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hors série NRP NRP Nouvelle Revue Pédagogique www.nrp–lycee.com NOVEMBRE 2015 N° 25 / 13,95 / ISSN 1764–2116 lettres lycée « Tableaux parisiens » de Baudelaire Les Fleurs du mal 1 re

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« Tableaux parisiens » de Baudelaire

Les Fleurs du mal 1re

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Éditorial

NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 1

Découvrir Baudelaire au lycée

C’est en général avec les poèmes de « Spleen et Idéal », en 2de et en 1re, que les élèves découvrent, souvent fascinés, Charles Baude-laire. La voix de ce poète qui exprime l’ivresse de vivre comme les gouff res du spleen, et dévoile ses contradictions intimes, entre le désir d’élévation et l’exaltation de la sensualité, parle, plus qu’une autre, à la sensibilité exacerbée des adolescents qui se perçoivent comme le « semblable », le « frère » auquel s’adresse le poète.

La section des « Tableaux parisiens », que Baudelaire introduit dans l’édition de 1861 des Fleurs du mal, est l’occasion de découvrir d’autres facettes de la poésie baudelairienne. Quittant la sphère intime, les dix-huit poèmes de cette section font advenir le monde moderne et la foule urbaine en poésie, réfl échis par le regard d’un poète qui veut révéler « tout ce qu’un accident, une image, peut conte-nir de suggestions ». Cette source nouvelle d’inspiration n’est pas étrangère à l’expérience d’un adolescent aujourd’hui ; sans doute comprend-il la fascination ambiguë qu’exerce une foule urbaine : l’attrait de son spectacle infi niment varié et mouvant, l’éventualité de rencontres, le sentiment de liberté que procure l’anonymat, mais aussi l’angoisse et le besoin de repli sur soi qu’il suscite.

Les « Tableaux parisiens » : écriture poétique et quête du sens

La déambulation dans les rues d’un Paris bouleversé par les tra-vaux d’Haussmann fournit à Baudelaire son lot de scènes étranges, d’inconnus croisés, de visions, restitué sous des formes variées, du sonnet au long poème narratif. Les « Tableaux parisiens » corres-pondent donc bien au premier objectif que le BO du 30 septembre 2010 assigne à l’objet d’étude de la classe de 1re, « Écriture poétique et quête du sens », qui incite le professeur à « approfondir avec les élèves la relation qui lie, en poésie, le travail de l’écriture à une manière singulière d’interroger le monde et de construire le sens, dans un usage de la langue réinventé ».

Tour à tour « choses vues », « symboles et allégories », « oneiro-crities », selon les termes qu’emploie Baudelaire dans ses notes de travail, ces poèmes tentent de peindre la réalité moderne en autant de tableaux, comme une succession de « fenêtres » encadrant le monde, du vaste panorama depuis la mansarde haut perchée jusqu’aux scènes fugitives aperçues au fi l de la fl ânerie, en passant par le portrait, les scènes d’intérieur, les images remémorées ou rêvées. Il s’agit, dans une langue poétique qui joue de la tension entre tradition et innovations, de dire la déception et le dégoût que la réalité moderne engendre tout en célébrant sa beauté fugitive ou

bizarre, et de dégager sous l’apparence transitoire l’enseignement moral et métaphysique qu’elle recèle.

Le deuxième objectif du programme recommande à l’ensei-gnant de s’attacher « à contextualiser la lecture de la poésie, en don-nant aux élèves des éléments de son histoire, dans ses continuités, ses évolutions et ses ruptures, et en leur faisant approcher les mouvements esthétiques et culturels avec lesquels elle entre en résonance ». Ainsi, avec les « Tableaux parisiens », les élèves pourront appréhender conjointement l’évolution singulière de Baudelaire et celle de la poésie au XIXe siècle : le poète introduit dans cette section, à côté de poèmes qui fi guraient déjà dans l’édition de 1857, huit nouvelles pièces, dont les trois longs poèmes dédiés à Victor Hugo dans les-quels il pense lui-même avoir « dépassé les limites assignées à la Poésie ». Contemporaine d’une intense activité de réfl exion esthé-tique sur la peinture et d’écriture de poèmes en prose paraissant dans la presse, la rédaction des « Tableaux parisiens » ouvre une nouvelle voie à la poésie, en affi rmant une volonté de briser les cadres de l’écriture poétique, de se libérer de la versifi cation pour mieux saisir le fugitif, la réalité mouvante du monde comme les « soubresauts de la conscience ».

L’organisation du hors-série

Après une introduction situant la section des « Tableaux pari-siens » dans son contexte historique et littéraire, nous avons choisi d’explorer successivement trois thèmes : la peinture de la ville, l’écriture moraliste, beauté et laideur. Chacune de ces parties off re l’occasion d’étudier l’œuvre à partir d’activités variées : lectures transversales et synthétiques de la section pour en maîtriser la cohé-rence par-delà sa diversité, lectures analytiques de certains poèmes afi n d’approfondir le travail de la langue. Soucieux de confronter la poésie de Baudelaire aux représentations contemporaines de son œuvre, nous proposons également, pour chaque thème, une étude d’image. Enfi n, un corpus bac centré sur la ville permet de mettre en perspective « Le crépuscule du matin » qui clôt la section avec des poèmes ultérieurs, tandis que des travaux proposés aux élèves les incitent à découvrir les poèmes en prose du Spleen de Paris et à établir des rapprochements avec les poèmes en vers des « Tableaux parisiens », ou encore à constituer, en utilisant les ressources infor-matiques, leur propre édition illustrée.

Nous espérons que notre travail aidera le professeur à construire le parcours qui conviendra le mieux à la classe dont il est chargé, et à faire goûter à ses élèves la beauté singulière de ces « Tableaux parisiens ».

Baudelaire, Les Fleurs du mal,« Tableaux parisiens »

Par Marie-Hélène Dumaître, Étienne Leterrier, Adrien David, professeurs de lettres

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Éditeur : Nathan, 25 av. P. de Coubertin 75013 Paris – Directrice de la rédaction : Yun Sun Limet – Conseillère pédagogique : Claire Beilin-Bourgeois – Directeur de la publication : Catherine Lucet – Directeur délégué : Delphine Dourlet – Fabrication : Lucile Davesnes-Germaine – Édition: Charlotte Renaud – Révision : Eva Baladier – Édition Web : Alexandra Guidal – Iconographie : Laure Penchenat – Marketing/Diff usion : Anne-Sophie Arlette, Catherine Coat – Impression : Imprimerie de Champagne ZI les Franchises 52200 Langres – Création de la couverture  : Christophe Billoret – Création des pages intérieures  : Élise Launay – Réalisation maquette : Alinéa, 40, rue des Bas-Bourgs 28000 Chartres – Publicité : Comdhabitude publicité, Directrice de la publicité : Clotilde Poitevin, 25 rue Fernand Delmas 19100 Brive. Tél. : 05 55 24 14 03 – Partenariats : Christophe Vital-Durand. Tél. : 01 45 87 52 83 – Code article : 111751 – N° d’édition : 102 16 078 – Dépôt légal : novembre 2015 – Commission paritaire : 0418T83012

Document de couverture : Giuseppe Nittis, La Seine à Paris, pastel, 50 x 68 cm, musée d’Orsay, Paris.

Crédits photographiques : Couverture  : LEEMAGE ; 3  : BIS / © Archives Larbor  ; 4  : BIS / © Archives Larbor  ; 7  : BIS / Ph. © Archives Nathan ; 9  : BIS / Ph. © Archives Nathan ; 10 : BIS / Ph.Coll.Archives Larbor ; 11 : BRIDGEMAN IMAGES ; 13 : RMN -Grand palais / Patrice Schmidt ; 16 : BIS / Ph. Studio Basset © Archives Larbor ; 18 AKG-images / Sotheby’s ; 20 : ADOC-PHOTOS ; 21 : BIS / Ph. Coll. Archives Nathan ; 23 : BIS / Ph. L. Joubert © Archives Larbor ; 25 : BIS / Ph. Coll. Archives Larbor ; 27 : BIS / Ph. Rocco Pedicioni © Archives Larbor ; 29 : BIS / Ph © Archives Photographiques, Paris - Archives Larbor ; 31 : RMN - Grand Palais / Benoit Touchard ; 32 : AKG- images ; 35 : BIS / Ph. Coll. Archives Larbor ; 39 : AKG-images ; 44 : BIS / Ph. O’Sughrue © Archives Larbor

2 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Sommaire

Étapes Séances Fiches

CONTEXTE

par Étienne Leterrier

1 Contexte historique et littéraire 

Repères 3

LE PEINTRE

DE LA VILLE

MODERNE

par Adrien David

2 Promenade dans le Paris de Baudelaire

Étude d’ensemble 6

3 Présentation poétique de la ville : « Le soleil »

Lecture analytique 8

4 Poésie, rêve et peinture : « Rêve parisien »

Lecture analytique 11

5 Paysage rêvé et paysage peint

Analyse d’image 13

1 Créer une édition illustrée

des « Tableaux parisiens »

Recherches iconographiques 37

2 La ville dans les « Tableaux

parisiens » et Le Spleen de ParisLecture cursive 38

DU FLÂNEUR

AU MORALISTE

par Marie-Hélène Dumaître

6 Qu’est-ce qu’un moraliste ?

Repères, culture humaniste 15

7 Baudelaire, peintre et moraliste

de la ville moderne

Étude d’ensemble 17

8 Paris entre chien et loup

Lectures comparées 19

9 Une vision de l’homme moderne

Étude transversale 22

3 Une vision satanique de Paris

Étude d’image 39

BEAUTÉ ET

LAIDEUR

par Étienne Leterrier

10 La beauté et la laideur :

représentation d’un contraste

Étude d’ensemble 26

11 La versifi cation ou les couleurs du poète

Repères, méthode 28

12 « L’amour du mensonge », une allégorie

baudelairienne

Lecture analytique 30

4 L’écriture poétique dans

les « Tableaux parisiens »

Versification 40

VERS LE BAC

par Adrien David

13 Écriture poétique et quête du sens,

du Moyen Âge à nos jours

Entraînement à l’écrit du bac 33

5 Écrire un poème de la ville

Entraînement au sujet d’invention 41

Corpus de textes 36

Corrigés des fi ches 42

Conformément aux dispositions sur le droit d'auteur (Code de la Propriété Intellectuelle),la reproduction et la représentation de tout ou partie de ce numéro de la NRP notamment sur

les sites web contributifs, les blogs, sont strictement interdites et passibles de sanctions pénales et civiles.

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tempêtant vainement à ma vitre, / Ne fera pas lever mon front de mon pupitre » (« Paysage »).

Quelle place la poésie peut-elle avoir, dans cette France révolu-tionnée à la fois politiquement (elle a connu quatre révolutions en moins d’un siècle), économiquement et socialement ? Elle reste sou-vent à l’écart des grands débats qui secouent la vie politique, et se réfugie dans les sphères de la pure littérature. Destinée jusqu’à la fi n du XVIIIe siècle à l’élite des salons et des bourgeois éclairés, la littéra-ture s’adresse en eff et désormais aux quarante millions d’habitants que comporte la France, une évolution qui la transforme profon-dément. Elle entre dans l’ère industrielle, imprimée en masse (pour ses principaux succès), aidée par la publicité, vendue en feuilletons de presse bon marché, en éditions populaires. En se démocratisant, elle s’adapte au goût du plus grand nombre, mais cherche aussi à

La poésie de Baudelaire est inscrite dans son siècle dans un rap-port à la fois de conformité et de scandale. Scandale, tout d’abord, puisque la publication des Fleurs du mal donne lieu à l’un des plus célèbres procès de la littérature, qui montre la rupture totale choi-sie par le poète par rapport aux normes morales et aux idéaux du moment. Le 20 août 1857, Baudelaire est condamné pour outrages aux bonnes mœurs et son recueil est censuré. Conformité ensuite, puisque la révolte et le sentiment douloureux de l’existence exposés dans Les Fleurs du mal, les portraits brossés et scènes parcourues dans les « Tableaux parisiens » traduisent précisément le Paris qui naît à partir de la seconde moitié du XIXe siècle sous l’impulsion du baron Haussmann, les transformations subies, et l’ordre social et psychologique qui s’y impose. Baudelaire s’est lui-même voulu le « peintre de la vie moderne », en écrivant avec beaucoup d’ironie à la fi n du Salon de 1845 : « celui-là sera le peintre, le vrai peintre, qui saura arracher à la vie actuelle son côté épique, et nous faire voir et comprendre, avec de la couleur ou du dessin, combien nous sommes grands et poétiques dans nos cravates et nos bottes vernies  ». Les « Tableaux parisiens » révèlent plus que toute autre section des Fleurs du mal cette ironie qui consiste à enregistrer la médiocrité ou la déception du réel. La volonté qu’a Baudelaire de proclamer la relativité des critères du beau, de fondre en eux les changements d’un monde en mutation et les doutes auxquels se confronte le sujet lyrique y trouvent leur point d’aboutissement.

L’époque de Baudelaire, entre modernité et conservatisme

L’époque à laquelle écrit Baudelaire est la fi n de la IIe République et les débuts du Second Empire. C’est une période d’intense moder-nisation de la France, d’un aff airisme eff réné et d’un développement économique rapide : c’est le moment de la révolution industrielle où naît une véritable élite économique en France, tandis que la classe ouvrière grossit et contribue à l’accroissement des villes. C’est une ère de grands travaux de modernisation, de développement des voies de communication (routes, canaux) et du système ban-caire. Pour autant, le pouvoir napoléonien mis en place déçoit bon nombre des représentants de la génération romantique. Après les évolutions de la IIe République, qui entérine le suff rage universel masculin, la liberté d’association et le droit du travail, le régime de Napoléon III est un pouvoir autoritaire, qui voit s’imposer le « parti de l’ordre », exerçant une censure effi cace sur les journaux et les publications et restreignant l’exercice parlementaire. Victor Hugo, opposant virulent, doit s’exiler à Guernesey. Le régime bénéfi cie cependant du soutien de la bourgeoisie, hormis celui des milieux républicains, notamment à cause du souvenir encore récent des deux épisodes révolutionnaires de 1848 qui ont démontré l’exis-tence de forces sociales réclamant plus d’égalité et de liberté. Les « Tableaux parisiens » en portent la trace, lorsque le poète affi rme son détachement par rapport au monde qui l’entoure : « L’Émeute,

Contexte historique et littéraire

RepèresCONTEXTE

NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 3

Gustave Caillebotte, Jeune homme à sa fenêtre, peinture à l’huile, 82 x 117 cm, 1875, collection particulière.

Séance 1

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4 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

l’orienter. Elle explore enfi n des voies nouvelles, tire sa substance du réel et de la vie sociale, d’où ressortent quelques genres phares, en particulier le roman populaire, et ses personnages du Paris pitto-resque qui tiennent en haleine des millions de lecteurs, ou le mélo-drame qui fait se presser la foule sur les boulevards.

La société nouvelle a vu l’emprise de la religion considérable-ment diminuer. Au tournant du XIXe siècle, le sens du monde se trouve soudain en crise, l’histoire semblant chaotique aux contem-porains, privés d’une destinée collective. C’est ce vide que l’écrivain s’attribue la mission de remplir. Mage, prophète, il encourage l’épo-pée humaine (chez Hugo, par exemple), ou cède au désespoir… Il y a dans la poésie de Baudelaire un certain refus de voir le « sacre de l’écrivain », c’est-à-dire la promotion de l’artiste en « mage » chargé d’off rir à la collectivité le sens du monde et de l’existence. Le premier romantisme de la génération de 1830 cède le pas à un romantisme

désenchanté, qui renonce à l’amélioration du monde par l’idéal et qui laisse à ce renoncement une douloureuse expression. Baude-laire est le poète de cette époque du désenchantement.

Le Paris de 1850

« Paris change ! » : ce constat est le premier des « Tableaux pari-siens » qui, dans une certaine mesure, sont une ode à la disparition des vieilles capitales. C’est que « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) » (« Le cygne »). Le Paris de 1850 est en pleine transformation. La capitale s’étend, de nouveaux quartiers apparaissent, gagnant la périphé-rie, annexant les villes alentour : Baudelaire l’évoque comme un « colosse puissant » (« Les sept vieillards »). La capitale de la France

Claude Monet, Les Déchargeurs de charbon, peinture à l’huile, 55 x 66 cm, 1875, musée d’Orsay, Paris.

Séance 1 Contexte historique et littéraireCONTEXTE

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 5

Séance 1Contexte historique et littéraire CONTEXTE

mélange donc quartiers nouveaux et «  vieux faubourgs  » («  Le soleil »). Elle comporte encore des zones agricoles. Aussi Baude-laire peut-il voir le soleil tomber « sur les toits et les blés ». Il observe également, « voisine de la ville, / Notre blanche maison, petite mais tranquille » (« Je n’ai pas oublié, voisine de la ville… »). Les travaux d’Haussmann transforment le paysage parisien. Afi n de remédier aux risques d’épidémie (et d’insurrection), de longues et larges ave-nues sont percées dans Paris, les systèmes d’assainissement sont perfectionnés. La population s’urbanise, poussée par les emplois nouveaux qui apparaissent dans les villes : usines et fabriques, per-mettant à Baudelaire d’évoquer « l’atelier qui chante et qui bavarde » (« Paysage »), ou les cheminées que le poète nomme « tuyaux », qui déversent dans le ciel « les fl euves de charbon » (« Paysage »), ou qui créent « un brouillard sale et jaune » (« Les sept vieillards »). Paris est souvent évoqué comme ville de travail et de labeur pour ses habitants comme dans « Le crépuscule du matin » : « Et le sombre Paris, en se frottant les yeux, / Empoignait ses outils, vieillard labo-rieux. » Dès lors, l’enjeu des « Tableaux parisiens » apparaît claire-ment. Les changements de la ville viennent construire la posture encore romantique d’un poète constatant la diff érence entre son cœur, la sensibilité fi dèle et nostalgique de ses souvenirs, et la ville en mouvement dont la modernité fait son entrée en poésie. C’est avec un mélange d’euphorie et de mélancolie que le poète Baude-laire se fi xe comme terrain de prédilection la ville, « trébuchant sur les mots comme sur les pavés ». Tenté par le regret, il est également conscient du rôle que peut jouer la poésie dans l’embellissement du réel puisque, semblable au soleil, il « ennoblit le sort des choses les plus viles » (« Le soleil »).

En somme, Paris n’a plus rien d’une ville médiévale. Parmi les grands chantiers de l’époque, notons lors de la transformation du Carrousel l’édifi cation du Palais des Tuileries achevé en 1860. Dans « Le cygne », le poète fait allusion à un « palais neuf » ayant rem-placé près du Louvre un « camp de baraques », et ce n’est pas un hasard si ce poème, évocation des bouleversements urbains et de la fi n du vieux Paris, est dédicacé à l’auteur de Notre-Dame de Paris, Victor Hugo. Sur les grandes avenues dessinées par Haussmann, le trafi c augmente, c’est, écrit Baudelaire, «  un sombre ouragan dans l’air silencieux » (« Le cygne »). Le poète évoque également le « fracas roulant des omnibus » (« Les petites vieilles »), ces ancêtres des transports en commun, mais encore évidemment tirés par des chevaux. La disparition en 1837 du célèbre café-glacier Frascati, rue Montmartre (cité aussi à de nombreuses reprises par Balzac), et la destruction des jardins de Tivoli – autre endroit où la bonne société du début du siècle venait s’amuser et se montrer – sont évoquées lorsque Baudelaire décrit ses « petites vieilles » énamou-rées tout comme lui de leurs souvenirs d’un Paris qui n’existe plus. Autres temps, autres mœurs : ces lieux de sociabilité mondaine sont remplacés, dans le Paris haussmannien, par les grands magasins (dont beaucoup perdurent aujourd’hui), palais de la consomma-tion de l’élite, ou par tous les commerces des menus plaisirs du peuple, lorsque Baudelaire « entend ça et là les cuisines siffl er, / Les

théâtres glapir, les orchestres ronfl er ; / Les tables d’hôte, dont le jeu fait les délices, / S’emplissent de catins et d’escrocs » (« Le crépuscule du soir »).

Le poète et la ville

Pourtant, les « Tableaux parisiens » ne fourmillent pas de per-sonnages et de rencontres comme l’évocation d’une ville aurait pu le laisser attendre. Louis-Sébastien Mercier, à la fi n du XVIIIe siècle, avait conçu ses Tableaux de Paris (un titre qui a peut-être inspiré Baudelaire) comme une suite de petites miniatures consacrées chacune à un état, un type, une profession, tradition à laquelle se rattache également le goût du début du XIXe siècle pour les por-traits et les « physiologies » qui déclinent la vie sociale en autant de types. Baudelaire, quant à lui, cantonne son évocation à des types abstraits que travaille surtout une tentation allégorique ou fantastique récurrente : les sept vieillards semblent des allégories de la vieillesse, tout comme les petites vieilles permettent de dire le temps qui passe et la réversibilité de la morale puisqu’elles sont, sans qu’il soit possible de le savoir avec certitude, saintes ou cour-tisanes de jadis. La gravure admirée sur les quais de la Seine, dans « Le squelette laboureur », est le symbole d’un travail harassant, une allégorie de la condition humaine, enfi n un memento mori, tandis que la mendiante rousse intéresse surtout par sa pauvreté qui cache une secrète beauté inaccessible aux yeux de la majorité.

La ville, ainsi, sert surtout de refl et au poète. Elle est le spec-tacle à travers lequel il se dépeint lui-même. Cette attitude fait de Baudelaire un poète encore très infl uencé par le romantisme, dont il constitue l’un des crépuscules. En même temps, la primauté du sujet, les tentatives variées de défi nition du « moi » à travers ce qui apparaît comme une biographie indirecte ou fragmentaire (dans Les Fleurs du mal, mais aussi Mon cœur mis à nu, publié en 1887 à titre posthume), l’inscrivent dans une ressemblance très forte avec l’autre grand poète de son époque, Gérard de Nerval. On a souvent été tenté de rapprocher Baudelaire des courants variés qui fl eu-rissent à son époque : il est proche du jeune mouvement parnas-sien, comme Théophile Gautier, puisqu’il envisage l’art pour l’art et prise la forme, en déconnectant la poésie des enjeux sociaux de son temps, il est romantique comme Hugo dans l’expression du « moi » poétique, et préfi gure à certains égards le symbolisme (qui est pour-tant nettement postérieur). En fait, Baudelaire a cherché toute sa vie les modèles auxquels s’associer, modèles qu’il a lui-même élaborés dans diverses postures d’adhésion et de refus. Adhésion à l’idéa-lisme, à la volonté de concevoir le réel comme valable en tant que symbole d’une réalité supérieure, et refus de ce qu’il appelle « art positif », c’est-à-dire l’art corrélé à la nature et les qualités qu’on est tenté de lui prêter, l’harmonie et la vertu. En somme, Baudelaire constitue une voix éminemment singulière, une célébration de la poésie qui associe aux dissociations de la fi guration du « moi » les transformations du monde moderne.

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6 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Séance 2

➔ Questions1. Baudelaire écrit dans « Le cygne » : « Le vieux Paris n’est plus (la

forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ». Ces deux vers correspondent-ils à l’image de la ville que donnent les « Tableaux parisiens » ?

2. Quels genres de rencontres le poète fait-il dans ce cadre urbain ?

3. Pourquoi la forme poétique est-elle appropriée pour repré-senter le paysage urbain ?

Les métamorphoses de Paris

Écrits à l’époque des grands travaux haussmanniens, les « Tableaux parisiens », comme Le Spleen de Paris, témoignent de la métamorphose du paysage parisien. « Le cygne » propose ainsi une lamentation élégiaque sur la disparition du vieux Paris sous les gravats des chantiers de modernisation de la ville. Le poète traverse le « nouveau Carrousel » qui a remplacé la ménagerie des Tuileries, dont le cygne est le dernier représentant. Cependant, le regard du poète est ambivalent : il est capable de voir la beauté de ces chantiers. Ce qui l’intéresse n’est pas tant le résultat de cette transformation que le moment de la métamorphose lui-même. « La modernité, c’est le transitoire », écrit-il dans Le Peintre de la vie moderne. D’où certainement l’attention portée à des détails aussi prosaïques que les « échafaudages » et les « blocs » de pierre servant à l’édifi cation de « palais neufs ». Le Paris haussmannien voit aussi se développer l’éclairage au gaz, qui donne à la vie nocturne un aspect nouveau quasi étrange. « L’amour du mensonge » en fait mention : les « feux du gaz » donnent une apparence « bizarrement fraîche » à la femme dont le poète fait le portrait. Ce Paris neuf et moderne n’a pas complètement remplacé le vieux Paris : de nombreux quartiers ont gardé leurs faubourgs, dont il est question par exemple dans la première strophe du « Soleil ». « Les petites vieilles », auxquelles Baudelaire consacre un poème, sont les témoins de ce Paris d’autre-fois ; elles ont connu des lieux disparus, comme la maison de jeu Frascati ou le parc de loisirs Tivoli, symboles de l’encanaillement de la bourgeoisie parisienne, fermés respectivement en 1837 et 1842.

Promenade dans le Paris de Baudelaire

Objectifs � S’approprier le recueil grâce à une lecture transversale

thématique. � Comprendre la modernité thématique des « Tableaux

parisiens ». � Analyser le rapport entre la forme poétique et le thème

de la ville.

Support : La section des « Tableaux parisiens ».

Durée : 2 heures.

Étude d’ensembleLE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

Les rides de ces « Èves octogénaires » évoquent au poète la méta-phore des « plis sinueux des vieilles capitales », désignant le dédale des ruelles que le baron Haussmann veut remplacer par de grandes artères. Ce Paris ancien clôt la section des « Tableaux parisiens », avec le distique : « Et le sombre Paris, en se frottant les yeux, / Empoi-gnait ses outils, vieillard laborieux. » Le poète assure ainsi par son écriture la survivance d’un monde voué à disparaître.

Un monde interlope

Ces ruelles sombres off rent un refuge aux personnages et acti-vités qui sont le refl et perverti de la bourgeoisie triomphante. « Le jeu » décrit par exemple une salle réunissant des joueurs semblables à des âmes du purgatoire refusant la mort et le néant. Le vice du jeu est associé à celui de la chair : cette salle est le repaire des « cour-tisanes vieilles », des « vieilles putains ». Le Spleen de Paris off re un pendant à ce poème : « Le joueur généreux », dont le titre désigne Satan que le poète croise dans la rue et suit dans un tripot. Le poète accède donc à un monde inversé, une ville maléfi que qui s’oppose à la ville triomphante d’Haussmann. Le crépuscule est le moment où le paysage urbain change d’aspect et laisse place à une population diff érente de celle des travailleurs. « Le crépuscule du soir » présente ainsi une tonalité quasi fantastique :

Cependant des démons malsains dans l’atmosphèreS’éveillent lourdement, comme des gens d’aff aire, […]La Prostitution s’allume dans les rues ;Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ;Partout elle se fraye un occulte chemin,Ainsi que l’ennemi qui tente un coup de main.

Le Paris nocturne, « cité de fange », est explicitement comparé à un Enfer sur terre. La ville est personnifi ée grâce à une hypallage qui pare les lieux des traits vicieux de leurs occupants :

On entend çà et là les cuisines siffl er,Les théâtres glapir, les orchestres ronfl er ;Les tables d’hôte, dont le jeu fait les délices,S’emplissent de catins et d’escrocs, leurs complices.

« Le crépuscule du matin », qui achève les « Tableaux parisiens », décrit un monde tout aussi dysphorique, où se dissipent les illusions de la nuit :

Les femmes de plaisir, la paupière livide,Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froides,Souffl aient sur leurs tisons et souffl aient sur leurs doigts.

L’art du paysage est donc indissociable de celui du portrait chez Baudelaire, les habitants comme les bâtiments parisiens off rant au lecteur le visage d’une ville corrompue, pourrie, terreau des fl eurs poétiques que sont les « Tableaux parisiens ».

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 7

Une ville fantastique

Ce monde interlope donne aux poèmes une dimension proche du fantastique. Dans « Le soleil », « Les persiennes, abri des secrètes luxures », introduisent le thème du mystère. Les diff érents person-nages rencontrés semblent être des apparitions fantomatiques. Dans « Les sept vieillards », Paris est par exemple décrit comme une « cité pleine de rêves, / Où le spectre en plein jour raccroche le pas-sant ». Le décor est propice au développement d’une atmosphère inquiétante et mystérieuse : « Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur, / Simulaient les deux quais d’une rivière accrue, / […] Un brouillard sale et jaune inondait tout l’espace. » Le vieillard qui appa-raît tel un fantôme est comme une émanation du lieu : « un vieillard dont les guenilles jaunes / Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux, / […] M’apparut. » Le portrait de cet homme, comparé à Judas, en fait un être démoniaque : la « méchanceté » et le « fi el » caractérisent son regard. Cet être qui se multiplie est l’incarnation de l’étrangeté de la ville, de laquelle le poète cherche à se protéger, en fermant sa porte à la fi n du poème. Aux sept vieillards font pendant les petites vieilles du poème suivant, qualifi ées de « monstres disloqués », comparées à « un fantôme débile ». Même les portraits faisant l’éloge de belles femmes peuvent être lus comme des poèmes fantastiques : dans « À une mendiante rousse », la « Blanche fi lle aux cheveux roux » partage certains traits traditionnellement associés aux sorcières ; « À une passante » décrit une apparition quasi surnaturelle. La ville est donc représentée comme un lieu inquiétant, duquel le poète cherche parfois à s’échapper.

Le réel et l’idéal

À plusieurs reprises dans la section, le poète exprime le besoin de s’aff ranchir de ce décor misérable, et d’atteindre un monde poétique idéal qui se construit par opposition au prosaïsme de la vie quotidienne. Le premier poème de la section, «  Paysage  », s’ouvre sur l’affi rmation d’une volonté, celle de s’élever bien loin au-dessus de la ville : « Je veux, pour composer chastement mes églo-gues, / Coucher auprès du ciel, comme les astrologues ». Le poète peut alors contempler de loin cette réalité qui se transforme en paysage pictural : la ville est décrite par juxtaposition de notations visuelles et auditives, comme un décor lointain : « Je verrai l’atelier, qui chante et qui bavarde  ; / Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité ». On retrouve ici une métaphore liée à la navigation qui rappelle la fi gure de l’albatros au début du recueil, même si l’impression de singula-rité est davantage liée à un sentiment de puissance, au début des « Tableaux parisiens ». Ainsi le poète s’imagine-t-il « descend[ant] dans les villes » tel le soleil, dans le deuxième poème de la section. Ce fantasme d’une posture et d’une position divine est cependant mis à mal. L’élévation du poète contient en germe son échec à se libérer de cet univers urbain : en eff et, il reste enfermé dans « [sa] mansarde » (« Paysage », v. 5), monde clos et misérable duquel il ne pourra échapper. Cette image de l’enfermement est aussi contenue dans « À une heure du matin » du Spleen de Paris, où le poète se presse de s’enfermer à double tour pour s’isoler de l’agitation et de la médiocrité de la capitale. Il peut alors s’adonner à la rêverie et à la création d’un univers onirique idéal, comme dans « Rêve pari-sien ». Au « chaos » de la ville (terme employé dans « Les petites vieilles ») s’oppose la régularité du paysage rêvé, d’où est banni le « végétal irrégulier » au profi t du minéral. Le poète quitte alors la réalité parisienne pour un monde exotique : le Gange est cité au

vers 34 de « Rêve parisien » mais était déjà évoqué au vers 53 de « Danse macabre », comme le fl euve « aux bords brûlants » opposé aux « quais froids » de la Seine. Le paysage de « Rêve parisien » pour-rait être un paradis artifi ciel : « La chambre double », pendant de ce poème dans Le Spleen de Paris, reprend le thème de la rêverie dans une chambre fermée, en explicitant la prise de laudanum. Les deux poèmes partagent la même construction ; à la rêverie succède le réveil douloureux dans une mansarde misérable, soumise à la tyrannie de l’horloge : « En rouvrant mes yeux pleins de fl amme / J’ai vu l’horreur de mon taudis, […] / La pendule aux accents funèbres / Sonnait brutalement midi », écrit-il dans « Rêve parisien ». Dans « La chambre double », c’est une sollicitation extérieure qui le tire de sa rêverie : « C’est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d’un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit. […] Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui, est bien le mien. […] Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. » La ville parisienne à la fois perturbe la rêverie poétique et inspire au poète une vision de la modernité : cette ten-sion est constitutive des « Tableaux parisiens ».

Séance 2Promenade dans le Paris de Baudelaire LE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

Honoré Daumier, Les Noctambules, peinture à l’huile sur bois, 19 x 29 cm, 1847, National museum of Wales, Cardiff.

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8 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Présentation poétique de la ville : « Le soleil »

Objectifs � Étudier la représentation poétique de la ville. � Comprendre la dimension méta-poétique du poème.

Support : « Le soleil ».

Durée : 1 heure.

Séance 3

➔ Questions1. Comment la ville est-elle représentée dans ce poème ?2. Quels pouvoirs sont attribués au soleil ?3. Quelle image du poète se dégage ?

La place du poème dans le recueil

Ce poème fut publié dans l’édition de 1857, où il occupait la deuxième place, dans la section « Spleen et Idéal ». Dans l’édition de 1861, cette place fut occupée par « L’albatros » et « Le soleil » déplacé dans la nouvelle section des « Tableaux parisiens », ces poèmes off rant tous deux une réfl exion sur la fi gure du poète. Dans l’édition de 1857, « Le soleil » succédait donc à « Bénédiction », poème sur la naissance et l’enfance du poète, dans lequel « L’Enfant déshérité s’enivre de soleil  ». Associer la création baudelairienne uniquement au crépuscule est donc réducteur. Dans l’édition de la Pléiade, Claude Pichois émet l’hypothèse que « Le soleil » est un poème de jeunesse ; le thème du soleil serait emprunté à la Pléiade, notamment à Ronsard.

Le paysage ambivalent du faubourg

La description du paysage dans ce poème repose sur une oppo-sition très nette entre le cadre urbain et un cadre champêtre. Le vers 3 présente par exemple deux antithèses mises en valeur par le parallélisme des deux hémistiches : « Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés ». Ces deux oppositions produisent un eff et de rap-prochement : le regard s’attarde sur des détails plus précis, à mesure que le poème progresse. La première strophe développe principa-lement la description de la ville, présentée comme un paysage dys-phorique. Le faubourg est « vieux », les « masures », mises en valeur à la rime, connotent la pauvreté. Les persiennes, peut-être sur le point de tomber de décrépitude, « pendent » à ces masures : le rejet du vers 2 évoque cet état de délabrement où tout semble tomber en ruine. Le contre-rejet interne, plaçant « abri » à la césure, déstructure l’alexandrin, qui refl ète ainsi l’apparence instable de ce paysage. Claude Pichois souligne la diffi culté de la scansion et propose deux lectures possibles du vers 2 : « Les persiennes (4), abri,… » ou « Les persi/enn’abri… ». Cette diffi culté est présentée comme une gauche-rie, mais on pourrait également y voir une instabilité de l’alexandrin,

Lecture analytiqueLE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

évoquant peut-être celle de ces persiennes. Au délabrement urbain correspond la décrépitude morale : les « masures » riment avec les « secrètes luxures » dissimulées derrière les persiennes. Les sonorités labiales [b] et [p] ainsi que les dentales [t] et [d] hachent le rythme de ces deux vers, de manière peu harmonieuse :

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masuresLes persiennes, abri des secrètes luxures

Le paysage printanier de la deuxième strophe s’oppose à ce cadre urbain. Ce thème champêtre était annoncé dans le poème précédent, « Paysage », dans lequel le poète veut « composer chaste-ment [s]es églogues ». La description est alors beaucoup plus positive que dans la strophe précédente. Le soleil, qui était « cruel », devient « nourricier », ennemi des « chloroses », forme d’anémie donnant au teint un aspect verdâtre, à laquelle s’oppose la vigueur du paysage champêtre. Baudelaire reprend des topoï de la pastorale : les roses poussent dans les champs, les ruches sont pleines de miel. Une joie, antithétique du spleen de la première strophe, envahit le poème, au point que le poète se permet un trait d’humour, à travers une métonymie et une comparaison légères :

C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquillesEt les rend gais et doux comme des jeunes fi lles

Cette image pourrait être inspirée de l’Hymne de la mort de Ron-sard, qui parle de la lumière

De ce commun Soleil, qui n’est seulement chèreAux hommes sains et forts, mais aux vieux chargés d’ans,Perclus, estropiats, catarrheux, impotents.

La vigueur des moissons qui croissent et mûrissent au vers 15 fait contrepoint au délabrement des masures des deux premiers vers. Les deux strophes semblent donc avoir été pensées comme deux descriptions antithétiques.

Mais la présence de ces deux paysages en apparence contradic-toires ne doit pas conduire les élèves à un contresens. Le premier vers précise que le poète se trouve dans le « vieux faubourg », donc dans un lieu à la frontière entre la ville moderne et le cadre plus rural de la banlieue immédiate de Paris, aujourd’hui disparu et dont les élèves ne soupçonnent souvent pas l’existence.

Cette opposition apparente est d’ailleurs levée par les eff ets du soleil sur le paysage, qui sont les mêmes sur la ville et sur les champs : les vers poussent entre les pavés dans la première strophe, et parmi les blés dans la deuxième.

On ne peut donc voir dans le paysage champêtre un lieu idéal auquel rêverait le poète alors qu’il serait prisonnier d’un cadre urbain prosaïque. Au contraire, il se situe justement à la lisière de ces deux mondes, dans un entre-deux où le négatif et le positif se rejoignent.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 9

Un éloge paradoxal du soleil

Le soleil est l’élément qui permet aux deux mondes de se rejoindre, mais sa nature est paradoxale. Il apparaît d’abord comme « cruel », cet adjectif étant accentué à la césure. Les sonorités qui lui sont associées au vers 3 reprennent celles désagréables des vers 1 et 2. On entend des gutturales, des labiales, des dentales, et une allitération en [r] :

Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés

Le verbe « frapper » pourrait être lu comme une hypallage et évoquer les « secrètes luxures » dont il est question au vers précédent. On pense ainsi à « Mademoiselle Bistouri » dans Le Spleen de Paris, dont le récit se déroule justement « à l’extrémité du faubourg ». La prostituée que rencontre le poète est également sortie de l’hôpi-tal, évoqué dans la dernière strophe du « Soleil ». Le thème de la fenêtre fermée qui ne laisse que deviner ce qu’elle cache est aussi

présent dans « Les fenêtres », qui s’ouvre par cette phrase : « Celui qui regarde au-dehors à travers une fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. » Les traits du soleil, qui s’abattent violemment sur les toits, comme l’indique l’adjectif « redoublés » (v. 3), semblent motivés par le désir de révéler le vice qui se dissimule dans cette ville, mais il est diffi cile de savoir dans la première strophe si le soleil, par sa cruauté, participe de cette atmos-phère viciée, ou s’il s’y oppose, comme l’annonce d’un châtiment.

Cette nature double du soleil se prolonge dans la deuxième strophe, où il devient « nourricier ». On retrouve alors un univers pas-toral, rappelant les Anciens ou la Pléiade. Le soleil est décrit comme une force positive, favorable à la naissance des vers qui poussent « comme les roses » (v. 10). Les sonorités sont plus agréables que dans la strophe précédente. Le vers 11 présente par exemple des allitérations en siffl antes ([s]), en fricatives ([f ], [v]) et en liquides ([l], [r]) beaucoup plus douces :

Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel

Armand Guillaumin, Soleil couchant à Ivry, 65 x 81 cm, 1869-1871, musée d’Orsay, Paris.

Séance 3Présentation poétique de la ville : « Le soleil » LE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

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10 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Séance 3

Les sons vocaliques de ce vers 11 sont aussi harmonieux, les sons [i] et [è] assurant une cohérence qui s’oppose à la grande variété discordante des voyelles dans le premier vers.

On peut ainsi opposer les deux schémas suivants :

Vers 1 :Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures[eu] / [on] / [u] / [ieu] / [o] / [ou] / [ou] / [an] / [eu] / [o] / [a] / [u]

Vers 11 :Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel[i] / [è] / [é] / [a] / [o] / [é] / [é] / [ou] / [i] / [è] / [eu] / [i] / [è]

Au vers 1, on relève des voyelles nasales, plutôt désagréables, et une alternance entre des voyelles très diff érentes, qui donnent un rythme assez heurté au vers. Dans le vers 11, on ne relève aucune voyelle nasale, et le redoublement des sons [é] et [è], très proches, assure une harmonie à l’ensemble. La séquence [i] + [è] apparaît trois fois dans ce vers, contribuant aussi à son harmonie. La tonalité des images est également plus légère que dans la première strophe. La périphrase « les porteurs de béquille » se teinte d’humour à la lec-ture de la comparaison qui la suit : « gais et doux comme des jeunes fi lles ».

Enfi n, dans la dernière strophe, il devient un double du poète, qui « ennoblit les choses les plus viles ». Le lecteur est ainsi invité à relire le poème entier en fonction de cette comparaison, « Le soleil » pouvant être considéré comme un des nombreux arts poétiques que l’on trouve dans Les Fleurs du mal.

Un art poétique

En eff et, « Le soleil » est tout autant un éloge du poète et de son art que du soleil. La comparaison commence implicitement dans la première strophe : le poète pratique une « fantasque escrime » (v. 5) qui rappelle les « traits redoublés » (v. 3) du soleil. La fi gure du poète maladroit, « trébuchant sur les mots comme sur les pavés » (v. 7) peut faire penser à la gaucherie de l’albatros, dans le poème qui remplace fi nalement « Le soleil » en deuxième place du recueil, dans l’édition de 1861. Le poète se présente comme un marcheur : si la poésie apparaît comme accidentelle, puisqu’il trébuche sur les mots et heurte les vers par inadvertance, le poète provoque ces accidents en allant se promener dans le faubourg. Ainsi cette fi gure s’oppose-t-elle à celle qui apparaît dans le poème précédent, « Paysage », où le poète veut « coucher auprès du ciel » (v. 2). Le rapprochement des deux fi gures est nécessaire pour comprendre la complexité de l’art poétique baudelairien, tiraillé entre ces deux pôles. Le poète pour-rait donc se comparer au soleil, car il appartient au monde céleste et éclaire par la beauté de son art le monde terrestre. Mais Baude-laire, dans « Le soleil », renverse la comparaison : c’est le soleil qui est comparé au poète, lorsqu’au vers 17, il écrit : « ainsi qu’un poète, il descend dans les villes ». Le poète apparaît presque supérieur à l’astre, réduit au rang de comparé.

Le lecteur est ainsi invité à suivre, à travers les « Tableaux pari-siens », le parcours du poète qui sera capable de lui éclairer ce que la poésie n’avait pas voulu voir jusqu’alors.

Présentation poétique de la ville : « Le soleil »LE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

Maurice de Becque, illustration pour Les Fleurs du mal, dessin et gravure à l’eau forte, 1922, BnF, Paris.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 11

par exemple les arbres au vers 21. On retrouve donc le thème de la beauté minérale, qui parcourt Les Fleurs du mal. On pourra ren-voyer les élèves au premier vers de la « La Beauté » : « Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre ». Les quatrains composés d’octo-syllabes sont un modèle de concision et sont extrêmement cise-lés, comme les diamants ou les pierreries dont il est question aux vers 36 ou 39. Claude Pichois, dans l’édition de la Pléiade, compare même la récurrence du son [i], fréquemment à la rime, au tinte-ment du cristal, évoqué notamment au vers 18. Le décor artifi ciel est décrit à l’aide de nombreux termes appartenant au champ lexical de l’architecture : « métal », « marbre » (v. 12), « escaliers », « arcades » (v. 13), « palais » (v. 14), « bassins » (v. 15), « quais » (v. 26), « glaces » (v. 31). Mais l’association des éléments architecturaux et des maté-riaux dont ils sont constitués n’a rien de réaliste : les « murailles de métal » (v. 20), les « gouff res de diamant » ou le « tunnel de pierreries »

➔ Questions

1. Quel est le point commun entre tous les éléments du rêve ?2. Quels éléments le poète bannit-il ? Pourquoi, selon vous ?3. De quel art peut-on rapprocher ce poème ? Pourquoi ?4. Quel eff et la deuxième section du poème produit-elle ? 5. Comment comprenez-vous fi nalement le titre du poème ?

La publication du poème

Ce poème ne fut publié que dans l’édition de 1861 des Fleurs du mal. D’après une lettre envoyée à Poulet-Malassis, il aurait été écrit vers mars 1860 avant d’être publié en mai de la même année dans la Revue contemporaine. Les Paradis artifi ciels sont publiés à la même époque, ce qui autorise à voir peut-être dans « Rêve pari-sien » la description d’un univers que le poète aurait fait naître à partir de la consommation de haschisch. Cependant, Baudelaire affi rme dans Les Paradis artifi ciels que le poète ne doit pas rendre la création poétique dépendante de ces substances : c’est dans sa volonté propre que l’artiste doit puiser l’inspiration créatrice. Cette volonté s’affi rme de manière franche dans « Rêve parisien », où le poète se présente comme un démiurge. On retrouvera une théma-tique et une construction similaires dans « La chambre double » du Spleen de Paris.

Un paradis artifi ciel

Dans Hygiène, Baudelaire notait qu’« il faut vouloir rêver et savoir rêver ». Cette volonté apparaît dès le début du poème. Les deux premiers vers sous-entendent que le poète n’appartient pas au monde des mortels : « De ce terrible paysage, / Tel que jamais mortel n’en vit ». Le vers 38 confi rme cette idée. En eff et, le pronom « je », en valeur au début du vers, est sujet d’une périphrase factitive : « Je faisais […] passer un océan dompté ». Ce dernier adjectif montre que le poète, tel un dieu, contrôle les éléments. Il rime d’ailleurs avec « ma volonté ». Le monde onirique doit donc se plier aux désirs de l’artiste : dans la deuxième strophe, le poète bannit le végétal « par un caprice singulier » (v. 6), à cause de son irrégularité (v. 8). Le poète affi rme donc sa puissance, son « génie » (v. 9), mis au ser-vice d’un monde où la nature végétale doit laisser place à un décor entièrement artifi ciel et minéral. Les «  colonnades  » remplacent

Séance 4

Poésie, rêve et peinture : « Rêve parisien »

Objectifs � Étudier le lien entre la poésie, le rêve et la peinture. � S’interroger sur les pouvoirs de la poésie.

Support : « Rêve parisien ».

Durée : 1 heure.

Lecture analytiqueLE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

Sir Lawrence Alma-Tadema, Un Oleander, huile sur panneau, 93 x 65 cm, 1882, collection privée.

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12 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

composent un décor onirique nouveau. Dans une lettre adressée à Calonne, directeur de la Revue contemporaine, Baudelaire disait que le « rêve, qui sépare et décompose, crée la nouveauté » : « Rêve parisien » illustre cette idée. La puissance du poète créateur de ce monde tient aussi dans la capacité à créer des images impossibles, à l’aide d’hyperboles : le palais est « infi ni » (v. 14), les nappes d’eau s’épanchent « pendant des millions de lieues » (v. 27) – le temps et l’espace semblant se confondre dans l’emploi de cette préposition –, le Gange se multiplie en prenant la marque du pluriel au vers 34. On sent ainsi parfaitement l’infl uence de la poésie parnassienne, et particulièrement celle de Théophile Gautier, à qui sont dédiées Les Fleurs du mal. Le thème du silence, développé dans la dernière strophe de la première section, fait allusion à l’un des principes du Parnasse, qui bannissait la musique et la nature, au profi t de l’archi-tecture et de la sculpture.

Le poète est un peintre

Mais c’est bien l’art pictural que convoque Baudelaire pour parler de ce poème. Dès le premier vers, il l’inscrit dans le genre du paysage, à la beauté « terrible ». L’oxymore qui ouvre le poème est construit selon le même type d’opposition que le titre du recueil. Le champ lexical du regard se développe dans les premières strophes : « l’image » (v. 3) et « ces spectacles » (v. 7) sont mis en valeur à la rime. Le pluriel de ce groupe nominal contribue à donner une impression d’infi ni fi lée dans tout le poème, notamment grâce à la thématique du refl et. Les éléments aquatiques démultiplient les éléments archi-tecturaux qui s’y refl ètent, les « étangs dormants » (v. 22) servent de miroirs aux « naïades » (v. 23) qui s’y « mir[ent] » (v. 24). Les glaces sont « immenses » (v. 31) et participent de la féerie des lieux. Le rap-prochement avec la peinture est explicite dans la troisième strophe : le poète est un « peintre » (v. 9), le poème est « [s]on tableau » (v. 10). Les notations visuelles, liées aux couleurs, sont nombreuses : « or mat ou bruni » (v. 16), « bleues » (v. 25), « roses et verts » (v. 26), « la couleur noire » (v. 41). Ces tons contribuent globalement à donner cette froideur au paysage. Le pouvoir du poète peintre ne se résume pas à la création de cet univers pictural, il tient aussi à sa capacité à « illuminer ces prodiges » (v. 47). Le soleil, comme l’indique l’avant-dernière strophe de la première section, est absent, car le poète se substitue à lui. On pourra renvoyer les élèves au deuxième poème des « Tableaux parisiens », « Le soleil », dans lequel l’astre est com-paré au poète, et non l’inverse, ce qui place l’artiste dans une posi-tion supérieure.

Si le poète se fait peintre, et s’il prétend bannir la musique de son tableau, Baudelaire joue cependant avec les sonorités de son texte pour refl éter des eff ets visuels, selon le principe des corres-pondances. Ainsi la monotonie du paysage dont il est question dans la troisième strophe est-elle rendue par l’allitération en [m] et l’assonance en [o] (son également présent mais nasalisé dans le déterminant possessif « mon ») :

Et peintre fi er de mon génie,Je savourais dans mon tableauL’enivrante monotonieDu métal, du marbre et de l’eau.

Ces jeux de sonorités donnant au poème cette froideur et cette monotonie se prolongent dans les strophes suivantes. La quatrième est notamment construite à partir de peu de sons consonantiques diff érents : les labiales [p/b], la gutturale [k], les dentales [d/t]. La voyelle [a] domine aussi et contribue à cette monotonie :

Babel d’escaliers et d’arcades,C’était un palais infi ni,Plein de bassins et de cascadesTombant dans l’or mat ou bruni

Le pouvoir du poète est donc de substituer son art à celui du peintre, de faire naître les images à l’aide des mots.

La confrontation avec la réalité

Mais la seconde section du poème crée un eff et de chute en faisant soudainement disparaître ce paysage rêvé. Cette chute était préparée dès la première strophe : l’adverbe « encore », au vers 3, sous-entendait que l’image pouvait s’eff acer à un moment ou un autre. Les adjectifs « vague et lointaine » annonçaient son aspect éphémère. Les temps verbaux sont aussi des indices que le lecteur ne considère que lors d’une deuxième lecture. Le verbe « ravir » au vers 4 est au présent, et s’oppose donc au plus-que-parfait et à l’im-parfait des strophes suivantes. La première section n’est donc pas vraiment la description du paysage peint par le poète, mais plutôt le souvenir de ce paysage. L’expression déictique « ce matin », au vers 3, s’oppose au « sommeil » du vers 5. Le lecteur était donc averti que ce paysage avait déjà disparu avant même le début du poème. Une ellipse sépare cependant les deux sections, puisque la pen-dule sonne midi dans la seconde. La rêverie de la première section correspond à ce moment entre le sommeil et la veille, dont l’aspect trouble aurait peut-être été accru par la consommation de drogue.

Le passage entre les deux sections est brutal. La rupture appa-raît avant même la lecture : la seconde section ne compte que deux strophes, quand la première en comptait treize. La dilatation infi nie du temps et de l’espace dans cet univers onirique laisse place au passage du temps auquel sont soumis les mortels, d’où la brièveté de cette chute.

La rupture est aussi perceptible grâce aux temps verbaux : le passé composé « j’ai vu » (v. 54) ancre cette seconde section dans un temps plus linéaire, alors que seul était employé l’imparfait dans la description du paysage.

Le poète n’est plus un créateur, il n’est plus un actant : il subit le monde qui l’entoure. Le pronom « je » est ainsi sujet de deux verbes de perception, « voir » et « sentir ». Il se retrouve aussi en position passive, dans la proposition participiale « rentrant dans mon âme ».

La « pointe » et la « pendule », causes du spleen du poète, pré-sentent des sonorités proches et dysphoniques  : le son [p], une voyelle nasale, et une dentale [t/d].

On retrouve alors un thème développé dans la section « Spleen et Idéal ». Le ciel « vers[ant] des ténèbres » en plein midi fait écho au quatrième « Spleen » : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle […], / Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ».

La chute permet ainsi de comprendre le titre du poème, l’adjec-tif « parisien » ayant bien peu de rapport avec le paysage peint : l’idéal n’est que transitoire, éphémère, le poète étant rattrapé par le temps et la trivialité de la ville parisienne.

Séance 4 Poésie, rêve et peinture : « Rêve parisien »LE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 13

➔ Questions

1. Trouvez-vous ce dessin beau ? Pourquoi ?2. Que représente ce paysage ? Est-il réaliste ? Justifi ez.3. Quelles infl uences architecturales identifi ez-vous ?4. Observez les couleurs et les lignes du dessin : quelle atmos-

phère s’en dégage ?

Séance 5

Paysage rêvé et paysage peint

Objectifs � Analyser les enjeux du paysage symboliste. � Prendre conscience des liens entre poésie et peinture.

Support : Henry Provensal, Projet onirique (tombeau pour un poète), 1901.

Durée : 30 minutes.

Analyse d’imageLE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

Henry Provensal, Projet onirique (tombeau pour un poète), projet présenté au Salon de la Société nouvelle des beaux-arts, gouache et aquarelle, 68 x 86 cm, 1901, musée d’Orsay, Paris.

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14 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Présentation de l’artiste

Henry Provensal (1868-1934) n’est pas un contemporain de Baudelaire, mais ses œuvres et ses projets architecturaux sont empreints de l’infl uence symboliste. Étudiant aux Beaux-arts de Paris, il est architecte, sculpteur, et pratique également la peinture. Héritier du Parnasse et proche d’Henri Sauvage, il rejette la dimen-sion utilitariste de l’art : ses premiers projets architecturaux relèvent de l’imaginaire du rêve et n’ont pas vocation à être réalisés dans l’immédiat. Le titre de l’œuvre étudiée, Projet onirique, en témoigne clairement. En 1904, il publie un ouvrage théorique, L’Art de demain, vers l’harmonie intégrale (disponible sur Gallica), aux tonalités bau-delairiennes, puisqu’il affi rme la nécessité du rêve, « non pas le rêve stérile des fumeurs de haschisch, dont le cerveau suit la pente fatale et fantaisiste des divagations, mais bien le rêve, “ce dimanche de la pensée”, continuateur de l’action par le mouvement perpétuel de la réfl exion en puissance, qui fait insensiblement revenir dans le cerveau créateur, la spontanéité, qualité indispensable des œuvres de génie1. » Il défi nit aussi le rôle de l’artiste, qui est de « se tracer une route, vers ces rivages lointains où se meut la vérité, démêler les besoins de la collectivité et manifester dans la forme, ce rêve d’infi ni qu’il porte en lui et qui n’est, à tout prendre, que le besoin inné d’immortalité som-meillant au fond de toute conscience humaine2 ». Il n’est donc pas illégitime de proposer l’étude de son Projet onirique en regard de celle des poèmes de Baudelaire, notamment « Rêve parisien » qui décrit un palais minéral dont l’architecture pourrait faire penser à celle d’Henry Provensal. Il est encore plus légitime de rapprocher les deux artistes, puisque le dessin représente le tombeau d’un poète, qui pourrait être Baudelaire. On pourra rapporter aux élèves, pour sa valeur anecdotique, le tour plutôt paradoxal que prit la deuxième partie de la carrière de cet architecte, puisqu’il donna des cours d’hygiène, à une époque où l’hygiénisme préoccupait les autorités politiques et sanitaires, et participa à la construction d’habitations à bon marché (HBM), pour lesquelles il défendait une taille humaine (donc très loin de l’aspect monumental de ce tombeau !).

Un Beau minéral et idéalisé

La beauté architecturale de ce dessin évoque certains poèmes de Baudelaire. La construction minérale domine fortement la com-position, en occupant les deux tiers inférieurs de l’image. On dis-tingue à l’arrière-plan un cours d’eau, élément présent également dans « Rêve parisien ». Le choix d’un ciel nocturne donne à ce pay-sage une atmosphère étrange, presque fantastique. Il est d’ailleurs paradoxal de représenter un bâtiment de nuit, et la lumière qui éclaire l’édifi ce semble surnaturelle. Sa source se trouve hors-champ, à droite de l’image, comme nous l’indique l’ombre de la statue ailée : il est donc impossible pour le spectateur de l’identifi er. Il ne peut s’agir du soleil, puisqu’il fait nuit. Mais les dimensions gigantesques du bâtiment nécessitent une source de lumière hors du commun : seule une puissance d’ordre divin pourrait illuminer le tombeau du poète. Les élèves seront certainement touchés par l’aspect monu-mental de ce bâtiment, évoquant des univers de science-fi ction ou de fantasy qui leur sont familiers. Certains y verront à juste titre des références aux pyramides égyptiennes, autres tombeaux monumen-taux. Mais d’autres trouveront peut-être cette esthétique trop froide, impersonnelle, ce qui ne relève pas non plus du contresens.

1. H. Provensal, L’Art de demain, vers l’harmonie intégrale, Perrin, 1904, p. 11.2. Ibid., p. 311.

Un tombeau imaginaire

La légende du document guide les élèves dans l’identifi cation du bâtiment, mais on peut décider de ne pas leur révéler tout de suite le sous-titre entre parenthèses, afi n de leur laisser formuler des hypothèses, qu’ils devront justifi er. Ils pourront par exemple penser qu’il s’agit d’un temple : les grandes statues devant le bâtiment pour-raient être des divinités ou des allégories. La statue ailée ainsi que l’astre rayonnant au sommet de la pyramide renvoient à un monde céleste proche du divin. Si les élèves font le rapprochement avec les pyramides égyptiennes, ils comprendront peut-être qu’il s’agit d’un tombeau. On peut alors leur demander d’imaginer pour quel type de personnage un tel tombeau aurait été conçu : il y a de fortes chances pour qu’ils répondent qu’il s’agit d’un roi, d’un empereur, ou d’une autorité religieuse. En leur révélant le sous-titre, on les fera réfl échir aux fonctions que Henry Provensal donne implicitement au poète, d’après le tombeau qu’il imagine : guide spirituel, il mène les hommes vers l’idéal et la vérité, deux notions indissociables. Sa fonction est sacrée, presque christique comme l’indique la statue la plus à droite, les bras en croix. Certains poèmes de Baudelaire développent les mêmes aspects. On pourra aussi rappeler aux élèves que quelques années avant la création de ce dessin, en 1896, était publié sous la direction de Stéphane Mallarmé Le Tombeau de Charles Baudelaire.

Un syncrétisme architectural

L’art de Henry Provensal est empreint de diff érentes infl uences architecturales : la composition symétrique du bâtiment fait réfé-rence à l’art classique, la forme pyramidale à l’Égypte, la structure en terrasse aux ziggourats babyloniennes. Le soleil au sommet de la pyramide peut évoquer le dieu Amon-Râ, la statue ailée une allégorie grecque ou un ange, qui guide les âmes à ses pieds. Cet éclectisme, qui se développe en architecture à la fi n du XIXe siècle, donne au bâtiment cet aspect onirique, irréel. S’ajoute à cela une atmosphère orientalisante, notamment grâce au paysage déser-tique à l’arrière-plan. On peut demander aux élèves de réfl échir à des rapprochements avec « Rêve parisien », ou d’autres poèmes des Fleurs du mal, où l’on trouve des références à un tel univers, consti-tué d’un amalgame d’images évoquant une dimension lointaine dans le temps et l’espace (comme « La vie antérieure » par exemple).

Une froideur étrange

Une analyse plus approfondie de la technique du dessin d’archi-tecture permettra aux élèves de mieux comprendre leur propre réac-tion lors de la découverte de cette œuvre. La beauté et la froideur de cette image sont dues à ses couleurs, froides et contrastées, et à ses lignes droites, géométriques. Chaque ligne contribue à la construc-tion d’une perspective, qui étrangement ne fi ge pas l’image mais au contraire la dynamise. L’angle de vue de trois-quarts et le mouvement de la statue vers la droite contribuent à cette impression de mouve-ment, comme si le tombeau s’approchait de la divinité qui l’éclaire.

Conclusion

On peut donc lire cette image comme l’hommage d’un art poé-tique dont Baudelaire serait la parfaite incarnation. Les élèves pren-dront alors conscience que tous les arts ont pu se nourrir de la poésie, même ceux ayant une dimension utilitaire comme l’architecture.

Séance 5 Paysage rêvé et paysage peintLE PEINTRE DE LA VILLE MODERNE

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 15

sonnages comme autant de « types sociaux » –, peuvent être dits « moralistes ». La Bruyère, quant à lui, réunit ses réfl exions ou por-traits sous le double titre Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. La Fontaine évoque aussi la cour de Louis XIV dans nombre de fables, par exemple « Les obsèques de la lionne ». Le moraliste a donc quelque parenté avec le satiriste ou le caricaturiste, et l’on n’hésitera pas à emprunter quelques exemples puisés dans une culture plus populaire : chansons (« J’suis snob » ou « La complainte du progrès » de Boris Vian), bandes dessinées (Claire Bretécher, par exemple), dessins de presse, sketchs (Pierre Desproges)… On pourra solliciter les élèves pour actualiser les références !

Cependant, le moraliste dépasse la description pour livrer une analyse. Sondant les ressorts secrets des comportements et des pas-sions, il est fi n psychologue, à la façon d’un Marivaux dont toutes les pièces, ou presque, explorent la subtile alchimie du sentiment amoureux. Souvent, passant au crible ce que l’on tient pour vices ou pour vertus, il démystifi e les fausses grandeurs, met au jour les motivations peu louables à l’origine de comportements qui sus-citent l’admiration, les intentions troubles que l’on masque à autrui comme à soi-même : car « nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés », si l’on en croit La Rochefoucauld qui place cette phrase en exergue à ses Maximes.

En outre, sous les types sociaux de son époque, le moraliste retrouve des « caractères » humains : il dépeint l’homme de tout temps en brossant le portrait de l’homme de son temps. Car, qu’elle guide l’observation ou que l’observation y conduise, c’est une réfl exion sur la nature et la condition humaines qui est livrée. On trouve ainsi dans Les Caractères de La Bruyère un chapitre inti-tulé « De l’Homme », tandis que La Rochefoucauld énonce que « le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fi xement » (Maximes, 26), ou que Pascal affi rme par exemple que c’est « être misérable que de se connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable » (Pensées, 146).

La position du moraliste

Le moraliste n’est pas « moralisateur », au sens où il ne cherche ni à démontrer ni à prescrire ce que l’on doit être ou doit faire : il demeure dans une attitude descriptive et analytique.

Cependant, le diagnostic qu’il pose est souvent empreint de pessimisme, aussi bien sur ses contemporains que sur la nature humaine, de sorte que son discours peut être diversement reçu. D’aucuns le percevront, parce qu’il décrit les travers des hommes de son temps, traque leurs faux-semblants et fausses valeurs, comme le gardien d’une vérité et d’une justesse morales qui relèveraient du passé. Il passera alors pour l’ennemi de ses contemporains. Ou bien, puisqu’il arrache les masques du moment pour découvrir le visage inchangé de l’homme éternel, le moraliste paraîtra le contempteur de l’idée même de « modernité », du moment que ce terme implique que l’histoire modifi e l’humanité et en permet

➔ Questions

1. Quel sens attribuez-vous au terme « moraliste » ? Quelle dis-tinction faites-vous avec l’adjectif « moralisateur » ?

2. Pouvez-vous donner des exemples de textes, d’auteurs, ou même simplement de phrases que vous diriez « moralistes » ?

Dans quelle mesure Baudelaire fait-il œuvre de moraliste dans les « Tableaux parisiens » ? Pour que la question puisse être envisa-gée avec les élèves, il paraît indispensable de leur rappeler ce qu’on appelle un « moraliste ». Sans doute ont-ils lu quelques fables de La Fontaine, peut-être certains caractères de La Bruyère, mais leur fréquentation d’essais de Montaigne, de maximes de La Rochefou-cauld ou de pensées de Pascal est bien improbable. En outre, la proximité du nom « moraliste » et de l’adjectif « moralisateur » entre-tient une confusion qui nuit à la compréhension intuitive du terme.

Nous proposons de livrer aux élèves une défi nition qui pré-cise à la fois l’objet qu’étudie le moraliste, la position qu’il adopte à l’égard de ce qu’il analyse et la forme d’écriture qu’il privilégie. Ce faisant, nous verrons que le terme, s’il désigne une catégorie pré-cise d’œuvres, en majorité du XVIIe siècle, peut s’étendre à d’autres qui, par leur forme et leur propos, en débordent les cadres étroits (roman, théâtre, poésie, chanson, dessin d’humour, etc.). Le profes-seur pourra compléter les quelques exemples que nous donnons, en fonction de ce qu’il aura étudié avec sa classe.

L’objectif de cette séance est aussi d’amener les élèves à formu-ler eux-mêmes, à partir de cette défi nition, les critères à l’aune des-quels ils pourront évaluer la dimension moraliste de cette section des Fleurs du mal. En conclusion, plusieurs questions sont destinées à préparer les séances suivantes.

L’objet du moraliste

En rappelant que mores en latin désigne les mœurs, et que le suffi xe d’adjectif -iste indique notamment une spécialisation, on proposera d’abord cette défi nition générale : est « moraliste » l’écrivain qui prend pour sujet d’observation les mœurs de ses contemporains, et les décrit de façon à mettre en relief leurs carac-téristiques, et en général leurs travers. Si l’on s’en tient à ce premier sens, un dramaturge comme Molière – qui peint les vices de ses contemporains –, un romancier comme Balzac – qui conçoit ses per-

Qu’est-ce qu’un moraliste ?

Objectifs � Apporter quelques éléments de culture littéraire

et générale. � Introduire les séances qui suivent.

Durée : 1 heure.

Repères, culture humanisteDU FLÂNEUR AU MORALISTE

Séance 6

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16 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

même le progrès. Plus encore, on le considérera comme « l’ennemi du genre humain », si l’image qu’il donne de l’Homme semble par trop négative.

Mais le moraliste n’est pas forcément misanthrope, et il ne suffi t pas d’être misanthrope pour être moraliste. Car le moraliste ne dénie ni l’aspiration à la vertu, ni la possibilité même de toute vertu : il démasque seulement imposteurs et impostures. D’autre part, il ne se retranche pas de la communauté humaine, puisqu’au contraire il est souvent l’observateur curieux de la diversité des comportements et de la complexité humaine, quoique le travail d’analyse cherche à les unifi er et à les clarifi er en découvrant les mécanismes psycho-logiques qui les produisent. Enfi n et surtout, il ne s’abstrait pas du commun des mortels. Sa position est fondamentalement ambiguë : à la fois à l’extérieur et à l’intérieur. Observant les hommes, il les juge, mais il s’inclut aussi dans le lot. Ainsi va le monde et je n’en suis pas satisfait ; ainsi sont les hommes, mais je leur ressemble. C’est pourquoi nombre de moralistes utilisent le pronom « on ». Montaigne est aussi moraliste  : partant de l’observation de son « moi » (« c’est moi que je peins »), il peut connaître l’homme, puisque « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».

L’écriture moraliste

Les œuvres considérées comme « moralistes » présentent cer-taines caractéristiques d’écriture.

Privilégiant une attitude descriptive, analytique, et non démons-trative ou prescriptive, l’écriture moraliste se caractérise par sa dis-continuité et son morcellement. Le moraliste propose ainsi des réfl exions, portraits, maximes, essais, pensées, aphorismes au lieu de rédiger un discours ou un traité, s’adaptant ainsi à la complexité et à la diversité des hommes. La brièveté et le désordre des nota-tions servent aussi le refus d’une posture d’autorité, là où un propos suivi et construit l’affi rmerait. Laissant au lecteur le soin de tisser des liens, de rétablir un ordre, il l’invite à construire son propre sens.

La forme brève valorise d’autre part la pertinence de la notation et la fulgurance du trait. Le moraliste doit en eff et susciter l’impres-sion de toucher juste, tout en étonnant par la nouveauté de son observation et l’originalité de la formulation. D’où la maxime qui, plus ou moins ramassée, enferme dans une syntaxe impeccable une pensée démystifi catrice, une vérité dérangeante. D’où aussi le goût des formules paradoxales, ou de la pointe.

Enfi n, l’écriture moraliste se distingue par l’abstraction et la généralité, sensibles aussi bien dans le lexique employé (impor-tance des substantifs) que dans le temps des verbes (présent de vérité générale, d’habitude), ou le choix de tournures imperson-nelles, de pronoms indéfi nis (« on », « quiconque », « tous »…). Elle laisse souvent au lecteur le soin d’illustrer la formule générale en recourant aux cas qu’il a pu observer ou en aiguisant son acuité psychologique, sauf quand la « leçon » est préparée par un récit ou une description (fables, portraits, ou caractères).

Conclusion

Au terme de cette séance, on incitera les élèves à formuler eux-mêmes les questions qui pourront guider leur investigation des « Tableaux parisiens », afi n de déterminer dans quelle mesure on peut considérer que Baudelaire y fait aussi œuvre de moraliste.

Par exemple :– Quelles maximes ou aphorismes peut-on relever dans les

« Tableaux parisiens » ?– Quels hommes, quels comportements, quels objets observe

Baudelaire ?– Peut-on identifi er des vices, ou des vertus, chez ces êtres ?– Que révèlent-ils du Paris de l’époque de Baudelaire ?– Sont-ils représentatifs des contemporains de Baudelaire ou

représentent-ils plus généralement des attitudes devant la vie, les autres, la mort… ?

– Quelle vision de l’homme et de la condition humaine s’en dégage ?

– Peut-on parler de pessimisme chez Baudelaire ?– Quelle position adopte Baudelaire par rapport aux autres

hommes qu’il rencontre et dont il parle ? Se juge-t-il diff érent, supé-rieur, semblable ? Quels sentiments éprouve-t-il pour eux ?

– Délivre-t-il une leçon au lecteur ? Lui prescrit-il un comporte-ment, une attitude, une façon de penser ?

Séance 6 Qu’est-ce qu’un moraliste ?DU FLÂNEUR AU MORALISTE

Honoré Daumier, Après l’audience, série « Les Gens de justice », musée des Beaux-Arts de Lyon.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 17

➔ Questions

1. Relevez les indications de lieu dans les « Tableaux parisiens » : permettent-elles de se faire une idée précise de la ville, sur le plan topographique et architectural ?

2. Relevez les expressions qui allégorisent Paris et l’espace urbain : quelles images donnent-elles de Paris ?

Une ville abstraite

Dans le Salon de 1859, Baudelaire regrettait que les peintres « oublie[nt] le paysage des grandes villes, c’est-à-dire la collection des grandeurs et des beautés qui résultent d’une puissante agglomération d’hommes et de monuments » ; or, entre 1857 et 1861, sa poésie s’est ouverte à la « fréquentation des villes énormes », ce dont témoignent la section insérée dans Les Fleurs du mal de 1861, « Tableaux pari-siens », ainsi que les poèmes en prose regroupés dans Le Spleen de Paris.

Toutefois, Baudelaire ne s’intéresse guère à la « forme » de la ville, dont il regrette qu’elle « change plus vite, hélas !, que le cœur d’un mortel ». On chercherait vainement dans les poèmes le moindre pittoresque architectural, présent en revanche dans la description de la ville idéale que le poète imagine, reclus dans sa chambre (« Rêve parisien »). Le plus souvent, l’espace urbain est évoqué par des termes génériques qui interdisent la moindre localisation : la rue (« À une passante »), les quais (« Le squelette laboureur »), le fau-bourg (« Les sept vieillards »), quelque carrefour (« À une mendiante rousse »)… Ni topographie, ni toponymie précise non plus. Les lieux clos où se réunissent les joueurs dans « Le jeu » ou celui dans lequel apparaît la « chère indolente » du poème « L’amour du mensonge » ne sont ni nommés ni même spécifi és : tout au plus devine-t-on là une salle de jeu, ici un théâtre, une salle de bal peut-être, avec son éclairage au gaz et la musique qui y retentit. Et lorsque noms propres ou indications de lieu apparaissent, c’est pour évoquer un Paris disparu : par exemple les anciens lieux de plaisir, « Frascati » ou « Tivoli », que fréquentaient jadis les vieilles femmes. Mieux encore, « le nouveau Carrousel », les « palais neufs » s’eff acent, dans l’esprit du poète, devant l’image vivace de l’ancienne ménagerie qui occupait le lieu : la ville réelle disparaît pour devenir un espace mental, car les « souvenirs sont plus lourds que des rocs » (« Le cygne »).

Séance 7

Baudelaire, peintre et moraliste de la ville moderne

Objectif � Comprendre comment la ville devient l’objet d’une

réfl exion morale.

Support : La section des « Tableaux parisiens ».

Durée : 1 heure.

Étude d’ensembleDU FLÂNEUR AU MORALISTE

Un espace humain et social

Déréalisée comme espace architectural et géographique, la ville abstraite est pourtant vivante : c’est comme « puissante aggloméra-tion d’hommes » qu’elle intéresse le poète.

La foule qui se répand dans «  les plis sinueux » (« Les petites vieilles ») fait de Paris une « fourmillante cité » (« Les sept vieillards ») dont la vie excessive se manifeste par le vacarme et l’agitation. Le poète recourt fréquemment à l’allégorie pour évoquer ce tumulte permanent, comme au premier vers d’« À une passante » : « La rue assourdissante autour de moi hurlait ». Le même procédé se retrouve avec « l’Émeute » qui tempête à la vitre de la mansarde (« Paysage »), ou dans « Les aveugles » : « Ô cité ! / Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles ». Les hommes qui circulent dans la ville ne font plus qu’un avec elle, au point de ne former qu'un seul être immense : un « colosse puissant » (« Les sept vieillards »), un « vieillard laborieux » qui « empoign[e] ses outils » (« Le crépuscule du matin »).

De cette foule se détachent certaines fi gures que le hasard met sur le chemin du fl âneur, dont l’apparence singulière « raccroche » l’intérêt du poète, pour lui emprunter ce verbe : mendiante rousse dont il sait capter sous les haillons la beauté maladive, silhouette hautaine et sculpturale de la femme «  en grand deuil  », beauté « bizarrement fraîche » de la belle « indolente », corps « disloqués » des petites vieilles, regard plein de fi el des vieillards, démarche som-nambulique des aveugles. Certains objets aussi peuvent attirer son attention, comme ces « planches d’anatomie » qui dorment chez les bouquinistes le long des « quais poudreux ».

Cependant, les individus croisés valent aussi pour ce qu’ils représentent de la société parisienne. La majeure partie d’entre eux sont des marginaux, des laissés-pour-compte, tous ceux-là en somme dont le sort contredit la foi dans un progrès social, et plus généralement moral. Êtres souff rants – pauvres, solitaires, âgés, mourants, exilés, handicapés, laborieux ouvriers – et créatures de mauvaise vie (prostituées, voleurs, joueurs invétérés, criminels…) peuplent les poèmes et renvoient l’image d’une société urbaine marquée par le mal.

Un espace moral et métaphysique

Les travaux haussmanniens, en détruisant le lacis de ruelles médiévales de certains quartiers, en perçant de larges artères, en bâtissant de nouveaux édifi ces, avaient pour ambition de rationa-liser, d’assainir, d’embellir Paris ; curieusement, la ville que dépeint Baudelaire dans les poèmes des « Tableaux parisiens », qu’ils aient été composés avant ces grands changements (par exemple « Le soleil » ou les deux « Crépuscules ») ou après (entre autres « Le cygne », « Les sept vieillards », « Les petites vieilles »), conserve le même caractère sombre et labyrinthique, poussiéreux, lépreux.

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18 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

C’est une vieille capitale aux « plis sinueux », aux faubourgs anciens, aux « quais poudreux », pleine de « boue » ; un « brouillard » y forme une «  muraille immense  » («  Le cygne  ») ou envahit l’espace au point de liquéfi er la rue, de noyer tout repère stable (« Les sept vieillards »).

Mais la laideur de Paris doit avant tout se comprendre d’un point de vue moral et métaphysique. La ville moderne, parce que sa « forme change plus vite […] que le cœur d’un mortel », semble accé-lérer la fuite du temps, dont on sait qu’elle fait le malheur humain. Elle concentre aussi les douleurs et les vices. Partout s’y inscrivent les signes de la chute et de la dualité humaine, dont « Le crépuscule du soir » et « Le crépuscule du matin » témoignent tout particuliè-rement : c’est l’heure, entre chien et loup !, où la ville change de visage, où travailleurs honnêtes et criminels échangent leur place. La ville est à l’image de la multitude humaine qui s’y écoule comme le souligne la paronomase « Horrible vie ! Horrible ville ! » fi gurant dans le poème en prose du Spleen de Paris, « À une heure du matin ». Mais l’équivalence est déjà présente dans les « Tableaux parisiens » : « cité » rime avec « atrocité » dans « Les aveugles », et une même métaphore réunit ville et prostitution : « fourmillante cité », « de Paris le fourmillant tableau », « La Prostitution […] Comme une fourmilière » (respectivement « Les sept vieillards », « Les petites vieilles », « Le crépuscule du soir »).

Pire encore, dans « Les petites vieilles », la ville est un « chaos », terme qui évoque aussi bien le résultat d’une désagrégation que l’état de confusion précédant la création du monde. Chaos, tohu-bohu (nous évoquions plus haut le vacarme urbain), exacerbation des souff rances et du mal : en somme, ce à quoi aboutit la moder-nisation de la ville prouve non seulement l’inanité du progrès matériel – qui ne parvient pas à améliorer les conditions de vie –, mais encore son caractère satanique. Loin de réduire les traces de la chute, seul véritable progrès pour Baudelaire, il fait au contraire régresser à un état primitif.

Conclusion

Ainsi le fl âneur jette-t-il bel et bien un regard de moraliste sur la ville moderne, et particulièrement pessimiste. Cette ville est l’es-pace où se révèlent les mœurs et l’état de la société de son époque, laquelle, contredisant la foi dans le progrès, laisse intacte, ou pire, amplifi e, la part de souff rance et de mal attachée à la condition humaine. La foule parisienne est à l’image du « troupeau mortel », de la multitude éternelle que la mort emporte au gouff re, « des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange », dans « le branle uni-versel de la danse macabre ».

Séance 7 Baudelaire, peintre et moraliste de la ville moderneDU FLÂNEUR AU MORALISTE

Georges Stein, Les Folies-Bergères, craie et aquarelle sur papier, 29 x 39 cm, 1900, Sotheby’s, Londres.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 19

➔ Questions

1. Dans votre manuel, dans une anthologie poétique, à l’aide de vos connaissances ou grâce à un moteur de recherche, trouvez deux ou trois poèmes évoquant le crépuscule ou l’aube, du XVIe au XIXe siècle ainsi que quelques tableaux (XVIIe et XIXe siècles).

2. Pourquoi est-il justifi é de considérer ces deux poèmes comme des « tableaux citadins » ? Étudiez les éléments qui les composent et les jeux de lumière.

3. Quelle vision de la ville et de l’humanité proposent-ils ?4. Ces poèmes « frères », déjà présents dans l’édition de 1857,

sont insérés séparément dans « Tableaux parisiens » en 1861 : que vous inspire leur nouvelle disposition ?

La tradition du Crépuscule et de l’Aube

Nous nous contentons ici de fournir quelques repères qui per-mettront aux élèves de mieux saisir l’originalité de Baudelaire, sans anticiper toutefois sur l’explication à venir.

Crépuscules et aubes sont bien représentés dans la littérature ancienne et moderne ainsi que dans la peinture. Toutefois, c’est un paysage naturel saisi dans les jeux de lumière du couchant ou du lever que l’on rencontre le plus fréquemment : le crépuscule citadin n’apparaît pas avant la période romantique, et encore est-il plus souvent décrit dans le roman balzacien qu’en poésie1. L’association qu’établit « Le crépuscule du soir » entre la prostitution et la tombée de la nuit n’est d’ailleurs pas sans évoquer des romans comme Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, ou encore Volupté de Sainte-Beuve. D’autre part, Baudelaire substitue à « l’aube » une

1. Songeons par exemple à la fi n du Père Goriot, que les élèves auront peut-être étudié.

Séance 8

Paris entre chien et loup

Objectifs � Situer les deux poèmes dans un « genre » littéraire

et pictural : le crépuscule et l’aube. � Comparer deux poèmes « frères » : similitudes et

diff érences dans la peinture, dans la morale et dans

l’écriture. � Prendre conscience du soin apporté par Baudelaire

à la composition du recueil et de la section.

Supports : « Le crépuscule du soir » et « Le crépuscule du matin ».

Durée : 1 ou 2 heures, selon les objectifs retenus. La séance peut prendre place avant ou après la séance 7, « Baudelaire, peintre et moraliste de la ville moderne » : elle la prépare ou la conclut.

Lectures comparéesDU FLÂNEUR AU MORALISTE

expression qui, bien qu’équivalente pour le sens, n’appelle pas les mêmes connotations  : la note d’espoir que contient le premier terme est eff acée par le choix de « crépuscule », qui fait d’emblée du lever du jour un moment funèbre.

Le crépuscule joue en général de deux intensités lumineuses : l’or de l’astre couchant, ou bien le voile qui commence à rendre toute chose indécise et indistincte, confondant ciel et terre, rap-prochant vie et mort. La contemplation de ce moment empli de sérénité et de mystère incite au recueillement, à une méditation mélancolique mais apaisée, parfois même libératrice, sur la fuite du temps et la mort. Les tableaux du Lorrain ou de Caspar David Friedrich peuvent en fournir de bons témoignages. Mais on citera également comme illustration de cette douceur du crépuscule Hugo ou Vigny, l’un pour son « ange du soir rêveur » qui « Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures, / Les prières des morts aux baisers des vivants » (« Crépuscule »), l’autre pour qui « Le crépuscule ami s’endort dans la vallée / […] Et des fl eurs de la nuit entrouvre la prison » (« La maison du berger »).

La magie de l’aube est célébrée dès Homère dont manifeste-ment Baudelaire transpose la célèbre personnifi cation, « l’Aurore aux doigts de rose », en écrivant « L’aurore grelottante en robe rose et verte ». La beauté de l’aube fi gure aussi dans la poésie du Moyen Âge et de la Renaissance : associée à la jeunesse, à l’éternel retour ou au renouveau, l’aube est généralement un moment heureux qui dissipe les frayeurs ou apaise les souff rances nocturnes. Mais dans la tradition lyrique des troubadours, c’est aussi le moment, tandis que retentissent les premiers chants d’oiseaux, où les amants se séparent : heureusement l’espoir et la promesse des retrouvailles adoucissent leur peine !

Deux spectacles citadins

Les deux poèmes méritent la dénomination de tableaux de Paris puisqu’ils proposent une vision panoramique de la ville, comme si le regard embrassait l’espace urbain tout entier depuis un point de vue légèrement surplombant. Dans « Le crépuscule du soir », la belle comparaison du quatrain initial, « le ciel / Se ferme lentement comme une grande alcôve » resserre l’immensité de la ville jusqu’aux proportions d’une chambre, ou d’une scène de théâtre, permettant ainsi d’en donner une image globale. En réalité, cette comparaison court-circuite une analogie : de même qu’un rideau referme une alcôve, de même le soir descendant du ciel enclot Paris. Le même eff et d’unifi cation de l’espace se retrouve dans « Le crépuscule du matin », mais prend place, comme dans une composition en miroir, dans le quatrain fi nal ; en outre, c’est l’usage de personnifi cations qui cette fois-ci permet de l’obtenir.

Ainsi que Bruegel l’Ancien procède parfois, le poète juxtapose dans le même espace des fi gures variées, des scènes se déroulant dans des lieux divers, avec une fi nesse de détail qui confi ne parfois à la miniature : ainsi de « l’ouvrier courbé qui regagne son lit », des

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20 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

« femmes de plaisir » dormant la « bouche ouverte », « la paupière livide », des « pauvresses » essayant de se réchauff er, ou encore des « bruns adolescents » que « l’essaim des rêves malfaisants / Tord sur leurs oreillers ». À l’inverse, les allégories créent des personnages sur-naturels aux dimensions de l’espace urbain tout entier : la « Prostitu-tion » se répand partout dans la cité, l’aurore s’avance sur le fl euve, enfi n « Paris, en se frottant les yeux, / Empoign[e] ses outils ».

Cependant, ces deux crépuscules, se modifi ant subtilement avec les variations de lumière et intégrant par là même la dimension du temps, ressemblent plutôt au diorama de Louis Daguerre2 : ce

2. Diorama de Daguerre : sorte de spectacle théâtral dans lequel les spec-tateurs, durant une quinzaine de minutes, contemplaient un ou plusieurs «  tableaux  » dont l’apparence se modifi ait en fonction des variations de lumière. Ces « tableaux », – paysages et/ou scènes, étaient peints à la main sur des successions de toiles ou de panneaux pouvant atteindre entre 6 et 7 mètres de hauteur et de largeur, et également disposés en profondeur, cer-taines portions choisies de toiles conservant leur transparence. Les jeux de lumière, utilisant lumières artifi cielles (bougie) et lumière naturelle, permet-taient alors de modifi er la scène ou le paysage, de faire apparaître ou masquer certains éléments, produisant une impression saisissante de réalité. Ce type de spectacle fut un divertissement populaire très prisé entre 1822 et 1880 : la conversation entre les pensionnaires de la pension Vauquer dans Le Père Goriot, émaillée de jeux de mots en « rama », en témoigne ! Louis Daguerre reproduisit le principe du diorama à petite échelle, dans des boîtiers vendus à la sortie de ses spectacles. Les deux « Crépuscules », par de nombreux aspects, semblent s’en inspirer. Baudelaire d’ailleurs préfère le diorama « vivant » à la photographie mortifère, quoiqu’il ait entretenu à la fois attirance et répulsion pour l’un comme pour l’autre, selon une dualité qui lui est propre.

sont véritablement des tableaux animés. On prêtera attention, dans les deux poèmes, à l’évolution de la luminosité. Dans « Le crépus-cule du soir » : obscurcissement progressif jusqu’à la « sombre Nuit », lumière naturelle remplacée par celle, artifi cielle, des lanternes, vacillante et faible (« les lueurs que tourmente le vent »), à son tour relayée par celle, métaphorique, de la Prostitution. « Le crépuscule du matin » évoque l’extinction des lanternes par « le vent du matin », et la lutte, à l’intérieur des maisons, « de la lampe et du jour » ; ce dernier cependant peine à émerger dans « les brouillards » formant une « mer », tandis que l’aurore « s’avanc[e] lentement » sur la Seine et que Paris reste « sombre ».

L’animation est renforcée par la présence de sons et de bruits : répétés, stridents ou graves, violents le soir, mais ponctuels et plus rares le matin (« la diane », « le chant du coq »).

Enfi n, on pourra observer l’emploi du présent et de l’imparfait. Ces deux temps sont certes d’usage dans la description, mais ils conservent leur valeur aspectuelle de processus inachevé, en cours de réalisation, et contribuent aussi à animer le tableau : le présent produit l’impression d’une vision contemporaine de l’écriture et de la lecture ; l’imparfait maintient le lecteur dans l’attente du surgis-sement d’un événement.

Deux visions marquées par le Spleen

Les deux poèmes s’intéressent au moment où la ville change d’aspect avec le passage du jour à la nuit et de la nuit au jour : mais celui-ci métamorphose aussi les citadins. Le plus souvent, c’est une catégorie de population qui en remplace une autre, ce qui se traduit par l’alternance du sommeil, de la lassitude, de l’immobilité d’une part et du réveil, de l’activité d’autre part. On incitera les élèves à relever les exemples qui abondent dans chaque poème.

À première vue, l’échange de populations se lit comme une substitution du mal au bien, puis du bien au mal.

C’est particulièrement net dans « Le crépuscule du soir » où les habitants de la nuit, prenant la place de l’honnête travailleur, « savant obstiné » ou « ouvrier courbé », composent une société inver-sée, immorale. Ce sont des « démons malsaints » qui s’éveillent et vaquent à des activités sordides : les « catins », « escrocs », joueurs, « voleurs, qui n’ont ni trêve ni merci » se répandent dans la ville, sub-sumés sous l’allégorie de la « Prostitution », elle-même comparée à une « fourmilière » qui « ouvre ses issues », et grouille « comme un ver ». Toutefois, il ne s’agit pas d’une simple substitution. Cette société-là gangrène la ville, spoliant les hommes de bien du fruit de leur labeur, leur faisant une véritable guerre  : elle progresse sournoisement « ainsi que l’ennemi qui tente un coup de main », véri-table parasite « qui dérobe à l’Homme ce qu’il mange ». La cité tout entière devient « cité de fange », un véritable enfer, ne serait-ce que par la lumière vacillante mais partout présente qui en rappelle les fl ammes. Le lexique animalisant les hommes et les sons qu’ils pro-duisent contribue à en faire des êtres démoniaques : « fourmilière », « ver », « siffl er », « glapir », « ronfl er », « rugissement ». Il semble enfi n que la tombée du jour révèle ce que tout homme est véritable-ment, ou du moins sa part maudite, comme l’annonce le début du poème : « l’homme impatient se change en bête fauve ».

« Le crépuscule du matin » ne constitue pas l’exact pendant du poème « Le crépuscule du soir ». En réalité, une forme d’épuisement aff ecte pareillement créatures nocturnes et diurnes, honnêtes ou malhonnêtes. Si les « femmes de plaisir » s’abîment dans un « som-meil stupide », si les « débauchés » quittent la place, « brisés par leurs

Vue du diorama de Daguerre et du mode de changement d’éclairage du réseau, gravure colorisée, vers 1840.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 21

travaux », leur lassitude se distingue mal de celle de la femme lasse d’aimer (v. 11), ou de « l’ouvrier courbé qui regagne son lit » (« Le cré-puscule du soir ») élargi ici aux dimensions du « sombre Paris, se frottant les yeux », « empoign[ant] ses outils » pour recommencer sa journée de labeur. Tandis que le soir « le savant obstiné » sent « son front s’alourdir », au petit matin « l’homme est las d’écrire », et plus généralement « l’âme » peine « sous le poids du corps revêche et lourd ».

Car il s’agit bien d’une « fatigue » existentielle, d’un « spleen » né de la conscience d’une condition humaine condamnée au mal-heur. Toutes les formes de mal assaillent l’homme dans ces deux poèmes. Les démons nocturnes symbolisent les vices, lesquels s’incarnent plus particulièrement dans les damnés (catins, escrocs, voleurs, criminels…), mais tourmentent également les innocents, cognant indiff éremment «  les volets et les auvents  », ou prenant la forme des « rêves malfaisants » qui perturbent le sommeil des « bruns adolescents ». C’est aussi « le froid et la lésine » contre lesquels les pauvresses luttent pathétiquement, l’échec qui menace le savant ou l’écrivain. C’est toujours l’antique malédiction depuis la chute : la nécessité du labeur toujours recommencé, les souff rances des « femmes en gésine », et pour fi nir, le « gouff re commun » de la mort. Au crépuscule du soir ou du matin, que la « sombre Nuit » ou que « l’aurore grelottante » surviennent, les douleurs « s’aigrissent » ici, là « s’aggravent », hôpitaux ou hospices retentissent des « soupirs » des malades, ou du « dernier râle » des agonisants.

C’est pourquoi aucun des couples d’entités auxquelles on attri-bue une valeur contraire ne peut, chez Baudelaire, se comprendre comme une antithèse : chaque élément est ambivalent, recèle sa part maudite.

Ainsi les oppositions traditionnelles entre la nuit et le jour, la lumière naturelle et la lumière artifi cielle, le chaud et le froid sont-elles instables et toujours réversibles. Le soir est « ami », mais « complice » du criminel ; il soulage et apaise les uns, mais excite la frénésie malé-fi que des autres, exacerbe les souff rances, comme dans le poème fi gurant dans l’édition posthume de 1868, « Recueillement ». Les lumières artifi cielles, quoique associées aux activités infernales de la nuit, représentent en revanche, dans « Le crépuscule du matin », selon un système d’analogies, « l’âme » en lutte contre le « corps », l’esprit contre les limitations des sens, l’aspiration à l’idéal contre le poids du spleen, les agonisants contre la mort. C’est la lumière diurne qui se fait assassine : « la lampe », pareille à « un œil sanglant qui palpite et qui bouge », combat vainement « le jour ». Le vacarme infernal de la nuit a beau s’éteindre, la « diane » chanter, le « vent du matin » souffl er les lanternes, l’aube reste funèbre : « l’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient », le chant du coq, comparé à « un sanglot coupé par un sang écumeux », annonce le « râle » des mourants, l’aurore souff re autant du froid et de la solitude que les pauvresses.

La place de ces poèmes

Les deux « Crépuscules » formaient un diptyque dans la section « Spleen et Idéal » de l’édition de 1857 des Fleurs du mal. Ils pre-naient place au sein d’un groupe de poèmes également déplacés dans la section « Tableaux parisiens » en 1861 : « À une mendiante rousse » et « Le jeu » les précédaient, tandis que « La servante au grand cœur, dont vous étiez jalouse… » et « Je n’ai pas oublié, voisine de la ville… » les suivaient (poèmes LXV à LXX, 1857).

Leur insertion dans cette nouvelle section se justifi e puisqu’il s’agit bien de deux « tableaux parisiens », visuels et même sonores, en même temps que l’imagination du poète s’insinue dans l’esprit des diff érents habitants. Cependant, Baudelaire les disjoint et ces poèmes, tout en continuant à se faire écho l’un à l’autre, entrent en résonance avec d’autres poèmes de la section.

« Le crépuscule du soir » est placé au cœur d’un groupe très marqué par le spleen et l’angoisse de la mort, dont chaque poème, du «  Squelette laboureur  » à «  Danse macabre  », développe un aspect diff érent. En outre, « Le jeu » et « Danse macabre » semblent prolonger la peinture du Paris nocturne que l’on trouve dans « Le crépuscule du soir », en se focalisant sur les joueurs et sur les dan-seurs. Enfi n, cet ensemble de poèmes est empreint d’une tonalité nettement fantastique et macabre, et brasse des motifs empruntés à des époques diff érentes : les squelettes et écorchés, les planches d’anatomie évoquent le XVIe siècle, les «  courtisanes vieilles  » du « Jeu » plutôt le XVIIIe, et la danse macabre est un motif médiéval bien connu, par ailleurs apprécié par les artistes comme Grandville, Rops ou Christophe (dont le poème prend d’ailleurs pour point de départ une statuette).

« Le crépuscule du matin » clôt la section, et semble s’enchaî-ner au poème qui le précède, « Rêve parisien », dans lequel au rêve nocturne mais lumineux d’une ville déserte, toute minérale, suc-cède un douloureux réveil où le jour, paradoxalement, « versait des ténèbres / Sur le […] monde engourdi ». L’aube crépusculaire et froide baignant un Paris brumeux ne fait qu’amplifi er cette impression.

Séance 8Paris entre chien et loup DU FLÂNEUR AU MORALISTE

Armand Rassenfosse, Les Fleurs du mal, 1899, BnF, Paris.

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22 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Séance 9

Une vision de l’homme moderne

Objectifs � Comprendre quelle vision de l’homme moderne

et de l’homme éternel propose Baudelaire. � Analyser les moyens littéraires mis en œuvre au service

de l’étude psychologique et morale.

Support : La section des « Tableaux parisiens ».

Durée : 2 heures.

➔ Questions

1. Faites apparaître, en relevant des exemples précis, l’impor-tance accordée au corps et aux yeux dans l’ensemble des poèmes de cette section.

2. Que révèlent ces détails physiques du caractère, de l’atti-tude, des désirs ou des pensées des personnages que rencontre le fl âneur ?

3. Quels sentiments diff érents le poète éprouve-t-il pour les créatures rencontrées ?

4. Relevez les maximes qui apparaissent dans les poèmes de cette section.

Avec les « Tableaux parisiens », le poète sort de lui-même et s’ouvre à ses semblables. L’observation de la rue, les rencontres comme les distribue le hasard urbain off rent une matière concrète à la réfl exion morale et donnent lieu à la peinture de ce qu’on pourrait appeler des caractères. En eff et, si le poète dépeint en détail l’apparence circonstancielle des êtres, telle qu’elle se donne dans l’instant d’un croisement parfois fugace, c’est toujours pour en dégager, comme d’une gangue, ce qu’elle révèle de l’homme éternel. Les conclusions de cette étude psychologique et morale sont souvent pessimistes et sarcastiques. Cependant, le regard du poète moraliste, tout acéré qu’il soit, n’est pas dénué d’une com-passion fraternelle vis-à-vis de ceux qu’il perçoit aussi comme ses semblables.

Peindre l’apparence circonstancielle

Nombre de poèmes ont pour point de départ une silhouette aperçue, voire un objet, que le hasard a placé sur le chemin du promeneur. Son regard est souvent aimanté par des fi gures fémi-nines, ce qu’explique l’attrait érotique qu’elles exercent parfois, notamment la « mendiante rousse », la « passante », ou la « chère indolente » de « L’amour du mensonge ». Toutefois, cette raison ne saurait justifi er l’intérêt qu’il porte aux « Èves octogénaires », aux aveugles, ou à certains objets, comme « les planches d’anatomie » qui arborent squelettes et écorchés (« Le squelette laboureur »), ou encore la statuette décrite dans « Danse macabre ». En réalité, son regard est attiré par une singularité de l’apparence ou de l’attitude,

Étude transversaleDU FLÂNEUR AU MORALISTE

une bizarrerie, une quelconque irrégularité qui séduit ou heurte par son ridicule, son aspect absurde ou même eff rayant : ainsi des vieilles femmes, ces « êtres singuliers, décrépits et charmants », des aveugles « vaguement ridicules », « terribles, singuliers », de la beauté « bizarrement fraîche » de la femme sous les « feux du gaz », des « spectres baroques » que sont les vieillards, de la « coquette maigre aux airs extravagants » à laquelle ressemble la statuette de la « Danse macabre » , ou du cygne « ridicule et sublime », « avec ses gestes fous »…

C’est pourquoi les descriptions sont fréquentes dans les poèmes de cette section. Même si parfois quelques traits suffi sent à cro-quer sur le vif la fulgurance d’une apparition (comme celle de la belle passante dont une seule phrase fi xe la beauté, la majesté de la démarche, la dignité de la souff rance), le poète, souvent, détaille à plaisir la séduction étrange des êtres rencontrés, ou la répulsion qu’ils suscitent, témoignant ainsi de sa sensibilité à leur apparence. Deux éléments retiennent à chaque fois tout particulièrement son attention : le corps et les yeux.

Peut-être en réaction à la spiritualisation excessive du roman-tisme, ou par goût de la provocation, le corps est représenté dans tous ses âges et dans tous ses états : jeune ou vieux, dénudé, revêtu de riches étoff es ou de haillons, harmonieux dans ses gestes, ou au contraire agité de mouvements saccadés, titubant et désarticulé comme une marionnette, parfois réduit au seul squelette… Les élèves repéreront facilement les poèmes d’un grand luxe descrip-tif : « À une mendiante rousse », « Les sept vieillards », « Les petites vieilles », « Danse macabre », « L’amour du mensonge ». Parmi ceux-ci, on pourra s’attarder sur «  Les petites vieilles  » pour montrer que Baudelaire n’hésite pas à accuser le trait, à souligner comme à plaisir, non sans cruauté pour son sujet comme pour son lecteur, tout ce qui off usque le regard dans leurs corps déformés par l’âge, « monstres disloqués », « brisés, bossus ou tordus », « tout cassés », « ombres ratatinées » aux « membres discords »…

Les yeux sont aussi presque systématiquement évoqués. Le poète capte l’expression du regard qui résume à elle seule la situa-tion du personnage et son intention : ainsi celui de la mendiante « lorgnant en dessous » des bijoux qu’elle désire sans pouvoir se les off rir, ou celui de la négresse, dont « l’œil hagard » traduit la nos-talgie de son pays natal, ou encore « la prunelle trempée  / Dans le fi el » des vieillards. Souvent les yeux font l’objet de descriptions polarisées autour de deux réseaux métaphoriques opposés, mais fréquemment associés dans des formules proches de l’oxymore : ciel ou gouff re, surface miroitante ou profondeur insondable, lumière ou ténèbres, plénitude ou vide. On relèvera par exemple : « ciel livide où germe l’ouragan » (« À une passante », v. 7) ; « des yeux perçants comme une vrille, / Luisants comme ces trous où l’eau dort dans la nuit » (« Les petites vieilles », v. 17-18) ; « le gouff re de tes yeux, plein d’horribles pensées » (« Danse macabre », v. 37) ; « Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques, / Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux ! » (« L’amour du mensonge », v. 19-20).

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 23

Aller au-delà des apparences

Mais l’acuité du regard que le poète porte sur l’apparence cir-constancielle des êtres et des choses perce à jour leur vérité pro-fonde. Quelle que soit sa singularité, chacun porte en lui, pour paraphraser Montaigne, la « forme entière de l’humaine condition ». Sa situation particulière illustre le sort dévolu à l’Homme depuis la chute. Sa façon d’être révèle et porte une morale, terme qu’on peut entendre de diff érentes manières : un trait de caractère, une attitude morale face à l’existence, et enfi n une leçon. En somme, « tout […] devient allégorie » pour Baudelaire (« Le cygne », v. 31), ou, comme il le dit ailleurs : « Dans certains états de l’âme presque surnaturels, la profondeur de la vie se révèle tout entière dans le spectacle, si ordinaire qu’il soit, qu’on a sous les yeux. Il en devient le symbole. » (Fusées, XI).

Ainsi, si le poète décrit si précisément les corps, c’est parce qu’ils portent les stigmates du malheur et du mal indissociables de l’existence humaine. Malheur social de la pauvreté qui marque la « maigre nudité » de la mendiante rousse, du travail épuisant qui déforme le corps (« l’ouvrier courbé » du « Crépuscule du soir », v. 10), ou de la marginalisation, de la solitude que traduisent la situation de la négresse « piétinant dans la boue » et l’attitude des vieilles femmes : « Honteuses d’exister, ombres ratatinées, / Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ». Malheurs physiques de la cécité et de la décrépitude de l’âge, qui impriment aux mouvements du corps une raideur disgracieuse, faisant des uns des « mannequins », des autres des « marionnettes ». Mal moral aussi, celui de la débauche qui fait la « paupière livide » et abrutit en un « sommeil stupide » (« Le cré-puscule du matin »), celui de la rapacité qui se lit dans le corps ruiné des joueurs : « des visages sans lèvre, / Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent, / Et des doigts convulsés d’une infernale fi èvre » (« Le jeu »). Mal universel de la mort, que véhicule tout particulière-ment l’image obsessionnelle du squelette, courant en de multiples variations d’un poème à l’autre. C’est là la « maigreur » de la men-diante, ici « les seins maigres et froids » des pauvresses, ailleurs « les maigres oreilles », ou encore des « débris d’humanité pour l’éternité mûrs », si « disloqués » et « frêles » qu’on croit entendre le bruit de « sonnettes » qu’ils font en marchant. Rien en somme qui distingue ces êtres vivants de la « coquette maigre » qu’on trouve dans « Danse macabre », car, au demeurant, tout homme est déjà squelette, peu importent le parfum ou la toilette (v. 41-43). C’est pourquoi la des-cription de la Mort fait écho à celles des autres femmes évoquées : « noble stature » qu’on rapprochera de la passante « agile et noble, avec sa jambe de statue » ; « bayadère sans nez » mais souriant de « ses trente-deux dents », presque mieux lotie que les « courtisanes vieilles » aux « mâchoires sans dents » ; « gouff re de [ses] yeux » tandis que d’autres sont « puits » ou « creusets » (« Les petites vieilles »), ou encore « vides » et « profonds » (« L’amour du mensonge »).

Face à l’œuvre sourde de la mort partout à l’œuvre, face à la vie pleine de malheurs, face au mal universel, les attitudes cependant ne sont pas toujours équivalentes. Les corps, les comportements, les regards sont autant de signes mystérieux que sonde le poète pour y déchiff rer la façon dont les uns aff rontent leur sort, ou dont les autres s’aveuglent.

La plupart préfèrent le divertissement, au sens pascalien du terme, comme ces joueurs dont les visages creusés et les gestes convulsifs révèlent « la passion tenace » du jeu leur permettant d’ou-blier « l’abîme béant » sous leurs pieds, leur off rant l’illusion d’une vie plus intense, ou comme ces « danseurs prudents », ces « fi ers mignons  » dont les « amères nausées  » devant la Mort prouvent

l’aveuglement sur ce qu’ils sont déjà : des « Antinoüs fl étris », des « cadavres vernissés ». La terreur qu’elle inspire est telle que beau-coup seraient prêts à s’enfoncer dans le mal (jeu, orgies…) pour s’étourdir, ou endurer les pires souff rances dans l’espoir d’esquiver le néant : « maint pauvre homme […] préférerait en somme / La douleur à la mort et l’enfer au néant ! » (« Le jeu »).

Certains restent taraudés par la nostalgie d’un idéal, par « un désir sans trêve », et leur eff ort « ridicule et sublime » pour y atteindre se lit dans leurs corps ou leurs yeux : tels ces exilés de la vie et de la société que sont « la négresse piétinant dans la boue, l’œil hagard », ou les aveugles qui restent les yeux levés au ciel, « Dar-dant on ne sait où leurs globes ténébreux ». Mais d’autres témoignent par leur maintien d’une noblesse dans la souff rance : Andromaque «  Auprès d’un tombeau vide en extase courbée », la passante à la « douleur majestueuse », ou telle petite vieille « droite encore, fi ère et sentant la règle ». Que celles-ci aient été « mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes », ou encore « servante au grand cœur », elles atteignent toutes à une grandeur tragique, à une vertu qui les dis-

Fernand Khnopff, Who shall deliver me ?, crayons de couleur sur papier, 13 x 22 cm, 1891, collection particulière, Paris.

Séance 9Une vision de l’homme moderne DU FLÂNEUR AU MORALISTE

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24 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

tingue du vil troupeau parisien aux yeux du poète : « Telles vous che-minez, stoïques et sans plaintes, / À travers le chaos des vivantes cités ».

La position du moraliste

Devant cette collection d’êtres voués à toutes les formes du mal, Baudelaire adopte parfois une posture « en surplomb », celle d’un critique acerbe, maniant le sarcasme pour les morigéner. Tel est le cas dans « Danse macabre » où, par le recours à une prosopopée (v. 47-60), le poète et la Mort d’une même voix raillent la « risible Humanité », et dispensent une litanie de memento mori. Son pes-simisme noir naît de la conscience aiguë de la mort, mais fustige surtout les « contorsions » vaines des hommes pour esquiver l’iné-luctable : « le troupeau mortel saute et se pâme » croyant participer à la « fête de la Vie » qui est bien plutôt le « branle universel de la danse macabre ». On pourrait juger le poème moralisateur si la leçon ne se doublait d’une analyse moraliste. Celle-ci attribue l’aveuglement à la faiblesse morale des « cœurs mortels » incapables de soutenir la pensée de la mort : « Les charmes de l’horreur n’enivrent que les forts ! » (v. 36). Elle incrimine aussi la fatuité, l’amour-propre pour-rait-on dire, qui déguise à chacun ce qu’il est vraiment : « Qui fait le dégoûté montre qu’il se croit beau » (v. 44). Elle accuse enfi n « le puits de sottise et de fautes » : l’homme croit apaiser ses souff rances morales, « l’enfer allumé dans son cœur », dans l’étourdissement du plaisir, lors même que celui-ci les renouvelle.

C’est pourquoi le poète est tenté de se retrancher de l’humanité et de la foule parisienne, tel le misanthrope. Il s’enferme chez lui, dans sa mansarde près du ciel, pour s’y nourrir de ses propres rêves d’idéal (comme dans « Paysage » ou « Rêve parisien »). Mais il s’agit aussi d’un véritable réfl exe de survie : comme le symbolise la mul-tiplication des « sept vieillards » identiques, maléfi ques et éternels, la multitude urbaine menace non seulement l’identité personnelle en la diluant dans l’anonymat, mais encore l’intégrité morale, men-tale et physique par la contagion du mal qu’elle semble produire, sa démultiplication infi nie.

Cependant, le poète, le plus souvent, ne s’abstrait pas de cette humanité malheureuse. «  Le jeu  » et «  L’amour du mensonge  » permettent de nuancer les sarcasmes adressés à l’humanité dans « Danse macabre ». En eff et, le poète, au miroir d’autrui, s’interroge sur son propre désir de s’aveugler : n’envie-t-il pas les joueurs qui réussissent à tromper l’angoisse du néant et jouissent d’une vie plus intense, à défaut de pouvoir la prolonger ? Ne désire-t-il pas lui aussi « fui[r] la vérité » et se contenter de « l’apparence », de l’illusion ? La contemplation des êtres et de leurs comportements, des objets, à laquelle le poète s’exhorte (« contemple », « vois »), ou qui s’impose à lui (« le noir tableau qu’en un rêve nocturne / Je vis se dérouler ») donne lieu à des interrogations qui manifestent conjointement un triple souci : celui d’en percer la signifi cation particulière, celui d’en dégager un sens généralisable à l’Homme, celui de sonder son propre cœur. Ainsi, la question qui clôt le poème « Les aveugles » (« Que cherchent-ils au Ciel, tous ses aveugles ? ») est-elle plurielle. En soulignant l’absurdité de l’attitude des aveugles, elle suggère que le poète vit dans le même paradoxe, espérant un au-delà idéal qu’il ne peut voir : comme à tout homme, celui-ci lui reste inaccessible, ce qui alimente le doute du Néant ; pour l’artiste qu’il est, c’est aussi le symbole de son incapacité à accomplir la Beauté.

Mais la véritable originalité de Baudelaire moraliste dans les « Tableaux parisiens » doit être cherchée ailleurs, principalement dans des poèmes comme « Le cygne » et « Les petites vieilles »,

composés en 1859, qu’amplifi eront, dans Le Spleen de Paris, « Les foules », « Les veuves », « Le vieux saltimbanque », et qui font écho à ses réfl exions sur la nouvelle de Poe, L’Homme des foules, sur De Quincey, ainsi qu’à celles qu’il développera dans Le Peintre de la vie moderne.

Dans de tels poèmes en eff et, le pur fl âneur voyage dans la foule en solitaire détaché et volontiers sarcastique, tout en entrant en étroite communion avec certains de ceux qu’ils croisent. Le regard posé sur les vieilles femmes ne manque pas, on l’a vu, de cruauté. L’insistance sur leur laideur bouff onne, la digression macabre sur la forme de cercueil susceptible de contenir leurs corps diff ormes, introduisent une distance qui refuse tout sentimentalisme, toute compassion larmoyante : Baudelaire exècre l’illusion fraternitaire. Cependant, « tout, même l’horreur, tourne aux enchantements » : les êtres « décrépits » sont « charmants » et le poète « de loin tendre-ment [les] surveille », comme s’il était leur « père ». C’est que, pareil au soleil qui « s’introduit en roi […] / Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais » (« Le soleil »), le poète s’insinue, grâce à son imagina-tion, dans le personnage de chacun, sans cesser d’être lui-même. Il « peut à sa guise être lui-même et autrui » et cette « sainte prostitution de l’âme qui se donne tout entière […] à l’inconnu qui passe » lui est une « ineff able orgie » (« Les foules »). Parce qu’il peut revivre ce que ces déshérités ont vécu, son énergie s’en trouve décuplée, sa vie, multipliée :

Je vois s’épanouir vos passions novices ;Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices !Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ainsi la posture de Baudelaire moraliste est-elle fondamentale-ment ambiguë, et même réversible. Spectateur de la foule à la fois extérieur et intérieur à chacun, le poète fuit sa brutalité mais en fait aussi « son miel », éprouvant des jouissances secrètes. Témoin des « innombrables rapports » qui naissent du croisement des hommes entre eux, et des hommes aux choses, ainsi qu’il l’explicite dans « Les foules », il découvre aussi quels rapports le relient à autrui. Sachant rester seul dans la multitude, il demeure un et se multiplie dans et par tous. Son rire grinçant, sa répulsion haineuse se muent en compassion pour les « monstres innocents » qui peuplent Paris ; les jugements accusateurs qu’il porte sont aussi d’amers retours sur lui-même.

Écrire en moraliste

On trouve dans l’œuvre entière de Baudelaire un goût certain pour la formule générale, particulièrement développé dans Mon Cœur mis à nu et Fusées, mais manifeste dans ses poèmes aussi. L’exemple le plus évident en est « Danse macabre », dont les élèves repéreront d’autant plus facilement les nombreuses maximes qu’elles adoptent la forme bien connue de l’avertissement, du memento mori. Mais elles sont souvent plus discrètes. Leur ton est changeant  : sarcasme, ironie macabre, déploration, déclaration euphorique (comme celle qui forme la conclusion du « Soleil »), interrogation inquiète… Surtout l’usage qu’en fait le poète dans les « Tableaux parisiens » est varié.

La maxime peut former le point de départ d’un poème comme pour «  Les sept vieillards  » (premier quatrain) ou «  Les petites vieilles » (v. 2). Dans ce cas de fi gure, on assiste à un double ren-

Séance 9 Une vision de l’homme moderneDU FLÂNEUR AU MORALISTE

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 25

forcement : le récit ou la description qui suivent ont pour fonction d’expliciter et d’illustrer la vérité générale, qui n’avait rien d’évident, tandis que celle-ci valide par avance l’authenticité de l’expérience racontée, si surprenante soit-elle.

La maxime peut aussi constituer le point d’aboutissement d’un poème. Elle se présente alors souvent comme le fruit d’une médi-tation engendrée par une scène vue (« Le jeu ») ou un objet (« Le squelette laboureur  »), qui en dévoile la signifi cation profonde. La désagréable surprise que constitue cette vérité découverte est généralement soulignée par une ponctuation expressive, exclama-tion ou interrogation rhétorique.

On trouve enfi n des maximes au cœur même d’un poème. C’est le cas pour la remarque que le poète glisse entre parenthèses dans « Le cygne » (v. 7-8), pour la digression sur le cercueil des petites vieilles (v. 21-32). Leur apparence de propositions incidentes et accessoires est trompeuse, et on montrera aux élèves en quoi elles se rattachent au poème entier : ainsi du « Cygne » qui affi rme la puissance de la mémoire du poète face à la force destructrice du Temps, matérialisée par les métamorphoses accélérées de la ville moderne ; ainsi des « Petites vieilles », poème qui fait de la réversi-bilité de l’horreur et de l’enchantement, de la mort et de la vie, de la vieillesse et de la jeunesse, son sujet.

Mais ce n’est pas par la seule écriture gnomique que Baudelaire atteint à la généralité. En poète, il privilégie l’allégorie, le symbole ; en peintre de la modernité, il utilise portrait et caricature.

L’allégorie revêt plusieurs formes dans les « Tableaux parisiens ». Elle anime un objet, prête une forme humaine à une entité abstraite ou une individualité homogène à un ensemble pluriel et hétéro-clite : ainsi des écorchés et squelettes auxquels s’adresse le poète, de la mort « coquette maigre », « bayadère sans nez » ou « irrésistible gouge » ; ainsi du soir « charmant, ami du criminel », de l’aurore « gre-lottante en robe rose et verte », de Paris « vieillard laborieux », de la ville nocturne campée en prostituée et en fourmilière dans les deux « Crépuscules ». Ce procédé est souvent poussé jusqu’au fantastique mais par ce biais, le propos gagne aussi une portée générale.

Également soutenue par la comparaison et l’analogie, l’allégorie attribue à deux ou plusieurs éléments les mêmes propriétés, et les relie par un lien symbolique : ainsi du soleil qui peut symboliser le poète parce qu’ils partagent les mêmes pouvoirs, tout comme c’était le cas pour l’albatros dans le célèbre poème de « Spleen et Idéal ». Le poème le plus riche sur ce point demeure « Le cygne » : dans la pensée du poète s’unissent la grandiose héroïne tragique et l’animal « ridicule », « aux gestes fous », s’évoquant réciproquement, et symbolisant tous deux les exilés rongés « par un désir sans trêve ».

Parfois, c’est simplement l’usage du singulier défi ni, ou inverse-ment du pluriel, qui crée le symbole : tel individu, ou tel ensemble d’individus semblables, représente alors un aspect de la condition

humaine, une situation existentielle, une facette de l’Homme. Les exemples abondent : « le savant obstiné », « l’ouvrier courbé », « les aveugles », les joueurs, les danseurs, les petites vieilles…

Enfi n, les « Tableaux parisiens  » présentent l’esquisse de ce que Baudelaire développera dans les poèmes en prose, qui sont peut-être à la poésie versifi ée ce que sont à la peinture les dessins, pastels, aquarelles, lithographies ou caricatures. Pour dégager de la circonstance et de la triviale modernité la grandeur épique et éternelle qu’elle recèle, Baudelaire insère de petits portraits croqués sur le vif dans ses poèmes : celui de la belle inconnue par exemple, ou celui d’une vieille femme pleine de dignité à laquelle il consacre trois strophes. Cependant, quand il s’agit de tendre à l’homme et à la société un miroir, ces portraits se font caricatures… Morale et esthétique ne sont pas dissociables.

Séance 9Une vision de l’homme moderne DU FLÂNEUR AU MORALISTE

La danse macabre : la mort et le laboureur, miniature, XVe siècle, BnF, Paris.

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26 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

La beauté et la laideur : représentation d’un contraste

Objectif � Analyser la vision esthétique développée par Baudelaire,

à la fois par le regard et par l’écriture.

Supports : « Les sept vieillards », « Les petites vieilles », « Les aveugles », « L’amour du mensonge ».

Durée : 1 à 2 heures.

➔ Questions

1. Relevez, dans les quatre poèmes étudiés, les indices qui montrent que l’apparition a lieu sur le mode d’une théâtralisation.

2. Quelles notations dans les quatre poèmes étudiés cherchent à traduire la beauté ? la laideur ? Comment Baudelaire met-il en tension le couple beauté/laideur ? Sous quelle forme ?

3. Pourquoi Baudelaire éprouve-t-il, selon vous, une fascination pour les spectacles « laids » ? Quelle fonction du poète est ici mise en valeur ?

4. Le « beau » baudelairien coïncide-t-il toujours nécessairement avec le bon ou le bien ? Pourquoi, à votre avis ?

Le spectaculaire moderne de la ville

Il n’est pas rare que l’apparition, synonyme de beauté ou bien de laideur, soit assez fortement théâtralisée dans les « Tableaux parisiens ». Baudelaire met volontiers ses évocations en scène sur le mode de la surprise, et place le poète dans une position souvent passive de spectateur. Paris, dans ces diff érents cas, est donc convo-qué d’abord en tant que toile de fond, comme « fourmillante cité » (« Les sept vieillards »), c’est-à-dire comme le lieu où la multitude s’écarte pour laisser placer à la vision, belle ou hideuse. Le rejet très brutal du cinquième quatrain dans « Les sept vieillards » – « m’appa-rut » – met largement en scène la surprise de l’apparition. À cette irruption s’oppose un poète spectateur souvent en position fi xe. Le poème « Les sept vieillards », dans ses trois premières strophes, le met en évidence, dès lors qu’on isole la proposition principale répartie en huit vers : « Un matin […] Je suivais […] Le faubourg ». « L’amour du mensonge » énumère les verbes « je te vois passer », « je te contemple » ; quant au cadre de la vision, il évoque une atmos-phère de théâtre, avec le son des « instruments qui se brise au pla-fond » (v. 2), du gaz ou des « torches du soir » (v. 7) qui illuminent une femme qui, comme la passante, marche lentement et majestueu-sement. Dans « Les sept vieillards », Baudelaire livre la clé de cette mise en scène en écrivant que le « décor [est] semblable à l’âme de l’acteur » (v. 8) : autrement dit, la disposition d’esprit du poète spec-tateur crée un paysage mental à son image.

Séance 10

Étude d’ensembleBEAUTÉ ET LAIDEUR

L’antithèse des villes

Selon sa formule célèbre, Baudelaire a défi ni le beau de façon ambiguë : « le beau est toujours bizarre » (Curiosités esthétiques). Il le défi nit dans Mon cœur mis à nu comme « quelque chose d’ardent et de triste ». C’est dire à quel point Baudelaire se distingue de l’idée d’une perfection classique et récuse l’esthétique dominante d’un beau qui serait fondé sur l’équilibre ou l’harmonie. Le rapport qu’entre-tiennent laideur et beauté est particulièrement mis en scène dans « Tableaux parisiens » puisque l’antithèse du beau et du laid est mise en tension dans la ville : là se donnent à voir des spectacles à la fois terribles et dignes de poésie : « Dans les plis sinueux des vieilles capi-tales, / Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements ».

Pourquoi la ville est-elle le lien des horreurs et de « l’enchante-ment » ? Sans doute parce qu’il est possible d’y lire au plus près la dégradation, la perte, le vice ou péché qui, dans la vision baude-lairienne, caractérisent l’homme. Les poèmes étudiés, notamment « Les sept vieillards », « Les aveugles », « L’amour du mensonge », montrent tous une déchéance à l’œuvre : apparition fantastique de vieillards méchants et laids ou contemplation d’aveugles pitoyables. L’évocation poétique se plaît, dans les « Tableaux parisiens  », à dépeindre des spectacles hideux  : vieillards méchants vêtus de jaune comme un ciel pollué : « un vieillard dont les guenilles jaunes / Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux », ou petites vieilles décrites comme des « monstres disloqués ». C’est surtout la ruine des corps et des visages qui fascine Baudelaire ; le poète insiste à dessein sur les signes du temps qui passe, sur les « membres discords », le dos « voûté » ou « cassé ».

Enfi n, la femme de « L’amour du mensonge » est caractérisée par les signes indubitables d’une dégradation « morbide » (v. 6), elle est comparée par une métaphore au « vase funèbre » (v. 14) qui recueille les pleurs de ses amants, et sa pâleur est soulignée. Son « front pâle » est « embelli par un morbide attrait ». Une atmosphère funèbre se dégage de la femme évoquée dans « L’amour du men-songe » qui rappelle aussi la « jambe de statue » – notation à la fois érotique et funéraire – d’« À une passante ». Il n’est pour Baudelaire que de beauté fugitive et provisoire, mais aussi de beauté fasci-nante comme la mort, évoquée comme une amante dans « Danse macabre ».

Éloge de la laideur, éloge de la poésie

Cette beauté dégradée est donc le lieu d’un nouveau plaisir esthétique. «  Je guette […] Des êtres singuliers, décrépits et char-mants » : le spectacle de la décrépitude, de la misère, fait naître chez le poète une tendresse et une admiration comme lorsqu’il observe « les petites vieilles » en se défi nissant comme leur père, non pas au sens propre, mais au sens fi guré : le poète fait exister, donne la vie.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 27

La même antithèse se retrouve entre le cercueil des vieilles, de la taille de celui d’un enfant, et cette mort à venir qui fait des vieilles femmes des « fantôme[s] » (v. 25) alors même que la poésie les fait exister de manière immortelle. Ainsi s’explique l’antithèse qui existe entre le laid et le beau. L’apparition du premier des « sept vieillards » laisse place à la même fascination pour le diff orme : « Il n’était pas voûté, mais cassé, son échine / Faisant avec sa jambe un parfait angle droit ». Chacun a beau être le siège de la « décrépitude », il est aussi celui de l’éternité (« Songe bien que malgré tant de décrépitude, / Ces sept monstres hideux avaient l’air éternel ! »). L’évocation des vieillards par la poésie fait donc d’eux des êtres idéalisés dans leur laideur. Quant à la femme de « L’amour du mensonge », elle est certes belle, puisque le poète proclame : « J’adore ta beauté », mais Baudelaire, à la fi n du poème, ne célèbre-t-il pas également l’accomplissement du travail poétique ? La beauté de la laideur implique ainsi étroitement le regard et la création tout entière.

Beauté, laideur, une question métaphysique ?

La poésie de Baudelaire tend à remettre en cause l’assertion évidente selon laquelle la beauté est du côté du bien, la laideur du côté du mal. Il y a ainsi un évident plaisir à détourner les codes esthétiques ou moraux. La première raison qui pousse Baudelaire à préférer la laideur est qu’elle est parfois la seule apparence des corps, c’est l’horreur de la matière dans laquelle se débat l’esprit. « Aimons-les ! ce sont encor des âmes », s’exclame ainsi le poète face aux « petites vieilles ». La poésie permet ainsi d’aller chercher sous l’aspect fallacieux de la matière périssable ce qui paraît immortel,

c’est-à-dire l’âme. Un tel renversement guette aussi les vieillards, puisqu’ils sont décrits comme «  sept monstres hideux  », mais ils ont également l’air « éternel ». De fait, la laideur se teinte ici d’une évocation surnaturelle, celle d’un « dégoûtant Phénix », expression parfaitement oxymorique puisque le Phénix est un oiseau qui se consume pour renaître de ses cendres. L’idéalisme permet donc d’une certaine manière de dépasser la laideur.

Une autre raison permet à Baudelaire de dépasser l’opposition traditionnelle entre laideur et beauté. Si la femme-mensonge est belle, c’est parce que le poète renferme aussi « un cœur qui fuit la vérité » et accorde du prix à l’artifi ce et la fausseté. De façon para-doxale, en eff et, le mensonge est le produit propre à l’artiste. Le faux, le laid, l’artifi ciel ou le mensonger ont donc, dans ces condi-tions, plus de valeur que le vrai, le naturel ou le beau, en fonction d’une esthétique qui fait de Baudelaire un tenant du romantisme, c’est-à-dire un adversaire de l’idéal classique. Ce triomphe de l’il-lusion ou du mensonge sur la vérité explique aussi la raison pour laquelle le poète enjoint son âme de se repaître de la laideur des aveugles  : « Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment aff reux ! / Pareils aux mannequins ; vaguement ridicules ».

On pourrait ne pas comprendre la complaisance du poète à savourer la laideur. La signifi cation de cet encouragement para-doxal ne vient qu’à l’avant-dernière strophe qui révèle, à travers une même impossibilité du poète et des infi rmes à dévisager le réel, une irrépressible aspiration vers l’invisible idéal. Le poète lui aussi est aveugle, et les aveugles, comme lui, cherchent dans un ciel vide une raison de croire et d’espérer : « Vois ! je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété, / Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ? » (v. 13-14).

Séance 10La beauté et la laideur : représentation d’un contraste BEAUTÉ ET LAIDEUR

Pieter Bruegel l’Ancien (1525-1569), Les Aveugles, détrempe sur toile, 54 x 86 cm, 1568, musée di Capodimonte, Naples.

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28 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

La versifi cation ou les couleurs du poète

Objectifs � Réviser et enrichir les connaissances en versifi cation. � Commenter l’usage de la versifi cation.

Support : La section des « Tableaux parisiens ».

Durée : 1 heure.

Séance 11

Repères, méthodeBEAUTÉ ET LAIDEUR

« La forme si vantée en lui est mesquine », disait Rimbaud de son aîné Baudelaire. Pourtant, l’un des inventeurs du poème en prose ne se laisse pas réduire à un tel jugement. Si l’essentiel des Fleurs du mal observe les règles de la poésie versifi ée, Baudelaire, comme Hugo, n’a de cesse à la fois d’emprunter aux traditions poétiques antérieures et d’innover au sein de la versifi cation. En résulte un usage du vers personnel, qui exploite les possibilités du mètre et de la rime à ses propres fi ns expressives.

Alexandrin ou octosyllabe ?

Le vers majoritairement utilisé dans les « Tableaux parisiens » est l’alexandrin. On trouve cependant avec « Le squelette laboureur » ou « Rêve parisien » deux exemples de versifi cation en octosyllabes ; c’est l’un des plus anciens vers français, qui permet un discours d’apparence plus naturelle, plus rapide. L’alexandrin, du temps de Baudelaire, est le vers roi, illustré notamment par Hugo et par Gau-tier, « poète impeccable » auquel Les Fleurs du mal sont dédiées. Il est souvent décrit comme le vers le plus proche de la prose, et off re une structure rhétorique qui favorise les antithèses et les eff ets de parallélisme, ainsi que l’expression du sentiment.

L’alexandrin est traditionnellement divisé en deux hémistiches, ou groupes de six syllabes. La forme de l’alexandrin repose sur les accents portés sur les dernières syllabes de chaque hémistiche (accent fi xe), et sur un accent interne à chaque hémistiche (accent mobile).

Travail du vers

S’il utilise abondamment l’alexandrin, Baudelaire lui apporte dans la section des « Tableaux parisiens » (postérieure à la première édition des Fleurs du mal) un certain nombre d’innovations. D’une part, il organise souvent une discordance entre la structure du vers et celle de la phrase. D’autre part, il joue des accents de l’alexandrin. Le début du poème « Le cygne » en est le meilleur exemple :

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fl euve, Pauvre et triste miroir où jadis resplendit L’immense majesté de vos douleurs de veuve,  Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

La première strophe du poème « Le cygne » manifeste plusieurs audaces de Baudelaire :

– Concordance entre strophe et vers : la citation ne comporte pas de point en fi n de strophe puisque la fi n de la phrase est rejetée dans la strophe suivante : la logique de la phrase tend à supplanter celle du vers. Le sujet « Ce petit fl euve » ne trouve son verbe qu’au vers 5, donc quatre vers plus loin. On trouve un autre exemple d’en-jambement dans « À une passante » :

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa

L’enjambement dit ici le caractère de « fugitive beauté » de la femme en marche, dont l’évocation passe alors même qu’elle est fi gée par le poète.

– Déplacement de la césure : la césure du premier vers cité est estompée par la relation prosodique forte entre verbe et objet qui tend à décomposer le vers en 3/5/4. On retrouve un tel déplace-ment de césure dans « Les sept vieillards » avec le vers « Dégoûtant Phénix, fi ls et père de lui-même ? » (3/2/1//2/4).

– Expressivité du vers : le travail sur le vers n’est jamais gratuit, il sert toujours à l’expressivité, Baudelaire jouant par exemple sur les rejets, les déplacements de césure, diérèses (« marionnettes ») et les allitérations (ici, [t]) pour exprimer la dislocation des corps lorsqu’il évoque « les petites vieilles » :

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes […] Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Où se pend un démon sans pitié ! Tout cassés Qu’ils sont […].

Résurrection du sonnet et art du quatrain

L’une des caractéristiques de la poésie de Baudelaire du point de vue de la forme consiste dans la résurrection d’une forme poé-tique jugée désuète au début du XIXe siècle : le sonnet. Héritée de la Renaissance, cette forme courte est particulièrement appréciée par Baudelaire pour sa perfection formelle, sa symétrie, mais aussi parce qu’elle est adaptée à tous les thèmes et sujets : « tout va bien au sonnet : la bouff onnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la médi-tation philosophique », écrit-il dans une lettre du 19 février 1860. Le sonnet permet de fi ger l’instant, la scène, l’apparition. Enfi n, il consi-dère que le sonnet, loin d’être une contrainte, est en réalité la forme qui convient nécessairement à la parole de l’esprit et à sa beauté.

Les « Tableaux parisiens » comportent trois sonnets. « À une pas-sante » consiste en un sonnet instantané, qui fi ge un instant. Tout comme dans « Les aveugles », le sonnet suppose une organisation de l’action : les quatrains racontent l’événement, tandis que les ter-cets mesurent les répercussions de l’apparition sur le poète et le dialogue intime qu’il entame avec la passante.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 29

Hormis les sonnets évoqués, on observe un retour au quatrain dans les « Tableaux parisiens », après les nombreux sonnets des Fleurs du mal. Les « Tableaux parisiens » montrent fréquemment des poèmes en quatrains d’alexandrins isostrophiques (c’est-à-dire des strophes régulières de quatrains répétés).

Cette forme est propre aux descriptions longues, aux énu-mérations, aux évocations lyriques (« Les petites vieilles » ou « Le cygne »). Les poèmes isostrophiques permettent en outre une pro-gression, comme « Les petites vieilles », qui évoquent d’abord les personnages au pluriel, « elles » (ou « ils ») puis au singulier « elle », avant de s’adresser directement à un « vous ». « Paysage » fonc-tionne en rimes plates sur un modèle d’énumération que mani-festent les verbes : « je veux », « je verrai », « je rêverai », etc.

Travail de la rime et des sonorités

La plupart des quatrains de Baudelaire dans les « Tableaux pari-siens » sont composés de rimes croisées (« Le cygne », « Les sept vieillards », « Les petites vieilles », etc.). En revanche, les quatrains des sonnets « À une passante » et « Les aveugles » sont caractérisés par des rimes embrassées.

Enfi n, le travail de Baudelaire sur les sonorités est particulière-ment développé dans les « Tableaux parisiens », où il sert à faire ressentir la douleur ou la détresse, l’élan de l’espoir. Toute la palette des allitérations et assonances permet ainsi d’illustrer les émotions dont il est question, comme dans « Le cygne » : « sur son cou convul-sif tendant sa tête avide » (allitération en [s], [k] et [t]) ou dans « un vieux Souvenir sonne à plein souffl e du cor » (assonance en [ɔ], allité-ration en [s]).

Les poèmes des « Tableaux parisiens » n’ont, du point de vue formel, pas exactement les mêmes caractéristiques que ceux du reste des Fleurs du mal, en particulier de « Spleen et Idéal ». La domi-nation du sonnet dans le reste du recueil – forme parfaite pour ins-taurer une continuité rêvée entre le passé et le présent, l’au-delà et la vie, la matière et l’esprit – cède ici le pas aux séries de quatrains isostrophiques qui font de « Tableaux parisiens » un intermédiaire entre la poésie et la prose, autorisant les juxtapositions ou les récits insolites et permettant une écriture qui annonce le tournant du poème en prose.

Séance 11La versifi cation ou les couleurs du poète BEAUTÉ ET LAIDEUR

Félix Nadar, Photographie de Charles Baudelaire, Archives photographiques, Paris.

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30 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

« L’amour du mensonge », une allégorie baudelairienne

Objectifs � Reconnaître le fonctionnement d’une allégorie en poésie

et dans la peinture. � Analyser la spécifi cité de l’allégorie baudelairienne.

Supports :

• Charles Baudelaire, « L’amour du mensonge », « Les sept vieillards ».

• Lorenzo Lippi, Allégorie de la simulation, vers 1640.

Durée : 2 heures.

Séance 12

Lecture analytiqueBEAUTÉ ET LAIDEUR

➔ Questions

1. Quels éléments de « L’amour du mensonge » apparentent la femme évoquée à une amante ?

2. Que symbolise selon vous, la femme décrite dans « L’amour du mensonge » ?

3. Que symbolisent « Les sept vieillards » ?4. De quels éléments a-t-on besoin pour proposer une interpré-

tation de ces personnages ?5. De telles allégories vous semblent-elles pour autant parfaite-

ment lisibles ? Pourquoi ?6. Le poème « L’amour du mensonge » peut-il dès lors vous

apparaître comme un éloge de l’art ? Pourquoi ?

Un langage symbolique

Certains indices tendent à faire des portraits des allégories. « L’amour du mensonge » s’apparente à ce genre littéraire et pictu-ral en évoquant la femme comme « un portrait » (v. 8). Un intense réseau de symboles vient également rappeler la façon dont l’allé-gorie est construite par accumulation d’objets : l’évocation du sou-venir comme une couronne (v. 10), le masque (v. 24) et l’allusion à des écrins vides évoquent une représentation comparable à celle de Lorenzo Lippi intitulée Allégorie de la simulation, qui porte un masque et près de son cœur une grenade, qui, comme la pêche, pourrait évoquer le « fruit d’automne aux saveurs souveraines ».

Les sept vieillards sont caractérisés également par des éléments symboliques d’importance : leur nombre, tout d’abord, renvoie à l’importance du chiff re « sept » dans les religions monothéistes (création du monde en sept jours, sept péchés capitaux, sept plaies de l’Apocalypse, etc.). Leur parenté physique, leur décrépitude sont

aussi des éléments symboliques essentiels ; on peut y voir la repré-sentation du temps (les sept jours de la semaine), ou bien des vices, du fait de leur diff ormité et de leur méchanceté, une interprétation qui se heurte toutefois à leur similitude.

L’allégorie libérée des contraintes

Il est pourtant remarquable de constater que la tendance allé-gorique chez Baudelaire se refuse à fi ger le sens. Contrairement à la célèbre statue de New York, allégorie de la liberté, ou à d’autres représentations bien connues, il est diffi cile de dire avec certitude que les allégories présentes chez Baudelaire ont des signifi cations défi nitivement établies. Surtout, la femme représentée suscite un désir chez le poète, profondément ambigu. « Ma chère indolente », « tes yeux attirants », un « corps [mûr] pour le savant amour » : ces notations expriment une appropriation de l’allégorie par le poète, qui joue entre l’ambiguïté du mensonge et du désir qu’il éprouve ou feint d’éprouver. Du caractère énigmatique de certains éléments (le fruit, la couronne), de l’évidente domination par d’autres qui font de la femme décrite une allégorie du mensonge ou de la fausseté, Bau-delaire construit un portrait de femme partiellement allégorique, à moins que l’allégorie ne soit une façon d’envisager l’idéal féminin.

Une analyse semblable peut être proposée pour les sept vieil-lards : l’apparition allégorique est dans le même temps niée. Est-ce un seul vieillard que le poète croit voir sept fois ? S’agit-il vérita-blement de sept vieillards, comme l’indique le titre ? Un eff et de brouillage se glisse ici entre la scène et sa perception, qui contribue à rendre l’allégorie partielle, ou du moins à la rendre subjective.

Un éloge de l’art

Dans « L’amour du mensonge », Baudelaire joue entre l’ambi-guïté qui existe entre la lecture allégorique et la lecture littérale. S’adresse-t-il à une femme conçue et évoquée comme une amante ? Se prend-il au jeu du désir à contempler un portrait ? Les deux inter-prétations se complètent et s’enrichissent pour montrer comment la beauté baudelairienne réside dans l’artifi ce et la froideur, que vient vivifi er le désir du poète. En eff et, la beauté du portrait ou de la femme est en même temps une beauté vide. Loin de renfermer un contenu métaphysique ou religieux, elle est une beauté vide, ses yeux sont de « beaux écrins sans joyaux », des « médaillons sans reliques ». Baudelaire se livre donc ici à un éloge de l’art pour l’art, à une beauté sans vérité, qui brille par la seule splendeur de son artifi ce.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 31

➔ Lecture d’image

Questions

1. Quels éléments du tableau de Lorenzo Lippi retrouvez-vous dans le poème de Baudelaire « L’amour du mensonge » ? Quels élé-ments ne se trouvent pas dans le poème ou dans le tableau ?

2. Quels éléments se détachent picturalement de la toile de façon frappante ?

3. Pourquoi pouvez-vous affi rmer presque avec certitude que ce tableau est une allégorie ?

Éléments de réponse

On retrouve de nombreux éléments qui établissent, entre le portrait peint par Lippi et le poème de Baudelaire, un rapport, même si celui-ci n’est pas nécessairement vérifi é par la biographie (il n’est pas certain que Baudelaire connaissait ce tableau, légué par un particulier au musée d’Angers en 1886). Le masque, le fruit, la pâleur du visage, les gestes d’exhibition des deux objets qui évoquent une comédienne (ainsi que le masque) font du tableau un équivalent assez fi dèle du portrait écrit par Baudelaire. En revanche, le poème de Baudelaire ajoute un certain nombre d’éléments qui sont absents du portrait de Lippi. Il met la femme en mouvement sur un théâtre imaginaire, la dote d’une antériorité du « souvenir » qui selon le poème la « couronne », autre élément qui n’est ici pas représenté.

Ce tableau permet d’illustrer le fonctionnement d’une allégorie puisqu’il met en évidence, par l’attitude de la femme représentée, toute l’importance des éléments symboliques. L’analyse des zones claires du tableau, sur fond très sombre, fait ressortir le visage de la femme, le masque ainsi que la grenade qui dessinent un triangle orienté vers la gauche. Ni le masque, ni la grenade n’apparaissent dans un contexte adéquat, et leur rapprochement suggère une parenté symbolique plus que réelle. Le masque, d’abord, représente un symbole de la fausseté, de l’apparence, et est à relier au thème du théâtre, présent dans le poème. La grenade est en revanche un élément au contenu symbolique plus fl ou : fruit décevant puisqu’il cache, sous sa rotondité rouge, une multitude de petites graines diffi ciles à manger, c’est aussi un fruit aux connotations érotiques, de par la fente qui l’entrouvre. Notons que ce triangle orienté vers la gauche souligne aussi le quatrième pôle absent de la représen-tation, situé vers l’épaule de la jeune femme et qui serait le pendant du masque. Il en découle un sentiment d’incomplétude, qui parti-cipe à l’équilibre étrange de ce portrait. Le plaisir déçu, la fausseté et le mensonge se mélangent donc dans ce tableau pour construire une allégorie du mensonge, ou, d’après le titre, de la simulation.

➔ L’allégorie baudelairienne

Défi nition de l’allégorie

L’allégorie consiste en une représentation symbolique d’une réalité abstraite. Il s’agit d’un discours parfaitement traditionnel puisqu’il constitue l’une des grandes formes de la rhétorique poé-tique depuis le Moyen Âge. On peut trouver l’allégorie en poésie, en peinture, où elle est largement représentée, ou encore en sculpture.

L’allégorie se distingue de la personnifi cation, même si elle constitue une rhétorique qui lui est proche. Elle repose sur un réseau de symboles qui permettent de créer une représentation concrète renvoyant à des éléments abstraits. Elle associe souvent ces symboles dans une fi gure humaine. On ne peut donc concevoir l’allégorie qu’à partir du moment où il existe un code commun entre la représentation et le public.

Par exemple, l’allégorie bien connue de la justice (réalité abs-traite) est constituée d’une femme concentrant plusieurs symboles : les yeux bandés (la justice ne distingue pas parmi les justiciables), tenant une balance dans sa main (la justice doit rétribuer chaque action en fonction de ce qu’elle mérite), et parfois une épée dans l’autre (la justice a la capacité de punir).

Des allégories négatives

Tout le travail baudelairien sur l’allégorie consiste dans un premier temps à établir des allégories négatives. En eff et, l’allégo-rie est traditionnellement utilisée pour illustrer des vertus. Dans un poème célèbre des Fleurs du mal, après Musset qui comparait le poète à un pélican (l’oiseau faisant don de ses proies ou de sa propre chair, selon la symbolique christique), Baudelaire choisit de comparer celui-ci à un albatros malhabile sur terre, incapable de vivre parmi les hommes, et que sa destinée n’autorise qu’à voler dans les immensités. L’exemple, analysé plus haut, de « L’amour du mensonge », montre également comment Baudelaire se plaît à inverser la valeur morale de l’allégorie, en vantant des vices person-nifi és sous l’apparence de femmes désirées.

Lorenzo Lippi, Allégorie de la simulation, 73 x 89 cm, vers 1640, musée des Beaux-Arts d’Angers.

Séance 12« L’amour du mensonge », une allégorie baudelairienne BEAUTÉ ET LAIDEUR

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32 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

Personnifi er le discours allégorique

Comme nous l’avons évoqué, l’allégorie repose sur un code commun. Sans savoir ce que signifi e la voile dans les mains d’une femme montée sur une roue, il est impossible de déchiff rer l’allé-gorie de la fortune, qui pousse chacun au gré de ses caprices. Or, Baudelaire joue sur cette dimension de l’allégorie alternant stéréo-types et symboles obscurs. « L’amour du mensonge », ainsi, pré-sente une allégorie dont le sens est mobile. S’agit-il de dépeindre le mensonge, sous les traits de cette femme ? Certains éléments permettent de le penser quand d’autres demeurent énigmatiques, et notamment sa couronne, faite du « souvenir » : un symbole qui se rattache sans doute plus sûrement à une mythologie personnelle.

D’une façon comparable, « Les sept vieillards », par leur nombre, se rattachent également à la tradition allégorique. Baudelaire fait d’eux des « monstres […] éternels », évoquant par plusieurs traits des patriarches bibliques, et se plaît à créer ces images gratuites qui semblent appeler une interprétation et la récuser à la fois, à la fois « mystère » et « absurdité ».

On comprend donc pourquoi Rimbaud et Valéry reprochaient à Baudelaire sa forme, son style : la prédominance de l’allégorie donne à sa poésie un ancrage certain dans les formes rhétoriques anciennes de la poésie. Ce faisant, Baudelaire est incontestablement un poète de l’image. Au demeurant, le critique Jean-Marie Gleize, dans Poésie et Figuration, écrit que « Baudelaire est le premier à avoir commencé d’abolir la fi guration  ». C’est particulièrement dans le détournement d’une forme poétique et rhétorique ancienne que cette fi guration est mise en crise. L’allégorie baudelairienne, dans Les Fleurs du mal, est utilisée comme machine de guerre contre l’idéalisation de l’image.

Séance 12 « L’amour du mensonge », une allégorie baudelairienneBEAUTÉ ET LAIDEUR

A. Seguin, Les Fleurs du mal, huile sur toile, 1894, collection privée.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 33

Séance 13

Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours

Supports  • Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Tableaux parisiens », 1861.

Les textes du corpus, p. 36 :• Arthur Rimbaud, Illuminations, 1886.• Léopold Sédar Senghor, Éthiopiques, 1956.

Entraînement à l’écrit du bacVERS LE BAC

➔ Sujet bac

Question sur le corpus (4 points)

Quelles sont les formes poétiques choisies par les poètes du corpus pour décrire la ville ? Quel est l’intérêt de chacune d’elles par rapport à ce thème commun ?

Écriture (16 points)

Commentaire

Vous ferez le commentaire du poème de Baudelaire, « Le cré-puscule du matin ».

Dissertation

Un poème doit-il respecter les contraintes pour être admirable ?

Sujet d’invention

Écrivez un poème en prose ou en vers libres qui décrira un quar-tier ou une ville, réels ou imaginaires.

➔ Éléments de correction

Question sur le corpus

L’urbanisation du XIXe siècle et la modernisation des villes au XXe siècle ont fasciné de nombreux artistes, parmi lesquels Baude-laire, Rimbaud et Senghor. « Le crépuscule du matin », « Villes » et « À New York » décrivent des villes, à l’aide de formes poétiques diff érentes.

Baudelaire a choisi une forme en alexandrins, vers le plus noble au XIXe siècle, pour décrire une réalité prosaïque, celle des habitants déshérités de Paris : il joue donc avec l’inadéquation de la forme et du sens. Le premier vers parle ainsi du son désagréable de la diane, terme désignant le son de la trompette ou du tambour annonçant le réveil. La diérèse « di/ane » produit un eff et peu har-monieux. La structure des vers met aussi en valeur certains termes peu poétiques : « Les pauvresses » et « Les débauchés » sont par exemple placés en début de vers. Malgré cela, le poète emploie des tournures très poétiques, comme les métaphores « essaim des rêves » ou « mer de brouillards » : il voit la beauté de ce décor pourtant délabré.

Rimbaud emploie une forme beaucoup plus libre que celle choi-sie par Baudelaire : le poème en prose, forme inspirée cependant par Le Spleen de Paris. La ville décrite est imaginaire et fantaisiste. La prose permet aux phrases de s’adapter aux dimensions « colos-sales » de ce décor et à ces formes variées, à ces bâtiments « en squares », en « circus », à « arcades » ou surplombés d’un « dôme ». Une forme poétique plus contrainte aurait certainement échoué à rendre compte de la vision du poète.

Senghor a choisi une forme intermédiaire  : le vers libre, qui se défi nit par la liberté du nombre de syllabes et par l’absence de rimes, est une forme entre la prose et le vers. Les vers ressemblent alors aux paroles d’une chanson, de jazz peut-être, puisque c’est une musique en vogue à New York dans les années 1950. L’hétéro-métrie pourrait également mimer l’irrégularité du paysage urbain, dessiné par les silhouettes des gratte-ciel de hauteurs diff érentes.

Ainsi le thème poétique de la ville peut-il être abordé grâce à des formes poétiques diff érentes, chacune adaptée à la vision sin-gulière du poète.

Commentaire

Introduction

Dernier poème des « Tableaux parisiens », section ajoutée par Baudelaire à l’édition de 1861 des Fleurs du mal, « Le crépuscule du matin » semble être le prolongement de « Rêve parisien », à la fi n duquel le poète reprenait conscience dans sa chambre misérable. Il fait aussi écho au « Crépuscule du soir » de la même section, le thème de l’aurore promettant un éventuel renouveau. Mais le pay-sage décrit est triste et vicié par ses habitants – à moins que ce ne soit l’inverse. On se demandera donc comment Baudelaire sub-vertit ce thème topique de l’aurore pour clore les « Tableaux pari-siens ». Nous montrerons qu’il décrit Paris à un moment fugitif de la journée, qui révèle une vision sombre de la ville, que l’on peut lire comme un paysage-état d’âme spleenétique.

I. Un moment fugitif

a. La fi n de la nuit

Le terme « crépuscule », couramment employé à propos du soir, peut aussi être associé – plus rarement – au lever du jour. Mais ce terme garde sa connotation liée à la nuit  : le poète décrit un moment de transition. Le premier vers s’ouvre sur le bruit matinal de la « diane », mais les « lanternes », à la rime au deuxième vers, sous-entendent qu’il fait encore sombre. Ce motif est repris au vers 6 : « La lampe sur le jour fait une tache rouge ». La lumière artifi cielle est opposée à la lumière naturelle au vers 8, où elles « combat[tent] ». Les cauchemars n’ont pas encore été dissipés : l’expression « rêves malfaisants » est un rappel du titre du recueil, Les Fleurs du mal. Le thème du sommeil apparaît au vers 4 avec les « oreillers » des ado-lescents, puis est repris au vers 14, où le verbe « dormaient » est mis

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34 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

en valeur par un contre-rejet interne. Le champ lexical du brouil-lard, que l’on trouve aux vers 20 avec « l’air brumeux » et 21 avec « brouillards », contribue à cette atmosphère mystérieuse, entre la nuit et le jour.

b. Une impression de fuite

Baudelaire a dit que « la modernité, c’est le transitoire, le fugitif ». Le moment choisi pour ce poème donne aussi lieu à un mouvement de fuite, de disparition, que le poète cherche à saisir dans ses vers. Le motif du vent contribue à cette impression de mouvement : on le trouve aux vers 2 et 8. Une impression vague et fugitive, qui donne au texte une tonalité fantastique, est associée à ce paysage urbain au vers 10 : « L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient ». Le nom « choses », très imprécis, signifi e peut-être que le poète n’a pas eu le temps d’identifi er ce qui fuit, à cause de la pénombre qui n’est pas dissipée, et du mouvement. Ainsi ce poème décrit-il un moment qu’il est diffi cile de peindre car fugitif, éphémère, ce qui est caractéristique de la modernité baudelairienne. Cela contribue à donner une vision sombre et inquiétante de la ville.

II. Une sombre vision de Paris

a. Un décor inquiétant

Le paysage est décrit de manière inquiétante : la lampe est par exemple comparée à « un œil sanglant qui palpite et qui bouge » au vers 5, semblant une menace étrange. On retrouve le thème du sang dans l’image du vers 19 : « un sanglot coupé par un sang écu-meux ». Le froid envahit Paris, le terme « frisson » est accentué à la césure du vers 10, les femmes « souffl [ent] sur leurs doigts » pour se réchauff er. Le terme « froid » est repris par un polyptote : sous forme d’adjectif à la rime du vers 15 et de nom au vers 17. La préposi-tion « parmi » donne à ce froid une épaisseur désagréable. L’aurore, personnifi ée au vers  25, est elle-même grelottante, comme les prostituées de la strophe précédente. Paris est fi nalement qualifi é de « sombre » au vers 27, le poème s’achevant par la comparaison péjorative à un « vieillard laborieux ».

b. Des habitants misérables

Les habitants de ce décor sont eux aussi décrits de manière négative. « Les femmes de plaisir » sont qualifi ées indirectement, par une hypallage, de « stupide » au vers 14. Le groupe nominal « bouche ouverte », mis en valeur au début du vers 14, leur donne une apparence peu séduisante. Leurs seins sont « maigres et froids », elles ont donc perdu ce qui pourrait les rendre désirables. Elles sont désignées par le terme « pauvresses », lui aussi en début de vers, accentuant leur misère. À cette misère sont associées la maladie et la mort, avec la fi gure des « agonisants » poussant leur « dernier râle ». Enfi n, les habitants de cette ville sont dénués de moralité : aux prostituées se joignent les « débauchés », « brisés par leurs travaux ». Cette expression est un euphémisme pour désigner leur débauche, invitant à lire l’adjectif « laborieux » qui clôt le poème de manière ironique également : aux travaux des débauchés succéderont ceux des ouvriers miséreux.

C’est donc une image peu glorieuse de Paris que peint le poète, et l’on comprend que ce paysage refl ète son état d’âme spleenétique.

III. Un « paysage-état d’âme » spleenétique

a. Un poète absent ?

Dans la plupart des poèmes des « Tableaux parisiens », le poète se met en scène à la première personne. C’est notamment le cas dans « Rêve parisien » qui précède « Le crépuscule du matin ». Mais le dernier poème de la section est uniquement écrit à la troisième

personne. On peut donc avoir l’impression qu’il se fait le peintre d’un paysage qui lui est extérieur, qu’il observe sans en faire partie. Plusieurs fois dans la section, il avait d’ailleurs exprimé son souhait de s’isoler de cette ville, dans « Paysage » ou « Le crépuscule du soir » notamment.

b. La mélancolie du poète

Cependant, on peut penser qu’il se représente à la troisième personne au vers 11 : « l’homme est las d’écrire », évoque le poète. Cette lassitude serait celle de l’absence d’inspiration, peut-être parce que ce décor dans lequel il se trouve l’empêche d’accéder à un monde idéal. Le vers 7 peut alors être relu dans ce sens : son âme serait « sous le poids du corps revêche et lourd », incapable de s’élever vers un idéal poétique et spirituel. L’amour poétique est lui aussi touché par cette déchéance : la « femme » est lasse « d’aimer », mais on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une prostituée, puisque le nom « femme » est répété au vers 13 dans ce sens. Le chant du coq comparé à un « sanglot coupé par un sang écumeux » et les « hoquets inégaux » des agonisants pourraient être des échos au chant poé-tique discordant des Fleurs du mal, qui introduit dans une forme noble subvertie des éléments prosaïques.

Conclusion

C’est donc sur le constat d’un échec que s’achève cette section. Le poète est las et ne veut plus écrire. L’aurore n’annonce pas un renouveau ; elle révèle au contraire la misère parisienne. Mais ce poème est aussi la démonstration de la modernité de Baudelaire, qui parvient à exprimer un sentiment spleenétique par la simple peinture du paysage urbain.

Dissertation

NB  : on laissera les élèves compléter ce corrigé par des exemples qu’ils connaissent, plutôt que de leur en imposer qu’ils ne connaissent pas.

Introduction

La poésie, depuis l’Antiquité, est considérée comme un genre littéraire noble, notamment à cause de l’exigence de son écriture, soumise à des règles formelles beaucoup plus sévères que la prose. Souvent, un poème est composé de vers rimant et formant des strophes, le vocabulaire employé est recherché et soutenu. Ces règles peuvent être perçues comme des contraintes, c’est-à-dire des conventions imposées par l’histoire littéraire ou le poète lui-même. On peut se soumettre volontairement à une contrainte, afi n d’en tirer un avantage plus grand, notamment l’admiration du lec-teur, sentiment d’étonnement suscité par un objet d’une qualité ou d’une beauté exceptionnelle. Mais l’idée de contrainte sous-entend également une forme de gêne et de privation de liberté. Un poème doit-il respecter les contraintes pour être admirable ? Si le respect des contraintes formelles prouve la virtuosité du poète, il peut aussi se révéler stérile. Peut-être faut-il alors savoir respecter ces règles pour mieux s’en jouer.

I. Le respect des contraintes suscite l’admiration du lecteur

a. Car il prouve la virtuosité du poète

Un poète qui parvient à respecter les formes fi xes montre sa virtuosité car il parvient à adapter son langage et l’expression de ses sentiments à des contraintes qui rendent la rédaction peut-être plus diffi cile que celle d’un texte en prose ou en vers libre. Ces contraintes peuvent être très nombreuses : nombre de syllabes dans

Séance 13 Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos joursVERS LE BAC

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS » DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 35

Séance 13Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours VERS LE BAC

les vers, respect des coupes, respect des rimes, alternance des rimes féminines et masculines, composition des strophes…

b. Car la contrainte permet de mettre en valeur une idée

Les formes fi xes peuvent mettre en valeur des mots ou des idées : les mots à la rime ou à la césure sont mis en valeur, les tercets d’un sonnet mettent en valeur la pointe, c’est-à-dire la conclusion, qui s’oppose aux quatrains. Cette forme était souvent utilisée pour comparer la femme aimée à un élément poétique : les quatrains développaient le comparant, les tercets le comparé…

II. Mais ce respect peut être stérile

a. Car la forme peut fi nir par être plus importante que l’idée

C’est ce qu’on a pu reprocher aux poètes du Parnasse, à ceux qui défendaient « l’art pour l’art » : obnubilés par la forme, ils accordent moins d’importance au sens. La poésie devient un bel objet, mais perd sa valeur morale ou intime, elle n’émeut plus.

b. Car il n’y a plus d’étonnement, donc plus d’admiration

Les poèmes fi nissent par se ressembler, l’expression personnelle et singulière du poète peut se dissoudre dans une forme trop fi gée et trop souvent employée. Le lecteur, habitué à ces conventions poétiques, n’est plus étonné.

III. Il faut donc savoir jouer de ces contraintes

a. Car l’audace peut susciter l’admiration

Les poètes qui maîtrisent une forme et la subvertissent vont sus-citer de nouveau l’admiration, comme Baudelaire par exemple. Sans renier leur héritage, ils font preuve d’une audace qui les distingue.

b. Car cela permet de s’adapter à la modernité

Mais surtout, la poésie doit s’adapter à son sujet : si le monde change, les formes poétiques doivent changer également. Baude-laire choisit ainsi la prose pour parler de la modernité de la ville de Paris.

Conclusion

La poésie est donc bien un genre propre à susciter l’admira-tion du lecteur grâce au respect de contraintes que le poète s’im-pose afi n de mettre en valeur une pensée et un langage hors du commun. Mais la poésie est aussi l’expression d’une sensibilité personnelle, qui ne saurait se soumettre à des règles arbitraires : lorsque la forme contrainte ne permet pas au poète de rendre compte de son expérience du monde, il doit apprendre à dépasser les règles pour proposer une vision singulière de la réalité.

Épreuves corrigées du Spleen de Baudelaire, 1857.

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CO

RP

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BAC ENTRAÎNEMENT

36 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

La ville en poésie

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40

TEXTE 1

Ici est décrite une ville inventée par le poète.

Villes

L’acropole offi cielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d’exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. J’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton-Court1. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor2 norwégien3 a fait construire les escaliers des ministères ; les subalternes que j’ai pu voir sont déjà plus fi ers que des Brahmas4 et j’ai tremblé à l’aspect des gardiens de colosses et offi ciers de constructions. Par le groupement des bâtiments en squares5, cours et terrasses fermées, on évince les cochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil6 bleu entre des quais chargés de candélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d’acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville ! C’est le prodige dont je n’ai pu me rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l’acropole ? Pour l’étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circus7 d’un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la chaussée est écrasée ; quelques nababs8 aussi rares que les promeneurs d’un matin de dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert des boissons polaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. À l’idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu’il y a une police, mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée des aventuriers d’ici.Le faubourg aussi élégant qu’une belle rue de Paris est favo-risé d’un air de lumière. L’élément démocratique compte quelque cents âmes. Là encore les maisons ne se suivent

pas ; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le « Comté » qui remplit l’occident éternel des forêts et des plantations prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu’on a créée.

Arthur Rimbaud, Illuminations, « Villes », 1886.

1. Palais royal proche de Londres. 2. Roi babylonien de l’Ancien Testa-ment. 3. Orthographe fréquente chez Rimbaud. 4. Divinités hindoues.5. En carré. 6. Neige printanière. 7. Un cercle. 8. Personnes aisées.

TEXTE 2 À New York

Léopold Sédar Senghor, « New York », Éthiopiques (1956) in Œuvre poétique, éditions du Seuil,

1964, 1973, 1979, 1984 et 1990.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 37

Recherches iconographiquesec e c es co ogg aphp iqquesc ec e s c gg aphp iqqu se es co o pp qque

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Créer une édition illustrée des « Tableaux parisiens »

Relecture de la section

Relisez les « Tableaux parisiens ». Pour chaque poème, relevez des éléments importants ou des détails que l’on pourrait retrou-ver dans une œuvre plastique (tableau, dessin, sculpture, œuvre architecturale, etc.). Ces mots-clés serviront à vos recherches.Ce travail peut se faire pour tous les « Tableaux parisiens », ou sur une sélection seulement, autour d’un thème par exemple (la femme, le paysage, la mort…).

Recherche dans les ouvrages imprimés

Au CDI, ou à la bibliothèque, cherchez dans les rayons « Art », « Histoire des arts », « Histoire littéraire », « Histoire du XIXe siècle » des ouvrages illustrés proposant des œuvres artistiques contem-poraines de Baudelaire. Feuilletez-les en cherchant des œuvres qui pourraient vous faire penser aux poèmes. Notez-en bien les références (titre, artiste, date, dimensions, technique utilisée, lieu de conservation), pour les retrouver ensuite sur Internet à l’aide d’un moteur de recherche.

Recherche sur Internet

À l’aide d’un moteur de recherche, cherchez les images déjà trouvées dans les ouvrages imprimés, et enregistrez-les dans un dossier créé pour votre anthologie. Si vous n’avez pas trouvé une œuvre pour chaque poème, cherchez dans un moteur de recherche, à l’aide des mots-clés trouvés lors de la première étape, d’autres œuvres. Veillez à préciser vos recherches en employant des mots qui réduiront les résultats : « portrait XIXe siècle mendiante », « paysage palais tableau XIXe siècle » par exemple. Enregistrez les images ainsi trouvées dans votre dos-sier. Vous pouvez chercher notamment sur des sites de musées, comme le musée d’Orsay.Si vous ne trouvez pas d’œuvres du XIXe siècle, étendez vos recherches à d’autres époques.

Rédaction des légendes

Pour chaque œuvre illustrant un poème, rédigez une légende de quelques lignes, présentant l’artiste et l’œuvre. Vous expliquerez également pourquoi cette œuvre peut être comparée au poème de Baudelaire.

Création de l’édition illustrée

Cherchez sur Internet les poèmes de Baudelaire, puis copiez-les dans un logiciel de traitement de texte. Vérifi ez qu’il n’y ait pas d’erreur de transcription à partir de votre livre.

Associez à chaque poème l’image choisie, en l’insérant dans votre document. Soignez la mise en page (choix des polices, du format de la page, de l’agencement des textes et des images, etc.).Votre anthologie peut aussi prendre la forme d’un diaporama (à l’aide d’un logiciel conçu à cet usage, comme PowerPoint), ou même d’un site Internet personnel. Vous pouvez alors créer une mise en page plus originale, avec des eff ets de surimpression du texte sur l’image, ou l’apparition progressive des vers au fi l du diaporama par exemple.

Mots-clés pour vos recherches

Paysage : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le soleil : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

À une mendiante rousse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le cygne : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les sept vieillards : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les petites vieilles : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les aveugles : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

À une passante : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le squelette laboureur : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le crépuscule du soir : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le jeu : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Danse macabre : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’amour du mensonge : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Je n’ai pas oublié, voisine de la ville… » : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« La servante au grand cœur, dont vous étiez jalouse… » : . . . . . .

Brumes et pluies : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Rêve parisien : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le crépuscule du matin : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Référence des œuvres

(à recopier ou photocopier pour chacune)

Titre : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Artiste : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Date : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nature de l’œuvre (sculpture, peinture…) : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dimensions : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lieu de conservation : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Source où vous l’avez trouvée : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Objectifs • Mettre en rapport la littérature et les arts plastiques.• Manipuler les outils de recherche.• Justifi er des choix iconographiques.

FICHE ÉLÈVE 1

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38 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

La ville dans les « Tableaux parisiens » et Le Spleen de Paris

FICHE ÉLÈVE 2 Lecture cursive

Relisez les « Tableaux parisiens » et Le Spleen de Paris. Complé-tez ensuite le tableau suivant : chaque ligne vous demande de rapprocher des poèmes de chaque recueil. Plusieurs rapproche-ments sont possibles à chaque fois, mais il faudra justifi er vos propositions. N’hésitez pas également à souligner les diff érences. Parfois, le tableau vous indique où chercher, mais d’autres fois il faudra trouver vous-même les titres des poèmes à rapprocher. À partir du résultat de vos recherches, vous pourrez répondre à la question suivante : quel recueil vous semble off rir l’image de la ville la plus intéressante ?

Objectifs • Comparer poèmes en vers et en prose.• Pratiquer une lecture cursive non linéaire mais thématique de deux recueils.• Exprimer un point de vue personnel à propos d’une œuvre littéraire.

« Tableaux parisiens » Le Spleen de Paris Justifi cation du rapprochementTitre Citation Titre Citation

Brumes et pluies

Ô fi ns d’automne, hivers, printemps trempés de boue, / Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue / D’envelopper ainsi mon cœur et mon cerveau / D’un linceul vaporeux et d’un vague tombeau.

Un plaisant Chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire offi ciel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort.

– Thèmes communs : la boue, infl uence du paysage sur le cerveau du poète.– Mais opposition des deux poèmes : impression de langueur dans le premier, d’agitation dans le second.

À une passante

À une heure du matin

Horrible vie ! Horrible ville !

Les petites vieilles

Ah ! que j’en ai suivi de ces petites vieilles ! / Une, entre autres, à l’heure où le soleil tombant / Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, / Pensive, s’asseyait à l’écart sur un banc

Le jour tombe. Un grand apaisement se fait dans les pauvres esprits fatigués du labeur de la journée, et leurs pensées prennent maintenant les couleurs tendres et indécises du crépuscule.

Le cygne Les yeux des pauvres

vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d’un boulevard neuf encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées

Les petites vieilles

Le joueur généreux

Hier, à travers la foule du boulevard, je me suis senti frôlé par un Être mystérieux

Le jeu Et mon cœur s’eff raya d’envier maint pauvre homme / Courant avec ferveur à l’abîme béant, / Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme / La douleur à la mort et l’enfer au néant !

Le joueur généreux

Le soleil Les fenêtres Celui qui regarde au-dehors à travers une fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée.

À une passante

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beautéDont le regard m’a fait soudainement renaître,Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 39

FICHE ÉLÈVE 3 Étude d’image

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Rops et Baudelaire

6. Félicien Rops a-t-il connu Baudelaire ? Quand et à quelle occasion ? Quel poème de Baudelaire lui a inspiré un dessin ?

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Dessin et poèmes

7. Dans quelle mesure peut-on rapprocher Satan semant l’ivraie des poèmes de Baudelaire, en particulier du « Crépuscule du soir » et du « Crépuscule du matin » ?

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Objectifs • Comparer Satan semant l’ivraie de Félicien Rops avec « Le crépuscule du soir » et « Le crépuscule du matin ».• Apports culturels : la parabole du bon grain et de l’ivraie ; le travail du symboliste belge Félicien Rops.

Modalité : Travail en groupe ou personnel au CDI.Support : Félicien Rops, Satan semant l’ivraie, dessin au crayon, vers 1872, musée royal de Mariemont (Belgique).Durée : 1 heure.

Une vision satanique de Paris

La parabole évangélique

1. Retrouvez le texte de l’Évangile où fi gure la parabole du bon grain et de l’ivraie.

2. Expliquez ce qu’est une parabole.

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Description de l’image

3. Décrivez précisément l’image ci-contre.

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4. Comment transpose-t-elle cette parabole ?

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Félicien Rops

5. Cherchez des informations sur Félicien Rops et présentez-le en un court paragraphe. À quelle série d’œuvres appartient Satan semant l’ivraie ?

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Félicien Rops, Satan semant l’ivraie, aquatinte coloriée, 18 x 25 cm, 1882, musée provincial Félicien Rops.

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40 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

L’écriture poétique dans les « Tableaux parisiens »

FICHE ÉLÈVE 4 Versifi cation

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Répondez aux questions suivantes. Pour cela, parcourez les « Tableaux parisiens » et cherchez des procédés d’écriture que vous interpréterez.

Le travail sur les rimes

1. Citez des exemples de mots de sens proches que Baude-laire a rapprochés en fi n de vers. Pourquoi avoir choisi ces rimes, à votre avis ?

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2. Citez des exemples de mots de sens contraires que le poète a rapprochés en fi n de vers. Pourquoi avoir choisi ces rimes, à votre avis ?

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3. Cherchez un exemple de terme poétique que Baudelaire a mis en valeur à la rime. Justifi ez.

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4. Cherchez un exemple de terme prosaïque, peu poétique, que le poète a mis en valeur à la rime. Justifi ez.

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Le travail sur les sonorités

5. La recherche de l’harmonie musicale

a. Citez des exemples d’allitérations harmonieuses.

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b. Citez des exemples d’assonances harmonieuses.

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6. Les eff ets de la discordance musicale

a. Citez des exemples d’allitérations peu harmonieuses.

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b. Citez des exemples d’assonances peu harmonieuses.

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c. Citez des exemples de diérèses peu harmonieuses.

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Le rapport entre la versifi cation et la syntaxe

7. Certaines phrases ne respectent pas la structure du vers.

a. Trouvez un exemple de rejet.

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b. Trouvez un exemple de contre-rejet.

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c. Trouvez un exemple d’enjambement.

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d. Trouvez un exemple de césure non respectée.

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8. Citez une phrase ne respectant pas la structure en strophes.

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Objectifs • S’approprier la section par une lecture transversale.• Analyser le travail d’écriture poétique et en proposer une interprétation.

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 41

Entraînement au sujet d’invention

Écrire un poème de la ville

Travail préparatoire

1. Trouvez une manière plus pertinente, plus poétique, de désigner :

a. Une rue sombre :

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b. Un magasin bruyant :

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Objectif • Traiter le sujet d’invention suivant : « Écrivez un poème en prose ou en vers libres qui décrira un quartier ou une ville, réels ou imaginaires. »

Support : Vous pourrez vous appuyer sur le corpus de textes p. 35.

2. Quelles sont les composantes du paysage urbain que vous avez choisi ?

Lieu choisi

Saison, climat

Bâtiments

Artères

Végétaux

Présence humaine

Évaluation

3. Remplissez cette grille pour être certain que vous avez répondu aux consignes – explicites et implicites – de l’écriture d’invention. Vous pouvez faire relire votre devoir à un camarade pour qu’il vous aide à améliorer votre copie.

Critères d’évaluationAutoappréciation de l’élève

Coappréciation du camarade

Remarques du professeur

Le poème décrit un paysage urbain.

Le texte comporte des fi gures poétiques (métaphores, comparaisons, répétitions, etc.)

Une attention particulière a été portée aux sonorités (allitérations et assonances, jeux de rimes, d’échos).

La syntaxe est poétique (ordre des mots, rythme particulier, etc.).

Le lexique est riche et poétique.

La vision de ce paysage est poétique, subjective : elle n’est pas une simple description plate.

L’orthographe lexicale est juste.

L’orthographe grammaticale est juste (accords, conjugaison).

La mise en page respecte le sens du texte : la composition des vers, des strophes ou des paragraphes souligne le sens du texte.

FICHE ÉLÈVE 5

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42 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

La ville dans les « Tableaux parisiens » et Le Spleen de Paris

« Tableaux parisiens » Le Spleen de ParisJustifi cation du

rapprochementTitre Citation Titre Citation

Brumes et pluie

Ô fi ns d’automne, hivers, printemps trempés de boue, /Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue /D’envelopper ainsi mon cœur et mon cerveau /D’un linceul vaporeux et d’un vague tombeau.

Un plaisant Chaos de boue et de neige, traversé de molle carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire offi ciel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort.

– Thèmes communs : la boue, l’infl uence du paysage sur le cerveau du poète.– Mais opposition des deux poèmes : impression de langueur dans le premier, d’agitation dans le second.

À une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

À une heure du matin

Horrible vie ! Horrible ville ! – Description dysphorique de la ville.– Les assonances sont désagréables.

Les petites vieilles

Ah ! que j’en ai suivi de ces petites vieilles ! /Une, entre autres, à l’heure où le soleil tombant /Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, /Pensive, s’asseyait à l’écart sur un banc

Les veuves Avez-vous quelquefois aperçu des veuves sur ces bancs solitaires, des veuves pauvres ?

– Fascination du poète pour les êtres marginaux, solitaires, auxquels il s’identifi e, et dont la petite vieille est un exemple.– Thème du jardin public, où le poète croise ces individus.

Le crépuscule du soir

Ô soir, aimable soir, désiré par celui /Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd’hui /Nous avons travaillé ! – C’est le soir qui soulage, /Le savant obstiné dont le front s’alourdit, /Et l’ouvrier courbé qui regagne son lit.

Le crépuscule du soir

Le jour tombe. Un grand apaisement se fait dans les pauvres esprits fatigués du labeur de la journée, et leurs pensées prennent maintenant les couleurs tendres et indécises du crépuscule.

– Exemple de titre repris dans les deux recueils, avec un thème commun (ce qui n’est pas toujours le cas).– Le thème du travail est développé de manière diff érente : dans le poème en vers, le poète semble s’exclure des travailleurs (désignés par leurs bras), tandis qu’il semble s’inclure à ce groupe dans le poème en prose, puisque les travailleurs sont désignés par leur esprit.

Le cygne Paris change ! mais rien dans ma mélancolie /N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs

Les yeux des pauvres

vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d’un boulevard neuf encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées

– Transformation du Paris haussmannien.

Les petites vieilles

Dans les plis sinueux des vieilles capitales, /Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements, /Je guette, obéissant à mes humeurs fatales, /Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Le joueur généreux

Hier, à travers la foule du boulevard, je me suis senti frôlé par un Être mystérieux

– Thème de la rencontre mystérieuse, fantastique, au milieu du cadre urbain.

FICHE 2

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NOVEMBRE 2015 « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE HORS-SÉRIE NRP LYCÉE 43

FICHE 3

Une vision satanique de Paris

La parabole évangélique

1. La parabole évangélique du bon grain et de l’ivraie fi gure dans l’Évangile selon Matthieu (chapitre 13, versets 24 à 30), dont nous donnons le texte ci-après, dans la traduction de Louis Segond :« Il [Jésus] leur proposa une autre parabole, et il dit : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé une bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le blé, et s’en alla. Lorsque l’herbe eut poussé et donné du fruit, l’ivraie parut aussi. Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n’as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? Il leur répondit : C’est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent : Veux-tu que nous allions l’arracher ? Non, dit-il, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. Laissez croître ensemble l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et, à l’époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier. »2. La parabole se défi nit comme un « court récit allégorique, symbolique, de carac-tère familier, sous lequel se cache un

Le jeu Et mon cœur s’eff raya d’envier maint pauvre homme /Courant avec ferveur à l’abîme béant, /Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme /La douleur à la mort et l’enfer au néant !

Le joueur généreux

jamais je ne vis d’yeux brillant plus énergiquement de l’horreur de l’ennui et du désir immortel de se sentir vivre.

– Thème du jeu comme vice entretenant une forme de spleen.

Le soleil Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures /Les persiennes, abri des secrètes luxures

Les fenêtres Celui qui regarde au-dehors à travers une fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée.

– Thème de la fenêtre, qui parcourt les deux recueils.– Goût pour le mystère, entretenu par la fenêtre fermée.

À une passante

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté /Dont le regard m’a fait soudainement renaître, /Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Le désir de peindre

Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu’elle a disparu.

– Thème de la rencontre inattendue, de la femme mystérieuse.– Réfl exion sur la capacité du poète à peindre ou non ce qu’il voit, à représenter le mouvement dans une forme textuelle fi gée.

enseignement moral ou religieux, que l’on trouve en particulier dans les livres saints et qui fut utilisé par le Christ dans sa prédication » (selon la défi nition donnée par le CNRTL). Par extension, la parabole désigne simplement un récit symbolique et devient synonyme de fable ou apo-logue. On insistera sur l’idée que la para-bole doit être interprétée et donne donc lieu à diverses interprétations. On pourra demander aux élèves s’ils connaissent d’autres paraboles (le jugement de Salo-mon, la parabole de l’enfant prodigue ne leur sont peut-être pas inconnus).

Description de l’image

3. Le dessin représente une ville que l’on reconnaît comme Paris grâce à sa confi gu-ration générale et à la présence de certains monuments : la Seine s’écoulant de part et d’autre de l’île de la Cité où se trouve la cathédrale Notre-Dame, identifi able à ses tours notamment, et les nombreux ponts reliant les rives. La ville et ses alentours, que cerne un horizon marqué par un trait noir plus appuyé, occupent un peu plus du tiers inférieur de l’image tandis qu’une fi gure gigantesque, se détachant sur un ciel nocturne et nuageux, envahit entiè-rement et l’espace de la page et l’espace fi guré : son immensité est accentuée par le fait que la lune, peinant à se montrer dans une échancrure du ciel, se situe au niveau de ses hanches. Ce personnage foule à grandes enjambées la ville déjà écrasée et

aplatie par le point de vue plongeant ; l’un de ses pieds chaussés de sabots semble prêt à se poser sur Notre-Dame. Le titre du dessin permet d’identifi er cette créa-ture surnaturelle comme Satan, mais sa représentation est originale par rapport à celles que l’on en donne habituellement. Son accoutrement (lourds sabots, longue tunique, pantalon court, chapeau à large bord), l’ample geste de son bras droit pui-sant dans le repli de sa tunique des corps qu’il disperse ensuite à pleine poignée sur la ville, en font un paysan occupé à semer. Mais avec son corps décharné, sa face creusée, sa longue chevelure fl ottante, il fait d’abord songer à un squelette, à une allégorie de la mort, d’autant que celle-ci s’appuie souvent sur une autre image empruntée au travail de la terre : celle de la faucheuse ou de la moissonneuse. La contamination entre les deux allégories se nourrit également du fait que les corps semés par Satan sur la ville, comme autant de germes d’ivraie destinés à répandre le mal parmi les hommes, évoquent égale-ment la chute des damnés qui, au juge-ment dernier, seront précipités en Enfer. Enfi n, le regard du semeur suscite une interprétation ambivalente : l’éclat blanc fi gure la fl amboyante méchanceté de Satan, mais leur forme circulaire et le fait que leur apparence puisse aussi bien résul-ter d’un rehaut de blanc que d’une réserve sur le fond noir les font également appa-raître comme des orbites creuses.

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44 HORS-SÉRIE NRP LYCÉE « TABLEAUX PARISIENS DE BAUDELAIRE NOVEMBRE 2015

4. Les remarques qui précèdent montrent déjà que Rops transpose la parabole. Ajou-tons que l’image isole un élément de celle-ci, et ce faisant, la radicalise. Il ne retient en eff et que le moment où, de nuit, « un » ennemi vient semer l’ivraie ; en outre, l’en-nemi indéfi ni de la parabole (ce pourrait être un autre cultivateur jaloux !) devient l’Ennemi, Satan dont le nom désigne d’ail-leurs non seulement l’esprit du Mal mais plus particulièrement l’accusateur de l’homme devant Dieu, et celui qui dénigre la création. La parabole réduite à cet épi-sode seul semble donc attribuer beaucoup plus d’impact à la dissémination du mal, d’autant qu’il n’est pas sûr que dans la ville endormie, « sans âme qui vive », on puisse trouver quelques bons grains. Enfi n, le champ biblique s’est transformé en un lieu précis, Paris, qui apparaît dès lors comme le lieu choisi par le démon pour y faire fructifi er le Mal.

Félicien Rops

5. Les informations sur Félicien Rops sont nombreuses. On attend des élèves qu’ils pointent celles qui méritent d’être rete-nues dans le cadre de notre étude :– tout d’abord le fait qu’il s’est illustré dans les arts graphiques : caricaturiste, dessina-teur, illustrateur, aquafortiste, graveur.– ensuite que sa carrière l’a conduit de Bruxelles à Paris, où il a illustré les œuvres de Barbey d’Aurevilly et de Stéphane Mallarmé notamment. Il a fréquenté les milieux littéraires et journalistiques et, à l’occasion de commandes d’illustrations, connu les bas-fonds parisiens.– Satan semant l’ivraie fait partie d’une série intitulée « Les Sataniques » et com-prenant notamment Satan créant les monstres. Il existe plusieurs versions de Satan semant l’ivraie (dessin au crayon, gouache couleur, héliogravure…). Sur http://tinyurl.com/article-huysmans on trouvera l’article rédigé par J.-K. Huysmans sur cette série.

Rops et Baudelaire

6. Félicien Rops a connu Baudelaire (par l’intermédiaire de l’éditeur Poulet-Malassis avec lequel il se lie à partir de 1863) qu’il rencontre en Belgique en 1864. Admi-rateur du poète, il sera l’illustrateur des Épaves (1866) et croque La Mort qui danse en hommage à « Danse macabre ».

Comparaison

7. Les poèmes et le dessin sont bien sûr indépendants, ne serait-ce que par leurs dates respectives de composition. En outre, le dessin appartient à une série qui témoigne d’obsessions propres à Rops. On ne saurait donc parler d’infl uence.Toutefois, on remarquera les conver-gences : pessimisme moral, même noir-ceur (au fi guré comme au propre pour le dessin), vision satanique de la ville, allégo-rie, représentation fantastique…

Gustave Courbet, Charles Baudelaire à sa table de travail, peinture à l’huile, 1847, musée Fabre, Montpellier.

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• Des ouvertures nombreuses versd’autres formes d’art grâce audossier central d’analyse d’images

• Des pauses lecture et des lecturestransversales (questionnaires ettextes échos, accompagnementvers l’oral et l’écrit du Bac,groupements de textes thématiques et analyse des grands thèmes de l’œuvre)

…approfondir et prolonger

• Une problématique esthétique et culturelle à travers l’histoire(l’œuvre en débat)

• Une question au cœur de nossociétés (question d’actualité)

• L’interview d’une personnalitécontemporaine