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7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval
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UVR S DE PAUL TILLICH
Sous la direction d'Andr Gounelle et de Jean Richard
Cette nouvelle collection rpond au projet de reprendre de faon
plus systmatique la traduction franaise des uvres de Paul Tillich et
e les rassembler autant que possible en un seul lieu. Une insistance
s p ~ c a l e
est ,mise au point de dpart sur les crits de la priode alle
mande, Ce sont les moins conniis actuellement; ils pourraient c e p e n ~
dant renouveler J'interp rtation de l pense de Tillich et lu donner
assi une pertinence nouvelle pour notre temps.
1 LA
DIMENSION RELIGIEUSE DE
L
CULTURE.
CRITS DU PREMIER ENSEIGNEMENT 1919-1926). (1990)
2 CHRISTIANISME
ET
SOCIALISME.
CRITS SOCIAL1STESALLEMANDS (19 19-:1 931). (1992)
3. CRITS CONTRE LES NAZIS 1932-1935). (1993)
4. SUBSTANCE CATHOLIQUE ET PRINCIPE PROTESTANT. (1996)
5
DOGMATIQUE. COURS DONN MARBOURG
EN 1925.
(1997)
6.
LE
COURAGE D TRE. (1999)
Paul Tillich
, .
A
.
LE COURAGE D ETRE
Traduction et introduction de Jean-Pierre LeMay
Les ditions du Cerf
ditions Labor et Fides
Les Presses de l'Universit Laval
1999
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(uvres de Paul Tillich)
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Ce chef-d uvre de Paul Tillich mrite d tre connu, lu et relu,
car, plus
qu un
livre succs amricain des annes cinquante,
Le cou
rage d'tre est un livre de fond qui apporte une rponse pertinente la
question toujours actuelle de 1 angoisse existentielle et du dsespoir.
Son auteur, Paul Tillich (1886-1965), vcut en Allemagne de sa
naissance jusqu en 1933, c est--dire jusqu sa courageuse dnoncia
tion du nazisme; puis, l autre partie de sa vie se droula aux tats
Unis, pays d exil et d adopti on oii l fit une brillante carrire de profes
seur de thologie et de philosophie. Il mourut le 22 octobre, dans un
hpital de Chicago, aprs une courte maldie d une dizaine de jours. Il
avait 79 ans.
L uvre de Tillich, l insta r de sa vie, se divise en deux parties :
les crits de la priode allemande (1919-1933) et ceux de la priode
amricaine (1933-1965). Le livre he Courage
to e
appartient l u
vre amricaine, mais la corrlation angoisse-courage
se
trouve dj d
veloppe dans la Dogmatique de 1925 en termes de mlancolie
courage
(Schwermut-Mut). Dj, dans cet ouvrage, Tillich prsente le
courage comme une dtermination ontologico-thologique permettant
l tre cr de ne pas s enliser dans la mlancolie de son tre fini, ce
qui nous nvite ne pas faire du Courage d'tre un livre uniquement
li des circonstances trs prcises comme celles de la guerre froide,
la peur
d un
conflit nuclaire ou la soi-disant angoisse de l absurde des
annes cinquante. Il y. a quelque chose d irrductiblement tr.anshistori-.
que dans ce liv:te qui nous saisit ou du
ni
oins qui peut nous saisir l o
nous sommes dans notre existence prsente concrte.
Le courage d'tre,
pour une bonne part, est n d un e srie de con
frences que Tillich a donnes l Universit de Yale dans le cadre des
Terry Lctures. C est
Y
n effet, qu au semestre de l automne de 1950
l
prsenta quatre des six chapitres de sa monographie, c est--dire les
chapitres I, IV, V et VI. L anne:suivante,
il
crivit les chapitres II et
III. En novembre 1952, la Yale University Press publiait une premire
. dition du Courage d'tre . Ce fut le dbut d unsuccs de librairie qui
ne s est pas dmenti. Le courage d'tre connut de multiples rditions
et fut traduit en plusieurs langues
1. The Courage to Be, New Haven, Yale University Press, 1952, IX-197 p.
2. La bibliographie complte des uvres d Tillich, tablie par R. Albrecht et W.
SchBler (Schlssel zUm
Werk
von Paul Tillich, p. 202-203), mentionne des
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x
LE COURAGE
D TRE
Q u ~ e s t c e
qui fait le succs de ce petit ouvrage? Serait-ce parce
qu il
e ~ t facile lire? Il semble bien que non. ce sujet, ses biogra
phes se plaisent raconter qu il serait venu aux oreill es de Tillich que
son livretait difficile et que, particulirement, le premier chapitre of
frait
certains lecteurs
et
lectrices des difficults de comprhension
quasiment insurmontables. Il ne s en est pas offusqu, mais l
l a
relu
et a dclar :
< [ ] qu il
se lisait comme un roman3. Il serait sans
doute quelque peu
abusifd affirmer
sans plus que Le courage d tre ne
comporte pas de difficult. premie r chapitre, notamment .dans le
quel Tillich esquissede faon trs ramasse (peut-tre trop mme) une
histoire
du
concept de courage, a de quoi drouter une ectrice
ou
un
lecteur
non
prvenu.
Pour parcourir ce
roman avec plaisir et intrt et, si possible,
tre touch par son aspect librateur,
un
minimum d information
(comme avant
un
voyage l tranger) m apparat non pas forcment
ncessaire mais tout
au
moins souhaitable. Voici donc,
en
guise
d in-
troduction, quelques cls
de
lecture du Courage d tre.
1.
Dans le premier chapitre, qui se prsente, ainsi que mentionn,
comme une histoire
du
concept de courage, Tillich s emploie d
montrer que toute rflexion profonde
sut
le courage au sens thique du
terme a conduit mettre en vidence son caractre
ontologique. La
vi
se de ce chapitre n est donc pas de faire preuve d rudition, mais de
montrer que l histoire
du
concept de
courage
a pratiquement toujours
emprunt cette double voie : tantt le courage a t peru comme
une
vertumorale
ou
thique ct des autres vertus, tantt
a t peru
comme la vertu (ontologique) sur laquelle s appuient toutes les autres
vertus.
Au
risque de caricaturer un
peu
l histoire de ce concept, Tillich
prsente Platon, Aristote et Thomas
d Aquin
comme tant trois grands
penseurs de la voie thique du courage
ou
de
la
force
d me, et
il pr
sente les Stociens, Spinoza et Nietzsche comme tant les trois grandes
figures de la voie du courage ontologique. Le c o n c e p ~ de courage que
3.
traductions en allemand (1953),
enjaponais
(1954), en nerlandais (1955), en
sudois (1962), en franais (1967), en italien (1968) et en chinois (1971).
Wilhelm and Marion
PAUCK,
Pdut Tillich His Life and Thought,New York-San
Francisco, Harper Row, 1976, p. 225-226.
INTRODUCTION AU COURAGE
D TRE
Xl
Tillichentend
dvelopper est
unconcept
ontologique, c ~ s t - - d i r e
r e l e ~
vant d un rflexion sur
l tre
ou mieux
d une
interprtation de
l tre
2.
L auteur du Courage d tre
a une conception dynamique de
l tre.
L tre n est
pas pour lui une identit statique et fige mais une
puissance d tre
:
l est
cette puissance
d tre
qui rsiste et conquiert le
non-tre. Le courage plonge ses racines dans cette dynamiqu de l tre ,
dans cette victoire de
l tre
sur le non-tre. Que faut:..il entendre par
non-tre ?
Le
non-tre est
une
puissance de ngation au cur
mme
de
l tre
; son
statut
ontologique offre un caractre dialectique : il dpend
de
l tre
qu il
nie, son existence
n est
autre que
celled une
ngation
parasitaire.
Le
non-tre joue, par rapport
l tre,
un
rle analogue la
rouille par rapport au fer. Le non-tre dialectique
(m on)
peut tre ex
prim en termes
de
manque ou
mieux
de
menace
Le non-tre
est donc ce qui menace
l tre
de l intrieur
et la
conscience de cette
menace s appelle l angoisse .
3.
L angoisse
rvJe l tre humain
qu il est un
tre fini, menac
par le non-tre. Elle est comme l cho, ou le bruit d e fond dans la con
science, rd une certaine fragilit ontologique. Bien qu elle soit plus
manifestement perue
certains moments de 1 histoire
plutt
qu
d autres, l angoisse dont l est question ici n est pas de nature histori
que mais
ontologique.
Elle ne dpend pas
de
telle
ou
telle circonstance
historique;
elle
est
propre l esprit humain comme teL
On
ne peut
donc pas chapper l angoisse de la finitude, parce qu on ne peut pas
chapper
la structure de
J tre
fini, mlange
d tre
et de non-tre.
La
finitude, telle que Tillich la peroit
et
la ressent, n est ni lgre ni tra
gique mais srieuse et dramatique. On
n a
sans doute pas tort de penser
que Tillich appartient
cette longue tradition d inquitude religieuse
qui
va
d Augustin Kierkegaard en passant par Luther et Pascal. Mais
l faut galment remarquer que Tillich ne parle jamais de l angoisse
de
la finitude sans souligner le courage qui l accompagne et
permet
de
l assumer.
4: Notons galement
qu il
mentionne diverses expressions
de
l angoisse. Bien sr, l angoisse dans son sens le plus large demeure
l angoisse ontologique, angoisse qui appartient l tre fini comme tel
et
plus prcisment l tre humain comme tre pensant, .comme tre
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XII
LE COURAGE D'TRE
conscient. Dans ce cdntexte, l'angoisse n'est rien d'autre que le senti
ment d'une limitation essentielle et non accidentelle de l'existence.'II
n'en est pas de mme de l'angoisse pathologique qui requiert
l aide
mdicale et.thrapeutique. Dans le chapitre III, l'auteur plaide en fa-
veur d'une reconnaissance par la psychiatrie et
la
psychologie d'une
angoisse qui rie soit ni pathologique ni accidentelle mais bien plutt
normale
ou mieux existentielle, c'est--dire propre
.
notre tre
dans le monde. tre dans le monde, comme tre conscient, c'est prou
ver une sorte d'inquitude aux rsonances mtaphysiques, quelque
chose de bien plus profond, plus intime et plus spirituel que la dou-
reur (Miguel
de
Unamuno), c'est prouver l'angoisse. Nul besoin
d'avoir.le gnie de Dostoevski pour savoir que la conscience de l'tre
humain est une conscience douloureuse.
5. Cette angoisse, ontologique et existentielle, n'est pourtant pas
r e s s e n t i ~ de la mme manire ni avec la mme intensit toutes les
p ~ q u e s . Il y a sans doute: des priodes de notre histoire personnelle o
l'angoisse s'est fite plus oppressante;
il
en est
de
mme de l'histoire
universelle, plus prcisment occidentale, dans laquelle l'angoisse a
pris des visages plus accablants.
Les
fins d'poque, les poques de d-
. cadence peuvent tre juste titre appeles des priodes d'angoisse
pour autant qu'elles prsntent le visage
d un
prsent sans avenir.
Il
vaut la peine
de
le souligner : l'angoisse porte principalement sur la
temporalit; si le caractre phmre des choses gnre de la mlan
colie l'incertitude de l'avenir fait natre l'angoisse. Dans e
courage
d t r ~ , Tillich prsente une typologie trs ingnieuse des priodes
d'angoisse. Cette typologie, qui n a aucune prtention l'exhaustivit,
se prsente sous les traits d'une rencontre de l'ontologie, de la dimen
sion
de
profondeur o se fait entendre la question simple et difficile du
sens
de
l'tre, et
de
l'histoire, chemin
de
tous les conflits mais aussi
de
toutes les esprances. Si
le
non-tre dpend
de
l'tre qu'il nie, l est
possible de distinguer divers types d'angoisse; il
est
mme possible de
montrer que certaines priodes de l'histoire se sont avres plus sensi
bles un certaia type d'angoisse au point de pouvoir
en
tre caractri-
ses. Ainsi en est-il
de
l'angoisse du destin et de la mort, menaant
l'affirmation
de
soi on ique (c'est--dire menaant le vouloir vivre
de
l'individu), et que Tillich prsente comme ~ t n t caractristique de la
fin de l'Antiquit; de l'angoisse de la culpabilit
et
de
la condamna-
1
INTRODUCTION AU COURAGE D TRE
XIII
ton, menaant
l
affmnation de soi morale, caractristique.
de
la fin du
Moyen ge; et
de
l a n g ~ i s s e
du vide et de l'absurde, menaant l'affir
mation
de
soi spirituelle, caractristique
de
la fin
de
la modernit. Au
cune
de
ces formes d'angoisse ne peut tre dite exclusive une po
que ; c'est pourquoi l'expression angoisse caractristique d'une
poque doit tre comprise dans le sens d'une angoisse prdomi
nante.
6. Un autre schma structure Le
courage d tre ;
il s'agit de la
bipolarit soi-monde. partir de l'exprience d'tre soi dans le mon
. de, Tillich distingue deux aspects complmentaires du courage d'tre :
le courage d'tre soi, c'est-a-dire le courage ds'affirmer soi-mme
dans .son individualit, et le courage d'tre participantou le courage de
s'affirmer en tant que prticipant divers secteurs du monde .
Il
faut
se
rappeler q11 il s'agit l des deux faces d'un mme courage, qu'il est
certes clairant
de
distinguer mais qu'on ne peut opposer. Puisqu'il
s agit d'une bipolarit, force nous est de constater, cependant, que
l'histoire gnrale
de
l'Occident nous offre non ~ u l m n t le spectacle
d'une oscillation continuelle entre ces deux ples mais souvent aussi
celui d'une mutuelle exclusion. Tillich consacre deux chapitres
(IV
et
V)
ces deux aspects du courage d'tre. Aprs avoir insist sur leur
essentielle interdpendance, dcrit les grandes tapes historiques et
existentielles que chacun aparcourues sans l'autre ou l'encontre de
l'autre. On sent que, derrire cette description d un courage d'tre par
ticipant qui trouve ses limites en diverses formes de nocol ectivisme
ou
de
conformisme,
de
mme que dans celle d un courage d'tre soi
qui clmine en un courage existentialiste, Tillich est la recherche.
d un courage quitienne le coup mme dans les situations les plus dra
matiques
de
l'histoire. L'auteur du Courage d tre
n a
peut-tre pas
tout fait . ort de prsenter son livre comme
un
roman ou, tout au
moins,
de
souhaiter qu'il puisse se lire omme un roman, car
de
quoi
s'agit-ill, sinon de la qute de ce qui permet
l'tre humain de se te
nir debotit etde s'affirmer comme affirm malgr les turbulences et les
tnbres? Les chapitres
IV
et V montrent l'importance ontologico
existentielle indniable du courage des affirmer comme individu et du
courage
de
s'affirmer comme participant la puissance d'un groupe,
mais ils mettent aussi en vidence les limites et les dangers inhrents
ces deux formes de courage. Finalement, ils font surgir .la question
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XIV
LE COURAGE D TRE
ultime
de
savoir
s i l
existe
un
courage capable de les unir et de les d
passer.
7. Ce n est qu auJ)ixime
et
dernier chapitre qu apparat vec le
maximum declart le caractre profondment religieux et,
en
dernire
analyse, chrtien du courage d tre. D ailleurs, ce chapitre s intitule
Courage
et
transcendance . met en scne un type tout fait nou
veau
et
dcisif de
courage:
le courage d accep ter d tre accept. Une
rflexion plus approfondie
sur
le
concept
de courage d tre m a amen
distinguer dairement
deux expression s du courage d tre dans l u
vre
de
Tillich4 :
c est d abord
ce
concept de courage d tre qui affronte
t conquiert l angoisse de
la
finitude sans jamais l liminer; .c est le
courage comme affirmation de soi dont il a t question jusqu pr
sent. Et puis, l y a cet autre concept de courage d tre pou r lequel Til
lich se fait plus discret et surtout plus circonspect, d autant plus qu il
s agitl pour lui du cur du courage d tre: le courage de la foi, c est
-dire le cOtrrage de l acceptation paradoxale de soi qui ne conquiert
plus simplement l angoisse de
la
finitude, mais avant tout le dsespoir
de 1 alination exstentielle, prouv sous la forme concrte du rejet de
soi. Pour prsenter ce courage nouveau, c est--dire pour souligner au
mieux son tonnante gratuit et pour en indiquer de la faon la moins
mauvaise possible la source ultime
et
transcendante, Tillich emploie
un
langage rsolument thologique qui tient tout
la
fois de la via nega-
tiva des mystiques (qui,
par
crainte de limiter ou d objectiver Dieu,
prfrentparler de ce qu:il
n estpas,
plutt que de ce q u il est)
et
de
la
doctrine de la justification
par la
foi seule, propre sa tradition luth
rienne.
ce stade de notre rflexion, une question s impose : qui
s adresse Le courage d tre? pour qui Tillich
formle.:.t-il
ce concept
parado xal de courage d acceptat ion de soi? et l intenti on de qui
porte-t- il au jour cette foi nue, dpouille de tout support symbolique ?
L interlocuteur que Tillich vise de faon privilgie, c est le .douteur.
Prisons que le doute dont l est
questionjci
n arien voir avec le
doute mthodologique, ni mme avec le doute qui se prsente
~
la
condition de finitude et qui st surmont par cotmige ou l affirma-
4. paratre chez
les
mmes diteurs : J e a n ~ i e ~ ~ t ~
Y e
courage d tre
dans l uvre e Paul Tillich.
INTRODUCTION AU COURAGE D TRE
x
tion de soi
de l tre
fini.
f:,e
doute qui assaille
et
dsespre le douteur
est
un doute radical qui a partie lie avec l alination existentielle et
avec la- situation historico-spirituelle. Il
ne
porte pas sur telle vrit
particulire mais
sur
la vrit elle -mme. Le dou teur se prsente
comme quelqu un qui vit d une manire tonnamment personnelle le
drame de toute. une poque hante par le souvenir rcent de guerres
mondiales, de rgimes totalitaires, d effondrements de sens et de nihi
isme. Il marche dans la nuit avec le sentiment
d avoir
perdu, ou d tre
en
train de perdre, le sens de son tre et de sa vie.
En
mme temps
que
du meilleur de lui-mme se faitentendre une exigence de sens et de.
ralisation de soi,
l
se dcouvre des complicits inavouables avec le
non-sens
et
la
non-vrit. Coinc entre l exigence de vivre de faon
humaine et cratrice,
et
l nigme des forces dmoniques, l injustifiable
scandale du mal,. il est pris dans une contradiction dont
il
ne peut sortir.
Il n est pas menac de mort mais de non-sens. Puisque vivre de faon
humaine c est vivre de faon sense, en lien avec des significations,
l angoisse de l absurde qu il prouve le conduit une sorte de
dgot
et de rejet de lui-mme. C est pourquoi Tillich s adresse fraternelle-
ment
quiconque prend
au
srieux la question
du
sens et dsespre,
face l ambigut de l existence prsente et l obscurit de l avenir,
de se raliser d unefaon qui soit digne de son humanit.
Si
la
porte d une uvre est lie ses enjeux, l enjeu principal du
Courage d tre est celui de sauver l tre humain du dsespoir. L ex-
prience de gurison et de libration qui en constitue l objet principal
nese laisse cependant enfermer dans
aucune
description exhaustive.
Pour parler de la grce de
Die1,1,
c est--dire du salut qui vient de Dieu
sous
le signe de la gratuit
la
plus imprvisible,
Tillich
multiplie
les
paradoxes. Il sait que le paradoxe de la justification est devenu incom
prhensible, c est pourquoi il cherche le reformuler. Le courage de la
foi ou le courage comme acceptation paradoxale de soi ne dsignent
rien d autre qu une reformulation -moderne du principe paulino-luth
riende
la justification. Accepter d tre accept en dpit du fait que l on
se sente inacceptable signifie accepter que
l amour
dont Dieu nous
aime .soit plus grand et plus profond que notre propre refus de nous
mmes. Il n y a, dans tout cela, aucun triomphalisme ni aucun
v o l o n t a ~
risme, mas un tre humain dmystifi, rconcili avec le fondement
ultime de son tre et anim par une existence nouvelle. tre accept si
gnifie alors cesser d tre superflu, cesser d tre de trop
(Sartre),
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XVI
LE COURAGE D TRE
tre voulu, aim, justifi par ce qui est la source et le fondement ultime
du courage d tre: le Dieu au-dessus de Dieu. Cette expression ne vise
nullement faire
de
Dieu une abstraction, mais viter le pige de
l objectivation sous la forme du thisme thologique qui prsente Dieu
comme un tre parmi les tres. Pour Tillich, Dieu n est ni la totalit de
l tre ni un tre parmi les autres, mais bien plutt la source ultime et
transcendante
de
tout ce qui est. Dans l exprience du courage qui est
.acceptation paradoxale de soi, Dieu prend la figure qe l inconditionn
qui fait irruption dans notre histoire ,pour nous librer, nous gurir,
nous remettre debout et en marche avec tous ceux et celles qui sont
ports par l esprance
d un
avenir humainement viable.
* *
e courage d tre fut tradui t en franais e n 1967, grce au travail
du regrett Fernand Chapey qui fut l un des premiers
mettre
la dis
position du public francophone bon nombre des crits de Tillich. Cette
nouvelle traduction que nous prsentons a)Jjourd hui arrive quelque
trente ans aprs ; elle a non seulement bnfici des heureuses formu
les de son prdcesseur, mais aussi des annes de recherche et de tra
vaux sur le concept de courage d tre. Elle a t faite avec rigueur,
. . . 1
mais, comme toute traduction, elle n a pas pu viter les choix diffici-
les. Pisse cette traduction, en dpit de ses faiblesses, mettre en lu
mire ce trs beau et trs profond texte d anthropologie religieuse.
Jean-Pierre LEMAY.
CHAPITREI
TRE ET COURAGE
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t
[141] En accord avec-les stipulations de la Terry Foundation qui
demandent que ces leons portent sur la religion la lumire de la
science et de la philosophie,
j ai
choisi un concept vers lequel con
vergent des problmes thologiques, sociologiques et philosophiques :
le concept de courage
. PetJ
de notions s avrent aussi utiles pour
analyser la condition humaine. Certes, le courage appartient l thi
que, mais
l
s enracine dans la totalit des dimensions
d.e
l existence
humaine et, en dernire analyse, dans la structure de l tre-mme be-
ing itself).
Il convient de le considrer d abord d ilnpoint de vue on
tologique si
l on
veut le comprendre d un point de vue .thique.
C st
ce qui apparat dj dans une des plus anciennes discus-
. .
sions philosophiques sur le courage,
le
dialogue
Lachs
de Platon. Au
cours de ce dialogue, plusieurs dfinitions prliminaires se trouvent
rejetes. C est alors que Nicias, le clbre gnral, fait une-autre tenta
tive. Comme chef militaire,
il
devrait savoir ce qu est le courage et tre
capable de le dfinir. Mais sa dfinition, comme les autres, se rvle
inadquate.
Si
le courage, comme
l
l affirme, est la connaissance de
ce
qui est craindre et
de ce
qui est oser, le problme tend alors
devenir universel, car, pour le solutionner, il faudrait une connais
sance concernant tous les biens et tous les maux en toutes circons
tances (199 c). Mais cette dfinition contredit l affirmation prc-
dente pour laquelle le courage n tait qu une partie
de
la vertu. Ainsi,
conclut Socrate, nous avons chou dcouvrir ce qu est en ralit le
courage (L99 e). Et dans
le
cadre de la pense socratique, un tel
chec doit tre pris au srieux, car, por Socrate, la vertu est connais
sance, et l ignorance propos de ce qu est le courage rend impossible
toute action en conformit avec la vraie nature du courage. Mais cet
chec de Socrate est plus important que bien
d,es
russites apparentes
de dfinitions du courage, y compris celles
de
Platon .lui-mme et
d Aristote. L chec, dans la recherche d une dfinition du courage en- .
tendu comme une vertu parmi les autres, soulve un problme fonda
mental de l existence humaine. Cela montre qu, pour comprendre le
courage, il faut au pralable comprendre
1
tre humain et son monde,
1. Paul TILLICH, he Courage to Be (1952), in Milin Works 1 Hauptwerke, Vol. 5,
Writings in Religion,
Edited by Robert
P.
Scharlemann, Berlin-New York, De
Gruyter, 1988, p. 141-230 [NdT].
-
7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval
10/84
4 LE COURAGE
D TRE
ses structures et ses valeurs. Celui-l seul possde le savoir qui sait ce
qu il affirme et ce
qu il
nie.
La question thique de la nature du courage conduit invitable-
ment la question ontologique
de
la nature de l tre. La rciproque est
galement vraie. La qestion ontologique de
la
nature de 1 tre peut
tre pose s.ous la forme d une i1;1terrogation thique sur la [142]-n.ature
du courage. Le courage peut nous apprendre
ce
qu:est l tre, et l tre
ce qu est
le
courage.
C est
pourquoi le premier chapitre de ce livre
s intitule Etre et
courage.
Bien que
je
n aie pas de chance de russir
l
o
Socrate a chou, le courage de risquer un chec presque invi
table peut contribuer maintenir vivante cette problmatique.
1.
COURAGE ET FORCE : DE PLATON THOMAS D AQUIN
I:e titre de ce
i v r ~
Le courage d tre, fait l unit des deux signi
fications, thique et ontologique, du concept de courage. Le courage,
en.tant qu il qualifie une_ acti_on humaine
et qu il
en fait un sujet d ap
prciation, est
un
concept thique. Par contre, le courage, en tant qu il
dsigne l affirmation de soi universelle
et
essentielle d un tre est un
concept ontologique. Le courage
d tre
est l acte thique par lequel
1 tre
humain
affirme son propre tre en dpit des lll1ents de son
existence qui sont
en
lutte avec son affirmation de soi essentielle.
.Un regard sur l histoire de
la
pense occidentale
r..:ous
montre que
.ces deux sens du courage sont distingus presque partout explicitement
ou implicitement. Puisque
nous
aurons traiter dansd autres chapitres
des conceptions stocienne et nostocienne du courage, je me limiterai
ici
en
donner une interprtation selon la ligne de pense qui
va
de
Platon Thomas d Aquin. Dans la Rpublique. de Platon, le courage
est mis en relation avec cet lment de l me qu on appelle tnymos
(l lment ardent et courageux), et tous deux sont lis cette classe de
la socit qui a pour
nom
les phylakes (les gardiens). Le thymos se si
tue entre l lme nt intelligible et 1 lm ent sensible de l tre humain. Il
dsigne l effort spontan vers ce .qui est noble. Comme tel,
l
occupe
une position centrale dans la structure de l me ;ilfaitle lien entre la
raison et le dsir. Du moins,
l
aurait pu: le faire, .mais le fait e st que la
tendance prdominante de la pense de Pla,ton
etde
son cole tait
dualiste et mettait
l accent
sur le conflit de Ja a i S ) ~ etciudsir, Ce lien
ne fut donc pas utilis. L limination du nilieu de
l tre
huniain
TRE ET COURAGE
< : ~ y m i d s aura des cons.quences thiques
et
ontologiques jusqu
1 ~ o q u e
de
Descartes et
de
Kant.
C est
elle qui est responsable u r ~
gonsme moral de Kant
et
de la division cartsienne
de
l tre entre la
p ~ n s e et l tendue.
Le
contexte sociologique de .cette volution est
b1en connu : les phylakes de Platon sont 1 aristocratie en armes, ce sont
les reprsentants de ce qui est noble
et gnreux. Parmi eux apparais
sent les sages qui ajoutent la sagesse au courage. Mais cette aristocratie
et
ses valeurs se sont dsagrges. Le monde antique sur son dclin,
. out comme la borgeoisie moderne, en a perdu la trace. leur place
sont apparus les reprsentants de la raison claire et les masses tech-
niquement organises
et
diriges. Il est remarquable, cependant, que
Platon lui-mme ait su discerner dans le thymids une fonction es
sentielle de l tre humain, une valeur thique et une qualit sociologi
que.
Aristote a tout la fois conserv et restreint la place de l lment
aristocratique dans la doctrine du courage. Selon lui, ce qui motive
supporter courageusement
la
souffrance et l a mort tient au fait
qu il
est
noble d agir ainsi
et
vil de ne pas le faire (thique Nicomaque,
III, 9).
L homme
courageux
agit
en vue de ce qui est noble, car
c est
le but
de la vertu
(th. Nic., III, 7).
Noble,
dans ces passages et
dans
d autres,
traduit kalos [143], et vil traduit aischros, termes
quel
on
rend habituellement par beau et
laid.
Une action belle
ou ~ b l e est une action digne de louanges. Le courage accomplit ce qui
est ?1gneA
de
l o , u ~ g e s
et refuse ce qui est mprisable. On loue ce par
quoi
un
etre realise
ses
potentialits ou actualise ses perfections. Le
courage est 1 affirmation de notre nature essentielle, de notre finalit en
acte
ou
entlchie,mais c est une affirmation qui a en elle-mme le ca
ractre du
en
dpit de . En effet, elle inclut la possibilit et,
en
cer-
tains cas, l a ncessit de sacrifier des lments qui appartiennent bien
notre tre, mais qui, s ils n taient pas sacrifis, nous empchraient
d atteindre notre vritable accomplissement. Ce sacrifice peut porter
sur le plaisir, le bonheur
etmme
sur notre propre existence. Dans tous
les cas, il est digne d loges parce que, dans l acte
du
courage,
c est
la
partie la plus essentielle de notre tre qui prvaut sur celle qui
l est
moins. Ce qui fait la beaut et la bont du courage, c est qu en
lui
le
beau
et
le bon s actualisent :
c est
par consquent
ce
qui le rend noble.
La perfection pour Aristote.- comme pour Platon se ralise
diffrents niveaux : naturel, personnel et social ;
et
le courage comme
-
7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval
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6
LE COURAGE D TRE
/ affirmation de notre tre essentiel est plus manifeste certains niveaux
qu
d autres. Puisque
la
plus grande preuve. de courage consiste tre
disponible au plus grand sacrifice, le sacrifice
de
sa propre vie, et que
le soldat, de par sa profession, est tenu d tre toujours prt
sacrifier
sa propre vie, le courage militaire sera et, d une certaine manire, de
meurera la figure emblmatique du courage. Le mot grec pour courage,
andreia
(force virile), et le mot
latinfortitudo
(force d me)soulignen t
les connotations militaires du courage. Aussi longtemps que l aristo
cratie restera la
c l s ~ e
qui porte les armes, ces connotations aristocrati
ques et militaires se confondront. Mais lorsque la tradition aristocrati
que se dsagrgera et que le courage pourra tre dfini comme tant la
connaissance universelle de ce qui est bien et mal, la sagesse et le cou
rage
se
rapprocheront, et le vrai courage commencera se distinguer
du courge
du
soldat. Le courage de Socrate mourant fut un courage
rationnel et dmocratique, et non plus un courage hroque et aristo
cratique.
Le courage aristocratique, toutefois, a repris vie dans les dbuts
du Moyen ge. Le courage rdevint la caractristique de la noblesse.
Le chevalier est celui qui incarne le courage, la fois comme soldat et
comme gentilhomme. Il possde ce qu on appelle
hohe Mut,
l esprit
lev, noble et courageux. LaJangue allemande a deux mots pour cou
rageux,
tapfer
et
mutig. Tapjr
l origine signifie ferme, puissant, im
portant;
il
dsigne
le
pouvoir d tre de ceux qui appartiennent aux
couches sociales suprieures de la socit fodale. Mutig vient de Mut,
cette disposition de
1
me que suggre le mot anglais
mood
(humeur).
Ainsi en est-il ds mots tels que
Schwermut, Hochmut
et
Kleinmut
(humeur lourde, hataine, pusillanime).
Mut
est affaire de
cur,
entendu comme centre de la personne.
C est
pourquoi on peut rendre
mutig
pr
beherzt
(de mme que le terme franco-anglais courage
vient du franais
cur
).
Tandis que Mut a conserv ce sens large,
Tapferkeit
a dsign de plus en plus la vertu propre au soldat
-lequel
cessait d ailleurs de s identifier
au
chevalier et aU gentilhomme. Il est
vident que les termes
Mut
et
courage
nous introduisent directe
ment
la question ontologique, tandis que
Tapferkeitet force,
dans
leurs significations prsentes, sont trangers.
de tel les significations.
Le titre de ces confrences n aurait pas pu se lire La force d tre}}
Die Tapferkeit zum Sein)
mais bien plutt Le courage d tre
Der
Mut zum Sein).
Ces remarques linguistiques rvlent l situation du
TRE
ET
COURAGE
7
Moyen ge [144] par rapport
au
concept de courage. Elles manifestent
la tension qui existe entre l thique hroco-aristocratique du haut
Moyen ge et l thique rationnelle et dmoratique, provenant de
l humanisme chrtien qui rapparatra la fin du Moynge.
Cette situation trouve son expression classique dans la doctrine
de Thomas d Aquin sur le courage. Thomas d Aquin se rend compte
de
la double signification que comporte le terme
courage et il en
treprend la discussion. Le courage est la force d me qui s emploie
conqurir tout ce qui menace l acquisition du souverain bien. Il est li
la sagesse, vertu qui fait l unit des quatre vertus cardinales (les deux
autres tant la temprance et la justice). Une analyse pousse montre
rait que ces quatre vertus n occupent pas
le
mme rang.
Le
courage,
uni
la sagesse, comprend
la
temprance dans la relation avec soi
mme ainsi que la justice dans la relation avec autrui. La question est
alors de savoir quelle est, du courage ou de la sagesse, la vertu qui en
globe les autres? La rponse dpend de l issue de la fameuse discus
sion sur la priorit de l intelligence ou de la volont dans l essence de
1 tre et, par consquent, dans la personne humaine. Puisque Thomas
d Aquin se prononce sans quivoque pour la priorit de l intelligence,
il subordonne n.cessairementle courage
la sagesse. Une dcision en
faveur de la priorit de la volont conduirait
une indpendance plus
grande, bien que non totale, du courage par rapport
la sagesse. La
distinction entre ces deux lignes de pense est dcisive en ce qui con
cerne J valuation du courage de risquer (en termes religieux, le
risque de la foi . Sous la tutelle de la sagesse, le courage est essen
tiellement force
d me
qui rend possible l obissance aux prceptes
de la raison ou de la rvlation
-,
alors que, sans cette tutelle, le cou
rage de risquer participe
la cration de la sagesse. Il est vident que
la
premire hypothse comporte le danger d une stagnation non cratrice,
telle que cela s est produit, pour une large part, dans lapensecatholi-
que et dans une certaine pense rationaliste. En revanche, il ne fait pas
de doute non plus que le danger, dans la seconde hypothse, est celui
d un v o l o n t r i s m ~
sans direction tel qu on le trouve dans
un
certain
protestantisme et plus encore dans la pense existentialiste.
Cependant, Thomas d Aquin dfend aussi une signification plus
restreinte du
courage-
toujours appel
fortitudo -
entendu comme
une vertu parmi les autres. Selon l habitude dans ces discussions,
il
se
rfre au courage du soldat comme exemple de courage au sens
-
7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval
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8
LE
COURAGE
D TRE
restreint du terme. Cela correspond s a manire habituelle de runir la
structure aristocratique de la socit mdivale aux concepts universels
du christianisme et de l humanisme.
Le parfait courage, selon Thomas d Aquin, est un don de l Esprit
Saint. Grce l Esprit, la force naturelle de l me est leve saper
fection surnaturelle, ce quj
yeut
dire qu elle s unit aux vertus spcifi
quement chrtiennes:
la
foi, l esprance et
famour.
Ainsi appa rat une
volution par laquelle l aspec t ontologique du courage se trouve plac
dans la oi qui inclut l esprance-, tandis que l aspect thique du
courage est situ dans l amour ou dans le principe de l thique. L ad
mission du courage dans
la
foi, spcialement dans la mesure o elle in
clut l esprance, .apparat assez tt, par exemple dans la doctrine du
courage d Ambroise. Ce dernier suit la ttadition antique lorsqu il ap
pelle
la
force
une
vertu plus leve que les autres, qui n apparat
toutefois jamais seule. Le courage coute la raison et excute l inten
tion de l esprit. Il est cette force de
l me
qui triomphe de l extrme
danger, comme chez ces martyrs de l Ancien Testament qui sont nu
mrs [145]
au
chapitre onze de l ptre
aux
Hbreux. Le courage pro
cure la consolation, la patience
et
l exprience; il devient pratiquement
impossible de le distinguer de la foi et de l esprance.
la lumire de ce dveloppement, nous pouvons conclure que
toute tentative pour dfinir le courage se trouve confronte cette al
ternative : ou bien le terme courage dsigne ne vertu parmi les
autres pouvant prendre part, dans un sens moral,
la
foi et
l
esp
rance ;ou bien il conserve son sens large, et alors on interprte la foi
partir d une analyse du courage. C est cette deuxime voie que nous
suivrons dans ce livre, en particulier parce que
je
suis convaincu que la
foi,
plus que tout autre terme religieux, a besoin d une telle rinter
prtation.
2. COURAGE
ET SAGESSE ;
LES
STOCIENS
Le concept de courage, entendu dansun sens largeimpliquant les
dimensions thique et ontologique; a pris une norme importance
la
fin de l Antiquit et au dbut du monde moderne dans le stocisme
et
le nostocisme>Tous deux sont des co les philosophiques comme les
autres, mais tous deux sont n mme temps plus que des coles philo
sophiques. Ils reprsentent la voie emprunte par quelques-unes des
TRE ET COURAGE
9
plus nobles figures de fin de l Antiquit e t par leurs successeurs des
temps modernes, pour rpondre au problme de l existence et sur
monter l angoissedu destin et de la mort. Ainsi compris, le stocisme.
s avre tre une attitud religieuse fondamentale, qu il prenne une
forme thiste, non thiste, ou ranscendant le thisme.
. Ainsi sera-t-il le seul vrai rival du christianisme dans le monde
occidental. ~ e s t l un nonc surprenant, surtout si l on prend acte du
fait que ce fut avec la gnose et le noplatonisme que le christianisme
eut se disputer sur le terrain philosophico-religieux, et que ce fut avec
l Empire romain
qu il
eut lutter sur le plan politico-religieux. De par
leur haut degr d ducation et leur individualisme, les stociens ne
semblent pas avoir constitu un danger pour les chrtiens ;
ils
parais-
. sent mme .avoir t vritablement disposs accueillir des lments
du thisme chrtien: mais c est l une analyse superficielle. Le chris
tianisme possdait une base commune avec le syncrtisme religieux du
monde antique: l ide de
la
venue
d un
tre divin pour le salut du
. monde. Dans les mouvments religieux gr oups autour de ce thme,
l angoisse du destin et de la mort se trouvait surmonte par la partici
pation de l tre humain
cet tre divin qui avait assum le destin et la
mort. Le christianisme, bien qu adhran t une foi semblable, dpassait
le syncrtisme cause du caractre personnel du Sauveur Jsus Christ
et de par son fondementhistorique concret dans l Ancien Testament.
Pour cette 1aison, le christianisme a pu assimiler de nombretLx l
ments du syncrtisme philosophico-religieux de la fin de l Antiquit
sans abandonner son fondement historique, mais il ne lui tait pas pos
sible d adopter l attitude stociennedans sa spcificit. Ceci est parti
culirement remarquable si
l on
considre
1
extraordinaire influence
que les doctrines stociennes du
lo os
.et de la loi morale naturelle ont
exerce sur la dogmatique et l thique du christianisme; mais ce large
accueil des ides stociennes n a
pas
suffi pour combler le foss qui
sparait l acceptation rsigne du monde dans le stocisme et la foi en
un salutdu monde dans le christianisme. La victoire de l glise a re
pouss le stocisme dans une obscurit dont il ne sortira qu avec le
commencement des temps modernes. L Empire romain non plus ne
constitue pas un rival du christianisme. L encore il faut remarquer
que. parmi les empereurs, ce ne furent [146] pas les tyrans dsquili
brs
du
genre de Nron ou les ractionnaires fanatiques comme Julien
qui constiturent un danger srieux pour. le christianisme mais, au
-
7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval
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10
LE COURAGE D TRE
contraire, les stociens vertueux du type de Marc Aurle. La raison en
e;st que le stocien fait preuve
d un
courage social et personnel qui ri
valise vraiment avec le courage chrtien.
Le courage stocien n'est pas une invention des philosophes sto
ciens.' Ce sont eux qui lui donnrent son expression classique en termes
rationnels ; mais ses racines viennent des rcits mythologiques, d e ~ l
gendes de faits hroques, des maximes de sagesse, de la posie et de la
tragdie, ainsi que des sicles de philosophie qui ont prcd l avne
ment du stocisme. Un vnement en particulier a donn au courage
stocien une nergie durable: la mort .de Socrate. Elle est devenue,
pour toute l'Antiquit, la fois
lin
haut fait et un symbole. Elle
mon.:
trait. ce qu 'tait
la
situation humaine en face du destin et. de la mort.
Elle rvlait ce qu'tait un courage capable d'affirmer la vie parce
qu'elle tait capable d'affirmer la mort.
Et
elle apportait un change
ment profond la signification traditionnelle du courage. Avec So
crate, l courage hroque du pass est devenu un courage rationnel et
universel. Une conception dmocratique du courage l'oppos de la
conception aristocratique venait de natre. La force
du
soldat se trou
vait dpasse par le courage d sage. Sous cette forme, il procura une
. consolation philosophique
beaucoup de gens, dans toutes les r
gions du monde antique,
une poque de catastrophes et de boulever-
sements.
La description du courage stocien par un homme comme Sn
que montre que la rainte devant la mort t la crainte devant la vie d
pendent l'une
de
l'autre, comme sont interdpendants le courage de
mourir et le courage de vivre; Snque voque ceux qui ne veulent
pas vivre et ne savent pas comment
mourir}>.
Il parle d'une
libido mo-
riendi expression latine qui correspond .exactement
la pulsion de
mort de Freud. Il parle de ces gens qui trouvent que la vie est absurde
et
inutile, et qui disent avec l'Ecclsiaste :
il
n y a rien
de
nouveau
faire, ni rien de nouveau voir Pour Snque, une telle disposition
provient de ce qu'on a accept le principe de plaisir ou, comme il la
nomme en anticipant l'expression amricaine d'aujourd'hui , l'attitude
du goo time que l on rencontre spcialement du ct de la jeune
gnration. Comme pour Freud, la pulsion de mort correspond
l'as
pect ngatif des pulsions toujours insatisfaites de
Ia
libido: l'adoption
du principe de plaisir aboutit ncessairement, selon Snque, au dgot
et au dsespoir devant la vie; mais il savait galement (tout C()mme.
i
TRE
ET
COURAGE
ll
Freud) que l'incapacit d'affirmer la vie n'implique pas forcment
la
capacit d'affirmer la mort. L'angoisse du destin et de la mort domine
mme la vie de ceux qui ont perdu la volont de vivre, ce qui montre
que la n ~ c o m m n d t i o n stocienne du suicide ne
s ad:r:esse
pas
celix
que la v1e a vaincus, mais
ceux qui ont triomph de la vie, qui sont
tout Ja fois capables de vivre et de mourir et qui peuvent choisir li
brement entre les deux. Le suicide vasion, inspir par la crainte, est
l'oppos du courage d'tre stocien.
Le courage stocien est, au sens ontologique comme au sens mo
un courage d tre. Il trouve son fondement dans la suprmatie
de
la raison chez
1
tre humain. Mais la raison; dns
1
ancien comme
dans le nouveau stocisme,
ne
signifie pas la mme chose que dans la
terminologie contemporaine. La raison, au sens stocien, ce n'est pas le
~ o u v o i r
de
raisonner, c'est--dire d'argumenter
partir de l'exp
nence avec les instruments de la logique classique ou de l logique
mathmatique. La raison, pour les stoi'ciens, c' est le
logos
la structure
pleine de sens de la ralit prise comme un tout et
de
l'esprit humain
en particulier.
Si la raison, dit Snque, est le seul attribut apparte
nant l'tre humain en tant qu'tre humain, la raison sera alors son
seul bien, valant tout le reste mis ensemble. Cela signifie que la rai- .
so.n
c ~ m s t i t u e la vraie et essentielle nature
de
l'tre humain, en compa
raison
[147]
de laquelle tout le reste est accidentel. Le courage d'tre
est le courage d'affirmer sa propre nature raisonnable
l'encontre
de
e qui est accidentel en nous. Il est vident que la raison, ainsi com
prise, dsigne le centre mm
de
la personne et qu'elle inclut toutes les
fonctions spirituelles. Le raisonnement, comme fonction limite de
connaissance dtache du centre de la personne, ne pourrait jamais
donner naissance au courage. On
ne
peut jamais carter l'angoisse en
la repoussant par des arguments. Ce n'est pas
l
une decouverte r
cente de la psychanalyse: les stociens, lorsqu'ils magnifiaient la rai-
son, le savaient dj. Ils savaient que l'angoisse
ne
peut tre surmonte
que par le pouvoir de la raison universelle qui, chez le sage, l'emporte
sur les dsirs et les craintes. Le courage stocien prsuppose que le
centre de la personne s'abandonne au logos
de
l tre; il est participa
tion u pouvoir divin
de
la raison, pouvoir qui transcende .l'empire des
passions et des angoisss. Le courage d'tre est le courage d'affirmer
notre propre nature rationnelle e.n dpit de tout
ce
qui en nous s'oppose
l'union avec la nature rationnelle de l'tre-mme.
l
-
7/23/2019 Oeuvres de Paul Tillich 6 Paul Tillich-Le courage d'tre -Le Cerf - Labor et Fides - Presses de l'Universite de Laval
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12
LE COURAGE D TRE
Ce qui contredit le courage de la sagesse, ce sont les dsirs et les
craintes. Les stociens ont labor une profonde doctrine de l angoisse
qui nous fait penser des analyses rcentes. Ils ont dcouvert que
l objet de la crainte est la crainte elle-:mme.
Rien n ;st
terrible dans
les choses, dit Snque, sinon la crainte elle-mme. Epictte ajoute :
Ce
n est pas-la mortou l preuve qui est une chose effrayante, mais
la crainte de la mort et de la tribulation. C est notre angoisse qui
place de s masques. effrayants sur les tres humains et sur les choses. Si
nous leur enlevons ces masques, leur vritable visage apparat, et-la
crainte qu ils produisaient disparat. C est vrai mme pour la mort. Du
moment que
chaqu(;'
jour un peu de notre vie nous est enlev -
du.
mo
ment que nous sommes en train de mourir chaque jour-, l heure finale
o nous cesserons d exister ne nous apportera pas par :elle-mme la
mort:
elle ne fera qu achever le processus mortel. Les horreursqu on
-y
~ t t a c h e ne sont qu affaires d imagination. Elles s vanouissent lors
que 1 image de
la
mort est dpouille de son masque.
Ce sont donc nos dsirs incontrls qui fabriquent des insqes f
les mettent sur les tres humains et sur les choses. Snque anticipe
ainsi la thorie freudienne . de la libido mais dans un contexte plus
large. Il distingue entre les dsirs naturels qui sont limits et ceux qui
naissent des opinions fausses et qui sont illimits. Comme tel, le dsir
n est pas sans limites. Dans une nature non dforme, l se trouve li
mit par des besoins objectifs et, par consquent,
il
peut tre _satisfait.
Mais l imagination humaine dforme outrepasse les besoins objectifs
et, avec eux, toute satisfaction possible : Quand vous quittez le droit
chemin, vos errements sont sans limites. C est cela, et non le dsir
comme tel, qui produit une tendance irrflchie
inconsulta)
vers
-la
mort.
L affin:nation de notre tre essentiel en dpit des dsirs et des an-
goisses donne nissance
a joie. Snque exhorte Lucilius
sedonner
pour tche d apprendre prouver de la joie. Ce n est pas la joie
. des dsirs combls qu il fait allusion, car
?
vraie joie
est une
affaire
difficile : elle est le bonheur d une me qui s es t leve au-dessus
de toutes les circonstances >> La joie accompagne 1'affirmation de soi
de notre tre essentiel en dpit des inhibitions qui proviennent des
lments accidentels en nous. La joie est l expression, sur le plan
motionnel, du Oui courageux notre tre vritable. Cette union du
courage et de la joie montre clairement le caractre ontologique du
1
;
TV ET COURAGE
13
1
courage. Si le courage est interprt u n i q u e m e ~ t en termes thiques, sa
relation
lajoie
de l accomplissement de soi demeure [148] cache.
Dans
l acte ontologique par lequel un tre s affirme lui-mme dans son
tre essentiel, courage et joie concident.
Le courage stocien ri'e_st -ni athe ni thiste au sens technique du
terme. Le problme des rapports du courage avec l ide de Dieu est
pos et rsolu par les stociens ; mais il est rsolu
detelle
manire que
la solution pose plus de questions qu elle n en rsqut:
un
tel. fait
manifeste le srieux existentiel de
la
doctrine stocienne
du
courage.
Sn9ue exprime, sous la r m ~ de trois noncs, les rapports entre le
courage du sage et la religion. Le premier nonc dclare : IIIlpas
s i l ; > J ~ s devant les craintes et non gts par les, plaisirs, nous ne serons
eff.rays ni.par la mort ni par les dieux. Les dieux reprsntent ici .le
destin. Ils sorit les puissances qui fix,ent ce destin et symbolisent sa,,
. menace. Le courage qui surmonte l angoisse du destin surmonte aussi,
l angoisse devant les _dieux..
Le
sage qui affirrpe
sa,
participatioil
la
raison unverselle transcende l empire
-ds
dieux. Ce courag d .tre
dpasse la puissance polythiste du destin. Le deuxime nonc af
firme que l me du sage est semblable Dieu. Le Dieu dont il s agi t ici
est le
logos divin:
en s unissant lui, le courage de la sagesse con
quiert le destin et transcende les dieux.
C est
le Dieu au-dessus de
Dieu.
Enfin, le troisime noncsouligne la diffrence qu il y a entre
l ide d une rsignation au monde et l id
d un
salut
du
monde
exprim en termes thistes. Pour.Snque, puisque Dieu est au-del de
la souffrance, le vrai stocien est
a-dessus
d eUe. Cela implique que la
souffrance est en contradiction avec
la
nature de Dieu. Il est impossible
Dieu de souffrir : il est
au-del.
Le stocien, comme tre humain est
capable de souffrir, mais il n est pas ncessaire qu il laisse la
fi:ance dominer le ceqtre de son tre rationnel. Il peut se tenir .lui-mme
au-dessus
d elle puisque ce n est pas son tre essentiel qui est atteint,
mais ce qu il y
-a
en lui d accidenteL Cette distinction
entre
au-del
et au-dessus implique un jugement valeur. Le sage, qui coura
geusement surmonte le dsir, la souffrance et l angoisse, dpasse
Dieu lui-mme . Il est suprieur au. Dieu qui, de par sa perfection et
sa batitude naturelles, se situe au-del.
un
tel niveau d valuation
. .
le courage de la sagesse et de la rsignation pourrait tr remplac par
le courage de la foi en
n
salut, c est--dire la foi. en un Dieu qui,
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14
LE COURAGE D TRE
paradoxalement, participerait
la souffrance humaine ; mais le sto-
cisme en lui-mme est incapable de faire ce dernier pas.
. Le sto cisme atteirit
sa
limite lorsqu on demande dans quelle me
sure le courage de la sagesse est possible. Bien que les
s t o c . i e n ~
aient
insist sur l galit de tous les tres humains dans leur partrcrpatwn au
logos
universel, ils n ont pu nier le fait que la sagesse n est possde
que par. une petite lite, La majorit de la p o p u l a t i o ~ est
f?lle , , ~ e -
connaissent-il s esclave de ses dsirs et de ses cramtes. Bren qu Ils
participent au
logos
divin par leur nature essentielle ou r a t i ? n n e ~ l ~ la
plupart des tres humains sont en conflit avec leur propre
r a t ~ o n a h t e ,
et
cet tat de chose fait qu ils sont incapables d affirmer leur etre essen-
tiel avec courage. . . . , .
Il tait impossible aux stociens d expliq uer cette situatiOn, qu
r ~ s
ne pouvaient pas non plus nier. Et ce n est pas
s e ~ e m e n t
p r e d o ~ m
nance des fous dans les masses qu ils ne pouvaient expliquer: Il Y
avait quelque chose chez les sages eux-mmes qui les plaait devant un
problme difficile. Snque affirme qu il n:y a p ~ s de plus grand cou
rage que celui qui nat de l absolu dsesporr. Mms, d 0 1 t - o ~ d e m ~ d e r
le stocien en tant que stocien a-t-il atteint cet _tat de desespou
solu ? Peut-il l atteindre dans le cadre de sa phllosophre? Ou Y a-t-11
quelque [149] chose
q u ~
manque son ds:spoir
~ t ,
pa: _consquent,
son courage ? Le stocren en tant que storcren n e x p ~ n m e n t e pas le
dsespoir sous la forme de la culpabilit personnelle; Epictte cite e?
exemple ces paroles de Socrate que rapportent les Me" o ables de ~ e ~
nophon :
J ai
pris soin de ce qui tait sous
mon
autonte_ et
e
n ai
jamaisrien fait de mal dans
ma
vie prive ou dans ma vre p ~ b h q u e .
pictte lui-mme affirme
qu il
a appris ne s occuper de
nen
de ce
qui est extrieur son dessein moral. Mais plus rvlateur e ~ c o r e
q u ~
ces dclarations est le ton gnral de supriorit et de complarsance qm
caractrise les diatribes des stociens, leurs discours moraux et leurs
accusations publiques. Le stocien ne peut pas dire, comme le f e r ~
Hamlet, que la conscience fait des lches de nous
tous.
Il ne
p ~ r 0 1 t
pas la chute universelle de la rationalit essentielle dans la folle de
l existence comme tant matire
responsabilit et comme p.psant un
problme de culpabilit. Le courage d tre, pour l ~ i , sigr;ifie le courage
- de s affirmer en qpit du destin et de la mort, mars ce n est pas le
c o ~
rage de s affirmer en dpit du pch et dela cu_lpabilit. Il ne pouvmt
TRE ET COURAGE
15
pas
en
tre autrement, car le courage de faire face
sa
propre culpabi
lit conduit
la question du salut et non ph,rs celle du renoncement.
3. COURAGE ET AFFIRMATION DE SOI : SPINOZA.
Le stocisme passa l arrire-plan lorsque la foi dans le salut du
monde remplaa le courage du renoncement au monde, mais il rappa
rut lorsque le systme mdival que dominait le problme du salut
commena se dsagrger. Il redevint dcisif pour une lite intellec
tuelle qui rejetait la voie de salut saris pour autant lui substituer la voie
stocienne du renoncement.
L impact
du christianisme sur le monde
occidental eut pour effet que la renaissance des anciennes coles de
pense, au dbut de l poque moderne, ne fut pas qu un renouveau
mais assi une transformation. Cela est vrai de la renaissance du plato
nisme comme de celle du scepticisme et du stocisme ; cela est vrai
galement
du
renouveau des arts, de la littrature, des thories de 1 tat
et de la philosophie de la religion. En tous ces domaines, l aspect n
gatif du sentiment que la fin de
1
Antiquit prouvait
1
gard de la vie
cdait la place l aspect positif des ides chrtiennes de cration et
d incarnation, mme lorsque ces ides taient ignores ou nies. Le
fond spirituel de l humanisme de la Renaissance tait chrtien corpme
celui de l anci en humanisme tait paen, malgr la critique des reli
gions paennes par l humanisme grec et malgr la critique du christia
nisme par 1 humanisme moderne.
La
diffrence cruciale entre ces deux
types d humanisme, c est la rponse qu ils donnent la question de
savoir si l tre est essentiellement bon ou non. Tandis que le symbole
de la cration implique la doctrine chrtienne classique
que
l tre en
tant qu tre est bon (esse qua esse bonum est), la doctrine de
la
ma
tire rebelle dans la philosophie grecque exprime le sentiment paen
que l tre est ncessairement ambigu dans la mesure o il participe
la
fois
la
forme cratrice
et
la matire qui s y oppose. Cette diver
gence des conceptions ontologiques eut des consquences importantes.
Alors qu la fin de l Antiquit les diverses formes de dualisme mta
physique et religieux taient lies un idal asctique - la ngation de
la matire- , la renaissance de l Antiquit l poque modeme rempla
ait cet asctisme par une transformation active du domaine de la ma-.
tire. Et tandis que dans le [156] monde antique le sentiment du tragi
que de l existence dominait la pense et la vie, spcialement l attitude
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LE
COURAGE
D TRE
concepts tels que me du monde, microcosme, instinct, volont de
puissance, etc., ont t accuss d introduire de la subjectivit dans le
domaine objectif du rel ; mais ce sont de fausses accusations. Elles se
trompent sur la signification des concepts ontologiques. Ceux-ci n'ont
pas pour fonction de dcrire
la
nature ontologique de l a ralit en des
termes emprunts au ct subjectif ou objectifde notre exprience or
dinaire. C'est la fonction d'un concept ontologique de faire appel un
domaine particulier de l exprience pour viser les caractristiques de
l'tre-mme: celui-ci se situe au-del de la distinction entre la subjec
tivit et l objectivit et, pour cette raison, il ne peut tre exprim litt
ralement par des termes emprunts au ct subjectif ou
;\U
ct objec
tif. [153] L ontologie parle de faon analogique, L tre en tant qu tre
dpasse l objectivit aussi bien que la subjectivit. Dans une approche
cognitive, on doit se servir de l'une et de l autre. Unete lle approche est
possible parce que toutes deux sont enracines dans ce qui les dpasse,
c est--dire dans l tre-mme.
C'est
la lumire de ces rflexions que
les concepts ontologiques, auxquels nous faisons rfrence, doivent
tre interprts. Ils ne doivent pas tre compris de faon littrale mais
bien de faon analogique, ce qui ne veut pas dire qu ils aient t for
ms arbitrairement et qu ils puissent tre facilement remplacs par
d autres. Leur choix est affaire d exprience et de
~ n s e
soumis des
critres qui en dterminent le caractre adquat ou inadqat. Cette
remarque vaut galement pour des concepts comme ceux de conser
vation. de soi
ou d'
affirmation de soi
quand ils sont pris dans un
sens ontologique. Et elle s applique, par consquent, tous les chapi-
tres
d'une
ontologie du courage.
Conservation de soi et affirmation de soi impliquent logiquement
toutes deux que l'on surmonte quelque chose qui, au moins potentiel
lement, menace ounie le soi. Il n'y a aucune explication de ce quel
que chose dans le stocisme ou dans le nostocisme, bien que tous
deux le prsupposent. En ce qui concerne p i n o ~ il semble mme
. impossible, dans le cadre de son systme, de rendre compte d'un tel
lment ngatif. Si toute chose rsulte ncessairement de la nature de
la substance ternelle, aucun tre n aurait la puissance de m.enacer la
conservation de soi d'un autre tre. Chaque chose serai t ce qu elle est,
et l affirmation de soi ne serait qu une manireexcessive de parler de
la simple identit d'une chose avec elle-m me: mais telle. n est certai
nement pas l opi nion de Spinoza. Il parle, en effet, d'ute' menace relle
TRE ET COURAGE
21
et mme, comme son e x p r i ~ n c e le lui appris, du fait que beaucoup
d gens succombent cette menae. Il parle de
conatus
l effort pour,
et
de potentia la puissance de ralisation de soi. Bien qu ils ne puis
sent pas tre pris
la lettre, ces termes ne peuvent pas non plus tre
rejets corru:p e dnus de sens : ils doivent tre pris dans un sens ana
logique. Depuis Platon et Aristote, le concept de puissance joue un rle
important dans la pense ontologique. Des termes comme dynamis
potentia (Leibniz), employs pour .caractriser la vraie nature de l tre,
prparent la voie la volont de puissance de Nietzsche. Il en est
de mme du terme volont , employ pour dsigner la ralit ultime
d Augustin Duns Scot
jusqu'
Boehme, Schelling et Schopenhauer.
Dans la volont de puissance de Nietzsche, on retrouve ces deux ter
mes et on doit les comprendre la lumire de leur signification ontolo
gique. On pourrait dire, de faon paradoxale, que
la
volont de puis
7
sance n'est ni volont ni puissance, autrement dit qu elle
n'est
pas
volont au sens psychologique ni puissance au sens sociologique. Elle
dsigne l affirmation de soi de la vie en tant que vie, comprena. lt la
conservation de soi et la croissance. C est pourquoi la volont ne s ef
force pas vers quelque chose qu elle ne possde pas, vers quelque objet
extrieur elle, mais elle se veut elle-mme au double sens de conser
vation et de dpassement de soi. C'est l sa puissance et aussi sa puis
sance sur elle-mme. La volont de puissance est 1 affirmation de soi
_de la volont comme ralit ultime.
Nietzsche est le reprsentant le plus impressionnant et le plus
marquant de ce qu'on pourrait appeler une philosophie de la vie.
La vie, dans une telle expression, dsigne le processus par lequel la
puissance de l tre s actualise elle-mme; mais, en s actualisant, elle
surmonte ce qui, dans la vie et bien qu appartenant la vie, est
ngation de la vie. On pourrait appeler cela la volont qui contredit la
volont de puissance. Dans un chapitre de son Zarathoustra intitul
Des prcheurs de mort (I, chapitre 9), Nietzsche signale les diver
ses manires dont la vie est tente d accepte r sa propre ngati on:
Ils
rencontrent un malade ou un vieillard ou un cadavre et ils disent : "La
vie est rfute " Mais eux seulement sont rfuts, et [154] leur il qui
de l existence ne voit qu'un seul visage. La vie a de multiples
aspects,.elle est ambigu. Nietzsche a dcrit cette ambigut de l a faon
plus actuelle qui soit dans la dernire partie de ses fragments posthu
mes intituls. La volont
e
puissance. Le courage est cette puissance
-
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LE COURAGE D'TRE
qu'a
la vie de s'affirmer elle-mme
en
dpit de son ambigut, tandis
que la ngation de la vie, cause de sa ngativit, est une expression
de lchet. partir de ce fondement, Nietzsche dveloppa une proph
tie et
Ul1e
philosophie
du
courage en opposition cette mdiocrit
et
cette dcadence d la vie
qu'il
voyait s'annoncer dans la priode
venir.
Comme les philosophes antiques, Nietzsche dans Zarathoustra
considre le guerrier qu'il distingue du simple soldat- comme un
modle minent de courage. Qu'est-ce qui est bien? demandez-vous.
tre courageux est bien I, 10), et non pas chercher avoir une lon
gue vie
ou
vouloir tre pargn, et tout cela justement
par
amour de
la vie. La mort du guerrier t de 1homme mr ne doit pas tre un re
proche la terre (I, 21 ). L'affirmat ion de soi est l'affirmation de la vie
et de
la
mort qui appartient
la
vie.
L vertu, pour Nietzsche comme pour Spinoza, est affirmation
de
soi. Dans le chapitre Desvertueux, Nietzsche crit: C'est votre Soi
le plus cher, votre vertu La soif de l'anneau est en vous.:
c'est
pour
s'atteindre nouveau lui-mme que tout anneau lutte
et
se tord (II,
27). Cette analogie dcrit mieux que n'importe laquelle dfinition le.
sens de l'affirmation de soi dans la philosophie de la vie. Le Soi se
possde, mais,
en
mme temps,
l
cherche s'atteindre.
Ici,
le
conatus
de Spinoza devient dynamique, au point que l'on pourrait pratiquement
dire que Nietzsche est une reprise de SpinoZa. en termes dynamiques :
la vie
chez Nietzsche tient la place de la substance
chez Spi
noza. Cela est vrai non seulement pour Nietzsche mais pour la plupart
des philosophes. de la vie.
La
vrit de la vertu,
c'est
que le Soi est en
elle,
et non une chose. extrieure .
Que dans l'action se trouve vo- .
tre
Soi, comme dans l'enfant
la
mre: que cela soit votre formule de
vertu
(11,27). Dans
la
mesure o le courage est affirmation de notre
soi propre, l est du fait mme vertu.
Le
soi dont l'affirmation de lui
mme
est vertu
et
courage est
un
soi qui se SUipasse :
Et la
Vie elle
mme m'a confi ce secret:: Vois, dit-elle,je suis ce qui doit toujours
se surpasser
(II, 34).
En
mettant en italique
les
derniers mots,
Nietzsche indique qu'il veut donner une dfinition de la nature s s n ~
ti elle de la vie.
[ ..
]L, la Vie se sacrifie- pour la puissance con
tinue'-t-il et il montre, par cette expression, que pour lui l'affirmation
de soi inclut la ngation de soi, non pour 1 amour de la ngation mais
pour l'amour de la plus grande affirmation possible, pour ce
qu'il
ap-
ET COURAGE
23
pelle puissance. La vie cre et la vie aime ce qu'elle cre mais
contre ce la elle doit .bientt se retourner :
Ainsi le veut ma volont
[de
vie]. C'est
pourquoi il est faux de parler de
volont
d'exis
tence
ou
mme
de
volont de
vivre
; on doit parler de
volont
de puissance, c'est--dire de davantage de vie.
La
vie qu i veut se SUipasser est
la
vie bonne, et
la
vie bonne est
la
vie courageuse. C'est la vie de 'l'me puissante et du corps triom
phant
dont
la
jouissance de soi est vertu.
Une
telle me bannit toute
lchet;
elle dit: le mal
c'est
ce qui est
lche
(III, 54). Mais
pour
atteindre une telle noblesse,
l
faut obir
et
commander ; l faut obir
quand
on
commande. Cette obissance [155] qui est comprise dans
le
commandement est le ,cntraire de la soumission. Cette dernire est la
lchet qui n'ose pas se risquer. Le soi soumis, mme
un Dieu,. est
l'oppos d'un soi qui s'affirme. C'est un soi qui veut viter la douleur
de blesser
ou
d'tre bless. Le soi qui obit, au contraire,
c'est
celui
qui se commande et
par
l
serisque >>(Il,
34). En se commandant,
il
devient son propre juge et sa propre victime. Il se coriunande selon la
loi de la vie, la loi du dpassement de soi La volont qui se commande
est la volont cratrice. Elle fait un tout des fragments et des nigmes
de la vie. Elle ne regarde pas
en
arrire ; elle se tient au-del de la
mauvaise conscience ; elle rejette 1 esprit de vengeance
qui consti
tue la nature la ~ u s profonde de l'accusation de soi et de la conscience
de culpabilit ; elle dpasse la rconciliation, car elle est la volont de
puissance (II, 42). En faisant tout cela, le soi courageux
s'unit
la vie
elle-mme et son secret (II, 34).
Nous pouvons conclure notre interprtation de l'ontologie nietz
schenne
du
o u r g ~
par
la
citation suivante : A vez-vous
du
courage,
mes frres?[ .. ] Non le courage devant tmoins, mais le courage de
l'ennite
etde l'aigle, que pas mme un
dieu
n'aperoit?[ .. ] Il
a du
cur, celui qui connat la crainte mais la vainc ; qui voit l'abme mais
avec fiert. Celui qui voit l'abme mais avec des yeux d 'aigle, celui qui
saisit l'abme avec des serres
d'aigle:
celui-l a du
courage
(IV, 73,
partie4).
Ces paroles rvlent l'autre aspect de Nietzsche, celui qui tit de
lui tll1 existentialiste: le courage de regarder dans l'abme du non-tre,
dans la complte solitude de celui qui accepte le message : Dieu est
mort.
Nous aurons quelque chose d'autre dire sur cet aspect de la
pense de Nietzsche dans les chapitres qui viennent. Il nous faut, pour
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LE COURAGE D TRE
le moment, terminer notre survol historique, lequel n avai t pas 1 inten
tion d tre une histoire de l ide de c o u r g e ~ Son intention tait dou
ble:
il voulait montrer que, dans l histoire de la pense occidentale, du
achs de Platon au Zarathoustra de Nietzsche, le problme ontologi
que du courage avait stimul la cration philosophique, en partie parce
que le caractre moral du courage demeure incomprhensible sans son
caractre ontologiqu, en partie parce que,
1
exprience du courage
s est
rvle tre une voie d accs exceptionnelle pour l approche on
tologique de la ralit.
En outre, ce slifVol historique avait pour fm de hous procurer le
matriel conceptuel ncessaire pour traiter,
d une
faon systmatique,
du problme du courage et; par-dessus tout, du concept ontologique de
l affirmation de soi et de ses diverses interprtations.
CH PITRE II
TRE
NON-TRE ET
ANGOISSK
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1. UNE ONTOLOGIE DEL ANGOISSE
a a signification du non tre
. Le courage est affirmation de soi en dpit de, en dpit de ce
qui tend
empcher le soi de s affirmer
lui.;.mme.
la diffrence des
doctrines du courage du stocisme et du nostocisme, les philoso
phies de la vie ont trait catgoriquement de ce contre quoi le coura
ge s affirme. C ar si on interprte l tre en termes [156]
devie,
ci volu
tion ou de devenir, le non-tre est ontologiquement aussi fondamental
que l tre. La reconnaissance de ce fait n implique pas une dcision .
propos de la priorit de l tre sur le non-tre, mais elle requiert la prise
en considration du non-tre au fondement mme de l ontologie. Si
l on
parle du courage comme d une cle d interprtation de l tre
mme, il faut bien voir que cette cl, lorsqu elle ouvre la porte de
l tre, dcouvre e n mme temps l tre, la ngation de l tre et leur
unit.
Le non-tre est un des concepts les plus diftlciles et les plus dis
cuts. Parmnide a tent de l carter comme concept, mais, pour y ar
river, il a d sacrifier la vie. Dmocrite
l a
rtabli en l identifiant
l espace vide, de faon rendre le mouvement pensable. Platon s est
servi de ce concept parce que, sans lui, le contraste entre l existence e t
les pures essences tait incomprhensible. Il est impliqu dans la dis
tinction aristotlicienne entre matire et forme. Plotin y-a trouv le
moyen de dcrire la perte de soi de 1 me humaine et Augustin, le
moyen d interprter ontologiquement le pch de
l
tr humain. Le
non-tre devint, pour Denys 1 Aropagite, le principe de s a doctrine
mystique de Dieu. Jacob Boehme, mystque protestant et philosophe
de la vie, a tabli la thse classique
l effet que toutes choses s en
racinent dans
un
Oui et dans un Non. La doctrine leibnizienne de la fi
nitude et du mal aussi bien que l analyse kantienne de la finitude des
.catgories impliquent galement le non-tre. La dialectique hglienne
voit, dans la ngation, la puissance dynamique de la nature et de
l histoire; et les philosophes de la vie, depuis Schelling et Schopen
hauer, tiennent la volont>> pour la catgorie ontologique fonda
mentale parce qu elle a le pouvoir de se nier sans se perdre. Le concept
d volution et celui de devenir chez des philosophes comme Bergson
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LE COURAGE D TRE
plupart des auteurs le reconnaissent, la crainte, contrairemnt
l an
goisse, a un. objet dfini auquel on peut faire face, que
l on
peut ana
lyser, attaquer ou supporter. On peut agir sur lui, agir de telle sorte
qu on
y participe, ne serait-ce que sous la forme du combat. On peut
ainsi l intgrer dans son affirmation de soi. Le courage peut rencontrer
tout objet de crainte, parce que c est urr objet et qu il rend la parti
cipation possible. Le courage peut intgrer la crainte que produit un
objet dfini, parce que cet objet, quelque effrayant qu il soit, a un ct
par lequel
l
participe nous et nous lui. On pourrait dire que tant
qu?il y a un objet de crainte, l amour au sens de participation peut sur
monter la crainte.
[158] Mais il
n en
va pas de mme avec l angoisse parce que
l angoisse n a pas d objet ou plutt, exprim de faon paradoxale,
parce que son objet est la ngation de tout objet. C est pourqUoi la par
ticipation, la lutte et l amour
son gard sont impossibles. Celui qui
est dans l angoisse, aussi longtemps qu il s agit de pure angoisse, est
livr elle sans appui. On peut observer cette drliction dans l tat
d angoisse chez les animaux comme chez les tres humains. Cela
se
traduit par une dsorientation, des ractions inadquates, un manque
d intentionnalit (qui est la relation de l tre des contenus signi
fiants de connaissance ou de volont). La raison\ de ce comportement,
parfois. caractristique, est le manque d objet sur lequel le sujet (en tat
d angoisse) puisse se c ~ : m c e n t r e r Le seul objet est la menace elle
mme, mais non l origine de la menace puisque l origine de la menace
c est le nant .
. On pourrait
se
demander si ce
rien
menaant n est pas l in
connu, la possibilit indfinie d une menace relle. L angoisse ne
cesse-t-elle pas au moment o apparat un objet connu de crainte ?
Serait-elle alors la crainte de l inco nnu? Mais c est l une explication
insuffisante de l angoisse, car l y a d innombrables domaines de l in
connu, diffrents pour chaque sujet, qu on envisage sans aucune an
goisse. C est un inconnu
d un
type spcial qui est rencontr avec an
goisse : l est cet inconnU: qui, par sa nature mme, ne peut tre connu
parce qu il est
le
non-tre.
La crainte et l angoisse doivent tre distingues mais non pass-
pares. Elles sont immanentes l une l autre: l aiguillon de la crainte
est l angoisse, et l angoisse tend se transformer en crainte. Craindre,
c est
tre effray par qqelque chose, une douleur, le rejet par une per-
TRE, NON-TRE ET ANGOISSE
31
sonne ou par un groupe, la perte de quelque chose ou de quelqu un, ou
le moment de mourir. Mais quand on anticipe la menace de ces choses,
ce n est pas la ngativit elle-mme que ces choses reprsentent pour
le sujet qui
est
effrayante, mais l angoisse touchant les implications
possibles de cette ngativit. L exemple privilgi, et plus qu un
exemple, est la.crainte de mourir. Dans la mesure o elle est crainte
son objet est l anticipation d un vnement: celui d tre tu par la
maladie ou par un accident et, de ce fait, souffrir
l;
agonie et la perte de
toutes choses. Dans la mesure o elle est angoisse son objet est l ab
solument inconnu de ce qu il y a aprs la. mort: le non-tre qui
demeure non-tre mme lorsqu il est rempli d images tires de notre
exprience prsente. Les rveries du soliloque de Hamlet,
to
be r
not
o
be , sur ce que nous pouvons trouver aprs la mort et qui fait
des lches de nous tous, sont effrayantes non cause de
le.ur
contenu
manifeste mais en raison de leur pouvoir de symboliser la menace du
nant ou, en termes religieux, de
la
mort ternelle. Les symboles de
l enfer crs par Dante provoquent l angoisse non cause de leur ima
gerie objective, mais parce qu ils expriment ce nant dont on
prouve la puissance dans l angoisse de la culpabilit. Chacune des
situations dcrites dans
l
Inferno pourrait tre affronte par le courage
sur
la
base de la participation et de
l amour;
mais, naturellement, le
sens mme de ces situations fait que c est impossible. En d autres ter
mes, ce ne sont pas des situations vritables mais des symboles de
l absence d objet, des symboles du non-tre.
La crainte de la mort constitue l lment d angoisse inhrent
toute crainte. L angoisse qui n est pas attnue par la crainte
d un
ob
jet, l angoisse dans sanudit, est toujours angoisse du non-tre ultime.
premire vue, l angoisse apparat C()mme le sentiment pnible de
notre incapacit
affronter la menace d une situation particulire.
Mais une analyse plus profonde fait apparatre que, dans l angoisse
devant
n ll:).porte
quelle situation particulire, c est l angoisse devant
la situation humaine comme telle qui est prsente. C est l angoisse
d tre incapable de protger son propre tre. qui est sous-jacente
toute
[159] crainte et constitue en elle l lment effrayant. C est pourquoi au
moment o l angoisse nue s empare l esprit, les objets prc
dents de crainte cessent d:tre des objets dfinis; ils se montrent pour
ce qu ils ont toujours t en parti e: des symptmes de l angoiss