutinondé

desonsangleschevaux,lacaisseetlechariot,Isfendiarsortitdelacaisse,poussantdescrisdetonnerre,armé

pourlabataillecouvertd'unecottedemaillesettenantuneépéeindienne.Commentunoiseaupourrait-ilrésister

aucrocodile?Ilfrappalesimourghdesonépée,jusqu'àcequ'ill'eûtcoupéenmorceaux;etc’estainsique.

péritlepuissantoiseau.Isfendiars'adressaauMaîtredelalune,quiluiavaitdonnélaforcedevaincretousles

dangers,etdit:OJugesuprême.quidistribueslajustice,maîtredelapureté,delaforceetdetoutevertu!

c'esttoiquiarenversélesmagicien,c'esttoiquiasétémonguideverscettenouvellevictoire.

Dans ce moment les trompettes résonnaient, etBeschouten arrivait avec les tentes, avec les armes, avec ses

frères,avecl'armée,avecsesfilsetaveclesgrandsdel'Iran,quiportaientdescouronnesetdesceintures.La

plaineavaitdisparusouslesimourghmort;onnevoyaitquesoncorpsetsesserressanglantes;laterre,n'était

quedusangd'unemontagneàl'autre,etlesailesdel'oiseauétaientsigrandesqu'onauraitditqu'iln'yavait

pasdeplaine.LesIraniensvirentleroitoutcouvertdesang;ilauraiteffrayélalune;etleurschefs,les

vaillants cavaliers, et les héros lui rendirent hommage. Kergsarapprit sur-le-champ que le roi illustre avait

remportélavictoire;soncorpssemitàtrembler,sonvisagedevintsombre,iléclataenlarmes,etsoncœurfut

rempli de douleur. Le jeune roi fit dressersestentes,etlesbravesetleshéroscampèrentautourdelui;on

étenditsurlesoldestapisdebrocart,etilssemirentàtableetburentduvin.

SIXIÈMESTATION.—ISFENDIARTRAVERSELESNEIGES.

EnsuiteIsfendiarfitamenerentoutehâteKergsar;illuidonnacoupsurcouptroiscoupesdevin,etsesjoues

devinrentcommelafleurdufenugrec.Isfendiarluidit:Ohommemauvaisdecorpset d'âme,regardecequefaitle

monde. On ne voit plusdesimourgh,nidelion,nideloup,nideterribledragonauxgriffesaiguës;quidonc

jetteralaterreurdanslastationprochaine,etyaura-t-ildel'eauetdel'herbepourleschevaux?Kergsarlui

réponditàhautevoix:OillustreetfortunéIsfendiar!iln'yauraitriend'étonnantàcequetut'enretournasses

maintenant;ilfautquetuprenneslamesuredetafortune.Dieut'aétéenaidejusqu'ici,ôfavoridelafortune,

etcetarbreroyalaportéfruit;maisdemaint'attendundangerencomparaisonduquelunhommevaillanttiendrait

pourrienunjourdebataille.

Tun'ypenserasniàtamassue,niàtonarc,niàtonépée;tun'ytrouverasniportepourlecombat,nivoie

pour lafuite. Tu auras de la neige haut comme une lance, tu te trouveras enface d'un sort invincible, et tu

resteras,ônobleIsfendiar,danslaneigeavectonarméeglorieuse.Ilestnaturelquetut'enretournes,etilne

fautpasm'envouloirdecequejedis:tudeviendraislemeurtrierdetonarmée.Turéfléchirasdoncetprendras

uneautreroute;carilestcertainpourmoiquel’orageferatomberteshommescommedesfruitsquitombentde

l'arbre.Ensuite,quandtuserasarrivédanslaplaine,tuaurasdevanttoiunemarchedetrentefarsangsàtravers

dessablesbrûlants,delapoussièreetdesterresstériles,surlesquelsnilesfourmis,nilesserpents,niles

sauterellesnepassent;tun'ytrouverasnullepartunegoutted'eau,etlesolybouillonnesousl'ardeurdusoleil

;aucunchevalnepeutpassersurcetteterre,aucunaigleauxailesrapidesnepeuttraverserceciel;danscesoi

stérileetcessablesnepousseaucuneherbe,etlaterren'yestqu'unsablemouvantcommelapondredetutie.

Tuaurasàparcourirdecettemanièrequarantefarsangs,sanspouvoirporterdebagagessurdeschevaux,etavec

unearméedécouragée.Delàtonarméearriveradevantlechâteaud'airain,ettun'ytrouveraspaslamoindreombre;

c'estuneterredépourvuedetout,etunchâteaudontlescréneauxconversentensecretaveclesoleil.Horsdesmurs

aucunanimalnetrouveradelanourriture,etpasuncavalierdel'arméen'yarriveramonté.Sicentmillebraves,

accoutumésàfrapperavecleursépées,venaientdel'IranetduTouran,restaientcentanscampésautourduchâteau

et y faisaient pleuvoir des flèches,ce serait en vain ; leur nombre, petit ou grand, serait indifférent, car

l'enneminepeutpasfaireàœchâteauplusdemalquel'anneaudelaporte.

LesIraniens,àcetteannoncedemalheur,furentremplisd'inquiétude;ilsdirent:Onobleroi,net'approche

pasinutilementdudanger;siKergsaraditvrai,etcelaserabientôtapparent,nousneserionsvenusiciquepour

périr,etnonpaspourchâtierlesTurcs.Tuastraversécetteroutedifficile,tuassoutenulesattaquesdesbêtes

féroces;aucundeshommeslesplusillustresetdesroislesplusvaillantsnepeutsevanterd'avoirsupportédes

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fatigues comme celles que tu as trouvées du cessept stations. Rends-en grâce à Dieu, et quand tu seras revenu

victorieux de cette route, présente-toi, heureux et le cœur en joie,devant ton père, Quand tu recommenceras la

guerreparunautrechemin,toutlepaysdeTouransesoumettraàtoi.AprèslesparolesdeKergsar,ilnefautpas

mépriseràcepointlavie,etaprèstesvictoiresettesjoies,ilnefautpasquetudonnesauventtatête.

Acesparoles,levisageheureuxd'Isfendiars'assombrit,etilditauxhéros:Etes-vousvenusdel'Iranpourme

donnerdesconseils?N'êtes-vouspasvenuspourgagnerungrandrenom?Oùsontdonctouslesprésentsduroiet

toussesconseils?Oùsontlesceinturesd'oretlesdiadèmesd'or,oùsonttoutesvospromesses,vossermentsetce

quevousavezjuréparDieuetparlesastresquidonnentlafortune,pourquevospiedssoientfatiguésetquevos

résolutionssesoientévanouiessurlaroute?Retournez-vous-endoncheureuxetvictorieux;maismoi,jenecherche

autrechosequelecombat.PuisquevotrecœurestdécouragédelabatailleparlesparolesdecevilDiv,jeneveux

plusd'aucundevouspourcompagnon,etmesfilsetmesfrèresmesuffiront.LeMaîtrevictorieuxdumondeestmon

soutien,etjeportedansmonseinmonétoile.Jejureparmabravourequ'aucundevousnem'accompagnera,et,queje

tueouquejesoistué,jemontreraiàl'ennemicequepeuventlavaleurvictorieuseetlaforéedesmains;etvous

aurezsansdoutedesnouvellesdemagloireroyale,etdecequej'auraifaitdecechâteauavecmesmainsetma

force,etaunomduMaîtredeSaturneetduSoleil.

QuandlesIraniensjetèrentlesyeuxsurlui,ilsvirentsonvisagepleindecolère;ilss'avancèrentversle

roipours'excuser,disant:Puisse-t-ilplaireauroidepardonnercettefaute!Quenoscorpsetnosâmessoientta

rançon,telaétédetouttempsnotreengagementenverstoi;noussommesinquietsdelavieduroi,maisnousne

sommespasdécouragésdesluttesetdesbatailles.Aussilongtempsqu'unseuldesgrandsseraenvie,personne ne

refuseralecombat.LeSipehbedlesécouta,etcessadeleuradresserdesparolesirritées;illesbénitetleur

dit:Jamaisleshautsfaitsnerestentobscurs;quandnousseronsrevenusvictorieux,nouscueilleronslesfruits

denosfatiguespassées;toutesvospeinesserontoubliées,maiscertainementvostrésorsneresterontpasvides.

Ilcontinuaàseconsulter aveclesgrands,jusqu'àce quel'airserefroiditetqu'ilvintdelamontagneun

vent léger ; alors la voixdestrompettessefitentendresouslaporteducamproyal,etl'onmit en route les

troupes,quimarchèrentrapidementcommelefeu,eninvoquantlenomduCréateur.Lorsquel'auroreeutparuau-dessus

desmontagnes,quelanuiteutenveloppésatêtedanssonvoilefroid,etcachésafacedevantlesoleilbrillantqui

lasuivait,cettetroupenombreuse,arméedemassuesetdejavelots,arrivaàlastation.C'étaitunebellejournée

de printemps, qui réjouissait le cœur et paraît laterre ; le Keïanide ordonna de dresser les tentes et leurs

enceintes,ilfitcouvrirdemetsunetableetapporterduvin.

Danscemomentvintdelamontagneunventsiviolentquelecœurduprinceillustreenfuteffrayé.Lemonde

entierdevintnoircommel'aileducorbeau,etl'onnedistinguaitpluslaplainedesvallées;lamontagneétait

obscurcieparlaneige.,etlaterreenfutcouverte;unventterriblesouffla,etpassasurlaplaine, pendant

troisjoursettroisnuits,avecuneviolenceextrême.Lestentesetleursenceintesétaientpénétréesd'humidité,et

lefroidnelaissaitdeforcesàpersonne.L'airétaitcommelachaîneetlaneigecommelatrame,etleSipehdarne

savaitplusquefaire.IlditàhautevoixàBeschouten:Notrepositiondevientinquiétante.Jemesuisbravement

présentédevantl'haleinedudragon,maisicilaforced'unhérosnesertàrien.PrieztousDieu,adressez-vousà

lui,célébrezsagloire,peut-êtredétournera-t-ildenouscesmaux;sinonaucundenousnefoulerapluslaterre.

Beschouten se présenta devant Dieu, le guidedans le bonheur et dans le malheur ; toute l'armée leva des mains

suppliantesetfitdesprièresinfinies.Sur-le-champunventdouxseleva-etchassalesnuages,etl'airredevint

serein.LesIraniensreprirentcourageetrendirentgrâceàDieu.

Leshérosrestèrentencoretroisjoursdanscelieu;maislequatrième,lorsquelesoleilquiilluminelemonde

parut, leSipehbedconvoqualesgrandsetleurfitbeaucoupdediscourssages,disant:Laissezicivosbagages,

n'emportezquevosarmesdecombat.Quetousceuxquisonthommesdesensetquipossèdentcentbêtesdesommeen

chargentcinquanted'eauetdevivres,etlesautresd'ustensilesdeménage;laissezicilerestedevosbagages,

carlaportedescombatss'ouvrepournous.Quiconquecessed'espérerenDieunedoitpluss'attendreàbeaucoupde

bonheur ;c'estparlaforcequeDieunousadonnéequenousvaincronscethommequifaitlemaletquiadoreles

idoles.Voustousdeviendrezrichesdanscechâteau,vousaureztousdestrésorsetdesdiadèmes.

Lorsquelesoleileutplacélevoilepâle dusoirsursatête,etquelecouchantfutdevenurougecommelafleur

dufenugrec,tousleshérosfirentleursbagagesetpartirentavecleroidupeuple.Quandunepartiedelanuitfut

passée,onentenditdanslesairslavoixd'unegrue;Isfendiarfutsaisid'étonnementàcebruit,etenvoyadireà

Kergsar:Tuasprétenduqu'iln'yavaitpasd'eausurcettestation,etquenousn'ytrouverionspasdeplacepropre

aureposetausommeil;maintenantonentenddansleciellavoixd'unegrue:pourquoinousas-turendusinquiets

pourdel'eau?Kergsarrépondit:Apartird'ici,leschevauxnetrouverontquedessourcesd'eausaumâtre;tu

rencontrerasencoredessourcesd'uneeauamèrecommedupoison,etlesoiseauxetlesbêtesfauvesn'enont pas

d'autre.Leroidit:J'aiprisdansKergsarunguidequichercheànousperdre,ParsuitedesparolesdeKergsar,il

fitmarcherl'arméeplusrapidement,enadressantdesprièresàDieu,ledistributeurdetoutbien.

SEPTIÈMESTATION.—ISFENDIARTRAVERSEL'EAUETTUEKERGSAR.

Quanduneveilledelanuitsombrefutpassée,delatêtedelacolonneonentenditdesclameursconfuses.Le

jeuneroimontasurundestrier,serenditducentredel'arméeàl'avant-garde,et,ayantdépassélestroupes,il

vit une masse d'eauprofondeetdontonn'apercevaitpasl'autrerive.Undromadairedelacaravane,quelechef

faisaitmarcherlepremier,s'étaitenfoncédansl'eau;leSipehbedsehâtadelesaisirparlesdeuxcuissesetde

le retirer de la vase, et le malveillant Turc de Djiguiltrembla. Isfendiar ordonna d'amener Kergsar, chargé de

chaînes,humilié,lecœurblessé,etluidit:Vilimposteur,captifentremesmains,nem'as-tupasditquejene

trouveraispasd'eauici,quel'ardeurdusoleilmeconsumerait?Pourquoias-tureprésentél’eaucommedelaterre,

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e tprédit la perte de toute l'armée ? Kergsarrépondit : La destruction de ton armée serait pour moi une joie

brillantecommelesoleiletlalune.Qu'ai-jereçudetoi,sicen'estdesfers?Quepuis-jedésirerpourtoi,si

cen'estlemalheuretlaruine?

LeSipehbedsouritetleregarda;ceTurcl’étonnait,maisilneluimontrapasdecolère;illuidit: O

Kergsar,hommedepeudesens!quandjeseraivictorieuxdanscetteguerre,jeferaidetoilemaîtreduchâteau

d'airain.ADieuneplaisequejamaisjetefassedumal!Toutl'empireseraàtoisitumedislavérité.Jene

feraidumalniàtesenfantsniauxhommesdetonpaysetdetonalliance.Kergsarécoutacediscoursduroiqui

remplitd'espoirsonâme;dansl'étonnementqueluicausaientcesparoles,ilbaisalaterreetdemandapardonà

Isfendiar.Leroirépondit:Jetepardonnecequetuasdit;tesvainesparolesn'ontpuconvertirenterrecette

eau;maisoùsetrouveleguédecettemerd'eau?ilfautquetumemontreslevraichemin.Kergsarrépliqua:Une

flècheailéenepourranagerdansl'eauquandelleestchargéed'unfer.Lehérosrestastupéfait,etledélivraà

l'instantdeseschaînes.

Kergsarentradansl'eau,tenantundromadaireparlabride,etmarchadansunendroitoùl'eau,peuprofonde,

permettaitlepassage:l'arméelesuivitàlafile.LeSipehbedfitremplird'airentoutehaielesoutresàeau,

qui,ainsiallégées,servaientdemoyensdetransportsurl'eau,ettoutel'arméepassa.Quandles.troupesetles

bagageseurentatteintlaterre,etquel'ailedroiteetl'ailegauchefurentégalementformées,l'armées'avança

vers lechâteaud'airain,dontelleétaitencoreéloignéededixfarsangs.Alorslechefdel'armées'assitpour

manger, et ses serviteurs setinrentdevantlui,lescoupesdevinenmain.Lelionsefitapportersa cotte de

mailles,soncasque,sacuirasseetsonépée;ensuitelehéros,heureuxdesonsuccès, ordonna qu'on lui amenât

Kergsar,àquiildit:Maintenantjesuissauvé;quantàtoi,ilfaudraittebienconduireetparlerselonla

vérité.Quandj'auraiséparédesoncorpslatêted'ArdjaspetréjouiparsamortlesmânesdeLohrasp;quand,pour

vengermongrand-père,j'auraitranchélatêteàKehrem,quiaremplidesangetdedouleurlecœurdemonarméepar

lemeurtredeFerschidwerd;etàEnderiman,quiatuétrente-huitdenosgrandsdansunmomentdesuccès;quand

j'auraiassouvimarancunedetoutemanière,quandj'auraifaitdecepayslaproiedeslions,quandjel'aurailivré

aubonplaisirdesIraniens,quandj'auraipercédemesflècheslecœurdesTouraniensetemmenéencaptivitéleurs

femmesetleursenfants,alorsseras-tucontentoumécontent?Dis-moitoutcequetuasdanslecœur.

LecœurdeKergsarsegonfla desang,sonespritetsalanguedébordèrentdecolère,etilrépondit:Jusqu'où

continueras-tuàparlerainsi?Puisses-tuêtremaudit,puissenttouslesastresdemalheursecombinercontreta

vie,puissetonflancêtredéchiréparl'épée,toncorpssanglantêtrejetésurlesol,laterreteservird'oreiller

etlatombedechemise!Lerois'irritadecesparoles;ils'élançacontrelemalheureuxKergsar,lefrappasurla

têteavecsonépéeindienne,etlefenditendeuxdepuislecrânejusqu'àlapoitrine.Onlejetasur-le-champdans

l'eau,etlecorpsdecethommehaineuxdevintlaproiedespoissons.

EnsuiteIsfendiarmontasursondestrieretrevêtitsonarmure,encoretoutencolère;ilgravitunehauteuret

regardalechâteau:ilvitunmagnifiquemurdeferenfermantunespacelongdetroisfarsangsetlargedequarante,

etdontaucunepartien'étaitconstruiteavecdel'eauetdelaterre;l'épaisseurdelamurailleétaittelleque

quatrecavaliersdefrontpouvaientcourirdessus.Isfendiarregardacettemerveille,etunsoupirs'échappadesa

poitrine ; il dit : Cette place estimprenable ; j'ai choisi une mauvaise route, et elle me conduit aumalheur.

Hélas,toutesmesfatiguesetmesluttes!J'auraidoncàmerepentirdetoutesmespeines!Ilregardaautourdelui

dansledésert,etvitdeuxTurcchevaucherdanslaplaine,précédésdequatrechiensdel’espècequiprendlegibier

àlacourse.Isfendiardescenditdelacolline,tenantenmainsalancedecombat;aveccettelanceilenlevales

deuxhommesdedessusleurschevaux,etlesramenaàpiedsurlahauteur.Illeurdemandaquelleétaitcettebelle

forteresse etcombien elle contenait de cavaliers. Ils lui parlèrent longuementd’Ardjasp et luifirentla

descriptionduchâteau,ajoutant:Regardecechâteau,commeilestlargeetprofond;unedesesportesouvresurla

terred'Iran,etl'autresurleterritoiredelaChine;ilcontientcentmillehommesquifrappentdel'épée,tous

des cavaliers fiers et illustres, tous se tenant devant Ardjaspcomme des esclaves,baissantla tête devant ses

ordresetsavolonté.Onytrouvedesvivressansmesure,etquandiln'yenaplusdefrais,ilyaduvieuxblé

conservéenépis.Sileroitenaitlesportesferméespendantdixans,ilyauraitautantdevivresqu'ilenfaudrait

àsonarmée;ets'ildemandaitdescavaliersdanslaChineetleMadjin,illuienarriveraitcentmillehommesde

troupesrenommées.Iln'abesoinderiendelapartdepersonne,cariladesvivresetdeshommespourladéfense.

Isfendiarsaisitsoudainsonépéeettuacesdeuxbraves,simplesdecœur.

ISFENDIARS'INTRODUITDANSLECHATEAUD'AIRAIN,DÉGUISÉENMARCHAND.

DelàIsfendiarserenditàsoncamp,etl’onrenvoyadesatentetouslesétrangers.Beschoutenentrachezlui,

etilsdiscutèrentdetoutemanièresurlecombatqu'ilsavaientàlivrer.Lehérosdit:Cechâteaunetomberaitpas

entrenosmainsparlaforcependantbiendesannées;ilfautdoncquejerisquemavieetquej'essayeuneruse

contremesennemis.Tuveillerasicijouretnuitetgarantirasl’arméecontreunesurprisedel'ennemi. Un homme

n'estdigned'honneursetpropreàl'empireetautrônedupouvoirquelorsqu'ilnecraintlecombatnicontretoute

arméequis'avance,nicontreleléoparddanslamontagneetlecrocodiledansl'eau.Ilemploietantôtla ruse,

tantôtlaforce;tantôtilestenhaut,tantôtilestenbas.J'entreraidanscechâteau,déguiséenmarchand,etne

dirai àpersonne que je suis un Pehlewan, je me servirai de tout moyen,j'emploierai toute sorte de savoir. Aie

toujours des sentinelles,envoie sans cesse des vedettes, ne te relâche d'aucune précaution ;si tes sentinelles

voientdelafuméependantlejour,oupendantlanuitunfeuquiéclairelemondecommelesoleil,sachequec'est

monœuvre,etnonpasunmoyenemployéparmesennemis.Alorsmetsenordretestroupesetfais-lespartird'ici,

arméesdecottesdemailles,decasquesetdelourdesmassues;déploiesur-le-champmondrapeau,place-toiaucentre

de l'armée, avance-toi rapidement, lamassue à tête de bœuf en main, et agis de manière qu'on te prennepour

Isfendiar.

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Ensuiteilappelalechefdeschameliers,lefitmettreàgenouxdevantBeschoutenetluidit:Préparecent

chameauxdecharge,aupoilroux,àlatêtehaute,desbêtessuperbes.Ilenchargeadixd'or,cinqdebrocartde

Chineetcinqautresdejoyauxdetouteespèce,d'untrôned'oretd'unecouronned'ungrandpoids.Ilfitapporter

quatre-vingtspairesdecaissesdontlesfermeturesn'étaientpasvisibles,etchoisitparmiseshéroscentsoixante

hommesquicertainementnetrahiraientpassonsecret.

Ilplaçaceshérosdanslescaisses,fitchargerlesbagagesetsemitenroute.Ilchoisitvingtdesesgrands,

deshommesquiportaienthautlatêteetfrappaientdel'épée,etordonnaàcesnoblesdemarcherdevantlacaravane

comme deschameliers.LeSipehbedsedirigeaainsiverslefortetmarcharapidement,déguiséenmarchand,chaussé

avec des bottines, ayantsur le corps une robe de laine, et portant dans ses ballots desjoyaux, de l’or et de

l'argent.Ilmarchaainsiaveccettemagnifiquecaravane,précédédeseschameliers.Quandonentenditlesclochettes

delacaravaneetqu'onvitmarcherà satêteunmarchand,lesgrandsdanslaforteresseenfurentinformés,etils

enparlèrentlonguementetavidement,disant:Ilvientunmarchandquivendrapourundirhemcequivautundinar.

Lesgrandsportanthautlatêteetayantenviedefairedesachatsallèrentàsarencontre,etchacundemandaau

maîtredesballotscequ'ilscontenaientquipouvaitêtreutile.Illeurrépondit:Avanttoutilfautquejevoiele

roi;ensuitejemontreraimesrichesses,s'ilm'endonnelapermission,etvosyeuxlesverront.

Ilfitdéposerles,chargesdeseschameaux,etsemitàréfléchiràcequ'ilfallaitfairepourattirerles

acheteurs.Ilprit un cheval, deux robes de brocart de Chine dontles bras et les manches brillaient, une coupe

remplie de joyauxdignesd'unroi,desdinarspourl'offrande,etunepiècedesoiequicouvraitlacoupeetau-

dessousdelaquellesetrouvaientdumuscetdel'ambregris.Lui-mêmeserevêtitdebrocartmagnifique,et c'est

ainsiquelevoyageurserenditauprèsd'Ardjasp.Quandilvitleroi,ilversasurluilesdinarsendisant:Puisse

laraisonêtrelacompagnedesrois!Oroi,jesuisunmarchandnéd'unpèreturcetd'unemèrepersane.J'achètedes

marchandises dans le Touran, je les porte dans l'Iran ou dansle désert des braves. J'ai amené une caravane de

chameaux, et jevendsetj'achètedesétoffespourvêtements,destapis,despierresprécieuses,des diadèmes et

toutesortesdebelleschoses.J'ailaissémesbagageshorsduchâteau,carj'estimequelemondeestsoustagarde.

Sileroitrouvebonquemeschameliersfassentpasserlacaravaneparlaporteduchâteau,jeseraigarantidetout

mal parlagrâcedesafortuneetjedormiraiàl'ombredesaprotection.Leroiluirépondit:Quetoncœurse

réjouisse,quetoncorpssoitexemptdetoutmal!Personnenet'inquiéteradanslepaysdeTouran,nienChine,ni

dansleMadjin,situveuxlesparcourir.

IlassignaalorsàIsfendiarungrandédificedanslechâteaud'airain,unmagasinauxapprochesdepalais,et

ordonnadeporterdanslechâteautouteslesmarchandises,pourqu'ilpûtfairedecemagasinunlieudevente,et

resteravecconfiancedanscetasile.Lescompagnonsd'Isfendiarchargèrentsurleursdoslescaissesettraînèrent

leschameauxparlabride.Unhommedesensdemandaàundesporteurs:Qu'ya-t-ildoncdecachédanscettecaisse?

Celui-cirépondit:C'estnotreintelligencequenousavonsdûmettresurnosépaules.Isfendiararrangealemagasin

etleparacommeuneroseprintanière.Detouscôtésarrivaunefouled'acheteurs,etilsefitungrandtraficdans

lemagasin.

Lenuitsepassa,etàl'aubedujourIsfendiarserenditauprèsduroidanssasalled'audience;ils'avança,

baisa la terre, bénit longuement Ardjasp etdit : J'ai amené ces marchandises et cette caravane en toute hâte à

l'aidedemeschameliers;ellerapportedesbraceletsetdesdiadèmesquisontdignesd'unroiquiportehautla

tête. Ordonne àton trésorier de voir ce que j'ai de précieux dans mon magasin, quiest tout arrangé, et qu'il

t'apportecequ'ilpourrayrencontrerdedignedetontrésor,pourvuqu'ilnetrouvepasquecelaluidonnetropde

peine.Ilappartientauroid'accepter,etaumarchanddeprésenterdesexcusesetd'invoquerdesbénédictions.

Ardjaspsouritetletraitagracieusement;illefitasseoiràuneplace-plushonorable,etluidemandasonnom.

Ilrépondit:MonnomestKharrad;jesuisunvoyageur,unmarchandetunhommejoyeux.Leroidit:O toi qui

réjouislecœur,neprendspaslapeinedefairedesexcuses.Dorénavantnedemandeplusauchambellanlapermission

d'entrer,etvienschezmoiquandtuveux.Ensuiteilluifitdesquestionssurlesfatiguesdelaroute,surl'Iran,

le Touran et les armées. Isfendiar répondit : Pendant cinqmois j'ai enduré sur les routes des fatigues et des

soucis. Ardjasplui demanda ce qu'on disait dans l'Iran sur Isfendiar et Kergsar. Ilrépondit : Oprince

bienveillant, chacunen parleseloncequ'ildésire.Lesunsdisentqu'Isfendiaraétémaltraitéparsonpère et

qu'ils'estrévoltécontrelui;d'autresdisentqu'ilconduitunearméeducôtédeBersekhan,ets'estdirigéversla

routedesseptstationsavecl'intentiondefairelaguerreauTouranetdesevengerd'Ardjaspdansl’excèsdeson

courage.Ardjaspsouritetdit:Aucunhommequiadel'âgeetdel'expériencenediracela,carsiunaigletraverse

lesseptstations,appelle-moiunAhrimanetnonpasunhomme.Lehérosécoutacesparoles,baisalaterreetquitta

lepalaisd'Ardjasplecœurenjoie.Ilouvritlaportedesonbeaumagasinetlaforteresseretentitdubruitqui

venaitdecemarché.Ilrestalongtempsoccupéàacheteretàvendre;toutlemondeletrompait,il ne recevait

qu'undirhempourcequivalaitundinar:ilconfondaittout.

ISFENDIARESTRECONNUPARSESSOEURS.

Quandlesoleilbrillanteutquittelavoûteduciel,etquelesacheteurseurentabandonnélemarché,lesdeux

sœursd'Isfendiar sortirent du palais dans la rue en pleurant et portantsur l'épaule des cruches d'eau ; elles

vinrentauprèsd'Isfendiar,ellesvinrentlecœurdéchiréetabattu.Isfendiar,àcespectacle,cachasafigurepour

ladéroberàsessœurs.Iltremblaitdecequ'ellesallaientfaire,etilcouvritsesjouesaveclesmanchesdesa

robe. Elles allèrent toutes les deux vers lui, leurs jouesinondées de deux torrentsde larmes de sang, et les

malheureusessemirentàsupplierlerichemarchand,disant:Puissenttesnuitsettesjoursêtreheureux!Puisse

lecielobéiràtesordrescommeuneesclave.QuellenouvelledeGuschtaspetd'Isfendiarya-t-ildansl'Iran,ô

hérosillustre!Voicideuxfillesderoicaptivesentredesmainsimpures,latêteetlespiedsnus,lesépaules

chargéesdecruchesd'eau!Notrepèrevitdanslajoiependantlejour,etdortenpaixpendantlanuit,etnous

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couronsnuesdevanttoutlepeuple!Heureuxceluidontlecorpsestvêtud'unlinceul!Voicicommentnouspleurons

des larmes de sang ;mais tu peux guérir nos douleurs, si tu as des nouvelles de notrepays ; car ici même la

thériaqueestdevenuedupoisonpournous.

Isfendiarpoussauncrisoussarobe,uncriquifaisaittremblerdeterreurcesdeuxfilles;ils'écria:Je

voudraisqu'Isfendiarn'eûtjamaisexisté,niceuxquiparlentdelui.MauditsoitGuschtasp,leroiinjuste!Puisse

jamaisunhommecommeluineposséderlacouronneetlaceinture!Nevoyez-vouspasquejeviensicipourtrafiquer,

quejetravaillepourmonpain?QuandlanobleHomaïentenditcettevoix,ellelareconnutetsoncœurseserra;

mais,bienqu'elleeûtreconnulavoixdesonfrère,ellerenfermaenelle-mêmesonsecret,etrestadevantluile

cœurblesséetleslarmescoulantdesesdeuxyeuxsursesjoues,sesvêtementsdéchirés,sesdeuxpiedsnusdansla

poussière, et son âmerempliedeterreuretdecrainted'Ardjasp.Lehérosàl’âmepureavaitaussivuqueHomaï

l'avaitreconnu:ildécouvritrapidementsafigure,lesyeuxpleinsdelarmes,lecœurgonflédesang,levisage

brûlantcommelesoleil.Confondudecequelesortamenait,ildevintpensifetsemorditleslèvres;àlafinil

ditàsessœurs:Pendantquelquesjoursilfautetquevoustenieztouteslesdeuxlabouchefermée;carjesuis

venuicipourlivrerbataille;jesuisvenuavecbeaucoupdefatiguespouracquérirdurenometdelagloire.Quand

ilyaunpèredontlesfillessontréduitesàporterdel'eau,dontlefilsestendanger,pendantqueluidortd'un

sommeildoux,ilvaudraitmieuxn'avoirpourpèrequeleciel,etpourmèrequelaterre.Vraimentc'estunsort

qu'onnepeutbénir.

Ensuite le généreux prince quitta son magasin, courutauprès d'Ardjasp et lui dit : O roi, puisses-tu être

heureux!Puisses-tuêtrelemaîtredumondenetvivreàjamais!J'airencontrésurmarouteunemerprofondequeje

neconnaissais,pas,decettemers'estélevéunventviolent,telquelepilotedisaitqu'ilneserappelaitriende

semblable;noustousdanslevaisseauétionsendétresseetenlarmes,nousétionsgrilléscommesurunfeuardent.

Morsj'aifaitdevantDieul'unique,ledistributeurdelajustice,levœuquesij'arrivaisicienvie,jedonnerais

une fête dans chaque pays à la tête duquelse trouverait un prince, que j'accorderais tout à ceux qui me

demanderaient,quecefûtbeaucoup,quecefûtpeu,quejecombleraisdefaveurslespauvres.Maintenant,sileroi

veutm'honorer,ilmerendraglorieuxenm'accordantmademande.Jefaislespréparatifsd'unefêteoùjeserail'hôte

detouslesgrandsdel'armée,detousceuxquisontenhonneurauprèsdumaîtredumonde,etd'accomplissementdece

désirrempliraitdejoiemonâme.

Ardjaspentenditcesparolesavecplaisir,etlatêtedecethommeignorantseremplitdefolie.Ilpermitalors

àtousceuxqu'ilhonoraitleplus,auxplusrenommésdeseshommesdeguerre,deserendreaupalaisdeKharradcomme

seshôtes,etdes'yenivrertouss'illeurdonnaitduvin.Isfendiarluidit:Oroi,ôhommeillustre,ômobed,

maîtredumonde,hommenobleetintelligent!mamaisonesttropétroiteetsaterrasseest trophaute;maisnous

serionstrèsbiensurcerempartduchâteauintérieur.Noussommesàl'entréedumoisdejuin,nousferonsunfeuen

pleinair,nousréjouironslecœurdesnoblesavecduvin.Ardjasprépondit:Mets-toioùtuveux;c'estceluiqui

donnelafêtequiestroidulogis.

LePehlewanpartitencourantettoutheureux;ilfitmonterbeaucoupdeboissurlaterrasseduchâteau,tuer

deschevauxetquelquesagneaux,etportertoutsurlaterrasse,:bientôtils'éleva,deboisqu'onyavaitamassé,

unefuméequirendaitinvisibleleciel.Alorsilfitapporterduvin,etlorsquetoutfutbu,lesconvivestombèrent

àlarenverse.Alafintouslesgrandspartirentivres,chacuntenantaveclamain,danssonivresse,unetigede

narcisse(c'est-à-direlebrasd'unpage).

BESCHOUTENATTAQUELECHATEAUD'AIRAIN.

Lanuitétantarrivée,Isfendiarallumaungrandfeudontl'ardeurbrûlaitleciel,etlasentinelleregardantde

satourvitl'airrempli defeuetdefumée.Ellequittajoyeusementlelieuoùellesetenait;tuauraisditqu'elle

voyageaitaveclevent,et,arrivéeauprèsdeBeschouten,elleluiannonçalefeuetlafuméequ'elleavaitaperçus,

Beschoutendit:C'estparlarusequel'hommevaillantestsupérieuràl'éléphantetaulion.Ilfitsonnerdes

clairons d'airain et battre les timbales d'airain, et le bruit destrompettes s'éleva de la portede sa tente ;

l'armées'avançadelaplaineverslefort,etlapoussièrequ'ellesoulevaitobscurcissaitlesoleilbrillant;tous

étaientcouvertsdecottesdemaillesetdecasques,etleurscœursversaientunepluiedesang.

Quandonsutdanslefortqu'unearmées'approchaitetquelemondedisparaissaitsousunepoussièrenoire,toute

laforteresseretentitdunomd'Isfendiar,etl'arbredumalheurcommençaàporterdesfruitsamers.Ardjasprevêtit

sacottedemaillesetsefrottalonguementlesmains;ilordonnaàKehrem,levainqueurdeslions,deprendrela

massue,épéeetlesflèches,etdesemettreàlatêtedel'armée,etditàTharkhan:Otoiquiporteshautlatête,

pars à l'instant avec une armée préparée à labataille ; prends douze mille guerriers illustres, tous avides de

combatetprêtsàfrapperdel'épée.Observequinousattaque,etcequ'ilsveulentdanscetteinvasion.

LefierTharkhanpartitsur-le-champverslefrontattaquédelaforteresse,accompagnéd'uninterprète.Ilvit

destroupescouvertesdecuirasses,arméespourlaguerre,etundrapeaunoiravecunefiguredeléopard;leSipehbed

Beschouten se trouvait aucentredecestroupes,quitoutesavaientlavéleursmainsdanslesang;iltenaitla

masqued’Isfendiaretétaitmontésurundestrierrenommé;ilavaittoutl'airduvaillantIsfendiar,etpersonnene

l'appelaitautrementqueroid'Iran.Ilétenditlesdeuxailesdesonarméeetlejourbrillantdisparut;leslances

auxpointesd'acierdonnaientdescoupstelsqu'onauraitditqu'unepluiedesangtombaitduciel.Desdeuxcôtés

tousleshérosquiétaientavidesdecombatsejetèrentdanslamêlée,lepremierdetous,Nousch-Ader,quiétait

prêtàfrapperdel'épéeetprovoquaitlesennemis.LefierTharkhanallaàsarencontre,espérantfairetombersa

têtedanslapoussière;maisNousch-Ader,levoyantdanslaplaine,sehâtadetirersonépée,coupaendeuxTharkhan

parlemilieuducorps,etjetalaterreurdansl'âmedeKehrem.C'estainsiqu'ilattaqualecentredesennemis,

frappant sur tous grands.et petits. Les deux arméescombattirent de manière que la poussière quelles soulevaient

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formaitunnuagedansl'air.

Kehrem,quiportaithautlatête,s'enretournaaupalaisenpleurant,etl'arméeentièrelesuivitentoutehâte

;Kehremditàsonpère:Oroiillustrequiressemblesausoleil!ilestarrivédel'Iranunegrandearméedevant

laquellemarcheunhérosillustre,qui,d'aprèssastature,nepeutêtrequ'Isfendiar;etjamaisunhommecommelui

n'estvenudanscechâteau;ilportedanslabataillelalancedecombatquetuasvuedanssamainàGunbedan.Ces

parolesaffligèrentlecœurd'Ardjasp,quivoyaitquel'anciennevengeanceallaitrevivre.Ilditauxchefsdeses

troupes:Partez,sorteztousdelaforteresseetallezdanslaplaine,emmenezl’armée,poussez descrisdelions

féroces,nelaissezpointvivrepluslongtempsunseuldevosennemis;n'appelezlionaucundeshommesd'Iran.Toute

l'arméequittalaforteresse,lecœurblesséetavidedevengeance.

ISFENDIARTUEARDJASP.

Quandlanuitfutdevenueplussombre,Isfendiarrevêtitsonarmuredecombat;ilouvritlescouverclesdeses

caissespourquel'airfraisarrivâtàsescompagnonsenfermés,etapportaduvinetdelavianderôtieetbouillie,

desarmesdeguerreetdesvêtements.Quandilseurentmangédupain,ildonnaàchacuntroiscoupesdevin,etils

s'enréjouirent.Illeurdit:Cettenuitestunenuitpleinededangers,etc'esticiqu'ilnousfautconquérirun

nom.Faitesdesefforts,combattezcomme,deshommes,cherchezenDieuunrefugecontrelemalheur.Ildivisaen

troispartiesleshéros,tousceuxquidésiraientdurenometlecombat:unepartiedevaitattaquerdansl'intérieur

delaforteressetousceuxqu'ellerencontrerait;unesecondedevaitmarchersurlaporteetnecesserdecombattre

etdeverserdusang;àlatroisièmeildit:Ilnefautpasquenouslaissionsunetracedeschefsquihiersesont

enivréschezmoitranchez-leurlatêteavecl'épée

Lui-mêmepartitavecvingthommesdecœurqu'ilchargeadetoutlereste;ilmarchabravementcontrelaportedu

palaisd'Ardjasp,couvertd'unecottedemaillesetpoussantdescriscommeunlion.Quandlebruitdecetumulte

retentitdanslepalais,HomaïvintencouraitverslenobleprinceavecsasœurBeh-Aferid,lesjouescouvertesdu

sangquicoulaitdeleurscils.QuandIsfendiars'approcha,ilvitcesdeuxfemmesvoilées,semblablesauprintemps.

Le hérosaucœurdelionditàsessœurs:Courezrapidementcommelafumée,d'iciàl'endroitouj'aitenumon

marché;ilyabeaucoupd'oretd'argent,etmoncheminm'yconduit;restez-yjusqu'àcequevousvoyiezsinous

livronsdanscecombat?nostêtesàlamort,ousinousconquéronsundiadème.Ildit,détournad'ellessesyeuxet

marchaverslepalaisd'Ardjasp,avidedevengeance;ilmarchauneépéeindienneenmain,etquandiltrouvaitsur

soncheminunbraveilletuait.Toutelacourdupalaisfutbientôtdansunétattelqu'onnepouvaitpasserdansce

lieuillustre;ilyavaittantdeblessés,demortsetd'hommesfoulésauxpiedsquelaterreressemblaitàunemer

couvertedevagues.

QuandArdjaspseréveilladesonsommeil,soncœurtrembladutumultequ'onentendait;ils'élançadesachambre

àcoucher, revêtitunecotte demaillesetsecouvritd'uncasquedeRoum.Samaintenaituneépéebrillante,sa

bouchepoussaitdescris,soncœurétaitgonflédesang;lorsqueIsfendiarfranchitlaporteenbondissant,uneépée

étincelante en main, et lui dit : Maintenant tuvas recevoir de ce marchand une épée qui vaut des dinars ; je

t'apporteunprésentdeLohrasp,scellédusceaudeGuschtasp.ArdjaspetIsfendiars'attaquèrentetsecombattirent

avecunefureursansmesure;ilssefrappèrentdel'épéeetdupoignard,tantôtsurlesreins,tantôtsurlatête;

maisàlafinArdjaspfutaffaibliparlescoups desonennemi;onnevoyaitplussursoncorpsaucunendroitqui

nefûtblessé:lehérostomba,etIsfendiarluitranchalatête.C'estainsiqu'agitlafortunequitourne;tantôt

ellenousdonnedumiel,tantôtdupoison.Pourquoiattacherais-tutoncœuràcettedemeurepassagère?Puisquetu

saisquetun'yresteraspas,net'affligepasenlaquittant.

Isfendiar,enayantfiniavecArdjasp,fitmonterjusqu'àSaturnelafuméedeladestructiondesonpalais;il

fitallumerdestorchesetmettrelefeuaupalaisdetouscôtés;illivral'appartementdesfemmesauxeunuques,en

enlevatoutcequil'avaitrendubrillant,etposasonsceausurlaportedutrésoroùsetrouvaitl'or,cariln'y

avaitpersonnedanslepalaisquieûtpulecombattre.Ensuiteilserenditauxécuriesetmontaà,cheval,uneépée

indienneenmain.Ilfitsellerdeschevauxarabesqu'ilchoisitetmonterdessussesdeuxsœurs,etquittaavecses

hommeslarésidenced'Ardjasp.

Il partit de ce lieu avec cent soixante hommes, descavaliersd'éliteaujourducombat,etlaissaquelques

IraniensillustresdanslechâteauaveclenobleSaweh,enleurdisant:Quandj'auraiquittélaforteresse,quandje

seraidanslaplaineaveclesgrands,vousfermerezlaportedupalaiscontrelesTurcs,carj'espèrequelafortune

seramonsoutien.Quandvouscroirezquej'auraiatteintmanoblearmée,alorsilfautquevossentinellesfassent

entendredansleurstourellescecri:BéniessoientlatêteetlacouronneduroiGuschtasp!Etsil'arméedes

Turcs,en fuite et revenant du champ de bataille, se rue en masse sur lepalais, alors vous lancerez de cette

tourelle,aumilieud'elle,latêted'Ardjasp.C'estainsiquelehérossortitduchâteauaveccentsoixantehommes,

enpoussantdescrisetenbondissantsurlechampdebataille;ilseprécipitadanslaplaineentuanttousles

Turcsqu'il rencontra. Lorsqu'il fut arrivé près de l'armée de Beschouten,cet homme illustre le couvrit de ses

bénédictions;toutel'arméeétaitconfonduedelabravourequecejeunehommeavaitmontrée.

ISFENDIARTUEKHEREM.

Quandlalunefutassisesursontrôned'argent,etquandtroisveillesdelanuitsombrefurentpassées,le

gardiencria d'une voix fortesurlesmursdu palais : Guschtasp est roi et sa fortune est victorieuse !Puisse

Isfendiarrestertoujoursjeune,puissentlecieletlaluneetlesortleprotéger,luiquiatranchélatêteà

ArdjasppourvengerLohrasp,etarétablilamajestéetlagloiredutrône!Ilaprécipitédutrôneleroi desTurcs

etl’ajetésurlesol;ilagrandilenometletrônedeGuschtasp!

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Toutel'arméedesTurcs,enentendantcescris,prêtal'oreille;lecœurdeKehremfutassombriparlesparoles

de lasentinelle,sonespritfutconfonduparsescris,ilécoutaetditàEnderiman:Danslanuitsombreaucun

bruit ne se perd ; qu'endis-tu ? Que va-t-il se passer cette nuit ? Il faut que nous tenionsconseil. Qui ose

pousserdescrisdecetteespècependantcettenuitetauchevetdulitmêmed'unroicommeArdjasp?Ilfautenvoyer

oupalais cet hommequelqu'ilsoit,etluitrancherlatête;carsilessentinellessepermettent, au jour du

combat,unjeupareil,notrearméeseraendanger,etsilesgensdelamaisonsontnosennemis,lesétrangersne

tarderontpasàenprofiter.Brisonsaveclamassuedumalheurlecrâneàceluiquipoussecescrisfunestesetde

mauvaisaugure.

Lescriscontinuèrent;lecœurdeKehremétaitblesséparlavoixdelasentinelle,etpartoutlesoreillesdes

bravesfurentrempliesdecesparolesbruyantes;lesTurcssedirent:Voilàbiendubruit,etcelapassecequiest

permisàunesentinelle;chassonsd'abordl'ennemidupalais,ensuitenousdétruironsl'armée.LecœurdeKehremse

serradeplusenplusparl'effetdecettevoixdelasentinelle;ilsetorditetsonfrontserida;ilditàses

troupes:Cettearméedevantnousm'aremplidesoucissurlesortduroi;maismaintenantilfautsansdouterentrer

danslepalais,etjenesaiscequidevrasefaireaprès.LesgrandsdelaChines'enretournèrentetquittèrentde

nuitlechampdebataille.Isfendiarlessuivitcouvertd'unecottedemaillesetportantsamassueàtêtedebœuf;

etKehrem,arrivéàlaportedupalais,aperçutl'arméedesIraniensderrièrelui.Ildit:Maintenantquelparti

nouslaisseàprendrelevaillantIsfendiar,sicen'estdelivrerbataille?Tironstousdufourreaunosépéeset

chargeonsdenotreréponsenospoignards.Maislafortuneavaitridésonfront,etlesortfutdurpourcesgrands.

Lesdeuxarméessebattirentavecrage, elless’accablèrentdecoupsl'unel'autre,jusqu'àcequel'aubedujour

parûtetquelesgrandsdelaChinepérissent.Leshommesqu'Isfendiaravaitlaissésdanslepalaisduroiaccoururent

surlesmursetlancèrentaumilieudel'arméelatêtetranchéed'Ardjasp,cetambitieuxquiavaitversélesangde

Lohrasp,etlesTurcscessèrentdecombattre.Ils'élevadeleursrangsuncriimmense;leshérosôtèrentdeleurs

têteslescasques,lesdeuxfilsd'Ardjaspéclatèrentenlarmes;ilsétaientcommeconsumésd'unfeuardent.Leur

arméereconnutquelétaitl'auteurdetoutcemal,etsurquiilfallaitpleurerdanscejourdemalheur.Elles'écria

:Hélas!lehéros,lechef,leSipehdar,leroi,levaillantprince!Queceluiquil’atuésoittuésurlechampde

lavengeance,etquesonheurepassepourtoujours!Aquiconfiermaintenantnotreexistence,àqui remettre le

drapeauquenousavonsàl'ailedroite,puisqueleetcentren'estplusoccupéparleroi?Périssel'armée,périsse

lediadème!Maintenantnousn'avonsplusbesoinquedelamort,etdeKhallakhjusqu'àTharaztoutestpleinde

douleur!

Alorstouss'avancèrentpourchercherlamort;ilss'avancèrentcouvertsdecottesdemaillesetdecasques,et

armésdemassues.Lebruitdescoupsdonnésetreçusretentitsurlechampdebataille;l’airdevintcommeunnuage

noir;detouscôtésgisaientdesmonceauxdemorts,d'hommesdontlesjoursétaientpassés;toutelaplaineétait

rempliedetêtesetdebrassanstroncs,etd'autrescôtésdemainsetdemassues;desflotsdesangbattaientla

portedupalais,etpersonnenedistinguaitplusentresamaindroiteetsagauche.

Isfendiar s'avança, le Sipehdar Kehrem se raffermitsur ses étriers et les deux héros se jetèrent l'un sur

l'autre,demanièrequ'onauraitditqueleurscorpsn'enfaisaientqu'un.IsfendiarsaisitKehremparlaceinture,

etledosdeKehrempliasoussamain;illesoulevaetlelançaparterre,ettoutel’arméeéclataenbénédictions

surleroi.OnlialesdeuxmainsdeKehremetonl'emportacommeunechosevile;sanoblearméesedispersa;il

pleuvaitdescoupsdemassuecommedelagrêle;laterreétaitcouvertedeTurcsetlecielnerespiraitquela

mort,lestêtestombaientsouslescoupacommelesfeuillesdesarbres;lesunsperdirenttoutcequ'ilsavaient,

lesautresgagnaientdestrônes;lesanginondaitdesesvagueslechampdebataille;latêtedel'unétaitbroyée

sous les sabots des chevaux, celle d'un autre se couvraitd'un diadème. Personne ne sait le secret de ce monde

stérile,ilnedévoilejamaiscequ'ilcache.

Quiconqueavait un cheval qui portait haut la tête sehâtades’enfuir;maisquiconquesetrouvaitdansla

gueuledudragonavaitbeaulutter,ilnepouvaits'enéchapper.IlnesurvécutpasbeaucoupdeTurcsetdeChinois,

et ceux qui restèrentétaient des hommes inconnus. Tous jetèrent leurs casques et leurscuirasses, et leurs yeux

étaientnoyésdelarmes.Ilsvinrentencourantauprèsd'Isfendiar,leursyeuxbrillantsdelarmescommeleprintemps

;maisleSipehdarétaitsanguinaireetsanspitié,etsonarméeseréjouitdesonhumeurcruelle.Ilnefitpardonà

aucundeshéros,etl’ontuadesblessasansnombre;pasundesgrandsdelaChinenesurvécut,pasundesprinces

duTourannerestaenvie.

EnsuitelesIraniensenlevèrentlestentesetleursenceintes,etabandonnèrentauxmortslechampdebataille,

etIsfendiar,ayantvucequi s'étaitfaitdebonetdemauvais,serenditdel'autrecôtédufortetfitdresserses

tentes. Il fit élever sur la porte du fort deux hauts gibetsd'où pendaient des lacets roulés, et fit pendre

Enderimantatêteenbas,etattachersonfrèreàl'autregibet.Puisilenvoyadehorssestroupesdetouscôtés,

partoutoùilyavaitlatraced'unendroithabité,etyfitmettrelefeu.OnbrûlaainsitoutlepaysdeTouran;

nullepartnerestaitplusungrand,etaucuncavaliernesurvécutenChineetdansleTouran.Tuauraisditqu'un

nuagenoiravaitpasséetavaitfaitpleuvoirdufeusurcechampdebataille.Quandleprince,quiambitionnaitla

possessiondumonde,vittoutcela,ilrassemblaleschefsdel'arméeetfitapporterduvin.

LETTRED'ISFENDIARAGUSCHTASPETRÉPONSEDECELUI-CI.

Isfendiarappelasonscribe,etluiparlalonguementdesrusesqu'ilavaitemployéesetdescombatsqu'ilavait

livrés ;lenoblescribes'assitsuruntrôneetdemandaàunesclaveunroseauetunepiècedesoiechinoise;

aussitôtquelapointeduroseaufutnoircie,ilcommençaparleslouangesduMaîtredelalune,maîtredeSaturne,de

l'étoiledumatinetdusoleil,dumaîtredel'éléphantetdelafourmi,dumaîtredelavictoireetdelagloire,du

maîtredudiadèmeroyal,dumaîtredel'âme,dumaîtredelel'intelligence,dubienfaiteur,duguide.Puisse-t-il

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exaucertoujourslesvœuxdeGuschtasp,puisselaterrebrillerdanslagloiredeLohrasp!Jesuisarrivédansle

paysdeTouranparuneroutequejenebéniraijamais;sijevoulaisdécriretoutcequej’aisouffert,latêted'un

jeunehommeblanchiraitdedouleur.Sileroilepermet,jeluiraconteraimesstratagèmesetmescombats;jeserai

contentetheureuxdelerevoir,etj'oublieraimeslonguesfatigues.Lesmoyensquej'aiemployéspourrassasiermon

cœurdevengeanceontétételsqu'ArdjaspetKehremontpéridanslechâteaud'airain,etqu'iln'yestrestéquedes

lamentations,desdouleursetlamort.Jen'aifaitgrâcedelavieàpersonne,etlesherbesmêmesontcouchéleurs

têtessurlesplaines.Leslionsetlesloupsontdévorétouteslescervelles,etlesléopardsférocesn'ontplus

vouluquedescœurs.PuisselecielbrillerderefletdelacouronnedeGuschtasp,puisselaterredevenirunjardin

derosesparlagrâcedeLohrasp!

Onposasurlalettrelesceaud'Isfendiar,etl'onchoisitquelquescavaliersquelejeuneroifitpartirpour

l'Iransurdesdromadairesdecourseàlaboucheécumante.Ilrestapourattendrelaréponseets'occupaàéteindre

lefeudelaragedesesennemis.Ilnesepassapaslongtempsavantqu'uneréponsearrivât,unelettrequicontenait

laclefdesdoutesquil'enchaînaient.Cetteréponsecommençaitainsi:Puisseceluiquirecherchelebienvivreà

jamais!L'hommedesensquiconnaîtDieuapprendàl'adorerparlebienqu'ilreçoitdelui.Ensuitejedemandeà

Dieul'unique,ledispensateurdelajustice,qu'ilsoittonguide.J'aiplantéunarbredanslejardinduparadis,

plusglorieuxqu'aucundeceuxqueFeridounaplantés;sesfruitssontdevenusdesrubisetdel'or,sesfeuilles

ontpoussémajestueusementetselonmondésir.Puissecetarbrevivretoujours,puissetoncœurêtrejoyeuxetta

fortuneprospère!Jevaisparlerd'abordsurcequetudisdelavengeancedetongrand-père,quetuaspoursuivie

par tousles moyens et avec acharnement, ensuite du sang que tu as versé etdes combats que tu as livrés de ta

personne.Ilfautquelesroisrespectentleurcorps,etcen'estpasparlesluttesetlescombatsqu'ilsacquièrent

leurgloire;aiedoncsoindetonâmeetcultivetonintelligence,carc'estellequinourritl'âmeparlasagesse.

Ensuite tu dis que tun'as fait grâce de la vie à personne parmi tant de cavaliers. Maiston cœur devrait être

toujoursclémentetgénéreux,tonâmerempliedemodestieettabouchepleinedeparolesdouces.Tonoccupationne

doitpasêtredeverserdusangnidetebattreétourdimentaveclesgrands.Tuavaisàvengertrente-huitdetes

frères,maistuasversédusangau-delàdetoutemesure.Enfincevieillard,tongrand-père,avaitéloignédeson

cœurtoutmauvaissentimentettoutehaine,maistuasversédusangcommeonavait,versélesien,tut'esjetédans

labataillecommeunlionvaillant.Puisses-turestertoujourscontentetheureux,puissel'intelligencetediriger

toujours ! J'ai besoindeterevoir,toidontl'âmeconstammentéveilléeestpleinedevertus.Quandtuauraslu

cettelettre,faismonteràchevaltonarméeetviensàmacouravectesgrands.Lesdromadairesrapidesrepartirent,

toutl'Iranseremplitdebruit,etquandlesmessagersfurentderetourilsdescendirentàlaporteduhéros

RETOURD'ISFENDIARAUPRESDEGUSCHTASP.

Isfendiarayantlucettelettre,semitàdistribuerdel'oretterminacequ'ilavaitàfaire.Lorsqu'ileut

épuiséletrésord'Ardjasp,ilfitdeslargessesaveclestrésorsdesmembresdesafamille;ilrenditrichestoutes

sestroupes,etleursaffairesprospéraientau-delàdetoutemesure.Ilyavaitdeschameauxetdeschevauxdansla

montagne portant la marque du maître du peuple du Touran. Isfendiardemanda qu'on lui amenât de tous côtés, des

désertsetdesmontagnesoùilsétaientdispersés,dixmillechameaux;ilenfitchargermilled'orprisdansle

trésorduroi,troiscentsdebrocarts,detrônesetdecasques,centdemusc,d'ambreetdejoyaux,centdecouronnes

etdediadèmesprécieux,milledetapisdebrocart,enfintroiscentsdevêtementschinois,tantencuirchamoiséet

teintqu'ensoiepeinte.Ilfitpréparerdeslitièresavecdeshoussesdebrocart,etl'onemmenadeuxtroupede

jeunesfilleschinoisesdontlesjouesressemblaientauprintemps,lastatureaucyprès,latailleauroseauetla

marche à la marche du faisan ; ces centfilles illustres, belles comme des idoles partirent avec les sœurs

d'Isfendiar.Cinqfemmesvoiléessuivirent,pleinesdelarmes,dedouleuretdepeines:deuxétaientlessœurs,deux

lesfillesetunelamèred'Ardjasp;lamèrepleurait,lesfillessedésolaient

Quandileutjetédufeudanslechâteaud'airain,laflammemontajusqu'aucielsublime;ilfitraserjusqu'à

terretouslesrempartsdelaforteresseetvolerlapoussièredeladestructiondetoutlepaysdeChine.Ilconfia

lecommandement de son armée à ses trois jeunes fils et leur dit :Soyezvigilantsetquelebonheursoitvotre

compagnon.Sienroutequelqu'unsedétournedelajustice,tranchez-luilatêteavecleglaive.Vousprendrezle

chemindudésert,voustiendrezlespointesdevoslancesbrillantescommelesoleil.Moijeresteraiducôtédes

septstationsàchasserlelion,etvous,necheminezpastroplentement.Jeprendraimontempspourallerjusqu'au

boutdelaroute,oùjevousrejoindraiàlafind'unmois.

Isfendiarsuivitlechemindesseptstations,oùilchassaaccompagnéd'unenobleescorte;quandlehérosarriva

àl'endroitoùilsavaientéprouvélefroid,iltrouvatousleursbagagesencoresurplace;l'airétaitagréable,la

terre pleine de fleurs ; on aurait dit que le printemps venait rejoindre l’été. Ilenleva toutes ces richesses,

confondudesabonnefortune.Arrivéprèsdesfrontièresdel'Iran,danslepaysdeshérosetdeslions,ilselivra

àlachasseauxléopardsetauxfaucons,jusqu'àcequ'ilfûtlasdesfatiguesdecettelongueroute.Ilespérait

toujoursvoirsestroisnoblesfils,et-ilcommençaitàs'irriterdecequ'ilsarrivaientsitard.Alafinl'armée

et sesfilsparurent,etlehérosdignedelacouronnesouritàchacun,disant:C'estuneroutepéniblequej'ai

faite,etj'étaisimpatientdecequevoustardiezsilongtemps.Sestroisfilsbaisèrentlaterre,disant:Quidans

lemondeaunpèrecommelenôtre.

Delàilsedirigeaversl'Iran,traînantaveclui,vers lepaysdesbraves,toussestrésors.Onavaitparé

touteslesvillesd'Iran,onavaitfaitvenirduvin,delamusiqueetdeschanteurs,onavaitsuspendudesétoffes

auxmursdesmaisons,etenhautonmêlaitdumuscetdel'ambrepourlesversersurlui.L'airétaitremplidela

voixdeschanteurs,laterrecouvertedecavaliersarmésdelances.QuandGuschtaspsutqu'Isfendiarapprochait,il

selivraàlajoieetsefitdonnerdescoupesdevinenécoutantcequ'onracontaitdelui.Ilordonnaàtouteson

armée,etàtousceuxdansl'empirequiavaientdupouvoir,deserassembleràlacouraccompagnésdetambours,et

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touslesgrandsdel'arméeyparurent.Ensuitelepèreallaàlarencontredufilsaufraisvisage,avectous les

sagesillustres,aveclesgrands,lessavantsetlesMobeds;lavilleentièrefutrempliedubruitdesvoix.Quand

lejeuneroivitlafiguredesonpère,soncœurseréjouitetsonâmedevintsereine;ilfitbondirsoncheval

couleurdenuit,quiallumaitlefeudesbatailles;ils'approchaetserrasursapoitrinesonpère,quifutsurpris

decequ'ilfaisait,etlecouvritdesesbénédictions,disant:Puissentlestempsetlaterrenejamaisêtreprivés

detoi.

Delàilspartirentpourlepalaisduroi,ettoutunmondevintleuroffrirdesvœux.Guschtaspfitparerla

salled'audienceetletrône;soncœurseréjouitdecefils,favoridelafortune;onplaçadestablesdansles

sallesdefestin,leroiordonnaauchambelland'appelerlesgrands,etdelaportedechaquepalaisunconvivese

renditauprèsduroiillustre;deséchansonsbrillantscommelesoleildistribuèrentduvinroyaldansdescoupesde

cristal, et Isfendiar enflamma le cœur de ses amis etconsumait par sa bravoure le cœur de ses ennemis. Il but

modestementàlasantédesonpère,etlepèredemêmebutàlasantédufils;Guschtaspluidemandaderaconteraux

grandsdel'Irancequiluiétaitarrivésurlaroutedesseptstations,maisIsfendiarréponditàGuschtasp:Neme

demandepascelapendantlebanquet;jetediraitoutdemain,ôroidupeuple,pleindesens;jeteraconteraices

longues histoires, mes lèvres prononceront desparolesdevérité,etquand tu les auras écoutées avec ton esprit

intelligent, tu adoreras la justice de Dieu, qui accorde lavictoire. A la fin tousles hôtes s'en retournèrent

ivres,chacuntenantparlamainunpageauvisagedelune.

L'aventuredesseptstationsestterminée;etmonesprit,pleindepenséesprofondes,s'yestrajeuni;c'est

Dieu,letrèsjuste,lemaîtredusoleiletdelalunebrillante,quim'enadoué,etsimonrécit plaît au roi

victorieux,jechevauchesurlasphèreducielquitourne.J'invoquedesbénédictionssurlavieduroi;puisseson

cœur ne pasconnaître le souci dans ce monde ! Il faut maintenant boire du vinbienfaisant, car les outres qui

répandentunparfumdevinarriventdelavallée.L'airestpleindebruits,laterrebouillonne;heureuxceluidont

lecœurseréjouitenbuvant,quiadel'argent,dupain,desfruitsconfitsetduvindedattes,etquipeuttuerun

mouton!Quantàmoi,jen'airiendetoutcela.Heureuxceluiquipossèdeceschoses!qu'ildonnedoncàceuxqui

sontdanslebesoin.Lejardinestcouvertdefeuillesderoses,lamontagneestrempliedetulipesetdenard;le

rossignolselamentedanslebosquet,etlarosegranditsoussesplaintes;danslanaîtsombrelerossignolnedort

pas,etlaroses'affaissesousleventetlapluie.Jevoisleventetlapluiesortirdunuage,etjenesais

pourquoilenarcisseesttriste.Lerossignolrit,etchaquefoisqu'ilseposesurlarose,ilfaitentendreson

chant;jenesaislequeldesdeuxestamoureux,dunuageoudelarose,quandj’entendslenuagerugircommeunlion,

quandjelevoisdéchirerledevantdesatunique,quelefeuéclatedanssonsein,etqueleslarmesquitombentdu

cielsurlaterretémoignentdesonamourdevantlepuissantsoleil.Maisquisaitcequelerossignolditetce

qu'ilcherchesouslesfeuillesdurosier?Faisattention,àl'aubedujour,situentendsleschantshéroïquesque

récitelerossignol;ilpleurelamortd'Isfendiar,etsesplaintessonttoutcequirestedecehéros;et,pendant

lanuitsombre,lenuagequirépètelecrideRustemfendlecœurdel'éléphantetlesgriffesdulion.

****************************

suite

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RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI

FERDOWSI/FIRDOUSI

LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV-partieV-partieVI-TOMEV)

ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer

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FERDOWSI

LELIVREDESROIS.

TOMEIV

COMBATD'ISFENDIARCONTRERUSTEM.COMMENCEMENTDURECIT.

J'ai entendu du rossignol une histoire qu'il récitaitd'après d'anciennes traditions ;la voici : Lorsque

Isfendiarrevintdupalaisduroi,ivreetmécontent,samèreKitaboun,lafilleduKaisar,leserradanssesbras

danslanuitsombre;lorsqu'ilseréveilla,encoredanslanuit,ildemandaunecoupedevinetsemitàparler.Il

ditàsamère:Leroiagitmalenversmoi;ilm'avaitpromisquandj'aurais,àforcedebravoure,puniArdjasppour

lamortdeLohrasp,quandj'auraisdélivrédelacaptivitémessœursetrenduillustremonnomdanslemonde,quand

j'auraisexterminésurlaterretoutelaracedesméchants,quandj'auraisrajeunilemondeparmeseffortsetmes

arrangements, qu'alorsl'empire et l'armée seraient à moi, à moi le trône, le trésor et lediadème. Maintenant,

aussitôt que la rotation de la sphère auraamené le soleil et que le roi sera réveillé de son sommeil, je lui

rappellerai les paroles qu'il m'a dites, il n'osera pas renierdevant moi ce qui est vrai. S'il donne un signe

d'hésitation,jejureparDieu,quiacrééleciel,quejeposeraisurmatêtelacouronne,etquejedistribuerai

auxIranienstoutl'empire;jeteferaireined'Iran;et,parmaforceetmoncourage,jeferaidesexploits de

lion.

Cesparolesaffligèrentsamère,etsarobedesoieseconvertitenépinessursoncorps,carellesavaitquele

roiillustrenecéderaitjamaislacouronne,letrôneetlediadème.Elledit:Omonfilséprouvéparlespeines!

quedésiredanslemondelecœurd'ungrand,sicen'estdestrésors,lepouvoir,ledroitdedonnersonavis,etle

commandementdel'armée?ortulespossèdes;nedemandepasdavantage.Tonpèreportesursatêteunecouronne,

maistoutel'arméeettoutl'empiresontàtoi,etaussitôtqu'ilmeurt,sacouronneetsontrônet'appartiennent;

son pouvoir, sa dignité etlafaveurdu sort passent à toi. Qu'y a-t-il de plus beau qu'unvaillant lion debout

devantsonpère,ceintpourleservir?Isfendiarréponditàsamère:Ilaeuraison,ceroiquiadit:Neconfie

jamaisunsecretàunefemme;situlefais,turetrouverastesparolesdanslarue;nefaisjamaisrienselon

l'ordre d'unefemme,cartun'entrouverasjamaisunequisachedonnerunavis.Larougeurdelahontecouvritle

visagedeKitaboun,etelleserepentitd'avoirparlé.

Isfendiarneparutplusdevantleroi;ilrestachezlui,s'amusantetbuvantduvin;pendantdeuxjourset

deuxnuitsilbutduvinpur,etcalmasoncœurparlaprésencedefemmesauvisagedelune.Letroisièmejour,le

roifutavertiquesonfilsconvoitaitlapossessiondutrône,quesoncœurétaitobsédédesoucis,etqueletrôneet

lacouronnedesKeïanidesétaientsonuniquedésir.Leroiappelasur-le-champDjamaspetlesastrologuesdeLohrasp,

quiarrivèrentportantdansleursbrasleurstablesastronomiques.LeroileurfitdesquestionssurIsfendiar,si

ses jours seraient longs, s'il mènerait une vie vertueuse,tranquille et douce, s'il placerait sur sa tête la

couronneimpériale,etsilediadèmedesroisluiresteraitlongtemps.

QuandDjamasp,lesagedel'Iran,entenditcesparoles,ilconsultasesvieillestablesastronomiques;sesyeux

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seremplirentdelarmesdedouleur,etcequ'ilappritluifitfroncerlessourcils.Ils'écria:Mauditsoitcejour

etmauditemonétoile,etmonsavoiraccabledemalheurmatête!PlûtàDieuquelesortm'eûtlivréauxgriffesdes

lionavantlenobleZerir,etquejenel'eussepasvurenversédanslabatailleetcouvertdepoussièreetdesang,

ouquemonproprepèrem'eûttué,etqueDjamaspeûtainsiéchappéàsamauvaisefortune!UnhommecommeIsfendiar,

devantlequellecœurdeslionssefendquandillesattaque,quiapurifiélaterrerentièredenosennemis,qui,

danslecombat,neconnaîtnicraintenifaiblesse,quiafaitquelemonden'aplusàredouterlesméchants,quia

coupéendeuxlecorpsdudragon,hélas!nousdevonsportersondeuil,nousseronsabreuvésdemalheuretd'amertume

parsonsort.

Leroiluidit: Otoiquej'aime,discequetuasàdireetnetedétournepasdelavoiedelasagesse.Si

IsfendiardoitfinircommeleSipehbedZerir,mavieneseraitdorénavantquemisère.Hâte-toideparleretdis-moi

tout,cartasciencem'inonded'amertume.Quidanslemondeadanssesmainslesortdemonfils,pourquejedoive

pleurersurunesigrandeperte?Djamasprépondit:Oroi!moiaussijeseraiaccabléparlesmalheursdusort.

C'estdans,leZaboulistanquelamortfrapperaIsfendiarparlamainduhérosfilsduDestan.

LeroiditàDjamasp:Netraitepasavecindifférencecequiarriveaujourd'hui.Sijeluidonnaisletrône

impérial, les trésors et la couronne de la royauté, alors il n'iraitpas dans le Zaboulistan, et personne ne le

verrait dans le pays deKaboul ; il pourrait braver les chances du sort, et sa bonne étoilel'emporterait.

L'astronomerépondit:Quipeutsortirdelasphèrequitourne?Quelestceluiquipeutéchapperparlabravoureou

parlascienceaudragonauxgriffesaiguësquiestau-dessusdenous?Cequidoitarriverarriverainfailliblement,

etlesagenecherchepasàendécouvrirlemoment.Isfendiarpériraparlamaind'unhommepuissant,quandmêmele

Seroschdormiraitaupieddesontrône.Cemalheurremplitleroidesoucis;sonesprits'égaradanssespensées,

commedansuneforêtsansissue;etlesmauvaisespenséesetlaforcedusortluienseignèrentlemal.

ISFENDIARDEMANDELETRÔNEÀSONPÈRE.

Lorsque la nuit fut passée et que l'aurore eutrassemblé les rênesde ses chevaux et montréses rayons

brillants,lerois'assitsursontrôned'or,etIsfendiarseprésentadevantlui:ilseprésentahumblement,plein

de soucis et tenant les mains sous les aisselles. Il se forma devantle roi une assemblée d'hommes de guerre,

composéedesgrandsetdeshéros;touslesMobedsparurentdevantluietformèrentuneligne,etlesSipehbedsse

placèrentparrangs;alorsIsfendiar,lehérosaucorpspuissant,semitàparler,pousséparsessoucis,etluidit

:Oroi!puisses-tuvivreéternellement!C'estentoiquelamajestédivinebrillesurlaterre;c'esttoiquias

faitconnaîtrelajusticeetlaclémence,quiasornéletrôneetlacouronne.Noustoussommesdevanttoicommedes

esclaves;tousnousnemarchonsqueselontavolonté.Tusaisqu'ArdjasparrivaitaveclescavaliersdelaChinepour

détruirenotrereligion,etquemoi,ayantfaitdesvœuxsacrés,j'avaisjurésolennellementquejefendraisendeux

avecépéequiconqueattaqueraitnotrefoi,quiconquedétourneraitsoncœurverslesadorateursdesidoles,etqueje

necraindraisrienetnetrembleraisdevantpersonne.Ensuite,quandArdjaspestarrivépournouscombattre,jen'ai

pascessédeluttercontreleslionsetlesléopards;j'aifaitduchampdebatailleunchampdemort,jen'aipas

laisséuncavalierassissursoncheval.Etpourtanttum'astraitéavecmépris,surlesparolesdeGurezm;aujour

delafête,quandtuasdemandétacouperoyale,tum'asfaitchargerdelienspesantsetdechaînesrivéesparles

forgerons, tu m'as envoyé dans lechâteau de Gunbedan, et, par un excès de dédain, tu m'as livréà la garde

d'étrangers;tuespartipourleZaboulistanenabandonnantBalkh;tuascruquelesfêtesavaientremplacéla

guerre;tun'aspasvul'épéed'Ardjasp,tuaslaissérenverserdanssonsanglevieuxLohrasp.

LorsqueDjamaspestvenu àGunbedan,ilm'atrouvéenchaîné,etlecorpsblesséparmesliens; ilm'apromisla

royautéetletrôneetafaittousseseffortspourmepersuaderdelesaccepter.Jeluiairéponduqu'aujourdu

jugementjemontreraisàDieuceslienspesants,ceschaînesetcesclousdesforgerons,quejemeplaindraisau

Créateurdel'hommequim'avaitcalomnié.Ilm'ademandésilesangversédetantdechefsportanthautlatêteet

armés de lourdesmassues, si mon noble frère Ferschidwerd, blessé et gisant sur lechamp de bataille, si tant

d'hommespercésdeflèchesdanslecombat,simessœursemmenéescaptives,sileroienfuitedevantlesTurcsetse

repentantdem'avoirjetédanslesfers,sitantdemalheurs,depeines,d'angoissesetd'outragesnemefrappaient

paslecœur?Ilm'aditbeaucoupdechosessemblables,etsesparolesétaientpleinesdesoucietdedouleur.Alors

j'aibrisémoncollieretmeschaînes,jesuisaccouruauprèsduroidupeuple,etj'aituédesennemissansnombre.

Jenediraipasdevantleroiunmotquinesoitvrai;maissijevoulaisluiracontertoutcequis'estpassédans

les sept stations, mon récit n'aurait pas de fin ; j’ai tranchéla tête à Ardjasp, j'ai relevé la gloire de

Guschtasp,j'aiamenédanscepalaislesfemmesetlesfilles desprincesduTouran,j’yaiapportéleurstrésors,

leurs trônes et leurscouronnes. Toutes ces richesses, tu les as placées dans ton trésor ;mais moi, j'ai fait

l'avancedemonsangetn'aieupourrécompensequemesfatigues.Tespromesses,tessermentsettesengagementsont

rendumoncœurplusardentàexécutertesordres;tum'avaisditque,situmerevoyais,tumechériraisplusquela

vie,quetumedonneraislediadèmeetletrôned'ivoire,parcequemabravouremerendaitdignedelacouronne.Je

rougisdevantlesgrandsquandilsmedemandentoùsontmontrésoretmonarmée.Quelprétexteas-tupourmemanquer

deparole?Oùensuis-je?Dansquelbutmesuis-jedonnétantdepeines?

RÉPONSEDEGUSCHTASP.

Leroiréponditàsonfils:Quiconques'écartedeladroitures'égaredelavraieroute.Tuasfaitplusquetu

nedis;puisseleCréateurdumondeêtretonsoutien!Jenevoisplusd'ennemidanslemonde,niaugrandjournien

secret, carquiconqueentendtonnomnesemet-ilpasàtrembler?Quedis-je,trembler ! c'est plutôt mourirde

frayeur.Jeneconnaispersonnedanslemondequisoittonégal,sicen'estRusteml'insensé,lefilsdeZal,àqui

detouttempsaappartenuleZaboulistan,Bost,GhazninetleKaboul.Sabravourel'élèveau-dessusduciel,etilne

sereconnaîtlesujetdepersonne.IlsetenaitdevantKaousleKeïanidecommeunesclave;ilavécuparlagrâcede

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KeïKhosrou;maisil parledelaroyautédeGuschtaspendisantquelacouronnedeGuschtaspestnouvelleetla

sienne ancienne. Il n'y a personne dans le monde quipuisse te résister, ni parmi les Roumains, ni parmi les

Touraniens,niparmilesnoblesPerses.ParsdoncpourleSéistan,etemploies-ylaruse,laforceetlesstratagèmes

;tiretonépée,brandistamassue,amèneprisonnierRustem,filsdeZal,avecZewarehetFaramourz,etnepermetsà

aucund'euxdemonteràcheval.JejureparleMaîtredumonde,ledistributeurdelajustice,dequivienttoute

force,quiaallumélesastres,laluneetlesoleil,que,quandtuaurasaccomplitoutcela,jenetedisputerai

plusrien,quejetedonnerailetrésor,letrôneetl'armée,quejeteplaceraisurletrônelacouronnesurta

tête.

Isfendiarrépondit: Ovaillantetillustreroi!tut'écartesdelacoutumedesanciens,toiquidevraisgarder

delamesuredansteparoles.FaislaguerreauroidelaChine,détruissonpaysetKhallakh,maispourquoienveux-

tuàunvieillardqueKaousdéjàaappelélevainqueurdeslions,qui,depuisMinoutchehretKeïkobad,aprotégétout

lepaysd'Iran,quel'onappellelemaîtredeRaksch,leconquérantdumonde,levainqueurdeslions,ledistributeur

descouronnes?Cen'estpasunjeuneambitieux,c'estunhommepuissant,quiaeuuntraitéavecKeïKhosrou.Or,si

lestraitésdesroisnedoiventpasêtreobservés,ilétaitinutilequ'iltedemandâtuneinvestiture.

LeroiréponditàIsfendiar: Oprinceaucœurdelion,pleindevaleur!Quandunhommeoublielafoiqu'ildoit

àDieu,lafoiquiluiestduedevientduvent.TusaissansdoutequeleroiKaouss'estégarédelavraievoiepar

l'instigationd'Iblis,qu'ilestmontéaucielportépardesaiglesetqu'ilesttombémisérablementdansl'eauà

Sari;ensuitequ'ilaamenéduHamaveranunefilledeDiv,àlaquelleilalivrél'appartementdesfemmesdestrois,

etquecettefemme,parsespersécutions,adétruitSiawuschetfaitpérirtoutecettefamille,Quandunhommeoublie

sondevoirenversDieu,ilfautsegarderdepasserdevantsaporte.PrendsdonclarouteduSéistan,accompagnéd'une

armée,situdésiresletrôneetlacouronne,etquandtuserasarrivé,lielesmainsàRustemetamène-leentenant

suspenduàtonbraslelacetquil’enchérit;empêcheZewareh,FaramourzetDestanfilsdeSamdetetendreunpiège

;amène-lesàpiedàmacour,ôprinceillustre!etalorspersonneneserévolterapluscontrenous,sipuissantet

sirichequ'ilsoit.

LeSipehbedIsfendiarfronçalessourcilsetditau roidumonde:Net'écartepasdelaloi.Ilnes'agitpas

pourtoideDestanetdeRustem,tunecherchesqu'unmoyendetedébarrasserd'Isfendiar.Tunepeuxterésoudreà

m'abandonnerletrôneroyal,ettudésiresquejequittelemonde.Quelacouronneetletrônedesroisterestent,il

yabiendescoinsdanslemondequimesuffiraient;maisjenesuisqu'undetesesclaves,etjemesoumetsàtes

ordresetàtavolonté.Sonpèreluirépondit:N'agispasimprudemment;maissituveuxacquérirdupouvoir,n'agis

pastimidement.Choisisdansl'arméedescavaliersnombreux,deshommesquiontdel'expérienceetsontpropresau

combat. Mes armes et mes troupes sont entièrement à toi,et c'est à l'âme de tes ennemis à trembler. A quoi me

serviraientsanstoidestrésorsetdesarmées,letrônedelaroyautéetlacouronned'or?Isfendiarrépondit:Je

n'aipointbesoindetroupes,car,quandlemomentdelamortestarrivé,lepluspuissantroinepeutleretarder

avec une armée. Il quitta laprésence du roi et se retira, tout enflammé des paroles de son pèreet du désir

d'acquérirlacouronne;ilrentradanssonpalais,déchirédesentimentscontradictoires,labouchepleinedebelles

paroles,lecœurpleindesoucis.

KITABOUNDONNEDESCONSEILSÀISFENDIAR.

QuandKitabounsut cequis'étaitpassé,elleserenditauprèsdesonfils,lecœurpleindecolère,lesyeux

pleinsdelarmes,etditaunobleIsfendiar:Ohéritierdeshéros!j'aiapprisdeBahmanquetuveuxquitterle

jardinderosespourallerdansleZaboulistan,etmettredanslesfersRustem,lefilsdeZal,lemaîtredel'épéeet

delamassue.Écouteleconseildetamère:netejettepasétourdimentdanslemalheur,etn'essayepasdefairele

mal.Rustemestuncavalierpuissantcommeunéléphant,quiméprisedanslecombatlaforceducourantduNil,qui

déchire les reins du Div blanc, et devant l'épéeduquel le soleil se détourne de sa route ; il a tué le roi du

Hamaveran,etpersonnen'ajamaisoséluiparlerrudement;envengeantlemeurtredeSiawuschparAfrasiab,ila

rendu la terrecommeunemerdesang.Nelivrepastatêteauventparledésird'unecouronne,carlesroisne

naissent pas avec une couronne.Maudits soient ce diadème et ce trône ; maudits ces meurtres, cesluttes et ces

rapines!Tonpèreestdevenuvieuxettuesjeune;tuespuissantparlaforcedetesmainsetpartabravoure.

Toutel'arméeespèreentoi;n'appellepassurtoilemalheur,dansunmomentdecolère.Ilyabiend'autreslieux

dans le monde que leSéistan ; ne fais pas d'imprudence, n'agis pas follement. Ne merends pas l'être le plus

malheureuxdanscemondeetdansl'autre;écoutelesparolesdetamèrepleinedetendresse.

Isfendiar,répondit:Omatendremère,rappelle-toimesparoles!Rustemesttelquetuledécris;tonrécitde

seshautsfaitsestaussivéridiquequeleZendavesta.Cherchetantquetuvoudras,tunetrouveraspersonnedans

l'Iranquiaitfaitplusdebienquelui,etiln'estpasjustedelemettredanslesfers:ceseraunemauvaise

action,quisiéramalauroi.Mais,d'unautrecôté,ilnefautpasmebriserlecœur;car,situmelebrises,je

l'arracheraidemoncorps.Commentpourrais-jedésobéirauroi,commentmerésoudreàperdreunpareiltrône.Sije

doispérirdansleZaboulistan,lecielmeforceracertainementd'yaller,quoiquejepuissefaire;maissiRustem

veutseconformeràmesordres,jamaisilm'entendraunmotfroidsortirdemabouche.

Des larmes de sang s'échappèrent des cils de sa mère; elle s'arracha les cheveux et lui dit : O jeune et

vaillantéléphant!danstonardeurtufaispeudecasdelavie.TunesuffiraspaspourvaincreRustem;nepars

doncpassansunearmée.Neportepastaviedevantcetéléphantfurieux,ent'exposantsansdéfenseàsescoups.Si

tuesdéterminéàpartir,c'esttoutcequedésireAhrimanlemalveillant;mais aumoinsn'entraînepasenenfertes

fils,caraucunhommedesensnet'approuverait.Lehérosavidedecombatsréponditàsamère:J'auraistortdene

pasemmenermesfils;carsiunjeunehommes'accoutumeàresterenarrière,sonâmedevientbasseetsonespritse

ternit.J'aibesoind'euxsurchaquechampdebataille,ômamèrepleinedesagesse;maisilnemefautpasunearmée

nombreuseendehorsdemafamille,demesalliésetdequelquesgrands.

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ISFENDIARCONDUITUNEARMEEDANSLEZABOULISTAN.

Lelendemainmatin,àl'heureoùchantelecoq,onentenditlestimbalessouslaportedupalais;Isfendiar,

fortcommeunéléphant,monteàchevaletemmenasonarméerapidementcommelevent.Ilcontinuaàmarcherjusqu'àce

qu'il trouvât devant lui deux routes ; leséléphants et l'armée s'y arrêtèrent : une des routes conduisait à

Gunbedan,l'autreàKaboul.Lechameauquiouvraitlamarchesecoucha;tuauraisditqu'ilnetaisaitqu'unavecta

terre;lechamelierlefrappaàlatêteavecsonbâton,etlacaravaneneputavancer.Isfendiardit:Ceciestde

mauvaisaugure;etilordonnadécouperauchameaulatêteetlespieds,pourquelemalheurretombâtsurlechameau

etneternitpaslasplendeurdivinequientourelesrois.Leshommesdeguerrecoupèrentlatêteàl'animal,sur

lequelretombaitàl'instantsonmauvaisaugure.Isfendiardevintsoucieuxàcausedecetteaventureduchameau;

mais, ne voulant pas prendre au sérieux le mauvaisprésage, il dit : Celui qui est victorieux et dont le trône

illuminelemondedoitrecevoiravecdeslèvressourianteslebienetlemal,quitouslesdeuxviennentdeDieu.

DelàilserenditsurlesbordsduHirmend,encoretremblantetcraignantunmalheur.Onétablitl'enceintede

sestentesselonlacoutume,etlesgrandsdel'arméechoisirentlaplacedeleurcampautourd'elle.Isfendiarfit

mettrelerideauetposersontrône,ettousceuxquelafortunefavorisaitseréunirentdevantsontrône;ilfit

apporterduvinetappelerdesmusiciens.Beschoutens'assitenfacedelui,etleschantsremplirentdejoielecœur

duroietdélivrèrentdetoutsoucilesâmesdesnobles.Lesjouesdesgrandsetduvaillantrois'épanouirentcomme

desrosessousl'influenceduvieuxvin,etIsfendiarditàsescompagnons:Jemesuisécartédelavolontéduroi

etmesuiségarédesavoie.Ilm'aordonnédem'occuperdel'affairedeRustem,denepasmerelâcherdudevoirde

l'enchaîneretdel'humilier.Jenel'aipasfait;jen'aipassuivilavoiedemonpère,carcethommeaucœurde

lionettoujoursprêtaucombatépargnebeaucoupdepeineauxgrandsetamaintenulemondeenordreavecsalourde

massue;toutlepaysd'Irannevitquegrâceàlui,depuislesroisjusqu'auxesclaves.Ilmefautmaintenantun

envoyésachantécrire,prudent,sageetattentif,uncavalierglorieuxetgracieux,unhommequeRustemnepuisse

tromper. Si Rustem voulaitvenir auprès de moi, il rendrait joyeuse mon âme sombre ; s'ilvoûtait me livrer

paisiblementsamainenchaînée,ilenchaîneraitparsasagesselemalquejedevraisluifaire;carjeneluiveux

quedubien,pourvuqu'ilécartetoutmauvaisvouloirenversmoi.Beschoutenluidit:Tuesdanslevrai;continue

ainsietfais-toileconciliateurdesbraves.

ISFENDIARENVOIEBAHMANAUPRESDERUSTEM.

IsfendiarfitvenirBahmandevantluietluiparialonguement,disant:Montesurtondestriernoir,pare-toi

avecdubrocartdeChine,placesurtatêteunecouronneroyaletoutecouvertedepierresfinesdignesd'unPehlewan,

pourquetousceuxquitevoienttedistinguentparmilesgrands,sachentquetuesderaceroyaleetinvoquentsur

toilesgrâcesduCréateur.Emmèneavectoicinqchevauxdemainauxbridesd'or,etdixMobedsportanthautlatête

etdegrandrenom;continuetaroutejusqu'aupalaisdeRustem,maissanstefatiguer.Salue-ledemapart,soisbon

pourlui, parle-lui en paroles choisies, sois d'une politesse parfaite,et dis-lui : Celui qui devient grand et

puissantets'élèveau-dessusdetoutdangerdemalheurdoitrendregrâceàDieu,quidetouteéternitéconnaîtce

quiestbien.Sil'hommes'efforcedefairelebienets'abstientdel'aviditéetdesmauvaisdésirs,Dieuaugmente

sonpouvoiretsestrésors,etilseraheureuxdans son séjour passagersurla terre ; s'ils'abstient de toute

mauvaiseaction,iltrouveradansl'autremondeleparadis.Lesagesaitquelebienetlemalpassentsurnous,et

qu'àlafinnotrecoucheestlaterrenoireetnotreâmes'envoleauprèsdeDieu,letrèssaint.Quiconquedansle

mondesaitcequiestbien,sedonnedelapeineetseconformeàlavolontédesrois;onestrécompenséselonce

qu'onafait;etl’onreçoituneréponseselonlesparolesqu'onaprononcées.

Maintenantnousvoulonsprendrelamesuredetesactes,etilnefautnilesexagérernilesdiminuer.Tuasvécu

desannéessansnombre,tuasvubiendesroisdanslemonde,etsitudéviesduchemindelaraison,tusaisquecela

n'estpasdignedetoi,quiasreçudemesancêtrestantdepouvoir,detrésors,d'armées,dechevauxmagnifiques,de

trônesetdecouronnes.PendanttoutletempsqueLohraspaétélemaîtredumonde,tun'espasalléàsacour,et

lorsqu'ilaremislacouronneàGuschtasp,tun'asplusfaitattentionàsontrône.Tuneluiaspasécrituneseule

lettre,tut'esaffranchidetouslesdevoirsd'unsujet.Tunet'espasprésentéàsacourcommeunserviteur;tune

donnes plus àpersonne le titre de roi. Mais depuis Houscheng, Djamschid et levaillant Feridoun,qui aenlevé

l'empireàlaracedeZohak,etendescendantjusqu'àKeï-Kobad,quiaplacésursatêtelacouronnedeFeridoun,le

trône n'a été occupé par aucun roi aussipropre aux combats et aux festins, aux conseils et à la chasse, que

Guschtasp.Ilaadoptélafoipure,ilaanéantil'injusticeetl'erreur;lavoixdumaîtredelaterreestdevenue,

souslui,brillantecommelesoleil,et.lesmauvaisesdoctrinesetlesvoiesduDivontdisparu.Ensuite,lorsque

Ardjaspestvenulecombattreavecunearméesemblableàdesléopardsetdepuissants crocodiles, une armée dont

personnenesavaitlenombre,leroiillustreestalléàsarencontreetafaitduchampdebatailleuncimetièretel

quenullepartonnevoyaitlesol,telque,jusqu'aujourdelarésurrection,lesouvenirn'envieillirapasparmi

mesgrands.Aujourd'huitoutestàluidepuisl'Occidentjusqu'àl'Orient,etilbriseledosdeslionsvaillants.Va

duTouranjusqu'auxfrontièresdel'IndeetduRoum,ettuverrasquelemondeestdanssamaincommeunepoignéede

cire.Descavaliersdudésert,quipercentavecleurslances,setrouventàsacour,etleursvillesluienvoientdes

tributsetdesredevances,carilsnepeuventluirésisterniluttercontrelui.

Jetediscela,ôPehlewan,parcequetuasoffensél'espritduroi;tunet'espasprésentéàsacourillustre,

tun'aspasvulesgrandsquil’entourent;tuaschoisidanslemondeunefrontièreéloignéeoùtutecaches;mais

commentlesgrandspourraient-ilst'oublier,àmoinsd'avoirperdutoutsens?Tuastoujoursvoulutoutcequiest

bien, tu t'estoujours conformé aux ordres des rois ; et si quelqu'un voulaiténumérer les fatigues que tu as

supportéespoureux,lalisteseraitpluslonguequecelledetestrésors;maisilyaunroiquin'approuvepas

dansunsujetcequ'onracontedetoi;ilm'aditque,rassasiédedons,depaysetdetrésorsaccumulés,tues

devenufier,tuterenfermesdansleZaboulistan,etneviensàsonaideenrien,etquetuneleverraisjamaisdans

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lasalledesfestins,puisquetutrouvaisbondetetenirloinduchampdebataille.Unjourilestentréencolère,

etajuréparlejourbrillantetlanuitsombrequepersonnedanssonarméechoisieneteverraitàlacour,sice

n'estenchaîné.

Maintenantjesuisvenudel'Iran pourt’emmener,etleroim'aordonnédenepasmereposerunseulinstant.

Soumets-toidonc,ettrembledevantsacolère;carnesais-tupasquelregarddecolèresonœilpeutlancer?Mais

situviensavecmoi,situprometsd'obéir,situterepensdet'êtretenuéloigné,jejureparlesoleil,parles

mânesglorieusesdeZeriretparl'âmedemonpère,lemaîtredumonde,lelion,quejeferairepentirleroidesa

sévéritéquejeferaibrillerdenouveaulaluneassombriedesagrâce.L'intelligenceetlasagessesontmesguides,

etBeschoutenm'esttémoinquej'aidéjàessayédecalmerleroi,quoiquej’aievulesfautesquetuascommises;

maismonpèreestroi,etjesuissonsujet:jamaisjenem'écarteraidecequ'ilordonne.Ilfautquetouteta

famille serasersemblepourtenirconseiletseconcertersurcetteaffaire:Zewareh,Faramourz,Destanfilsde

Sam,etlaglorieuseRoudabeh,pleined'expérience.Peseztousmesconseilsl'unaprèsl'autre,cédezàmesbonnes

paroles;carilnefautpasquevotrepalaisdeviennedésertetsoitlaproiedesbravesdel'Iran.Quandjet'aurai

conduit enchaîné devant le roi, quand je lui aurai exposétes nombreuses fautes, je me placerai devant lui

humblement,etj'apaiseraisacolèreetsondésirdevengeance:jenesouffriraipasquemêmeunsouffledeventte

touche,commeilconvientàunhommedemanaissance.

BAHMANRENCONTREZAL.

Bahman,aussitôtqu'ileutentendulesparolesduprinceillustre,semitenroute,vêtud'uneroberoyalede

tissud'or, couvert de son casque princier. Il sortit fièrement del'enceinte des tentes, suivi de son drapeau

brillant.Lorsquecejeunehommeambitieux,dontlastatureressemblaitàuncyprèsélancé,eutpasséleHirmend,une

sentinellelevitetpoussaducôtéduZaboulistanuncriannonçantqu'unvaillantcavalier,montésurunchevalnoir

avecdesharnaisd'or,arrivaitsuividequelquescavaliersordinaires,etavaitpassélestementlarivière.Zal-Zer

montasur-le-champ à cheval, portant au crochet de la selle son lacet, etune massue en main ; il s'avança, et

aussitôt qu'il eut aperçuBahman,unsoupirs'échappadesapoitrineetildit:C'estunillustre Pehlewan, qui

portehautlatêteetestcouvertdevêtementsroyaux;c'estsansdoutequelqu'undelafamilledeLohrasp;puisse

latracedesespiedsporterbonheuràcepays!

Ils'enretournadelatourdelasentinelleàlaportedesonpalais,etrestalongtempscourbésursoncheval

etabsorbéparsespensées.BahmanparutaveclabannièredesKeïanidesdéployée;cejeunehomme,quineconnaissait

pasZal,étenditsonbrasroyal,et,s'étantapproché,élevalavoix,disant:Ohomme,filsdeDihkan!oùestdonc

l echef du peuple, le fils de Destan, le soutien de l'époque ? carIsfendiar, le héros, est arrivé dans le

Zaboulistanetadressésestentessurlesbordsdufleuve.Zalluirépondit:Ojeunehommeimpétueux!descendsde

cheval,boisduvinetrepose-toi.RustemvarevenirdelachasseavecZewareh,Faramourzetsonescorte.Viensavec

tescavaliers,ôhommenoble,etréjouistoncœuravecquelquescoupesdevin.Bahmandit:Isfendiarnem'apas

permisdepenseràduvinetàdejoyeuxcompagnons;choisis-moiunhommequisachelecheminpourqu'ilmeconduise

aulieudelachasse.Zalrépondit:Quelesttonnom?tupassesbienrapidement;quelesttondésir?Jepenseque

tu esdelafamilledeLohrasp,ouunfilsduroiGuschtasp?Bahmanluidit:JesuisBahman,filsdumaîtredu

monde,aucorpsd'airain.

Zal,àcesparoles dujeunehommepleindefierté,mitpiedàterreetluirendithommage.Bahmandescendit

aussidechevalensouriant,etfitàZaldesquestionssursasanté.Zalréponditetleprincel'écouta.Zallepria

longuementdes'arrêter,disantqu'iln'étaitpasraisonnabledepartirsivite;maisBahmaninsista,parcequ'ilne

fallaitpasnégligeretretarderunmessageadresséparIsfendiar,etilchoisitunbravequisavaitlechemin,et

l'envoya avec lui à l'endroit oùRustem chassait. Le guide se mit à marcher devant le prince :c'était un homme

expérimenté,dunomdeSchirkhoun;ilmontradudoigtàBahmanlelieuoùsetrouvaitlachasse,etlui-mêmes'en

retournaàl'instant..

BAHMANS'ACQUITTEDESONMESSAGE.

Lejeunehommesetrouvadevantunemontagne,surlaquelleilpoussasonchevaldeguerre;d'enhautilavaitla

vuesurlelieudelachasse,etilaperçutlePehlewandel'armée,unhommesemblableaumontBisoutoun;iltenait

dansunemainuntroncd'arbresurlequelétaitembrochéunonagre;unemassueetdesharnaisdechevalétaient

placésàsescôtés;iltenaitdansl'autremainunecoupedevin,etsesserviteursétaientdeboutenfacedelui;

Rakschcouraitdanslaprairie,ettoutautouronvoyaitdesarbres,despâturagesetdeseauxvives.Bahmansedit:

CeciestouRustem,oulesoleillevant.Personnen'ajamaisvudanslemondeunhommecommelui,nin'aentendu

parlerdesonpareilparminosancêtresillustres.Jecrainsqu'Isfendiar,lehéros,nepuisseluirésister,etqu'il

nerefusedelecombattre;maisavecunepierrejepuisletuer,etfairetremblerlecœurdeZaletdeRoudabeh.

Ildétachaalorsunepierred'unrocher,etlafitroulerduhautdelamontagne.Zewarehaperçutd'enbasle

morceauderocher,etentenditlebruitqu'ilfaisait;ils'écria:ôPehlewan,ôcavalier!voiciunepierrequi

vientenbondissantduhautdelamontagne!Rustemsourit,ilnelâchapasl'onagre,àlagrandefrayeurdeZewareh,

et attendit que la pierre fût arrivéeprès de lui et que toute la montagne fût couverte de la poussièrequ'elle

soulevait;alorsillafrappadutalondesa botteetlarejetaauloin:ZewarehetFaramourzlecouvrirentde

leursbénédictions.Bahmanfutconsternédecetexploitquiluiavaitfaitvoirlaforceetlegrandairdecethomme

;ilsedit:SilefortunéIsfendiarengageuneluttecontrecehérosillustre,ilrecevraunaffront,etilvaut

mieux qu'il use de courtoisie enverslui ; car si Rustem était vainqueur de mon repère, il s'empareraitde tout

l'Iran.Ilremontasursondestrierauxpiedsdevent,etdescenditdelamontagnetoutsoucieux;ilracontaàses

Mobedslamerveillequ'ilavaitvue,etrepritlentementsonchemin.

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Quandilfutarrivéprèsdulieudelachasse,Rusteml'aperçutsurlarouteetditàsonMobed:Quelestcet

homme?Ilmesemblequec'estquelqu'undelafamilledeGuschtasp.IlallaàsarencontreavecZewarehettousses

compagnonsdechasse,grandsetpetits.Bahmanmitpiedàterrerapidementcommelafumée,aussitôtqu'illevit,et

luiadressapolimentlesquestionsd'usage.Rustemluidit:Tun'auraspasderéponsedemoiaussilongtempsquetu

nem'auraspasdittonnom.

Ilrépondit:Jesuislefilsd'Isfendiar,lechefdeshommesloyaux,l'illustreBahman.LePehlewanleserra

aussitôtcontresapoitrineetluidemandapardondes'êtrefaitattendre.Touslesdeuxserendirentàl'endroitou

Rustem avait campé, et lesnobles serviteurs du prince lessubirent. Bahman s'assit etrapporta longuement les

souhaits dont le roi et les Iraniensl'avaient chargé pour Rustem ; ensuite il dit : Isfendiar a quittéle roi

rapidement,commelefeu,iladressésestentessurlebordduHirmend,selonlesordresdugrandroivictorieux,et

j'ai àtransmettreauvaillantPehlewanunmessagedemonpère,s'ilveutm'écouter.Rustemrépondit:Lefilsdu

princes'estbeaucoupfatiguéetafaitunelongueroute;mangeonsd'abordunpeudecequenousavonsici,ensuite

lemondeestàtesordres.

Ilplaçadupaintendresurlecuirquiluiservaitdetable,apportaunonagrerôtietchaud,etleposasurla

nappedevantBahman,enparlantd'anciennesaventures.IlfitasseoirsonfrèreZewarehàcôtéduprince;maisil

n'appela aucun desgrands qui étaient présents. Ensuite il plaça devant lui-même unautre onagre, car il lui en

fallait un chaque foisqu’ildînait,répanditduseldessus,ledépeçaetlemangea.Bahman,quiportaithautla

tête,leregarda,mangeaaussiunpeudesononagre,maismoinsdelacentièmepartiedecequemangeaitRustem.

Celui-cisouritetluidit:C'estpourjouirqueleroiasontrône;maissic'estainsiquetumanges,commentas-

tupuentrerdanscettefournaisedesseptstations?Commentpeux-tufrapperdelalancedanslabataille,sic'est

làtondîner?Bahmanrépondit:Unfilsderoidoitparleretvivresobrement;maissisanourritureestexiguë,

seseffortsdoiventêtregrandsdanslecombat,etildoittoujoursportersaviesurlapaumedesamain.

Rustemsemità rireetditàvoixhaute:Onnedoitpascacherdevantlesbravessabravoure.Ilremplitdevin

unecouped'oretlabutàlasantédeshommeslibres;ensuiteilplaçauneautrecoupedanslamaindeBahmanen

disant:Portelasantédequituvoudras.Bahmanredoutantcettecoupedevin,Zewarehlavidaavantlui,disant:O

filsderoi,puissentlevinettescompagnonsteplaire.BahmanpritrapidementlacoupedesmainsdeZewareh;mais

cethommeaucœurinquietétaitunfaiblebuveur.Rustem,sonappétit,sastature,sesbrasetsesépaules,toutle

confondait.Alafinlesdeuxcavaliersmontèrentàcheval,Bahmansetintàcôtédel’illustrePehlewan,etlehéros

augrandrenomcommuniquaàRustemlessaintsetlemessaged'Isfendiar.

RUSTEMRÉPONDABAHMAN.

RustemécoutalesparolesdeBahman,etlecerveauduvieillardseremplitdesoucis;ilrépondit:Ehbien,

j'aientendutonmessage,jemesuisréjouidetevoir;portemaintenantmaréponseàIsfendiardanscesmots:O

princeillustre,aucœurdelion,quiconqueadusensdanslatêteréfléchitavanttoutsur la possibilité d'une

affaire.Quandonestvaillantetvictorieux,quandonpossèdecequ'onadésiré,destrésorsamassés,dupouvoir,de

labravoureetungrandnom,quandonesthonoréparlespluspuissants,quandonadanslemondelapositionquetu

as,ondoitécarterdesonesprittoutmauvaisvouloir.AdoronslajusticedeDieu,repoussonsdenotremainlamain

dumal.Touteparoleinutileestunarbresansfruitsetsansparfum.Sitonâmeselaissealleràlavoiedela

passion,tutepréparespourlongtempsuneviesansprofit.Quandunprinceparle,ilvautmieuxqu'ilpèsesesmots,

ilvautmieuxquesabouches'abstiennedemauvaisesparoles.Tonserviteuratoujoursétéheureuxdesparolesde

ceuxquiluiontditquejamaismèren'avaitmisaumondeunfilscommetoi,quetudépassaistoustesancêtresen

bravoure,ensagesse,enintelligenceetenprudence,cartelesttonrenomdanslepaysdesBerbers,dansleRoum,

danslaChineetdanslepaysd'Occident.Cesliensquiterattachentànousm'ontremplidereconnaissance,etje

priepourtoilejourettroisfoischaquenuit.Ensuitej'avaisdemandéàDieuunegrâcedontl'accomplissement

réjouitmaintenantmoncœur,c'estdevoirtonvisagechéri,decontemplerunhommesipuissant,sihéroïqueetsi

bon, de nous asseoir ensemble joyeusement et de saisir les coupespour les vider à la santé du roi des rois. A

présentj'aiobtenutoutcequej'aidemandéetjecoursjouirdecequej'aitantdésiré.Jevaismeprésenterdevant

toi sans armée, etj'entendrai de ta bouche les ordres du roi. Je t'apporterai lestraités que les rois m'ont

accordés,encommençantparceluideKeïKhosrouetenremontantjusqu'àKeï-Kobad.

Maismaintenant,ôhommevaillant,quetut'occupesdemoi,rappelle-toimesnombreuxhautsfaits,lebienque

j'aiaccompli,lesfatiguesetleschagrinsquej'aisupportés,lecultequej'airenduàtouslesroisdepuisles

tempsanciensjusqu'àcejour.Orsileschaînesdoiventêtremarécompensedetoutescespeines,siceroid'Iran

veutmeperdre,ilauraitmieuxvalunepasnaître,ou,étantné,nepasresterdanscettevie.Jeviendrai,jete

diraitousmessecrets,etmavoixs'élèveraau-dessusdecetteterre.Maispuis-jemarcheràpied,couvertdema

cuirasseenpeaudeléopard?Puis-jelaisserliermesbrasavecunecourroie,moiquiaibriséledosde l'éléphant

furieuxetl’aijetédanslesflotsbleus?Puisquejen'aicommisaucuncrimequieûtméritéqu'onmetranchâtla

tête,épargne-moilesparolesrudes,réservetesduretéspourenaffligerleDiv,nedispascequepersonnen'a

jamaisdit,necherchepas,confiantdanstaforce,àenfermerleventdansunecage.Sipuissantqu'onsoit,onne

peutpastraverserlefeu,nipasserl'eausansnager,nicacherl'éclatdelalune,nirendrelerenardl'égaldu

lion.N'essayedoncpasd'obstruermaroutepardesquerelles;carmoiaussijepuisviderunequerelle,etjamais

personnen'avudeschaînesàmespieds,jamaisunéléphantfurieuxnem'afaitreculer.

Faiscequiestdigned'unprince,neprendspasdanstapassionconseilduDiv,aielecouraged'écarterdeton

cœurlacolèreetlavengeance,neregardepaslemondeavecl'œildelajeunesse.Faisrentrerlecalmedanstonâme

etpasselarivière,etDieu,lesaint,lejuste,tebénirai.Honoremamaisondetaprésenceàunefête,netetiens

pasloindeceuxquitevénèrent,etdemêmequej'aiétéhumbledevantKeï-Kobad,jeterecevraidanslajoiedemon

cœur.Vienscheznousavectonarmée,etresteavecnousjoyeusementpendantdeuxmois;leshommesetleschevauxse

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reposerontdeleursfatigues,etlajalousierendraaveuglelecœurdenosennemis.Ledésertestpleindebêtes

fauves,lescoursd'eausontcouvertsd'oiseaux,et,quellequesoitladuréedetonséjour,ilsnes'enfuirontpas.

Je te verrai déployer ta force de hérosquand tu abattras avec ton épée des lions et des léopards, et quandtu

voudrasramenerdansl'Irantonarmée,laramenerauroidesbraves,j'ouvrirailaportedemesancienstrésorsque

j'aiaccumulésàl'aidedemonépée,jet'apporteraitoutcequejepossède,toutcequej'airéuniparlaforcede

monbras:tuenprendrascequetuvoudras,tudistribueraslereste,maisn'affligepasnotrecœurdansunjour

pareil. Quand le moment du départ sera arrivé, quand tu auras besoin derevoir le roi, les rênes de mon cheval

toucherontlestiennespendanttoutelaroute,jemeprésenteraidevantleroijoyeusement,mesexcuseseffacerontsa

colère,jeluibaiserailatête,lespiedsetlesyeux,etjedemanderaiaugrandroiillustrepourquoimespieds

doiventporterdeschaînes.Ettoi,Bahman,rappelle-toitoutcequejet'aiditetrépète-leaupuissantIsfendiar.

RETOURDEBAHMAN.

Bahman,ayantentendularéponsedeRustem,partitetchevauchaentoutehâteavecsesMobedspleinsdevertu.

Tehemtenrestapendantquelquetempssurlaroute,ensuiteilappelaZewarehetFaramourzetleurdit:Allezauprès

deDestanetauprèsdeRoudabeh,laluneduZaboulistan,etditesleurqu'Isfendiarestarrivé,qu'ilestarrivéun

hommequiambitionnelapossessiondumonde;qu'ilfautplacerdanslasalled'audienceletrôned'oretlecouvrir

commepourunroi;qu'ilfautparerlepalaiscommedutempsdelavisitedeKaousetencoreplusmagnifiquement,et

préparerunbeaufestin,carilnefautlelaissermanquerderien;c'estlefilsduroiquivientnousvoir,il

vientpleinderancuneetavidedecombats,c'estunhérosillustreetunpuissantprince,quinecraintpastoutun

désertremplidelions.Jemerendraiauprèsdelui,ets'ilacceptelefestin,noustouspouvonsespérerunefin

heureusedecetteaffaire.Sijetrouveenluidelabonté,jeluiapporteraiundiadèmed'oretderubis,jelui

prodigueraimestrésorsdepierreries,decaparaçons,demassuesetd'épées;maiss'ilmerenvoiesansespoirde

paix,s'ilneveutpasmelaissermejustifier,tusaisquemonlacetroulépeutprendredanssonnœudlatêted'un

éléphant furieux.Zewarehluidit:Net'inquiètepas:personnenechercheuncombatsansprovocation,etjene

connaispasunroidanslemondequisoitl'égald'Isfendiarennoblesseetenbravoure;unhommedesensneveutpas

lemal,etIsfendiarn'apasdefautesànousreprocher.

ZewarehpartitpourallertrouverZal,etRustem,desoncôté,seredressaetcourutjusqu'aubordduHirmend,sa

têtes'exaltantparlepressentimentdudanger.Ilarrêtasonchevaldececôtédufleuve,etattenditqueBahmanlui

apportâtlessalutationsd’Isfendiar.Bahmanarrivadansl'enceintedestentesdesonpèreetseplaçadevantlui;

lefortunéIsfendiarluidemandaquelleréponseilavaitreçueduvaillantPehlewan.Bahman,àcesparoles,s'assit

devantsonpèreetluiraconta,ducommencementjusqu'àlafin,toutcequiavaitétédit;ilrépétad'abord les

souhaitsdeRustem,ensuitesonmessage,etlaréponsequ'ilenvoyait,etrenditcomptedetoutcequ'ilavaitvuet

de cequ'il avait observé en secret. Il ajouta : On ne voit dans l'assemblée des grands aucun homme qui soit

comparableàRustemaucorpsd'éléphant.Ilauncœurdelionetuncorpsd'éléphantfurieux,iltirelescrocodiles

deseauxbleuesdufleuve.IlvientmaintenantsurlebordduHirmend,sanscuirasse,sanscasque,sansmassueetsans

lacet;ilabesoindevoirleroi,etjenesaisquelsecretiltedira.

IsfendiarsemitencolèrecontreBahman,etletraitaavecignominiedevanttoutel'assemblée,disant:Ilne

convientpasàunhommequiportehautlatêtedes'asseoirensecretaveclesfemmes,ets'ilemploiedesenfants

pourdegrandesaffaires,cen'estpasunhommebraveetvaillant.Oùas-tudoncvudeshommesdeguerre,toiqui

n'aspasmêmeentendulavoixd'unrenard?EnfaisantdeRustemunéléphantdeguerre,tuaffligeslecœurdecette

assemblée illustre. Ensuite il dit en secret àBeschouten : Ce lion avide de combats et toujours prêt à livrer

bataillesecomportecommeunjeunehomme;ettuverrasquelesannéesneluiontpasdonnéuneride.

RUSTEMETISFENDIARSERENCONTRENT.

LefortunéIsfendiarfitsellersonchevalnoiretluifitmettreuneselled'or;ensuitecentcavaliersdeson

cortègeillustrepartirentaveclui.Ilcourutjusqu'aubordduHirmend,lelacetroulésuspenduaucrochetdela

telle;Rakschsemitàhennird'uncôtédufleuve,etdel'autre,lechevalduhérosdistributeurdecouronnes.

Tehemtentraversalefleuve,et,arrivéàterre,ildescenditdechevaletsalualehéros.Aprèsluiavoirrendu

hommage,ildit:J'avaispriéDieul'uniquepourqu'ilteguidât,ôprinceillustre,demanièrequetuarrivasses

icienbonnesantéavectonarmée.Maintenantnousparleronsensemble,nousnousrépondrons,etnousprendronsune

résolutionquiporterabonheur.SachequeDieum'esttémoinetjenemelaisseguidericiqueparlaloidelaraison,

quejenecherchepasàbrillerparmesparoles,etquejamaisjen'essayedetromper.Sijevoyaislestraitsde

Siawusch,jen'enauraispasplusdejoiequedel'aspectdetonfraisvisage,carturessemblesentièrementàce

maîtredelacouronne,àcedistributeurdumonde.Heureuxleroiquiaunfilscommetoi,unfilsdontlastatureet

lamajestédoiventréjouirunpèreheureuxlepaysd'Iran,quivénèretontrôneettafortunequines'endortpas!

Malheuràceluiquichercheàtecombattre,cariltomberadesontrônedanslapoussière!Puissetafortuneêtre

toujoursvictorieuse,puissentlesnuitssombresêtrepourtoicommedesjoursduNôrouz!

IsfendiarécoutalesparolesdeRustem,descenditdesonnobledestrier,serrasursapoitrinelehérosserait

pourmoiunehontequines'effaceraitjamais,siunSipehbed,unchef,unprince,unlionpleindefierté,unhomme

puissantcommetoirefusaitd'entrerjoyeusementdansmamaison,etd'êtremonhôtedanscepays.Siturepoussaisde

toncœurcettehaine,situfaisaisuneffortsurtoietrésistaisauDiv,monâmeseraitheureusedetesparoleset

j'obéirais à tout ceque tu m'ordonnerais, exceptédemettre des fers, carlesfersmecouvriraientdehonte,ce

seraitmadestructionetunemauvaiseaction.Personnenemeverravivantdanslesfers,mavieestàceprix.J'ai

dit.

Isfendiarreprit: Otoi,héritierdeshérosdanslemonde,tuasditvrai,tun'asproféréaucun mensonge.

Puissentleshommesnejamaischercherdel'éclatpardesvoiestortueuses!maisBeschoutensaitlesordresquele

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roim'adonnésquandjemesuismisenroute.Ormaintenant,sijevaisdanstonpalais,sijesuistonhôtejoyeuxet

victorieux,etqueturefusesd'obéirauroi,lasplendeurdujourseraterniepourmoi;carilestcertainqueje

t'attaquerai,quejetecombattraiaveclafureurd'unléopard;j'oublierailesdroitsdupainetdusel,cequifera

douterdelavertudemaracedontonn'ajamaisdouté;d’unautrecôté,sijedésobéissaisauroi,maplacedans

l'autremondeseraitlefeu.Situenasenvie,consacronscejourauxcoupesdevin,carquisaitcequiarrivera

demain?

Maisilestinutiledeparlerdel'avenir.Rustemrépondit:Jevaisfaireainsi:jem'envaispourchangermes

vêtementsdevoyage,carj'aipasséunesemaineàlachasse,etjemesuisnourrid'onagresaulieud'agneaux. A

l'heuredudîner,fais-moirappeler,etmets-toiàtableaveclesmembresdetafamille.

IlremontasurRaksch,renfermantsessoucisdanssonâmeblessée,partitentoutehâteetchevauchajusqu'àce

qu'ilfûtarrivéàsonpalais.IlytrouvaZal,filsdeSam,filsdeNeriman,etluidit:Oprinceillustre,jeme

suisrenduauprèsd'Isfendiar,j'aivuenluiuncavaliersemblableàuncyprèsélancé,pleindesens,degrâceetde

dignitéroyale.OndiraitquelevaillantroiFeridounluialéguésapuissanceetsasagesse;quandonlevoit,on

letrouveplusgrandquesarenommée;ilbrilledetoutelamajestéduroidesrois.

ISFENDIARN'INVITEPASRUSTEMÀDINER.

LorsqueRustemeutquittélebordduHirmend,lepuissantroirestapleindesoucis;danscemomentBeschouten,

l econseiller du roi, entra dans l'enceinte des tentes, et le hérosIsfendiar lui dit : Nous avons pris trop

légèrementuneaffairepleinededifficultés.Jen'airienàfairedanslepalaisdeRustem,etlui,àsontour,n'a

rienàvoirchezmoi.S'ilnerevientpas delui-même,jenel'appelleraipas,carsil'undenousdoitpérirdela

maindel’autre,lecœurduvivantsaigneraitàcausedumort,etl'amitiéqu'ilauraitcontractées'exhaleraiten

lamentations.

Beschoutenluirépondit: Oprinceillustre,quiaunfrèrecommeIsfendiar?JejureparDieuque,lorsqueje

vousaivusd'abordensemble,quandjemesuisaperçuquevousnecherchiezpasàvouscombattre,j'aiétésicontent

deRustemetd’Isfendiarquemoncœurestdevenucommeleprintemps.Maintenant,quandj'examinecette affaire,je

voiequeleDivobscurcitvotreintelligence.Tuconnaiscethommepleindevaleur,tuconnaislavolontédeDieuet

l'avisdetonpère;abstiens-toidonc,nemetspasendangertavie,etécoutelesparolesdetonfrère.J'aientendu

toutcequeRustemadit,j'aivuquesapuissanceestégaleàsonhumanité;teschaînesneserrerontjamaisses

pieds,etiln'accepterapasfacilementtestiens.Lehérosdumonde,lefilsdeDestan,filsdeSam,netomberapas

sifacilementdanscepiège,etjecrains,quecettequerellenedeviennelongueetcruelleentredeuxhommesaussi

fiers.Tuesungrandprinceetplussagequeleroi,tuespluspuissantqueluipartaforcedanslecombatetpar

tabravoure.L'unrecherchelesfestins,l'autrelescombatsetlesvengeances:réfléchislequeldesdeuxmérite

l'approbation.

Leprinceluirépondit:Sijedésobéisauroi,onmelereprocheradanscemonde,etj'auraiàenrépondreà

Dieudansl’autre;etjeneveuxpasmesacrifierdanslesdeuxmondesàcausedeRustem.Onnesauraitcoudreavec

uneaiguillel'œildelavengeance.Beschoutendit:Jet'aidonnétouslesconseilsquipeuventêtreutilesàton

corpsetàtonâme;c'estàtoimaintenantdechoisirlemeilleur,maislecœurdesroisnedoitpaspencherversla

haine.

LeSipehbedordonnaauxcuisiniersdedresserlatable,etiln'envoyapersonnepourappelerRustem;quandle

dînerfutfini,ildemandaunecoupedevinetsemitàparlerduchâteaud'airainetdesaproprebravoure,età

boire à la santé du roi desrois. Pendant ce temps Rustem attendait dans son palais, n'ayantpoint oublié son

engagementàdîner.Letempss'écoulait,personnenevenait,etRustemregardaitsouventlaroute;maislorsquele

tempsdudînerfutpassé,lecerveauduhérosdébordadecolère;ilsemitàsourireetdit:Omon frère, fais

dresserlatableetappelerlesgrands;puisquetelleestlacourtoisied'Isfendiar,n'oubliejamaiscettemanière

princière.FaissellerpourmoiRakschetfais-lecaparaçonnerselonlamodedeChine.Jem'envaisretournerauprès

d'Isfendiaretluidirequ'ilnoustraitetroplégèrement,

ISFENDIARFAITDESEXCUSESARUSTEMDENEL'AVOIRPASINVITE.

Rustemmontaàcheval,semblableàunéléphant,etRakschhennitdemanièreàêtreentenduàdeuxmilles.Le

héroschevaucharapidementjusqu'auborddel'eau;toutel'arméedesIraniensaccourutpourlevoir,ettouthomme

quil'aperçutconçutpourluidanssoncœurdelatendresseetderattachement.Ilssedirent:Cehérosillustrene

ressemblequ'àSamlecavalier;ilestassissursonchevalcommeunemontagnedefer,etl’ondiraitqueRakschest

unAhriman;siunéléphantterriblelecombattait,etonnepourraitquedésespérerdel'éléphant.Leroiestinsensé

delivrerainsiàlamortunhérosglorieuxtelqu'Isfendiar,unprincebeaucommelalune,pourgardersacouronne

etsontrône;plusilvieillit,plusildevientavidedetrésors,plusiltientausceauetaudiadème.

LorsqueRustemfutarrivéprès delatented'Isfendiar,leprincesortitpourallerau-devantdelui,etRustem

luidit:OPehlewan,ôfortunéjeunehomme,quiintroduisdesformesetdesmanièresnouvelles!l'hôtequetuavais

invité ne valait donc pas un message ? telétait pourtant l'engagement qui a duré si peu. Fais attention à mes

paroles,netemetspasfollementencolèrecontreunvieillard.Tuasunebienhauteopiniondetoi-même,ettuagis

rudementenversnousautresgrands;tufaispeudecasdemabravoure,tumetienspourfaibledevolontéetd'esprit

;maissachequelemondemeconnaîtcommeRustem,quec'estmoiquiairendubrillantletrônedeNeriman,quele

Divnoirsemordlamainàcausedemoi,etquejeprécipitedeleurstrônesleschefsdesmagiciens.Lesgrandsqui

ontaperçumacuirasseenpeaudeléopardetlelionrugissant surlequeljesuismontésesonttousenfuissans

combat,etontcouvertlaplainedeflèchesetd'arcsabandonnés,commeKamousleguerrieretleKhakandelaChine,

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descavaliersvaillantsetdegrandsguerriersquej'aiarrachésdeleurschevauxaveclenœuddemonlacet,quej'ai

entourésde liensdelatêteauxpieds.Jesuisleprotecteurdesroisdel'Iranetlesoutiendesbravesentout

lieu. Ma prièrehumble t'a exalté,maisnecroispasêtrepluspuissantqueleciel.C'estàcausedeta dignité

royaleetdetacouronnequejechercheàmeconformeràtesvolontés,àresterloyalenverstoi,etquejedésire

qu'unprincecommeIsfendiarnepérissepasdemamainaujourducombat.Certes,Samlehéros,devantlequelles

lionss'enfuyaientdelaforêt,étaitunbrave,etmaintenantjerappelleaumondesonsouvenir:aucunlionn'osese

présenterdevantmoi.JesuisdepuislongtempslePehlewandumonde,etjamaisjen'aipasséunjouràfairedumal;

j'aipurifiélaterredenosennemis,j'aisupportébiendesfatiguesetdessoucis.JerendsgrâceàDieudeceque,

dansmavieillesse,jevoisunrejetonfortunédel'arbreroyal,monégal,quicombattraleshommesd'unecroyance

impure,etauquell’universrendrahommage.

IsfendiarsouritàRustemetdit:O petit-filsdeSamlecavalier,tuasétémécontentdecequ'iln'estpas

arrivédemessage,c'estcequej'aivoulu,etjem'englorifie;carlejourétaitsichaudetlarouteestsilongue

quejen'aipasvoulutefatiguer:neprendspascelaenmal.Dèscematinjedisaisquejeferaiscetteroutepour

m'excuserau-wprèsdetoi,meréjouirdelavuedeDestanetmelivrerunefoisàlajoie.Maintenantquetuaspris

surtoicettefatigue,quetuasquittétonpalaisetesarrivédansledésert,repose-toi,assieds-toi,prendsla

coupe,etnetefaispasuneréputationdecolèreetd'emportement.

Illuifituneplaceàsagauche,c'estainsiqu'ilvoulaitluifaireleshonneursdel'assemblée!Maisle

héros pleind'expérience dit : Ceci n'est pas ma place : je veux m'asseoir à laplaceàlaquellej'aidroit.Le

princeordonnaqu'onluifitplaceàsadroite,commeilledemandait;maisRustemluiditencolère:Regardema

statureetouvretesyeux;penseàmeshautsfaitsetàmanaissanceillustrecarjesuisdelaracedupuissant

Sam.Ondoits'attendredelapartdufilsd'unprinceàdelabravoure,àunemaingénéreuse,àuncœurpleinde

justice;maissitun'aspasuneplacedignedemoi,ilmerestemesvictoires,monnometmondroit.Alorslefils

duroifitplacerunsièged'ordevantletrône,etRustemallas'asseoirsurcesiège,encorepleindecolère,et

tenantenmainuneorangeparfumée.

ISFENDIARDÉPRÉCIELAFAMILLEDERUSTEM.

IsfendiarditàRustem: Oprincebienveillantetpuissant,j'aientendudireparlesMobeds,lesgrandsetles

hommes de sens quiobserventtout,queDestanlemalnéétaitfilsd'unDivetqu'ilnepouvait se vanter d'une

meilleureorigine,qu'onl'avaitlongtempscachédevantSametqu'onl'avaitregardécommelaruinedumonde.Son

corpsétaitnoir,sonvisageetsescheveuxétaientblancs,etquandSamlevit,soncœurfutdésespéré;illefit

porter sur leborddelamer,dansl'espoirquelesoiseauxetlespoissonsenferaientleurproie;leSimourgh

étenditsesailesetarriva,iln'aperçutdansl'enfantaucunsignedegrandeuretdemajesté,etleportaàl'endroit

oùil avait son nid. Mais personne ne pouvait seréjouiràl'aspectdeZal,etquoiqueleSimourgheûtfaim,il

dédaignadedévorerlecorpsdel'enfant.ZalvécutdurebutqueleSimourghlaissaittomber;soncorpsétaitnuet

misérable;pourtantleSimourghletraitaitavecpitié,etc'estainsiquelecieltournapendantquelquetempsau-

dessus de lui. Lorsqu'il eut sucé longtemps le rebut de la proiedu Simourgh, celui-ci le porta tout nu dans le

Séistan, et Sam, quiavaitpeuderaisonetétaitvieuxetmisérable,lerepritparcequ'il n'avait pasd'autres

enfants.Lesbienheureuxgrands,lesroismesancêtresbienveillantslerendirentprospèreetriche,etc'estainsi

quebiendesannéessepassèrent;ildevintuncyprèsquiélevaithautsacime,etquandileutdesbranches,il

produisitcommefruitRustemquis'élevajusqu'aucielparsabravoure,sastatureetlamajestédesamine,s'empara

deladignitéroyale,devintpuissantetquittalavoiedubien.

Rustemrépondit:Otoi qui te rappelles tout, pourquoiprononces-tu des paroles blessantes ? ton cœur doit

soupirerenfacedelaperversité,maistonintelligenceesttroubléeparlesDivs.Parlecomme ilconvientàunroi,

carunroinedoitdirequecequiestbonetvrai.LemaîtredumondesaitqueDestanfilsdeSamestunhomme

puissant,sageetdebonrenom;Samlui-mêmeétaitfilsdeNeriman,etlevaillantNerimandescendaitdeKeriman,un

princedontlepèreétaitHouscheng,letroisièmequiaitportédanslemondeunecouronnederoi.Tuassansdoute

entendu parlerde larenomméedeSam,l'hommeleplusglorieuxdestemps.OrilyavaitàThousundragon auquel

personnenepouvaitrésisterdanslecombat;iltétaituncrocodiledansl'eauetunléopardsurterre,etpourlui

toutcequiestbeauétaitcommedelapoussièreetdespierres;ilbrûlaitdanslamerlatêteauxpoissons,et

dansl'airlesailesauxaigles;ilattiraitavecsaqueuel'éléphant,etlescœursjoyeuxtremblaientquandon

parlaitdelui.Ensuiteilyavaitunautredragon,danslequelsansdoutedemeuraitunDiv:soncorpsétaitsurla

terreetsatêtedanslescieux;lamerdelaChineneluiallaitqu'aumilieuducorps,etildiminuaitl'éclatdu

soleil;iltiraitdespoissonsdelamer,élevaitsatêteau-dessusdelavoûtecéleste,rôtissaitsespoissonsau

soleil,etfaisaitpleurerdeterreurlasphèrequitourne.Cesdeuxmonstresredoutablestremblèrentdevantl’épée

etlecouragedeSam,etpérirentdesamain.

EnsuitemamèreétaitfilledeMihrab,quirendaitflorissantlepaysduSind,etdontlecinquièmeaïeulétait

Zohak,quiaportésatêteplushautquetouslesroisdelaterre.Oùtrouverunefamilleplusillustre?Unhommede

sensnereniejamaislavérité.Monmériteesttelque,danslemondeentier,leshérospourraientm'enemprunter.Je

possèded'aborduntraitéavecKaous,etilnefautpasmechercherunemauvaisequerelle,ensuitej'enpossèdeun

avecKeïKhosrou,ledistributeurdelajustice,leplusvaillantdesKeïanides.J'aitraversélemondeentier,j'ai

tuébiendesroisinjustes.Lorsquej'aitraversélesflotsduDjihoun,Afrasiabs'estenfuiduTouranenChine;je

suisalléseuldansleMazandéran,pouraiderKaousdanslaguerredeHamaveran;jen'ailaisséenvieniArjeng,ni

leDivblanc,niSendjeh,niAuladfilsdeGhandi,niBid;enfinj'aitué,àcauseduroi,monproprefils,le

vaillant, le prudentSohrab,unhérosquin'avaitpassonégalenforce,enbravoureetdansl'artdelaguerre.

VoilàplusdesixcentsansquejesuissortidesreinsdeZal,etpendanttoutcetempsj'aiétélePehlewan du

monde,etn'aicraintnicequiestconnunicequiestcaché.JeressemblaisàFeridoun,deracefortuitnée,quia

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placésursatêtelacouronnedesgrands,quiaprécipitédutrôneZohaketafoulédanslapoussièresatêteetsa

couronne,etàSam,mongrand-père,quidépassaitlemondeentierensagesseetenruse;enfin,depuislemomentoù

jemesuisceintpourlecombat,legrandrois'estreposédesesfatigues;jamaisonn'avaitvudesjoursaussi

heureux,etlasécuritéétaittellequelepieddel'hommeégarénecherchaitplusunrefugedansuneforteresse;

carc'estmavolontéquisefaisaitdanslemonde,etl'épéeetlalourdemassueétaientàmoi.

Jetediscelapourquetulesaches.Tuesleroi,etceuxquiportentleplushautlatêtesontlessujets;

maistuesnouveaudanslemonde,etquoiquelamajestédeKeïKhosrousoittonhéritage,tunevoisdansl'univers

quetoi-même,tuneconnaispasleschosesquisonttombéesdansl’oubli.Maisj'aibeaucoupparlé,jevaisboireet

chasseravecduvinlesanxiétésdemonâme.

ISFENDIARFAITL'ELOGEDESAFAMILLE.

IsfendiarécoutacesparolesdeRustem,ilsemitàsourireetsoncœurs'épanouit;illuidit:J'aientendu

parlerdetouteslesdouleursetdetouslessoucisquetuaséprouvéspendanttestravauxettescombats;écoute

maintenantlerécitdecequej'aifait,etcommentjemesuisélevéau-dessusdetousceuxquiportenthautlatête.

J'aiprisd'abordlesarmespourdéfendrelafoi,etj'aidélivrélemondedesadorateursdesidolesdansdescombats

telsquepersonnenevoyaitpluslafacedumonde,etquelaterreavaitdisparusouslesmorts.Jesuisdelaracede

Guschtasp,quiestfilsdeLohrasp;Lohraspétaitfilsd'AwrendSchah,qui,danssontemps,possédaituntrôneetun

nomglorieux,AwrendétaitdescendantdeKeïPeschin,àquisonpèrelui-mêmerendaithommage;Peschinétaitdela

racedeKeï-Kobad,deceroisage,aucœurpleindejustice,etainsitupeuxremonterjusqu'auroiFeridoun, qui

étaitlefondateurdesKeïanidesetl'ornementdutrône.

MamèreestfilledeKaisar,quiestlediadèmesurlatêtedupeupledeRoum.LeKaisarestdelaracedeSelm,

d'uneraceillustre,glorieuseetjuste;carSelmétaitfilsdeFeridoun,leplusglorieuxhérosparmitousles

rois.Jedis,etpersonneneleniera,queceuxquis'égarentsontlegrandnombreetqueceuxquisuiventlavraie

voie sont le petit nombre. Tu sais que toi et tongrand-pèreavez été des serviteurs devant mes aïeux, ces rois

puissants,sagesetsaints.Jeneveuxpasabuserdecettecirconstance,maistuasreçutaroyautédesroismes

ancêtres,quoiqueaujourd'huituteprécipitesdanslarévolte.Restejusqu'àcequej'aietoutdit;sij'avanceune

fausseté,tumelasignaleras.DepuisqueLohrasparemisletrôneàGuschtasp,jesuisarméetpuissantparlaforce

quedonnelafortune,etquiconqueestvenudelaChinepournouscombattreacesséderecevoirdeshommages.Plus

tard, lorsque monpère, à l’instigation de Gurezm, m'eut jeté dans les chaînes et metenait loin des fêtes, mes

chaînesontportémalheuràLohrasp,etlesTurcsontcouvertdeleurarméelasurfacedelaterre.Djamaspm'amena

des forgerons pour me délivrer demes liens pesants ; mais leur travail m'impatientait, mon âme avait envie de

l’épée,moncœursegonflait,j'aijetéuncrideragecontrelesforgerons,jelesairepoussés,jemesuissoulevé

delaplaceoùj'étaisassis,etj'aibrisédemamaintoutesmeschaînes.Delàjemesuisrendusurlechampde

bataille,oùlafortuneavaitabandonnéGuschtasp;Ardjasps'enfuitdevantmoiavectoutesacourillustre;jeme

suisbravementceintpourlecombat,etjelesaipoursuiviscommeunlionfurieux.Ensuitetuasentenducomment,

auxseptstations,touteunearméedeDivss'estmisecontremoi,etcommentjesuisentréparrusedanslechâteau

d'airain, comment j'yaidétruittoutunmonde,commentj'aivengélesIraniens,commentj'aiprislesarmespour

verserlesangdesgrands.Cequej'aifaitdansleTouranetenChine,cequej'aisupportédefatiguesetdedangers

dépassetoutcequejamaisunonagreasouffertd'unléopard,oulagueuleducrocodilepriseparlegrappindes

pêcheurs.Ilyavaitunchâteausombresurlacrêted'unemon-stagne,placéparsonélévationau-dessusdel'atteinte

de lafoule ; quand j'y arrivai, je trouvai qu'ils étaient tous desadorateurs des idoles, des gens confus et

semblablesàdeshommesivres.DepuisletempsdeTourfilsdeFeridoun,personnen'avaitenlevéàcetteforteresse

sagloired’êtreimprenable.Parmabravourejemesuisemparédecesmurailles,etj'aijetéparterretoutesces

idoles,j'yaiallumélefeuqueZerdouschtavaitapportéduparadisdansunecassolette.GrâceàDieu,l'unique,le

distributeurdelajustice,jerevinsdansl'Iran,n'ayantlaissédeboutnullepartunennemi,n'ayantlaisséenvie

aucunbrahmanedanslestemplesd'idoles.Jemesuistoujoursjetéseuldanslecombat,etpersonnen'asouffert

autantquemoidanslesbatailles.Maintenantquenousavonsbeaucoupparlédenous-mêmes,prendsunecoupedevin,

situassoif.

RUSTEMSEVANTEDESESHAUTSFAITS.

RustemréponditàIsfendiar:Mesactionsresterontcommesouvenirdemoi.Soisjusteenversmoi,etécouteun

vieillardcouvertdegloire.Sijen'étaispasallédansleMazandéran,portantsurmonépaulemalourdemassue,làoù

leroi,GouderzetThousétaientprisonniers,etoùlechagrinavaitrendutroublel'œilducoq,quiauraitarraché

le cœur au Div blanc etrépandusa cervelle, qui pouvait espérer faire cela par la force de son bras? Je l'ai

délivré de ses lourdes chaînes et l'ai porté sur son trône; l'Iran était heureux sous lui, et lafortunele

favorisait;j'aitranchélatêteauxmagiciens,etilsn'onteunicercueil,nitombe,nilinceul.Rakschaétémon

compagnondanslesseptaventures;Raksch,quiparlaforcedesonsabotétaitledistributeurdumonde.Ensuite,

quandKaous fut allé dansle Hamaveran, et qu'on eut lié ses pieds de lourdes chaînes, j'y aimené une armée

d'Iraniens,tiréedetoutlieuoùilyavaitunprinceouunchef;j'aituédanslecombatleroi duHamaveran,j'ai

renduvidesontrôneillustre.Kaous,lemaîtredumonde,étaitenchaîné,ilétaitabattuparlesfatiguesetles

soucis,etAfrasiabpendantcetempsavaitenvahil'Iran,etlemondeétaitremplidetristesseetdemauxinfligés

parlesméchants.Pendantunenuitsombre,j'aidevancétoutseull'armée,carjecherchaislagloireetnonpasle

repos,etlorsqueAfrasiabvitmondrapeaubrillant,quesonoreillefutfrappéeduhennissementdeRaksch,ilquitta

l'Iran,s'enfuitverslaChine,etlajusticerégnadanslemonde,quiétaitpleindebénédictions.Silesangavait

coulédesmembresdeKaous,commentSiawuschserait-ilnédelui?alorsKeïKhosroun'auraitpuêtremisaumonde

parsasaintemère,luiquiaplacélacouronnesurlatêtedeLohrasp.Commentpeux-tutetarguerdecettecouronne

deLohrasp,etducollieretdutrônedeGuschtasp,quiosedire:VaetenchaîneRustem?Carlepuissantciellui-

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mêmenepeutm'enchaîner;etsij'étaisunautrehomme,oùseraientvotrecouronne,votrecollieretvotre trône

d'ivoire?TuesunPehlewannouveaudanslemonde,avecdesmanièresnouvelles,tuesfilsdeKeïKhosrou;mais,

depuismonenfancejusqu'àmavieillesse,personnen'aosémeparlercommetoi.Jeseraishonteuxdem'excuseretde

supplier:jemesensdéjàdéshonorédecequejerépondssidoucement.

IsfendiarsouritdelaviolencedeRustem,ilétenditlamainetsaisitfortementlasienne,disant:ORustem,

aucorpsd'éléphant!tuestelqu'onmel’aditdansl'assembléedesgrands;tonbrasestfortcommelebrasd'un

lion ; ta poitrine et tes membressont ceux d'un vaillant dragon, ta taille est mince et souple commecelle du

léopard,etoùestlebravequioseraitt'affronteraujourducombat?Toutenparlant,ilserralamaindeRustem,

maislevieillardsouritaujeunehomme;lesangcoulaitdesesongles,maislehérosnesetorditpassouscette

douleur.Ilsaisit,àsontour,lamainduprince,disant:OroiquiadoresDieu!heureuxGuschtasp,leglorieux

roi,d'avoirunfilscommeIsfendiar;heureuxceluiàquinaitunpareilfils!ilseracomblédesgloiresdela

terre.

Pendantces paroles il serrait la main du prince aupointquelevisageduSipehbeddevintpourpre,queses

onglesfurent mondés de sang, et que ses sourcils se froncèrent ; mais lefortuné Isfendiar sourit, disant : O

glorieuxRustem!boisaujourd'huiduvin,cardemaintureculerasdanslecombat,etpersonneneboiraàtasanté

danslefestin.Quandj'auraiplacélaselled'orsurmondestriernoir,quandj'auraicouvertmatêtedemoncasque

royal, jet'enlèverai avec ma lance de dessus ton cheval et te jetterai sur lesol ; mais après cela je ne te

combattraiplusninetegarderairancune.Jetelierailesdeuxmains,jet'amèneraidevantleroietluidiraique

jen'aipastrouvédefauteentoi;jemeprésenteraidevantleroiensuppliant,jeplaideraitacausedetoute

manière,jetedélivreraidecechagrin,decettedouleuretdecettepeine,jet'enrécompenseraipardestrésors

sansnombre.

RustemsouritetditàIsfendiar:Tuenaurasassezdelalutte.Oùas-tudoncvuuncombatdebraves,oùas-tu

entendulesifflementd'unelourdemassue?Silecieltournedecettefaçon,s'ileffacetoutsentimentdetendresse

entredeuxhommes,alorscombattonsaulieudeboireduvinrouge;servons-nousdenosarcs,denoslacetsetdenos

rusesdeguerre;faisonsentendrelestimbalesaulieudessonsdelamusique;saluons-nousavecl'épéeetlamasse

d'armes;alors,ôfortunéIsfendiar,tuverrascequesontlesluttesetleschancesd'uncombat.Quandjeparaîtrai

demainsurlechampdebataille,nouslutteronshommecontrehomme,jet'enlèveraidansmesbrasdedessustoncheval

et te porteraiainsi devant Zal, je te ferai asseoir sur son célèbre trôned'ivoire, je placerai sur ta tête la

couronnequiréjouitlescœursetquej'aireçuedeKeïKobad,puissesonâmeêtreheureusedansleciel!J'ouvrirai

laportedemontrésor,jeplaceraidevanttoi,danssamagnificence,toutcequejepossèdedeprécieux,jemettrai

tonarméeau-dessusdetoutbesoin,j'élèveraitoncasquejusquedanslesnues.Ensuitenouspartiironspourlacour

duroi,entourésdepompe,jouantetnousréjouissantenroute;jeposeraibravementlacouronnesurtatête,et

c'estainsiquejeremercieraiGuschtasp.Ensuitejemeceindraicommeunesclave,commejemesuisceintdevantles

Keïanides,j'arracheraidujardindemoncœurtoutemauvaiseherbe;moncorpsserarajeuniparlajoie,etquandtu

serasroietmoitonPehlewan,iln'yetaurapersonnequinesoittransportédejoie.

RUSTEMETISFENDIARBOIVENTDUVIN.

Isfendiarluirépondit:Toutescesparolesneconduisentàrien.Midiestpassé,nousn'avonsrienmangé,mais

beaucoupparlédecombats;apportezcequevousavezetdestables,n'invitezpersonnequiparlebeaucoup.Lorsqu'on

eutservi,Rustemsemitàmanger;tousrestèrentétonnésdesonappétit.Isfendiaretleshérosapportèrentde

toutes partsdes agneauxrôtispourlui:Rustemmangeadetout,etleroietsescompagnonsenfurentconfondus.

Alorsleprincedit:Apportezdescoupes,apportezduvinnouveauetnonpasduvinvieux,etnousverronsceque

Rustemdemanderasousl'influenceduvin,etcommentilparleradeKeïKaous.L'échansonapportaunecoupesigrande

qu'onn'auraitpascruqueRustempourraitlavider;maisRustembutàlasantéduroidesrois,etmitàseccette

fontainerouge.Lepetitéchansonapportadenouveaucettecoupepleinedevinroyal,maisRustemdittoutbasà

Beschouten : Le vin n'a pas besoin d'eau, pourquoi en mettredans la coupe, pourquoi affaiblir ce vin vieux ?

Beschouten dit à l’échanson :Apporte une nouvelle coupe sans eau. Il obéit. Beschouten appela leschanteurs, et

Rustemnecessapasd'êtrel'objetdesonétonnement.

Lorsqueletempsdudépartfutarrivé,levisagedunobleRustemétaitcoloréparlevin.Isfendiarluidit:

Puisses-tuvivreheureuxjusqu'àlafindestemps,puisselevinetcequetuasmangétefairedubien,puissela

droitureêtrel'alimentdetonâme. Rustem lui répondit: Oprince illustre ! puisse la raison êtretoujours ton

guide!LevinquejeboisavectoifaittoujoursdubienetdonnedelaforceàmonespritprudentSituveuxécarter

detonâmecettelutte,tapuissanceettasagesses'enaccroîtront.Quitteledésertetviensdansmamaison;soit

pendantquelquetempsmonhôtejoyeux.Honoremademeuredetaprésenceàunefête;netetienspaséloignédeton

serviteur.J'accompliraitoutcequej'aidit,jeferaidel’intelligencetonguide;repose-toiunpeu,netedonne

pasdelapeinepourfairedumal,tendsversladémence,etreviensàlaraison.Isfendiarrépliqua:Nesèmepasune

semencequinegermerajamais.Tuverrasdemaincequepeutlabravoured'unhomme,quandj'auraiprismesarmesde

combat;netevantepastoi-même,retournedanstonpalaisetprépare-toipourdemain.Tuverrasquesurlechampde

bataillejesuislemêmequ'enfacedescoupesdevinetdeséchansons.Maisconforme-toiauxconseilsquejete

donne,etlaisse-toienchaînerselonlesordresduroi,carunhommepieuxacceptelesordresduroidévotementcomme

desordresdeDieu.QuandnousironsduZaboulistandansl'Iran,quandnousparaîtronsdevantleroidesbraves,il

aura,d'après ce que je lui dirai, une opinion plus haute de ton courage.Ne me fais donc pas le chagrin de me

refuser.

LecœurdeRustemétaitaffligéetsoucieux,lemondedevintdevantsesyeuxcommeuneforêtoùilnevoyaitpas

sonchemin;ilsedit:Quejelelaissem'enchaînerlesmains,ouquej'amènesaperte,ceseraientdeuxfaits

égalementmauditsetnéfastes,deuxactionspernicieuses,inouïesetmauvaises.Ceschaînesdétruiraientmagloire,

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maviefiniraittristementparlefaitdeGuschtasp,etdanslemondeentier,partoutoùl’onconteraitunehistoire,

on necesseraitjamaisdemeblâmer;ondiraitqueRustemn'apurésisteràunjeunehommequiestallédansle

Zaboulistanetluialiélespieds;toutemagloireseconvertiraitenhonte,etilneresteraitdanslemonderien

demabonnerenommée.Etsijeletuaissurlechampdebataille,monvisagepâliraitdevantlesrois,ondiraitque

j'aituéceprinceparcequ'ilm'aadresséuneparoledure,onmemaudiraitencoreaprèsmamort,etonm'appellerait

levieillardimpie.Enfinsijemouraisdesamain,toutelagloireduZaboulistanpérirait,lenomdeDestanfilsde

Samserraitdéshonoré,etpersonnedansleZaboulistann'acquerraitplusdegloire;maisaumoinsonseraconterait

danslesassembléeslesbonnesparolesquej'aiprononcées.Sijen'avaispasfaittoutcequiétaitpossiblepour

maintenirlapaix,monintelligencemepousseraitàmedéfairedelavie.

Ensuiteilditàcethommepleindefierté:Lesoucimefaitpâlir.Tuparlestoujoursdeceschaînes,maistes

chaînesettesintentionsteporterontmalheur,àmoinsquelesdécretsducieln'enordonnent,autrement,carnous

nepouvonsdevinercequeferalavoûtequitourne.TuacceptesdonctouslesconseilsduDiv,turefusesd'écouter

laparoledelasagesse.Tuessimpledecœuretneconnaispaslemonde;sachequelemaîtredelaterretâchedete

fairepérir.Guschtaspnesefatiguepasdutrôneetdelacouronne,pendantquelafortuneluisourit,etilte

pousseàtraverstouslespays,iltelancedanstouslesdangers.Lemondeentierluiestsuspect,sonintelligence

estdevenuecommeunehacheetsonespritcommeunecognée,ettantqu'ilyauraungrandquinecraindrapas de

luttercontretoi,tantquecegrandpourratefairepérir,letrôneetlacouronnedupouvoirresterontàGuschtasp.

Faut-ildoncquejemaudisseletrôneetquepourdepareillesraisonsjefassedelaterreunecouchepourtoi?

Pourquoiveux-tudéshonorermavie?Pourquoitonespritserefuse-t-ilàlaréflexion?Tusèmesdetapropremain

desmauxpourtoi,etsituesmalveillant,tut'attirerasdesmalheurs.Necommets,ôroi,necommetspasunactede

jeunesse,net’obstinepasàfaireunechosemauvaise!N'affligepasmoncœur,ôroi!nemetspasendangermavie

etlatienne.AiedonchontedevantDieuetdevantmoi,etnecherchepastadestructionetlamienne.Quelbesoin

as-tudemecombattre,deluttercontremoietdem'attaquer?Lesorttepousse,toiettonarmée,pourvousfaire

périrdemamain,etmonnomrevolerainfâmedanslemonde.PuissecettemauvaisefinêtreréservéeàGuschtasp.

LefierIsfendiarécouta,etluirépondit :OillustreRustem!réfléchisàcequ'aditunanciensage,dansun

tempsoùsonespritétaitdanstoutesavigueur:Unvieillardquiveutruserdevientstupide,sivaillantetsisage

qu’ilsoitd'ailleurs.C'estainsiquetuveuxmetromper,pourtedélivrerdecollierdelaservitude.Tuveuxque

tousceuxquit'entendentcroientàtesparolesdoucereuses,qu'ilsmetraitent,moi,l'hommedebien,commeunhomme

auxintentionsimpures,ettoicommeunsagepleindevertu;qu'ilsdisentquetuesarrivéaportantdebonnes

nouvellesetdebonneparoles,etmefaisanttoutespérer,maisquej'airefuséd'écoutercequetudisais,après

avoirétésibientraitépartoi;quej'airejetéavecdédaintesprières,etquemalanguen'aprononcéquedes

parolesamères.Sachequejenedésobéiraijamaisauroi,fût-cepouruntrôneetunecouronne;quec'estdeluique

dépendentdanslemondemonbonheuretmonmalheur,qu'enluisontmonenferetmonparadis.Puissecequetuas

mangétefairedubienetportermalheuràtesennemis!MaintenantretourneenpaixprèsdeZaletrépète-luiceque

tuasentendu.Préparetonarmuredeguerre,etnem'adresseplusuneparole;viensdemainmatin,combatsloyalement

etnetraîneplusenlongueurcetteaffaire.Tuverrasdemainsurlechampdebataillelemondedevenirnoirdevant

tesyeux,ettusaurascequ'estuncombatentrehommesvaillantsaujourdel'honneuretdelalutte.

Rustemluidit: Ohommeauc œurdelion!puisquetelesttondésir,jeterecevraimontésurRaksch,moncheval

ardent,jeguériraitatêteavecmamassue.Danstonpays,tuasentendudire,ettuascruàcesparoles,quel'épée

desbravesétaitimpuissantesurlechampdebataillecontreIsfendiar.Tuverrasdemainlapointedemalanceetles

rênesdeRakschenroulées autourdemamain,etjamaistunedésirerasplusrencontrerdanslecombatunguerrier

renommé.

Lalèvredujeuneprincesourit,etRustemsentitqu'ilétaitl’inférieurdecethommequisouriaitetquilui

répondit:Otoiquichercheslagloire,pourquoitemets-tuencolèreendiscutant?Quandtuviendrasdemainsurle

champdebataille,tuyverrasuncombatentredesbraves.Jenesuispasunrocher,etlechevalsurlequeljemonte

n'estpasunemontagne;jesuisunseulhomme,etjeviendraisansescorte;mais,outatêteserabriséeparma

massue,ettamèrepleureradansl'angoissedesoncœur,ou,situnepérispasdanslecombat,jetelieraisurta

selleett'amèneraiàGuschtasp,pourqu'unesclavecommetoinechercheplusàluttercontreleroi.

RUSTEMS'ENRETOURNEASONPALAIS.

QuandRustemarrivaàl'enceintedestentesd'Isfendiar,ilrestapendantquelquetempsdeboutdevantlaporte,

et adressa la parole à cette toile en disant: Odemeure de l'espoir ! c'étaient des joursheureux que ceux où

Djamschidl'habitait;tuétaisglorieusedutempsdeKeïKaous,etauxjoursdeKeïKhosrou,dontlepiedlaissait

une trace fortunée ; mais maintenant le prince indigne quioccupe ton trône a fermé la porte de ta gloire. Le

vaillant Isfendiar entendit ces paroles et s'avança à piedvers le héros illustre, et lui dit: Ohomme de bon

conseil!pourquoitemets-tuencolèrecontrecetteenceinte?Faut-ildoncquelessagesdonnentauZaboulistanle

nomdupaysdesbrouillons?Quandunhôteestfatiguédumaîtredelamaison,est-cequ'ilinjurie,danssacolère,

lejardinier?Ilajouta:L'enceintedecestentesavuuntempsoùellecontenaitDjamschid,quiaabandonnéles

voiesdeDieu,maîtredumonde,etquin'aplusvudesjoursheureux,nilegaiparadis.Ensuiteilyavaituntemps

oùelleservaitderetraiteàKaousetdonnaitdel'ombreàsonarmée,àKaom,quiavoulupénétrerlesecretdeDieu

etvoirdeprèslesastres,quiaremplilemondedetrouble,dedévastation,d'épéesetdeflèches;maismaintenant

elleaunmaîtrecommeGuschtasp,auprèsduquelestunDestourcommeDjamasp;d'uncôtéduroiestassisZerdouscht,

quiestvenudroitducielavecleZendavesta,etdel'autreBeschouten,lehérosvertueux,quinecherchedansle

mondeni la prospérité ni l'adversité. Devant lui se tient l'heureuxIsfendiar, qui a rempli de joie la fortune

instable,quiafaitrevivrelecœurdesbraves,etaréduitàlaservitudelesméchantsparlaterreurdesonépée.

CependantlevaillantPehlewanavaitatteintlaporte,Isfendiarleregardaitpartir,etquandill'eutquitté,

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ilditàBeschouten:Ilnefautpasnierlabravoureetlavaleur desautres.Jamaisjen'aivuniunchevalniun

hommepareils,etjenesaiscommentilsetireradececombat.C'estunéléphantfurieux,assissurlamontagnede

Gangue,quandilarriveaucombatcouvertdesonarmure;ilestencoreplusgrandparsanoblesseetsagrâcequepar

sastature,maisjecrainsquedemainilnefasseunechute.Moncœurestémudelamajestédesesretraits,maisje

nedévieraipasdesordresdumaîtredelajustice,etquandilseprésenterademainsurlechampdebataille,je

rendrainoirdevantluilejourbrillant.

Beschouten répondit : Écoute-moi, mon frère, quand jete prie de t'abstenir. Je te l'ai déjà dit, et je le

répète,carjenepuisdépouillermoncœurdesadroiture,n'humiliepersonne,carunhommelibrenesesoumetpasà

l'humiliationetàladouleur.Dorscettenuit,etdemaindegrandmatinvasansescortedanssonpalais,oùnous

seronsheureuxpendantunjour,oùnousrépondronsàtouteslesquestionsquinousserontfaites.Lemondeentiera

prospéréparRustem,parmilespetitsetparmilesgrands;jamaisilnevoudrasesoustraireàtesordres,etje

voisquesoncœurestpleindeloyautéenverstoi.Pourquoi,lecombats-tuavechaineetcolère?Écartedetoncœur

lahaineetdetesyeuxlacolère!

Isfendiarreprit:Ilyauneépinedansmon jardinderoses.Ensuiteilajouta:Ilnesiedpasàunhommequia

lavraiefoideparlerainsi.ToiquiestleDestourdel'Iran,quieslecœur,l'oreilleetl'œildeshéros,tu

approuvesdonccettevoie,cetteprudenceetcettemanièredeblesserleroi?Toutesmespeinesettousmessoucis

seraientdevenusduvent,etlareligiondeZerdouschtauraitperdusavérité?Carelleditquequiconquedésobéitau

roiaurasaplacedansl'enfer.Tum'exhortessanscesseàcommettrecepéché,àmépriserlesparolesdeGuschtasp.

C'estlàcequetumedis;maiscommentleferais-je,pourquoirésisterais-jeàsonavisetàsonordre?Situ

crainspourmavie,jevaisàl'instantterassurer;carsachequepersonnenemeurtdanslemondesanslavolonté

dudestin,etquecelui-lànemeurtpasquiemporteavecluiunegrandegloire.Tuverrasdemaincequejeferaisur

lechampdebataillecontrelesgriffesdudragon.

Beschoutenluidit: Oroi!tunecessesdeparlerdebataille.Avantquetufussesvenuiciavectamassueet

tonarc,Iblisn'avaitpastantdepouvoirsurtoi;maismaintenanttuaslivrétonâmeauDivettuneveuxplus

écouterlesconseilsdetonguide.Jevoistoncœurfollementattachéàcecombat,etjedéchirelesvêtementssur

moncorps;commentpourrais-jedélivrertoutd'uncoupmonâmedesescraintes?Vousêtesdeuxbraves,deuxlions,

deux héros, sais-je lequel de vous succombera ? Le prince ne luiréponditplus;soncœurétaitblessé,satête

pleinedevent.

ZALDONNECONSEILÀRUSTEM.

QuandRustemfutarrivédanssonpalais,ilregardapendantquelquesinstantssesamis;Zewarehs'approchade

lui etvit que son cœur était troublé, que son visage était pâle. Rustemlui dit : Va, et apporte-moi mon épée

indienne,unelanceetuncasquedecombat;apportemonarc,lescaparaçonsdemonchevaletunecottede mailles;

apporteunlacet,malourdemassueetmacuirassedepeaudeléopard.Zewarehordonnaautrésorierdetirerdeses

réservestoutcequeRustemavaitdemandé.QuandRustemvitsesarmesdecombat,illaissatombersatêteetpoussaun

soupir,disant:Ocuirassedecombat,tut'esreposéedesguerresdepuislongtemps;maintenantquetuaurasàlivrer

bataille,soisforte,soisentoutlieupourmoiunetuniquedebonheur,carils'agitd'unchampdebatailleoùdeux

hérossecombattrontcommedeuxlionsrugissants.NousverronsàprésentcequeferaIsfendiar,commentiljouerace

jeudelabataille.

QuandDestanentenditcesparolesdeRustem,l'âmeduvieillardseremplitd'inquiétude;ildit: Oillustre

Pehlewan!quellesparolesas-tuprononcées ?Desparolesquitroublentmonâme!Depuislemomentoùtuasmonté

surunchevaldeguerre,tuastoujoursétéunhommeaucœurpuretbon,tut'esglorifiéd'obéirauxordresduroi,

tuassuperportépatiemmenttouteslesfatigues;maisjecrainsquetonjournebaisse,quetonastrenesecouche,

alorsilsdétruirontjusqu'àlaracinetoutelafamilledeDestan;ilsjetterontdanslapoussièrelesfemmesetles

enfants. Si tu meurs dans le combat de la maind'un jeune homme comme Isfendiar, il ne restera plus dans le

Zaboulistannidel'eaunidelaterre,etcequiétaithautdanscepaysdeviendrabas;sic'estIsfendiarqui

périt,tagloirepérirademême,ettousceuxquiraconterontdeshistoiresdéchireronttonnomillustre,etdiront

quetuastuéunroid'Iran,quetuastuéunvaillantcavalier,undeslionsdelaracedesKeïanides.Vaplutôt

auprèsdeluiàpied,etsituneveuxpas,quitteceslieux,retire-toidansuncoin,loindesgrands,desorteque

personnedanslemonden'entendeplusprononcertonnom,carcemalheurtroubleratonesprit;évitedonccejeune

roi.Apaisecetteaffairepardestrésors,sansménagertespeines,etnepréfèrepaslahached'armesaubrocartde

Chine.Distribueàsonarméedesprésents,etrachètedeluitavieparquoiquecesoit.Quandilauraquittéle

bordduHirmend,montesurRaksch,tonpuissantcheval,etlorsquetuserashorsdel'atteinted’Isfendiar,prieDieu

surlaroutepourqu'iltepermettedevoirlevisageduroi;quandtuserasensaprésence,commentteferait-ildu

mal?Unemauvaiseactionsiérait-elleàunroi!

Rustemluidit:Ovieillard!neparlepasdetoutcelasilégèrement.Voicibiendesannéesquejesuisarrivé

àl'âged'homme,etbeaucoupdebonheuretdemalheurapassésurmatête;jesuisalléchezlesDivsduMazandéran,

j'aicombattulescavaliersduHamaveran,j'ailuttécontreKamousetleKhakandelaChine,souslechevalduquella

terretremblait.SijefuyaisdevantIsfendiar,tun'auraisqu'àabandonnertonpalaisettesjardinsduSéistan.

Quandjemecouvre,aujourdelabataille,avecmacuirasseenpeaudeléopard,j'abaissedanslapoussièrelasphère

delalune.Lessupplicationsdonttuparles,jelesaifaitesabondamment,jemesuisreconnusonvassal;maisil

dédaigne mesparoles,ilsedétournedelasagesseetdemesconseils;s'ilvoulaitnepastenirsatêtedansla

sphère de Saturne, si sa fiertélui permettait de me saluer, je lui prodiguerais avec plaisir destrésors, des

joyaux,desmassues,descottesdemailles,desmassesd'armes,desépées.Jeleluiaiditlonguement,maisiln'a

pasétéébranlé,ettoutesmesparolesnem'ontlaissédanslamainqueduvent.Maisnecrainspaspoursavie:s'il

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vient demain mecombattre, je ne prendrai pas une épée tranchante, je ne veux pasblesser son noble corps ; je

manieraimonchevaldansnotrelutte,maisilneserafrappénidemamassuenidelapointedemalance:jelui

couperailaretraite,jesaisiraidetoutemaforcesaceinture,jel'enlèveraidelaselleenl'étreignantdansmes

bras,etlereconnaîtraicommeroiàlaplacedeGuschtasp.Jeramèneraiici,jeleferaiasseoirsurcebeautrôneet

j'ouvrirailaportedemestrésors;quandilauraétémonhôtependanttroisjours,aussitôtquelequatrièmejour

aurarepoussédelasphèrequiilluminelemondelevoilesombredelanuit,etquelacoupederubisauraparu,nous

mettronsnosarmuresetnousnousrendronsaprèsdeGuschtasp.Làjeleplaceraisurl'illustretrôned'ivoire,je

mettrai sur sa tête la couronne quiravit les cœurs, je me tiendrai devant lui ceint comme un esclave,et ne le

quitteraiplus.Tusaisquelsactesdebravourej'aifaitsdevantletrônedeKobad,sitamémoirelesaretenus,et

maintenanttumedemandesdemecacheroudemelaisserenchaînersurl’ordreduroi!

Zal-Zersouritenl'écoutant:ilsecouapendantuninstantlatêteenréfléchissant,puisilreprit:Omonfils

!cequetudisn'apasdesens;sidesfoust'entendaient,ilscroiraientàcesparolesabsurdes.Kobadétaiten

détressesurunemontagne,sanstrône,nicouronne,nitrésor,niargent;maisneteplacepasenfaced'unroide

l'Iranquiaunearméeetdusensetdestrésorslonguementaccumulés,enfaced'unhommecommeIsfendiar,dontle

nomestgravésurlesceauduFaghfourdelaChine.Tudisquetul'enlèverasdedessussoncheval,quetuleporteras

danstesbrasjusqu'aupalaisdeZal;maisunvieillardneparleraitpasainsi;netelaissepasalleraumanquede

respectenverslesrois. Je t'ai donné mon avis, et tu le connais maintenant, ôlune de l'assembléedes grands.

Lorsqu'ils eurentainsiparlé,ZalseprosternalefrontcontreterreetimploraleCréateur,disant:O juge et

maîtresuprême,écartedenouslemauvaissort!Salanguenecessadeproférerdeslamentations,jusqu'àcequele

soleileûtparuau-dessusdesmontagnes.

COMBATDERUSTEMETD'ISFENDIAR.

Lorsqu'ilfitjour,Rustemrevêtit unecottedemaillespar-dessuslaquelleilmitsacuirassedepeaudeléopard

pourprotégersoncorps,ilattachalelacetaucrochetdelaselle,etmontasursondestrier,quiressemblaitàun

éléphant.EnsuiteilfitvenirauprèsdeluiZewareh,luiparlalonguementdesonarméeetterminaainsi:Va,mets

enordremestroupesetplace-lessurcettecollinede.sable.Zewarehallaréunirlestroupessurlaplacedupalais

pourlesconduiresurlechampdebataille.Tehemtenpartit,lalanceenmain;horsdupalaisilmontaàcheval,et

sonarméelereçutpardesacclamations:?Puisses-tunejamaismanqueràtamassue,àtonchevaletàtaselle!

Rustems'avança,suivideZewareh,quiétaitlesoutienprincipaldesaroyauté;ilallaainsijusqu'auxbordsdu

Hirmend, la bouche pleine de confiance, mais le cœur remplide soucis. Là il laissa l'armée et son frère, puis

continuasoncheminverslecampduroid'Iran,aprèsavoirdittristementàZewareh:Jevaisessayerdedétourner

dececombatcethommemalveillantethaineux,etderendrelasérénitéàsonesprit.Maisjecrainsqu'ilnefaille

enarriverauxcoups,etjenesaisquelmalheurensortira.Maintiensl'arméeàcetteplace,jeparspourvoirce

quelesortamènera.SijetrouveIsfendiaraussicolèrequ'auparavant,jen'appelleraipasleschefsduZaboulistan,

je combattrai en personne et seul ; je ne veux pasqu'un homme de mon armée en souffre. Celui dont le cœur est

toujoursremplidejusticepeutcomptertranquillementsurlafortunevictorieuse.

Rustempassalefleuveetmontasurunehauteur;ilyrestaquelquetemps,absorbédanssespenséessurle

monde.;àlafinilcria: Ofortuné Isfendiar!celuiquidoittecombattreestarrivé;prépare-toi.Isfendiar

entenditcesparolesduvieuxlionpleind'ardeurpourlalutte;ilsouritetdit:Mevoici!jemesuisapprêté

depuislemomentdemonréveil.Ilsefitapportersacuirasse,soncasque,samassueetsalancedecombat;il

couvritdelacuirassesapoitrinebrillante,plaçasursatêtesoncasquedeKeïanide,fitselleretamenerdevant

luisonchevalnoir.Quandlehérosvitsondestrier,ilposalahampedesalanceparterreetsautadelaterre

noireenselle,paruneffortdelaforceetdelavaillancedontilétaitdoué,semblableàunléopardquisautesur

ledosd'unonagreetleterrifie.Sonarméeenrestaconfondueetéclataenbénédictionssurlui.Ilpartit.Arrivé

prèsdeTehemten,ill'aperçutseulsurlacollineetdit duhautdesonchevalàBeschouten:jen'aipasbesoin

d'aideetdecompagnonpourlevaincre;puisqu'ilestseul,j'iraiseul;jevaisgravircetteraidemontée.C'est

ainsiquecesdeuxhommesallèrentsecombattre:onauraitditqu'iln'yauraitplusdefêtedanslemonde.

Lorsquelevieillardetlejeunehomme,cesdeuxPehlewans,cesdeuxlionspleinsdefierté,s'approchèrentl'un

del'autre,leurschevauxsemirentàhennir;onauraitcruquelechampdebataillesefendait.Rustemditavecune

fortevoix:Ohommeaucœurjoyeux,favoridelafortune!nesoispassiobstinéetnet'emportepastant;ouvre

unefoistonoreilleàlaparoled'unsage.Situdésireuncombatetdusangversé,dedétressesetdesattaques,

permets que j’amènemescavaliersduZaboulistan,couverts deleurscottesde mailles et armés de leurs épées de

Kaboul;toi,detoncôté,ordonneauxIraniensd'avancer,pourquel’onvoiecequiestjoyauetcequiestfausse

monnaie. Nous les amènerons sur ce champ debataille pour qu'ils se battent,et nousnous tiendrons tranquilles

pendantquelquetemps;ilyauradusangverséselontondésir,ettuverrasletumulteetlamêlée.

Isfendiarrépondit:Toutcediscoursestinsensé;tuespartidetonpalaisavectonépée,tum'asappelésur

cettehauteur;pourquoiveux-tumetrompermaintenant,ousens-tuquetachuteestprochaine?Aquoimeservirait

uneguerrecontreleZaboulistan,ouentrel'IranetKaboul!PlaiseàDieuquejamaisjen'agisseainsi!caril

n'estpasconformeàmafoiquejelivreàlamortlesIranienspendantquejeplacelacouronnesurmatête.Lorsque

j'ai à combattre, je marche le premier, même quand je doisaffronter les griffes d'un léopard. S'il te faut un

protecteur,amène-le ; moi je n'en ai jamais besoin ; c'est Dieu qui me protègedans les combats, et la fortune

souritàmesentreprises.Tuesavidedecombats,etmoijedésirelalutte,ainsibattons-noussansnosarmées,et

nousverronssilechevald'Isfendiararriveraàl'écuriecesanscavalier,ousiledestrierdeRustem,leglorieux

héros,s'enretournerasansmaîtreaupalaisdeZal.

Alorslesdeuxhérosconvinrentquepersonnenelesaideraitdanscettelutte.Ilss'attaquèrentmaintesfois

avec leslances, ils firent tomber les attaches de leurs cuirasses ; à la finles pointes de leurs lances se

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brisèrent,etilsfurentforcésdesaisirleursépées;ilslevèrentlesépéestranchantes,s'attaquèrentàdroiteet

àgauche,maislaforcedeshérosetlescoupsdescavaliersébréchèrentcesépées.Ilsseredressèrent,détachèrent

dessellesleursmassuesetfirenttomberl'unsurl'autredescoupscommedespierresquisedétachentduhautd'un

rocher;ilssedémenaientavecfureur,semblablesàdeuxlionssauvages,sefrappaientsurtouslesmembres,et

leursmainsnes'arrêtèrentquelorsquelesmanchesdesmassuesfurentbrisés.Alorsilssaisirentleslanièresdes

lacets,etlesdeuxchevauxardentsvolèrent.Isfendiaravaitprisdanslelacetunedestêtes descombattants,et

l'autreétaitpriseparlehérosillustre,etcesdeuxbravespleinsdefierté,cesdeuxhommesaucorpsd'éléphant,

tirèrentdetoutesleursforces;ilsfirentdepuissantseffortsl'uncontrel'autre,maisaucundeceslionsnefut

ébranlésurledosdesoncheval.Lesdeuxcavaliersétaientépuisés,leurschevauxétaientfatiguésparceterrible

combat,l'écumedansleurboucheétaitdusangetdelapoussière,lescottesdemaillesdeshommesetlescaparaçons

deschevauxétaientmisenpièces.

LESFILSD'ISFENDIARSONTTUESPARZEWAREHETFARAMOURZ.

Lorsquelecombatdeshéroseutdurélongtemps,etqueRustemfilsdeZaltardaitàrevenir,Zewarehamenason

arméedel'autreriveduHirmend,unearméeaucœurblesséetavidedevengeance.IlditauxIraniens:OùestRustem

?Pourquoinoustenirtranquillesdansunjourpareil?Vousêtesvenuspourcombattrelecrocodile,vousêtesvenusa

pourattaquerRustem,vousvoulezenchaînersamain,ilnefautdoncpasresterpaisiblessurcechampdebataille.

EnsuiteilsemitàinjurierlesIraniensetàproférerdesoutragescontreeux.Unfilsd’Isfendiarenfutindigné.

C'étaituncavalierillustre,habileàlanceruncheval,unjeuneprincedunomdeNousch-Ader,portanthautlatête,

avide decombats et d'un heureux caractère ; il se mit en colère contrel'homme du Séistan, et sa bouche vomit

l'injureetl'outrage.Ildit:Ohérospleind'arrogance!iln'yaqu'unhommevilquidésobéitauroi.Levaillant

Isfendiarnenousapaspermisdelivrerbatailleàdeschiensquisesoustraientàsesavisetàsesordres,qui

osentserévoltercontresasuzeraineté.Maissivousnousattaquezcontretoutdroit,sivousêtesassezinsensés

pourprêtermain-forteàcequiestmauvais,vousverrezcommentleshommesdeguerrecombattentavecl'épéeetla

lanceetlalourdemassue.Zewarehordonna auxsiensdemarcherenavant,d'attaqueretdefrapperleschefsdes

Iraniens;lui-mêmes'avançapoursoutenirceshommes,quisortirentdesrangsdixpardixettuèrentdesIraniens

sansnombre.Nousch-Adervitcecarnage,sepréparaaucombat,montasurundestrierisabellequilevaitfièrementla

tête,et arriva, une épée indienne en main. Or il y eut un héros illustre,du nom d'Alwa, un homme fier, bon

cavalier,d'unnatureljoyeux,quiportaitdanslesbatailleslalancedeRustemetsetenaittoujoursderrièrelui.

Nousch-Aderlevitdeloinetsehâtadetirersonépée:ilfrappasurlatêteetfenditceguerrierillustredepuis

lehautducasquejusqu'aumilieuducorps.Zewarchlançasonchevaldeguerreets'écriadanssacolère:Tuastué

cethomme,maintenantdéfendstaproprevie,carjen'appellepascavalierunhommecommeAlwa.Zewarehfrappaavec

sa lance lapoitrine du prince, qui tomba sur-le-champ dans la poussière, et lafortunede l’armée périt avec

l'illustreNousch-Ader.

IlavaitunfrèredunomdeMihri-Nousch,enjeunehomme,prêtàfrapperdel'épée,quisemitàpleurer;son

cœurbouillonnait,sonâmeétaitblessée;illançasonchevalaucorpsd'éléphant,ets'avançaducentredel'armée

versleslignesennemies,enécumantderage.Del'autrecôté,Faramourz,semblableàunéléphantivre,sortitdes

rangs,uneépéeindienneenmain,etattaqual'illustreMihri-Nousch;lesdeuxarméespoussèrentdescris;lesdeux

noblesjeunesgens,impatientdecombattre,l'unfilsderoi,l'autrefilsduPehlewan,s'élancèrentcommedeslions

furieuxetsefrappèrentaveclesépées.Mihri-Nouschs'étaitjetéavecardeurdanslalutte,maisilnepouvait

résister à Faramourz,quidonnauncoupd'épéepourlefrapperetpourfaireroulersurlaterresanobletête;

l’épéetombasurlecoudesonproprechevaletabattitlatêtedel'animalauxpiedsdevent;maisFaramourz,

quoiqueàpied,tua sonennemietlesangdeMihri-Nouschrougitlechampdebataille.

Lorsque Bahman vit son frère mort, qu'il vit la terresous lui colorée comme la rose, il courut auprès

d'Isfendiar,aumilieudufeudesoncombatavecRustem,etluidit: Olionfurieux!unearméeduSéistannousa

attaqués:tesdeuxfils,Nousch-AderetMihri-Nousch,ontpérimisérablementsouslescoupsdesgensduSéistan.

Pendant que tu te bats ici, nous sommes accablés de douleur; ces jeunes princes Keïanides sont couchés dans la

poussière,etleméfaitd'hommesinsensésacouvertnotrefamilled'unehonteéternelle.

Lecœurvigilantd'Isfendiarseremplitdecolère;danssoncerveaus'élevaunorage,danssonœilbrillaient

desflammes.IlditàRustem:Malheureux!est-ceainsiquelesgrandsobserventlestraités?Tuavaisditquetu

nemèneraispasaucombattonarmée;maistun'aspassoindetonnometdetonhonneur!N'es-tupashonteuxdevant

moietdevantleCréateur,necrains-tupasqu'ilt'adressedesquestionsaujourdujugement?Nesais-tupasque

ceuxquiviolentuntraitésontméprisésparmileshommes?Deuxguerriersdetonpaysonttuédeuxdemesfils,et

ilscontinuentencoreleurœuvredemalveillance.Rustemfutconsternédecesparoles,iltremblaitcommelabranche

d'unarbre,etdit:Jejureparlavieetlatêteduroi,parlesoleiletmonépée,etparlechampdebataille,que

jen'aipasordonnécecombat,quejedésavoueceuxquil'ontlivré.Jevaislierlesdeuxmainsdemonfrère,si

c'estluiquiaétél'instigateurdeceméfait;j'amèneraiaussiFaramourz,lesdeuxmainsenchaînées,devantleroi

adorateurdeDieu,ettulestueraspourvengertesnoblesenfants;maisneperdspaslaraisonpourcetteaction

insensée,

Isfendiarluirépondit:Verserlesangduserpentpourvengerlamortdupaonneseraitniutileniagréable,et

neseraitpasselonlesrèglesdesroisquiportenthautlatête.Malheureux!chercheàtesauvertoi-même,carton

dernier momentapproche.Jevaiscloueravecmesflèchestescuissescontrelecorps de Raksch,etvous ne ferez

qu’un,commel'eauet lelaitqu'onmêle,pourquejamaisdorénavantunesclaven'oseplusluttercontreunseigneur.

Situsurvis,jetelierailesmainsettemèneraisansdélaidevantleroi,etsitumeurssousmestraits,penseque

c'est pour expier le sang de ces deux nobles enfants. Rustem dit: Ces querelles ne peuvent que diminuer notre

gloire.Tourne-toiversDieu,commenceparl'invoquer,carilestleguideverstoutcequiestbon.

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RUSTEMS'ENFUITSURLEHAUTDELAMONTAGNE.

Ilsprirentleursarcsetleursflèchesenboisdepeuplier,etlesoleilenperditsonéclat;ilsortaitdufeu

despointesdeleursflèches;ilsseclouèrentleurscottesdemaillessurlapoitrine.Lecœurd'Isfendiarétait

gonflédesang,sessourcilsetsonvisageétaientfroncés;quandilsaisissaitsesflèchesetsonarc,personnene

pouvait lui échapper; il prit alors un arc tel que le soleil en pâlit, et des traits auxpointes d'acier qui

traversaientunecotte demailles comme du papier. Il lança soixante flèchesquitoutes blessèrent Rustem et le

vaillantRaksch,etpendantcetempsiltournaitencercleautourdelui,ensortequelestraitsdeRustemnele

touchaient pas. Ses flèches frappaientRustem à mesure que sa main les faisait partir ; mais celles quelançait

Rustemneluifirentaucunmal,etRustem,setrouvantimpuissantdanscettelutte,s'écriaàlafin:CetIsfendiar

estcertainementlehérosaucorpsd'airain.

Le corps de Raksch s'affaiblissait sous cesblessures, et ni le destrier ni le héros ne pouvaient plus se

soutenir;lechevaletlecavalierétaienthorsdecombat,lorsqueRustem,quiparaissaitperdu,s'avisad'unmoyen

desalut.IlsautaàbasdeRaksch,rapidecommelevent,ettournasanobletêteverslesommetdelamontagne;

pendantcetempslebrillantRakschs'enretournaaupalaisetseséparaainsidesonmaître.Lesangcoulaitlelong

ducorpsdeRustem,etcethomme, quiressemblaitaumontBisoutoun,étaitfaibleettremblaitIsfendiarsemità

rire quand il l'aperçut, et dit : O prince illustre !comment la force de l'éléphant ivre t'a-t-elle donc fait

défaut,commentlamontagnedefera-t-ellepuêtrepercéepardesflèches?Quesontdoncdevenuetabravoureetta

massue,tavigueurettatenuemajestueusedanslecombat?Pourquoit'esturéfugiésurlehautdelamontagnequand

tuasentendulavoixdulionfurieux?Pourquoileliondelaguerres'est-ilfaitrenard,pourquoiseretire-t-il

ainsidelalutte?C'estdonctoiquiasfaitpleurerleDiv,quiasbrûlélesbêtesfauvesdesflammesdetonépée

?

ZewarehvitlestracesdudestrierbrillantdeRustem,qui,malgrésesblessures,avaittraversélarivière.Le

mondedevintsombredevantsesyeuxparl’excèsdesoninquiétude,etilseprécipitaenpoussantdescrissurle

lieuducombat;ilytrouvasonfrèregrièvementblesséetvitqu'aucunedesesblessuresn’étaitpansée;illui

dit:Lève-toi,montesurmoncheval,jevaisrevêtirlacuirassepourtevenger.Rustemluirépondit:Vaauprèsde

Destanetdis-luiquelaglottedelaracedeSamapéri;prie-ledevoirs'ilyaunremèdeàcemalheur,s'ilya

unsecretpourguérircesblessures;car,ôZal!jesaisbienque,sijesurviscettefoisauxflèchesd’Isfendiar,

c'estcommesij’étaisnéaujourd'huidemamère.Quandtuserasarrivé,tâchedesauverRaksch;moijevaiste

suivre,maisceseralentement.Zewarehquittasonfrère etcourutensuivantRakschdesyeux.

Isfendiar,quiétaitrestéenbas,semitàcrier: OillustreRustem!turestesbienlongtempslà-haut!Quiva

doncveniràtonaide?Jettetonarc,ôtetacuirassedepeaudeléopard,défaistaceinture,repens-toi,laisselier

tes mains, et alors je ne te feraiplus de mal, je te mènerai, auprès du roi, blessé comme tu es, et teferai

pardonnertoutcequetuasfait.Maissituveuxencorecombattre,prononcetesdernièresvolontés,nommequelqu'un

gouverneurdecepays,demandepardonàDieudespéchésquetuascommis;ilestpossiblequ'iltelesremette,si

tuescontrit,etj'espèrequeDieuletrèsjustevoudraêtretonguide,cartuvasquittercettedemeurepassagère.

Rustemrépondit:Ilesttard,onnepeutplussebattreàcetteheure;puisquetuessicontentcesoir,rentre

cheztoi;quivoudraitcombattrependantlanuitnoire?Moiaussijevaispartirpourmonpalais,pourmereposer

et respirer un peu. Je vaispanser mes blessures, j'appellerai auprès de moi tous les miens,Zewareh, Faramourz,

Destan,lefilsdeSam,ettousceuxdemesparentsquiontunnomglorieux,etjemeprépareraiàfairecequetu

m'ordonneras,cartoutestloyaldansuneconventionavectoi.

Isfendiaraucorpsd'airainluidit: Ovieillardvolontaireetabsurde!tuesunhommepuissantetvaillant,tu

connaisbeaucoupd'expédients,d'artificesetdemoyensd'échapper.Jevoistaruse,tuneveuxpasquejem'aperçoive

dumauvaisétatdanslequeltutetrouves.Jetefaisgrâcedelaviepourcettenuit;netelaissepastenterpar

desvoiestortueuses,accomplistoutcequetum'aspromis,etnem'adresseplusdevainsdiscours.Rustemrépondit:

Jeferaiensortedetrouverunbaumepourmesblessures.

Illequitta,etIsfendiarlesuivitdesyeuxpourvoircommentlehérosmarcherait.Rustemtraversalarivière,

semblableàunvaisseau,invoquasursoncorpslesbénédictionsdeDieu,etadressaaujugesuprêmecesparoles:Si

jemeursdemesblessures,quiparmilesgrandsvoudramevenger,quivoudraimitermoncouragemasagesseetma

conduite.

Isfendiarlesuivitdesyeux,levitarriversurl'autrerive,etdit:IlnefautpasappelerRustemunhomme,

c'estun éléphant furieux, et d'une grande puissance. Il a traversé l'eau,malgré ses plaies, et ces terribles

blessuresdemesflèchesn'ontfaitquehâtersamarche.Isfendiarrestapendantquelquetempsdanssonétonnement,

puis il dit en s'adressant au Jugetout-puissant:Tul’ascréételquetul’asvoulu,c'esttoiquiasordonné

l'univers.

QuandIsfendiarfutderetour,ilentenditdescrisquipartaientdesestentes;Beschoutens'avança;lamort

duvaillantNousch-AderetdeMihri-Nouschl'avaitremplidedouleuretdecolère;latenteduroiétaitpleinede

poussière,ettouslesvêtementsdesgrandsétaientdéchirés.Isfendiardescenditdesondestrieretserracontresa

poitrinelatêtedesmortsens’écrianttristement:Omesdeuxvaillantsenfants,lavieadoncquittécescorps!

EnsuiteilditàBeschouten:Lève-toi,etneversepasdeslarmesdesangsurcesmorts.Jenevoispaslebienque

produisentleslarmes,etilnefautpass'attacheràlavie.Noustous,jeunesetvieux,appartenonsàlamort:

puisselaraisonnousaideràmourircommeilconvient!

Ilenvoyasesfilsaumaîtredutrône,dansdescercueilsd'oretportéssurdesbrancardsd'ébène,etfitdireà

sonpère:Voicilesfruitsquetesmachinationscommencentàporter.Tuaslancédansl'eauunvaisseau,tuasexigé

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deRustemunactedeservitude;maisquandtuaurasvulescercueilsdeNousch-AderetdeMihri-Nousch,tucesseras

deprêterl'oreilleauxconseilsdeDjamasp.Isfendiarvitencore,maisjenesaisquelfruitlesortluiréserve.Tu

esassissurletrônedesdélices,etluiseconsumedanssadouleur;maisletrôneetsesdélicesneteresteront

pastoujours.

Ils'assitsursontrône,danssondeuiletdanssadouleur,etsemitàparlerdeRustemendisantàBeschouten

:Lelionreculedevantlamal de l'hommevaillant.J’airegardéaujourd'huiRustem,j'aiobservélaforceetla

stature de cet hommeau corps d'éléphant, et j'ai béni Dieu, le très saint, de quiviennent l'espérance et la

terreur,decequ'ilacrééRustemtelqu'ilest.Adoreceluiquiacréélemonde!Cethomme,dontlesmainsont

accomplitantdehautsfaits,quiajetésonfiletdanslamerdelaChineetenatirédescrocodiles,quiasaisi

surlaplainelaqueuedesléopards,jel'aiblesséaujourd'huiavecmesflèchesdemanièrequesonsangachangéla

terreenunlac.Ilestdescenduàpieddelamontagne,aprèsavoirfaituneconventionavecmoi,acouruversle

Hirmend,chargédesacuirasseetdesonépée,etatraversél'eaumalgrésesblessures,etlecorpscouvertdesfers

demesflèches.Jecroisquelorsqu'ilauraatteintsonpalais,sonâmeseseraenvoléeversSaturne.

RUSTEMTIENTCONSEILAVECSAFAMILLE.

Rustem, de son côté, arriva dans son palais, etDestan le vit dans l'état où il se trouvait ; Zewareh et

Faramourzsemirentàpleurer,ilsseconsumèrentdedouleurenvoyantcesblessures;Roudabehs'arrachalescheveux

etsedéchiralevisageenentendantleurscris.Zewarehs'approchadeluietdéfitsaceinture;onledébarrassade

sacuirasseenpeaudeléopard,ettouslessagesdupayss'assirentensembleautourdelui.Rustemordonnaqueceux

quiespéraientpouvoirguérirRakschleluiamenassent.L'illustreDestans'arrachalescheveux;ilfrottaitses

jouessurlesblessuresdesonfils,disant:Pendantmalongueviejen'aijamaisvuunfilssinoble!

Rustemluirépondit:àquoiserventcesplaintes?Lecielavouluquecelasepassâtainsi.Maisj'aidevant

moiquelquechosedepluspénibleàfaire,etquiremplitmonâmedeplusdesoucisquecesblessures.Quellesque

soient les excuses que je ferais pour fléchir ce cœur de pierre,Isfendiar ne cherchera qu'à m'humilier par des

parolesetpardesactespleinsd'arrogance.J'aitraversélemondeentier,j'aiappriscequiestconnuetcequi

est secret, j'ai saisi le Div blanc parla ceintureet futjeté par terre comme une branche de tremble, et je

céderais devantIsfendiaretsaforce,etcettefortuneducombat!Mesflèchesonttraversédesenclumes ; quand

elles ont rencontré un bouclier,elles l'ont trouvé faible ; mais j'ai eu beau les lancer contre lacuirasse

d'Isfendiar,c'étaitcommesil’onfrappaitunrocheravecdesépines.Autrefois,quandjesaisissaisunepierre,ma

mainl'écrasaitcommeunconcombre;maintenantj'aisaisilaceintured’Isfendiar,maismamainquileserraitn'a

faitaucuneimpressionsurlui.Quanduncrocodilevoyaitmonépée,ilsecachaitsouslespierres;maiscetteépée

nepercepaslacuirassesurlapoitrined'Isfendiar,nimêmel'étoffedesoiequiluicouvrelatête.Jerendsgrâce

àDieudecequelanuitétaitsombre,etdeceque,danscetteobscurité,sonœilétaittrouble.J'aiéchappéàla

griffedecedragon,maisjenesaissicettedélivrancemesauvera.Quandjeréfléchis,jenevoisd'autremoyenque

demonterdemainsurRaksch,etdem'enallerdansunlieuoùIsfendiarnesauraittrouvermatrace;ets'ilsemetà

trancherdestêtesdansleZaboulistan,ilfinirapars'enlasser,quandmêmel'enviedefairedumalluidurerait

longtemps.

Zalluidit: Omonfils!soisraisonnable.Puisque tuasfinitondiscours,écoute-moi.Ilyaunmoyende

sortirdetoutdanslemonde,sicen'estdelamort,quiauneautreissue.Jeconnaisunmoyendesalutpourtoi,

accepte-le ! J'appellerai à notre aide le Simourgh, et s'il veut sefaire mon guide, mon pays et mon royaume

resterontintacts;sinonnotrepatrieseraréduiteenruinesparIsfendiar,ceméchanthommeàquiplaîttoutcequi

estmal.

LESIMOURGHINDIQUEARUSTEMUNMOYENDESALUT.

Touslestroisétantconvenusdeceplanhardi,leSipehbedZalmontasurunehautemontagne;ilapportadeson

palaistroiscassolettesrempliesdefeu,ettroishommespleinsdeprudencel'accompagnèrent.Quandlemagicienfut

arrivé sur la crêtede la montagne, il tira d'un morceau de brocart une plume, attisa lefeu dans une des

cassolettes,etbrûlaau-dessusdecefeuunboutdelaplume.Lorsqu'uneveilledecettenuitsombrefutpassée,on

auraitditquel'airdevenaitcommeunnuagenoir.LeSimourghregardaduhautdesairs,ilvitlalueurdecefeu

ardentdevantlequelétaitZal,lecœurulcérédedouleur;l'oiseaus'approchaendécrivantdescercles,etZalse

levaavecsestroishommesquibrûlaientdel'encens,bénitl'oiseauàplusieursreprisesetl'adora.Ilremplitles

troiscassolettesdeparfumsdevantlui,etinondasesjouesdusangdesoncœur.

LeSimourghluidit:Oroi!ques'est-ilpassé,pourquetuaiesbesoindecettefumée?Zalrépondit:Puisse

lemalheurquem'ontapportédeshommesméchantsetdemauvaiseracefrappermesennemis!LecorpsdeRustemaucœur

delionestblessé,etmonpiedestparalyséparlessoucisquemedonnemonfils;carjecrainspoursavie,àcause

desesblessures,quisonttellesquepersonnedanslemonden'enajamaisvudesemblables.DemêmeRakschestcomme

mort,etsetordjouretnuitàcausedesflèchesquil'ontfrappé.Isfendiarestvenudanscepaysetnerespireque

combats;ilnesecontentepasdemonroyaume,demestrésorsetdemacouronne,ilveutlesracinesetlesfruitsde

monarbre.LeSimourghluidit:OPehlewan ! ne laisse pas abattre ton âmeparceci.Ilfaudraitmefairevoir

Rakschetlenobledistributeurdelaterre.

Zalenvoyaquelqu'unauprèsdeRustemetluifitdire:Trouveunmoyendetereleverpouruninstantetordonne

aussiqu'onm'amèneRakschsur-le-champ.QuandRustemfutarrivésurlehautdelamontagneetquel'oiseauaucœur

sereinl'eutaperçu,illuidit:Opuissantéléphantdeguerre,quellemaint'afaitcemal?Pourquoias-tuvoulu

combattreIsfendiar,pourquoias-tujetédufeudanstonsein?ZalréponditauSimourgh:Omaîtredelapitié!

puisquetunousmontrestonsaintvisage,dis-moioùdanslemondejepuischercherunlieuderefuge, si Rustem

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n'estpasguéri.OnferaduSéistanundésert,onenferaunrepairedeléopardsetdelions,etnotreracesera

détruitejusqu'àlaracine.Quedevons-nousfaireetdiremaintenant?

L'oiseauregardalesblessuresetcherchaunmoyendelesfermer.IltiraducorpsdeRustemquatrepointesde

flèche etsuçaavecsonbeclesangdesesblessures;ensuiteillesfrottaavecsesailes,etRustemreprità

l'instantsesforcesetsonénergie.LeSimourghluidit:Pansecesblessures,etaiesoindenepasteheurter

pendantunesemaine;mouilleavecdulaitunedemesplumesetpasse-lasurlesblessures.

EnsuiteilfitamenerRakschpourleguérirdemême;ilpassasonbeclelongduflancdroitduchevalettira

desoncousixfersdeflèche,desortequ'aucunepartiedesoncorpsn'étaitplusblesséeniestropiée,etRakschse

mitàl'instantàhennir,etledistributeurdescouronnessouritdeplaisirenentendant.Alorsl'oiseauluidit:O

hérosaucorpsd'éléphant,tuesplusglorieuxquetouslesgrandsdelacour;pourquoias-turecherchélecombat

contreIsfendiar,lehérosillustreaucorpsd'airain?Rustemrépondit:S'iln'avaitpasparlédechaînes,moncœur

n'auraitpasétéeffarouché;maisjepréfèrelamortaudéshonneur,sijamaisjemelaissevaincredanslecombat.

LeSimourghrépliqua:Iln'yaaucunehonteàbaissertatêtejusquedanslapoussièredevantIsfendiar;caril

estlevaillantfilsduroi,etlamajestédivinedesroisreposesurcethommeausangpur.Situveuxmaintenant

faireunpacteavecmoi,turenoncerasàtouteenviedecombat,tunechercheraspasàt'éleverau-dessusd'Isfendiar

surlechampdebatailleetdanslalutte,tuluirendrasdemainhommage,tuluioffrirascommerançontoncorpset

ton âme. Si alors son heure est arrivée, ildédaignera certainement tes excuses, et je te fournirai un moyen de

salut,jeporteraitatêtejusqu'ausoleil.

Rustemseréjouitdecesparolesetcessadecraindred'avoiràsubirlahontedesfers;ilrépondit:Jene

m'écarteraipasdetesinstructions,quandmêmeilpleuvraitdesépinessurmatête.LeSimourghreprit:Paramitié,

jevaistedévoilerlesecretduciel.Quiconqueverseralesangd'Isfendiardeviendralaproiedudestin;jamais,

aussilongtempsqu'ilvivra,ilnetrouveraladélivrancedesespeines;ilnepourragardersestrésors,lamauvaise

fortunel’accompagneradanscettevie,etquandillaquittera,ilretrouveradansl’autredespeinesetlemalheur;

maissituesdécidéàsuivremonavis,jevaisterendrefortcontretonennemi:jet'enseigneraicettenuitmêmeun

secretmerveilleux,jefermeraitaboucheauxmauvaisesparoles.Va,montesurRaksch,tonchevalbrillant,etprends

unpoignardétincelant.

Rustemécoutacediscours,seceignitlesreins,montaàl'instantsurRakschetchevauchajusqu'àcequ'ileût

atteintlamer.Ilvitl'airassombriparleSimourghetmitpiedàterresurleborddelamer.Aussitôtl'oiseau

pleindefiertédescenditdesairs,etRustemaperçutuntamarixdontlaracineétaitdanslaterreetlacimedans

lescieux.Lepuissantoiseauseperchasurl'arbre,etindiquaàRustemuncheminsecpourarriverauprèsdelui;

unparfumdemuscserépandittoutautour;ilordonnaàRustemdes'approcher,luifrottalatêteavecsonaileet

luidit:Choisislabranchelaplusdroite,lapluslongueetlaplusmince.C'estàcetteflèchedetamarixqu'est

attachélesortd'Isfendiar;nefaisdoncpaspeudecasdecettebaguette,rends-ladroitedevantlefeu,cherche

unbonvieuxferdeflèche,attacheauboisdesplumescefer,etvoilàlemoyendefairepérirIsfendiar.

Rustemcoupaunebranchedutamarixetpartitduborddelamerpourson,palaisetsonfort;leSimourghfut

son guidesur la route, se tenant au-dessus de sa tête et lui parlant ainsi :Maintenant, si Isfendiar vient te

provoqueraucombat,fais-luidessupplications,parle-luiavecdouceuretdroiture,etn'emploieaucuneespècede

fraude;ilsepeutqu'ilrevienneàunlangageplusdouxetqu'ilserappellelestempsanciens;cartuasbiendes

foistraversélemonde,bravantlesfatiguesetlespérilspourservirlesrois.S'ilrefused'acceptertesexcuses,

s'ilveuttetraitercommeunhommedepeudevaleur,alorsbandetonarc,placecetteflècheentamarisquetuauras

saturéedevin,dirigetesdeuxmainsenlignedroiteverssesyeux,commeferaitunhommequiadoreraitletamarix:

ledestinporteracetteflèchedroitdanssesyeux,carc'estlàqu'ilestvulnérable,pourvuquetunetemettespas

encolère.

L'oiseaupritcongédeZalenl'embrassantétroitement,ets'élançadanslesairscontentetheureux.Rustem

l'ayantvus'envoler,allumadufeu,redressalabaguetteetlasaturaetl'enivradevin;ilyfixaunferaigu,et,

quandtoutfutterminé,ilyattachadesplumes.

RUSTEMRETOURNEAUCOMBATCONTREISFENDIAR.

Cependantl'aubedujourcommençaàrayonnerduhautdelamontagneetàs'avancertimidementaumilieudela

nuit sombre; Rustem revêtit ses armes de combat et fit sa prière au Créateur demonde. Arrivé près de l'armée

illustredesIraniens,pourprovoquerIsfendiaràlalutte,lehéros,quicherchaitunmoyendesalut,seredressaet

s'écria:Ohommeavidedecombats,commentpeux-tudormirainsipendantqueRustemadéjàselléRaksch?Ensuiteil

reprit:Réveille-toidecedouxsommeil,luttecontreRustem,quidemandevengeance.

Isfendiarentenditcesparoles;lepeud'effetqu'avaientproduitsesarmespesantesl'avaientdécouragé,etil

ditàBeschouten:Labravoured'unlionnesertàriencontreunmagicien.JenecroyaispasqueRustempourrait

arriveràsonpalaischargédesacottedemailles,desacuirasseenpeaudeléopardetdesoncasque;etRaksch,le

destrierqu'ilmonte,avaitlapoitrinetoutecouvertedesfersdemesflèches.J'aientendudirequeDestan,ce

sectateurdesmagiciens,étendaitentouteoccasionsesmainsjusqu'ausoleil,etqu'ildépassetouslesmagiciens

quandilestencolère:iln'estpasprudentdemebattrecontreeux.Beschoutenluirépondit,leslarmesauxyeux:

Puissent les soucis et le dépit tomber sur tesennemis ! Que t'est-il arrivé, pour que tu sois si découragé

aujourd'hui?probablementtun'auraspasdormidanslanuit.Qu'ya-t-ildonceudanslemondeentrecesdeuxhéros

pourquecettequerellenefassequ'augmenter?Jenesaislequeldesdeuxlafortuneaabandonné,puisqu'elleamène

denouveauxcombatsentreeux.

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LehérosIsfendiarrevêtitsacuirasse,saisitsesarmesdecombat,ets'écriaenapercevantRustem:Puisseton

nomdisparaîtredumonde?OhommeduSéistan,as-tudoncoubliél'arcduhérosavidedecombats?L'artmagiquede

Zalt'aguéri;sansluiletombeauauraitdéjàréclamétoncorps;maintenanttuviensaprèsavoirpratiquétes

enchantements,etc'estainsiquetut'élancesdanslecombatcontremoi.Maisaujourd'huijetebriserailesmembres

detellemanièrequeZalnetereverrapasvivant.LorsqueRustem le vit ainsiencolère,ilpoussaunsoupiret

répondit:OIsfendiar,lehérosentretous,ôtoiquin'espasencorerassasiédebatailles,crainsdoncDieule

trèssaint,lemaîtredumonde,etnerabaissepastoncœurettonintelligence!Jenevienspasaujourd'huipourme

battre,jevienspourprésenterdesexcusesetpour sauvermonnometmonhonneur.Pourquoilutterais-tucontremoi

avecmauvaiseintention,pourquoifermerais-tulesyeuxdetaraison?JeteconjureparZerdouscht,lejusteparsa

foi sainte, par Nousch-Ader,par la majesté divinequi repose sur les rois, par le soleil et la lune, par le

Zendavesta,derenonceràlavoiedelaperdition.Oubliedesparolesquiontétédites,siviolentesqu'ellesaient

puêtre.Viensvoirunefoismamaison,cartondésirdem'ôterlaviedoitêtrepassé.J'ouvrirailaportedesvieux

trésors que j'ai amassés pendant de longuesannées ; j'en chargerai tes bêtes de somme, tu les donneras à ton

trésorier, qui les conduira ; ensuite je partirai avec toi, je meprésenterai avec toi devant le roi, quand tu

l'ordonneras, et jeregarderai comme juste ce qu'il fera, soit qu'il me déclare libre,soit qu'il me charge de

chaînes.Réfléchisàcequ'aditunanciensage:Net'associejamaisàunemauvaiseétoile!Jecherchetousles

moyenspour,quetafortunet'ôtel'enviedenouveauxcombats.

Isfendiarrépondit:Jenemeserspasdefraudeaujourducombat,aujourdelaterreur.Tuparlessanscesse

detamaisonetdetonpalais,tutâchesdefaireparaîtrecalmestestraitsenflammés;maissituveuxconserverla

vie,commenceparmettremesfers.Rustemrepritainsilaparole:Oroi!nedispasdeschosesinjustes,nerends

pasvilmonnometnedéshonorepasletien,carilnesortiraquedesmalheursdececombat;jetedonneraides

milliersdejoyauxdignesd'unroi,etdesbracelets,deschaînesetdesbouclesd'oreilles;jetedonneraimille

jeunesesclavesauxdouceslèvres,quiseretiendrontdevanttontrônejouretnuit;jetedonneraimille jeunes

fillesdeKhallakhquiparleurbeautéferontl'ornementdetacouronne.J'ouvriraidevanttoilesportesdestrésors

deSam,deNerimanetdeZal,ôhomme sanségal!Jeréuniraitoutceladevanttoi,ensuitej'amèneraileshommesdu

Zaboulistan, qui tous seront à tes ordres, qui détruironttes ennemis au jour du combat. Ensuite je me tiendrai

devanttoicommeunesclave,jemerendraiauprèsdeGuschtasp,quimepoursuitdesarancune.Oroi!écartelahaine

detoncœur;nefaispasdetoncorpsunlieud'embuscadepourleDiv.Tuasd'autresmoyensdem'attacherquedes

chaînes:emploie-lesenversmoi,cartuesunroietunadorateurdeDieu;leschaîneslaisseraientsurmonnomune

tacheéternelle;etcommenttesiérait-ildefairecequiestmal?

Isfendiarrépondit: Jusquesàquandprononceras-tudecesdiscoursinutiles?Tum'exhortesàquitterlavoiede

Dieuetàdésobéirauroi,gardiendumonde.Maisquiconques'écartedesordresduroiveuttromperDieu;choisis

doncentreleschaînesetlecombat,etneparleplusaussifollement.

RUSTEMLANCEUNEFLECHEDANSL'OEILD'ISFENDIAR.

Rustemcompritquelessupplicationsneservaientàrienauprèsd'Isfendiar;ilbandasonarc,etplaçadessus

cetteflècheenboisdetamarixdontilavaittrempéleferdansduvin.Ayantplacélaflèchesurl'arc,iladressa

ensecretuneprièreàDieu,disant:Otrèssaintmaîtredusoleil!toiquiaccordestoutesagesse,toutemajesté,

touteforce,tuvoislapuretédemoncœur,tuvoismespenséesetcequejepuisfaire!Tusaiscombienj'ailutté

pour calmer Isfendiar, tu sais combien il aété injuste,combien il est prodigue de combats et de bravoure. Ne

regardepascecicommeunpéchéàpunir,ôcréateurdelaluneetdeMercure!Quandlehérosopiniâtrevitcedélai

etl'hésitationdeRustemàcommencerlecombat,illuidit:OméchanthommeduSéistan!tonâmen'estdonc pas

encorelasse des flèches et des arcs ? Tu vas voir les flèches deGuschtasp, le cœur d'un lion et les fers des

flèchesdeLohrasp.

AlorsRustems'empressad'ajustersaflèchesurl'arcdelafaçonqueleSimourghluiavaitindiquée;illâcha

le traitcontre l'œil d'Isfendiar, et le monde devint noir devant le princeillustre, sa stature de cyprès

s'affaissa,ilperditconnaissanceetlaforcel'abandonna;latêteduroi,adorateurdeDieu,s'inclina,sonarc

chinoiss'échappadesesmains,ilsaisitlacrinièreetlecoudesonchevalnoir,etsonsangrougitlapoussièredu

champ ducombat.Rustemluidit:Tuasfaitporterfruitàcettesemenceamère.Tuesceluiquiadit:Jesuis

l'hommeaucorpsd'airain;jejetteraiàbaslecielsublime.Maisuneseuleflèchet'afaitrenonceraucombateta

faitpenchersurtoncélèbredestrier.Dansuninstanttatêteseradanslapoussière,etlecœuraimantdetamèrese

consumeradedouleur.Danscemomentleroiillustretombaduhautdesonchevalnoir,latêteenbas;ilresta

quelquetempsavantdereprendresessens,puisils'assitdanslapoussièreetécouta.Ilsaisitlaflècheparle

boutetl'arrachatoutecouvertedesang,depuisleferjusqu'auxplumes.

CependantBahmanavaitapprisquelagloiredesroisdesroisétaitternie:il courutversBeschoutenetluidit

:Cecombatestdevenuaffreux.Lecorpsdel’éléphantdeguerregîtdanslapoussière,etlemonden'estpluspour

nousqu'unenuitobscure.Touslesdeuxpartirentàpiedetencourant,ducampjusquesurlechampducombat,oùils

virent le héros la poitrine couverte de sang ettenant dans sa main une flèche ensanglantée. Beschouten déchira

devantluisesvêtementsetversadelapoussièresursatêteenpoussantdescris;Bahmanseroulaàterreet

frottasesjouesdanscesangchaud.Beschoutens'écria:Qui,parmilescroyantsetlesgrands,peutcomprendrele

secretdumonde?UnhommecommeIsfendiar,quiavaillammentmaniél'épéepourlafoi,quiapurifiélemondedes

méchants,desadorateursdesidoles,quin'ajamaisfaitunemauvaiseaction,péritdanslesjoursdesajeunesse,et

satêteroyaleestcouchéedanslapoussière;maisquandc'estunméchantquiremplitlemondededouleurs,qui

affligel'âmedeshommeslibres,unelongueviepassesursatête,etilsoitdetouslescombatssanséprouverde

mal!

LesjeunesprincesserrèrentIsfendiarcontreleurspoitrinesetessuyèrentlesangduroi.Beschoutenpoussades

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hurlementssurlui,lajouecouvertedesang,lecœurpleind'angoisse;ils'écria:Hélas,ôIsfendiar,ôhéros,ô

maîtredumondederaceroyale!Quiadoncébranlécettemontagnedeguerre,quiarenversécelionfurieux,quia

arrachéàl'éléphantcesbellesdéfenses,quiaarrêtécesvaguesdesflotsduNil?Qu'est-ilarrivéàcetterace

royaleparlemauvaisœil,puisquec'estleméchantquidoitsouffrirlemal?Aquoiontservitoncourage,ton

intelligence,taloyauté,tapuissance,tonétoileettafoi?Aquoiontservitesarmesdanscecombat?Qu'est

devenuetavoixsidoucedanslesfêtes?Tuavaispurifiélemondedetesennemis,tun'avaispasàcraindrelelion

ouleserpent;etmaintenantquetudevaisprofiterdetoutcela,jetevoisgisantdanslapoussière!

Isfendiarluiréponditparcesparolespleinesderaison:Ohommesageetfortuné!netelaissepasallerau

désespoiràcausedemoi.Ceciestlapartquem'ontfaitelecieletlalune.Toutcequivitaurapourcouchela

poussière;netelamentedoncpasdemamort!OùsontFeridoun,HouschengetDschemschid?Leventlesaamenés,un

soufflelesaemportés;etmesancêtresderacepure,ceshommesélus,fiersetsaints,sontpartisetnousont

laissé leur place ;carpersonne ne peut rester dans cette demeure passagère. J'aibeaucoupluttédanslemonde,

tantôt ouvertement, tantôtsecrètement, pour établir la voie de Dieu et pour y guiderl’intelligence des hommes.

Lorsquelaparoledelafoieutacquisdel'éclatparmesefforts,etquelamaind'Ahrimanfutdevenueimpuissanteà

fairelemal,ledestinaétendusagriffeaiguë,etjen'aipuluiéchapper.Monespoirestque,dansleparadis,mon

âmeetmoncœurrécolterontcequ'ilsontsemé.Cen'estpasparsabravourequelefilsdeDestanm'adonnélamort.

Regardecettebranchedetamarix,quejetiensdansmamain:c'estparellequeleSimourghetRustem,lerusé,ont

misfinàmavie.C'estZalquiafaitcesincantationsetemployécetartmagique,carilconnaîtlessortilègeset

touslesenchantements.

Àcesparolesd'Isfendiar,Rustemsetorditetpleuradedouleur,disant:LeDivmauditestcausequelapeine

est mapart dans la vie. Tout ce qu'Isfendiar a dit est vrai ; il n'a pasdévié de sa loyauté vers les voies

tortueuses.Depuisquej'airevêtuunearmure,j'airecherchélecombatavecceuxquiportaientleurtêteleplus

haut ; mais je n'ai pas vu un cavalier couvertd'une cotte de mailles et d'une cuirasse de combat, semblable à

Isfendiar. C'est pardésespoirquej'aicherchéuneruse:jen'aipasvoulusuccomberdevantluisansrésistance

Lorsquejemesuiséchappédesamainsansespoir,etquej'aivusonarc,sapoitrineetsonanneaudetir, j'ai

trouvémoyendetenirsaviesurmonarc,etlorsquesonmomentétaitvenu,j'ailancélaflèche.Siledestinavait

vouluqu'ilvécût,commentcetteœuvred'iniquitém'aurait-elleréussi?Ilfautquittercetteterreténébreuse,et

paraucuneprécautiononnepeut,prolongersavied'uneseulerespiration.Jen'étaisqu'uninstrumentpourfairece

malheur,maiscetteflèchedetamarixmecouvriradehontedansleschansons.

ISFENDIARCHARGERUSTEMDESESDERNIERESVOLONTÉS.

Isfendiar dit à Rustem : Ma vie touche à sa fin ; nem'évite pas, lève-toi, viens ici, car j'ai changé

d'intention.J'espèrequetuvoudrasécoutermesavisetmesdernièresvolontés:tuyverraslagrandeurdemon

estime;faisdeseffortspourremplirmesdésirs,etaide-toidetoutetapuissance.Tehemtenprêtal'oreilleàces

paroles ; il s'approcha d'Isfendiar à pied etengémissant;ilversaitdeslarmesdesangdanssahonte,etse

lamentaitd'unevoixdouce.CependantDestanavaiteudesnouvellesduchampdebataille,et,rapidecommelevent,

ilaccourutdesonpalais,ZewarehetFaramourzpartirentcommedesinsensésetcherchèrentpendantquelquetempsles

tracesdu combat ; des cris se firent entendre du champ de bataille, tels que lesoleil et la lune en furent

obscurcis,etZalditàRustem:Omonfils!c'esttoiquejepleuredansl'agoniedemonâme;carj'aiapprispar

lessagesdelaChineetlesastrologuesdupaysd'IranqueceluiquitueraIsfendiardoitpérir,qu'ilneverraplus

surlaterrequefatigueetmalheur,etquedansl'autremondeilnetrouveraqu'unsortmisérable.Isfendiarreprit

etditàRustem:Cen'estpastoiquieslacausedemonmalheur;c'étaitmondestin,etcequidevaitêtreest

arrivé. Écoule mes paroles :Tu n'as été qu'un instrument ; c'est mon père qui a fait mon sort,et non pas le

Simourgh,niRustem,nisaflèche,nisonarc.Monpèrem'adit:VaetbrûleleSéistan;jeveuxqueleNimrouz

cessed'exister. Son but était de se conserver l'armée, le trône et lacouronne, et de me faire disparaître.

Maintenantacceptedemoi,commesituétaissonpère,Bahmanmonfilsillustre,monconfidentprudentetvigilant,

etrappelle-toitoutesmesparoles.Rends-leheureuxdansleZaboulistanauprèsdetoi,etnet'inquiètepasdece

quepeuventfairelesméchants;enseigne-luiàcommanderdanslabartaille,àordonnerunesalledefestin,àaller

àlachassedansledésert,àboireduvin,àconverser,àfrapperdelaraquette,àfairedelamusique,àuserdu

pouvoir,àjouirdelavie.Djamasp,quesonnomsoitmaudit,quejamaisilneréussisseenriendanslemonde!a

préditqueBahmanseramonsuccesseuretlepluspuissantdesrois.

Rustemselevaàcesparoles,plaçasamaindroitesursapoitrineensigned'obéissance,etdit:Situmeurs,

je nedévierai pas de ces paroles, et je ferai tout ce que tu ordonnes. Jeplacerai Bahman sar l'illustre trône

d'ivoire,jeposeraisursatêtelacouronnequiréjouitlescœurs.IsfendiarécoutaRustemetluirépondit:Prends

lefilsquandlepèreseramort.Sache,aussivraiqueDieum'entend,aussivraiquenotrefoivéritableestmon

guide,que,malgrétoutlebienquetuasfait,malgrétouslesroisantérieursquetuasprotégés,tonnomrespecté

vaêtredéshonoré,etquelemondevaêtreremplidecriscontretoi àcausedemamort.Monâmeenestaffligée,

maisleCréateurl’aainsiordonné.

Ensuite il dit à Beschouten : Je ne demande plus à laterre qu'un linceul. Lorsque je serai parti de cette

demeurepassagère, mets en ordre mes troupes, et pars. Arrivé dans l'Iran,tu diras à mon père : Quand on est

puissant, il ne faut pas seservir de prétexte. Le monde t'obéissait, ton nom était gravé surtous les sceaux ;

j'espéraisdetoimieuxquecequetuasfait;cequiestarrivéestdignedetonâmeténébreuse.J'avaisréduità

l'ordrelemondeparl'épéedelajustice,etpersonnen'osaitmalparlerdetoi;lorsquelafoivraieétaitétablie

dansl'Iran,lepouvoiretlaroyautém'étaientdus;tumel'avaisjurédevantlesgrands,maisensecrettum'as

envoyéàlamort.Tuesmaintenantsatisfait,calme-toidonc,etassieds-toisurletrônelecœurenrepos;puisque

tun'asplusrienàcraindredemoi,écartedetespenséeslamort,donneunefêtedanslepalaisdesrois;àtoile

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trône,àmoilesdangersetlesluttes;àtoilacouronne,àmoilecercueiletlelinceul.Maisunvieux Dihkan

pleind'expérienceaditquelamortdevancelaflèche:netefiedoncpasàtestrésors,àtacouronneetàton

trône;mesmânest'attendrontsurlaroute,etquandtuviendras,nousironsensembledevantlejuge,nousparlerons

etnousécouteronssonarrêt.

QuandtuaurasquittéGuschtasp,tudirasàmamère:CettefoislaMortestvenuemecombattre,etunecuirasse

n'est quedu vent en face de ses flèches qui traversent tout, fut-ce unemontagne d'acier. Viens bientôt me

rejoindre, ô ma tendre mère, etne t'afflige pas pour moi, ne contriste pas ton âme, ne découvre paston visage

devantl'assemblée;n'essayepasdevoirencoreunefoismestraitscouvertsdulinceul:monaspectneferait

qu'augmenter tatristesse,etaucunhommedesensnet'approuverait.Ensuitedisàmessœursetàmonépouse,qui

languissaientensecretenpensantàmoi,disàcesfemmessagesetvaillantes:Jevousadresseunadieuéternel.

C'estletrônedemonpèrequim'aperdu,lesacrificedemavieaétépourluilaclefdestrésors.Jeluienvoie

Beschouten,quicouvriradehontesonâmeténébreuse.

Ilpoussaungrandsoupir,prononçacesparoles:C'estGuschtaspquim'aopprimé,etàl'instantsonâmepure

quitta son corps blessé,qui retomba sur la poussière noire. Rustem, dans sa douleur, déchirases vêtements, et

s'écria,lecœurremplid'angoisse,latêtecouvertedepoussière.Hélas!ôvaillantcavalier,petit-filsd'unroi

guerrier,filsd'unroi!monnométaitglorieuxdanslemonde,maisGuschtaspm'apréparéunefinmalheureuse.Ayant

pleurélongtemps,iladressaaumortcesparoles: Oroisanségaletsanspareildanslemonde!puisseton âme

entrerdansleparadis,puissenttesennemisrecueillirtoutcequ'ilsontsemé!

Zewarehlui dit : N'accepte pas ce prince, méfie toidelui.N'as-tupasentendudireauDihkan,d'aprèsun

ancienlivre,quesituélèveslepetitd'unlion,sesdentsdeviennentaiguës,ilacquiertdelaforce,bientôtil

cesse,d'obéiretchercheuneproie,etlapremière,surlaquelleilsejetteestsonpèrenourricier?Lesdeuxpays

retentirontdemauvaisespassions,etl'IranensouffriralepremiercarilaperduunroicommeIsfendiar; mais

ensuitelamauvaisefortunecommencerapourtoi;BahmanporteramalheurauZaboulistan,etlesvieuxguerriersdu

Kaboultrembleront devant lui. Sois assuré que, lorsqu'il portera lacouronne, il vengera Isfendiar. Rustem lui

répondit : Personne nepeut résister au ciel, ni les méchants, ni les vertueux. J'ai choisiun parti tel que la

raisonl'approuveraetquelesbonss'ensouviendront;siBahmanfaitdumal,ilauraàtremblerdevantlesort;

maistoi,neprovoquepaslemalheurpartapassion.

BESCHOUTENAMENELECERCUEILD’ISFENDIARÀGUSCHTASP.

Rustem fit faire un beau cercueil en fer et étenditdessus un poêle en brocart de Chine ; il en couvrit

l'intérieuravecdubitumesurlequelilrépanditdumuscetdel'ambregris;illuifitunlinceuldedrapd'or,et

touterassembléeéclataenlamentations.Ayantenveloppédansunlinceullabrillantepoitrineduroi,illuiplaça

surlatêtesondiadèmedeturquoise;onrivafortementlecouverclesurlecercueilétroit,etcetarbreroyalqui

avaitportédesibeauxfruitsdisparut.Rustemamenaquarantemuleschoisies,couvertesdehoussesflottantes en

brocartdeChine,etdontdeuxtoujoursportaientlecercueilduroi,l'uneàgaucheetl'autreàdroite;devantet

derrièremarchaitlecortège;tousavaientlesjouesdéchirées,lescheveuxarrachés;toutesleslanguesparlaient

duroi,touteslesâmesleregrettaient;lestimbalesétaientrenversées,lesdrapeauxmisenlambeaux,tousles

vêtementsétaientvioletsetbleus.Beschoutenmarchaitdevantlestroupes;lacrinièreetlaqueueduchevalnoir

duroiétaientcoupées;ilpartaituneselle,renverséed'oùpendaientlamassuedecombatd’Isfendiar,lecasque

célèbre,la cotte de mailles, la tunique et le bonnet du héros. Le cortège partit, etBahman resta dans le

Zaboulistan,deslarmesdesangdécoulantdesescils.Tehemtenl’emmenadanssonpalaiseteneutsoincommedeson

âme.

Guschtaspreçut la nouvelle de ce qui s'était passé ;latêteduroiillustresecourba,toussesvêtements

furent enlambeaux, son front et son diadème s'abaissèrent dans la poussière.Des cris lamentables sortirent du

palais,lemondeseremplitdunomd’Isfendiar;partoutdansl'Iranoùlanouvelleparvenait,lesgrandsjetaient

loind'euxleursdiadèmes.Guschtaspdit:Omonfilsàlafoisainte!l'époqueetlemondeneverrontpastonégal

;depuisleettempsdeMinoutchehr,iln'yapaseuunhommequiaitportésihautlatête;tuascouverttonépée

desangetpurifiélafoi;tuastenulesroisàleurplace.Lesgrandsdel'Iran,indignéscontreGuschtasp,se

dépouillèrentdetoutrespectpourlui,s'écriantàhautevoix: Ohomme audestinmaudit!tuasenvoyédansle

Zaboulistan,pourconservertontrône,unprincecommeIsfendiar;tul'aslivréàlamortetasgardélacouronne

surtatête,assissurletrônedupouvoir.PuissetatêteavoirhontedesecouvrirdelacouronnedesKeïanides;

puissetonétoileavoirhâtedepartir!Ilsquittèrenttouslasalled'audience,etlepalaisetlasallefurent

couvertsdepoussière.

Quandlamèreetlesfillesd'Isfendiarreçurentlanouvelle,ellessortirentdupalaisaveclessœursduhéros,

la têtenue, les pieds souillés de poussière,lesvêtements déchirés sur leur corps. Beschouten s'avança sur la

route,consumédedouleur,marchantdevantlecercueiletledestriernoir;lesfemmess'attachèrentàlui,lesang

ruisselantde leurs cils,ets'écriant:Otelecouvercledececercueil étroit, montre-nousaumoins de loin le

corpsdumortBeschoutensedésolaitaumilieudecesfemmes;ilpoussaitdescrisets'arrachaitlachairdesbras;

il dit aux forgerons :Apportez une lime acérée, car je suis un homme perdu. Il fit ouvrirle couvercle de ce

cercueilétroit,etrecommençaseslamentations.

Lorsquelamèreetlessœursvirentlevisageetlabarbenoireduroicouvertsdemusc,cesfemmesvoilées

s'évanouirent,cesfemmesauxcheveuxboucléseurentlecœurgonflédesang;quandellesreprirentconnaissance,

elles adressèrent desprièresaubienheureuxSerosch,quittèrentlecercueilduroi,s'approchèrentdesoncheval

noirenjetantdescrisetluicaressèrenttendrementlecouetlatête.Kitabounversasurledestrierdeslarmesde

sang,carc'étaitmontésurluiqueleroiavaitpéri,c'étaitencombattantsurluiqu'ilavaitétéfrappé.Lamère

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d’Isfendiardit:Otoidontlatrace,despiedsestmaudite, c'est surtondosque leKeïanideaététué!Qui

porteras-tudorénavantdanslabataille,quilivreras-tuàlagriffeducrocodile?Touteslesfemmessesuspendirent

àsoncou,toutesversèrentdelapoussièresursatête;leslamentationsducortègemontèrentdanslesnues,et

Beschoutenentradanslepalaisduroi.

Lorsqu'ilvitGuschtasp,ilnelesaluapas;arrivétoutprèsdesontrône,ilditàhautevoix:Ochefdes

hommesquiportenthautlatête,lessignesdetachuteapprochent!Voicilemalquetuasfaitàtonproprefils;

tu as détruit la fortune dupays d'Iran ; tu as oublié ton caractère sacré, et la raison t'aabandonné ; les

scorpionsdeDieutesuivront.Tonfilsillustre,tonsoutienapéri,etdorénavanttunetiendrasdanstamainque

duvent.Tuaslivrétonfilsàlamortpourconservertontrône;puissetonœilneplusvoirjamaisletrôneetla

fortune!Lemondeentierestpleindetesennemisetdeméchants,etlacouronnedesroisneteresterapas;tu

seras maudit sur cette terre, et aujour du jugement,tes actions seront examinées. Ildit, et se tourna vers

Djamasp,s'écriant:Ohommeméchant,viletégaré!tuneconnaisquelemensonge,et,partesvoiestortueuses,tu

as ternitoutesplendeur;tuexcitesl'inimitiéparmilesKeïanides,tufrappesl'unparl'autre.Tasagesseest

d'enseignerlecrime,dediminuerlebien,d'agrandirlemal.Tuasseméunesemencedontturecueillerasdansce

mondelesfruitsapparentsetcachés.C'estpartesparolesqu'unprincepuissantapéri,quelejourdespuissantsa

passé.Tuasenseignéauroilechemindumal,ôvieillardsanscervelleetsansraison!enluidisantquelesort

d'IsfendiarétaitdanslamainduglorieuxRustem.Ensuiteilouvritsaboucheéloquenteetrépétalesconseilset

lesdernièresvolontésd'Isfendiar;ilracontacommentilavaitléguéàRustemsonfilsBahman,ildévoilatousles

secretsdesonfrère. Le roi entenditles dernières volontés de son fils, et se repentit de ce qu'il avaitfait

contrelui.

Quandlesgrandseurentquittélepalais,Beh-AferidetHomaïentrèrent;dansladouleurqueleurcausaitla

mortdeleurfrère,elless'arrachèrentlescheveuxdevantGuschtasp,ellessedéchirèrentlesjouesetdirentàleur

père:Oroiillustre!réfléchissurlesortd'Isfendiar,quilepremieravengéZerir,quiaarrachél’onagreaux

griffesdulion,quinousadéfenduscontrelesTurcs,quiaremisdel’ordredanstonempire.Surlesparolesd'un

calomniateur, tu l’as fait attacherà des colonnes par un lourd carcan et des courroies ; mais lorsqu'ilfut

enchaîné, notre grand-père fut tué et notre armée périt ; quandArdjasp vint de Khallakh à Balkh, les malheurs

rendirentnotrevieamère;quandilnouseutremmenéesdupalaisdanslarue,levisagedécouvert,nousquiavons

toujoursétévoilées,quandileutéteintNousch-Ader,lefeu de Zerdouscht, et qu'il se futemparé de l'empire,

alorstuasvuagirtonfils,tuasvuqu'ilaréduitlesTurcsenfumée,enventetenpoussière.Ilnousaramenées

duchâteaud'airainauprèsdetoi,ilaétélegardienduroyaumeetdetacouronne;maistul’asenvoyédansle

Zaboulistan,tu lui as donné beaucoup de conseils et d'avis, pendant que ton intention étaitqu'il pérît par le

leurredetontrône,etquesamortremplîtlemondededouleuretdeterreur.Cen'estnileSimourghquil’atué,ni

Rustem,niZal,c'esttoiquil’astué:ainsinelepleurepas,toiquiessonmeurtrier.Aiehontedetabarbe

blanche,cartuasfaitpérirtonfils,dansl'espoirdeconservertontrône.Ilyaeuavanttoibeaucoupderois

dignesdutrône,maisilsn'ontpaslivréàlamortleursenfants,leurfamilleetleursalliés.

Guschtasp dit à Beschouten : Lève-toi et verse del'eau sur ce feu enfantin. Beschouten sortit de la salle

d'audienceduroietemmenalesfemmesdecelieu;ilditàsamère:Pourquoifrappes-tuavectantdepassionàla

portedumort?Ilestcouchétranquillementetl'espritenrepos;carilétaitfatiguédecepaysetdesonmaître.

Pourquoiaffligertoncœuràcausedelui,dontlademeureestmaintenantleparadis?Lamèreacceptalesconseils

de son fils plein de piété, et se laissapersuader par lui de la justice de Dieu. Pendant une année toutesles

maisonsdel'Iranretentirentdecrisetdelamentations,etpendantdelonguesannéesonversadeslarmessurla

flècheenboisdetamarixetlessortilègesdeDestanfilsdeZal.

RUSTEMRENVOIEBAHMANDANSL'IRAN.

CependantBahmanrestaitdansleZaboulistan,passaitsavieàlachasse,aubanquetetdanslejardindesroses.

Rustemenseignaàsonennemiàmonteràcheval,àboireduvin,àtenirunecour;entoutechoseilletraitait

mieuxqu'unfils;jouretnuitillepressaitsursoncœurensouriant.Lorsquelesfaitseurentréponduàcequ'il

avaitpromisàIsfendiar,etqueGuschtaspn'eutplusdeprétextepourlavengeance,Rustemluiécrivitunelettre

pleinededouleur,danslaquelleilluirappelatouslessouvenirsdesonfils.Aprèsavoirinvoquélesgrâcesde

Dieusurceuxàquilerepentirfaitoublierlavengeance,ilajouta:Dieum'esttémoin,Beschoutenlesait,que

j'aifaittousmeseffortspourdétournerIsfendiarducombat,quej'aimisàsespiedsmonpaysetmestrésors,que

j'aurais préféré faire les choses lesplus pénibles ; mais mon destin a voulu qu'Isfendiar ne se laissâtpoint

attendrir,sipleinquefûtmoncœurdedouleur,sirempliequefûtmonâmedetendressepourlui.

Telleaétélarotationduciel,etpersonnenepeutchoisirenfacedusort.Maintenantj'aiauprèsdemoice

jeunehommequidésirelapossessiondumonde,etquiestdemeilleuraugurepourmoiqu'Ormuzd,monétoile(Jupiter).

Jeluiaienseignécequ'unroidoitsavoir;j'aipayé,selonlesdernièresvolontésdesonpère,ladettedela

raison;etsileroiveutacceptermonrepentiretmepromettred'oubliercetteflèchefatale,toutcequejepuis

parmoncorpsetmonâmeestàlui,montrésoretmacouronne,moncerveauetmapeau.

Lorsquecettelettreparvintauroidumonde,ilsetrouvaitisolédetouslesgrands;Beschoutenvintetdonna

sontémoignage ; il répéta toutes les paroles de Rustem, raconta lesangoisses, les conseils et les dernières

volontésd'Isfendiar,etcequ'ilavaitditsurlecombatetsursonestimepourRustem.Lecœurduroiseradoucit

enversRustem,etilcessades'affliger.Ilécrivitsur-le-champuneréponse,etplantaunarbredanslejardinde

laroyauté,disant:Commentlarotationdelasphèresublimeducielpourrait-elleamenerladestructionsurun

hommequirevientàlamodérationetquis'avancedanslavoiedelasagesse?Beschoutenm'adonnéletémoignageque

tuluidemandais,ettuasremplimoncœurdebonnevolonté.Quipourraitsesoustraireàlarotationducielqui

tourne?Lesagenes'occupepasdecequiestpassé.Tueslemêmequetuastoujoursété,ettuesencoreplusgrand

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;tueslemaîtredel'IndeetdeKanoudj,ets'iltefautdavantage,quecesoientdestrônesetdessceaux,des

épées et des casques, demande-les. Le messager rapporta cetteréponse en toute hâte, comme Rustem le lui avait

ordonné,etlefilsdeDestanenfutheureux,ettoussessoucisetseschagrinsfurentconvertisenjoie.

Ainsisepassèrentquelquesannées;lefilsd'Isfendiardevinthautdestature,intelligent,instruitetfort,

etilportaitsondiadèmefortunéplushautquetouslesrois.Djamaspsavait,pardesartsbonsetmauvais,quela

royauté étaitdestinéeàBahman,etilditàGuschtasp: Oroibien-aimé!ilfautquetut'occupesdeBahman.Il

possèdemaintenantlesconnaissancesquesonpèrevoulaitqu'ilacquit,etilestdevenuunjeunehommebrillant;il

demeuredepuislongtempsdansunpaysétranger,etpersonneneluiajamaisluunelettredesafamille.Ilfautlui

écrireunelettresemblableàunarbredanslejardinduparadis,puisquetuasdanslemondeunhéritiersinoble,

quipeuttefaireoublierledeuild'Isfendiar.

Guschtaspaccueillitavecjoiecediscours,etordonnaaufortunéDjamaspd'écrireunelettreàBahman,etune

autreauhérosavidedecombats,ainsiconçue:JeremercieDieu,ôPehlewandumonde,que,grâceàtoi,noussoyons

heureuxetquenotreâmesoitenrepos.Monpetit-fils,quim'estpluscherquelavie,quiestplusrenomméparses

connaissancesqueDjamasp,aapprisparl'influencedetafortunelesrèglesdeconduiteetlasagesse,etjedésire

que tu me le renvoies.Ensuite il fit écrire à Bahman : Aussitôt que tu liras cette lettre,tu quitteras le

Zaboulistan,carj'aibesoindetevoir;ainsiapprête-toietnetardepas.LorsquelescribelutàRustemlalettre

duroi,lehéros,amidelasagesse,s'enréjouit.IldonnaàBahmandetoutcequecontenaitsontrésor:descottes

demailles, des épées brillantes, des caparaçons de chevaux, des arcsetdesflèches,desmassues,despoignards

indiens,ducamphre,dumusc,del’aloèsfrais,del'ambregris,despierreries,del'argentetdefor,deschevaux,

despiècesd'étoffes,desesclavesvieuxetjeunes,desceinturesetdesbridesd'or,etdeuxcoupesd'orrempliesde

rubisbrillants;illuidonnatoutcela,etceuxquiapportaientcesprésentslescomptaientdevantletrésorierde

Bahman.

Rusteml’accompagnapendantdeuxstationssurlaroute,puisill'envoyaauprèsduroi.LorsqueGuschtaspvitson

petit-fils,deslarmesdesanginondèrentsesjoues;illuidit:TuesunIsfendiar;danslemondeentiertune

ressemblesqu'àlui.Iltrouvaqueleprinceavaitl'espritcalmeetobservateur,etneluidonnaplusd'autrenom

queceluid'Ardeschir.C'étaitunhérospleindeforce,d'ambition,d'intelligence,deconnaissancesetdedévotion.

Quandilsetenaitdebout,lapointedesesdoigtsdescendaitau-dessousdesongenou.Guschtasplemitàl'épreuve

pendantquelquesmois,etnecessaitderegardersahautestature;danslesexercicesdelaplacepublique,dansles

fêtesetdansleschasses,BahmanremportaitlapalmecommeIsfendiarl'avaitremportée.Guschtaspn'avaitjamaisà

exercersapatienceenverslui,etquandcelaarrivait,ilreprenaitsonpouvoirenbuvantduvinaveclui.Ildisait

:Dieumel'adonné,j'étaisaffligé,ilmel'adonnépourmeconsoler.PuisseBahmanvivreéternellement,puisque

j'ai perdu mon noblefils au corps d'airain ;puissentsoncœurêtreheureuxetsacouronnepuissante,soncorps

exemptdedouleursetsonâmelibredetoutmal;puissesonâmenejamaissouffrirdepeine;puisselemonderester

soussesordres!

**************************

AVENTUREDERUSTEMETDESCHEGHAD.

COMMENCEMENTDURECIT.

L'histoired'Isfendiarestterminée;elleesttiréedesrécitsd'hommesvéridiques.Maintenantjevaisraconter

la mortdeRustem,d'aprèsunlivrecontenantlestraditionsdesafamille.IlyavaitunvieillardnomméAzadeh

Serw,quidemeuraitàMerw,chezAhmedfilsdeSahl;ilpossédaitunlivredesroisdanslequelsetrouvaientles

portraitsetlesfiguresdesPehlewans.C'étaitunhommeaucœurpleindesagesse,àlatêteremplied'éloquence,à

lalanguenourried'anciennestraditions;ilfaisaitremontersonorigineàSamfilsdeNeriman,etilsavaitbien

deschosessurlescombatsdeRustem.Jevaismaintenantcontercequejetiensdelui,enfaisantuntissudetoutes

ceshistoires.Sijeresteassezlongtempsdanscettedemeurepassagère,simoncœuretmonintelligencecontinuentà

meguider,jefiniraicevieuxlivre,etcerécitperpétueramonsouvenirdanslemonde.

Aunomdumaîtredumonde,duroiMahmoud,d'Abou'lkasim,quiestlagloiredudiadèmeetdutrône,quiestle

maîtredel'Iran,duTouranetdel’Inde,quiarendulemondebrillantcommeunelamedeRoum,dontlagénérositéa

épuisétouslestrésorsd’or,etdontlesavoiraamassédestrésorsdegloire.C'estunprincepuissant,etlorsque

desannéessansnombreserontpassées,leshommesdesensparlerontencoredelui,desescombats,desesdons,de

sesfêtesetdeseschasses;lemondeestremplidusouvenirdesesactesdejustice;heureuxceluiquivoitsa

couronne,sacouretsonarmée!Mesoreillesetmespiedsmerefusentleurservice,lapauvretéetlesannéesont

emportémaforce;c'estainsiquelafortuneennemiem'aenchaîné,etjesoupiresurmonmalheuretmonâge;mais

jouretnuitj'invoquelesbénédictionsdeDieusurcemaîtredelaterre,cedistributeurdelajustice,etlepays

entiersejointàmoi,sicen'estlesmécréantsetlesméchants;cardepuisqu'ils'estassissurletrônedes

Keïanides,qu'ilafermélaportedelavengeanceetliélamaindumal,ilfaittremblerceuxquicommettentdes

excès,quand même ils les commettent protégés par leur haut rang, et iltraite généreusement ceux qui ont de la

raisonetquinedépassentpaslamesurequileurestassignée.Jeluiélèveraiunmonumentdanslemonde,quinesera

pas oublié tant qu'il y aura des hommes ;c'est ce livre des rois anciens, des grands, des vaillants cavaliers

d'autrefois;celivreremplidefêtesetdecombats,deconseilsetdebellesparoles,d'aventuresanciennes,de

sagesseetdefoi,deconseilsdemodérationetdeprudence,etquipeutservirdeguidepourl'autremonde.Quoique

beaucoupdechosespuissentyplaireauroietluiêtreutilesaujourd'hui,ceserasurtoutcommeunsouvenirdeson

règnequeluiserviracelivre,quiserainséparabledel'histoiredesavie.J'espèrequeleroim'enrécompensera

pardel'or,carjeveuxlaisseraprès,mamortunsouvenirdestrésorsdeceroidesroisquiportaitsihautla

tête.MaintenantjereviensauxparolesdeSerwquibrilledanslamaisondeSahlfilsdeMahan,àMerw.

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RUSTEMSERENDÀKABOULPOURAIDERBONFRERESCHEGHAD.

Voicicequeditcevieillard,avidedeconnaissances,pleindetalents,d'éloquenceetdesouvenirs:Zalavait

danslesappartementsdesesfemmesuneesclavequisavaitchanteretjouersurdesinstrumentsdemusique;cette

jeuneesclavemitaumondeunfilstelquelalunedisparaissaitdevantsonéclat;ilressemblaitàSamlecavalier,

destatureetd'aspect,etlafamilleduhérosenfutravie.Desastrologuesetdessavants,deschefsillustresdu

Kaschmir et du Kaboul, des hommes qui exploraientles sciences et adoraient Dieu arrivèrent, leurs tables

astronomiquesindiennesàlamain,etsemirenttousàcalculerlesconstellationspourconnaîtrelesortqueleciel

préparait à cetenfant au beau visage. Mais quand ils virent le résultat étonnantde leurs calculs, ils se

regardèrentl'unl'autreetdirentàZalfilsdeSamlecavalier:Ohéritierd'unefamillefavoritedesastres,nous

noussommesmisàl'œuvreetavonscherchélesecretduciel;maisiln'estpasfavorableàtonfils!Quandcet

enfantaubeauvisageseradevenuhomme,etauraacquisdelabravoureetdelaforce,ildétruiralaracedeSamfils

deNeriman;ildésoleracetrône;ilrempliradediscordetoutleSéistanetbouleverseratoutlepaysd'Iran;les

joursdetousdeviendrontpleinsd'amertume,etiln'yauraqu'unpetitnombredevousquisurvivra.

DestanfilsdeSamfutaffligédecesparoles;ilinvoquaDieu,ledistributeurdelajusticesurlaterre,

disant:Otoiquiesmonguide!lecielquitourneestsouslespieds;entoutechosetuesmonsoutienetmon

asile;tum'enseigneslasagesseetlavraievoie;tuascréélecieletsesastres;puissions-nousespérertout

bonheur;puisse-t-ilnenousarriverquecequenousdésirons,etlereposcequirendheureux!LeSipehbeddonnaà

sonfilslenomdeScheghad;lamèrelegardamêmelorsqu'ilfutsevré,qu'ilfutdevenubeauàravirlecœur,qu'il

parlaitetqu'ilobservaittout;maisquandl'enfanteutgrandi,Zall'envoyaauprèsduroideKaboul.C'étaitun

jeunehommedelatailled'unhautcyprès,uncavaliervaillantetsachantseservirdelamassueetdulacet.Leroi

deKaboulleregardaetvitqu'ilétaitdignedelacouronneetdutrônedesrois;ilseréjouitdesonaspectetlui

donnasafilleàcausedesanaissance.Illuienvoya,avecsafilleillustre,toutcequi,danssongrandtrésor,

étaitdignedelui,etlegardaavecsoin,commeunepommefraîche,pourqu'iln'eûtrienàcraindredesastres.Les

grandsdel'Iranetdel'HindoustanparlaienttousdeRustemetdelaredevanced'unepeaudevachequ'ilexigeait

chaqueannéedupaysdeKaboul.LeprincedeKaboulpensaitqueScheghadétantdevenusongendre,Rustem,lemaîtredu

Zaboulistan, ne parlerait plus de cetteredevance de la valeur d'un dirhem. Mais quand l'époque fut arrivée,les

hommesdeRustemexigèrentlaredevanceetoffensèrentainsitoutlepaysdeKaboul.

Scheghadétaitblessédecequ'avaitfaitsonfrère,maisiln'enparlaà personne,exceptéauroideKaboul,à

quiilditcesecret:Jesuislasdumonde,etjerenonceàtoutedéférencepourmonfrère,puisqu'iln'apashonte

d'agirainsienversmoi.Quem'importequecesoitunfrèreaînéouunétranger,unsageouunfou?Préparonsun

moyendel'amenerdansnosfilets;nousacquerronsdurenomdanslemondeparcehautfaitseconcertèrent,et,dans

leur idée, ilss'élevèrent au-dessus de la lune ; mais, selon la parole du sage,quiconque fait le mal s'en

repentira.

Une nuit, ces deux hommes ne purent trouver dusommeil jusqu'à ce que le soleil se montrât au-dessus de la

montagne,etilsparlèrentdesmoyensdefairedisparaîtredumondelenomdeRustemetderemplirdelarmeslecœur

etlesyeuxdeZal.ScheghadditauroideKaboul:Sinousvoulonsyréussir,prépareunefête;convietousles

grands et fais venir du vin, de lamusique et des chanteurs. Pendant que nous boirons du vin, tu meparleras

froidement,et,aumilieudetondiscours,tum'insulteras;mevoyantmaltraité,jepartiraipourleZaboulistan,je

meplaindraiduroideKabouldevantmonfrèreetdevantmonpère,jediraiquetuesunhommegrossieretdemauvaise

race.Rustemsemettraencolèrepourmoietviendradanscepaysillustre.Tuchoisirasuneréservedechassesurla

routequ'ildoitprendre,ettuyferascreuseretdesfosses;tulesferascreuserassezgrandespourRustem et

Raksch,ettuengarniraslefonddelonguesépées,delancesetdepieuxbrillants,lapointeenhautetlapoignée

enterre.Fais-encreuserplutôtcentquecinq,situveuxquetespeinesfinissent.Amènes-ycentouvriershabiles;

faispréparerlesfosses,etn'enparlepasmêmeàlalune;ensuitecouvreouverturedestrous,etnedisrienà

personnedetoutceci.

Leroipartit;saraisonétaitégarée;ilpréparaunefêtecommecetinsenséleluiavaitconseillé;ilconvia

lesgrands et les petits du Kaboul, il les fit asseoir à des tables bienservies.Quandilseurentdîné,ilsse

formèrentenassemblée;onfitvenirduvinetdeschanteurs,etlorsquelestêtesfurentpleinesdesfuméesdevin

royal,Scheghadselançadansdesdiscoursmalsonnants,disantauroideKaboul:Jesuisd'unrangplushautque

toute cette assemblée, Rustem est mon frèreet Destan est mon père ; qui pourrait se vanter d'un lignage plus

illustre?LeroideKaboulsemitencolèreets'écria:Pourquoimetairais-jedonctoujourssurcesujet?Tun'es

pasdelaracedeSamfilsdeNeriman;tun'espaslefrère,pasmêmelecousindeRustem.JamaisDestanfilsdeSam

n'aparlédetoi;commenttereconnaîtraitdonctonprétendufrère?Tueslefilsd'uneesclave,tuesunserviteur

quiveilleàlaportedupalais,etRoudabehnet'appellerajamaisfrèredeRustem.

LecœurdeScheghadseserraàcesparoles,et,toutindigné,ilpartitpourleZaboulistan.Ilfitlarouteavec

quelquescavaliersdeKaboul,lecœurremplidehaine,leslèvrespleinesdesoupirs;ilarrivaàlacourdesonpère

fortuné, l'âmerempliederuse,latêtepleinedeplansdevengeance.LorsqueZalaperçutlevisagedesonfils,

qu'il vit sa haute stature, son airroyal et ses membresforts il lui adressa beaucoup dequestions et le reçut

tendrement;ensuiteill'envoyaauprèsdeRustem,etlePehlewanseréjouitdesavue,letrouvantintelligentet

d'unespritserein,etluidit:IlnepeutnaîtredelaracedeSam,lelion,quedeshommesfortsetvaillants.

CommentvonttesaffairesavecleroideKaboul?quedit-ildeRustemduZaboulistan?Scheghadluirépondit:Ne

parleplusduroideKaboul;autrefoisilétaitbonpourmoi,etquandilmevoyaitilmebénissait;maismaintenant

ilmecherchequerellequandilboitduvin;ilveutéleversatêteau-dessusdetouteslestêtes,etm'ainsulté

devanttoute la cour en révélant ma naissance inférieure. Il m'a dit :Jusque à quandme parlera-t-on de cette

redevance?Nepouvons-nouspasrésisterauSéistan?JenedonneraiplusàcethommelenomdeRustem;jenesuis

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pasaudessousdeluienvaleuretennoblesse.Quantàtoi,tun'espaslefilsdeZal,etsitul’es,aumoinsilne

tecompte pour rien. Mon cœur fut rempli de douleurd'êtretraitéainsi en face des grands, et je suisparti de

Kaboulpâledecolère.Rustem,àcesparoles,éclata,disant:Riennerestejamaiscaché.Net'inquiètepasdelui

nidesonpays;mauditsoitsonpaysetmauditsondiadème!Jeletueraipourcediscours;jeleferaitrembler,

luietlessiens;jeterendraiheureuxenteplaçantsursontrône;j'abaisseraidanslapoussièresafortune.

Rustem garda Scheghad pendant quelques jours, en lecomblantd'honneursetluiassignantun-grandpalais.Il

choisitdesonarméelesplusbraves,ceuxquis'étaientleplusdistinguésdanslesbatailles,etleurordonnadese

prépareràpartiretàmarcherduZaboulistandansleKaboul.Quandl'arméefutprêteetlecœurduPehlewandégagé

detoussoucis,Scheghadvintvoirlehérosetluidit:NepensepasàuneguerrecontreleroideKaboul;carsi

jetraçaisseulementtonnomsurl'eau,toutKaboulperdraitlereposetlesommeil.Quioseraseprésenterpourte

combattre?etsitumarches,quioseral'attendre?Jesuisconvaincuqu'ilserepentdéjà,qu'ilessayedeprévenir

lessuitesdemond’épart,etqu'ilvaenvoyerengrandnombredeschefsillustresdeKaboulpourdemandergrâce.

Rustemdit:C'estnaturel,etjen'aipasbesoind'unearméecontreKaboul.Zewarehetcentcavaliersrenommés,avec

centfantassinsvaillants,mesuffiront.

LEROIDEKABOULFAITCREUSERDESFOSSESDANSLARÉSERVEDECHASSE;RUSTEMETZEWAREHYTOMBENT.

LorsqueScheghadàlamauvaiseétoileeutquittéKaboul,leroipartitàl'instantpourlelieudelachasseavec

leshommesdesonarméelesplushabilesdansl'artdefairedesfosses,etilsencreusèrentpartoutsouslesroutes

danslaréservedechasse,etengarnirentlefondavecdesépieux,deslances,desjavelotsetdesépéesdecombat

dontlapoignéeétaitfixéeenterre.Ensuiteonrenditinvisible,avecbeaucoupd'art,l’ouverturedesfosses,de

manièrequeniunhommenil'œild'unchevalnepouvaientlesdécouvrir.

Rustems'étantmisenroutesansdélai,ScheghadenvoyauncavalierbienmontépourdireauroideKaboulquele

hérosaucorpsd'éléphantpartaitsansarméeetqu'ilfallaitalleràsarencontrepourluidemanderpardon.Leroi

sortitdelaville,lalanguepleinedemiel,lecœurremplidepoison;maisquandsonœilaperçutlafigurede

Rustem,ilmitpiedàterred'aussiloinqu'illevit,ôtadesatêtesonbonnetindienets'avançalatêtenueetles

mainsposéessurlefront;ilôtalesbottinesdesespiedsenpoussantdeslamentationsetenversantdeslarmesde

sang;ilseprosterna,levisagesurlaterrenoire,etdemanda,danséestermes,pardondecequ'ilavaitdit à

Scheghad:Sitonesclaveaétéassezinsensépours'enivreretaétéarrogantdanscetétatdefolie,pardonne-lui

safauteettraite-lecommeautrefois.Ils'approchalespiedsnus,latêtepleinededesseinsdevengeanceetle

cœurremplideruses.Rustemluipardonna,luiaccordadenouveauxhonneurs,luipermitdesecouvrirlatêteetdese

chausserlespieds,demonteràchevaletdesemettreenroute.

Or,ilyavaitenfacedelavilledeKaboulunlieudontlaverdureravissaitlesâmes;onyvoyaitdel'eauet

desarbres,etl'ons'yarrêtaitpartoutjoyeusement.Leroiyfitporterbeaucoupdevivresetfitarrangerune

belle salle de festin; il envoya chercher du vin, appela des musiciens et fit asseoir lesprinces sur un trône

royal.

LeroiditàRustem:Quandtuaurasenviedechasser,jepossèdeunlieuoùlesbêtesfauveserrentpartouten

troupeaux,danslaplaineetdanslamontagne.Lamontagneestrempliedebélierssauvages,laplaineestcouverte

d'onagres,etquiconqueaunchevalrapideestsûrdeprendreencetteplainedesonagresetdesbiches.Ilnefaut

paspassersansvisitercelieuravissant.

CesparolesagitèrentRustem,parl'attraitdecetteplainerempliederuisseaux,debichesetd’onagres;car

cequiestdestinéàamenerlafind'unhommeagitetoujourssoncœuretpervertitsonjugement.Telleestl'action

decemondechangeant;ilnenousdévoilejamaissonsecret.Lecrocodiledanslamer,leléoparddansledésert,le

vaillantlionauxgriffesaiguës,lamoucheetlafourmisontégalementsouslamaindelamort,etpersonnenepeut

resterdanscemonde.

RustemfitsellerRakschetcouvrirlaplained'éperviersetdefaucons;ilplaçasonarcroyaldansl'étui;

Scheghadsemitàcouriràcôtédelut,etZewarehavecquelqueshommesdecetteillustreassembléeaccompagnèrentle

héros au corpsd'éléphant. Pendant la chasse, l'escortede Rustem sedispersa, les uns courant sur les parties

minées, les autres sur lesparties fermes du terrain ; et Zewareh et Tehemten se trouvèrent,par l'influence du

destin,surunerouteoùilyavaitdesfosses.Rakschflairaitcesolnouvellementremuéetseramassaitcommeune

boule;ilsecabrait ,ilavaitpeurdel'odeurdecetteterreetbattaitlesoldesessabots.Ilavançasurcette

routedemanièreàseplacerentredeuxfosses.Rustems'obstinaàfaireavancerRaksch,ledestinl'aveuglaetilse

mitencolère,levasonfouetetentouchalégèrementRaksch:l'animalterrifiérepritsonélan;ilétaitresserré

entredeuxfossesetilcherchaàéchapperàlagriffedusort;maisiltombaavecdeuxdesespiedsdansunedes

trappes,oùiln'yavaitpasmoyendereteniretdesedébattre.Lefonddutrouétaitpleindejavelotsetd'épées

tranchantes, la bravoure n'y servait à rien et la fuite étaitimpossible. Les flancs du vaillant Raksch étaient

déchirés, lapoitrine et les jambes du puissant Pehlewan étaient percées.Néanmoins, à force de courage, Rustem

dégageasoncorps,etlehérosremontadufondsurleborddelafosse.

RUSTEMTUESCHEGHADETMEURT.

LorsqueRustem,malgrésesblessures,ouvritlesyeux,ilvitlevisagemalveillantdeScheghadetsentitque

cetteruseetceplanvenaientdeluietqueScheghad,lefourbe,étaitsonennemi.Illuidit:Ohommeviletàla

mauvaisefortune,c'estpartonfaitquecepaysheureuxdevientundésert.Tuterepentirasdececi,lessuitesde

toncrimeteferonttrembler,ettun'arriveraspasàlavieillesse.LemisérableScheghadluirépondit:Lecielqui

atournéafaitjusticedetoi;pourquoias-tupendantsilongtempsversédusangdansl'Iran,dévastéetattaqué

touslespays?Lemomentdetafinestprochain,ettupérirasdelamaindesAhrimans.Danscemomentleroide

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Kaboularrivadudésertdanslelieudelachasse,ilvitlehérosaucorpsd'éléphantsigrièvementblessé,ilvit

que sesblessuresn'étaientpaspanséesetluidit: O chef illustre de l'armée, que t'est-ilarrivé dans cette

réservedechasse?Jevaispartirentoutehâteetmenerquelquesmédecins,enversantdeslarmesdesangsurfîtes

douleurs;j'espèrequetesblessuresseguérirontetquejen'auraiplusàinondermesjouesdelarmesdesang.

Tehemtenluirépondit: Ohommeruséetdemauvaiserace!letempsdesmédecinsestpassépourmoi,maisne

versepasdelarmesdesangsurmamort.Silongtempsqu'onvive,onfinitparmourir,etlarotationducielatteint

toutcequiavie.JenesuispasunhommeplusglorieuxqueDjamschid,quiaétésciéendeuxparPeiverasp, que

FeridounetKeïkobad,cesgrandsroisdenaissanceillustre:etlorsqueletempsdeSiawoschétaitvenu,Gueroui

Zerehluiacoupélagorgeavecsonpoignard:Ilsétaienttousroisdel'Iran,ilsétaientdeslionsvaillantsdans

lecombat,maisilssontpartisetnousleuravonssurvécu,noussommesrestéssurlaroutecommedeslionsterribles

;Faramourzmonfils,lajoiedemesyeux,viendraettedemanderacomptedemamort?

EnsuiteilsetournaverslevilScheghad,disant:Puisquecemalheurm'aatteint,tiremonarcdesonétuiet

nemerefusepascetteprière.Bandel’arc,etplace-ledevantmoiavecdeuxflèches,carilnefautpasqu'unlion,

rodantpourcherchersaproie,mevoieetmefassedumal;monarcmepourraitalorsservir.Sijepuiséviterd'être

déchiréencoreenvieparunlion,montempsviendraetjemecoucheraidanslapoussière.Scheghadallatirerl'arc

del'étui,lebanda,letenditunefoispourl’éprouver,et,toutjoyeuxdelamortprochainedesonfrère,leplaça

ensouriantdevantTehemten.Celui-cisaisitl’arcavecforce,maisensetordantsousladouleurdesesblessures.

Scheghadeutpeurdesesflèchesetcourutsefaireunbouclierd'unarbre.Iltrouvadevantluiunplatanesurlequel

avaientpassébiendesannées;ilétaitcreuxendedans,maisilportaitencoredesfeuilles,etScheghad,àl’âme

impure,secachaderrièrecetarbre.Rustemlevit,levalebras,et,toutblesséqu'ilétait,lâchalaflèche,qui

cousitensemblel'arbreetScheghadcequiremplitdejoielecœurduhérosmourant.Scheghadpoussauncrilorsqu'il

futblessé,maisTehemtenluiavaitlaissépeudetempspoursentirladouleur.EnsuiteRustemdit:Grâcessoient

renduesàDieu,quependanttoutemaviej'aicherchéàconnaître,decequ'ilm'adonnélaforcedemevengermoi-

mêmedecetraître,avantmamort,etpendantquemavietrembledéjàsurmeslèvres,etavantquedeuxnuitsaient

passésurcettevengeance!Ildit,etsonâmequittasoncorpspendantquetoutel’assembléeversaitdeslarmesde

douleur.Zewarehmourutdansuneautrefosse,ettoussescavaliers,grandsetpetits,périrent.

ZALAPPRENDLAMORTDERUSTEM;FARAMOURZAPPORTELECERCUEILDESONPEREETLEPLACEDANSUNTOMBEAU.

Un seul de ces cavaliers illustres s'échappa,marchant tantôt à pied, tantôt à cheval ; arrivé dans le

Zaboulistan, il raconta que le terrible éléphant gisait dans lapoussière, avec Zewareh et tout son cortège, et

qu'aucun descavaliersn'avaitéchappéaux.embûchesdel'ennemi.Unimmensecris'élevaduZaboulistancontreles

ennemis deRustem et le roide Kaboul ; Zal versa de la poussière sur ses bras, et se déchira levisage et la

poitrine,s'écriant:Hélas!ôhérosaucorpsd'éléphant!jevoudraisquemoncorpsnefûtpluscouvertquedu

linceul.Ettoiquiportaishautlatête,ôvaillantdragon,ôZewareh,quifusunlionpleindegloire!Scheghad,

le maudit,l'infâme, a déraciné cet arbre royal. Qui aurait pensé qu'un vilrenard pût méditer dans ce pays une

vengeancecontreunéléphant?Quiserappelleunpareilcoupdudestin,quioseraitlecroire,sisonmaîtrelui

racontaitquelesparolesd'unrenardontfaitdisparaîtredecetteterresombreunlioncommeRustem?Pourquoine

suis-jepasmortmisérablementavanteux?Pourquoisuis-jerestédanslemondeunsouvenirdemesfils?Àquoime

serventlavieetsesjouissances,àquoilanourriture,lereposetlerenom?Ohéros,ôvainqueurdeslions,ô

brave,ôprince,ôvaillantconquérantdumonde,ômaîtredupays!

Ilenvoyaàl'instantFaramourzavecunearméepourattaquerleroi,tirerdesfosseslescorpsdesmortset

infligeraumondedesmotifsdeselamenter.LorsqueFaramourzarrivadevantKaboul,ilnetrouvadanslavilleaucun

desgrands:touss'étaientenfuis,lavilleétaitdéserte;ilsétaientterrifiésdelamortduvainqueurdumonde.

Faramourz se rendit à la plaine où Rustem avait chassé, dansl’endroit où l’on avait creusé les fosses. Il fit

apporterunlitdereposetplacerdessuscebelarbreroyal;ildéfitlaceintureduPehlewanetluiôtasatunique

deroi.Onlavalemortdansdel'eauchaude,onluilavadoucementlapoitrine,lesbras,labarbeetlecorps,on

brûladevantluidel'ambregrisetdusafran,oncousitsesblessures.Faramourzversadel'eauderosesurlatête

deRustemetrépanditsursoncorpsducamphrepur;onl'enveloppadansdudrapd'or,onapportadesroses,dumusc

etdu vin ; l'homme qui cousait le linceul versait des larmes de sang,en peignant cette barbe blanche comme le

camphre.

Lecorpsdépassait lalongueurdedeuxlits;était-celecorpsd'unhomme,ouunarbrequirépandaitdel'ombre

? On fit un beau cercueil en bois de teck,orné de clous d'or et de figures en ivoire ; on enduisit toutes les

jointures avec du bitume, qu'on recouvrit de musc et d'ambre. Ensuite on tira d'unefosseZewareh, le frère de

Rustem,oncousittoutessesblessures,onlelavaetonluifitunlinceuldebrocart;puisoncherchauntroncde

grenadier,d'habilescharpentierspartirentetentirèrentdegrandesplanchespouruncercueil,etFaramourzversa

dumusc,ducamphreetdel'eauderosesurZewarehdanssadernièredemeure.AlorsonrelevalecorpsdeRaksch,on

lelava,onlecouvritd'étoffes;onemployadeuxjoursàcetravail;enfinonchargealecorpsdeRakschsurun

éléphant.

DepuisKabouljusqu'auZaboulistanlemondeétaitcommebouleversé;onnevoyaitquefemmesethommessetenant

debout,etpasunêtrevivantn'auraitplustrouvéuneplace.Onsepassaitdemainenmainlesdeuxcercueils;le

nombredeceuxquilessoutenaientlesfaisaitparaîtrelégerscommel'air;etc'estainsiqu'ilsfurentportésà

Zaboul dans un jour et une nuit,sans avoir été un instant posés à terre. Le monde entier étaitrempli de

lamentationssurRustem;onauraitditquelaplaineétaitenébullition,touteslesvoixseperdaientdanscebruit

immense,touslespaysn'entendaientquedescrisdedouleur.OnpréparadanslejardindeZal untombeaudonton

élevalesommetjusqu'auxnuages,etl'onyplaçadeuxtrônesd'or,l'unàcôtédel'autre;c'estlàqu'étaitle

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lieudereposduhérosdontlafortuneavaitétésigrande.

Toussesserviteurs,qu'ilsfussentdeshommeslibresoudesesclavesaucœurpur,tousfirentunmélangedemusc

etdeterre,lerépandirentsurlespiedsduhérosaucorpsd'éléphant,ets'écrièrent:Omaîtreillustre,pourquoi

veux-tudumuscetdel'ambrecommeoffrande,pourquoineprends-tuplustaplaceàl'heuredubanquet,pourquoine

revêts-tuplustacuirasseenpeaudeléopardaujourducombat,pourquoinedistribues-tuplusdestrésorsd'or?On

diraitquetuméprisestoutcela.Soismaintenantheureuxdanslegaiparadis,carDieut'avaitpétridejusticeetde

bravoure.Ensuiteilsfermèrentlaportedutombeauetpartirent,etlehérosquiavaitlevésihautlatêtedisparut

dumonde.,Quepeux-tudemanderàceséjourpassager,quicommencepardesjouissancesetfinitpardespeines?Tu

serasétendudanslapoussière,quandmêmetuseraisdefer,etquetuseraisunsectateurdelavraiefoiouun

Ahriman.Pendantquetuvis,tendsverslebien,dansl'espoird'obtenirainsil'objetdetesdésirsdansl'autre

monde.

FARAMOURZMARCHEAVECUNEARMEEPOURVENGERRUSTEM,ETMETÀMORTLEROIDEKABOUL.

Faramourz,ayantaccompliledeuildesonpère,fitsortirunearméedanslaplaine;ilouvritlepalaisdu

héros aucorpsd'éléphantetéquipasestroupesaveclesarmesquesonpèreavaitaccumulées.Degrand matin les

trompettes,lestimbalesd'airainetlesclochettesindiennessefirententendre,etilconduisitduZaboulistanvers

Kaboulunearméetellequelesoleildisparutdumonde.LeroideKabouleutdesnouvellesdel'approchedestroupes

duZaboulistan,etrassemblasonarméedispersée;laterresecouvritdeferetl'airs'assombritFaramourzetses

troupess'avancèrent,lesoleiletlalunepâlirent,etquandlesdeuxarméesfurentenprésence,lemondeseremplit

debruitsguerriers;lamassedeschevauxetlapoussièrenoirequ'ilssoulevaientétaienttellesqueleslions

s'égaraientdanslaforêt;ungrandventamenadesnuagessombres,etl'onnedistinguaitpluslecieldelaterre.

Faramourzsortitdesrangsdesonarmée,ilnedétournapassesyeuxduroi,etlorsquelestimbalesrésonnèrent

desdeuxcôtésetquelescœursdesbravesdevinrentinquiets,ilsejetarapidementsurlecentredesennemisavec

unetroupepeunombreuse:lemondefutobscurciparlapoussièrequefaisaientleverlescavaliers,etleroide

Kaboul devint prisonnier. Toute sapuissante armée se dispersa ; les braves de l'Iran, semblables à desloups,

l'accablèrentdetouscôtésetlapoursuivirent;ilstuèrenttantdehérosindiens,tantdevaillantsetillustres

hommesduSind,quelaterreduchampdebataillefuttrempéedeleursang,quel'arméeduSindsedébanda,queles

Indiensfurentdéfaits,qu'ilsrenoncèrentàdéfendreleurpaysetleursmaisons,etabandonnèrentleursfemmeset

leursenfants.

Faramourz fit jeter le roi de Kaboul, tout couvert desang, dans une tour que portait un éléphant, et le

conduisitsurlelieudelachasse,àunendroitouilavaitfaitcreuserunedesesfosses;ilyconduisitson

ennemi,lesmainsenchaînéesetaccompagnédequarantedesesparents,adorateursdesidoles.Ilfitenleverdudos

duroiunelanièredechair,demanièreàlaisserànusesos,etleprécipita,latêteenbas,danslafosse,le

corpscouvertdepoussière,laboucherempliedesang.Ilfitbrûlersesquaranteparents,ensuiteilallaauprèsdu

corps de Scheghad, alluma un feuhaut comme use montagne, brûla Scheghad, le platane et la terrealentour, et

lorsqu'ils'enretournadansleZaboulistanavecsonarmée, il emporta les cendresdeScheghad pour lesdonner à

Destan.

Ayantainsimisàmortleprinceinjuste,Faramourznommaquelqu'unroideKaboul,etnelaissadanslepays

aucunmembre de l'ancienne famille qui ne reconnût l'investiture écriteavec son épée. Il quitta Kaboul, le cœur

blessé et navré, et le jourbrillant était obscurci devant ses yeux ; tout le Zaboulistan et lepays de Bost

poussaientdescris;personnen'avaitsurlecorpsunvêtementintact;ilsallèrentàsarencontre,lapoitrine

déchiréeetfondantenlarmes.

LAPERTEDESONFILSRENDFOLLEROUDABEH.

Tout le pays de Séistan porta le deuil deRustem pendant une année, et tous les vêtements étaient noirs et

bleus.UnjourRoudabehditàZal:TémoignedonctondeuildelapertedeTehemten.Depuisquelesoleiléclairele

monde,iln'yapaseudejourplustristequecelui-ci.Zalluirépondit:Ofemmedepeudesens!sijejeûnais,

l'angoissedelafaimseraitpluspoignantequeledeuil.Roudabehs'emportaetprononçaunserment,disant:Jene

prendraiplusdésormaisnireposninourriture,dansl'espoirquemonâmeretrouveraaumilieudecetteassemblée

l'âmeduhérosaucorpsd'éléphant.

Pendantseptjourselles'abstintdemanger,communiquantdanssoncœurensecretavecl'âmedeRustem;elle

jeûnatantquesesyeuxsetroublèrent,quesoncœurvaillantdéfaillit.Partoutoùelleallaitquelquesesclavesla

suivaient,depeurqu'ellenesefitdumal;àlafindelasemainesaraisons'égara,et,danssafolie,ellesefit

unefêtedesadouleur.Elleallaàlacuisinependantquelemondeformait,etvitdansl’eauunserpentmort;elle

étenditlamain,saisit,toutetremblante,leserpentparlatête,etfutsurlepointdelemanger.Uneesclave

l'arrachadelamaindecelle-cietserralatêtedeRoudabehcontresonsein;ellel'entraînadecelieuimpuretla

conduisitàsonappartementdanslepalais;onlafitasseoiràsaplace,onapportaunetable,onpréparadesmets,

etellemangeadetoutjusqu'àcequ'ellefutrassasiée;ensuiteonétenditdesétoffesmoelleusessouselle,et

elledormitetsereposadeseschagrinsetdesafatigue,desondeuiletdessoucisqueluidonnaientsestrésors.A

sonréveil,elledemandaencoredelanourriture,etonluiapportadesmetsdetouteespèce.

Lorsqu'ellefutrevenueàlaraison,elleditàZal:Tesparolesétaientconformesàlavérité.Quandonest

privédenourritureetdesommeil,onconfondledeuildesmortsaveclesfêtesetlesfestins.Ilnousaquittéset

nous le suivrons : ayonsconfiance dans la justice de Dieu. Elle donna aux pauvres tous sestrésors cachés, et

adressaauCréateurcetteprière:Otoi qui esau-dessusdetoutegloireetdetoutedignité,purifiel'ainede

Rustemdetoutpéché,dansl'autremondedonne-luiuneplacedanstonparadis,fais-lejouirdesfruitsdecequ'ila

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seméici!

GUSCHTASPABANDONNELETRONEÀBAHMAN.

MaintenantquelaviedeTehemtenestterminée,jevaisraconterd'autreshistoires.Guschtaspsentitquesa

fortunes'assombrissait, il fit appeler Djamasp devant son trône, et lui dit: La mort d'Isfendiar a tellement

attristé mes jours que je ne jouis pas de la vie un seul instant, et l'étoile quime poursuit me remplit de

tristesse.Bahmanvaêtreroiaprèsmoi,etBeschoutenserasonconfident.Nerefusezpasd'obéiràsesordres,ne

vous écartez pas de la fidélité que vous lui devez ;servez-lui de guide, car il est digne du trône et de la

couronne.

IlremitàBahmanlaclefdesestrésors,etluiditensoupirantamèrement:Monœuvreestterminée;leflota

montéau-dessus de ma tête ; je suis resté sur le trône cent vingt ans, jen'ai pas vu mon égal dans le monde.

Maintenantfaisdeseffortsetsoisjuste,carenagissantselonlajusticetuseraslibredechagrins.Honoreles

sagesettiens-lesauprèsdetoi,rendslemondenoirdevantlesméchants;agistoujoursavecdroiture,cardevant

elledisparaissentlaperversitéetlemensonge.Jetedonneletrône,lediadèmeetletrésor:j'enailongtemps

supportélessoucisetlesfatigues.

Ildit, et la vie le quitta ; tout son passé cessa de porter fruit. Onlui construisit un cercueil en bois

d'ébèneetenivoire,onsuspenditunecouronneau-dessusdesontrône.Ilavaitbeaucoupjouietbeaucoupsouffert,

ilavaitétéabreuvédepoisonaprèsavoiréténourridemieletdethériaque.Sitelleestlavie,oùenestlajoie

?Aprèslamort,lepauvreestl’égalduroi.Jouisdecequetuassemé,etnet’adonnepasaumal;prêtel'oreille

auxparolesdusage.Noscompagnonsnousontdevancés,etnoussommesrestésetavonsracontébeaucoupd'anciennes

histoires.Celuiquiamarchéestarrivéàlastation,celuiquiacherchélebienatrouvélebonheur.Puisses-tune

rencontrerquelabonnefortune,situécouteslesparolesduvieuxsage!

Maintenantjevaism'occuperdel'histoiredeBahman,ettournermonespritverslesageBeschouten.

FINDUTOMEQUATRIÈME.

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