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LE JOURNAL N°3 septembre 2011 juin 2012 La médiation culturelle et l’accès à la culture : retour sur un malentendu De quoi parle-t-on lorsque l’on emploie le mot médiation ? Pensons-nous toujours à cet intermédiaire chargé d’amener, à force de “pédagogies”, les personnes dites éloignées de la culture vers les œuvres de référence universelle vers les institutions culturelles spécialisées ? Le médiateur culturel, au nom de l’intention louable de rendre la culture accessible au plus grand nombre, voit souvent son rôle réduit à celui de facilitateur de l’appréhension de l’œuvre, de passerelle entre ceux que l’on a vite fait de qualifier de “non- public” et des équipements volontaires dans la mise à disposition de ce qu’il y a de mieux en terme de qualité et d’exigence. Mais derrière cette intention louable, d’autant plus prestigieuse quand celle-ci s’adresse à des personnes en situation de précarité, peut se cacher une violence qui consiste à nier l’identité culturelle des personnes et nier la légitimité de leur expression et de leur participation à la vie et au débat public. La médiation propose en réalité autre chose qu’une confrontation de deux univers pour amener “un moins” vers “un mieux”. Et si elle était la garante de la reconnaissance des identités culturelles et visait à ce que ces dernières vivent ensemble et dialoguent ? Ce troisième numéro du Cric vous propose de revenir à des fondamentaux simples à garder constamment à l’esprit dans la construction des actions : respect des dignités, expression créatrice, rencontre, citoyenneté, diversité. LE COLLECTIF DANS CE NUMERO : un dossier consacré aux paradoxes de la médiation, à ses enjeux, et aux précautions à prendre dans la pratique. Des portraits et témoignages de travailleuses sociales expérimentant d’autres outils de mobilisation des personnes. Des expériences concrètes de rencontres improbables : des jeunes comédiens migrant en terre papale, des danseuses nomades, des accros de café-philo et un voyage dans la “grande” musique. NOTRE DOSSIER Insertion et culture, regards croisés

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N°3septembre 2011 juin 2012

La médiation culturelle et l’accès à la culture : retour sur un malentendu

De quoi parle-t-on lorsque l’on emploie le mot médiation ? Pensons-nous toujours à cet intermédiaire chargé d’amener, à force de “pédagogies”, les personnes dites éloignées de la culture vers les œuvres de référence universelle vers les institutions culturelles spécialisées ?Le médiateur culturel, au nom de l’intention louable de rendre la culture accessible au plus grand nombre, voit souvent son rôle réduit à celui de facilitateur de l’appréhension de l’œuvre, de passerelle entre ceux que l’on a vite fait de qualifier de “non-public” et des équipements volontaires dans la mise à disposition de ce qu’il y a de mieux en terme de qualité et d’exigence. Mais derrière cette intention louable, d’autant plus prestigieuse quand celle-ci s’adresse à des personnes en situation de précarité, peut

se cacher une violence qui consiste à nier l’identité culturelle des personnes et nier la légitimité de leur expression et de leur participation à la vie et au débat public. La médiation propose en réalité autre chose qu’une confrontation de deux univers pour amener “un moins” vers “un mieux”. Et si elle était la garante de la reconnaissance des identités culturelles et visait à ce que ces dernières vivent ensemble et dialoguent ? Ce troisième numéro du Cric vous propose de revenir à des fondamentaux simples à garder constamment à l’esprit dans la construction des actions : respect des dignités, expression créatrice, rencontre, citoyenneté, diversité.

LE COLLECTIF

DANS CE NUMERO : un dossier consacré aux paradoxes de la médiation, à ses enjeux, et aux précautions à prendre dans la pratique. Des portraits et témoignages de travailleuses sociales expérimentant d’autres outils de mobilisation des personnes. Des expériences concrètes de rencontres improbables : des jeunes comédiens migrant en terre papale, des danseuses nomades, des accros de café-philo et un voyage dans la “grande” musique.

NOTRE DOSSIER

Insertion et culture, regards croisés

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Lise Piau travaille avec des “familles en difficulté” et les accompagne dans la mise en place de projets socioculturels. Elle avoue avec franchise ne pas avoir été jusqu’alors convaincue par “la culture” : “J’avais déjà mené des expériences, mais je n’avais pas été convaincue. Je ne voyais pas l’intérêt pour des personnes en difficulté, car la première chose, c’est de donner à manger aux gens avant de les emmener au théâtre. Pour moi la culture, c’était associé à «élitiste». Je me disais que ce n’était pas mon monde. Je me demandais à quoi ça servait et pourquoi on en faisait.”Elle est donc allée à reculons à ce temps de découverte et de pratiques proposé par le médiateur culturel du Sira*. Comme tous les participants, Lise a pratiqué la danse et réalisé une action théâtre avec la Cie 2L basée dans l’Avesnois. “Notre travail avec les artistes m’a permis de découvrir une autre facette de la culture, le côté pratique, ça m’a assez touchée. J’ai découvert qu’on pouvait faire un travail très sensible, très personnel et qu’au final on a beaucoup parlé de soi, de nos souvenirs, de notre vie. C’est parfois difficile, mais très profond et émouvant.”Lise affirme que cette rencontre lui a permis de dédramatiser le travail de l’artiste : “Je me suis rendu compte qu’on visait les mêmes choses :

s’exprimer, dire, favoriser les échanges, instaurer le dialogue, se respecter les uns les autres... Au final, j’ai l’impression que l’action culturelle me permet de gagner du temps dans mon travail : on parvient très vite à entrer en contact avec les gens, à mieux les comprendre alors qu’au quotidien c’est pas toujours facile et évident. Pour moi le théâtre, c’est une autoroute !”Pour Lise, les projets culturels reposent sur une juste répartition des rôles entre l’artiste et le travailleur social : “L’artiste est un catalyseur, il apporte son grain de folie et aide à l’expression. Le travailleur social lui, donne le La. Il insuffle la confiance, connaît le vécu des gens et l’histoire du quartier et a l’expertise sociale. Il doit veiller à bien accompagner les gens dans l’action, car il y a beaucoup d’émotion.”La référente famille a également retenu des débats et interventions, menés à l’issue du stage, les limites des projets culturels. “La culture ne peut pas tout, mais le travail social a aussi ses limites. Le premier objectif des travailleurs sociaux, c’est d’aider les gens à trouver du travail, mais il y en a peu... Que fait-on alors en attendant ? Eh bien, on avance avec les gens !”* Syndicat intercommunal de la région d’Arleux

En novembre 2010, les médiateurs du collectif ont organisé un temps de découverte de pratiques culturelles et artistiques avec les travailleurs sociaux du Douaisis. Le but était de découvrir de plus près le travail d’artistes et différentes formes d’expression. Pendant trois jours, référents RSA et assistantes sociales ont dansé, joué, raconté leur vie et souvenirs en chansons puis visité un musée. La dernière journée consacrée à un retour sur les expériences des participants a été particulièrement riche en échanges et en réactions sur les émotions suscitées dans les ateliers. On parlait d’expressions sensibles, de plaisir, de valorisation, de liberté et de sentiment d’exister...

Aussi, il nous semblait intéressant de prendre un peu de recul sur ces ressentis et d’essayer de synthétiser ce qui se joue dans les projets culturels et artistiques menés avec les personnes. Nous avons donc donné la parole à deux actrices de ces journées : Lise Piau, travailleuse sociale qui a participé aux ateliers d’expression et Stéphanie Pryen, sociologue à l’université de Lille 3 et membre du Clersé*, qui a écrit en 2002 une étude intitulée Quand la culture se mêle du social, de la politique culturelle roubaisienne aux actions culturelles à visée sociale.

* Centre lillois d’études et de recherches sociologiques

et économiques

N NOTRE DOSSIER

Insertion et culture, regards croisés

> Restitution du temps de formation à l’Hippodrome

de Douai, en janvier 2011.

P. 2 /6

LISE PIAU, TRAVAILLEUSE SOCIALE : “JE ME DISAIS QUE [LA CULTURE] N’ETAIT PAS MON MONDE. JE ME DEMANDAIS A QUOI ÇA SERVAIT ET POURQUOI ON EN FAISAIT”LISE PIAU EST REFERENTE FAMILLE AU CENTRE SOCIAL RESIDENCE GAYANT DE DOUAI DEPUIS TROIS ANS.

> En couverture du magazine : Journée

Déclinaisons burlesques au Prato avec Arcane,

l’Arefep et l’atelier Préfo.

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STEPHANIE PRYEN, SOCIOLOGUE A L’UNIVERSITE DE LILLE III, MEMBRE DU LABORATOIRE CLERSE (CNRS, LILLE I)

AUX FROTTEMENTS DE L’ACTION SOCIALE ET CULTURELLE

Enjeux et paradoxes de “l’insertion par la culture”

> “Et si vous étiez candidat à une élection ? Quelle serait votre affiche de campagne ?” C’est la question à laquelle les candidats de la Haute-Deule ont répondu avec l’écrivain Anne Bruneau, le photographe Carl Cordonnier et l’Arefep de Loos.

Les projets qui mobilisent la culture et l’art à des fins d’insertion sociale prennent sens dans le contexte pesant de crise durable de la so-ciété salariale. Ceux que le sociologue Robert Castel a appelés les “inutiles au monde”, ces “surnuméraires” qui ne trouvent plus de place stable dans la société, et ces jeunes “sans af-fectation”1 sur lesquels pèse la perspective de déclassement social, sont au cœur de la ques-tion sociale contemporaine. En mobilisant l’art et la culture, les travailleurs sociaux peuvent trouver des voies d’expérimentation pour sor-tir de la seule “gestion sociale du non-travail”2. Les acteurs culturels y trouvent aussi des “pu-blics” (souvent désignés à partir d’une posture normative stigmatisante sous les termes de “non publics ou “publics empêchés”) et les ar-tistes des voies pour leur propre insertion éco-nomique.Que produisent de telles propositions artis-tiques, du point de vue des personnes qui y participent  ? Je déclinerai cette question en deux temps, en tenant pour chacun d’eux dans

un même mouvement les apports et les ambi-valences.La pratique artistique peut offrir une formi-dable occasion de faire travailler les identi-tés et de constituer un support de construc-tion de soi ouvrant à des transformations et à des alternatives. Mais cela ne se produit pas à n’importe quelles conditions. La tendance est forte en effet de lui accorder une valeur en soi, alors qu’elle s’inscrit dans des corps, dans des institutions, dans des dispositifs, dans des histoires et des parcours singuliers complexes. Elle peut donc tout autant être un lieu de vio-lences symboliques. Ou plus simplement, un lieu où il ne se passe pas grand-chose. Surtout, négliger de penser dans le même temps que d’autres ressources, notamment économiques

Que produisent les propositions artistiques, du point de vue des personnes qui y participent ?

VOUS AVEZ DIT “DÉMOCRATISATION CULTURELLE” ?Ces actions sont pour la plupart fondées sur le paradigme de la “démocratisation culturelle” : “L’égal accès de tous à la culture” apparaît comme une évidence généreuse difficilement discutable. Pourtant, on gagnerait à s’arracher de ce discours automatique et routinier. Il est en effet porteur de violence misérabiliste, et attentatoire à la liberté qui fonde notre société moderne de définir pour soi de manière autonome ce qui a ou non de la valeur, dans le respect des autres identités culturelles. D’autres valeurs peuvent fonder l’action culturelle publique. Jean-Michel Lucas nous donne des pistes extrêmement constructives pour opérer un tel changement radical, en invitant à fonder l’action publique sur l’impératif de l’éthique de la dignité des personnes. L’enjeu est alors de contribuer à plus d’humanité, en soutenant les dispositifs, délibératifs plutôt que participatifs, qui conduisent à une meilleure “reconnaissance” des personnes entre elles, de leur liberté d’appréhender le monde, donc de “leur” culture, mise à l’épreuve de l’égale dignité des autres cultures. (http://www.irma.asso.fr/Jean-Michel-Lucas-Doc-Kasimir,9449).

1 Mauger Gérard, 2001 “Les politiques d’insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du

travail”, Actes de la recherche en sciences sociales, nº 136-137, mars, p. 5-14.2 Voir les travaux de Robert Castel.

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4 DOSSIER : INSERTION ET CULTURE, REGARDS CROISES

et sociales, sont nécessaires pour donner une assise aux individus, n’est pas sans risques. C’est en effet participer du mouvement plus général contemporain qui renvoie les indivi-dus à leur propre responsabilité pour maîtriser et expliquer leur sort, en occultant les inéga-lités objectives qui pèsent sur ces destins - ce qui, pour les plus munis d’entre nous, est plu-tôt confortable.

La plupart de ces projets ouvrent des scènes publiques de reconnaissance positive. Sur ces scènes, les participants peuvent “se dire” plutôt qu’“être dits” et résister ainsi à l’enfer-mement dans des catégories produites par d’autres. Reste à déplier la question du pou-voir sur le réel dans un contexte d’euphémisa-tion des inégalités. Et à interroger ce qui est en jeu dans nos conceptions de l’altérité.

La pratique artistique (ateliers théâtre, d’écri-ture, photographiques…) permet de faire tra-vailler, sur un mode imaginaire, les schémas de sa propre expérience1. Nos manières de percevoir, d’agir, de penser, de donner sens, d’interpréter, y sont mises en tension avec d’autres. La métaphore crée du mouvement et permet l’exercice de la pensée avec des répercussions sur le réel - comme lorsqu’une jeune fille d’origine maghrébine, qui incarne Antigone dans un atelier théâtre se dressant contre son oncle Créon, puise dans ce rôle des ressources pour se dresser contre un pro-jet parental qui lui est imposé2. Ces pratiques produisent des “gestes d’écart”, des “pas de côté”3, qui ouvrent sur d’autres alternatives qui pourront provoquer en retour des dé-placements dans les relations aux autres, au monde et à soi. Pour autant, ces projets sont enserrés dans les injonctions contemporaines - à être soi, à être authentique, à se trouver soi-même. Ils parti-cipent du même mouvement qui transforme plus globalement le champ du travail social4. Les destinataires de ces actions sont renvoyés - ici, par l’art, haut lieu de l’injonction à la sin-

gularité - à eux-mêmes, pour donner du sens à leurs trajectoires et être “acteurs de leur vie”. “Je suis l’auteur d’un livre, je deviens l’auteur de ma vie”, espère un intervenant, synthétisant un propos récurrent chez les acteurs de ces projets. Pourtant, les seules ressources symboliques ne peuvent sans doute être suffisantes, pour ce qui concerne la conquête de l’autonomie. A ceux qui sont les plus précaires, l’exigence d’autonomie est alors d’autant plus violente et culpabilisante qu’ils ne peuvent que faire la preuve de leur impossibilité à y parvenir, puisque l’indépendance, notamment écono-mique, constitue la condition indispensable au sentiment de réalisation autonome. Ainsi, “poser l’autonomie comme règle d’existence sans en fournir les moyens peut être assez cri-minel”5. Dans un contexte d’institutionnali-sation du précariat et de montée des incer-titudes6, si des transformations essentielles peuvent se jouer dans, par, la création, sur les registres esthétique, artistique, expressif, ce sera sans doute d’autant plus et d’autant mieux que la création n’en constituera pas le seul support.

➡ Les ambivalences d’un travail symbolique ouvrant à des transformations identitaires

1 Lahire Bernard, 1998, L’homme pluriel.

Les ressorts de l’action, Paris, Nathan.2 Je fais référence ici à la création

largement autobiographique de Rachid

Bouali, compagnie La Langue pendue :

Un jour, j’irai à Vancouver.3 Bruley Marie-Claire, 2001, “Les pratiques

culturelles dans la construction psychique

et sociale de la personne”, in Remy

Patricia, Montfort Jean-Michel, Passage

à l’acte. Suites du colloque des 6 et 7

novembre 2001, Des artistes au cœur de

la politique de la ville, éditions Ma ville

et moi, Vitry le François : p. 22-26.4 Voir les travaux de Marc Bessin.

5 Chauvel Louis, 2002-2003,

“Les classes sociales sont-elles de

retour ?”, entretien avec, hors série n°39,

Sciences Humaines, p. 81.10 Robert Castel.

> Carole Ducloy : “Pas moins de six microprojets

ont pu ainsi voir le jour depuis 2005 :

de la découverte des techniques picturales

à l’élaboration d’un spectacle

de marionnettes, en passant

par la découverte de la sculpture

ou de la photographie. De plus, les travaux

réalisés ont pu être valorisés lors

d’expositions.”

> Atelier cirque à la Convention de jonglerie de Carvin. Découverte avec des familles de Lille-Roubaix-Tourcoing.

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CAROLE DUCLOY, TRAVAILLEUSE SOCIALE : “JE NE MESURAIS PAS L’IMPACT QUE POUVAIT AVOIR UNE PRATIQUE ARTISTIQUE SUR LE BIEN-ETRE D’UNE PERSONNE” CAROLE DUCLOY EST REFERENTE RSA A L’ASSOCIATION ACTION SOCIALE MILIEU RURAL CANTON DE CASSEL (AASMRCC)

➡ Des scènes de reconnaissance positive, au risque du populisme

➡ En guise de conclusion

Ces projets procurent le plus souvent des scènes de reconnaissance et de définition de soi pour ceux qui sont crucialement en déficit de telles scènes et qui peuvent ainsi occuper un espace de revendications à la reconnais-sance et au respect. Le plus souvent, cet accès à l’espace public est investi pour se définir, pour fabriquer du quant-à-soi, de la distance. S’y élaborent des stratégies de résistances sémantiques pour résister à l’enfermement symbolique de la stigmatisation et de la relé-gation* : “se dire” plutôt “qu’être dits”.

Le risque des discours trop angéliques Mais les participants à ces projets ne sont pas dupes pour autant. Ils savent que lorsqu’on “leur donne la parole” comme on la donne à “ceux qui ne l’ont pas”, cela n’équivaut pas à penser la redistribution du pouvoir d’agir sur le monde et des ressources en termes po-litiques. Mais surtout, l’enjeu est d’autant plus lourd qu’il se leste de la dénégation de ces cadres inégalitaires, comme c’est le cas lorsque des discours par trop angéliques sont prononcés sur ces prises de parole, négligeant de les réinscrire dans leurs contextes d’énon-ciation. Le sentiment peut alors être, non seu-lement de participer à des projets qui ont des effets limités quant à la prise sur le réel, mais au-delà, d’être enserrés dans des projets dont la fonction implicite est de “calmer le jobard” pour reprendre l’expression du sociologue américain Erving Goffman : apaiser et consoler les victimes de manière à ce qu’elles se satis-fassent de leur sort. Le registre de l’émotion, fréquemment convoqué dans ces projets, peut

de manière bien involontaire, y contribuer. Scènes de reconnaissance positive, occasion enrichissante de rencontre de mondes so-ciaux différents, ces projets peuvent participer pourtant aussi d’une euphémisation des rap-ports de domination.

La mise en jeu de l’altéritéPar ailleurs, les différentes représentations sur ces scènes interrogent quant à ce qui est donné à voir de soi et à qui. Elles mettent en jeu notre conception de l’altérité. Le quar-tier parle-t-il au quartier du quartier dans le quartier  ? Soi-même en miroir à soi-même dans les limites assignées par les dispositifs territoriaux  ? Avec quelles perspectives de transformations et de projections dans l’ave-nir et quelles relations à soi, aux autres et au monde ? Comment les acteurs de ces projets pensent-ils ou ne pensent-ils pas le risque de naturaliser et de rendre statiques des iden-tités qui sont avant tout relationnelles et dy-namiques  ? Ce risque d’assignation identi-taire se redouble du paradoxe de s’adresser à des individus en tant qu’ils appartiennent à des groupes sociaux ou ethniques (de les re-connaître donc sur un certain nombre de di-mensions identitaires figeantes, définies du dehors), tout en les enjoignant par ailleurs constamment et violemment dans l’espace ré-publicain universaliste de se détacher de ces appartenances - et en les soupçonnant de repli identitaire lorsqu’ils y résistent.

Loin des programmations, des salles de spectacles de la Métropole, implantée dans le canton de Cassel, l’association est partenaire du dispositif Culture insertion en Flandre Lys (CIFL). Ce partenariat a permis d’inscrire des projets dans le temps, de mettre en place des ateliers qui se reconduisent, prennent de nouvelles formes et permettent de nouvelles approches de la culture. Il a facilité l’implication des publics et l’investissement nécessaire des deux secteurs concernés par l’action (la culture et le social).

Pouvez-vous nous présenter l’AASMRCC, votre rôle au sein de l’association ?Carole Ducloy. En 1992, les élus de la communauté des treize communes du Pays de Cassel (10000 habitants) ont décidé de créer l’AASMRCC et d’embaucher un travailleur social chargé du suivi des allocataires du RMI. Le

poste a depuis évolué, contribuant au montage d’actions collectives qui ont regroupé un public isolé et principalement féminin.

Comment avez-vous découvert le dispositif d’insertion par la culture ? Quels types de projets ont été mis en place ?Willy Plancke, médiateur coordinateur de l’action Culture insertion Flandre Lys, est venu me présenter son travail et la politique départementale d’insertion par la culture. Pour moi, ce fut un étonnement, car en tant que travailleuse sociale, je travaille dans l’urgence et sur des besoins de base. De plus, à l’époque, je ne mesurais pas l’impact que pouvait avoir une pratique artistique sur le bien-être de la personne. La proximité du médiateur a permis une souplesse et une rapidité dans le montage des projets, atouts indéniables du dispositif insertion culture.

Dans un contexte de pré-carisation croissante et de mouvements de fond invali-dant la reconnaissance dans le travail, des énergies remar-quables des acteurs sociaux et culturels se déploient. Ces énergies produisent des transformations identi-taires et ouvrent des scènes de reconnaissance positive permettant d’élaborer des stratégies de résistance. Mais il vaut la peine d’en déplier constamment et pour chacun des moments de ces projets, les tensions, ambivalences et paradoxes.

> Débats et réactions des travailleurs sociaux

lors de la formation dans le Douaisis.

* Milliot Virginie, 2000, “Culture, cultures et redéfinition de l’espace commun : approche anthropologique des

déclinaisons contemporaines de l’action culturelle”, dans Cultures en ville. Ou de l’art et du citadin, de Jean Métral

(dir.) Paris, L’Aube éditions : p. 143-168

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LES PROJETS EN COURS DANS LES DIFFERENTS TERRITOIRES

Quand la musique est bonneDepuis deux ans, l’association Re-Actifs et le festival Juventus élaborent des projets de ren-contres qui permettent de découvrir la musique classique. Une trentaine de personnes du réseau d’échanges et de savoirs de Caudry était présente lors de la dernière édition.

Hébergé dans une école d’Avignon, le groupe, composé de familles et de personnes seules de 8 à 83 ans, a été pris en charge par une équipe du Cemea* Nord-Pas-de-Calais, un organisme d’éducation populaire reconnu pour son ap-proche sensible dans le domaine du théâtre et de l’accompagnement des publics vers l’œuvre d’art (trois rencontres avec son équipe avaient été programmées avec les participants pour élaborer le séjour). Les journées ont été rythmées par les ateliers de pratique artistique le matin pour préparer les spectacles de l’après-midi proposés dans la programmation in et off du festival. Huit spec-

tacles ont ainsi été vus, alternant les repré-sentations tous publics, celles destinées aux enfants, ou encore aux jeunes et aux adultes. Après chaque représentation, un “retour sen-sible” d’après spectacle était organisé avec parfois la présence des artistes. Au-delà de son aspect culturel, le séjour a été riche d’échanges, en particulier entre les diffé-rentes classes d’âge. Il a permis aux familles de se retrouver autrement, de tisser de nouvelles relations et partager un projet commun… hors du commun ! *Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active

Cette nouvelle rubrique a pour objectif de vous parler de projets en cours sur les différents territoires du département. Ils sont menés par les médiateurs de territoire en lien avec les travailleurs sociaux et les acteurs culturels. N’hésitez pas à interpeller le médiateur de votre territoire pour avoir plus d’information sur leur mise en place !

Quelques jours avant le début du festival Ju-ventus, une trentaine de personnes du réseau d’échanges et de savoirs de Caudry a rencon-tré quatre instrumentistes de l’orchestre Les Siècles. Interprétant Mozart ou Haydn, le qua-tuor a entrecoupé ses prestations d’échanges et présenté ses instruments d’époque (du XVIIIe ou XIXe siècle). Fatima témoigne : “Ils sont venus dans notre association, on a pu man-

ger avec eux comme des amis”. Hélène Barre (alto) confie  : “Etre vraiment en contact avec le public est quelque chose d’assez rare pour un musicien”. “Les concerts ont en général un côté beaucoup plus solennel”, complète le violoncel-liste Julien Barre. Plus qu’emballé, l’un d’entre eux conclut : “Depuis que je fais de la musique, c’est la première fois que j’ai vraiment l’impres-sion d’être utile”. L’après-midi, à Busigny, les artistes ont participé à un atelier avec une vingtaine de personnes de l’association des fa-milles. Ils ont improvisé un petit concert sous le kiosque à musique à la sortie de l’école. “Je croyais qu’ils avaient organisé un concert réservé pour les personnes en difficulté, observe Chris-tiane, mais pas du tout, nous étions mélangés à d’autres personnes !”Impliqué dans le choix des spectacles, sollicité pour donner son avis, le public mobilisé par Re-Actifs participe à la mise en place du pro-jet. Cette année, les rencontres seront renou-velées sur le territoire cambrésien.

“Jours de fête” à AvignonL’association Wasquehal-Associatif propose depuis 2003 une action de médiation cultu-relle sur le territoire de Wasquehal-Croix, joyeusement baptisée “Jour de fête” ! Dans ce cadre, l’action a proposé à vingt-six personnes adhérentes de l’association, usagères de structures sociales du secteur (CCAS, UTPAS) et d’associations humanitaires des deux com-munes, de vivre pendant cinq jours l’ambiance unique du festival d’Avignon.

> Découverte de l’ensemble Les Siècles avec Re-Actifs.

> Retour d’après spectacle au festival d’Avignon avec la Cie Sens ascensionnel.

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Le journal du CricDirecteur de publication : Mauro Mazzotta.Adresse : Interleukin’, 2 rue du Grand Fossart, 59300 Valenciennes.Comité de rédaction : Ludovic Houttemane, Christelle Willoqueaux, Camille Darras, Camille Patissier, Frédéric Wyart et Anne Vanpeene. Remerciements à Carine Guilbert. Logo Cric : Yannick Prangère.

Conception et réalisation : Bayard Service EditionParc d’activité du Moulin, 121 allée Hélène Boucher BP 60090, 59874 Wambrechies Cedex,Tél. : 03 20 13 36 60 - www.bayard-service.comSecrétaire de rédaction : Eric Sitarz.Graphiste : Florence Dupond.Textes et photos : droits réservés. Impression : Bridel, Marquette-lez-Lille. 491

Nathalie Marcoul est chorégraphe, à la tête d’une compagnie un peu particulière, no-made, composée de femmes qu’elle a rencon-trées dans ses ateliers à Fourmies, Péruwelz, Landrecies, Bruxelles… et qui la suivent dans ses représentations pour se retrouver et vivre ensemble une expérience artistique, créative et collective. Principes : écouter sa propre sen-sibilité et laisser son corps exprimer le plus naturellement possible les sensations nées de la musique, du moment, de son histoire et des gestes quotidiens. Le reste — améliorer le mouvement, créer la chorégraphie —, “c’est l’affaire de la chorégraphe” à partir de la matière à créer que lui ont fournie les participantes.Suite à une rencontre entre la Chambre d’Eau et le médiateur culturel, un groupe de femmes du centre socioculturel de Fourmies a été in-vité à entrer dans la danse. Elles ont suivi Nathalie Marcoul dans sa création Histoires d’elles, encadrées par les équipes des lieux d’accueil de la création. Le spectacle est pour le moins original. Imaginez qu’alors que vous

avez identifié une danseuse, vous vous ren-dez compte progressivement que plusieurs de vos voisines, “spectatrices”, se mettent à danser, en interaction avec la chorégraphe. Le spectacle est aujourd’hui reconnu par la Com-munauté française de Belgique, bénéficie de l’aide à la diffusion, et prévoit de défrayer les participantes.Côté “amatrices” (de danse), c’est l’ouverture de l’artiste et son envie de questionner leur identité et leur regard qui donnent le désir de suivre le pas. Le projet est ambitieux, il est res-pectueux. Nulle question d’expression corpo-relle, c’est la danse qui compte. Et la créativité. Ce groupe de dames ne s’arrête pas d’en four-nir, la fièvre créatrice a atteint le Douaisis, la compagnie s’agrandit.

Découvrir ou redécouvrir que chacun a le droit à la parole et à la pensée. Se saisir de sujets qui concernent l’existence de tous, avec l’éclairage de témoins. Viser au respect de la dignité de la personne, en partageant des idées… Tels sont quelques-uns des objectifs de l’atelier philo proposé par l’association Arcane autour de Daniel Seynhaeve. L’atelier se veut simple et convi-vial. La parole est libre, chacun a donc l’occasion de s’exprimer.Le désir, l’intelligence, les rêves, la politique, le rire, la religion… Les thèmes abordés sont choisis avec les participants et peu-vent être très variés car “tout intéresse la philosophie”. Des livres se rapportant au thème abordé sont mis à disposition

par la médiathèque de Tourcoing et des films ou des spectacles sont également cités, car l’atelier se veut aussi une incitation à sortir, à découvrir. Régulièrement, un intervenant extérieur est invité à donner son point de vue : journaliste, metteur en scène, comédien, homme politique sont venus apporter leur témoignage et échanger avec le groupe.Ouvert à tous, l’atelier philo permet de reprendre confiance en soi, de reprendre conscience de ses compétences, d’être recon-nu par d’autres et de rompre avec l’isolement. Oui, nos idées peuvent avoir un intérêt ! L’intention est de “retrouver un sens de la dignité humaine par la parole”.

Le désir, les rêves, la politique, le rire…Un mercredi après-midi par mois, dix à quinze personnes se réunissent à la médiathèque André-Malraux de Tourcoing, autour de Daniel Seynhaeve, professeur de philosophie. Un atelier philo pour partager des idées, renouer le lien social et exercer la citoyenneté.

Une invitation à danserOu comment la danse contemporaine peut venir réveiller le langage chorégraphique propre à chacun et révéler les potentiels créatifs.

> Répétition de la création Histoires d’elles, avec la chorégraphe Nathalie Marcoul.

> Atelier philo autour de Daniel Seynhaeve.

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Les FlandresHazebrouck

MétropoleLilloise

Ar. deValenciennesAr. de

Douai

Sambre-AvesnoisCambraisis

Tourcoing et Vallée de la Lys

LoosLes Weppes

ArmentièresWasquehal

Croix

Roubaix

Lille

ARRONDISSEMENT DE CAMBRAI

> RE-ACTIFS · Élisabeth Sirop

7 et 9 rue de Lille - BP 196 59404 Cambrai Cedex Tél. 03 27 77 09 [email protected]

· Camille Patissier Port. 06 71 41 62 47

MÉTROPOLE LILLOISE

> Mission locale Dispositif crédit-loisirs · Anne Vanpeene

3, rue Jeanne Maillotte 59000 LilleTél. 03 20 14 85 50 [email protected]

TERRITOIRE DE ROUBAIX

> Centre social Hauts-Champs · Frédéric Wyart · Jean-Luc Debouvère

258, avenue Laënnec 59510 Hem Tél. 03 20 75 49 62 [email protected]

TOURCOING ET VALLÉE DE LA LYS

> Arcane · Ludovic Houttemane

226, boulevard Descat 59200 Tourcoing Tél. 03 20 26 45 66 Port. 06 30 07 00 07 [email protected]

ARRONDISSEMENT DE VALENCIENNES

> Interleukin’ ·Mauro Mazzotta

2 rue Grand Fossart 59300 Valenciennes Tél. 03 27 42 40 99 Tél. 03 27 35 02 17 Port. 06 85 01 26 29 [email protected]

WASQUEHAL-CROIX

> Wasquehal Associatif

· Bruno Lechantre 6, rue Pasteur 59290 Wasquehal Tél. 03 20 01 08 23 [email protected]

WATTRELOS

> Convergences · Idir Haddadi

127, rue Leruste 59150 Wattrelos Tél. 03 20 82 95 28 [email protected]

ARRONDISSEMENT DE DOUAI

> Syndicat intercommunal de la région d’Arleux · Stéphane Pinard

34 rue du Bias 59151 Arleux Tél. 07 86 14 58 03 / 03 27 89 04 54 [email protected]

SAMBRE-AVESNOIS

> Centre socio-culturel de Fourmies · Camille Darras

17/19 rue des rouets 59610 Fourmies Tél. 03 27 60 81 93 [email protected]

LES RESEAUX INSERTION ET CULTURE SUR LE DEPARTEMENT DU NORD

Depuis 2009, le Collectif des réseaux d’insertion par la culture (Cric) est animé par des médiateurs culturels répartis sur tout le territoire du Nord. Les médiateurs ont pour mission de faciliter l’accès des personnes en difficulté ou en situation d’insertion aux structures culturelles, et de valoriser leur identité et leur culture. Les interventions visent à impulser des synergies et à ancrer des projets culturels dans les territoires, en lien avec les travailleurs sociaux. Levier à l’insertion, la culture développe le sens critique,permet l’expression de ses émotions, l’autonomie et la confiance en soi. Retrouvez la charte du réseau sur : www.interleukin.fr/cric/cric_charte.pdf

LOOS, LES WEPPES ET LA HAUTE-DEULE

> AREFEP ·Marie Eve Brabant · Christelle Willoqueaux

33, rue Louis Braille 59120 Loos Tél. 03 20 17 20 [email protected] [email protected]

Ce journal est réalisé avec le soutien du Département du Nord

et de la Région Nord-Pas-de-Calais

La culture, levier d’insertion.

LES FLANDRES, HAZEBROUCK-ARMENTIÈRES

> CSE Hazebrouck ·Willy Plancke

place Degroote - BP 157 59523 Hazebrouck cedex Tél. 03 28 49 51 30 [email protected]

METROPOLE NORD-OUEST*

> FCP Atelier de Préfo · Corinne Treffel

2 rue de l’Usine 59520 Marquette-lez-Lille Tél. 03 28 38 14 [email protected]

* Marquette, Saint-André, Marcq-en-Barœul, La Madeleine, Lompret, Wambrechies, Verlinghem et Pérenchies