origine du calcul des probabilités

33
Origine du calcul des probabilités Robinson Cartez 24 juin 2011 “On peut même dire, à parler en rigueur, que presque toutes nos connaissances ne sont que probables ; et dans le petit nombre des choses que nous pouvons savoir avec certitude, dans les sciences mathématiques elles-mêmes, les principaux moyens de parvenir à la vérité, l’induction et l’analogie, se fondent sur les probabilités ; en sorte que le système entier des connaissances humaines se rattache à la théorie exposée dans cet essai.” (Essai philosophique sur les Probabilités, Pierre-Simon Laplace, 1814) 1 Introduction L E but principal du présent travail est d’exposer la solution de Pascal et de Fermat au problème des partis 1 , soumis à Pascal par Antoine Gom- baud, chevalier de Méré. Le contexte historique nous aidera à comprendre les raisons qui mettent d’accord les historiens pour situer le début du calcul des probabilités à la collaboration entre Pascal et Fermat, suite à la question posée par le cheva- lier de Méré à Pascal. Nous verrons aussi comment l’“invasion ludique” entraîna un renfor- cement de la législation et un intérêt croissant pour les jeux de hasard, ce qui poussa certainement beaucoup de géomètres, les mathématiciens d’au- trefois, à s’intéresser à la “géométrie du hasard”, comme la nomme Pascal. Puis seront précisées les notions d’espérance et de probabilité, introduites par Christiaan Huygens et Jacques Bernoulli respectivement, dans la continua- tion des travaux initiés par Pascal et Fermat. Notre exposé se terminera par une brève synthèse qui a pour but de mettre en évidence que de très grandes avancées ont été faites dans le do- maine du calcul des probabilités, et ceci dans un laps de temps très court, environ une dizaine d’années. Malgré cela, c’est seulement dans la pre- mière moitié du 20ème siècle qu’une axiomatisation de la théorie voit le jour, ce sont les travaux de Kolmogorov. 1. Il est nécessaire de préciser que le mot “parti” utilisé par Pascal ne veut pas dire “prendre parti” ou bien “parti politique”, etc. Chez Pascal le “parti” est le parti du pot, c’est-à-dire le partage du pot. 1

Upload: cartez6

Post on 05-Jul-2015

119 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Situe l'avènement du calcul des probabilités à l'été 1654, durant la correspondance entre Pascal et Fermat.

TRANSCRIPT

Page 1: Origine du calcul des probabilités

Origine du calcul des probabilités

Robinson Cartez

24 juin 2011

“On peut même dire, à parler en rigueur, que presque toutes nos connaissances ne sontque probables ; et dans le petit nombre des choses que nous pouvons savoir avec certitude,

dans les sciences mathématiques elles-mêmes, les principaux moyens de parvenir à lavérité, l’induction et l’analogie, se fondent sur les probabilités ; en sorte que le système

entier des connaissances humaines se rattache à la théorie exposée dans cet essai.”(Essai philosophique sur les Probabilités, Pierre-Simon Laplace, 1814)

1 Introduction

LE but principal du présent travail est d’exposer la solution de Pascal etde Fermat au problème des partis 1, soumis à Pascal par Antoine Gom-

baud, chevalier de Méré.Le contexte historique nous aidera à comprendre les raisons qui mettent

d’accord les historiens pour situer le début du calcul des probabilités à lacollaboration entre Pascal et Fermat, suite à la question posée par le cheva-lier de Méré à Pascal.

Nous verrons aussi comment l’“invasion ludique” entraîna un renfor-cement de la législation et un intérêt croissant pour les jeux de hasard, cequi poussa certainement beaucoup de géomètres, les mathématiciens d’au-trefois, à s’intéresser à la “géométrie du hasard”, comme la nomme Pascal.Puis seront précisées les notions d’espérance et de probabilité, introduites parChristiaan Huygens et Jacques Bernoulli respectivement, dans la continua-tion des travaux initiés par Pascal et Fermat.

Notre exposé se terminera par une brève synthèse qui a pour but demettre en évidence que de très grandes avancées ont été faites dans le do-maine du calcul des probabilités, et ceci dans un laps de temps très court,environ une dizaine d’années. Malgré cela, c’est seulement dans la pre-mière moitié du 20ème siècle qu’une axiomatisation de la théorie voit lejour, ce sont les travaux de Kolmogorov.

1. Il est nécessaire de préciser que le mot “parti” utilisé par Pascal ne veut pas dire“prendre parti” ou bien “parti politique”, etc. Chez Pascal le “parti” est le parti du pot,c’est-à-dire le partage du pot.

1

Page 2: Origine du calcul des probabilités

On ne manquera pas d’observer que la lettre du 24 août 1654, de Pas-cal à Fermat a changé notre manière de voir le futur. Selon Aristote lessituations se partagent en trois types : les événements nécessaires, les évé-nements prévisibles et les événements incertains. Toute tentative de quan-tification de situations incertaines appartient à un domaine inaccessible à laconnaissance humaine, et selon Aristote, il n’est pas question d’y toucher.De nos jours il n’est pas envisageable à un gouvernement, à une entrepriseou encore à un scientifique de se lancer dans un projet sans en avoir évaluéles risques : nous avons appris à associer des nombres aux événements, ycompris les événements incertains.

2 Pascal et Fermat

2.1 Pascal

FIGURE 1 – Pascal (1623-1662)

BLaise Pascal (1623-1662) fut un enfant prodige, né un 19 juin à Clermont(aujourd’hui Clermont-Ferrand) en France. Sa mère meurt lorsqu’il a

trois ans, et peu après son père, Étienne, un fonctionnaire des impôts et unmathématicien amateur passionné, décide de déménager à Paris, où il optepour une éducation de Pascal à la maison, dont il s’en charge personnelle-ment.

Le goût de Pascal pour les sciences, lui vient probablement du fait queson père ne voulait pas qu’il étudie des mathématiques avant l’age de quinzeans. De ce fait est née chez Pascal une certaine curiosité pour les sujets “ta-bous”. Il découvre tout seul que la somme des angles d’un triangle fait deuxangles droits ; et son père voyant son fils capable de telles réussites consentà qu’il étudie les mathématiques. Ainsi, Pascal écrit son premier article àl’âge de seize ans, dont le sujet est les coniques, et le présente à l’académie

2

Page 3: Origine du calcul des probabilités

de Mersenne 2.Pascal invente aussi la “Pascaline”, une machine à calculer, dans le but

d’aider son père dans ses calculs ; machine trop coûteuse il n’en fabriqueque 20 exemplaires, puis abandonne le projet.

Pascal dédie sa vie d’adulte à l’étude des mathématiques, des sciencesde la nature, de philosophie et de la religion. Il ne travaille pas et vit de lafortune de sa famille. Un de ses travaux en mathématiques les plus connusest le triangle arithmétique, appelé aujourd’hui Triangle de Pascal.

Aux dires de Pascal, le triangle arithmétique sert à résoudre le problèmedes partis. Voyons comment le générer.

Écrire un 1 sur une ligne, puis deux 1 à la suite. Puis, à chaque nouvelleligne on écrit un 1 à chaque extrémité, encerclant les termes qui sont lasomme de toutes les paires adjacentes de la ligne précédente :

11 11 2 11 3 3 11 4 6 4 11 5 10 10 5 1

Chaque ligne est formée des coefficients du binôme (a+ b)n, où n est lenuméro de la ligne.

Lorsqu’il arrive à la vingtaine, Pascal tombe malade et ne se rétablit ja-mais vraiment. En octobre 1654, après un accident de carrosse, il éprouveune expérience mystique, et se consacre à la réflexion philosophique et re-ligieuse et délaisse complètement les mathématiques. Il écrit durant cettepériode les “Provinciales” et les “Pensées”. Il meurt à l’âge de trente neufans des suites d’un cancer.

2.2 Fermat

PIerre de Fermat (1601-1665) est né dans une famille de riches marchands,il étudie les mathématiques à Bordeaux et les lois aux universités de

Toulouse et d’Orléans. Et bien que Fermat soit souvent décrit comme un“amateur mathématicien”, ceci n’est vrai que dans la mesure où il ne reçoit

2. En 1635, Marin Mersenne, qui fait partie de l’ordre des Minimes, crée une “acadé-mie”, ancêtre de l’Académie des Sciences. Il ne s’agit pas proprement dit d’une institu-tion : elle se tient dans les maisons de chacun de ses membres. L’idée du prêtre est d’êtrele centre d’un réseau d’échange d’information et de savoir. Son académie compte jusqu’à180 membres, des philosophes, des mathématiciens, des astronomes, des jésuites, des im-primeurs, etc., parmis lesquels Etienne puis Blaise Pascal, Christiaan Huygens, Carcavy,Roberval, et bien d’autres. Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Marin_Mersenne#L.27acad.C3.A9mie_de_Mersenne.

3

Page 4: Origine du calcul des probabilités

FIGURE 2 – Pierre de Fermat (1601-1665)

pas de salaire pour ses travaux en mathématiques. Il y consacre une grandepartie de son temps, et résout beaucoup de problèmes et se crée une réputa-tion de grand mathématicien dans toute l’Europe. Il est l’auteur de bien dedéveloppements mathématiques, mais ne publie pas ses résultats, commele fait Pascal. D’ailleurs la plupart de ses travaux ne furent publiés qu’aprèssa mort. C’est donc à travers sa correspondance avec d’autres mathémati-ciens de son temps, que se réflète son activité intellectuelle.

Bien qu’il travailla sur la géométrie et l’analyse 3, il est surtout connupour ses travaux en théorie des nombres, considérée à l’époque commel’apogée des mathématiques. Il fait la conjecture que l’équation xn+yn = zn

n’a pas de solution pour n > 2 où x, y, z sont des nombres entiers différentsde zéro 4.

Fermat écrit sa conjecture en marge d’une copie de l’“Arithmetica” deDiophantus, dans laquelle il annonce :

J’ai une démonstration vraiment merveilleuse de cette proposition, que cettemarge est trop étroite pour contenir.

Découverte après sa mort, cette conjecture est devenue le fameux “der-nier théorème de Fermat”, qui a été prouvé en 1994 par Andrew Wiles,au bout d’une très longue et complexe argumentation, qui utilise des tech-niques non encore développées du temps de Fermat. Beaucoup de mathé-maticiens ne croient pas que Fermat ait eu une démonstration de sa conjec-ture, c’est sans doute dû à son goût pour la plaisanterie.

3. Souvent nommé après René Descartes, pour avoir développé indépendamment lagéométrie analytique ; d’Alembert voyait dans ses travaux la première application du calculinfinitésimal, jugement que partagèrent Arbogast, Lagrange et Laplace, cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_de_Fermat#Bibliographie

4. On trouve des solutions en posant n = b2 = c2 − a2 ainsi n = c2 − a2 est unedifférence de deux carrés. Fixant b et donc n, on peut exprimer c et a en fonction de n,c’est-à-dire c = n+1

2et a = n−1

2.

4

Page 5: Origine du calcul des probabilités

3 Les jeux de hasard

IL est bien connu que les hommes ont depuis toujours essayé de prévoirle futur par la divination, et ont aussi pratiqué les jeux de hasard. Par

exemple pensons à la Bible et aux sorts sacrés, à l’Égypte où l’on jouait auxdés (-3500 !) ou encore aux romains. Il semble aussi qu’il n’est pas suffisantde posséder des outils de calcul et de pratiquer les jeux de hasard pour êtreen mesure de développer le calcul des probabilités 5.

En effet bien que les chinois aient pratiqué les jeux de hasard et aientdéveloppé des mathématiques aussi poussées qu’en occident (par exempleles démonstrations sont déjà présentes dans le classique de mathématiquechinois “Neuf chapitres” 6), ils n’ont pas développé le calcul des probabi-lités, pas plus que les Arabes ou les Indiens. Il ne suffit donc pas disposerdes outils d’analyse mathématique et de pratiquer les jeux de hasard pourque surgisse le calcul des probabilités.

Le 3 avril 1369, le roi Charles V promulgue une ordonnance qui vise àinterdire à tous les sujets de son royaume la pratique de tous les jeux quine sont pas “des exercices sujets au maniement des armes”.

Charles V, imitant le roi d’Angleterre Edouard III, tente ainsi de re-mettre de l’ordre dans son royaume en améliorant les qualités militairesdu peuple français.

Jean-Michel Mehl, écrit 7 :

Le Moyen Âge a beaucoup joué. Pareille remarque paraî-tra sans intérêt à tous ceux qui voient dans le jeu une compo-sante invariable de la nature humaine. En réalité elle est fonda-mentale et bouleverse quelque peu l’image de la société médié-vale. Poser la question du jeu, c’est en effet poser la questiondu temps réel dont disposent le prince et le chevalier, le diacreet l’archevêque, mais aussi le paysan le travailleur urbain, pours’adonner au jeu.

Il n’est pas étonnant alors qu’une rationalisation des jeux, et des jeux dehasard en particulier, devienne du temps de Pascal et Fermat une questionintéressante à plus d’un titre. Mais entre 1350 et 1650 il y a tout de même300 ans.

Les jeux de hasard constituent une toile de fond dans le paysage lu-dique, et c’est les jeux de dés, qui sont le plus souvent mentionnés. Leur

5. Voir Perception du hasard au Moyen-Âge - quelques pistes pour une histoire des probabilités,cf. [9]

6. Dans [9, p. 8], J. Saint Pierre cite le travail de Karine Chemla, du laboratoire Rechercheen épistémologie et en histoire des sciences et des institutions scientifiques, REHSEIS, CNRS-Université Paris 7. Avec Guo Shuchun, un chercheur de l’Académie des sciences de Pékin,ils préparent la traduction en français et une édition critique des “Neuf chapitres”.

7. Voir “Les enjeux au Moyen-Âge” dans [7]

5

Page 6: Origine du calcul des probabilités

succès s’explique par la simplicité du matériel et des règles suivies. Lesdés de l’époque ne sont pas des cubes comme aujourd’hui, mais souventde plus de 6 faces, et l’on joue avec trois dés à chaque lancer ; le but étantd’obtenir le plus grand nombre de points possible en un seul jet ou en unesuccession de jets. Tout l’intérêt de ces jeux réside dans les enjeux, qu’ils’agisse d’argent ou bien de savoir qui va payer l’aubergiste.

Les jeux de cartes, dont les règles ne sont pas bien connues, semblentlargement relever du jeu de hasard : une fois les cartes distribuées il s’agitpour le joueur de constituer une suite ou tel ou tel regroupement. Puis ap-paraissent des règles intégrant notamment des levées de cartes et les atouts,et ainsi des considérations tactiques. On note que vers 1500, le jeu de cartesdevient un sérieux rival aux jeux de dés, sans doute à cause du mélangeentre hasard et réflexion.

Les jeux de hasard sont souvent interdits ou bien limités dans le tempset l’espace, ceci en raison des dangers qu’ils représentent : les enjeux et lapassion des joueurs mène à des bagarres et à toutes sortes d’hostilités. Ilarrive que des joueurs s’endettent afin d’honorer un pari.

Enfin le jeu d’échecs le jeu des rois et roi des jeux, a la faveur de l’aris-tocratie au point que sa maîtrise est partie intégrante de toute bonne édu-cation noble. Les règles du jeu subissent au cours du temps bien des chan-gements, suivant l’engouement des joueurs. C’est un jeu tactique, mais àcause de règles trop flexibles, le hasard est mélé à la tactique. L’enrichisse-ment et la complexité des règles du jeu ainsi que du mouvement des piècesen font finalement un jeu de stratégie.

Le fait de jouer est aussi très mal perçu, et ce depuis l’époque romaine.En effet la législation romaine voit les jeux de hasard et d’argent comme undélit, et prive les joueurs du droit de se pourvoir en justice. L’Église voit lejeu comme une offense à Dieu ; le jeu a partie liée avec de nombreux péchéscapitaux, comme l’avarice, l’envie ou la colère, qui sont le lot commun detous les joueurs. Bref, le temps même que le joueur consacre au jeu, est dutemps vendu, perdu, gaspillé, alors que c’est un don divin, qui doit Lui êtreconsacré.

Cependant pas tous les jeux seront interdits, et une discrimination estopérée dans le monde du jeu : seuls les jeux de hasard seront mis à l’in-dex, il faut trier les bons et les mauvais jeux, une sorte de tolérance. Pourreprendre Jean-Michel Mehl 8 :

Ces horizons nouveaux, que d’aucuns n’ont pas hésité à mettreen rapport avec l’esprit d’aventure présidant aux voyages desgrandes découvertes, sont de ceux qu’il faut lire dans le goûttoujours accru pour les jeux de hasard. Le goût du risque commel’esprit de calcul qu’ils traduisent ne permettent-ils pas de ca-ractériser l’esprit du siècle nouveau ? Risques, calculs et paris

8. Dans Les jeux au Moyen-Âge, cf. [7]

6

Page 7: Origine du calcul des probabilités

sont la marque d’une économie d’échanges qui désormais vas’ouvrir aux dimensions du monde. La part de calcul, remar-quons le, loin d’être négligeable, explique peut-être la faveurdont jouissent les jeux de stratégie à l’aube d’un siècle qui vaconnaître un des précurseurs du calcul des probabilités, Gero-lamo Cardano, dont les observations, justement, s’appuyaientsur le jeu de dés.

L’augmentation et l’apparition de nouvelles pratiques ludiques, opérésentre 1400 et 1600, sont si nets qu’on ne peut les passer sous silence 9. Lesjeux prennent d’assaut non seulement la rue, mais aussi des lieux clandes-tins. Une commercialisation du jeu, des nouveaux métiers, mais aussi desimpôts, voient le jour.

Les jeux de cartes à jouer deviennent par ailleurs très populaires (mo-dification des règles, ajout de nouvelles figures), au point que les règles duTarot sont imprimées dès 1637.

Avec eux, arrivent aussi tous les jeux de loterie : le but est de parier surla sortie d’un ou plusieurs numéros tirés au sort. Encore un jeu où l’argentet les biens sont placés dans les mains de la providence. Avec Luis XIV, lemot “loterie”, venu de Hollande, s’impose.

Et enfin citons le jeu de hoca. Né en Catalogne au début du 17ème siècleet resté populaire jusqu’au 19ème siècle, le hoca est un jeu de hasard où lebanquier dispose d’un tableau de trente cases numérotées sur lequel lesjoueurs placent leurs mises ; trente billets roulés portant ces mêmes numé-ros sont placés dans un chapeau ou dans un sac, et une main présuméeinnocente doit tirer l’un d’eux, qui fait gagner.

4 Le hasard avant 1654

TRois mathématiciens italiens ont écrit sur les jeux de dé.Tartaglia (1499-1577) qui s’intéresse aux problèmes des jeux de dés et

de dénombrement, comme par exemple de combien de manières peut-onasseoir n personnes à n places différentes.

Cardano (1501-1576) qui étudie dans “De ludo aleae” le fameux pro-blème des partis, dont il sera question dans ce travail, et qu’il n’arrive pas àrésoudre, cependant il en donne quelques règles, qui constituent les pre-miers éléments du calcul des chances dans les jeux de hasard.

Enfin, Galilée (1564-1642), qui explique pourquoi la somme de trois déslancés simultanément a plus de chances d’être 10 que d’être 9. Il répondainsi à une question du prince de Toscane : Comment se fait-il que le total de

9. Dans l’article Les temps nouveaux de Thierry Depaulis, cf. [4]

7

Page 8: Origine du calcul des probabilités

FIGURE 3 – Niccolo Tartaglia (1499-1577)

FIGURE 4 – Girolamo Cardano (1501-1576)

FIGURE 5 – Gelileo Gelilée (1564-1642)

10 apparaisse plus souvent que le total de 9, alors qu’il y a exactement le mêmenombre de façons différentes d’écrire ces deux nombres comme sommes de troistermes compris entre 1 et 6 ?

C’est-à-dire que les six sommes suivantes font toutes 9 :

8

Page 9: Origine du calcul des probabilités

6 + 2 + 15 + 3 + 15 + 2 + 24 + 4 + 14 + 3 + 23 + 3 + 3

de même que les six sommes suivantes font toutes 10 :

6 + 3 + 16 + 2 + 25 + 4 + 15 + 3 + 24 + 4 + 24 + 3 + 3

Ceci suggère qu’à la Cour de Toscane on savait calculer les “chances”d’événements aléatoires selon le rapport des “chances favorables” et des“chances totales”. La réponse correcte donnée par Galilée : “Il y a 27 façonsde faire 10 et seulement 25 de faire 9” 10. Résultat obtenu par Galilée, aprèsavoir “calculé” toutes les issues possibles : avec 3 dés il y a 63 = 216 issuespossibles, en identifiant les dés. Par exemple avec les chiffres 6, 3, 1 le totalde 10 peut s’obtenir de 3 · 2 · 1 = 6 façons, alors qu’avec les chiffres 3, 3, 3le total de 9 ne peut s’obtenir que d’une seule manière. Il y a donc plus dechances de voir sortir un total de 10.

FIGURE 6 – Luca Pacioli (1445-1517)

Ce n’est pas dans l’ouvrage de Cardan qu’apparaît pour la première foisle problème des partis. C’est dans “Summa di arithmetica, geometrica, pro-portione et proportionalita”, de Luca Pacioli (1445-1517), écrit entre 1490 et1494 et imprimé en 1494 à Venise. Ce livre a la particularité d’être une vastecompilation de résultats mathématiques connus à l’époque, et qui a unetrès grande diffusion non seulement auprès des mathématiciens du 16ème

10. Les rapports sont donc 27216

= 0.125 · · · pour 10 et 25216

= 0.115 · · · pour 9.

9

Page 10: Origine du calcul des probabilités

siècle, mais aussi des banquiers et des marchands : il contient notammentdes éléments de comptabilité.

C’est lors de l’été de 1654, en France, que Pascal et Fermat collaborentpar courrier dans la résolution du fameux problème des partis, auquel ilsdonnent chacun une solution. Il s’agit de savoir comment faut-il partagerles mises de manière équitable, en fonction des résultats partiels déjà obte-nus, quand on arrête un jeu avant son terme.

Serait-ce donc parce qu’une solution générale au problème des partis a ététrouvée que l’on situe la naissance du calcul des probabilités aux travauxde Pascal et Fermat ?

Si c’est le cas, alors pourquoi est-ce autour d’un jeu de hasard que lecalcul est né, alors que les notions de hasard, d’incertitude, de certitude,d’aléatoire et de risque étaient connues par les philosophes et hommes descience bien avant Pascal et Fermat ?

Quelles étaient les connaissances du temps de Pascal sur l’aléatoire et lerisque ?

Est-ce que la notion même de probabilité avec le sens actuelle existaitdéjà ? Et que dire des notions gravitant autour du jeu de hasard : pari,chances, espérances, etc. ?

On s’aperçoit assez rapidement que la notion de probabilité englobeplus que des considérations purement mathématiques.

5 Premier problème posé à Pascal

VOici le premier des deux problèmes posés par le Chevalier de Méré àPascal 11 : Supposé qu’on joue plusieurs fois avec deux dés, combien faudra-

t-il de coups au minimum pour que l’on puisse parier avec avantage que, aprèsavoir joué ces coups, on aura amené double six ?

Les méthodes que nous utilisons de nos jour pour résoudre ce pro-blème, sont essentiellement celles que Pascal a inventées. En particulier,l’idée essentielle de passer par l’événement complémentaire.

Bien que la solution de ce problème soit “élémentaire”, elle est décritedans les paragraphes suivants dans le but d’être complet.

Avec deux dés il y a 36 issues, c’est-à-dire 36 valeurs possibles, et uneseule d’entre elles est un double 6.

Donc en appliquant la définition de probabilité mathématique basée surles fréquences, la probabilité de faire un double 6 est p = 1

36 . L’événementcomplémentaire est de ne pas faire un double six, et sa probabilité est 1−p.

Puisque les probabilités sont des nombres entre 0 et 1 compris, le nombreassocié aux événements arrivant en même temps est le produit de leur pro-

11. Oeuvres complètes, B. Pascal, cf. [3, p. 75]

10

Page 11: Origine du calcul des probabilités

babilité. Ainsi, à ne pas obtenir un double six en n lancers on associe (1−p)n.Et le complémentaire nous donne le résultat, c’est-à-dire que la probabilitéde faire au moins un double six en n lancers est 1− (1− p)n.

Un peu d’algèbre et l’application des propriétés du logarithme nousdonne

1− (1− p)n ≥ 1

2

1− 1

2≥ (1− p)n

1

2≥ (1− p)n

log 1− log 2 ≥ n · log(1− p) = n · log(3536

)

n > − log 2

log 35− log 36' 24.6

Donc il faut lancer au moins 25 fois deux dés pour obtenir un double six.D’une manière générale, si on sait qu’un événement a une probabilité p

de se produire, et que tous les cas sont équiprobables, alors la probabilitéde voir au moins une fois cet événement se produire en n expériences, estdonnée par 1− (1− p)n.

6 Le problème des partis

PAscal fréquentait les salons de jeu, et plus particulièrement les jeux dehasard. C’est à cette occasion que le Chevalier de Méré lui posa un

autre problème, un très ancien problème, n’ayant toujours pas de solutionsatisfaisante. Il s’agit du problème des partis.

FIGURE 7 – Antoine Gombaud, chevalier de Méré (1607-1684)

Voyons quel est ce problème et comment Pascal l’a résolu. Ensuite nousverrons la solution de Fermat. Puis nous comparerons les deux solutions etmettrons en évidence les notions qui y on vu le jour.

Voici la situation : deux personnes jouent à un jeu de hasard, celui desdeux qui totalise n = 3 points remporte les montants mis en jeu, notons-lesS. Puisqu’il s’agit d’un jeu de hasard au meilleur de n points, on peut sansperte de généralité, prendre un jeu de “pile ou face”.

11

Page 12: Origine du calcul des probabilités

Le joueur A joue les Piles et le joueur B les Faces. Le jeu est interrompuau moment où A a deux points et B a un point :

Le jeu est donc arrêté. Quelle est la façon équitable de partager S entreles deux joueurs ? Une manière serait que chacun récupère sa mise, c’est-à-dire S

2 , car après tout le “contrat” de départ 12 n’a pas été respecté, et estdonc caduque, annulé ; chacun récupère sa mise.

Mais c’est ne pas tenir compte des points gagnés par chaque joueur aucours de la partie, c’est comme s’ils n’avaient pas joué. Or ils ont joué.

Pascal réfléchit comme suit : si le jeu avait dû continuer, alors chaquejoueur aurait eut une chance sur deux de remporter le point suivant.

Si A remporte le point, alors il remporte la partie, et la somme de S ; sic’est B qui remporte le point, il gagne le droit de jouer encore une manche.Comme c’est seulement le joueur A qui aurait remporté la partie, il n’est paséquitable de partager le pot en deux parts égales, comme le prétendaientcertaines personnes s’étant attaquées à la question.

Si c’est B qui remporte le point, alors ils seraient tous deux égalité 2points partout.

Dans le premier cas, A remporte S, dans le deuxième cas, on doit encorejouer une manche pour départager les joueurs, mais cette fois-ci chacunpeut remporter la partie avec une probabilité de 1

2 .Au moment d’arrêter le jeu on peut encore jouer maximum 2 manches.

Pascal compte le “parti” équitable de chaque joueur en faisant un bonddans le futur et en observant ce qui pourrait se passer si l’un ou l’autreremportait le point. Le joueur A remporte la 1re manche il gagne S, et lejoueur B gagne 0, et on arrête la partie puisqu’il y a un gagnant. Si c’est lejoueur B qui gagne la 1re manche, alors on joue encore une manche. Mais,dans ce deuxième cas, si le jeu est arrêté on partage équitablement S parun ratio de 1

2 , puisqu’ils ont tous deux les mêmes chances de remporterla partie, et donc la somme de S. C’est ici que réside la grande intuitionde Pascal, dépasser les limites établies et explorer des nouveaux horizons.“Assujettir à la raison et au calcul les faits relevant de la contingence etdu hasard“ 13 et contrairement à Aristote quantifie un évènement inconnu,c’est-à-dire quantifie l’incertain. L’une des différences par rapport à la so-lution de Fermat, est que ce dernier n’arrête pas la partie dès que l’un desjoueur totalise les n points convenus. Pascal si.

Se concentrant sur le calcul du parti de A, Pascal dit que c’est avec lesmêmes chances que le joueur A doit recevoir la moyenne des gains escomp-tés lors des deux manches supplémentaires, c’est-à-dire 1

2 · (S + S2 ), tandis

que le joueur B reçoit le reste à savoir S − 34 · S.

Ce raisonnement a conduit plus tard à la notion d’espérance dans les tra-vaux de Christiaan Huygens. Pour l’instant chez Pascal c’est un espoir que

12. Voir paragraphes suivants.13. Oeuvres complètes, B. Pascal, cf. [3, p. 72]

12

Page 13: Origine du calcul des probabilités

les joueurs nourrissent, et c’est cet “espoir” qu’il va quantifier, c’est le “droitd’attendre” ce que le hasard peut leur donner. Comme l’écrit Pascal 14

Pour entendre les règles des partis, la première chose qu’ilfaut considérer, est que l’argent que les joueurs ont mis au jeune leur appartient plus, car ils en ont quitté la propriété ; maisils ont reçu en revanche le droit d’attendre ce que le hasard peutleur en donner, suivant les conditions dont ils sont convenusd’abord.

Notons P (a, b) la somme que reçoit le joueur A quand, au moment d’ar-rêter le jeu, il lui manque a points pour gagner, et au joueur B il lui manqueb points. La situation décrite ci-dessus se note P (1, 2). Donc la réponse àla question “quel est le parti que reçoit A ?” est P (1, 2) et la réponse à laquestion “quel est le parti que reçoit B ?” est S − P (1, 2).

Exposons la “méthode universelle” de Pascal, qui est en fait une récur-rence.

Pour ce faire on pose s = 32, donc S = 2 · s = 64. Alors suivant leraisonnement de Pascal pour connaître P (1, 2) au moment d’arrêter le jeu,il y a égalité de chances pour que, soit A gagne la manche (c’est-à-dire lasomme S) soit que l’on joue encore une manche pour les départager. Il ditqu’alors le juste parti pour A est P (1, 2) = 1

2 · (S + S2 ) =

34 · S. Ce qui fait 48

pour A et 64− 48 pour B.Puis il se pose la question pour P (1, 3) et réponds P (1, 3) = 1

2 · (S +P (1, 2)) = 1

2(S + 34 · S) = 7

8 · S, et puisque S = 64 on a 56 pour A et64− 56 = 8 pour B.

Pour finir il calcule, par la même méthode P (2, 3) = 12 · (P (1, 3) +

P (2, 2)) = 12 · (P (1, 3) + 1

2 · (P (1, 2) + P (2, 1))). A ce stade on remarqueque P (2, 1) = S−P (1, 2) = 1

4 ·S. Ce qui donne après calcul 44 pour A et 20pour B.

Ce qu’il utilisé ici est une récurrence rétrograde.

On observe que c’est un sentiment que l’on calcule. C’est en philosophe,plus qu’en tant que mathématicien, que Pascal commence l’explication desa solution au problème des partis dans son traité sur l’arithmétique. Ils’agit du droit d’attendre un certain gain, dont il s’agit. Et Pascal, se trans-portant littéralement dans un futur proche, et fort de son analyse, quantifieles espoirs des joueurs, il calcule un sentiment, l’espérance de gain.

La solution de Fermat quant à elle, utilise les combinaisons ou, en termesmodernes, la combinatoire : compter le nombre de cas favorables et le nombrede cas possibles, puis on en fait un ratio.

14. Oeuvres complètes, B. Pascal, cf. [2, p. 429]

13

Page 14: Origine du calcul des probabilités

Fermat écrit toutes les issues possibles, non pas pour une partie à 3points mais à 5 points. Il présente complètement le résultat des manchespas jouées. Mais pourquoi ? L’explication, que Fermat donne à Pascal danssa lettre du 25 septembre 1654 15, est qu’il recherche l’équiprobabilité, pourutiliser un langage moderne. Dit autrement, si on augmente le nombre demanches, ou de points à atteindre, dans la partie considérée, le rapport descombinaisons gagnantes au nombre total des combinaisons ne changentpas. De cette manière, une fois les issues écrites, on peut compter le nombrede combinaisons qui donnent le gagnant.

C’est une idée géniale, une idée presque courante en mathématiques :modifier le problème un petit peu pour voir ce qu’il se passe. En général,on se ramène à un problème “presque” identique, similaire, souvent plussimple, mais parfois plus général. Un problème plus facile à résoudre, quidonne moins de valeurs, ou bien tout simplement un problème semblableque l’on sait résoudre. Puis, on développe un raisonnement pour se rame-ner au problème de départ.

Fermat suppose donc que les joueurs jouent jusqu’à cinq points, c’est-à-dire que puisque le jeu est arrêté à 2 pour A et 1 pour B, si l’on jouejusqu’à cinq, les deux manches supplémentaires, que Pascal simule, Fermatles comptabilise.

Puisque l’on joue à “pile ou face”, notons le score de départ PPF ; Fer-mat les fait encore jouer deux manches quoi qu’il arrive, il compte donc lespossibilités suivantes

(PPF )PP

(PPF )PF

(PPF )FP

(PPF )FF

Chose remarquable : chaque ligne est une manière de finir la partie, ettoutes ces fins de partie ont les mêmes chances de ce produire, puisque ona autant de chances de tirer un “pile” que de tirer un “face”. Si on attribuecomme avant les “piles” à A (P ), on voit qu’il gagne dans 3 cas sur 4, etc’est exactement ce qu’a trouvé Pascal, “la vérité est la même à Toulousequ’à Paris” 16.

La méthode de Fermat est bien plus concise que celle de Pascal. Courte,il ne s’embarrasse pas de texte superflu. Cependant, elle nécessite peut-être plus de connaissances de la part du lecteur, en tout cas des techniquesutilisées, et de ce fait elle est certainement moins accessible au non initié.

15. Voir la citation en p. 17.16. Lettre de Pascal à Fermat, du 29 juillet 1654. Cf. [3, p. 77]

14

Page 15: Origine du calcul des probabilités

Bien que Pascal est loin d’être un profane, il écrit à Fermat, dans salettre du 24 août 1654, après lui avoir “démontré” pourquoi sa méthoden’est valable que dans le cas de deux joueurs, que

Je crois vous avoir fait connaître par là que la méthode descombinaisons est bonne entre deux joueurs par accident, commeelle l’est aussi quelquefois entre trois joueurs, comme quand ilmanque une partie à l’un, une à l’autre et deux à l’autre, parcequ’en ce cas le nombre des parties dans lesquelles le jeu seraachevé ne suffit pas pour en faire gagner deux ; mais elle n’estpas générale, et n’est bonne généralement qu’au cas seulementqu’on soit astreint à jouer un certain nombre de parties exacte-ment.

Ce différend met en évidence le fait que, à ce moment de son étude duproblème, Pascal préfère nettement éviter d’utiliser les combinaisons 17, etde ce fait est moins réceptif à la méthode utilisée par Fermat, qu’il n’a doncpas compris.

Précisons tout ceci.Dans sa lettre du 24 août 1654, Pascal fait part de ses doutes à Fermat au

sujet de l’utilisation de la méthode des combinaisons, dans le cas de troisjoueurs et plus, et pense avoir une démonstration qu’elle est “mal juste”.

Rappelons que la méthode de Fermat, qui procède par combinaisons,demande de calculer avant tout le nombre de manches encore à jouer pourfinir la partie. Dans le cas de deux joueurs, à qui il reste a et b manches pourgagner on joue au maximum a+b−1 manches. Dans le cas de trois joueurs, àqui il reste a, b et c manches pour gagner, on doit encore jouer au maximuma + b + c − 2 manches. Puis il faut calculer le nombre de manières quepeuvent se jouer ces manches. Dans le cas de deux joueurs c’est 2a+b−1 etdans celui de trois joueurs c’est 3a+b+c−2. Finalement on calcule le nombre

17. Car il est certain qu’il connaît les combinaisons comme le montre sa lettre du 29 juillet1654 dans laquelle il annonce une belle formule pour trouver P (n − 1, n) − P (n, n − 1) =1·3·...·(2(n−1)−1)

2·4·...·2(n−1)

Etant donné tel nombre de parties qu’on voudra, trouver la valeur de lapremière.

Soit le nombre des parties donné, par exemple, 8. Prenez les huit premiersnombres pairs et les huit premiers nombres impairs, [. . .].

Multipliez les nombres pairs [. . .] ; multipliez les nombres impairs [. . .].Le dernier produit des pairs est le dénominateurs, et le dernier produit

des impairs est le numérateur de la fraction qui exprime la valeur de la pre-mière partie de huit ; c’est-à-dire que, si on joue chacun le nombre de pistolesexprimé par le produit des pairs, il en appartiendra sur l’argent de l’autre lenombre exprimé par le produit des impairs.

Ce qui se démontre, mais avec beaucoup de peine, par les combinaisonstelles que vous les avez imaginées, et je n’ai pu le démontrer par cette autrevoie que je viens de vous dire, mais seulement par celle des combinaisons.

15

Page 16: Origine du calcul des probabilités

de cas favorables à chaque joueur et on fait le rapport des cas favorablespar le nombre total des cas.

Pascal, applique donc la méthode de Fermat au cas P (1, 2, 2) et trouvecomme rapports 19

27 , 727 , 7

27 , respectivement pour les joueurs A, B et C. Lesnumérateurs correspondent au nombre de combinaisons de trois lettresdonnant gagant le joueur correspondant. Par exemple la combinaison ABBest favorable au joueur A, la combinaison BCA est aussi favorable au joueurA.

Mais voilà, Pascal nous dit que l’issue ABB fait gagner le joueur A etaussi le joueur B, et donc qu’il ne faut pas la compter en “entier” pourchacun d’eux. Au contraire il faut la partager en deux.

Par conséquent, certaines combinaisons doivent être comptées comme12 et d’autres comme l’entier ou simplement zéro, c’est-à-dire qui ne donnentpas de point au joueur considéré. De cette manière il trouve les rapports

suivants 1627 , 5 1

227 , 5 1

227 , parti qu’il ne trouve pas correcte 18

La raison en est qu’on suppose une chose fausse, qui estqu’on joue en trois parties infailliblement, au lieu que la condi-tion naturelle de ce jeu-là est qu’on ne joue que jusqu’à ce qu’undes joueurs ait atteint le nombre de parties qui lui manque, au-quel cas le jeu cesse.

Pascal argumente que c’est l’utilisation de la condition feinte, c’est-à-dire jouer toutes les parties, qui pose problème, car 19

Dans la condition véritable de ces trois joueurs, il n’y en aqu’un qui peut gagner, car la condition est que, dès qu’un a ga-gné, le jeu cesse. Mais, en la condition feinte, deux peuvent at-teindre le nombre de leurs parties : savoir, si le premier en gagneune qui lui manque, et un des autres deux qui lui manquent.

Il termine sa lettre disant que si le jeu se fait sans la condition feinte et quel’on s’arrête dès qu’un des joueurs gagne, alors 20

[. . .] il appartient au premier 17 pistoles, au second 5, au troi-sième 5, de 27.

qui est la bonne solution.La réponse de Fermat est datée du 25 semptembre 1654. Dans cette lettre

Fermat rappelle 21

18. Lettre de Pascal à Fermat du 24 août 1654. Ce que Pascal nomme partie nous le nom-mons manche.

19. Idem.20. Idem, ici le mot pistole est le nom d’une monnaie, utilisé en France pour désigner un

écu espagnol.21. Lettre du 25 septembre 1654, de Fermat à Pascal. Ici aussi, Fermat utilise le mot partie

et nous le mot manche.

16

Page 17: Origine du calcul des probabilités

[. . .] quand vous dites que la combinaison acc est bonne pourle premier et pour le troisième, il semble que vous ne vous sou-veniez plus que tout ce qui se fait après que l’un des joueurs agagné ne sert plus de rien. Or, cette combinaison ayant fait ga-gner le premier dès la première partie, qu’importe que le troi-sième en gagne deux ensuite, puisque, quand il en gagneraittrente, tout cela serait superflu ?

On voit donc que, dit en language moderne, l’ordre dans lequel se dé-roulent les manches compte, et que selon cet ordre on attribue la combinai-son à tel ou tel joueur. Fermat attribue donc ABB au joueur A et BBA aujoueur B, ainsi cette combinaison ne sera pas comptée deux fois. La raisonqu’en donne Fermat est 22

Ce qui vient de ce que, comme vous avez très bien remarqué,cette fiction d’étendre le jeu à un certain nombre de parties nesert qu’à faciliter la règle, et, suivant mon sentiment, à rendretous les hasards égaux, ou bien, plus intelligiblement, à réduiretoutes les fractions à une même dénomination.

On peut donc affirmer que Pascal n’avait pas compris la méthode deFermat pour résoudre le problème des partis, basée sur le calcul des combi-naisons.

Par ailleurs, lisant les lettres de l’un et de l’autre, il est visible que Fermatest concis, suppose beaucoup de choses connues de son correspondant, etsouvent n’explique tout simplement pas ses méthodes. De son côté, Pascalest volontiers plus généreux dans son style d’écriture, et parfois ne se rendpas compte que son correspondant est l’un des meilleurs mathématiciensde l’époque. Par exemple, dans sa lettre du 29 juillet 1654 il prend soinsd’énumérer les nombres pairs de 2 à 16 et les nombres impairs de 1 à 15.

La solution que Pascal présente a l’avantage de receler bien plus de tré-sors que celle de Fermat, notamment la récurrence, et surtout d’être im-médiatement accessible à quiconque possède des notions élémentaires enarithmétique. Elle est écrite en prose et les arguments sont clairs : c’est ledéroulement de la partie qu’il expose, pas à pas il calcule la part de l’en-jeu à laquelle chaque joueur a droit, si la partie devait être arrêtée à l’étapeconsidérée.

Pour arriver à sa solution “universelle”, Pascal développe son Trianglearithmétique et des concepts nouveaux (telle l’espérance) et permet au géo-mètre de sortir du cadre purement mathématique et rationnaliser des évé-nements a priori non calculables.

La réponse de Pascal et Fermat au problème des partis, apporte une solu-tion au dilème de savoir ce qui est vraiment calculable par la géométrie du

22. Idem.

17

Page 18: Origine du calcul des probabilités

hasard, et de ce qui peut être demandé à cette nouvelle branche naissantedes mathématiques.

Elle permet aussi de dégager les notions d’équiprobabilité et d’indépendancedes événements. Car il est encore beaucoup de joueurs qui parient sur “pi-le” au cinquième lancer si “face” est déjà arrivé quatre fois de suite. C’estl’intuition du joueur que le coup d’après peut être prévisible.

Parmi les notions novatrices issues du travail de Pascal sur le problèmedes partis, il y a, outre celle de “règle des partis” exposée dans son Trianglearithmétique, celle de “pari” 23 et d’espérance mathématique. C’est à Chris-tiaan Huygens qu’il revient de formaliser cette dernière.

7 Espérance

CHristiaan Huygens (1629-1695) est né dans une riche famille hollan-daise un 14 avril 1629 à la Haye. Sous la supervision de leur père,

Christiaan et ses frères reçoivent une éducation complète en sciences et enlettres. De 1645 à 1649 Christiaan étudie la législation et les mathématiquesaux universités de Leiden et Breda. Huygens est très influencé par son pro-

FIGURE 8 – Christiaan Huygens (1629-1695)

fesseur de mathématiques, Frans van Schooten, qui l’introduit aux mathé-matiques de Decartes aussi bien qu’à sa philosophie nouvellement publiée.De 1650 à 1666 il passe le plus clair de son temps à la maison, où il seconcentre sur ses recherches en mathématiques, en optique, en astronomieet en physique. Il obtient des résultats qui font de lui l’un des scientifiquesles plus en vue en europe. Il visite Paris et Londres à plusieurs reprises et

23. Voir Annexe 3.

18

Page 19: Origine du calcul des probabilités

est fait membre de la Royal Society à Londres en 1663, puis lorsque l’Aca-démie Royale des Sceinces est fondée en 1666, il se voit offrir un poste àcelle-ci et emménage à Paris, où il reste jusqu’en 1681 supporté économi-quement par le roi Louis XIV. C’est à cause de maladie qu’il quitte Parispour la Haye, où il passe ses dernières années.

Huygens a une réputation de “maître” en mathématiques, capable d’in-venter des astuces pour la résolution de problèmes spécifiques, sans cepen-dant développer de méthodes générales.

En astronomie il continue les lignes de recherche initiées par Galilée. Ilconstruit de meilleurs téléscopes, qu’il utilise pour observer des nouvellesplanètes et étoiles ; il construit une montre à pendule pour une mesure dutemps plus fine et précise : la conséquence en est une plus grande facilité demesure des distances angulaires entre les étoiles, ainsi qu’une plus grandeprécision.

C’est lorsqu’il visite Paris pour la première fois en 1655 que Huygensest mis au courant des problèmes sur le calcul des chances au jeux dehasard. Mais il n’a pas connaissance des méthodes employées, ni des so-lutions trouvées. De retour en Hollande il travaille sur ce qui deviendrapendant une cinquantaine d’années la référence en matière de calcul deschances, le “De ratiociniis ludo aleae”, publié en 1657, en latin.

Suivant la coutume des savants de l’époque, Huygens écrit à Robervalpour lui soumettre un problème, l’un des plus difficiles qui font partie de“De ratiociniis ludo aleae”. Le but étant de comparer la solution de Rober-val avec la sienne, et du même coup vérifier que sa méthode de calculeest correcte. Il correspond aussi avec d’autres scientifiques français, My-lon (qui étudie les mathématiques avec Roberval) et Carcavi ( qui a servid’intermédiaire dans les échanges entre Pascal et Fermat). En attendant laréponse de Roberval, il écrit à Mylon qui écrit à son tour à Carcavi. Ce der-nier met alors au courant Fermat du problème posé par Huygens. Fermattrouve immédiatement la solution et la communique à Huygens, qui se ré-jouit que leur solutions correspondent. En retour Fermat pose de nouveauxproblèmes à Huygens, et ainsi de suite.

Les travaux de Huygens sur le calcul des chances, est un recueil de mé-thodes appliquées à des problèmes sur le calcul des chances aux jeux dehasard, dont le point de départ est la solution de Pascal et Fermat aux pro-blème des partis. Dans une lettre écrite à son professeur de mathématiques,Frans van Schooten, Huygens écrit 24 :

Il faut savoir d’ailleurs qu’il y a déjà un certain temps que

24. Lettre de C. Huygens à F. van Schooten, lorsqu’il donne à ce dernier la permission depublier son manuscrit comme complément de son livre “Exercitationum Mathematicarum”,[6, p. 56-58]

19

Page 20: Origine du calcul des probabilités

FIGURE 9 – L’opus de C. Huygens, “De ratiociniis ludo aleae”.

quelques-uns des plus Célèbres Mathématiciens de toute la Francese sont occupés de ce genre de Calcul, afin que personne nem’attribue l’honneur de la première Invention qui ne m’appar-tient pas.

Comme Pascal et Fermat, les “Célèbres Mathématiciens” dont parleHuygens, ont caché leur méthode, ce dernier a dû “examiner et approfon-dir[. . .] toute cette matière à commencer par les éléments”. C’est les fonde-ments d’une spéculation fort intéressante qu’on y jette, et le sujet est traitéde manière euclidienne : afin de démontrer les propositions de base quiéchafaudent son travail, Huygens commence par supposer vrai un énoncé.Il ne parle pas d’axiome ni de postulat. Son hypothèse de départ est 25 :

Quoique dans les jeux de pur hasard les événements soientincertains, on peut néanmoins déterminer avec certitude de com-bien un joueur est plus près de gagner que de perdre.

. . .Le principe fondamental de ma méthode est que, dans les

jeux de hasard, la valeur du sort ou de l’attente de chaque joueurest précisément ce qu’il faudrait qu’il eût pour parvenir de nou-veau, en jouant à jeu égal, à un sort ou à une attente semblable.

A l’aide de cette hypothèse, il énonce et démontre les trois premièrespropositions des quatorze que comporte son opus, lesquelles il utilise demanière répétées autant de fois qu’il le faut pour résoudre des problèmessur le calcul des chances au jeux de hasard. Les trois premières propositionssont

25. “De ratiociniis ludo aleae”, contenu dans “Ars conjectandi” de Jacques Bernoulli, cf.[1, p. 7-8]

20

Page 21: Origine du calcul des probabilités

Proposition I Avoir des chances égales d’obtenir a ou b me vaut a+b2 .

Proposition II Avoir des chances égales d’obtenir a,b ou c me vaut a+b+c3 .

Proposition III Avoir p chances d’obtenir a et q d’obtenir b, les chancesétant équivalentes, me vaut pa+qbp+q .

Et bien que de nos jours ces trois premières propositions sont consi-dérées comme la définition d’espérance mathématique, pour Huygens elleont besoin d’être prouvées, et c’est ce qu’il fait. Puis, immédiatement suitla proposition IV, qui est en fait le problème des partis, dans le cas P (1, 2)mentionné plus haut. Le reste du traité de size pages, est une suite de pro-position, qui sont au fait des problèmes pratiques sur les jeux de hasard,que Huygens prouve, c’est-à-dire résout ; suivent enfin cinq exercices pourles lecteurs.

Il est intéressant de remarquer que les propositions I, II et III donnent lafonction ϕ(a, b), que Huygens utilise pour résoudre les problèmes du calculdes chances. Elle donne les chances du joueur A de remporter la somme S,alors qu’il lui reste a manches à gagner contre b manches au joueur B. Aveccette définition on a

ϕ(a, b) =

(1

2

)a+b−1 [1 +

a+ b− 1

1

+(a+ b− 1)(a+ b− 2)

1 · 2+ . . .

+(a+ b− 1)(a+ b− 2) · · · (a+ 1)

1 · 2 . . . · (b− 1)

]=

(1

2

)a+b−1 b−1∑k=0

(a+ b− 1

k

)(1)

ϕ(n− 1, n) =

(1

2

)2(n−1) n−1∑k=0

(2(n− 1)

k

)(2)

ϕ(n, n− 1) =

(1

2

)2(n−1) n−2∑k=0

(2(n− 1)

k

)(3)

ϕ(n− 1, n) + ϕ(n, n− 1) =1 (4)

ϕ(n− 1, n) =1

2ϕ(n− 2, n) +

1

2ϕ(n− 1, n− 1) (5)

où n est le nombre de manches à gagner par les joueurs. Les trois pre-mières lignes correspondent à l’équation originale, les lignes suivantes sont

21

Page 22: Origine du calcul des probabilités

données en notation moderne faisant intervenir, comme il se doit, les coef-ficients binomiaux.

L’équation (5) est la récurrence utilisée par Huygens pour résoudre leproblème des partis, lorsqu’il s’agit de deux joueurs.

La formule (1) se généralise facilement à plus que deux joueurs, devantchacun finir encore a, b, c, . . . manches.

Il faut remarquer que Huygens dérive tous ses résultat directement ouindirectement par récurrence, un peu à la façon de Pascal. De plus, il utilisepresque exclusivement la récurrence rétrograde, basée sur les propositionsI, II et III, pour résoudre les problèmes qu’il se pose. Exception faite des casoù un calcul du nombre des cas favorables et défavorables de l’événementen question impose le recours à l’analyse combinatoire. Il applique cetteméthode même dans le cas où la combinatoire mène plus facilement aurésultat.

Comme illustration de ce fait, notons sa solution au “Problème IV” deson opus : A prend douze jetons, 4 blancs et 8 noirs, et il parie avec B que, lesyeux voilés, il en tirera 7, dont trois exactement seront blancs. On demande quelest le rapport du sort de A au sort de B.

La réponse donnée par Huygens, en 1665, est “comme 35 est à 64”.Par les combinaisons, ce problème se résout aisément : le nombre total

des cas est égal à 12!4!8! = 5 · 9 · 11. Supposons que le joueur A, le premier

des deux joueurs, prends toujours les sept premiers jetons, alors le nombrede permutations qui lui sont favorables est égal à 7!

3!4! ·5!1!4! = 5 · 5 · 7, et sa

chance est représentée donc par 3599 et celle de son adversaire par 64

99 .

Notons S, comme plus haut, la somme de l’enjeu. Alors la solution don-née par Huygens est :

Si de 6 jetons pris 3 sont blancs et3 noirs, alors le joueur A a 1 chancede gagner zéro, et 5 chances de ga-gner S. Alors appliquant les propo-sitions I, II et III, récursivement, on ala suite suivante

6 j. 3 b. 3 n. 1·0+5·S6 = 5

6S

6 j. 2 b. 4 n. 2·S+4·06 = 1

3S

5 j. 3 b. 2 n. 1·0+6· 56

7 = 57S

5 j. 2 b. 3 n. 2· 56S+5· 1

3S

7 = 1021S

5 j. 1 b. 4 n. 3· 13S+4·07 = 1

7S

4 j. 3 b. 1 n. 1·0+7· 57S

8 = 58S

4 j. 2 b. 2 n. 2· 57S+6· 10

21S

8 = 1528S

4 j. 1 b. 3 n. 3· 1021S+5· 1

7S

8 = 1556S

4 j. 0 b. 4 n. 4· 17S+4·08 = 1

14S

3 j. 3 b. 0 n. 1·0+8· 58S

9 = 59S

3 j. 2 b. 1 n. 2· 58S+7· 15

28S

9 = 59S

3 j. 1 b. 2 n. 3· 1528S+6· 15

56S

9 = 514S

3 j. 0 b. 3 n. 4· 1556S+5· 1

14S

9 = 1063S

2 j. 2 b. 0 n. 2· 59S+8· 5

9S

10 = 59S

2 j. 1 b. 1 n. 3· 59S+7· 5

14S

10 = 512S

2 j. 0 b. 2 n. 4· 514S+6· 10

63S

10 = 521S

1 j. 1 b. 0 n. 3· 59S+8· 5

12S

11 = 1533S

1 j. 0 b. 1 n. 4· 512S+7· 5

21S

11 = 1033S

0 j. 0 b. 0 n. 4· 1533S+8· 10

33S

12 = 3599S

22

Page 23: Origine du calcul des probabilités

Par conséquent la chance de A est à celle de B comme 35 est à 64.

Parmi les mathématiciens qui ont succédé à Huygens dans le domainedu calcul des chances, citons de Moivre qui a généralisé (1) au cas où leschances des deux joueurs ne sont pas égales. Si les chances de gain de Asont p et celles de B sont q, ayant bien sûr p+ q = 1, on a

ϕ(a, b) =pa+b−1 +a+ b− 1

1· pa+b−2q + . . .

+(a+ b− 1)(a+ b− 2) · · · (a+ 1)

1 · 2 . . . · (b− 1)· pa · qb−1

=

b−1∑k=0

(a+ b− 1

k

)pa+b−1−kqk

où la dernière ligne est écrite en notation moderne.

De Monmort et Jacques Bernoulli donneront par exemple la formule (1),alors que plus tard Laplace trouvera la fonction génératrice pour le problèmedes partis, et Meyer qui réussi à représenter ϕ(a, b) à l’aide d’une intégraledéfinie 26. Ces deux derniers ont su généraliser leur formules au cas de njoueurs.

Huygens sera le premier à concevoir l’utilisation de la théorie des pro-babilités en dehors des salons de jeu. Il a fait explicite la notion d’espérancequi n’était qu’implicite dans la solution de Pascal et de Fermat au problèmedes partis, bien que Huygens ne la nomme pas ainsi.

L’espérance est 27 vue comme la “mesure correcte” de la valeur d’unpari particulier ; pour la calculer on multiplie la probabilité de chaque issuepar le montant (quantité) pariée, c’est-à-dire par le montant à gagner ou àperdre. Si p est la probabilité de gagner la somme de S, alors l’espéranceest p · S + (1− p) · (−S).

Après 1657 Huygens reviens sur les problèmes du calcul des chancesde manière intermittente 28, et sa plus importante contribution est l’inter-prétation probabilistique des tables de mortalité de John Graunt.

26. Voir la p. 69 de l’ouvrage “Cours de calcul des probabilités fait à l’Université de Liègede 1849 à 1857 par A. Meyer, la formule est ϕ(a, b) = Γ(a+b)

Γ(a)Γ(b)

∫ p

0xa−1(1− x)b−1dx

27. Sa définition moderne : est égale à la somme des gains (et des pertes) pondérés par laprobabilité du gain ou de la perte. L’espérance est fonction d’un variable aléatoire et permetd’évaluer le résultat moyen d’une expérience aléatoire. Lorsque l’espérance est 0 on dit quele jeux associé est équitable.

28. “A History of Probability and Statistics and Their Applications before 1750, cf.[5,p. 78]

23

Page 24: Origine du calcul des probabilités

John Graunt 29 (né le 24 avril 1620, mort le 18 avril 1674) était un richemercier londonien, qui est surtout connu pour être, avec son ami WilliamPetty, l’un des premiers démographes.

Afin d’essayer de mettre au point un système pour prévenir l’apparitionde la peste dans Londres, il analyse les registres de mortalité de la ville etédite en 1662 “Natural and Political Observations Made Upon the Bills ofMortality”.

FIGURE 10 – John Graunt (1620-1674)

Le 16 mars 1662, Robert Moray, le premier secrétaires de la Royal Societynaissante, fait parvenir à Christiaan Huygens un exemplaire du travail deJohn Graunt. C’est lorsque son frère, Lodewijk Huygens, lui adresse parlettre une table de l’espérance de vie de personnes de tout âge, dont il estl’auteur, que Christiaan s’occupe activement du travail de Graunt.

Christiaan se rend compte que, d’une part le travail de Graunt, et d’autrepart la table de son frère, manquent de précision et de son point de vu ontbeaucoup de lacunes et d’imprécisions. Il décide de préciser le travail deLodewijk, et lui communique ses remarques accompagnées d’une nouvelletable estimant l’espérance de vie, d’après les données tirées du travail deGraunt.

Christiaan calcule l’espérance de vie d’un être humain, en prenant commemodèle une loterie ayant 100 billets. Chaque billet correspondant à unevaleur du tableau de Graunt (tableaux contenants le nombre de décès àLondres suivant certains critères). Puis y applique les règles de calcul del’espérance par lui établies.

Sans trop s’attarder sur le sujet, notons un de ses résultats. Il affirmequ’une personne de 16 ans a 24 chances sur 40 de mourir avant l’âge de 36ans, et que les chances qu’elle meurt après l’âge de 36 ans égale 16. Alors,dans un jeu équitable, les quotes sont 16 à 24, c’est-à-dire 2 à 3, c’est-à-direqu’une personne de 16 ans peut mourir avant 36 ans avec une probabilitéde 2

3 .

29. Source http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Graunt.

24

Page 25: Origine du calcul des probabilités

L’idée qu’une personne organise sa vie de manière rationnelle, de façonà minimiser les risques et à maximiser les oportunités de réussite, apparueen 1713, dans l’oeuvre de Jaques Bernoulli “Ars conjectandi”.

8 De la probabilité

JAcques Bernoulli 30 est né un 27 décembre 1654 à Bâle, Suisse. C’est unmathématicien et un physicien, frère de Jean Bernoulli et oncle de Daniel

Bernoulli et de Nicolas Bernoulli. C’est après avoir rencontré Robert Boyleet Robert Hooke lors d’un voyage en Angleterre, en 1676, qu’il se consacre àla physique et aux mathématiques. Devient professeur de mathématiquesà l’université de Bâle, en 1687, et membre de l’Académie des sciences deParis, en 1699, et celle de Berlin, en 1701. Il meurt en 1705 à Bâle.

FIGURE 11 – Jacques Bernoulli (1654-1705)

Il fut l’un des premier, avec Leibniz, à comprendre et à appliquer le cal-cul différentiel et intégral, proposé par ce dernier. Il découvrit entre autres,les nombres de Bernoulli, lors de son étude de la somme des puissances k-ièmes des entiers.

Dans son oeuvre majeure, Jacques Bernoulli introduit deux notions deprobabilité, a priori et a posteriori, ainsi que le fameux théorème de la loi desgrand nombres.

Publié comme oeuvre posthume, par son neveu Nicolas, “Ars conjec-tandi” pose les principes du calcul des probabilités. Il est écrit en quatreparties 31 :

30. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Bernoulli31. Voir le livre de A. Hald, cf. [5, p. 242]

25

Page 26: Origine du calcul des probabilités

FIGURE 12 – L’opus Ars Conjectandi, édition en latin.

1. Le traité De Ratiociniis in Ludo Aleae par Christiaan Huygens avec desannotations de Jacques Bernoulli, pp. 2-71 ;

2. La doctrine des permutations et des combinaisons, pp. 72-137 ;

3. Utilisation des doctrines précédentes dans certains jeux de hasard etde jeux de dés, pp. 138-209 ;

4. Utilisation et application des doctrines précédentes dans les affairesciviles, morales et économiques, pp. 210-239 ;

où les numéro des pages correspondent à l’édition en latin.

Son opus paraît à Bâle en 1713. Pendant vingt ans de recherches, il trans-forme le calcul d’espérances de Pascal et Huygens, en un calcul des proba-bilités. Cette dernière est définie comme le degré de certitude avec lequelun événement futur peut éventuellement se produire. Son but est d’élargirle domaine d’application du calcul des chances, espérances mathématiquesde Pascal et Huygens, à la vie quotidienne. Il se donne pour but d’étudierles arguments qui peuvent être utilisés dans l’art de conjecturer, commentquantifier leur incidence sur les événements, pour en calculer des probabi-lités.

Ainsi dans la première partie, il améliore et complète le raisonnementde Huygens par de larges commentaires. Entre autres il remplace les résul-tats numériques de Huygens par des formules, généralise des problèmes etfournit des nouvelles méthodes de solution. Ses commentaires sont quatrefois plus long que le texte d’origine 32. Considérant la répétition d’un jeu de

32. Voir “A History of Probability ans Statistics and Their Applications before 1750”, cf.[5, p. 226]

26

Page 27: Origine du calcul des probabilités

hasard, Bernoulli affirme que la probabilité de gagner dans un jeu simpleest constante, c’est-à-dire qu’il reconnaît l’indépendance par rapport au jeuprécédent. Depuis, toute expérience répétées d’essais indépendants est ap-pelée expérience de Bernoulli, lorsqu’il n’y a que deux issues possibles, ga-gner ou perdre.

Rappelons l’usage que se fait au 17ème siècle et avant des notions deprobabilité et de chance. Probabilité est mis en relation avec des opinions,des propositions et des croyances ; c’est la probabilité subjective. Chance,de son côté, est utilisé comme la probabilité objective 33. Du point de vuemathématique, il n’est pas nécessaire ou souhaitable de définir la probabi-lité explicitement. Suivant la procédure axiomatique, la probabilité est unenotion indéfinie : c’est un nombre entre 0 et 1, compris, vérifiant certainesrègles permettant le calcul. De ce point de vue, toute interprétation de pro-babilité qui satisfait les axiomes est admise. Notons que depuis le début deson utilisation mathématique, c’est les concepts d’additivité et d’indépen-dance qui en sont la base.

Puis dans la quatrième partie de son opus, il dégage deux sortes desituations, qui le mènent à deux définitions de probabilité.

La première des situations est celle des jeux de hasard, dans laquel lesprobabilités sont connues a priori. Il décrit alors le modèle de l’urne en sup-posant l’équiprobabilité, égalité des chances, de chaque événement. Il seramène ainsi à un problème de dénombrement des cas.

Dans la seconde situation, les probabilités ne sont pas connues à l’avance :elles sont calculées après l’événement. Etant donné un échantillon d’unepopulation, si une probabilité est calculée sur la base de cet échantillon,avec quelle précision va la probabilité ainsi calculée représenter la popula-tion toute entière ? Par exemple, prenons une boîte opaque contenant 5000jetons de couleurs différentes, disons rouge et noir. La question est de sa-voir combien il y en a de chaque couleur. Alors on fait une expérience : ontire de la boîte succéssivement des jetons au hasard (prenant soins entrechaque prise de mélanger la boîte), sans regarder. Si l’on fait cela 50 fois etque l’on suppose que l’on a tiré 31 rouges et 19 noirs, on peut conjecturerqu’il y a environ 3000 jeton rouges et 2000 jetons noirs dans la boîte. Donc,la probabilité a posteriori de tirer un jeton rouge de la boîte est de 3

5 .Bernoulli se pose la question de quel est notre degré de confiance en

cette probabilité. Notre confiance augmente-elle si nous choisissons un échan-tillon plus grand, par exemple 100 jetons ?

Puis, Bernoulli prouve que si l’on prend un échantillon assez grand,nous pouvons augmenter notre confiance dans la probabilité calculée, au-tant que l’on voudra. Autrement dit, en augmentant la taille de l’échan-tillon, on peut approcher la probabilité calculée pour l’échantillon aussi

33. Voir Annexe 2.

27

Page 28: Origine du calcul des probabilités

près que l’on veut de la vraie probabilité, dans notre cas de tirer un jetonrouge de la boîte. C’est la loi des grand nombres.

Ce nouveau concept de probabilité est radicalement différent du pré-cédent 34, c’est-à-dire que la probabilité a priori dépend de la symétrie dujeu, c’est un donnée objective associée au jeu, et ne dépend pas de l’obser-vateur, du joueur. Ainsi, Nicolas Bernoulli, qui publia l’opus de son oncleà titre posthume, lorsqu’il s’occupe du calcul des chances de survie aprèsun certain âge, note que l’on ne peut pas calculer ces probabilités par unraisonnement a priori, comme dans les jeux de hasard. Ces probabilitésdoivent être estimées par l’observation, c’est-à-dire, par un raisonnementa posteriori. Deux personnes calculant une probabilité a posteriori du mêmeévénement, peuvent avoir des résultats différents ; de plus leur réponsespeuvent changer s’ils acquièrent des informations supplémentaires concer-nant l’événement. Cette notion est utilisée de nos jours dans le domaine du“Risk managment”.

C’est à ce moment que le terme théorie des probabilités est utilisé pourdécrire les mathématiques héritées de Pacioli, Cardano, Pascal, Fermat etHuygens. A partir de là, le mot probabilité décrira les méthodes mathéma-tiques permettant de calculer des prévisions, de quantifier des événementsincertains ou non.

9 Conclusion

C’est très rapidement que les choses se sont produites après les échangesentre Pascal et Fermat.

Si l’on résume : Luca Pacioli publie le problème des partis en 1494, mais ildate d’avant lui. Ce dernier essaie de le résoudre sans succès. Puis c’est autour de Cardano, en 1539, et de Tartaglia, en 1556, et là encore sans pouvoiren trouver une solution générale. Ce dernier dira même que le problèmen’a pas de solution.

Puis, en 1654, le chevalier de Méré en parle à Pascal, qui trouve la solu-tion générale, en collaboration avec Fermat, qui trouve la sienne avec desméthodes différentes de celles de Pascal. Jusqu’à ce moment on ne parleque de chances de gain et de partage des gains.

En 1657 est édité le premier travail raisonné sur le calcul des proba-bilités, rassemblant de manière cohérente des méthodes pour résoudre laplupart des problèmes liés au calcul des chances connus de l’époque. Cetravail est dû a Christiaan Huygens, suivant les traces de Pascal et Fermat,et ignorant la solution de ces derniers au problème des partis. Il étend la théo-rie des “chances”, précise et définit la notion d’espérance.

34. Voir “Unfinished Game”, de Keith Devlin.

28

Page 29: Origine du calcul des probabilités

Parallèlement, en Angleterre, John Graunt publie son analyse des tablesde mortalité. C’est avec l’espoir de prévoir les fléaux que ce dernier établitses tables de mortalité, et est de ce fait le premier à se baser sur des don-nées statistiques pour faire des estimations. En 1669 Christiaan Huygensutilise sa nouvelle théorie pour calculer de manière plus précise les estima-tions de Graunt, mais avec les mêmes données que Graunt a utilisé. Dansle même registre, suivent Jan de Witt 35, en 1671, qui édite des tables desprix des annuités, et Edmund Halley 36 en 1693, qui développe le travail deGraunt plus avant basé cette fois-ci sur des données de mortalité de Breslau(aujourd’hui la quatrième ville de Pologne).

C’est un tournant qui s’opère avec les travaux des Bernoulli.En 1709 Nicolas Bernoulli applique la théorie des probabilités, de son

oncle Jacques décédé, à des questions juridiques et judiciaires, incluant destables de mortalité et d’annuités plus précises. L’année 1713 voit la nais-sance du mot probabilité dans son sens moderne, dans “Ars conjectandi”oeuvre majeure de Jacques Bernoulli, éditée à titre posthume par son ne-veu Nicolas. Dans son opus, Jacques Bernoulli énonce et prouve sa “loi desgrand nombres”, qui dit que des grands échantillons sont une bonne repré-sentation d’une population.

Finalement, Abrahan de Moivre 37 introduit sa “courbe en cloche”, en1733 ; puis est publié le travail de Bayes 38 à titre posthume en l’an 1764.

C’est véritablement dans le siècle qui vient d’être résumé que sont réa-lisés les grands progrès dans la théorie du calcul des probabilités.

D’un coté nous avons le monde des joueurs et de l’autre celui des ma-thématiciens. Tous deux nourrissant le souhait de pouvoir rationnaliser lequotidient.

C’est le 17ème siècle et son mouvement rationnaliste qui a stimulé ledéveloppement des sciences et l’exploration de nouveaux domaines. Dansce début de 18ème siècle s’opère encore le passage d’un esprit dominé parles lois Divines vers un esprit maître de ses actes, un esprit qui rationna-lise, calcule et évalue son passé, son présent et son futur. L’oeuvre des plusgrands intellectuels européens entre 1654 et 1764 permet de réaliser que le

35. Né en 1625 dans une famille patricienne de Dordrecht, il est le plus important repré-sentant de la bourgeoisie hollandaise dans le gouvernement de la république des Provinces-Unies, qu’il dirige de fait pendant 20 ans, il meurt en août 1672 à la Haye.

36. (1656-1742) est un astronome et ingénieur britannique. Ingénieur et scientifique plu-ridisciplinaire, il est surtout connu pour avoir le premier déterminé la périodicité de lacomète de 1682, qu’il fixa par calcul à 76 ans environ. Lors du retour de cette comète en1758, elle fut baptisée de son nom. C’est l’une des rares comètes qui portent un autre nomque celui de leur découvreur.

37. Abraham de Moivre (né le 26 mai 1667 à Vitry-le-François - mort le 27 novembre 1754à Londres) est un mathématicien français.

38. Thomas Bayes (env. 1702, Londres - 17 avril 1761) est un mathématicien britanniqueet pasteur de l’Église presbytérienne, connu pour avoir formulé le théorème de Bayes.

29

Page 30: Origine du calcul des probabilités

futur peut être quantifié, qu’il ne s’agit pas de faire disparaître complète-ment le hasard, l’incertain, mais au contraire de mieux le connaître, de lequantifier.

Nous pouvons associer des nombres au événements quotidiens ; nouspouvons estimer les chances de réussite des projets ; nous pouvons acco-moder nos ressources à nos besoins. Comme dit plus haut, il est impossiblede trouver une seule entreprise, un seul scientifique, un seul gouverment-ment qui ne se base sur un calcul de probabilités, pour évaluer les risquesavant de démarrer un projet.

10 Annexe 1. Espérance mathématique

EN quoi consiste la notion d’espérance mathématique ? Voici une descrip-tion et l’application à un exemple précis 39. C’est une notion impor-

tante de la théorie des probabilités.Supposons une personne ayant des billets de loterie. On dit que l’es-

pérance mathématique de cette personne ayant ces billets est le prix qu’elledoit équitablement payer ses billets. Par exemple si 1000 personnes se réunissentet donnent chacune 1 franc, on aura une somme de 1000 francs. Elles dé-cident de faire une loterie de 250 billets, dont le prix (enjeu) est la somme de1000 francs réunie. Chaque billet est alors vendu 4 francs. Si une personneachète 11 billets, sa probabilité de gagner est égale à 11

250 , et elle aura payéses billets 4 · 11 franc, c’est-à-dire 4 · 11 = 1000 · 11

250 , qui est le produit de lasomme à gagner par la probabilité de l’obtenir.

L’espérance mathématique est ainsi égale au gain espéré multiplié parla probabilité de l’obtenir.

Appliquons le à un problème. Voici le problème : on lance une aiguillede longueur l sur un réseau de droites parallèles, toutes séparées par unedistance d, avec l < d. Quelle est la probabilité pour que l’aiguille ren-contre l’une des parallèles tracées ? La solution qui suit est due à M. JosephBertrand. On suppose que l’aiguille (métallique) est courbe, et convexe,pour que lorsqu’elle rencontre une droite elle le fasse à deux endroits diffé-rents. Partageons l’aiguille en parties d’égales longueurs, assez petites pourqu’on puisse les considérer comme des segments de droite. On numéroteles segments ainsi obtenus, et on suppose que ce sont des billets de loterie.On jette l’aiguille courbe sur le réseau de parallèles. Si aucune rencontre n’alieu entre l’aiguille courbe et les droites, alors on ne paie rien. Lors d’unerencontre, il y a deux segments qui rencontrent le réseau des parallèles (uned’entre elles). Donc deux billets de loterie reçoivent une certaine somme, di-sons 100 francs. Il est clair que les chances de gagner pour chaque numéro

39. Sur la philosophie des mathématiques, J. Richard, cf. [8, p. 151-165]

30

Page 31: Origine du calcul des probabilités

est indépendante de la forme de l’aiguille, de la courbe. Le fait d’être lié àla courbe ne change rien au segment de droite quand à ses chances de tom-ber sur une droite du réseau, ses chances sont les mêmes que s’il était lancétout seul. L’espérance mathématique du joueur ayant ce numéro est égaleà cette probabilité multipliée par 100 francs. Comme vu dans la définition,s’il prends plusieurs numéros l’espérance est multipliées par le nombre debillets pris. On voit aussi que l’espérance mathématique ne dépend quede la longueur de l’aiguille, si quelqu’un prend tous les billets (tous lessegments partageant l’aiguille courbe) cela ne change pas la conclusion.Ainsi puisque à chaque fois que l’aiguille rencontre une parallèle elle le faità deux endroits, l’espérance mathématique du joueur ayant pris tous lesbillets, est égale à la probabilité de toucher le réseaux multipliée par 200, lejoueur gagne 200 francs. L’espérance étant indépendante de la forme de lacourbe il en est de même de la probabilité qu’une rencontre se produise. Simaintenant la courbe était un cercle, la probabilité cherche serait le rapportdiamètre du cercle

d où d est la distance entre deux parallèles. Dans ce cas précis,le diamètre du cercle est l

π , l étant le périmètre, rapport de la circonférenceau diamètre. Et la probabilité cherchée serait l

πd .Et puisqu’on a vu que la forme de l’aiguille n’influence pas l’espérance,

une aiguille de longueur l peut être considérée comme une courbe ferméede longueur 2l on a le résultat final de la probabilité que l’aiguille rencontrele réseau de parallèles, c’est-à-dire, 2l

πd .

11 Annexe 2. Le concept de probabilité

NOus ne considérons que deux notions de probabilité : une probabilitéobjective et une probabilité subjective.

La première, objective, est utilisée pour décrire les propriétés des méca-nismes aléatoires ou des expériences (comme par exemple les jeux de ha-sard) et pour décrire des événements aléatoires dans la population (commepar exemple les chances d’avoir un garçon, une fille ou encore ses chancesde mourir à telle date).

A cette notion est attaché un nombre compris entre 0 et 1, et ce nombreest appelé probabilité mathématique. Pour produire ce nombre on fait ap-pel à la notion de fréquence relative de l’événement considéré, auquel onveut attacher la probabilité. Basée sur un jeu de hasard idéalisé, et en nombrefini d’étapes, chaque issue est supposée également probable. Alors la pro-babilité mathématique est le rapport entre le nombre de cas favorables parle nombre de cas total observés. Puisque nous essayons de mesurer uneprobabilité objective en calculant une fréquence relative à partir d’expé-riences ou des observations, on appelle aussi cette notion probabilité fré-quentiste ou statistique.

La deuxième notion est celle de probabilité subjective. Elle est utilisée,

31

Page 32: Origine du calcul des probabilités

surtout en philosophie, pour décrire le degré de croyance en une propo-sition justifiée par sa preuve, qui n’a pas besoin d’être de nature statis-tique. Une telle probabilité fait référence à notre connaissance imparfaitedes choses ou des événements, elle se réfère donc à notre imparfaite connais-sance ou appréciation des choses ou événements, et pas aux choses et auxévénements auxquelles la proposition ou l’appréciation se réfère.

Il est important de comprendre que la notion de probabilité n’a pas lemême sens au 17ème siècle. A l’époque l’on parlait de probabilité dans lesens qu’aujourd’hui on donne à la notion de probabilité subjective, et étaitmise en relation avec les opinions, les propositions et les croyances. Lors-qu’on parlait de chances, on le faisait dans le sens qu’on donne aujourd’huià la notion de probabilité objective. D’après Anders Hald 40 :

The distinction beween objective and subjective probabilitywas formulated clearly by Cournot (1843, pp. V-VII and 437-440) who also tried to revive the old usage, as is evident fromthe title of his book, An Exposition of the Theory of Chances andProbabilities. Poisson (1837, p. 31) also distinguished betweenchance and probability.

Depuis Cardano jusqu’à Bernoulli pour parler d’événements équipro-bable, on utilisait des expressions telles que conditions équivalentes, déshonnêtes, chance pure, la même facilité d’occurrence et de symétrie.

12 Annexe 3. L’argument du pari de Pascal

UN des textes les plus cités de Pascal est celui des “Pensées” où il uti-lise l’univers du jeu afin de convaincre ceux qui ne le seraient pas

encore de l’existence de Dieu. On peut donc penser que ses travaux sur leproblème des partis, peut avoir suggéré l’utilisation d’un tel argument.

Bien que ce soit formellement Christiaan Huygens qui initie l’utilisa-tion des probabilités en dehors du champ du jeu, on observe que Pascalapplique sciemment un schéma de jeu à son argumentation sur l’existencede Dieu, voici un l’extrait 41 :

-Examinons donc ce point, et disons : “Dieu est, ou il n’estpas.” Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peutrien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joueun jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croixou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faireni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul desdeux.

40. Cf. [5]41. Cf. [3], p. 1212-1214

32

Page 33: Origine du calcul des probabilités

Ne bâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ;car vous n’en savez rien. [. . .]

-Oui ; mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtesembarqué. Lequel prendre-vous donc ? Voyons. Puisqu’il fautchoisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deuxchoses à predre : le vrai et le bien, et deux choses à engager :votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béa-titude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la mi-sère. Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un quel’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Volà un point vidé.Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenantcroix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vousgagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez doncqu’il est, sans hésiter.

Références

[1] Jacques Bernoulli. L’art de conjecturer, Traduit du latin, par L. G. Vastel,Membre du Lycée et de la Société d’Agriculture et de Commerce de Caen. Del’Imprimerie de G. Le Roy, Imprimeur-Libraire, Caen., 1801.

[2] Pascal Blaise. Oeuvres Complètes. Edition de Ch. Lahure, 1858.

[3] Pascal Blaise. Oeuvres Complètes. Editions Gallimard, 1954.

[4] Thierry Depaulis. Les temps nouveaux. http://expositions.bnf.fr/jeux/arret/03.htm.

[5] Anders Hald. A History of Probability and Statistics and Their Applicationsbefore 1750. Wiley-Interscience, 2003.

[6] Christiaan Huygens. Oeuvres Complètes. Tome XIV. Probabilités. Travauxde mahtématiques pures, 1655-1666. Martinus Nijhoff, Den Haag, ed. D.J.Korteweg, 1920.

[7] Jean-Michel Mehl. Les jeux au moyen-age. http://expositions.bnf.fr/jeux/arret/02.htm.

[8] Jules Richard. Sur la Philosophie des Mathématiques. Gauthier-Villars,Imprimeur-Libraire du bureau des longitudes, de l’école polytech-nique., 1903.

[9] Joseph Saint Pierre. Perception du hasard au moyen-age - quelquespistes pour une histoire des probabilités. http://cict.fr/~stpierre/mash.pdf, avril 2003.

33