ollivier son approche sa vision · en 1873, demesvar delorme s 'était fait vertement critiquer...
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ÉMILE OLLIVIER : SON APPROCHE DU DESCRIPTIF ET SA VISION ROMANESQUE D'HAIT1
Mémoire rédigé sous la direction de, Monsieur Pierre Karsh et soumis à la Faculté des Etudes graduées en accomplissement partiel des exigences
pour le degré de
Maîtrise ès arts
Programme de Maîtrise en études françaises Université York
North York, Ontario
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by Frantz Celestin
a thesis subrnitted to the Faculty of Graduate Studies of York University in partial fulfillment of the requirements for the degree of
Masters in French Studies
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Le but de cette thèse est de savoir dans quelle mesure et de
quelle façon, Émile Ollivier, écrivain expatrié au Québec,
décrit Haïti, son pays d'origine. Pour atteindre notre
objectif, avouons-le, de façon partielle, nous avons choisi,
comme cadre théorique, le chapitre intitulé : .Le système
conf iguratif de la description)) du livre Du Descriptif de
Philippe Hamon.
Le travail comporte cinq chapitres. Le premier, intitulé :
&'état de la question. consiste en un bref tour d'horizcn des
romanciers haïtiens faisant partie de la dispora, de leurs
oeuvres et de leur engagement. Cela nous a conduits à Ollivier
et nous a permis de considérer le probléme de sa vision
romanesque du pays.
Le deuxième chapitre, (Ge regard descripteur. explique que pour
rendre naturelles et vrais&lables, certaines de ses
séquences descriptives, Ollivier se sert de personnages
particuliers qui par leurs (, le lecteur
apprend qu'une autre façon utilisée par Ollivier pour
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VI
introduire et justifier ses séquences descriptives, c'est de
déléguer la déclinaison de la description à un personnage
(.porte-parole)) qui parle le spectacle et le commente pour
autrui.
Le chapitre IV, .Le travailleur descripteur. mentionne une
autre politique à laquelle souscrit Ollivier et dont Hamon
fait état dans son livre Du Descriptif. C'est celle de la mise
en scène d'un .personnage de travailleur. à qui est délégué le
rôle de procéder à une tranche descriptive. Enfin, le
cinquième et dernier chapitre, (:Le démarcatif et sa
stylistique.), parle de ce qulHamon appelle une .thématique vide
et postiche. (Hamon, 1993 : 198) qui entraîne avec elle la
coupure, la fenêtre, la lumière, la pause, le poste, le
regard, etc.
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REMERCIEMENTS
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Remerciements
L'auteur éprouve un réel plaisir à présenter ses sincères
remerciements à son directeur de thèse, Monsieur Pierre Karsh,
professeur en Études françaises au campus de Glendon, pour sa
grande disponibilité, ses judicieux conseils et son assistance
soutenue qui ont grandement contribué à la réalisation de ce
travail.
Des remerciements sont également adressés à Monsieur Alain
Baudot, directeur du programme, pour sa précieuse
collaboration.
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TABLE DES MATIERES
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Table des matières
Résumé : . . . . .........*.*...,........................ IV
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Remerciements V I 1
Liste des tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI
Introduction ........................................ 1
Chapitre 1 : État de la question ..................... 4
Chapitre II : Le regard descripteur ................. 16
Chapitre III : Le bavard descripteur ................. 44
Chapitre IV : Le travailleur descripteur ............ 68
Chapitre V : Le démarcatif et sa stylistique ........ 95
......................................... Conclusion 121
....................................... Bibliographie 126
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LISTE DES TABLEAUX
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X I I
L i s t e des tableaux
Page
Tableau 1 : Insertion des tranches descriptives
dans les positions interstitielles
ou externes ................................. 18
Tableau 2 : Illustration des types de couples . . . . . . . . . . . . 7 4
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INTRODUCTION
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Introduction
Les critiques s'entendent pour reconnaître le caractère
essentiellement .engagé. de la littérature haitienne (Pr ice-
Mars, 1959 : 9-71) . En effet. la grande majorité des écrivains haïtiens se portent au service de ce pays en l'utilisant
souvent comme cadre et en se donnant pour tâche de divulguer
toute l'information susceptible de le faire connaître et de
contribuer à son avancement.
Comme toute littérature émanant de peuples qui contemplent une
longue histoire derrière eux, la littérature haitienne se
révèle un médium utilisé non seulement pour expliquer Haïti
aux étrangers comme aux compatriotes. mais aussi pour
transmettre à tous les citoyens jeunes et vieux, le message de
patriotisme et de solidarité nationale.
La poésie est importante parce que c'est elle qui inculque d a
vertu civique.. (Marcelin, 1878 : 326) . L e s romanciers Fernand
Hibbert ( 1 9 1 0 ) , ~uraciné Vavai (1933 1 abondent dans le même
sens. Celui-ci va jusqu'à laisser croire que le rôle des
homes de lettres est supérieur à celui des hommes d'État car,
à son avis, ce sont ceux-là qui bâtissent les
nations (Vaval, 1933 : 481) .
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Ainsi, à quelques exceptions près. les romanciers haïtiens
choisissent ordinairement Haïti pour cadre et les Haïtiens
pour protagonistes. Dans Stella, le tout premier roman haïtien
(1859), l'auteur Éheric Bergeaud insiste sur deux éléments qui
lui paraissent essentiels : le spectacle qtdes montagnes
altières qui anoblissent l'aspect du pays. et le sol fertile
sous un doux climat qui en fait un paradis terrestre oii il n'y
a .pas un seul reptile dangereux, pas une bête féroce.. A la
suite de Bergeaud, ~rédéric Marcelin (1909). Jacques Stephen
Alexis (1957) , Anatole Cyprien (1966) , A. ~ e s p è s (1949 1 ,
Pétion Savain (1932 ) , Jacques Roumain (1944) et beaucoup
d'autres ont décrit, chanté, célébré le pays natal, chacun en
son temps, chacun à sa manière.
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CHAPITRE 1
É t a t de la question
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État de la question
Longtemps, c'était comme une règle établie qu'Haiti occupait
le centre des oeuvres littéraires produites par les Haitiens.
En 1873, Demesvar Delorme s 'était fait vertement critiquer
pour avoir dérogé à cette règle, dans son roman Francesca.
Cependant, depuis le début des années 1980, un virage semble
être en train de se produire. Le nombre de romans publiés par
des écrivains haïtiens et dont le cadre et les protagonistes
n'ont rien d'haïtiens, devient de plus en plus important.
C'est le cas pour Une eau forte et La garo le prisonnière,
publiés par le romancier Jean Métellus. le premier en 1983, le
second. en 1986. M ê m e remarque pour Roger Dorsainvilla à
propos de Renaître à Dendé (1980). Dans ses deux romans:
Comment f a i r e llamour avec un nègre sans se fa t iguer ( 1 9 8 5 ) e c
Éroshima (1987), Dany Laferrière a choisi un quartier de
Montréal pour cadre comme du reste, l'a fait Gérard Étienne.
dans Un ambassadeur macoute à Montréal (1979) et Une femme
muette (1983).
De nos jours, on ne saurait blâmer comme en 1873, les
romanciers qui sont rendus légion dans cette lignée. Haïtiens,
ils tiennent à l e u r identité qu'ils ne cachent pas. Ils
conservent leurs souvenirs d'enfance qui les rattachent encore
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au pays et à certains parents et amis qui y sont restés. Ils
sont tout aussi bien intéressés à toutes sortes de nouvelles,
qu'elles soient à caractère social, économique ou politique,
qui en proviennent.
Constamment, ils souhaitent une amélioration de la chose
publique et souvent, il y en a même qui travaillent,
s'impliquent profondément pour cette amélioration. Mais la
réalité est qu'ils vivent depuis très longtemps sur la terre
étrangère OU bon nombre d'entre eux ont pris dl importants
engagements et ont vu naître leurs progénitures. Malgré la
nostalgie chez certains, la frustration chez d'autres, ils en
viennent presque tous à s'habituer, à s'adapter voire à
s'identifier au pays d'accueil.
II suffit de lire leurs biographies pour placer dans cette
dernière catégorie, des auteurs bien connus d'origine
haïtienne comme : Gérard Étienne, Jean-Claude Charles, René
Despestre, Roger Dorsainville, Anthony Phelps , Émile Ollivier
pour ne citer que ceux-là. 11 est évident que malgré la
similitude de la situation qui les caractérise, il ne se
dégage pas de leurs oeuvres respectives une seule et même
image du pays.
Sachant qu'un roman, ce n'est autre que d'analyse d'une
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société., Léon-François Hoffmann a compris que pour analyser
la société haltienne, ces romanciers de la diaspora ont
choisi, les uns, de rester fidèles au (créalisme traditionnel.,
les autres, de se tourner vers le .réalisme merveilleux)).
(Hoffmann, 1992 : 202) .
Le idalisme traditionnel. sous-entend le procédé selon lequel
le romancier fournit, à des fins didactiques, une image
grotesque et énigmatique de la société. Jacmel au crépuscule
(1981) et La famille Vortex (1982) de Jean Métellus illustrent
ce genre, en entremêlant des faits historiques aux aventures
de personnages haïtiens types : politiciens véreux, mère de
famille dévouée, militaires ambitieux ... (Hoffmann, 1992 : 202)
Par (créalisme rnerveilleum, il faut entendre la technique par
laquelle le romancier présente, sans explications, par le
biais d'un style riche et abondant, toutes sortes de
situations bizarres et inhabituelles, comme si elles faisaient
partie intégrante de la vie quotidienne normale. Sur ce sujet,
éon-~rançois Hoffmann se prononce corne suit :
L'exemple le plus r i u s s i de cette nouvelle
o c r i ~ u r e , et j 'oserai d i r e Le meilleur roman
jamais compose par un Haltien, ne smbls êïre
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Mere-Sol icude, qu'Émile Ollivier, domicili4 A
MontrPal depuis 1 9 6 5 , a p u b l i d en 1983 chez Albin
Michel
(Hoffmann, 1992 : 203) .
Malheureusement, Hoffmann n'a pas fourni une explication
claire et détaillée de la raison de ce succès sous prétexte
qu'il en aurait trop à dire et que seulement quelques lignes
ne sauraient suffire pour donner tune idée de cet
extraordinaire roman)) (Hoffmann, 1992 : 203) . En effet, l'accueil dont bénéficie cette oeuvre de la part de la
critique s'est avéré favorable. Mais, d'un autre côté, les
chroniqueurs étrangers ne parviennent pas à dissimuler quelque
peu leur déconcertation devant certains faits leur paraissant
incroyables. Ce désappointement ne surprend, d'ailleurs, pas
on-~rançois Hoffmann qui avoue : Comment le lecteur non
prévenu pourrait-il saisir la multitude d'allusions et de
résonnances évidentes pour qui a vécu cette sombre période.#
(Hoffmann, 1992 : 204) ?
C'est dans ce contexte que nous viennent plusieurs questions
et particulièrement la suivante : Cornent l'écrivain expatrié
=le Ollivier, décrit-il son pays à travers ses romans ?,)
Le but de cette étude est d'apporter une réponse partielle à
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cette question tout en tenant compte de certains points
théoriques traités par Phi l ippe Harnon dans son ouvrage : Du
descriptif.
Le descriptif
Avant d'entreprendre un éventuel long travail sur ce sujet, il
convient de préciser la signification du concept :
(
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10
présentent souvent la description comme nune u n i té textuelle#
ou une . f igure# au m i l i e u de nombreuses autres alors qu' ils
voient le descriptif comme d'objet)), le .genre descriptif.
qui abuse de la ((description* (Harnon, 1993 :15) . C h e z Littré [ . . . ] , 1 'article Descriptif e s t , plus que 1 'article Description, le lieu d'enregistrement d'une normativitéu
(Hamon, 1993 : 16). Et, pour sa p a r t , Pierre Larousse déclare
que le descriptif est d'abus monotone et fatigant. de la
description (Hamon, 1993 : 16).
Sous ce même angle, au cours d'un bref historique présentant
le descriptif comme un texte conçu dans une langue désignée à
représenter un monde .discret. subdivisé en (unités., Hamon
fait aussi état de la résistance et des condamnations
auxquelles le ~descriptifa) s ' est affronté jusqu' au début du
XIXe siècle, de la part des critiques littéraires. En fait, le
genre descriptif n'était pas connu dans l'Antiquité. Ce n'est
qu'à la fin du XVIIIe siècle que quelques voix timides, au
milieu de la méfiance persistante, commencent à se faire
entendre en faveur de ce genre littéraire que saint-~ambert
appelle .une invention moderne* (Hamon, 1993 : 15).
A ce compte, on peut lire la remarque suivante citée par
Bamon :
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La p l u p a r t des Rhétoriques n ' i n s i s c e n c pas
assez s u r l a d e s c r i p t i o n ; c'est un t o m . La
description revient presque in&vicab le rnen t
en quelque ouvrage que ce soit. Lbal14yorie,
la rornparzison, les métaphores meme et l a p l u p a r t dos figures ne s o n t que des descrip-
t i o n s , p l u s o u moins prolongées . (Baron, A. , 1807 : 180) .
Malgré t o u t , la réticence vis-à-vis de l'unité
description) et de l'objet (le descriptif). ne disparaît
partiellement. .Même au X I X e siècle, on s'aperçoit que
(la
que
les
préventions à l'égard de la description restent très fortes.
(Hamon, 1993 : 31) .
N'empêche que les théoriciens e t les critiques continuent à
rectifier leurs attitudes et leurs positions. Zola va même,
dans un bref historique du genre descriptif, jusqulà se
j u s t i f i e r (cd' avoir , après les "orgies descrigtives" du
romantisme, voulu faire un "emploi scientifique", "de savant",
de la descriptionas. (Hamon, 1 9 9 3 : 3 2 ) .
Pour sa p a r t , à la suite de l'historique sur l'évolution de
l'idée de descriptif dans le discours théorique de la
littérature, Hamon se penche sur la portée de la description.
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De fait. celle-ci entraîne. dans le texte, une nouvelle image
d'émetteur (le descripteur) et réclame un nouveau statut de
lecteur (le descriptaire). Le descripteur se signale souvent
par son attitude de savant austère. attitude qui émane surtout
des descriptions rencontrées dans les textes réalistes-
naturalistes du X I X e siècle et qui provoque le ."faire-croire"
persuasif [ . . . ] qui caractérise toute écriture (créaliste.
(Hamon, 1993 : 39).
Privilégiant la planification écrite sur la parole, le
personnage du descripteur se comporte comme un sédentaire ou
un voyageur. Parfois, il e s t plutôt un touriste ou un
explorateur; d'autres fois, il représente un individu chargé
d'une mission scientique, un étudiant ou encore, un chercheur
accomplissant un voyage en vue de s'instruire ou de recueillir
de l'information. Il classe, organise et régit son texte qui
est réaliste quand il se pose comme savant sur les choses ou
ironique quand il se pose comme savant sur les textes des
autres.
Ainsi, le descripteur est un actant informé qui, par le biais
de son .texte de savoir, savoir sur les mots et sur les ch os es^^
( H a m o n , 1993 : 501, passe un message à un autre actant moins
informé. Pour cela, sa description doit être persuasive,
conative, argumentative (cou du moins moment [ . . . ] d' une suite
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dialectique où [il] cherche à prouver, ou à transmettre,
quelque chose à quelqu'un d'autren (Hamon, 1993 : 51). Il e s t
donc évident que :
.Le d e s c r i p t i f est [ . . . ] le lieu textuel où se surdéterminent une compétence linguistique
(essentiellement lexicale et paradigmatique) et
une compétence encyclopédique (une mémoire, la
Mathesis, le savoir sur les objets ou sur les
sujets, sur le monde et/ou sur le(s) texte(s1.
(Hamon, 1993 : 52)
Cependant, quand le référent à décrire ne se présente pas
comme un ensemble de territoires et de discours à arpenter,
mais comme un ensemble comportant plusieurs aniveaux)) à
franchir, passant du .plus explicite au moins explicite^^. la
tendance devient plus qualitative que quantitative. 11 ne
s'agit plus de la Mathesis , mais plutôt d'une Semios i s : aune
traduction, un déchiffrage, un décryptage du réel* (Hamon,
1993 : 6 2 ) .
Ce type de description ne repose pas sur des groupes de mots.
de lexiques et de connaissances à juxtaposer. 11 se trouve
plutôt lié à des quêtes d'identité ou de savoir sur soi corne
c'est lé cas dans le texte lyrique ou de savoir sur le monde
comme dans le texte scientifique. .Dévoiler, découvrir, ôter
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les masques, [ . . . ] "peindre le dessus et métaphores les plus usitées de cette
descriptive. (Hamon, 1993 : 63) . Voilà, consiste le (tdescriptif>) dont nous nous
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le dessous" sont les
attitude réaliste-
en résumé, en quoi
proposons d'analyser
la portée dans l'oeuvre romanesque d'Émile Ollivier.
Harnon a travaillé sur divers aspects de ce domaine comme en
confirment les titres suivants des différents chapitres de son
livre Du descriptif : ((L ' énoncé descriptif et sa construction
théorique., 4I'ypologie du descriptif)), .Le s y s t h e conf iguratif
de la description)}, (
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d'études critiques. Une t e l l e analyse permettra, croyons-nous,
de mieux connaître et comprendre ses cinq romans : Paysage de
1 'aveugle , Mère soli tude, Passages, La discorde aux cent voix,
L e s Urnes scellées.
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CHAPITRE II
Le regard descripteur
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Le regard descripteur
A la lecture des romans d'Ollivier, il n'est pas difficile de
constater que les séquences de description reviennent
principalement à des endroits particuliers comme des espaces
intermédiaires entre des chapitres, entre différentes parties
de récits ou lorsqu'il s'agit de quitter une place ou
d'atteindre un point corne un port, un pays, une ville ou un
lieu public.
Cette tendance d'Ollivier à insérer des tranches descriptives
dans les positions interstielles ou externes, c'est-à-dire
dans les inciputs et les closules contribue grandement à la
cohésion globale du texte et aussi à la cohésion interne de la
description. C'est ce phénomène qui se trouve représenté dans
le tableau de la page suivante. La tranche descriptive (D) se
retrouve alors encadrée par deux séquences narratives ( E N) en
corrélation. Les symboles E N a et E N a représentent les
termes de la corrélation qui assurent la vraisemblance de
1 ' i n s e r t ion :
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Tableau 1
Insertion des tranches descriptives dans les positions
interstitielles ou externes
E FI a D ------------------ E EI a ouverture de porte -------- - D ----- fermeture de porte a p p a r i t i o n de lumih re ------ D - disparicion de lumiPre ouverture de fenêcre ------- D --- fermeture de Eenetrs (InCrde ----------a---------- C ----------------- sortie
montée B an lie12 41evS ----- D - d e s c e n t e du l i e c Elev4 conjonction avec personnage- D -- dis jonctior. d ' avec Le
psrsonnsgo, e t c .
(Hamon, 1993 : 167)
Cette découpe et cet encadrement au niveau de I'inciput ou de
la clausule de l'unité marchent de pair avec la grille interne
qui expose les éléments de la description à l'intérieur d'une
enceinte formant elle aussi un cadre optique où le détail
habilement choisi est mis en relief à la fin d'une (
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une stratégie à caractère d h r c a t i f et justificatif qui telle
que présentée par Hamon est basée sur les trois ensembles
privilégiés :
- le regard de ses personnages narrateurs ou acteurs;
- la parole de ses personnages narrateurs ou acteurs;
- le travail de ses personnages narrateurs ou acteurs.
Ce procédé à caractère tripartite est évident au niveau du
descriptif dans l'oeuvre d'Émile Ollivier. Chacun des deux
derniers ensembles constituera le titre des deux prochains
chapitres. Comme son titre .Le regard descripteur)) l'indique,
l'actuel chapitre étudie l'aspect concernant la déclinaison
d'une nomenclature déléguée à un personnage qui l'assumera par
ses regards.
En effet, l'un des facteurs qui président à la réussite des
énoncés descriptifs insérés dans 1 ' oeuvre de ce romancier,
c'est son habileté à s'éclipser pour placer des personnages-
truchements en position de vivre certaines situations ou de
voir, dominer certains panoramas qu'il décrit, à son tour,
après avoir suivi pas à pas ces personnages.
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Ses séquences descriptives se déroulent selon le syntagme-
postiche :
oul loir voir -- s avo i r v o i r -- pouvoir v o i r -- VOIR --DESCRIFTION
Dans le passage suivant tiré du roman Les urnes scellées,
le texte, conçu à la suite d'un déplacement qui j u s t i f i e l a
situation du .Vouloir voirjs du protagoniste, réunit les
principaux éléments de la thématique-postiche : porte,
fenêtre, observateur, déplacement, lieu élevé, lumière . . . évoquée par Phi l ippe Hamon, à l a page 170 de son livre.
Arr ivP devant l a maison, Adrien n e ï i c d ' abo rd
q u ' u n e m a s s i ? ~ e p o r t e à deux b a ï t a n t s , de celies
qui fcr;nir,t l+s g u i l d i v t r i o s , l es riist illeries GU
l es d P ~ 6 t s de caf4. Sn s ' approcnant , F 1 d4coüvrit,
perc3e J z n s l ' d p a i s s e c r d u bois, m e l a rge :ente
pa r laquelle il passa let t ê t e . A gauche, aü prmier
plan, une chaise cannée renversge pr3s d'une table
ronde, massive aux p i e d s d ' aca jou rrsvalll4. Au
c e n ï r e , un napperon brodé e n p o i n t s de c ro ix , de
mot i f s à l osa~gos ; l e s mgmes mot i f s se r 4 p 4 t a i e n t
s u r Io pap i e r p e i n c de p iê t re q u a l i t i , c o l l 4 s u r le
mur 4claboüssé ee sang, Au g)iafond, u n e lampe à
pendeioques de c r i s t a l , beaucoup crop imposanie pour
13 d4c0r. Une f e n ê t r e naute ec d c r o i t e & c l a i r û i t
fa iblement l a piece, [ -. . ] - Au fona de la piPce , le c o r p s do Lucie Dospin, lû moitie au corps nu de
-
L u c i e Despin ... (Ollivier, 1995 : 121)
Le déplacement d'Adrien vers la maison a déclenché la séquence
descriptive. Du premier coup, on est porté à croire qu'il
s'agira de la description d'une de ces grosses maisons
antiques en bois que l'on rencontre parfois, au fond de
certaines cours boisées de quelques quartiers anciennement
paisibles et cossues de Port-au-Prince et qui, aujourd'hui
encore, malgré les signes du temps, fascinent par leur faste
et l'originalité de leur architecture.
Cette première impression demeure évidente jusqu'à l'issue du
mouvement motivé par le wouloir voir## d'Adrien et qui débute,
selon le contexte, au moment où ce dernier, se .dirigea vers
les bas quartiers)) de cette ville des Caraïbes qu'il revoit
après plusieurs années d'exil au Canada, afin de constater, de
ses propres yeux, l'amplerir d'un affreux assassinat qui plonge
d e s citadins dans un abîme d' inquiétudes)) (Ollivier, 1995 :
123) .
Ayant fourni une bonne raison qui lui permet de ..franchir un
cordon de police., il emprunte un long corridor qui mène à la
masure où se trouve perpétré le meurtre. La fin du mouvement
est signalée par le terme .Arrivé)) indiquant, naturellement,
-
qu'il est rendu devant la maison du crime.
Ce qui attire, en premier lieu, l'attention d'Adrien, c'est la
massive porte à deux battants. que le narrateur compare à
celles des quildiveries~, des d distille ries^ ou des .dépôts de
café. que, certes, le revenant n'a pas vues durant les
multiples années passées en Amérique du Nord où un tel type
d'industrie n'existe pas vraiment. Si le narrateur procède à
une pareille comparaison, c'est probablement en tenant compte
du ()
que, dès l 'âge de vingt ans, elle avait choisi d'habiter et
qui constitue, au j ourd ' hui, (un en£ er de feux roulant SB
(Ollivier, 1995 : 124) au point que .marcher devenait une
activité à haut risque. Rester chez soi aussifi (Ollivier, 1995
: 124) . ès le crépuscule, la paix des gens de bien se trouve troublée par un crépitement continu d'armes à feu qui se
poursuit jusqu'à l'aurore, laissant d'asphal te jonché de
décombres, de ruines, de cadavres)) (Ollivier, 1995 : 124).
insécurité est tellement flagrante que les résidents n'ont
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pas d'autre choix que
de [leur] propre
23
de ((se barricader entre les quatre murs
maison transformée en forteresse
inexpugnable. (Ollivier, 1995 : 124) . Voilà une raison essentielle de la massive portefi susceptible de rendre
difficile aux malfaiteurs l'accès de cette masure retirée au
fond d'un long couloir. Malheureusement, malgré ies mesures de
protection, malgré son isolement, son caractère austère et le
respect qu'elle impose, Lucie Despin n'y a pas échappé. Elle
a laissé sa peau dans ce quartier, dans ce pays où d'instinct
destructeur avait franchi 1 ' extrême limite de la violence^^
(Ollivier, 1995 : 12).
Cette m a s s i v e porten n'a pas seulement la fonction de
protection. Elle constitue, dans un autre ordre d'idées, un
nouvel obstacle physique qu'Adrien, voyageur curieux et même
indiscret doit surmonter pour passer de l'étape du wouloir
voiru à celle du .pouvoir voir.. Déterminé, celui-ci finit par
s'approcher très près de la porte pour découvrir, (
-
24
Cependant, même si Adrien ne monte pas à un point plus élevé,
il se trouve quand même en position de dominer la pièce qu'il
décrit. Son oeil peut balaver le décor et découvrir un à un
les éléments qu'il choisit ou retient. De plus, la lumière
électrique projetée par une lampe de plafond, jointe à la
lumière naturelle arrivée par une fenêtre et aussi par la
fente de la porte, fournissent un éclairage suffisant pour
permettre au personnage de distinguer les plus petits détails
allant du premier plan de la salle jusqulà sa partie arrière.
Une .chaise cannée., une .table d ' aca j ou^^, un ((napperon brodé.,
une lampe pendeloques et enfin un ((lit aux barreaux en
laiton. constituent les principaux objets d ' usage et de
décoration de l'appartement. Bien qu'en petite quantité, ces
meubles ainsi que la lampe sont de bonne qualité et ont une
grande valeur. Ils constituent la preuve que Lucie Despin
était une femme fière, instruite, de bonne éducation et qui
avait le goût du beau.
Le cachet d'originalité ainsi que le caractère de fierté que
dégage son mobilier ne font que contraster avec l'état
médiocre du papier peint recouvrant le mur et avec la laideur
de la façade de L'imeuble qui atteste de la pâuvreté des
lieux. Madame Despin ne demandait pas mieux qu'une telle
ambiance environnante- Née d'une famille riche, très tôt,
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25
- elle n'avait que vingt ans - léguant à ses frères et à ses
soeurs sa part d'héritage, elle avait choisi de vivre au
milieu des pauvres après avoir ttfait voeu de chasteté et de
pauvreté)) (Ollivier, 1995 : 122).
La position de chaque unité du mobilier est indiquée de façon
précise. Tout est bien localisé depuis le .premier plana, .à
gauche. jusqu' (tau fond)) en passant par le cen t r e* . L e regardant
d'Ollivier ne cesse de scruter les horizons. 11 veut tout voir
et tout savoir. Sa sensibilité, son esprit de patriotisme qui
l'empêche d'oublier ce coin de terre qu'il a laissé depuis si
longtemps le
du touriste
comprendre ,
ramène au bercail, à ses racines. L à , à l l instar
curieux, il se déplace, s 'informe et cherche à
L a f e n t e dans la porte, utilisée par Ollivier n'est qu'une
variante de la fenêtre, ~thhatisation du pouvoir-voir)) àont
il se sert pour in t rodu i re ses paysages. D e même, par le
(cadre)) de ses portes ou de ses fenêtres, il annonce et expose,
à l'intérieur d e certaines limites, l'ampleur des spectacles
qu'il invite à comtempler, justifiant ainsi les tableaux
descriptifs qu'il fait suivre,
En plus du cadre et de la porte, le miroir constitue une autre
variante de la fenêtre que 1 'on rencontre souvent dans les
-
2 6
romans d'Ollivier. Utilisé pour sa propriété de réfléchir sur
un personnage son propre portrait, il apparaît dans le texte
tantôt sous la forme métaphorique, tantôt sous la forme
réelle.
Dans le roman La discorde aux cent voix, par exemple, la
corrélation : conjonction-disjonction des personnages Diogène
e t Madame Anselme encadre un tableau descriptif allant à
partir du moment que Madame Anselme (carriva. avec une cage de
bambou contenant un perroquet et se poursuivant jusqu'à ce que
Diogène ceferma bruyamment* la (
-
27
Le miroir intervient aussi sous sa forme réelle. Un moyen
facile et sûr pour Ollivier de mettre ses personnages face à
eux-mêmes consiste à les faire passer devant un vrai miroir
qui leur renvoie leur image. II lui arrive même, à l'occasion,
de multiplier ce technème afin d'amplifier l'illusion
d'optique, comme c'est le cas dans le prochain passage :
Le. plafond est recouver t de m i r o i r s , en p a r t i e
peints, agencPs de telle sor te que celui q u i
passe se c r o i t a u milieu d'une f o u l e , sa propre
image 4tant reproduite A l'infini, ...
(Ollivier, 1 9 9 5 : 2 1 9 ) .
Non seulement les miroirs constituent, selon le contexte, de
magnifiques éléments de décoration dans cette somptueuse
maison décrite par le romancier, mais encore, ils offrent à
tous, occupants ou visiteurs, 1 ' opportunité de contempler,
sinon de subir et endosser de temps à autre, leur physique
personnel e t même aussi de s'illusionner, parfois, de se
retrouver seul au milieu d'une multitude de pairs . Voilà, en
quelque sorte, comment Ollivier utilise, dans son lctexte
descriptif-réaliste,,, le miroir comme un meuble, mais surtout
comme une .des variantes de la fenêtre qui encadre et
introduit un paysage,) (Hamon, 1993 : 175).
-
28
Une autre variation utilisée par ce romancier haitien, c'est
celle de la .description ambulatoire^^ où un parcours d'une
certaine distance lui sert de prétexte pour introduire une
description de lieu ou de milieu. Par exemple, le premier
chapitre de Les urnes scellées tient en une série de .tableaux
descriptifs juxtaposés) qui s'élaborent au fur et à mesure
qu'un protagoniste avance au cours d'une randonnée pédestre
qui prendra fin de façon tragique.
travers cette succession de descriptions, Ollivier expose
une facette d'une ville d'Haïti dont i1 prend soin de n e pas
p r é c i s e r le nom. Pour la désigner, il emploie, tout
simplement, 1 ' expression &a ville~b. De quelle ville
s'agit-il ? Tout laisse croire qu'il est question de Port-au-
Prince, la capitale nationale. Cependant, l'auteur semble ne
pas estimer nécessaire de préciser un endroit particulier, car
à en juger par les faits, les révélations apportées à partir
de son cadre particulier ne constituent qu'un reflet de la
réalité du pays en général.
Le périple descriptif commence au moment où après avoir reçu
les services de son barbier qui lui suggère de faire attention
dans les rues de la ville et de se dépêcher de regagner sa
demeure, le personnage .enjambe le pas de la porte et prend
pied sur le trottoil-s (Ollivier, 1995 : 17) . Sa mobilité va le
-
2 9
conduire successivement dans différents milieux que l'on
explore avec lui tandis qu'on le suit du regard.
Le fait que le coiffeur se montre très adroit dans sa façon
de 1 'exhorter à la prudence, indique le climat d' insécurité
qui sévit en ces lieux. Ne musez pas trop en chemin, les rues
ne sont pas sûres ces temps-ci. (Ollivier, 1995 : 16) . Cette phrase de Zag reflète clairement son sentiment d'insécurité.
11 n'ose pas s'exprimer de façon claire et nette; mais, le peu
qu'il dit et aussi, le {(ton sentencieux. qu'il emprunte
suffisent pour mettre sur ses gardes, la personne la plus
nailve .
S'il a si peur, c'est en raison de la fragilité du contexte
dans lequel il évolue. Le métier pratiqué par ce personnage
lui permet dl obtenir beaucoup d' informations car il reçoit
régulièrement des clients qui entreprennent toutes sortes de
conversations sur les sujets les plus divers. C'est ainsi
qu'il est convaincu qu'un danger imminent plane sur la tête de
celui qu'il vient de coiffer. Malheureusement, Zag qui,
d'habitude, ne se fait pas prier pour lancer ses commentaires
sur les moindres rumeurs, ce jour-là, ne dit mot, tout au
plus, incite-t-il le monsieur à ne pas tarder à regagner ses
pénates. .L'oreille avertie devine qu'il sait plus qu'il n'en
dit,, (Ollivier, 1995 : 16) .
-
30
D'une part, pour sa sécurité, le barbier a peur de parler; et
lorsqu'il est obligé de s'exprimer, consciemment, il se garde
d'être ni loquace ni précis. D'autre part, il craint pour la
vie de son client obligé, pour regagner son domicile, de
s'engager dans les rues de la ville tass sou pie^^ qui, dlailleurs,
((vient d'être le théâtre d'événements sanglants. Du reste, une
odeur de violence flotte encore dans llairta (Ollivier, 1995 :
17) .
Terre de soleil ! Terre de violence ! Terre de crimes ! Terre
de misère ! Depuis son indépendance, Haïti connaît une vie
politique sans cesse perturbée par une rivalité entre
différentes factions de sa population. Les incessantes luttes
intestines n'ont pour effet que d'entraîner le pays, de plus
en plus, dans la misère et dans un climat général
d'instabilité et d'insécurité, (6De 1804 à 1957, vingt-quatre
chefs d'État sur trente-six sont renversés ou assassinésaa
(Lacoste, 1994 : 2 6 6 ) .
La majorité de ces renversements et de ces assassinats sont
suivis de bains de sang spécialement au niveau des concitoyens
démunis, trop longtemps astreints au silence imposé par une
dictature tenue en place, sous une forme ou sous une autre,
depuis bien avant la proclamation de l'indépendance en 1804.
-
3 1
Conséquemment, les occasions sont multiples où l'on assiste à
des révoltes entraînant dans les rues, des populaces en délire
qui se défoulent de leurs frustrations et qui se font justice
elles-mêmes en détruisant presque tout sur leur passage,
lynchant même leurs pairs souvent innocents. De m ê m e aussi, il
survient souvent des scènes horribles où les citoyens
s'entretuent à tort et à travers et même où certains se font
assassiner au grand jour et en pleine rue. C ' e s t ce dernier
sort qui semble menacer le client de Z a g et qui provoque tant
l'appréhension du barbier.
En fait, la séance terminée, à peine le client a-t-il traversé
le pas de la porte que sur le trottoir, il se retrouve en face
d'un corollaire à la réalité politique : la misère haïtienne.
&a charité, s ' il vous plaît), (Ollivier, 1995 : 17) . Le pauvre aveugle assis, comme toujours au même endroit, à côté du salon
de coiffure, demande l'aumône. L'homme lui donne une pièce de
monnaie.
Natif dlHaiti où il a vécu la majeure partie de sa jeunesse,
Ollivier comprend qu'il ne saurait décrire son pays natal sans
tenir compte de la misère et de la violence qui le
caracterisent depuis toujours et davantage de nos jours où la
situation s'est détériorée de façon catastrophique tant au
point de vue économique qu'au point de vue politique et
-
social.
Malgré la Lumière éclatante dl un soleil de midi qui (
-
33
p r é s e n t e les di£ f érents tableaux dans une abondance de mots
j u s t e s . Grâce à cette précision dans le vocabulaire et une
mise en scène, parfois insistante, les scènes qu'il décr i t
contribuent largement à théâtraliser la nature, les o b j e t s et
les personnes. C'est ce qui explique aussi que ses personnages
sont si édifiants. Leur personnalité transcende comme on peut
le c o n s t a t e r dans les lignes suivantes :
Le visage austPre, l'oeil indéchiffrable,
svelte, filiforme, l'homme s'en va d'un pas
de ~ P n a ~ w r , pigtinant son ambre, I ' o r n b r ~
passagSre do m i d i .
(Ollivier, 1995 : 18)
Ce portrait indique une (créalité~ psychologique du personnage
présentant le profil d'un homme de bien, sûr de lui, la
conscience nette et qui s'en va, sans crainte, la tête haute.
L'homme avance calmement et fièrement. II marche sur son ombre
comme lui, Sam Soliman, citoyen de bonnes vie et moeurs, . issu
d'une des plus vieilles familles., de la cité, il souhaiterait
pouvoir piétiner tout être vil et bas, toute crapule qui ne se
gêne pas pour ramper à plat ventre devant n'importe qui
capable de lui offrir la moindre faveur. Mais, attention !
Dans cette jungle, malgré son intégrité, son honnêteté et sa
sagesse, Monsieur Soliman n'aura pas la chance de marcher
-
34
longtemps sur son ombre, dfombre passagère de midi## (Ollivier,
1995 : 18).
Toujours .au pas de sénateur., le personnage focalisateur se
déplace. Au fur et à mesure qu'il poursuit son chemin, il
feuillette son journal. Ce déplacement qu'il entreprend sur
une certaine distance constitue un prétexte pour introduire la
description du m i l i e u . Il en est de même pour le regard jeté
sur aune quantité chif f réew de q u a t r e pages d ' insignifiances
et de platitudes. (Ollivier, 1995 : 18) du journal local.
Cette séquence permet A l'auteur d'organiser la distribution
de la description ambulatoire à laquelle M. Soliman, le
personnage focal sert aussi de focalisateur.
En plus du fait que Sam Soliman représente un personnage, à la
fois, focal et focalisateur, on assiste au cours de la
description ambulatoire à la distribution et à l'exploitation
de trois systèmes topographiques.
a) Le premier est la perspective (le près et le loin) qui
s'exprime dans la distance que le personnage doit parcourir
pour se rendre chez lui à partir dc salon de coiffure. près du
salon, il y a l'aveugle assis à qui l'on fait l'aumône et qui
constitue un symbole de la société haïtienne. l'opposé, il
y a la demeure du client qui est loin. 11 doit marcher
-
35
longtemps pour s'y rendre. Selon le sage conseil du coiffeur,
il ne faut pas tarder en chemin. Mais il ne s'en fait pas. Il
s'en va sans inquiétude, sans se soucier de ce rappel de
Zag : .La pure prudence ne s u f f i t plus; la sécurité est une
denrée rase de nos jours)) (Ollivier, 1995 : 16) .
b) Le second système exploité par Ollivier dans son t e x t e est
la verticalité (le bas et le haut). En effet, parti du bas de
la cité, Ohorne donne dos à la mer qui enserre la ville en
fer à cheval)) (Ollivier, 1995 : 18) . Il laisse (c derrière lui, le quartier du Port)) en direction des hauteurs où il habite
normalement, car, à cause de l'exode rural vers les quartiers
paisibles du bas, les familles aisées ont fait place aux
upéquenots accompagnés de leurs péquenotes venus en ville,
pour "bousqueru la vie)) (Ollivier, 1983 : 170) . Laissant le champ libre à ces nouveaux venus, des villageois urbains.
(Ollivier, 1995 : 19) el les ont glu domicile dans les hauteurs
dominant la cité,
c ) Le troisième système exploité dans le texte est celui de la
latéralité (gauche-droite; orient-occident) . D'une part, (cDu coté nord, à la rue des Sapotilles, un pâté de maisons un
peu vieillottes d'allurel) (Ollivier, 1995 : 19) . Ces maisons de la rue Sapotille représentent le côté humain et le b3ti
culturel par opposition au quartier du Port avec «ses échoppes
-
bancales et ses maisons de commerce, son marché en fer et ses
baraques de ghetto* (Ollivier, 1995 : 18) . Un marchand de fresco cegarde à droite, à gauche, en haut, en bas. (Ollivier,
1395 : 22) avant d'émettre son opinion. Car, il n'est pas sans
savoir que dans cette galère où il vit, il doit penser quatre
fois avant de parler.
Ollivier qui réfléchit avant d'écrire, établit une sorte de
paradoxe susceptible de faire sourire et d'entraîner, du même
coup, des questions conduisant à la prise de conscience de la
fragilité ou de la gravité d'une situation. L'une des
caractéristiques de son oeuvre, c'est, en effet, 1 'ensemble
des révélations empreintes d'un humour mordant. Il dénonce et
tourne au ridicule tant l'insuffisance et la mesquinerie que - la malversation et la violence.
Ses attaques virulentes sont portées contre les journaux du
pays qui affichent trop de pages ~d'insignifiances et de
platitudes. et qui n'ont rien d'autre à publier à la une que
les multiples avis de divorce signés de maris frustrés, avides
de vengeance contre leur femme infidèle. 11 y va encore plus
fort contre les gendarmes qui se livrent impitoyablement à des
actes de tchold up nocturne. sur la population alors que,
paradoxalement, ils sont payés pour en assurer la sécurité.
-
37
Au fond, peut-on parler de sécurité quand on considère la
façon dont un paisible citoyen s'est fait assassiner, en
pleine rue, au grand jour, de manière si mystérieuse ?
D'abord heurté sauvagement par un cavalier brutal et arrogant,
à peine le monsieur a-t-il le temps de reprendre ses sens, il
fait face à quatre hommes qui, descendus d'une voiture non
identifiée, l'abattent froidement d'une rafale de balles.
Incroyable ! Mais, c'est ce qui se passe en ce pays. Était-il
la personne visée ? Était-il au mauvais endroit, au mauvais
moment ? Peut-être que le marchand de glace a raison quand il
déclare, avec la mine déconfite)) et l'humour caractéristique
d'Ollivier : { ~ A d i é bondié oh ! Quel gilet ils lui ont tricoté,
sans sauter une maille !,) (Ollivier, 1995 : S 3 ) , ce qui peut
se traduire par : «Oh, Bon Dieu ! Dans quel beau drap, l'a-t-
on mis ?I#
Voilà à quel point le moindre déplacenent des personnages
d'Ollivier provoque une description. Il en est de même d'une
entrée ou d'une sortie de leur part. Grâce à ce procédé, il
réalise l'esthétique du discontinu. Par exemple, lors de la
conférence tenue à 1 'auditorium des pères salésiens, en deux
fois, l'intrigue est coupée : d'une part, quand arrive le
conférencier Bernissart et d'autre part, quand s'amène la
présentatrice.
-
Cinq heures sonnaient quand, avec une ponctualit4
d ' h o r l o g e , maître Bernissarc encra dans la
salle paroissiale der p4rer sal4siens. C'4taic
un dimanche poisseux de ntwembre, à cinq h e u r e s
de 11apr4s-midi. Salve d'applaudissements,
sourires amuses et sceptiques, tetes h i l a r e s ,
sifflements admiratifs ou moqueurs l'accueillirent
et quand il PUC pris place sur l'estrade d'honneur,
une femme en longue robe fleurie, par& comme une
chasse, pornponn&e, attifge Srnergea des coulisses.
E l l e déclina pompeusement son titre : presidente
de 1'Association des scientifiqu~s.
(Ollivier, 1983 : 16)
On relève, dans le texte, une entrée fortement marquée par le
verbe fientrafi, celle de maître Bernissart, et une sortie, tout
aussi bien marquée par le verbe émergea l b , celle d' une f m e
jusqutici inconnue du lecteur. Deux mouvements contraires qui
annoncent une opposition probable entre les deux personnages,
chaque mouvement accompagné d'une description.
La séquence porte d'abord sur le temps que fournit un élément
sonore du décor : c i n q heures sonnaient.. De quelle horloge
s'agit-il ? Celle de l'église ? Celle de l ' hô t e l de ville ?
U n e autre ? Même en resituant le texte dans son contexte, il
est impossible de savoir de quelle horloge retentissaient de
f a i t les cinq coups-
-
39
Le lecteur doit accepter cette précision temporelle pour trois
raisons qui sont données ici : a) on peut se fier à l'horloge
qui sonne 1 'heure juste; b) maître Bernissart, étant d ' w n e
ponctualité d'horloge., entre dans la salle à l'heure qu'il
devait y entrer, son horloge intérieure personnelle,
correspondant à celle du groupe social auquel il appartient;
C ) le narrateur le dit (C'était [ . . . ] à cinq heures de
l'après-midi.) et, s'il le fait, c'est qu'il possède un savoir
que ne lui dispute pas le lecteur.
Même s ' il y a, dans les deux premières phrases, passage d'un
lieu à un autre, de 1 'extérieur à 1 'intérieur, tout se fait
sous le signe de l'ordre, puisque tout iridique une seule et
même chose : l'heure de l'action qui se déroule. L'insistance
sur la ponctualité de Maître Bernissart paraît, malgré tout,
paradoxale. Pourquoi, le fait par un conférencier d'entrer à
1 'heure exacte dans l'auditorium où il va prononcer une
causerie littéraire, scientifique paraît-il tellement bizarre
qu'il mérite d'être souligné avec tant d'insistance ?
La surprise du narrateur peut s 'expliquer par le f a i t que
dans ce pays, l'observance des règles de la ponctualité est
tellement bafouée qu'on ne parvient que difficilement à
comprendre que quelqu'un puisse se présenter à un rendez-vous,
sans accuser de retard. Cette tare au sein de la population
-
est si évidente que les Haïtiens ont fini par en trouver une
excuse en alléguant qu'elle n'est qu'une conséquence directe
de la chaleur suffocanteu qui pèse constamment sur le peuple
et dont Ollivier a fait mention avant d'entreprendre la
description.
C ' est cette chaleur qui, dès la deuxième phrase, menace
l'ordre. C'est elle, en effet, qui justifie le qualificatif
qmisseux)* qui précise le jour de la semaine, .un dimanche)),
mais qui pourrait aussi préciser l'atmosphère morale, bel et
bien bouleversée dans l a première partie de la troisième
phrase, alors qu'on nous fait part de la réaction désordonnée
de la salle. Ce comportement suspect de l'assistance aurait dû
suffire pour prévenir l'intéressé qui n'en continue pas moins
d'avancer pour terminer son geste, en prenant (place s u r
1 ' est rade d ' honneur)).
Dès que ce mouvement cesse, un autre commence. Cette fois-ci,
c'est la femme qui émerge, entrée théâtrale comme l'indique le
n o t wzoulissefi qui introduit un spectacle comique sinon
grotesque puisque le narrateur fait d'elle un objet dont la
décorat ion est exagérée comme une châsse., quatrième élément
du paradigme religieux et sacré ou figurent déjà qaroissialem,
qèresab et .dimanche* et qui s 'oppose au carnavalesque.
-
41
A l'aspect à la f o i s comique et grotesque du spectacle livré
par la femme, s 'ajoute une note de ridicule, de doute et de
dérision quand celle-là décline qompeusement son titre de
présidente de 1 'Association des scientifiques*. Est-elle
sérieuse ? Est-ce de la démagogie ? De quelle Association de
scientifiques parle-t-elle exactement ? Existe-t-il des
scientifiques en Haïti ? Si oui, combien sont-ils ? Où cette
Association a-t-elle son siège social ? Perplexité.
Incrédulité. Ironie. Indifférence, Disons, toutefois, que dans
un roman, la vraisemblance doit primer sur la réalité. Avant
tout, Ollivier est un auteur réaliste; son propre, c'est
d'hypertrophier les situations pour assurer le vraisemblable.
L'entrée du conférencier suscite du nouveau dans le t e x t e et
engendre la description. Par contre, lors de la sortie de la
présentatrice, c'est plutôt l'inverse : la description
précède le nouvement. Avant même l'arrivée de la femme sur la
scène, le caractère extravagant de sa parure est déjà présenté
à travers une séquence descriptive.
Cela dénote que, dans le texte d'Ollivier, la description
occupe une fonction réversible. Elle intervient,
indifféremment, avant ou après une entrée, une sortie, une
lumière, une porte, une fenêtre, une montée à un niveau
supérieur. S ' insérant dans les d i e u x interstitiels ou
-
externes$ du texte, non seulement elle en assure la cohésion
globale, mais aussi, elle contribue à la justification et à la
vraisemblance tant des mouvements dans le temps et dans
l'espace que des mentioris de seuils et de frontières
franchies.
Au cours de la séquence citée plus haut, mettant en évidence
l'entrée de maître Bernissart et celle de la dame qui le
présente, on passe doucement de la descript ion 1sob-j ectivel~ à
la description psychologique, morale et sociale. Jamais sent-
on comme un moment d'arrêt, le temps de cette description qui
s'infiltre entre deux blocs narratifs en corrélation.
En somme, Ollivier réalise bien l'insertion des séquences du
descriptif dans le narratif. Récit et description tendent donc
à se confondre au point que le lecteur parvient difficilement
à déterminer à quel moment l'auteur raconte ou bien décrit. La
fonction démarquante et l ' é t a t d'unité démarquée de la
description dite wzlassiqueu sont systématiquement sabotées,
par des (cglissements imperceptibles mais systématiques à
l'intérieur des cases du texte. (Hamon, 1993 : 170) .
Nous devons admettre que l'une des raisons du succès du
romancier, c'est le fait qu'il applique si bien sa stratégie
du .regard descripteur.. Mais, il y a plus. 11 emploie aussi
-
la méthode du .bavard descripteur.. Nous nous proposons de voir
dans le chapitre suivant dans quelle mesure il réussit c e t t e
stratégie.
-
CHaPITRE III
Le bavard descripteur
-
L e bavard descripteur
Après avoir passé les 25 premières années de sa vie en Haïti.
son pays natal, Emile Ollivier a émigré au Québec en 1965. Il
habite Montréal depuis une vingtaine d'années et enseigne la
sociologie à l'université de Montréal. Entre 1977 et
aujourd'hui, il a publié cinq romans dont le dernier a paru en
1 9 9 5 . Son oeuvre n'est pas abondante, mais elle se signale
surtout par la splendeur et par l'éloquence qui se manifestent
dans les descriptions des décors.
Le succès du système descriptif chez cet auteur, vient du fait
qu'il utilise une stratégie semblable à celle recommandée par
Philippe Hamon dans sa théor ie Du Descriptif et basée sur : a)
le regard descripteur, b) le bavard descripteur, c ) l e
travailleur descripteur. L'analyse de la première partie ayant
été réalisée. les pages suivantes se donnent pour objet de
voir dans quelle mesure Ollivier suit les traces de Hamon en
ce qui concerne le 1~ bavard descripteur 0 .
Pour cette analyse, nous tiendrons compte de l'aspect général
de l'oeuvre d'Ollivier, mais surtout du contexte particulier
qu'on retrouve dans les romans Paysage de l'aveugle et
Passages où la fonction de décrire des situations est déléguée
à des personnages comme Héronimus et Badegros, dans le
-
46
premier, et ~ é g i s , Brigitte, Amédée Hosange, Leyda, Arnparo,
Normand, dans le second.
Ollivier ne s'éloigne pas de ses personnages. 11 les
accompagne constamment; et les scènes ou les tableaux qu'il
décrit ne son t autres que les cibles qu'il observe et sur
lesquelles il dirige leur regard. Dans sa vision épique,
parfois, ce sont les événements qui subissent l'effet du
grossissement; d'autres fois, ce sont les objets qui se
trouvent amplifiés de façon démesurée. C l est donc le (gros
plan monstrueux), qui prédomine.
On constate aussi que, souvent, au gigantesque, il sait
substituer une vision microscopique susceptible de s'emparer
du moindre détail visiblement banal pour I ' exploiter et
ensuite, tel dans un cercle vicieux, l'agrandir, en fin de
compte, énormément (Audet ; .Une épopée des Caraïbes>,, Lettres
québécoises : 2 9 , jusqu'à nous ramener au gigantisme du point
de départ.
La contradiction entre ces deux types de visions
(macroscopique et microscopique) ne constitue pas de brèche au
niveau de la cohérence dans le texte, l'harmonie étant assurée
par la richesse de l'écriture, en général, et par l'éloquence
qui se manifeste dans les descriptions, en particulier.
-
47
Il est évident que la contribution de l'écriture n'est pas peu
dans la bonne qualité du texte. Cependant, en ne parlant que
de cet aspect, on sacrifierait une partie importante de
llatmosphère générale de l'oeuvre romanesque d'hile Ollivier,
car le côté verbal y j oue aussi un rôle important. A ce
compte, Gilles Marcotte écrit : .Le roman d'Émile Ollivier, en
effet, est une véritable crue de langage avec des descriptions
flamboyantes)) (Marcotte, ~'~ctualit& 1995 : 94). Dans le même
ordre d'idées, Noël Audet se prononce en ces termes : (Ce
dernier s'installe dans un plaisir de parler, de dire à haute
voix, comme à la criée, ce qui se passe dans les cons ci en ces)^.
(Audet, 1987 : 25). Il le fait en utilisant un vocabulaire qui
.s'étend du mot le plus cru au mot le plus poétique et cela
parfois à l'intérieur d'une seule phrase.. (Audet, 1987 : 2 5 ) .
En émettant ainsi des séquences descriptives non pas par le
biais de 1 'écriture, mais par la voix de ses protagonistes,
Ollivier illustre l'aspect théorique cité par philippe Hamon
selon lequel, après la stratégie d~ .regard descripteur)), la
seconde façon commode pour introduire une description dans un
texte, (c'est d t en déléguer la déclinaison à un personnage
qui, par sa parole, assumera cette déclinaison^^. (Hamon, 1993
185). Ainsi, loin de se contenter d'un seul type de
description, celle basée sur l'aspect optique qui s e développe
à partir d'un «regard)), ce romancier haïtien exploite
-
différents autres systèmes dont celui axé sur la parole.
En effet, il n'est pas rare que le personnage olliviérien,
joue le rôle de porte-parole au cours d'une séquence et qu'il
décrive, .parle., commente, à haute voix, un spectacle pour
autrui. Comme dans le cas de ses séquences de description
ttoptiqueu, Ollivier se sert de mises en scènes spécifiques pour
émettre dans son texte, le double signal de l'introduction et
de la justification de ses tranches descriptives. De telles
tranches se présentent, sous 1 ' aspect de monologues, de
dialogues ou de discours volubiles et s'élaborent selon .un
syntagme-postiche introductif* du type suivant :
Cette sorte de stratégie thématique se répète souvent tant
dans Paysage de l'aveugle ( 1 9 7 7 ) , ère-Solitude (1983) que
dans La Discorde aux cent v3ix (1986), Passages (1991) et Les
urnes scellées (1995).
Paysages de 1 'aveugle
Dans le roman, Paysage de 1 'aveugle. le protagoniste Iris-
-
49
Sans-Sommeil (craconte sur le mode onirique et grotesque ses
souffrances aux mains du dictateur ~démar Badegros et de son
homme de main Héronymus, avatars des Duvalier,, (Hoffmann, 1 9 9 7
: 16). Il revit alors le moment où ce dernier cherche à
comprendre Haiti, ce pays qui l ' a vu nartre et dans lequel il
vit encore. Perdu, tel un néophyte qui ne connaît pas le
mileu, il questionne Adémar Badegros, son mentor, à 1 'ombre
duquel il évolue. Celui-ci se trouve, de toute évidence, en
mesure de répondre à ses questions, compte tenu de sa position
économique et sociale dans l'immédiat et des fonctions
politiques qu'il a déjà occupées dans le sillage des Duvalier.
Là-dessus, Iris-Sans-Sommeil affirme :
Le inStayer . (Ollivier, 1977 : 13)
Ce discours fait état, en peu de mots, d'une bonne partie du
curriculum vitae de celui qul~éronymuç appelle : (~M'sieu
Badegros, Seigneur Badegros.. (Ollivier, 1977 : 15 ) . Le profil, ainsi tracé, indique que cet homme possède le (savoir.
et la compétence requis pour éclairer les lanternes de son
-
5 0
protégé et lui transmettre l'information désirÉe. Dépassé par
les événements, Héronymus se sent perdu, désemparé. Bref, il
ne comprend plus rien du contexte socio-politique haïtien.
L'aide du maître, sinon du pédagogue, se révèle, pour lui, de
toute importance quand il s'écrie :
Seigneur Baderos, nous vivons dans ce pays,
le nombril de l a Terre, le nom-bril de l a
Terre, le nombril de l a Terre. M'sieu Saderos,
rnl enrendez-vous ?
(Ollivier, !977 : 15)
Cette question comporte, en premier lieu, une périphrase dans
laquelle le questionneur exprime une vision pessimiste à
propos de la qualité de vie que ltKaiti de &Baby Doc* offre à
ses citoyens. En second lieu, elle présente une définition
péjorative de ce pays qui, jadis, était surnommé la Perle des
Antilles et que, aujourd'hui encore, malgré sa déchéance, les
nostalgiques et les démagogues, soi-disant nationalistes,
persistent à considérer corne le plus beau, le meilleur au
monde.
Héronymus s 'attendrait alors, de la part de Badegros, à une
réponse claire et honnête qui prendrait l'allure d'une
définition ou encore d' une description détaillée plus
-
51
.appropriée# que la *périphrase. dont il s'est servi pour
demander l'information. En effet, s'il sollicite des
explications, c'est parce qu'il se trouve dans une situation
telle qu'il (me maîtrise pas suffisamment la nomenclature
officielle, appropriée de la langue. (Harnon, 1993 : 186). Dans
ce cas, à l'instar d'un néophyte. .quémandeur de nouvelles?)
(Hamon, 1993 : 186), il s'adresse à un interlocuteur,
détenteur éventuel du savoir, qui lui fournira l'information
nécessaire. Celui-ci remplit, alors, la fonction d' un
.pédagogue qui explique quelque chose à un étudiant* (Hamon,
1993 : 187) . Cependant. la réponse qu'il reçoit n'est nulle autre que : .D'accord, ~éronymus, le nombril de la Terre,
d'accord et ensuite.. . # ) , (Ollivier, 1977 : 15)
Pareille réaction ne se révèle ni convaincante ni assez
explicative pour satisfaire la curiosité du questionneur. La
réponse provenant du questionné, malgré la compétence de
celui-ci, s'avère plutôt évasive, vague et même fallacieuse.
Insatisfait, Héronymus ne peut s ' empêcher de poursuivre
l'interrogatoire :
Monsieur Badegros, le rno~de e s t prPsen t mais nous
ne L'avons jamais vu. Ses bruits, ses martèlements
et ses f u r e u r s ncus parviennent à t ravers une c l o i s o n
opaque de cris et de c l a m e u r s , de produics et de
-
slogans et d'images vieilles à l'instant oU e l fes
naissent. Au dernier recensement, vous souveaez-vous,
M'siou Badegros, rious oc ions quatre m i Ilions. Les
chiffres, vingc ans plus tard (déjà ? ) ont changb b coup
sfir, n'est-ce pas M' sieu Badegros ? .Le monde existe
et nous avec... Mais nous, sommes-nous cles champignons,
M'sieu Badegros ?P.
- Des cactusn. - Des champignons
Des cactus
- Des champignons (Silence)
- Des cactus f Silence prolong&)
(Ollivier, 1977 : 15)
Ce qui fait l'objet essentiel de ce paragraphe, c'est la
réflexion d'Kéronyrnus sur le monde^^. Le terme monde^^, en
effet, qui paraît au début, est répété à La f i n de la
description. Ce personnage se trouve dans une situation de
wouloir dire23 quelque chose à propos du monde^^ qui 1 'entoure.
Mais, incapable de comprendre ce qui se passe dans son milieu,
il se voit obligé de s'informer auprès de Badegros pour
acquérir l'ensemble des connaissances susceptibles de lui
fa i re passer de la position de wouloir dire. à celles de
((savoir dire,) et qouvoi r dire#,.
-
53
La première phrase i n t r o d u i t la tranche descriptive lorsque
malgré l'absence du signe d'interrogation à la f i n , Héronymus
demande su r un ton bien plus interrogatif qu'affirmatif : d e
monde est présent mais nous ne l ' a v o n s jamais vu)). O n
penserait que ce doute constaté au début se dissiperait au fur
et à mesure qu'on avance dans la séquence descriptive.
Cependant, ~éronyrnus ne parvenant guère à obtenir une
explication valable, son incertitude persiste. Et jusqu'à la
fin de la séquence, au lieu d'obtenir une information
satisfaisante, il doit se contenter d'une série de réponses
insensées, évasives qui n'ont aucun rapport avec l'ensemble du
texte déjà, pour sa part, incohérent. Pour mieux comprendre
11appr8hension de ce monsieur, il est important de passer en
revue certaines définitions du terme monden afin de s'entendre
sur la signification qul il peut revêtir dans l'esprit de ce
personnage d'Ollivier.
Selon le dictionnaire Petit Larousse : .Le monde, c'est
1 ' ensemble des êtres humains vivant sur la terre), (Larousse,
1993 : 668). Dans le dict ionnaire Québec d'aujourd'hui : G e
monde : 1) ce sont les gens, des gens; un certain nombre de
personnes. II) La Terre, habitat de l 'être humain; l 'humanité.
(Boulanger et Rémy, 1992 : 7 5 3 ) . Dans le Dictionnaire des
synonymes et des antonymes, ((Monden s ignif ie : &Foule, gens,
hommes, humanité, milieu, peuple, population, société* (Légaré
-
54
et Robert, 1979 : 356). P a r m i un grand nombre de définitions
du terme (lrnonde)~, qui se suivent dans le Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française, la suivante
est retenue parce qu'elle se rapproche davantage du contexte
faisant l'objet de cette analyse. (Nonde : La société, la
communauté humaine vivant sur la terre; le genre humainfi
(Robert, 1978 : 1219).
De tou tes ces définitions, la dernière paraît la plus
susceptible de s'appliquer au cas d'~éronimus. Homme
ordinaire, né et vivant en Haiti, ce monsieur se trouve
perturbé par l'arbitraire, d a dictature, la torture, et la
déchéance du pays et de ses citoyens)) (Hoffmann, 1996 : 16)
11 tombe dans la confusion et l'incohérence au point q u ' i l ne
se reconnaît plus dans cette s o c i é t é et qu'il n ' y comprend
plus rien.
C'est pourquoi il veut savoir s'il est évident que le peuple
haïtien tel qu4il est, fait quand même partie de (da société,
l a communauté humaine vivant sur la terre,) qu'on appelle
.monde)#. Étant donné la façon dont il conçoit le .monde., il
n ' e s t pas certain q u ' i l y en a en Haiti. Car, pour lui, le
monde*, c'est le peuple d'outre-mer qui se signale par uses
bruits. : bruit de ses avions, de ses voitures, de ses usines,
de ses fusées et de ses bombes . - . Le (), pour lui, c ' est
-
55
le peuple d'ailleurs qui se sert des médias électroniques pour
faire connaître ses produits à vendre. C'est, aussi, un
peuple qui bénéficie d'un espace vital raisonnable.
L'espace vital constitue un handicap serieux en Haïti. En
1994, la densité de la population haitienne est de 235
habitants par kilomètre carré (Lacoste, 1994 : 265)
comparativement à celle de la population canadienne qui est de
3 personnes par kilomètre carré (Lacoste, 1994 : 118). C'est
à cause de la trop forte densité de la population qu'Héronymus
tend à comparer les Haïtiens à des champignons. Malheusement,
quand il demande : %Mais nous, sommes-nous des champignons,
M'sieu Badegros ?a La réponse n'est au t r e que : 4tDes cactusa-
Sur son insistance, en trois fois, il se fait répondre de
cette façon bizarre. Enfin, c'est le silence et même un
silence prolongé.
Ce .Silence prolongé* en dit long chez Ollivier. En effet, la
description déléguée à un personnage dans le texte, .Fortement
"encadrée" [constitue unel unité autonome (début de parole --
- fin de parole, mutisme)~, (Hamon, 1993 : 188). Dans cette séquence descriptive impliquant ~éronymus et Badegros, le
mutisme intervient afin d'assurer la clôture de la tranche de
dialogue qui menace de devenir compromettante.
-
56
En fait, le droit à la liberté d'expression ayant toujours été
bafoué en Haïti et particulièrement sous le régime dictatorial
de Duvalier, les personnages d'Ollivier, comme tout Haitien
vivant dans le pays, doivent constamment faire attention à ce
qu'ils disent. Ils doivent, alors, se garder de critiquer ou
même de commenter toutes situations à caractère politique. Or,
Dieu sait que tout est politisé sous le règne des Duvalier.
Ainsi, lorsque ~éronymus l'invite à se prononcer s u r le sort
de ses compatriotes, il commence par fournir des réponses
évasives, insignifiantes pour ensuite ne plus parler.
Finalement, les deux hommes se sont compris car, étant donné
l'attitude fataliste caractérisant le peuple haïtien,
Héronymus achève le dialogue par ces mots : (.De toutes façons,
continuons à battre le tambour pour meubler l a Présence muette
du Ciel, si bleu, au-dessus de nos crânes rasés . . . f i (Ollivier,
1977 : 1 6 ) . Une f o i s d e plus, en bon Haitien, il se soumet à
la volonté de Dieu, c'est-à-dire au phénomène du hasard, car
on ne sait jamais quand le bon Dieu va vouloir ou pas. S'il
n'a pas le droit d'opiner sur la situation économique,
politique et sociale de son pays, au moins, il a un C i e l bleu
et chaud à contempler.
Outre la chaleur du ciel, il a aussi son tambour, ce tambour
qui le f a i t danser et qu'il frappe avec rage pour implorer l a
-
57
grâce de la Providence, même si cette Providence se montre
passive, impassible à son endroit. Lui et bon nombre de ses
concitoyens n'ont pas le choix et doivent se contenter de peu.
Pourtant, malgré leurs crânes rasés), bien qu' ils soient.
comme ils répètent souvent, des .têtes chauves^^ qui acceptent,
volontiers, sans négocier, de payer chez le barbier le même
tarif que les porteurs de cheveux longs et touffus, ils ne
sont pas aussi naifs qu'on pourrait le croire. Là-dessus,
disons comme Ollivier : . . . C'est une autre histoire; une bonne fois, je vous la conterai et vous verrez, pèlerins,
c'est pareil !,) (Ollivier, 1977 : 71) .
Passages
C'est aussi pareil dans Passages comme, du reste, dans les
autres romans d'Ollivier. Celui-ci utilise la même démarche
qui consiste à insérer une tranche descriptive dans son texte
et à confier la déclinaison de cette partie descriptive à un
personnage qui se sert de sa parole pour accomplir cette
tâche. Les mises en scène appuyées par le syntagme-postiche
mettant les protagonistes dans les situations de : vouloir
dire. savoir dire, pouvoir dire pour enfin dire la description
indiquent tant le début que la pertinence de la partie
descriptive.
-
58
Amédée Hosange est l ' u n des personnages à qui Ollivier confie
la fonction de procéder à la déclinaison d'une séquence de
description. Le signal de l'introduction en est donné au
moment où le protagoniste manifeste le désir de parler^^. Ce
pays qu'il aime, qui faisait son bonheur devient, maintenant,
la Terre de ses souffrances, une Terre de crimes crapuleux.
. Femme, il nous faut partir., s'écrie-t-il (Ollivier, 1991 : 4 0 ) .
-
59
de .gens de la campagne ou gens d'en dehors. et qui vivent sans
eau potable, sans pouvoir se daver à grande eau., ni dormir
en toute quiétude d'esprit (Ollivier, 1991 : 40).
Il entre dans la (classe)) (Hamon, 1993 : 109) du paysan dépeint
dans presque l'ensemble des romans haïtiens et qui apparaît
comme une victime non seulement d'une nature capricieuse et
inclémente mais aussi de l'avidité insaisissable des
capitalistes américains et des .gros bonnets~a nationaux.
(Shelton, 1993 : 61). Très attaché à sa terre, ce n'est pas de
gaieté de coeur qut~médée Hosange se décide à s'exiler. Mais
il n'a pas le choix. Car, après avoir surpris deux hommes
mesurer des terres dans ses parages, il a cru déduire d'une de
leurs conversations qu'ils allaient transformer son village de
port-&l'Écu en dépotoir destiné à recevoir les vidanges
provenant des (.pays blancs,) .
Dès lors, c'est la dépression. 11 doit quitter. Bien entendu,
1 reviendra. Son absence, d'ailleurs, durera seulement le
court temps pour lui et sa fame ~rigitte qui l'accompagnera,
d'acquérir beaucoup d'argent. N'est-il pas déterminé à suivre
l'exemple d'un nomé Tyrésias de sa connaissance qui, rendu en
terre étrangère, n'a mis qu'une courte durée pour réaliser une
fortune faramineuse au point, de .se construire un palais)),
dit-on, en moins de ((six mois* de la date de son arrivée
-
là-bas ? Amédée est convaincu que comme ce dernier, il se
fera, bien vite, beaucoup de dollars. Il reviendra, a l o r s ,
avec sa femme pour renover d a tombe de leurs ancêtres, donner
à manger à leurs morts et à leurs loas)). (Ollivier, 1991 :
4 0 ) .
Dès qu'il lui communique son in tent ion de .partir, s ' e n aller))
(Ollivier, 1991 : 4l), Brigitte Kadmon Hosange, s o n épouse,
obtempère. Quant aux autres citoyens et citoyennes de port-à-
l'Écu, cette décision n e tarde pas, non p l u s , à susciter
l'intérêt d'un grand nombre d'entre eux car ~rnédée possède
1 'art de convaincre même les sceptiques. Madame Hosange en
est, d'ailleurs, très f ière et c'est avec plaisir qu'elle
profite de la fonction de porte-parole que lui confie l'auteur
pour exposer, comme dans le passage suivant, combien son m a r i
excelle (tdans 1 ' art de parler, . -1) :
Je vous Inai i4jà air , monsieur, ce . + r i e ~ i r ac
drAm6d4e excellai t dans i'ürt de par ler aux
f ~ m e s , Les mots d'Am&dée m e suf f i s â i e n t pour
composer avec la v i e . [ . . . ! . Pariir, s 'en aller ?
[ , . , ] Oui, nous partirions car il Stait . impossible
r',e donne r à notre terre et à la vie l e u r po ids de
saveur oc de sens, alors que chaque four q u i
sD4coule dépose e n nous des g r a i n s d1&ern i t6 .
(Ollivier, 1991 : 41)
-
En effet, l'idée d'aller
-
62
d'immondices (Ollivier, 1991 : 43); pays d'horreurs, de crimes
crapuleux, de massacres sordides, lieu des .grandes et petites
misères~, marché de 1' indigence, parvis de la mort lente sans
cesse recommencée^^ (Ollivier, 1991 : 20 ) . C'est un pays où les miliciens faisant l a chasse à ceux qui s'opposent au régime
duvaliérien, les assassinent, souvent, sauvagement, sur la
place publique, à coups de machette. Parfois, ces assassins du
pouvoir vont jusqu'à ouvrir la poitrine des victimes pour
arracher leur coeur qu'ils emportent sans que personne ne
sache jamais où et à quelles fins. Et encore, il y a pis.. . C'est ce pays qui fait, désormais, les soirs, le s u j e t des
conversations (Ollivier, 1991 : 42). C ' e s t ce pays qu'il faut
laisser ...
Laisser le pays ! Mais pour se rendre où et comment ? C'est
bien beau de parler, de crier bien fort son indignation, son
dégoût. Mais il importe aussi de .savoir. vers quelle
destination se tourner et comment s'y prendre pour atteindre
le but. Le lieu visé ne semble pas être précis. L'important,
c'est de partir. Ensuite, poussés par les grands vents]),
telles des épaves à la dérive, ils se laisseraient .porter
vers les côtes de la Floride.. - 2 ) (Ollivier, 1991 : 47) . Cette hypothèse jointe au fait que le bateau qui les portera fera
naufrage au large de Miami, laisse croire que cette dernière
ville constitue le point de mire. Quant à la façon de
-
63
l'atteindre, la suggestion du personnage Derville Dieuseul
tombe à poin t : 4 1 nous faudra construire notre propre
bateau. Cela ne doit pas être compliqué. Avec une escouade,
épaule contre épaule, on devrait y p a n e n i r u (Ollivier,
1 9 9 1 : 45)
Cette suggestion émise à haute voix, au cours d'une assemblée,
reçoit, volontiers, l'approbation de presque tous les membres.
Cependant, en tant que pédagogue et aussi en bon pasteur,
Philéus Corvolan ne peut s l empêcher d1 émettre son opinion :
nSi on entreprend cette aventure, en aucun cas, il ne faudrait
échouer.. . f i (Ollivier, 1991 : 45). Ils auront beau être sous
la protection de l'Éternel, ils n'arriveront pas à bon port
s'ils ne disposent pas, pour un tel voyage, non seulement de
tout le matériel nécessaire à l a navigation, mais aussi de
l'assistance d'au moins un marin expérimenté (Ollivier,
1993, : 4 5 ) .
En guise de conclusion B son intervention, le professeur
Phi l éus Corvolan déclare qu'il est prêt à embarquer dans l e
projet, malgré la responsabilité morale w e lui incombe sa
double fonction, d'une part, envers les fidèles de 1 ' église
dont il est le pasteur, d'autre part, vis-à-vis la
cinquantaine d'adolescents qui fréquentent l'école dont il est
le d i r e c t e u r et qui fournit les services bienfaisants d'une
-
64
cantine. Il laissera tout tomber pour prendre la mer avec le
groupe, mais à condition qu'un home qui connaît bien le
domaine vienne avec eux (Ollivier, 1991 : 46).
Cet homme, digne de confiance, ne sera pas difficile à
trouver. En effet. c'est un monsieur bien connu à port-&-l'Écu
qui a déjà entrepris avec succès, sur de frêles embarcations,
des voyages dans presque toutes les îles de la Caraïbe. En
plus. il est présent à la réunion, mâchonnant sa pipe, sans
mot dire dans son petit coin. Celui-là, c'est ~rnédée Hosange
que Maître Philéus Corvolan propose pour diriger l'équipage
jusqu'à Miami. La proposition adoptée, Amédée accepte, à son
tour, volontiers (Ollivier, 1991 : 46) . Ce sera, quoi qu'on pense, malheureusement, pour le pire, car, la traversée se
soldera, comme indiqué plus haut, par un naufrage où les deux
tiers des passagers embarqués à port-&l'Écu sur la Caminante,
pér i ront au large de la Floride (Ollivier, 1991 : 118). ~rnédée
lui-même mourra en prison, des suites de cette catastrophe
(Ollivier, 1991 : 158).
Il serait aussi interessut de considérer, parmi plusieurs
autres, une séquence descriptive où, toujours dans Passages,
Ollivier délègue, cette fois-ci, la parole à Amparo Doukara
qui fait une mise au point avec Normand :
-
Je viens avec t o i . Je voudrais cependant
qu'entr- nous , au point de d&part, t o u t s o i t
clair. Je veux bien partager t o n appartement,
discut+r avec coi, rire, nager, courir sur la
plage, jouer avec toi et même dormir dans le
m e m e lit que toi. Js veux partager c+s ripas,
goûter des mets fabuleux, d4couvrir avec c o i
l a Floride n a i s je ne veux pas f a i r e l'amour
avec toi.
(Ollivier, 1991 : 87)
Cette tranche descriptive prend la forme d'un dis cour sr
(Hamon, 1993 : 187) où la .parleuse)) Amparo .parle)) à Normand
qui demeure (grnueta en l'écoutant. Après qu'ils ne se sont pas
revus depuis le lointain matin qu'ils avaient décidé de se
qui t te r , les deux personnages se retrouvent à 1 ' aéroport de
Miami comme deux nouveaux amis récemment arrivés dans cette
ville de la Floride qu'ensemble, ils se proposent de
découvrir. Elle est catégorique et l'autre doit l'écouter en
{CS i lenc eb) ,
L'essentiel de son discours est de rappeler à Nornand qu'elle
entend garder sa f idél i té envers son nouveau compagnon. Elle
accepte, volontiers, de partager un appartement avec Normand,
mais pas plus ! Il n'est pas question qu'ils fassent l'amour
ensemble. C'est pourquoi, au départ, elle f a i t sa mise au
-
66
point : d e ne veux faire ltamour qu'avec Felippe. Tu
comprends, dis. (Ollivier, 1991 : 87) ? Silence. . . Au début de la séquence, le silence s'observait de la part d'un seul
personnage. A la fin, les deux se taisent. C'est le silence
complet.,.
En dépit de ces périodes de silence éloquent, Nicole Aas-
Rouxparis reconnaît que Passages .est un récit à voix et à
voies multiples~* (Aas-Rowcparis , 1992/93 : 3 1) . Jonassaint , de son côte, souligne qu'Ollivier reconnaît lui-même qu'il est
Mun amoureux de la polyphonie. (Jonassaint, 1992 : 15) . Et personnellement, Ollivier qualifie Passages de .partition à
plusieurs voix) ((Ollivier, 1991 : 37) dont Régis, le narrateur
principal, extérieur, se fait l'écho. En fait, .Amédée,
Brigitte, Philéus Corvolan, Amparo, Leyda et autres, se font
entendre, tour à tour, dans le roman.
Grâce à ses relations étroites avec les personnages, utilisant
le jeu du langage, Régis, en arrière plan, parvient, par la
dynamique d'une parole forte et créatrice, à dtablir les
liens, les raccords)$ entre les parties du récit (Jonassaint,
1992 : 15) et à en assurer la cohésion-
Voilà encore une façon parmi d'autres, utilisée par Ollivier
pour procéder, sous di£ f érents aspects, à la description
-
67
d'Haïti, son pays natal. Dans Passages, comme dans ses autres
romans, il illustre admirablement bien les principes
directeurs émis par Philippe Hamon dans son étude Du
Descriptif. Ainsi, pour rendre plus naturelle l'insertion
d'une nomenclature dans son texte, il en délègue la
déclinaison à des personnages qui assument cette tâche, tantôt
par leur regard, tantôt par leurs paroles.
Comme nous le verrons dans la prochaine partie, Ollivier
poursuit une troisième voie relevée par Hamon en créant,
souvent, des situations dans lesquelles certains de ses
personnages assument, sous la bannière du .travailleur
descripteur. la responsabilité de procéder à la description
d'un panorama.
-
CHAPITRE IV
Le travailleur descripteur
-
Le travailleur descripteur
Pour introduire ses séquences descriptives, Ollivier utilise
tantôt le procédé du (
-
et, v i a ces alliances, i l grimperait à l'assaut de l a
pyramide soc i a l e . En attendant ces jours de f a s t e s ,
il f a i s a i t par le r de ses r4alisa~ions dans l a
prosqu ' île.
(Ollivier, 1986 : 166)
L'objectif de ce monsieur est clair parce qu'il sait
pertinemment ce qu'il veut faire. Il ne terminera pas sa
carrière en province, mais à la capitale comme ncommandant des
casernes)a pour ainsi devenir un membre de la haute sphère
sociale du pays. Au départ, le narrateur fait état de sa
détermination en employant le terme .confiant)). Quand on tient
compte de ses exactions et de ses excès de zèle sur les
woleurs de poules et de cabrits)) et sur les ~comrnunistes
éventuels)) (Ollivier, 1986 : 1651, on comprend que Masquini
s'élance résolument à la poursuite de son but.
Il peut faire son chemin sans difficulté en s'attaquant à ces
catégories de contrevenants. Car, les premiers, ce sont de
pauvres gens, sans défense, dont la chasse, à tort ou à
raison, contribue à protéger la propriété des gros bonnets
quand e l l e ne détourne pas l'attention sur l eurs méfaits et
leurs malversations. Quant aux seconds, les cornunistes, il se
fait un capital politique en les persécutant, vu qu'ils sont
pourchassés, sans merci, par le gouvernement, en particulier,
-
et par le monde capitaliste, en général.
La fin de la citation se signale par l'expression .il fait
parler de ses réalisationsm. En fait, . s e s supérieurs [sont] unanimes à reconnaître tt son savoir-faire qui se résume en d a
discrétion, la poigne et une finesse exemplaire dans la
cruauté), (Ollivier, 1986 : 165). Mais, en quoi consiste
effectivement son savoir-faire ?
En ce qui concerne cet homme, il n'est, réellement, pas
convenable de parler de réalisations. Honnêtement, il n'a rien
réalisé sinon que concussions et appropriation de (da farine
et [du] lait en poudre, dons de la Fondation Care [qu' il] vend
manu militari aux soldats et personnel de la fonction publique
avec le droit de décompter le prix de ces produits de leur
salaire,, (Ollivier, 1986 : 167) .
Si on parle de lui, ce n'est point dans