pamatchin sylvia-ghislaine soro to cite this version

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HAL Id: tel-01468123 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01468123 Submitted on 15 Feb 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France) Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro. L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France). Droit. Université de Bordeaux, 2016. Français. NNT : 2016BORD0026. tel-01468123

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HAL Id: tel-01468123https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01468123

Submitted on 15 Feb 2017

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avecl’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne

francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumièredes grandes démocraties contemporaines

(Allemagne-France)Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro

To cite this version:Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro. L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordrepublic sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumièredes grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France). Droit. Université de Bordeaux, 2016.Français. �NNT : 2016BORD0026�. �tel-01468123�

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THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE

L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (E.D. 41) SPÉCIALITÉ : DROIT PUBLIC

Par Pamatchin Sylvia-Ghislaine SORO

L’EXIGENCE DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE (BENIN-COTE

D’IVOIRE-SENEGAL) A LA LUMIERE DES GRANDES DEMOCRATIES CONTEMPORAINES (ALLEMAGNE-FRANCE)

Thèse dirigée par :

M. Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN,

Professeur à l’Université de Bordeaux

Soutenue le 11 mars 2016 Membres du jury : M. HOURQUEBIE Fabrice, Professeur à l’Université de Bordeaux, Président du jury M. LATH Yédoh Sébastien, Agrégé des Facultés de droit, Maître de Conférences à l’Université d’Abidjan-Cocody, rapporteur M. MÉLIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand, Professeur à l’Université de Bordeaux, Directeur de thèse M. MORANGE Jean, Professeur à l’Université de Limoges, rapporteur

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Titre : L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France)

Résumé : Le renouveau du constitutionnalisme amorcé dans les années 1990 en Afrique subsaharienne francophone et la menace sécuritaire grandissante à travers le monde réorientent la problématique des rapports qu’entretient la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. La reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion exige que l’exercice de cette liberté se fasse dans le respect de l’ordre public matériel, avec au cœur de cet ordre juridicisé, la sécurité des personnes, des biens et du territoire national par extension. Cette reconnaissance impose de s’interroger sur la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin- Côte d’Ivoire-Sénégal) à la lumière de l’expérience des grandes démocraties contemporaines (Allemagne-France). Dans la présente recherche, l’exigence de conciliation s’appuie sur des fondements constitutionnels et son respect doit être assuré par un ensemble de garanties juridiques. Cependant, la conciliation trouve ses limites dans les contingences politiques, économiques et sociales propres aux États de l’Afrique subsaharienne francophone. En effet, dans des pays où l’État de droit est en gestation, la conciliation de deux normes de valeur constitutionnelle est incertaine, surtout lorsque l’une d’entre elle, la liberté d’opinion, peut être mise en œuvre contre le pouvoir politique tandis que l’autre, l’ordre public sécuritaire, peut lui servir de prétexte pour limiter l’exercice de cette liberté. La réflexion invite in fine à repenser la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire comme un nouveau principe constitutionnel en Afrique subsaharienne francophone. Mots clés : Conciliation, constitutionnalisme, liberté d’opinion, ordre public sécuritaire, État de droit, droits fondamentaux, libertés intellectuelles, libertés de l’esprit, démocratie, sécurité, Bénin, Côte d’Ivoire, Sénégal, Allemagne, France, principe constitutionnel, pouvoir politique. Title : The conciliation requirement of freedom of opinion with public security order in francophone sub-Saharan Africa (Benin, Côte d’Ivoire, Senegal) in the light of great contemporary democracies (Germany, France).

Abstract : The renewal of constitutionalism, initiated in the 1990’s in francophone sub-Saharan Africa, and the worldwide growing security threat reorient the issue of the relationships between freedom of opinion and public security order. The constitutional recognition of freedom of opinion requires that the exercise of this freedom be done according to substantive public policy, with, at the heart of this legalised policy, the safety of people, property and, by extension, national territory. This recognition demands that we question the conciliation of freedom of opinion with public security order in francophone sub-Saharan Africa (Benin, Côte d’Ivoire, Senegal) in the light of the experience of great contemporary democracies (Germany, France). In this research, constitutional grounds support the conciliation requirement and its respect must be ensured by legal guarantees. However, conciliation finds its limits in the political, economic and social contingencies specific to the francophone sub-Saharan States of Africa. Indeed, in these countries where the rule of law is building up, the conciliation of two constitutional standards is uncertain, especially when one of them, freedom of opinion, can threaten political power whereas the other one, public security order, can become an excuse to limit the exercise of this freedom. The essay invites in fine to reconsider the conciliation of freedom of opinion with public security order as a new constitutional principle in francophone sub-Saharan Africa. Keywords : Conciliation, constitutionalism, freedom of opinion, public security order, Rule of law, fundamental rights, intellectual freedoms, freedoms of thought, democracy, security, Benin, Côte d’Ivoire, Senegal, Germany, France, constitutional principle, political power.

Unité de recherche [CERCCLE-GRECCAP ; E.A. 4192 ; 4 Rue du Maréchal Joffre, 33075

Bordeaux cedex]

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2

L'université de Bordeaux n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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À mon père

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Le moment est venu pour moi, alors que s’achève cette aventure unique qu’est la

rédaction d’une thèse, d’exprimer mon infinie reconnaissance à l’égard de toutes

celles et de tous ceux qui d’une manière ou d’une autre, ont contribué à la rendre

possible.

Mes premiers mots de remerciements vont naturellement à mon directeur de thèse,

Monsieur le Professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien qui, en acceptant de

m’accueillir au sein du CERCCLE et de diriger ce travail, m’a fait confiance.

Directeur de thèse à la fois disponible, méthodique et compréhensif, ses conseils

toujours précieux et ses encouragements constants m’ont été d’une aide inestimable

durant ces années de recherches.

Mes remerciements s’adressent ensuite à l’ensemble des membres et du personnel

du CERCCLE. Une pensée particulière pour les Professeurs Slobodan Milacic et

Fabrice Hourquebie pour leurs conseils avisés ainsi que pour Martine Portillo et

Corinne Pijoan-Veyssière pour leur disponibilité.

Je tiens aussi à remercier du fond du cœur mes relecteurs pour le temps qu’ils

m’ont accordé et qui a contribué à l’accomplissement de ce travail : Daniel, Ghislain,

Marie-Odile, Nicolas, Olivier, Sandrine, Seynabou, et Viviane.

Mes remerciements vont également à mes amis qui, de près ou de loin, par leurs

prières ou leur présence à mes côtés, ont permis que cette aventure soit moins

solitaire.

Mes derniers remerciements mais aussi les plus forts vont à ma mère et à mes

frères pour le soutien spirituel et matériel tellement précieux dont j’ai bénéficié durant

toutes ces années de recherches et même au-delà.

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SOMMAIRE

Page 8: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

SOMMAIRE ................................................................................................................................... 6 SIGLES ET ABREVIATIONS .......................................................................................................... ..8 INTRODUCTION .......................................................................................................................... 16 PREMIERE PARTIE. LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE L’EXIGENCE DE CONCILIATION

DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE .......................................... 59

Chapitre I. Entre négation politique et encadrement constitutionnel de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire…………………….………………….63

Chapitre II. De l’exigence de conciliation à l’impérieuse nécessité de maintenir l’ordre public sécuritaire ........................................................................................................... 125

DEUXIEME PARTIE. LES GARANTIES JURIDIQUES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION

AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE .................................................................................. 205 Chapitre I. Les garanties institutionnelles de conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire ............................................................................................... 209 Chapitre II. Les garanties matérielles de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire ........................................................................................................... 267 TROISIEME PARTIE. LES LIMITES A LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC

L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE .................... 329 Chapitre I. Les insuffisances de la qualification juridique des actes sanctionnables

découlant de la liberté d’opinion ................................................................................... 333 Chapitre II. Les lacunes des garanties juridiques de conciliation de la liberté d’opinion

avec l’ordre public sécuritaire ....................................................................................... 395 CONCLUSION GENERALE .......................................................................................................... 453 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 467 INDEX THEMATIQUE ................................................................................................................. 516 INDEX DE LA JURISPRUDENCE ................................................................................................ 520 TABLE DES MATIERES .............................................................................................................. 529

.

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SIGLES ET ABREVIATIONS

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A.C.C.P.U.F. : Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français

A.I.J.C. : Annuaire International de Justice Constitutionnelle

A.J.D.A. : Actualité juridique du Droit administratif

Al. : Alinéa

Art. ; arts. : Article ; articles

BVerfGE : Bundesverfassungsgericht (décision du Tribunal constitutionnel fédéral allemand)

C.A. : Cour d’Appel

C.A., Ch. réunies : Chambres réunies de la Cour d’Appel

C.A.D.H.P : Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples

Cass. ch. mixte : Chambre mixte de la Cour de Cassation

Cass. civ. : Chambre civile de la Cour de Cassation

Cass. crim. : Chambre criminelle de la Cour de Cassation

C.E. : Conseil d’État

C.E.D.H. : Cour Européenne des Droits de l’Homme

C.E., Sect. : Section du contentieux du Conseil d’État

Cf. : Confer

Chron. : Chronique

C.I. : Côte d’Ivoire

C.J.C.E. : Cour de Justice des communautés européennes

C.N.D.J. : Centre national de documentation juridique (Côte d’Ivoire)

Comm. : commission

Const. : Constitution

Coll. : Collection

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14

C.S.C.A. : Chambre administrative de la Cour suprême (Côte d’Ivoire) D.C. : Décision de conformité du Conseil constitutionnel (France) D.C.C. : Décision de conformité de la Cour constitutionnelle (Bénin) D.D.H.C. : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen D.U.D.H. : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme Éd. : édition E.D.J.A. : Éditions juridiques africaines G.P. : Gazette du Palais

L.F. : Loi Fondamentale L.G.D.J. : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence N.E.A. : Nouvelles éditions africaines op. cit. : opus citatum p. pp. : Page ; pages

P.U.F. : Presses Universitaires Françaises Q.P.C. : Question prioritaire de constitutionnalité R.F.A. : République Fédérale d’Allemagne Rec. Lebon : Recueil Lebon

Req. : Requête Spéc. : Spécialement ss. la dir. de : sous la direction de

s.: suivants T.G.I. : Tribunal de Grande Instance

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15

« Voulons-nous former des hommes ou des esclaves ? Des esclaves ? Rendez beaucoup de lois qui gênent les opinions, qui compriment la pensée et qui, par la contrainte, façonnent les hommes à la servitude. Des hommes ? Laissez-leur la liberté, et surtout celle de leur

conscience ».

PORTALIS

Discours du 11 frimaire an V

(1er décembre 1796) au Conseil des Anciens.

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16

INTRODUCTION

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1. La quête permanente d’un « pouvoir d’autodétermination, en vertu duquel l’homme

choisit lui-même ses comportements personnels »1 est un besoin humain fondamental. Elle

conditionne son existence et son épanouissement. Jean-Jacques ROUSSEAU

écrivait que « renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’Homme »2. L’Homme

accepte de vivre au sein d’une société organisée qui lui assure une certaine paix et un ordre

social qui le protège de ses semblables. Cette société conditionne l’exercice de sa liberté

« soit en prétendant par la contrainte lui imposer des comportements, soit, plus

subtilement, en l’enserrant dans des conditionnements qui rendent impossible l’exercice de

la liberté (…) »3. Ainsi, tout en conservant une part importante de sa liberté, l’être humain

se soumet également à l’autorité des règles impératives assurant le bon ordre social, « un

état de société paisible »4 nécessaire à son propre épanouissement.

2. La philosophie du contrat social a mis un point d’honneur à placer, au centre de la

vie des hommes en société, la nécessité de préserver leur liberté en confiant la protection à

une entité gouvernementale. Thomas HOBBES posait alors le postulat selon lequel, les

hommes « soumettent leurs volontés (…) par une convention de chacun avec chacun, de

telle manière que c’est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j’autorise cet

homme ou cette assemblée d’hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-

même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la

même manière »5. Dans la même logique contractualiste, Jean-Jacques ROUSSEAU

présente le contrat social que concluent moralement les hommes comme « une forme

d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de

chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même,

1 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome I, 9ème éd. mise à jour, P.U.F.,

Coll. « Thémis Droit public », Paris, 2003, p. 5. 2 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, (rééd. de Bruno BERNARDI), Flammarion, 2 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, (rééd. de Bruno BERNARDI), Flammarion,

Coll. « G.F. », Paris, 2012, p. 16. 3 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, op. cit., p. 5. 4 Hugo GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (édité par Denis ALLAND et Simone GOYARD-

FABRE), 2ème éd., P.U.F., Coll. « Quadrige», Paris, 2012, p. 9. 5 Thomas HOBBES, Léviathan (traduction, introduction, notes et notices par Gérard MAIRET), Gallimard,

Coll. « Folio Essais », Paris, 2000, pp. 231 et 288.

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18

et reste aussi libre qu’auparavant »6. La recherche perpétuelle du bon ordre et la

préservation de la liberté sont donc au cœur « de l’engagement en société »7.

3. La traduction juridique du bon ordre est l’ordre public. Sur le plan juridique, liberté

et ordre public sont des notions qui se comprennent mieux ensemble que séparément8. Ce

diptyque est profondément lié à l’avènement des sociétés humaines organisées par la règle

de droit. L’aménagement de leurs rapports constitue, du reste, le cœur de nombre de

colloques, de séminaires et de contributions scientifiques9. La problématique que soulève

l’articulation du diptyque liberté d’opinion/ordre public sécuritaire se pose avec plus

d’acuité depuis la résurgence de la menace sécuritaire en 2001 aux États-Unis10 et suite aux

attentats terroristes perpétrés en France en 201511.

6 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, op. cit., p. 52. 7 Marc-Antoine GRANGER, Constitution et sécurité intérieure. Essai de modélisation juridique (Préface de

Jean-Louis DEBRÉ et Olivier LECUCQ), L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 138, Paris, 2011, p. 3.

8 Bernard STIRN, « Ordre public et libertés publiques ». Intervention du 17 septembre 2015 lors du colloque sur l’ordre public, organisé par l’Association française de philosophie du Droit, les 17 et 18 septembre 2015. Disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Discours-Interventions/Ordre-public-et-libertes-publiques. Consulté le 05 novembre 2015.

9 Colloque sur l’ordre public, organisé par l’Association française de philosophie du Droit, op.cit. ; Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? Ordre public et droits fondamentaux, Actes du colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000, Bruylant, Coll. « Droit et justice », Bruxelles, 2001 ; Libertés et ordre public, 8ème séminaire des cours constitutionnelles tenu à Erevan en Arménie du 2 au 5 octobre 2003. Disponible sur : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/pdf/Conseil/libpub.pdf. Consulté le 05 novembre 2015.

10 Les attentats terroristes perpétrés aux États-Unis d’Amérique le 11 septembre 2001 et revendiqués par le groupe islamiste Al Qaïda ont accentué la conscience du risque constant d’une menace sécuritaire. En réaction à ces attentats et en prévention à d’éventuels actes terroristes, le Congrès américain a adopté le Patriot Act en date du 25 octobre 2001. Ce nouveau dispositif est destiné à lutter contre le terrorisme et à réprimer sévèrement les auteurs de ces actes.

11 En France, deux actes juridiques ont marqué la vague d’attentats qu’elle a connu en 2015. D’abord, suite aux attaques terroristes perpétrés contre le journal satirique Charlie Hebdo le 9 janvier 2015 à Paris et revendiqué par le groupe terroriste Daesch, le Parlement français a adopté la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Cette loi vise lato sensu le renforcement de l’arsenal juridique des activités des services de renseignement dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Ensuite, en réponse aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris, un projet de « loi constitutionnelle de protection de la nation » a vu le jour. Ce projet de réforme constitutionnelle en cours, à l’heure où nous écrivons ces lignes, comporte deux dispositions fortes : la constitutionnalisation de l’état d’urgence d’une part, et la déchéance de nationalité des personnes nées françaises et ressortissantes d’un autre État, ayant commis des actes de terrorisme, d’autre part. Par ailleurs, suite aux attentats de Paris en novembre 2015, un état d’urgence fut décrété en France sur la base de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. Cet état d’urgence, le deuxième décrété sur l’ensemble du territoire français sous la Vème République, est un état d’exception qui restreint considérablement les libertés.

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19

4. En Afrique subsaharienne francophone, le mouvement du constitutionnalisme et les

bouleversements sociaux en cours renouvellent la problématique de la conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. Le constitutionnalisme s’entend en effet

« de l’impératif politique de fixer les règles les plus “importantes” par écrit, de déterminer

les obligations et les droits des gouvernants et des citoyens, donc de proclamer les droits de

l’homme et du citoyen »12. Strictissimo sensu, pour reprendre le terme employé par Michel

TROPER, le constitutionnalisme est l’idée selon laquelle l’impossibilité du despotisme et

le principe de la liberté politique ne sont réalisables « que si au nombre des principes sur

lesquels est fondée la Constitution, figure le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité

des lois »13.

5. La liberté et l’ordre public ont longtemps été perçus comme des notions

antinomiques. La fonction même de l’ordre public semble contenir le germe de l’adversité.

L’ordre public a, en effet, pour fonction « d’habiliter les pouvoirs publics à restreindre

l’exercice des libertés »14. Ces notions entretiennent entre elles « une tension au moins

virtuelle qui rend téméraire l’étude de leurs rapports »15. L’idée d’une perpétuelle

opposition entre ces termes semblait être acquise d’autant plus qu’ils étaient cantonnées « à

des champs dans lesquels ils s’ébattaient séparément jusqu’à une époque récente »16 .

6. Lors de l’adoption de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789,

l’on y découvre une première trace de la notion d’ordre public : «Les distinctions sociales

ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’utilité commune rappelée au

premier article du texte de 1789 renvoie au bien commun entendu aujourd’hui comme

l’intérêt général. Pour trouver expressément la notion d’ordre public consacrée, il faut se

référer à l’article 10 de la Déclaration de 1789. Toutefois, cette notion n’est pas opposée à

la liberté. Au contraire, l’exercice de la liberté d’opinion est à concilier avec l’ordre

public : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur

12 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, 18ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2016, p. 92. 13 Michel TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, P.U.F., Coll. « Léviathan », Paris, 1994, p. 205.

14 Marie-Joëlle REDOR, « Ouverture », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ?..., op. cit, pp.9-15, spéc. p. 13

15 Jean COMBACAU, « Conclusions générales », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : ordre public ou ordres publics ?..., op. cit., pp. 415-434, spéc. p. 417.

16 Ibidem.

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20

manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »17. Les révolutionnaires de

1789 n’exigent pas la conciliation d’une liberté quelconque avec l’ordre public. Ils

consacrent la liberté d’opinion qu’ils garantissent dans son exercice sous réserve du respect

de cet ordre. C’est effectivement à la question que soulève l’exigence de conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire qu’il a été tenté d’apporter une réponse

tout au long de notre réflexion. Cette question est d’autant plus complexe qu’elle se pose

avec insistance dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

7. Dès lors, pour apporter une réponse éclairée à la problématique de l’exigence de

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne

francophone, il faudra procéder par méthode en posant certains paradigmes introductifs

incontournables. Après avoir précisé les notions retenues de liberté d’opinion, d’ordre

public sécuritaire et de conciliation (Section I), il conviendra de justifier l’intérêt de la

recherche (Section II) avant de présenter la structure de l’analyse (Section III).

SECTION I : LES PRECISIONS TERMINOLOGIQUES

8. Michel TROPER démontrait que l’auteur de toute définition en droit n’échappait pas

à la spéculation car, ainsi qu’il l’écrit, « les définitions sont l’équivalent de conventions de

langage qui ne sont jamais indépendantes du contexte et de la doctrine desquels s’inspire le

chercheur »18. La précision des contours des notions de liberté d’opinion et d’ordre public

sécuritaire est une étape fondamentale pour l’avancement de notre réflexion. Dans les

textes constitutionnels les consacrant, la reconnaissance de la liberté d’opinion (§ I) est

généralement concomitante à l’exigence du respect de l’ordre public (§ II). Ces deux

notions seront analysées sur la base de la conciliation qu’exigent les constitutions des États

étudiés (§ III).

17 Art. 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. 18 Michel TROPER, « Pour une définition spéculative du droit », Droits, n° 10, 1989, pp.101-104, spéc. p.

103.

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21

§ I : LA LIBERTE D’OPINION

9. La liberté d’opinion est avant tout un droit de l’Homme sacré, au-delà de son

caractère précieux19, inhérent à sa nature d’être pensant. Elle est d’abord une liberté, c’est-

à-dire un état de l’être qui ne subit pas la contrainte, qui agit conformément à sa volonté, à

sa nature20. Elle devient alors l’espace des possibles21. Quant au terme « opinion », il est

couramment employé d’abord pour indiquer une manière de penser, de juger. En ce sens,

ce terme se rapproche des mots : avis, conviction, croyance, idée, jugement, pensée, point

de vue. L’opinion s’assimilerait donc à une prise de position. En second lieu, il s’agit d’une

idée ou un ensemble des idées que l’on a, dans un domaine déterminé, la notion étant dans

ce cas voisine des termes de doctrine, de système, de théorie. L’opinion peut également se

comprendre comme un jugement collectif, un ensemble de jugements de valeur sur

quelqu’un ou quelque chose. Elle se caractérise « par un point de vue subjectif qu’adopte

celui qui s’exprime à l’égard de la chose exprimée. [Elle] contient un jugement sur des

faits, des idées, des personnes »22. Enfin, l’opinion s’analyse également en rapport avec

une communauté et devient alors un ensemble des attitudes d’esprit dominantes dans un

groupe, une société.

10. Quant à la « liberté d’opinion », elle peut être présentée comme « la liberté de se

former un jugement propre en tous domaines »23. Sa principale caractéristique, l’opinion, a

fait l’objet d’une abondante réflexion philosophique (A). Dans une société dotée d’une

Constitution, la liberté d’opinion est une liberté spécifique qui se distingue des autres

libertés intellectuelles (B).

19 Elisabeth ZOLLER emploie les termes de « droit sacré » pour qualifier la liberté d’expression aux États-

Unis d’autant plus que cette liberté, comme l’ensemble des libertés de la pensée, « est entièrement entre les mains des neuf juges de la Cour suprême ». Elle poursuit en précisant que « Ceci ne peut être dit ni des libertés politiques, ni des libertés économiques ». Voir « Propos introductifs. La liberté d’expression : “bien précieux ” en Europe, “bien sacré aux États-Unis” ? », in Élisabeth ZOLLER (ss. la dir. de), La liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, Dalloz, Coll. « Thèmes et commentaires », Paris, 2008, pp. 1-7, spéc. p. 1.

20 André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Voir Liberté, 10ème éd. revue et augmentée, P.U.F., Coll. « Société française de philosophie », Paris, 1962, pp. 558-566, spéc. p. 559.

21 Guillaume LÉCUYER, Liberté d’expression et responsabilité. Étude de droit privé (Préface de Loïc CADIET), Dalloz, Coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », Paris, 2006, p. 2.

22 BVerfGE 93, 266, 10 octobre 1995, Soldaten sind Mörder. 23 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, op. cit., p. 18.

Page 21: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

22

A- L’APPROCHE PHILOSOPHIQUE DE L’OPINION

11. La liberté d’opinion fait partie de cet ensemble peu précis et peu opératoire que sont

les droits de l’Homme24. Elle est au départ une liberté, c’est-à-dire une faculté d’agir de

l’individu indépendamment de toute institution publique ou privée25. Elle s’exerce donc

dans l’indépendance et s’oppose à toute intervention d’autrui, sauf pour en garantir

l’exercice. Lorsque cette liberté est rapportée à cette capacité qui différencie l’Homme des

autres êtres vivants, elle devient alors la liberté de penser.

12. La liberté de penser qui traduit une autonomie de la pensée peut être assimilée à la

liberté d’opinion, profondément liée à la nature humaine. André TOULEMON écrivait

que : « le droit de communiquer sa pensée est l’un des droits essentiels de l’Homme : il est

fondé sur le souci de la dignité de la personne humaine, dont le respect est admis par toute

société civilisée ». La dignité étant un attribut essentiel de l’homme, lié à son appartenance

à l’humanité26. TOULEMON poursuit en affirmant qu’: « il apparaît ainsi avec un

caractère en quelque sorte sacré, car il est l’exercice même des droits de l’âme, c’est-à-dire

de l’élément spirituel, qui constitue la vie véritable et profonde de l’être humain qui pense,

qui croit, qui désire, les autres droits n’ayant pour objet que d’assurer la liberté de ses

gestes matériels qui n’en sont que la manifestation »27. Cette disposition naturelle qu’est la

pensée de même que la possibilité de la communiquer distingue l’Homme de tous les êtres

vivants du règne animal. Cette capacité de penser lui a valu au fil des siècles de s’adapter à

l’environnement dans lequel il évolue, de faire évoluer ses mœurs, de comprendre le

monde qui l’entoure, d’entrer en relation avec son semblable au motif qu’ils partagent les

mêmes idées, et d’entrer en conflit avec celui-ci parce qu’il n’adhère pas à ses idées.

Affûter sa pensée par le besoin permanent de comprendre l’autre et de s’adapter à son

environnement permet à l’Homme de se forger une opinion.

24 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, 6ème éd., Dalloz, Coll. «Précis », Paris, 2012,

p. 5. 25 Ibidem. 26 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, L.G.D.J.-

lextenso éditions, Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 141. 27 André TOULEMON, Marc-Louis GRELARD et Jacques PATIN, Code de la presse. Liberté de la presse.

Diffamation. Droit de réponse. Injure-outrage. Procédure, 2ème éd., Sirey, imprimerie F. Boisseau Toulouse, 1964, p. 15.

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23

13. L’approche philosophique a contribué à préciser la notion d’opinion en l’opposant à

la connaissance scientifique. Pour les philosophes de l’Antiquité28, la doxa c’est-à-dire

l’opinion communément admise par une civilisation donnée, « ne dit pas l’être, elle dit ce

qui apparaît, ce qui semble, conformément à ce qu’elle est. »29. Les philosophes opposent

donc la doxa à la vérité car elle énonce ce qui est, cet être qui se définit par la voie de

l’épistèmè, le savoir-science. Pour Epicure, l’opinion ou la « doxa renvoie au plan judicatif

de la pensée : elle consiste à affirmer ou nier quelque chose de quelque chose, et constitue

en somme le deuxième niveau des opérations mentales »30. Pour le philosophe, l’opinion

ou le jugement se forge après la vérification des représentations mentales que l’on se fait.

Elle peut donc être vraie ou fausse. Ainsi, pour ces premiers auteurs, l’opinion qui

s’assimile à la doxa part d’une idée que l’on tient d’une perception généralement admise

qui peut être infirmée ou confirmée. Elle est en ce sens, différente de la vérité, de ce qui est

indiscutablement.

14. Les auteurs de la philosophie classique et moderne31 se sont aussi penchés sur la

question de la signification philosophique du mot « opinion ». Thomas HOBBES affirme

en 1640 que « les actions des hommes procèdent de leurs opinions, et c’est dans le bon

gouvernement des opinions que consiste le bon gouvernement des actions humaines en vue

de la paix et de la concorde »32. Il évoque l’idée des opinions privées qui s’opposent à celle

du souverain au sein de l’Etat. Les opinions privées « peuvent être tentées de se répandre

par la parole »33. Pour HOBBES, lorsque le langage obéissant aux règles de la rhétorique,

premier moyen de transmission des opinions, ne suffit plus à lui seul pour atteindre les

objectifs d’une faction devenue puissante, cette dernière a recours aux armes. Bien qu’étant

considéré comme un adepte du conservatisme excessif avec l’idée qu’il donne de la liberté

de conscience en l’opposant à l’autorité de la loi, HOBBES n’en affirme pas moins que la

conscience individuelle conserve sa liberté privée dans le cadre de la liberté de conscience 28 Ces auteurs sont apparus entre le VIe et le Ve avant J.-C. L’on peut citer par exemple Anaximène,

Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle qui demeurent les plus importants. 29 Le Vocabulaire des Philosophes. De l’Antiquité à la Renaissance, éd. Ellipses, Paris, 2002, p. 41. 30Idem, p. 202. 31 Ces auteurs sont apparus entre le XVIIe et le XVIIIe siècle après J.-C. 32 Thomas HOBBES, Léviathan (traduction, introduction, notes et notices par Gérard MAIRET), Gallimard,

Coll. « Folio essais », Paris, 2000, p. 296. 33 Idem, p. 144.

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24

religieuse. Pour Blaise PASCAL, le mot « opinion » désigne un « avis, une conviction ou

une croyance, qui ne tiennent qu’à l’assentiment ou à l’acquiescement d’un chacun, faute

de pouvoir produire des preuves décisives »34. L’opinion n’est forte, dit-il, que du concours

que lui apporte la pluralité, non d’une quelconque raison qui la soutiendrait.

15. En ce qui concerne les philosophes de l’époque moderne, au XIXe siècle et

notamment pour Auguste COMTE, l’opinion n’est pas la doxa. Elle est la puissance des

idées, l’unité sociale formée par la cohérence. Pour COMTE, la doxa est une forme

dégradée de connaissance : « Les idées gouvernent et bouleversent le monde, ou, en

d’autres termes tout le mécanisme social repose finalement sur des opinions (…) La grande

crise politique et morales des sociétés actuelles tient, en dernière analyse, à l’anarchie

intellectuelle. Notre mal le plus grave consiste dans cette profonde divergence qui existe

entre tous les esprits relativement à toutes les maximes fondamentales »35. Autrement dit,

la diversité des opinions fondées sur nos désirs, sans construction intellectuelle véritable

serait l’un des plus grands malheurs de l’humanité. À cela, COMTE ajoute qu’une opinion

éclairée doit s’appuyer sur deux principes : celui de la « liberté » de l’opinion, une opinion

totalement indépendante du pouvoir temporel et celui de la « volonté » de l’opinion, celle

de définir les grandes orientations politiques. L’opinion joue un rôle moral, comme autorité

spirituelle en tant que conseillère, éducatrice, modélisatrice des mœurs publiques et

privées.

16. L’opinion se forme à partir d’un ensemble d’indices déterminants. Ainsi que le

rappelle Bertrand de LAMY36, le sexe, l’âge, l’éducation, les croyances, la profession mais

aussi et surtout la situation économique en sont les principales composantes. De ce fait,

l’appréciation de la formation des opinions de même que leur irruption dans la vie

politique des États doit s’analyser en tenant compte de la spécificité du contexte historique,

34 Le Vocabulaire des Philosophes. Philosophie classique et moderne (XVII-XVIIIe siècle), éd. Ellispes,

Paris, 2002, pp. 123-165, spéc. p.153. 35 Auguste COMTE, Cours de Philosophie positive, 1ère et 2ème leçons, p. 48, Coll. « Les classiques de

sciences sociales ». Disponible en ligne : http://classiques.uqac.ca/classiques/Comte_auguste/cours_philo_positive/cours_philo_pos_1_2.pdf. Consulté le 24/01/2016.

36 Bertrand de LAMY, La liberté d’opinion et le droit pénal, op. cit., p. 3.

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25

économique et géographique en présence. La consécration juridique de la liberté d’opinion

n’est donc qu’un premier pas vers la détermination de l’effectivité de cette liberté.

17. Pour finir, d’une conception de départ qui rapproche l’opinion d’une idée collective

fausse sans construction scientifique, l’on en vient à une opinion définie comme une

« formule nuancée qui, sur une question déterminée, reçoit l’adhésion sans réserve d’un

sujet »37. Cette notion dans sa matérialisation constitue la base du fonctionnement du

système politique et sociétal. Pour se construire, l’opinion doit être libre et encadrée par la

loi. Son exercice à travers plusieurs autres libertés qui en sont le prolongement doit alors

conduire à la préservation de la paix et à l’avancée intellectuelle des sociétés. L’opinion

consacrée par le système juridique38 devient ainsi une liberté distincte d’autres libertés

intellectuelles.

B- LA DISTINCTION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC LES AUTRES LIBERTES INTELLECTUELLES

18. De prime abord, il importe de dissiper une ambigüité. Sans forcément les dissocier

radicalement puisque ces libertés ont toutes pour fondement la pensée et qu’elles sont

solidaires39, il est convenable d’affirmer que la liberté d’opinion se distingue d’autres

formes de libertés essentielles en démocratie. La démocratie s’entend comme un système

politique dans lequel : « le “peuple” est le premier moteur de tout mode de

gouvernement »40. La distinction importe doublement. D’un point de vue scientifique, elle

permet de spécifier la réflexion autour d’une liberté entendue comme une prérogative

particulière malgré les tentations de ramification auxquelles l’on est exposé. De plus, sa

protection appelle à un régime spécifique qui ne s’applique que lorsque la liberté d’opinion

se déploie.

37 Jean STOETZEL, Théorie des opinions (Préface de Pierre Fattacini), L’Harmattan, Coll. « Logiques

sociales », 2006, p. 25. 38 Le système juridique s’entend d’« un système globalement efficace et sanctionné ». Cf. Louis FAVOREU

et alii., Droit constitutionnel, op. cit.,, p. 66. 39 Georges BURDEAU, Les Libertés publiques, 4ème éd., L.G.D.J., Paris, 1972, p. 231.

40 Simone GOYARD-FABRE, Qu'est-ce que la démocratie ? La généalogie philosophique d'une grande aventure humaine, Armand Colin, Coll. « U Philosophie », Paris, 1998, p. 37.

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26

19. Certains constituants ont appréhendé la liberté d’opinion avec d’autres libertés en

tentant un rapprochement souvent maladroit. Si le constituant béninois de 1990 oppose les

mêmes limites aux libertés d’opinion et d’expression41, la Constitution ivoirienne de 2000

a une formulation bien curieuse. La norme juridique suprême en Côte d’Ivoire consacre la

« liberté de pensée et d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion

religieuse ou philosophique »42. Une telle « hésitation déclaratoire »43 ne rend pas aisée la

distinction entre la liberté d’opinion et la liberté d’expression quant à la définition même

de la liberté d’opinion et de sa spécificité. Le Sénégal a été plus prudent et plus concis sur

la question puisque le constituant de 2001 énumère un catalogue des libertés civiles et

politiques parmi lesquelles la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de la

presse.

20. Au sein de la doctrine, l’approche de Gilles LEBRETON peut être retenue. Cet

auteur dit des libertés d’opinion et d’expression qu’elles sont des « libertés siamoises »44 et

les aborde de façon indissociée. Pourtant, chacune de ces « libertés intellectuelles »45

encore qualifiées de « libertés de l’esprit »46 ou « libertés de la pensée »47 conserve une

spécificité. L’entreprise à laquelle seront consacrés les développements suivants tentera de

distinguer la liberté d’opinion de deux autres libertés intellectuelles : la liberté d’expression

et la liberté de communication.

21. La liberté d’opinion se distingue d’abord de la liberté d’expression. Au sens large, la

liberté d’opinion, droit le plus fondamental de tous les droits de l’Homme48, est la

« possibilité de penser et de croire ce que l’on veut sur le plan philosophique, politique et 41 Const. béninoise, 1990, Art. 23. 42 Const. ivoirienne, 2000, Art. 9. 43 Jean MORANGE, « La liberté de conscience en droit comparé », in Joël-Benoît d’ONORIO (ss. la dir.

de), La conscience et le droit, P. Téqui éditeur, Paris, 2002, pp. 25-43, spéc. p. 26. 44 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 8ème éd., Sirey, Coll. « Sirey Université »,

Paris, 2009, p. 406. 45 Jacques FIALAIRE, Éric MONDIELLI et Alexandre GRABOY-GROBESCO, Libertés et droits

fondamentaux, 2ème éd., éd. ellipses, Coll. « Universités-Droit », Paris, 2012, p. 514. 46 Dominique BREILLAT, Les libertés de l’esprit, Éd. Montchrestien, Coll. « Préparation au C.R.F.P.A. »,

Paris, 1996 ; Jacques ROBERT et Jean DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 8ème éd., Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Domat droit public », Paris, 2009.

47 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Libertés fondamentales, 1ère éd., Dalloz, Coll. « Les mémentos Dalloz », Paris, 2014.

48 Jean MORANGE, La liberté d’expression, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 66.

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27

religieux (…)»49. Il s’agit d’une liberté individuelle élémentaire « que l’homme détient en

raison de sa qualité d’être humain»50. Elle n’a pas à être extériorisée pour être effective.

Cette liberté interdit alors le droit de sanctionner une opinion et implique de ce fait le droit

de choisir ses opinions et de les exprimer. La liberté d’opinion est un droit absolu

puisqu’elle existe dès l’instant où l’on admet que l’Homme est un être pensant. Elle est

donc un attribut essentiel de la personne humaine. La liberté d’expression devient alors la

traduction juridique de l’extériorisation de ses pensées puisqu’elle permet de divulguer son

opinion51. La liberté d’expression, sœur de la liberté d’opinion52, est une liberté qui n’est

effective qu’à partir du moment où l’individu peut librement « choisir sa vérité dans le

secret de sa pensée »53. Tout comme la liberté d’expression, la liberté d’opinion est « un

droit qui doit nécessairement évoluer au service de la démocratie »54.

22. Ensuite, la liberté d’opinion se distingue de la liberté de communication. La liberté

de communication, droit précieux et complexe55, est un aspect de la liberté d’expression

d’autant plus que l’expression n’est pas détachée de la perspective d’une communication56.

Cette distinction a parfaitement été retenue par les constituants en Afrique subsaharienne

francophone. La liberté de communication fait l’objet d’une consécration spécifique57.

Liberté trouvant son application dans la liberté de la presse selon une partie de la

doctrine58, la liberté de communication est une autre forme d’expression des opinions. Elle

s’analyse comme la faculté de communiquer sa pensée en toute liberté et par tout moyen

de diffusion. Cette liberté extériorisée contrairement à la liberté d’opinion qui est

49Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Libertés fondamentales, op. cit., p. 171. 50 Marcel WALINE, L’individualisme et le Droit, 2ème éd., Dalloz, Paris, 2007. [Cet extrait est tiré de la

préface de Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN]. 51 Idem, p. 174. 52 Henri OBERDORFF, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, 5ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions,

Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 501. 53 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 406. 54 Lauriane JOSENDE, Liberté d’expression et démocratie. Réflexion sur un paradoxe, Bruylant, Bruxelles,

2010, p. 1. 55 Jean MORANGE, Manuel des droits de l’homme et libertés publiques, P.U.F., Coll. « Droit

fondamental », Paris, 2007, p. 205. 56Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA et alii. (ss. la dir. de), Dictionnaire des Droits de l’Homme, 1ère éd.,

P.U.F., Coll. « Quadrige Dicos poche », Paris, 2008, pp. 628-629. 57 Const. béninoise, 1990, Art. 24. 58Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 463.

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28

intériorisée, met alors en présence un émetteur, celui qui communique le message, et un

récepteur, celui qui reçoit le message59 et s’appuie sur des supports techniques60. Elle se

manifeste par les écrits, les images, les paroles ou par tout autre moyen de diffusion.

L’article 5 de la Loi Fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne consacre la

liberté de communication en ces termes : « La liberté de la presse et la liberté d’informer

par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties ». Lorsqu’elle rajoute que : « Il n’y a

pas de censure », le constituant allemand de 1949 formule ainsi une « restriction aux

restrictions » (Schranken-Schranke), qui peuvent être faites à l’ensemble des « droits

communicationnels »61 ou aux libertés de l’esprit. Tout comme la liberté d’expression, la

liberté de communication, forme précise d’expression des opinions, est forcément soumise

à l’effectivité de la liberté d’opinion62 comme le sont les libertés intellectuelles. Cette

liberté fondamentale est un préalable essentiel à l’exercice des libertés intellectuelles qui

« toutes se ramènent à l’aménagement de l’expression de l’opinion par divers moyens »63.

23. La liberté d’opinion recouvre à la fois un aspect politique, un aspect religieux et un

aspect syndical. Au sens le plus intérieur du terme, elle renvoie à la conscience. Cette

conscience est inséparable de l’expression des croyances et des opinions64. Le droit ne régit

que l’ordre matériel, l’ordre extérieur, l’ordre concret. Aussi, la norme juridique ne saurait-

elle prétendre à gouverner l’ordre intérieur de l’Homme, c’est-à-dire son for intérieur, sa

pensée lorsque celle-ci est intériorisée. Dès l’instant où cette pensée intime s’extériorise,

l’Homme devient un Être social appelé à se construire un environnement humain, à se

créer des relations avec des individus qui partagent ses opinions. Ainsi, la reconnaissance

constitutionnelle de la liberté d’opinion est le moyen par lequel le droit encadre non pas la

construction intérieure de cette opinion mais son expression. C’est d’ailleurs l’une des

59 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, 6ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2012,

p. 289. 60 Roger PINTO, La liberté d’information et d’opinion en droit international, Economica, Coll. « Études

juridiques et comparatives internationales », Paris, 1984, p. 19 et s. 61 Olivier JOUANJAN, « La liberté d’expression en République fédérale d’Allemagne », in Élisabeth

ZOLLER (ss. la dir. de), La liberté d’expression aux États-Unis et en Europe, op. cit., pp. 135-155, spéc. pp. 137-138.

62 Jean MORANGE, La liberté d’expression, op.cit., p. 66. 63 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome II, 7ème éd., P.U.F., Coll. « Thémis »,

Paris, 2003, p. 129. 64 Jean-Paul COSTA, Les libertés publiques en France et dans le monde, STH, Paris, 1986, p. 103.

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29

caractéristiques fonctionnelles de l’État à savoir que l’État moderne prend en compte la

diversité des opinions individuelles. À partir du moment où les pensées peuvent conduire à

l’adoption d’une attitude gestuelle, rituelle ou orale qui s’invite dans la société, ses

manifestations sont susceptibles de se heurter aux exigences des règles juridiques de vie

sociale. Cette opinion n’est pas générale puisque dans le cas d’espèce, elle concerne ce que

l’individu croit être la vérité. Cette vérité peut se confronter à la vérité de l’État et

déstructurer les rapports hiérarchiques entre les pouvoirs publics et les citoyens de même

que les rapports courtois entre citoyens eux-mêmes. La liberté d’opinion dans son exercice

peut alors représenter un danger pour l’ordre public sécuritaire.

§ II : L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

24. La première mission de l’État est d’assurer la sécurité des biens, des personnes et

celle de son territoire. En d’autres termes, la fonction première de l’État est la préservation

d’un certain ordre social65. La juridicisation de cet ordre social aboutit à l’ordre public et

« le maintien de l’ordre public dans une société donnée est la loi suprême »66. Pour une

partie de la doctrine, l’ordre public est une « notion que tout le monde comprend sans qu’il

soit besoin de lui donner une définition précise »67. Il a été reconnu comme un objectif de

valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel français68. La doctrine française a

largement contribué à la précision de cette expression69 en présentant « les objectifs de

65 L’ordre social est cet ordre consacré par le projet de Code civil de l’an VI en France. 66 PORTALIS, De la publication des lois, présentation au Corps législatif, exposé des motifs par le

conseiller d’État Portalis, séance du 4 ventôse an IX (23 février 1803). Cité par Nathalie JACQUINOT, Ordre public et Constitution, Thèse pour le doctorat en droit, dactyl. , Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 2000, p. 12.

67 Pierre MAZEAUD, « Libertés et Ordre public », Exposé au nom du Conseil constitutionnel français à la Cour constitutionnelle d’Arménie, 2003, disponible sur le site institutionnel de la Cour : www.concourt.am/armenian/almanakh/almanac2003/papers/19.doc

68 Dans sa décision n° 82-141 D.C. du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel français a en effet admis qu’ : « il appartient au législateur de concilier (…) l’exercice de la liberté de communication telle qu’elle résulte de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme avec (…) les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels ». Voir note Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Pouvoirs, novembre 1982, n° 23, pp. 179-181 ; Louis FAVOREU, Revue du Droit public, n° 2, avril 1983, p. 133.

69 Bruno GENEVOIS, La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, S.T.H., Paris, 1988, p. 204 ; Pierre de MONTALIVET, « Les objectifs de valeur constitutionnelle » in Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, Dalloz, n° 20, juin 2006. Disponible en ligne sur le site

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30

valeur constitutionnelle » comme des instruments de limitation des droits fondamentaux70.

En tant qu’objectif de valeur constitutionnelle, l’ordre public permet à la juridiction

constitutionnelle, et notamment au Conseil constitutionnel français « de contrôler

l’arbitrage opéré par le législateur entre des droits et libertés précisément identifiés et

d’autres droits et libertés auxquels il pourrait être potentiellement porté atteinte et dont la

protection relève en dernier ressort de considérations d’intérêt général »71. Une autre partie

de la doctrine l’a en revanche pensée comme une catégorie juridique introuvable72. Notion

floue, fuyante73, ayant conservé tout son mystère, l’ordre public se compose

inéluctablement d’un aspect sécuritaire qui en constitue la principale composante (A). De

façon spécifique, l’ordre public sécuritaire est progressivement devenu une exigence

constitutionnelle (B).

A- UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE L’ORDRE PUBLIC

25. L’exercice de la liberté d’opinion tout comme la libre activité des particuliers n’est

pas absolu puisque poussée à l’extrême, la liberté d’opinion devient néfaste pour l’ordre

social et la paix civile74. Il existe nécessairement des limites que l’autorité publique a la

charge de fixer. Parmi ces limites, la plus essentielle vers laquelle convergent l’ensemble

des limites juridiques est l’ordre public. L’ordre public est une notion qu’une partie de la

doctrine a qualifié à juste titre de notion complexe75, de notion protéiforme76, de notion

institutionnel du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-20/les-objectifs-de-valeur-constitutionnelle.50643.html. Consulté le 7/04/ 2015.

70 Voir Jean-Bernard AUBY, « Le recours aux objectifs des textes dans leur application en droit public », Revue du Droit public, 1991, pp. 327- 337, spéc. pp. 331-332 ; C.C., décision n° 82-141 D.C., op. cit., commentée par Louis FAVOREU et Loïc PHILIPPE, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 17ème éd., Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2013, n° 8-6, p. 93.

71 Bertrand MATHIEU et Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, L.G.D.J., Coll. « Manuel », Paris, 2002, p. 429.

72 Anne LEVADE, « L’objectif de valeur constitutionnelle vingt ans après : réflexions sur une catégorie juridique introuvable » in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet : L’esprit des instituions, l’équilibre des pouvoirs, Dalloz, Paris, 2003, pp. 687-702.

73 Nathalie JACQUINOT, Ordre public et Constitution, op. cit., p. 12. 74 Louis FAVOREU, « De la démocratie à l’État de droit », Le Débat, n° 64, 1991. Disponible sur le site de

la maison d’éditions Gallimard : http://le-debat.gallimard.fr/articles/1991-2-de-la-democratie-a-l-etat-de-droit/. Consulté le 14 décembre 2015.

75 Paul BERNARD, La notion d’ordre public en droit administratif, L.G.D.J., Paris, 1962, p. 219 ; Alain PLANTEY, « Définition et principes de l’ordre public », in Raymond POLIN (ss. la dir. de), L’ordre

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31

circonstancielle77 quand d’autres y voient une notion à texture variable78 ou une notion

impossible à délimiter79. Toutes ces approches doctrinales de la notion d’ordre public sont

la preuve que cette notion opaque « conserve un caractère contingent et relatif, variant en

fonction des situations et des conceptions sociales »80. Ainsi, les exigences de l’ordre

public varient continuellement en fonction des circonstances81.

26. L’ordre public n’a été défini ni par les constituants, ni par les législateurs nationaux

des États concernés, ni par les jurisprudences82 pour qu’un sens univoque lui soit trouvé. Il

en découle que le sens de cette notion est variable d’un État à un autre. Par exemple, en

France, l’immoralité n’est pas « en elle-même, objet de police tant qu’elle n’est pas en

relation avec des désordres extérieurs, soit directement83, soit du fait des réactions que le

scandale peut susciter »84. À l’inverse, dans les États africains étudiés, l’approche est toute

autre. La moralité fait partie intégrante de l’ordre public. En effet, le droit pénal punit les

troubles à l’ordre public. Ce droit qui exprime par ailleurs « les valeurs essentielles de la

société »85, punit les atteintes aux bonnes mœurs. Plus précisément, il punit à titre

d’exemple, les actes sexuels « contre-nature entre personnes de même sexe » sans qu’il soit

précisé si ces actes sont commis dans un lieu public ou dans la sphère privée. L’approche

public, Actes du colloque des 22-23 mars 1995 à Paris, P.U.F., Coll. « Politique d’aujourd’hui », Paris, 1996, spéc. p. 27.

76 Étienne PICARD, « L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public », A.J.D.A., n° spécial, 1996, pp. 55-75, spéc. p. 56.

77 Etienne PICARD, « Introduction générale », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public. Ordre public ou ordres publics ? …, op. cit., pp. 17-61, spéc. p. 23.

78 Sébastien ROLAND, « L’ordre public et l’État. Brèves réflexions sur la nature duale de l’ordre public », in Charles-André DUBREUIL (ss. la dir. de), L’ordre public, Actes du colloque organisé les 15 et 16 décembre 2011 par le Centre Michel de l’Hospital de l’Université d’Auvergne, Éd. Cujas, Coll. « Actes & études », Paris, 2013, pp. 9-20, spéc. p. 13.

79 Patrice CHRÉTIEN, Nicolas CHIFFLOT et Maxime TOURBE, Droit administratif, 14ème éd., Sirey, Coll. « Sirey université », Paris, 2014, p. 575.

80 Pierre-Laurent FRIER et Jacques PETIT, Précis de droit administratif, 6ème éd., Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Domat droit public », Paris, 2010, p. 257.

81 Etienne PICARD, « Introduction générale », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public. Ordre public ou ordres publics ? …, op. cit., p. 23.

82 Le juge constitutionnel français a toutefois fait de la sauvegarde de l’ordre public, un objectif de valeur constitutionnelle. Cf. C.C., décision n° 82-141 D.C. du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle.

83 C.E., 29 janvier 1937, Sté Zed, Recueil Dalloz, 1938, III, p. 8. 84 Jean WALINE, Droit administratif, 25ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2014, p. 358.

85 Agnès CERF, « Ordre public, droit pénal et droits fondamentaux », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : ordre public ou ordres publics ? …, op. cit., pp. 63-83, spéc. pp.64- 65.

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législative en matière de bonnes mœurs est donc une approche divergente d’avec les

grandes démocraties contemporaines. Elle a notamment conduit certains législateurs, soit à

ignorer86, soit à pénaliser une orientation sexuelle87 qui est également l’expression d’une

liberté d’opinion en matière sexuelle : l’homosexualité. L’orientation sexuelle en question

a été incriminée au motif qu’elle portait atteinte aux bonnes mœurs, et, par extension, à

l’ordre public. Sur ce point, René CHAPUS présente l’ordre public comme le « bon ordre

moral »88 dont la protection prévient le « “trouble de conscience” susceptible d’être

provoqué par des faits publics considérés comme contraires à la morale et aux bonnes

mœurs »89.

27. Ces exemples se rapportant au contenu spécifique de l’ordre public en fonction des

conceptions sociales ne sont guère rassurants si l’on envisage de définir l’ordre public par

son contenu. Pour ce faire, il convient alors d’opérer un choix entre les différentes

conceptions de l’ordre public : ordre public de direction90, ordre public dans sa fonction

contentieuse91, ordre public matériel, ordre public juridique… Pour mieux appréhender la

notion d’ordre public sécuritaire, il sera retenu l’ordre public dans sa conception matérielle

parce que c’est sous cette forme que l’ordre public sécuritaire en constitue l’élément

principal. Cette conception s’oppose à l’ordre public juridique92. L’ordre public matériel

86 Le droit ivoirien est silencieux sur la question. 87 L’homosexualité n’est pas explicitement condamnée par les législations béninoise et sénégalaise. Les

textes répressifs en la matière condamnent « les actes contre-nature entre personnes de même sexe ». Cf. art. 319, al. 3 du Code pénal sénégalais ; art. 330 du Code pénal béninois.

88 René CHAPUS, Droit administratif général, Tome I, 15ème éd., Montchrestien, Coll. « Domat droit public », Paris, 2001, p. 707.

89 Ibidem. 90 Agnès CERF désigne l’ordre public de direction comme « l’incrimination de certaines règles techniques

posées afin de faire respecter les objectifs du législateur à un moment donné ». « Ordre public, droit pénal et droits fondamentaux », op. cit., p. 67.

91 Il s’agit d’un ordre public dont l’ensemble des règles impératives s’imposent à tous en vue de maintenir l’ordonnancement juridique général. Cf. Yves MÉNY et Olivier DUHAMEL, Dictionnaire constitutionnel, P.U.F., Paris, 1992, p. 683.

92 L’ordre public juridique, qui ne rentre pas dans le cadre de notre étude, est défini comme l’ensemble « des techniques juridiques qui ont pour effet que les titulaires d’un pouvoir, celui de produire des effets de droit par leurs agissements, ne peuvent l’exercer en toute liberté car des règles s’imposent à eux dans la façon dont ils en usent ; ces normes ne sont pas à la libre disposition des individus, comme le dit le Code civil [en son article 6] ». Sébastien ROLAND, L’ordre public et l’État…, op. cit., p. 14.

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est un « ordre compris comme le contraire du désordre » 93 ou dont le maintien permet

« d’éviter les désordres visibles »94, un ordre public de contrainte, un ordre public coercitif.

Il s’agit d’un ordre qui se définit par son contenu et se présente comme une partie de

l’intérêt général95. Cet ordre, dans un sens général, est un ordre matériel et extérieur96 dont

le contenu est essentiellement celui de la sécurité publique, de la tranquillité publique et de

la salubrité publique97. Il s’analyse comme « l’ensemble des exigences fondamentales (…)

considérées comme essentielles au fonctionnement des services publics, au maintien de la

sécurité ou de la moralité (…) ou même à la sauvegarde de certains intérêts

primordiaux »98. La notion d’ordre public peut du reste être considérée tant comme une

valeur de conciliation que comme la garantie d’un ordre immatériel permettant le respect

de certaines valeurs liées aux droits fondamentaux99. La sécurité publique100, pour ce qui

concerne notre réflexion, consiste « à prévenir ou à faire cesser les risques de dommages

aux personnes et aux biens »101.

28. L’ordre public sécuritaire en tant que principale composante de l’ordre public

implique également, au-delà de la protection des personnes et des biens, la préservation

même de l’autorité étatique. L’État assure donc par la protection de l’ordre public

sécuritaire, sa propre conservation et le défaut de sauvegarde de l’ordre public sécuritaire

est le signe de l’effritement du pouvoir étatique. Déjà au XXe siècle, Marcel WALINE

affirmait que permettre aux individus de faire tout ce qu’ils veulent « équivaudrait à la

93 Jean COMBACAU, « Conclusions générales », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public :

ordre public ou ordres publics ?…, op. cit., pp. 419-434, spéc. p. 419. 94 Jean WALINE, Droit administratif, op. cit., p. 328. 95 Didier LINOTTE, Recherches sur la notion d’intérêt général en droit administratif français, Thèse pour

le doctorat en droit, Université de Bordeaux I, dactyl., 1975, pp. 164- 165. 96 Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, Coll. « Bibliothèque

Dalloz », Paris, 2002, p. 549. 97 Pascale GONOD, Fabrice MELLERAY et Philippe YOLKA, Traité de droit administratif, Tome 2,

Dalloz, Coll. « Traités Dalloz », Paris, 2011, p. 12. 98 Vocabulaire juridique, op. cit., Voir ordre public, pp. 718-719, spéc. p. 718. 99Anne–Charlène BEZZINA, « L’ordre public constitutionnel », in Michael THALER et Michel

VERPEAUX ((ss. la dir. de), La recherche en droit constitutionnel comparé, L’harmattan, Coll. « Logiques juridiques », Paris, 2014, pp. 21-46, spéc. p. 25.

100 L’art. L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales en France détermine, en délimitant les pouvoirs de la police municipale, un contenu général à l’ordre public : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

101 Ibidem.

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démission des gouvernants et de l’Etat »102. Progressivement, la préservation de l’ordre

public sécuritaire s’est muée en une exigence constitutionnelle spécifique.

B- UNE EXIGENCE CONSTITUTIONNELLE SPECIFIQUE

29. L’ordre public est indispensable pour assurer la garantie des droits et la sauvegarde

des libertés, proclamés tant par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de

1789, par la Loi Fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne de 1949, de même

que par l’ensemble des constitutions des États étudiés. Sa composante essentielle, l’ordre

public sécuritaire, n’est consacrée par aucun texte constitutionnel ou législatif des Etats

étudiés. La perception de cette notion fondamentale à notre réflexion est nécessairement

dépendante de ses fondements. Ces éléments sont à rechercher dans la lettre et l’esprit des

constitutions des Etats concernés.

30. La Loi Fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949 fait

référence à un « ordre constitutionnel » auquel aucun individu ne saurait se soustraire

malgré la consécration de principe de la liberté de l’individu. Cette limite, l’ordre

constitutionnel, est la première posée par la Loi fondamentale103. Que doit-on comprendre

par « ordre constitutionnel » ? Est-ce un substitut à la notion d’ordre public ? Au regard de

l’histoire de la construction de la République fédérale, il s’agit pour le Constituant de 1949

de préserver « l’unité et la liberté de l’Allemagne »104. L’ordre constitutionnel est donc un

ordre établi par le constituant à travers la lettre de la Loi Fondamentale qui a pour but

ultime d’assurer l’application régulière des principes établis par les règles juridiques les

plus élevées en vue de conduire le peuple allemand sur le chemin des valeurs

démocratiques universelles. Cet ordre peut ainsi être assimilé à une « morale

constitutionnelle ». La Loi Fondamentale précise que cet ordre constitutionnel est un ordre

constitutionnel libéral et démocratique ou à valeur libérale et démocratique s’agissant des

limites au principe du secret de la correspondance, de la poste et des

102 Marcel WALINE, L’individualisme et le Droit (Préface de Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN), op.

cit., p. 379. 103 Loi Fondamentale de la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949, Art. 2 (1) : « Chacun a droit

au libre épanouissement de sa personne pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale ».

104 Idem, Préambule, al. 2.

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35

télécommunications105. Ce terme est repris par la suite par les articles 11 et 18 de la Loi

fondamentale allemande. La notion d’ordre public sécuritaire n’y est donc pas mentionnée.

Cette notion juxtapose la notion de sécurité publique incluant notamment l’idée d’un

danger collectif ou un péril mortel106.

31. En France, la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 qui depuis 1971107 a

acquis une valeur constitutionnelle au même titre que la Constitution du 4 octobre 1958 fait

référence à l’ordre public pour la première fois en son article 10 : « Nul ne doit être

inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas

l’ordre public établi par la Loi ». C’est d’ailleurs le seul moment où ce terme est

expressément évoqué dans les textes à valeur constitutionnelle108. Ces textes ont été

qualifiés de bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire « un ensemble de normes ayant valeur

constitutionnelle et s’imposant à ce titre aux normes de rang inférieur, grâce à

l’intervention d’un juge spécialisé »109. Le juge pourra ainsi confronter les textes dont il

est saisi à cet ensemble de normes à valeur constitutionnelle110. L’expression du « bloc de

constitutionnalité » jugée inopportune par une autre partie de la doctrine renvoie à un ordre

constitutionnel, en tant que produit d’une identification matérielle des principes

constitutionnels mis en œuvre principalement mais non exclusivement par le juge

constitutionnel111.

32. Dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, la notion d’ordre public est

quasiment absente des premières constitutions. Les constituants à cette époque ne se sont

105 L.F., 1949, art. 10, (2) : « Des restrictions ne peuvent y être apportées qu’en vertu d’une loi. Si la

restriction est destinée à défendre l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou l’existence ou la sécurité de la Fédération ou d’un Land, la loi peut disposer que l’intéressé ne sera pas informé (…) »

106 Idem, article 13, (4). 107 C.C., décision n° 71-44 D.C. du 16 juillet 1971, Liberté d’association. Voir Jacques ROBERT, Revue du

Droit public, 1971, pp. 1171-1204 ; Jean RIVERO, A.J.D.A., 1971, pp. 537-542 ; observations de Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 17ème éd., Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2013, pp. 331-344, n° 27.

108 Toutefois, « l’utilité commune » évoquée au premier article de la Déclaration de 1789 s’en rapproche. 109 Louis FAVOREU, « Le principe de constitutionnalité, essai de définition d’après la jurisprudence du

Conseil constitutionnel » in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Cujas, Paris, 1975, p. 33-48.

110 Frédéric ROUVILLOIS, Droit constitutionnel. 2. La Vème République, 4ème éd., Flammarion, Coll. « Champs université », Paris, 2014, p. 346.

111 Jean-Michel BLANQUER, « Bloc de constitutionnalité ou ordre constitutionnel ? », in Mélanges en l’honneur de Jacques Robert : Libertés, Montchrestien, Paris, 1998, pp. 227-238, spéc. p. 233 et s.

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évertués à constitutionnaliser les droits et libertés de l’Homme aux lendemains des

indépendances. La priorité pour ces États était ailleurs, exception faite du Sénégal qui en

raison d’une reconnaissance de certains droits et libertés publics en 1963, a prohibé « les

groupements dont le but ou l’activité seraient contraires aux lois pénales ou dirigés contre

l’ordre public »112. À partir des années 1990, la notion d’ordre public va faire son

apparition avec les chapitres consacrés aux droits et libertés fondamentaux dans les

constitutions. Elle sera opposée à l’exercice des libertés de la pensée et notamment, à

l’exercice de la liberté d’opinion, en s’inspirant de l’article 10 de la Déclaration des Droits

de l’Homme de 1789113. Certains constituants y rajoutent la sécurité nationale comme une

autre limite à l’exercice des droits et libertés114. Pourrait-on y voir une distinction avec la

sécurité publique, composante de l’ordre public ? La sécurité nationale pourrait s’entendre

comme sécurité du territoire, préservation du territoire et de l’autorité de l’État de toute

menace intérieure ou extérieure. Elle fait alors partie intégrante de l’ordre public.

33. Les deux objectifs constitutionnels que sont d’une part la protection de la liberté

d’opinion et d’autre part la sauvegarde de l’ordre public sécuritaire doivent s’appliquer

dans un rapport constant d’équilibre. C’est à ce rapport d’équilibre que pourrait conduire la

notion de « conciliation ».

§ III : LE CONCEPT DE « CONCILIATION » DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

34. L’apparente opposition à laquelle l’on peut être tenté de conclure à la lecture de

l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 signifie au contraire que

l’exercice de la liberté d’opinion soit concilié avec le respect de l’ordre public sécuritaire.

C’est également à cette exigence de conciliation qu’ont souscrit les États de l’Afrique

subsaharienne francophone. Il apparaît alors une sorte de consensus autour des rapports

que doit entretenir la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. La liberté d’opinion,

tout comme l’ensemble des droits et libertés, ne saurait s’exercer sans limites car pratiquée

112 Const. Sénégal, 1963, art. 9, al. 2. La formulation sera conservée dans la Constitution de 2001 à l’alinéa

2 de l’article 12. 113 Const. Bénin 1990, art. 23 ; Const. Côte d’Ivoire 2000, art. 9 ; Const. Sénégal, 2001, art. 10. 114 Art. 9, Const. Côte d’Ivoire précitée.

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de façon absolue, cette liberté est génératrice d’injustices115. C’est bien parce que cette

liberté ne saurait être ignorée que le constituant, pour la rendre effective, impose à son

titulaire de respecter les limites imposées par l’ordre public. Ainsi, la conciliation de cette

liberté avec l’ordre public sécuritaire est la seule voie qui permet à chacune de ces notions

d’être effective116. Toutefois, le consensus autour de cette exigence est-il plus apparent que

réel ? En effet, ce n’est pas tant la reconnaissance de la nécessité de concilier ces deux

notions qui pose problème. La difficulté réside dans l’application, voire dans l’effectivité

de cette conciliation.

35. Ni la Constitution de 1990 du Bénin, ni celle de 2000 de la Côte d’Ivoire, ni la loi

suprême de 2001 au Sénégal ne mentionnent le terme de « conciliation ». Néanmoins, les

impératifs sociaux dont l’ordre public sécuritaire, en tant que sorte « d’intérêt général

supérieur »117, rendent possible l’exercice de la liberté d’opinion en même temps qu’ils en

constituent la principale limite. La conciliation est donc inévitable pour tout État qui aspire

à la construction d’un système juridique libéral. Quelle est la signification et la portée

juridique de la conciliation étudiée ? Tout en reconnaissant la nécessité de concilier cette

liberté de l’esprit avec l’ordre public sécuritaire, les constituants se sont en revanche bien

gardés d’apporter des précisions quant au contenu même du concept de « conciliation ». Ce

concept peut sembler familier (A) mais sa transposition en droit laisse planer des

incertitudes (B).

A. L’ACCEPTION COURANTE DU CONCEPT DE « CONCILIATION »

36. À première vue, le concept de « conciliation » semble être familier et doublé d’un

haut degré de simplicité dans son acception courante. L’acception de la conciliation semble

alors être d’une évidence indiscutable puisque dans les relations humaines, elle traduit la

volonté de pacification des rapports sociaux. D’ailleurs, l’idée de conciliation renvoie à la

paix, à l’accommodement, à l’arrangement. Couramment, la conciliation est une action

115 Michel VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, P.U.F., Coll. « Quadrige », Paris, 2008, p. 13. 116 Virginie SAINT-JAMES, La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public français,

P.U.F., Coll. « Publications de la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université de Limoges », Paris, 1995, p. 2.

117 Jean MORANGE, Droits de l’homme et libertés publiques, 5ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris, 2000, pp. 425-426.

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38

visant à rapprocher des personnes en désaccord d’opinion ou d’intérêts. Il s’ensuit que le

point de départ de la conciliation est un contexte de confrontation, d’opposition. Ainsi que

le présentait Virginie SAINT-JAMES, il faut, pour qu’il y ait conciliation, des éléments se

trouvant en contradiction118.

37. L’action de concilier se soumet à la volonté de l’auteur de la conciliation mais aussi

à la volonté des parties en désaccord que cet auteur doit rapprocher. L’auteur de la

conciliation est donc chargé d’une responsabilité autant que le sont les parties qui doivent

agir de bonne foi. La conciliation écarte par ailleurs toute idée de hiérarchisation entre les

éléments à concilier. Ces éléments peuvent alors être présentés comme des sortes

d’impératifs opposés. Aucun des éléments en présence ne saurait bénéficier d’une

préférence de traitement car en tant qu’impératifs respectifs, ils doivent être également

traités. L’on peut être tenté à juste titre de reprendre l’idée courante du concept de

« conciliation » dans le cadre de cette réflexion. Toutefois, quelques nuances et précisions

doivent être apportées lorsqu’il s’agit d’employer ce concept en droit.

B. LA TRANSPOSITION DU CONCEPT DE « CONCILIATION » EN DROIT

38. La conciliation en droit fait partie de ces procédures mises en place par lesquelles un

accord entre deux personnes est trouvé pour mettre fin à un litige sans que la décision qui

en résulte n’ait été nécessairement prononcée par un juge119. Cette procédure permet de

rapprocher des parties opposées sur la base d’un compromis ou d’un arrangement. C’est

notamment le cas en droit de la famille dans l’hypothèse d’époux exprimant leur volonté

de divorcer. La conciliation dans cette configuration est l’étape préalable à la décision de

divorce prononcée par le juge. En matière prud’homale, elle est une étape du contentieux

opposant un employeur et des salariés dans le cas d’un conflit collectif.

39. En droit des libertés fondamentales, la conciliation définit « l’étendue exacte d’une

liberté positive en délimitant corrélativement les droits de l’autorité »120. Elle est la

118 Virginie SAINT-JAMES, La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public français,

op. cit., p. 5. 119 Vocabulaire juridique, Voir Conciliation, op. cit., pp. 22-223, spéc. p. 222.

120 Etienne PICARD, La notion de police administrative (Préface de Roland DRAGO), Tome II, L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque de Droit public », Paris, 1984, p. 537.

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39

solution aux conflits de normes inhérents à tout système juridique121. Ce terme est

habituellement employé lorsque sont en jeu des droits fondamentaux non compatibles que

la doctrine relative au droit allemand nomme « collision de droits fondamentaux»122. La

conciliation des droits et libertés contradictoires est alors l’application partielle de l’une et

l’autre des normes123. Le contenant principal des droits et libertés fondamentaux, la

Constitution, n’emploie pas clairement la notion de conciliation. Prenons l’exemple de la

formule utilisée par le constituant béninois de 1990 : « Toute personne a droit à la liberté (…) d’opinion (…) dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements ».

Cette formulation évoque un rapport de compatibilité entre l’exercice de la liberté

d’opinion et l’ordre public sécuritaire. La limitation de la liberté d’opinion ne doit se

justifier qu’au regard de la sauvegarde de l’ordre public. Cette liberté doit s’exercer sans

qu’il soit porté atteinte à la paix sociale. L’on pourrait croire que la paix sociale est la

condition d’exercice de la liberté d’opinion, ce qui est le cas en période normale. Présentée

ainsi, cette hypothèse suppose que la paix sociale soit supérieure à l’ordre public

sécuritaire.

40. Or, cette conclusion bien que hâtive n’est pas inexacte puisque l’ordre public

sécuritaire l’emporte sur la liberté en période de circonstances exceptionnelles. La

conciliation n’est alors plus une exigence à laquelle est soumis le pouvoir politique124

puisque le maintien de l’ordre public sécuritaire « surplombe » le respect des droits et

libertés fondamentaux, au rang desquelles la liberté d’opinion. En fait, et aussi paradoxal

que cela puisse paraître, en cas de circonstances exceptionnelles, l’avantage est donné à

l’autorité du pouvoir politique dans un souci d’intérêt général afin de mieux sauvegarder

121 Guillaume DRAGO, « La conciliation entre principes constitutionnels », Recueil Dalloz, Chron., 1991,

pp. 265-269, spéc. p. 265. 122 Christian AUTEXIER, Introduction au droit public allemand, P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris,

1997, p. 129. 123 Georges VEDEL, « La place de la Déclaration de 1789 dans le bloc de constitutionnalité », in Conseil

constitutionnel, La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et la jurisprudence, P.U.F., Coll. « Recherches politiques », Paris, 1989, pp. 35-64, spéc. p. 36. ; Guillaume DRAGO, « La conciliation entre principes constitutionnels », op. cit., p. 265.

124 Le pouvoir politique peut être défini comme : « le pouvoir de prévision, d’impulsion, de décision et de coordination qui appartient à l’appareil dirigeant du pays, en principe celui de l’État, c’est-à-dire des gouvernants au sens large, et qui leur permet de déterminer et de conduire l’ensemble de la politique nationale, avec tout ce qu’elle implique dans l’ordre interne comme dans l’ordre international ». Voir Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, 34ème éd. mise à jour, août 2015, Sirey-Dalloz, Coll. « Sirey Universités », Paris, 2015, p. 10.

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40

les droits et libertés125. Néanmoins, les atteintes aux droits fondamentaux même dans ces

circonstances exceptionnelles doivent être attentatoires le moins possible afin de ne pas

« dénaturer » ou « mettre en cause le contenu essentiel » de ces droits126. À l’inverse, en

période normale, la liberté d’opinion reste un droit « hors d’atteinte »127 que le pouvoir

étatique est absolument tenu de respecter. Ainsi, l’ordre public sécuritaire et la liberté

d’opinion doivent coexister harmonieusement dans une sorte de compromis. Ces objectifs

de nature constitutionnelle existent dans un rapport d’équilibre. La conciliation s’assimile

alors à une adaptation nécessaire et permanente128 entre la liberté d’opinion et l’ordre

public sécuritaire, considérée comme une « fin d’intérêt général »129.

41. Par contre, le renouvellement de la notion de sécurité dans les constitutions

africaines qui ont été adoptées à partir des années 1990 soulève une interrogation plus

actuelle. En effet, la principale composante de l’ordre public sécuritaire, la sécurité, semble

à première vue reconnue comme un véritable droit subjectif par certains constituants dont

celui du Bénin de 1990 et du Sénégal de 2001 pour ne s’en tenir qu’à ces deux États.

Aussi, la conciliation pourrait se justifier puisqu’il s’agit dans cette hypothèse, de deux

droits subjectifs : le droit à la sécurité et la liberté d’opinion. En tant que droits subjectifs,

ils permettent à chaque citoyen de pouvoir en exiger le respect à l’encontre d’une autorité

publique ou d’un particulier et dont il peut se prévaloir devant un juge130. Dans son

ouvrage Droits de l’homme et libertés publiques, Jean MORANGE présente la conciliation

des libertés par une première idée, celle des conflits de droits puisque pour lui « tant que

les droits de l’Homme seront exprimés sous forme de droits subjectifs, ils entreront en

conflit les uns avec les autres »131. Or, si la sécurité s’apparente aujourd’hui à un droit

fondamental par le constituant, son contenant, à savoir l’ordre public sécuritaire, pourrait

125 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 29ème éd.,

L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Domat droit public », Paris, 2015, p. 40. 126 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 931 127 Patrick WACHSMANN, Les droits de l’homme, 5ème éd., Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », Paris,

2008, p. 85. 128 Daniel AMSON, « Ordre public et liberté de conscience. Aperçu sur la laïcité à la française, la montée

des intégrismes, le problème du tchador », in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet…, op. cit. ; pp. 33-48, spéc. p. 34.

129 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit, p. 930. 130 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p.

143. 131 Jean MORANGE, Droits de l’homme et libertés publiques, op. cit., p. 423.

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41

se déliter puisque sécurité et liberté d’opinion seraient des droits d’égale valeur. Cette

affirmation contredit pourtant l’action du pouvoir politique dans un État de droit132 car ici,

l’ordre public sécuritaire l’emporte sur la liberté d’opinion en cas de menace sécuritaire

quelle qu’elle soit. Le pouvoir politique peut alors déroger à l’exigence constitutionnelle de

conciliation sur la base de son pouvoir discrétionnaire. En effet, en vertu de son pouvoir

discrétionnaire, l’autorité de police administrative choisit, sur la base d’une loi, d’exercer

sa compétence dans le sens qu’il voudra, devenant ainsi « juge de l’opportunité et du

moment de la mesure à prendre »133. Il pourra ainsi opter pour la dérogation, qui est une

action visant à écarter l’application d’une règle dans un cas particulier134, constitue alors un

mécanisme de limitation135 à l’exigence de conciliation. Finalement, la conciliation

apparaît comme une notion incertaine qu’il convient à présent de spécifier dans le cadre de

nos recherches. La recherche de la conciliation sera, du reste, conditionnée par l’analyse de

cette notion tant dans sa forme substantielle que dans sa forme méthodologique.

42. Dans sa forme substantielle, la conciliation renvoie au mécanisme constitutionnel

d’application concrète de concessions mutuelles entre deux normes antinomiques de même

valeur136. Les différents pouvoirs étatiques, afin de respecter la conciliation, optent pour

l’application simultanée de deux règles auxquelles ils se trouvent confrontés137.

L’application qui en résulte suppose alors des atteintes proportionnées aux différentes

règles en cause, notamment à la liberté d’opinion d’une part et à l’ordre public sécuritaire

d’autre part. Par ailleurs, la recherche sur la mise en œuvre du mécanisme constitutionnel

de conciliation permet de préciser le sens de cette notion dans sa conception

méthodologique.

132 Louis FAVOREU fait reposer l’État de droit sur trois piliers que sont : la Constitution qui encadre

juridiquement le pouvoir, la justice constitutionnelle qui contrôle le pouvoir et la division du pouvoir. Cf. Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 39.

133 Yves GAUDEMET, Droit administratif, 21ème éd, L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 124.

134 Vocabulaire Juridique, op. cit., Voir Dérogation, p. 334. 135 Pauline GERVIER, La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public (Préface

de Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN), L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 143, Paris, 2014, p. 19.

136 Xavier PHILIPPE, Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences constitutionnelles et administratives françaises (Préface de Charles DEBBASCH), Economica-P.U.A.M., Coll. « Sciences et Droit Administratifs », Aix-Marseille, 1990, p. 115.

137 Idem, p. 116.

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42

43. Dans sa conception méthodologique, la conciliation sera analysée sous l’angle des

procédés qu’utilisent les différents pouvoirs, à partir des fondements constitutionnels, afin

de respecter et de faire respecter le mécanisme constitutionnel de conciliation. Différents

moyens ont en effet été mis à la disposition du pouvoir politique et du pouvoir judiciaire

afin que ces derniers s’approprient véritablement ce devoir de conciliation qui pourrait se

muer en véritable obligation juridique dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone. Comment les autorités étatiques procèdent-elles à cette conciliation ? La

réponse à cette interrogation constitue d’ailleurs le fil conducteur de notre analyse.

44. L’analyse de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire est

circonscrite aux États de l’Afrique subsaharienne francophone en comparaison avec les

grandes démocraties contemporaines. Il faut désormais présenter l’intérêt de la recherche.

SECTION II : L’INTERET DE LA RECHERCHE

45. La réflexion sur l’exigence de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire a pour intérêt principal, de repenser la modélisation des rapports dits

d’équilibre entre ces deux notions dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

L’étude d’une telle thématique est née devant le peu d’intérêt qu’a suscité la notion de

liberté d’opinion, en tant que liberté tendant à une autonomisation de son exercice. La

faible reconnaissance de la liberté d’opinion en tant que liberté spécifique a, de façon

conséquente, très peu impacté la réflexion autour de la conciliation de cette liberté

fondamentale avec un ordre public en pleine redéfinition, surtout en Afrique, et notamment

dans les États étudiés (§ II). Pourtant, la conciliation constitue aujourd’hui un fondement-

objectif essentiel pour la réalisation de l’État de droit (§ I).

§ I : LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE, UN FONDEMENT-OBJECTIF DE L’ÉTAT DE DROIT

46. D’abord en tant que fondement, la Constitution, dans le déploiement de l’État de

droit, reconnaît la nécessité de concilier l’exercice d’une liberté essentielle, la liberté

d’opinion, avec l’ordre public sécuritaire. La protection de cet ordre vise la satisfaction de

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43

l’intérêt général. Cela suppose de prime abord que la liberté d’opinion soit reconnue au

plus haut niveau de l’appareil normatif en tant que liberté fondamentale. Mais, cela

implique également que son exercice soit protégé et que des voies de recours soient

effectivement garanties en cas d’atteinte même lorsque ces atteintes sont le fait de la

puissance publique. La puissance publique renvoie ici au pouvoir de l’État, c’est-à-dire à

« la puissance légitimée par le droit »138. Elle est inhérente à l’État139.

47. Cependant, cette liberté, aussi fondamentale soit-elle, ne saurait être absolue dans un

État de droit. Si aucune restriction d’aucune sorte n’est imposée, celui qui abuse de sa

liberté en revanche en répondra devant les tribunaux répressifs140. En effet, l’article 4 de la

Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 le précise bien dans cette célèbre

formule: « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi,

l’exercice des droits naturels de chaque Homme n’a de bornes que celles qui assurent aux

autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent

être déterminées que par la Loi ». Ainsi, les « bornes » déterminées par la Loi sont des

règles qui encadrent l’exercice des libertés fondamentales dont la liberté d’opinion afin

d’en concilier l’exercice avec l’ordre public et de façon spécifique, l’ordre public

sécuritaire. La conciliation de ces concepts constitue ainsi le fondement de l’existence de

l’État de droit.

48.Ensuite, en tant qu’objectif, la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire signifie que l’État de droit dans le déploiement de ses pouvoirs d’action, à

travers la puissance publique, doit constamment en poursuivre la réalisation. La recherche

constante des rapports d’équilibre conditionne la consolidation de l’État de droit. Aussi, la

consécration même des droits et libertés fondamentaux au sein de la Constitution montre-t-

elle bien qu’au-delà d’une simple aspiration, les moyens par lesquels l’État veut se montrer

digne de la qualification d’État de droit en deviennent presque des obligations de résultat.

Il ne s’agit plus alors pour le pouvoir politique de se soumettre à de simples obligations de

moyens.

138 Olivier BEAUD, La puissance de l’État, P.U.F., Coll. « Léviathan », Paris, 1994, p. 8. 139 Elisabeth ZOLLER, Introduction au droit public, 2ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2013, p. 220. 140 Jean MORANGE, Droits de l’homme et libertés publiques, op. cit., p. 422.

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44

49. Par ailleurs, l’ordre public dans ses composantes traditionnelles à savoir la sécurité,

la tranquillité et la salubrité se conçoit aujourd’hui dans son évolution comme un ordre

dont la sécurité des personnes et des biens de même que la sûreté publique en constituent la

pièce maîtresse surtout dans un tel contexte de résurgence de la menace sécuritaire dans les

grandes démocraties contemporaines. Dans les États dits en transition démocratique,

notamment en Afrique subsaharienne francophone, la conciliation de ces deux concepts

demeure une problématique actuelle qui se pose avec acuité tant l’application de la

conciliation connaît des fortunes diverses.

§ II : LA CIRCONSCRIPTION GEOGRAPHIQUE DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE

50. L’analyse de l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire est circonscrite aux États de l’Afrique subsaharienne francophone. De façon

spécifique, seront concernés le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, trois États de la partie

occidentale de l’Afrique. Dans les années 1990, le choix des constituants en Afrique

subsaharienne francophone « s’est généralement porté sur une réelle révolution avec des

Constitutions fortement amendées dans une direction libérale mettant en place des régimes

de type parlementaire avec quelques éléments de présidentialisme, le tout assorti d’un

cadre de citoyenneté sensiblement progressiste et protecteur des droits et libertés de la

personne humaine »141. Les années 1990 marquèrent alors en Afrique, un tournant décisif

dans l’histoire du constitutionnalisme142 des États qui la composent.

51. Aussi, en admettant que notre ère soit celle du constitutionnalisme143, cela implique

qu’elle soit également celle des droits dits fondamentaux en raison du mouvement qui a

accompagné leur consécration. Sur l’ensemble du continent, la question des droits de

141 Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique.

L’exemple du Sénégal (Préface d’Henri ROUSSILLON et Babacar KANTÉ), L’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2007, p. 20.

142 Le constitutionnalisme dans sa forme moderne, a pour fonction essentielle, de construire et de consolider les mécanismes démocratiques. Cf. Lauriane JOSENDE, Liberté d’expression et démocratie…, op. cit., p. 14.

143 Yves POIRMEUR et Dominique ROSENBERG, « La doctrine constitutionnelle et le constitutionnalisme français » in Les usages sociaux du droit, Publications du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, P.U.F, Paris, 1989, pp.230-251, spéc. p. 230.

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45

l’Homme a fait l’objet d’une doctrine abondante sous plusieurs angles144. Parmi les droits

de l’Homme en revanche, la liberté d’opinion, comme liberté fondamentale spécifique, a

fait l’objet de très peu de réflexions théoriques. L’aménagement de cette liberté avec

l’ordre public dans son aspect sécuritaire n’a jamais fait l’objet de recherches spécifiques.

Il est vrai qu’il s’agit ici d’un sujet sensible, tant la frontière entre le juridique et le

politique s’amenuise pour finalement former une seule et même sphère. Au-delà de la

proximité géographique, le choix des États de l’Afrique subsaharienne francophone dont le

Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, s’est imposé en raison de l’héritage juridique

commun de protection des droits de l’Homme qu’ils ont en partage (A). De plus, ces États

ont été retenus en raison des mutations constitutionnelles survenues qui ont placé la liberté

au cœur des règles constitutionnelles de fonctionnement du pouvoir politique (B).

A. LA COMMUNAUTE D’UN HERITAGE DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

52. De prime abord, les droits de l’Homme sont une notion existante dans ces jeunes

États. Elle est existante d’abord en raison de l’attachement proclamé des peuples par les

différentes constitutions à la philosophie occidentale des Droits de l’Homme (1). Elle est

existante ensuite en raison du catalogue des droits de l’Homme édicté par certains

constituants (2).

1. L’attachement des États de l’Afrique subsaharienne francophone à la philosophie occidentale des droits de l’Homme

53. L’attachement des constituants africains de l’espace francophone à la Déclaration

des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 de même qu’à la Déclaration universelle des

droits de l’Homme de 1948 est réel. Ainsi que l’a écrit Jean MORANGE, ces textes dont

les liens certains entre eux sont connus inspirent nombre de textes relatifs aux droits de

144 Voir notamment : Kéba MBAYE, Les droits de l’homme en Afrique, 2ème éd., A. Pedone , Paris, 2002 ;

Horace ADJOLOHOUN, Droits de l’homme et justice constitutionnelle en Afrique : le modèle béninois à la lumière de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, l’Harmattan, Paris, 2011 ; Fatsah OUGUERGOUZ, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : une approche juridique des droits de l’homme entre tradition et modernité, P.U.F, Paris, 2011 ; Mamadou Lamine FOFANA, L’universalité des droits de l’homme et sa portée en Afrique, Éd. juridiques africaines, Coll. « Droit uniforme », Dakar, 1997.

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46

l’homme145. La proclamation de cet attachement avait pour premier objectif d’affirmer face

au colonisateur que les peuples et les individus sont épris de libertés. René DÉGNI-SÉGUI

disait à cet effet que les droits de l’Homme de même que la décolonisation représentaient

une conquête pour l’Afrique qui au moment de la décolonisation, recouvraient « leurs

droits et libertés confisqués par l’État colonial »146. Il fallait opposer au législateur colonial

sa propre conception des droits de l’individu, d’égalité des peuples et de leur droit à

disposer d’eux-mêmes147. Le deuxième objectif était celui de la légitimation du pouvoir

des autorités étatiques africaines. Maurice AHANHANZO-GLÉLÉ écrit à ce

propos : « C’est qu’il apparaît indéniable pour le personnel politique africain, civil et

miliaire, que le seul système normal et celui qui fonde la démocratie et légitime le pouvoir

de nos jours, c’est l’État constitutionnel, l’État de droit »148.

54. Le contexte dans lequel fut adoptée la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789

était pourtant totalement étranger aux préoccupations des territoires africains à cette

époque. Pourtant, lorsque ces derniers ont accédé à l’indépendance en 1960, les

constituants se sont servis de ce texte révolutionnaire comme outil de reconnaissance et de

consécration direct des droits de l’Homme, et plus précisément des libertés individuelles.

Quant à la Déclaration universelle de 1948, ce texte dépourvu de force contraignante est

devenu une véritable clause de style149. Pourtant, il ne répondait pas à vrai dire aux

aspirations des peuples africains colonisés au moment de son adoption. Elle semblait

explicitement ignorer le droit des peuples à s’autodéterminer et la décolonisation des

territoires. Sans revenir sur les principales raisons de cette ignorance que sont l’opposition

des puissances coloniales, promoteurs majeurs de la Déclaration de 1948, il apparaît

toutefois important de souligner que la référence à la Déclaration universelle témoignait de

la volonté de ces États indépendants de marquer officiellement leur adhésion à la 145 Jean MORANGE, « Francophonie et droits de l’homme », in Mélanges Jacques Robert : Libertés,

Montchrestien, Paris, 1998, pp. 533-546, spéc. p. 542. 146 René DÉGNI-SÉGUI, « La Déclaration universelle et la décolonisation », in La Déclaration universelle

des droits de l’homme 1948-98. Avenir d’un idéal commun, Actes du colloque des 14, 15 et 16 septembre 1998 à la Sorbonne, La documentation française, Paris, 1999, pp.297-319, spéc. p. 297.

147 André CABANIS et Michel-Louis MARTIN, « Droits et libertés en Afrique francophone : perspectives constitutionnelles contemporaines », in Études offertes à Jacques Mourgeon : Pouvoir et liberté, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 319-342, spéc. p. 321.

148 Maurice AHANHANZO-GLÉLÉ, « La Constitution loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de l’Afrique, N.E.A., 1982, p. 34.

149 René DÉGNI-SÉGUI, « La Déclaration universelle et la décolonisation », op. cit., p. 314.

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47

conception individualiste des droits de l’Homme. Cette conception postule que « l’Homme

a une valeur intrinsèque, séparable du groupe au sein duquel il évolue »150.

55. Plus encore, en reconnaissant au sein de leurs lois fondamentales, la Déclaration

universelle de 1948, les constituants s’exemptaient d’un travail d’élaboration et de

consécration spécifique des droits civils et politiques. Il semblerait alors qu’en intégrant

ces textes dans leurs différentes constitutions, il s’agissait d’une promotion au rang de

normes constitutionnelles des droits et libertés que ces textes garantissaient. Pourtant,

certains États ne s’en sont guère contentés. Au-delà de leur adhésion aux principes et

valeurs défendus par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 de même que par la

Déclaration universelle de 1948, certains constituants se sont évertués à identifier

expressément des droits et libertés et à en affirmer la protection par le juge.

2. La tentative de constitutionnalisation des droits et libertés

56. Dans le souci de spécifier et d’accentuer la protection des prérogatives dévolues aux

citoyens dans un État qui se veut démocratique, certains États, dont le Sénégal, ont élaboré

un catalogue des droits et libertés reconnus et protégés. Le constituant sénégalais de 1963

ne consacre pas expressis verbis la liberté d’opinion. Il proclame en revanche le respect et

la garantie intangible des libertés politiques, syndicales, philosophiques et religieuses. Bien

que cette consécration ait lieu dans le préambule de la Constitution de 1963, la démarche

constitutionnelle consistant à juridiciser, voire à constitutionnaliser certains droits de

l’Homme contribue au renforcement de la légitimation du pouvoir politique et se dessinent

déjà des moyens constitutionnels de limitation de ce pouvoir.

57. Une partie de la doctrine estime pourtant que le Sénégal ne donnait au préambule de

la Constitution de l963, « aucune place positive dans la pyramide juridique du pays »151.

Partant de ce fait, les droits et libertés proclamés n’avaient aucune force contraignante à

l’endroit du pouvoir politique. Il est clair que la valeur juridique et contraignante du corps

de la Constitution dans les premières années d’indépendance dans ces États était

discutable. Le constat l’est encore plus pour le préambule. Sur un plan strictement

150 Lauriane JOSENDE, Liberté d’expression et démocratie…, op. cit., p. 8. 151 Doudou NDOYE, La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 commentée et ses pactes internationaux

annexés. Les perspectives politiques, juridiques et sociales, 1ère éd., E.D.J.A., Dakar, 2001, p. 36.

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48

théorique, l’on n’aboutit pas au même résultat dans la reconnaissance des droits et libertés

par les États de l’Afrique subsaharienne francophone. Le constituant sénégalais ne s’est

pas satisfait à l’image du Bénin et de la Côte d’Ivoire, d’une proclamation d’adhésion aux

grands textes relatifs à la promotion des droits et libertés dont on a constaté peu de

conséquences dans les faits. Le constituant a bien compris que le pouvoir politique doit

être expressément limité. Les citoyens doivent pouvoir contribuer à la vie démocratique du

Sénégal. In fine, le constituant reconnaît que le pouvoir politique n’est pas absolu152 et que

la première limitation à l’exercice de ce pouvoir est le respect des droits et libertés

consacrés.

58. La référence à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 de même qu’à la

Déclaration de 1948 à laquelle l’on doit rajouter l’énumération explicite d’un ensemble de

droits et libertés au sein des constitutions n’a pas empêché les pouvoirs politiques

nationaux de reléguer au dernier plan la promotion et le respect des droits et libertés

fondamentaux. D’ailleurs, bien que ces droits aient été constitutionnellement reconnus de

façon directe ou indirecte, il n’existait aucun organe autonome chargé d’en assurer la

protection. Les pouvoirs exécutif et législatif étaient les seuls organes habilités à exercer un

contrôle sur les mesures restrictives portant atteinte aux droits et libertés. Or, c’est bien

contre cette forme de contrôle inefficace que mettait en garde Hans KELSEN : « Il n’est

pas d’hypothèse de garantie de la régularité où l’on pourrait davantage déconseiller que

celle de la garantie de la Constitution, être tenté de confier l’annulation des actes

irréguliers à l’organe même qui les a faits. Et en aucun cas, cette procédure ne serait

précisément plus contre-indiquée »153. L’ancrage des gouvernements autoritaires, la

multiplicité des crises politiques et sociales successives de même que les crises ont laissé

place à des mutations constitutionnelles presque simultanées que l’on peut convenablement

qualifier de révolutionnaires.

152 La précision est importante parce que la reconnaissance, dans les années 1990, des droits et libertés

fondamentaux s’accompagne de limitations justifiées par le respect de l’ordre public. Ainsi, le pouvoir politique est certes limité par les droits et libertés fondamentaux mais ces prérogatives seront elles-mêmes opposées à l’ordre public.

153 Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », Revue du Droit public, 1928, pp. 198-257, spéc. p. 223.

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49

B. LA SIMULTANEITE DES MUTATIONS CONSTITUTIONNELLES NATIONALES

59. Les années 1990 marquent le début d’une nouvelle ère constitutionnelle pour les

États de l’Afrique subsaharienne francophone. L’introduction du multipartisme de même

que le déclin du prétorianisme154 en constituent l’une des expressions marquantes. Les

États y deviennent dès lors de « vastes chantiers constitutionnels »155. Désormais, les

constituants ne se contentent plus d’un simple rappel, au sein des textes qu’ils élaborent,

des grands principes et valeurs de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ou de la

Déclaration universelle. Ils s’efforcent, en plus, de réserver tout un chapitre, le premier

généralement avant ceux qu’ils consacrent à la séparation des pouvoirs, à la consécration

des droits et libertés fondamentaux.

60. C’est donc l’inspiration néolibérale qui a prévalu sur l’ensemble du continent

africain. Des trois États africains étudiés, le Bénin est celui qui a opéré les premiers

bouleversements constitutionnels avec la mise sur pied d’une « Conférence des forces

vives de la nation ». Yédoh Sébastien LATH affirme à cet effet que « la tenue d’une

conférence nationale apparaît comme la preuve d’une transition certaine vers une ouverture

démocratique »156. C’est à l’issue des travaux de cette conférence qu’a été adoptée par

référendum la Loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du

Bénin157. En Côte d’Ivoire, c’est à la suite du coup d’État de 1999 qu’a été adoptée par

référendum le 23 juillet 2000 la Constitution du 1er Août 2000. Quant au Sénégal, c’est à la

suite du référendum du 7 mars 2001 qu’a été adoptée la nouvelle Constitution en vigueur à

ce jour.

154 André G. CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Droits et libertés : perspectives constitutionnelles

contemporaines »…, op. cit., p. 319. 155 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p. 427 156 Yédoh Sébastien LATH, Les évolutions des systèmes constitutionnels africains à l’ère de la

démocratisation, thèse de doctorat en droit, dactyl., Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, 2008, p. 81.

157 Lors des travaux de la Conférence Nationale, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (A.C.A.T.) au Bénin a remarquablement contribué à établir le lien entre la liberté d’opinion et la démocratie dans un État de droit : « La vraie démocratie postule la liberté pour chaque citoyen d’exprimer ouvertement ses opinions politiques, philosophiques, religieuses ou culturelles sans être inquiété ni dans sa personne, ni dans ses biens (…). Aussi, l’A.C.A.T. estime-t-elle qu’il n’y a pas de démocratie sans multipartisme. Aucun des arguments développés par les tenants du monopartisme ne résiste à la critique et à l’expérience de l’histoire (…). Cette liberté doit s’exercer dans un cadre institutionnel ». Voir la contribution de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (A.C.A.T.) au Bénin, lors de la Conférence Nationale, Document de séance du 21 février 1990.

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50

61. Ce nouveau constitutionnalisme en Afrique subsaharienne francophone a

profondément bouleversé la vision des droits et libertés fondamentaux chez les constituants

mais aussi vis-à-vis des institutions avec à leur tête le pouvoir exécutif. La Déclaration des

Droits de l’Homme de 1789 n’a pas une si grande influence puisque à y regarder de près,

seules les constitutions de la Côte d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal y ont expressément fait

référence dans leurs préambules respectifs avant les années 1990158. Pratiquement, toutes

les autres constitutions des États en Afrique se réfèrent plutôt à la Déclaration universelle

de 1948. Lors de l’adoption des nouvelles constitutions, le renvoi systématique à la

Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 a quasiment disparu. La Côte d’Ivoire n’a à

cet égard pas fait mention de ce texte révolutionnaire dans la Constitution de 2000. Seul le

Sénégal sur les trois États étudiés y fait encore mention. Mais, le plus remarquable est la

référence à un texte régional consacrant les droits et libertés de l’Homme africain, la

Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981. Ce texte contextualise ces

prérogatives en tenant compte de l’Homme non seulement dans son individualité mais

aussi en tant qu’individu au sein d’une collectivité159. Si l’on y ajoute l’introduction de tout

un chapitre consacré spécifiquement aux droits et libertés fondamentaux, alors les

nouvelles constitutions africaines sont profondément libérales et le concept même de

liberté gouverne l’ensemble des règles constitutionnelles.

62. Les mutations constitutionnelles survenues dans ces États ont été l’occasion pour les

constituants d’accorder aux droits dits de la première génération une place de choix au sein

des droits et libertés fondamentaux. La liberté d’opinion et les libertés de son expression

sous divers aspects font ainsi l’objet d’une reconnaissance distincte. Les partis politiques

qui constituent l’un des cadres privilégiés d’expression des opinions politiques sont

reconnus et consacrés par les constitutions. Dans l’esprit de l’article 4 de la Constitution

française de 1958, les États de l’Afrique subsaharienne francophone reconnaissent que les

partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage160. Toutefois, la

158André G. CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Droits et libertés : perspectives constitutionnelles

contemporaines »…, op. cit., p. 322. 159 Cette vision est contraire à la conception occidentale moderne de la démocratie selon laquelle la société

serait secondaire par rapport à l’Homme dans la mesure où la société n’est qu’un moyen d’amélioration de la vie quotidienne de l’individu. Cf. Giovanni SARTORI, Théorie de la démocratie, 2ème éd., Armand Colin, Coll. « Analyse politique », Paris, 1973.

160 Const. Bénin, 1990, art. 5 ; Const. Côte d’Ivoire, 2000, arts. 13 et 14 ; Const. Sénégal, 2001, art.4.

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51

liberté de création et de formation de ces groupements et partis politiques est soumise à

l’obligation de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.

Cette précaution est un rappel indirect de la fragilité des nations dans ces États, et les partis

politiques doivent contribuer à en consolider l’unité. Si la liberté fonde l’esprit du nouveau

constitutionnalisme dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, l’État de droit

en constitue un principe majeur en tant qu’organisation pratique de la démocratie

moderne161. Et d’un point de vue constitutionnel, l’on peut avec Jean GICQUEL et Jean-

Éric GICQUEL, affirmer que la démocratie dans un État se traduit par la possibilité pour le

peuple de disposer « de la souveraineté ». Il faudrait en outre « que les gouvernés soient

leurs propres gouvernants», en un mot, que le pouvoir soit « attribué à l’universalité des

citoyens, conformément aux principes de l’égalité juridique et des droits

fondamentaux »162. Désormais, les droits fondamentaux « irriguent l’ensemble du système

juridique »163.

SECTION III : LA METHODE D’ANALYSE RETENUE

63. La comparaison sera la méthode d’analyse retenue. Léontin-Jean

CONSTANTINESCO définit la comparaison comme : « une opération de l’esprit par

laquelle sont réunis dans une confrontation méthodique les objets à comparer, afin que

leurs rapports soient précisés »164. Ni les seuls États de l’Afrique subsaharienne

francophone retenus dans le cadre de notre analyse, ni une description purement positiviste

ne sauraient rendre compte du paradoxe de la conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire dans notre champ géographique d’études. Dès l’abord de notre

réflexion, la liberté d’opinion n’est pas considérée comme une liberté située dans un cadre

161 Hélène PAULIAT, « La justice, un instrument de confiance dans la démocratie ? », in Simone

GABORIAU et Hélène PAULIAT (ss. la dir. de), Justice et démocratie. Actes du colloque organisé à Limoges les 21 et 22 novembre 2002, Entretiens d’Aguesseau, P.U.L.I.M., Limoges, 2003, pp. 488-489.

162 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 29ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Domat Droit public», 2015, p. 236.

163 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 135.

164 Léontin-Jean CONSTANTINESCO, Traité de droit comparé. Tome II : La méthode comparative, L.G.D.J. Paris, 1975, p. 22.

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52

philosophique. Elle n’est pas qu’une liberté publique définie comme un droit de l’Homme

qui reconnaît à celui-ci « dans les divers domaines de la vie sociale, le pouvoir de choisir

lui-même son comportement, pouvoir organisé par le droit positif, qui lui accorde une

protection renforcée et l’élève au niveau constitutionnel en droit interne, au niveau

supralégislatif »165 en droit communautaire. Elle est désormais un droit fondamental qui lie

le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire à titre de droit directement applicable166.

64.Or, la théorie des droits fondamentaux institutionnalisée en Allemagne y est

beaucoup plus ancienne qu’ailleurs, non seulement parce que les auteurs de la doctrine du

droit public allemand en ont fait un objet d’étude167 mais aussi parce que le constituant de

1949 l’a reconnu au plus haut niveau normatif. En face de ce droit fondamental, se dresse

l’ordre public sécuritaire, un objectif de valeur constitutionnelle modélisé par le Conseil

constitutionnel français en 1982. Il est alors apparu nécessaire de procéder à une analyse

comparative à deux niveaux (§ I). Cette analyse comparative permettra à partir de la

structure de l’analyse (§ III) d’apporter un éclairage aux questions que suscite le choix

d’un tel sujet (§ II).

§ I : UNE DOUBLE APPROCHE COMPARATIVE

65. La double approche comparative retenue présente l’avantage de disposer de

mécanismes nationaux concurrents à la lumière desquels seront précisées les règles de

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire dans chacun des États de

l’Afrique subsaharienne francophone étudiés. Au-delà de l’exercice général qui pour un

165 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome I, P.U.F., Coll. « Thémis droit public »,

Paris, 2003, p. 26. 166 L.F. R.F.A., 1949, Art. 1(3). 167Des auteurs de la doctrine française ont d’ailleurs reconnu l’ancienneté de la notion de droits

fondamentaux en Allemagne. Voir Michel FROMONT, « Les droits fondamentaux dans l’ordre juridique de la R.F.A. », in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, éd. CUJAS, Paris, 1975 ; Louis FAVOREU et alii., , Droit constitutionnel, op.cit., p. 898; Thomas MEINDL, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines constitutionnelles françaises et allemandes (Préface de Dominique ROUSSEAU), L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 112, Paris, 2003, p. 4. En Allemagne, une partie de doctrine a contribué à définir les aspects constitutifs des droits fondamentaux. Voir Bodo PIEROTH et Bernhard SCHLINK, Grundrechte-Staatsrecht II, 22ème éd., Müller, Heidelberg, 2006, p. 16 ; Georg JELLINEK, System der subjektiven öffentlichen Rechte, éd. Paul Siebeck, Tübingen, 1905 ; Robert ALEXY, Theorie der Grundrechte, Suhrkamp, Baden-Baden, 1994, p. 15.

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comparatiste consiste à faire ressortir les ressemblances et les divergences de la

conciliation et de sa mise en œuvre, il sera également intéressant d’en démontrer les

limites. Les grandes démocraties contemporaines permettront ainsi d’éclairer la route

africaine des droits fondamentaux en cours de construction. Le droit comparé devient alors

un instrument de promotion de l’État de droit.

66. Certes, les États de l’Afrique subsaharienne francophone n’évoluent pas dans le

même contexte social, juridique et politique que les grandes démocraties contemporaines.

Ces États africains ont bien entendu, leur spécificité puisque le droit qui y est produit est le

fruit d’une tradition, héritage des ancêtres et mode d’expression des sociétés qui y

vivent168. Toutefois, en raison même de la nature philosophique et juridique de la liberté

d’opinion reconnue comme un droit inhérent à la qualité d’être humain, il faut admettre le

caractère universaliste de cette liberté quel que soit le contexte géographique considéré.

Quant à l’évocation d’un ordre public dans sa forme sécuritaire, elle n’est pas absente des

textes constitutionnels dans ces États qui empruntent bien souvent la formule

rédactionnelle du constituant français de 1958. Les différences de la conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone résideraient moins dans les règles juridiques de conciliation que dans les

contingences liées aux contextes politique, social et sociologique.

67. Aussi, l’analyse de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire se fera-t-elle dans une vision comparative horizontale entre ces États (A) avant

que cette vision ne soit enrichie par une approche comparative verticale avec les grandes

démocraties contemporaines (B).

A. UNE COMPARAISON HORIZONTALE ENTRE LES ÉTATS DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE

68. L’horizontalité de la comparaison se justifie pour deux raisons principales liées

d’une part à l’histoire politique et d’autre part, à l’histoire constitutionnelle de ces États.

168 Voir Marc ANCEL qui reprend les critiques formulées à l’encontre du droit comparé en les opposant aux

avantages, aux bienfaits même du droit comparé. Utilité et méthodes du droit comparé, Éditions ides et calendes, Coll. « Travaux publiés sous les auspices de la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université de Neuchâtel », Neuchâtel, 1971, pp. 8-9.

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D’un point de vue politique, les États de l’Afrique subsaharienne francophone retenus sont

des États qui ont d’abord connu une phase de colonisation par la France avant d’accéder à

l’indépendance de leurs territoires dans la seconde moitié du XXe siècle, au cours de la

même année 1960169. Le transfert de compétences des autorités coloniales vers les autorités

nationales s’est fait progressivement avec l’adoption des premières constitutions. Ces

premiers textes qui sont l’un des signes extérieurs de souveraineté des États ont marqué

non pas la rupture totale d’avec le système juridique colonial, mais l’appropriation d’un

ordre juridique national.

69. Ensuite, ces États ont sensiblement connu les mêmes déconvenues, les mêmes

péripéties politiques, essentiellement liées à l’apparition d’un parti unique et à la négation

de la liberté d’opinion. En dehors du Bénin ayant connu son premier coup d’état en 1963,

la situation sociopolitique dans les deux autres États est restée relativement stable jusqu’au

début des années 2000170. Avec les périodes de stabilité en dents de scie qu’ont connus ces

États à divers degrés, les revendications sociales et la lutte pour l’avènement de la

démocratie, c’est l’ensemble du système constitutionnel et politique qui a été mis en cause.

70. Les bouleversements constitutionnels ont entrainé progressivement l’amorce d’un

mouvement analogique du constitutionnalisme dans les années 1990 avec l’institution de

conférences nationales. La reconnaissance du multipartisme, du droit de grève, des droits

et libertés fondamentaux en général est inscrite dans les constitutions sans qu’il soit besoin

de spécifier les droits de la première, de la deuxième, voire de la troisième génération. Au

sein de ces droits et libertés fondamentaux, la liberté d’opinion devient désormais une

liberté protégée dont l’exercice est soumis au respect de l’ordre public. C’est alors dans ces

années là que prend forme l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire. Pour notre part, cette présentation milite en faveur de la comparaison

horizontale. Cette approche s’en trouvera renforcée, voire enrichie par une comparaison

verticale avec les grandes démocraties contemporaines.

169 Si le Bénin, anciennement connu sous le nom de Dahomey accéda à l’indépendance le 1er Août 1960, la

Côte d’Ivoire y accéda 6 jours plus tard soit le 7 Août 1960. Quant au Sénégal, son indépendance fut proclamée le 20 Août 1960.

170 La Côte d’Ivoire a connu son premier coup d’état en 1999 et une situation sociopolitique dégradée depuis la crise politico-militaire longue de plus de dix années de laquelle elle semble progressivement sortir.

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B. UNE COMPARAISON VERTICALE AVEC LES GRANDES DEMOCRATIES CONTEMPORAINES

71. L’expression « grandes démocraties contemporaines » pourrait laisser penser que

l’univers politique se présente selon une division manichéenne. D’un côté, les bons, c’est-

à-dire les grandes démocraties contemporaines et d’un autre côté, les mauvais, les États de

l’Afrique subsaharienne francophone, voués à l’autoritarisme pour longtemps171. Cette

présentation est totalement inexacte. Toutefois, une interrogation pourrait surgir qui mérite

qu’on y apporte les précisions nécessaires d’entrée de jeu. Pourquoi l’appellation « grandes

démocraties contemporaines » pour parler de l’Allemagne et de la France ? Philippe

LAUVAUX employait cette expression dans son ouvrage Les grandes démocraties

contemporaines pour établir une étude comparative du droit constitutionnel et des

institutions politiques de certains pays occidentaux en dehors de la France172. Cette

expression a été pratiquement reprise par Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN dans la

présentation des textes constitutionnels qu’il fait des États-Unis, de l’Allemagne, de

l’Espagne et de l’Italie173. Pour ne s’appuyer que sur ces deux auteurs,

l’expression « grandes démocraties contemporaines » employée pour l’Allemagne et la

France se base tant sur le fonctionnement des régimes politiques que sur les garanties

constitutionnelles entourant la protection des droits et des libertés fondamentaux.

72. D’abord, d’un point de vue du régime politique, cette expression renvoie à des États

dans lesquels la Constitution, norme suprême, assure entre les différents pouvoirs,

notamment entre les pouvoirs exécutif et législatif, des moyens d’action réciproques qui

empêchent à l’un d’avoir une ascendance politique sur l’autre. Les pouvoirs de l’un

freinent les possibles abus de l’autre. De plus, dans ces démocraties, les élections

politiques, présidentielles et législatives pour l’essentiel, se déroulent à intervalles réguliers

prévus par les constitutions.

171 Pierre-François GONIDEC, « Esquisse d’une typologie des régimes politiques africains », Pouvoirs, n°

25, avril 1983, pp. 63-78, spéc. p. 64. 172 Philippe LAUVAUX, Les grandes démocraties contemporaines, 4ème éd. mise à jour, P.U.F.,

Coll. « Droit fondamental », Paris, 2015. 173 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Les grandes démocraties. Constitutions des États-Unis, de

l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie, Dalloz, Paris, 2010.

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73. Par ailleurs, les garanties constitutionnelles dans ces États sont assurées par la

création de juridictions constitutionnelles chargées d’assurer le respect de la Constitution

tant à l’égard du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif que du pouvoir judiciaire. Sans

ces garanties, ces textes constitutionnels ne seraient que des promesses de papier174. Le

respect de la Constitution conditionne à ce titre l’effectivité des droits et libertés

fondamentaux, dont la liberté d’opinion. Notre analyse de la conciliation de la liberté

d’opinion avec l’ordre public sécuritaire dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone s’en trouvera alors enrichie par des éléments de doit comparé venant éclairer

les différentes règles nationales en la matière et leur application.

§ II : LA FORMULATION DE LA PROBLEMATIQUE

74. L’articulation de la conciliation est en effet, fonction des contingences politiques et

sociales et par delà, de l’adaptation même des concepts de liberté d’opinion et d’ordre

public sécuritaire à l’Afrique subsaharienne francophone. Il appartient donc au pouvoir

juridictionnel et à la juridiction constitutionnelle d’agir en tant que pouvoir de contrôle

mais aussi en tant que contre-pouvoir175 face à la mise en œuvre des compétences, mais

surtout face aux pouvoirs de l’autorité politique. Finalement, l’État devient cette sphère

juridique à l’intérieur de laquelle, de profondes contradictions naissent entre

l’aménagement théorique et l’aménagement pratique de la liberté d’opinion et de l’ordre

public sécuritaire.

75. Ainsi, malgré l’apport non négligeable des grandes démocraties contemporaines en

matière de consolidation de l’État de droit que les pouvoirs constituants originaires en

Afrique subsaharienne francophone se sont appropriés, le hiatus entre l’État de droit formel

et l’État de droit réel est important. C’est en observant cet écart que l’on estime qu’il est

opportun de reconsidérer sous un angle qui va au-delà de la théorie constitutionnelle, les

rapports qui existent aujourd’hui entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire en

Afrique subsaharienne francophone. En effet, dans des pays où « l’État de droit est en

174 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Les grandes démocraties …, op. cit., p. X. 175 Fabrice HOURQUEBIE, Le juge sous la Ve République entre pouvoir et contre-pouvoir : Contribution

au débat sur la notion de contre-pouvoir, Bruylant, Bruxelles, 2003.

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gestation »176, la conciliation de deux normes de valeur constitutionnelle est problématique

surtout lorsque l’une d’entre elle, la liberté d’opinion, peut être mise en œuvre contre le

pouvoir politique. Au regard de cette configuration, la modélisation de la conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire se recouvre d’un voile de pessimisme vu

l’incertitude dont est entouré le concept même de « conciliation ». Aussi, pour mieux

apprécier la conciliation méthodologique et ses enjeux, faut-il s’interroger en profondeur

sur certaines zones d’ombre.

76. D’abord, comment s’est opéré le processus de modélisation constitutionnelle de

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire pour aujourd’hui en

arriver à être une exigence dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone ?

Ensuite, quels sont les mécanismes auxquels le constituant assigne la mission d’en assurer

l’effectivité ? Aussi, l’aménagement constitutionnel de ces rapports ne contient-il pas les

germes de son inadéquation en Afrique subsaharienne francophone ? Comment

l’environnement politique, social et juridique immédiat influence t-il les interactions

mutuelles entre ces deux concepts ? Toutes ces questions se résument finalement à la

nature de l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire.

§ III : LA STRUCTURE DE L’ANALYSE

77. La liberté d’opinion sera analysée en priorité sous l’angle du processus suivi pour sa

consécration en tant que droit fondamental. Toutefois, il est apparu nécessaire que l’angle

politique ne soit pas écarté en raison de la nature même de ce droit-créance. La liberté

d’opinion est un pouvoir. Cette liberté devient une arme politique et concourt de ce fait à

l’appréciation de la vitalité politique. Dès lors, cette liberté se situe à la frontière du

politique, voire à un niveau où les aspects politiques et juridiques se rejoignent. La

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire est donc influencée par la

divergence existant entre le juridique et le politique pour impacter l’ensemble de l’ordre

juridique. Tout en se conformant dans un cadre théorique à l’articulation constitutionnelle

de leurs rapports d’équilibre, notre réflexion nous conduira finalement à souligner

176 Babacar KANTÉ, « Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en

Afrique », in Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel : Constitutions et pouvoirs, Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Les mélanges », Paris, 2008, pp. 265- 276, spéc. p. 270.

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comment ces États s’en écartent au regard du réalisme sociopolitique, et donc, à relever les

limites de cet aménagement constitutionnel.

78. Aussi, le lecteur peut-il s’étonner de la faiblesse des références jurisprudentielles. Le

parti a été pris de privilégier les premières sources que sont les constitutions. À cela,

s’ajoute la rareté des décisions en la matière dans les États choisis bien que le Bénin s’en

démarque par l’activité florissante de la Cour constitutionnelle. Il ne s’agit pas ici de rester

enfermé exclusivement dans les règles de droit positif, mais de s’en affranchir après les

avoir prises en compte. Cette opération permettra alors d’analyser « la manière particulière

par laquelle les valeurs, la pratique et les concepts sont intégrés dans l’activité des

institutions juridiques et dans l’interprétation des textes juridiques »177 .

79. Ainsi, la structure de l’analyse qui conduira à résoudre la problématique de la

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne

francophone se construira à partir d’une méthode fonctionnelle, sur la base des données

socio-juridiques178. Les fondements de l’exigence de conciliation de ces deux notions

(Première partie) ne sont que la conséquence d’une situation de fait antérieure, qui

précède la systématisation des règles juridiques de conciliation. Par la suite, il faudra

présenter et analyser les garanties juridiques dont l’objectif est de contribuer à la

consolidation de la conciliation (Deuxième partie). Enfin, seront démontrées les

circonstances conjoncturelles et les règles juridiques contenant elles-mêmes les germes des

limites à l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire

(Troisième partie).

177 Marie-Claire PONTHOREAU, « Cultures constitutionnelles et comparaison », in Mélanges en l’honneur

de Slobodan Milacic : Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruylant, Bruxelles, 2007, pp. 219- 235, spéc. p. 220-221.

178 Marc ANCEL, Utilité et méthodes du droit comparé, op. cit., p. 101.

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PREMIERE PARTIE.

LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE L’EXIGENCE DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC

SECURITAIRE

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80. Les fondements constitutionnels de l’exigence de conciliation de la liberté

d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ne se conçoivent pas ex nihilo. Ils font partie

intégrante de l’histoire constitutionnelle des États de l’Afrique subsaharienne francophone.

L’histoire constitutionnelle et politique des États de l’Afrique subsaharienne peut être

organisée autour de trois périodes. La première qui s’étend de 1958-1959 à 1964-1965,

correspond à l’accélération du mouvement de décolonisation et de l’accession à

l’indépendance des pays de l’Afrique subsaharienne. Cette période est caractérisée par

l’inspiration libérale puisque le système politique constitutionnel affirmé était celui du

gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Stéphane PIERRÉ-CAPS parle de

cette période comme étant marquée par « l’imitation du droit constitutionnel du

colonisateur »179. La seconde période s’étend de 1964-1965 aux années 1990. Elle se

construit autour d’un schéma de gouvernement autoritaire marqué par le présidentialisme

négro-africain180. La vie politique est dominée durant cette période par le système de parti

unique. La troisième période est celle de l’essor du constitutionnalisme depuis les années

1990. Cette période contribue encore aujourd’hui au progrès du droit, des libertés et de la

démocratie en Afrique181. Malgré une longue période de balbutiement constitutionnel, la

liberté d’opinion de même que l’aménagement de ses rapports avec l’ordre public

sécuritaire a fini par faire l’objet d’une consécration constitutionnelle. Dès lors, la période

de négation politique de la liberté d’opinion suivie d’une volonté constitutionnelle de

concilier cette liberté fondamentale avec l’ordre public sécuritaire doit être retracée

(Chapitre I). Il faut également souligner que cette conciliation constitutionnalisée

n’échappe pas à l’impérieuse nécessité du maintien de l’ordre public sécuritaire (Chapitre

II).

179 Stéphane PIERRÉ-CAPS, Droits constitutionnels étrangers, 2ème éd., P.U.F., Coll. « Quadrige

Manuels », Paris, 2015, p. 191. 180 Gérard CONAC dit du présidentialisme qu’il s’agit d’ « une étiquette commode, inventée à la fin du

siècle dernier par les constitutionnalistes pour désigner des régimes hybrides qui n’entraient pas dans des catégories préétablies. (…) on conçoit mal aujourd’hui que le présidentialisme puisse s’épanouir dans un cadre libéral… ». « Pour une théorie du présidentialisme. Quelques réflexions sur les présidentialismes latino-américains », in Mélanges offerts à Georges Burdeau : Le pouvoir, L.G.D.J., Paris, 1977, pp.115-148, spéc. p. 116.

181 Voir Togba ZOGBELEMOU, « Constitutionnalisme et droits de l’homme en Afrique noire francophone », Revue juridique et politique des États francophones, n° 1, Janvier-mars 2010, pp. 98-130, spéc. p. 102.

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CHAPITRE I.

ENTRE NEGATION POLITIQUE ET ENCADREMENT CONSTITUTIONNEL DE LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC

SECURITAIRE

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81. L’histoire constitutionnelle des États de l’Afrique subsaharienne francophone de

1960 à 1990 permet de retracer l’aménagement des rapports de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire au sein des constitutions. Les constitutions dans ces États

s’inscrivaient systématiquement pour la plupart, dans le modèle libéral des constitutions

occidentales182. Ces textes ont été rédigés en Afrique par les premières élites

intellectuelles, avec à leur tête les premiers leaders d’opinion politique. Ces derniers

jouissaient alors d’une légitimité charismatique « qui mélange l’appartenance récente du

chef de l’État à un courant idéologique de révolte contre l’oppression et l’injustice de

l’ordre colonial inégalitaire (…) à une légitimité plus intellectuelle »183. Leur pouvoir

politique se renforçait en même temps que s’enracinait le système du parti unique dans ces

États. Adossé à l’argument politique d’une urgente nécessité de stabiliser les nouveaux

États, ce renforcement eût pour conséquence la création d’un contexte défavorable à la

protection des droits et libertés publics dont la liberté d’opinion. Le contexte politique a

oscillé entre une absence de démocratie, qui eut pour conséquence une négation de la

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire, et une transition

démocratique en cours qui coïncida avec l’affirmation constitutionnelle de la conciliation

(Section I). Aussi, cette conciliation constitutionnelle a-t-elle été modélisée tant à partir de

valeurs juridiques communes que de valeurs sociales constitutionnalisées et spécifiques à

l’Afrique subsaharienne francophone (Section II).

182 Voir Jean du Bois de GAUDUSSON, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs. La

démocratie en Afrique, n°129, Seuil, Paris, 2009, pp.45-55, spéc. p. 47. 183 Florence GALETTI, « De quelques réflexions (juridiques) sur la légitimité du Chef dans l’Histoire des

institutions africaines », in François-Paul BLANC, Jean du BOIS de GAUDUSSON, Alioune FALL, François FERAL (ss. la dir. de), Le Chef de l’État en Afrique… Entre traditions, état de droit et transition démocratique, Cahiers du Centre d’études et de recherches juridiques sur les espaces méditerranéen et africain francophones, n°9, Presses universitaires de Perpignan, 2001, pp. 33- 101, spéc. p. 77.

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SECTION I.

D’UNE CONCILIATION NIEE A UNE CONCILIATION AFFIRMEE

82. Les États de l’Afrique subsaharienne francophone ont dans leur ensemble, adhéré

aux valeurs et principes fondateurs de la démocratie. Paradoxalement, le contexte politique

dans lequel ont évolué les droits et libertés, jusque là qualifiés de publics lorsqu’ils étaient

consacrés, ne leur était aucunement favorable. Les premières années qui suivirent les

indépendances n’ont donc pas permis l’éclosion de la liberté d’opinion.

83. En effet, au-delà du catalogue constitutionnel des droits et libertés, il est

généralement admis qu’en Afrique : « les atteintes les plus graves aux libertés publiques

sont le fait du pouvoir politique, et plus particulièrement, du pouvoir législatif investi de la

fonction législative et du pouvoir exécutif chargé de la gestion des affaires publiques »184.

Le pouvoir judiciaire dans ses premières années d’expérience était tout entier dévoué à la

cause du pouvoir politique puisque les juges qui exerçaient ce pouvoir voyaient dans cet

« acte de loyalisme », des garanties pour une perspective d’évolution dans leurs carrières

professionnelles. D’une volonté politique manifeste de négation de la conciliation dans un

contexte autoritaire (§ I), l’on en vient à une affirmation de la conciliation liée à la

transition démocratique qu’ont connu ces États après 1990 (§ II).

§ 1. LA NEGATION DE LA CONCILIATION INHERENTE A UNE DEMOCRATIE INEXISTANTE

84. L’absence de démocratie trouve l’une de ses causes les plus profondes dans ce que

Théodore HOLO appelle « la pandémie du présidentialisme négro-africain »185. Cette

pandémie sévit sur l’ensemble du continent africain quelques années seulement après la

proclamation des indépendances jusqu’en 1990. Le Chef de l’État en Afrique était alors la

184 Théodore HOLO, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs. La démocratie en Afrique, op.

cit., pp. 101-114, spéc. p. 109. 185 Idem, p.102.

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source quasi exclusive du droit. En effet, ses pouvoirs étaient pratiquement sans limites

malgré le cadre de ses compétences défini par la Constitution186.

85. À cette époque, la justice constitutionnelle censée veiller au respect du cadre de

l’exercice des pouvoirs exécutif et législatif devient au contraire un instrument efficace

pour l’accroissement des pouvoirs du Chef de l’État. El Hadji Omar DIOP faisait d’ailleurs

remarquer à propos de la situation de la justice constitutionnelle dans un système à parti

unique que : « La justice constitutionnelle n’y avait pratiquement aucune réalité. Le

système politique à parti unique, dominé par un chef de l’État certain d’être constamment

soutenu par un parlement complètement soumis, n’encourageait aucun contrôle de la

constitutionnalité des lois ou de tout acte pris par l’exécutif. Lorsqu’un tel contrôle existait,

la censure intervenait exceptionnellement et ne portait atteinte ni aux prétentions

importantes du président de la République, ni à son autorité»187.

86. Le prétexte politique du maintien de l’ordre public sécuritaire (B) était de ce fait un

moyen d’affermissement de son autorité, profitant ainsi d’un cadre institutionnel

défavorable à l’exercice de la liberté d’opinion (A).

A. UN CADRE INSTITUTIONNEL DEFAVORABLE A L’EXERCICE DE LA LIBERTE D’OPINION

87. La liberté d’opinion a, durant les trois décennies qui ont suivi les années

d’indépendance, été timidement reconnue, voire totalement ignorée (1). Ce constat s’est

d’ailleurs aggravé avec l’instauration de fait des systèmes de parti unique dans les États de

l’Afrique subsaharienne francophone (2).

186 Voir notamment : Martin Djézou BLÉOU, Le président de la République ivoirienne, Thèse pour le

doctorat en droit, dactyl., Université de Nice, 1984 ; Frédéric Joël AIVO, Le président de la République en Afrique noire francophone : essai sur la sociologie et les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, Thèse pour le doctorat en droit, dactyl., Université Jean Moulin Lyon 3, 2006.

187 El Hadji Omar DIOP, La justice constitutionnelle au Sénégal : essai sur l’évolution, les enjeux et les réformes d’un contre-pouvoir juridictionnel, CREDILA/OVIPA, Dakar, p. 8.

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1. La méconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion

88. Dans la plupart des États d’Afrique subsaharienne francophone, l’exercice de la

liberté d’opinion entre 1960 et 1990 était plus utopique que réel en raison du cadre

institutionnel et du régime politique de l’époque. La notion même de liberté d’opinion était

très peu employée dans les constitutions. L’on serait même tenté de parler de vide

constitutionnel autour de la notion de liberté d’opinion.

89. Le vide constitutionnel par analogie au vide juridique renvoie à l’idée d’une matière

qui relève en principe de la Constitution, mais qui n’est pas suffisamment prise en compte

par elle. Pour rappel, du vide juridique, Gérard CORNU dit qu’il est : « une lacune non

intentionnelle du droit en une matière juridiquement relevante, dont le comblement

incombe in casu au juge (…), à terme au législateur lorsque l’analogie ne suffit plus à

suppléer la loi, la doctrine ayant pour mission de montrer, en raison et imagination que le

vide est plus apparent que réel »188.

90. Appliquer cette notion à une liberté fondamentale peut alors sembler peu probable.

Pourtant, il existait effectivement un vide constitutionnel autour de la notion. La liberté

d’opinion ne pouvait valablement être garantie par des mécanismes législatifs de protection

puisque la loi ne garantit que ce qu’elle reconnaît. En effet, il existe une sorte de vide

juridique autour d’une liberté fondamentale lorsque l’un des deux éléments fondamentaux

et cumulatifs suivants est absent, ou lacunaire en matière constitutionnelle. D’une part,

lorsqu’il n’existe pas de texte juridique, de texte constitutionnel en l’occurrence qui le

consacre et le garantit contre l’arbitraire. D’autre part, lorsque la Constitution ne définit

clairement aucun organe chargé d’agir comme un contre-pouvoir qui protègerait ce droit

fondamental189. Et ainsi que l’a affirmé Charles EISENMANN, « (…) l’obligation

juridique résulte de la sanction juridique »190, laquelle en l’espèce n’était garantie par

aucun mécanisme constitutionnel. L’obligation juridique en la matière résidait dans le

respect imposé au pouvoir politique de préserver l’exercice des droits et libertés. De ce fait,

l’absence de garantie constitutionnelle donnait une marge d’appréciation importante aux

188 Vocabulaire juridique, op. cit., Voir Vide juridique, pp. 1071-1072, spéc. p. 1072. 189 Cet organe est la juridiction constitutionnelle. 190 Charles EISENMANN, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, rééd.

Économica- P.U.A.M., Coll. « Droit public positif », Paris, Aix-en- Provence, 1986, p. 59.

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organes législatifs et réglementaires de prendre toute mesure jugée utile pour le maintien

de l’ordre public sécuritaire. De plus, cette appréciation discrétionnaire ne pouvait être

remise en question puisqu’aucun organe n’avait été juridiquement chargé d’en contrôler la

validité et la portée.

91. Toutefois, dans le cas de l’étude de la liberté d’opinion, le vide constitutionnel

prend un sens plus complexe. Il signifie que la liberté d’opinion dans les États d’Afrique

étudiés n’est nullement mentionnée dans la loi fondamentale en tant que liberté autonome

et spécifique. Et il n’y a aucun organe institué pour en assurer la protection, même si tel a

été le cas dans certaines constitutions. Par conséquent, la question est plutôt celle de la

force de conviction qui accompagne la formulation de la reconnaissance et de la protection

de la liberté d’opinion d’où l’idée de lacune. Ce droit existe certes mais sous la forme

simplifiée d’une liberté publique.

92. L’expression « droits fondamentaux » était totalement absente des premières

constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone. Cette absence s’explique

par l’origine de cette notion, qui a été constitutionnalisée avec la Loi Fondamentale de la

République Fédérale d’Allemagne. Cette Loi Fondamentale précise dans son article 1 (3)

que : « Les droits fondamentaux (…) lient les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire à titre de droit directement applicable ». La limitation de la puissance publique par les droits

fondamentaux était en contradiction avec les aspirations des premiers pouvoirs constituants

originaires. Ces autorités voyaient ainsi d’un très mauvais œil cette autolimitation qui

serait la conséquence d’une reconnaissance constitutionnelle des « droits fondamentaux »

au moment où l’urgence était d’abord d’asseoir leur autorité dans des États multinationaux

exposés à des risques de conflits. De plus, les autorités politiques se confondant aux

pouvoirs constituants originaires estimaient que leur bonne foi se manifestait suffisamment

à travers l’énonciation constitutionnelle des « libertés publiques et de la personne humaine » comme ce fut le cas dans la Constitution sénégalaise du 7 mars 1963191. 191 Le Sénégal a connu trois constitutions à ce jour : 1960, 1963, 2001. En raison du caractère éphémère de

la Constitution de 1960 qui n’aura duré que trois ans, l’on ne retiendra que celles de 1963 et de 2001. Le préambule de la Constitution du Sénégal de 1963 énonçait déjà la classification des droits et libertés. Le pouvoir constituant a également jugé bon de renforcer cette énonciation dans son Titre II « Des libertés publiques et de la personne humaine » en détaillant le régime juridique de ces différents droits et libertés. Cet effort très appréciable et singulier reste un exemple isolé, puisque tel n’a pas été le cas dans un certain nombre de Constitutions notamment en Côte d’Ivoire dans sa loi n°60-356 du 3 Novembre 1960 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire.

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93. En tant que liberté publique, la liberté d’opinion ne revêt pas toute la force de droit

nécessaire à sa promotion et à sa protection. Cette lacune constitutionnelle était également

alimentée par le contexte social et politique de l’époque. Le contexte social était celui

d’États multinationaux, de territoires nationaux empreints de clivages ethniques menaçant

l’unité du peuple et l’unité territoriale des États. Il fallait donc un homme fort autour

duquel la quasi unanimité ne faisait l’ombre d’aucun doute pour assurer l’unité de la nation

en construction. Gérard CONAC le reconnaissait ainsi : « Dans la mesure où la nation reste

un projet fragile, elle a besoin de s’incarner dans un homme qui lui donne en quelque sorte

son identité »192. La liberté d’opinion apparaissait davantage comme un facteur de fraction

populaire que comme une richesse démocratique. La réalité politique était celle d’un

régime de parti unique plébiscité pour des raisons historiques. À ce propos, une partie de la

doctrine n’a pas hésité à assimiler l’État au parti qui est au pouvoir avec l’expression

« système de parti/État »193, système très en vogue en Afrique subsaharienne francophone à

partir des années 1960. Ces raisons historiques tenaient pour l’essentiel à la lutte pour

l’indépendance menée par ces partis. L’instauration d’un système de parti dominant dans

certains cas, et de parti unique dans d’autres, devait jeter les bases d’États unitaires forts en

dépit des risques de revendications régionalistes. La reconnaissance et la protection de la

liberté d’opinion était alors lacunaire et précaire car elle n’était pas une priorité politique.

94. En Afrique subsaharienne francophone, comme dans les grandes démocraties

contemporaines, la formation de l’État, le déploiement de son autorité ainsi que la lutte

pour l’affirmation des droits et libertés ne se sont pas faits sans heurts. Partout, le passage

des droits formels aux droits réels a connu des fortunes diverses. À la lecture des premières

constitutions des États africains étudiés194, il apparaît que la liberté d’opinion n’était pas

clairement reconnue. De plus, si cette liberté était reconnue comme liberté publique, les

192 Gérard CONAC, « Portrait d’un Chef d’État », Pouvoirs. Les pouvoirs africains, n° 25, Seuil, Paris, pp.

121-130, spéc. p. 121. 193 Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique : succès et résistances », Pouvoirs. La démocratie en

Afrique, op. cit., pp. 5-26, spéc. p. 7. 194 La particularité des États de l’Afrique subsaharienne francophone, en Afrique de l’Ouest notamment est

liée au fait que ces États ont d’abord été proclamés République en 1959 avec l’instauration de la Communauté française instituée par la Constitution française de 1958 avant d’être proclamés indépendants en 1960. La proclamation de leur indépendance a conduit à l’adoption quasi instantanée de nouvelles constitutions par ces jeunes États. Ils entendaient ainsi afficher la plénitude de leur souveraineté nationale et internationale.

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garanties de sa protection n’étaient clairement pas aménagées puisque l’organe qui était

supposé les mettre en œuvre n’avait pas de pouvoirs réellement autonomes en la matière.

95. De façon générale, soit le pouvoir judiciaire incluait la juridiction constitutionnelle

de façon explicite195, soit le Conseil constitutionnel était une institution étatique située en

dehors de l’appareil judiciaire196. La reconnaissance formelle n’a fait que participer à la

déliquescence progressive de la liberté d’opinion. Par ailleurs, cette liberté avait peu de

chances d’être effective en raison même de l’environnement politique dans laquelle elle

avait vocation à se déployer.

2. L’instauration des systèmes de parti unique

96. Le Bénin a connu une dizaine de constitutions entre 1958, année de la proclamation

de la République du Dahomey, et 1990, qui marque le retour au constitutionnalisme

triomphant. Le constituant béninois n’avait pas dans la définition de ses actions d’urgence

inclus la consécration de la liberté d’opinion. En effet, cette liberté était perçue comme le

mal qui ravageait la jeune nation dans la mesure où les clivages socio-ethniques aidant, cet

État a vécu au rythme des partis politiques qui se font et se défont au gré des problèmes

liées aux coalitions politiques et aux promesses de promotion sociale. Ces partis

s’attachaient indirectement à promouvoir une composante sociologique incontournable en

Afrique : les ethnies. Cette situation qui contribua au blocage politique et économique du

Bénin a provoqué des coups d’État militaires à répétition197. Les droits civils et politiques,

droits de la première génération au sein desquels figure la liberté d’opinion, étaient

secondaires en termes de préoccupations politiques. Les adoptions successives de

nouvelles constitutions jusqu’en 1990 ne sont pas parvenues à combler le vide juridique

qui entourait la liberté d’opinion.

195 Const. sénégalaise 1963, art. 80 : « Le pouvoir judiciaire est (...) exercé par le Conseil constitutionnel, le

Conseil d’État, la Cour de cassation et les cours et tribunaux ». 196 Const. ivoirienne, 1960, Titre VII : « Du Conseil constitutionnel ». 197 Entre 1960, année de l’adoption de la 1ère Constitution du Bénin, et 1990, année de l’adoption de la

Constitution actuellement en vigueur, le Bénin a connu pas moins de 5 coups d’État.

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97. Certes, des droits et libertés furent consacrés par la Constitution de 1977, sous l’ère

de la République Populaire du Bénin instaurée en 1975198, d’inspiration marxiste-

léniniste199. Cependant, il s’agissait essentiellement des droits économiques et sociaux.

Cette dernière Constitution avait théoriquement instauré un régime d’Assemblée et de

confusion des pouvoirs au profit de l’Assemblée nationale révolutionnaire. Le Président de

la République élu par cette assemblée, Mathieu KÉRÉKOU, devint dominant au sein de

l’appareil d’État en raison de sa personnalité et de sa position au sein même du parti

unique200, le Parti de la Révolution Populaire du Bénin201.

98. En Côte d’Ivoire, le contexte était sensiblement différent, du moins du point de vue

de la stabilité de l’ordre constitutionnel. Une Constitution adoptée le 3 novembre 1960,

révisée à onze reprises en quarante ans, jusqu’en 2000, année de l’adoption d’une nouvelle

Constitution, peut être considérée à raison comme une Constitution stable. Cette stabilité

de la première Constitution de l’État indépendant est pour l’essentiel due à la stabilité

d’ensemble de la vie politique. Cependant, le contexte politique était dominé par le Chef

du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement Démocratique Africain (P.D.C.I.-

R.D.A.), Félix Houphouët-Boigny, qui a aussi été Président de la République de Côte

d’Ivoire de 1960 jusqu’au 07 décembre 1993, date de son décès. Ce parti qui bénéficiait

d’une légitimité historique en raison du rôle important qu’il a joué dans l’accession à

l’indépendance du pays en 1960, régnait sans partage à tous les niveaux de l’appareil

d’État pour deux raisons essentielles. Félix Houphouët-Boigny a su se servir de ses idéaux

et de ses objectifs. Il a su, au bon moment, se faire l’écho des préoccupations majeures de

l’ensemble des colonisés. Il s’est servi d’une stratégie prônant l’union et l’aide de

198 La République populaire du Bénin de 1977 succéda à une période d’instabilité politique durant les douze

années qui suivirent la proclamation de l’indépendance du Pays. La première Constitution de 1960 n’a jamais pu s’appliquer en raison d’une longue série de coups d’État jusqu’en 1970. Cette longue période d’instabilité valut au Bénin, le nom « d’enfant malade de l’Afrique ». Le premier Coup d’État, point de départ de la série fut celui du Colonel Christophe SOGLO en octobre 1963.

199 Philippe RICHARD, « Émergence et réalisation de l’État de droit : l’exemple du Bénin », in Pierre ARSAC, Jean-Luc CHABOT et Henri PALLARD (Textes recueillis et présentés par), État de droit, Droits fondamentaux et diversité culturelle, op. cit., pp. 138-164, spéc. p. 140.

200 L’idéologie véhiculée par le P.R.P.B. était même imposée, aux termes de l’ordonnance n° 79-31 portant « Statut général des agents permanents de l’État du Bénin », à tout candidat à un emploi public. Cf. Philippe RICHARD, « Émergence et réalisation de l’État de droit : l’exemple du Bénin », op. cit., p. 141.

201 Ibidem.

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l’administration coloniale, sa pire ennemie, alors que le combat qu’il mena pour

l’indépendance, était implicitement dirigé contre cette dernière, ce qui paraît surprenant202 .

99. De ce fait, le Chef du parti dominant puis unique, Félix Houphouët-Boigny, a dû

user de stratégies dans un pays multiethnique. Il lui a donc été inévitable de tenir compte

de cette caractéristique comme facteur potentiel de troubles à la stabilité de l’État. Ainsi, la

volonté explicite du constituant ivoirien d’affirmer son attachement aux valeurs

fondamentales et principes de la démocratie qu’il consacrait dans la Constitution du 3

novembre 1960 en son article 7, entrait en profonde contradiction avec l’émergence de fait

du parti unique. Cet article disposait pourtant : « Les partis et groupements politiques

concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, et les lois de la République ». Par là même, il consacrait la liberté d’opinion

politique qui constitue le fondement de la reconnaissance du multipartisme. En l’absence

de toute effectivité d’une vie politique animée par le multipartisme, c’est à la liberté

d’opinion qu’il était alors indirectement porté atteinte.

100. Au Sénégal, la Constitution de 1963 qui resta en vigueur jusqu’en 2001, fait figure

d’exception dans la mesure où elle jetait clairement les bases du fonctionnement de l’État

de droit. Ces bases se vérifient à travers l’évocation des « droits fondamentaux » et la

consécration d’un catalogue des libertés publiques203 et de la personne humaine. Le

constituant ne s’est donc pas simplement contenté d’affirmer son attachement aux valeurs

et principes découlant de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et de la

Déclaration universelle de 1948. Il a aussi donné un contenu aux droits et libertés. Avec

une rédaction pratiquement similaire à l’article 5 de la Loi Fondamentale de la R.F.A. de

1949, le Constituant sénégalais de 1963 a consacré la liberté d’opinion à travers la

reconnaissance de l’expression de ses opinions et la liberté de communication qui en sont

le corollaire. Paradoxalement, cette même Constitution a également instauré un régime

202 Tessilimi BAKARY, « Côte d’ivoire », in Gérard CONAC et alii., Constitutiones Africae, Volume I,

Livre IX, Bruylant, Bruxelles, 1988, p. 19. 203Jean-Paul COSTA définit les libertés publiques comme « des pouvoirs d’autodétermination de la

personne humaine (ou des groupes) que la puissance publique reconnaît, définit, aménage et garantit par le biais du droit positif, dans un pays donné, à une époque donnée. Les libertés publiques en France et dans le monde, op. cit., p. 16.

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qu’une partie de la doctrine qualifie de « monarchie présidentielle »204. Cette monarchie

favorise naturellement le Président-monarque, qui à cette époque était Léopold Sédar

SENGHOR. Elle se manifeste par conséquent dans un contexte de cumul de fonctions de

Chef de l’État et de Chef de parti. L’Union Progressiste Sénégalaise (U.P.S.) qu’il dirige

devient ainsi le parti dominant, puis unique, qui contribue à asseoir le pouvoir personnel du

Président de la République. Son autorité s’est déployée alors à tous les stades de la vie

publique et politique sénégalaise si bien que la liberté d’opinion devint une liberté

embrigadée.

101. Bien que la Constitution française de 1958 serve de référence en termes de

modélisation de l’État de droit en Afrique subsaharienne francophone, les constituants se

sont bien gardés d’adopter le régime parlementaire qui inclut des moyens d’action

réciproque entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Ces moyens d’action auraient

alors pu contribuer à contenir l’action de l’exécutif et à contrôler le pouvoir du Chef de

l’État. Le Sénégal, après l’échec du régime parlementaire de type français entre 1960 et

1963 fonctionnant avec un exécutif bicéphale, a finalement opté pour le même régime

politique que la Côte d’Ivoire. Ces deux États optèrent plutôt pour un régime présidentiel

marqué par la séparation constitutionnelle des différents pouvoirs. Pourtant, l’adoption du

régime de type présidentiel n’a pas empêché le constituant ivoirien d’emprunter au régime

parlementaire, l’un des moyens les plus pertinents d’intervention du pouvoir exécutif dans

la fonction législative à savoir que « le Président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membres de l’Assemblée nationale »205. Quant au Bénin, même si

le régime issu de la Constitution de 1977 était un régime d’Assemblée, le Président de la

République fort de sa personnalité s’imposait dans le paysage politique béninois.

102. Ce régime présidentiel travesti avec les avatars politiques du système de parti finit

par disparaître. Il apparaît alors comme un appendice, une sorte de régime parasite : le

présidentialisme. Ce système politique a pourtant longtemps été présenté comme un

système « présumé » conforme aux réalités africaines206. La « personnalisation et la

204 Marc DÉBÈNE, « Sénégal », in Gérard CONAC et alii., Constitutiones Africae Volume IV, Livre III,

Bruylant, Bruxelles, 1992, p. 20. 205 Art. 13, al. 1, Const. ivoirienne, 1960. 206 Dodzi KOKOROKO, « L’idée de Constitution en Afrique », Afrique contemporaine, Les tabous du

constitutionnalisme en Afrique francophone, n°242, 2012, p. 117.

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76

patrimonialisation » du pouvoir207 constituent en somme les raisons de la négation de la

liberté d’opinion. Puisque la stabilité était sujette à des remises en cause permanentes en

raison même de la nature de ces États multinationaux, la solution d’un pouvoir fort était

largement admise. Léopold Sédar SENGHOR justifiait cette solution en ces

termes : « Chez les peuples fluctuants à affectivité volcanique et à réaction immédiate, il

faut un pouvoir, c’est-à-dire un exécutif fort et non partagé, encore que démocratique pour

maintenir l’autorité de l’État »208. Fort du prétexte de la recherche constante de la stabilité

de l’État, le pouvoir politique usait à tort bien plus qu’à raison de la notion d’ordre public

sécuritaire.

B. LE PRETEXTE POLITIQUE DE LA PROTECTION DE L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

103. Le cadre institutionnel dans lequel a évolué la liberté d’opinion a également

contribué à instrumentaliser l’ordre public sécuritaire. Le maintien de cet ordre semblait

justifier que la liberté d’opinion ne soit pas considérée comme une priorité. L’ordre public

sécuritaire a donc servi au renforcement de l’autorité du pouvoir politique (1). Ce

renforcement ne s’est pas fait non sans atteinte à la liberté d’opinion (2).

1. L’ordre public sécuritaire, prétexte au renforcement de l’autorité politique

104. « Quelque soit l’intérêt qui s’attache à la personne humaine, on ne saurait comparer

valablement les atteintes qui peuvent lui être portées aux actions qui remettent en cause,

par les moyens souvent violents, les structures fondamentales de toute une société, et dont

les conséquences sont souvent inimaginables »209. Ce discours politique ivoirien recueilli

en 1963 illustre clairement la place qu’occupaient les droits et libertés dans un État

autoritaire. Si la liberté d’opinion religieuse était généralement acceptée par le pouvoir

politique, la liberté d’opinion politique et syndicale était quant à elle âprement combattue.

207 Babacar GUEYE, « La démocratie en Afrique: succès et résistances », op. cit., p. 13. 208 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de l’action : conversation avec Mohamed Aziza, Stock,

Coll. « Les grands leaders », Paris, 1980, p. 168. 209 Ce discours est extrait de la présentation du projet de loi portant création d’une Cour de sûreté de l’État

par son rapporteur, Vamé Doumouya, en 1963. Cette Cour de sûreté de l’État avait été instituée dans un contexte de suspicion de complots contre le régime de Félix Houphouët-Boigny.

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Ces composantes de la liberté d’opinion étaient présentées comme facteurs de division et

de tentation pour des revendications régionalistes. L’ordre public sécuritaire semblait alors

justifier toutes les atteintes faites aux droits et libertés.

105. L’ordre public sécuritaire présenté comme l’objectif premier de la mission du

pouvoir politique devait être maintenu ou restauré selon le contexte. L’exercice de la

liberté d’opinion alors assimilé à un acte de subversion était fortement réprimé. À cette

époque, exprimer son opinion était particulièrement considéré comme une arme de

déstabilisation du régime en place, une remise en cause publique de l’autorité du pouvoir

politique. L’exercice de la liberté d’opinion se confrontait alors à de puissants moyens de

dissuasion et de répression. Cette répression radicale pouvait même aller jusqu’à

l’élimination physique des personnes accusées à tort ou à raison d’actes subversifs. La

seule faute de ces personnes était de s’être opposées à l’opinion publique acquise à la

personne du Chef de l’État. Les discours politiques étaient fermes quant aux efforts qui

seraient consentis pour faire régner l’ordre et la sécurité sur l’ensemble du territoire. Les

décisions de police administrative étaient prises les unes à la suite des autres pour

empêcher l’exercice de la liberté d’opinion jugé dangereux pour la préservation de l’ordre

public sécuritaire.

106. Étant donné la légitimité historique qui s’attache à la personne du Chef de l’État en

tant que « libérateur de l’oppression du colonisateur », ce dernier raffermit son assise en

polissant autour de lui, une image de pacificateur, de « sauveur », de « bon père de

famille ». Jouissant ainsi d’un prestige attaché à la fonction, le Chef de l’État et sa clientèle

politique surveillent en permanence les moindres signes de menaces de renversement, de

rébellion ou de contestations. Il se laisse envahir peu à peu par la hantise du complot parce

qu’il est conscient de la fragilité de son autorité. Aussi, en tant que détenteur « exclusif »

des mécanismes et des moyens de coercition publique, ce dernier se prend au jeu de la

propagande, à travers les canaux de communication et d’information pour légitimer ses

interventions en tant qu’autorité de police administrative. Le rôle des organes

d’information d’État était alors d’ « orienter leur action en vue de susciter, créer et soutenir

l’initiative des masses en faveur du régime »210.

210 Théodore HOLO, Étude d’un régime militaire : le cas du Dahomey (Bénin) (1972-1977), Thèse pour le

doctorat en droit, dactyl., Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 1979, p. 230.

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107. Selon l’autorité politique également autorité de police administrative, son rôle

devait être un rôle de prévention-répression. À la fois autorité de police administrative et

autorité de police judiciaire, l’autorité politique incorporait dans ses missions de service

public, celle d’éviter qu’un trouble ne puisse se produire, ne s’aggrave ou ne dure dans le

temps. Mais elle intervenait aussi pour sanctionner une infraction commise, ce qui

traditionnellement relève de la compétence du juge judiciaire. Ce curieux amalgame n’était

pas fait pour responsabiliser l’autorité juridictionnelle. Le juge pénal était d’une certaine

manière, dépossédé de ses pouvoirs d’identification des auteurs, de recherche de preuves et

de jugement des personnes accusées. Le pouvoir politique s’arrogeait ces prérogatives.

108. La liberté d’opinion et son exercice étaient alors assimilés à des actes de rébellion,

de contestations et de facteurs de déstabilisation du pouvoir politique qui durant cette

période, s’exerçait sans partage. Le délit d’opinion et la censure étaient de fait les maîtres-

mots de ces régimes autoritaires. L’ordre public sécuritaire servait alors de notion-prétexte

et son maintien, de motif sérieux pour restreindre les libertés individuelles, plutôt que pour

protéger effectivement les personnes et les biens.

2. L’ordre public sécuritaire, prétexte à la censure de la liberté d’opinion politique

109. Le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal n’ont pas échappé à la tentation

d’arrestations arbitraires des leaders d’opinion politique dont la personnalité et les activités

représentaient d’importantes menaces pour les autorités politiques en place. En Côte

d’Ivoire, l’on retiendra à titre d’illustration deux exemples : l’affaire du Sanwi et l’affaire

des Guébié. L’affaire du Sanwi qui fait référence au peuple du même nom, issu du Sud-est

de la Côte d’Ivoire, remonte aux années 1959 alors que la Côte d’Ivoire est déclarée

République et fait son entrée dans la communauté franco-africaine. Le point juridique

culminant de cette affaire reste le vote de la loi n° 63-2 du 11 janvier 1963 instituant la

Cour de sûreté de l’État. Cette Cour de sûreté était une juridiction d’exception dont la

mission était clairement de connaître, voire de condamner toutes les personnes impliquées

dans des affaires pénales « à caractère politique ». Cette juridiction fonctionnait selon une

organisation et une procédure particulière. Le Président de la République nommait les

magistrats qui y siégeaient. La durée de détention préventive était de deux mois, les

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perquisitions se faisaient de jour comme de nuit, le pouvoir exécutif appréciait

souverainement la nécessité de la poursuite et de la répression qui était rétroactive et les

circonstances atténuantes n’étaient pas retenues. C’est dans ce cadre que près de quatre-

vingt personnalités politiques furent arrêtées, emprisonnées, puis condamnées à mort pour

cinq d’entre elles et ce, dans des conditions qui méprisaient totalement la dignité de

l’Homme. Ces arrestations obéissaient ainsi à la procédure instituée par la loi. Les raisons

de ces arrestations étaient pour l’essentiel, relatives à des pseudo-complots politiques qui

visaient le renversement du pouvoir de Félix Houphouët-Boigny. Parmi les personnalités

arrêtées, l’on retrouvait Ernest Boka, mort en détention en avril 1964, Amadou Koné, Issa

Bamba, Charles Donwahi, Bernard Dadié ou Jean-Baptiste Mockey. Certains de ses

détenus étaient des personnalités, membres du PDCI-RDA (parti politique au pouvoir) et

membres du gouvernement211.

110. Quant à l’affaire des Guébié, elle fait référence aux évènements dont a été victime

ce peuple issu de la région Centre-ouest de la Côte d’Ivoire, sous le régime de Félix

Houphouët-Boigny. En effet, dix ans après la proclamation de l’indépendance, des

tentations de création de nouveaux partis politiques naissent à travers le pays. Les partisans

et sympathisants du Parti National Africain (P.A.N.A.), parti clandestin créé par Jean-

Christophe Gnagbé, manifestent contre le refus qui leur a été signifié de créer ce parti

politique212. La création de ce nouveau parti était contradictoire avec l’image d’un

président adulé par son peuple, que le Chef de l’État entretenait tant à l’intérieur du pays

que sur la scène politique internationale. Estimant ainsi qu’il était gravement porté atteinte

à leur liberté d’opinion politique, une révolte du peuple Guébié s’en suivit. Le leader de ce

mouvement fût arrêté en septembre 1967, emprisonné et libéré deux mois plus tard. En

décembre de la même année, Jean-Christophe Gnagbé fut de nouveau arrêté pour « atteinte

à la sécurité intérieure de l’État ». Une révolte s’en suivit, qui fut sévèrement réprimée car

le pouvoir en place craignait des risques de contagion dans d’autres régions du pays. Ces

risques s’ils étaient avérés, pouvaient conduire à des revendications sécessionnistes. Le

211 Cette époque a été retracée par l’historien ivoirien Samba DIARRA, Les faux complots d’Houphouët-

Boigny : Fracture dans le destin d’une nation, Karthala, Paris, 1997, pp. 145-201. 212 La création des partis politiques était à cette époque soumise à une autorisation préalable de l’autorité

administrative. Elle était donc soumise à un régime rigide qui s’oppose au régime souple de déclaration préalable.

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Chef du P.A.N.A. disparut à la suite de ces manifestations, et avec lui plus d’un millier de

manifestants213, dans des conditions encore indéterminées à ce jour.

111. Au Bénin, la liberté d’opinion a également connu une longue traversée du désert

entre 1972 et 1990, au nom de l’ordre public sécuritaire. En effet, le Parti de la Révolution

populaire du Bénin (P.R.P.B.), issu d’un régime militaire entre 1972 et 1977 et unique parti

institué puis constitutionnalisé en 1977, régnait sans partage sur la vie politique

béninoise214. Cependant, une partie de la doctrine a reconnu que le « grand mérite du

régime militaire fut dès son avènement d’avoir levé la plupart des restrictions qui pesaient

sous les régimes précédents sur la liberté d’opinion (…) »215. Pourtant, cet enthousiasme de

départ a été de courte durée puisque le régime militaire fera main basse censurera

indirectement la liberté d’opinion en monopolisant tous les canaux de diffusion de

l’information. Toutes les personnes qui tentaient clandestinement de créer des mouvements

politiques dissidents de l’opinion publique répandue par ce parti étaient combattues. Le

parti communiste, parti politique d’opposition, et ses comités d’action payèrent un lourd

tribut à cette période. Deux alternatives aux opposants se présentaient : soit ils s’exilaient,

soit ils restaient et se faisaient torturer à mort216. Nombre de ces opposants seront alors

arrêtés avant d’être torturés. D’autres mourront sous le coup des sévices corporels

administrés sous le règne du Président Mathieu Kérékou217. Rémy Akpokpo Glèlè sera

assassiné. Aboubacar Baparapé gardera à vie les séquelles du traitement sévère subi en

détention. Pascal Fatondji, chef du Parti communiste, sera contraint à l’exil. Séraphin

Agbahongbata, chef du Comité d’action des étudiants, sera plusieurs fois arrêté, puis

relâché218. Leur liberté d’opinion exposait les opposants politiques dans ces États à la

censure, à l’emprisonnement, voire à la mort.

213 Samba DIARRA, Les faux complots d’Houphouët-Boigny…, op. cit., pp. 218-219. 214 Cinq ans plus tôt, le 26 Octobre 1972, un groupe de militaires dirigé par le Commandant Mathieu

KÉRÉKOU renversa le Conseil Présidentiel, représentant le pouvoir exécutif. Le Gouvernement Militaire Révolutionnaire (G.M.R.) est alors formé.

215 Théodore HOLO, Étude d’un régime militaire…, op. cit., p. 229. 216 « Ici, on torture », Africa International, n°210, novembre 1988, pp. 39-40. 217 « Les Tortionnaires et autres criminels au bac des accusés », Libération, 6 avril 1990. 218 C’est certainement en raison de ces actes relevant de la responsabilité des hommes en armes sous ce

régime par le passé, que la Constitution béninoise de 1990 précise en son article 19 que : « Tout individu, tout agent de l’État qui se rendrait coupable d’acte de torture, de sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans l’exercice de ses fonctions, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi. Tout individu, tout agent de l’État est délié du devoir

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81

112. Au Sénégal, l’article 47 de la Constitution de 1963 servit de base légale à la

déclaration par décret de l’État d’urgence en 1968, suite à de nombreuses grèves

déclenchées par les syndicats des ouvriers. En 1969, d’autres évènements ont contraint le

gouvernement d’alors à décréter un état d’urgence au Sénégal219. Vingt-et-un ans plus tard,

soit en 1988, l’état d’urgence fut une nouvelle fois décrété à la suite de la contestation des

résultats de l’élection présidentielle à l’issue de laquelle Abdou Diouf fut déclaré

vainqueur. Au motif de péril résultant d’atteintes graves à l’ordre public sécuritaire,

plusieurs leaders de l’opposition furent arrêtés et poursuivis durant cette période d’état

d’urgence220.

113. Les révoltes sociales, les grèves répétées et insistantes des fonctionnaires, naissant

du fait des conditions de vie précaires des populations, les revendications politiques s’y

ajoutant, les systèmes de parti unique eurent de plus en plus de mal à assurer le maintien de

l’ordre public sécuritaire dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone221. Ces

situations inconfortables pour les régimes en place prédisaient des explosions populaires

qui mettraient alors à mal l’autorité de ces Chefs d’État, la sécurité même de leurs

personnes et l’ordre public sécuritaire222. Ils n’eurent alors d’autres choix que d’entendre

les plaintes populaires, en annonçant un certain nombre de mesures économiques et

sociales. Sur le plan politique, les revendications s’en trouvèrent confortées avec

l’adoption de nouvelles constitutions qui amorçaient ainsi la transition démocratique.

d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’Homme et des libertés publiques ».

219 Le décret du 21 juin 1969 mit fin à cette circonstance exceptionnelle, dans le délai légal, sans que l’Assemblée nationale n’ait eu à prolonger le délai, comme le prévoyait l’article 58 de la Constitution de 1963.

220 Seydou Madani SY, Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique : 1960-2008, Iroko Éditions, Coll. « Hommes et sociétés », Yaoundé, 2009, p. 65.

221 Yédoh Sébastien LATH retrace à juste titre les mouvements et revendications sociaux corporatistes et politiques sur l’ensemble du continent africain qui ont conduit à la période des transitions démocratiques. Les évolutions des systèmes constitutionnels africains à l’ère de la démocratisation, op. cit., pp. 52-60.

222 Voir par exemple, « Bénin, les vraies raisons de la révolte », Jeune Afrique, n°1467, 15 février 1989.

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82

§ 2. L’AFFIRMATION DE LA CONCILIATION LIEE A LA TRANSITION DEMOCRATIQUE

114. La transition démocratique pour Maurice-Pierre ROY, est « la fin d’une période et

le début d’une autre »223. C’est la fin d’un régime autoritaire et la mise en place

progressive d’un régime démocratique. Cette notion montre bien que la démocratie n’est

pas encore acquise. Manuel Antonio GARRETON affirme qu’elle est : « le passage d’un

régime autoritaire à un régime démocratique, passage qui se réalise sans rupture

institutionnelle et qui, en raison des enclaves autoritaires et de l’héritage institutionnel

issus du régime antérieur, est forcément incomplet et perfectible »224. La transition

démocratique est en outre une période qui s’inscrit dans le temps, et dont la durée varie

d’un État à un autre. Cette période transitionnelle vise somme toute à la création de l’État

de droit démocratique225. Justement, l’État de droit démocratique « est respectueux des

droits fondamentaux résultant des normes externes ou internes, c’est-à-dire soumis à la

législation que lui-même produit »226.

115. Cette transition démocratique qui bouleverse progressivement la conception et la

mise en œuvre du pouvoir politique, marque alors un tournant décisif pour la protection

des droits et libertés fondamentaux dont la liberté d’opinion. Cette liberté comme toute

autre connaît toutefois des limites qui tiennent au maintien de l’ordre public sécuritaire.

Mais elle en constitue également un atout. Elle est d’abord constitutionnellement reconnue

comme une liberté fondamentale (A). Ensuite, sa reconnaissance oblige le constituant, puis

le législateur à définir un modèle de conciliation perfectible (B).

223 Maurice-Pierre ROY, « Le Bénin : un modèle de sortie de dictature et de transition démocratique en

Afrique noire », Revue de la Recherche Juridique, n° 3, 1992, pp. 585-604, spéc. p. 586. 224 Manuel Antonio GARRETON, « Política, cultura y sociedad en la transición democratica », in Nueva

Sociedad, n°114, pp. 43-49. Cité par Pascale FAYET, Effectivité de la protection des droits de l’Homme et transition démocratique (cas du Chili et du Guatemala), Mémoire présenté sous la dir. de Daniel Van EEUWEN, Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence, Section Relations internationales, 1994-1995, pp. 3-4.

225 L’idée que nous nous faisons de l’État de droit démocratique se rapproche de celle qu’en fait Slobodan MILACIC. Il affirme que : « l’État de droit offre les procédures formelles et les cadres conceptuels, mais il ne les remplit pas. C’est la démocratie qui donne vie et âme à l’État de droit libéral ; même pour les droits et libertés en perpétuelles reconfigurations ». « L’État de droit, pour quoi faire ? L’État de droit comme logistique d’une bonne gouvernance démocratique », in Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel : Constitutions et pouvoirs, Montchrestien, Paris, 2008, pp.375- 390, spéc. p. 390.

226 Nada YOUSSEF, La transition démocratique et la garantie des droits fondamentaux, Éditions Publibook Université, Coll. « Droit et Sciences-politiques », Paris, 2011, p. 29.

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83

A. LA RECONNAISSANCE CONSTITUTIONNELLE DE LA LIBERTE D’OPINION

116. La reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion a été un tournant décisif

dans l’histoire du constitutionnalisme en Afrique. Cette liberté est d’abord consacrée

comme par la norme juridique suprême, ce qui en fait une liberté de rang constitutionnel

(1). Cette liberté de rang constitutionnel jouit désormais d’une protection particulière en

tant que liberté fondamentale (2).

1. La liberté d’opinion, une liberté de rang constitutionnel

117. La liberté d’opinion a été reconnue et consacrée au plus haut niveau normatif.

Désormais, sa reconnaissance par une norme supralégislative s’impose de ce fait au

législateur et aux pouvoirs publics. La liberté d’opinion n’est effective que si sa

consécration constitutionnelle est suivie d’effets juridiques irriguant l’ensemble de l’ordre

juridique227. En parlant de la portée de la consécration d’une liberté fondamentale, Hans

KELSEN affirme qu’une telle liberté « ne représente un droit subjectif au sens d’un

pouvoir juridique (…) que lorsque l’ordre juridique confère aux individus qui sont atteints

par une loi inconstitutionnelle le pouvoir juridique de déclencher par une demande la

procédure qui conduira à l’annulation de la loi inconstitutionnelle »228.

118. Parce qu’elle émane désormais de la Constitution, la liberté d’opinion jouit d’une

protection supralégislative. Elle n’est plus une liberté publique dont la protection relève de

la loi. L’évolution de cette liberté publique vers une liberté fondamentale implique que la

liberté d’opinion dont il s’agit est consacrée et protégée par la Constitution. Sa protection

vient du fait que par principe, est interdit toute loi ou tout règlement qui auraient pour but

de supprimer son existence ou de limiter son exercice.

119. Au regard du passé post colonial des États africains, une nouvelle vision de la

Constitution relève de la magie. Ce texte fondamental devient lui-même un mot magique229

227 David CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne (Préface de Michel

FROMONT), L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique » (Tome 87), Paris, 2001, p. 10.

228 Hans KELSEN, Théorie pure du droit (Traduction française de la 2ème édition de la « Reine Rechtslehre » par Charles EISENMANN), Coll. « Philosophie du droit », Dalloz, Paris, p. 192.

229 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 26ème éd., Montchrestien-Lextenso éditions, Coll. « Domat-droit public », Paris, 2012, p. 199.

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et son contenu l’est tout autant. La magie vient de l’objet nouveau, révolutionnaire et

audacieux du contenu. Mettre fin au règne et aux pouvoirs illimités de l’autorité revêtue du

pouvoir de commandement en reconnaissant aux individus des droits et libertés reconnus

fondamentaux. Ces prérogatives s’imposent à cette autorité et sont soumis à la protection

d’une institution nouvelle : la juridiction constitutionnelle.

120. Le pouvoir devient alors un pouvoir rationnel, un pouvoir qui se conquiert, s’exerce

et se transmet selon des règles précises. En cas de non respect des règles du jeu politique,

le pouvoir devient illégal. En cas de violations des droits et libertés fondamentaux, le

pouvoir est attaquable devant la juridiction constitutionnelle. La Constitution renferme

donc un ensemble des règles revêtues du sceau de la suprématie constitutionnelle. Parmi

ces règles, la liberté d’opinion et l’ordre public sont deux notions consacrées en lettres d’or

tant dans les grandes démocraties contemporaines, que dans les États en transition

démocratique dont les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

121. La Loi Fondamentale de la R.F.A. de 1949 est l’une des rares constitutions à poser

ainsi le principe qui découle de la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux, dont

la liberté d’opinion. L’article 1(3) le pose en ces termes : « Les droits fondamentaux (…) lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable ».

À cet effet, selon le constituant allemand, les droits fondamentaux constituent les

premières limites aux pouvoirs de l’État.

122. Ainsi, la liberté d’opinion jouit désormais d’un mécanisme de protection

extraordinaire, supérieur, en tant que liberté fondamentale. Elle dispose d’un « ancrage

constitutionnel »230. Cette liberté devient un droit constitutionnalisé. Pour rendre sa

protection effective, la garantie résulte « de l’interdiction faite à toutes normes infra

constitutionnelles mais aussi à toutes lois de révision de la Constitution d’ [y] porter

atteinte (…), et conséquence nécessaire, de la possibilité reconnue à toute personne de

s’adresser directement au juge constitutionnel pour que soit assurée cette double

protection»231 . L’individu participe alors activement à la protection de ces prérogatives

230 Henri OBERDORFF, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 159. 231 Thomas MEINDL, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines

constitutionnelles françaises et allemandes (Préface de Dominique ROUSSEAU), L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique » (Tome 112), Paris, 2003, p. VI.

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85

puisqu’il peut déclencher le mécanisme constitutionnel de protection des droits et libertés

fondamentaux.

123. Les constituants des États de l’Afrique subsaharienne francophone ont opté après

les années 1990, pour une insertion des droits et libertés fondamentaux au sein des

constitutions. Cette insertion se traduit par une « liste de droits protégés rédigée de manière

très minutieuse, complétées par une liste de pratiques interdites. Visiblement, c’est

l’expérience plus que le mimétisme qui a inspiré cette précaution »232. C’est alors tout

l’arsenal juridique de protection qui a été revisité. La reconnaissance ne saurait suffire à

protéger le citoyen contre les abus du pouvoir. Ce citoyen doit avoir également les moyens

de faire respecter ses droits et libertés fondamentaux ou faire réparer les atteintes dont il

aurait été victime. Pour Henri OBERDORFF : « Affirmer ou proclamer les droits de

l’Homme et des libertés fondamentales ne suffit pas, il est indispensable de les organiser et

de les protéger de manière adaptée au type des dangers qu’ils courent. Une bonne

organisation et une bonne protection constituent les outils d’une bonne garantie de ces

droits et de ces libertés »233.

2. La liberté d’opinion, une liberté devenue fondamentale

124. Toute l’architecture constitutionnelle permet d’apprécier la vision du constituant

quant à la place qu’il accorde à la liberté d’opinion au sein de la Constitution. Le Sénégal

en 1963 intégrait un titre entièrement consacré aux libertés publiques et de la personne

humaine dans la Constitution. Dorénavant, les constituants dans ces États depuis les années

1990 consacrent un titre de la Constitution aux droits et libertés fondamentaux et ce bien

avant le titre relatif au pouvoir exécutif. Cette rédaction est donc une révolution. La

classification des titres au sein d’un texte fondamental peut permettre d’y voir une forme

consacrée laissant deviner que les droits et libertés fondamentaux sont les points les plus

importants sur lesquels le constituant s’attache à mettre un point d’honneur. En outre,

l’inscription des droits et libertés fondamentaux dans le premier titre suppose que la

232 Gérard CONAC, L’Afrique en transition vers le pluralisme politique : actes du colloque, Paris 12-13

décembre 1990, Economica, Paris, 1993, p. 37. 233 Henri OBERDORFF, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 149.

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validité des actions des pouvoirs constitués est conditionnée par le respect des droits et

libertés.

125. Le Bénin dans sa Constitution de 1990, la Côte d’Ivoire dans sa Constitution de

2000, le Sénégal dans sa Constitution de 2001, ont utilisé le concept de « droits fondamentaux » ou « libertés fondamentales » dans le préambule de leurs textes fondateurs

respectifs. Par contre, le Bénin et le Sénégal se réfèrent dans l’intitulé du titre consacré aux

droits et libertés, à «la personne humaine » sans faire référence au qualificatif pluriel

« fondamentaux » dans leurs titres II respectifs. Le constituant ivoirien a plutôt opté pour

une formulation différente : « Droits, libertés et devoirs » dans l’intitulé de son titre I. Il

reprend cependant l’adjectif qualificatif « fondamentaux » dans son article 1 qui est ainsi

formulé : « L’État de Côte d’Ivoire reconnaît les libertés, les droits et devoirs fondamentaux énoncés dans la présente Constitution et s’engage à prendre des mesures

législatives ou réglementaires pour en assurer l’application effective ». La première

curiosité qui ressort de cette formulation est la qualification « devoirs fondamentaux », ce

qui peut sembler inhabituel. Toute liberté ou tout droit entraîne des devoirs dans un État de

droit234. Le caractère inhabituel vient du fait que le qualificatif fondamental est

généralement rattaché à un droit ou une liberté. Par cette formulation, le Constituant

reprend une formulation de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de

1981. Il veut en outre s’assurer que l’obligation juridique qui pèse sur le pouvoir politique

en matière de respect et de protection des droits fondamentaux pèse également sur le

citoyen. Ce dernier a également des devoirs fondamentaux. Cela implique qu’il est

également lié de façon impérative à l’exécution de ses obligations civiques au risque de

subir les sanctions de la règle de droit. La seconde curiosité est relative à l’ambigüité de

l’engagement solennel de l’État. Par État, il faut entendre pouvoir politique. Ce pouvoir

politique reconnaît alors que l’effectivité des droits et libertés fondamentaux relève de sa

compétence. Cependant, cet engagement reste vague dans la mesure où l’article indéfini

« des » mesures législatives ou réglementaires pour en assurer l’application

effective, marque l’imprécision de la force des mesures dont il s’agit. L’emploi de cet

article indéfini renvoie à la prise de « certaines mesures » parmi tant d’autres pour assurer

234 La Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950 le précise à cet effet en son article 10,

al.1 : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi (…) »

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la protection des droits et libertés fondamentaux. Il aurait certainement été plus pointilleux

de formuler cet engagement en employant l’article défini « les » pour souligner que « toute

mesure utile » serait prise en ce sens. L’article « des » ponctue platement la volonté de

l’État à travers ces autorités publiques à prendre les mesures nécessaires pour l’application

des droits et libertés fondamentaux.

126. Au Sénégal, le constituant de 2001 proclame dans le préambule de la Constitution

adoptée la même année : « le respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise »235. Qu’entendre par le mot base ? Il s’agit tout

simplement pour le constituant sénégalais d’affirmer une obligation morale : les actions du

pouvoir politique et des citoyens sénégalais dans leur ensemble doivent être guidées, voire

dominées par un seul principe, à la fois fondement et objectif : le respect des droits et

libertés fondamentaux.

127. La proclamation de la liberté d’opinion en tant que liberté fondamentale

s’accompagne en pratique de la consécration d’autres libertés. Il s’agit de la liberté

d’expression, de la liberté de manifestation qui avait été soumise pendant des années à un

régime répressif sévère, le pluralisme politique par la reconnaissance de la liberté de

création des partis politiques, la liberté syndicale. Ces libertés ne sauraient être effectives

sans une condition indispensable : elles doivent en principe pouvoir s’exercer sans que les

bénéficiaires ne puissent être inquiétés.

128. Par conséquent, la consécration des partis politiques implique que la reconnaissance

et le respect du principe de l’expression plurielle des opinions soit garanti. Ce principe

jouit d’un encadrement constitutionnel rigoureux. Ainsi, la liberté de formation des cadres

d’exercice des opinions politiques que sont les partis politiques est générale. Les activités

publiques des différents partis et groupements politiques bénéficient d’une égalité de 235Pour l’ensemble de la doctrine et la jurisprudence sénégalaises, le préambule qui se réfère à la

Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et à la Déclaration universelle du 10 décembre 1948, ne ferait pas partie de la Constitution dont il ne se borne qu’à en présenter la philosophie générale. Il faudra attendre la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans l’affaire n° 11/93 du 23 juin 1993 suite au renvoi d’une question préjudicielle par la Cour de cassation pour résoudre la question de la valeur juridique du préambule de la Constitution. El Hadji MBODJ dira à cet effet que sans être explicite, la valeur juridique du préambule a été reconnue puisque « c’est le préambule de la Constitution qui permet d’intégrer les déclarations de droit de 1789 et de 1948 dans le dispositif juridique interne. Or, le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de citer à maintes reprises ces déclarations pertinentes ». Le pouvoir judiciaire au Sénégal face aux autres pouvoirs publics : Doctrine politique et réalités, Caford, Dakar, 2001, p. 110.

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traitement sans qu’aucune distinction ne soit nécessaire entre les activités du parti politique

au pouvoir et celles de l’opposition. Les espaces de diffusion, de partage, de

communication des idées que sont la télévision, la radio, l’imprimerie, les espaces publics

gérés par les collectivités et autres structures décentralisées sont accessibles à tous.

129. D’ailleurs, les constitutions occidentales et celles de l’Afrique subsaharienne

francophone visées à travers cette étude consacrent d’abord la liberté d’opinion en

prolongeant cette consécration par la reconnaissance de la liberté de diffusion et

d’expression des idées236. La Loi Fondamentale allemande de 1949 a même choisi de

regrouper en son article 5 (1) la liberté d’opinion et ses prolongements, l’expression et la

diffusion des opinions complétées par leur corollaire, le droit d’informer et de s’informer

par la presse, la radio, la télévision et le cinéma237. Cette formulation allemande de la

liberté d’opinion évite ainsi qu’il soit opéré une scission entre la liberté d’opinion d’un côté

et la liberté de communication de l’autre. Ces consécrations constitutionnelles jettent alors

les bases de la démocratie libérale que Michaël WALZER définit comme étant : « un

système qui accepte l’existence et l’exercice de la libre expression de différentes idées

politiques, en particulier la reconnaissance des partis politiques concurrentiels »238.

130. La reconnaissance de la liberté d’opinion en tant que liberté fondamentale,

constitue alors une grande avancée constitutionnelle qui permet au citoyen d’exiger de la

part de l’État, une obligation d’abstention, mais aussi de se référer à un organe de contrôle

institué par la Constitution pour en exiger le respect : la juridiction constitutionnelle. De ce

fait, le déploiement des mécanismes de démocratie est inséparable de l’État de droit. Il en

découle que la reconnaissance de la liberté d’opinion en qualité de liberté fondamentale

répond à une nécessité : celle d’organiser l’exercice de cette liberté pour qu’elle soit

conciliable avec l’ordre public sécuritaire.

236 Déclaration des Droits de l’Homme, 1789, arts.10 et 11 ; Const. béninoise, 1990, arts. 23 et 24 ; Const.

ivoirienne, 2000, arts. 9 et 10 ; Const. sénégalaise, 2001, arts. 8 et 10. 237 L.F de la R.F.A., 1949, Art. 5 (1). 238 Michaël WALZER, Pluralisme et Démocratie, Éditions Esprit, Coll. « Philosophie », Paris, 1997, p. 60.

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B. LA MODELISATION DE LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

131. La conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire s’impose au

pouvoir politique en ce qu’elle constitue une sorte d’objectif de valeur constitutionnelle239.

La constitutionnalisation de la conciliation (1) reste toutefois problématique en raison de

l’imprécision de la notion d’ordre public sécuritaire, ce qui a pour conséquence de rendre

incertaine l’opération de conciliation (2).

1. La constitutionnalisation de la conciliation

132. À l’occasion des débats organisés devant l’Assemblée constituante chargée

d’élaborer la Constitution française de 1848, le Député républicain FRESNEAU n’était

nullement favorable à l’inscription d’un catalogue des droits et libertés dans la

Constitution. Il disait alors : « Si l’on a présenté (…) ces droits de l’État et ces droits de

l’individu, a-t-on fait quelque chose de remarquable, de bien utile au peuple (…) ? On a

tout simplement posé un problème, l’éternel problème de la conciliation du droit de

l’individu avec le droit de la société, de la conciliation de l’ordre avec la liberté »240. Cette

citation montre bien que la conciliation de l’ordre public sécuritaire avec les droits et

libertés fondamentaux, et notamment avec la liberté d’opinion reste un problème récurrent

dans la construction et la consolidation de l’État de droit. Aujourd’hui encore, la

problématique qui y est soulevée se pose même dans les grandes démocraties

contemporaines. Suivant un schéma défini, le constituant pose le principe de la

reconnaissance de la liberté d’opinion comme liberté fondamentale. Il donne ensuite

compétence au législateur d’organiser la conciliation entre la liberté d’opinion et l’ordre

239 Les objectifs de valeur constitutionnelle sont des objectifs, voire des « impératifs » que la Constitution

impose aux pouvoirs publics. Cette notion fait son apparition dans le droit constitutionnel français avec la décision n° 82-141 D.C. du 27 juillet 1982 relative à la loi sur la communication audiovisuelle. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a affirmé qu’: « il appartient au législateur de concilier (…) l’exercice de la liberté de communication telle qu’elle résulte de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme, avec (…) les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels ». Pour une analyse approfondie de la notion d’objectif de valeur constitutionnelle. Voir : Pierre de MONTALIVET, Les objectifs de valeur constitutionnelle, Dalloz, Coll. « Thèmes & commentaires », Paris, 2006.

240 François LUCHAIRE, Naissance d’une Constitution : 1848, Fayard, Coll. « Histoire des Constitutions de la France », Paris, 1998, p. 55.

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public sécuritaire. Enfin, il confie à une juridiction constitutionnelle, la mission de veiller

au respect de cette exigence d’articulation.

133. La liberté d’opinion est constitutionnellement reconnue comme une liberté

fondamentale. Cependant, ce principe est assorti d’une limite : la loi qui protège l’ordre

public sécuritaire. Comme il a été démontré, l’ordre public sécuritaire a durant les trois

décennies qui ont suivi les années 1960, constitué un excellent prétexte pour le pouvoir

politique en Afrique subsaharienne francophone. Ce subterfuge a dès lors permis que le

pouvoir politique puisse porter atteinte à la liberté d’opinion. L’excuse de l’ordre public

sécuritaire vient certainement du fait que la notion même d’ordre public tant dans sa

définition que dans ses contours reste une notion imprécise.

2. Les incertitudes de la conciliation

134. Les incertitudes de la conciliation viennent essentiellement de l’imprécision qui

entoure la notion de l’ordre public. Les constitutions qui consacrent cette notion laissent le

soin au législateur d’en définir le contenu. Pourtant, le législateur lui-même ne s’aventure

pas à en donner une définition nette et précise. Notion à contenu variable241, la définition

de cette notion pourrait alors être recherchée à partir d’une sorte de standard juridique,

d’un fonds commun, ou d’un noyau intangible242 transposable d’un État à un autre, et qui

s’adapte aux circonstances. Ce noyau dur se rapporterait au bon ordre, à la sécurité et à la

sûreté des personnes. Le cœur de l’ordre public sécuritaire est la sécurité nationale,

laquelle a pour objet : « de protéger, en vue du maintien de l’ordre, l’ensemble de la nation,

et notamment les organes du Gouvernement, de direction et de commandement, les

installations ou moyens indispensables au maintien de l’activité et à la sauvegarde des

populations »243. Cette notion était alors interprétée de façon extensive. Ainsi, en évoquant

le parcours de la notion d’ordre public en Afrique subsaharienne francophone, l’on

241 Jacques GHESTIN, « L’ordre public, notion à contenu variable, en droit privé français », in Chaïm

PERELMAN et Raymond VANDER ELST (Études publiées par), Les notions à contenu variable en droit, Bruylant, Bruxelles, 1984, pp. 77- 97.

242 Élodie BALLOT, Les insuffisances de la notion de droits fondamentaux, (Préface de Jean-François CESARO), Éditions mare& martin, Coll. « Bibliothèque des thèses », Paris, 2014, p. 435 et s.

243 Jean-Manuel LARRALDE, «La constitutionnalisation de l’ordre public », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de ) , L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? Ordre public et droits fondamentaux, op. cit., pp.213-245, spéc. p. 219.

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s’aperçoit très vite qu’en fait, toutes les atteintes faites à la liberté d’opinion visaient

essentiellement et selon des raisons officielles, son maintien.

135. Progressivement constitutionnalisée, la notion d’ordre public dans les premières

constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone a été rarement évoquée, si

ce n’est qu’à une seule reprise dans la Constitution du Sénégal de 1963 en ces termes :

« Les groupements dont le but ou l’activité seraient contraires aux lois pénales ou dirigées

contre l’ordre public sont prohibées »244. Cette notion d’ordre public au sens large sera

inscrite dans les constitutions à partir de 1990. Elle sera généralement associée à la liberté

d’opinion comme étant la limite à son exercice. Autrement dit, si tous les droits et libertés

fondamentaux sont dans leur ensemble, susceptibles de porter atteinte à l’ordre public lato sensu, la liberté d’opinion est alors celle qui représente le plus grand danger pour l’ordre

public sécuritaire. Il convient à cet effet de l’encadrer de manière stricte.

136. À cet effet, l’article 23 de la Constitution béninoise de 1990 pose ainsi l’exigence

de conciliation en ces termes : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression, dans le respect de l’ordre

public établi par la loi et les règlements (…) ». Le Constituant ivoirien de 2000 pose

également ce principe à l’article 9 de la Constitution, de la façon suivante : « La liberté de pensée et d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion religieuse ou

philosophique sont garantis à tous, sous la réserve (…) de l’ordre public ». Que laisse

supposer la non-référence à la liberté d’opinion politique ? En effet, la liberté d’opinion

politique et la liberté d’opinion philosophique ne renvoient ni aux mêmes fondements, ni

aux mêmes contenus. Le Sénégal ne restera non plus en marge de la formulation de ce

principe avec l’article 10 de la Constitution de 2001. Le texte fondamental reprend aussi à

l’alinéa 2 de l’article 12, la formulation du troisième alinéa 3 de l’article 9, de la

Constitution de 1963245.

137. Pourquoi les constituants et le législateur ne prennent-ils pas le soin de définir

clairement les contours de l’ordre public d’autant plus qu’il constitue la première limite à

l’exercice de la liberté d’opinion ? Définir la notion d’ordre public de façon générale,

244 Const. Sénégal, 1963, art. 9, al. 3. 245 Const. sénégalaise, 2001, art.12, al.2 : « Les groupements dont le but ou l’activité est contraire aux lois

pénales ou dirigé contre l’ordre public sont prohibés ».

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c’est s’aventurer sur un sentier bordé d’épines. La doctrine s’est aventurée sur le chemin

sinueux de la définition de l’ordre public sécuritaire sans grands succès. Cette notion a été

l’objet de multiples définitions qui finissent par l’obscurcir ou par l’étendre excessivement

au lieu de la préciser. Par exemple, Georges BURDEAU disait de l’ordre public en 1980,

qu’il « (…) est le reflet de l’économie générale de l’ordre juridique en vigueur à un

moment donné. Son contenu ne saurait être déterminé ne varietur, car il est fonction du

climat social que le législateur entend réaliser »246. Pour André HEURTÉ: « l’ordre public

constitue ce minimum d’organisation, d’autorité que les juridictions tant civiles

qu’administratives doivent préserver coûte que coûte, fût-ce au prix du sacrifice des

libertés individuelles »247.

138. La formulation de la conciliation entre la liberté d’opinion et l’ordre public

constitue un levier nécessaire à la fondation de l’État de droit. Et l’État de droit est un État

encadré par le droit. Le droit offre aux citoyens les moyens de combattre l’arbitraire des

gouvernants en imposant le respect du droit ou en revendiquant son rétablissement, suite à

une mesure que le juge constitutionnel qualifierait de contraire à la Constitution, norme de

référence. C’est également un État dans lequel le droit donne aux autorités publiques, les

moyens à mettre en œuvre en vue d’assurer le maintien de l’ordre public sécuritaire. Et

exceptionnellement, la règle de droit suprême dans cet État permet si les circonstances

l’exigent, que soit porté atteinte aux droits et libertés fondamentaux dont la liberté

d’opinion.

139. Le législateur reçoit donc du constituant non pas la mission de définir la notion de

l’ordre public, mais d’en fixer un cadre dont le maintien serait à concilier avec la liberté

d’opinion. De même, le juge administratif depuis que son office de contrôle des actes de

l’administration a été précisé, contribue également à la clarification de la notion d’ordre

public sécuritaire. C’est donc la loi renforcée par l’œuvre jurisprudentielle qui apprécie et

organise l’ordre public sécuritaire. L’un des domaines législatifs qui précise ce qui

constitue des limites à l’exercice de la liberté d’opinion est le droit pénal. C’est ce droit qui

246 Georges BURDEAU, Traité de science politique, Tome I- Présentation de l’univers politique, Volume I-

Société, politique et droit, 3ème éd., L.G.D.J., Paris, 1980, pp. 290- 291. 247 André HEURTÉ, « La notion d’ordre public dans la procédure administrative », Revue du Droit Public,

L.G.D.J., 1953, pp.615-648, spéc. p. 615.

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punit les « troubles à l’ordre public »248 et qui précise ainsi le cadre d’exercice de la liberté

d’opinion. Le législateur pénal montre bien alors que l’ordre public constitue le critère

essentiel d’incrimination et de sanction249 de l’exercice illégal ou abusif de la liberté

d’opinion. Ainsi, la sûreté de l’État, la défense nationale, la sécurité des personnes et des

biens sont protégés contre les crimes et les délits qui en seraient des menaces ou des

atteintes. Ces menaces ou ces atteintes peuvent être, pour la plupart, consécutives à

l’exercice de la liberté d’opinion comme l’ont démontré les différents textes de lois

codifiés en matière pénale.

140. De tout ce qui précède, l’on peut retenir que la liberté d’opinion a dans un premier

temps été l’œuvre du pouvoir constituant. Cette œuvre perfectible a permis d’amorcer la

transition démocratique dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone. Tout en

reconnaissant que la liberté d’opinion est une liberté fondamentale, le constituant lui

oppose également le respect de l’ordre public sécuritaire tant cet ordre public est un

objectif constitutionnel que les autorités politiques ont l’obligation de respecter et de faire

respecter. Avant 1990, l’office du juge africain a rarement pu contribuer à la modélisation

des rapports de conciliation entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire, tant ce

juge nouveau en Afrique a rarement été saisi en la matière. Il est alors important de se

tourner vers les fondements textuels qui ont largement contribué à définir la liberté

d’opinion et à en préciser le cadre d’exercice.

248 Nombreuses infractions, découlant de l’exercice de la liberté d’opinion, ayant pour objectif de porter

atteinte ou de troubler l’ordre public, sont sévèrement sanctionnées par le législateur pénal. 249 Agnès CERF, « Ordre public, droit pénal et droits fondamentaux », op. cit., pp. 64-65.

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– Chapitre I – Section II –

SECTION II.

LE CADRE JURIDIQUE STANDARD DE LA CONCILIATION RENFORCEE PAR DES VALEURS SPECIFIQUES

141. Le retour du constitutionnalisme dans les années 1990 a également vu ressurgir le

phénomène qu’une partie de la doctrine a pu qualifier à raison de « mimétisme » bien qu’il

s’agisse là, d’une vision réductrice des États africains250. Les similitudes des textes

constitutionnels des États de l’Afrique subsaharienne francophone avec ceux des grandes

démocraties contemporaines sont significatives. L’établissement de régimes plus proches

de la démocratie libérale et pluraliste251 conduit naturellement à analyser la consécration de

la liberté d’opinion, liberté fondamentale, sous l’angle de la comparaison avec les

démocraties occidentales.

142. Toutefois, le phénomène d’importation aveugle du modèle constitutionnel exogène

n’est pas sans risques. Ce phénomène a montré certaines limites qui tiennent notamment à

son inadaptation face à certains faits sociaux déterminants pour l’acclimatation du

phénomène constitutionnel dans les sociétés politiques en Afrique subsaharienne

francophone. Les constituants africains se sont alors évertués à souligner la spécificité de

l’environnement dans lequel doit évoluer la liberté d’opinion. Ainsi, la reconnaissance de

la conciliation s’inscrit dans le processus de construction de l’État de droit auquel les États

d’Afrique francophone proclament leur adhésion (§ I). Au-delà de l’adhésion aux principes

de l’État de droit, les États africains étudiés consolident la conciliation en tenant compte de

certaines spécificités (§ II).

250 Jean du Bois De GAUDUSSON, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs, La démocratie en

Afrique, n°129, Seuil, Paris, 2009, pp. 45-55, spéc. p. 47. 251 Ibidem.

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§ 1. LE CADRE JURIDIQUE STANDARD DE LA CONCILIATION : L’ÉTAT DE DROIT

143. Aux termes de « mimétisme » ou d’imitation servile252 employés par une partie de

la doctrine, l’on préfère celui de « conformité » de la consécration au regard des principes

et standards de l’État de droit. Yadh BEN ACHOUR affirme que le « noyau minimum de

sens »253 de l’État de droit est « le système où la volonté des gouvernants prend la forme

d’une légalité écrite hiérarchisée et connue à l’avance »254. Parmi les principes de l’État de

droit, figure la consécration des droits et libertés fondamentaux dont fait partie la liberté

d’opinion. Cette consécration est même devenue une exigence constitutionnelle moderne.

Elle permet d’affermir un pouvoir plus grand aux gouvernés, dans un régime politique

fondé en théorie sur le consentement de ces derniers. La marge d’action laissée au pouvoir

politique s’en trouve alors restreinte. Cet État de droit dont la réalisation est un objectif

constitutionnel permanent dans les constitutions, se construit à partir d’un contenu auquel

ont adhéré les constituants africains des années 1990 (A). De même, la réception de

l’héritage juridique international en matière des droits de l’Homme a également contribué à

renforcer la protection de la liberté d’opinion (B).

A. L’ADHESION SYSTEMATIQUE AU CONTENU DE L’ETAT DE DROIT

144. Dans leur ensemble, les États de l’Afrique subsaharienne francophone adhèrent

avec fermeté à l’État de droit du moins dans sa forme, comme cadre de protection de la

liberté d’opinion (1). Il reste à déterminer l’ensemble des valeurs que doit recouvrir cette

appropriation constitutionnelle (2).

1. Une adhésion de principe à l’Etat de droit formel

145. L’adhésion des États africains dans les années 1990 au concept de l’État de droit

s’est affirmée en même temps que les droits et libertés ont été reconnus comme 252 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Un espace d’isomorphisme constitutionnel : l’Afrique

francophone », in Mélanges en l’honneur de Dmitri Lavroff : La Constitution et les valeurs, Dalloz, Paris, 2005, pp. 343-358, spéc. p. 343.

253 Yadh BEN ACHOUR, « Jeux de concepts, État de droit, société civile, démocratie », in Pierre ARSAC, Jean-Luc CHABOT et Henri PALLARD (Textes recueillis et présentés par), État de droit, droits fondamentaux et diversité culturelle, L’Harmattan, Paris, 1999, pp.85-97, spéc. p. 89.

254 Idem, p. 90.

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prérogatives fondamentales. Cette adhésion « systématique » l’est dans la mesure où en

adoptant de nouvelles constitutions, ces États répudient les systèmes de parti unique, les

régimes autoritaires qui avaient à l’époque conduit au déclin de l’État en Afrique. Ils

affirment et reconnaissent implicitement de cette manière que le pouvoir politique a

manqué à ses obligations de consolidation de l’unité nationale, ce à quoi l’instauration des

partis uniques semblait répondre. L’instauration de fait d’un parti unique, qu’il soit civil ou

militaire, était perçu comme le seul moyen de réalisation de l’unité politique nationale255.

L’État avait donc failli à sa mission de protection des droits et libertés des citoyens. Le

constituant reconnaît désormais que l’État peut mal faire. Le Chef de l’État peut manquer à

sa mission de protection des citoyens. Jacques CHEVALLIER exprime l’intérêt du

constituant pour la notion d’État de droit en ces termes : « Cette promotion s’explique par

des considérations variées : la perte de fiabilité d’un État qui n’apparaît plus seulement

comme un instrument de promotion et de sécurisation collective mais comme un agent

possible d’oppression ; l’accent mis sur l’individu face au pouvoir et sur la défense de ses

droits et libertés fondamentaux contre la dictature des majorités démocratiques ; la

redécouverte du droit comme moyen de refondation du lien social et comme dispositif de

limitation de l’emprise étatique »256.

146. Présenté classiquement sous trois formes, l’État de droit est pour certains dans sa

conception formelle, un État qui agit grâce au droit qui lui donne pouvoir et compétences.

Dans sa conception matérielle, il s’agira d’un État qui est soumis au droit, le droit étant la

clef qui actionne le mécanisme de fonctionnement de l’État. Dans sa conception

substantielle, l’État de droit est considéré comme un État dont le droit respecte quelques

principes inhérents au bon et au juste. Pourtant, comme l’a démontré Jacques

CHEVALLIER, ces trois approches sont en fait intimement liées. Une définition de l’État

de droit qui n’inclurait pas l’un ou l’autre de ces aspects serait faussée parce

qu’incomplète257. L’État de droit, peut se concevoir comme la situation politique et

constitutionnelle d’un pays lorsque le pouvoir politique titre sa légitimité du droit, et par

255 Stéphane PIERRÉ-CAPS, Droits constitutionnels étrangers, op. cit., p. 191. 256 Jacques CHEVALLIER, « L’État de droit », Revue du Droit public, n°2, Mars-avril 1988, pp. 313-380,

spéc. pp. 314-315. 257 Jacques CHEVALLIER, « L’État de droit », op. cit., p. 315.

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voie de conséquence, son existence légale258. Raymond CARRÉ de MALBERG, pour

définir l’État de droit, mettait en exergue l’opposition de cette notion à l’État de police.

L’État de droit est pour cet auteur, « un État qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la

garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant

qu’il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits

réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront

être employés en vue de réaliser les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet

commun de limiter la puissance de l’État, en la subordonnant à l’ordre juridique qu’elles

consacrent »259. Quant à l’État de police, il le définit comme : « celui dans lequel l’autorité

administrative peut, d’une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou

moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures, dont elle juge utile de prendre

par elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque

moment les fins qu’elle se propose »260. L’autolimitation à travers ce que la doctrine

juridique française a qualifié de « principe de légalité », ou encore « principe de

juridicité », dans sa forme la plus complète261, est donc le fer de lance de la notion de l’État

de droit tel que démontré par la pensée juridique allemande sous la forme de la théorie du

Rechtsstaat au XIXème siècle.

147. Vitrine attirante sur la scène politique internationale, les valeurs de l’État de droit

font recette262 et sont proclamées par la plupart des États, du moins en théorie. Même les

États dont la qualification d’États démocratiques fait l’objet de débats comme les pays de

l’Europe de l’est263, et ceux dits du Sud264, ils affirment constitutionnellement leur

258 Voir à cet effet : Léo HAMON, « L’État de droit et son essence », Revue française de Droit

constitutionnel, n°4, 1990, pp. 699-712. 259 Raymond CARRÉ de MALBERG, Contribution à la Théorie générale de l’État (Préface d’Éric

MAULIN), Tome I et II, Dalloz, Paris, 2004, p. 489. 260 Ibidem. 261 Jean-Marie PONTIER, « L’irrémédiable imperfection de l’État de droit », Revue de la Recherche

Juridique. Droit prospectif, n°2, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2008, pp. 733-769. 262 Léo HAMON, « L’État de droit et son essence », op. cit., p. 699. 263 Voir par exemple l’art.1, al.1 de la Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 : « La

Fédération de Russie- Russie est un État démocratique, fédéral, un État de droit ayant une forme républicaine de gouvernement » ; Art.1 de la Constitution ukrainienne du 28 juin 1996 : « L’Ukraine est un État de droit souverain, indépendant, démocratique et social » ; Art.1, al.1 de la Constitution de Biélorussie adoptée le 24 novembre 1996 : « La République de Biélorussie est une État de droit social, démocratique et unitaire »

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attachement à l’État de droit. Il s’agit en fait pour ces États en adhérant aux principes de

l’État de droit, d’acquérir ainsi « un minimum de respectabilité internationale »265. Les

États dans leur majorité ont compris que l’État de droit ne va pas sans garanties

constitutionnelles des droits et libertés fondamentaux et ces garanties doivent être fondées

sur « le mixte de naturalité et de rationalité qui est propre à l’homme »266.

148. Dans ce processus de construction de l’État en Afrique, la liberté d’opinion a sans

nul doute une importance indéniable en tant que composante essentielle de l’État de droit.

L’État de droit ne peut alors plus être considéré comme cette mise en scène dans laquelle

l’État doit être soumis au droit. Cet État de droit ne doit plus être aujourd’hui une notion

purement « incantatoire »267 en Afrique subsaharienne francophone surtout depuis les

années 1990.

2. Le contenu de l’État de droit

149. Pour atteindre l’objectif d’effectivité de l’État de droit, les constituants africains des

années 1990 ont bien compris que l’État de droit doit obéir à une structure et à un

contenu268 qui constituent des conditions cumulatives de son existence. À l’image des

textes fondamentaux des grandes démocraties contemporaines, les constitutions africaines

fondent l’État de droit autour de trois grands principes : la hiérarchie des normes, la

264 C’est notamment le cas en Afrique avec le Bénin qui dès le Préambule dans sa Constitution, affirme « sa

détermination par la présente Constitution [Loi n° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin] de créer un État de droit et de démocratie pluraliste (…) ». Le Sénégal dans sa Constitution de 2001 affirme : « Le respect et la consolidation d’un État de droit dans lequel l’État et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ». Le Burkina-Faso dans sa Constitution du 27 janvier 1997 s’est engagé dans le préambule à préserver les acquis démocratiques et a affirmé sa volonté : « d’édifier un État de droit garantissant l’exercice des droits collectifs et individuels (…) ». En Amérique du Sud, la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela de 1999 proclame dans son article 2 : « Le Venezuela se constitue en un État démocratique, de droit et de justice (…) ».

265 Léo HAMON, « L’État de droit et son essence », op. cit., p. 700. 266 Simone GOYARD-FABRE, L’État, figure moderne de la politique, Armand Colin, Coll. « Cursus »,

Paris, 1999, p. 95. 267 Jean du Bois De GAUDUSSON, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après

quinze de pratique du pouvoir », in Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu : Renouveau du droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2007, p. 610.

268 Jacques CHEVALLIER, « L’État de droit », Revue du Droit public, n° 2, Mars-avril 1988, pp. 313-380.

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limitation du pouvoir de l’État et la consécration des droits et libertés des citoyens269. Ces

principes qui constituent la pierre angulaire de la construction de l’État de droit sont

intimement liés entre eux. La structure de l’État de droit appelle l’aménagement de

l’appareil normatif autour du sacrosaint principe de la hiérarchie des normes, avec toutes

les conséquences qui s’y rattachent. Une norme juridique n’est valable que pour autant

qu’elle est conforme à la norme juridique qui lui est supérieure. L’unité de ces normes

s’articule autour de la Constitution qui irrigue l’ensemble du système normatif en tant que

norme suprême de référence. Quant au contenu, il renvoie à la signification de concepts

clés qui naissent et évoluent tout au long du processus de consolidation de l’État de droit.

La nature et les caractéristiques de la règle de droit, la démocratie, les libertés et le rôle de

l’État dans leurs approches matérielles et substantielles conditionnent l’État de droit dans

sa forme démocratique. Les constitutions en Afrique sont loin d’offrir à leurs populations

des garanties aussi efficaces que celles dont sont assortis les droits et libertés

fondamentaux dans les grandes démocraties contemporaines. De longues décennies

d’expériences ont contribué dans les grandes démocraties contemporaines à rendre le

système de protection effectif.

150. Les États africains ne font aucune distinction entre les différentes conceptions de

l’État de droit. En Allemagne, l’État de droit au XIXème siècle est un État qui accepte de

s’autolimiter par le droit qu’il produit. En France, cette notion renvoie à une limitation qui

n’est pas toujours du fait de l’État mais qui lui est extérieur, voire antérieur. De ce fait,

sans qu’aucune distinction ne soit faite, l’exigence de la notion renvoie généralement à

l’idée de limitation du pouvoir étatique par la règle de droit. En pratique, les constitutions

citées se satisfont d’une proclamation constitutionnelle de l’État de droit, exception faite de

la Constitution de la République du Sénégal qui donne une définition explicite de l’État de

droit. Selon le constituant sénégalais, l’État de droit est un État dans lequel « l’État et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale »270. Curieusement, le constituant ivoirien ne fait aucunement

référence à la notion. Il se réfère plutôt à la démocratie comme un idéal à atteindre avec les

moyens de l’État de droit : le respect et la protection des libertés fondamentales tant 269 Yao Biova VIGNON, « La protection des droits fondamentaux dans les nouvelles constitutions

africaines», Revue nigérienne de droit, n°3, décembre 2000, pp. 99 et s. 270Préambule Const. sénégalaise, 2001.

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individuelles que collectives, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, la transparence dans

la conduite des affaires publiques271.

151. Pourtant, cette adhésion systématique au contenu de l’État de droit laisse perplexe

une partie de la doctrine. Pour cette dernière, malgré la sincérité des affirmations et

proclamations constitutionnelles autour de l’État de droit, les moyens à mettre en œuvre

constituent plus des objectifs que des engagements272. Toutefois, le réflexe constitutionnel

qui associe l’existence de l’État de droit au respect et à la protection des droits et libertés

fondamentaux offre à la liberté d’opinion la jouissance d’un dispositif dont elle a

longtemps été privée. Ainsi, au-delà des proclamations d’attachement à l’État de droit,

c’est plutôt l’ensemble des valeurs273 de ce dispositif qu’il convient d’analyser. Cette

analyse permettra de donner à la notion, une signification concrète qui va au-delà de

l’abstraction de l’appareil normatif hiérarchisé comme l’a prétendu Hans KELSEN, en

poussant la démonstration du positivisme à son paroxysme, dans son célèbre ouvrage

Théorie pure du droit.

152. En premier lieu, la liberté d’opinion doit pouvoir s’exercer dans un État de droit

respectueux de la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs est le garant de la

liberté civile qu’est la liberté d’opinion et dont la protection en est le but, comme l’a

démontré dans son ouvrage De l’Esprit des lois, MONTESQUIEU, pour ce qu’il a appelé

liberté politique. Ce principe de séparation des pouvoirs repris par les constitutions

africaines après 1990, obéit à une distinction des trois « fonctions constitutionnelles :

légiférer-exécuter-juger »274.

153. Le pouvoir exécutif 275est le pouvoir d’exécuter la règle de droit. Il se compose du

Chef de l’État, détenteur principal276 ou détenteur exclusif 277 de ce pouvoir, et du

271 Préambule Const. ivoirienne, 2000. 272 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Droits et libertés en Afrique francophone : perspectives

constitutionnelles contemporaines », in Études offertes à Jacques Mourgeon : Pouvoir et liberté, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 319-342, spéc. p. 340.

273 Jacques CHEVALLIER, « L’État de droit », op.cit., p. 364. 274 Mauro BARBERIS, « Le futur passé de la séparation des pouvoirs », Pouvoirs, La séparation des

pouvoirs, n°143, Seuil, Paris, 2012, pp.5-15, spéc. p. 5. 275 Voir infra. Deuxième partie, Chapitre I, Section I. 276 Const. béninoise, 1990, Art. 54. 277 Const. ivoirienne, 2000, Art. 41.

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gouvernement dont le chef est le Premier Ministre278, responsable devant le Chef de

l’État279. Le pouvoir législatif, pouvoir de légiférer, peut être monocaméral (Assemblée

nationale) 280 ou bicaméral (Assemblée nationale et Sénat)281. Le pouvoir judiciaire est le

pouvoir de juger et d’interpréter la règle de droit. Il se compose au minimum des

juridictions supérieures, des Cours d’appel et des tribunaux. Alors que pour le Bénin et la

Côte d’Ivoire, la juridiction constitutionnelle n’entre pas dans le champ du pouvoir

judiciaire282, le Sénégal l’y inclut expressément283.

154. Cette séparation d’un point de vue strict distingue la fonction de juger et l’organe

qui en est chargé, des deux autres pouvoirs à connotation politique, le pouvoir exécutif et

le pouvoir législatif. Tout en constituant une arme de protection incontournable, elle

assure en principe une application et un contrôle objectif de la norme, dont le champ

d’application est relatif à l’exercice de la liberté d’opinion. Le pouvoir judiciaire ès qualité

devient alors un contre pouvoir traditionnel qui pèse de tout son poids dans la protection

constitutionnelle de la liberté d’opinion.

155. Ensuite, l’un des éléments du contenu de l’État de droit et qui conditionne

l’effectivité de la liberté d’opinion est l’instauration d’une juridiction constitutionnelle. À

l’instar de Vlad CONSTANTINESCO et de Stéphane PIERRÉ-CAPS, le

constitutionnalisme en Afrique subsaharienne francophone comme ailleurs, est né dès

l’instant où la conception verbale et proclamatrice de ce texte fondamental se mue en « une

conception efficace, et effective, de l’autorité de la loi fondamentale et de la sanction de sa

violation »284. Ce qui suppose alors que la Constitution soit la loi suprême de l’État à 278 Al. 2, art. précité ; Const. sénégalaise, 2001, Art. 53. 279 Cette responsabilité gouvernementale devant le Président de la République n’est nullement mentionnée

dans la Constitution française de 1958. En France, la responsabilité du Gouvernement devant le Chef de l’État est un secret de polichinelle. Il s’agit en fait d’une responsabilité de fait que le pouvoir constituant dérivé ignore d’inscrire dans la Constitution puisqu’en droit, la responsabilité gouvernementale ne peut être engagée que devant l’Assemblée nationale, par les mécanismes constitutionnels de la motion de censure et du refus de la confiance. Le Sénégal qui en 2001 a opté pour un régime parlementaire assume dans l’art.53 de la Constitution, la responsabilité du Premier Ministre et du Gouvernement devant le Président de la République.

280 Const. béninoise précitée, art.79; Const. ivoirienne précitée, art.58. 281 Const. béninoise précitée, Art.59. 282 Const. béninoise précitée, art.125, al.2 ; Const. ivoirienne précitée, Art.102. 283 Const. sénégalaise précitée, Art.88. 284 Vlad CONSTANTINESCO et Stéphane PIERRÉ-CAPS, Droit constitutionnel, 6ème éd. mise à jour,

P.U.F., Coll. « Thémis droit», Paris, 2013, spéc. p. 197.

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103

laquelle le peuple jure « loyalisme, fidélité et respect »285, revêtue d’un caractère

fondamental286 et que le préambule287 en est partie intégrante288. Son contenu doit être

garanti par un organe dont les décisions acquièrent une valeur hiérarchique suprême au

sein de l’appareil jurisprudentiel. Cette valeur est en toute logique similaire au texte dont

cet organe est chargé d’assurer la protection. Les décisions de la juridiction

constitutionnelle sont donc réputées « ultimes » en ce sens que cet organe « n’a pas d’autre

déterminant que la constitution qu’elle applique et qu’elle interprète de manière

définitive »289. Son pouvoir d’interprétation de la norme peut conduire à l’annulation d’une

loi ou d’un règlement290, du fait de sa contradiction à la Constitution, par le mécanisme du

contrôle de constitutionnalité des lois. Le contrôle de constitutionnalité apparaît alors

comme la sanction de la violation de la Constitution291.

156. Par ailleurs, la notion même d’État de droit qui évoque la limitation du pouvoir de

l’État par la règle de droit manquerait de pertinence si cette limitation de principe n’était

encadrée par aucun organe de contrôle. L’une des premières limites à l’action du pouvoir

d’État étant la consécration des droits et libertés des citoyens, il va sans dire que la liberté

d’opinion, liberté fondamentale de par la nature du texte qui la consacre, requiert en

principe une abstention de l’État pour son effectivité. La condition de cette effectivité est

d’abord soumise à l’indépendance du juge constitutionnel, mais aussi à l’autorité absolue

de la chose jugée qui s’attache à ses décisions. Soit que la juridiction constitutionnelle

protège la liberté d’opinion, soit qu’elle protège l’ordre public sécuritaire, soit encore

qu’elle recherche un équilibre des rapports pour leur effectivité commune, elle reste le

pilier de l’État de droit.

285 Préambule, Const. béninoise précitée. 286 Préambule, Const. ivoirienne précitée. 287 Le préambule se définit couramment comme la partie préliminaire d’une Constitution consistant en une

proclamation solennelle des principes fondamentaux de l’organisation sociale ainsi que des droits et libertés des citoyens.

288 Préambule, Const. sénégalaise précitée. 289 Vlad CONSTANTINESCO et Stéphane PIERRÉ-CAPS, op.cit, p. 223. 290 Comme c’est le cas au Bénin où les actes réglementaires peuvent être déférés au juge constitutionnel en

cas d’atteinte aux droits de l’Homme. Voir à cet effet, art.117, Const. béninoise précitée. 291 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, 32ème éd. à jour août 2015, Sirey-Dalloz, Coll. « Sirey »,

Paris, 2015, p. 44.

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157. Enfin, l’État de droit assure le déploiement et la consolidation de la liberté

d’opinion dans un contexte démocratique, lequel implique le pluralisme politique. Ce

pluralisme ne trouve un cadre propice que dans les systèmes démocratiques. Les États de

l’Afrique subsaharienne francophone définissent leur régime politique sur la base du

principe « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »292. À titre de

comparaison, la France en 1958 inscrivait également ce principe dans sa Constitution293.

Le constituant de 1949 en République Fédérale d’Allemagne n’y a pas eu recours294. Par

contre, l’ancrage du peuple allemand dans les chemins de la démocratie est admis depuis

l’adoption de cette Loi Fondamentale. En adhérant aux idéaux de la démocratie et en s’en

appropriant les principes, ces États manifestent leur volonté de tourner la page au passé

sombre de la vie politique qu’ils ont connu. Ils structurent de ce fait les principes

démocratiques autour de la liberté politique. À l’instar de Joseph BARTHÉLÉMY et de

Paul DUEZ, la liberté politique existe « lorsque le peuple est gouverné par lui-même et

choisit lui-même ses gouvernants »295. Cette liberté politique appelle à un choix d’opinion.

Et c’est là que se trouve ancré le triomphe de la liberté d’opinion dans un contexte

démocratique. Aussi, la liberté d’opinion signifie-t-elle d’abord, la liberté de choisir ses

opinions parmi plusieurs ensembles d’idées dans un domaine bien déterminé, politique ou

religieux en l’occurrence.

158. Toutefois, la liberté de choisir ses opinions implique une double réalité. En premier

lieu, le choix d’une opinion suppose l’accès à une information pluraliste. En second lieu,

ce choix n’aura tout son sens que parce que destinée au citoyen, par le biais de

l’information. L’information dans sa diversité sera reçue librement et sera éclairée par une

analyse qui se rapproche du juste raisonnable. Cette analyse donnera au citoyen la

possibilité d’adhérer à la vérité de l’information et de se forger une opinion par la suite. En

consacrant la liberté d’opinion, le Constituant est alors conscient du fait que « le respect

292 Art. 2, Const. béninoise précitée ; Art. 30, al. 3, Const. ivoirienne précitée ; Art. 1er, al. 6, Const.

sénégalaise précitée. 293 Art. 2, al. 5, Const. française précitée. 294 En 1919, la Constitution de Weimar inscrivait pourtant en son article 1er que : « La puissance étatique

émane du peuple » pour symboliser « le leitmotiv du principe démocratique ». Cf. Joseph BARTHÉLÉMY et Paul DUEZ, Traité de droit constitutionnel, Éditions Panthéon-Assas, Coll. « Les introuvables », Paris, 2004, p. 61.

295 Joseph BARTHÉLÉMY et Paul DUEZ, Traité de droit constitutionnel, op. cit., p. 62.

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d’un pluralisme considéré comme inhérent au système des démocraties libérales »296 est

indispensable pour la consolidation des acquis démocratiques.

159. La formulation d’une adhésion constitutionnelle au principe de l’État de droit doit

obéir dans la pratique à un contenu stimulant pour l’expansion de la liberté d’opinion.

Cette adhésion a été fortement influencée par l’héritage juridique légué par le droit

international public et le droit communautaire et qui après 1990, continue de peser sur

l’aménagement des rapports entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire.

B. LA RECEPTION DE L’HERITAGE JURIDIQUE INTERNATIONAL

160. Les États de l’Afrique subsaharienne francophone ont massivement adhéré aux

mécanismes internationaux et régionaux des droits et libertés fondamentaux. Ils ont ainsi

manifesté ouvertement leur volonté de reconnaître et d’inclure à leurs histoires

constitutionnelles, de grands textes internationaux qu’ils ont signés et intégrés à leur

patrimoine juridique du fait de la procédure de ratification en qualité d’États souverains.

Ces textes constituent alors avec la Constitution, un « bloc de constitutionnalité » des États

de l’Afrique subsaharienne francophone297 comme a voulu le rappeler une partie de la

doctrine en Afrique298.

161. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a été le socle de la

reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion et de l’ordre public sécuritaire en

Afrique du fait de son poids historique et philosophique. Aussi, cette Déclaration a-t-elle

toute son importance dans la reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion. Il

convient d’ajouter que l’internationalisation de la liberté d’opinion (1) et la protection

communautaire des droits et libertés fondamentaux (2) ont constitué des sources

296 Jean MORANGE, « La protection constitutionnelle et civile de la liberté d’expression », Revue

Internationale de Droit Comparé, n°2, 1990, pp.771-787, spéc. p. 774. 297 Le préambule de la Constitution béninoise fait référence à la Charte des Nations Unies de 1945 mais

celle-ci n’est pas intégrée au bloc de constitutionnalité béninois. Le préambule sénégalais va plus loin. Il constitutionnalise la Déclaration française de 1789 ainsi que tous les instruments internationaux adoptés par l’ONU et par l’OUA. Ainsi, le constituant sénégalais de 2001 offre aux citoyens sénégalais les instruments d’une protection maximale de leurs droits et libertés fondamentaux.

298 Placide MOUDOUDOU, La Constitution en Afrique. Morceaux choisis, l’Harmattan, Paris, 2012 ; Frédéric Joël AIVO, Le Président de la République en Afrique noire francophone. Genèse, mutations et avenir de la fonction, L'Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2007.

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immédiates d’inspiration pour la schématisation des rapports entre la liberté d’opinion et

l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone.

1. L’influence de l’internationalisation de la liberté d’opinion

162. Les horreurs de la seconde guerre mondiale (1939-1945) ont fini par convaincre

les vainqueurs de la nécessité de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances »299. Le maintien dans le monde d’un état de stabilité générale, dans lequel les

États ne seraient plus opposés les uns aux autres devient alors une priorité.

163. En réaction à la barbarie dont ont été victimes les Hommes à cette époque, la

Charte des Nations Unies de 1945 reconnaît les droits fondamentaux dans le préambule et

évoque les notions de dignité de la personne humaine, et d’égalité de droits des Hommes et

des femmes. Cette charte à laquelle ont adhéré les États de l’Afrique subsaharienne

francophone est intégrée dans les Constitutions, comme textes à valeur constitutionnelle300.

À cette charte qui constitue une source médiate dans la modélisation des rapports liberté

d’opinion et ordre public sécuritaire, la Déclaration universelle de 1948 s’ajoute et vient

confirmer le rôle important du droit international dans la constitutionnalisation de la liberté

d’opinion. Elle en renforce également les rapports avec cet objectif de valeur

constitutionnelle qu’est l’ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone.

164. La Déclaration universelle de 1948301 par son intitulé, marque le caractère universel

des droits de l’Homme. Si cette prétention peut donner lieu à débats pour certains droits et

libertés, la liberté d’opinion inhérente à la nature même de la personne humaine doit

pouvoir y échapper. En clair, et c’est encore plus probant en matière de liberté d’opinion,

un Homme vaut un Homme302. Une partie de la doctrine voit à travers cette reconnaissance

299 Préambule de la Charte des Nations Unies de 1945. 300 Préambule Const. béninoise, 1990. 301 Cette déclaration s’inspire d’un ensemble de textes à caractère régional, national ou international. Les

influences de la Déclaration universelle de 1948 proviennent notamment de la Magna Carta de 1215, de la Déclaration Anglaise des Droits de l’Homme de 1689, de la Déclaration des Droits de l’Homme de l’État de Virginie de 1776, de la Déclaration américaine de 1776, et bien évidemment de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.

302 Alioune Badara FALL, « Universalité des droits de l’homme et pluralité juridique en Afrique. Analyse d’un paradoxe », in Mélanges en l’honneur de Dmitri Georges Lavroff : La Constitution et les valeurs, Dalloz, Paris, 2005, pp. 359-380, spéc. p. 360.

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d’instruments internationaux, une obligation pour ces États de se conformer au

« constitutionnellement correct » théorisé par la doctrine occidentale et libérale dominante.

Cette notion de « constitutionnellement correct » « apparaît de plus en plus prégnante au

niveau mondial, exaltée par la doctrine dominante, c’est-à-dire occidentale et libérale,

parfois imposée par les instances internationales comme une condition à l’obtention de

certaines formes d’aide »303. Toujours est-il qu’en adoptant ces instruments internationaux,

les pouvoirs constituants admettent que ces instruments notamment la Déclaration

universelle de 1948304, constituent un excellent arsenal de protection supralégislative de la

liberté d’opinion. La Déclaration de 1948 constitue un véritable code de conduite pour les

États face à la personne humaine305.

165. Premièrement, ce texte reconnaît la liberté d’opinion dans son article 19. Cette

liberté d’opinion générique implique la reconnaissance de la liberté de pensée, de

conscience et de religion, laquelle est reconnue dans l’article 18 de la Déclaration

universelle Deuxièmement, il articule la reconnaissance de la liberté d’opinion autour de

deux principes fondateurs, la liberté d’opinion comme un droit et le droit de ne pas être

inquiété pour ses opinions. Ces deux principes protègent aussi bien le destinataire de

l’expression de l’opinion que l’émetteur de l’opinion. Toutefois, si la liberté d’opinion a

vocation à s’épanouir dans une société démocratique, son exercice ne saurait méconnaître

« les limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique »306.

166. L’influence de l’internationalisation de la liberté d’opinion n’a de force que celle

que lui a accordée le constituant dans le texte qu’il a élaboré. Revêtu d’une simple force

déclaratoire, la Déclaration de 1948 acquiert une véritable valeur juridique par le jeu de la

« pénétration du pouvoir [normatif international] dans des domaines relevant de

303 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Un espace d’isomorphisme constitutionnel : l’Afrique

francophone », op. cit., pp. 344-345. 304 Préambule Const. béninoise, 1990 ; Préambule Const. ivoirienne, 2000 ; Préambule Const. sénégalaise,

2001. 305 Jean-Nazaire TAMA, « Les droits de l’homme dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et

leurs applications par le juge constitutionnel », Revue juridique et politique, n°2, Avril-juin 5006, pp. 211-256, spéc. p. 212.

306 Art. 29 (2) de la Déclaration universelle, 1948.

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compétences étatiques traditionnelles, ce qui signifie désintégration ou en tout cas

ébranlement et dévaluation de la souveraineté des États »307. C’est en effet en tant qu’États

souverains que ces derniers adhèrent librement aux valeurs qu’ils reconnaissent comme

étant les leurs. Ces valeurs, en intégrant le corpus normatif des États, sont protégées contre

les atteintes qui peuvent leur être portées. La Déclaration universelle de 1948 en tant que

Déclaration ne fait qu’énumérer les droits et libertés dont sont pourvus les Hommes. Cette

énumération reste de ce fait bien fragile dans la mesure où aucun mécanisme de contrôle

ou de dissuasion ne vient compléter le dispositif dans ce texte international.

167. À la Déclaration de 1948, il convient d’ajouter le Pacte international relatif aux

droits civils et politiques de 1966. Ce texte doté d’une force juridique obligatoire fait partie

du système international de protection des droits et libertés. Il consacre la liberté d’opinion

en son article 19.1 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions ». Le texte international

interdit par ailleurs aux États, toute discrimination fondée sur les opinions308.

168. Au-delà des grands textes internationaux, le mouvement d’intégration

communautaire des droits et libertés fondamentaux en Europe et en Amérique a également

permis aux États africains dans leur ensemble, d’adhérer à des valeurs protectrices de la

personne humaine.

2. L’influence de la régionalisation des droits et libertés

169. Les premiers mouvements de communautarisation des droits et libertés

fondamentaux furent amorcés avec la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et

des libertés fondamentales. Cette Convention adoptée à Rome en 1950 par les États

membres du Conseil de l’Europe est communément appelée Convention européenne des

droits de l’Homme309. Elle fut ainsi la manifestation de la volonté de protection de ces

droits et libertés, avec la mise en place d’un système européen de garantie des droits et

libertés fondamentaux. Ce système européen est protégé par la Cour Européenne des 307 Aristovoulos MANESSIS, « La Constitution au seuil du XXIème siècle », in Mélanges en l’honneur de

Nicolas Valticos : Droit et Justice, Éd. A. Pedone, Paris, 1999, pp. 673-694, spéc. p. 683. 308 Art. 26 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques de 1966. 309 Aux termes de l’article 56 (ancien article 53), la Convention européenne des droits de l’Homme,

n’incluait pas dans son champ d’application les colonies, sauf déclaration expresse de l’État colonial. Elle ne pouvait donc pas s’appliquer aux territoires colonisés de l’Afrique subsaharienne francophone sauf déclaration expresse de la France, ancienne puissance coloniale.

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109

Droits de l’Homme (C.E.D.H.), véritable organe juridictionnel permanent de protection des

droits et libertés fondamentaux dans le cadre de la Convention310. D’ailleurs, moins de dix

ans après l’adoption de la Convention, la C.E.D.H. précise que le but de la Convention

européenne des Droits de l’Homme est d’instaurer un ordre public des démocraties

européennes pour sauvegarder leur patrimoine commun de traditions politiques, d’idéaux

de liberté et de prééminence du droit311. La Convention, texte de référence en la matière,

consacre en ses articles 9 et 10, la liberté de pensée, de conscience et de religion de même

que la liberté d’expression. Elle considère de ce fait la liberté d’opinion comme une

composante de la liberté d’expression. L’Union Européenne, en tant qu’organisation

régionale réunissant vingt-huit États européens, s’est également dotée d’un texte de

référence en la matière312.

170. Les États du continent américain ont suivi ce processus de communautarisation des

droits et libertés fondamentaux en novembre 1969, dans le cadre de l’Organisation des

États Américains. La liberté de conscience et de religion de même que la liberté de pensée

et d’expression qui sous-tendent la liberté d’opinion y sont consacrées aux articles 12 et 13

de la Convention. De plus, deux organes sont chargés d’assurer la protection des droits

consacrés par le texte communautaire : la Commission interaméricaine des Droits de

l’Homme et la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme.

171. En juin 1981, l’Afrique emboîte le pas à l’Europe et à l’Amérique, en instituant un

instrument conventionnel, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

(C.A.D.H.P.), dans le cadre de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.). Cette charte,

autant que les deux conventions précédentes, s’appuie sur la Charte des Nations Unies de

1945 et sur la Déclaration universelle de 1948. Tout en reconnaissant les droits de

l’Homme à caractère universel, cette Charte est aussi la manifestation de la particularité 310 Il a existé une Commission européenne des Droits de l’Homme qui siégea de juillet 1954 à Octobre 1999

à Strasbourg. Cette Commission faisait également partie du système juridictionnel de protection des Droits et des libertés fondamentaux. Elle a été supprimée du fait du caractère permanent de la C.E.D.H depuis 1998.

311 Comm. EDH, 11 janv. 1961, Autriche c/ Italie, Annuaire IV, p. 139. Cité par Jean-François RENUCCI, Droit européen des droits de l’Homme. Contentieux européen, 4ème éd., L.G.D.J, Coll. « Manuel », Paris, 2010, p. 16.

312 Les droits et libertés fondamentaux ont en décembre 2000, fait l’objet d’une Charte adoptée par les États membres de l’Union Européenne. L’article 11 de la Charte consacre la liberté d’opinion en tant que composante de la liberté d’expression. Adoptée sous l’intitulé de la « Charte des droits fondamentaux » de l’Union Européenne, la protection de ce texte est assurée par la Cour de Justice de Luxembourg.

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110

des principes et valeurs de la société africaine. Maurice KAMTO disait à cet effet : « La

Charte Africaine est héritière de l’importante tradition normative qui l’a précédée en

matière de protection des droits de l’Homme. On le conçoit aisément. Ces rédacteurs n’ont

pas créé ex nihilo un corpus juridique dans ce domaine. Il n’en reste pas moins que

l’Afrique a voulu également y affirmer ses spécificités en exaltant certaines valeurs qu’elle

revendique comme lui étant propre ou comme reflétant ses préoccupations fondamentales

en matière des droits de l’homme »313. Des droits et des devoirs y sont clairement

reconnus. Les droits ne s’y conçoivent pas sans les devoirs. La liberté d’opinion y est

consacrée dans les articles 8 et 9, et fait partie intégrante de la liberté de conscience et de

religion et de la liberté d’expression. Pour en assurer le respect et la protection, l’O.U.A. en

confie d’abord la responsabilité à une Commission africaine des Droits de l’Homme et des

Peuples, instituée à l’occasion de l’adoption de la Charte en 1981. Maurice Ahanhanzo

GLÈLÈ montrait bien que malgré ses « virtualités et ses limites »314, cette charte n’est pas

un simple document déclaratoire. Elle est « porteuse d’un projet de société fondée sur le

règne et la primauté du droit. Les auteurs ont voulu lui conférer la solennité à cause de la

majesté, de la permanence dans leur essence et de la dynamique des principes et des droits

qu’elle énonce et garantit »315. Dix-sept ans plus tard, soit le 10 juin 1998, à l’occasion de

l’adoption du Protocole portant création d’une Cour Africaine des Droits de l’Homme et

des Peuples, la protection des Droits de l’Homme en Afrique s’en trouve renforcée par un

organe pleinement juridictionnel qui complète ainsi le dispositif assuré par la Commission.

En 2004, cette Cour acquiert la personnalité juridique à l’occasion de l’entrée en vigueur

de son acte constitutif. Il est clair que certaines dispositions de la C.A.H.D.P sont jugées

trop larges voire lacunaires, notamment pour ce qui concerne la liberté de conscience et de

religion, de même que la liberté d’expression. Elle laisse dans ce domaine des libertés, une

313 Jean-François FLAUSS et Élisabeth Lambert- Abdelgawad, L’application nationale de la Charte

africaine des droits de l’Homme et des peuples, Nemesis-Bruylant, Coll. « Droit & Justice », Bruxelles, 2004, p. 13.

314 Maurice Ahanhanzo GLÈLÈ, « La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : ses virtualités et ses limites », Revue de Droit Africain, n° 1, Janvier-Février-Mars 1985.

315 Maurice Ahanhanzo GLÈLÈ, « Introduction à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples », in Études offertes à Claude-Albert Colliard : Organisation de l’Unité Africaine, Pedone, Paris, 1984, p. 517.

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111

marge d’appréciation trop importante aux États qui sont libres de prendre les mesures

restrictives qu’ils jugent « nécessaires » pour préserver l’ordre public sécuritaire316.

172. Les constitutions africaines dont celles du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal

renforçaient le dispositif de protection de la liberté d’opinion, et plus généralement des

droits et libertés fondamentaux, en ajoutant à leurs blocs de constitutionnalité, la

C.A.D.H.P. Ces droits et libertés font ainsi corps avec les préambules de ces lois

fondamentales317. Soucieux de la valeur juridique rattachée à la Charte dans son dispositif

normatif national, le Bénin proclame dans son préambule son attachement à la

C.A.D.H.P. « dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du

droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ». Frédéric Joël AIVO dira

même qu’en « annexant ce document à la Constitution béninoise, le constituant marque

consciemment ou non, son attachement à l’idée de contextualisation et de régionalisation

des droits de l’Homme que véhicule ce texte. Il reprend également au bénéfice et même, en

certains points au débit du citoyen, la conception et le poids de la notion de “ droits et

devoirs des peuples ” considérée comme dérogatoire au plein épanouissement de

l’individu »318.

173. En définitive, les grands textes internationaux ratifiés par les États africains

acquièrent une valeur supralégislative qui s’imposent aux législateurs des différents États.

Toutefois, l’adaptation de ces normes au contexte africain passe nécessairement par la

316 Outre l’Union Africaine qui est une organisation dont peuvent être membres tous les États du continent

africain, il existe au niveau sous-régional des organisations dont l’objectif est également la protection des droits de l’Homme. En Afrique de l’Ouest notamment, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) créée en 1975 comprend au sein de ses institutions communautaires, une Cour de justice de la communauté. L’office de juge de cette cour a été enrichi grâce aux nombreuses saisines de nationaux contre les États membres. Les saisines ont eu pour principal objet, la protection des droits et libertés fondamentaux et la réparation des atteintes faites aux dits droits et libertés. L’arrêt n°ECW/CCJ/JUD/03/13 du 22 février 2013, Simone EHIVET et Michel GBAGBO c./ République de Côte d’Ivoire, en est une parfaite illustration.

317 Sur la base des différents sens proposés par Carl SCHMITT, les lois fondamentales feront référence à des normes relativement intangibles et particulières portant sur l’organisation de l’État à travers la reconnaissance des droits fondamentaux, la séparation des pouvoirs, le principe représentatif. Voir Carl SCHMITT, Théorie de la Constitution (Traduit de l’allemand par Lilyane Deroche et Olivier Beaud), P.U.F., Coll. « Quadrige », Paris, 2008, pp. 173-174. En Afrique, ces lois fondamentales ont fait leur apparition dans les années 1990. Toutefois, pour des raisons de simplicité, les constitutions adoptées dans les années 1990 par les États étudiés seront également désignées comme des lois fondamentales dans le cadre de cette étude.

318 Frédéric Joël AIVO, Le juge constitutionnel et l’état de droit en Afrique : l’exemple du modèle béninois, l’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2006, p. 80.

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prise en compte de certaines spécificités africaines. Ces spécificités influencent fortement

la perception de l’exercice de la liberté d’opinion et celle de ses rapports avec l’ordre

public sécuritaire.

§ 2. LA PARTICULARITE DE LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DE LA LIBERTE D’OPINION

174. Les constitutions sont la traduction normative d’une réalité historique qui fonde les

valeurs politiques et sociales des États dont elles constituent le symbole. Elles sont

formulées au regard des faits qui ont pour certains accompagné la construction et la

consolidation des États. Pour d’autres, elles servent à travers leurs préambules à rappeler

les faits ayant mis en danger les acquis démocratiques des États. De ce fait, des

interdictions qui pour le constituant occidental paraissent évidentes, et dont il se passe bien

d’en mentionner une proscription expresse, ne sauraient passer sous silence pour le

constituant africain.

175. En Afrique, la communauté joue un rôle très important dans la vie de l’individu.

Cette communauté s’agrège autour de valeurs communes. Elles sont une communauté de

langue, de culture et de conscience de groupe de même qu’une communauté de croyance

en une entité suprême qui a toujours régi la vie du groupe. Dans les États décolonisés, le

phénomène ethnique et le phénomène religieux sont fortement liés. Ils peuvent à la fois

contribuer à l’émergence d’États forts, mais aussi à leur décadence. Vlad

CONSTANTINESCO et Stéphane PIERRÉ-CAPS affirmaient que « la création de l’État

décolonisé est concomitante à l’apparition de la nation, la constitution se voyant alors

impartir l’impossible tâche de créer tout à la fois un État et d’édifier un pouvoir politique,

mais aussi de construire une nation unifiée et homogène de citoyens »319.

176. De ce fait, la prise en compte de la diversité ethnique (A) et l’encadrement

constitutionnel de la diversité religieuse (B) constituent le point d’ancrage nécessaire à

l’exercice de la liberté d’opinion. Ils forment aussi les limites constitutionnelles,

nécessaires au maintien de l’ordre public sécuritaire. Ces limites sont nécessaires,

puisqu’ainsi que l’a souligné Pierre LAMBERT reprenant l’idée de Wagdi SABETE,

319 Vlad CONSTANTINESCO et Stéphane PIERRÉ-CAPS, Droit constitutionnel, 6ème éd. mise à jour,

P.U.F., Coll. « Thémis droit», Paris, 2013, p. 301.

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113

si « l’idée de la liberté était absolue et s’il n’existait aucune limite à son exercice, elle

risquerait de s’autodétruire »320.

A. LA PRISE EN COMPTE CONSTITUTIONNELLE DE LA DIVERSITE ETHNIQUE

177. Le continent africain en général et la région subsaharienne en particulier ont en

commun l’usage de la langue française et sont gouvernés par des réalités que l’on ne

saurait ignorer. Les communautés ethniques en sont une. Le constituant africain fait bien

alors de reconnaître l’existence d’un pluralisme ethnique, ce qui constitue une richesse(1).

Toutefois, il interdit que cette diversité ethnique soit instrumentalisée et puisse porter

atteinte tant à la liberté d’opinion elle-même qu’à l’ordre public sécuritaire (2).

1. La constitutionnalisation de la diversité ethnique

178. La consécration constitutionnelle de la liberté d’opinion ne saurait être une menace

pour l’ordre public sécuritaire. Les constituants africains l’ont bien compris. Cette

consécration devait donc être l’occasion de préciser le cadre d’exercice de la liberté

d’opinion dans des États enclins à certaines réalités spécifiques. Ces réalités peuvent

s’avérer tout aussi utiles que nuisibles pour la construction et la consolidation de l’État de

droit en Afrique. Le phénomène ethnique en fait partie. Jean-François BAYART

reconnaissait à juste titre : « On ne peut nier l’existence, voire l’irréductibilité des

consciences ethniques »321 en Afrique. La notion d’ethnie ne saurait relever exclusivement

de la géographie humaine et rester étrangère à l’étude du droit constitutionnel. En effet, le

droit constitutionnel définit l’État en y incluant l’élément humain qu’est la population322.

Cette dernière, non homogène de par la diversité des origines qui peuvent la composer, ne

saurait alors être ignorée dans ses différentes composantes. La reconnaissance des

différentes communautés ethniques se conjugue pourtant avec la volonté de construire des

320 Cité par Pierre LAMBERT, « Trop de liberté tue la liberté », in Mélanges en l’honneur de Jean-Paul

Costa : La conscience des droits, Dalloz, Paris, 2011, pp.379-389, spéc. p. 380. 321 Jean-François BAYART, L’État en Afrique. La politique du ventre, Fayard, Coll. « L’espace du

politique », Paris, 2006, p. 66. 322Voir à cet effet, la définition de l’État que propose une partie de la doctrine : Joseph BARTHÉLÉMY et

Paul DUEZ, Traité de droit constitutionnel, Éditions Panthéon-Assas, Coll. « Les introuvables », Paris, 2004, p. 284. : « L’État est une société organisée [population], soumise à une autorité politique et attachée à un territoire déterminé ».

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peuples unis, ainsi que l’ont affirmé les constituants à travers les formules : « nous, peuple… », ou « le peuple… », dans les différents préambules. Le peuple est une pluralité

d’individus constituant une unité323. Cette référence à une unité humaine autour de la

notion de peuple est de nature à nuancer le pluralisme ethnique et linguistique. La

République Fédérale d’Allemagne dans une perspective comparatiste rappelle également

que c’est « le peuple allemand » qui s’est donné la Loi fondamentale de 1949. L’adoption

de cette loi fondamentale fait suite à la ratification du texte par « les représentations du peuple »324.

179. Pierre PACTET et Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN rappellent que selon une

signification largement admise, l’État est « une communauté nationale particularisée par

son passé et par une certaine unité, qui peut devoir davantage à la volonté et aux efforts des

hommes qu’aux données naturelles, notamment si des populations différentes sur le plan

ethnique et linguistique cohabitent dans le cadre d’une même communauté »325. La

cohabitation sur un même territoire de populations différentes de par la langue et l’ethnie

est une réalité dans les États africains.

180. En Afrique subsaharienne francophone, la notion d’ethnie est associée à la réalité

du continent. À titre d’exemple, la Côte d’Ivoire ne compte pas moins de soixante ethnies,

ce qui pourrait alors constituer un terreau fertile pour les leaders d’opinion peu scrupuleux. 323 Hans KELSEN, La démocratie. Sa nature-Sa valeur (Préface de Philippe RAYNAUD), Dalloz, Coll.

« Bibliothèque Dalloz », Paris, 2004, p. 14. 324 Qu’il s’agisse des États fédéraux comme la R.F.A. ou des États unitaires comme la France et la majorité

des États de l’Afrique subsaharienne francophone, la notion de peuple constitue un important moyen préventif face aux tentations de revendications nationalistes. En Allemagne, les länder constituent les différentes représentations du peuple allemand puisque la R.F.A est un État fédéral. Ces länder sont le résultat de la fragmentation territoriale de l’Allemagne. Pourtant, les populations de ces territoires ne sauraient revendiquer la qualité de peuple différencié. Tous les länder aussi spécifiques soient-ils, constituent à part égale des composantes du peuple allemand. En France, la notion de peuple a fait l’objet d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel en date du 9 mai 1991. Dans le considérant n°13 de la décision n°91-290 D.C. du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel a affirmé qu’en raison du caractère indivisible de la République Française, la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » était contraire à la Constitution du 4 octobre 1958. Selon le Conseil constitutionnel, la Constitution française de 1958 ne connaît « que le peule français composé de tous les citoyens français ». Voir note Dominique ROUSSEAU, « La constitutionnalité d’un statut propre à la Corse », Revue des sciences administratives de la Méditerranée orientale, 1990, pp. 63-74 ; Christine HOUTEER, « Le Conseil constitutionnel et la notion de peuple corse », Les petites affiches, n°74, 1991, p. 15 ; Louis FAVOREU, Revue française de droit constitutionnel, 1991 ; Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Pouvoirs, 1991, n°59, novembre 1991, p. 221.

325 Pierre PACTET et Ferdinand MÉLN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, 32ème éd., Sirey, Coll. « Sirey université », Paris, 2013, p. 33.

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115

La réalité ethnique dans cette partie du continent africain est un élément déterminant dans

la vie politique, puisqu’elle est un excellent moyen de participation politique.

181. L’ethnie se définit comme un groupement humain qui possède une structure

familiale, économique et sociale homogène, et dont l’unité repose sur une communauté de

langue, de culture et de conscience de groupe. Il existe ainsi autant d’ethnies que de

communautés de langues. Le constituant sénégalais désigne de ce fait dans la loi suprême,

les langues qu’il qualifie de nationales326. Par ailleurs, le groupement humain réuni autour

d’une même langue se retrouve également autour d’une même région du territoire national.

Contrairement à l’occident qui voit dans la notion de régionalisme une valeur positive

participative de la démocratie en ce sens que le citoyen se sent plus proche du pouvoir, en

Afrique subsaharienne francophone, le régionalisme n’y a pas la même acception. Le

régionalisme en Afrique se réfère à un régionalisme ethnique. Ce régionalisme repose sur

une solidarité entre différentes ethnies. Mwayila TSHIYEMBE le dit si bien : « Ce

sentiment de solidarité, base que l’Occident appelle “sentiment national”, se manifeste en

Afrique non pas au niveau de l’État (l’État-nation) mais à des niveaux inférieurs : les

différentes ethnies. Ainsi l’unité nationale en Afrique ne correspond encore à aucune

réalité sociale concrète, alors qu’au contraire les solidarités régionales demeurent les plus

puissantes»327. Ce fort sentiment d’appartenance à une ethnie, beaucoup plus qu’à une

nation, fragilise la construction et la consolidation d’un État autour d’une nation forte et

unie. De plus, l’État dont la mission première est la préservation et la satisfaction de

l’intérêt général, doit faire face à une fragmentation de cet intérêt général en intérêts

particuliers propres à chaque région, voire à chaque ethnie. Et très souvent, ces différents

intérêts entrent en conflit.

182. En conséquence, la liberté d’opinion ne saurait être instrumentalisée à dessein.

Cette liberté fondamentale s’épanouit dans un environnement constitutionnel qui reconnaît

les moyens de formation et d’expression de celle-ci. Sa consécration s’accompagne en

toute logique, de la reconnaissance des partis politiques. En principe, ces partis politiques

326 Aux termes de l’article 1er, al.2 de la Constitution sénégalaise de 2001, les langues nationales sont le

Diola, le Malinké, le Sérère, le Soninké, le Wolof et toute autre langue nationale qui sera codifiée. 327 Mwayila TSHIYEMBE, État multinational et démocratie Africaine : Sociologie de la renaissance

politique, l’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2001, p. 72.

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116

se forment librement dans les États démocratiques. En revanche, cette liberté de création

est soumise à des devoirs dans certains États et à des obligations dans d’autres. Cette

dernière hypothèse est celle qui régit la liberté de création des partis politiques dans les

États de l’Afrique subsaharienne francophone. La liberté de création est en conséquence

soumise à une obligation de respect des interdictions en la matière.

2. L’interdiction constitutionnelle d’instrumentalisation de la diversité ethnique

183. Les partis et groupements politiques peuvent en l’absence de toute interdiction

expressément mentionnée se servir à dessein de cette réalité sociale et manipuler l’opinion

publique pour atteindre leurs fins. Le conflit rwandais de 1994 en est un bien triste

exemple. Ce conflit politico-militaire ethnicisé a conduit à un génocide avec le massacre de

plus de 800000 rwandais selon l’ONU328. Richesses et dangers pour la consolidation de

l’État en Afrique, l’instrumentalisation du régionalisme et de l’ethnie peuvent devenir des

spécificités à hauts risques.

184. En tout état de cause, l’opinion politique en Afrique, comme dans la plupart des

États post coloniaux en transition démocratique, est fortement marquée par l’appartenance

communautaire voire le repli communautaire, du fait de la fragilité de l’unité nationale.

Les individus se replient alors sur leurs communautés ethniques. De plus, ceux-ci ont le

sentiment qu’ils partagent avec le leader d’opinion politique issu de la même ethnie

qu’eux, les mêmes réalités. Ils aspirent quasiment aux mêmes attentes. Ajouté à cela, les

individus se reconnaissent dans un parti, non pas du fait du programme de ce parti, mais du

fait de l’appartenance ethnique du leader de ce parti. Le sentiment de solidarité,

d’obéissance et de respect, détermine en ce sens le comportement politique de l’individu.

En d’autres termes, ce repli de l’individu sur la communauté aboutit à une forte

ethnicisation de l’opinion politique qui commande le comportement politique des uns et

des autres. Et comme le souligne Pierre-François GONIDEC, « la persistance des ethnies

328 Le génocide aux termes de l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide du 9 décembre 1948 est : « l’un quelconque des actes (…) commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel(…) »

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117

ou la coexistence de races différentes peuvent être considérées comme génératrice de

forces politiques »329.

185. Conscients des risques rattachés à l’influence de l’ethnicisation de la vie politique,

du régionalisme et de l’ethnoclientélisme330, les constituants béninois, ivoiriens et

sénégalais les ont expressément interdits. Pour prévenir tout problème lié à l’identité

linguistique de ces États, les constitutions affirment que le français est la langue

officielle331. Les différentes populations qui coexistent sur les territoires de ces États

doivent se reconnaître autour de la langue officielle. Pourtant, ces populations semblent

s’identifier plus à la communauté locale qu’à la communauté nationale qu’entend former le

constituant en instituant une communauté linguistique officielle. Cette communauté

linguistique devient ainsi le garant de l’unité de la nation. Par conséquent, les lois

fondamentales des différents États posent formellement un certain nombre d’interdictions,

telle que l’interdiction de constituer les fondements de la création et des activités des partis

et groupements politiques sur des bases ethniques. C’est l’exemple du peuple de Côte

d’Ivoire qui tout en étant « conscient de sa diversité ethnique », interdit à travers la

Constitution de 2000, les partis ou groupements politiques à caractère régional, tribal,

ethnique ou racial332. Le Sénégal a également constitutionnalisé cette interdiction qui

s’applique aux partis politiques et coalitions de partis politiques, avec des termes

pratiquement similaires à ceux de l’article 13 de la Constitution ivoirienne.

186. Le risque que représente la diversité ethnique pour l’ordre public sécuritaire est que

l’opinion politique puisse être fortement manipulée par la propagande ethnique dont les

leaders politiques peuvent être à l’origine. La propagande peut atteindre son paroxysme en

329 Pierre-François GONIDEC, Les systèmes politiques africains, 2ème éd., L.G.D.J, Coll. « Bibliothèque

africaine et malgache », Paris, 1978, p. 35. 330Frédéric Joël AÏVO définit l’ethnoclientélisme comme : « une pratique consistant à octroyer des

privilèges de toute nature, des promotions de tout genre, prioritairement et éventuellement par dérogation aux règles et principes établis, aux membres d’un groupe ethnique, généralement celui du Chef de l’Etat ou ceux proches de lui ». Le Président de la République en Afrique noire francophone. Essai sur les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, Thèse pour l’obtention du doctorat en droit, Université Jean Moulin Lyon III, dactyl., 2006, p. 194.

331 Art.1er, al. 6, Const. du Bénin, 1990 ; Art. 29, al.3, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art.1er, al. 2 Const. Sénégal, 2001.

332 Art.13 Const. ivoirienne précitée. Cette interdiction n’existait pas d’un point de vue constitutionnel dans la loi fondamentale de 1960. Les évènements post coloniaux depuis le parti unique jusqu’au coup d’État de décembre 1999 ont fini par convaincre le constituant de l’y inscrire de façon expresse.

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prenant la forme d’un endoctrinement de masse. Cet endoctrinement profite de surcroît de

la faiblesse d’une réelle communauté nationale structurée et solidaire. L’ordre public

sécuritaire se trouve alors exposé à des menaces de fragmentation communautaire qui

peuvent déboucher sur des affrontements entre communautés, ce qui n’est pas étranger aux

réalités africaines. En fait, la diversité ethnique est bien souvent maîtresse avec la diversité

religieuse de la vie politique en Afrique. Elle a fortement contribué ces dernières années à

un multipartisme excessif dans la vie politique des États africains au sud du Sahara. Et

pourtant, le multipartisme n’est pas le garant par excellence, voire un gage de qualité de la

liberté d’opinion, encore moins de la démocratie. En effet, comme le dit Béchir BEN

YAHMED, « (…) si le parti unique est la dictature, le multipartisme n’est pas la

démocratie, tant s’en faut. Il est à la démocratie ce que le sel est à la cuisine : un ingrédient

nécessaire et dont, au surplus, il est facile d’abuser. Certes, il y a de bons repas sans sel.

Mais le sel ne fait pas un repas à lui seul. Ceux des peuples africains qui se contenteront du

multipartisme comme pâture démocratique ne tarderont pas à s’apercevoir qu’ils sont

restés sur leur faim »333. En dépit de la métaphore simpliste qu’elle renferme, cette vision a

l’avantage de souligner le réalisme dont est empreint le multipartisme en Afrique.

187. Longtemps appréhendé dans une Afrique précoloniale, l’influence du phénomène

ethnique sur la vie politique n’a pourtant jamais disparu de la sphère du politique.

Aujourd’hui, le multipartisme en Afrique témoigne de la diversité ethnique et régionale sur

ce continent. De ce fait, la liberté d’opinion, véritable fleuron de l’expansion de la

démocratie, nécessaire à la consolidation de l’État de droit, peut aussi en être le malheur.

Par conséquent, le risque de désagrégation des nations en construction en Afrique

subsaharienne francophone est élevé. Les constituants s’assurent donc que les interdictions

constitutionnelles de l’ethnicisation et de la régionalisation de la liberté d’opinion

constituent des dispositifs dissuasifs qui réduisent considérablement le risque d’atteinte à

l’ordre public sécuritaire.

188. La diversité ethnique se double bien souvent d’une spécificité religieuse. Cette

particularité n’a pas été ignorée dans le cadre de la consécration de la liberté d’opinion et

333 Bechir BEN YAHMED, « Le multipartisme n’est pas la démocratie », Jeune Afrique, n° 1582, du 24 au

30 avril 1991, p. 19

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119

des mécanismes de protection de l’ordre public sécuritaire contre les dérives qui peuvent

résulter de son exercice.

B. L’ENCADREMENT CONSTITUTIONNEL DE LA DIVERSITE RELIGIEUSE

189. La religion en Afrique subsaharienne francophone fait partie intégrante de la

construction de l’individu et gouverne ses actions dans ses rapports avec les autres. Elle

peut également gouverner ses rapports avec le pouvoir politique. Les constitutions des

États considérés reconnaissent alors l’apport de la religion et de la diversité religieuse dans

la construction de l’État de droit (1). Cette reconnaissance n’est cependant pas un prétexte

pour que cette diversité religieuse soit une occasion de porter atteinte à la liberté d’opinion

et à l’ordre public sécuritaire (2).

1. La constitutionnalisation de la diversité religieuse

190. L’encadrement constitutionnel de la diversité religieuse part du principe de la

consécration constitutionnelle de la liberté d’opinion religieuse. En effet, d’une région à

une autre, la religion occupe une place de choix dans les cultures africaines. Trois grands

courants traversent ainsi l’Afrique subsaharienne francophone : les religions traditionnelles

ou l’animisme334, l’islam et le christianisme. L’État n’a alors fait qu’admettre en

consacrant au sein de la Constitution, une situation préexistante qui offre un cadre légal à

l’expression de la liberté de religion. Pourtant, beaucoup plus qu’en matière politique, la

liberté d’opinion en matière religieuse est un domaine dans lequel la position de l’État est

plus délicate. Cette liberté concerne au-delà de la personne humaine, son âme. Elle est

alors bien plus complexe que ne peut l’appréhender le droit constitutionnel tout seul. Elle

est un pouvoir qui conditionne la façon d’agir des individus dans leurs rapports privés mais

aussi dans leurs rapports avec l’État. À la fois droit-puissance et droit créance335, la liberté

d’opinion religieuse dans son expression ne concerne pas que l’individu dans sa dimension

matérielle. C’est une liberté qui va au-delà de cette dimension pour inclure un aspect

334 L’animisme se compose de religions locales qui s’appuient sur des croyances en des divinités diverses

(génies ou ancêtres). Fragmentée, l’animisme traduit autant de croyances que de communautés ethniques.

335 Frédéric ROUVILLOIS, Libertés fondamentales, Flammarion, Coll. « Champs université », Paris, 2012, p. 267.

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120

spirituel. Elle met en relation l’être humain et une entité surnaturelle, l’individu étant dans

une situation de dépendance. Cette situation le lie à une réalité concrète ou abstraite. Elle

s’inscrit dans une dimension métaphysique bien plus forte que la relation pouvant lier

l’individu à l’État. De plus, la liberté de croyance précède parfois et conditionne également

l’opinion politique dans la mesure où elle inspire les comportements individuels et sociaux,

conditionnant ainsi les pensées et actions des individus.

191. Aussi, ce droit-puissance qu’est la liberté de religion a fortement contribué à

marquer de signes religieux les sociétés politiques de l’Afrique subsaharienne

francophone. Les constituants des États étudiés en Afrique reconnaissent ainsi la place

qu’occupent les valeurs religieuses et spirituelles dans le développement et

l’épanouissement de leurs peuples. Toutefois, cette liberté de religion ne saurait s’inviter

dans le champ politique puisque nombre de constitutions affirment le principe de laïcité de

l’État336, et interdisent expressément la création de partis politiques poursuivant des

objectifs basés sur la religion. En clair, l’on est libre d’adhérer à telle ou telle opinion dans

le domaine religieux. Mais, même dans ce cadre, la croyance ou la liberté de ne pas

adhérer à une croyance ne saurait conditionner la formation du cadre d’expression de

l’opinion politique.

2. L’interdiction d’instrumentalisation de la diversité religieuse

192. Le danger de la transposition des revendications religieuses sur le terrain politique

est réel. Ainsi, en renvoyant à l’article 4 de la Charte des partis politiques, le Bénin fier de

ses valeurs spirituelles qu’il proclame dans son préambule, interdit aux partis politiques de

fonder leur création et leurs actions sur une base ou un objectif comportant l’appartenance

exclusive à une religion. Que comprendre par « appartenance exclusive » ? En fait, cette

formulation signifie que la religion ne saurait constituer le fondement absolu de la création

d’un parti politique. De même, le critère de l’appartenance à une religion ne saurait

constituer l’unique critère d’adhésion à un parti politique. En outre, un parti politique ne

saurait dans son programme politique viser comme objectif la création d’un État religieux

336 La laïcité est un principe à valeur constitutionnelle, qui dans sa définition « minimale » signifie que

l’État observe à l’égard des religions, une stricte neutralité. Il signifie en outre que le pouvoir politique et le pouvoir spirituel ne sauraient être confondues et découler d’une source religieuse. Voir infra. Deuxième partie, Chapitre II, Section I, § 2.

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121

par exemple. En Côte d’Ivoire, le constituant conscient de la diversité religieuse du peuple

ivoirien qu’il évoque fièrement dans la loi fondamentale, souligne toutefois en son article

10 l’interdiction de toute propagande ayant pour but d’inciter à la haine religieuse. Il

poursuit en son article 13, en interdisant la création de partis et groupements politiques

créés sur des bases confessionnelles. Au Sénégal, vu le poids historique que représentent

les confréries religieuses dans la société politique, la tentation de création de partis

politiques autour de ces confréries est grande. Le constituant conscient de ce fait interdit

également dans sa Constitution de 2001, l’identification à une religion pour les partis

politiques et coalitions de partis politiques.

193. À titre de comparaison, la Loi Fondamentale de la R.F.A de 1949 en son article 21

consacre le principe de la libre fondation des partis politiques en précisant toutefois que

leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques. Il n’existe

aucune interdiction constitutionnelle préalable à la création d’un parti politique sur les

bases d’une philosophie religieuse. La sanction dissuasive est la déclaration

d’inconstitutionnalité prononcée par le Tribunal de Karlsruhe pour les partis politiques

comportant des risques d’atteinte à l’ordre constitutionnel allemand. En conséquence, des

partis politiques guidés par une certaine philosophie religieuse ont été créés en Allemagne

et participent ainsi à la vie politique, et à la formation et à l’expression du suffrage337. En

France, la Constitution de 1958 en son article 4 ne pose également aucune interdiction de

partis politiques fondés sur la religion. Ceux-ci sont soumis au devoir, et non à l’obligation

constitutionnelle, de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie

sans qu’il soit besoin de spécifier quelque interdiction que ce soit. Ainsi, un parti politique

peut clairement se rattacher à une philosophie religieuse sans que cette appartenance

explicite ne puisse faire l’objet d’une sanction et ainsi participer à la vie politique338. En

dépit de l’absence d’interdictions de principe qui caractérise la liberté de création des partis

337 Il s’agit notamment de l’Union Chrétienne- Démocrate d’Allemagne(U.C.D), parti politique à la fois

conservateur et libéral qui existe depuis 1945 et qui a porté au pouvoir Angela MERKEL et avant elle, d’autres Chanceliers fédéraux. Ce parti réunit à la fois des catholiques et des protestants. Cependant, et conformément à la L.F. de la R.F.A, ce parti ne conditionne pas les adhésions à une appartenance exclusivement religieuse.

338 Tel est le cas du Parti Chrétien Démocrate (P.C.D) qui existe depuis 2009 et dont la politique est fondée autour de la philosophie d’une droite chrétienne, éthique et sociale. L’adjectif démocrate semble souligner le caractère non-exclusivement religieux de ce parti.

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122

politiques, les pratiques religieuses jugées radicales et incompatibles avec l’ordre

constitutionnel et les principes de démocraties peuvent être sanctionnées.

194. Somme toute, les États de l’Afrique subsaharienne francophone et les grandes

démocraties contemporaines affirment un principe constitutionnel commun : celui de la

laïcité de l’État en vue de maintenir un certain équilibre entre les multiples communautés

religieuses, surtout pour ce qui concerne le continent africain. Ce principe pose alors que le

pouvoir d’État est un pouvoir qui s’exerce de façon neutre. L’exercice du pouvoir ne

saurait conduire à la formation d’États confessionnels dont le fonctionnement est régi selon

des préceptes religieux, peu importe que l’interdiction soit expresse ou tacite.

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123

CONCLUSION DU CHAPITRE I

195. L’histoire constitutionnelle et politique des États de l’Afrique subsaharienne

francophone a été marquée, au lendemain des indépendances, par une négation des droits

et libertés fondamentaux, en l’occurrence de la liberté d’opinion. Si pour certains

constituants, notamment celui du Sénégal en 1963, l’inscription d’un catalogue des libertés

publiques était une initiative louable, d’autres se contentaient simplement d’un rappel dans

les différents préambules de l’attachement de leurs peuples aux principes et valeurs

démocratiques reconnus à travers des textes internationaux de portée universelle. Tel fut le

cas des constituants du Bénin et de la Côte d’Ivoire.

196. Sur le plan institutionnel, l’urgence pour le constituant était ailleurs. L’unité

nationale était une valeur commune à tous ces jeunes États multinationaux, enclins à des

risques de conflits communautaires. À cet effet, même si un organe juridictionnel avait été

institué avec les pouvoirs classiques qui lui ont été reconnus, de fait, la protection des

droits et libertés était assurée par le pouvoir politique qui revêtait ainsi la qualité de juge et

de partie. La liberté d’opinion était alors considérée comme une liberté tendancieuse dont

le seul objectif était celui de porter atteinte à la sérénité et à la tranquillité du pouvoir

d’État. Cette considération approximative faisait de la liberté d’opinion, une liberté

combattue surtout lorsque son exercice dénonçait les failles du pouvoir politique.

197. Les années 1990 qui marquent l’avènement du constitutionnalisme339 en Afrique

subsaharienne francophone ont été le point de départ de la théorisation d’une nouvelle

catégorie juridique des droits de l’Homme : celui des droits et libertés fondamentaux. Le

caractère fondamental de la liberté d’opinion a été reconnu en même temps qu’a été

institué un organe juridictionnel doté de pouvoirs révolutionnaires : la juridiction

constitutionnelle. En tenant compte des spécificités propres à leurs États, les nouveaux

constituants africains des années 1990 ont non seulement modélisé la liberté d’opinion en

se conformant au modèle découlant des textes fondamentaux des grandes démocraties

339 Pour Adama KPODAR, le constitutionnalisme « répond à une idéologie libérale fondée sur la croyance

du droit comme promoteur de l’ordre légitime universel, et de la constitution comme limite à l’arbitraire du pouvoir ». « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », Revue électronique Afrilex, janvier 2013. Disponible à l’adresse : http://afrilex.u-bordeaux4.fr/. Consulté le 17/03/2013.

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124

contemporaines. Ils ont aussi assorti l’exercice de la liberté d’opinion d’une limite

impérative : l’ordre public sécuritaire. Mission a été donnée aux législateurs de définir les

contours de cette conciliation, afin que soit garanti les principes de l’État de droit.

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CHAPITRE II.

DE L’EXIGENCE DE CONCILIATION A L’IMPERIEUSE NECESSITE DE MAINTENIR L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

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198. La conciliation du diptyque liberté d’opinion et ordre public sécuritaire implique la

permanence d’un processus. Ce processus suppose la mise en place d’un régime juridique

nécessaire à une compatibilité constante entre l’exercice de la liberté d’opinion et le

maintien de l’ordre public sécuritaire. Considérée comme un instrument de construction de

la démocratie dans un État de droit, la liberté d’opinion peut aussi en devenir la pire des

menaces lorsqu’elle échappe aux limites juridiques. Elle devient ainsi un danger pour

l’ordre public sécuritaire. Le principe de la conciliation constitutionnelle se confronte alors

en cas de nécessité à l’exception du maintien de l’ordre public sécuritaire au détriment du

respect de la liberté d’opinion. D’une part, la conciliation qu’envisage le constituant

lorsqu’il en confie la responsabilité au législateur et au juge est d’abord protectrice des

principales composantes de cette liberté fondamentale (Section I). Toutefois, cette

conciliation se soumet à l’impérieuse nécessité de maintenir l’ordre public sécuritaire

(Section II).

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SECTION I.

UNE CONCILIATION PROTEGEANT LES PRINCIPALES COMPOSANTES DE LA LIBERTE D’OPINION

199. La doctrine a différemment apprécié la nature de la liberté d’opinion, bien que ces

appréciations demeurent somme toute complémentaires. La liberté d’opinion est la liberté

de choisir sa vérité dans le secret de sa pensée340. Elle est également la liberté pour chacun

de penser et d’exprimer ce qu’il veut, sur le plan politique, philosophique ou « même

religieux »341. Cependant, il convient de retenir la définition qu’en donne Louis

FAVOREU qui malgré son aspect « minimal »342 n’en est pas moins précise. La liberté

d’opinion consiste pour cet auteur, dans la liberté d’avoir des opinions de toute nature,

qu’elles soient politiques, syndicales ou autres. Il précise que cette liberté fondamentale

implique également le droit de ne pas être défavorisé ou inquiété à cause de ses opinions et

la possibilité de les exprimer343. De cette configuration de la liberté d’opinion, deux

éléments a minima ressortent et méritent d’être approfondis. La conciliation de la liberté

d’opinion à travers ses expressions protégées (§ I) est organisée au moyen des limites de

cette liberté prévues par la règle de droit (§ II).

§ 1. LES OPINIONS PROTEGEES

200. Les définitions de la liberté d’opinion sus rappelées ne posent à première vue

aucune limite à son exercice, peu importe la qualité et la nature de l’opinion en jeu.

Pourtant, ces définitions se fondent sur l’article 10 de la Déclaration des Droits de

l’Homme de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu

que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Le rapport de

conciliation souligné dans cet article avec la conjonction « pourvu que » montre bien que 340 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’Homme, op.cit., p. 406. 341 Dominique TURPIN, Libertés publiques et Droits fondamentaux, Éditions du seuil, Paris, 2004, p.181. 342 Louis FAVOREU l’a ainsi qualifié. Cf. Droit des libertés fondamentales, op. cit., p. 281. 343 Ibidem.

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130

la liberté d’opinion doit s’exercer avec responsabilité. Dès lors, il convient de s’interroger

sur les différents aspects que revêt la liberté d’opinion et dont l’expression est à concilier

avec l’ordre public sécuritaire. À cet effet, que l’opinion soit politique (A), syndicale (B)

ou religieuse (C), elle est totalement libre dans sa formation. En revanche dans son

expression, elle l’est de façon relative.

A. LA LIBERTE D’OPINION POLITIQUE

201. La liberté d’opinion politique n’est pas une liberté dont peut jouir tout individu.

Elle est une liberté spécifiée alors que la liberté d’opinion dans sa forme générique

s’applique à l’ensemble des individus, en tant que liberté générale d’action. La liberté

d’opinion politique est d’abord et avant tout, une prérogative fondamentale dont est

titulaire le citoyen (1). Ce citoyen ne peut valablement exercer son droit que si d’autres

formes de libertés desquelles dépend la liberté d’opinion politique sont promues et

respectées (2).

1. Une prérogative fondamentale du citoyen

202. La liberté d’opinion politique est une liberté que détient l’individu, souvent

ressortissant du territoire national en tant qu’acteur politique344. Cet acteur politique

participe à l’exercice des « pouvoirs publics, délibératif et judiciaire »345. La liberté

d’opinion politique est un droit-participation au sens qu’en donne Louis FAVOREU. Il

s’agit pour lui, d’un droit qui permet « aux citoyens de s’impliquer dans le fonctionnement

du jeu politique entendu au sens large de l’expression » 346. Les citoyens impliqués dans la

vie politique peuvent alors être qualifiés de citoyens actifs347. Ce sont des citoyens qui

344 En Europe dans le cadre de l’Union Européenne, le cas est particulier. En effet, le Traité de Maastricht

du 7 février 1992 accorde implicitement la liberté d’opinion politique aux non-nationaux dans son article 8 en ces termes : « Tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État (…) ».

345 Simone GOYARD-FABRE, Qu'est-ce que la démocratie ? La généalogie philosophique d'une grande aventure humaine, op. cit., p. 38.

346 Louis FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, op. cit., p.343. 347 Les citoyens actifs sont des citoyens ayant droit de vote ou de suffrage. Voir Carl SCHMITT, Théorie de

la Constitution, op. cit., p. 362.

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131

contribuent grâce à l’action de leurs facultés intellectuelles à la gestion active du pouvoir

d’État.

203. La reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion politique en Afrique

subsaharienne francophone ne fait que reprendre la formulation de la Charte Africaine des

Droits de l’Homme et des Peuples (C.A.D.H.P.) d’autant plus que les constitutions

africaines la reconnaissent comme composante de leurs blocs de constitutionnalité.

L’article 13.1. de la C.A.D.H.P. dispose en effet que : « Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leurs pays soit directement, soit par le biais de représentants librement choisis, et ce, conformément aux règles

édictées par la loi ». Cet article qui fait partie intégrante du texte fondamental béninois de

1990348 pose les fondements d’un État de droit. Cet aspect révolutionnaire est le résultat

d’une transformation radicale, bien que théorique, de l’exercice du pouvoir politique qui

n’est plus l’apanage d’un parti politique unique. Il devient un pouvoir auquel tout individu,

quel qu’il soit et peu importe les opinions qu’il défend, peut participer.

204. L’inscription de l’interdiction de discriminer ou de procéder à des arrestations

arbitraires, en raison de ses convictions politiques, à un niveau normatif supralégislatif

démocratise le paysage politique. Cependant, cette inscription constitutionnelle emploie

souvent le terme de « conviction » en lieu et place de l’ « opinion »349. Aussi, une précision

doit-elle être faite entre une conviction et une opinion politiques, bien que les constituants

les emploient indistinctement, sans doute, pour des raisons de simplicité.

205. Une conviction peut se définir comme étant un principe, une idée qui a un caractère

fondamental pour quelqu’un. Le caractère fondamental des convictions politiques ne

vacille pas selon les circonstances. Les convictions politiques sont immuables. Il s’agit

d’un état d’esprit qui est ferme et qui convainc l’individu qu’il détient la vérité politique.

Quant à l’opinion politique, elle est un jugement de valeur qui porte sur la vie politique.

Elle se caractérise par l’influence de divers facteurs ayant des répercussions sur sa

formation : sexe, âge, milieu familial, milieu professionnel, condition économique, etc.

348 Art. 7, Const. Bénin, 1990. 349 Art.12, al.2 Const. ivoirienne 2000 : « Toute personne persécutée en raison de ses convictions politiques,

religieuses, philosophiques ou de son appartenance ethnique, peut bénéficier du droit d’asile sur le territoire de la République de Côte d’Ivoire, sous la condition de se conformer aux lois de la République ».

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132

Elle est instable et soumise aux circonstances du moment. Cette opinion politique peut, à

terme, déboucher sur la formation d’une conviction politique ancrée au cœur de l’intime de

l’Homme, ou à l’inverse, s’appuyer sur la conviction. Elle devient désormais un droit de

degré supérieur, un moyen de pression dont dispose le détenteur de cette liberté contre le

pouvoir politique.

206. Les premières consécrations de la liberté d’opinion selon une formule quasiment

unanime s’illustraient à travers la reconnaissance de la liberté d’opinion politique. En

affirmant qu’aucune distinction ne sera faite en raison de l’opinion politique entre autres

critères350, cette égalité de traitement protège ainsi les droits politiques dont la liberté

d’opinion politique constitue la charnière. C’est elle qui homogénéise l’ensemble des droits

et libertés politiques que le pouvoir constituant garantit. Le terme « politique » renvoie à

l’exercice du pouvoir, à la gestion des affaires au niveau national ou local. Une opinion

politique peut alors se définir comme un point de vue, une idée, une critique ou une

adhésion à un ensemble d’idées qui concernent la gestion et l’exercice du pouvoir politique

à un échelon national ou local. Elle est la traduction classique de la démocratie définie par

les constitutions comme « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».

Cette opinion politique doit être libre même si elle devait entrer en conflit avec l’opinion

dite publique.

207. L’opinion publique se définit comme un sentiment dominant au sein d’une certaine

communauté sociale, accompagnée plus ou moins clairement chez les sujets, de

l’impression que ce sentiment leur est commun351. Dans le domaine politique, le sentiment

dominant se précise au moment des élections, qu’elles soient présidentielles, législatives

pour l’essentiel. La majorité qui l’emportera à l’issue de ces élections correspondra alors à

celle à laquelle l’on devra se référer pour jauger l’opinion publique. Toutefois, cette

majorité ne représente pas indéfiniment l’opinion publique dans le domaine politique

durant un mandat. L’impopularité de certaines décisions politiques peut faire basculer cette

opinion publique.

350 Art.26, Const. béninoise, 1990 : « L’État assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction (…)

d’opinion politique ». 351Jean STOETZEL, Théorie des opinions, l’Harmattan, Coll. « Logiques sociales », Paris, 2006, p. 147.

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208. La liberté d’opinion politique est une liberté située. Seuls les individus détenteurs

de la qualité de citoyens peuvent valablement l’exercer. La citoyenneté est un droit

politique qui n’est pas soumis au principe universel d’égalité qui gouverne les droits de

l’Homme. La célèbre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

différencie à juste titre les Droits de l’Homme, droits indifférenciés des Droits du Citoyen,

droits spécifiés. Les droits du citoyen sont en fait les droits qu’a un individu ressortissant

d’un État352, de participer au gouvernement de cet État soit de manière directe, soit de

manière indirecte. Partant de ce fait, le citoyen, détenteur du droit d’exercer la liberté

d’opinion politique, peut être défini comme une « personne qui dans un État démocratique

participe à l’exercice de la souveraineté soit dans la démocratie indirecte par l’élection des

représentants, soit dans la démocratie directe par l’assistance à l’assemblée du peuple »353.

La liberté d’opinion politique ne peut s’exercer qu’en tant que faculté appartenant à toute

personne jouissant de ces droits civiques et politiques et ayant la qualité de membre du

corps électoral354. Elle n’est pas dans son extériorisation une liberté autonome puisqu’elle

recouvre diverses manifestations.

2. Une liberté dépendante d’autres formes de liberté

209. Jean RIVERO affirmait que « les diverses libertés sont les composantes d’un seul et

même ensemble, les pièces d’un même système de civilisation que le droit ne fait que

traduire »355. À sa suite, il convient d’affirmer que sous le vocable « liberté de la pensée »,

se déclinent plusieurs formes de libertés dépendantes les unes des autres. La liberté

352 Marie-Pierre LANFRANCHI, Olivier LECUCQ et Dominique NAZET-ALLOUCHE, Nationalité et

citoyenneté : perspectives de droit comparé, droit européen et droit international, Bruylant, Coll. « À la croisée des droits », Bruxelles, 2012, p.14. Dans les propos introductifs que fait Olivier LECUCQ sur la nationalité et la citoyenneté, la nationalité apparaît même comme une condition de citoyenneté : « S’il faut être national pour être citoyen, tous les nationaux ne sont pas forcément citoyens ».

353 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Citoyen, p. 176. 354 Les conditions d’acquisition de la qualité d’électeur sont communes aux constitutions béninoise de 1990

(art.6), ivoirienne de 2000 (art.33, al.2) et sénégalaise (art.3, al.4). Pour être électeur aux termes de ces différents textes fondamentaux, il faut être national de sexe masculin ou féminin, âgé de 18 ans au moins et jouir de tous ses droits civiques et politiques.

355 Jean RIVERO, Les libertés publiques, tome I : Les droits de l’homme, P.U.F., Coll. « Thémis », 1997, p. 26.

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134

d’opinion politique est une liberté matricielle en ce qu’elle engendre d’autres libertés qui

en dérivent ou qui sont connexes356.

210. La liberté d’opinion, composante de la liberté de pensée peut se manifester par

différents moyens dans sa forme politique. Le vote aux élections politiques nationales ou

locales, la signature de pétitions, l’acte d’adhésion à un parti politique, la participation ou

l’assistance à de réunions politiques, la rédaction d’articles de presse, la participation à des

manifestations publiques, etc. sont autant de manifestations de la liberté d’opinion

politique. Il est évident que seules les manifestations publiques d’expression de l’opinion

politique sont à prendre en compte.

211. De ce fait, pour se déployer, la liberté d’opinion politique en Afrique subsaharienne

comme ailleurs doit être accompagnée d’un certain nombre de principes qui en

conditionnent l’effectivité. Ces principes émanent tous de l’article 11 de la Déclaration des

Droits de l’Homme de 1789 qui dispose que : « La libre communication des pensées et des

opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler,

écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas

déterminés par la loi ». Reprenant cette idée, les pouvoirs constituants des États de

l’Afrique subsaharienne francophone attachent également toute leur importance aux

libertés de réunion, de manifestation, de parole, d’imprimerie et d’écriture. Le Bénin, dans

sa Constitution de 1990, proclame expressément, la liberté de la presse en son article 24357.

En Côte d’Ivoire, la Constitution de 2000 en son article 10 garantit la liberté d’expression

et de diffusion de la pensée358. Le Sénégal en 2001 reconnaît également que : « Chacun a

le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image,

la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et

à la considération d’autrui ni à l’ordre public »359. Avec la consécration de la liberté

d’opinion, divers canaux de diffusion et d’expression de l’opinion politique sont donc

356 Bertrand MATHIEU, « Pour la reconnaissance de principes matriciels » D. 1995, chron., p. 211. Cité

par Bertrand MATHIEU, « La liberté d’expression en France : de la protection constitutionnelle aux menaces législatives », Revue du Droit Public, n°1, L.G.D.J., Paris, 2007, pp. 231-259, spéc. p. 235.

357Art.24, Const. béninoise 1990 : « La liberté de la presse est reconnue et garantie par l’État. Elle est protégée par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dans les conditions fixées par une loi organique ».

358 Art.10, al.1, Const. Ivoirienne 2000 : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées ». 359 Art.10, Const. Sénégalaise 2001.

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135

reconnus. Le pluralisme médiatique et politique en l’occurrence, qui exclut alors toute idée

de « centralisme démocratique »360, devient le fer de lance d’un nouveau militantisme

politique.

212. Si selon VOLTAIRE, l’opinion est « la reine du monde », alors l’opinion politique

est la reine de la démocratie. La formation de l’opinion politique étant caractéristique du

milieu politique, sa diffusion influence fortement l’individu dans l’idée qu’il se fait de la

vie politique de son État. Les partis politiques sont l’un des cadres qu’instituent les

constituants à cet effet. C’est également et principalement par le biais de ces cadres que se

déploie la liberté d’opinion politique. Les partis politiques jouent un rôle prépondérant, en

tant qu’acteurs du débat national et relais entre les individus et les autorités étatiques.

Arnold RAINER explique ainsi que : « Le rôle des partis [politiques] est donc de

rassembler les individus adhérant à leurs tendances, canaliser la diversité des opinions

individuelles pour former une opinion quasi collective du parti et, ainsi, intensifier le poids

de ces opinions politiques, en comparaison avec les opinions exprimées par les

individus »361. L’opinion collective devient alors plus expressive que l’opinion

individuelle. En reconnaissant la liberté de création des partis politiques comme cadre de

formation et d’émergence d’une opinion collective, sous certaines conditions énumérées

plus haut362 , le constituant y associe une autre liberté nécessaire à l’exercice de la liberté

d’opinion : la liberté de réunion363. Cette forme de liberté recouvre un intérêt certain :

l’intérêt public. Cet intérêt public légitime alors les activités politiques.

360 Me Doudou NDOYE présente le centralisme démocratique dans le contexte historique de la vie politique

du Sénégal, entre 1960 et 2001, comme un système : « ramenant toutes les discussions nationales au sein du parti et les décisions du sommet vers la base : les relais d’une telle politique auprès de l’opinion étaient nécessairement une seule radio et une seule télévision d’État, ainsi qu’un seul quotidien national ponctué par le journal d’un parti ». Doudou NDOYE, La liberté d’opinion et d’expression au Sénégal : la doctrine politique et les textes, Les Éditions du CAFORD, Coll. « Le droit de savoir », N° 1, Dakar, 2001, p.5.

361 Arnold RAINER, « Constitution et liberté d’expression en Allemagne », Annuaire International de Justice Constitutionnelle, Economica-P.U.A.M., Paris, 2007, pp. 101- 132, spéc. p. 105.

362 Tel que l’interdiction de créer des partis politiques sur des bases ethniques, religieuses, ou qui portent atteinte à l’ordre constitutionnel établi, en Allemagne notamment.

363 Art. 8, L.F. R.F.A., 1949 ; Loi française du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques qui supprime les autorisations préalables ; Art. 25 Const. béninoise, 1990 ; Art. 11 Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 8 Const. sénégalaise.

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136

213. Toutefois, l’opinion politique ne se forme pas uniquement à l’intérieur des partis

politiques. Des associations364 peuvent aussi se constituer, sans que celles-ci n’aient la

qualité de partis politiques. Elles contribuent néanmoins au débat politique. Curiosité

allemande, les libertés d’association et de réunion ne semblent concerner que les citoyens

allemands, aux termes des articles 8 et 9 de la L.F. Exceptée cette précision, tout individu

vivant sur le territoire de la R.F.A. est libre d’agir, en vertu du principe général de la liberté

d’agir de la personne humaine, consacré par l’article 2 (1) de la L.F365.

214. Au vu de ce qui précède, la consécration de la liberté d’opinion politique marque le

passage d’un système autoritaire comme ce fut le cas longtemps en Afrique subsaharienne

francophone, vers un système libéral, offrant un cadre d’expression au pluralisme

politique. En lieu et place d’une seule opinion politique « officielle » façonnée par une

propagande médiatique, ce sont plusieurs opinions politiques qui se confrontent, se

rejoignent, se nuancent, s’éloignent et s’affrontent dans l’arène de la vie politique. En

définitive, la particularité de cette composante de la liberté d’opinion vient de son

effectivité, qui au-delà d’une inscription constitutionnelle n’existe que par le biais d’un

ensemble de facteurs certains.

215. À côté de l’opinion politique, une nouvelle forme d’opinion voit progressivement le

jour en Afrique subsaharienne francophone. Elle participe également à la construction de

l’État de droit : l’opinion syndicale.

B. LA LIBERTE D’OPINION SYNDICALE

216. La liberté d’opinion syndicale, à l’instar de l’ensemble des droits économiques et

sociaux, a longtemps été en Afrique, le fruit d’un long combat acharné, mené par les

travailleurs. Inexistante dans les constitutions d’avant 1990, ce droit-liberté du travailleur

(1) a toutefois progressé dans son effectivité, puisqu’il est aujourd’hui reconnu et aménagé,

dans les différents appareils normatifs des États de l’Afrique subsaharienne francophone

(2).

364 Art. 9, L.F. R.F.A précitée ; Loi française du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; Art. 25

Const. béninoise précitée ; Arts. 8 et 12, Const. sénégalaise 2001. 365Art. 2 (1) L.F. R.F.A., 1949 : « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu’il

ne viole pas les droits d’autrui, ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel ou la loi morale ».

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137

1. Une prérogative fondamentale du travailleur

217. Les liens existant entre la liberté d’opinion politique et la liberté d’opinion

syndicale ne sont plus à démontrer. L’une et l’autre ont émergé à l’occasion de la

reconnaissance du principe d’égalité. Cette liberté révolutionnaire366 a connu une

inscription tardive dans l’histoire constitutionnelle des États. Qu’il s’agisse de l’histoire

constitutionnelle française entre 1791 et 1848367, ou encore de celle de l’Allemagne sous le

régime totalitaire nazi (1933-1945)368, de celles des États de l’Afrique subsaharienne

francophone de 1960 à 1990, l’absence de démocratie à des périodes différentes, se

caractérisait par la négation d’une opinion libre de s’exprimer. Autant le citoyen restait

sous l’emprise du pouvoir politique, autant le travailleur était maintenu dans une situation

de subordination absolue369. Le citoyen et le travailleur n’avaient aucun moyen d’action.

L’avènement de la démocratie offrait alors un nouveau souffle au travailleur. Il lui est

désormais reconnu une liberté d’opinion spécifique, liée à son activité professionnelle : la

liberté d’opinion syndicale.

218. La liberté d’opinion syndicale apparue dans la deuxième moitié du XIXème siècle

dans la plupart des pays industrialisés. Elle est un droit de l’Homme situé370, pour

reprendre une terminologie largement diffusée, puisqu’ elle est particulière aux personnes

insérées dans le monde du travail371. À l’origine, c’est une liberté que se sont appropriés

les travailleurs, pour défendre leurs intérêts collectifs contre les effets pervers qu’avait

366 Nous la qualifions comme telle, dans la mesure où, du fait de la dépendance économique du travailleur à

l’égard de son employeur, l’exercice de sa liberté d’opinion syndicale, contestataire par essence, expose le salarié en situation de subordination, à une rupture abusive du contrat de travail le liant à son employeur, en l’absence de toute règle juridique de protection.

367 L’année 1848 marque en effet l’amorce de la construction de la démocratie moderne en France. La démocratie moderne s’entend en effet comme un système politique qui repose sur un ensemble de principes : le suffrage universel, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de l’autorité judiciaire, la séparation de l’église et de l’État, la non-ingérence de l’État dans la sphère privée, la liberté d’opinion, la souveraineté du peuple. Le suffrage qualifié d’universel en France a été consacré en 1848 en France alors que la liberté d’opinion politique a été reconnue aux femmes en 1944 avec la reconnaissance de leur droit de vote.

368 Pour illustrer nos propos, sous ce régime totalitaire, la devise “ Ein volk, ein Reich, ein Führer” signifiait : Un peuple, un empire, un chef.

369 Ce qui est encore le cas aujourd’hui. 370 Georges BURDEAU, Manuel de droit public : Les libertés publiques, les droits sociaux, L.G.D.J., Paris,

1948, p. 287. 371 Louis FAVOREU et alii, op. cit., p. 378.

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138

engendré la révolution industrielle. Elle était au départ une liberté de coalition des

travailleurs, pour porter d’une seule voix dans leurs secteurs professionnels respectifs, les

revendications relatives à l’amélioration de leurs conditions de travail.

219. La liberté d’opinion syndicale est une liberté à multiples facettes. En tant que

liberté individuelle, la liberté d’opinion syndicale signifie que tout travailleur372 est libre

d’adhérer au syndicat de son choix pour défendre ses conditions de travail. Analysée sous

l’angle d’une liberté collective, elle signifie qu’un groupement ou une association

syndicale est libre de se créer, sans autorisation préalable des pouvoirs publics.

L’association syndicale, communément appelée syndicat, est le cadre d’expression par

excellence de l’opinion syndicale. Dans le cadre de notre analyse, il ne sera question que

des syndicats entendus au sens d’un regroupement professionnel. Maurice HAURIOU

définit les syndicats professionnels comme « des associations ayant pour but la défense des

intérêts professionnels d’hommes que le travail rapproche les uns des autres, soit qu’ils

aient la même profession, soit qu’ils aient des professions similaires ou connexes »373. Le

syndicat se définit à cet effet, comme un « groupement de personnes, travailleurs ou

employeurs, dotés de la personnalité morale et ayant pour objet, la représentation et la

défense des intérêts professionnels »374. Liberté complexe puisqu’elle est à la fois une

liberté individuelle et collective, la liberté syndicale bénéficie aussi bien aux salariés

qu’aux employeurs, tant aux ressortissants nationaux qu’étrangers, dès l’instant où, ces

derniers exercent une activité salariée, ou une activité de chef d’entreprise. Dans le cadre

de nos recherches, la liberté d’opinion syndicale sera analysée sous l’angle d’un droit

372 La notion de travailleur renvoie de prime abord, à la définition qu’en donne le droit du travail. Il s’agit

d’une personne liée à un employeur par un contrat de travail. L’objet de ce contrat découle généralement des obligations réciproques : prestation de service de la part de l’employé contre une rémunération de la part de l’employeur. Pendant de nombreuses années, le travailleur a été assimilé à l’ouvrier, en rappel du rôle important, qu’ont joué ces derniers dans la lutte pour la reconnaissance des droits du travailleur. Aujourd’hui, le travailleur est une notion large qui englobe aussi bien les salariés du secteur privé que les fonctionnaires, à la seule exception possible des forces armées et des fonctionnaires de police, aux termes de l’article 9 de la Convention n° 87 de l’OIT.

373 Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel (Présentation par Jacky HUMMEL), 2ème éd., Dalloz, Paris, 2015, p. 692.

374 Joseph ISSA- SAYEGH et Birame NDIAYE (ss.la dir. de), Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome huitième : Droit des relations professionnelles (Travail, sécurité sociale et fonction publique), Les Nouvelles Éditions Africaines, Abidjan-Dakar-Lomé, 1982, p. 135.

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139

constitutionnel des travailleurs375. Elle est une manifestation de la liberté d’association, une

liberté d’expression collective376 sur le plan professionnel377. En tant que droit fondamental

du travailleur, elle protège ce dernier, en veillant à la défense de ses intérêts économiques

et sociaux, au sein d’une entreprise. La liberté syndicale protège également le travailleur

contre le syndicat lui-même. Elle protège enfin le groupement de travailleurs contre l’État,

premier décideur en matière économique.

220. Dans son rapport avec l’État, la liberté d’opinion syndicale exclut en principe toute

immixtion des pouvoirs politiques, tant dans sa constitution que dans son fonctionnement.

Aucune autorisation préalable ne devrait conditionner la formation d’un mouvement

syndical. Aucun salarié ne peut être contraint d’adhérer à quelque syndicat que ce soit.

Cette perception est alors difficilement concevable dans les régimes autoritaires qui

laissent très peu de place à la liberté d’opinion dans son aspect général. Dans ces régimes,

les syndicats sont au service de l’État, et en sont des canaux de propagande. Le principe est

d’ailleurs celui de l’unité syndicale. Il est le trait d’union entre le syndicat et le parti

politique au pouvoir. Pourtant, même si bien souvent, les membres d’un syndicat partagent

une idéologie politique commune, un syndicat ne saurait avoir de but politique, ainsi que

l’a reconnu le juge de cassation français en 1998, suite à la création du Front National de la

Police. Dans cette affaire, le juge civil français a reconnu que : « le Front National de la

Police n’est que l’instrument d’un parti politique qui est à l’origine de sa création et dont

il sert exclusivement les intérêts et les objectifs »378. Ce groupement fut alors déclaré nul,

puisqu’il était fondé, en l’état, sur une cause ou en vue d’un objet illégal.

221. En effet, la liberté d’opinion syndicale sous sa facette de droit collectif, est un

véritable pouvoir au service des travailleurs, que ces derniers peuvent exercer sur le

375 Valérie OGIER-BERNAUD, Les droits constitutionnels des travailleurs (Préface de Louis FAVOREU),

Économica, Coll. « Droit public positif », Paris, 2003. 376 Pour plus de précision sur cette question, voir entre autres Jean RIVERO et Jean SAVATIER, Droit du

travail, 13ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Thémis », Paris, 1993, p. 32; Marie-Laure MORIN, Le droit des salariés à la négociation collective : principe général de droit, L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque de droit social », Paris, 1994.

377 Georges SPYROPOULOS, La liberté syndicale, thèse pour le doctorat en droit, dactyl., Université de Paris-Faculté de Droit, 1954, p. 5. 378 Cass., ch.mixte, 10 avril 1998, Syndicat Le Front National de la Police c. / Syndicat national des

policiers en tenue.

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140

pouvoir politique, ou à ses côtés. Le droit de participation, le droit de grève et la liberté

d’opinion syndicale, principaux droits collectifs des travailleurs379, sont par essence, de

puissants instruments de contestation des décisions prises par les autorités étatiques et les

syndicats patronaux (regroupant les employeurs et chefs d’entreprises) dans le secteur

économique. À cet égard, corollaire dans le monde du travail de la liberté de réunion, de la

liberté d’association380, et de la liberté d’opinion381, la liberté d’opinion syndicale est

assurée par l’indépendance des syndicats vis-à-vis de l’État. Cette indépendance doit être

absolue.

222. L’Afrique subsaharienne francophone a constitutionnalisé la liberté d’opinion

syndicale après les années 1990. Avant cette époque, les droits des travailleurs relevaient

au niveau national, du régime général des libertés publiques, au sein desquelles, la liberté

d’association382. S’y ajoutaient les textes internationaux adoptés dans le cadre de

l’Organisation Internationale du Travail (OIT)383, et des différents textes à caractère

régional384. Ces textes internationaux385, s’insérant dans le cadre de la protection non

379 Valérie OGIER-BERNAUD, op.cit., pp. 17-18. 380 En tant que libertés qui ne sont effectives que par la rencontre de plusieurs individus. 381 En tant que liberté individuelle dont l’expression recouvre un aspect collectif. 382 En Côte d’Ivoire, c’est la loi n° 60-315 du 21 septembre 1960, relative aux associations qui régissait les

syndicats. Elle disposait en son article 2, alinéa 1, que : « les associations de personnes peuvent se former librement sans autorisation préalable ». Quant au Sénégal, il codifie les droits des travailleurs en adoptant son premier code du travail en 1961 avec la loi n° 61-34 du 13 juin 1961, publiée au Journal officiel n° 3642 du 3 juillet 1961.

383 L’organisation internationale du Travail est une institution spécialisée des Nations Unies, créée en 1919. La mission essentielle qui lui est assignée est de promouvoir la justice sociale et de mettre en œuvre les principes et droits fondamentaux au travail.

384 La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 en son article 11, et la Charte sociale européenne de 1961 en ses articles 5 et 6, adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe, de même que la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne de 2007, en son article 12.1., régissent les droits des travailleurs au niveau européen. En Afrique subsaharienne francophone, aux termes de la Charte de Banjul adoptée dans le cadre de l’OUA en 1981, les droits des travailleurs ne sont pas clairement mentionnés. Tout au plus, les articles 10 et 11 de la Charte de Banjul reconnaissent la liberté d’association et de réunion. Le préambule de la Charte, en son huitième alinéa mentionne sommairement qu’ : « il est essentiel d’accorder désormais une attention particulière au droit au développement ; que les droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels, tant dans leur conception que dans leur universalité, et que la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels garantit la jouissance des droits civils et politiques ». Pour aller plus loin sur la question, voir Ahmed BELLO, Les libertés collectives des travailleurs : étude comparative Afrique/ Europe (Préface de Alain COEURET), L’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2011, pp.118- 143.

385 Ces textes internationaux sont essentiellement constitués, dans le cadre de la protection des droits des travailleurs, de la Constitution de l’OIT adoptée en 1919, et des ses huit conventions fondamentales

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juridictionnelle des droits de l’Homme, à travers le système des Nations Unies, n’ont pas

eu les répercussions escomptées sur la sauvegarde des droits des travailleurs, tant au sein

des États reconnus aujourd’hui comme de grandes démocraties contemporaines, que dans

la région subsaharienne de l’Afrique386. L’aménagement constitutionnel de cette liberté

qu’est la liberté d’opinion syndicale, devrait contribuer à renforcer sa protection.

Désormais, la liberté d’opinion syndicale est reconnue au plus haut niveau de l’appareil

normatif, et devient un droit fondamental du travailleur387.

2. Le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale

223. En toute logique, la France et l’Allemagne, grandes démocraties contemporaines,

n’ont pas pu échapper à l’appel de la liberté. En matière économique et sociale, les droits

en découlant ont fait l’objet d’une longue phase de lutte sociale. Différentes lois ont vu

alors le jour, les unes pour interdire la liberté syndicale, les autres, pour la reconnaître. En

France, la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791 sous l’ancien régime, a longtemps

combattu les coalitions ouvrières, et les corporations. L’article 1 de cette loi

disposait : « L’anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état

ou profession étant une des bases fondamentales de la Constitution française, il est

défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit ».

Presqu’un siècle plus tard, la loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats

professionnels, a aboli la loi Le Chapelier et consacrer la liberté syndicale388. Le préambule

consacrées entre autres, à la liberté syndicale et la protection du droit syndical depuis 1948 (Convention n° 87), au droit d’organisation et de négociation collective depuis 1949 (Convention n° 98), à la discrimination en matière d’emploi et de profession depuis 1958 (Convention n° 111).

386 Henri OBERDORFF appréciait à juste titre l’efficacité du système de protection des droits de l’Homme des Nations unies, en ces termes : « [le système de protection des Nations Unies étant essentiellement non-juridictionnel] Il est donc moins performant que celui qu’organise la Convention européenne des droits de l’Homme, qui, lui, est essentiellement juridictionnel. Cette absence d’efficacité concrète ne peut que faire douter de la réalité de la protection », Droits de l’homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 238. Dans le même sens, Frédéric SUDRE soulignait que : « Les techniques non juridictionnelles, utilisées dans le cadre des instruments universels des droits de l’Homme, sont de caractère non contraignant, n’aboutissent jamais à des décisions obligatoires en droit, restent respectueuses des souverainetés étatiques », Droit international et européen des droits de l’homme, 11ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris, 2012, p. 731.

387 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, op. cit., p. 319. 388 En 1919, c’est la liberté de conclure des conventions collectives qui est reconnue avec la loi du 25 mars

1919. Pour une vue d’ensemble sur l’évolution de la liberté syndicale et l’adoption du préambule de la

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de la Constitution de 1946 a consacré et renforcé solennellement les droits des travailleurs,

en leurs différents aspects. Il ne s’agira plus de faire de la liberté syndicale, une liberté

ordinaire. Dans le prolongement de l’héritage légué par le siècle des Lumières, du Code

Civil de 1804, de la Constitution de 1848, sans oublier l’ensemble des textes législatifs qui

ont traversé le second Empire jusqu’à la Troisième République389, la conquête des droits

des travailleurs, et notamment, leur liberté syndicale, a été définitivement acquise en 1946.

À la suite du constituant de 1946, le législateur, dans le cadre de la codification des droits

et libertés des travailleurs, a organisé le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale,

à travers les articles L. 2141-1 et suivants du Code du travail. La jurisprudence du Conseil

constitutionnel viendra sceller la valeur constitutionnelle de la liberté d’opinion syndicale

en 1989 dans sa décision n° 89- 257 D.C. du 25 juillet 1989390.

224. En Allemagne, la liberté syndicale, à travers la liberté de coalition391, est consacrée

à l’article 9 de la Loi Fondamentale de 1949 : « Le droit de fonder des associations pour la

sauvegarde et l’amélioration des conditions de travail et des conditions économiques est

garanti à tous et dans toutes les professions ». Autrement dit, est considéré comme un

syndicat professionnel, seule une association capable de réglementer les conditions de

travail, et dont le but est l’amélioration des conditions économiques. Ces associations

syndicales se forment et fonctionnent sans intervention étatique. La tournure dans la

rédaction malaisée pour laquelle a opté le constituant allemand de 1949, a été précisée par

le législateur puisqu’il lui est revenu, la mission d’organiser le régime juridique de la

liberté d’opinion syndicale, en tant que droit fondamental du travailleur, même s’il subsiste

quelques zones d’ombre. Le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale, consacrée

par la Loi Fondamentale, relève généralement de la loi sur la négociation collective

(Tarifvertragsgesetz) de 1949. Cependant, aucun texte législatif ou réglementaire,

Constitution de 1946, voir Daniel AMSON, La protection des libertés économiques et sociales, Montchrestien, Coll. « Préparation au C.R.F.P.A », Paris, 1999.

389 Sur l’ensemble de la question, voir Guy ANTONETTI, Histoire contemporaine, politique et sociale, 8ème éd., P.U.F., Coll. « Droit fondamental », Paris, 1999.

390 Le considérant 23 de ladite décision est ainsi rédigé : « Considérant que les modalités de mise en œuvre des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié, qui comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle ».

391 A la différence de la France et des États de l’Afrique francophone subsaharienne, qui organisent la liberté syndicale selon le principe de la liberté d’association.

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n’apporte plus de détails explicites sur la liberté d’opinion syndicale, en tant que liberté

spécifique392. La doctrine393 et les jurisprudences allemande et européenne s’y consacrent

pour pallier ce défaut de rédaction.

225. En Afrique subsaharienne francophone, le mouvement du constitutionnalisme

amorcé en 1990 a permis une reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion

syndicale. Cette liberté a été consacrée par l’ensemble des constitutions du continent

africain. Le Bénin, dans sa Constitution de 1990, reconnaît au travailleur le droit de

défendre individuellement ou collectivement, ses droits et ses intérêts, par l’action

syndicale394. En Côte d’Ivoire, c’est en 2000 que sera constitutionnellement reconnu le

droit syndical aux travailleurs. L’article 18 le consacre en ces termes : « Le droit syndical

et le droit de grève sont reconnus aux travailleurs des secteurs public et privé qui les

exercent dans les limites déterminées par la loi ». Au Sénégal, malgré la reconnaissance de

la liberté syndicale depuis 1963 dans la Constitution, aucun mécanisme de protection

conséquent n’a accompagné cette reconnaissance. En 2001, bien que l’article 8 reconnaisse

les « libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les

droits collectifs », parmi lesquelles « les libertés syndicales », la nouvelle Constitution de

2001 garantit expressément et de façon spécifique, la liberté syndicale. Ainsi, l’article

25 en son troisième alinéa souligne : « La liberté de créer des associations syndicales ou

professionnelles est reconnue à tous les travailleurs ».

226. Tous ces articles spécifiquement consacrés à la liberté syndicale, se distinguent à

bien des égards, de certains pays, comme l’Allemagne qui inclut la reconnaissance de la

liberté syndicale à travers celle de la liberté de coalition. En Afrique subsaharienne

francophone, les constituants optent pour une garantie expresse de la liberté syndicale,

tendant à en faire un droit fondamental indépendant395. De même, à la différence du

constituant français de 1958 qui se réfère au préambule de la Constitution de 1946 à valeur 392 La liberté syndicale en Allemagne, relève de normes distinctes d’un véritable code du Travail. 393 Pour en savoir davantage sur la question relative à la liberté d’opinion syndicale en Allemagne, voir

entre autres : Heinz KAMPHAUSEN, « Les clauses d’avantages réservés aux syndiqués : problème actuel de la liberté syndicale en Allemagne, in Annales de l’Institut de Droit du Travail et de la Sécurité Sociale, Université de Lyon, Faculté de Droit et de Sciences Économiques, Lyon, 1967.

394 Art.31, Const. béninoise, 1990. 395 Adrien DIOH, Les syndicats des travailleurs au Sénégal, L’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris,

2002, p. 39.

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constitutionnelle, les constitutions africaines, tout en intégrant différents textes juridiques,

internationaux ou régionaux relatifs à la liberté syndicale de façon directe ou indirecte 396,

accordent aux droits des travailleurs, une protection constitutionnelle expresse et distincte.

Les différents codes du travail adoptés sur l’ensemble du continent397 organisent et

précisent le régime juridique de la liberté syndicale398.

227. Outre la liberté des opinions politiques et syndicales, qui ne concernent que

l’individu en tant que citoyen et travailleur, une troisième forme d’opinion a été consacrée

comme étant libre de se former et de se manifester : l’opinion religieuse. La liberté

d’opinion religieuse va au-delà d’une acception purement matérielle, pour considérer l’être

humain aussi bien dans sa dimension physique que dans sa dimension spirituelle.

C. LA LIBERTE D’OPINION RELIGIEUSE

228. Aussi appelée liberté de conscience399 ou liberté de conscience religieuse400, la

liberté d’opinion religieuse401 est une liberté complexe tant dans sa formation que dans son 396 L’exemple de Bénin en est une parfaite illustration, puisque qu’il est clairement affirmé dans le

préambule de la Constitution de 1990, que la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, adoptée en 1981, par l’Organisation de l’Unité Africaine, fait partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois, et a une valeur supérieure à la loi interne. Deux décisions rendues par la Cour constitutionnelle confirment la valeur supra-législative de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : la décision D.C.C. 96-060 du 26 septembre 1996 et la décision D.C.C. 01-009 du 11 Janvier 2001. Dans ces deux décisions, le juge constitutionnel béninois se réfère expressément à la Constitution et à la Charte africaine des droits de l’Homme pour motiver ses décisions. La Charte jouit alors d’une invocabilité et d’une applicabilité directe devant le juge national.

397 Voir le titre V de la loi n° 95-15 du 12 janvier 1995 portant Code du travail en Côte d’Ivoire ; le titre 2 de la loi n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant Code du travail au Sénégal ; le titre 3 de la loi n° 98-004 du 27 janvier 1998 portant Code du travail au Bénin.

398 Bien que jouissant de la liberté d’opinion syndicale, les fonctionnaires et agents de l’État sont soumis à un régime propre, qui émane en général des différents textes législatifs et réglementaires spécifiques à la fonction publique. En revanche, la liberté des fonctionnaires en matière syndicale exclut le droit de grève en Allemagne, contrairement aux autres États de référence, qui leur accorde des prérogatives générales en matière de droit de grève, sous réserve des limitations nécessaires au « maintien des services essentiels à la communauté ». Cf. Louis FAVOREU et alii., op.cit., p. 327.

399 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 421. 400 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, op.cit., p. 281. 401 Liberté d’opinion religieuse et liberté religieuse semblent être des expressions synonymes, pour qui les

emploie. La notion de liberté religieuse a été employée par plusieurs auteurs dont : Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome II, 7ème éd., P.U.F., Coll. « Thémis », Paris, 2003, p. 143 ; Henri OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 5ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Manuel », Paris, 2015, p. 474. Pour des questions de précision et de clarté, le terme de « liberté d’opinion religieuse » sera employé. La liberté religieuse est pour nous, une expression inappropriée, imprécise. Cette formulation avec l’épithète religieuse renvoie à l’idée de liberté selon la

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extériorisation. Une partie de la doctrine reconnaîtra qu’elle est un aspect particulier de la

liberté d’opinion puisqu’elle s’intègre à elle en même temps qu’elle la dépasse402. Sa

complexité réside dans le fait que le législateur, aussi cartésien et pragmatique soit-il, ne

saurait saisir toute la problématique qui l’entoure. Elle implique d’une part, l’obligation

d’abstention de l’État vis-à-vis de la pratique religieuse. D’autre part, elle implique que

l’État doit intervenir, non pas pour en définir une orientation, mais pour en faciliter et en

sanctionner l’exercice lorsque celui-ci porte atteinte à l’ordre public et à la liberté de

croyance des uns et des autres. C’est bien là, toute la complexité de la liberté d’opinion

religieuse. Il s’agit d’une liberté immatérielle, liée au cœur et à l’âme des individus403.

Dans sa formation, le point de départ est la liberté de croyance (1). Et, dans sa

manifestation, elle se traduit par la liberté d’extérioriser ses croyances (2).

1. La liberté de croyance

229. À l’inverse des États religieux404, dans les États régis selon un régime de confusion

graduelle405 des pouvoirs temporels et spirituels, des État multiconfessionnels406 soumis à

religion, ce qui en fait une liberté étrangère au droit et qui n’a rien à voir avec la liberté d’opinion religieuse. Pour une analyse plus approfondie des nuances sémantiques dans le discours juridique notamment sur la liberté de religion, voir Géneviève KOUBI, « La liberté de religion : une liberté de conviction comme une autre », in Les défis des droits fondamentaux, Actes des deuxièmes journées scientifiques du Réseau, Droits fondamentaux de l’Agence universitaire de la Francophonie tenues à Québec du 29 septembre au 2 octobre 1999, Actualité scientifique (AUPELF-UREF), Bruylant/ A.U.F, 2000, p.37.

402 Jacques ROBERT, « La liberté religieuse », Revue Internationale de Droit Comparé, n°2, 1994, pp. 629-644, spéc. p. 629. ; Daniel Amson, « Ordre public et liberté de conscience. Aperçu sur la laïcité à la française, la montée des intégrismes, le problème du tchador », in Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet…, op. cit. ; pp. 33-48, spéc. p. 33.

403Louis FAVOREU et alii., op.cit., p. 281 404 Un État religieux est un État dans lequel le pouvoir religieux et le pouvoir politique sont confondus, au

point que les règles de droit dans cet État s’inspirent de textes sacrés et sont reconnus comme source quasi exclusive des normes de gestion de la vie politique, économique et sociale. Dans les États religieux, la liberté de religion n’est pas reconnue car cela suppose que l’État accepte certaines contradictions entre sa religion et d’autres formes de religions, et que la vérité sur laquelle se fonde tous ses principes normatifs, n’est pas universelle.

405 Par confusion graduelle, il faut entendre que le degré de confusion n’est pas le même selon les États. Pour certains, la confusion est poussée à son paroxysme comme tel est le cas dans les États théocratiques (Vatican, Arabie Saoudite,…). Pour d’autres, une religion est élevée au rang de religion d’État sans que ne soient interdites d’autres religions (l’Angleterre où le Monarque est à la tête de l’Église Anglicane ; la France avec la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 ; l’Irlande, Const. 1er juillet 1937 ; Suède, Const. 27 février 1974 ; Grèce, Const. 9 juin 1975 ; Algérie, Const. 28 novembre 1996; etc.) .

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146

un régime de séparation théorique mais de coopération pratique407 comme c’est le cas de

l’Allemagne408, des États laïcs organisés selon un régime de séparation stricte comme la

France409 et les États de l’Afrique subsaharienne francophone410, la liberté de croyance est

tolérée, voire reconnue et consacrée par les textes juridiques fondamentaux. Il s’agit d’une

liberté qui peut être « muette » ou « bavarde ». Elle ne s’exprime pas toujours ouvertement

et reste souvent secrète dans ses manifestations.

230. Cette liberté se définit comme la faculté pour chaque individu d’adhérer à une

croyance ou de n’adhérer à aucune. Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH la définissent

comme « la liberté de choisir entre l’incroyance et l’adhésion à une religion parmi celle qui

se proposent aux hommes »411. De ce fait, elle ne concerne pas que les croyants, puisque

dans la continuité de la définition, l’on pourra souligner que l’individu croyant est libre de

manifester son opinion religieuse, de façon individuelle ou collective. Les non-croyants

peuvent également manifester leur liberté de croyance par le silence. Elle signifie

également que les parents sont libres d’inculquer à leurs enfants, une éducation basée sur

leurs croyances, de leur faire fréquenter des lieux d’enseignement religieux. Dans le cadre

des établissements publics tels les écoles, les collèges, les lycées, les hôpitaux, les casernes

militaires et les prisons notamment, elle suppose que les personnes qui s’y trouvent

puissent bénéficier de l’assistance religieuse de leurs choix. Aucun individu ne saurait, en

conséquence, à cause de ses croyances, être arrêté et détenu arbitrairement, ou discriminé

406 Un État multiconfessionnel est un État, dont la Constitution reconnaît la coexistence sur son territoire, de

plusieurs religions. 407 Rémy CABRILLAC, Libertés et droits fondamentaux, 19ème éd., Dalloz, 2003, p. 448. 408Comme le Liban, l’Allemagne est un État multiconfessionnel. Tout en reconnaissant la liberté de

croyance à tous, le croyant paie un impôt cultuel « kirchensteuer » ou littéralement, « taxe d’église », au profit de la communauté religieuse qu’’il reconnait comme étant la sienne. Il y existe des écoles publiques monoconfessionnelles et multiconfessionnelles. Au Liban, à titre de comparaison, l’article 9 de la Constitution du 23 mai 1946 dispose : « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’État respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». De plus, les sièges du parlement sont organisés en fonction des différentes confessions et des religions. Les minorités religieuses sont ainsi protégées.

409 Art. 1er Const. française 1958. 410 Art.2 Const. béninoise, 1990 ; Art. 30 Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 1er Const. sénégalaise, 2001. 411 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, op.cit., p. 143.

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147

dans l’accès ou l’exercice d’un emploi public ou privé, tant en tant que membre du

personnel qu’en tant qu’usager412.

231. À l’origine de la liberté de croyance, l’existence d’une entité supra-étatique, une

entité surnaturelle, qui échappe au pouvoir temporel. Cette entité représente ainsi le socle

de la communauté. Ce groupement humain reconnaît son unité autour d’un ensemble de

pratiques et de rites spécifiques qui lui sont propres et qui constituent les manifestations de

ses croyances. La religion est le nom commun donné à cet ensemble. Les auteurs

présentent la religion parfois de façon surprenante. Jacques ROBERT dit de la religion,

qu’elle suppose l’existence d’une croyance manifestée par un culte et si possible, un clergé

plus ou moins hiérarchisé413. Le terme de clergé emprunté à la religion catholique semble

alors exclure l’Islam qui est une religion dans laquelle la notion de clergé n’est pas

employée. Salomon REINACH dit qu’elle est : « Un ensemble de considérations qui font

obstacles au libre exercice des individus de leurs facultés »414. Cette opinion souligne bien

d’une part, la profonde dépendance dans laquelle l’individu croyant se trouve, lorsqu’il

ramène tout ce qui lui arrive et tout ce en quoi il espère, à la volonté d’une puissance

surnaturelle qui, selon ce dernier, a le dernier mot sur sa vie, et qui est plus puissante que

l’État. D’autre part, les croyances dont il s’agit, que l’auteur assimile à des idées

subjectives ou des considérations, annihilent toute volonté du croyant puisque celui-ci

s’efface au profit d’une entité qui a tout pouvoir sur lui. De ce fait, la liberté de croyance

revêt un caractère subversif car l’obéissance à la religion peut conduire à la désobéissance

à l’autorité politique, en ce sens que la frontière entre la pratique saine d’une activité

religieuse et le prosélytisme est étroite. L’individu se trouve en conséquence sous le joug

de l’endoctrinement. L’étroitesse entre la pratique saine d’une religion et l’endoctrinement

est liée pour l’essentiel au fait que la religion, en ayant pour mission de diffuser ce qu’elle

croit être sa vérité, peut être tentée d’imposer ses idées.

412Voir à cet effet : Art. 5, préambule Const. française, 1946 ; Art. 17, Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 25,

Const. sénégalaise, 2001. 413 Jacques ROBERT, « La liberté religieuse », Revue de droit comparé, op. cit., p. 629 et s. 414 Salomon REINACH, L’histoire générale des religions, L’Harmattan, Coll. « Les introuvables », Paris,

2003, p. 4.

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148

232. Les États africains sont constitués de peuples profondément religieux,415 croyants et

pratiquants. Ici plus qu’ailleurs, « la religion pénètre toutes les activités de l’homme et a

d’importantes répercussions sur les comportements sociopolitiques et économiques des

individus »416. Les constitutions des États analysés consacrent diversement la liberté de

croyance. À la lecture des sources constitutionnelles, la reconnaissance est celle de la

liberté d’opinion religieuse417 pour les uns, et pour les autres, la liberté spécifique de

croyance418. Le Bénin consacre la liberté de religion419 alors que le Sénégal s’intéresse aux

libertés religieuses420. En définitive, la liberté de croyance est différemment reconnue

d’une Constitution à une autre. Cette hétérogénéité autour de cette liberté vient du fait que

les États en question, n’ont pas été tentés de définir la religion. Cela ne semblait pas être de

leurs ressorts, puisqu’ils ne sont pas des États religieux. En revanche, la qualification

juridique d’un groupe ou d’un mouvement religieux leur incombe, dans la mesure où cette

qualification est nécessaire au rattachement de ces mouvements ou groupes à tel ou tel

régime juridique. Il leur incombe également l’appréciation de certaines excroissances de

mouvements ou groupements dont le fondement religieux est en fait le moyen de couvrir

des activités illicites, que les droits pénaux nationaux qualifient d’infractions, et dont les

propres membres peuvent en être victimes. Ces excroissances sont qualifiées de sectes.

233. En Europe, l’aménagement de la liberté de religion a connu une évolution

remarquable. Ainsi, même si la liberté de croyance est admise d’un point de vue

constitutionnel, le juge européen de la C.E.D.H. a introduit en 2011, en matière de liberté

de religion, une « marge d’appréciation laissée aux États compte tenu de leurs traditions

nationales »421, car la religion apparaît beaucoup plus comme une notion autonome à

chaque État. Steven GREER définit la marge d’appréciation dans le cadre du Conseil de

415 Les croyances chez les peuples en Afrique subsaharienne francophone sont tellement fortes que rien de

ce qui arrive à l’homme ne trouve explication sans référence à la métaphysique, au sacré, au point même que si une crise politique, sociale ou économique survient, elle est très souvent du fait d’une entité surnaturelle qui punit ainsi le peuple pour mauvaise conduite.

416 Maurice- Pierre ROY, « La liberté religieuse en Afrique Noire », in Joël-Benoît d’ONORIO (ss.la dir. de), La liberté religieuse dans le monde : Analyse doctrinale et politique, Éditions Universitaires, Paris, 1991, pp. 271-293, spéc. p. 271.

417 Art. 10, Déclaration de 1789 ; Art. 9, Const. ivoirienne, 2000. 418 Art. 4 (1) L.F. de la R.F.A., 1949. 419 Art. 23 Const. béninoise, 1990 420 Art. 8 Const. sénégalaise, 2001. 421 C.E.D.H., 18 mars 2011, Lautsi et autres c. / Italie.

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149

l’Europe, comme « une marge de manœuvre que les organes de Strasbourg sont disposés à

reconnaître aux autorités nationales pour la mise en œuvre de leurs obligations au titre de

la Convention Européenne des Droits de l’Homme »422 . La notion de marge d’appréciation

semble alors être une notion permissive des « excès légaux » des États européens en

matière de réglementation de la liberté d’opinion religieuse en raison des réalités sociétales

spécifiques auxquelles elle renvoie. Tant que cette liberté ne concerne que l’adhésion à une

croyance, les risques sont moins élevés et la complexité de la liberté d’opinion religieuse

s’amenuise. Par contre, la manifestation des croyances qui constitue le second aspect de

celle-ci, sans laquelle, il n’existerait pas de liberté de religion, est plus problématique.

2. La liberté de manifester ses croyances

234. Si la liberté de croyance est absolue, la liberté de manifester ses croyances est

encadrée. La faculté reconnue aux individus d’extérioriser leurs croyances se fonde sur la

liberté de religion reconnue à chacun, et non sur le principe de laïcité423, fermement

affirmé par les États étudiés424, en dehors de l’Allemagne. La laïcité en droit français425,

principe duquel s’inspirent les États de l’Afrique francophone subsaharienne, a une valeur

juridique précise et emporte deux conséquences générales. En proclamant la laïcité de

l’État, il en découle d’une part que l’État observe une stricte neutralité vis-à-vis des

religions. D’autre part, il existe une séparation rigide entre le pouvoir politique et le

422 Steven GREER, La marge d’appréciation : interprétation et pouvoir discrétionnaire dans le cadre de la

Convention Européenne des Droits de l’Homme, Dossier sur les Droits de l’Homme, n°17, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2000, p. 5.

423La liberté de religion n’est pas l’apanage des États laïcs. En effet, comme l’a démontré Michel VERPEAUX, même si la laïcité d’un État entendue selon lui, au sens de séparation Églises-État et neutralité de l’État face à la religion, assure le respect de la liberté de religion et le stade ultime de son développement, cette liberté est tout aussi effective dans certains tats dont les constitutions élèvent et privilégient certaines religions en tant que religion d’État, et qui excluent de facto la laïcité. Michel VERPEAUX, « La garantie de la liberté religieuse impose-t-elle un État laïque ? », in Constitution & Religion, Table ronde tenue à Athènes du 22 au 26 mai 2002, Association Internationale de Droit Constitutionnel (A.I.D.C), Institut de Recherches Constitutionnelles (I.R.C), Association des Constitutionnalistes Grecs (A.C.G), Bruylant, Bruxelles, pp. 3-17.

424 Art. 1, al. 1 Const. française, 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. (…) » ; Art. 2 , Const. béninoise, 1990 ; Art. 30, al. 1, Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 1, al. 1, Const. sénégalaise, 2001. Ces dernières constitutions reprennent pratiquement les caractéristiques de la République française posée par la Constitution de la Vème République.

425 En France, le principe de laïcité découle de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État.

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150

pouvoir religieux, ce qui implique que le fait religieux ne saurait constituer un fait

public426.

235. À ces deux conséquences, il convient d’ajouter que l’État ne doit faire la

propagande d’aucune religion, mais il lui est également interdit de faire la propagande de

l’athéisme. Laïcité et liberté de manifester ses croyances sont profondément liées,

puisqu’un État laïc assure par voie de conséquence la liberté de religion. D’abord, l’État a

le devoir d’offrir à chaque individu, la possibilité d’exprimer ses croyances, ou son

athéisme. L’expression de ses croyances ne va pas sans les obligations qui y sont attachées.

Il appartient donc à l’État, de créer les conditions d’un environnement harmonieux, dans

lequel les différentes croyances se fondent sans que cela ne porte atteinte à la liberté de

chacun, ni à l’ordre public sécuritaire. Dans cet environnement harmonieux, l’individu, au

nom de sa liberté de manifester ses croyances, peut même opposer aux devoirs et

obligations qui découlent de son statut de membre de la Cité, les exigences que lui impose

sa conscience, lieu d’assise de ses croyances. Tel est le cas des objecteurs de conscience.

Jean-Pierre CATTELAIN considère qu’il y a objection de conscience lorsqu’ : « un groupe

ou un individu choisit délibérément de violer un règlement adopté par la majorité des

citoyens, ou imposé par un gouvernement, et ce au nom d’une exigence supérieure, qu’il

perçoit dans sa conscience : cette loi préférable à la loi que prétend imposer le groupe, peut

prendre la forme d’une exigence religieuse ou morale transcendante, ou être inspirée

simplement de considérations politiques : mais dans tous les cas, elle se présente comme

inspirée par un souci de l’intérêt de la communauté dans son ensemble » 427. Les valeurs et

principes religieux ou philosophiques peuvent ainsi l’emporter sur les valeurs et principes

républicains.

236. Ensuite, l’État a interdiction d’offrir quelque privilège ou quelque faveur que ce

soit, aux autorités et aux adeptes d’une religion au détriment d’une autre. D’ailleurs, les

constitutions des États étudiés ne revendiquent l’appartenance à aucune religion. Hormis la

France et la Côte d’Ivoire qui se contentent d’inscrire le respect de toutes les croyances428,

426 Voir infra : Deuxième partie, Chapitre II, Section I, § 2. 427 Jean- Pierre CATTELAIN, L’objection de conscience, 1ère éd., P.U.F, Coll. « Que sais-je », Paris, 1973,

p. 7. 428 Art. 1, Const. française, 1958 ; Art. 30, al. 2, Const. ivoirienne, 2000.

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151

le Bénin et le Sénégal garantissent en plus le droit pour les communautés et institutions

religieuses de se développer sans entraves. Les lois fondamentales dans ces derniers États

affirment également que ces institutions et communautés ne sont pas soumises à la tutelle

de l’État, puisqu’elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome429,

tout comme en Allemagne avec l’article 137 (1) de la Constitution de 1919, reconduit en

1949. Ainsi, tout mouvement religieux doit être maître de son organisation et de ses

activités. Il doit pouvoir en outre, disposer du droit de s’organiser librement.

237. Sur ce dernier point, la gestion et l’organisation sans entraves des communautés

autonomes s’étend jusqu’à la définition des jours travaillés et des jours où aucune activité

domestique ou économique n’est admise. Bon nombre de décisions de la Cour

constitutionnelle du Bénin ont été rendues en la matière. En effet, le Bénin est un État

constitutionnellement laïc, dans lequel l’animisme fait intégralement partie du paysage

religieux. Les pratiques animistes sont pour l’essentiel, jugées incompatibles avec celles

des religions monothéistes (catholicisme, protestantisme, …). La présence du culte vodou

ou vodoun (en langue locale), en l’occurrence est telle, que certaines collectivités

territoriales sont entièrement organisées en fonction de ses rites et croyances. À cet égard,

la décision D.C.C. n° 97-019 du 06 mai 1997, rendue par la Cour constitutionnelle du

Bénin affirme, sur la base de l’article 23 de la Constitution de 1990, relative à la liberté de

croyance, qu’ : « Aucune communauté religieuse ou philosophique n’a le droit d’imposer à

l’autre ses croyances et pratiques religieuses ; dans le cas d’espèce, les adeptes du culte

vodoun ne sauraient soumettre les chrétiens U.R.H.C [ Union Renaissance d’Hommes en

Christ] aux pratiques fondées sur leurs croyances »430. Nombre de conflits entre

différentes communautés religieuses naissent régulièrement à travers le pays. Le juge

constitutionnel, par la voie de la saisine d’office, ou dans le cadre d’une saisine directe par

un citoyen, renforce non seulement la protection de la liberté d’opinion religieuse du

429 Art. 23, Const. béninoise, 1990 ; Art. 24, al. 2, Const. sénégalaise, 2001. 430 En l’espèce, les responsables du culte Vodou soutenus par les délégués de la Sous-préfecture de Zè ont

interdit aux chrétiens de l’U.R.H.C, de s’adonner à des travaux champêtres, le jour du marché Dantokpa, en invoquant la tradition, sous peine de représailles. M. ADOGNON Étienne, représentant de l’U.R.H.C, saisit alors la Cour constitutionnelle, en invoquant la violation des articles 9 et 23 de la Constitution.

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152

citoyen contre l’État, mais aussi, la sauvegarde de cette forme de liberté contre d’autres

citoyens431.

238. La manifestation de ses croyances est une prérogative constitutionnelle reconnue à

tout individu. Les croyances s’extériorisent par des comportements rituels, des pratiques,

des enseignements, des attitudes, des signes extérieurs, etc. Elles s’expriment dans la

pratique individuelle ou collective de la religion432. Aussi appelée liberté de culte, cette

pratique individuelle ou collective recouvre un aspect communautaire, contrairement à la

liberté de croyance qui est individuelle. Le culte fait référence à un ensemble de rites

rassemblant des personnes partageant les mêmes croyances. En France, dans un avis rendu

en 1997, le Conseil d’État a défini le culte comme étant : « la célébration de cérémonies

organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même

croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques »433. Les cultes ou

pratiques religieuses peuvent se faire à l’intérieur des espaces dédiés à cet effet (culte

intérieur) ou sur la voie publique (culte extérieur), tant qu’ils ne sont pas susceptibles

d’atteintes ou de troubles à l’ordre public. Lorsqu’il est intérieur, il ne nécessite aucune

déclaration préalable. En revanche, le culte extérieur, qui peut comprendre les processions,

les prières de rue ou les convois funèbres, est soumis au respect de l’ordre public. Dans les

États reconnus comme de grandes démocraties tout comme dans certains États de l’Afrique

subsaharienne francophone, la liberté de manifester ses croyances est organisée selon des

règles quelque peu différentes. Ainsi, à l’inverse des grandes démocraties, les groupes

religieux en Afrique subsaharienne francophone sont soumis à une autorisation préalable.

En Côte d’Ivoire par exemple, le Ministère de l’Intérieur mène une enquête pour s’assurer

que le groupe religieux en attente de reconnaissance officielle, ne poursuit pas de but autre

que religieux. Au Sénégal et au Bénin, la procédure est la même pour les groupes et

mouvements religieux, qui, une fois reconnus officiellement après enquête, sont dispensés

de certaines formes d’impôt, comme c’est le cas en France.

431 Voir entre autres, les décisions suivantes : Décision D.C.C. 97-039 du 07 juillet 1997, EGBO W.

Gilbert ; Décision D.C.C. 00-049 du 31 Août 2000, OUEOUNOU Ernest ; Décision D.C.C. 03-140 du 25 septembre 2003, AKIGBE Roger ; Décision D.C.C. 08-034 du 03 mars 2008, ALIGBONON Dah.

432 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, op. cit., p. 143. 433 C.E, Ass., avis, 24 octobre 1997, Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom,

n°187.122, Rec. Lebon ; Revue française de Droit administratif, 1998, p. 69.

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153

239. En France, les groupes ou mouvements religieux sont assimilés à des associations,

lesquelles relèvent de la loi du 1er juillet 1901, relative au Contrat d’association. De ce fait,

en tant qu’associations à but cultuel, elles ne sont, en principe, soumises à aucune forme de

déclaration ou d’autorisation préalable434. Cependant, ne sera reconnue la capacité

juridique à une association, même cultuelle, qu’après que celle-ci a déclaré au préalable,

auprès de la préfecture du département, ou de la sous-préfecture de l’arrondissement où

elle aura son siège, l’objet et le titre de l’association, le siège de ses établissements et les

noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui à un titre quelconque, sont

chargés de son administration435.

240. En Allemagne, les groupes et mouvements religieux sont régis sur le plan

constitutionnel, par l’article 4 de la Loi Fondamentale de 1949, relatif à la liberté de

croyance, de conscience et de profession de foi. En conséquence, en vertu de la règle de

l’application immédiate des droits fondamentaux, la liberté de culte est garantie à tous sans

limitation explicite, autre que celles de l’ordre public. Les associations à but religieux ne

sont de ce fait soumises à aucune règle expresse de déclaration préalable, sinon celles qui

régissent les associations de droit commun et le principe constitutionnel

d’autodétermination qui découle de l’article 9 de la Loi Fondamentale. Ce sont les

dispositions des articles 136, 137, 138, 139 et 141 de la Constitution de Weimar du 11

Août 1919, reconduites par la Loi Fondamentale de 1949, qui organisent les associations

devenues sociétés religieuses, qui normalement constituées, peuvent bénéficier du statut de

personne morale de droit public. Toutefois, l’arrêt Leela Förderkreis E.V. et a. c./

Allemagne du 6 novembre 2008 rendu par la C.E.D.H, démontre comment l’État allemand

s’implique dans la protection de ses citoyens vis-à-vis des mouvements « dits » religieux.

Il s’applique notamment à mener de nombreuses campagnes de sensibilisation sur les

nouveaux mouvements religieux qu’il présente comme des mouvements sectaires et

destructeurs, lesquels manipulent leurs membres. Le Tribunal fédéral de Karlsruhe a ainsi

autorisé l’État dans cette campagne d’information, à utiliser les termes assimilés à la notion

de secte « sect », « youth sect », « psycho-sect », dans ses campagnes d’information. Le

434 Art. 2, loi du 1er juillet 1901 relative au Contrat d’association : « Les associations de personnes pourront

se former librement sans autorisation, ni déclaration préalable (…) ». 435 Art. 5, loi 1901 précitée.

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154

juge fédéral a toutefois interdit à l’État, l’emploi des expressions « destructrices »,

« pseudo-religieuses », « manipulent leurs membres ». La C.E.D.H a approuvé cette

distinction opérée par le Tribunal fédéral allemand436. Outre la liberté de culte, la liberté de

manifester ses croyances peut se concrétiser à travers le port d’insignes religieux. Alors

que les grandes démocraties contemporaines entretiennent une certaine ambigüité entre la

stricte neutralité de l’État qu’elles proclament avec le respect de la liberté de manifester ses

croyances, en Afrique subsaharienne francophone, les États semblent s’être accommodés

de certains signes religieux comme le voile islamique, même dans l’espace public, voire

les services publics437.

§ 2. LES LIMITES LIEES AUX EXIGENCES DE CONCILIATION DES DROITS ET LIBERTES

241. Le législateur est tout à fait conscient que cette liberté emporte deux conséquences :

la liberté d’exprimer son opinion et la liberté de critique. À cet effet, les risques de

débordements sont réels. En conséquence, la liberté de manifester ses opinions connaît des

tempéraments (A). Aussi, la liberté de critique, corollaire de la liberté d’opinion, peut-elle

prendre des formes nuancées ou des formes agressives qui portent atteinte à l’honneur et à

la considération de la personne humaine. La règle de droit doit alors servir d’outil

d’encadrement et ne saurait laisser ces atteintes impunies (B).

A. LES TEMPERAMENTS A L’EXPRESSION DE LA LIBERTE D’OPINION

242. La liberté d’opinion, dans la sphère privée est une liberté qui s’exerce sans

restriction. En revanche, dans la sphère publique, elle connaît divers aménagements qui en

limitent l’exercice. Qu’il s’agisse de la liberté d’opinion politique, mais aussi de la liberté

d’opinion religieuse, tant l’usager du service public que l’agent de l’État, ou le

fonctionnaire, tous sont soumis aussi bien aux règles qu’impose le maintien de l’ordre

public sécuritaire dans l’espace public (1) qu’aux règles qui gouvernent la neutralité du

service public (2).

436 C.E.D.H., 6 novembre 2008, Leela Förderkreis E.Voir et a./ Allemagne. Note Gérard Gonzalez, Revue

du Droit Public, 2009, pp. 914-915. 437 Voir infra. Deuxième partie, Chapitre II, Section I, § 2.

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155

1. Dans l’espace public

243. Certes, la liberté d’opinion politique, la liberté d’opinion syndicale et la liberté

d’opinion religieuse sont toutes protégées par les différentes constitutions. En revanche,

dans la pratique, des disparités apparaissent. La liberté d’opinion religieuse est celle qui

connaît les dispositions légales les plus restrictives dans l’espace public en raison de la

neutralité de l’État. Si dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, la neutralité

de l’État est constitutionnellement affirmée à travers le principe de laïcité, la liberté de

culte et le port d’insignes religieux quels qu’ils soient -tant qu’ils ne portent pas atteinte à

l’ordre public sécuritaire-, se conjuguent avec tolérance dans une sorte de modus vivendi

dans l’espace public. Cette tolérance concerne aussi bien les usagers des services publics

que les agents ou fonctionnaires de l’État438. Dans les États démocratiques, et en France en

particulier, la liberté de culte et la liberté de manifester ses croyances connaissent des

restrictions législatives de divers ordres dans l’espace public, en raison d’une volonté de

protéger davantage l’ordre public sécuritaire et d’appliquer de manière stricte la neutralité

de l’État. En tant qu’États membres du Conseil de l’Europe, l’Allemagne et la France

conservent une large marge d’appréciation en la matière. Cette marge d’appréciation

s’exerce sous le contrôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour définir les

mesures qu’elles estiment être les plus appropriées, du fait de leurs traditions

constitutionnelles et sociales. Toutefois, cette marge d’appréciation doit viser la

conciliation de la liberté de manifester ses croyances dans les espaces publics - écoles,

collèges, lycées, …- avec le principe de neutralité de l’État. Lorsque plusieurs religions

coexistent au sein d’une même population, il appartient à l’État de prendre toute mesure

nécessaire à la conciliation des différents intérêts en présence : les droits et libertés

fondamentaux, l’ordre public sécuritaire, la paix civile, le pluralisme religieux.

244. À la différence de l’Allemagne qui applique le principe de coopération

institutionnalisée depuis la Constitution de Weimar de 1919, reconduit par la loi

438 Cette tolérance de la liberté de manifester ses croyances en Afrique, fait alors du principe de laïcité, un

principe relativement flexible, qui ne connaît pas d’application rigide. Voir infra. Deuxième partie, chapitre II, Section I, § 2, B.

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156

fondamentale de 1949439, la France entretient avec une certaine fermeté la séparation de

l’État et des religions. Fléchir sur ce principe signifierait certainement pour le législateur

français, la remise en cause des fondements du principe de laïcité durement acquis avec

l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État. La

marge d’appréciation reconnue à la France en raison de sa tradition a permis au législateur

de réaffirmer le principe de laïcité « à la française ». Du fait que la Constitution de 1958

donne au législateur en son article 34440, compétences pour organiser le régime juridique

des droits et libertés fondamentaux, il découle que c’est à lui que revient la tâche

d’organiser le régime juridique de la liberté de religion et de ses composantes. La tradition

constitutionnelle française de même que les exigences de sauvegarde de l’ordre public

sécuritaire jugées incompatibles avec certaines manifestations excessives de ses croyances

dans l’espace public ont milité en faveur de l’adoption d’une loi en 2010. Ainsi, le

législateur français a adopté une loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace

public441. Il y définit l’espace public comme un espace « constitué des voies publiques

ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public »442. Désormais, aucun

individu ne saurait se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles

communes exigées pour la sauvegarde de l’ordre public sécuritaire, tels que les contrôles

d’identité ou l’identification des personnes dans l’espace public443. Le Conseil

constitutionnel, saisi dans le cadre d’un contrôle a priori par les présidents des deux

assemblées - Assemblée nationale et Sénat-, a validé cette loi de 2010 en la déclarant

conforme à la Constitution française de 1958. Cependant, le juge constitutionnel a émis

une réserve dans le cinquième considérant, en ces termes : « L’interdiction de dissimuler

son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10

439 Thierry RAMBAUD, Le principe de séparation des cultes et de l’État en droit public comparé : Analyse

comparative des régimes français et allemand (Préface de Jean MORANGE), L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 115, Paris, 2004, p. 16.

440 L’article 34 de la Constitution française de 1958 dispose en substance que : « La loi fixe les règles concernant (…) les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

441 Loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op. cit., pp. 455-461, n°37.

442 Art. 2, loi précitée. 443 C.E.D.H., 11 janvier 2005, Phull c. / France : aff n° 35753/03 ; C.E.D.H., 5 mars 2008, Morsli c./

France : aff. n° 15585/06.

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157

de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, restreindre l’exercice de la liberté

religieuse dans les lieux de culte ouverts au public (…) »444. L’adoption de cette loi en

France répond, selon le Conseil constitutionnel445, à l’apparition de pratiques qui jusque là

étaient considérées comme « exceptionnelles » et qui à force de répétition, auraient fini par

remettre en cause les principes de liberté et d’égalité entre hommes et femmes446.

Historiquement, cette pratique religieuse conseillée par l’Islam est apparue tardivement en

France, en comparaison avec le catholicisme, le judaïsme et le protestantisme. Cependant,

la récurrence de la dissimulation du visage pour des motifs religieux a conduit le

législateur à intervenir afin de généraliser l’interdiction et donner aux juridictions

compétentes les moyens légaux d’apprécier les risques d’atteinte à l’ordre public

sécuritaire du fait de la manifestation de leurs croyances. En outre, le Conseil

constitutionnel a justifié l’adoption de la loi pour des motifs de sauvegarde de l’ordre

public que le législateur doit impérativement concilier avec « la garantie des droits

constitutionnellement protégés ».

245. Profondément liées à la tradition politique, culturelle et sociale des États, les

manifestations de la liberté d’opinion dans l’espace public sont diversement encadrées. Il

n’en demeure pas moins que l’aménagement de la manifestation de la liberté d’opinion

dans l’espace public obéit dans tous ces États, au principe de neutralité des services

publics. Il impose par voie de conséquence l’interdiction de la gestion des services publics

sur des critères liés aux opinions du personnel ou des usagers, pour des raisons évidentes

qui tiennent au principe d’égalité.

444 C.C., décision n° 2010-613 D.C. du 7 octobre 2010, loi interdisant la dissimulation du visage dans

l’espace public. Louis Favoreu et alii., « Voile intégral. Droit constitutionnel des libertés. Déclaration de 1789. Conciliation entre liberté individuelle et ordre public. Application uniforme des libertés fondamentales. Réserve d’interprétation », Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, Coll. « Grandes décisions »Paris, 2011, pp. 550-556 ; note Michel VERPEAUX, « Dissimulation du visage, la délicate conciliation entre la liberté et un nouvel ordre public », A.J.D.A, n°42, 2010, pp. 2373- 2377 ; Anne LEVADE, « Épilogue d’un débat juridique : l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public validée ! », La semaine juridique. Édition générale, n°43, 2010, pp. 1977-1981.

445 Voir le 4ème considérant de la décision précitée. 446 Comme l’a souligné le Conseil Constitutionnel dans le considérant précité, le législateur en adoptant la

loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, a estimé « que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ».

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158

2. Dans les services publics

246. À l’intérieur de ces services, la liberté de manifester ses croyances est strictement

encadrée car cette liberté ne saurait heurter le principe de neutralité des services publics.

Les fonctionnaires et agents de l’État sont en règle générale, bénéficiaires d’un régime

juridique protecteur de leur liberté d’opinion générale. Déjà en 1955, Charles

FOURRRIER estimait que la liberté d’opinion du fonctionnaire avait « plus précisément

pour objet les opinions politiques, plus rarement les religieuses et moins souvent encore les

opinions philosophiques »447. Aujourd’hui, le constat est différent. Les fonctionnaires et les

différents agents des services publics restent toujours pour certains d’entre eux, des acteurs

politiques aussi bien en Occident qu’en Afrique subsaharienne francophone. Par contre, les

opinions religieuses des fonctionnaires font de plus en plus l’objet d’un encadrement

juridique du fait de leur expansion et des risques encourus pour le principe de laïcité et

avec lui, de neutralité de l’État. Le fonctionnaire et l’agent de l’État dans l’exercice de

leurs fonctions, sont soumis au respect des « exigences supérieures de l’intérêt général,

exprimées au niveau des missions du service ; celles-ci justifient les aménagements

apportés à l’exercice concret de ces droits et libertés pour rendre les unes et les autres

compatibles »448. Les différents législateurs doivent de ce fait poursuivre l’objectif de

compatibilité constante entre l’expression des opinions des fonctionnaires et les principes

constitutionnels qui protègent les droits et libertés fondamentaux des uns et des autres. Au

moyen des différents textes de lois adoptés sur cette question, les autorités législatives

insistent alors sur le fait que les services publics en Afrique comme en Occident ne

sauraient constituer des canaux pour la propagande de toute idéologie quelle qu’elle soit et

le prosélytisme.

247. À titre d’exemple, la loi n° 92-570 du 11 septembre 1992 portant statut de la

fonction publique en Côte d’Ivoire, dispose en son article 16, alinéa 1 que : « La liberté

d’opinion est reconnue aux fonctionnaires (…) ». Toutefois, le législateur ivoirien souligne

que : « L’expression de ces opinions ne peut mettre en cause les principes affirmés par la

447 Charles FOURRIER, La liberté d’opinion du fonctionnaire. Essai de droit comparé : France, Grande-

Bretagne, États-Unis, U.R.S.S., Allemagne, Suisse, Belgique, etc., L.G.D.J., Paris, 1956, p.2. 448 Jean-Marie BRETON, Droit de la fonction publique des États d’Afrique francophone, op. cit., p. 164.

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159

Constitution et le présent statut »449. Les principes auxquels il est fait référence sont entre

autres la laïcité de l’État, la liberté des individus, l’ordre public sécuritaire. Par conséquent,

les opinions des fonctionnaires ne peuvent s’exprimer qu’en dehors du service450. Certains

fonctionnaires, en raison de la place qu’ils occupent dans la hiérarchie du service public

concerné, sont soumis à une obligation de réserve, afin qu’aucun discrédit ne soit jeté sur

l’État, du fait de l’expression de leur liberté d’opinion, qu’elle soit politique, syndicale ou

religieuse.

248. En Allemagne, la liberté d’opinion des fonctionnaires n’a pas toujours été ce

qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire, affirmée et protégée par la Loi Fondamentale du 23

mai 1949. L’article 33 de la Loi Fondamentale dispose en substance que l’admission aux

fonctions publiques de même que les droits acquis de la fonction publique sont

indépendants de la croyance religieuse451. Aucun individu ne doit subir en conséquence,

quelque préjudice que ce soit, en raison de son adhésion ou de sa non-adhésion à une

croyance religieuse et philosophique452. Cette disposition insiste sur la liberté des opinions

religieuses et philosophiques des fonctionnaires. De plus, l’expression de son appartenance

religieuse est protégée par le juge constitutionnel fédéral, en l’absence de toute loi. Dans sa

décision du 24 septembre 2003, la Cour constitutionnelle fédérale a invalidé une décision

administrative qui sanctionnait une enseignante pour refus d’enlever son hijab pendant son

service. La Cour constitutionnelle fédérale a jugé que l’arrêt de la Cour administrative

fédérale, admettant la constitutionnalité d’un refus du ministère de l’Enseignement du

Bade-Wurtemberg de nommer Professeur des écoles et collèges, une allemande qui portait

le voile devant sa classe, restreignait la liberté religieuse et violait ainsi l’article 4 (1) et (2)

de même que l’article 33 (3) de la Loi Fondamentale de 1949, en l’absence de toute loi.

Les seules restrictions sont celles qui découlent du « législateur démocratique du

Land »453. Autrement dit, seule la loi peut restreindre la liberté religieuse puisque seul le

449 Art.16, al. 2, Loi n° 92-570 du 11 septembre 1992 portant statut de la fonction publique en Côte d’Ivoire. 450 Al. 3, art. précité. 451 Art. 33 (2) L.F. de la R.F.A. de 1949. 452 Art.33 (3), L.F. précitée. 453 BVerfGE, 24 septembre 2003, foulard islamique [Kopftuchentscheidung], analyse par Michel

FROMONT, in Pierre BON et Didier MAUS (ss. la dir.), Les grandes décisions des cours

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160

législateur peut opérer la conciliation nécessaire entre la liberté de manifester ses

croyances et le droit du fonctionnaire de ne pas être discriminé en raison de ses croyances

religieuses454. Qu’en est-il de la liberté d’opinion politique des fonctionnaires ? Pour

répondre à cette interrogation, il convient de rappeler la complexité de la situation politique

du territoire de l’Allemagne avant 1990, année de la réunification des deux Allemagnes.

En raison de la particularité du découpage administratif et politique du pays, les

fonctionnaires n’étaient pas logés à la même enseigne, selon les zones administratives

auxquelles ils appartenaient. Ces disparités juridiques étaient flagrantes pour ce qui était de

leurs droits et obligations, dont la liberté d’opinion455.

249. En France, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour souligner les limites

de la liberté d’opinion dans les services publics, conformément à la tradition

constitutionnelle du pays. Ainsi, la loi du 13 juillet 1983, dite Loi Le Pors, portant droits et

obligations du fonctionnaire, en ses articles 6 et suivants, précise le cadre d’exercice de la

liberté d’opinion du fonctionnaire. Ce dernier est en principe, libre d’exprimer ses

opinions. Toutefois, cette liberté générale est assortie d’une obligation de neutralité

pendant le service. L’arrêt Demoiselle Jamet rendu en 1950 par le Conseil d’État, le

précise en affirmant qu’ « au nom du devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent

collaborant à un service public », la liberté d’expression des opinions des fonctionnaires

peut connaître des restrictions456. Le législateur dû alors intervenir afin de préciser les

contours de cette obligation pour le fonctionnaire et l’agent de l’État, quant à l’expression

de ses opinions. L’article 5 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 ne dispose-t-

constitutionnelles européennes, Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2008, pp. 272- 273 ; 276-278, spéc. p. 273.

454 BVerfGE, 24 septembre 2003, foulard islamique [Kopftuchentscheidung], op. cit., p. 277. 455 « Le problème des droits politiques des fonctionnaires est très controversé depuis le retour de la

démocratie. En zone britannique, le gouvernement militaire a limité ces droits à l’électorat et à l’appartenance passive à l’un des partis autorisés. Les Constitutions de la zone américaine ne contiennent aucune restriction des droits. La Constitution de Hesse fait même un devoir aux fonctionnaires d’agir pour l’affermissement des idées démocratiques. En zone française, les Constitutions accordent aux fonctionnaires les mêmes droits qu’aux autres citoyens, mais la législation de Bade-Sud et de Wurtemberg-Hohenzollern apporte certaines restrictions ». Cet extrait est tiré d’une étude parue le 25 juin 1949 dans la revue La Documentation Française, n° 57 sur l’Allemagne. Cité par Charles FOURRIER, La liberté d’opinion du fonctionnaire. Essai de droit public comparé, op. cit., p. 176.

456 C.E, Sect., 3 mars 1950, Demoiselle Jamet, n°98.284, Rec. Lebon, p. 247.

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161

il pas que : « (…) Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne

peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » ?.

250. À cet effet, Louis FAVOREU considérait à juste titre dans le cadre de la liberté

d’opinion religieuse, en 2003, que « le respect de la Constitution commande que toute

mesure relative au port d’insignes religieux (ou autres) dans les services publics- qu’il

s’agisse d’une interdiction ou d’une autorisation – soit prise par une loi votée par le

Parlement »457. Aussi, en 2004 suite au rapport de la Commission STASI sur l’application

du principe de laïcité dans le République, le législateur adopte la loi n° 2004-0228 du 15

mars 2004, qui aménage la liberté d’opinion des usagers des services publics. Cette loi

pose en interdiction générale et absolue, le port des signes ou tenues par lesquels les élèves

manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées

publics. Cette loi a eu pour objectif principal, de protéger la laïcité dans les établissements

d’enseignement publics. La circulaire du 22 mai 2004 précise que cette loi concerne non

seulement le voile islamique et la Kippa mais aussi, toute croix de dimension

manifestement excessive. Cette indifférence du législateur implique que « l’autorité

normative soit “aveugle” à la signification religieuse, réelle ou supposée, du vêtement

dissimulant intégralement le visage, comme elle l’est par exemple à la couleur de la peau

ou à l’origine »458.

251. Le principe de neutralité de l’État interdit également tout recrutement à la fonction

publique sur des critères fondés sur les opinions politiques, philosophiques, syndicales ou

religieuses des candidats. De même, le déroulement de carrière ne saurait être soumis à une

discrimination fondée sur la religion. En France par exemple, un candidat ne peut être

écarté d’un concours de recrutement dans la fonction publique pour des motifs qui tiennent

compte de ses opinions politiques459. Mais à l’inverse, un candidat, dans le cadre d’un

concours d’agrégation dans l’enseignement secondaire public, peut ne pas être autorisé à y

participer, au motif que « l’état ecclésiastique auquel il s’était consacré s’oppose à ce qu’il

soit admis dans le personnel de l’enseignement public, dont le caractère est la laïcité ». En

457 Louis FAVOREU, « Une loi ! Le respect de la Constitution l’exige », Le Monde, 06 décembre 2003. 458 C.C., décision n°2010-613 D.C. du 7 octobre 2010, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op.

cit., pp. 459-460. 459 C.E., 28 mai 1954, Barel, Rec. Lebon, p. 308.

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162

effet, « l’État a le droit (…) de s’assurer que le candidat à une fonction ne se trouve pas

dans le cas de ne pas la remplir selon l’esprit et le but en vue desquels la loi l’a instituée.

L’autorité qui fait la nomination a donc forcément, dans l’intérêt du service que la

fonction a pour but d’assurer, à exercer un certain pouvoir d’appréciation sur les mérites

des candidats ». L’Abbé Bouteyre, un prêtre catholique avait la volonté de participer au

concours d’agrégation de philosophie de l’enseignement secondaire. Le ministre de

l’instruction publique de l’époque, estima alors que dans l’intérêt du service, les fonctions

d’ecclésiastique n’étaient pas compatibles avec celles de professeur de l’enseignement

secondaire public, car ce dernier ne serait pas apte à faire preuve de l’impartialité et de la

neutralité nécessaires, dans le cadre de son enseignement460.

252. En conclusion, malgré le principe de la liberté d’opinion, cette liberté ne peut

s’exercer selon l’endroit et selon la personne considérés. L’espace public constitue une

première limite à l’expression de ses opinions, surtout religieuses, lorsque celles-ci sont

jugées incompatibles avec les exigences de maintien de l’ordre public sécuritaire. Une

seconde limite concerne les fonctionnaires et agents de l’État, dans la mesure où en vertu

du principe de laïcité de l’État, il leur est interdit d’exprimer leurs opinions religieuses ou

politiques dans le cadre du service. Les services publics ne doivent également opérer

aucune discrimination liée aux opinions. Si cette interdiction vaut strictement pour les

opinions religieuses, les opinions politiques peuvent, en revanche, influencer le

recrutement et le déroulement d’une carrière461. En effet, certains emplois supérieurs sont

laissés à l’appréciation discrétionnaire du gouvernement, autorité de nomination à ces

emplois. Les directeurs des administrations centrales et les autorités déconcentrées en sont

des exemples. Et en règle générale, les personnes nommées à ces postes à responsabilité ne

doivent, tant dans le cadre du service public, qu’à l’extérieur, du moins en public, exprimer

d’opinions contraires à celles du gouvernement, dont ils mettent les politiques publiques en

460 C.E., 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, n°46027, Rec. Lebon, p. 561 ; Marcel LONG et alii., Les grands

arrêts de la jurisprudence administrative, 20ème éd., Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2015, n°23, pp.130-136.

461 Ce constat est bien souvent avéré en Afrique subsaharienne avec plus d’acuité. Il n’en demeure pas moins vrai que les opinions politiques participent à un degré moindre, de l’avancement des carrières dans les grandes démocraties occidentales.

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163

œuvre. Henri OBERDORFF emploiera alors l’expression « obligation de loyalisme »462

pour résumer cette idée. Certains fonctionnaires exerçant des missions de service public

régalien tels que les magistrats, les militaires463 entre autres sont soumis au strict respect de

la politique gouvernementale tant en matière de justice qu’en matière de défense.

B. LES OPINIONS ATTENTATOIRES A L’HONNEUR ET A LA CONSIDERATION DES PERSONNES

253. « Expressa nocent, non expressa non nocent ». Ce qui est exprimé peut nuire, ce

qui n’est pas exprimé ne peut nuire. Cet adage prend tout son sens dans l’hypothèse de

l’expression des opinions. Il est des expressions d’opinions qui peuvent nuire à l’honneur

et à la considération des individus. L’honneur se rattache davantage à l’idée que l’on tient à

conserver soi-même alors que la considération se rattache à l’idée que les autres ont de

nous464. La liberté d’opinion ne doit pas dégénérer en licence en portant atteinte à la

probité de l’autre. Toutes les opinions ne sont pas participatives de l’érection de la

démocratie, encore moins de l’État de droit. Certaines opinions bénéficient de la protection

de la règle de droit, et d’autres sont sanctionnées par elle. Ces dernières ne sont pas

qualifiées d’opinions, mais constituent des infractions punies par le droit pénal. Et,

constitue une infraction, « tout fait, action ou omission, qui trouble ou est susceptible de

troubler l’ordre ou la paix publique en portant atteinte aux droits légitimes soit des

particuliers, soit des collectivités publiques ou privées et qui comme tel est légalement

sanctionné »465. Dans le cadre de l’exercice de la liberté d’opinion, droit fondamental, le

législateur est tenu de garantir la conciliation de cette liberté avec l’ordre public sécuritaire,

au besoin en sanctionnant les infractions qui en découlent : tel est le cas de la diffamation

(1) et de l’injure (2) entre autres.

462 Henri OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 499. 463 Pour approfondir la réflexion sur la liberté d’opinion des militaires, voir : Clara BACCHETTA, Quelle

liberté d’expression professionnelle pour les militaires ? Enjeux et perspectives, Economica, Coll. « Institut des Hautes Études de Défense Nationale », Paris, 2004.

464 Propos de Guizot, Commissaire du Roi lors des débats à l’occasion de la loi de 1819. Cité par Bernard BEIGNIER et alii., Traité de droit de la presse et des médias, Litec, Coll. « Traités », Paris, 2009, p. 449.

465 Art. 2, Loi 81-640 du 31 juillet 1981 instituant le Code pénal.

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164

1. La diffamation

254. Avant d’analyser la nature de la répression de la diffamation (b), il importe de

préciser les fondements de la sanction de l’acte diffamatoire (a).

a. Les fondements de la sanction de l’acte diffamatoire

255. Tout propos vague émis en des termes généraux ne relève pas obligatoirement

d’une opinion au sens juridique du terme. Ce propos n’est pas forcément condamnable. Du

point de vue de la règle de droit, pour être qualifié d’opinion sanctionnable, un propos, une

attitude ou des gestes doivent être exprimés dans des situations précises. Les propos

doivent porter sur un thème précis, viser un cadre particulier, cibler un individu ou un

groupe d’individus spécifique466. Ces propos doivent être émis avec la ferme intention de

nuire. Georges BARBIER écrivait à cet effet que : « L’intention de nuire, en matière de

diffamation, consiste dans la volonté de causer un préjudice matériel ou moral à un tiers,

ou au moins dans la conscience du préjudice qu’on peut lui causer, en lui imputant, avec

publicité, en dehors de l’exercice d’un droit ou de l’accomplissement d’un devoir, un fait

vrai ou faux, de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération »467. La

diffamation est un acte incriminé dont la répression varie selon la qualité de la personne

visée. Ne seront retenus à ce stade de notre réflexion que les diffamations commises envers

les particuliers468.

256. Aux termes de l’article 29 de la loi française sur la liberté de la presse de 1881, la

diffamation est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte

466 La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation disait déjà en 1934, à propos d’attaques vives contre les

écoles libres et le clergé, que « des attaques vagues et générales » ne sont pas constitutives du délit de diffamation. Cass. Crim., 22 novembre 1934, D.P., 1936, 1, p. 27, note Marcel NAST. L’auteur de la note commentant l’arrêt affirmait qu’ : « il n’est pas douteux que, si les allégations incriminées sont produites en termes vagues ou généraux, ou s’il s’agit d’appréciation sur le caractère et les tendances de certains agissements qui sont portés à la connaissance du public, et à plus forte raison, s’il s’agit de critiques doctrinales dirigées contre une attitude, une croyance ou une opinion, le délit de diffamation, ni même celui d’injure, ne sauraient être relevés à la charge de leur auteur ».

467 Georges BARBIER, Paul MATTER et J. RONDELET, Code expliqué de la presse. Traité général de la police de la presse et des délits de publication, Tome I, 2ème éd., Imprimerie et Librairie générale de jurisprudence, Paris, 1911, p. 422.

468 Les diffamations commises envers les corps constitués et les administrations publiques de même qu’envers les personnes physiques détentrices de l’autorité publique feront l’objet d’un développement spécifique. Voir infra. Troisième partie, Chapitre I, Section I, § II, B, 3.

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165

à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Si

l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme pose les limites à la liberté en ces

termes : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », alors la

liberté d’opinion consiste à pouvoir penser et exprimer tout ce qui ne nuit pas à l’honneur

et à la considération d’autrui. L’opinion reste libre dans sa formation. En revanche, son

expression ne saurait échapper à la règle de droit puisqu’elle peut, à ce moment là, nuire à

autrui. L’expression des opinions s’oppose au droit à l’honneur.

257. Le droit à l’honneur est un droit sacré en droit civil. SHAKESPEARE n’écrivait-il

pas : « La bonne renommée pour l’homme et pour la femme, mon cher seigneur, est le

joyau suprême de l’âme. Celui qui me vole ma bourse me vole une vétille : c’est quelque

chose, ce n’est rien ; elle était à moi, elle est à lui, elle a été possédée par mille autres ;

mais celui qui me filoute ma bonne renommée me dérobe ce qui ne l’enrichit pas et me fait

pauvre vraiment »469. En effet, la protection de la renommée qui se traduit aujourd’hui par

le droit à l’honneur est un droit auquel est attaché tout Homme. La nuisance d’une

réputation peut briser tout Homme au plus profond de son être. C’est pourquoi, même si

exprimer des opinions critiques est une liberté qui relève du libre droit de la critique470, la

diffamation n’en est pas une471.

b. La répression de la diffamation

258. Tous les textes législatifs des États étudiés sanctionnent, sur le plan pénal, la

diffamation envers les particuliers. L’Allemagne en 1871, à l’occasion de l’adoption du

Code pénal pour le Reich allemand, condamne la diffamation en la considérant comme une

injure, alors que la France et les États de l’Afrique subsaharienne francophone distinguent 469 SHAKESPEARE, Othello, Acte III, Scène III. 470 La Cour d’Appel de Versailles affirmait en 1990, s’agissant d’un article publié en période électorale,

dans lequel, la doctrine d’un parti politique français était comparée à celle des mouvements fascistes européens des années 1930, que: « la diffamation suppose l’imputation ou l’allégation d’un fait déterminé et ne peut se confondre avec une polémique portant sur la doctrine d’un parti politique ou sa conception du rôle de l’État, sauf à vider d’une part essentielle de sa portée le principe de la liberté d’expression et d’opinion en matière de doctrine politique ». C.A. Versailles, Ch. Réunies, 21 mars 1990, Gazette du Palais, 25-26 août 1993, p. 17.

471 Tout en reconnaissant que le fait rapporté dans le cadre d’une diffamation se distingue de l’opinion, Bertrand de LAMY admet qu’en pratique, fait et opinion peuvent entretenir des liens très étroits, « au point que la jurisprudence punit parfois l’expression d’une opinion au titre de la diffamation ». La liberté d’opinion et le droit pénal, op. cit., p. 166.

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166

l’injure de la diffamation. Ainsi, pour le législateur allemand, sera accusé d’injure

diffamatoire : « Quiconque aura, affirmé ou propagé sur le compte d’autrui un fait de

nature à le rendre méprisable ou à l’avilir aux yeux de l’opinion publique » 472, lorsque ces

affirmations ne peuvent être prouvées.

259. La définition de la diffamation formulée par la loi française du 29 juillet 1881 sur la

liberté de la presse, en son article 29, 1er alinéa, a été reprise par les législateurs en Afrique

subsaharienne francophone. Pour certains d’entre eux, l’adoption d’une loi sur la liberté de

la presse est l’occasion de souligner les pénalités pécuniaires auxquelles s’expose tout

auteur d’actes diffamatoires, si ces infractions sont commises par les journalistes. Ainsi, le

Code de l’information du Bénin de 2015 punit en son article 271, 1er alinéa, la diffamation

commise envers les particuliers d’une amende de 500 000 francs (environ 762 euros) à

5 000 000 de francs C.F.A. (environ 7622 euros). En Côte d’Ivoire, la pénalité pécuniaire

est beaucoup plus lourde. C’est en effet à une amende de 5 000 000 de francs à 15 000 000

de francs CFA (environ 22 867 euros) que s’expose tout auteur d’actes diffamatoires

envers les particuliers473. La loi de 1881 en France relative à la presse condamne d’une

amende de 12 000 euros la diffamation commise envers les particuliers474. Le terme

« particuliers » inclut les personnes physiques détentrices d’une autorité publique

diffamées pour des faits relevant de leur vie privée475. Dans tous ces États, aucune peine

privative de liberté n’accompagne les amendes qui en découlent. La diffamation, en Côte

d’Ivoire par exemple, y est expressément qualifiée de « délit de presse ». En tant que tels,

ils y sont en effet dépénalisés depuis l’adoption de la loi de 2004 portant régime juridique

de la presse en Côte d’Ivoire476. Dans cet État comme au Bénin et en France, la

dépénalisation de la diffamation garantit la liberté d’opinion des journalistes car la

restriction de leur liberté reste une grande tentation pour le pouvoir politique.

260. Pour d’autres États, la diffamation est une infraction que le législateur pénal

sanctionne avec des peines d’emprisonnement en plus des amendes, ou de l’une de ces 472 La section XIV du Code pénal allemand est relative aux injures. Sous cette section, l’article 187 a) est

consacré au délit de diffamation commise envers une autorité ou une personnalité publique. 473 Loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée, Art. 81, al. 2. 474 Loi de 1881 sur la liberté de la presse en France précitée, Art. 32, al. 2. 475 Idem, Art. 31, al. 2. 476 Art. 68, al.1 de la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée.

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deux peines seulement. Ainsi, le Sénégal insiste sur le fait que la diffamation est bien une

infraction pénale que le Code pénal sénégalais définit et sanctionne. Le législateur pénal

punit alors d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de

100 000 francs à 1 000 000 de francs C.F.A. (soit une amende pouvant aller d’environ 152

à 1524 euros), les auteurs de diffamations commises envers les particuliers477. Dans cet

État, le législateur a voulu mettre en exergue le principe d’égalité des citoyens puisque tout

individu exerçant dans le domaine de la presse ou ailleurs, peut être accusé de diffamation,

qu’il soit journaliste ou non.

261. Dans ces textes nationaux, les particuliers pris indistinctement sont à différencier

des particuliers diffamés en raison de leur race, de leur religion, de leur sexe, de leur

orientation sexuelle, de leur ethnie ou de leur quelconque courant de pensée ou de

communauté philosophique. Pour ces particuliers atteints dans leur honneur et leur

considération du fait d’actes diffamatoires à caractère discriminatoire, les législateurs

nationaux prévoient des peines beaucoup plus sévères. Ainsi, la loi de 2004 portant régime

juridique de la presse en Côte d’Ivoire condamne d’une amende de 5 000 000 à 15 000

000 de francs C.F.A., les diffamations commises envers les particuliers ou un groupe

d’individus en raison de leur origine, de leur race, de leur ethnie, de leur tribu, de leur

religion, ou à une catégorie de personnes478. Le législateur pénal ivoirien prévoit, pour tout

auteur que la diffamation commise à l’endroit des particuliers qui appartiennent par leur

origine à une race, à une ethnie ou à une religion déterminée, une peine d’emprisonnement

d’un mois à un an et une amende de 100 000 francs à 1 000 000 de francs C.F.A.479. Il

porte la peine au double lorsque l’infraction a été commise par voie de presse, de la radio

ou de la télévision480. Cette sévérité dans la pénalité à l’endroit des journalistes est la

conséquence de la responsabilité qui leur incombe dans le cadre de leur liberté d’opinion et

d’information. « Chien de garde de la démocratie »481, la presse, cadre d’expression de leur

liberté d’opinion et d’information, use de moyens de publicité auxquels ils ont accès. Ces

477 Art. 258, Code pénal sénégalais précité. 478 Art. 81, al. 1, loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire. 479 Art. 199, al. 1 du Code pénal ivoirien précité. 480 Idem, al. 2. 481 C.E.D.H., 14 février 2008, July et SARL Libération c./ France, 20893/03.

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168

moyens ne doivent en aucun cas être utilisés comme des armes de destruction du tissu

social. D’une amende de 1 000 000 à 5 000 000 de francs C.F.A., le Code de l’information

du Bénin de 2015 condamne les diffamations commises envers les particuliers à raison de

leur courant de pensée et communauté philosophique482, en plus des critères similaires à

ceux évoqués par le législateur ivoirien. Il en est de même pour le législateur pénal

sénégalais qui, dans le même élan, condamne les auteurs de diffamations

discriminatoires483. Dans ces deux derniers États, la diffamation à caractère discriminatoire

doit avoir pour but d’inciter à la haine. Le lien de causalité entre la diffamation et le trouble

à l’ordre public doit alors être clairement établi, contrairement à la diffamation qui en Côte

d’Ivoire est sanctionné en raison de sa constitution sans qu’il soit besoin qu’il ait

représenté un danger manifeste pour le maintien de l’ordre public. Quant au législateur

français, celui-ci a fait preuve de précision puisqu’au-delà des appartenances unanimement

reconnues, pouvant donner lieu à des propos diffamatoires discriminants, il a souligné que

seraient également punis les auteurs de diffamation envers les personnes ou un groupe de

personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, ou de leur

handicap, d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros. Par cette précision,

le législateur français fait preuve de pragmatisme juridique. Cette sanction se fonde sur un

fait social, l’affirmation sociale des différences d’orientation sexuelle, qui a contribué à

déterminer la règle de droit positif484. Peut-on conclure que cette référence peut également

être retenue lorsque le législateur ivoirien emploie l’expression fourre-tout « catégorie de

personnes » ? Rien n’est moins sûr.

262. La diffamation suppose l’allégation ou l’imputation485 d’un fait précis. L’allégation

est définie comme une affirmation quelconque. L’affirmation peut-être vraie ou fausse.

482 Art. 271, al. 2., Code de l’information du Bénin de 2015 précité. 483 Art.261, al. 2 du Code pénal sénégalais précité. 484 Léon DUGUIT, Le pragmatisme juridique (Présentation de Simon GILBERT), Éd. de la mémoire du

droit, Paris, 2008. 485 Pour Roger MERLE et André VITU, l’allégation se définit comme « l’assertion produite sur la foi

d’autrui ; entendons par là toute diffusion ou toute reproduction de faits ou de circonstances dont on fait remonter l’origine à une tierce personne, dénommée ou non ; celui qui répand ces faits engage sa responsabilité, car il aurait dû vérifier la vérité de ce qu’il allègue avant de s’en faire le publicateur. L’imputation consiste en une affirmation de faits qu’on dit avoir constaté soi-même ». Traité de droit criminel : droit pénal spécial, CUJAS, Paris, 1981, pp. 1575-1576.

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169

Telle est en ce sens sa « caractéristique traditionnelle »486. Quant à l’imputation, Bernard

BEIGNIER et ses coauteurs soulignent qu’elle a une charge plus péjorative487 en ce qu’elle

est définie comme l’action « de mettre sur le compte de quelqu’un », une action fautive,

critiquable. Les faits sont des réalités objectives dont l’on peut prouver l’existence ou

l’inexistence. Les faits doivent être précis pour distinguer la diffamation de l’injure. De

plus, la distinction est peu probable entre l’énoncé d’un fait et l’expression d’une

opinion488. L’allégation d’un fait ou la divulgation d’un fait avéré ou inexistant est faite

selon l’objectif que poursuit l’auteur de l’allégation. L’opinion suppose en effet comme

souligné plus haut, une information libre et pluraliste. Parmi toutes les informations qu’un

journaliste aura reçues, ce dernier ne s’attachera au traitement que de quelques unes d’entre

elles. Aussi, appréhendera-t-il le sujet en le présentant sous l’influence de ses propres

jugements de valeur, de ses considérations personnelles. Il ne peut y échapper. Rapporter

un fait se fait inéluctablement en étant sous l’influence de sa propre compréhension et de

ce que l’on croit être la vérité en omettant souvent que plusieurs vérités coexistent autour

du fait que l’on expose. Cette analyse ne doit cependant pas conduire à confondre l’opinion

et la diffamation. Elles sont certes profondément liées mais il subsiste une différence

perceptible dans le traitement du fait rapporté. Présentée de façon si simpliste, cette

différence peut donner lieu à débat. En effet, à partir de quand l’allégation d’un fait

devient-elle une diffamation ? L’article 29 de la loi française sur la liberté de la presse y

répond : l’allégation d’un fait devient une diffamation lorsqu’elle porte atteinte à l’honneur

d’une personne. Imprécise, cette réponse soulève une autre interrogation : Quel est le seuil

au-delà duquel il est porté atteinte à l’honneur d’un individu, du fait de l’allégation ou de

l’imputation d’un fait ? Si le droit constitutionnel consacre la liberté d’opinion et le droit à

l’honneur, il revient au juge ordinaire d’apprécier le dépassement des limites de

l’allégation, en y décelant des attaques personnelles et qui de ce fait dépassent la simple

486 John Langshawn AUSTIN, Quand dire, c’est faire= How to do things with words (Introduction,

traduction et commentaires par Gilles LANE), Éd. du seuil, Coll. « Points », Paris, 1970, p. 47. 487 Bernard BEIGNIER, Bertrand de LAMY et Emmanuel DREYER, Traité de droit de la presse et des

médias, Litec, Coll. « Traités », Paris, 2009, p. 443. 488 Roger PINTO, La liberté d’opinion et d’information : contrôle juridictionnel et contrôle administratif,

Domat Montchrestien, Paris, 1955, pp.134 et s.

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170

critique pour devenir des propos déshonorants489. Toutefois, pour qu’un propos soit

qualifié de diffamatoire, « l’imputation du fait doit se présenter sous la forme d’une

articulation précise de fait de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un

débat contradictoire ». En l’absence de toute preuve rapportée, il ne pourrait s’agir que

d’une injure490.

2. L’injure

263. L’injure dans sa première acception, peut être définie comme une parole qui blesse

d’une manière grave et consciente. Plus grave qu’une insulte, elle l’est moins qu’un

outrage même si ces trois termes restent dégradants à divers égards. Lorsque le droit se

saisit de la question, elle en sanctionne l’auteur.

264. La loi française du 29 juillet 1881 en son article 29, alinéa 2 définit l’injure comme

« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme

l’imputation d’aucun fait ». Le Code pénal sénégalais tout en reprenant la définition

donnée par le législateur français de 1881, y ajoute que les propos injurieux relatifs ou non

à l’origine d’une personne sont punissables491 puisqu’étant considérés comme des injures.

Au Bénin, le Code de l’information en son article 272 reprend mot pour mot la formule

contenue dans la loi française de 1881. En Côte d’Ivoire, pour trouver la définition de la

notion d’injure, il faut se référer à la loi de 2004 portant régime juridique de la presse492

qui reprend les mêmes termes de la définition qu’en donne le législateur français de 1881.

Le législateur pénal ivoirien sanctionne l’injure lorsqu’elle revêt un caractère

discriminatoire racial ou religieux493. En dehors de cette hypothèse, ce dernier a plutôt

retenu, pour la protection des personnes privées, les violences et les voies de fait aux

termes de l’article 345 du Code pénal. La voie de fait peut se définir en droit pénal comme

une violence autre que physique commise à l’endroit d’une personne. Tout autre est

489 La Chambre criminelle de la Cour de Cassation l’a ainsi souligné en 1981. Voir Cass. Crim., 17 février

1981, Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de Cassation, n° 64, 1981. 490 Bernard BEIGNIER, Bertrand de LAMY et Emmanuel DREYER, Traité de droit de la presse et des

médias, op. cit., p. 495. 491 Art.258, al. 2, Code pénal sénégalais précité. 492 Art. 78, al. 3 de la loi de 2004 portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée. 493 Art. 199, al. 1, Code pénal ivoirien précité.

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171

l’approche retenue par le législateur pénal allemand. Tout en soulignant que l’injure peut

être proférée au moyen d’une voie de fait494, il en distingue deux formes : l’injure

diffamatoire et l’injure calomnieuse495. De ce fait, en plus de l’injure diffamatoire,

« quiconque sachant que ses déclarations sont fausses, aura affirmé ou propagé sur le

compte d’autrui, un fait mensonger de nature à le rendre méprisable ou à l’avilir aux yeux

de l’opinion publique ou à nuire à son crédit (…) » sera puni d’injure calomnieuse.

L’injure est alors un propos qui vise à jeter le discrédit sur une personne et qui ne repose

sur aucun fait précis, contrairement à la diffamation. De tous les textes législatifs, il ressort

trois éléments au minimum qui tout comme la diffamation, caractérisent l’injure : elle doit

être publique, viser une personne déterminée et être intentionnelle.

265. Par contre, l’injure se distingue de la diffamation en raison de la vacuité des propos

qui en sont constitutifs, blessants pour la victime et voulus par l’auteur des propos. Qu’il

s’agisse de la loi française de 1881, du Code de l’information au Bénin de 2015 ou encore

du Code pénal sénégalais de 1965, tous ces textes présentent trois formes d’injure : toute

expression outrageante, tout terme de mépris et toute invective.

266. L’expression outrageante ou l’outrage est défini comme une offense extrêmement

grave qui porte atteinte à la dignité ou à l’honneur d’une personne détentrice de l’autorité

publique. La gravité de l’offense est appréciée indépendamment de la violence ou de la

grossièreté des propos, puisque si les propos revêtent un caractère violent ou grossier, il ne

s’agit plus d’un outrage mais d’une invective496. Dans le Code pénal ivoirien, l’outrage se

confond avec l’offense lorsque le propos incriminé vise le Chef de l’État497. Pourtant,

même si tout outrage reste un acte offensant, toute offense ne saurait être assimilée à un

outrage. Et, le législateur pénal ivoirien ne donne aucune définition de ce terme. À la

lecture du Code pénal, tout acte de désapprobation envers l’autorité publique est un

outrage. Il appartient à cet effet au juge d’apprécier les propos litigieux, ce qui reste délicat

494 Art. 185, Code pénal allemand cit. 495 Idem, art. 187. 496 Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel : droit pénal général, 7ème éd., CUJAS, Paris,

1997, p.1582. Pour ces auteurs, l’expression outrageante se définit comme : « le propos de nature à porter atteinte, à l’honorabilité, mais sans revêtir la forme violente de l’invective ».

497 Voir infra. Troisième partie, Chapitre I, section II, § 1.

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172

dans la mesure où la plainte vient de l’autorité publique et que la considération de cette

autorité est susceptible d’influencer la décision du juge, qui est aussi une autorité publique.

267. Une invective est une expression blessante, violente et parfois grossière. Quant aux

termes de mépris, il s’agit des termes qui ne respectent pas la dignité et l’honneur de la

personne à laquelle ils s’adressent. En clair, il s’agit de propos rabaissants et humiliants.

Les injures à caractère raciste ou xénophobe sont à cet effet des termes de mépris

puisqu’ils visent essentiellement à fustiger et à marginaliser des communautés précises.

Les injures racistes qui ressurgissent dans les grandes démocraties se fondent sur une

hiérarchie entre différentes « races » en reconnaissant alors des « races » inférieures, contre

lesquelles elles doivent se battre pour ne pas se laisser envahir.

268. Si en règle générale, l’injure et la diffamation en droit sont associés au droit de la

presse498, il est tout de même à souligner que ces infractions ne sont pas l’apanage des

personnes exerçant dans le milieu de la presse. Une personnalité politique, un fonctionnaire

ou un agent de l’État, un représentant de syndicat, bref, toute personne peut être accusée

d’injure ou de diffamation. Les propos qualifiés d’injure peuvent se faire par l’écriture, par

la parole, par des gestes insultants, etc. Pour qu’un propos soit qualifié d’injure, il est

important qu’un certain nombre d’éléments soient pris en compte, afin d’éviter qu’une

opinion polémique ne tombe sous le coup de l’injure ou de la diffamation. Le contexte

dans lequel s’inscrit le propos peut être déterminant à cet égard, car celui-ci peut en effet

permettre au juge de ne pas retenir une accusation de diffamation. Ainsi, alléguer

publiquement un fait, dont l’auteur emploie un terme péjoratif sans aucune autre forme de

preuve, c’est injurier la victime. Une personne ne peut être qualifiée de xénophobe sans

rapporter le groupe ou la communauté victime de sa xénophobie, sans aucune autre

indication permettant de vérifier ces allégations. Employé seul, cet épithète est injurieux

pour un tel, et ne relève plus de la liberté d’opinion de son auteur. Le contexte est un

critère qui est également retenu dans le cadre politique, en matière de conflits sociaux. Il

existe en effet, dans le cadre de l’exercice de la liberté d’opinion politique, une sorte de

modus vivendi qui tolère certaines vivacités dans le langage, surtout lorsqu’un homme

498 Bernard BEIGNIER, Bertrand de LAMY et Emmanuel DREYER, Traité de droit de la presse et des

médias, op. cit.

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173

politique critique avec une certaine outrance une idéologie politique ou un autre homme

politique concurrent. Cependant, la liberté d’opinion polémique en politique, tout comme

la critique satirique, ne sont pas absolues. Elles ne jouissent pas d’une immunité.

269. Par ailleurs, contrairement à l’auteur d’une diffamation499, l’auteur d’une injure ne

bénéficie pas de l’exceptio veritatis, qui est un moyen de défense grâce auquel une

personne, qui est poursuivie du chef de diffamation, peut obtenir sa relaxe en établissant la

vérité des faits imputés au plaignant500. Ne bénéficiant pas de ce moyen de défense, les

propos de l’auteur de l’injure ne sont pas revêtus de la bonne foi puisqu’en tout état de

cause, la bonne foi suppose une certaine retenue quant aux propos tenus et qui pourraient

porter atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne. Elle suppose également

que l’auteur des allégations puisse en cas de besoin, apporter la preuve de ce qu’il avance,

et à ce moment là, il ne s’agit plus d’une injure, mais d’une diffamation.

270. Au terme de la réflexion menée sur l’expression des opinions, il ressort que la

liberté d’opinion dans ses différentes composantes s’exprime sous diverses formes. Les

multiples formes d’expression de la liberté d’opinion sont organisées en vue de la

protection, non seulement de la liberté d’opinion des uns et des autres mais aussi, de tous

les autres droits et libertés auxquels la liberté d’opinion, lorsqu’elle devient critique, peut

porter atteinte. Dans l’idée des pouvoirs constituants des États étudiés, la liberté d’opinion

ne devient une réalité qu’à partir du moment où l’expression des opinions, en dehors de

celles que sanctionne la règle de droit, ne conduise pas leurs auteurs à des dérives

discriminatoires.

499 Dans le cadre de la diffamation, l’exceptio veritatis en droit français, aux termes de l’article 35 de la loi

de 1881 sur la liberté de la presse, interdit la preuve de la vérité des faits diffamatoires, lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans. Cf. T.G.I Paris, 26 juin 1985, Gazette du Palais, Tome II, 1985.

500 Georges BARBIER et ses coauteurs écrivaient d’ailleurs que : « (…) Toutes les fois que le but poursuivi est assez sérieux, assez légitime pour justifier le moyen employé, toutes les fois par exemple qu’il apparaît que l’auteur de l’imputation a eu principalement en vue l’intérêt public, qu’il a entendu exercer un droit ou accomplir un devoir, le juge peut proclamer son innocence et le renvoyer à des fins de plainte ». Code expliqué de la presse, op. cit., p. 424.

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SECTION II.

L’IMPERIEUSE NECESSITE DE MAINTENIR L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

271. La garantie de l’expression des opinions est une chose. Le droit de ne pas en être

inquiété en est une autre. Si les États de l’Afrique subsaharienne francophone aspirent à

devenir des États de droit, cela suppose que le principe selon lequel tout acte normatif doit

être produit sur la base d’une habilitation législative et contrôlée par l’autorité judiciaire

soit établi et respecté. Dans le cadre de la liberté d’opinion, comment ce principe se met-il

en mouvement ? Il s’enclenche dès l’instant où le droit inhérent à l’État de droit, à savoir

celui de ne pas être inquiété pour ses opinions est constitutionnellement garanti (§ I).

Toutefois, il est à relativiser en raison de la permanence du principe constitutionnel de

sauvegarde de l’ordre public sécuritaire (§ II).

§ 1. UN MAINTIEN A CONCILIER AVEC LE DROIT DE NE PAS ETRE INQUIETE POUR SES OPINIONS

272. Lorsque les constituants des différents États étudiés ne font aucune distinction de

traitement entre les différentes idées ou opinions exprimées, ceux-ci privilégient par là-

même la protection des idées. Il est vrai que par définition, il n’y a pas une opinion qui soit

punissable par elle-même501 puisqu’étant couverte d’une sorte de « présomption de bon

usage ». Le traitement doit alors être équitable. Le droit de ne pas être inquiété pour ses

opinions emporte pour conséquences, l’interdiction du délit d’opinion (A). De plus, pour

renforcer la liberté fondamentale que constitue la liberté d’opinion, les discriminations

fondées sur les opinions sont interdites au plus haut niveau normatif (B).

501 Jean RIVERO et Hugues MOUTOUH, Libertés publiques, Tome II, 7ème éd. mise à jour, P.U.F.,

Collection « Thémis-Droit public », Paris, 2003, p. 144.

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176

A. L’INTERDICTION CONSTITUTIONNELLE DU DELIT D’OPINION

273. Le délit d’opinion est une notion dangereuse502. La liberté d’opinion connaît des

applications distinctes selon la nature du régime politique. Dans les systèmes totalitaires

comme ce fut le cas dans l’Allemagne nazie, le pouvoir politique a eu pour unique objectif

la création d’une société unanime autour d’une seule et même idéologie politique. Dans ces

régimes, l’individu appartient tout entier au groupe et ne forme qu’un avec lui. Cela montre

évidemment la négation des libertés individuelles, notamment de la liberté d’opinion. Cette

liberté est perçue dans ces régimes, comme un facteur de désagrégation du corps social

qu’il faut donc combattre par la technique peu louable de l’endoctrinement et de la terreur.

Le délit d’opinion est alors considéré comme l’érection en infraction de la manifestation

d’une opinion503.

274. Dans les régimes autoritaires comme ce fut le cas dans les États de l’Afrique de

l’Afrique subsaharienne francophone, au lendemain des indépendances, ces régimes ne

cherchent pas à créer des sociétés unanimitaires504, à l’inverse des régimes totalitaires.

Cependant, la volonté de demeurer coûte que coûte au pouvoir les conduit à fustiger la

liberté d’opinion politique. Même si cette liberté représente un réel danger pour leurs

ambitions politiques, les pouvoirs politiques dans ces régimes n’ont d’autre choix que de la

tolérer tout en la bridant dans ses manifestations. Le délit d’opinion n’a pas été

officiellement instauré dans ces États. Pourtant, les arrestations arbitraires étaient légions,

en raison de l’expression d’opinions politiques dissidentes de celles des pouvoirs politiques

en place. En France également, le délit d’opinion a existé avec la « loi des Suspects » du 17

septembre 1793. À cette époque, cette loi était dirigée contre tous ceux qui, « soit par leur

conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés

partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté ». Cette loi liberticide,

adoptée pendant la période de terreur qui suivit la révolution française, était en fait dirigée

contre tous ceux qui par leurs actions ou leurs inactions ne traduisaient aucun soutien à

l’égard de l’idéal défendu par les révolutionnaires de 1789. Elle fut abrogée en octobre

502 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 8ème édition, Sirey, Coll. « Sirey

Université », Paris, 2009, p. 407. 503 Jacques ROBERT et Jean DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 602. 504 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 412.

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177

1795 non sans avoir réduit en peau de chagrin la liberté d’opinion qu’avait pourtant

reconnue la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.

275. Aujourd’hui, nombre d’États s’inscrivant dans la perspective de la mouvance

démocratique ont renoncé officiellement au délit d’opinion. Patrice ROLLAND dira du

délit d’opinion, qu’il s’agit de la répression des opinions qui mettent en cause les valeurs

ou les idées qu’une société juge fondamentale505. L’appréciation subjective par le pouvoir

politique de ces opinions entre en contradiction avec les objectifs que poursuit l’État de

droit démocratique. Dans cette forme juridique d’État, la liberté d’opinion commande la

solidité des fondements démocratiques de l’État dont il est question. Elle fait l’objet même

au sein des grandes démocraties d’une suspicion constante de la part du pouvoir politique.

276. En raison du lien originel existant entre la liberté d’opinion et la démocratie, les

constituants africains des années 1990 ont, dans la rédaction des textes fondamentaux,

affirmé leur volonté de construire et de consolider la démocratie dans le respect des règles

de l’État de droit. Aussi, ont-ils rompu avec l’esprit des premières constitutions qui avaient

été élaborées pour marquer que désormais la liberté d’opinion et ses corollaires doivent

être pleinement reconnus et protégés pour que la démocratie soit en marche. Car, « Toute

évolution portant sur le statut de l’opinion en indique immédiatement une sur celui de la

démocratie elle-même »506. La formulation de nouveaux mécanismes de protection et de

garantie de la liberté d’opinion est également le signe de l’amorce d’une construction

démocratique aux fondements solides. Toutes les constitutions ont alors dans un premier

temps, reconnu que les opinions, qu’elles soient politiques, syndicales, religieuses ou

philosophiques, sont toutes égales. Les textes fondateurs consacrent de ce fait, l’égalité des

idées, mais aussi l’égalité des personnes507, auteurs de telles ou telles opinions, quel que

soit le rang qu’elles occupent dans l’échelle sociale. Cette égalité reste toutefois soumise

au respect de l’ordre public sécuritaire. Le risque de voir des opinions mettre en cause

l’ordre public sécuritaire est toujours plus grand, surtout avec l’émergence des nouvelles

technologies de la communication. L’État de droit démocratique doit par suite se préserver

505 Patrice ROLLAND, « Du délit d’opinion dans la démocratie française », in Études offertes à Jacques

Mourgeon : Pouvoir et liberté, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 645-670, spéc. p. 646. 506 Idem, p. 645. 507 Voir infra. Deuxième partie, chapitre II, section I, § 1.

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178

des idées ou opinions jugées malsaines, et contribuer à l’inverse à la défense de celles qui

participeraient à la consolidation de ses idéaux. Aussi, Patrice ROLLAND considère que

« le délit d’opinion repose sur l’idée que des opinions peuvent être dangereuses pour la

société ou le régime politique au point de les conduire à la destruction »508. Mais, la

dangerosité de l’opinion étant discrétionnairement appréciée par l’État, il est tout à fait

juste de souligner que dans un État de droit démocratique, le délit d’opinion doit être

précisé et « suffisamment circonstancié par la loi »509 afin d’éviter tout abus de la part de

l’État dont le caractère démocratique serait ainsi remis en cause.

277. À l’idée selon laquelle, le délit d’opinion n’existe plus aujourd’hui dans les États

démocratiques tout comme dans les États en pleine construction démocratique, certains

pourraient opposer la sanction juridique des chants et cris séditieux, en vigueur dans

certains États. La sédition se définit selon deux époques. Autrefois, elle s’apparentait aux

soulèvements concertés et préparés contre l’autorité établie. Aujourd’hui, cette notion

renvoie aux attentats, aux complots, aux mouvements insurrectionnels. Plusieurs textes de

lois, dont ceux sur la liberté de la presse, sanctionnent la liberté d’opinion politique, dont

l’expression peut être interprétée comme un acte de sédition. L’article 24 de la loi française

sur la liberté de la presse de 1881, l’article 21, alinéa 3 de loi de 1960 sur la liberté de la

presse au Bénin de même que l’article 169, paragraphe 2 du Code pénal de Côte d’Ivoire,

condamnent tout propos- cris ou chants- séditieux. Cependant, des propos critiques

empreints d’une certaine irrévérence, ou d’une certaine violence qui conduisent à des

remous sociaux peuvent être jugés subversifs par le pouvoir politique en place et être

condamnés, alors qu’il ne s’agit là, de rien qui soit séditieux. Ces articles peuvent donc être

jugés dangereux pour la liberté d’opinion politique.

278. Ainsi, les États de l’Afrique subsaharienne francophone d’aujourd’hui ne

connaissent pas de délit d’opinion officiel. Pourtant, tous condamnent, au plus haut niveau

normatif, certaines idées jugées mauvaises pour la cohésion sociale. À titre d’exemple,

lorsque l’article 10, alinéa 2 de la Constitution ivoirienne de 2000 interdit toute propagande

ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou

508 Patrice ROLLAND, « Du délit d’opinion dans la démocratie française », op.cit., p. 646. 509 Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 662.

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179

d’encourager la haine raciale ou religieuse, ne peut-on pas être tenté de souligner là, qu’il

reconnaît le délit d’opinion ? La Constitution ivoirienne tout comme la C.A.D.H.P, à

laquelle ont adhéré les États africains, semblent reconnaître implicitement le délit

d’opinion. Cette reconnaissance n’est pas incompatible avec l’idée de démocratie.

Seulement, elle est une reconnaissance nécessaire qui spécifie les opinions jugées

dangereuses pour la consolidation de l’État de droit démocratique. À titre de comparaison,

la Convention de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale à

laquelle sont parties entre autres, l’Allemagne, la France, Le Bénin, la Côte d’Ivoire et le

Sénégal, implique dans son article 4 (a), la reconnaissance du délit d’opinion. Cet article

dispose en effet que les États s’engagent : « à déclarer punissable par la loi toute diffusion

d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination

raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre

toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine

ethnique (…) ». En tout état de cause, le fait de provoquer à la discrimination, à la haine

raciale ou ethnique, à la violence, ne peut pas être considéré comme une opinion, car

penser cela serait mettre en cause la noblesse rattachée à cette faculté humaine qu’est la

pensée, et dont l’usage doit contribuer au rayonnement de l’espèce humaine. Les propos

qui incitent à la haine raciale, sont simplement « des comportements barbares négateurs de

l’ensemble des libertés publiques »510.

279. Ainsi formulées, les interdictions constitutionnelles et conventionnelles de certaines

formes d’idées permettent au juge d’interpréter avec précision ces délits de mauvaise

opinion, en n’omettant pas de viser le caractère libéral des textes en question. En clair,

l’égalité constitutionnelle des opinions garantit à chaque individu, le droit a fortiori, de ne

pas être l’objet d’arrestations arbitraires parce que ses opinions, auront été jugées

contraires aux idées que défend le pouvoir politique. Tant que ces opinions n’auront pas

été objectivement jugées par l’autorité judiciaire, dangereuses pour la démocratie, celles-ci

sont totalement libres d’être exprimées, conformément à l’esprit du constituant.

510 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 408.

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180

B. L’INTERDICTION CONSTITUTIONNELLE DES DISCRIMINATIONS FONDEES SUR L’OPINION

280. Cette interdiction, corollaire du principe de neutralité, et complémentaire du

principe d’égalité511, concernera essentiellement l’accès aux services publics tant pour le

personnel, à savoir les agents et fonctionnaires de l’État (1), que pour les usagers (2).

1. Une interdiction protégeant le personnel des services publics

281. Les agents et fonctionnaires de l’État, conformément aux différents codes

nationaux relatifs à leurs statuts, jouissent de la liberté d’opinion. Plus qu’une simple

affirmation, cela leur assure également une protection renforcée contre les discriminations

dont ils pourraient faire l’objet, en raison de leurs opinions. La première interdiction qui les

protège est relative à leur recrutement. L’entrée à la fonction publique ne doit être

conditionnée par aucune mention administrative de l’appartenance politique, syndicale,

philosophique ou religieuse. Aucune référence aux opinions du fonctionnaire ne saurait

être ajoutée à son dossier. Si le sexe et l’écriture du patronyme peuvent être des causes de

discriminations parce que généralement mentionnés sur les documents administratifs, les

opinions en revanche ne doivent nullement y apparaître. Le législateur français l’a bien

précisé en 1983, dans l’article 18 en son alinéa 1 de la loi adoptée cette année-là, en ces

termes : « Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la

situation administrative de l’intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans

discontinuité. Il ne peut être fait état dans le dossier d’un fonctionnaire, de même que dans

tout document administratif, des opinions ou des activités politiques syndicales, religieuses

ou philosophiques de l’intéressé. (…) ».

282. Tout comme en France, en Afrique subsaharienne francophone, l’entrée à la

fonction publique se fait principalement par voie de concours centralisé512. Le concours est

511 Le Conseil constitutionnel français a même reconnu au principe d’égalité, une valeur constitutionnelle.

Lire à cet effet : C.C., décision n° 86-217 D.C du 18 septembre 1986, loi relative à la liberté de communication, A.J.D.A, 1987, p. 102. Voir note Etien ROBERT, « Le pluralisme : objectif de valeur constitutionnelle », Revue administrative, 1986 ; Louis FAVOREU, Revue du Droit public, n°2, mars-avril 1989, p. 399.

512 À titre d’illustration, l’article 3 du Décret n°93-607 du 2 juillet 1993, portant modalités communes d’application du statut général de la Fonction publique en Côte d’Ivoire dispose : « Les fonctionnaires

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181

en fait « un examen professionnel, qui se déroule périodiquement, en principe

annuellement, en vue de présenter à l’autorité hiérarchique des candidats dont l’aptitude et

la formation sont contrôlées par les instances appropriées, désignées à cet effet »513. La

voie du concours reste dans ces États, le procédé de recrutement de droit commun514. En

Allemagne en revanche, le recrutement à la fonction publique n’est pas soumis au système

de concours centralisé. Chaque administration organise en toute autonomie, l’entrée à la

fonction publique. Sur ce point, l’instauration des concours emporte des garanties plus

efficaces que certains autres systèmes de recrutement. Ils permettent ainsi d’assurer aux

candidats, une égalité d’accès à l’emploi public en évitant les discriminations. Il conduit

également à un classement objectif, par ordre de mérite, qui s’impose à l’autorité de

nomination. De même, le jury chargé du recrutement est soumis à une obligation

d’impartialité sous le contrôle du juge administratif. D’ailleurs, l’anonymat des copies est

généralement requis.

283. Cependant, les opinions ne sont pas totalement anonymes dans le recrutement à la

fonction publique, du moins pour certaines catégories de fonctionnaires. Le principe du

spoil system, originaire des États-Unis d’Amérique, existe aussi tant dans les grandes

démocraties contemporaines que dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

Ce principe suppose qu’à l’arrivée d’un nouveau Président de la République, celui-ci, pour

pleinement mettre en œuvre sa politique, doit pouvoir compter sur des personnes fidèles à

ses idéaux, qu’il nomme à la tête des administrations en remplacement de personnes dont il

ne partage pas forcément les mêmes opinions. Ainsi, les hauts fonctionnaires, occupant les

échelons les plus élevés de l’administration, exercent des fonctions aussi bien

administratives que politiques. Ils doivent avoir, face aux autorités hiérarchiques qui sont

bien souvent des autorités politiques, une attitude de subordination. Ces hauts

sont recrutés par voie de concours sauf dérogations contraires ». Au Sénégal, l’article 22 de la loi n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut général des fonctionnaires, prévoit deux conditions d’accès à la fonction publique : d’une part, les modalités de recrutement direct à savoir le recrutement sur titre et le recrutement par concours direct ; d’autre part, les modalités de recrutement par concours professionnel. La loi interdit à travers l’article cité le recrutement par qualification professionnelle, quelqu’en soit la forme.

513 Alain PLANTEY, Traité pratique de la fonction publique, Tome II, 3ème éd. revue et augmentée, L.G.D.J., Paris, 1971, p. 649.

514 Jean-Marie BRETON, Droit de la fonction publique des États d’Afrique francophone, EDICEF, Coll. « Universités francophones », Paris, 1990 p. 86.

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182

fonctionnaires sont choisis sur des critères politiques. À ce niveau, le principe de la

compétence administrative est confronté au principe de la fidélité aux opinions politiques.

284. La seconde interdiction protectrice des agents et fonctionnaires de l’État, est liée à

leur traitement, une fois recrutés. Les opinions de ces derniers ne sauraient servir de

prétexte par exemple, à un refus de concourir, ainsi que l’a rappelée la célèbre

jurisprudence administrative française Barel du 28 mai 1954. Dans son quatrième

considérant, le Conseil d’État français statuant en sa section contentieuse, a rappelé

que : « s’il appartient au secrétaire d’État, (…) d’apprécier, dans l’intérêt du service, si

les candidats présentent les garanties requises pour l’exercice des fonctions auxquelles

donnent accès les études poursuivies à l’École nationale d’administration et s’il peut, à cet

égard, tenir compte des faits et manifestations contraires à la réserve que doivent observer

ces candidats, il ne saurait, sans méconnaître le principe de l’égalité de l’accès de tous les

français aux emplois et fonctions publics, écarter de ladite liste un candidat en se fondant

exclusivement sur ses opinions politiques »515. Le juge suprême de l’ordre administratif a

ainsi renforcé la portée du principe de la liberté d’opinion des fonctionnaires. De même,

c’est avec une certaine constance que le juge administratif français sanctionne les décisions

de refus de titularisation516, les sanctions disciplinaires517, les refus d’avancement518, ces

décisions ayant été motivées par les opinions des demandeurs.

285. En Afrique subsaharienne francophone, la rareté des décisions de l’autorité

judiciaire statuant en matière administrative entraîne par voie de conséquence, une

formulation laconique des décisions, de sorte qu’il est aujourd’hui difficile de dégager des

principes fondamentaux en la matière. Cependant, les arrêts fondateurs du juge

administratif français, relatifs à la liberté d’opinion des fonctionnaires, ayant été rendus

pendant la période coloniale, il en découle que les principes dégagés entrent

automatiquement dans le patrimoine juridique des États de l’Afrique subsaharienne

515 C.E., Ass., 28 mai 1954, Barel, G.A.J.A., 18ème éd., Dalloz, Paris, 2011, p. 456. Les opinions en question

étaient des opinions communistes. 516 C.E., 08 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, n° 91 406, Rec. Lebon, p. 406. Les opinions sanctionnées

ici étaient des opinions religieuses. 517 C.E., section, 1er octobre 1954, Guille, req. 14191, Recueil Dalloz, 1955, p. 431 : pour des opinions

communistes. 518 C.E., 24 avril 1963, Durrieu, A.J.D.A., 1963, p. 638 : pour des opinions communistes.

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183

francophone. La problématique de l’effectivité de la liberté d’opinion des fonctionnaires

reste pourtant vivace ici, en raison notamment « des contraintes tenant tant à la mise en

œuvre de la politique autoritaire de développement économique et d’intégration

sociopolitique, qu’au monisme idéologique et partisan largement institutionnalisé et

imposé »519.

286. Il est aussi à souligner que l’interdiction de discriminer en raison des opinions

s’étend aussi au secteur privé. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’une stricte obligation de

neutralité. L’obligation qui incombe à l’employeur est une obligation dite de tolérance520.

En effet, en vertu du préambule de la Constitution française de 1946, « Nul ne peut être

lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses

croyances ». De ce fait, l’obligation de tolérance qui incombe aux employeurs du secteur

privé suppose d’abord que les opinions ne constituent des critères à l’embauche, exception

faite en revanche, aux administrations à caractère idéologique ou religieux. Pour ces

établissements, les opinions de leurs salariés constituent des conditions déterminantes pour

l’embauche et leur traitement. Une incompatibilité entre les opinions de l’employeur et

celles du salarié peut donc valablement motiver une décision de licenciement de ce

dernier521. Toutefois, dans le cadre des établissements privés dont les activités ne relèvent

pas d’un service public, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation française a estimé

que le licenciement d’un salarié ne saurait être justifié pour des motifs liés au principe de

laïcité522. Par ailleurs, les employeurs du secteur privé doivent donner à leurs employés, la

possibilité d’exercer les activités liées à l’exercice de leurs opinions, qu’il s’agisse

d’activités politiques, syndicales ou religieuses523. Si l’interdiction des discriminations

519 Jean-Marie BRETON, Droit de la fonction publique des États d’Afrique francophone, op. cit., p. 167. 520 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p. 410. 521 Cass. Ass. Plén., 19 mai 1978, Dame Roy c./ Institution Sainte-Marthe, n°7641.211, publié au Bulletin ;

Recueil Dalloz. 1978, p. 546 : à propos du licenciement d’une salariée d’un établissement confessionnel. Cette dernière avait divorcée, puis s’était remariée.

522 Cass. soc., 19 mars 2013, Mme Fatima Laouej c/l’association BabyLoup, note Jean-David DREYFUS, A.J.D.A., 2013, p. 1070 ; « L’annulation du licenciement d’une salariée voilée par la Cour de cassation a relancé le débat sur la liberté religieuse », in Le Monde, 27 mars 2013.

523 Mais, cette permission ne sous-entend pas que l’employeur ait l’obligation de payer les heures durant lesquelles le salarié s’est consacré à ses activités liées à l’exercice de sa liberté d’opinion. Au demeurant, le salarié devra rattraper ces heures.

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184

protège les salariés du secteur public et ceux du secteur privé, elle protège également les

usagers des services publics dans leurs rapports avec l’administration.

2. Une interdiction protégeant les usagers des services publics

287. Les services publics de l’administration constituent le bras séculier du pouvoir

exécutif. Ils sont un pouvoir à part entière, qui assure les fonctions régaliennes de l’État.

De ce fait, les actes et décisions pris par les services publics, autrement dit par

l’administration, doivent obéir au principe de légalité et faire l’objet de contrôles objectifs

et impartiaux. Du principe de légalité, découle un ensemble de règles dont l’objectif ultime

est la satisfaction de l’intérêt général. Au sein de ces règles, l’on ne saurait omettre de citer

l’exigence qu’imposent le principe d’égalité et son corollaire, le principe de neutralité des

services publics524. Et ce principe de neutralité vis-à-vis des usagers signifie que ceux-ci

doivent être traités de façon indifférenciée indépendamment de leurs opinions. Ainsi, il est

en principe interdit de collecter et de traiter des données mentionnant les opinions. Par la

suite, cette interdiction générale doit tenir compte du traitement des données par voie

informatique avec l’avènement de l’Internet. Les législateurs nationaux se sont alors

engagés dans un processus d’encadrement de cette nouvelle forme de communication

qu’offre l’outil Internet pour renforcer le respect du droit à la vie privée dont relèvent les

opinions. En France, l’article 8 de la loi modifiée du 06 janvier 1978 sur l’informatique, les

fichiers et les libertés, le souligne en ces termes : « Il est interdit de collecter ou de traiter

des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les

origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses,

l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie

sexuelle de celles-ci (…) ».

288. En Afrique subsaharienne francophone, l’absence d’un véritable réseau

informatique performant susceptible de recueillir l’ensemble des données administratives

des usagers ne permet pas aux législateurs nationaux et aux pouvoirs publics d’encadrer

efficacement le traitement des fichiers informatisés à caractère personnel. Au Bénin, la loi

524 Le principe de neutralité a été dégagé en France par le juge constitutionnel. Cf. C.C., décision n°86-217

D.C., 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, Revue de Droit public, 1989, p. 399, note Louis FAVOREU ; A.J.D.A., 1987, p. 102, note Patrick WACHSMANN.

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185

n°2009-99 du 27 avril 2009 sur la protection des données ne peut être efficacement

appliquée puisqu’à ce jour, aucun texte juridique n’établit une autorité de protection des

données dont la mission, en tant qu’autorité administrative indépendante, est de veiller au

respect de cette loi et d’en contrôler l’application. Au Sénégal, la loi n° 2008-12 du 15

janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnel a été suivie du Décret

adopté le 20 avril 2009 portant nomination des membres de la Commission de la protection

des données à caractère personnel.

289. Les textes à caractère communautaire constituent à ce jour un excellent levier dans

ce domaine. Ainsi, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest

(C.E.D.E.A.O.) a adopté, à juste titre, l’acte additionnel A/SA.1/01/10 du 16 février 2010,

relatif à la protection des données à caractère personnel. Certes, les différentes

constitutions consacrent le respect de la vie privée. Il reste que la protection de ce droit

reste vague et fait l’objet d’un encadrement juridique faible, surtout avec l’apparition des

nouvelles techniques de l’information et de la communication (N.T.I.C.). L’acte

additionnel le souligne: « Notant que nonobstant l’existence des législations nationales

relatives à la protection des citoyens dans leur vie quotidienne ou professionnelle et à la

garantie de la libre circulation des informations, il s’avère important de combler un vide

juridique créé par la naissance de ce nouvel instrument de communication qu’est

l’Internet ».Ce texte organise à cet effet, le traitement des données à caractère personnel et

celui des données qu’il qualifie de sensibles. Ces données sont relatives : « aux opinions ou

activités religieuses, philosophiques, politiques, syndicales, à la vie sexuelle ou raciale, à

la santé, aux mesures d’ordre social, aux poursuites ; aux sanctions pénales ou

administratives ». Malgré la force juridique contraignante qui accompagne la mise en

œuvre de l’acte additionnel, aux termes de son article 48, l’encadrement du traitement des

données à caractère personnel reste lacunaire en l’absence d’une véritable autorité

administrative indépendante dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

290. En dehors de l’interdiction de traiter les données à caractère personnel, la neutralité

des services publics emporte ainsi plusieurs autres conséquences. Elle conduit le personnel

des services publics à ne faire aucune distinction entre les usagers en raison de leurs

opinions politiques, que ces opinions soient jugées contraires aux opinions politiques du

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186

gouvernement en place. En Afrique subsaharienne francophone, cette conséquence est un

véritable défi, en raison de la forte politisation des administrations publiques. Dans les

États qui composent cet espace linguistique, les opinions politiques sont difficilement

détachables du traitement des usagers, surtout lorsque ces usagers sont des acteurs réels ou

supposés de l’opposition politique. La neutralité suppose pourtant qu’il n’y ait aucun

traitement de faveur à l’endroit des usagers qui partagent la même vision politique que le

pouvoir en place, mais qu’il n’y ait également aucun traitement qui défavoriserait les

usagers, en raison de leurs opinions.

291. Toutes les opinions doivent être protégées tant par la Constitution et par

l’encadrement du législateur que par le contrôle du juge. Cette protection est pourtant dans

une relation constante de tension avec l’appréciation discrétionnaire qu’en fait le pouvoir

politique, souvent confondu à l’autorité administrative.

§ 2. UNE CONCILIATION A RELATIVISER POUR LA SAUVEGARDE DE L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

292. En dehors des opinions jugées dangereuses telles que celles qui portent atteinte à

l’honneur et à la dignité de la personne humaine et les abus dont le contenu de la notion

sera étudié plus loin525, les constitutions interdisent tout acte quel qu’il soit et qui serait de

nature à porter atteinte à la liberté d’opinion. Toutefois, c’est bien en vertu de la loi lato sensu que l’autorité administrative est en droit d’apprécier les exigences de sauvegarde de

l’ordre public sécuritaire en les opposant au besoin à l’égalité des opinions. Pourquoi la

conciliation du diptyque liberté d’opinion / ordre public sécuritaire est-elle à relativiser ?

La réponse à cette interrogation se justifie par la prééminence de la protection permanente

de l’ordre public sécuritaire (A). Et la protection relative de la liberté d’opinion qu’elle

implique (B) justifie que le pouvoir étatique parvienne à maintenir l’ordre public

sécuritaire.

525 Voir infra. Troisième partie, chapitre I, Section I.

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187

A. LA PREEMINENCE DE LA PROTECTION PERMANENTE DE L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

293. « Le maintien de l’ordre public dans une société donnée, est la loi suprême », disait

PORTALIS526. L’ordre public est la première exigence qui nécessite une limitation des

droits fondamentaux. C’est alors en toute logique que la liberté d’opinion ne saurait revêtir

un caractère absolu, puisque les exigences de maintien de l’ordre public dans son aspect

sécuritaire protègent l’intérêt général. L’ordre public sécuritaire et l’intérêt général sont

alors des notions intimement liées. Le maintien de la sécurité sur le territoire vise avant

tout la satisfaction de l’intérêt général (1), qui reste une condition sine qua non de

restriction de la liberté d’opinion et qui oblige ainsi l’État à agir (2).

1. Une prééminence qui assure la satisfaction de l’intérêt général

294. Gérard CORNU définit l’intérêt général comme ce qui est pour le bien public, à

l’avantage de tous527. Même ainsi présentée, la notion d’intérêt général revêt un caractère

opaque et contingent. Pour notre part, il protège les droits fondamentaux en même temps

qu’il en justifie les atteintes sans pour autant s’assimiler à l’ordre public528. « Notion

mère » du droit administratif selon Marcel WALINE529, l’intérêt général ne saurait

aujourd’hui se détacher du droit des libertés fondamentales puisqu’il est l’objectif visé par

l’État en prenant des mesures de maintien de l’ordre public sécuritaire, qui restreignent

souvent le champ d’exercice de la liberté d’opinion. Jean WALINE dira de l’intérêt public,

variable de l’intérêt général, que c’est un ensemble de « nécessités auxquelles l’initiative

privée ne peut répondre, et qui sont toutes aussi vitales pour la communauté toute entière et

526 Jean-Etienne-Marie PORTALIS, De la publication des lois, présentation au Corps législatif, exposé des

motifs par le Conseiller d’État PORTALIS, séance du ventôse an IX (23 février 1803), in Pierre-Antoine FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Tome VI, Au Dépôt, Paris, 1827, p.632.

527 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Intérêt, pp. 532-564, spéc. p. 563 528 De ce fait, nous ne partageons pas la pensée de Marie- Caroline VINCENT-LEGOUX, pour qui l’intérêt

général se borne à justifier des atteintes aux libertés alors que l’ordre public protège les libertés bien qu’il les limite. L’ordre public. Étude de droit comparé interne, P.U.F., Coll. « Les grandes thèses du droit français », Paris, 2001, p. 720.

529 Cité par Didier TRUCHET, Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’État, L.G.D.J., Paris, 1977, p. 55.

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188

pour chacun de ses membres »530. Le maintien de cet ordre public sécuritaire fait partie des

missions régaliennes du pouvoir étatique. Il ne poursuit pas de fins qui lui soient propres. Il

est au seul service de l’utilité publique531.

295. Autant l’État doit assurer le respect de la liberté d’opinion, liberté individuelle,

autant il a le devoir, voire l’obligation d’assurer la satisfaction de l’intérêt général en

garantissant la sauvegarde de l’ordre public. Dans les constitutions des États de l’Afrique

subsaharienne francophone, la notion d’ « intérêt général » n’apparait que très rarement

dans les textes, voire pas du tout. En effet, dans la Constitution béninoise de 1990, la

notion d’intérêt général est uniquement évoquée dans le serment que prête le Président de

la République avant son entrée en fonction. Celui-ci jure solennellement de se laisser

guider « que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine »532. En

Côte d’Ivoire et au Sénégal en revanche, cette notion n’apparaît à aucun moment dans les

textes constitutionnels. De même, aucune référence à cette notion n’est faite dans le corps

de la Constitution française de 1958, ni dans le préambule de la Constitution de 1946, ni

même dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Une partie de la doctrine

explique l’absence de la notion dans le texte qui a matérialisé la Révolution française, par

le fait que l’intérêt général était une notion peu connue à l’époque. Jean-Éric SCHOETLL

disait ainsi que : « ce silence n’est pas surprenant a priori pour la Déclaration de 1789,

l’expression d’intérêt général n’ayant été consacrée qu’au siècle suivant par la

jurisprudence du Conseil d’État et la doctrine des auteurs »533. Dans la Loi Fondamentale

de la République Fédérale d’Allemagne de 1949, la notion d’ « intérêt général » s’assimile

à celle des « intérêts de la communauté » ou « Offentliches Interesse ». Elle n’y est pas

expressément citée mais comme les textes fondamentaux des autres États qui n’y ont pas

fait référence, le constituant a utilisé des notions connexes.

530 Jean WALINE, Droit administratif, 24ème éd., Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2012, p. 13. 531 Jacques CHEVALLIER, « L’intérêt général dans l’Administration française », Revue Internationale des

Sciences Administratives, 1975, pp. 325-350, spéc. p. 327. 532 Art. 53 Const. béninoise 1990. 533 Jean-Éric SCHOETLL, « Intérêt général et Constitution », in Conseil d’État, Rapport public 1999,

Jurisprudence et avis de 1998. L’intérêt général, La Documentation Française, Paris, 1999, p. 375.

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189

296. La notion connexe qui est très souvent utilisée, de façon malencontreuse, dans les

constitutions est celle d’ordre public534. Bien que l’ordre public soit une composante de

l’intérêt général, voire un moyen d’atteindre la satisfaction de l’intérêt général, les

constituants les emploient indistinctement. Les notions d’ « utilité publique », de

« nécessité publique » ou celle des « intérêts de la collectivité »535 sont aussi employées.

L’expression d’ « utilité publique » est ainsi utilisée dans la consécration constitutionnelle

du droit de propriété au Bénin et en Côte d’Ivoire536. Le constituant sénégalais emploie

plutôt le terme de « nécessité publique » pour encadrer l’exercice du droit de propriété537.

Cependant, même si les notions d’ordre public et d’intérêt général se rapprochent, elles ne

se confondent pas. L’ordre public est en effet, « une catégorie spécifique de l’intérêt

général qui ne se confond pas avec lui »538.

297. Aussi, même en l’absence d’une référence automatique à l’intérêt général, tant le

constituant, le législateur que les pouvoirs publics ont conscience que l’action du pouvoir

étatique doit rechercher constamment la satisfaction de l’intérêt général. Les restrictions

dont peuvent alors être l’objet les droits et libertés fondamentaux dont fait partie la liberté

d’opinion s’en trouvent légitimées. La liberté d’opinion, droit fondamental est d’abord une

liberté de la pensée, une liberté qui concerne la personne prise dans son individualité. Cet

aspect individualiste de la liberté d’opinion qui dans sa mise en œuvre, satisfait à un intérêt

particulier se retrouve confronté à l’intérêt général, qui reste un objectif constitutionnel. En

clair, il existe toujours une « tension » constante entre sphère privée et sphère publique

dans laquelle l’ordre public et les droits et libertés fondamentaux se déploient539. Pourtant,

l’intérêt général, dans une société loin de l’état de nature organise les intérêts particuliers

afin que ceux-ci convergent vers une seule et même finalité : le bien de tous.

534 Art. 10 Déclaration des Droits de l’Homme, 1789 ; art. 23 Const. béninoise 1990 ; Art. 9 Const.

ivoirienne 2000 ; Art. 10, 12, 16, 24 Const. sénégalaise 2001. 535 La notion des « intérêts de la collectivité » est employée dans la Loi Fondamentale allemande de 1949,

aux articles 14 (3) et 87e (4). 536 Art. 22 Const. béninoise ; Art. 12, al. 2 Const. ivoirienne. 537 Art. 15 Const. sénégalaise. 538 Didier LINOTTE, Recherches sur la notion d’intérêt général en droit administratif français, Thèse pour

le doctorat en Droit, Université de Bordeaux I, dactyl., 1975, spéc. p. 104 et s. 539 Sébastien ROLAND, « L’ordre public et l’État : brèves réflexions sur la nature duale de l’ordre public »,

in Charles-André DUBREUIL (ss. la dir.), L’ordre public, Éditions Cujas, Coll. « Actes & études », Paris, 2013, pp. 9-20, spéc. p. 19.

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190

298. En effet, les intérêts particuliers concernent essentiellement la satisfaction des

désirs personnels. La liberté d’opinion, qui est une liberté individuelle ne s’exerce que dans

le but pour l’individu, d’exprimer ce qu’il pense être sa vérité personnelle. Il peut alors

coexister au sein d’une même population plusieurs opinions, qui représentent différentes

vérités aux yeux de ceux qui les expriment et les revendiquent. Jean-Jacques ROUSSEAU

dira alors des intérêts particuliers, qu’ils s’opposent radicalement à l’intérêt général540. Ces

intérêts particuliers peuvent également contribuer à l’intérêt collectif. L’intérêt général

revêt un aspect social541 que le maintien de l’ordre public sécuritaire concourt à

satisfaire542. Cette conception qui a été adoptée par la France traverse généralement les

États ayant hérité de la pensée révolutionnaire de 1789. Elle s’oppose à la conception

utilitariste pour laquelle, les intérêts particuliers participent à la satisfaction de l’intérêt

général543.

299. Aussi, dans le cadre de la liberté d’opinion, la préservation de l’intérêt général peut,

en cas de nécessité, s’opposer à la volonté pour les individus d’exprimer leurs opinions

individuelles ou collectives à travers la liberté de manifestation et de réunion, entre autres.

Alors qu’en principe, le droit-liberté qu’est la liberté d’opinion interdit l’État d’agir, cette

interdiction tombe sous le coup de l’obligation pour le pouvoir étatique d’intervenir afin de

préserver l’ordre public sécuritaire, surtout lorsque l’expression des opinions représente

une menace circonstancielle.

540 « Nos écrivains regardent tous comme le chef d’œuvre de la politique de notre siècle les sciences, les

arts, le luxe, le commerce, les lois, et les autres liens qui, resserrant entre les hommes les nœuds de la société par l’intérêt personnel, les mettent tous dans une dépendance mutuelle, leur donnent des besoins réciproques et des intérêts communs, et obligent chacun d’eux de concourir au bonheur des autres pour pouvoir faire le sien. Ces idées sont belles, sans doute, et présentées sous un jour favorable ; mais, en les examinant avec attention et sans partialité, on trouve beaucoup à rabattre des avantages qu’elles semblent présenter d’abord ». Jean-Jacques ROUSSEAU, Narcisse. Cité par Pierre ROSANVALLON, Le libéralisme économique, Histoire de l’idée de marché, Éd. du Seuil, 1989, pp. 26-27.

541 Simone GOYARD-FABRE, Politique et philosophie dans l’œuvre de Jean-Jacques ROUSSEAU, P.U.F., Paris, 2001, p. 36.

542 La conception volontariste défendue par le philosophe des lumières s’oppose à la conception utilitariste des intérêts particuliers développée par certains philosophes-économistes dont Adam SMITH. Pour ce dernier en effet, les intérêts particuliers concourent au développement économique de l’État dans la mesure où la recherche constante du profit individuel, participe à l’insu des uns et des autres au bien social. Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Flammarion, Paris, 1991.

543 Cette conception est celle qui a été adoptée dans les pays anglo-saxons.

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191

2. Une prééminence qui oblige l’État à agir

300. La liberté lato sensu, mais plus encore, la liberté d’opinion, peut représenter une

menace pour l’ordre public, qui est pourtant le cadre à l’intérieur duquel elle peut

s’épanouir. Et comme l’a reconnu une partie de la doctrine : « Il convient donc de la limiter

pour mieux la garantir en lui imposant le respect du minimum de discipline collective sans

laquelle la vie sociale serait impossible. Cette discipline consiste dans le respect de certains

impératifs d’intérêt général dont la notion d’ordre public est la traduction juridique »544.

301. Le droit constitutionnel est amené à résoudre les possibles atteintes à l’ordre public

sécuritaire, même lorsque ces atteintes sont la résultante de l’exercice d’une liberté

fondamentale, en l’occurrence, la liberté d’opinion. Lorsque l’exercice d’une opinion

présente une violence certaine susceptible de menacer le bon ordre dans la cité545, le

pouvoir étatique doit trouver au sein des règles constitutionnelles et des normes législatives

qui en découlent, les solutions pour maintenir cet ordre. Christophe VIMBERT souligne

ainsi que la juridiction constitutionnelle, française en l’occurrence, a « puisé dans la

prééminence de l’ordre public (…) l’habilitation du législateur à intervenir pour restreindre

une liberté constitutionnelle »546.

302. La jurisprudence administrative française a su illustrer547, avec une certaine

stabilité, l’obligation d’agir de l’autorité administrative pour la protection de l’ordre public

sécuritaire. Plus récemment, l’affaire « Dieudonné » a permis le renforcement des pouvoirs

de l’autorité administrative en matière de prévention des risques d’atteinte à l’ordre public.

En effet, le Conseil d’État, saisi en référé par le Ministre de l’intérieur, a d’abord rappelé,

dans son ordonnance du 9 janvier 2014 le principe de la nécessité, de l’adaptation et de la

proportionnalité des atteintes portées à l’exercice de la liberté de réunion-prolongement de

544 Pascale GONOD, Fabrice MELLERAY, Philippe YOLKA (ss. la dir. de), Traité de droit administratif,

Tome 2, Dalloz, Coll. « Traités Dalloz », Paris, 2011, p. 6. 545 Georges BURDEAU, Les libertés publiques, op. cit., p. 44. 546 Christophe VIMBERT, « L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Revue du

Droit public, 1994, pp. 693-745, spéc. p. 723. 547 Voir : C.E., 23 octobre 1959, Doublet, n° 40922, Rec. Lebon : « Considérant que le refus opposé par un

maire à une demande tendant à ce qu’il fasse usage des pouvoirs de police à lui conférés (…) n’est entaché d’illégalité que dans le cas où à raison de la gravité du péril résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, cette autorité, en n’ordonnant pas les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave, méconnaît ses obligations légales ».

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192

la liberté d’opinion- pour des exigences d’ordre public. Il a par la suite reconnu, qu’au

regard des risques que le spectacle projeté du sieur Dieudonné M’Bala M’Bala représentait

pour l’ordre public, l’autorité administrative ayant pris un arrêté d’interdiction du

spectacle, n’avait « pas commis, dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative,

d’illégalité grave et manifeste »548. En raison même de la nature de la police administrative

dont l’activité doit tendre à assurer le maintien de l’ordre public549, l’autorité

administrative se devait de prendre les mesures nécessaires à la préservation de cet ordre.

Toutefois, et ainsi que l’a démontré Jean WALINE, cette décision est entachée d’un excès

de pouvoir en raison notamment du fait qu’il n’y avait aucun risque de trouble matériel à

l’ordre public d’autant plus que la décision du Conseil d’État n’en a provoqué aucun. De

plus, le sieur Dieudonné s’était engagé à ne pas reprendre dans son spectacle, les propos

répréhensibles jugés antisémites. En ne le croyant pas, le juge administratif français a

exercé un contrôle a posteriori, contrôle qui relève de la compétence du juge judiciaire, au

lieu d’exercer son contrôle a priori550.

303. En Afrique subsaharienne comme dans les grandes démocraties contemporaines,

l’objectif constitutionnel de maintien de l’ordre public, garant de la satisfaction de l’intérêt

général, constitue l’essentiel du pouvoir d’action de l’État par le biais des autorités tant

administratives, législatives que judiciaires. Ces autorités bénéficient d’un pouvoir de

police spécifique, qui constitue au sens large, les missions de l’administration. Ces

différents pouvoirs de police que sont la police administrative à travers les règlements, la

police législative à travers le vote des lois et la police judiciaire à travers les jugements,

assurent la sauvegarde de l’ordre public. De ce fait, les autorités de police bénéficient d’un

ensemble de pouvoirs accordés par la Constitution pour agir et restreindre l’exercice de ce

droit-liberté qu’est la liberté d’opinion lorsque les circonstances l’exigent. Leur inaction en

548 C.E., Juge des référés, 9 janvier 2014, Ministère de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et

M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508, Rec. Lebon. 549 René CHAPUS, Droit administratif général, Tome I, op. cit., p. 697. 550 Jean WALINE, Droit administratif, op. cit., p. 360.

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cas de risques d’atteinte à l’ordre public constitue à la fois une illégalité et une faute

pouvant engager leur responsabilité551.

304. Alors que la liberté d’opinion en tant que droit fondamental suppose une certaine

solennité, les atteintes à l’ordre public sécuritaire qui peuvent en résulter dévoilent une

urgence qui oblige l’État à agir dans la « nécessité de l’heure »552 . La notion de l’urgence

ici évoquée renvoie au temps, au moment, aux circonstances. Et lorsque les circonstances

exigent de la part du pouvoir étatique, une réaction efficace, elles impliquent que l’on

sacrifie la liberté d’opinion. Jean-Louis BERGEL disait justement : « Il est des moments

où le temps court plus vite et que son écoulement est plus dangereux : il y a alors urgence

et cette urgence justifie que l’on déroge à une règle juridique, que l’on sacrifie un droit à

un autre ou que l’on consente à une procédure expéditive. La nécessité de pourvoir à un

besoin immédiat justifie des mesures provisoires en attendant une décision définitive »553.

305. En principe, lorsque l’État intervient pour maintenir l’ordre public sécuritaire, son

action bénéficie d’une certaine légitimité ainsi que l’a souligné Philippe LAUVAUX. Il

affirme à cet effet que les mesures prises dans ces moments de menace à l’ordre public,

« doivent bénéficier d’une présomption de légitimité qui apparaît nécessaire au maintien de

l’ordre démocratique. Cette présomption ne pose pas de problème quand il s’agit de la

défense de l’État lui-même (…) Mais elle peut être contestée dès lors qu’il s’agit de la

défense de l’ordre politique établi, qui peut se présenter comme étant seulement celui du

pouvoir ou de la majorité en place »554. De ce point de vue, la relation existant entre le

pouvoir étatique en tant que police générale, l’ordre public, l’intérêt général et la nécessité

de limiter l’exercice des libertés et droits fondamentaux est prégnante. Ainsi, » La fonction

de police sera désormais conçue comme ayant pour objet la réalisation de cet ordre

551 Didier TRUCHET, « L’obligation d’agir pour la protection de l’ordre public : la question d’un droit à la

sécurité », in Marie-Joëlle REDOR, L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? (…), op.cit., pp. 299-316, spéc. p. 299.

552 Djédjro Francisco MELEDJE, « Constitution et urgence ou le lien entre les contestations violentes de l’ordre constitutionnel et la régulation constitutionnelle des crises », Revue Ivoirienne de Droit, n°42, Éditions Universitaires de Côte d’Ivoire- Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, Abidjan, 2011, pp. 12-33, spéc. p. 14.

553 Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, 2ème éd., Dalloz, Coll. « Méthodes du droit », Paris, 2012, p. 142.

554 Philippe LAUVAUX, Les grandes démocraties contemporaines, P.U.F., Paris, 1990, p. 127.

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194

public »555 . Et cette fonction n’aura pour limite que les exigences qu’imposent les

principes de nécessité et de proportionnalité556.

306. En tout état de cause, se pose la question des circonstances qui obligent l’État à

agir. En d’autres termes, à quel moment le maintien de l’ordre public sécuritaire autorise

l’État à restreindre la liberté d’opinion ? Aucun texte qu’il soit constitutionnel ou législatif

ne définit exactement les circonstances qui exigent ces restrictions, en dehors des buts que

ces textes assignent à l’État parmi lesquels le maintien de l’ordre public et de la sécurité est

un impératif d’intérêt général. En tant que notion circonstancielle557, l’ordre public permet

à l’État lui-même à travers ses organes de police générale, d’apprécier les circonstances du

moment, d’être prompt à agir avec efficacité, lorsque la nécessité l’exige tout en respectant

un équilibre entre la mesure restrictive et le degré de la menace que représente l’exercice

de la liberté d’opinion.

307. De façon générale, l’ordre public est la traduction juridique du maintien de la

sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publiques. Dans le cadre de l’ordre public

sécuritaire, lorsqu’il y a un risque d’atteinte aux personnes et aux biens du fait de

l’exercice de la liberté d’opinion en l’occurrence, l’État doit pouvoir prévenir ces risques

en limitant l’exercice de ce droit-liberté. La prévention de ces risques de troubles se fait

grâce à des moyens dont dispose le pouvoir étatique.

B. LA PROTECTION RELATIVE DE LA LIBERTE D’OPINION

308. L’ordre public est par définition un ordre voulu par l’État, c’est-à-dire qu’il s’agit

d’un ordre « tel que les autorités de l’État en délimitent les contours »558. En tant

qu’ « ordre public de l’État »559, il a aussi bien une dimension juridique qu’une dimension

politique. Et comme l’a affirmé Gilles LEBRETON, « noyau dur du système juridique, 555 Pascale GONOD, Fabrice MELLERAY et Philippe YOLKA, Traité de droit administratif, Tome 2,

Dalloz, Paris, 2011, p. 6. 556 Idem, p. 7. 557 Etienne PICARD, « Introduction générale : La fonction de l’ordre public dans l’ordre juridique », in

Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? op. cit., pp. 17- 61, spéc. p. 23.

558 Sébastien ROLAND, « L’ordre public et l’État : brèves réflexions sur la nature duale de l’ordre public », op. cit., spéc. p. 17.

559 Idem, p.10.

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195

l’ordre public est l’ensemble des règles que la conscience collective juge indispensable au

bon fonctionnement de la société. Il est donc indissociable du système de valeurs morales

auquel adhère la majorité des citoyens, et dont le respect spontané constitue un contrat

social tacite qui fonde l’autre contrat social, de nature politique, par lequel le peuple

manifeste sa volonté de constituer une communauté étatique »560 . De ce fait, il appartient à

la conscience collective d’apprécier à travers les autorités institutionnelles qui la

représentent, le moment opportun pour restreindre l’exercice de la liberté d’opinion.

309. Comme cela a déjà été souligné, la première restriction à la liberté d’opinion est

l’ordre public sécuritaire. En effet, les textes fondamentaux consacrent tous la liberté

d’opinion en la confrontant à l’ordre public sécuritaire. Si le constituant béninois retient

les sources de cet ordre public, à travers la loi et les règlements561, la Constitution

ivoirienne intègre en plus de l’ordre public, le respect de la loi, des droits d’autrui, de la

sécurité nationale562 comme limites à l’exercice de la liberté d’opinion. Au Sénégal, la

norme juridique suprême oppose à la liberté d’opinion, l’honneur et la considération

d’autrui en plus de l’ordre public563. Ainsi, le législateur en votant la loi, organise et

encadre le régime juridique de la liberté d’opinion. Ce régime reste toutefois un régime

général et impersonnel, à l’image de la loi qui lato sensu, est une règle qui a les mêmes

caractéristiques. Il appartient alors aux autorités administratives de prendre toutes mesures

utiles et spécifiques aux cas d’espèce afin de prévenir tout risque de trouble à l’ordre

public sécuritaire. Ces mesures utiles s’entendent des règlements lato sensu qui incluent les

actes règlementaires des autorités de police administrative générale et spéciale. L’adoption

de ces règlements est de nature à relativiser le caractère libre de l’exercice de la liberté

d’opinion, même si et comme il sera démontré par la suite, le juge constitutionnel béninois,

s’évertue tant bien que mal à veiller à ce que le principe de nécessité des mesures de

restrictions prises par les autorités chargées de l’administration territoriale soit respecté564.

560 Gilles LEBRETON, « Ordre public et dignité de la personne humaine : un problème de frontière », in

Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? op. cit., pp. 353- 367, spéc. p.363.

561 Art. 23, Const. béninoise, 1990. 562 Art.9, Const. ivoirienne, 2000. 563 Art. 9, Const. sénégalaise, 2001. 564 Décision D.C.C. 03-134 du 21 Août 2003.

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196

310. Si la liberté d’opinion reste une liberté vivante dans le for intérieur, son expression

est celle dont la protection est à relativiser. En effet, son expression se fait tant par la

liberté de manifestation que par la liberté d’aller et de venir. Aussi, on ne saurait dissocier

la liberté d’opinion des autres valeurs qui fondent l’idéologie de la consécration des droits

et libertés fondamentaux. Inversement, si la restriction de la liberté d’opinion reste

utopique en réalité, en tant qu’elle est d’abord une liberté de la pensée, son expression peut

être limitée voire interdite. Ainsi que l’a reconnu le Conseil constitutionnel français en

1984 dans le 37ème considérant d’une décision rendue la même année, la liberté d’opinion à

travers la liberté de communication des opinions reconnue à l’article 11 de la Déclaration

des Droits de l’Homme de 1789 , en tant que liberté fondamentale est « d’autant plus

précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits

et libertés (…) »565. C’est donc au travers de ses prolongements que l’on se rend bien

compte des limites que le pouvoir étatique peut opposer à l’exercice de la liberté d’opinion.

Toutefois, sur la base de l’arrêt Benjamin rendu par le Conseil d’État français en 1933, les

atteintes à la liberté d’expression des opinions, notamment à travers les interdictions de

manifestation, restent l’exception. Autrement dit, si l’autorité étatique ne dispose d’aucun

autre moyen légal que celui d’interdire une manifestation en vue de prévenir les troubles à

l’ordre public, alors la mesure d’interdiction de la manifestation sera légale sous certaines

conditions566. Les interdictions de manifestation et les arrestations administratives restent,

pour l’essentiel, d’efficaces moyens pour maintenir l’ordre public sécuritaire.

311. La liberté de manifestation, prolongement de la liberté d’opinion, est un droit que

les constitutions garantissent en tant que droit fondamental. René DEGNI-SEGUI dira que

cette liberté permet de protester contre « les abus de pouvoir, de réclamer la démocratie ou

565 C.C., décision n° 84-181 D.C. des 10-11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer

la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. Voir note Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Pouvoirs, n°33, avril 1985, p. 163 ; Emmanuel DERIEUX, « Les principes du droit de la communication dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Légipresse, n°141, mai 1997, pp. 49-56 ; Observations de Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op. cit., pp.381-394, n°. 31.

566 C.E., 19 mai 1933, Benjamin, Rec. Lebon, p. 541 : «Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre (…) ».

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197

des élections justes et transparentes »567. Elle est l’une des conditions du caractère

authentique de la volonté populaire et constitue en ce sens, l’une des garanties contre les

abus du pouvoir. Elle se prolonge au moyen de la liberté de réunion, des meetings, des

rassemblements pacifiques, etc. Comme toutes les autres libertés fondamentales, cette

dernière n’est pas une liberté absolue. Il est de plus en plus courant de constater que les

interdictions de manifestation ou de rassemblement sont monnaie courante en raison de la

fragilité grandissante de l’ordre public sécuritaire, mais aussi de l’appréciation ambigüe

qu’en font les autorités politiques.

312. L’exemple le plus probant est celui de la Côte d’Ivoire. Le souci de pacifier les

élections présidentielle et législatives de 1995 a été l’occasion pour le pouvoir exécutif

d’édicter une mesure d’interdiction de manifestation sur l’ensemble du territoire. Le décret

n° 95-721 du 20 septembre 1995 interdisant les marches et autres manifestations sur

l’ensemble du territoire national couvrait une période de trois mois. La crise militaro-

politique de 2002 et l’ambiance qui a prévalu depuis cette date a conduit l’autorité

exécutive à prendre des décrets d’interdiction de manifestation sur la voie publique. Ainsi,

le décret n°2004-210 du 11 mars 2004 pris par le Président de la République Laurent

Gbagbo a interdit pendant plus d’un mois, les manifestations de rue. Ces manifestations

ont été interdites en vue, « d’instaurer un climat de sérénité avant l’arrivée des casques

bleus en Côte d’Ivoire »568. Le Chef de l’État ivoirien justifiera l’édiction de ce décret en

ces termes : « le Droit ouvre pour le pouvoir exécutif la possibilité de limiter ou de

restreindre les libertés lorsque les nécessités de l’ordre public l’exigent (…). C’est dire, au

total qu’il n’y a pas contradiction entre le décret que le gouvernement de réconciliation

nationale a été amené à prendre et la Constitution (…) »569. Un autre décret, n° 2005-559

du 12 décembre 2005, pris par le même Chef de l’État interdisait « toute manifestation sur

la voie publique » du 10 décembre 2004 au 10 mars 2005. Il ressort de la lecture de ces

décrets, que ceux-ci ont été pris en dehors de toute période jugée exceptionnelle d’un point

567 René DEGNI-SEGUI, Les droits de l’Homme en Afrique noire francophone, C.E.D.A., Abidjan, 2001, p.

270. 568 Extrait de la déclaration du porte-parole du gouvernement, à l’issue d’un Conseil des ministres qui s’est

tenu le 11 mars 2004. 569 Extrait du message du Président de la République à la nation du 8 avril 2004, Fraternité-Matin du 9 avril

2004.

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198

de vue juridique puisqu’aucun état d’urgence ou de siège n’avait été décrété. Le pouvoir

étatique, au regard de la situation de tension qui avait cours, a pris la décision de

restreindre l’expression de la liberté d’opinion, pour maintenir un certain calme et assurer

la sécurité nationale, en évitant que ces manifestations ne dégénèrent en actes de violence.

313. Au Bénin, en 2010, l’atmosphère sociale autour de l’affaire Dangnivo a également

conduit le Gouvernement à prendre des mesures de restriction de la liberté de

manifestation. En effet, suite à la disparition de Pierre Urbain Dangnivo, cadre au ministère

des finances et élu local, le Ministre de l’intérieur Martial Sounton, en charge de la sécurité

publique, a pris le mardi 12 octobre 2010, un arrêté d’interdiction des manifestations

publiques relatives à ladite affaire, et ce sur toute l’étendue du territoire national pour des

raisons de sécurité et d’ordre public. La prise de cet acte réglementaire intervint suite à la

décision des travailleurs du ministère des finances ainsi que des centrales syndicales de

manifester pour exiger de l’autorité étatique, que soit retrouvé le disparu. De nombreuses

voix s’élevèrent alors à travers tout le pays pour dénoncer une décision liberticide, bien

que le motif du maintien de l’ordre public et de la sécurité nationale ait légitimé cette

mesure d’interdiction570. Quant à la Cour constitutionnelle du Bénin, cette dernière n’est

pas restée constante dans sa jurisprudence protectrice de la liberté de manifestation. En

2003, le Conseil constitutionnel avait annulé une décision d’annulation de manifestation au

motif qu’il n’existait aucun élément susceptible de faire craindre des troubles à l’ordre

public. De plus, les raisons d’interdiction d’une marche pacifique étaient sans rapport avec

l’exception d’ordre public ainsi que le nombre d’agents de sécurité disponible571. Dans le

même temps et à l’occasion de la même jurisprudence, le juge constitutionnel béninois a

déclaré conforme à la Constitution une décision d’interdiction d’une marche de

protestation pacifique en direction de la Présidence de la République du Bénin572.

570 L’affaire Dangnivo est illustratrice de l’ampleur du pouvoir des autorités étatiques en matière de

maintien de l’ordre public sécuritaire. En effet, Pierre Urbain Dangnivo prit une part active dans le cadre d’une enquête portant sur des faits d’escroquerie d’une structure financière de collecte et de placement des épargnes, dénommée ICC Services. Cette enquête a ainsi permis de mettre en lumière l’implication de certaines personnalités politiques, proches du régime en place. La disparition du Sieur Dangnivo jeta alors un discrédit certain sur les pratiques du pouvoir politique. Et la décision d’interdiction des manifestations publiques relatives à cette affaire, semblait plutôt servir les intérêts particuliers des personnalités publiques plutôt que l’intérêt général.

571 Décision D.C.C. 03-134 du 21 août 2003. 572 Ibidem.

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199

314. Plus récemment au Sénégal, le Gouverneur de Dakar a pris un arrêté d’interdiction

des manifestations publiques du 10 novembre au 5 décembre 2014 à l’occasion de

l’organisation du sommet de la Francophonie. Le Parti Démocratique Sénégalais (P.D.S.)

dont le fondateur n’est autre que l’ex Président de la République Abdoulaye Wade, avait

pourtant durant cette période, programmé un meeting, le 21 novembre 2014. Le Président

de la République actuel du Sénégal, Macky Sall déclarait à cet effet : « On ne laisserait tout

de même pas des personnes, au nom de la liberté de manifester, perturber un sommet [de la

Francophonie] de cette nature »573. Évidemment, cette décision d’interdiction fut contestée

par une partie de la population sénégalaise acquise à la cause du P.D.S.

315. Aux interdictions administratives de manifestation publique, s’ajoutent les

arrestations administratives, qui sanctionnent les personnes qui bravent ces interdictions.

C’est alors à la liberté d’aller et de venir que l’autorité administrative porte légitimement

atteinte. De ce fait, l’exercice de la liberté d’opinion peut conduire l’autorité administrative

à prendre des mesures de contrainte pouvant entraîner la privation provisoire, de la liberté

d’aller et de venir. Toutefois, ces arrestations administratives ne peuvent avoir lieu qu’en

cas de nécessité absolue et pour prévenir les troubles à l’ordre public. Elles sont soumises

au respect de la lettre et de l’esprit des constitutions de même qu’aux modalités prévues

par la loi.

316. Gérard CORNU définit l’arrestation comme l’ « action d’appréhender au corps un

coupable ou un suspect, au nom de la loi ou d’une autorité »574. Il en distingue quatre

types : les arrestations administratives, les arrestations arbitraires, les arrestations illégales

et les arrestations provisoires. Dans le cadre de la protection de l’ordre public sécuritaire,

certaines autorités administratives peuvent ordonner, sans l’autorisation du pouvoir

judiciaire, des arrestations de personnes dont l’expression des opinions présente ou est

susceptible de présenter des risques d’atteinte à l’ordre public. Les différentes constitutions

donnent compétences aux législateurs, pour fixer les règles relatives aux garanties

fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques de même que

les sujétions qui leur sont imposées tant à leurs personnes qu’à leurs biens, dans l’intérêt de 573 Extrait d’un entretien du Président de la République du Sénégal, Macky Sall avec un club de presse

sénégalais le dimanche 9 novembre 2014. 574 Gérard CORNU, op. cit., pp. 82-83.

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200

la sécurité publique575. Pour appliquer les règles que le législateur fixe dans ce domaine,

compétence est donnée au pouvoir réglementaire afin d’adapter l’application de la loi aux

cas d’espèce. Et c’est bien là que réside toute la problématique : le pouvoir réglementaire

étant souvent une autorité politique, quelle analyse peut-être faite de la légalité des

décisions d’arrestation administrative, d’autant plus qu’il lui appartient d’en apprécier

l’opportunité ?

317. En effet, l’ordre public correspond dans sa conception matérielle, à l’aspect

sécuritaire qui donne la possibilité à un groupe social de s’épanouir dans la paix. Il est

circonstancié. Gérard CORNU dira qu’il désigne « pour un pays donné, à un moment

donné, l’état social dans lequel la paix, la tranquillité et la sécurité publique ne sont pas

troublées »576. L’autorité administrative apprécie alors le risque que peut présenter telle ou

telle opinion à un moment jugé inapproprié. Cependant, et dans certains cas, les atteintes

touchant à la liberté physique, et qui sanctionnent une liberté d’opinion jugée « débridée »

peuvent prendre le caractère d’arrestations arbitraires. Les arrestations arbitraires sont un

« abus d’autorité portant atteinte à la liberté des particuliers ; plus précisément, fait pour un

dépositaire de l’autorité publique d’ordonner ou d’accomplir (dans l’exercice où à

l’occasion de ses fonctions) un acte attentatoire à la liberté individuelle »577. Bien que

revêtant en apparence la qualification de mesures de police administrative, dont l’objectif

est la satisfaction de l’intérêt général, ces décisions d’arrestation ne visent en réalité qu’à

embrigader la liberté d’opinion. Abus d’autorité, les arrestations arbitraires sont

significatives dans le cadre de la liberté d’opinion. Toutefois, ces arrestations arbitraires le

sont pour les personnes qui en sont victimes, mais légitimes aux yeux des autorités

administratives, qui les justifient au motif du maintien de l’ordre public sécuritaire et pour

la satisfaction de l’intérêt général.

575 Art. 98, Const. béninoise précitée ; art. 71, Const. ivoirienne précitée ; art. 67, Const.

sénégalaise précitée; art. 34, Const. française précitée. 576 Gérard CORNU, op. cit., p. 718. 577 Idem, p. 83.

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201

CONCLUSION DU CHAPITRE II

318.De prime abord, la liberté d’opinion, liberté fondamentale, reconnue par les

différentes constitutions et protégée par l’organe juridictionnel, institué à cet effet, est une

liberté dont l’exercice est total sans être absolu. Elle est la liberté reconnue à tout individu

d’exprimer sa pensée, tant dans le domaine politique et syndical que dans le domaine

religieux, sans en être inquiété. Cependant, ce droit-liberté doit s’exercer dans un cadre

légal défini par le législateur, à qui le constituant donne compétence en la matière. Le

constituant assure également, par le biais des compétences reconnues aux différents

pouvoirs institués, les garanties nécessaires à la conciliation constante du diptyque liberté

d’opinion/ordre public sécuritaire.

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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

319. L’affirmation constitutionnelle de l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion

avec l’ordre public sécuritaire a été le résultat d’un processus long et douloureux en

Afrique subsaharienne francophone. En l’analysant de plus près, cette modélisation semble

ne rien avoir de très original, puisqu’elle est la copie conforme du modèle adopté dans les

grandes démocraties contemporaines. Mais, la liberté d’opinion a été consacrée dans les

années 1990 en Afrique subsaharienne francophone avec une certaine spécificité qui tient

pour l’essentiel à la prise en compte de la diversité ethnique et religieuse. Quant à l’ordre

public sécuritaire, cette notion mystérieuse qui apparaît pourtant comme une évidence,

reste la première limite que le constituant oppose à l’exercice de la liberté d’opinion. Elle

légitime a priori les mesures prises par l’autorité étatique pour en assurer le maintien, en

portant une atteinte temporaire et légale à l’exercice de la liberté d’opinion. Pourtant,

l’autorité étatique, qui est aussi une autorité politique, avec une opinion qui est sienne, peut

au moyen du maintien de l’ordre public sécuritaire, violer l’exercice de la liberté

d’opinion, au nom de ses intérêts propres. Cette situation traduit le risque d’une

appréciation discrétionnaire du pouvoir politique, surtout en matière de troubles à l’ordre

public sécuritaire.

320. Par conséquent, et pour contenir ce risque de confusion entre la préservation des

intérêts politiques et l’intérêt général, le constituant s’est assuré de l’institution de pouvoirs

concurrents. Ces différents pouvoirs qui agissent en tant que contre-pouvoirs fonctionnels,

contrôlent, modèrent et régulent le pouvoir concurrent578. À cela s’ajoutent des principes

juridiques fondateurs de la démocratie mais aussi de l’État de droit qui assurent à la liberté

d’opinion et à l’ordre public sécuritaire, des rapports équilibrés.

578 Fabrice HOURQUEBIE, « Le contre-pouvoir, enfin connu. Pour une analyse de la démocratie

constitutionnelle en terme de contre-pouvoirs », in Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic : Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruylant, Bruxelles, 2008, pp. 99-115, spéc. pp. 103-104.

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DEUXIEME PARTIE.

LES GARANTIES JURIDIQUES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

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321. La conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire, pour être

satisfaite, doit être protégée par un ensemble de garanties juridiques. L’expression

« garantie des droits » désigne l’« ensemble des dispositions et des procédés » contenus

dans la Constitution ou qui découlent de ses dispositions et qui « tendent à empêcher par

des interdictions ou d’une manière générale par un système quelconque de limitation du

pouvoir la violation des droits de l’Homme par les gouvernants »579. Au-delà de

l’inscription constitutionnelle, la conciliation suppose également une articulation

minutieuse d’autres garanties dont les maîtres d’ouvrage sont les pouvoirs constitués de

l’État.

322. Il est vrai que l’appréciation des risques d’atteinte et de troubles à l’ordre public

sécuritaire relève de la marge d’appréciation de l’État. Il est tout aussi vrai que l’ordre

public sécuritaire constitue un intérêt vital pour ce dernier d’autant plus qu’il relève du

domaine réservé de l’État. Toutefois, la sécurité des personnes et des biens tout comme

celle du territoire national en tant que principal constituant de cet ordre public, ne saurait

remettre en question le fait que le respect de la liberté d’opinion soit un droit fondamental.

Ce droit-liberté est reconnu et consacré au plus haut niveau normatif. De ce fait, le respect

de la liberté d’opinion est un impératif constitutionnel580. Si l’appréciation des risques

d’atteinte à l’ordre public sécuritaire fait partie de la marge d’appréciation reconnue à

l’État, il est peu surprenant de constater que cette appréciation discrétionnaire puisse

souvent se confondre avec son bon plaisir, lequel se matérialise certes au gré du contexte

sécuritaire, mais bien souvent au gré des opportunismes politiques. Les États de l’Afrique

subsaharienne francophone à l’instar des grandes démocraties contemporaines, usent de

garanties « minimales » qui doivent assurer le respect de la conciliation entre la liberté

d’opinion et l’ordre public sécuritaire. Ces garanties doivent être à la fois institutionnelles

(Chapitre I) et matérielles (Chapitre II).

579 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Garantie, pp. 484-486, spéc. pp. 485-486. 580 François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel français », [en ligne]. Disponible

sur www.conseilconstitutionnel.fr/dossier/quarante/notes/secjur.htm. Consulté le 12 avril 2015.

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CHAPITRE I.

LES GARANTIES INSTITUTIONNELLES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

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323. Les garanties institutionnelles de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire désignent un ensemble de procédés et de techniques qui ont été

institutionnalisées par la Constitution en vue de protéger et de faire respecter cette

articulation. Elles peuvent recouvrir un aspect organique avec une insistance certaine sur

l’organisation des différents pouvoirs constitués et les rapports qu’ils entretiennent entre

eux. De ce fait, la technique constitutionnelle de la séparation des pouvoirs traditionnels en

Afrique subsaharienne francophone (Section I) se trouve renforcée par l’avènement d’un

pouvoir doté de compétences révolutionnaires, la juridiction constitutionnelle (Section II).

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SECTION I.

LA SEPARATION DES POUVOIRS CLASSIQUES, TECHNIQUE DE PRESERVATION DE LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION

AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

324. L’objectif affiché ici n’est pas de revenir sur toutes les controverses doctrinales

qu’a engendrées la séparation des pouvoirs. Depuis John LOCKE, dans son ouvrage Traité

du gouvernement civil de 1690 jusqu’à MONTESQUIEU au XVIIIème siècle avec De

l’esprit des lois, cette règle doctrinale a connu diverses interprétations dont certaines qui

s’éloignaient de la conception originelle de MONTESQUIEU581. Originaire de

l’Angleterre puis des États-Unis avant d’être importée en France au siècle des Lumières, la

séparation des pouvoirs est présentée comme un principe d’art politique et non comme un

principe juridique proprement dit582. Elle peut être considérée comme une sorte de

nébuleuse affectée d’une indétermination certaine583. La séparation des pouvoirs est une

technique contre l’arbitraire. Cette technique vise à empêcher que « les forces de l’État ne

soient monopolisées par la même personne »584. Autrement dit, elle est une « technique

constitutionnelle destinée à éviter le despotisme et à garantir la liberté»585. En effet, et ainsi

que l’écrivait MONTESQUIEU : « Lorsque dans la même personne ou le même corps de

magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de

581 Denis ALLAND et Stéphane RIALS rappellent à cet effet la doctrine traditionnelle qui a prévalu au

XVIIIème siècle et qui de façon exclusive, correspondait à une séparation absolue des pouvoirs. Cette séparation rigide s’entendait tant d’un point organique, fonctionnel que personnel. Cette interprétation de la séparation des pouvoirs avait toutefois pour finalité d’assurer la protection de la liberté politique « en empêchant la réunion des pouvoirs, ou en d’autres termes d’instituer (…) un équilibre entre les pouvoirs ». Cf. Denis ALLAND et Stéphane RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy- P.U.F., Coll. « Quadrige Dicos poche », Paris, 2003, p. 1407.

582 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, réédition présentée par Guy CARCASSONNE et Olivier DUHAMEL, Dalloz, Paris, 2002, p. 157.

583 Denis ALLAND et Stéphane RIALS (ss. La dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, 1ère éd., P.U.F., Coll. « Quadrige », Paris, 2003, pp. 1406-1411, spéc. p. 1410.

584 Denis BARANGER, Le droit constitutionnel, 5ème éd., P.U.F., Coll. « Que sais-je », Paris, 2010, p. 99. 585 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel, 35ème éd. L.G.D.J.-lextenso,

Coll. « Manuel », Issy-les-Moulineaux, 2014, p. 89.

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214

liberté, parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des

lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement »586. Il en découle deux fonctions de

l’État : la fonction exécutive et la fonction législative. Ces deux fonctions doivent être

exercées par des organes distincts afin d’éviter tout abus. À ces deux pouvoirs, s’ajoute le

pouvoir de trancher les litiges et qui par nature, est une fonction indépendante des deux

précédentes.

325. Dans le cadre de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire, il est impensable voire illogique que celui qui est chargé d’assurer le maintien

de l’ordre public sécuritaire en utilisant au besoin la force publique, soit celui qui légifère

en la matière. Les révolutionnaires français de 1789 inscrivirent au sein même de la

Déclaration, la « séparation des pouvoirs »587. Une lecture plus contemporaine de la

séparation des pouvoirs permet de souligner que ce principe tend à spécialiser chacune des

fonctions étatiques essentielles à l’équilibre des rapports entre la liberté d’opinion et

l’ordre public sécuritaire (§ I). La Constitution prévoit également un aménagement des

rapports entre ces différents organes afin d’éviter un immobilisme institutionnel (§ II).

§ 1. LA DISTINCTION CLASSIQUE DES POUVOIRS-FONCTIONS

326. Comme l’a souligné MONTESQUIEU, dans chaque État, il y a trois sortes de

pouvoirs : « celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, celui de juger

les crimes ou les différends des particuliers ». À quelques détails terminologiques près, ces

trois pouvoirs dans le cadre de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire correspondent à trois fonctions spécifiques : la fonction de légiférer (A), la

fonction d’exécuter la législation (B), la fonction de trancher les litiges en cas de

manquement à la règle de conciliation (C).

586 MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois I, Livre XI, Chap. VI, De la Constitution d’Angleterre, Éd.

Gallimard, Coll. « Folio/ essais », Paris, 1995, p. 328. 587 Art. 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des

droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution ».

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215

A. LA FONCTION LEGISLATIVE DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA CONCILIATION

327. L’aménagement de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire a été confié par le constituant à un organe élu (1). Cet organe élu dispose de

compétences d’attribution dont les enjeux dans la mise en œuvre de ses compétences (2)

constituent réellement des garanties qui participent à l’équilibre des rapports entre la liberté

d’opinion et l’ordre public sécuritaire.

1. Le titulaire de la fonction législative

328. Dans le cadre spécifique de la fonction de faire les lois, cette fonction est dévolue

au pouvoir législatif. Détenir le pouvoir législatif, c’est détenir la compétence pour faire,

modifier ou abroger les dispositions générales ou lois588. La compétence de ce pouvoir

réside alors dans le consentement de celui-ci pour l’édiction de la loi589. Cette compétence

législative constitutionnalisée soumet le législateur au principe de constitutionnalité. Ce

principe l’oblige alors au respect de la Constitution qui est la source première des

compétences des différents pouvoirs qui s’exercent dans l’ordre étatique.

329. La fonction de légiférer se définit classiquement comme la fonction de faire des

lois, ce qui va au-delà de la simple élaboration des textes de lois. Aussi appelée fonction

législative, elle est selon Jean-Jacques ROUSSEAU dans son ouvrage Du contrat social, la

fonction supérieure dans l’État, en tant qu’acte de la volonté générale590. La volonté

générale est « une et indivisible du peuple en corps » et se distingue de la « volonté de

tous » en tant que « sommation des volontés particulières »591. Déjà en France, le

constituant de 1791 schématisait une hiérarchie des normes : « Il n’y a point en France

d’autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle et c’est au nom de la loi

588 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Dalloz, Coll. « La Bibliothèque

Dalloz », Paris, 2002, p. 18. 589 Charles EISENMANN, « L’« Esprit des lois » et la séparation des pouvoirs », in Mélanges Raymond

Carré de Malberg, Librairie du Recueil SIREY, Paris, 1933, pp. 165- 192, spéc. pp. 166- 167. 590 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, Le livre de poche, Coll. « Classiques de poche », Paris,

1996, Livre II, Chap. VI, p.71 591 Simone GOYARD-FABRE, Politique et philosophie dans l’œuvre de Jean-Jacques ROUSSEAU, P.U.F.,

Coll. « Thémis », Paris, 2001, p. 50.

Page 215: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

216

qu’il peut exiger l’obéissance »592. La fonction législative concerne la procédure législative

dans son ensemble, depuis la préparation des propositions de lois jusqu’à leur adoption

définitive en Assemblée plénière593.

330. Les constituions des États de l’Afrique subsaharienne francophone, tout comme

celles des grandes démocraties contemporaines confient la fonction législative à un organe

politique, le Parlement. Celui-ci peut être monocaméral avec une chambre unique, qui

porte le nom d’Assemblée Nationale, dont les membres sont élus au suffrage universel

direct, comme au Bénin594 et en Côte d’Ivoire595. D’autres sont, au contraire, bicamérales

avec une chambre haute, le sénat, dont les membres sont élus au suffrage universel

indirect, et une chambre basse, l’Assemblée nationale596. En Allemagne, ces chambres sont

appelées respectivement Bundesrat ou conseil fédéral597 et Bundestag ou Diète fédérale

allemande598. Les parlements de type bicaméral offrent aux citoyens, selon Georges

VEDEL qui reprend l’idée de MONTESQUIEU, « une sauvegarde complémentaire pour la

liberté des citoyens »599 puisque « une loi injuste ou oppressive aura moins de chances de

passer s’il lui faut l’assentiment des deux chambres »600.

331. Les différentes constitutions énumèrent expressément un ensemble de matières qui

relèvent de la compétence du législateur. En reconnaissant compétence au pouvoir

législatif pour voter la loi, les constitutions de ces États lui assignent la mission pour

adopter des garanties accordées aux citoyens pour l’exercice de leurs libertés

fondamentales601. Il leur incombe également d’imposer des sujétions aux citoyens en leur

personne et leurs biens, dans l’intérêt de la défense nationale et de la sécurité publique602.

592 Art.2, Const. française, 1791. 593 Point n’est ici besoin d’insister sur la nature des lois, qu’elles soient organiques ou ordinaires. 594 Art. 79, Const. sénégalaise, 2001. 595 Art. 71, Const. ivoirienne, 2000. 596 Art. 24, al.2, Const. française ,1958 ; Art. 59, Const. sénégalaise, 2001. 597 Art.50, L.F. de la R.F.A., 1949. 598 Art. 38, L.F., 1949. 599 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 20. 600 Ibidem. 601Art.34, Const. française, 1958; Art.98, Const. béninoise, 1990 ; Art.71, Const. ivoirienne, 2000 ; Art. 67,

Const. sénégalaise, 2001 602 Cf. art. précités.

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217

2. Les enjeux de la fonction législative pour l’exercice de la liberté d’opinion

332. La liberté d’opinion est un droit-liberté fondamental consacré par les textes

constitutionnels. En tant que « délégués de la liberté face au pouvoir »603, les détenteurs du

pouvoir législatif d’encadrement édictent nombre de textes de lois, qui sont des moyens

législatifs visant à protéger et à encadrer les droits et libertés. Toutefois, les moyens

législatifs de régulation de la liberté d’opinion renvoient plutôt à l’expression des opinions

à travers divers supports. Ainsi, en consacrant la liberté d’opinion, les constituants se sont

aussi évertués à dégager une certaine identité de principe en y associant la liberté de la

presse, la liberté politique, la liberté de communication ou encore la liberté audiovisuelle.

L’exemple de la législation relative à la liberté de la presse est édifiant. La presse désigne

les moyens de diffusion de produits imprimés au public. La liberté de la presse peut être

alors définie comme la liberté reconnue aux organes de presse en vue d’utiliser l’ensemble

des moyens d’information quel qu’en soit le mode d’expression604. En adoptant différents

textes en la matière, les législateurs s’engagent à protéger tant les opinions diffusées au

moyen de la presse que les organes eux-mêmes. La loi du 29 juillet 1881 adoptée par la

France pour organiser la liberté de la presse en est un exemple. L’Allemagne se base

principalement sur l’article 5 de la Loi Fondamentale pour protéger la liberté de la

presse605. Pour la doctrine, cet article 5, norme centrale en la matière606, donne une

définition précise et moderne de la liberté d’opinion, en ce sens que : « par la définition de

son contenu plus que par sa dénomination, [la liberté d’opinion] correspond le mieux au

contenu habituel de la liberté d’expression »607. En Afrique subsaharienne francophone, la

loi n° 60-12 du 30 juin 1960 au Bénin, la loi n° 96-04 du 22 février 1996 au Sénégal de 603Dominique TURPIN, Les libertés publiques : Théorie générale des libertés publiques, régime juridique

de chacune des libertés publiques, 5ème éd., Gualino éditeur, Coll. « Fac Universités », Paris, 2000, pp. 11-12.

604Vocabulaire juridique, op. cit., voir Presse, p. 796. 605 Art.5 (1) de la L.F. de la R.FA., 1949 : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son

opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer sans entraves aux sources qui sont accessibles à tous. La liberté de la presse et la liberté d’informer par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n’y a pas de censure ».

606 Rainer ARNOLD, « Constitution et liberté d’expression en Allemagne », Annuaire international de Justice Constitutionnelle, Economica-P.U.A.M., 2007, pp. 101-132, spéc. p. 101.

607 Michel VERPEAUX, « La liberté d’expression dans les jurisprudences constitutionnelles », Les nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 36, juin 2012, pp. 137-155, spéc. p. 138.

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218

même que la loi n°2004-643 du 14 décembre 2004 en Côte d’Ivoire, institutionnalisent et

protègent la liberté de la presse en faisant de cette dernière, une liberté spécifique de la

liberté d’expression des opinions.

333. Ces lois ont été le fruit d’un processus dont le point de départ en Afrique

subsaharienne francophone est l’avènement d’un nouveau constitutionnalisme à partir des

années 1990, en dehors du Bénin-où la loi adoptée en 1960 n’a jamais pu s’appliquer en

raison de la nature des régimes politiques existant avant 1990-. En Allemagne, la liberté de

la presse bénéficie d’une protection si forte avec l’article 5 de la L.F., que même le

législateur ne saurait par des lois générales, restreindre le champ d’application de la liberté

d’expression des opinions, et plus particulièrement celui de la liberté de la presse. Le juge

constitutionnel fédéral précise à cet effet : « Étant donné l’importance essentielle du droit

fondamental, il ne serait pas logique d’accepter que la portée matérielle de ce droit puisse

être relativisée par une simple loi. Les lois générales, doivent pour leur part, être

considérées et interprétées dans leur effet restrictif de ce droit fondamental de manière à

ce que la substance de ce dernier soit en tout cas garantie ». Le juge poursuit en affirmant

que : « La relation réciproque entre le droit fondamental et la loi générale ne doit donc

pas être comprise comme une restriction unilatérale de la validité du droit fondamental

par les lois générales : il y a au contraire une interdépendance en ce sens que les lois

générales, bien qu’elles fixent des limites au droit fondamental de par leur libellé doivent,

elles, être interprétées à la lumière du rôle déterminant de ce droit fondamental dans un

État démocratique et libéral et ainsi être à nouveau elles-mêmes limitées dans leur effet

restrictif sur le droit fondamental »608. Par loi générale, il faut entendre « toute loi qui n’est

pas dirigée contre une opinion en tant que telle, qui n’interdit pas une opinion en tant que

telle »609. En d’autres termes, les lois édictées par le législateur et qui restreignent la liberté

de la presse, que le juge considère comme un droit fondamental ne sont valables qu’à

condition que les desseins du législateur ne visent pas de façon tant directe qu’indirecte à

empêcher ou à rendre difficile l’expression des opinions des organes de presse610. La

608 http://archiv.jura.uni-saarland.de/BIJUS/presse/intro_fr.htm. Consulté le 24 avril 2015. 609 Juristische Wochenschrift, 1930, p. 268. Cité par Olivier JOUANJAN, « La liberté d’expression en

République fédérale d’Allemagne », op. cit., p. 145. 610 Rainer ARNOLD, « Constitution et liberté d’expression en Allemagne », op.cit., p.108.

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219

protection du contenu essentiel des droits fondamentaux que le juge impose au législateur

découle de l’article 19 (2) de la L.F. de 1949 : « Il ne doit en aucun cas être porté atteinte

à la substance d’un droit fondamental ». Le législateur a donc interdiction de porter

atteinte au noyau dur du droit fondamental. La liberté d’opinion ne trouve sa limite « que

lorsque, par delà les effets intellectuels qu’elle suscite, l’opinion se traduit par des actes ou

des conséquences matérielles dommageables pour des biens légalement protégés (ordre

public, sécurité des personnes, etc.) »611.

334. La fonction législative en tant que fonction découlant directement des attributions

que le constituant donne au législateur est une réelle garantie dans la mise en œuvre de la

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. En effet, il appartient au

législateur dans le cadre de ses compétences d’attribution d’être à l’origine des permissions

accordées à l’État afin que dans le cadre du maintien de l’ordre public sécuritaire, il soit

exceptionnellement porté atteinte à la liberté d’opinion. Les modalités édictées par le

législateur constituent sans nul doute les clés qui actionnent les compétences de l’autorité

administrative à titre préventif. L’autorité judiciaire lorsqu’elle est saisie, intervient à titre

répressif pour sanctionner sur la base de l’œuvre du législateur, les atteintes faites tant à la

liberté d’opinion qu’à l’ordre public sécuritaire.

335. D’abord, c’est au législateur que revient l’obligation constitutionnelle, aux termes

de ses compétences d’attribution, de qualifier des actes qui, sur la base de la liberté

d’opinion, seraient de nature à porter atteinte à la paix publique. Ainsi, en qualifiant

certains actes de diffamation ou d’injures, le législateur encadre l’exercice de la liberté

d’opinion en punissant sur le plan pénal, l’expression de certaines opinions qui seraient de

nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération des personnes.

336. Ensuite, la fonction de légiférer peut être efficace et contribuer réellement au

respect de la conciliation si l’organe qui en a la charge ne se transforme pas en caisse de

résonnance de la volonté du pouvoir exécutif en la matière. Les différents parlements dans

les États africains ayant en commun l’usage de la langue française ont été institués avec les

premières constitutions de 1960. Et dans ces États africains concernés, le renouvellement

du mandat parlementaire a été sans conséquences significatives sur la revalorisation de la 611 Olivier JOUANJAN, « La liberté d’expression en République fédérale d’Allemagne », op. cit., p. 145.

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220

fonction législative en raison notamment de la monopolisation de la vie politique612 par le

parti au pouvoir613.

337. L’œuvre du législateur, dans sa fonction de faire les lois, constitue le point

d’ancrage des sanctions portées à la liberté d’opinion. Toute interdiction en la matière doit

émaner de la loi. Toute restriction doit être le fait du législateur. Toute mesure visant à

tempérer l’exercice de la liberté d’opinion doit s’appuyer sur la loi. L’interprétation ne doit

nullement être extensive. Elle doit être faite de façon restrictive, en tenant compte de la

nature de cette liberté fondamentale, déterminante et essentielle pour la démocratie. Ainsi,

les mesures réglementaires de restriction de la liberté d’opinion doivent obéir à un principe

fondamental : le principe de légalité. Ce principe de légalité s’impose aux autorités

administratives, voire exécutives, dont l’action est soumise à la loi.

B. LA FONCTION EXECUTIVE DE CONCILIATION DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA CONCILIATION

338. De façon générale, la fonction exécutive revient au pouvoir exécutif, au pouvoir de

commandement (1). Maurice HAURIOU définit le pouvoir exécutif comme étant

essentiellement 614: « un pouvoir de décision exécutoire, c’est-à-dire le pouvoir de volonté

qui a la vertu de transformer un projet de résolution quelconque en une décision

susceptible de passer immédiatement à l’exécution »615. Dans le prolongement de son

action d’exécution de la règle de droit édictée par le parlement, notamment en matière

sécuritaire, ce pouvoir d’un point de vue fonctionnel peut aussi devenir autorité de police

chargée d’assurer le maintien de l’ordre public sécuritaire, au besoin en restreignant

l’exercice de la liberté d’opinion (2). 612 Moctar TALL, Le parlement dans les États de l’Afrique noire francophone. Essai sur le Burkina Faso,

la Côte d’Ivoire, le Sénégal , le Togo, Thèse pour le doctorat en Droit public, Tome I, dactyl., Université de Poitiers, 1986, p. 39.

613 Une exception notable est à relever au Sénégal : l’avènement du multipartisme en 1974 a été de nature à renouveler de façon effective l’Assemblée nationale de l’époque. Grâce à des élections disputées et non plébiscitées, de nombreux députés ne virent pas leurs mandats se renouveler. Sur 80 députés en 1960, 75 ne furent pas réélus en 1983.

614 Maurice Hauriou fait bien de compléter cette définition du pouvoir exécutif qu’il juge étroite en précisant que ce pouvoir a compétence pour préparer les décisions qu’il rend exécutoires d’une part et d’autre part, il a compétence pour exécuter ses décisions par ses propres moyens, puisqu’il est le détenteur de la force publique. Cf. Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 376.

615 Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 376.

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221

1. Le titulaire de la fonction exécutive

339. L’exercice de la fonction exécutive revient au pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif

renvoie à l’organe chargé d’exécuter les lois. La définition du pouvoir exécutif n’est donc

pas aisée puisqu’elle renvoie à la fois à l’organe et à la fonction. Gérard CORNU,

assimilera ainsi le pouvoir exécutif à la fonction exécutive, dans la définition fonctionnelle.

Dans son sens organique, il le définira comme un « organe ou groupe d’organes chargé

d’exercer à titre principal cette fonction [fonction exécutive] »616.

340. Sur la base de la conception qu’en donne la théorie de Jean-Jacques ROUSSEAU,

ce pouvoir ne serait pas le premier des pouvoirs au sein de l’État. En effet, pour le

philosophe, le pouvoir exécutif doit être guidé par le pouvoir législatif : « Pour que

l’administration soit forte, bonne et marche bien à son but, toute la puissance exécutive

doit être dans les mêmes mains : mais il ne suffit pas que ces mains changent, il faut

qu’elles n’agissent s’il est possible, que sous les yeux du législateur, et que ce soit lui qui

les guide. Voila le vrai secret pour qu’elles n’usurpent pas son autorité »617. Une partie de

la doctrine a, à ce propos, établi une hiérarchie entre le pouvoir législatif et le pouvoir

exécutif618. Il existerait alors un pouvoir supérieur et un pouvoir subordonné. Selon cette

doctrine, l’exécution est subordonnée à la législation. La hiérarchie des organes suivrait

alors la hiérarchie des fonctions. Cette thèse doit d’ailleurs être accueillie avec une certaine

circonspection. Sur ce point, la thèse défendue par Joseph BARTHÉLÉMY619 semble

justifiée. En effet, il est tout aussi vrai que sans l’existence des deux autres pouvoirs-

exécutif et judicaire-, l’œuvre du législateur resterait lettre morte. Aussi, le pouvoir

exécutif n’est-il pas un pouvoir dans une position primitive de subordonné. Il exerce les

plus hautes fonctions de l’État en tant que son représentant « vis-à-vis de tous, tant à

l’intérieur, qu’à l’extérieur et de l’administration »620. Maurice HAURIOU affirmait

d’ailleurs que le pouvoir exécutif est le plus ancien des pouvoirs, la souche commune de

616 Vocabulaire juridique, op. cit., Voir Exécutif (Pouvoir), p. 429. 617 Jean-Jacques ROUSSEAU, Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa réformation

projetée, Flammarion, Coll. « GF », Paris, 1990, pp. 161- 261, spéc. p. 190. 618 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 158. 619 Joseph BARTHÉLÉMY, Le rôle du pouvoir exécutif dans les Républiques modernes, Éd. Giard et

Brière, Paris, 1906, p. 8. 620 Ibidem.

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222

laquelle se sont détachés les deux autres pouvoirs621. De ce fait, Il n’y a pas à établir de

schématisation hiérarchique entre ces pouvoirs dans un État de droit622. Il faut plutôt

souligner une interdépendance entre eux. En effet, chaque pouvoir étatique exerce la

souveraineté de l’État duquel il en est la manifestation. Aucun pouvoir n’exerce une

souveraineté plus grande qu’un autre. Chaque pouvoir devient alors détenteur légitime

d’une souveraineté déléguée623.

341. En Afrique subsaharienne francophone, si la fonction exécutive est assignée au

pouvoir exécutif, le titulaire de ce pouvoir varie selon le régime constitutionnel en vigueur.

Ainsi, le Bénin et la Côte d’Ivoire, ayant adopté un régime théoriquement présidentiel,

confient l’exercice de la fonction exécutive au Président de la République, Chef de

l’État624. Cette fonction s’accompagne de pouvoirs renforcés du Président de la République

en matière législative. L’exécutif y est monocéphale. La Côte d’Ivoire fait du Président de

la République, le « détenteur exclusif » du pouvoir exécutif625, ce qui n’est pas sans

conséquences sur la fonction. Il y concentre alors l’essentiel des pouvoirs de l’autorité

exécutive, puisqu’il est « le seul dépositaire des pouvoirs de gouvernement et détiendra le

monopole de l’impulsion et de l’animation de la vie politique »626. Dans la pratique, la

différence n’est pas significative puisque le pouvoir exécutif tant au Bénin qu’en Côte

d’Ivoire détiennent la quasi-totalité, voire la totalité des pouvoirs de commandement qui

incombe au statut de Chef de l’exécutif.

342. Au Sénégal, la configuration du régime politique est différente. En effet, aux termes

des articles 86 et 87 de la Constitution sénégalaise de 2001, les moyens d’actions

réciproques que détiennent le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif permettent d’affirmer

que le régime politique sénégalais est un régime parlementaire, à l’image des régimes

621 Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel (Présentation par Jacky HUMMEL), op. cit., p. 383. 622 Georges WIEDERKEHR, « Qu’est-ce qu’un juge », in Mélanges en l’honneur de Roger Perrot :

Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?, Dalloz, Paris, 1995, pp.575-586, spéc. p. 576. 623 Fabrice HOURQUEBIE, Sur l’émergence d’un contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République

(Préface de Slobodan MILACIC), Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 25. 624 Art. 54, al.1, Const. du Bénin, 1990 ; Art.41, al.1, Const. de la Côte d’Ivoire, 2000. 625 Art. 41, al.1, Const. de Côte d’Ivoire précitée. 626 Frédéric Joël AIVO, Le Président de la République en Afrique noire francophone. Genèse, mutations et

avenir de la fonction (Préface de Théodore HOLO, Postface de Pascal CHAIGNEAU), L’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2007, p. 137.

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223

politiques français et allemand. Ce régime parlementaire n’en est pourtant qu’à des

balbutiements au regard des pouvoirs dévolus au Président de la République627. Chaque

régime garde cependant sa particularité. De ce fait, le pouvoir exécutif au Sénégal est

exercé tant par le Président de la République que par le Gouvernement avec à sa tête le

Premier Ministre, chef du Gouvernement.

343. Le pouvoir exécutif ne fait pas qu’exécuter des lois à caractère général et

impersonnel. Le présenter uniquement sous cet angle serait biaisé et réducteur.

Précisément, dans le cadre de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire, le pouvoir exécutif ne fait pas que mettre en application les lois relatives à

l’exercice des droits et libertés fondamentaux. Il agit aussi en édictant des règles à

caractère général et impersonnel, appelées règlements, sauf à considérer que l’édiction de

ces règles est l’une des modalités d’application des lois. Et c’est bien dans ce cadre là, que

se déploie l’essentiel de ses compétences en matière de sécurité intérieure.

2. Une spécificité de la fonction exécutive : la police administrative

344. Lorsque la police administrative est évoquée, l’on est tenté d’y voir un aspect

négatif, à savoir une action restrictive de la part de l’administration sur les droits et libertés

fondamentaux, dont la liberté d’opinion. La police administrative est d’un autre point de

vue, et ce de façon positive, celle qui assure le respect des autres droits et libertés et qui

maintient le cadre d’exercice de la liberté d’opinion.

345. MONTESQUIEU dit du pouvoir exécutif, qu’il est la puissance de faire la paix ou

la guerre, d’envoyer ou de recevoir des ambassadeurs, d’établir la sûreté et de prévenir les

invasions628. Une définition moderne de ce pouvoir renvoie aux trois branches du pouvoir

exécutif, à savoir le pouvoir militaire, le pouvoir diplomatique et le pouvoir de police629.

Somme toute, notre étude portera sur le pouvoir exécutif en tant que pouvoir de police car

627 Seydou Madani SY, « L’alternance politique Sénégal en mars 2000 et la Constitution du 22 janvier

2001 », in Mélanges en l’honneur de Dmitri Georges Lavroff : La Constitution et les valeurs, Dalloz, Paris, 2005, pp. 593-609, spéc. p. 593.

628 MONSTESQUIEU, De l’esprit des lois, op. cit., p. 112. 629 Cf. Paul- Marie GAUDEMET, Le pouvoir exécutif dans les pays occidentaux, Éd. Montchrestien, Paris,

1966.

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224

c’est bien en vertu de ce pouvoir qu’il lui incombe la responsabilité du maintien de l’ordre

public sécuritaire. La fonction de police administrative est une des fonctions de

l’administration définie comme « l’activité par laquelle les autorités publiques, et parfois

privées, pourvoient, en utilisant le cas échéant des prérogatives de puissance publique, à la

satisfaction des besoins d’intérêt public »630. La police administrative est une des fonctions

du pouvoir exécutif chargé d’assurer de manière préventive, la sécurité des personnes et

des biens. En 1995, le législateur français faisait de la sécurité l’une des conditions de

l’exercice des libertés individuelles et collectives631. Les restrictions jugées nécessaires

dans le cadre du maintien de l’ordre public sécuritaire, et qui sont susceptibles de porter

atteinte à l’exercice de la liberté d’opinion, ne sont soumises à aucune autre modalité

juridique en dehors du respect des principes de nécessité et de proportionnalité632. Aucun

texte législatif en la matière n’organise expressément les pouvoirs de police administrative

comme l’a bien souligné Étienne PICARD633. C’est donc aux autorités de police

administrative de mettre en œuvre motu proprio tous les moyens nécessaires pour répondre

aux exigences de maintien de l’ordre public sécuritaire, en cas de troubles notamment. Ici,

c’est un peu l’ordre naturel des choses qui commande à l’espèce.

346. Dans la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative, il y a très peu de

différences significatives entre les détenteurs des pouvoirs de police selon les régimes

politiques en présence. Dans les régimes à tendance présidentielle comme c’est le cas au

Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal comme en France, l’on distingue trois niveaux de

police : l’échelon national assuré par le Président de la République ou le Premier Ministre

selon le régime politique considéré ; l’échelon départemental assuré par les autorités

administratives déconcentrées- préfets, sous/préfets, etc.- ; l’échelon municipal assuré par

les autorités décentralisées- maires-.

347. Ces différentes autorités de police administrative peuvent par la voie des

règlements restreindre l’exercice de la liberté d’opinion. Ces règlements sont soumis en

630 Jean WALINE, Droit administratif, op.cit., p. 16. 631 Art. 1er, Loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. 632 Voir infra. Deuxième partie, chapitre II, Section II, § 2. 633 Étienne PICARD, La notion de police administrative (Préface de Roland DRAGO), Tome CXLVI,

L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque de Droit public », Paris, 1984, pp. 558 et s.

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225

revanche aux textes législatifs car il n’existe pas de règlement sans texte, du moins en

principe. Le juge français a reconnu que les exigences de maintien de l’ordre public

permettent aux autorités de police administrative nationale, d’édicter des règlements de

police et ce en vertu de leurs pouvoirs propres. Le juge administratif considère ainsi : «

qu’il (…) appartient au Chef de l’État, en dehors de toute délégation législative et en vertu

de ses pouvoirs propres, de déterminer celles de mesures de police qui doivent en tout

état de cause être appliquées dans l’ensemble du territoire, étant bien entendu que les

autorités susmentionnées conservent, chacune en ce qui la concerne, compétence pleine et

entière pour ajouter à la réglementation générale édictée par le Chef de l’État, toutes les

prescriptions réglementaires supplémentaires que l’intérêt public peut commander dans la

localité »634.

348. Divers procédés permettent à la police administrative de maintenir l’ordre public

sécuritaire. Les autorités qui en ont la charge peuvent user des moyens ou de procédés

normatifs, à savoir les actes règlementaires à caractère général et impersonnel et les actes à

caractère individuel. Ne seront pas envisagées les autorisations de faire, qui bien que

relevant des procédés normatifs restent moins significatifs que les interdictions de faire,

beaucoup plus illustratives. Ainsi, les décrets d’interdiction de rassemblement, de marche,

de réunion ou de manifestation sont autant de procédés normatifs, dont peuvent légalement

user les autorités de police administrative. Les arrêtés ministériels, préfectoraux ou

municipaux constituent également des moyens de prévenir à un niveau local, des risques

d’atteinte à l’ordre public sécuritaire du fait de la liberté d’opinion. À titre d’exemple, l’on

peut rappeler les différents décrets présidentiels pris en Côte d’Ivoire entre 2004 et 2005

pour interdire des manifestations de rue ou sur la voie publique. L’autorité de police

administrative nationale au Bénin, en l’occurrence le Ministre en charge de la sécurité

intérieure, usa de son pouvoir de police en édictant un arrêté d’interdiction des

manifestations publiques sur toute l’étendue du territoire national, en date du 12 mars

2010. C’est également sur la base de son pouvoir de police que le Gouverneur de Dakar

prit un arrêté d’interdiction des manifestations publiques du 10 novembre au 5 décembre

634C.E., 8 août 1919, Labonne, Rec. Lebon, p. 737 ; Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative,

18ème éd., Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2011, n°35, pp. 215-218.

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226

2014635. Plus récemment, en Allemagne, les autorités de police locale, de la ville de Dresde

dans l’est du pays, ont annoncé le 19 janvier 2015, une interdiction de manifestation du

mouvement PEGIDA qui littéralement signifie « patriotes européens contre l’islamisation

de l’occident », au motif d’un « risque terroriste concret ». Cette interdiction, dans ce cas

de figure ne porte pas directement atteinte à la liberté d’opinion et d’expression. Elle

protège justement cette liberté contre d’éventuelles atteintes, qui seraient, par extension,

préjudiciables à l’ordre public sécuritaire.

349. En Afrique subsaharienne francophone, la particularité de la fonction de police

administrative réside dans l’obsession sécuritaire. Cette obsession se justifie certainement

par les périodes d’instabilité successives qui ont jalonné l’histoire politique des États.

Aussi, la police administrative ne semble plus avoir pour principale fonction, la réalisation

de l’ordre public sécuritaire. Elle assure désormais la protection du pouvoir politique en

place contre d’éventuels troubles. Vu sous cet angle, cette fonction n’a rien d’anormal,

voire d’illégal, puisque la police administrative, par extension, est également chargée de la

défense des institutions de la République. Outre la fonction de légiférer et la fonction

exécutive, il convient maintenant d’aborder la fonction de juger.

C. LA FONCTION DE JUGER DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA CONCILIATION

350. La fonction de juger ou fonction de trancher les litiges en matière de conciliation de

la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire est attribuée à un corps professionnel

bien spécifique (1). Ce corps professionnel peut prendre l’appellation de pouvoir ou

d’autorité (2).

1. Le titulaire de la fonction de juger

351. MONTESQUIEU se faisait de la fonction de juger, qu’il définissait comme une

puissance, l’idée suivante : « La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat

permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple (…). De cette façon,

la puissance de juger, si terrible, parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain État, ni

635 Tous ces décrets cités à titre illustratif, ont déjà fait l’objet de développements approfondis dans la

section II du Chapitre II de la première partie.

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227

à une certaine profession, devient invisible et nulle (…) »636. Confrontée à l’actualité de la

fonction de juger, cette idée du Baron de la Brède n’a pas survécue. En lieu et place des

personnes tirées du corps du peuple, cette fonction est assurée par un corps de

professionnels investi du pouvoir de rendre la justice, sous la protection de laquelle peut

prospérer la liberté, la paix, la démocratie et la tolérance637. Ce corps de professionnels se

compose de magistrats, ou de juges par analogie. Stricto sensu, est appelée magistrat

« toute personne appartenant au corps judiciaire et investie, à titre professionnel, du

pouvoir de rendre la justice ou de la requérir au nom de l’État »638.

352. Le magistrat est donc un fonctionnaire de l’État chargé de juger. Georges VEDEL

disait que juger c’est « à l’occasion d’un différend, appliquer la loi au cas d’espèce »639.

Par son pouvoir de juger, le magistrat a pour mission de rendre la justice. La justice selon

Hans KELSEN, est le bonheur social. C’est le bonheur, dit-il, qu’un ordre social

garantit640. Cette idée de la justice ne résout pas la question suivante : qu’est ce que la

justice ? Elle ne fait que la déplacer sur le terrain de la définition du bonheur. Pour y

répondre, il opère une analogie en remplaçant le bonheur par la liberté en tant que principe

social. Souvent identifiée à l’idée de liberté, la justice doit garantir la liberté individuelle au

sein d’un ordre social641. En fait, la justice ne doit pas exclusivement être pensée comme ce

qui est idéalement juste, c’est-à-dire ce qui est conforme aux exigences de la morale, de

l’équité, puisque vu sous cet angle, il s’agirait alors de promouvoir le droit naturel. Dans

l’idée d’un droit institué, organisé et assorti de sanctions, la justice renvoie à la locution

latine suum cuique tribuere. Elle consiste alors à rendre à chacun le sien sur la base de ce à

quoi chacun peut justement prétendre en vertu de son droit. Valeur sociale, elle est

essentielle au bon ordre des rapports humains, « avec ses qualités propres d’égalité et de

636 MONTESQUIEU, De l‘Esprit des lois I, op. cit., pp. 329- 330.

637 Hans KELSEN, fervent défenseur de la justice relative puisque pour lui, il n’en existe d’absolue, définit la justice comme : « celle sous la protection de laquelle la science peut prospérer et, avec elle, la vérité et la sincérité ». Qu’est-ce que la justice ? suivi de Droit et Morale (Préface de Valérie LASSERRE), éditions Markus Haller, Genève, 2012, p. 96.

638 Vocabulaire juridique, op.cit., voir Magistrat, pp. 629-630, spéc. p. 630. 639 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op.cit., p.160. 640 Hans KELSEN, Qu’est-ce que la justice ? suivi de Droit et Morale (Préface de Valérie LASSERRE),

Éditions Markus Haller, Genève, 2012, p. 31. 641 Idem, p. 36.

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228

généralité »642. Le développement de l’office du magistrat intensifie son rôle. Son pouvoir

de rendre la justice devient maintenant un pouvoir de protection, de pacification des

conflits sociaux. L’on distingue le juge judiciaire, juge ordinaire de la protection de la

liberté individuelle et le juge administratif, juge du recours pour excès de pouvoir. C’est

bien souvent en cette qualité qu’est saisi le juge lorsqu’il s’agit d’attaquer un acte

réglementaire pris par les autorités administratives pour restreindre la liberté d’opinion

dans son expression. Le juge est alors sollicité pour déclarer l’acte illégal et restaurer la

liberté d’opinion violée. Il est également acteur de la démocratie643, arbitre du jeu

démocratique et sa fonction de juge de l’administration devient de plus en plus, une

fonction de protection des droits et libertés fondamentaux.

353. Dans l’exercice de ses fonctions, il bénéficie d’une garantie essentielle,

l’inamovibilité644. Cette garantie d’indépendance statutaire est censée assurer au juge une

protection renforcée contre les décisions administratives de révocation, de suspension, de

déplacement ou de mise à la retraite prématurée. Elle lui assure de ce fait, une garantie

efficace pour l’indépendance des magistrats à l’égard du pouvoir politique et d’impartialité

dans l’exercice de leur fonction.

354. Autorité judiciaire en France, pouvoir judiciaire ailleurs, l’institution

juridictionnelle est organisée selon la règle de l’unité ou de la dualité de juridiction. Si en

France, la dualité de juridictions organise l’autorité judicaire autour d’un ordre judiciaire

d’un côté, et d’un ordre administratif de l’autre sur la base de la loi des 16-24 août 1790,

les États de l’Afrique subsaharienne francophone semblent retenir l’unité de juridiction,

bien qu’en Côte d’Ivoire, la Constitution de 2000 ait institué deux ordres de juridictions645.

C’est ainsi que l’appareil judiciaire au Bénin, en Côte d’Ivoire -à ce jour- et au Sénégal, ne

642 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit. Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs

sociales, Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2005, p. 318. 643 Loïc CADIET (ss. la dir. de), Dictionnaire de la Justice, 1ère éd., P.U.F, Paris, 2004, p. 841. 644 Le principe d’inamovibilité concerne les magistrats du siège par opposition aux magistrats du parquet,

dans l’ordre judiciaire. Ce principe assure aux magistrats une protection contre d’éventuelles dérives arbitraires du pouvoir politique.

645 L’article 102 de la Constitution de 2000 institue une Cour de cassation et un Conseil d’État, en confiant au législateur, le soin de fixer la composition, l’organisation et le fonctionnement de ces juridictions supérieures. À ce jour, les lois organiques en question n’ont toujours pas été adoptées.

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229

connaît pas de distinction entre juridictions administratives et juridictions judiciaires646.

Les juridictions en première instance et en appel sont compétentes pour connaître de toutes

les affaires civiles, administratives, fiscales, etc. Il n’y a pas de juridictions spécialisées en

dehors des juridictions supérieures.

355. La fonction de juger permet somme toute de « trancher les litiges qui s’élèvent, soit

entre deux personnes à l’occasion de leurs rapports d’ordre privé, soit entre un administré

et l’autorité administrative au sujet des actes faits par celle-ci »647. Il ne s’agit plus d’y voir

une fonction nulle et non permanente. Il ne s’agit également pas d’une fonction

« délégable ». Elle relève des missions régaliennes de l’État et doit être entièrement

exercée par lui-même648. Cette fonction devient au contraire une véritable pierre angulaire

dans la construction de l’État de droit, d’autant plus qu’en matière de conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire, le juge est saisi assez souvent en recours

pour excès de pouvoir. Le justiciable attaque à cet effet devant le juge, un acte édictant une

mesure restrictive de l’exercice de la liberté d’opinion pris par l’autorité de police

administrative. Il appartient au juge d’apprécier l’opportunité d’une telle mesure au regard

des circonstances et de la loi649.

2. L’institution juridictionnelle, pouvoir ou autorité ?

356. Cette interrogation n’a, semble-t-il, pas lieu d’être. François LUCHAIRE disait à ce

propos : « Pourquoi d’ailleurs qualifier l’organe puisque des conséquences juridiques ne

s’attachent qu’à la fonction et puisque l’organe n’a que le caractère que lui confère la

646 Le système juridique au Sénégal de 1992 jusqu’en 2008 fonctionnait selon le principe de la dualité de

juridiction avec une Cour de cassation et un Conseil d’État comme juridictions supérieures des ordres judiciaire et administratif. Depuis 2008, la Cour suprême a été réorganisée avec en son sein une chambre administrative et une chambre judiciaire.

647 Raymond CARRÉ de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État (Préface d’Éric MAULIN), Tome I, Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2003, p. 695.

648 Fabrice HOURQUEBIE, « Quelques observations sur le fonctionnement du service public de la justice », in Fabrice HOURQUEBIE (ss. la dir. de), Quel service public de la justice en Afrique francophone, op. cit., pp.19-26, spéc. p. 19.

649 Cf. Arrêt n° 35 du 13 octobre 2011, Alioune TINE c/ État du Sénégal précité.

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230

fonction ? (…) Le caractère de l’organe dépend donc de celui de la fonction et toute la

discussion porte sur cette dernière qui seule compte »650.

357. Le corps des magistrats représente selon les constitutions en présence, un véritable

pouvoir judiciaire pour certains constituants651 et une autorité judiciaire652 pour d’autres.

La dénomination importe peu finalement puisque l’autorité judiciaire en France jouit de

pouvoirs aussi importants que ceux du pouvoir judiciaire en Allemagne. Et l’appellation

dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, de « pouvoir judiciaire » ne devient

certainement significative que si l’on tient compte du passé de l’institution juridictionnelle.

La première Constitution ivoirienne de 1960, dans son titre VI, employait le terme

d’ « autorité judiciaire ». Le remplacement de l’autorité par le pouvoir judiciaire à

l’occasion de la rédaction de la Constitution de 2000 est certainement de nature à souligner

un accroissement des pouvoirs de l’institution juridictionnelle. D’un simple pouvoir de

commander, elle dispose désormais d’une véritable force, d’une véritable puissance qui lui

donne compétence pour contrôler l’action des pouvoirs exécutif et législatif. En 1963,

Léopold Sédar SENGHOR déclarait à propos du choix d’un « pouvoir judiciaire » dans la

Constitution sénégalaise de 1963 que : « à l’heure où l’on commence à insinuer que les

trois pouvoirs ne sont en réalité que deux, le pouvoir judiciaire n’étant qu’une autorité,

nous restons profondément fidèle à notre attachement au tryptique traditionnel. C’est

pourquoi après les évènements sénégalais de 1962, nous avons jugé bon d’exprimer

clairement cet attachement et de lui donner une vigueur nouvelle. La Constitution du 7

mars 1963, celle de la 2ème République du Sénégal, a marqué la différence de conception

quant au rôle du pouvoir judiciaire entre le régime actuel et le régime précédent.

L’ancienne constitution parlait “d’autorité judiciaire ”. La nouvelle constitution intitule son

titre 7 : “ du pouvoir judiciaire ” »653. La question est peut-être celle de savoir ce qu’une

institution juridictionnelle en tant que pouvoir a de plus qu’une autorité judiciaire. Et, en

650 François LUCHAIRE, « Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ? », A.J.D.A., 1975, pp. 35-36. 651 Titre IX, L.F. de la R.F.A., 1949 ; Titre VI, Const. Bénin, 1990 ; Titre VIII, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ;

Titre VIII, Const. Sénégal, 2001. 652 Titre VIII, Const. France, 1958. 653 Cité par Jean du Bois de GAUDUSSON, « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone »,

Afrique contemporaine, La justice en Afrique, numéro spécial, La documentation française, 4ème trimestre 1990, pp. 6-12, spéc. p. 6.

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231

quoi le choix de cette appellation ajoute-t-il aux garanties de respect de la conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ?

358. En effet, une partie de la doctrine assimile l’autorité- terme employé au singulier-

au pouvoir, qu’ils définissent comme puissance ou influence quand elle est tenue pour

légitime654. La notion de Pouvoir- potestas en latin- inclut alors l’idée d’une véritable

puissance, d’une force d’action, d’un « moyen d’influence »655. En adoptant le terme de

« pouvoir judiciaire », les constituants des États de l’Afrique subsaharienne francophone

ont certainement voulu renforcer les moyens d’action de l’institution judiciaire. Une

opération de hiérarchisation situe le pouvoir au dessus de l’autorité, dans la mesure où le

pouvoir a une valeur légale donc indiscutable alors que l’autorité revêt une dimension

morale. Cela ne signifie pas et ainsi qu’il a été relevé, que l’autorité judiciaire, telle qu’a

voulu ainsi nommer le pouvoir constituant en France, jouit d’une force légitime et légale

moindre. L’adoption du terme « autorité » est à remettre dans le contexte de l’adoption de

la Constitution de 1958. Alors que le légicentrisme était un principe sacrosaint, l’idée que

les actes du parlement puissent faire l’objet d’une « surveillance accrue» de la part d’un

pouvoir égal à lui était impensable. Reconnaitre que le juge soit un pouvoir conduit à ce

qu’en tant que tel, l’institution judiciaire puisse être amenée puisqu’elle en a le droit, à

exiger des autres pouvoirs qu’ils obéissent aux règles et aux directives qu’elle impose656.

Pourtant, même en tant qu’autorité judicaire, l’on a assisté à une véritable montée en

puissance de l’institution judiciaire en France. Toutefois, le terme « pouvoir » induit une

véritable force de juger, de dire le droit, de l’interpréter et de sanctionner les actes qui

seraient contraires. Ce n’est donc pas seulement aux institutions en tant qu’organes qui

constituent le pouvoir judiciaire que l’on fait référence. C’est également à la force des

décisions rendues qu’il est fait allusion.

359. Il revient au pouvoir exécutif de tout mettre en œuvre pour maintenir l’ordre public

sécuritaire, et ce en obéissant au principe de légalité. Au juge en tant que pouvoir, il revient

la mission d’assurer le contrôle de l’exécutif sur la base des actes votés par le pouvoir

654 Maurice DUVERGER, Sociologie de la politique, P.U.F., Coll. « Thémis », Paris, 1988, p.182 655 Fabrice HOURQUEBIE, Sur l’émergence d’un contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République,

op. cit., p. 23. 656Maurice DUVERGER, Sociologie de la politique, op.cit., p. 173.

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232

législatif et qui constituent une grande partie des sources de l’action du pouvoir exécutif.

La notion de contrôle revêt une importance capitale. Le contrôle est défini comme l’action

d’examiner quelque chose pour en vérifier la régularité, l’exactitude, la validité, la qualité,

le bon fonctionnement, etc. Cette action a une portée de légitimation vis-à-vis des actes

contrôlés. En sanctionnant la validité, c’est également l’auteur de l’acte qui est sanctionné,

qu’il s’agisse de l’administration dans ses rapports avec les individus ou les individus entre

eux. L’objet de son intervention ici sera d’apprécier non sans une autorité ferme que le

juste équilibre des rapports entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire a été

respecté au regard de la loi, dont il en est le serviteur, dont il en est la bouche. De plus,

c’est bien parce qu’il jouit d’une véritable compétence en matière de contrôle que sa

mission de juger peut le conduire à sanctionner les actes du pouvoir exécutif657. En clair,

l’institution juridictionnelle, grâce à son pouvoir d’interprétation, est le pilier de

l’agencement de la séparation des pouvoirs et le garant par excellence de la conciliation de

la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. Tout le poids que représente ce pouvoir

d’interprétation est ainsi résumé par DIDEROT lorsqu’il écrit : « Il est beaucoup plus

important d’avoir de bons juges que de bonnes lois. Les meilleures lois sont vaines si le

juge est mauvais, et les plus mauvaises lois peuvent être rectifiées par des bons juges »658.

§ 2. L’AMENAGEMENT CONSTITUTIONNEL DE LA SEPARATION DES POUVOIRS

360. « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses,

le pouvoir arrête le pouvoir »659. Cette célèbre phrase du philosophe MONTESQUIEU

résume bien l’idée qu’il se fait des rapports entre les différents pouvoirs. Bien que la

séparation des pouvoirs opère une distinction des fonctions, elle ne saurait s’entendre

657 L’institution juridictionnelle comprend, aux termes des différentes constitutions, les juridictions

supérieures, les cours d’appel et les tribunaux d’instance. Le pouvoir de contrôle de cette institution ne se limitera à ce stade, qu’aux actes du pouvoir exécutif considéré comme autorité de police administrative, en excluant volontairement les actes du pouvoir législatif, dont le contrôle relève de la compétence de la juridiction constitutionnelle qui ne sera pas inclue dans ce paragraphe, et qui fait l’objet d’une réflexion spécifique. Cf. le § II de la section I du présent chapitre.

658 Denis DIDEROT, Observations sur le Nakaz. Cité par Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, « Les lacunes en droit constitutionnel », in Rafâa BEN ACHOUR (ss. la dir. de), Le droit constitutionnel normatif. Développements récents, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp.53-61, spéc. pp. 58-59.

659 MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois I, Livre XI, Chapitre IV, Continuation du même sujet, op. cit., p. 326.

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233

comme une technique qui vise à isoler les pouvoirs, chacun dans son aspect fonctionnel.

Elle signifie que ces pouvoirs doivent collaborer entre eux, même si pour le philosophe, il

devait s’agir d’une collaboration négative. Il ne sera évoqué que l’application issue de la

théorie de la séparation des pouvoirs, sans faire cas du phénomène des partis politiques qui

influence fortement les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif660. Ainsi,

bien que le pouvoir juridictionnel jouisse d’une indépendance fonctionnelle indéniable

affirmée par les constituants (C), certaines constitutions organisent la séparation des

pouvoirs autour d’une forme de collaboration tant organique que fonctionnelle (A) quand

d’autres ne permettent qu’une séparation organique des pouvoirs (B).

A. LE CHOIX CONSTITUTIONNEL D’UNE SEPARATION DES POUVOIRS

361. La fonction exécutive et la fonction législative sont des fonctions qui ont une même

finalité politique contrairement à l’autorité judiciaire661. Le choix constitutionnel d’une

collaboration des pouvoirs a contribué à la catégorisation des régimes politiques. Ici, ce

choix est celui des régimes parlementaires662 qu’ont adopté d’un point de vue

constitutionnel l’Allemagne, la France et le Sénégal. De ce point de vue, les constitutions

dans ces États organisent une interpénétration des pouvoirs dans leurs fonctionnements

respectifs. Cette collaboration qui est d’abord organique (1) induit par la suite un aspect

fonctionnel (2).

1. La collaboration organique

362. Dans les régimes parlementaires, du moins dans le régime parlementaire classique,

le pouvoir législatif participe étroitement à la désignation des organes de l’exécutif.

L’exécutif y est assuré au minimum par le Président de la République et le gouvernement,

avec à sa tête le Premier ministre ou Chancelier, Chef du gouvernement. Contrairement à

la France663 et au Sénégal où le Président de la République est élu au suffrage universel

660 Voir infra. Troisième partie, Chapitre II, Section I, § 2. 661 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, op.cit., p. 110. 662 L’essentiel dans la définition d’un régime parlementaire, c’est le fait que le gouvernement doive disposer

à tout moment de la confiance de la majorité parlementaire. Cf. Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, op.cit., p. 141.

663 Le Président de la République en France est élu au suffrage universel direct depuis 1962.

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234

direct664, le Président en Allemagne est choisi par le Bundestag665, assemblée fédérale qui

assure la représentation de l’ensemble de la population. À l’inverse, le Chef de l’État en

France, au Sénégal comme dans les deux autres États de l’Afrique subsaharienne

francophone jouit d’une légitimité populaire équivalente à celle des membres du

parlement, voire plus666, puisque celle des parlementaires est en fait atomisée en fonction

du nombre d’élus de la Nation667.

363. Le chef du gouvernement, Chancelier en Allemagne et Premier ministre ailleurs,

peut être désigné par l’organe législatif comme c’est le cas en Allemagne. Le Chancelier

fédéral y est élu, à la majorité des membres du Bundestag, sans débat sur proposition du

Président fédéral668. En France et au Sénégal, le Premier ministre est nommé par le

Président de la République669 devant lequel il est responsable670. Le mode de désignation

des organes du pouvoir exécutif peut être interprété comme la conséquence d’une forme de

prééminence du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. Il n’en est rien. En effet, le

pouvoir législatif et le pouvoir exécutif travaillent sur la base d’un dialogue incessant et

agissent de ce fait, l’un sur l’autre. Cette interaction organique est d’autant plus visible que

le pouvoir législatif peut mettre en jeu la responsabilité politique du gouvernement selon

plusieurs procédés. Lorsque le Président de la République nomme le Premier ministre et

forme le gouvernement sur proposition de ce dernier, ou lorsque le Chef du gouvernement

est choisi par l’assemblée parlementaire, ce dernier peut engager la responsabilité de son

cabinet ministériel en demandant la confiance du parlement671. Si cette confiance lui est

accordée, il pourra alors sereinement mettre en œuvre la politique gouvernementale

élaborée. Si en revanche la confiance lui est refusée, il doit démissionner avec son

664 Art.6, al.1er, Const. française, 1958 ; Art. 26, al. 1er, Const. sénégalaise, 2001. 665 Art. 54 (1) L.F. de la R.F.A., 1949. 666 Le corps électoral à l’occasion de l’élection présidentielle s’étend à tout le territoire à l’inverse des

membres de l’Assemblée nationale, dont l’élection est organisée autour d’un corps électoral fragmenté en différentes circonscriptions législatives.

667 Guy CARCASSONNE et Marc GUILLAUME (introduite et commentée par), La Constitution (Préface de Gorges VEDEL), 12ème éd., Essais, Coll. « Points », Paris, 2014, p. 61.

668 Art. 63 (1) et (2). 669 Art. 8, al. 1er, Const. française cit. ; Art. 49, al. 1er , Const. sénégalaise cit. 670 Art. 53, al. 2, Const. sénégalaise cit. 671 Arts. 67 et 68, L.F. R.F.A., 1949 ; Arts. 49 et 50, Const. française, 1958 ; Art.86, Const. sénégalaise,

2001.

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235

gouvernement pour cause de solidarité gouvernementale, parce que le parlement lui aura

ainsi signifié sa désapprobation à l’égard de sa politique. La motion de censure étant prise

à l’initiative du parlement, elle peut intervenir suite à la mise en œuvre d’un ensemble de

règlements liberticides, dont le contexte ne préjugerait pas à des atteintes à la liberté

d’opinion.

364. L’exécutif peut également user d’un moyen d’action voire de pression sur le

pouvoir législatif puisqu’il peut prononcer la dissolution du parlement en cas de grave

conflit politique qui empêcherait la mise en œuvre de sa politique. Le gouvernement, dans

ce cas de figure, s’en réfère alors à l’arbitrage populaire afin de mettre fin à la crise

politique. Sans y voir un effet immédiat sur la conciliation, il faut tout de même admettre

que cette forme de dépendance réciproque entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif

permet d’équilibrer les rapports entre eux sans que l’un ne puisse exercer de pression trop

forte sur l’autre au risque de voir sa responsabilité politique mise en cause.

2. La collaboration fonctionnelle

365. Raymond CARRÉ de MALBERG écrivait que dans la plupart des États : « …la

puissance législative se trouve, (…) appartenir concurremment au Corps législatif et au

Gouvernement ; ou du moins celui-ci concourt à l’œuvre de la législation, en tant qu’il

possède outre l’initiative des lois et le droit de participer à leur discussion, le pouvoir

d’opposer à leur formation ou à leur exécution certains obstacles dont l’effet est

péremptoire ou au moins suspensif »672. La collaboration fonctionnelle s’entend d’une

collaboration de l’organe exécutif dans la fonction législative et de l’organe législatif dans

la fonction exécutive. Ainsi, la loi n’est pas l’œuvre exclusive du parlement. Le

gouvernement bénéficie de prérogatives non négligeables en la matière.

366. D’abord, l’initiative de la loi ne revient pas exclusivement au pouvoir législatif. Le

pouvoir exécutif participe à la fonction législative puisqu’il dispose d’une initiative

concurrente en matière d’édiction de la loi. Toutes les constitutions étudiées confient au

minimum l’initiative de la loi tant aux membres de l’exécutif qu’à ceux du parlement. La

672 Raymond CARRÉ de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État (Préface d’Éric

MAULIN), Tome II, Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2003, p. 32.

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236

différence en matière d’attribution est fonction de la nature du pouvoir exécutif : exécutif

monocéphale ou bicéphale. Dans les États ayant un exécutif bicéphale, ce qui est inhérent

aux régimes parlementaires, l’initiative de la loi appartient concurremment au Premier

Ministre et aux membres de l’Assemblée nationale673. Exception faite du Sénégal qui y

ajoute le Président de la République674, à qui le constituant donne compétence en la

matière en raison de la nature dualiste du régime parlementaire découlant de la

Constitution de 2001.

367. Ensuite, la collaboration législative s’étend également au droit d’amendement. Le

droit d’amendement est une prérogative en vertu de laquelle une « proposition peut être

présentée au cours de la discussion en vue de modifier la teneur initiale d’un texte soumis à

une assemblée délibérante »675. C’est cette prérogative dont disposent les membres du

gouvernement au même titre que les membres du parlement dans les régimes de séparation

souple comme c’est le cas en France676 et au Sénégal. Le Sénégal attribue également cette

compétence en matière d’amendement au Président de la République677.

368. Enfin, la promulgation de la loi relève de la compétence exclusive du Président de

la République678. Cette attribution fait de lui un acteur fondamental de la procédure

législative dans la mesure où en tant qu’attribution, elle est en fait une compétence liée679.

À l’inverse de ce qui précède, le pouvoir législatif intervient indirectement dans la fonction

exécutive au moyen du contrôle de l’action du gouvernement680 et de l’évaluation des

politiques publiques681. Le contrôle du pouvoir législatif induit une possibilité de sanction

en cas de non-respect d’un certain nombre de règles qui encadre la procédure de mise en

œuvre de la politique gouvernementale. 673 Art. 39, Const. française ,1958 ; Art. 76, L.F. R.F.A., 1949. 674 Art. 80, Const. sénégalaise, 2001. 675 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Amendement, p. 61. 676 Art. 44, Const. 1958. 677 Art. 82, Const. 2001. 678 Art. 82 (1), L.F. R.F.A., 1949 ; Art. 10, al.1er, Const. France, 1958 ; Art. 57, al.2, Const. Bénin, 1990 ;

Art. 42, al.2, Const. Côte d’Ivoire ; Art. 72, al. 1er, Const. Sénégal, 2001. 679 Le constituant ivoirien précise d’ailleurs, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 42 qu’en cas de non

promulgation de la loi dans le délai de 15 jours, celle-ci est déclarée exécutoire par le Conseil constitutionnel saisi par le Président de l’Assemblée nationale, si elle est conforme à la Constitution.

680 Art. 79, al.2, Const. Bénin, 1990. 681 Art. 24 al.1, Const. France, 1958.

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237

B. LE CHOIX D’UNE SEPARATION ORGANIQUE DES POUVOIRS

369. La séparation des pouvoirs vise un équilibre des organes exécutif et législatif.

Aucun pouvoir ne dépend d’un autre d’un point de vue organique. Cette indépendance est

une garantie d’exercice de leurs différents mandats jusqu’à leur terme, sans risque de se

voir menacer par une quelconque dissolution de l’Assemblée nationale ou par une mise en

jeu de la responsabilité politique du gouvernement. Ici a priori, il n’y a aucun risque de

devoir de reconnaissance du pouvoir exécutif vis-à-vis du pouvoir législatif et inversement.

Cette présentation est celle qui prévaut dans les régimes de séparation qualifiée à tort de

rigide, desquels se sont inspirés les constituants béninois et ivoirien. Toutefois, ces États

n’ont pas opté pour une indépendance totale, ce qui serait techniquement improbable. Ils

allient une indépendance organique et une collaboration fonctionnelle moins importante

que dans le cadre d’une séparation souple.

370. Le Président de la République ne découle pas du choix des membres du pouvoir

législatif. Il est élu au suffrage universel direct682. À ce titre, il détient la totalité des

pouvoirs de l’exécutif qu’il exerce de son propre chef ou par le biais des membres du

gouvernement qu’il a librement formé. De plus, le constituant béninois fait du Président de

la République le chef du Gouvernement aux termes de l’article 54, alinéa 2 de la

Constitution de 1990. Alors qu’en Côte d’voire, c’est le Premier ministre qui est chef du

gouvernement, aux termes de l’alinéa 2 de l’article 41, mais ce dernier, précise la

Constitution de 2000, est responsable devant le Chef de l’État. En cette qualité, le

détenteur exclusif du pouvoir exécutif dispose également du pouvoir de nomination, sans

partage avec le Premier Ministre. C’est bien lui qui définit la politique à mettre en

œuvre683. Le Sénégal à la différence du Bénin et de la Côte d’Ivoire, a opté pour un schéma

différent. Le Président de la République y détermine la politique de la nation aux termes de

l’article 42, alinéa 4. Cependant, il appartient au gouvernement de conduire et de

coordonner cette politique, selon les termes de l’article 53, alinéa 2. Le gouvernement n’est

que le relais de l’action du Président de la République et n’est responsable que devant lui.

Sa responsabilité ne peut être engagée devant les membres du parlement. C’est bien parce

682 Art. 42, al. 1er, Const. béninoise cit ; Art. 35, al. 1er, Const. ivoirienne, 2000. 683 Art. 54, al. 1er, Const. Bénin, 1990 ; Art.50, Const. Côte d’Ivoire, 2000.

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238

que le Président de la République est élu au suffrage universel direct, qu’en vertu de cette

assise populaire, il est détenteur de pouvoirs aussi considérables. De ce fait, il s’ensuit que

le Chef de l’État est également représentant de la nation et jouit d’une légitimité populaire,

qui si elle n’est pas plus grande, est au moins égale à celle des membres du parlement.

371. Autant le parlement n’intervient pas dans la désignation des membres de l’exécutif,

autant il en est de même du pouvoir législatif. Les membres du parlement, élus de la

nation, n’ont pas à être inquiétés d’une possible dissolution que pourrait prononcer le

Président de la République en cas de désaccord politique en cours de mandat. Il n’y a donc

de ce point de vue aucun risque de pression du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif.

Par contre, les constituants béninois et ivoirien ont fait le choix de faire intervenir le

pouvoir exécutif dans la fonction législative puisque le Président de la République a

l’initiative des lois au même titre que les membres du parlement684.

372.Si le pouvoir politique de l’État tant dans sa forme exécutive que dans sa forme

législative peut s’exercer sans qu’il soit besoin de séparer strictement les fonctions

exécutive et législative, le troisième pouvoir défini par MONTESQUIEU comme la est de

façon unanime reconnu constitutionnellement comme un pouvoir indépendant des deux

autres.

C. L’UNANIMITE CONSTITUTIONNELLE DE L’INDEPENDANCE DU POUVOIR JURIDICTIONNEL

373. MONTESQUIEU a ainsi résumé la nécessité de l’indépendance de la justice : « il

n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance

législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la

vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était

jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur »685.

L’indépendance de la justice est inhérente à l’identité même du régime démocratique686.

684 Art. 57, Const. béninoise, 1990 ; Art. 42, Const. ivoirienne, 2000. 685 MONTESQUIEU, De l’Esprit de lois I, Livre XI, Chapitre VI, op. cit., p. 328. 686 Julien THOMAS, L’indépendance du Conseil constitutionnel (Préface de Jean GICQUEL), Fondation

Varenne-L.G.D.J., Coll. « Collection des thèses », Clermont-Ferrand, 2010, p. 5.

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239

Elle est une garantie tant pour le magistrat que pour le justiciable687. Les acteurs de ce

service public dans l’exercice de leurs fonctions ne sont soumis qu’à la loi. Elle est le

corollaire nécessaire à la protection juridictionnelle des droits688, dont la liberté d’opinion.

D’un point de vue juridique, l’indépendance du pouvoir juridictionnel renvoie à « la

situation de cet organe public, auquel son statut assure la possibilité de prendre ses

décisions en toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions »689. Assuré par un

ensemble de juridictions souvent diverses et variées suivant le système juridique d’unité ou

de dualité de juridiction, le pouvoir juridictionnel est constitutionnellement indépendant

tant d’un point de vue statutaire (1) que d’un point de vue fonctionnel(2).

1. L’indépendance statutaire du pouvoir juridictionnel 374. Les différents textes constitutionnels étudiés consacrent expressément

l’indépendance du pouvoir juridictionnel. L’Allemagne reconnaît l’indépendance des juges

aux termes de l’article 97 (1) de la L.F. de 1949. Le constituant français insiste sur le

garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire en en confiant la responsabilité au

Président de la République selon l’article 64, alinéa 1er de la Constitution de 1958. Les

États de l’Afrique subsaharienne francophone affirment l’indépendance du pouvoir

judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif690. Ils ne sont soumis qu’aux

normes constitutionnelles et législatives. À l’évidence, il apparaît que l’efficacité d’un

pouvoir juridictionnel, en tant que véritable pouvoir, est fortement dépendante de son degré

d’indépendance691. En cas de défaut d’indépendance, gage incontournable de cette

institution républicaine, l’instrumentalisation à des fins politiques peut conduire « à la

687 Joseph BARTHÉLÉMY et Paul DUEZ, Traité de droit constitutionnel, op.cit., p. 848. 688 Fabrice HOURQUEBIE, Sur l’émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République, op.

cit., pp. 412-413. 689 Vocabulaire juridique, op.cit., voir Indépendance, pp. 536-537, spéc. p. 536. 690 Art. 125, al. 1er, Const. Bénin, 1990 ; Art. 101, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art. 88, Const. Sénégal,

2001. 691 « Une fois qu’on a établi qu’il existe un « pouvoir judiciaire », on en fait découler toute une série de

conséquences pratiques : (…) les juges doivent être indépendants du Parlement et du Gouvernement (…) », Joseph BARTHÉLÉMY et Paul DUEZ, Traité de droit constitutionnel, op.cit., p. 848.

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240

commission d’actes attentatoires aux droits humains et aux libertés, périls majeurs pour la

démocratie »692.

375. L’indépendance statutaire tient au fait que le statut des magistrats, autorités

juridictionnelles, est fixé par un ensemble de textes législatifs et réglementaires qui

organisent le recrutement, le déroulement de la carrière, les droits et obligations, la

discipline et la sortie de service. De nombreux textes législatifs dont des lois organiques

ont été édictés dans les différents États, et qui organisent le statut des magistrats693.

L’indépendance du pouvoir juridictionnel s’entend de prime abord de l’entrée en fonction

des magistrats chargés de dire le droit. En règle générale, le recrutement à la fonction de

magistrat se fait par voie de concours, ce qui exclut a priori tout recrutement par

favoritisme. Tous les candidats qui obéissent aux conditions pour concourir, lesquelles

conditions concernent généralement la nationalité, l’âge, la moralité, etc. bénéficient d’une

égalité d’accès et ne sont pas exposés aux risques de discrimination à l’embauche. Seule la

compétence sera le critère déterminant pour le recrutement.

376. Quant au déroulement de carrière, l’inamovibilité est un garant d’indépendance

statutaire. En effet, l’inamovibilité des magistrats du siège694 est une garantie

d’indépendance politique695 vis-à-vis des pouvoirs publics et d’impartialité dans l’exercice

de la fonction de juger. L’inamovibilité assure aux magistrats une protection efficace

contre d’éventuelles dérives arbitraires du pouvoir politique. Il s’agit en fait d’une situation

qui protège les magistrats contre les décisions de révocation, de suspension, de

déplacement même en cas d’avancement dans la carrière, de mise en retraite anticipée sauf

en cas de manquement aux obligations disciplinaires ou pour des raisons de santé, ou

692 Papa Oumar SAKHO, « Quelle justice pour la démocratie en Afrique », Pouvoirs, La démocratie en

Afrique, n°129, 2009, pp. 57-64, spéc. p. 58. 693 L’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la

magistrature en France, la loi fédérale du 8 septembre 1961 relative au statut des juges en République Fédérale d’Allemagne, la loi n°78-662 du 4 août 1978 portant statut de la magistrature en Côte d’Ivoire, la loi organique n° 92-27 du 30 mai 1992 portant statut des magistrats au Sénégal, la loi n°2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature en République du Bénin, sont autant de textes législatifs qui constituent les instruments statutaires qui encadrent l’organisation et le fonctionnement des magistrats.

694 Art.64, al.4, Const. France, 1958 ; Art. 126, Const. Bénin ; Art. 103, al.2, Const. Côte d’Ivoire ; Art. 90, Const. Sénégal, 2001.

695 Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 558.

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241

encore toute autre raison prévue par les textes législatifs. Ce principe comme l’a précisé le

législateur béninois, n’est pas un privilège personnel du juge mais une garantie pour

l’indépendance de la justice696, bien qu’une partie de la doctrine y voie une « protection

exorbitante du droit commun de la fonction publique »697. De plus, il importe de relever

que la garantie d’inamovibilité préserve les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions.

Charles EISENMANN disait à cet effet que : « l’indépendance ne tient pas tant au mode de

nomination, qu’au statut des juges une fois nommés : ce qui importe, même s’ils sont

désignés par un organe politique, c’est qu’ils échappent à toute influence de l’autorité qui

les a choisis, qu’ils n’aient plus rien à craindre ni à attendre d’elle »698. En clair, le principe

de l’inamovibilité des magistrats les accompagne depuis leur prise de fonction jusqu’à leur

mise en retraite, en dehors des sanctions disciplinaires auxquelles ils peuvent s’exposer en

cas de manquement à leurs obligations. Et même en l’absence d’une reconnaissance

législative du principe d’inamovibilité, le juge constitutionnel béninois en l’occurrence, a

pu se prononcer sur des décrets d’affectation de magistrats du siège et les déclarer

inconstitutionnels699. Il a ainsi considéré : « que les dispositions de l’article 126 alinéa 2 de

la Constitution ont pour objet notamment d’assurer aux magistrats du siège

l’indépendance nécessaire à l’exercice de leurs fonctions ; que le principe de

l’inamovibilité ainsi affirmé constitue une garantie essentielle de cette indépendance dont

le vrai bénéficiaire est le justiciable », et que : «Considérant qu’en l’absence de tout texte

définissant avec précision le principe d’inamovibilité et en conformité avec l’esprit de la

Constitution du 11 décembre 1990, les magistrats du siège ne sauraient être sous la

696 Art. 23, al. 2 de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature en République du

Bénin. 697 Olivier PLUEN, L’inamovibilité des magistrats : un modèle ? (Préface de Jean MORANGE), Fondation

Varenne, Coll. « Collection des thèses », Clermont-Ferrand, 2012. 698 Charles EISENMANN, « La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche,

1935 », in Gérard CONAC, « Justice et Constitutions », Constitutions et justice, Académie internationale de droit constitutionnel, Recueil de cours, Tunis, 1995, p. 37.

699 Les magistrats du siège en l’occurrence allèguent avoir été victimes d’une affectation d’office dans des circonscriptions électorales qu’ils n’avaient pas choisi. Les décrets d’affectations méconnaissaient, selon eux, « les choix qu’ils avaient opérés à l’issue de la consultation préalable initiée par l’autorité de tutelle ». Décision D.C.C. 97-033 du 10 juin 1997, op. cit., spéc. p. 620.

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242

dépendance du pouvoir exécutif qui ne peut, sans observer une procédure minimale

tendant à garantir cette indépendance, les nommer aux diverses fonctions (…) »700.

377. Ajouté à cela, les traitements et salaires des magistrats constituent en principe une

autre garantie de leur indépendance statutaire. Ceux-ci doivent permettre aux magistrats

d’être à l’abri de toute forme de dépendance économique et de résister aux tentations de

corruption et de partialité. Non seulement les magistrats sont indépendants dans le

déroulement de leurs carrières professionnelles, mais cette indépendance s’étend à la

fonction de juger.

2. L’indépendance fonctionnelle du pouvoir juridictionnel

378. Cet autre aspect de l’indépendance protège la fonction de juger de toute immixtion

du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, mais aussi des magistrats eux-mêmes. À

l’inverse, les juges ne doivent s’immiscer ni dans la fonction exécutive, ni dans la fonction

législative. Dans sa fonction de trancher les litiges qui peuvent opposer plusieurs individus

dans leurs rapports privés en cas d’atteinte à leurs droits fondamentaux du fait de l’exercice

de la liberté d’opinion, ou dans leurs rapports avec l’administration dans le cadre de

mesures restrictives de la liberté d’opinion ou d’atteinte à l’ordre public sécuritaire, le juge

doit être impartial.

379. L’impartialité est un élément essentiel dans sa mission de dire le droit. Cette qualité

signifie simplement que le magistrat dans le règlement d’un litige, doit dire le droit sans

avoir de parti pris, ayant comme seul objectif d’établir la justice et la vérité. Il doit en toute

objectivité juger de la légalité d’une mesure administrative de restriction de la liberté

d’opinion, ou à l’inverse, reconnaître les dangers liés à l’exercice de cette liberté

fondamentale selon les circonstances. Si pour Charles EISENMANN, l’indépendance est

une condition nécessaire de l’impartialité701, l’impartialité est une conséquence de

l’indépendance dans la mesure où le magistrat ne saurait rendre une décision en étant sous

une influence quelconque. Il n’est soumis à aucune forme de pression politique ou des

700 Décision D.C.C. 97-033 du 10 juin 1997, op. cit., p. 618. 701 Charles EISENMANN, La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche

(Préfaces de Louis FAVOREU, Hans KELSEN et Georges VEDEL), 1928, Réédition, Économica-P.U.A.M., Coll. « Droit public positif », Aix-en-Provence, 1986, p. 176.

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pouvoirs publics et ne sera pas tenté par conséquent, de prendre parti ni pour le justiciable,

ni pour l’administration dans l’exercice de sa mission puisqu’il n’en attend rien en retour.

D’autres auteurs estimeront à juste titre que l’impartialité assimilée à l’objectivité est une

vertu tandis que l’indépendance est un statut702.

380. Dans le cadre de sa fonction contentieuse, le juge n’est soumis à aucune forme

d’influence extérieure au procès703. L’influence peut revêtir trois formes : elle peut être

organique, fonctionnelle ou personnelle. L’interdiction de toute influence organique place

le magistrat dans une situation qui le protège de toute ingérence d’un autre organe

constitutionnel dans l’exercice de ses fonctions. Parce que le pouvoir juridictionnel est un

pouvoir constitué distinct des deux autres pouvoirs constitués, le juge ne saurait être au

service ni du Président de la République, ni des membres du gouvernement, ni du

parlement. Son ministère de tutelle ne saurait non plus lui donner des directives lorsqu’une

partie au procès est proche de l’organe ou des membres de l’organe. C’est également en

vertu de cette indépendance organique que les supérieurs hiérarchiques du magistrat qui

sont eux aussi magistrats, n’ont pas à dicter ou à intervenir dans l’office du juge. Ainsi, le

magistrat ne saurait être menacé dans l’exercice de ses fonctions parce qu’il refuse de se

laisser influencer par quelqu’organe que ce soit. D’ailleurs, un parlementaire français

l’avait reconnu : « un juge qui craint pour sa place ne rend plus la justice »704. L’influence

fonctionnelle renvoie à la possibilité pour un membre du gouvernement ou du parlement de

prendre directement part à la formation des tribunaux, d’être membre de la cour et de

participer aux décisions du pouvoir juridictionnel. Cette possibilité est interdite du fait de

la spécialisation de la fonction juridictionnelle. Les pouvoirs exécutif et législatif ne

sauraient rendre de jugements705. Ces pouvoirs sont soumis à l’autorité de la chose jugée

702 Robert BADINTER disait : « il ne faut pas confondre l’indépendance qui est un statut avec l’objectivité

qui est une vertu », Le Monde, 29 octobre 1997. 703 Julien THOMAS, L’indépendance du Conseil constitutionnel, op.cit., p. 81. 704 André DUPIN, Séance du 26 novembre 1830, Chambre des députés. Cité par Marcel ROUSSELET,

Histoire de la magistrature française des origines à nos jours, Tome II, Plon, Paris, 1957, p. 174. 705 À l’exception des cours spéciales formés sur la base des textes fondamentaux pour juger des hauts

fonctionnaires politiques, le Président de la République et les membres du gouvernement en l’occurrence, dont la responsabilité pénale peut être engagée et dont peuvent être membres, des parlementaires : La Cour de justice en France découle des articles 68-1 et 68-2 de la Constitution. Les parlementaires en sont membres. Au Bénin, ce sont les articles 135 à 138 de la Constitution de 1990 qui instituent et organisent la Haute cour de justice, dont sont également membres six députés élus par

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244

dont sont revêtues les décisions des instances composant le pouvoir juridictionnel. De ce

fait, ils ne peuvent de leur propre chef, casser ou modifier les sentences rendues par le

juge. Toutefois, il convient de soulever une exception : l’action du ministère public est

dirigée par le Gouvernement. Cet organe exécutif est de ce fait, maître de l’action

pénale706. Les magistrats du parquet, dont le Garde des sceaux est le supérieur

hiérarchique, sont dans une situation de subordination vis-à-vis du gouvernement. Étant

donné que le pouvoir exécutif met en action la politique de la nation, et que la politique

pénale en est une composante non négligeable, c’est donc en étroite collaboration avec le

gouvernement que les magistrats du parquet doivent mettre en mouvement la justice

répressive. Fabrice HOURQUEBIE pose à cet effet, les bonnes questions et en tire les

bonnes conclusions : « Songerait-on à ce que le Gouvernement ne soit plus maître de la

politique de santé ou de la politique fiscale… ? Il y aurait là une grande incohérence au

regard de l’article 20 [de la Constitution française de 1958]. Pourquoi alors en irait-il

autrement en ce qui concerne la politique judiciaire ? »707. Cette interdépendance entre les

magistrats du parquet et le gouvernement vise à maintenir l’uniformisation de la politique

pénale sur l’ensemble du territoire. Quant à l’influence personnelle, elle pourrait survenir

sur la base des liens personnels avec les parties au procès, dont le magistrat a la charge.

Ces liens peuvent être familiaux, professionnels, politiques ou amicaux. Et c’est en toute

conscience de ces liens que les parties au procès pourraient directement exercer une

influence sur lui. Il appartient au magistrat, dans ce cas de figure, de faire preuve de la plus

grande fermeté et de l’impartialité la plus totale afin que sa décision ne soit pas dépourvue

de toute objectivité. Si le doute venait à peser sur ses décisions, ce sont ses compétences

professionnelles qui seraient, par la même occasion, remises en cause708. L’éthique du

magistrat doit pouvoir sauvegarder son indépendance d’esprit.

l’Assemblée nationale. Le Constituant ivoirien de 2000 institue dans le titre IX du texte constitutionnel, une Cour du même nom composée de députés que l’Assemblée nationale élit en son sein. Le Sénégal est resté vague sur la composition des membres de la Haute cour de justice qu’il institue dans le titre X de la Constitution de 2000 puisqu’il précise simplement que cette cour est composée de membres élus , en nombre égal par les députés et les sénateurs.

706 Joseph BARTHÉLÉMY et Paul DUEZ, Traité de droit constitutionnel, op.cit., p. 861. 707 Fabrice HOURQUEBIE, Sur l’émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Vème République, op.

cit., p. 457. 708 Mme Simone ROZÈS, Première présidente de la Cour de cassation en 1988, disait à cet effet, qu’être

magistrat, c’est : « savoir se prémunir de l’influence de son milieu, de sa culture, de ses préjugés et de

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381. Au vu de ce qui précède, les constituants dans la majorité des cas consacrent et

organisent les rapports de trois pouvoirs traditionnels : le pouvoir exécutif, le pouvoir

législatif et le pouvoir judiciaire. Toutefois, la construction et la consolidation d’un État de

droit induit une protection spécifique des droits et libertés fondamentaux, en tant que

catégorie juridique de nature impérative. Aussi, dans le sillon tracé par les grandes

démocraties contemporaines, les États de l’Afrique subsaharienne francophone ont institué

une juridiction d’un genre nouveau, voire révolutionnaire : la juridiction constitutionnelle.

Assuré des mêmes garanties d’indépendance que le pouvoir juridictionnel ordinaire, cette

juridiction est au cœur de la protection de la liberté d’opinion et de l’aménagement de ses

rapports avec l’ordre public sécuritaire.

ses convictions religieuses, éthiques ou philosophiques, comme de ses opinions politiques (…). C’est aussi éviter de céder aux sollicitations de l’opinion publique ou corporatiste et préférer une vérité parfois impopulaire, embarrassante ou incommode aux facilités de démagogie. L’impartialité, c’est le courage du juge ». Cité par Julien THOMAS, L’indépendance du juge constitutionnel, op.cit., p. 84.

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SECTION II.

L’AMENAGEMENT SPECIFIQUE D’UN POUVOIR NOVATEUR : LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

382. L’avènement de la juridiction constitutionnelle obéit à la logique de la construction

d’une justice constitutionnelle. Michel FROMONT définit la justice constitutionnelle

comme « une activité ou (…) une fonction exercée en la forme juridictionnelle par un

organe indépendant ayant le caractère d’une juridiction (…) »709. Elles ont été instituées

sur le continent pour « accompagner et renforcer une expérience démocratique déjà en

cours »710. Bien qu’il soit sans doute difficile de parler de modèle unique de justice

constitutionnelle en Afrique ou d’en définir les contours711, il est convenable d’affirmer

que les constituants dans les États étudiés ont emprunté tant à la technique de justice

constitutionnelle à l’européenne qu’au modèle américain de justice constitutionnelle. Les

juridictions constitutionnelles sont devenues progressivement « le dispositif essentiel de

garantie des droits fondamentaux, mieux que le législateur, duquel peuvent provenir

certaines menaces, et que les juges, judiciaires ou administratifs, astreints au respect de la

légalité »712.

383. Les juridictions constitutionnelles713 dans les différents États ont été instituées pour

assurer la suprématie de la Constitution et la répartition des compétences entre les deux

faces du pouvoir politique, à savoir le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, d’autant

plus qu’avec le pouvoir judiciaire, ce pouvoir est lié par la Constitution. Ces juridictions

709 Michel FROMONT, Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, Paris, 2013, p.6. 710 Babacar KANTÉ, « Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en

Afrique », in Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel : Constitutions et pouvoirs, Montchrestien-lextenso éditions, Paris, 2008, pp.265- 276, spéc. p. 266.

711 Ibidem. 712 Jacques CHEVALLIER, L’État de droit, 5ème éd., Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Clefs

politique », Paris, 2010, p. 101. 713 Cour constitutionnelle (Bénin ou Allemagne) ou Conseil constitutionnel (Côte d’Ivoire, France,

Sénégal), nous regrouperons dans le cadre de notre analyse, l’usage de ces vocables de manière indifférenciée sous la notion de juridiction constitutionnelle.

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248

ont également la charge d’assurer la protection des droits fondamentaux contre les abus et

les dérives du pouvoir politique. Alioune Badara FALL disait de l’activité de la juridiction

constitutionnelle, qu’elle n’est « ni anodine, ni ordinaire comparée à celle qu’exercent

quotidiennement les autres juridictions (…) ». Il s’agit, disait-il d’une activité « qui se

caractérise par la difficulté de son exécution »714. Elles jouissent en cette qualité, d’une

organisation et d’un fonctionnement qui en rajoutent à leur nature révolutionnaire. Le

terme de juridiction avait déjà été employé par Louis FAVOREU en ces termes : « La Cour

constitutionnelle est une juridiction créée spécialement et exclusivement pour connaître du

contentieux constitutionnel, située en dehors de l’appareil juridictionnel ordinaire et

indépendante de celui-ci comme des pouvoirs publics »715.

384. Bien qu’il s’agisse d’un organe ayant une fonction contentieuse, mais pas

seulement716, cette institution que certains constituants incluent dans le pouvoir

judiciaire717, mérite une analyse spécifique. À cet effet, deux aspects essentiels de la

juridiction constitutionnelle méritent une attention toute particulière : sa composition (§ I)

et l’ensemble des techniques par le biais desquelles elle assure la protection de la liberté

d’opinion (§ II).

714 El Hadj Omar DIOP, La justice constitutionnelle au Sénégal. Essai sur l’évolution, les enjeux et les

réformes d’un contre-pouvoir juridictionnel (Préface d’Alioune Badara FALL), CREDILA/OVIPA, Dakar, 2013, p. 8.

715 Louis FAVOREU et Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », Paris, 2011, p. 3.

716 Elle exerce aussi une fonction consultative lorsque le Président de la République décide d’utiliser les pouvoirs que lui confère la Constitution en cas de circonstances exceptionnelles. L’utilisation des pleins pouvoirs est prévue par : Art. 16, Const. française, 1958 ; Art. 68, Const. béninoise, 1990 ; Art. 48, Const. ivoirienne, 2000. Le constituant sénégalais consacre l’exercice des pouvoirs exceptionnels au Président de la République sans qu’il soit besoin de consulter le Conseil constitutionnel. Voir art.52, Const. sénégalaise, 2001. Cf. Rodolphe ARSAC, « La fonction consultative du Conseil constitutionnel », Revue Française de Droit Constitutionnel, n°68, oct. 2006, pp. 781-820, spéc. p. 781.

717 Voir Const. sénégalaise de 2001.

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249

§ 1. LA COMPOSITION DE LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE718

385. La protection des droits et libertés fondamentaux, en raison même de la catégorie

juridique à laquelle ils appartiennent, doit relever d’un organe spécifique, voire

prestigieux719. Le prestige de l’institution se fond à l’audace des missions que lui confie le

constituant. Son fonctionnement s’entoure d’un ensemble de garanties statutaires et

processuelles. L’organe spécifique, en l’occurrence la juridiction constitutionnelle, est

organisé sur la base du statut des membres qui le composent. Il s’agit de membres

totalement indépendants. Cette indépendance statutaire est renforcée par le mandat non

renouvelable desdits membres. Il est vrai que leur mode de désignation fait intervenir le

pouvoir politique (A). Mais, ce mode de désignation obéit selon certaines constitutions, à

des conditions strictes qui somme toute, permettent de mettre en lumière la sociologie de la

juridiction constitutionnelle, garantie présumée de son professionnalisme (B).

A. LE MODE DE DESIGNATION DES MEMBRES DES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES

386. En règle générale, la composition des membres des juridictions constitutionnelles

va de pair avec leur mode de désignation. Les membres de cette institution sont désignés

intuitu personae720, exception faite de l’Allemagne où ils sont élus. La nomination fait

intervenir le Président de la République et le pouvoir législatif, puisqu’il s’agit des organes

élus au suffrage universel. À ce titre, ils jouissent d’une certaine légitimité populaire. Ce

mode de désignation de la juridiction constitutionnelle pose l’épineuse question de sa

légitimation quant au contrôle qu’elle exerce sur le pouvoir politique. Georges VEDEL la

pose en ces termes : « Comment expliquer que des juges non élus, désignés par des

détenteurs d’une partie du pouvoir politique, puissent s’opposer à ce qui est, dans la

718 Bien que la composition des juridictions n’ait, pour une partie de la doctrine, qu’un faible impact sur

l’exercice de la justice constitutionnelle, elle ne doit pas être écartée en tant que garantie même si l’efficacité de cette garantie est sujette à débat. Cf. Michel FROMONT, Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, Paris, 2013, pp. 75-81.

719 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel français, 3ème éd., P.U.F., Coll. « Thémis Droit », Paris, 2011, p. 167.

720 Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Le Conseil constitutionnel, 6ème éd., Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Clefs », Paris, 2011, p. 62

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250

personne de ses représentants, la nation souveraine ? »721. En d’autres termes, la juridiction

constitutionnelle dispose-t-elle d’une légitimité démocratique suffisante dans son rôle

d’interprète de la signification normative des textes soumis à sa compétence pour s’ériger

en censeur de la volonté générale, sauf à considérer qu’il participe à l’expression de cette

volonté générale722 ? À cette interrogation, Dominique ROUSSEAU répond en présentant

deux hypothèses : « Ou bien l’on considère que le juge constitutionnel participe à la

création du droit (…) il faudrait conclure que le système constitutionnel n’est pas

démocratique ; ou bien on admet que le système est démocratique, et dans ce cas, il faut

reconnaître que le juge constitutionnel n’exerce pas de pouvoir créateur »723. La deuxième

hypothèse est peu envisageable dans des États enclins, tant d’un point de vue normatif

qu’institutionnel, à la construction d’une démocratie dans laquelle la légitimité de la

juridiction constitutionnelle prend corps dans le texte juridique suprême.

387. Ainsi, en France, au Bénin et en Côte d’Ivoire, une partie des membres qui

composent la juridiction constitutionnelle est nommée par le Chef de l’État quand une

autre est le fait du pouvoir législatif724. En revanche, le constituant sénégalais de façon

surprenante confie exclusivement la nomination des cinq membres du Conseil

constitutionnel sénégalais au Président de la République725. Il s’agit d’une prérogative

discrétionnaire qui n’est soumise à aucun avis préalable. Cette compétence exclusive

réservée au Chef de l’État au Sénégal est bien curieuse dans la mesure où le risque de

politisation est bien plus important. Si le Président de la République est seul compétent

pour la désignation des membres d’une institution d’une telle envergure, la mission de

répartition des compétences confiée à l’institution est réduite en peau de chagrin puisqu’en

raison de la configuration du calendrier électoral et de la vie politique même dans les États

de l’Afrique subsaharienne francophone, le Président de la République dispose de la

majorité au Parlement. Aussi, le Conseil constitutionnel semble disposer, dans ce cas de

721 Georges VEDEL, « Le Conseil constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance

des droits de l’homme », Pouvoirs, n° 45, 1988, pp. 149-159, spéc. p. 149. 722 Michel TROPER, « Justice constitutionnelle et démocratie », Revue Française de Droit Constitutionnel,

n°1, 1990, spéc. p. 31. 723 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 12ème éd., L.G.D.J.-Lextenso éditions,

Coll. « Domat Droit public », Paris, 2013, p. 414. 724 Art.56, Const. française, 1958 ; Art. 115, Const. béninoise, 1990 ; Art. 89, Const. ivoirienne, 2000. 725 Art. 89, al.3, Const. sénégalaise, 2001.

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251

figure, d’une légitimité moindre que dans un système de cooptation mixte qui fait

intervenir différents pouvoirs. À ce sujet, Xavier PHILIPPE disait à juste titre que : « la

diversité des autorités de nomination et de proposition constitue davantage une garantie

dans la mesure où elle permet aux différentes composantes politiques ou sociales de

participer à cette désignation »726. La prérogative présidentielle exclusive de nomination

des membres du Conseil constitutionnel au Sénégal est certainement la conséquence de la

vision qu’a le constituant sénégalais de cette institution puisque même en 2001 lors de la

rédaction de la Constitution actuelle, il a inclus le Conseil constitutionnel dans l’appareil

du pouvoir judiciaire, contrairement au Bénin et au Sénégal qui en font une institution

autonome et distincte du pouvoir judiciaire. Pour leur part, en République fédérale

d’Allemagne, les membres de la Cour constitutionnelle fédérale sont élus par le pouvoir

législatif à raison pour le Bundesrat et le Bundestag d’élire pour chaque chambre, la moitié

des membres de cette institution727. Toutefois, la désignation par la voie de l’élection ne

met pas l’institution à l’abri d’une politisation. Ainsi que l’ont reconnu Louis FAVOREU

et Wanda MASTOR : « Malgré toutes ces précautions, destinées à limiter l’influence des

partis, la répartition des sièges se fait en réalité après accord entre les deux grands partis et

les juges ont une appartenance politique marquée, la plupart étant des adhérents des partis

C.D.U ou S.P.D »728.

388. L’intervention du pouvoir politique dans la nomination des membres de la

juridiction constitutionnelle peut faire s’interroger sur le rapport de ce pouvoir aux

membres qui tiennent leurs nominations de lui. N’y-a-t-il pas un risque de politisation de la

juridiction ? Si le risque n’est pas à exclure même dans les grandes démocraties

contemporaines, il faut cependant se garder de tomber dans la critique facile. Toute

nomination quelle qu’elle soit n’est pas à l’abri de ce reproche729, d’autant plus qu’il s’agit

d’un acte laissé à la totale discrétion des autorités de l’exécutif et du législatif. Et Louis

726 Xavier PHILIPPE, Le contrôle de constitutionnalité des droits fondamentaux dans les pays européens,

Actes du colloque international des 29, 30 septembre et 1er octobre 1993, AUPELF-UREF, Québec, Port-Louis, 1994, p. 410.

727 Art. 94 (1), L.F. allemande, 1949. 728 Louis FAVOREU et Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, Dalloz, Coll. « Connaissance du

droit », Paris, 2011, p. 37. 729 Dominique SCHNAPPER, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Éd. Gallimard, Coll. « nrf

essais », Paris, 2010, p. 194.

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252

FAVOREU, tout en reconnaissant la nécessité pour les membres de la juridiction

constitutionnelle d’être nommés par les autorités politiques730, précise toutefois que ces

derniers ne sauraient de ce fait, se comporter en « militants » ou « en fidèles représentants

des forces ou partis politiques ». Les membres de la juridiction constitutionnelle ont, un

« devoir d’ingratitude » vis-à-vis de ceux qui les ont nommés à ce poste731.

389. Les juridictions constitutionnelles ont à leur tête, un président. Dans les États de

l’Afrique subsaharienne francophone, le Bénin fait exception puisque le Président de la

Cour constitutionnelle y est élu par ses pairs aux termes de l’article 116 de la Constitution

de 1990. Dans les deux autres États tout comme en France, le Président de la juridiction

constitutionnelle y est nommé par le Président de la République. En France, le Président du

Conseil constitutionnel dispose d’une voix prépondérante en cas de partage732. Le

constituant ivoirien permet également au Président de la République de nommer le

Président du Conseil constitutionnel, sans aucune autre forme de précision733. Le Président

de la juridiction constitutionnelle veille à la bonne organisation et au bon fonctionnement

de l’institution. Il revêt à ce titre une autorité certaine tant par la place qu’il occupe mais

aussi par sa personnalité. Par ailleurs, la composition des membres de la juridiction

constitutionnelle induit un critère constitutionnel de nomination basé sur les compétences

professionnelles de ces derniers.

B. LA SOCIOLOGIE DES JURIDICTIONS CONSTITUTIONNELLES

390. En premier lieu, la sociologie des membres de la juridiction constitutionnelle

renvoie au critère de la compétence. La compétence des membres de la juridiction

constitutionnelle impacte considérablement la nature du pouvoir de la juridiction

constitutionnelle. Ce pouvoir qui devient un pouvoir normatif ou pouvoir de création de la

norme juridique du juge constitutionnel repose sur la part que représentent les membres de

730 Selon Louis FAVOREU, il est nécessaire que les forces politiques aient le sentiment d’être représentées

au sein de la Cour, selon la sensibilité vraie ou supposée des membres qui la composent. Il ajoute bien que « les contrôlés doivent avoir confiance en le contrôleur ».

731 Louis FAVOREU, « La notion de Cour constitutionnelle », in Études en l’honneur de Jean- François AUBERT : De la Constitution, Helbing & Lichtenhahn, Bâle et Francfort, 1996, p. 25.

732 Art. 56, al.3, Const. française, 1958. 733 Art. 90, al. 1, Const. ivoirienne, 2000.

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253

la doctrine juridique que sont en premier lieu les professeurs de droit734. Et l’on est

facilement amené à admettre comme une évidence que les juristes ont une place

prépondérante dans la composition des membres de la juridiction constitutionnelle. Cette

place prépondérante est à distinguer de l’exclusivité qui peut leur être faite car ce serait,

pour notre part, une erreur de penser que la juridiction constitutionnelle doit être

entièrement composée de juristes, de haut rang soient-ils. La juridiction constitutionnelle

ne doit pas être une institution fermée aux évolutions de la société et de ses exigences. En

revanche, la mission essentielle de cette institution étant de dire le droit, les juristes sont

ceux qui sont à même de mieux en connaître la quintessence, du moins a priori, et de

l’interpréter dans le sens qu’a voulu en donner le constituant, surtout depuis l’instauration

des contrôles concrets de constitutionnalité à l’occasion des litiges.

391. Sur ce point, les États de l’Afrique subsaharienne francophone sont bons élèves. Le

Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal précisent le critère de compétence des membres de la

juridiction constitutionnelle. À ce titre, le Bénin est un bel exemple puisque c’est au sein

même de la Loi Fondamentale que le constituant de 1990 précise que la Cour

constitutionnelle se compose de trois magistrats ayant plus de quatorze ans d’expérience,

de deux juristes de haut niveau à savoir des professeurs titulaires des facultés de droit ou

des praticiens du droit et de deux personnalités de grande réputation professionnelle. En

Côte d’Ivoire, la Constitution de 2000 précise la qualité des membres du Conseil

constitutionnel et de son Président. Tous nommés par le Président de la République dont

trois d’entre eux sont désignés par le Président de l’Assemblée Nationale, les conseillers du

Conseil constitutionnel avec à leur tête, le Président de l’institution doivent être choisis

« parmi les personnalités connues pour leur compétence en matière juridique ou

administrative »735. De plus, sur les trois pays de l’Afrique subsaharienne francophone

étudiés, seule la Côte d’Ivoire compte des membres de droit au sein du Conseil

constitutionnel, lesquels membres de droit sont les anciens Présidents de la République, à

734 Marie-Claire PONTHOREAU, « Réflexions sur le pouvoir normatif du juge constitutionnel en Europe

continentale à partir des cas allemand et italien », Cahiers du Conseil constitutionnel, n°24, 2008. Article disponible sur le site institutionnel du Conseil constitutionnel français : www.conseilconstitutionnel.fr. Consulté le 15 avril 2015.

735 Pour le Président du Conseil constitutionnel : Art. 90, al.1, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Pour les conseillers, art. 91, al.1.

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254

l’image du Conseil constitutionnel français736. Louis FAVOREU et Wanda MASTOR

soulignaient le caractère curieux de ces membres de droit, d’autant plus que pour ces

auteurs, la qualité, aussi prestigieuse soit-elle d’anciens chefs d’État, n’apporte

« absolument rien » au fonctionnement de la juridiction. Elle ne fait que rajouter au

caractère politique de l’institution737.

392. Au Sénégal, c’est le législateur qui, à travers l’article 4 de la loi organique n°92-23

du 30 mai 1992 modifiée par la loi n°99-71 du 17 février 1999, précise la qualité des

personnes pouvant être membres du Conseil constitutionnel. L’accent y a volontairement

été mis sur la pratique du droit. Entre les professeurs titulaires de chaire en exercice ou la

retraite, les avocats ayant plus de 25 ans années d’expérience, les inspecteurs généraux

d’État anciens ou actuels, la part belle est faite aux professions juridiques. Dans les grandes

démocraties contemporaines, il n’y a pas de différence flagrante avec les États africains.

En Allemagne notamment, les seize juges que compte la Cour constitutionnelle fédérale

sont des personnes ayant des compétences incontestables en matière juridique. La Cour

constitutionnelle fédérale relève du pouvoir judiciaire. De ce fait, les membres de cette

institution ont la qualité de juge, ce que souligne expressément le constituant allemand de

1949. Aussi, sont-ils « nécessairement choisis parmi les personnes qui ont fait les longues

études de droit, mi-théoriques, mi-pratiques requises pour exercer les fonctions de juge,

d’avocat ou de haut fonctionnaire »738. En France, même en l’absence de toute exigence

constitutionnelle relative au critère de la compétence en matière juridique, les membres du

Conseil constitutionnel sont bien souvent et ce, depuis 1958, des juristes en grande partie, à

savoir des anciens magistrats ou des professeurs de droit des universités.

393. La connaissance de la règle de droit et la capacité à l’interpréter sont donc des

qualités qui ne sont certes pas exclusives mais tout de même requises pour être nommé

membre de la juridiction. Les différents constituants et le législateur sénégalais ont donc

adhéré à cette affirmation d’Hans KELSEN, qui soutenait qu’ : « il est de la plus grande

importance d’accorder dans la composition de la juridiction constitutionnelle une place

736 Art. 56, al.2, Const. France, 1958. 737 Louis FAVOREU et Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, op. cit., pp. 39-40. 738 Michel FROMONT, « Présentation de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne », Cahiers du

Conseil constitutionnel, n°15, 2003, pp. 90- 101, p. 91.

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255

adéquate aux juristes de profession »739. Il est également à noter que la composition de la

juridiction constitutionnelle axée sur le critère de la compétence juridique, ne saurait

suffire à elle seule, à assurer la protection de la liberté d’opinion. La liberté d’opinion se

trouve en effet face à un pouvoir politique enclin à la restreindre en raison d’exigences de

plus en plus prégnantes d’ordre public sécuritaire.

394. Au critère de la compétence, il faut ajouter la nature du mandat des membres de la

juridiction constitutionnelle. À ce sujet, l’Allemagne, parmi les États étudiés, est celui qui

accorde le mandat le plus long aux membres de la juridiction constitutionnelle. Les seize

juges de la Cour constitutionnelle fédérale sont élus pour un mandat de douze ans non

renouvelables. Le Bénin accorde un mandat de cinq ans renouvelable une fois aux

membres de la Cour constitutionnelle. Un conseiller peut donc exercer un mandat de dix

ans non renouvelable740. En France, c’est pour un mandat de neuf ans non renouvelable

que sont nommés les membres du Conseil constitutionnel741. La Côte d’Ivoire et le Sénégal

s’accordent sur un mandat de six ans non renouvelable pour les membres des juridictions

constitutionnelles respectives742. La durée du mandat de même que son caractère non

renouvelable sont de nature à conforter le juge constitutionnel pour que celui-ci exerce sa

fonction avec objectivité. Qu’il s’agisse d’invalider une loi qui porte atteinte aux droits

fondamentaux, de s’ériger en arbitre en cas de conflit de compétence entre le pouvoir

exécutif et le pouvoir législatif, le juge constitutionnel est assuré de se tenir à une certaine

distance vis-à-vis de la pression que peut exercer sur lui le pouvoir politique. En tout état

de cause, il ne doit rien attendre de l’autorité de nomination puisque bien qu’étant à

l’origine de sa nomination, ladite autorité ne saurait en principe, y mettre fin sauf avec le

consentement du ou des membre(s) concerné (s).

395. Une fois nommés ou élus, le critère de la compétence des membres des juridictions

constitutionnelles ne sera éprouvé qu’au cœur du procès constitutionnel. Les constituants

assignent aux juridictions constitutionnelles, une mission de protection de la Constitution

739 Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », Revue du Droit Public, 1928, pp.

197- 257, spéc. p. 227. 740 Art. 115 précité. 741 Art. 56, al. 1 précité. 742 Art. 91, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art. 89, al. 2, Const. Sénégal, 2001.

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256

en tant que norme suprême avec tout ce qu’elle comporte en termes de droits

fondamentaux et de répartition des compétences. Comment la mission de protection de la

liberté d’opinion se met-elle en mouvement ?

§ 2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

396. S’il est vrai que la loi est l’expression de la volonté générale selon ROUSSEAU,

l’avènement des partis politiques effrite cette volonté générale. Elle est aujourd’hui

l’expression de la volonté du pouvoir politique majoritaire, et peut donc représenter une

menace pour les droits et libertés fondamentaux743. De ce fait, la liberté d’opinion, liberté

fondamentale, tient sa protection de l’efficacité de la justice constitutionnelle. Cette justice

se traduit lato sensu par l’action de contrôle qu’exerce l’organe compétent sur les actes

édictés par le législateur en la matière (B). La saisine de cet organe compétent, la

juridiction constitutionnelle, qui ne fonctionne pas exactement comme les juridictions

classiques de l’appareil judiciaire, obéit à des règles particulières sur lesquelles l’on ne

saurait inévitablement faire l’impasse (A).

A. LA SAISINE DE LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

397. L’analyse de la saisine de la juridiction constitutionnelle répond à trois

interrogations esentielles : qui peut saisir la juridiction constitutionnelle ? À quel moment

saisir la juridiction constitutionnelle ? Pourquoi saisir la juridiction constitutionnelle ? Les

constitutions postérieures aux années 1990 en Afrique subsaharienne francophone

consacrent deux catégories de titulaires pouvant être à l’origine de la saisine : les autorités

publiques et les particuliers. Les autorités publiques sont essentiellement composées du

Président de la République et des membres du pouvoir législatif744. Lorsque la saisine est

le fait de ces autorités publiques, l’on est dans le cas d’une saisine restreinte. Les

parlementaires, fussent-ils de l’opposition ont également le droit de saisir la juridiction

743 André ROUX, « Contrôle de constitutionnalité. Organisations juridictionnelles », in Michel TROPER,

Dominique CHAGNOLLAUD, Traité international de droit constitutionnel, Tome 3, Suprématie de la Constitution, Dalloz, Coll. « Traités Dalloz », Paris, 2012, p. 108.

744 Art. 121, Const. Bénin, 1990 ; art. 95, al. 1 et 2, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art. 74, Const. Sénégal, 2001.

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257

constitutionnelle745. Eu égard à la configuration du pouvoir législatif et à ses rapports avec

le pouvoir exécutif en raison du fait majoritaire, l’institution d’une juridiction

constitutionnelle offre sans nul doute, des possibilités aux parlementaires, membres de

l’opposition, de participer à la protection de la Constitution et par ricochet, des droits et

libertés qu’elle garantit. Lorsque ce sont les particuliers746, qu’il s’agisse d’un plaideur ou

d’une association de défense des droits de l’homme légalement constituée, ces derniers

saisissent la juridiction constitutionnelle dans le cadre d’une saisine ouverte. L’ouverture

de la saisine aux particuliers constitue à n’en point douter, une remarquable avancée pour

la protection des droits et libertés fondamentaux, dont la liberté d’opinion, dans la

construction de l’État de Droit. La diversité des titulaires du droit de saisine assure une

certaine complétude du système de garantie des droits747. Tout individu peut désormais

déclencher une procédure de contrôle pour que soient rétablis ses droits et libertés

fondamentaux violés par le législateur, sous réserve des conditions de recevabilité de sa

requête. Il s’agit également pour le constituant de rapprocher le justiciable de la juridiction

constitutionnelle et de l’impliquer dans la préservation de la valeur suprême de la

Constitution.

398. À ces deux formes d’initiative de la saisine, il convient d’en rajouter une troisième,

la saisine d’office et l’autosaisine par la juridiction constitutionnelle elle-même. Elle

permet au juge constitutionnel de déclencher la procédure de contrôle de constitutionnalité

et de soulever des griefs relatifs à des dispositions législatives contenues dans la loi portée

à sa connaissance, et autres que celles pour lesquelles il a été saisi. Il peut donc exercer un

contrôle de constitutionnalité de sa propre initiative et/ou aller au-delà de la requête de

l’autorité publique ou du particulier. Et c’est le constituant béninois qui inscrit directement,

745 Le Bénin, dans la Constitution de 1990, donne le droit à tout membre de l’Assemblée nationale de saisir

la Cour constitutionnelle, aux termes de l’article 121, al.1. Le constituant ivoirien accorde cette possibilité à tout groupe parlementaire ou à 1/10ème des membres de l’Assemblée nationale, selon l’alinéa 2 de l’article 95. Quant au Sénégal, pour saisir le Conseil constitutionnel, les auteurs de la saisine doivent représenter les 1/10ème des membres composant soit l’Assemblée nationale, soit le Sénat (art. 74).

746 Art. 122, Const. Bénin précitée ; art. 96, Const. Côte d’Ivoire précitée ; Au Sénégal, art. 20, loi organique n°92-23 du 30 mai 1992 sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi n°99-71 du 17 février 1999.

747 Christophe de ARANJO, Justice constitutionnelle et justices européennes des droits de l’Homme. Étude comparée : France-Allemagne, Bruylant, Coll. « de Droit public comparé et européen », Bruxelles, 2009, p. 79.

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258

dans la loi fondamentale, cette initiative reconnue à la Cour constitutionnelle. Ainsi, la

Cour constitutionnelle au Bénin peut se saisir d’office ou s’autosaisir aux termes du

deuxième alinéa de l’article 121 de la Constitution : « Elle [la Cour constitutionnelle] se

prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte réglementaire censés

porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques.

Elle statue plus généralement sur les violations des droits de la personne humaine (…) ».

L’autosaisine est une spécificité du juge constitutionnelle béninois. Elle n’a pas été reprise

par les deux autres États que sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal. La Constitution

sénégalaise pas plus que la loi organique de 1992 sur le Conseil constitutionnel ne donnent

expressément le droit à la juridiction constitutionnelle de se saisir d’office. C’est une

conclusion qu’en tire El Hadji Omar DIOP, à la lecture de la loi organique de 1992, portant

organisation du Conseil constitutionnel au Sénégal. Il conclut qu’une saisine donnant lieu à

un contrôle a priori de la loi oblige le juge constitutionnel à se prononcer sur l’ensemble de

la loi en question avec toutes les dispositions qu’elle contient748. D’ailleurs, l’article 15,

alinéa 3 de la loi organique de 1992 portant organisation du Conseil constitutionnel au

Sénégal en fait une obligation pour le juge constitutionnel, en ces termes : « Si le Conseil

constitutionnel relève dans la loi contestée, dans l’engagement international soumis à son

examen, une violation de la Constitution qui n’a pas été invoquée, il doit la soulever

d’office ». Si cette obligation vaut pour le juge constitutionnel sénégalais, une conclusion

similaire peut être étendue à l’ensemble des juridictions constitutionnelles dans le cadre

d’un contrôle a priori, surtout pour les dispositions relatives aux droits et libertés

fondamentaux sur lesquelles le juge est très regardant, d’où la question du moment de la

saisine.

399. La juridiction constitutionnelle peut être saisie avant la promulgation de la loi, dans

des délais raisonnables, pour des raisons de sécurité juridique749 ou une fois la loi entrée en

vigueur. Si le modèle américain de justice constitutionnelle s’organise autour d’un contrôle

a posteriori- après la promulgation de la loi-, les États de l’Afrique subsaharienne

748 El Hadji Omar DIOP, La justice constitutionnelle au Sénégal, op. cit., p. 139. 749 De façon générale, la sécurité juridique renvoie à « la qualité et à la prévisibilité du système normatif ».

Voir Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p. 144.

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259

francophone ont opté pour un contrôle qui peut se faire tant a priori qu’a posteriori. La

saisine par les autorités publiques se fait en règle générale a priori, puisqu’il s’agit des

autorités ayant participé à la confection de la loi soumise au contrôle, et qui en ont

connaissance avant même que celle-ci ne soit promulguée. Ce contrôle a priori reste un

contrôle abstrait puisqu’il se fait en dehors de tout litige. Il est évident que ce type de

contrôle initié par les autorités publiques est très subjectif en raison même du fait

majoritaire. L’on peut difficilement imaginer les auteurs d’une loi ordinaire la soumettre au

juge constitutionnel pour contrôle, surtout si cette loi est l’émanation directe de la volonté

politique du Président de la République. Ce serait jeter le discrédit sur ses propres

compétences en la matière. La saisine de la juridiction constitutionnelle dans ce cas de

figure est généralement le fait des parlementaires, membres de l’opposition –encore

faudrait-il que ces derniers soient suffisamment représentatifs pour atteindre le minimum

quantitatif des 1/10ème requis, en Côte d’Ivoire et au Sénégal notamment-.

400. Pour notre part, le contrôle le plus efficace est celui qui est initié par les citoyens

eux-mêmes dans le cadre d’un litige ou en l’absence de tout conflit. Et les constituants

africains l’ont bien compris, et ce même avant que le pouvoir constituant dérivé ne

l’instaure en France en 2008, avec la technique de la Question Prioritaire de

Constitutionnalité (Q.P.C.)750. Ainsi, les citoyens, lorsqu’ils sont parties à un procès devant

n’importe quelle juridiction751, peuvent indirectement saisir la juridiction constitutionnelle

sur la base de l’exception d’inconstitutionnalité752. Le Bénin, à l’instar de l’Allemagne

avec le recours constitutionnel direct753, offre en plus aux citoyens béninois, la possibilité

de saisir directement la Cour constitutionnelle en dehors de tout procès754. Ce qui signifie

que la saisine est plus étendue au Bénin qu’en Côte d’Ivoire ou qu’au Sénégal. D’ailleurs,

l’extension des compétences de la Cour constitutionnelle induit qu’il n’y ait aucune 750 Art.61-1, Const. française, 1958. La Q.P.C. a été instaurée grâce à la révision constitutionnelle de 2008.

Les conditions d’application de l’article 61-1 de la Constitution sont contenues dans la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009.

751 Exception faite du Sénégal où l’exception d’inconstitutionnalité ne peut être soulevée que devant le Conseil d’État et la Cour de Cassation.

752Art. 122, Const. béninoise, 1990 ; Art. 96, Const. ivoirienne, 2000 ; Art.12, loi organique n°92-23 du 30 mai 1992 portant organisation du Conseil constitutionnel au Sénégal.

753 Art. 19 (4), L.F. R.F.A., 1949 ; Louis FAVOREU et Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, op. cit., p. 79.

754 Art. 122, Const. béninoise précitée.

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260

condition de recevabilité qui subordonne aux termes de l’article 120 de la Constitution, les

« plaintes » des citoyens pour violation des droits et libertés fondamentaux. La Cour

constitutionnelle peut donc être saisie en premier et dernier ressort en cette matière. Le

juge constitutionnel devient alors un concurrent direct pour le juge ordinaire puisqu’il a

compétence pour connaître des requêtes que le constituant qualifie de plaintes en violation

des droits et libertés de la personne humaine. Dans les deux autres États africains, la

configuration est différente. Seuls les citoyens ayant la qualité de plaideurs peuvent

déclencher de façon indirecte, une procédure visant la protection de leurs droits et libertés

fondamentaux devant la juridiction constitutionnelle. En effet, bien que l’exception

d’inconstitutionnalité soit soulevée par l’une des parties au procès, il ne s’agit pas d’une

saisine directe de la juridiction constitutionnelle. C’est plutôt à la juridiction devant

laquelle a été soulevée l’exception de renvoyer la question préjudicielle devant le juge

constitutionnel, puisque le contrôle est concentré et non diffus comme aux États-Unis755 en

se soumettant aux techniques de filtrage imposées par le législateur. De plus, la

recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité obéit à trois conditions : le demandeur

doit être directement touché par la violation de la Constitution du fait de la norme

contestée ; l’application de cette norme doit avoir entraîné un dommage ou le risque du

dommage est certain ; la norme ne doit pas déjà avoir été soumise pour contrôle au juge

constitutionnel756.

401. La réponse à l’objet de la saisine ne sera apportée que sous l’angle de la saisine de

la juridiction constitutionnelle par les citoyens. Ces derniers ont généralement le droit de

saisir la juridiction constitutionnelle en cas de violation par un texte de loi, de leurs droits

et libertés fondamentaux. La formulation est plus restrictive en France puisque la Q.P.C.,

exception d’inconstitutionnalité à la française, ne peut être soulevée qu’en cas d’atteinte

aux droits et libertés que la Constitution garantit, aux termes de l’article 61-1 de la 755 On entend par contrôle de constitutionnalité diffus, un contrôle exercé par n’importe quel juge étatique,

qu’il s’agisse du juge saisi en première instance, du juge d’appel ou du juge de cassation, sous l’autorité de ce juge supérieur. Ce contrôle est l’un des critères de distinction du modèle américain de justice constitutionnelle. Dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone en revanche, tout comme en Allemagne ou en France, le contrôle de constitutionnalité est dit concentré. Ce contrôle est en effet exercé par une juridiction unique et spécialement instituée à cet effet, la juridiction constitutionnelle.

756André ROUX, « Contrôle de constitutionnalité. Organisations juridictionnelles », in Michel TROPER, Dominique CHAGNOLLAUD, Traité international de droit constitutionnel, Tome 3, Suprématie de la Constitution, op. cit. , p. 119.

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261

Constitution de 1958. De plus, la contestation par la voie de la Q.P.C. ne peut porter que

sur des dispositions législatives. Les traités, les normes réglementaires, les lois

procédurales qui violeraient directement ou indirectement les droits et libertés que la

Constitution garantit en sont exclus. Dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone, l’exception d’inconstitutionnalité peut porter sur des domaines variés qui

vont au-delà de la violation des droits et fondamentaux. De plus, cette violation peut être le

fait de tout texte législatif, réglementaire ou même des traités internationaux. Il n’y a

aucune précision qui exclue un texte normatif en raison de sa nature. À ce sujet,

l’exception d’inconstitutionnalité dans les États africains est moins restrictive qu’en

France. En Allemagne, le recours constitutionnel qui survient à l’occasion de l’application

d’une loi par le juge ou par l’autorité administrative, est conditionné par l’épuisement des

voies de recours interne, au-delà des exigences de délai757. Cette condition se rapproche du

cas sénégalais puisque l’exception d’inconstitutionnalité soulevée exclusivement devant les

juridictions supérieures suppose que le requérant ait épuisé toutes les voies de recours

interne. Lorsque la juridiction constitutionnelle est saisie en cas de violation de la liberté

d’opinion en l’occurrence, celle-ci doit procéder à un contrôle de constitutionnalité de la

disposition attaquée.

B. LA PORTEE DU CONTROLE EXERCE PAR LA JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE

402. Le juge constitutionnel, dans le cadre de la protection des droits et libertés

fondamentaux, doit procéder à l’examen minutieux de la disposition attaquée, en

contrôlant la constitutionnalité de cette disposition. Le contrôle de constitutionnalité est

dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, un contrôle exercé par la juridiction

constitutionnelle, pour vérifier la conformité des normes juridiques inférieures à la

Constitution, norme juridique suprême. Il ne s’agit donc pas de l’appréhender sous l’angle

du contrôle de constitutionalité des seules lois, stricto sensu. Le contrôle de

constitutionnalité peut aussi porter sur des traités et engagements internationaux, sur des

textes réglementaires758, ce qui pour Frédéric Joël AÏVO, participe de l’excentricité des

757 Louis FAVOREU et Wanda MASTOR, Les cours constitutionnelles, op. cit., p. 79. 758 Art. 3, al.3, Const. Bénin, 1990 : « (…) Tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour

constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ».

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262

compétences de la juridiction constitutionnelle notamment au Bénin759. Dans sa décision

D.C.C. 03-134 du 21 août 2003, le juge constitutionnel béninois a eu à se prononcer sur un

acte réglementaire pris par une autorité publique, au motif que cet acte était de nature à

violer les droits fondamentaux de l’homme et des libertés publiques, notamment la liberté

de manifestation. Aussi, la Cour constitutionnelle a-t-elle déclaré contraire à la

Constitution, l’acte réglementaire pris par l’autorité publique760. Certes, cette particularité

de l’étendue des compétences du juge constitutionnel béninois peut sembler une

excentricité mais cette excentricité permet un rapprochement du citoyen avec le juge

constitutionnel qui n’apparaît plus comme le juge que l’on aperçoit uniquement au moment

des élections présidentielles. Le citoyen prend ainsi une part active dans la surveillance de

ses droits et libertés fondamentaux puisqu’il peut déférer tout texte normatif quel qu’il soit,

et quel qu’en soit l’auteur, à la censure du juge constitutionnel.

403. Le contrôle de constitutionnalité vise en assurant la protection des droits et libertés

fondamentaux, à garantir la suprématie de la Constitution qui les consacre, et à maintenir la

structure hiérarchique des normes juridiques. Ce contrôle est la manifestation du

constitutionnalisme moderne, cet impératif intégrant le libéralisme politique, qui donne la

possibilité aux citoyens d’être protégés des abus du pouvoir politique et des moyens de

contrôle de son action761. Le contrôle de constitutionnalité tire ses origines de la

démonstration du juge Marshall dans l’affaire Marbury vs Madison de 1803. Le juge

affirmait à propos de la hiérarchie entre la Constitution écrite et la loi : « (…) C’est une

proposition trop simple pour être contestée que, soit la Constitution l’emporte sur la loi

ordinaire qui lui est contraire, soit le pouvoir législatif peut modifier la Constitution au

moyen d’une loi ordinaire. Entre les deux possibilités, il n’y a pas de troisième voie. Ou la

Constitution est un droit supérieur, suprême, inaltérable par des moyens ordinaires ; ou

elle est au même niveau que la loi ordinaire et, à l’instar des autres lois, elle est

modifiable selon la volonté de la législature. Si la première partie de la proposition est

759 Frédéric Joël AÏVO, « La Cour constitutionnelle du Bénin », in Annuaire béninois de justice

constitutionnelle. Dossier spécial. 21 ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle (1991- 2012), Volume I- 2013, P.U.B., Cotonou, 2014, pp. 23-57, spéc. pp. 43 et s.

760 Décision D.C.C. 03-134 du 21 août 2003, Liberté de manifestation, observations d’Alexis ESSONO-OVONO, in Annuaire béninois de justice constitutionnelle, op. cit., pp. 557-563.

761 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 92.

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263

vraie, alors une loi contraire à la Constitution n’est pas du droit ; si la deuxième est vraie,

alors les constitutions écrites ne sont que « d’absurdes tentatives de la part des peuples de

limiter un pouvoir par nature illimité »762. Et, dans le cadre du contrôle de

constitutionnalité de la loi, le juge peut se retrouver face à deux cas de figure : certaines

dispositions de la loi, détachables de l’ensemble du texte, sont déclarées

inconstitutionnelles ; certaines dispositions de la loi, non détachables du texte, sont

déclarées inconstitutionnelles. Dans le premier cas de figure, ces dispositions déclarées

inconstitutionnelles et détachables de l’ensemble de la loi ne sont pas promulguées dans le

cas d’un contrôle a priori. Si ces dispositions ne sont pas détachables du texte, le

législateur prévoit expressément que la loi ne soit pas promulguée en l’état763. La question

est bien plus délicate dans le cadre d’un contrôle par voie d’exception. Quel est le sort

d’une disposition déclarée inconstitutionnelle dans le cadre d’un contrôle incident764 ? Ni

le constituant béninois, ni celui de la Côte d’Ivoire et du Sénégal ne donnent de précision

définitive. Les constituants béninois et ivoirien restent vagues sur la question. Ils prévoient

qu’une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut ni être promulguée- ce qui s’entend

d’une disposition contrôlée a priori-, ni mise en application765 - ce qui peut s’entendre du

procès en cours dans le cadre d’un contrôle par voie d’exception-. Le constituant

sénégalais ne s’attarde pas plus sur cette hypothèse. L’ambigüité se pose avec autant plus

d’acuité qu’au regard de la Constitution française de 1958, la question a été résolue. En

effet, aux termes de l’alinéa 2 de l’article 62 de la loi fondamentale, une disposition

législative déclarée contraire à la Constitution dans le cadre de la Q.P.C. est abrogée à

compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure

fixée par cette décision. Le juge constitutionnel français peut être alors assimilé à un

législateur négatif puisque dans cette optique, bien qu’il ne s’agisse pas d’une annulation

de la loi, l’abrogation, conséquence de la décision d’inconstitutionnalité se traduit par le 762 Arrêt commenté par Elisabeth ZOLLER, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, 1ère éd.,

Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2010, pp. 1-28, spéc. p. 11. 763 Arts.17 et 18, loi organique n°92-23 du 30 mai 1992 portant organisation du Conseil constitutionnel au

Sénégal. 764 Le contrôle exercé par la juridiction constitutionnelle par voie d’exception est incident car il peut avoir

« une incidence sur les positions subjectives qui constituent l’objet du procès ordinaire ou procès a quo ». Cf. Gustavo ZAGREBELSKY, « Le caractère réaliste et concret du contrôle de constitutionnalité des lois en Italie », Cahiers du Conseil constitutionnel, n°22, juin 2007, pp. 153-159, spéc. p. 154.

765 Art. 124, al. 1, Const. Bénin, 1990 ; Art. 99, Const. Côte d’Ivoire, 2000.

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264

retrait de cette loi. Cette abrogation est générale et modifie la teneur de l’appareil

normatif766.

404. Les décisions de la juridiction constitutionnelle sont insusceptibles de recours. Elles

s’imposent à tous les pouvoirs publics767. Le juge constitutionnel est ainsi doté d’un

pouvoir de « dernier mot »768 destiné à faire obstacle à l’arbitraire du pouvoir politique.

Quelle conséquence résulte pour l’avenir d’une déclaration d’inconstitutionnalité suite à

une exception d’inconstitutionnalité soulevée ? Tout en restant prudent, l’on pourrait

difficilement concevoir qu’une telle déclaration d’inconstitutionnalité soit remise en cause

à l’occasion d’un procès antérieur. Ceci dit, il appartient au législateur d’en tirer les

conséquences pour que ce texte soit retiré de l’ordonnancement juridique, afin d’éviter

cette situation. Toutefois, en raison de l’autorité même de la chose jugée qui s’attache aux

décisions de la juridiction constitutionnelle, lorsqu’une disposition est déclarée

inconstitutionnelle, il semble appartenir en toute logique au juge devant lequel a été

soulevée cette question de se prononcer en s’alignant sur la décision rendue par le juge

constitutionnel. L’abrogation de la loi est sans doute tacite.

405. Si le constituant donne au citoyen le droit de saisir directement ou indirectement la

juridiction constitutionnelle en cas de violation de sa liberté d’opinion, elle lui donne par là

même l’entière responsabilité de déclencher la procédure nécessaire, qu’il s’agisse du

contrôle par voie d’action ou par voie d’exception. L’efficacité de l’objectif visé par le

contrôle de constitutionnalité par voie d’exception se mesure alors selon le rapport

qu’entretient le justiciable à la juridiction constitutionnelle, lesquels rapports sont à

analyser à l’aune des vicissitudes de la séparation des pouvoirs.

766 Hans KELSEN expliquait d’ailleurs la théorie du législateur négatif, en parlant du juge constitutionnel

autrichien en ces termes : « annuler une loi, c’est poser une norme générale ; car l’annulation d’une loi a le même caractère de généralité que sa confection, n’étant que la confection avec un signe négatif, donc elle-même une fonction législative. Et le tribunal qui a le pouvoir d’annuler les lois est par conséquent un organe du pouvoir législatif ». Hans KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », op. cit., spéc. pp. 224-225.

767 Art. 124, al. 2 et 3, Const. Bénin, 1990 ; Art. 98, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; art. 92, al.2, Const. Sénégal, 2001.

768 Marie-Madeleine MBORANTSUO, La contribution des Cours constitutionnelles à l’État de droit en Afrique (Préface de Charles DEBBASCH), Economica, Paris, 2007, p. 73.

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265

CONCLUSION DU CHAPITRE I

406. Il est vrai que les constituants des États de l’Afrique subsaharienne francophone

aussi bien que ceux des grandes démocraties contemporaines organisent les différents

pouvoirs et les rapports entre eux autour du principe de la séparation des pouvoirs. Cette

technique a été pensée selon une rédaction constitutionnelle presque similaire. La

juridiction constitutionnelle dispose de larges compétences pour certaines d’entre elles,

notamment pour la Cour constitutionnelle du Bénin. Sur la base de l’article 114 de la

Constitution béninoise de 1990, l’on perçoit clairement l’étendue des compétences du juge

constitutionnel béninois. Ce dernier a des compétences plus larges que dans la plupart des

autres pays de l’Afrique subsaharienne francophone, dont la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Les compétences de la Cour constitutionnelle sont classiques. L’élargissement de ses

compétences l’est moins. Aux termes de l’article 3 de la Constitution, le juge

constitutionnel béninois est compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois, mais

aussi « des actes administratifs, des décisions de justice voire des actes extra normatifs

comme par exemple, des propos tenus à l’occasion de discours ou d’émissions de

télévision »769. Ces garanties institutionnelles sont renforcées par des garanties matérielles

dont il convient désormais d’en apprécier la teneur.

769 Frédéric Jöel AÏVO, « La Cour constitutionnelle du Bénin », in Annuaire béninois de justice

constitutionnelle, op. cit., p. 45. Voir aussi Décision D.C.C. 13-071 du 11 juillet 2013 à propos des déclarations tenues par le Président de la République du Bénin lors d’une émission télévisée. La Cour constitutionnelle saisie pour contrôler certains extraits des propos du Chef de l’État, les a déclarés contraires à la Constitution.

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CHAPITRE II.

LES GARANTIES MATERIELLES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

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407. Conditions sine qua non de consolidation de l’équilibre des rapports entre la liberté

d’opinion et l’ordre public sécuritaire, les garanties matérielles de la conciliation découlent

pour certaines de la Constitution, et sont pour d’autres, inhérentes à la logique de l’État de

droit, et consacrées par le juge. Par garanties matérielles, il faut entendre un ensemble de

principes juridiques auquel sont soumis les pouvoirs institués dans l’édiction des normes

d’encadrement de l’exercice de la liberté d’opinion et de ses rapports avec l’ordre public

sécuritaire. Ces dernières ont été progressivement mises en place par le juge administratif,

puis confirmés par le juge constitutionnel. Certaines de ces garanties ont été esquissées

plus haut. Elles doivent désormais être précisées. Parmi ces garanties, certains principes

constitutionnalisés assurent la protection de l’exercice de la liberté d’opinion (Section I).

D’autres sont des principes en voie de constitutionnalisation (Section II).

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SECTION I.

LES PRINCIPES CONSTITUTIONNALISES RENFORÇANT L’EXERCICE DE LA LIBERTE D’OPINION

408. La liberté d’opinion s’exerce conformément à des principes constitutionnels qui en

assurent la protection et en conditionnent l’effectivité. Un principe peut être défini comme

une règle ou une norme juridique établie en termes assez généraux destinée à inspirer

diverses applications et s’imposant avec une autorité supérieure770. D’abord de façon

générale, le principe d’égalité (§ I), premier de ces principes, « participe (…) à accroître la

sécurité juridique, qui est une des conditions premières de la réalisation d’un véritable État

de droit »771. Ensuite, de façon spécifique, le principe constitutionnel de laïcité constitue le

fondement même d’un aspect particulièrement complexe de la liberté d’opinion : la liberté

d’opinion religieuse (§ II).

§ 1. LE RESPECT DU PRINCIPE D’EGALITE

409. Le principe d’égalité est un principe directeur de l’exercice de la liberté d’opinion.

Il est à la fois un droit fondamental et un principe qui conditionne l’exercice d’autres droits

et libertés. Il est un droit-tuteur772. Pourtant, cette notion que tous les constituants, du

moins ceux des États étudiés, intègrent expressément dans les textes et lois fondamentaux

est, pour une partie de la doctrine, d’une illusoire réalisation du fait notamment « des

inégalités structurelles et fondamentales de la nature »773. S’il appartient au droit de

construire une égalité qui n’existe pas par nature dans certains domaines, dans le cadre de

la liberté d’opinion, cette égalité apparaît naturelle en raison de la nature même de

770 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Principe, pp. 804-805, spéc. p. 804. 771 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil

constitutionnel (Préface de Georges VEDEL), Economica-P.U.A.M., Coll. « Droit public positif », Paris, 1997, p. 20.

772 Ibidem. 773 Jacques ROBERT, « Le principe d’égalité dans le droit constitutionnel francophone », Cahiers du droit

constitutionnel, n°3, novembre 1997, pp. 26-36, spéc. p. 28.

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272

l’homme, animal pensant. Sur cette base, l’expression de sa pensée, siège de ses opinions,

est protégée tant il est vrai qu’aucun individu ne peut s’arroger le droit de détenir la vérité

de la pensée, ce qui pourrait arbitrairement hiérarchiser les opinions. Aussi, le principe

d’égalité a-t-il d’abord été formulé par le constituant puis renforcé par le juge

constitutionnel, dans une dynamique convergente au départ avec le juge administratif.

Toutefois, le juge constitutionnel tend de plus en plus à se démarquer du juge de la légalité,

en établissant une interprétation spécifique du principe d’égalité. D’un principe

constitutionnellement garanti (A), l’on en vient à analyser spécifiquement ce principe à

travers le prisme du pouvoir discrétionnaire de l’autorité de police administrative en

matière d’exercice de la liberté d’opinion (B).

A. UN PRINCIPE CLAIREMENT AFFIRME

410. En tant que principe duquel les droits de l’homme tirent leur source

philosophique774, l’égalité en droit constitutionnel s’appuie naturellement sur les normes

constitutionnelles. En la matière, il s’agit d’abord des textes constitutionnels, premières

sources directes qui fondent le principe d’égalité (1). D’autres textes à vocation régionale,

notamment, constituent des références multiples en la matière et c’est bien la spécificité de

ce principe en Afrique subsaharienne francophone. C’est d’ailleurs en cela que « le

principe d’égalité évoque l’image de ces temples polystyles dont la voûte est supportée par

de nombreuses colonnes »775. Le juge constitutionnel a pour sa part, en tant qu’interprète

par excellence de la Constitution, participé de façon remarquable à en préciser la portée

(2).

1. Dans les textes constitutionnels

411. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 est le gisement des

principes qui fondent le corpus constitutionnel. Elle constitue de ce fait le fondement

774 Doudou N’DOYE, La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001commentée…, op. cit., p. 67. 775 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil

constitutionnel, op. cit., p. 70.

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273

juridique des droits et libertés des individus776. La nature juridique de cette Déclaration

n’est plus à remettre en question car ainsi que l’a reconnu Gaston JÈZE, les déclarations de

droit constituent de véritables règles juridiques777. À ce titre, elle constitue l’une des

premières sources originelles de formalisation du principe d’égalité, au moins en France, et

dans la majorité des États de l’Afrique subsaharienne francophone. Cette déclaration n’est

pas étrangère à l’histoire du droit public en Allemagne, puisqu’elle a constitué, certes de

façon indirecte, mais tout aussi indéniable, une source utile778. Dans son ensemble, le

principe d’égalité connaît une application générale (a). Dans le cadre de l’exercice de la

liberté d’opinion, ce principe connaît une application rigoureuse avec la formulation de

l’interdiction des discriminations fondées sur les opinions (b).

a. Une application générale de principe

412. Le principe d’égalité a été similairement appréhendé par les constituants en Afrique

subsaharienne francophone. Dès lors, le constituant béninois de 1990 affirme dans le

préambule de la Constitution que l’égalité est un principe. Au Sénégal, le constituant de

2001 adopte une formulation différente puisque c’est en rejetant sous toutes leurs formes

l’inégalité et les discriminations qu’il fait de l’égalité, un principe constitutionnel issu du

préambule. Le constituant ivoirien de 2000 pose, quant à lui, le principe d’égalité à l’article

30 de la Constitution. Ce principe semble assurément être la conséquence de l’affirmation

du caractère de la République de Côte d’Ivoire qui est « une et indivisible, laïque,

démocratique et sociale »779. En France, le principe constitutionnel d’égalité est évoqué

776 Une partie de la doctrine a pourtant été véritablement pour la reconnaissance d’une valeur juridique à la

Déclaration des droits de l’Homme de 1789. Adhémar ESMEIN et Raymond CARRÉ de MALBERG en font partie. Si le premier n’y voit qu’une « déclaration de principes », pour le second, la portée du texte révolutionnaire est « dogmatique d’une déclaration de vérités philosophiques ». Cf. Adhémar ESMEIN, Éléments de droit constitutionnel français et comparé (Avant-propos de Dominique CHAGNOLLAUD), Éd. Panthéon-Assas, Coll. « Les introuvables », Paris, 2001, pp. 554 et s.; Raymond CARRÉ de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État (Préface d’Éric MAULIN ), tome 2, op. cit., p. 581.

777 Gaston JÈZE, « Valeur juridique des « Déclarations des droits » et des « garanties des droits », Revue de Droit Public, 1913, p. 686.

778 Olivier JOUANJAN a rappelé les influences de la Révolution française de 1789 sur le droit allemand dans sa thèse consacrée au principe d’égalité devant la loi en droit allemand. Cf. Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand (Préface de Michel FROMONT), Économica, Paris, 1992, pp. 46-47.

779 Art. 30, Const. ivoirienne, 2000.

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274

lorsque le constituant se réfère à la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 dans le

préambule du texte de 1958. En Allemagne, il est souligné à l’article 3 de la L.F. de 1949.

Bien que la première approche vis-à-vis du principe d’égalité soit sensiblement différente

d’une Constitution à une autre, tous les constituants s’accordent en revanche pour affirmer

l’égalité de tous devant la loi780. Que signifie cette affirmation ?

413. Avant tout propos, il est juste de souligner que la doctrine a opposé l’égalité devant

la loi à l’égalité dans la loi. Cependant, ce débat doctrinal ne sera pas développé ici. Pour

notre part, l’égalité devant la loi n’est que la conséquence de l’égalité dans la loi.

Autrement dit, l’égalité formelle qui renvoie à l’égalité dans l’application du droit n’est

que la conséquence de l’égalité matérielle qui renvoie à l’égalité dans la création du

droit781. Poser le principe d’égalité devant la loi, « c’est poser simplement que les organes

d’application du droit n’ont le droit de prendre en considération que les distinctions qui

sont faites dans les lois à appliquer elles-mêmes, ce qui revient à affirmer tout simplement

le principe de la régularité de l’application du droit en général, principe qui est immanent à

tout ordre juridique (…) »782. Aussi, l’autorité chargée d’exécuter la loi n’appliquera-t-elle

le principe de l’égalité que conformément à la norme édictée par le législateur, d’autant

plus que c’est à cette autorité législative que revient la charge de préciser le contenu de ce

principe d’égalité. L’égalité dans la loi qui s’impose au législateur, autorité chargée de

l’élaboration de la loi, oblige l’autorité exécutive, en charge de l’exécution de la loi, à ne

faire aucune distinction négative tenant au sexe, à l’opinion, à la race, à l’origine, dans

l’application de la loi. Avec Olivier JOUANJAN, il est préférable de maintenir au nom de

la cohérence, l’unité interne du principe d’égalité783. En Allemagne, la Loi Fondamentale

de 1949 a réglé le problème puisqu’en qualité de droit fondamental, l’égalité lie non

seulement le législateur, autorité de création de la loi mais aussi l’autorité exécutive,

autorité d’application de la loi784. Cet État, depuis une décision de principe rendue par la

780 Art. 26, Const. Bénin, 1990 ; Art. 30, al. 2, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art. 1er, Const. Sénégal, 2001 ;

Art. 1er, al. 1 ; Const. France, 1958 ; Art. 3, L.F. R.F.A., 1949. 781 Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, op. cit., p. 10. 782 Hans KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., (Traduction française de la 2ème édition de la « Reine

Rechtslehre » par Charles EISENMANN), Coll. « Philosophie du droit », Dalloz, Paris, 1962, p. 190. 783 Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, op. cit., p. 16. 784 Cf. les arts. 1 (3) et 3 (1) de la L.F. de 1949.

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275

Cour constitutionnelle fédérale en 1951785, a adopté l’idée d’un principe matériel d’égalité.

La portée de ce principe réside dans la prohibition de l’arbitraire, laquelle prohibition

s’impose au législateur. Et même en France, l’on a abouti à la conclusion suivante : « (…)

Il n’y a pas véritablement de différences entre égalité devant la loi et égalité dans la

loi »786, au regard de la jurisprudence constitutionnelle française.

414. Cependant, cela ne signifie pas que l’égalité devant la loi est l’égalité dans la loi et

vice versa. L’égalité devant la loi signifie à notre sens que l’objet de l’égalité est

l’individu. Tous sont égaux devant la loi, ainsi que l’ont d’ailleurs précisé les constituants

lorsqu’ils ont consacré le principe d’égalité devant la loi. Les constituants béninois de 1990

et ivoirien de 2000 ont opté pour une formule similaire puisqu’ils proclament que l’État

assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe et de

religion787. La formule au Sénégal en 2001 renvoie à la même idée que celle des deux

précédents bien que ce dernier se soit inspiré de la rédaction du constituant français de

1958. Il précise alors que la République du Sénégal assure l’égalité devant la loi de tous les

citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion788 avant d’étendre une

application générale du principe d’égalité à tous789. En France, en revanche, le principe

d’égalité provient d’une multiplicité des textes depuis la Déclaration des droits de

l’Homme de 1789790 jusqu’à la Constitution de 1958791 en passant par le préambule de la

Constitution de 1946792. Toutefois, c’est au constituant allemand que le mérite sera accordé

d’avoir détaillé ce que recouvre le principe d’égalité devant la loi malgré la référence à un

texte unique, la L.F. de 1949. D’abord, le constituant allemand, duquel se sont

certainement inspirés les constituants des États africains étudiés, n’emploie pas le terme de

785 23 octobre 1951, BVerf GE, Tome 1, p. 14. 786 Louis FAVOREU, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence constitutionnelle en France », in La

limitation des droits de l’homme en droit constitutionnel comparé, Éd.Y. Blais, Cowansville, 1986, p. 300.

787 Art. 26, Const. béninoise, 1990 ; art. 30, al.2, Const. ivoirienne 2000. 788 Art. 1er, al. 1, Const. sénégalaise, 2001. 789 Idem, art. 7, al.4. 790 Arts. 1er, 6 et 13, Déclaration des droits de l’Homme, 1789. 791 Préambule, arts. 1er, 2 et 3, Const. française, 1958. 792 Al. 1er, 3, 11, 12, 3, 16 et 18, Préambule Const. françasie, 1946.

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276

citoyen793, contrairement à la Constitution française de 1958794. Ce dernier dans l’article 3

de la L.F. de 1949, pose le principe général d’égalité795 en affirmant que tous les êtres

humains sont égaux devant la loi- ce qui inclut les nationaux et les étrangers, les citoyens

et ceux qui n’en ont pas la qualité-. Il poursuit alors en insistant sur une interdiction de

discrimination liée au sexe puisque les hommes et les femmes sont égaux en droits. La L.F.

de 1949 donne ensuite mission à l’État d’assurer la promotion de ce principe d’égalité en

agissant à l’élimination des désavantages existants. Elle interdit, en outre, toute

discrimination ou tout privilège en raison « de son sexe, de son ascendance, de sa race, de

sa langue, de sa patrie et de son origine, de sa croyance, de ses opinions religieuses ou

politiques », ou encore de son handicap. Le principe d’égalité peut être étendu aux services

publics de l’administration. Garantie des fonctionnaires et des usagers devant l’arbitraire

de l’administration, il concerne à la fois l’égalité d’accès aux emplois publics et l’égalité

des usagers devant les services publics sans qu’aucune distinction ne soit fondée sur leurs

opinions. De plus, l’avènement du constitutionnalisme a progressivement permis au-delà

de la constitutionnalisation du principe d’égalité des citoyens, l’égalité entre les sexes796.

Le principe d’égalité qui reste d’une application générale connaît en matière d’exercice de

la liberté d’opinion, une application rigoureuse.

b. Les interdictions expresses des discriminations fondées sur les opinions

415. Le principe général d’égalité posé par les constituants trouve une concrétisation

face à l’exercice de la liberté d’opinion. En premier lieu, ce principe signifie qu’il faut

traiter les êtres humains de façon égale peu importe leurs opinions qu’elles soient

politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, ou contraires à l’opinion publique. Il

793 La référence au « citoyen » que fait la France peut paraître significative d’autant plus qu’elle opère dès

cette formulation, une distinction entre les citoyens que sont les nationaux et les étrangers. Il est clair que ces derniers sont soumis à des règles particulières liées à leur condition d’étranger, ce qui ne les place pas d’office dans une situation d’égalité en droits vis-à-vis des nationaux. La formulation en Allemagne qui renvoie à l’égalité entre hommes et femmes, doit cependant bien s’entendre d’une égalité des droits des individus placés dans une situation identique.

794 Art. 1er, al.1, Const. française, 1958. 795 La formulation de ce principe général d’égalité est à distinguer des droits spéciaux à l’égalité qui sont ces

« égalités particulières spécifiquement consignées dans le texte constitutionnel ». Cf. Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand (Préface de Michel FROMONT), op. cit.., p. 10.

796 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, op. cit., p. 191.

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suppose alors l’interdiction faite tant au législateur, à l’administration, qu’au juge de

cultiver des inégalités qui ne seraient pas justifiées. Le principe d’égalité se confond alors

progressivement avec le principe de non discrimination797. La discrimination se définit

comme une « différenciation contraire au principe de l’égalité civile consistant à rompre

celle-ci au détriment de certaines personnes physiques en raison de leur appartenance

raciale ou confessionnelle, plus généralement, par application des critères sur lesquels la

loi interdit de fonder des distinctions juridiques arbitraires (sexe, opinions politiques,

situation de famille, état de santé, handicap, origine, appartenance ou non-appartenance

(vraie ou supposée) à une nation, une ethnie ou une race (…) »798. Par suite, l’exercice de

la liberté d’opinion consacré et protégé par les constitutions modernes ne se concrétise que

dans le respect du principe d’égalité. Il en est le corrélat puisque le principe d’égalité

préside à l’application de la liberté d’opinion. Le respect de ce principe est une tendance

générale auxquels se sont conformés les constituants.

416. Les valeurs de liberté et d’égalité ont guidé les révolutionnaires tout au long de la

rédaction de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789. L’article 1er souligne le

principe de l’égalité et renchérit en n’admettant les distinctions sociales que pour des

raisons d’utilité commune. Et en poursuivant, il renforce le principe d’égalité dans l’article

6 du texte en confirmant le principe d’égalité dans la loi, principe auquel doit être soumis

le législateur « [La loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle

punisse ». Les révolutionnaires n’oublient pas de mentionner que les citoyens sont tous

égaux « aux yeux de la loi ». En revanche, dans le cadre de notre analyse, c’est l’article 10

de la Déclaration qui détermine une égalité à double titre : d’une part, une égalité des

citoyens, d’autre part, une égalité des opinions sous réserve du respect de la loi et de

l’ordre public. En effet, l’article 10 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses

opinions, même religieuses (…) ». La L.F de la R.F.A. de 1949 est plus précise dans les

interdictions des discriminations. L’article 3 (3) du texte constitutionnel dispose à cet

797 C’est en ce sens que Loïc PHILIP a pu écrire que : « (…) Le principe de l’égalité (…) tend (…) de plus

en plus à s’identifier au principe de non-discrimination. En d’autre termes, le législateur peut prévoir des régimes différents dès lors que les conditions pour accéder à ces différents régimes ne sont pas basées sur une distinction concernant l’origine, la race, la religion, le sexe, l’opinion, (…) », « La jurisprudence financière. Les saisines du printemps 1978 », Revue de Droit Public, 1979, pp. 465-506, spéc. p. 505.

798 Vocabulaire juridique, op.cit., voir Égalité, pp. 388-389, spéc. p. 388.

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278

effet : « Nul ne doit être discriminé, ni privilégié en raison de son sexe, de son ascendance,

de sa race, de sa langue, de sa patrie et de son origine, de sa croyance, de ses opinions

religieuses ou politiques. (…) »799. Ce principe d’égalité ainsi énoncé se retrouve sous une

formulation différente au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. L’article 23 de la

Constitution du Bénin de 1990 insiste sur l’égalité des citoyens dans l’exercice de leur

liberté d’opinion : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de

religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la

loi et les règlements ». Le constituant béninois, dans l’article 26 du texte constitutionnel,

confie en outre la responsabilité à l’État d’assurer l’égalité devant la loi de tous les

citoyens « sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, d’opinion politique ou

de position sociale (…) ». La Côte d’Ivoire et le Sénégal ne sont pas en reste puisqu’ils

précisent en substance que chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement sa pensée

sous la réserve de la loi et de l’ordre public800 et que la liberté d’opinion politique et

religieuse est garantie à tous801.

2. Dans la jurisprudence constitutionnelle

417. Les normes de référence en la matière sont les constitutions et différentes

déclarations internationales et régionales de droit que les constituants ont intégrées au

corpus juridique interne, ainsi qu’il est souligné dans le préambule de la Constitution du

Bénin de 1990802. La diversité de ces normes va ainsi permettre au juge constitutionnel de

tisser sa jurisprudence, sur de solides fondements, en matière de conciliation de la liberté

799 La précision et l’étendue des interdictions a été trois ans avant la L.F. de la R.F.A, à mettre à l’actif du

constituant français de 1946, qui dans le préambule de la Constitution de la même année a édicté un ensemble d’interdictions et formulations positives dont l’objectif était « de se prémunir avec davantage d’efficacité contre les errements du législateur, dont l’expérience venait de prouver qu’il pouvait mal faire ». Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 73.

800 Art. 10, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art. 10, Const. Sénégal, 2001. 801 Art. 9, Const. Côte d’Ivoire cit. 802 « Nous, peuple béninois, (…) réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des Droits

de l’Homme, tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986, et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du Droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne (…) »

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d’opinion avec l’ordre public sécuritaire sur la base du principe d’égalité803. Pourtant, en

Europe et notamment en France, ce ne sont pas les sources du principe d’égalité qui

manquent dans le texte constitutionnel « mais sa consécration ne pouvait s’opérer [en 1973

à l’occasion de la décision 73-51 D.C. du 27 décembre 1973, Taxation d’office804] qu’après

l’extension des règles et principes constitutionnels telle qu’elle a été réalisée par la

décision du 16 juillet 1971 »805. En Afrique subsaharienne francophone, le juge

constitutionnel tend de plus en plus à marquer son originalité et sa volonté d’édifier

l’ordonnancement juridique interne, vis-à-vis de la jurisprudence constitutionnelle des

grandes démocraties contemporaines. Toutefois, sa jurisprudence ne se construit pas

forcément ex nihilo, puisqu’en termes d’instruments d’interprétation, la jurisprudence de

ses pairs européens n’est pas à ignorer.

418. Le juge constitutionnel en Afrique subsaharienne francophone a eu, à de

nombreuses reprises, à se prononcer sur le principe d’égalité en matière de concours

interne dans la fonction publique806, de recrutement à la fonction publique807. Par contre,

l’exercice de la liberté d’opinion sur la base directe du principe d’égalité a rarement fait

803 Le Conseil constitutionnel sénégalais dans sa décision n° 11/93 du 23 juin 1993 s’était d’ailleurs appuyé

sur : les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, l’article 80 de la Constitution de 2001, l’article 7 de la Déclaration universelle de 1948, l’article 3 de la C.A.D.H.P de 1981, ainsi qu’aux conventions, lois et coutumes pour « revendiquer et réaffirmer le principe de la séparation des pouvoirs et interdire au législatif et à l’exécutif d’empiéter sur le pouvoir judiciaire en censurant les décisions de justice passées en force de chose jugée. À ce décompte il fallait ajouter les conventions internationales intégrées dans l’ordre juridique interne en application de l’article 79 de la Constitution, des différentes lois organiques à valeur constitutionnelle ». Doudou NDOYE, La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 commentée et ses pactes internationaux annexés. Les perspectives politiques, juridiques et sociales, 1ère éd., Les éditions juridiques africaines, Dakar, 2001, p. 37.

804 C.C., décision n°73-51 D.C. du 27 décembre 1973, Taxation d’office. Voir Loïc PHILIP, « La portée du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel », Revue du Droit public, 1974, pp. 531 et 1099 ; François LUCHAIRE, « Un Janus constitutionnel : l’égalité », Revue du Droit public, n°6, septembre-octobre 1946, pp. 1129-1274 ; Léo HAMON, « Contrôle de constitutionnalité et protection des droits individuels », Recueil Dalloz, 1974, p. 83, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op. cit., pp. 505-519, n°42.

805 Bertrand MATHIEU et Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, L.G.D.J., Coll. « Manuels », Paris, 2002, p. 418.

806 Dans sa décision D.C.C. 01-058 du 27 juin 2001, le juge constitutionnel béninois a déclaré contraire à l’article 26 de la Constitution de 1990, la décision du ministre de l’éducation nationale et de la recherche scientifique d’accorder l’autorisation de concourir à un enseignant et de le refuser à un autre provenant de la même catégorie socio-professionnelle.

807 Dans sa décision D.C.C. 18-94 du 3 juin 1994, la juridiction constitutionnelle du Bénin a sanctionné un arrêté ministériel qui limite l’accès au test de recrutement pour la douane, aux seuls agents du ministère des finances. Les sages ont décidé que ces arrêtés violaient le principe d’égalité et de non discrimination de l’article 8 alinéa 2 de la Constitution de 1990 et l’article 13-2 de la C.A.D.H.P.

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280

l’objet de décisions jurisprudentielles par le juge de la Constitution dans cette partie de

l’Afrique. Il a rarement constitué « un argument constitutionnel de dernier recours »808 en

la matière, contrairement à la France où la rupture de l’égalité « est le moyen le plus

fréquemment invoqué devant le Conseil constitutionnel »809. Il est certain que l’influence

du principe d’égalité dans le contentieux de la liberté d’opinion est considérable en raison

même du « principe de l’unité de la Constitution »810 et de la cohésion des normes

constitutionnelles entre elles. Par ailleurs, l’agencement des décisions du juge

constitutionnel qu’il soit béninois, ivoirien ou sénégalais, attire la curiosité au regard des

décisions rendues par les sages français et allemands. Cet agencement est un excellent outil

de construction d’un véritable corpus des droits et libertés fondamentaux dans la mesure où

ils étendent leur liberté de manœuvre au-delà de la Constitution. Comment le juge

constitutionnel détermine-t-il le principe d’égalité des citoyens ? Comment les principes

dégagés par l’interprétation du principe d’égalité peuvent-ils présider à l’exercice et au

renforcement de la protection de la liberté d’opinion ?

419. Le juge constitutionnel sénégalais en 1994 se réfère alors à la Déclaration des droits

de l’Homme de 1789 de même qu’à la Déclaration universelle de 1948 en plus de la

Constitution de 1963 pour affirmer l’interdiction des traitements discriminatoires dans sa

décision n°2/C/94 du 27 juillet 1994811. Il prononce l’inconstitutionnalité de l’article 4

d’une loi organique au motif qu’il comporte des lacunes et des discriminations qui sont

contraires aux « normes internationales relatives à la qualification, à la sélection et à la

formation des personnes devant remplir des fonctions de magistrat »812. C’est également

sur la base des textes internationaux dont la C.A.D.H.P. de 1981 incorporée au bloc de

constitutionnalité par le constituant béninois que le juge constitutionnel du Bénin définit

l’égalité comme « une règle selon laquelle les personnes se trouvant dans une même 808 « The last resort of constitutional argument » (Traduit par nos soins). Cette formule est tirée de l’arrêt

Buck vs . Bell rendu par le juge HOLMES de la Cour suprême américaine en 1927 (U.S. 200, 47 S. Ct., 584). Cité par Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 19.

809 Guy CARCASSONNE et Marc GUILLAUME (introduite et commentée par), La Constitution (Préface de Gorges VEDEL), 12ème éd., Essais, Coll. « Points », Paris, 2014, p. 46.

810 Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, op. cit., p. 127. 811 Cité par Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux…, op. cit.,

p. 157. 812 Ibidem.

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281

situation doivent être soumises au même traitement sans discrimination »813. Il avait déjà

en 1996814, dans l’une de ses premières décisions relatives au principe d’égalité, donné la

même définition et il y ajoutera, tout comme en 2015, que le principe d’égalité est

un « principe selon lequel la loi doit être la même pour tous dans son adoption et dans son

application et ne doit contenir aucune discrimination injustifiée »815. Pour reprendre

l’expression de Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, le juge constitutionnel béninois se

retranche derrière des « formules standards » censées exprimer sa conception globale de

cette norme constitutionnelle, qu’est le principe d’égalité816. En Côte d’Ivoire, le principe

d’égalité n’a jamais fait l’objet d’une saisine du juge constitutionnel817. Le contentieux

constitutionnel du principe de l’égalité y est alors quasi inexistant.

420. Pour éviter une liberté de manœuvre qui soit réduite, ce n’est pas seulement à la

notion juridique d’égalité que s’attachent les juges constitutionnels en Afrique

subsaharienne francophone. Ils s’attachent également à la notion morale du principe

d’égalité érigé dans les préambules de leurs constitutions respectives, de même qu’à un

ensemble de textes à vocation internationaliste. Tous, en tant qu’interprètes par excellence

de la Constitution de leurs États, s’appuient par conséquent sur le préambule des textes

fondamentaux dont ils ont la charge du respect et de la protection. Ces préambules

constituent, par suite, de parfaits outils de renforcement du sens et de la portée du principe

d’égalité. Aussi, comme l’a remarqué Mouhamadou Mounirou SY, la multiplicité des

textes auxquels se réfèrent non seulement le juge constitutionnel sénégalais818 mais

l’ensemble des sages béninois et ivoiriens est de nature à susciter une certaine curiosité,

marque d’une forme d’originalité par rapport à la France et à l’Allemagne. Toutefois,

l’étendue de la liberté de manœuvre dont jouit le juge constitutionnel en Afrique

813 Décision D.C.C. 14-006 du 14 janvier 2014. 814 Décision D.C.C. 96-067 du 21 octobre 1996 précitée. 815 Décision D.C.C. 15-023 du 12 février 2015. 816 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil

constitutionnel, op.cit., p. 191. 817 C’est le juge administratif ivoirien qui a eu à le reconnaître, mais n’a jamais eu l’occasion d’en

sanctionner la violation, ainsi que l’a reconnu Martin Djézou BLÉOU, à propos de l’arrêt : C.S.C.A., 11 décembre 1970, Ody Yapi c/ Ministère de la Fonction publique. Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ivoirienne, C.N.D.J., Abidjan, 2012, p. 136.

818 Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique : l’exemple du Sénégal, op. cit., pp. 156-157.

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282

subsaharienne francophone n’a pas permis une évolution remarquable dans l’interprétation

du contenu du principe d’égalité.

421. Au contraire, l’Allemagne où le juge constitutionnel fédéral ne se base que sur la

Loi Fondamentale de 1949 et dont on pourrait penser qu’il a une liberté de manœuvre

restreinte, a largement contribué au renforcement du principe d’égalité. De ce fait, une

disposition est arbitraire819 aux yeux du juge allemand dès lors qu’aucune raison objective

ou suffisante ne justifie une identité ou une différence de traitement820. Même si cette

interprétation du principe d’égalité apparaît équivoque, elle veut tout simplement dire ainsi

que l’a rappelé Olivier JOUANJAN que « toutes les personnes se trouvant dans des

situations essentiellement semblables soient juridiquement traitées de façon identique et les

personnes se trouvant dans des situations essentiellement dissemblables soient traitées de

façon différente »821. Donc, l’égalité ne signifie pas l’identité de traitement puisqu’un

traitement identique appliqué à des individus se trouvant dans des situations différentes

relève de l’arbitraire. En revanche, un traitement différent appliqué à des situations

différentes découle du principe de l’égalité. Les juges français de la rue Montpensier l’ont

d’ailleurs rappelé en des termes similaires dans une décision rendue sur le principe

d’égalité en 2015 : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de

façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons

d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en

résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »822. Cette formulation que

l’on retrouve dans la majorité des motifs qui fondent les décisions rendues par le Conseil

819 Le juge constitutionnel fédéral allemand définit l’arbitraire comme « l’inadéquation objective et

manifeste de la mesure légale à la situation de fait qu’elle doit maîtriser », BVerfGE, 7 mai 1953, 2, 266 (281). Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, op. cit., p. 136.

820 Dans cette décision qui survient à propos de la restructuration des Länder du Sud-ouest, le juge précisait ceci : « Le principe d’égalité est violé lorsqu’on ne peut trouver, à la base d’une différence ou d’une égalité de traitement légale, une justification raisonnable, résultant de la nature des choses ou d’une quelconque raison objectivement plausible (sachlich einleuchtender Grund), bref, lorsque la disposition doit être considérée comme arbitraire ». BVerfGE, 30 mars 1952, 1, 14 (52). Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, op. cit., p. 130.

821 Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, op. cit., p. 132. 822 C.C., décision n°2014-447 Q.P.C. du 6 février 2015, Époux R. (effets du plan de redressement judiciaire

à l’égard des cautions).

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283

constitutionnel français saisi823, pour statuer sur les violations du principe constitutionnel

d’égalité, devient incontournable.

422. En définitive, le principe d’égalité reconnu par l’ensemble des constituants connaît

une interprétation sensiblement variable d’une jurisprudence constitutionnelle à une autre.

Néanmoins, l’ensemble des juridictions constitutionnelles s’accorde sur le fait que toute

discrimination n’est légale que si elle est objectivement justifiée. En d’autres termes, la

dérogation au principe de l’égalité doit découler de la nature des choses. Aussi, la

justification ne sera objective qu’au regard du contenu matériel de la mesure légale. Pour

ce qui concerne l’application du principe d’égalité vis-à-vis de la liberté d’opinion, il ne

pourra y être légalement porté atteinte qu’au regard des circonstances, dont le caractère

objectif de la preuve relève de l’appréciation discrétionnaire de l’autorité de police

administrative.

B. LE PRINCIPE D’EGALITE AU PRISME DU POUVOIR DISCRETIONNAIRE DE L’AUTORITE DE POLICE ADMINISTRATIVE

423. L’idée d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration ne semble pas compatible

avec les principes de l’État de droit. Toute action de la puissance publique doit s’appuyer

sur des permissions normatives qui découlent des règles de droit auxquelles elle est

soumise. Or, tout pouvoir discrétionnaire renvoie à une marge d’appréciation de l’autorité

étatique, marge grâce à laquelle elle peut prendre un ensemble de mesures jugées utiles et

opportunes824 au regard des situations de fait. Martin BULLINGER disait du pouvoir

discrétionnaire de l’administration qu’il tendait à devenir un corps étranger dans l’État de

823 Cf. entre autres décisions : C.C., décision n° 2014-401 Q.P.C. du 13 juin 2014, M. David V. (Recours au

contrat de travail à durée déterminée et exclusion de l’indemnité du versement de fin de contrat). Voir Jean MOULY, « L’indemnité de fin de contrat à l’épreuve du principe d’égalité », Droit social, n°7/8, juillet-août 2014, pp. 682-684 ; Dirk BAUGARD, « Les différences établies par la loi en matière d’indemnité de précarité ne méconnaissent pas le principe d’égalité », Constitutions, n°2014-3, juillet-septembre 2014, pp. 374-379 ; C.C., décision n° 2014-422 Q.P.C. du 17 octobre 2014, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-Taxis ; C.C., décision n°2010-93 Q.P.C. du 4 février 2011, Comité Arkis et Vérité (Allocation de reconnaissance).

824 Maurice HAURIOU fait correspondre le pouvoir discrétionnaire de l’administration à la « zone de l’opportunité », Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p. 351.

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284

droit idéal825. Le pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative s’oppose alors à la

compétence liée826. Lato sensu, cette marge d’appréciation est laissée à l’administration

lorsque son comportement ne peut être ni déterminé pleinement par avance en vertu d’une

loi, ni contrôlé entièrement par le juge827. Pourtant, il est nécessaire à la survie de l’État car

la loi ne peut pas tout régler et tout prévoir. Le risque en l’absence de tout pouvoir

discrétionnaire accordé à l’administration serait l’immobilisme de l’action étatique,

laquelle action est pourtant attendue lorsque l’ordre public sécuritaire est fragilisé.

424. Si c’est au législateur de fixer les grandes lignes qui encadrent l’exercice de la

liberté d’opinion, c’est en revanche aux autorités administratives d’apprécier l’opportunité

de le restreindre en cas de risques d’atteinte à l’ordre public sécuritaire. Des cas généraux

qui constituent l’objet de la compétence du législateur, l’on en vient aux cas particuliers

que l’autorité administrative apprécie discrétionnairement selon l’opportunité. Ces

circonstances imposent au législateur d’en confier la responsabilité de la gestion à

l’autorité administrative sur la base des conditions qu’il dégage. Jean RIVERO disait que

le pouvoir discrétionnaire ne s’oppose pas au principe de légalité puisque : « c’est la loi qui

énumère un ensemble de conditions et qui de façon résiduelle donne mission à l’autorité de

police administrative de décider dans un certain sens en prenant toute mesure utile qui

relève de l’appréciation de l’opportunité »828.

425. Parce qu’il dispose d’un tel pouvoir, le contrôle du juge administratif est un

contrôle de légalité qui ne va pas au-delà de la loi. Il peut alors être qualifié de contrôle

minimal sauf en cas notamment d’erreur manifeste d’appréciation829 bien que ce contrôle

825 Martin BULLINGER, « Le pouvoir discrétionnaire de l’administration en République fédérale

d’Allemagne (évolution, fonctions, contrôle par les tribunaux)», Revue Française de Droit Administratif, 4 (3), mai- juin 1988, pp. 439-451, spéc. p. 443.

826 « Il y a compétence liée quand la règle de droit impose aux agents la décision qui découle pour eux de la réunion des conditions qu’elle définit ; il y a pouvoir discrétionnaire dans la mesure où elle leur laisse une certaine liberté d’appréciation dans l’exercice de leur compétence ». Jean RIVERO, Droit administratif (Préface de Jean WALINE), Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2011, p. 68.

827 Martin BULLINGER, « Le pouvoir discrétionnaire de l’administration en République fédérale d’Allemagne (évolution, fonctions, contrôle par les tribunaux)», op. cit., pp. 439-440.

828 Jean RIVERO, Droit administratif, op. cit., pp. 68- 70. 829 L’erreur manifeste d’appréciation est, selon le juge administratif français, une « erreur évidente,

invoquée par les parties, reconnue par les juges et qui ne fait aucun doute pour un esprit éclairé ». Cf. C.E. Sect., 13 novembre 1970, Lambert, Rec. 665 ; A.J. 1971.33, Chron. Labetoulle et Cabanes. Elle se définit comme un comportement de l’administration sanctionné par le juge administratif « au titre du

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285

soit peu courant en Afrique subsaharienne francophone830, ou en cas de contrôle de

proportionnalité. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose l’administration lui donne la

liberté de choisir la meilleure solution qui demeurera légale. Vu sous cet angle, ainsi que

l’a remarqué Charles EISENMANN, « le pouvoir discrétionnaire aurait quelque chose d’un

peu singulier, de mystérieux ; ce serait un phénomène assez troublant, assez inquiétant »831.

426. La théorie du pouvoir discrétionnaire a été développée en droit administratif.

L’évolution du droit des libertés publiques et la consécration constitutionnelle des droits

fondamentaux ont progressivement déplacé la théorie administrative dans le champ

constitutionnel. L’idée nouvelle dans ce glissement est la confrontation entre la liberté

d’agir de l’administration, en raison de son pouvoir discrétionnaire au regard des exigences

de l’ordre public sécuritaire, et la liberté d’agir de l’individu au nom de son droit subjectif.

À cette problématique, s’ajoute le respect du principe d’égalité des individus dans

l’exercice de leur liberté d’opinion.

427. Le pouvoir discrétionnaire de l’autorité de police administrative peut se définir

comme un pouvoir d’appréciation en vertu duquel elle peut, en toute liberté, prendre une

mesure parmi une série de dispositions légales au regard d’une situation de fait. Olivier

JOUANJAN fait reposer la théorie allemande du pouvoir discrétionnaire sur la distinction

entre le pouvoir d’appréciation stricto sensu et la latitude de jugement qui peut

éventuellement exister à l’occasion de l’application d’un concept juridique indéterminé832.

Sauf que le principe d’égalité est une norme constitutionnelle, et la liberté d’opinion, un

droit fondamental. Ce sont ces normes constitutionnelles obligatoires qui s’imposent aux

autorités étatiques, législatives et administratives. L’obligation constitutionnelle du respect

de ces normes s’amenuise dès lors qu’elles sont confrontées au maintien de l’ordre public

sécuritaire. Et le maintien de cet ordre public est la finalité de l’action de l’autorité de

police administrative. De plus, s’il y a un domaine dans lequel le pouvoir d’appréciation de

contrôle des motifs dans le cadre de son contrôle minimum de ceux-ci ». Cf. Vocabulaire juridique, op. cit., voir Erreur, pp. 412-413, spéc. p. 413.

830 Babacar KANTÉ, « Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en Afrique », op. cit., p. 273.

831 Charles EISENMANN, Cours de droit administratif, Tome II, L.G.D.J.- lextenso éditions, Coll. « Anthologie du droit », Issy-les-Moulineaux, 2014, p. 289.

832 Olivier JOUANJAN, Le principe d’égalité devant la loi en droit public allemand, op. cit., p. 333.

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286

l’autorité administrative relève de son pouvoir discrétionnaire, c’est bien celui de l’ordre

public sécuritaire. C’est donc en vertu de son pouvoir discrétionnaire que l’autorité de

police administrative peut prendre des mesures légales pour restreindre l’exercice de la

liberté d’opinion. Ces mesures légales de restriction peuvent aller de l’interdiction d’une

marche, d’une manifestation, de sanctions d’organes de presses, pour des actes susceptibles

de porter atteinte à l’honneur et à la considération des personnes ou susceptibles de

troubler l’ordre public sécuritaire. Par contre, ces mesures préventives servent dans bien

des hypothèses à satisfaire aux intérêts politiques de l’autorité exécutive. C’est également

parce que la confusion est vite faite entre le but objectif de la norme de police

administrative et ce que visent effectivement les auteurs de l’acte que Charles

EISENMANN opère une distinction entre l’intention de l’auteur de l’acte et le but de

l’acte. La notion d’intention renvoie à une approche subjective alors que le but de l’acte

renvoie à une acception faussement objective833.

428. Le prétexte de l’appréciation discrétionnaire reconnu par le législateur à l’autorité

de police administrative conduit à une tentation toujours plus grande du détournement de

pouvoir en la matière, dans la mesure où l’autorité administrative peut utiliser son pouvoir

d’appréciation pour un but autre que celui que lui a légalement conféré le législateur.

L’exemple sénégalais dans l’affaire de l’arrestation puis de l’expulsion de la journaliste

française Sophie Malibeaux, correspondante de Radio France International à Dakar, en

2003 est parlant. Comme l’a relaté Mouhamadou Mounirou SY, « Officiellement, les

autorités ont évoqué “une nécessité d’ordre public”, l’accusant d’avoir traité de façon

« tendancieuse » la question délicate de la rébellion casamançaise et, ce faisant,

“ d’ingérence grave dans les affaires intérieures du Sénégal ” et de “tentative de sabotage ”

contre le processus de paix » 834. Si la liberté de la presse est une conséquence de la liberté

d’expression des opinions, c’est indirectement la liberté d’opinion de cette journaliste qui a

été atteinte alors qu’elle bénéficie en théorie au même titre que d’autres journalistes

présents sur le sol sénégalais, du droit à l’exercice de la liberté d’opinion.

833 Charles EISENMANN, Cours de droit administratif, Tome II, L.G.D.J.- lextenso éditions, Coll.

« Anthologie du droit », Issy-les-Moulineaux, 2014, p. 274 et s. 834 Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique :

l’exemple du Sénégal, op. cit., p. 299.

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287

429. De même que la liberté d’opinion constitue le fondement de l’État de droit

démocratique, de même son expression peut avoir un véritable impact sur la vie politique

de l’État. Elle peut concurrencer, constituer une défiance, voire un « contre-pouvoir » entre

les mains des individus vis-à-vis du pouvoir politique. Et même sous cet angle, l’exercice

de la liberté d’opinion est libre au même titre que ces opinions qui trouvent grâce aux yeux

du pouvoir politique et qui lui sont favorables.

430. Le principe d’égalité dont il est question concerne tant les opinions que les

individus eux-mêmes. Aucune opinion ne saurait inquiéter ou créer un quelconque

avantage pour son auteur. Toutes les opinions que protègent la loi sont égales et les

individus le sont également dans les diverses formes d’expression qu’elles peuvent

recouvrir. Le pouvoir discrétionnaire de l’autorité de police administrative ne saurait alors

déroger au principe d’égalité au motif du maintien de l’ordre public sécuritaire en la

matière. Il ne saurait devenir la justification de l’arbitraire de l’État. Un tel usage de son

pouvoir discrétionnaire pourrait s’assimiler à une voie de fait et faire l’objet d’un recours

devant le juge judiciaire pour être sanctionné. La voie de fait pouvant s’apprécier comme

une opération illégale de l’administration portant gravement atteinte à un droit

fondamental. Le principe d’égalité assure à la liberté d’opinion un exercice indépendant de

toute pression politique ou sociale. Dans le cadre spécifique de la liberté d’opinion

religieuse, il permet, en vertu du principe de laïcité, d’assurer l’égalité des confessions

religieuses.

§ 2. LE RESPECT DU PRINCIPE DE LAÏCITE DANS L’ENCADREMENT DE LA LIBERTE D’OPINION RELIGIEUSE

431. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. (…). Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de (…) religion »835.

« La République du Bénin est une et indivisible, laïque et démocratique. (…) »836. « La

République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction (…) de religion »837. « La République 835 Art. 1er, al. 1, Const. française, 1958. 836 Art. 2, Const. béninoise, 1990. 837 Art. 30, al. 1 et 2, Const. ivoirienne, 2000.

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288

du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de (…) religion. Elle respecte toutes les croyances »838. Cet

empilement d’articles de textes constitutionnels illustre bien la familiarité du principe de

laïcité dans les États étudiés. À la fois garantie et limite de la liberté d’opinion

religieuse839, il inclut l’interdiction de privilégier ou de discriminer en raison de la religion

et le respect des croyances. Ce principe qui sent la poudre840, est bien plus complexe que

ces conclusions primaires. Non seulement, sa signification (A), mais aussi son application

contextuelle (B) donnent d’appréhender la difficulté de la notion.

A. LA SIGNIFICATION CONSTITUTIONNELLE DU PRINCIPE DE LAÏCITE

432. Georges VEDEL fait correspondre la laïcité à « l’affirmation que l’État considère la

croyance ou l’incroyance religieuse comme affaire privée »841. Alors, si l’État reconnaît et

respecte la vie privée, il assure par ricochet le respect de toutes les croyances (2) au nom de

sa neutralité religieuse (1).

1. La neutralité religieuse de l’État

433. La neutralité à l’égard des religions n’est pas l’ignorance de leur existence842. Ce

principe a connu une évolution, surtout ces dernières années, en raison des changements

survenus dans le paysage religieux, mais aussi en raison des nouvelles réalités sociétales.

De ce fait, la neutralité telle qu’elle a été affirmée, notamment en France en 1905 dans sa

forme stricte (a) doit aujourd’hui s’adapter au nouveau visage de la société influencée par

les nouvelles exigences religieuses (b).

838 Art. 1er, al. 1, Const. sénégalaise, 2001. 839 Pierre LANGERON, Liberté de conscience des agents publics et laïcité (Préface de Charles

DEBBASCH), Economica-P.U.A.M., Coll. « Science et droit administratifs », Aix-Marseille, 1986, pp. 98 et s.et pp. 185 et s.

840 Jean RIVERO, « La notion juridique de laïcité », in La laïcité, tome 48, Dalloz, Coll. « Archives de philosophie du droit », Paris, 2005, pp. 257-264, spéc. p. 257.

841Georges VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel (Réédition présentée par Guy CARCASSONNE et Olivier DUHAMEL), Dalloz, Paris, 2002, p. 318.

842 Olivier SCHRAMECK, « Laïcité, neutralité et pluralisme », in Mélanges en l’honneur de Jacques Robert, op. cit., pp. 195-205, spéc. p. 195.

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a. La neutralité religieuse au sens strict

434. La laïcité de l’État en tant que principe de droit constitutionnel interdit toute

doctrine justifiant la religion d’État, c’est-à-dire que l’État fonderait son organisation et

son fonctionnement autour de principes religieux. En effet, l’État ne saurait faire acte de

croyance à l’égard d’une divinité quelconque. Jean RIVERO dit de la neutralité religieuse

de l’État qu’elle est « une limitation volontaire de compétences dans le domaine

métaphysique, qu’il abandonne à la libre recherche des consciences »843. L’État doit

respecter toutes les religions, leur venir en aide au besoin mais ne doit en privilégier

aucune844. En tant que tel, le terme de neutralité renvoie à une idée d’abstention de prendre

parti dans un débat, une discussion, un conflit opposant des thèses, ou des positions

divergentes.

435. La notion de neutralité signifie par ailleurs que l’État s’abstient de prendre position

en faveur ou en défaveur de telle ou telle position religieuse ou philosophique, si tant est

qu’il s’agit des deux faces d’une même pièce. L’État ne reconnaît donc aucune religion. Ce

sacrosaint principe en France ne vise pas qu’une interdiction d’agir de l’État dans les

affaires religieuses. Il s’adresse aussi aux institutions religieuses dans la mesure où il leur

interdit également d’interférer dans l’action du pouvoir politique. Clément BENELBAZ a

ainsi pu dire que « (…) la neutralité politique des Églises s’impose, de la même façon que

celle confessionnelle du pouvoir politique »845. Ainsi, il est clair que les autorités politiques

ou religieuses dans un État laïc ne doivent aucunement intervenir dans le choix des

dirigeants des institutions. Non seulement, le principe de laïcité place les fonctionnaires et

agents publics dans une situation de neutralité dans l’exercice de leurs missions, mais aussi

les usagers dans une situation de neutralité devant les services publics846. La neutralité ne

doit toutefois pas être entendue d’un point de vue exclusivement négatif puisqu’elle oblige

également l’État à agir pour assurer aux croyants la possibilité d’exprimer leurs fois par

des rites et des cultes en toute liberté. En effet, la liberté de culte qui est le corollaire de la 843 Jean RIVERO, « La notion juridique de laïcité », op.cit., p. 259. 844 Guy CARCASSONNE et Marc GUILLAUME (introduite et commentée par), La Constitution (Préface

de Gorges VEDEL), op. cit., p. 45. 845 Clément BENELBAZ, Le principe de laïcité en droit public français, Thèse pour le doctorat en droit,

dactyl., Université de Bordeaux, 2009, p. 287. 846 Voir supra. Première partie, Chapitre II, Section I, §2, A.

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290

liberté d’opinion religieuse, puisqu’elle est l’expression collective de la croyance à laquelle

adhèrent les individus, ne trouverait réalisation sans l’intervention étatique. L’État a donc

l’obligation d’intervenir afin d’offrir un cadre adéquat à la liberté de culte. La question est

de savoir le degré d’intervention de l’autorité étatique ?

b. La neutralité religieuse de l’État face à l’émergence d’une société pluri-religieuse

436. Jacques ROBERT résumait parfaitement la problématique que soulevait la pression,

soit de nouveaux mouvements religieux, soit d’anciennes confessions renaissantes, soit de

groupes sectaires ou scissionnistes qui radicaliseraient leur doctrine847. Doit-on aujourd’hui

assister à une réflexion nouvelle autour du principe de laïcité de l’État ? Les derniers

évènements liés aux atteintes parfois violentes faites à la liberté d’expression en France, en

Allemagne et en Afrique848 doivent conduire à une prise de conscience de l’État dans la

distance de l’action qu’il établit vis-à-vis du domaine de la religion. Son intervention

positive doit se faire au nom de l’ordre public sécuritaire et en fonction de l’évolution des

faits sociaux849.

437. Le principe de neutralité a montré ses limites. Il doit désormais se renouveler pour

s’adapter. Il ne saurait demeurer un principe figé. D’ailleurs, les attentats terroristes

perpétrés en France entre le 7 et le 9 janvier 2015, et qui ont visé principalement le

personnel du journal satirique Charlie Hebdo850, a conduit à une profonde réflexion sur le

rôle de l’État dans la formation du personnel religieux, ce personnel étant un acteur social

incontournable851. Lors du lancement de la réforme dite de la représentation des

847 Jacques ROBERT, « La liberté religieuse », Revue Internationale de Droit Comparé, op.cit., p. 631. 848 Le groupe Boko Haram en Afrique de l’Ouest sévit dans bon nombre d’États. L’objectif visé est de

contraindre les populations à ne professer qu’une seule foi, celle d’un islam radical, régi par les règles juridiques de la Charia.

849 Le parlement français a d’ailleurs adopté une résolution le 11 mai 2010 sur le fondement de l’article 34-1 de la Constitution, relative à l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte. Voir Ass. nat., XIIIe législature, T.A. n°459, 11 mai 2010.

850 Cet attentat terroriste fut le plus meurtrier qu’ait connu la France depuis 1961. Les auteurs, issus de la mouvance radicale de l’Islam entendaient ainsi venger le prophète Mahomet, estimant que leur prophète avait été outragé par les caricatures du journal satirique en une de ses parutions hebdomadaires.

851Olivier SCHRAMECK, « Laïcité, neutralité et pluralisme », in Mélanges en l’honneur de Jacques Robert : Libertés, Montchrestien, Paris, 1998, pp. 195-205, spéc. p. 200.

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291

musulmans et de la formation des imams en France, l’objectif affiché a été celui de la

formation des personnels religieux, avec en leur sein les imams, à la place de la religion

dans l’État laïc, comme l’a très tôt compris l’Allemagne à quelques différences près. Bien

que l’opinion publique ait vu dans cette attaque terroriste contre le journal satirique, une

atteinte à la liberté d’expression852, c’est bien avant tout parce que les caricaturistes ont,

par le biais de leurs dessins, manifesté une forme d’incroyance- ce qui relève aussi de leur

liberté d’opinion religieuse- qu’ils ont été assassinés. La 11ème chambre du Tribunal

correctionnel de Paris a défini la caricature comme « un portrait qui s’affranchit du bon

goût pour remplir une fonction parodique ». Cette forme d’exercice de la liberté

d’expression, poursuit la chambre, bien que provocante « participe à ce titre à la liberté

d’expression et de communication des pensées et des opinions »853. Les portraits

« grossiers » du prophète Mahomet qu’ont dessiné les caricaturistes étaient l’expression de

leur liberté d’opinion. C’est donc à la liberté d’opinion qu’il a directement été porté

atteinte lors de ces attentats de janvier 2015 à Paris.

438. L’État dans ce contexte ne saurait continuer à marquer une distance vis-à-vis de la

formation du personnel religieux au nom du principe de neutralité religieuse. Ceux qui sont

formés ont vocation à diffuser leur savoir auprès des croyants et de ceux qui se

convertissent ou s’identifient à leurs philosophies religieuses. Pour éviter que la diffusion

de ce savoir religieux n’échappe à la vigilance de l’État, au risque d’exposer l’ordre public

sécuritaire à d’importants troubles éventuels, c’est encore à l’État d’agir pour éviter que

tout enseignement religieux n’endoctrine les consciences et conduise à une radicalisation

d’une partie des croyants comme des non croyants. Les implications du principe de laïcité

doivent faire partie de la formation des religieux, qu’il s’agisse des religieux musulmans ou

ceux de toute autre religion. Car, il aura suffisamment été démontré, suite à ces

évènements, les ravages d’une radicalisation des croyants sur le maintien de l’ordre public

sécuritaire. Il faut préciser que dans le cadre de la liberté d’opinion religieuse, les

croyances s’enracinent progressivement pour devenir des convictions. Et comme il a déjà

852 Nous en voulons pour preuve les nombreuses marches organisées sur l’ensemble du territoire français et

à travers le monde qui revendiquaient le droit à la libre expression avec pour credo « Je suis Charlie ». 853 T.G.I. Paris, Ch. correctionnelle, 22 mars 2007, L’affaire des « Caricatures de Mahomet » : Liberté de

caricature et respect des croyances, note Emmanuel Durieux, J.C.P, 2007, II, 10, 079.

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292

été souligné, une conviction n’est pas un jugement de valeur. Il s’agit d’une idée ayant un

caractère fondamental pour celui qui la défend. C’est bien là toute la difficulté de la liberté

d’opinion religieuse puisqu’en tant que conviction, elle peut représenter un danger pour la

cohésion sociale.

439. Aussi, l’action du pouvoir étatique doit se traduire en une forme de contrôle exercé

par le Ministère de l’intérieur en charge des cultes et de la sécurité nationale, afin d’assurer

la concordance des principes religieux avec les principes républicains. Il ne s’agit pas pour

l’État de s’ériger en juge de la légitimité des croyances religieuses, mais d’éviter que

certaines croyances incompatibles avec les valeurs républicaines n’acquièrent une certaine

légitimité aux yeux des croyants.

440. De plus, le paysage religieux de 1905 en France, lors de l’adoption de la loi de

séparation des Églises et de l’État, n’est plus le même. Et ce constat vaut pour les autres

États africains qui ont toujours affirmé le principe constitutionnel de laïcité. L’intervention

étatique ne saurait alors constituer une violation du principe de neutralité, puisqu’ainsi que

le reconnaît la doctrine allemande de droit public, l’État ne doit pas être dans une neutralité

complète. Il est de la responsabilité de l’État de prendre l’ensemble des mesures destinées

à favoriser l’intégration au sein de la collectivité publique de tous les individus quelque

soit leur religion et même de tous les groupes confessionnels. Chaque individu résidant sur

le territoire de la République doit avoir la possibilité de s’identifier à l’État.

2. Le respect des croyances

441. La responsabilité de l’État dans son obligation de respecter et de faire respecter

toutes les croyances peut sembler paradoxale. En effet, cette obligation de respect implique

dans un État laïc que la critique de la religion tout comme les outrages, les dérisions à

l’endroit des divinités, des dogmes et des insignes religieux ne soient point sanctionnés.

Ces expressions sont au contraire admises au nom de la liberté de croyance, laquelle liberté

s’adresse également aux incroyants. Ainsi que l’a rappelé la Cour européenne des droits de

l’homme, la liberté d’expression vaut également pour « les idées qui heurtent, choquent ou

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293

inquiètent tout ou partie de la population »854. Sauf qu’aujourd’hui, l’hypersensibilité des

uns de même que la peur de choquer des autres855 posent avec une acuité certaine la

problématique des rapports entre le respect des croyances dans un État laïc et le droit à

l’humour.

442. Le respect des croyances ne s’oppose pas au droit à l’humour, à l’ironie, à

l’impertinence dont jouissent les caricaturistes, les écrivains et les humoristes. Ces

professionnels de la communication manient ces formes d’expression « pour se moquer des

puissants et faire passer leurs opinions »856. Ce droit à l’humour ne s’oppose pas à

l’impertinence des caricatures, des écrits, des propos visant les dogmes ou divinités d’une

religion déterminée. En admettant ces formes d’expression de l’opinion, l’État renonce à

s’ériger en canal de propagande d’une foi. Qu’il s’agisse du croyant ou de l’incroyant, tous

sont placés dans une situation d’égalité.

443. Toutefois, l’humoriste ne peut pas tout se permettre au nom de son droit à

l’humour. L’ironie et la caricature, vecteurs d’expression de ses opinions, sont soumises

aux limites prévues par le législateur pénal. L’humour pouvant porter atteinte à l’honneur

et à la considération d’une personne, son auteur peut être poursuivi pour diffamation.

Quant aux croyants, l’expression de leurs croyances est libre tant qu’elle ne trouble pas

l’ordre public sécuritaire. Ainsi, cette liberté des uns et des autres est limitée par les

législations nationales. Les textes législatifs des différents États punissent de façon

unanime l’injure857. Toutefois, ce n’est pas parce qu’une critique heurte la sensibilité de

certains croyants qu’elle constitue une injure à une communauté de croyants et sanctionnée

par la loi pénale. Le T.G.I. de Paris en France a reconnu en 2007 à cet effet que la liberté

d’expression concerne les « informations et idées accueillies avec faveur ou considérées

comme inoffensives ou indifférentes dans une société déterminée ». De plus, poursuit la

854 C.E.D.H., 7 décembre 1976, Handyside c./ Royaume-Uni. Note de Basile ADER, Humour et liberté

d’expression : aperçus jurisprudentiels, Legipresse, n° 108, II, p.1 855 Guy CARCASSONNE regrettait déjà en 2012 que « le droit de dire ce que je veux » ne soit plus d’usage

fréquent tant « se sont hypertrophiées la sensibilité des uns, la peur de choquer des autres et Coluche ou Pierre Desproges provoqueraient de nos jours un scandale pour des propos qui, hier, nous faisaient tant rire ». « Les interdits de la liberté d’expression », Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel. Dossier : La liberté d’expression et de communication, Dalloz, n° 36, 2012, pp. 55-65, spéc. p. 55.

856 Bertrand de LAMY, La liberté d’opinion et le droit pénal, op. cit., p. 203. 857 Voir supra. Première partie, Chapitre II, Section I, § 2, B, 2.

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17ème chambre correctionnelle dudit tribunal, « dans une société laïque et pluraliste, le

respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles

qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération

religieuse »858. Et, la liberté de critiquer les religions permet ici de mettre en lumière la

distinction entre l’injure et le blasphème.

444. Le blasphème peut être défini comme un discours jugé irrévérencieux, voire

insultant à l’égard de ce qui est sacré pour les croyants, qu’il s’agisse des divinités, des

dogmes ou encore des rites. Les grandes religions monothéistes condamnent le

blasphème859. À l’inverse, dans une démocratie, la proclamation constitutionnelle du

principe de laïcité exclut du champ de compétences de l’État, la définition et la sanction du

blasphème. Pour l’État, il n’y a de sacré que les principes républicains. Aussi, en raison de

la séparation de l’État et des religions, le blasphème, s’il constitue une faute religieuse, ne

saurait avoir d’assise légale. Il n’est pas du rôle de l’État de se mêler de la sensibilité des

uns et des autres en rejetant ou en soutenant telle ou telle manifestation religieuse, telle ou

telle critique ou dérision à l’égard de la religion. Cette conclusion vaut en France depuis

l’adoption de la loi de 1905. En Afrique subsaharienne francophone, bien que le blasphème

ne soit pas expressément condamné par les lois nationales, il existe une révérence

populaire vis-à-vis du sacré, du moins dans l’espace public. Le constat est différent en

Allemagne.

445. Pour rappel, l’Allemagne est un État multiconfessionnel. L’État y assure la

promotion des religions en les reconnaissant. Par suite, la protection de ces religions passe

également aux yeux du législateur pénal par la condamnation du blasphème. Le Code pénal

858 T.G.I. Paris, 17ème Ch. correctionnelle, 22 mars 2007, Sté des Habous et des lieux saints de l’Islam et a.

c./ Philippe Val et Sté Éditions Rotative, Gazette du Palais, 24 mars 2007, n°83, pp. 21-28, spéc. p. 26. 859 Qu’il s’agisse de la Bible, de la Torah ou du Coran, ces trois textes sacrés, pour les croyants

monothéistes, condamnent souvent à la peine de mort toute personne qui aura été accusée de blasphème Pour illustrer nos propos, dans la Bible, le livre de Lévitique dans son chapitre 24, du verset 13 à 16 dit : « L’Éternel dit à Moïse : « Fais sortir le blasphémateur du camp. Tous ceux qui l’ont entendu poseront leurs mains sur sa tête et toute l’assemblée le lapidera. Celui qui maudit Dieu supportera les conséquences de son péché. Celui qui blasphémera le nom de l’Éternel sera puni de mort. Toute l’assemblée le lapidera. Qu’il soit étranger ou israélite, il mourra pour avoir blasphémé le nom de Dieu ». L’exégèse talmudique interdit de maudire Dieu parce qu’il est l’autorité suprême, le chef du peuple juif (Exode Chapitre 22, verset 27). Dans le Coran, la Sourate 33, verset 37 annonce que : « Oui, ceux qui offensent (ou parlent méchamment) Allah et son messager, Allah les a maudits en ce monde et dans l’au-delà et il leur a préparé une punition dégradante ».

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295

allemand punit en son article 166, le blasphème de trois ans de prison si cette irrévérence

entraîne un trouble à la paix civile860. Bien que cet article ne soit plus appliqué aujourd’hui,

il n’empêche que son maintien entraîne un effet dissuasif dans une société allemande.

446. Pour une partie de la doctrine, dans un État laïc, «le Droit n’est pas tenu de

s’adapter aux systèmes religieux ou aux croyances religieuses ; ce serait plutôt aux

religions de se plier au Droit, aux groupements de ne pas violer la loi, aux individus dans

l’exercice de leurs libertés, de retenir la philosophie inhérente à l’article 7 de la Déclaration

des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : “ Tout citoyen appelé ou saisi en vertu de

la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance” »861. Le problème au vu

des menaces accrues pesant sur l’ordre public sécuritaire est ailleurs. L’objectif des libertés

intellectuelles telles que la liberté d’opinion et son corollaire, la liberté d’expression, est de

contribuer au progrès social grâce à l’éveil des consciences qu’elles suscitent. En principe,

la liberté de croyance tout comme la liberté d’expression, est une liberté fondamentale et

les deux libertés se valent. L’une n’appelle pas plus de protection que l’autre, du moins en

démocratie. Toutefois, la liberté de croyance touche à l’intimité de l’individu dans ce qu’il

a de plus intime en lui. Aussi, les réactions de sensibilité ou de susceptibilité faites face aux

critiques ou dérisions du sacré en matière religieuse peuvent parfois être violentes et mettre

à mal l’ordre public sécuritaire. Quelle action appropriée doit-être celle de l’État pour

continuer à concilier chacune des libertés, dans leur exercice, avec l’ordre public

sécuritaire?

447. Ces libertés doivent être exercées en tenant compte du profit que la collectivité

toute entière peut en attendre862. Toute liberté repose sur la responsabilité. D’ailleurs, la

Cour européenne des droits de l’Homme l’a reconnu en affirmant que celui qui use de la

liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités. Parmi eux, « dans le

contexte des opinions et des croyances religieuses, la liberté d’expression peut

860 Article 166 du Code pénal allemand de 1871 : « Quiconque aura causé un scandale en proférant

publiquement des blasphèmes contre Dieu, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une association religieuse de Droit public établie sur le territoire allemand, ou les institutions ou rites de ces cultes, ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes de caractère injurieux, sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus ».

861 Géneviève KOUBI, « Le “ bricolage religieux”, un outil pour repenser le rapport entre règles juridiques et croyances religieuses », Revue de la Recherche Juridique, n°1, 2005, pp. 435-465.

862 Georges BURDEAU, Les libertés publiques, 4ème éd., L.G.D.J., Paris, 1972, p. 7.

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296

légitimement être comprise comme une obligation d’éviter autant que faire se peut des

expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à

leurs droits et, qui dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de

favoriser le progrès dans les affaires du genre humain »863. Ainsi, il est dans l’intérêt des

uns et des autres que les citoyens s’impliquent dans le développement des consciences et la

préservation de l’ordre public sécuritaire. Les défenseurs de la liberté d’expression doivent

apprendre à contextualiser l’exercice de leur liberté. Il ne s’agit pas de se plier au religieux,

mais d’en tenir compte, surtout lorsque l’humour outrancier ne contribue nullement à

enrichir le débat public. L’humour vis-à-vis du sacré ne doit être pas être

intentionnellement offensant car ainsi il n’apporte plus grand chose au débat intellectuel864.

Cela devrait valoir tant pour les journalistes que pour les humoristes865, qui au nom de leur

liberté, peuvent tomber dans l’exagération, voire la provocation.

448. Les autorités religieuses et les croyants doivent également cultiver la tolérance, qui

est une valeur religieuse universelle vis-à-vis des incroyants et de leur possible irrévérence

à l’égard du sacré. Ainsi que l’a rappelé la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans

sa décision du 24 septembre 2003 relative au foulard islamique, la liberté de croyance

protège tant la forme négative que la forme positive de croyance866. Et c’est effectivement

le rôle de l’État de s’impliquer et d’impliquer les uns et les autres dans la préservation et le

respect des croyances, de la liberté et de l’ordre public sécuritaire. Car, au-delà de la

fixation du principe de laïcité entendu bien souvent comme neutralité, ce principe recouvre

863 C.E.D.H., 20 septembre 1994, Otto-Preminger-Institut c./ Autriche, req. 13470/87. 864 Jean MORANGE le précise si bien en ces termes : « On ne devrait s’exprimer qu’en tenant compte du

contexte, du respect de ses interlocuteurs. Une certaine auto-limitation et le respect d’une déontologie, même non officielle, sont indispensables à la préservation de la démocratie et des droits de l’homme ». La liberté d’expression, op. cit., p. 233.

865 Dans le domaine humoristique, le juge pénal français affirme que l’excès est la loi du genre. Il poursuit en affirmant qu’ : « il n’est pas excessif de revendiquer, et d’admettre à l’occasion, l’exercice d’un droit à l’irrespect et à l’insolence, notamment en matière politique, surtout dans les sociétés les plus démocratiques et les plus évoluées ; à toutes époques, le bouffon remplit une fonction sociale éminente et salutaire, qui s’exerce, par principe, légitimement, au détriment des puissants, des personnages publics, de ceux dont on parle et dont les idées sont connues ; il participe, à sa manière, à la défense des libertés ». Voir T.G.I. Paris, 17ème Ch. correctionnelle, 9 janvier 1992, Recueil Dalloz, 1994, p. 195.

866 BVerfGE, 24 septembre 2003, foulard islamique [Kopftuchentscheidung], analyse par Michel FROMONT, in Pierre BON et Didier MAUS (ss. la dir.), Les grandes décisions des cours constitutionnelles européennes, op. cit., p. 273.

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également l’idée de tolérance, de coexistence pacifique867. De plus, la confrontation des

diverses opinions et libertés au sein de l’État laïc doit être respectueuse de l’ordre public

sécuritaire868. Il s’agit de parvenir à un dialogue constructif entre les communautés

religieuses minoritaires et majoritaires, les défenseurs de la liberté d’expression et l’État869.

La construction de ce dialogue est primordiale puisque la place de la religion dans les États

continue d’être une source importante d’incompréhensions voire de conflits. En définitive,

au-delà des croyants et des incroyants, c’est l’ensemble de la collectivité qui doit faire

sienne cette célèbre formule de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites

mais je me battrai jusqu’à ma mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Le principe de

laïcité est parfaitement résumé dans cette idée de Jean RIVERO : « Tout doit être ici

dosage et équilibre »870. Si le paysage religieux et les nouvelles exigences sociétales

doivent faire évoluer le principe constitutionnel de laïcité dans les grandes démocraties

autant que dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, ce principe, dans son

application connaît en Afrique, une singularité qui influence sa conception juridique.

B. LE PRINCIPE DE LAÏCITE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE

449. Olivier ABEL écrit en parlant du terme de laïcité, que « personne ne parle vraiment

de la même chose, ni dans le même langage ni avec le même vécu (…) »871. La laïcité est

un terme bien complexe qui se rattache à une histoire et à une situation politique

particulière. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la France fait figure d’exception

puisqu’elle est le seul pays de l’Europe des vingt-cinq à consacrer constitutionnellement la

laïcité en tant que principe républicain. Il est alors peu surprenant de voir, en l’absence de

toute histoire qui aurait pu justifier l’adoption d’un principe de laïcité, que ce principe

inscrit dans les constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone connaisse

des fortunes diverses. L’une des raisons est celle de la relation métaphysique

867 Olivier ABEL, « Tolérance et laïcité », La laïcité, Tome 48, Dalloz, Coll. « Archives de philosophie du

droit », Paris, 2005, pp. 19-26. 868 Pierre CAYE et Dominique TERRÉ, « Le neutre à l’épreuve de la puissance. Les conditions

métaphysiques de la laïcité », La laïcité, op. cit., pp. 27-41, spéc. p. 34. 869 Clément BENELBAZ, Le principe de laïcité en droit public français, op. cit., p. 509. 870 Jean RIVERO, « La notion juridique de laïcité », Recueil Dalloz, 1949, Chron., pp. 137-140, spéc. p. 137 871 Olivier ABEL, « Tolérance et laïcité », op. cit., p. 19.

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qu’entretiennent tant les pouvoirs que les citoyens vis-à-vis du religieux. Doit-on alors

conclure à un principe lacunaire ou au contraire prétendre à une laïcité atypique ? La

singularité vient d’une conception constitutionnelle imprécise de la laïcité en Afrique

subsaharienne francophone (1). Par ailleurs, la loi est nécessairement élaborée pour régir

une situation donnée qui la précède. Aussi, en l’absence de « menaces sérieuses » pouvant

peser sur le principe de laïcité, le dispositif juridique de protection de la liberté d’opinion

est insuffisant, voire presqu’insignifiant (2).

1. Un principe constitutionnel aux contours indéterminés

450. Qu’il s’agisse du Bénin, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, les différents

constituants originaires de ces États inscrivent le principe de laïcité en tant que principe

d’organisation de leurs rapports avec les religions et les institutions qui en découlent872. Ce

principe existait déjà dans les premières constitutions qui ont matérialisé l’indépendance de

ces États nouvellement formés873. Les lois fondamentales qui suivirent les années 1990

n’ont tiré que des conséquences formelles de ce principe républicain. Tel est le cas du

Bénin qui oblige en ses articles 5 et 23 de la Constitution de 1990, les partis politiques et

les citoyens, dans l’exercice de leur culte et l’expression de leurs croyances, à respecter la

laïcité de l’État. En outre, le constituant béninois fait de ce principe constitutionnel un

principe intangible puisqu’il ne peut faire l’objet d’aucune révision874, tout comme l’a

précisé la Côte d’Ivoire dans sa Constitution de 2000875. Quant au constituant sénégalais de

2001, ce dernier ne s’y est guère attardé.

451. Toutefois, et c’est bien là que surgit le premier paradoxe, les institutions et

communautés religieuses prennent une place de choix dans l’éducation de la jeunesse et ce

sont les constituants eux-mêmes qui leur attribuent expressément cette fonction sociale876.

872 Art. 2, Const. Bénin, 1990 ; Art. 30, al. 1, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; Art. 1, Const. Sénégal, 2001. 873 Art. 2, Const. Bénin, 1960 : « La République du Dahomey est une et indivisible, laïque, démocratique et

sociale » ; art. 2, al. 1, Const. Côte d’Ivoire, 1960 : « La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale » ; art. 1er, al. 1, Const. Sénégal, 1963 : « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale ».

874 Art. 156, al.2, Const. Bénin, 1990. 875 Art. 127, al. 2, Const. Côte d’Ivoire, 2000. 876 Art. 14, Const. Bénin précitée. : « Les institutions et les communautés religieuses peuvent également

concourir à l‘éducation de la jeunesse. (…) » ; Art. 22, al. 3, Const. Sénégal précitée. : « Les

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Ce rôle peut se déployer à travers la création d’écoles privées confessionnelles qui peuvent

bénéficier de subventions de l’État dans les conditions déterminées par la loi877. Les

autorités et chefs religieux peuvent également être entendus par les autorités politiques à

titre consultatif pour la prise de décisions importantes en vue de la bonne marche de l’État

dont ils ont la gestion. Ainsi, les chefs des différentes communautés religieuses s’insèrent

dans le dispositif institutionnel. Le Président de la République du Sénégal Abdou Diouf,

gardien de la Constitution sénégalaise 878 du 1er janvier 1981 au 1er avril 2000879, exprimait

sa vision de la laïcité inscrite dans la Constitution sénégalaise de 1963, en ces termes : « La

laïcité peut être aussi une manifestation du respect d’autrui. Il s’agit, bien sûr, d’une laïcité

bien comprise et bien pratiquée. Cette laïcité ne saurait être antireligieuse : ce ne serait

d’ailleurs plus une véritable laïcité, ce serait comme, hélas, dans certains pays instituer

l’athéisme comme religion d’état. (…) un État laïc ne peut ignorer les institutions

religieuses. Dès lors que des citoyens embrassent une religion, il appartient à l’État de

faciliter la pratique de cette religion, comme d’ailleurs des autres activités vitales des

citoyens. Il appartient aussi à ceux qui gouvernent de s’informer pour décider et donc

d’écouter et de consulter les autorités religieuses. Et l’homme d’État qui ne le ferait pas ne

se conduirait pas en laïc mais en aveugle et sourd : pour être plus clair, il ne se conduirait

pas en homme d’État et il ne respecterait pas ses concitoyens. En revanche, chacun, quelle

que soit sa religion et la faveur dont elle jouit dans son pays, doit respecter celui qui ne

partage pas sa foi ou qui a choisi de l’exprimer autrement. Je dis bien “ respecter” car il ne

s’agit pas seulement de « tolérance », comme on le dit très souvent. Il ne s’agit pas

d’ignorer et d’excuser ou même d’admettre, mais de respecter la croyance d’autrui et son

expression. La laïcité est la conséquence de ce respect dû à autrui et la condition de

l’harmonie de notre société »880. Cette perception de l’ancien Chef d’État sénégalais n’est

pas surprenante quand on sait que dans une société à forte majorité musulmane au Sénégal,

institutions et les communautés religieuses ou non religieuses sont également reconnues comme moyens d’éducation ».

877 Art. 14, Const. Bénin, 1990. 878 Art. 36, Const. Sénégal, 1963. 879 C’est le temps qu’aura duré sa présidence à la tête de la République du Sénégal. 880 Nous avons pris le parti de reproduire presqu’intégralement cette allocution prononcée par le Président

Abdou DIOUF le 7 novembre 1984 à l’occasion de la rentrée solennelle des Cours et des Tribunaux. Cité par Doudou NDOYE, La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 commentée, op. cit., pp. 48-49.

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300

« l’islam est encadré par des confréries à l’influence traditionnellement importante, y

compris en matière politique »881. Il ne s’agit donc pas au vu de cet extrait pour les

autorités politiques d’être des intégristes de la laïcité. Une application stricte de la laïcité

en Afrique subsaharienne francophone n’est pas compatible avec la vision sacrée qu’ont

les populations africaines vis-à-vis de la religion, de son impact sur la vie des populations

et des autorités religieuses même. Autant dire que le principe de laïcité en Afrique

subsaharienne francophone est à l’opposé de la laïcité à la française.

452. Le deuxième paradoxe vient de l’implication des autorités politiques dans les

manifestations d’ordre religieux qui pour certaines d’entre elles semblent être des entorses

au principe de laïcité à la française. Ainsi, le Sénégal, bien qu’étant un État

constitutionnellement laïc, est membre de l’Organisation de la Conférence islamique882

même s’il ne s’agit pas d’une organisation strictement religieuse. L’appartenance à cette

organisation peut donner lieu à une interprétation restrictive selon laquelle elle est la

manifestation de la promotion de l’Islam par l’État. Cette interprétation s’oppose

radicalement au principe de neutralité, corollaire du principe de laïcité. En Côte d’Ivoire,

l’inscription du principe de laïcité dans la Constitution de 1960 n’a pas empêché la

construction en 1986 du plus grand édifice chrétien jamais réalisé au monde, la Basilique

Notre Dame de la paix de Yamoussoukro883. Cet édifice a été construit sous la Présidence

de Félix Houphouët-Boigny. Le peuple ivoirien dans son ensemble y voyait certes un acte

de piété exprimé par le Chef de l’État, mais aussi, un acte à valeur économique pour la

promotion du tourisme en Côte d’Ivoire. Cet édifice religieux demeure jusqu’à aujourd’hui

une fierté nationale plutôt qu’une violation du principe de neutralité de l’État. Quant au

Bénin, l’actuel Chef de l’État Yayi Boni devenu Thomas Yayi Boni depuis sa conversion

au mouvement évangélique, exerce également des fonctions de pasteur dans une église

évangélique de la Capitale, Cotonou. Celui que certains de ses détracteurs surnomment le

881 Christian COULON, Le marabout et le prince. Islam et pouvoir au Sénégal, A. Pedone, Paris, 1981, p.

32. 882 L’Organisation de la conférence islamique devenue l’Organisation de la coopération islamique « est le

porte voix du monde musulman dont elle assure la sauvegarde et la protection des intérêts dans l’esprit de promouvoir la paix internationale et l’harmonie entre les différents peuples du monde (…) ». Extrait de la présentation de l’Organisation sur son site officiel : www.oic-oci.org. Consulté le 21 mai 2015.

883 Cet édifice affecté au culte catholique romain a coûté près de 40 milliards de francs CFA, soit 122 millions d’euros, ce qui correspondait à l’époque à environ 6 % du budget annuel du pays.

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301

Président-pasteur organise régulièrement des séances de culte à domicile, c’est-à-dire à la

Résidence officielle du Chef de l’État884. En fait, l’inscription du principe de laïcité dans

les constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone est l’expression de

l’absence de négligence du fait religieux885 dans ces sociétés. Or, si le principe de laïcité

est inscrit au plus haut niveau normatif, il s’ensuit que les constitutions font obligation aux

gouvernants des États de se garder d’afficher leurs propres préférences religieuses et de ne

pas soutenir ceux qui les partagent.

453. Cet état de fait atypique contraste fortement avec le principe de laïcité

constitutionnellement affirmé depuis les indépendances dans ces États de l’Afrique

subsaharienne francophone. Le caractère bien curieux de ces pratiques qui montre combien

ces autorités politiques sont en « suffisante sympathie avec la religion »886 pourrait se

justifier en l’absence d’un dispositif juridique conséquent de protection du principe de

laïcité.

2. Les carences du dispositif juridique de protection du principe de laïcité

454. La quasi inexistence d’un dispositif juridique conséquent en Afrique subsaharienne

francophone ne se percevra qu’à la lumière de l’encadrement juridique du principe de

laïcité dans les grandes démocraties contemporaines. Ainsi, en France, l’article 10 de la

Déclaration des droits de l’Homme de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 de

même que l’article 2 de la Constitution de 1958 sont les fondements constitutionnels du

884 Un ancien Président de la République du Bénin, Mathieu Kérékou a également eu du mal à faire preuve

de neutralité religieuse tout au long de sa gouvernance. Ainsi que le rapporte Ibrahim SALAMI, « Le Président Kérékou, ancien marxiste converti au protestantisme, a certes le droit de pratiquer sa religion en privé. Mais dès qu’il intervient publiquement en tant que dépositaire de la plus haute autorité de l’État, le Président Kérékou est astreint à une obligation de réserve. Le chef de l’État béninois ne respecte pas cette obligation de réserve lorsqu’il demande à l’un de ses ministres devant l’Assemblée nationale ou en Conseil des ministres de lire un passage de la Bible, ou qu’il fustige publiquement certaines pratiques du catholicisme telles que le port de la croix, ou lorsqu’il s’engage à passer commande de bibles pour chaque famille béninoise ». La protection de l’état de droit par les cours constitutionnelles africaines. Analyse comparative des cas béninois, ivoirien, sénégalais et togolais, thèse pour le doctorat en droit, Université François Rabelais de Tours, dactyl., 2005, p. 245.

885 Momar Coumba DIOP et Mamadou DIOUF, « L’administration sénégalaise, les confréries religieuses et les paysanneries », in La construction de l’État au Sénégal, Karthala, Paris, 2002, p. 29-47. Cité par Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique…, op. cit., pp. 172-173.

886 Jean FOYER, « La genèse de la loi de séparation », La laïcité, op. cit., pp. 75-83, spéc. p. 75.

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302

principe de laïcité. Le législateur, dans le prolongement de ces fondements, a adopté un

ensemble de textes de loi qui participent de la compréhension du principe de laïcité aussi

bien dans l’espace public que dans les services publics. L’article 69 de la loi du 15 mars

1850 sur les établissements scolaires, l’article 1er de la loi du 12 juillet 1875, l’article 2 de

la loi du 28 mars 1882 sur l’instruction publique obligatoire, la loi du 30 octobre 1886 en

ses articles 2 et 17 sur l’organisation de l’enseignement primaire, aménagent l’application

du principe de laïcité au sein des établissements scolaires. L’avènement de la loi du 9

décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État marque un tournant décisif

dans la systématisation du principe de laïcité887. La liberté de l’enseignement supérieur

sera reconnue plus tard en 1984 avec l’article 3 de la loi du 26 janvier dite loi Savary,

abrogé en 2000. L’article L141-6 du Code l’éducation disposera dans le même esprit de

l’article 3 abrogé, que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et

indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à

l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions ». Quant à la loi du 15 mars

2004 qui encadre en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues

manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, elle a

été une réponse très attendue à la configuration actuelle du paysage religieux en France.

455. En Allemagne, État multiconfessionnel, la neutralité de l’État n’est pas appliquée

de façon stricte888 puisque le constituant de 1949 a établi des relations de coopération entre

les religions et le pouvoir étatique. L’article 4 (1) et (2) et l’article 33 (1) et (2) de la Loi

fondamentale consacrent la liberté de religion des allemands et celle des fonctionnaires.

Dans la jurisprudence du Tribunal fédéral de Karlsruhe, la neutralité semble être une

notion problématique dont l’objectif de conciliation entre la liberté de croyance négative et

la liberté de croyance positive est à relativiser pour le juge constitutionnel fédéral. La Cour

constitutionnelle fédérale dans sa décision du 16 mai 1995, à propos de la présence de

crucifix dans les salles de classe dans les écoles publiques, a ainsi considéré

887 Le régime concordataire organisait les relations entre les églises et l’État sur l’ensemble du territoire

français et était appliqué entre 1801 et 1905, année d’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État. Ce régime continue cependant de s’appliquer en Alsace-Moselle puisqu’en 1905, cette région de la France appartenait au territoire allemand.

888 Ce principe de neutralité n’apparaît pas dans le vocabulaire juridique allemand, ni dans la L.F. de 1949, ni dans les constitutions des länders.

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303

qu’ : « L’apposition de croix dans les salles de classe dépasse les limites administratives

pour une orientation religieuse ou philosophique de l’école. (…) on ne peut pas retirer à la

croix ses liens spécifiques avec le contenu de la foi chrétienne et la réduire à un signe

général de la tradition culturelle occidentale. Il symbolise le cœur essentiel de la foi

chrétienne, qui a certes façonné le monde occidental de multiples façons, mais qui n’est

pas partagée par tous les membres de la société et qui est au contraire rejetée par de

nombreuses personnes dans l’exercice de leur liberté religieuse. Leur apposition dans les

écoles étatiques où la scolarité est obligatoire est en conséquence incompatible avec

l’article 4, alinéa 1, de la Loi fondamentale pour autant qu’il ne s’agit pas d’écoles

confessionnelles chrétiennes »889. Cette décision de Tribunal de Karlsruhe a fait prévaloir

la liberté de croyance négative sur la liberté de croyance positive, ce qui est contraire au

principe de neutralité. Le principe de neutralité n’a donc pas suffi à rechercher un rapport

d’équilibre entre la liberté de croire et la liberté de ne pas croire.

456. En Afrique subsaharienne francophone, les constitutions des différents États étudiés

forment les principaux, voire les seuls instruments de garantie du principe de laïcité. En

revanche, de ce principe, les autorités politiques et législatives ne semblent pas tirer la

conséquence du principe de neutralité religieuse qui encadre l’État dans ses rapports avec

les religions. Ni les lois nationales, ni les différentes jurisprudences qu’elles soient

administratives ou constitutionnelles ne renforcent la protection de ce principe nécessaire

au respect de la laïcité de l’État. Au Sénégal par exemple, le Conseil constitutionnel a

reconnu au nom du principe d’égalité, certains partis politiques assimilables à des

groupements religieux en raison notamment de l’idéologie qu’ils prônent, de leurs slogans

fortement empreints de connotation islamique. Pourtant, cette reconnaissance s’oppose

clairement à l’interdiction constitutionnelle de création des partis politiques sur une base

religieuse890. Plusieurs candidats issus de ces partis politiques, assimilés religieux891 ont

ainsi pu se présenter à l’élection présidentielle de 2000, à l’issue de la décision du Conseil

constitutionnel du 28 janvier 2000 relative à la publication de la liste des candidats à 889 BVerfGE, 16 mai 1995, Crucifix [Krusifix], in Pierre BON et Didier MAUS (ss. la dir. de), Les grands

arrêts des cours constitutionnelles européennes, op. cit., pp. 270-272, spéc. p. 272. 890 Art.4, Const. du Sénégal, 2001. 891 Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique…, op.

cit., p. 174.

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304

l’élection du Président de la République892. Le plus surprenant, ainsi que l’a expliqué

Mouhamadou Mounirou SY, est la forte empreinte religieuse des symboles des partis

politiques893.

457. En définitive, les principes d’égalité et de laïcité, constitutionnalisés en Afrique

subsaharienne francophone, contribuent en principe au renforcement de la protection de la

liberté d’opinion et aux rapports qu’elle doit entretenir avec l’ordre public sécuritaire.

L’évolution du paysage religieux et les nouvelles formes de menaces sécuritaire doivent

conduire les différents États à mieux réglementer l’exercice de la liberté d’opinion afin de

protéger davantage l’ordre public sécuritaire.

892 Affaire n°1/E/ 2000. Disponible sur le site de l’Association des Cours Constitutionnelles Ayant en

Partage l’Usage du Français (A.C.C.P.U.F.) : www.accpuf.org/sen. 893 « “ Deux mains ouvertes, l’une à l’extrême droite avec l’extrémité du pouce et de l’index qui se

touchent, et l’autre à l’extrême gauche avec l’index levé vers le ciel et les autres doigts fermés sur la main”. Le commentaire de ce symbole au Sénégal est loin d’être complexe et difficile. La main de l’extrême gauche ne transcrit que l’écriture arabe de Dieu (Allah en Arabe) alors que l’autre avec l’index levé vers le ciel est le geste des musulmans attestant l’unicité de Dieu. D’ailleurs, le leader de FSD/BJ l’a toujours traduit dans les faits puisque pendant toutes ses sorties politiques comme dans les médias, il n’a jamais hésité à scander son slogan en langue Allahou Wahidoun qui signifie Dieu est unique». La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique…, op. cit., pp. 173-174.

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SECTION II.

LA SECURITE JURIDIQUE, UN PRINCIPE EN VOIE DE CONSTITUTIONNALISATION POUR LE RENFORCEMENT DE LA

PROTECTION DE LA LIBERTE D’OPINION

458. La sécurité juridique, loin d’être une tautologie894, constitue le fonds constitutionnel

commun895 aux États attachés à la promotion de la démocratie. Elle est une valeur sociale

puisqu’elle commande toute une série de conséquences avantageuses pour la société que

sont essentiellement l’autorité, la paix et l’ordre896. Elle est également une conséquence de

l’État de droit897. La sécurité juridique est l’une des qualités essentielles de la technique

juridique « de garantir la sécurité des résultats, de telle manière que chacun puisse prévoir

ces résultats et compter sur eux »898. Elle est une exigence juridique qui découle de la

norme suprême. Elle est à la fois sécurité par le droit et sécurité pour le droit. Louis

FAVOREU définit la sécurité juridique comme : « la propriété d’un système juridique de

procurer à tous les destinataires un cadre normatif relativement déterminé et permettant

ainsi une orientation précise de ses choix à un moment donné »899. Si la notion de sécurité

juridique n’existe ni dans les constitutions africaines ni dans les jurisprudences des États

considérés, il existe en revanche des règles qui y conduisent. Véritable stimulant extérieur,

c’est à la lumière de la Constitution française de 1958 renforcée par l’œuvre

jurisprudentielle du juge constitutionnel dans la construction d’une légistique formelle (§

894 Jean BOULOUIS, « Quelques observations à propos de la sécurité juridique », in Du Droit international

de l’intégration. Liber amicorum Pierre PESCATORE, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1987, pp. 53-58, spéc. p. 53.

895 Nous employons l’expression de Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », in Mélanges Patrice Gélard : Droit constitutionnel, Montchrestien, Paris, 1999, pp. 301-305, spéc. p. 301.

896 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit…, op. cit., p. 318. 897 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 94. 898 Paul ROUBIER, op. cit., p. 324. 899 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 94.

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306

I), doublée d’une obligation constitutionnelle pour les auteurs des mesures de restriction,

de les adapter aux circonstances (§ II).

§ 1. LA CONSTRUCTION D’UNE LEGISTIQUE FORMELLE

459. Grande innovation juridique en droit français, le Guide pour l’élaboration de textes

législatifs et réglementaires précise que « la rédaction d’un projet du texte et du document

qui l’accompagne doit être clair, sobre et grammaticalement correct »900. Le Code civil

français est à titre d’exemple, un modèle de légistique bien pensé. Henri CAPITANT en

vantait déjà les mérites en 1917 quand il écrivait : « Écrits dans une langue simple, précise,

ponctués avec soin, divisés en alinéas courts et peu nombreux, ses articles sont faciles à

lire et à comprendre, même pour des personnes non versées dans la science du droit.

Clarté, précision, concision, mesure, ce sont là les qualités qui le distinguent, et en font un

modèle qui n’a jamais été surpassé(…) »901.

460. Aux termes de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 qui a inspiré

l’ensemble des constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone, les

exigences d’intelligibilité de la loi (B) découlent des articles 4902, 5903, 6904 et 16905 du texte

marquant la révolution française. Ce texte a marqué, de son empreinte, l’ensemble des

constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone. Quant au principe de

clarté, l’on y retrouve les sources dans les lois fondamentales des États, notamment lorsque

900 Secrétariat général du Gouvernement et Conseil d’État, Guide pour l’élaboration des textes législatifs et

réglementaires, Paris, juin 2005 (mise à jour au 6 mars 2006), fiche 3.3.1, p. 180. 901 Henri CAPITANT, « Comment on fait les lois aujourd’hui », Revue politique et parlementaire, Vol. 91,

Colin, Paris, 1917, p. 305-317, spéc. p. 305. 902 Art. 4 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui

ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

903 Idem, Art. 5 : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».

904 Idem, Art. 6 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont le droit de concourir, personnellement ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. (…).

905 Idem, Art. 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ».

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307

les constituants énumèrent les différentes compétences d’attribution du pouvoir législatif

(A).

A. L’EXIGENCE CONSTITUTIONNELLE DE CLARTE DE LA NORME RESTRICTIVE DE LA LIBERTE D’OPINION

461. Paul HAZARD affirmait qu’« une idée claire est une idée finie »906.

Communément, la clarté est le caractère de ce qui est intelligible, de ce qui se comprend

sans effort excessif907. Si l’on s’en tient à cette acception commune, il n’y a aucune

différence entre la clarté et l’intelligibilité puisque la définition de l’une renvoie à la

compréhension de l’autre. La frontière entre ces deux notions n’est pas toujours très

étanche. Pourtant, en droit ces deux notions ne renvoient pas à la même réalité, ni aux

mêmes conséquences. Les sources de l’exigence de clarté (1) permettent de mieux en saisir

la signification (2).

1. Les sources de l’exigence de clarté de la norme restrictive

462. Le principe de clarté découle des compétences d’attribution dévolues par le

constituant au législateur. Si en France, c’est de l’article 34 de la Constitution de 1958 que

découle ce principe, c’est également dans des termes pratiquement similaires qu’il découle

dans les constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone908. Il ressort de ces

différentes sources que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales pour

l’exercice des droits et libertés fondamentaux accordés aux citoyens en leurs personnes et

en leurs biens de même que les sujétions imposées aux citoyens dans l’intérêt de la défense

nationale et de la sécurité publique. C’est dans le prolongement de cette compétence

d’attribution que le législateur pénal encadre l’exercice de la liberté d’opinion aux fins de

prévenir les risques de troubles à l’ordre public. Cet encadrement normatif doit être

suffisamment clair et précis sans qu’il soit porté atteinte à la substance du droit

fondamental que constitue la liberté d’opinion. C’est le juge constitutionnel français qui a

906 Paul HAZARD, La pensée européenne au XVIIIe siècle : de Montesquieu à Lessing, 2ème éd., Fayard,

Paris, 1979, pp. 29-30. 907 Le Grand Robert de la langue française, 2001, p. 190. 908 Art. 98, Const. Bénin, 1990 ; art. 71, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; art. 67, Const. Sénégal, 2001.

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érigé la clarté de la loi en « principe de clarté de la loi ». Ce dernier a ainsi précisé : « (…)

il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la

Constitution, et, en particulier, son article 34 ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la

loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle

d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la

Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des

formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation

contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités

administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été

confiée par la Constitution qu'à la loi »909.

463. Les infractions définies par le législateur du fait des débordements de la liberté

d’opinion sont assurément la manifestation du pouvoir du législateur en matière

d’encadrement de la liberté d’opinion. Elles doivent donc être précisées par la loi, afin de

permettre au citoyen d’agir en un certain sens qui ne l’expose pas aux représailles de la

règle de droit.

2. La signification de l’exigence de clarté de la norme restrictive

464. La clarté exclut l’ambigüité. Le principe de clarté de la loi s’oppose à l’opacité de

la norme législative. La loi, en tant qu’instrument de régulation des rapports entre la liberté

d’opinion et l’ordre public sécuritaire, doit être le reflet des réalités sociales et politiques

dans lesquelles la société qu’elle a vocation à régir s’épanouit. Le juge constitutionnel

français ne marque pas une distinction nette entre la clarté et l’intelligibilité de la loi. Pour

lui, la clarté est un principe et l’intelligibilité qu’il associe à l’accessibilité, est un objectif

de valeur constitutionnelle. D’ailleurs, les sages de la rue Montpensier à Paris affirment

que « le principe de clarté de la loi (…) et l’objectif de valeur constitutionnelle de

l’intelligibilité et de l’accessibilité de la loi » imposent au législateur « d’adopter des

dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». Ce dernier « doit en

909 C.C., décision n° 2004-500 D.C. du 29 juillet 2004, Loi organique relative à l’autonomie financière des

collectivités territoriales. Voir Damien CHAMUSSY, « Le Conseil constitutionnel et la qualité de la législation », Revue du Droit public, n° 6, novembre-décembre 2004, pp. 1739-1760 ; note Loïc PHILIP, Revue française de droit constitutionnel, 2005, pp. 798-803.

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309

effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou

contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou

juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la

Constitution qu’à la loi » 910.

465. En Allemagne, le principe de clarté est rattaché au principe de sécurité juridique,

ainsi que l’a démontré Michel FROMONT911. Il est indéniable que les décisions

jurisprudentielles dans les grandes démocraties contemporaines influencent directement ou

indirectement celles des juridictions dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone, tout en les adaptant aux réalités contextuelles. De ce fait, les interprétations

des normes dont la mission est dévolue au juge doivent être justes et sans ambigüité,

surtout pour ce qui concerne les restrictions législatives et réglementaires de la liberté

d’opinion, droit fondamental. Les dispositions équivoques et incomplètes prédisposent à

des violations permanentes de la liberté d’opinion. Les énoncés de certaines infractions

manquent de clarté, et altèrent de ce fait les normes en question. Cette absence de clarté est

d’autant plus dangereuse que c’est au pouvoir exécutif, dans sa fonction administrative et

en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’interpréter et d’apprécier la constitution de ces

infractions912. Il s’agit pour l’essentiel des actes incriminés du fait de l’exercice de la

liberté d’opinion, des abus, du délit d’offense au Chef de l’État susceptibles d’engendrer

des « troubles » à l’ordre public913.

466. Alexandre FLÜCKERGER dit du principe de clarté qu’il est un principe ambigu,

que le juge constitutionnel français distingue difficilement de l’intelligibilité et de

l’accessibilité de la loi914. Pour lui, la clarté renvoie à la concrétisabilité de la règle de

910 Décision D.C. n°2005-514, 28 avril 2005, Loi relative à la création du registre international français,

Considérant n°14.Voir Amandine CAPITANI, « Jurisprudence du Conseil constitutionnel : 1er avril-30 juin 2005 », Revue française de droit constitutionnel, numéro spécial, 2000, pp. 751-754.

911 Michel FROMONT, « République fédérale d’Allemagne. L’État de droit », Revue de Droit Public, 1984, pp. 1203-1226, spéc. p. 1213.

912 Alors que la loi, édictée par le parlement a un caractère général, les normes réglementaires ont un caractère spécifique. L’opacité de la norme générale peut conduire à une différence négative de traitement lorsqu’il s’agit pour l’autorité de police administrative d’adapter la norme législative à un cas particulier. Le juge a alors mission d’unifier l’application de la règle de droit.

913 Voir infra. Troisième partie, Chapitre I, Section II, § 1, A. 914 Alexandre FLÜCKERGER, « Le principe de clarté de la loi ou l’ambigüité d’un idéal », Cahiers du

Conseil constitutionnel, n°21, Dossier : La normativité, Janvier 2007, p. 2. Disponible en ligne :

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310

droit915. Ce principe renforce par ailleurs, l’efficacité de la règle de droit d’autant plus qu’il

doit s’agir de règles de droit dont l’application permet d’obtenir des réponses aux cas

concrets. Ce principe permet in fine au citoyen de connaître la règle de droit qui sera

appliquée à son cas d’espèce, selon la règle de la prévisibilité916. En outre, la clarté de la

règle de droit évite une extension des compétences du juge en matière d’interprétation

puisqu’une norme rédigée clairement lui impose une interprétation restrictive, surtout

lorsqu’il s’agit des mesures de restriction de la liberté d’opinion.

467. En Afrique subsaharienne francophone, la clarté des normes législatives de

restriction de la liberté d’opinion évite au pouvoir exécutif dans sa branche administrative,

d’invoquer presque systématiquement des notions floues dont le seul but n’est pas la

satisfaction de l’intérêt général mais celle des intérêts politiques particuliers. Autrement

dit, la mauvaise interprétation des textes normatifs constitue une insécurité juridique, qui

au-delà du citoyen, met en péril la construction de l’État de droit. Toutefois, si le principe

de clarté a clairement été affirmé en France par le juge constitutionnel, en Afrique

subsaharienne francophone, il s’agit d’une esquisse de reconnaissance puisque ce principe

n’a pas été clairement reconnu. Il découle d’une somme d’interprétation de la

jurisprudence relative aux composantes de la sécurité juridique telles que la protection

contre les détentions arbitraires917. Le principe de clarté se rapproche, sans se confondre

avec le principe de l’intelligibilité de la loi, à y regarder de plus près.

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-21/le-principe-de-clarte-de-la-loi-ou-l-ambiguite-d-un-ideal.50557.html. Consulté le 01 juin 2015.

915 Alexandre FLÜCKERGER, « Le principe de clarté de la loi ou l’ambigüité d’un idéal », op. cit., p. 2 916 Le droit européen l’a d’ailleurs intégré en tant que composante du principe de la sécurité juridique. La

Cour Européenne des Droits de l’Homme a d’ailleurs dès 1979, estimé que la loi doit être suffisamment accessible. Le citoyen doit ainsi « pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné ». De plus, poursuit la Cour, une norme ne peut être considérée comme une “loi” qu’à la condition « qu’elle soit énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite, et si besoin, en s’entourant de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé ». C.E.D.H, Sunday Times c/ Royaume-Uni, 26 avril 1979, Série A, n°30, § 49, req. 6538/74. Frédéric SUDRE et alii, Grands arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 7ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Thémis », Paris, 2015, pp. 57-60.

917 La Cour constitutionnelle du Bénin a ainsi rendu un ensemble de décisions relatives à la protection des citoyens contre les détentions arbitraires. Dans sa décision D.C.C. 13-168 du 14 novembre 2013, elle a ainsi rappelé sur la base de l’article 6 de la C.A.D.H.P., que : « Tout individu a droit à la liberté et à la

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311

B. L’EXIGENCE CONSTITUTIONNELLE D’INTELLIGIBILITE DE LA MESURE RESTRICTIVE DE LA LIBERTE D’OPINION

468. Le principe d’intelligibilité est intrinsèquement lié, voire complémentaire du

principe de clarté du texte normatif. Les sources de ce principe (1) seront le point de départ

de l’analyse de son contenu (2).

1. Les sources de l’exigence de l’intelligibilité de la mesure de restriction

469. En plus du texte marquant la Révolution française de 1789, les différentes

constitutions en Afrique subsaharienne francophone ont intégré dans le corps des différents

textes constituant les lois fondamentales, des éléments dont l’interprétation permet

d’établir que le législateur de même que l’autorité exécutive sont soumis à la règle de

l’intelligibilité de la norme. Le constituant renvoie au législateur le soin d’édicter toutes les

mesures normatives restrictives des droits et libertés fondamentaux. Qu’il s’agisse de la

liberté d’opinion et de ses corollaires, les différentes constitutions reprennent avec

précision l’esprit de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, qui

dispose : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi,

l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux

autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent

être déterminées que par la loi ». Par exemple, la Constitution du Bénin en ses articles 16

et 17 pose l’interdiction des privations de la liberté d’aller et de venir, dont l’arrestation et

la détention, en dehors de celles prévues par la loi. Le constituant ivoirien de 2000 reprend

cette interdiction dans les articles 21 et 22 de la norme juridique suprême. Au Sénégal,

c’est l’article 9 de la Constitution de 2001, en ses alinéas 1 et 2, qui pose cette interdiction.

470. En France, le juge constitutionnel a fait de l’exigence de l’intelligibilité, un objectif

de valeur constitutionnelle918. Il a ainsi voulu se démarquer des objectifs imposés par les

sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions déterminés par la loi (…) ».

918 C.C., décision n°99-421 D.C. du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnance, à l’adoption de la partie législative de certains codes, 13ème Considérant. Voir Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un produit d’importation “made in France” (à propos des décisions 99-421 et 99-422 du Conseil constitutionnel) », Recueil Dalloz, n°4, 2000, pp. 7-8 ; William BARANÈS et Marie-Anne FRISON-ROCHE, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », Recueil Dalloz, 2000, pp. 361-368.

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312

constitutions étrangères aux pouvoirs publics. Les juges constitutionnels français associent

à l’intelligibilité, l’accessibilité de la norme. L’accessibilité de la norme peut être

géographique, physique ou intellectuelle. Pour notre part, l’accessibilité dans son aspect

intellectuel est une condition de l’intelligibilité de la norme. La loi ne peut avoir la qualité

de norme intelligible qu’à condition qu’elle soit accessible d’un point de vue intellectuel à

l’intelligence du citoyen.

2. La signification de l’intelligibilité de la norme de restriction

471. Une chose, selon Marie-Anne FRISON-ROCHE, est intelligible lorsque son sens

peut être perçu par l’activité intellectuelle humaine919. En droit, le principe de

l’intelligibilité ne signifie pas que chaque citoyen doit être en mesure de comprendre la loi.

Ce serait une utopie. En revanche, les textes législatifs qui restreignent l’exercice de la

liberté d’opinion pour des motifs d’ordre public sécuritaire doivent être rédigés dans une

formule simple qui permette à chaque citoyen d’une intelligence moyenne d’être en mesure

de les comprendre. Dans sa décision de 1999, le Conseil constitutionnel français dit de

l’égalité et de la garantie des droits qu’elles ne sont pas effectives « si les citoyens ne

disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; une

telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis » par

la Déclaration française des droits de l’Homme920. La nécessité de l’exigence réside en

ceci : en cas de défaut d’intelligibilité d’un texte constituant une limite à l’exercice des

droits et libertés fondamentaux dont la liberté d’opinion, ce texte « menace la liberté de

l’individu en ne définissant pas de manière précise les bornes qui peuvent être apportées à

sa liberté »921.

472. Il est des textes normatifs auxquels l’on ne saurait enlever le caractère technique et

complexe du fait des destinataires auxquels ils s’adressent. Dans le cas de la liberté

d’opinion, les normes de restriction de celle-ci doivent être suffisamment intelligibles non

919 Marie-Anne FRISON-ROCHE et William BARANÈS, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et

de l’intelligibilité de la loi », Recueil Dalloz, n°23, 2000, chron. 361, pp. 361-368, spéc. p. 363. 920 Ibidem. 921 Bertrand MATHIEU, « La qualité du travail parlementaire : une exigence constitutionnelle », in

Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel : Constitutions et pouvoirs, Montchrestien-lextenso éditions, Paris, 2008, pp. 355-364, spéc. p. 362.

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313

seulement parce qu’elles s’adressent à l’ensemble des citoyens, mais aussi parce qu’il

s’agit d’une liberté fondamentale indifférenciée. Ces textes ne doivent pas être

manifestement incompréhensibles922. Cependant, le degré de compréhension de la norme

de restriction ne saurait être invoqué devant le juge. Certes, le législateur doit tout mettre

en œuvre pour que le texte qu’il édicte soit compréhensible pour le destinataire, mais le fait

que ce texte ne soit pas compris par le destinataire ne viole pas l’exigence de

l’intelligibilité. C’est une exigence à la charge des auteurs des mesures normatives de

restriction. Il y a là une nuance importante à souligner. Si le destinataire de la mesure de

restriction pouvait invoquer devant le juge une incompréhension du texte alors qu’il a

plutôt contourné son application, il y aurait également là, une autre forme d’insécurité

juridique. C’est donc le juge de la légalité et celui de la constitutionnalité de la loi qui

apprécient l’effort du législateur ou de l’autorité administrative de rendre un texte législatif

ou réglementaire aussi compréhensible que possible. Le défaut de l’intelligibilité de la loi

peut même constituer et tel a été le cas en France, un motif de déclaration

d’inconstitutionnalité de la norme législative923.

473. La légistique formelle impose une qualité certaine de la loi au législateur et aux

autorités administratives, détentrices du pouvoir de restriction de la liberté d’opinion. De

plus, les mesures limitatives de la liberté d’opinion au regard des exigences de l’ordre

public sécuritaire doivent être adaptées aux circonstances de l’espèce.

§ 2. L’ADAPTATION DES MESURES DE RESTRICTION DE LA LIBERTE D’OPINION AUX FINS D’INTERET GENERAL

474. La maxime juridique « la fin justifie les moyens » ne prévaut pas lorsque sont en

concurrence une liberté fondamentale et une règle impérative. Les exigences de nécessité

et de proportionnalité ont rarement fait l’objet d’un contrôle juridictionnel sur le fondement

de la liberté d’opinion. D’ailleurs, on ne trouve aucune trace précise dans les différents

922 Géneviève KOUBI, « Lire et comprendre : quelle intelligibilité de la loi ? », in Georges FAURÉ et

Géneviève KOUBI (ss. la dir. de), Le titre préliminaire du Code civil, Économica, Coll. « Études juridiques », Paris, 2003, pp. 215-231, spéc. p. 221.

923 C.C., décision n° 2005-530 D.C. du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006. L’article 78 de la loi déférée a été sanctionné pour « complexité excessive », ce qui est contraire à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

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314

textes constitutionnels. En revanche, en raison de la construction des différents blocs de

constitutionnalité propres à chaque système normatif national, ces exigences sont

identifiables dans les préambules des constitutions. Il s’agit de mettre ainsi en évidence

l’importance du rapport moyens/ fins dont le principe de nécessité en souligne la

cohérence924. En rappelant leur adhésion commune à la Déclaration des droits de l’Homme

de 1789, c’est également l’article 8 de ce texte qu’ils adoptent : « La loi ne doit établir que

des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ». Deux

adverbes, « strictement » et « évidemment » rappellent les exigences sus-évoquées. Ainsi,

en tant que principes implicites tant dans la jurisprudence constitutionnelle

qu’administrative, la nécessité (A) se conjugue avec l’exigence d’un rapport de

proportionnalité de la mesure de restriction de la liberté d’opinion à l’objectif visé (B).

A. LA NECESSITE DE LA MESURE RESTRICTIVE DE LA LIBERTE D’OPINION

475. Le principe de nécessité renvoie à l’indispensabilité de l’intervention925 des auteurs

de la norme de restriction de la liberté d’opinion, que cette norme soit législative ou

réglementaire. L’intervention normative qui limite l’exercice de la liberté d’opinion doit

donc pouvoir se justifier (1) et il ne doit exister aucun autre moyen de prévenir les risques

de troubles à l’ordre public sécuritaire que de porter exceptionnellement atteinte à cette

liberté fondamentale (2).

1. Le critère de la justification de la mesure restrictive

476. MONTESQUIEU écrivait que « Toute peine qui ne dérive pas de la nécessité est

tyrannique »926. En affirmant que la nécessité absolue justifie le châtiment,

MONTESQUIEU limite ainsi le pouvoir de l’autorité politique. Ce principe a même été

inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789. D’ailleurs, les premières traces

du principe de nécessité sont visibles dès le premier article du texte marquant la Révolution

924 Roger Latournerie cité par Xavier PHILIPPE, Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences

constitutionnelle et administrative française, Economica-P.U.A.M., Coll. « Science et Droit Administratifs », Paris, 1990, p. 63.

925 Arnold RAINER, « Constitution et liberté d’expression en Allemagne », op. cit., p. 109. 926 MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois, op. cit., p.5 78.

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315

française : « (…). Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité

commune ». L’utilité commune est une exigence du principe de nécessité. Ce principe

révolutionnaire qui irrigue le droit pénal s’impose également aux autorités de police

administrative.

477. Selon la philosophie utilitariste des peines927, les mesures de restriction de la liberté

d’opinion sont un mal nécessaire puisque la règle de droit punitive ou restrictive des droits

et libertés fondamentaux est une conséquence utile pour la préservation de l’ordre public.

Autrement dit, sans ces restrictions, qu’elles soient générales avec les lois stricto sensu ou

adaptées au cas d’espèce avec les mesures réglementaires, le danger pour l’ordre public

sécuritaire serait encore plus grand. Lorsque l’article 5 de la Déclaration française des

droits de l’Homme dispose que « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à

la société », ce fondement constitutionnel du principe de nécessité rend légitime, toute

mesure restrictive de la liberté justifiée par une atteinte d’une particulière gravité à l’ordre

social établi. Le législateur ne peut interdire ce qu’il veut. Il ne doit interdire que ce qui est

nuisible à la société. La mesure restrictive n’est alors possible que lorsqu’elle est

nécessaire « faute de quoi, n’étant pas nécessaire, la loi n’a pas le droit de défendre »928.

478. La Cour constitutionnelle du Bénin, en se saisissant d’office en 2012, a ainsi justifié

la présence des forces de l’ordre sur le domaine universitaire de la ville d’Abomey-Calavi

par la nécessité de mettre fin aux actes attentatoires à l’ordre public auxquels se livraient

certains étudiants usant du prétexte de leur liberté de manifestation. Pour lui, cette présence

ne fait pas obstacle à la liberté universitaire, bien au contraire, dans le cas d’espèce, elle

participe à sa protection929. En revanche, sa décision de déclarer constitutionnelle une lettre

déférée à sa compétence en 2008 paraît surprenante. Le juge constitutionnel béninois a, en

effet, considéré qu’une lettre émanant du Maire et interdisant un rassemblement n’était pas

contraire à l’article 25 de la Constitution qui dispose que : « L’État reconnaît et garantit,

927 La conception utilitariste des peines et la conception rétributive des peines sont des conceptions que

MONTESQUIEU, dans De l’Esprit des lois associe puisque pour lui, la peine est utile dans la mesure où elle permet entre autre, de rétablir la justice. Lire David W. CARRITHERS, « Étude de la philosophie pénale de Montesquieu » (Traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine LARRIERE), Revue Montesquieu n° 1.

928 Guy CARCASSONNE, « Les interdits et la liberté d’expression », op. cit., p. 64. 929 Décision D.C.C. 12-138 du 28 juin 2012.

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316

dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et de venir, la liberté d’association,

de réunion, de cortège et de manifestation ». Pour lui, cette lettre vise en réalité « à

prévenir les troubles à l’ordre public eu égard à la tension qui régnait entre les partis en

cause ».

479. Pourtant, eu égard aux risques de troubles de l’ordre public, la solution aurait pu

être d’encadrer ce rassemblement avec la présence des forces de l’ordre. L’interdiction

pure et simple du rassemblement ne semblait pas être l’unique solution en la matière

d’autant plus qu’elle viole radicalement la liberté de manifestation, qui est une forme

d’expression collective de la liberté d’opinion. De ce fait, l’exigence de la nécessité de la

mesure de restriction ne semble pas particulièrement préoccuper les juges constitutionnels

en Afrique subsaharienne francophone, malgré tous les fondements constitutionnels

identifiables, qui constituent des armes de protection des droits et libertés fondamentaux à

sa disposition. Pour notre part, la Cour constitutionnelle du Bénin n’a pas procédé à une

interprétation stricte du principe de nécessité qui induit une justification de la mesure de

restriction. L’autorité de police administrative, également autorité politique a pourtant

apprécié, il semble, les risques de troubles à l’ordre public sécuritaire de façon spéculative.

Quant au juge, ce dernier a plutôt exercé un contrôle minimal qui semble exclure de ses

compétences, l’appréciation du degré de restriction de la liberté d’opinion, en laissant à

l’autorité de police administrative, le soin de mettre en œuvre son pouvoir discrétionnaire

au regard des circonstances.

480. Toute autre est l’appréciation du juge ivoirien. Dans son arrêt rendu en 1992, le

juge de la Chambre administrative de la Cour suprême ivoirienne a limité les pouvoirs de

l’autorité de police administrative. Cette limitation n’a pas été fondée expressément sur le

principe de nécessité. Toutefois, l’on peut y entrevoir que le juge administratif ivoirien

exige un critère de justification de la mesure de police administrative. La justification doit

ainsi s’appuyer sur des « menaces sérieuses à l’ordre public ». De plus, il semble y ajouter

comme condition cumulative, l’insuffisance des effectifs de police pour contenir les

troubles éventuels930. Pour lui, l’interdiction des danses jugées provocantes et injurieuses

930 Voir les observations de Martin Djézou BLÉOU, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative

ivoirienne, C.N.D.J, Abidjan, 2012, pp. 280- 283.

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317

par le maire ne peut se justifier dans le cas d’espèce bien que le contexte en jeu soit celui

des élections municipales assez tendues de 1990931. La mesure de restriction de

l’expression de la liberté d’opinion en l’occurrence a été déclarée « entachée d’excès de

pouvoir ». Le juge administratif ivoirien réitère, en 1998, l’exigence de nécessité à laquelle

doit être soumise une décision administrative de mutation d’un fonctionnaire sous peine

pour cette décision d’être entachée d’excès de pouvoir932.

481. Bien que le principe de nécessité n’ait pas été consacré par la Constitution

béninoise de 1990, ni par celle de la Côte d’Ivoire en 2000, sa reconnaissance

jurisprudentielle pourrait participer de la protection des droits et libertés fondamentaux

dans un État qui se veut de droit. Par ailleurs, la constitutionnalisation de la nécessité

renforcerait davantage les garanties de protection des droits et libertés fondamentaux. La

nécessité contribue finalement à faire de l’atteinte à la liberté d’expression, une exception.

2. L’exceptionnelle atteinte à la liberté d’opinion

482. Dans un État de droit, soucieux de la culture de la démocratie, les atteintes aux

droits et libertés fondamentaux doivent demeurer des exceptions. En cette matière

spécifique, les actes incriminés doivent être nuisibles à la société, ainsi que le souligne

l’article 5 de la Déclaration française des droits de l’Homme, que rappellent dans leurs

préambules, les constituants africains. Les mesures de restriction de la liberté d’opinion par

le législateur pénal sont des mesures à caractère général qui s’appliquent en cas de troubles

avérés à l’ordre public sécuritaire. En revanche, les actes réglementaires édictés pas les

autorités de police administrative sont spécifiques en raison de leur caractère ciblé. Ils

peuvent porter atteinte à la liberté d’opinion en cas de troubles éventuels, puisque le

législateur sur le fondement des principes du constituant, donne permission à ladite autorité

de police administrative de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. La mesure

de police administrative est donc subordonnée à la règle de droit générale. Cette

931 C.S.C.A, 28 octobre 1992, Arrêtn° 32, 92-06 A.D. Dans cet arrêt, le juge s’est vraisemblablement inspiré

des principes dégagés par le Conseil d’État dans l’arrêt Benjamin rendu le 19 mai 1933, à propos des limites du pouvoir de police de l’autorité administrative.

932 C.S.C.A, 24 juin 1998, Chérif Vahivoua c/ Ministère des ressources minières et pétrolières : « Cette affectation n’était motivée par aucune nécessité de service (…), l’intéressé a été affecté dans un service où aucune vacance d’emploi n’était constatée ».

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318

permission de faire doit de plus, être prévue par le législateur comme une solution à la

menace que peut représenter l’exercice de la liberté d’opinion pour l’ordre public

sécuritaire.

483. Si Ariane VIDAL-NAQUET écrit que l’exception n’a pas bonne réputation en

France933, l’on est en droit d’affirmer qu’avec l’avènement du constitutionnalisme,

l’exception n’a également pas bonne réputation en matière de protection des droits et

libertés fondamentaux. En cette matière, convenons que les atteintes exceptionnelles à la

liberté d’opinion relèvent de l’autorité de police administrative, autorité d’application de la

loi, dans la mesure où les actes réglementaires de police ne sont pas permanents et que ne

sont édictés que pour la gestion d’une situation bien précise et temporaire. L’atteinte

exceptionnelle à la liberté d’opinion, aussi paradoxale que cela puisse paraître, participe au

renforcement de la règle de protection de cette liberté fondamentale. Cela s’explique par le

fait que dans le cas spécifique de la mesure restrictive de la liberté d’opinion, l’autorité de

police administrative qui édicte une norme réglementaire spécifique, se base sur la règle

générale en délimitant plus contextuellement son champ d’application. La compréhension

de l’expression « atteinte exceptionnelle » passe par le décorticage du concept juridique

d’exception, si tant est qu’il existe en droit, un tel concept.

484. Luc HEUSCHLING dit du concept de l’exception qu’il est un angle mort de la

réflexion juridique934. La complexité de ce concept réside dans son approche même par la

science du droit. Une partie de la doctrine associe ce concept à ceux de nécessité et

d’urgence, en ce sens que l’exception leur est subordonnée. L’exception selon la science

du droit s’apparente à la dérogation, en ce que l’autorité censée appliquer la règle l’écarte

sur la base de motifs qu’elle apprécie, telles que l’urgence ou la nécessité, et détermine une

solution originale ignorée du texte935.

933Ariane VIDAL-NAQUET, « Propos introductifs : de l’exception à la règle ou quand l’exception devient

la règle… », in Ariane VIDAL-NAQUET et Marthe FATIN-ROUGE STEFANINI (ss. la dir. de), La norme et ses exceptions. Quels défis pour la règle de droit ?, Bruylant, Coll. « À la croisée des droits. Droit international, comparé et européen », Bruxelles, 2014, pp.15-38, spéc. p. 15.

934 Luc HEUSCHLING, « Qu’est-ce que, en droit, une “exception” », in Ariane VIDAL-NAQUET et Marthe FATIN-ROUGE STEFANINI (ss. la dir. de), La norme et ses exceptions. Quels défis pour la règle de droit ?, op. cit., pp. 45-85, spéc. p. 46.

935 François SAINT-BONNET, « Exception, nécessité, urgence », in Denis ALLAND et Stéphane RIALS (ss. la dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., pp. 673-678, spéc. p.674.

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485. Dans le domaine spécifique de l’ordre public face à la liberté d’opinion, l’exception

ne peut pas ne pas être prévue par la dogmatique juridique, du moins dans sa conception

formelle. Ce serait laisser le champ libre à l’arbitraire du pouvoir politique, ce qui est

antinomique des aspirations d’un État qui se veut de droit. Ici, la solution originale n’est

pas ignorée du texte. De plus, cette solution ne peut pas être répétitive autant qu’il s’agit

d’une urgence, c’est-à-dire d’une situation exceptionnelle, qui échappe à l’ordinaire. Ainsi,

la méthodologie rédactionnelle du constituant reste la même. Ce dernier souligne d’abord

le principe : la reconnaissance à tout individu de la liberté d’opinion. Ensuite, il donne

compétence au pouvoir législatif et au pouvoir réglementaire d’en organiser l’exercice

dans le respect de l’ordre public. Une marge de manœuvre est donc donnée par le

constituant à l’auteur de la règle exceptive, qui a latitude pour apprécier et interpréter les

motifs qui commandent à l’édiction de la norme restrictive de la liberté d’opinion.

486. Ces motifs sont ceux de l’urgence et de la nécessité. Parce qu’il est question pour

l’autorité d’application de la règle de droit d’agir dans l’urgence, celle-ci doit agir vite,

promptement et sans délai936. Mesure exceptionnelle et nécessité sont alors intimement

liées. Et l’urgence justifie que cette autorité déroge à une règle juridique, « que l’on

sacrifie un droit à un autre ou que l’on consente à une procédure expéditive. La nécessité

de pourvoir à un besoin immédiat justifie des mesures provisoires en attendant une solution

définitive »937. Ces mesures provisoires ne doivent pas s’étaler dans la durée. Non

seulement, le principe de nécessité suppose que la mesure restrictive soit justifiée mais

aussi que l’atteinte à la liberté d’opinion soit exceptionnelle et ne se situe pas en dehors de

la règle de droit générale. Par ailleurs, cette exceptionnelle atteinte est soumise au principe

de proportionnalité.

936 Djédjro Francisco MELEDJE, « Constitution et urgence ou le lien entre les contestations violentes de

l’ordre constitutionnel et la régulation constitutionnelle des crises », op. cit., p. 13. 937 Idem, p. 15.

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320

B. LA PROPORTIONNALITE DE LA MESURE RESTRICTIVE DE LA LIBERTE D’OPINION

487. C’est en Allemagne qu’a été systématisé le principe de proportionnalité, tant dans

la doctrine publiciste938, dans la jurisprudence939 que dans la Loi Fondamentale de 1949940.

La proportionnalité, se définit dans le cadre d’un conflit de règles de même valeur, comme

la « juste mesure à observer dans l’application à un litige de deux principes antinomiques

d’égale valeur qui ont l’un et l’autre vocation à en gouverner la solution ». « Critère de

pondération »941, le principe de proportionnalité n’est pas un principe inscrit dans les

constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone942.Toutefois, elle est une

exigence « qui s’impose au législateur »943 et aux « autorités administratives qui doivent

adapter les mesures qu’elles prennent aux objectifs qu’elles poursuivent »944.

488. La constitutionnalisation du droit pénal a été l’occasion, pour les juges

constitutionnels, de formuler sans équivoque une exigence d’adapter les mesures

restrictives de la liberté d’opinion au cas d’espèce. Ainsi, en droit constitutionnel, le critère

de l’adéquation reste une condition suffisante qui modère la sanction pesant sur l’exercice

938 Otto MAYER, le père du droit administratif allemand, affirmait : « Là où le maintien de l’ordre semble

devoir être assuré par un moyen plus doux, l’autorité commet un excès de pouvoir si elle emploie un moyen plus brutal ». Cf. Otto MAYER, Le droit administratif allemand, édition française, Voir Giard et E. Brière, Coll. « Bibliothèque internationale de droit public », Paris, 1903-1906.

939 La Cour administrative de Prusse, a rappelé Walter JELLINEK, s’exprimait déjà implicitement sur la notion de proportionnalité à l’occasion d’une décision qu’elle a rendu le 30 mars 1922 : « L’autorité ne peut imposer la destruction d’un édifice menaçant ruines quand une réparation permettrait d’éviter tout risque d’accident ».

940 Sans y être explicitement mentionné, le principe de proportionnalité peut être déduit de l’article 1(3) de la L.F. de 1949 : « Les droits fondamentaux (…) lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable ».

941 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Proportionnalité, p. 818. 942 En Europe, seules les constitutions hellénique et helvétique consacrent à la proportionnalité une

disposition expresse. L’article 25 de la Constitution grecque du 9 juin 1975 dispose dans son premier paragraphe : « (…) Les restrictions de toutes sortes qui, conformément à la Constitution, peuvent être apportées à ces droits [de l’homme] doivent être prévues soit directement par la Constitution soit par la loi ; dans le cas où l’indication existe en faveur de celle-ci, le principe de proportionnalité doit être respecté ». Quant à l’article 36 en son 3ème alinéa de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, il dispose : «Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé ».

943 Michel VERPEAUX, Le Conseil constitutionnel (Préface de Jean-Louis DEBRÉ), La documentation française, Coll. « Les études », Paris, 2014, p. 147.

944 Jean-Marie PONTIER, « Considérations générales sur les principes en droit », in Jean-Marie PONTIER (ss. la dir. de), Les principes et le droit, P.U.A.M., Aix-Marseille, 2007, pp. 9-20, spéc. p. 13.

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321

de la liberté d’opinion (1). Ce critère qui participe au renforcement de la protection de la

liberté d’opinion assure à cet effet une limite à la sévérité de la mesure restrictive (2).

1. Le critère de l’adéquation de la mesure restrictive

489. Une mesure normative restrictive est dite proportionnelle lorsqu’elle est en

adéquation avec le but recherché. La proportionnalité est l’un des éléments d’appréciation

de la validation de la mesure normative de restriction par le juge en ce que l’appréciation

du degré raisonnable faite par ce dernier est fonction de l’équilibre des intérêts en

présence, en l’occurrence la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire. Y a –t-il un

équilibre mathématique entre les avantages et les inconvénients à l’occasion de l’édiction

de cette norme restrictive ? La mesure est-elle trop sévère au regard de la menace

éventuelle de la liberté d’opinion ? Ce sont à ces interrogations que doivent répondre les

juges dans le cadre du contrôle de proportionnalité.

490. L’adéquation est communément admise comme la conformité à l’objet, au but

qu’on se propose. Et à la lecture des différentes constitutions, le but que doivent rechercher

les différents auteurs de l’édiction des normes restrictives est la préservation de l’ordre

public et la satisfaction de l’intérêt général. De ce fait, aucune mesure restrictive de la

liberté d’opinion ne peut être édictée « gratuitement » sans rapport avec le but de l’intérêt

général que poursuit le constituant. De plus, la mesure de restriction doit effectivement

permettre d’atteindre l’objectif recherché, ce qui signifie qu’elle doit correspondre à cet

objectif.

491. En l’absence de tout contentieux qui aurait clairement pu permettre aux juges en

Afrique subsaharienne francophone d’invoquer le principe de proportionnalité, l’on serait

tenté de considérer que ce principe est inexistant en Afrique. Pourtant, des éléments

identifiables s’en rapprochent et permettent d’établir des connexions avec le principe de

proportionnalité. La Cour constitutionnelle du Bénin a eu à plusieurs reprises à apprécier

les délais de détention des personnes. Elle a alors considéré dans certains cas, que ces

délais étaient « anormalement longs » et les a déclarés contraires à l’article 7.1.d de la

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322

C.A.H.D.P. qui souligne le droit pour l’individu d’être jugé dans un délai raisonnable945.

En l’espèce, l’appréciation du délai raisonnable peut se rapprocher de l’adéquation, et

constituer une esquisse de l’idée de proportionnalité. Georges BURDEAU assimilait

d’ailleurs l’idée d’une mesure proportionnée à une mesure raisonnable946. Si le délai

raisonnable est invoqué pour les droits à la défense des individus, c’est en toute logique

qu’il faut déduire cette exigence de juste mesure qui doit également s’appliquer aux

normes de restriction de la liberté d’opinion, dans un État qui se reconnaît

constitutionnellement comme un État de droit. Ces normes doivent être suffisantes sans

aller au-delà de la permission de faire accordée par le constituant.

492. Le principe de proportionnalité permet ainsi de résoudre le conflit normatif existant

entre les impératifs de la puissance publique et les droits et libertés fondamentaux des

citoyens947. Le droit allemand a systématisé ce principe de proportionnalité en trois sous

principes que sont l’aptitude, la nécessité et la proportionnalité stricto sensu. Cette

systématisation permet ainsi au juge allemand dans le cadre d’un contrôle juridictionnel,

d’assurer aux droits et libertés fondamentaux, l’atteinte la moins grave possible tout en

préservant l’intérêt général. Le sous-principe de l’aptitude permet au juge d’apprécier le

lien entre la mesure de restriction et le but poursuivi, c’est-à-dire que la restriction doit

contribuer à la réalisation d’un intérêt public légitime948. Le sous-principe de nécessité

permet au juge d’apprécier que seule la mesure de restriction édictée en l’espèce est celle

qui assure le maintien de l’ordre public tout en préservant au maximum l’exercice de la

liberté d’opinion. La nécessité renvoie ici à l’idée d’indispensabilité. Quant au principe de

proportionnalité, il permet au juge d’apprécier que les bénéfices de la mesure de restriction

sont plus importants que les inconvénients qui pèsent sur l’exercice de la liberté d’opinion.

Arnold RAINER dit de la proportionnalité, dans un sens étroit, qu’elle signifie que

l’intervention doit être tolérable pour l’individu en l’espèce et il doit y avoir un lien étroit

945 Voir entre autres : Décision D.C.C. 08-018 du 04 février 2008 ; Décision D.C.C. 07-170 du 27 décembre

2007 ; Décision D.C.C. 00-041 du 29 juin 2000. 946 Georges BURDEAU, Les libertés publiques, op. cit., p. 46. 947 Georges XYNOPOULOS, « Proportionnalité », in Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1251. 948 Arnold RAINER, « Constitution et liberté d’expression en Allemagne », in Annuaire international de

justice constitutionnelle, op. cit., p. 109.

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323

entre la mesure appliquée et la gravité du but à atteindre949. Il en découle que le principe de

proportionnalité constitue une limite indispensable à la sévérité de la mesure restrictive de

la liberté d’opinion.

2. Une limite à la sévérité de la mesure restrictive

493. Le législateur tout comme l’autorité de police administrative ne saurait, sans porter

atteinte à la liberté d’opinion, énoncer une règle de droit inadéquate ou inappropriée. Cela

signifie qu’il ne saurait édicter une norme qui soit trop sévère mais également trop souple,

voire minorée par rapport aux enjeux qu’encourt l’ordre public sécuritaire face à l’exercice

de la liberté d’opinion. La mesure restrictive doit, en somme, être effective, proportionnée

tout en étant dissuasive950. Le principe de proportionnalité auquel est soumise la mesure

restrictive de la liberté d’opinion constitue un excellent rempart contre l’arbitraire du

pouvoir politique. En effet, ce principe apparaît nécessaire pour la protection de la liberté

d’opinion puisque les atteintes à son exercice peuvent être aussi diverses que variées. Le

principe de proportionnalité est d’une utilité certaine d’autant plus « que la pression

administrative peut s’exercer par des voies détournées et imprévisibles, qu’aucun texte

législatif ne saurait les prévoir [les atteintes] ni les interdire dans leur ensemble, qu’enfin

des décisions sérieuses dans ce domaine exigent une appréciation complexe des faits qu’on

ne peut abandonner au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif »951. Pour rappel, lorsque la

Déclaration française des droits de l’Homme inscrit, à l’article 8, l’exigence de stricte

nécessité de la peine en vertu d’une loi, elle oblige le législateur à atteindre un double

objectif. D’une part, sanctionner efficacement l’acte qui compromet sérieusement le

maintien de l’ordre public et l’intérêt général. D’autre part, même efficace, la sanction ne

doit pas être disproportionnée afin d’assurer la protection du noyau dur de la liberté

d’opinion en l’occurrence.

949 Ibidem. 950 Le droit communautaire européen a d’ailleurs consacré cette formule. L’effectivité et la dissuasion de la

mesure de restriction ont été rappelées par la C.J.C.E le 8 juillet 1999, dans l’affaire Nunes et de Matos de même que le 7 décembre 2000 dans l’affaire Andrade.

951 Jacques DONNEDIEU De VABRES, « La protection des droits de l’Homme par les juridictions administratives en France », Études et documents du Conseil d’État, 1949, pp. 30-49, spéc. p. 32.

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324

494. Trop sévère, la mesure restrictive de la liberté d’opinion atteint profondément

l’exercice de cette liberté dans son essence. Trop souple, la mesure restrictive ne dissuade

en rien les potentiels auteurs d’infractions susceptibles de porter atteinte à l’ordre public

sécuritaire. La sévérité de la règle normative qui restreint la liberté d’opinion ne présage en

rien de l’efficacité de cette dernière à atteindre l’intention du législateur, la satisfaction de

l’intérêt général. En tant que limite à la sévérité de la mesure de restriction de la liberté

d’opinion, l’exigence de proportionnalité a pour fonction médiate d’assurer le contrôle du

juge quant au détournement de pouvoir dont peuvent user les auteurs des normes

restrictives. Jean-Marie AUBRY et Roland DRAGO définissent le détournement de

pouvoir, comme étant : « (…) un vice de l’acte administratif qui se rencontre lorsqu’une

autorité administrative a utilisé volontairement ses pouvoirs dans un but autre que celui

pour lequel ils lui ont été conférés »952. Le pouvoir politique usant de son pouvoir

discrétionnaire et conscient des risques encourus pour l’image de son pouvoir, peut

succomber à la tentation de prendre des mesures restrictives pour bâillonner les opposants

à sa politique. Dans cette hypothèse, l’autorité de police administrative, sous la forme de

laquelle il agit, le fait dans un but très éloigné de l’intérêt général.

952 Jean-Marie AUBRY et Roland DRAGO, Traité des recours en matière administrative, Litec, Paris,

1992, p. 529.

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325

CONCLUSION DU CHAPITRE II

495. En définitive, les garanties matérielles de la conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire ne sont pas encore des acquis constitutionnels, contrairement aux

garanties institutionnelles. Pour certaines d’entre elles, notamment les principes inhérents à

l’exercice de la liberté d’opinion, ils sont expressément consacrés par la Constitution.

L’interprétation qu’en font les juges est alors plus aisée, à condition que ces principes

fassent l’objet d’un recours constant devant lui. En revanche, les principes qui participent

directement à la constitutionnalisation de la sécurité juridique sont en pleine construction

dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone. La réalisation de cette sécurité

juridique passe d’abord par la possibilité pour les particuliers de disposer des moyens

juridiques de contrainte pour la réalisation de leurs droits. Ensuite, elle ne sera effective

que par la réduction maximale de l’arbitraire du pouvoir de l’autorité administrative, lequel

pouvoir doit être encadré par la loi. Enfin, la sécurité juridique ne deviendra réelle qu’à

travers l’impossibilité pour le législateur lui-même de troubler par ses actes les droits

fondamentaux des particuliers garantis par la Constitution953.

496. La sécurité juridique, tel que la présente Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN,

« c’est au minimum la connaissance a priori des règles générales qui peuvent s’appliquer

dans un cas particulier »954. Elle découle alors avec les principes qui en sont déduits, d’un

ensemble de fondements identifiables qui leur assure un ancrage progressif renforcé tant

par le contrôle audacieux du juge administratif que par celui, plus prudent du juge

constitutionnel. Les exigences955 de clarté et d’intelligibilité font partie des grands

principes de la légistique, entendu comme un ensemble des méthodes et des conventions

qui encadrent la rédaction des textes normatifs. Elles présupposent que « le système de

production des normes et de solutions peut être amélioré et gagner en qualité et en

953 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit…, op. cit., p. 324. 954Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, « Les lacunes en droit constitutionnel », in Rafâa BEN

ACHOUR (ss. la dir. de), Le droit constitutionnel normatif. Développements récents, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp.53-61, spéc. p. 58.

955 Le terme d’exigence est employé en tant que prescription normative découlant des dispositions de la Constitution.

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326

efficacité »956 car « (…) la bonne rédaction des formules contribuera particulièrement à la

valeur des règles qu’elles ont pour objet d’énoncer »957. Ces objectifs imposés aux

pouvoirs publics découlent de l’objet même des dispositions, à savoir la protection des

droits et libertés des citoyens. De plus, à cause de l’effet limitatif de la mesure restrictive

pour la liberté d’opinion, cette mesure en raison de la valeur de cette liberté fondamentale

s’en trouve réduite à son tour pour assurer un minimum de pondération, d’équilibre entre

l’obligation de ne pas faire pour le pouvoir politique et l’obligation de faire pour assurer le

maintien de l’ordre public sécuritaire958.

497. Pour assurer le respect de ce rapport d’équilibre, il revient au juge de vérifier et

d’apprécier l’adaptation de ces normes au cas d’espèce, par la voie du contrôle

juridictionnel. Le principe de proportionnalité représente d’ailleurs un excellent moyen,

voire le moyen essentiel, aux mains du juge pour assurer la conciliation959 de l’exercice de

la liberté d’opinion et la sauvegarde de l’ordre public sécuritaire. Ce contrôle doit autant

être plus accru lorsque sont en jeu des libertés fondamentales essentielles à la démocratie

telles que la liberté d’opinion. À cet effet, les mesures de restriction de la liberté d’opinion

justifiées par des motifs d’ordre public doivent avoir pour objet immédiat, d’allier le

respect des rapports d’équilibre de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire à

l’efficacité de la mesure édictée pour le maintien de l’ordre public960.

956 Lucienne–Victoire FERNANDEZ-MAUBLANC, « Accessibilité et intelligibilité de la loi ou la

réhabilitation de la loi par le Conseil constitutionnel », in Mélanges en l’honneur de Dmitri Georges Lavroff : La Constitution et ses valeurs, Dalloz, Paris, 2005, pp. 161-169, spéc. p. 162.

957 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit. Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs sociales, Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz», Paris, 2005, p. 113.

958 La jurisprudence constitutionnelle allemande a justement reconnu une certaine hiérarchie des valeurs entre la liberté fondamentale à protéger et la loi qui restreint cette liberté fondamentale. Plus la valeur de la liberté fondamentale considérée est importante, plus l’effet limitatif de la mesure normative de restriction doit être restreint. Voir C.C.F., Vol. 7, p. 198, 205 ; vol. 15, 167, 194-195. Cité par Arnold RAINER, « Constitution et liberté d’expression en Allemagne », op. cit., p. 109.

959 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p. 144.

960 Ainsi que le disait Xavier PHILIPPE, qui reprenait les propos de Roger Latournerie, la première fonction immédiate du contrôle de proportionnalité découle de la « règle d’or du raisonnement juridique », c’est-à-dire « le maintien d’une certaine logique de la jurisprudence, alliant le respect de la règle juridique à l’efficacité de la solution rendue », Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences constitutionnelle et administrative françaises, op. cit, p.410.

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327

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

498. En débutant cette deuxième partie de notre étude, il a fallu s’interroger sur les

garanties juridiques qu’offrent les textes normatifs de même que la jurisprudence, avec au

sommet les textes constitutionnels pour assurer la conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire. Aussi, pour y apporter une réponse prudente, il a d’abord fallu

parcourir l’histoire de certaines théories révolutionnaires, en l’occurrence la séparation des

pouvoirs en s’appuyant sur la pensée de MONTESQUIEU. Par la suite, il a fallu admettre

l’impact de l’évolution de cette technique constitutionnelle sur l’équilibre des rapports

entre ces deux notions apparemment antinomiques. Toutefois, les garanties n’étant pas

exclusivement institutionnelles, le juge retrouve ses compétences en matière d’appréciation

des normes édictées par les autorités législatives et administratives par le biais des

garanties matérielles, principes en devenir en Afrique subsaharienne. Ces garanties, somme

toute, contribuent à la modélisation des rapports d’équilibre entre la liberté d’opinion et

l’ordre public sécuritaire. La sécurité juridique et ses moyens ne doivent plus rester dans la

clandestinité961 car il s’agit de principes efficients. Leur constitutionnalisation en Afrique

subsaharienne francophone est urgente. Le noyau dur de la sécurité juridique se compose

de principes dégagés pas la jurisprudence et qui pour certains, constituent de véritables

obligations pour les acteurs de la loi lato sensu. Lorsqu’il s’agit de prévenir des risques

d’atteinte à l’ordre public sécuritaire, le législateur tout comme les autorités de police

administrative peuvent prendre toute mesure qu’ils jugent utile sur le fondement de leur

compétence liée ou de leur appréciation discrétionnaire, afin de restreindre l’exercice de la

liberté d’opinion. Même si la constitutionnalisation du principe de sécurité juridique

constitue plus une perspective éventuelle qu’un mouvement réellement amorcé962 en

Afrique subsaharienne francophone, ce principe n’est pas totalement dépourvu de

fondements juridiques. Il est vrai que les juges constitutionnels africains n’ont pas eu assez

961 Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », in

Mélanges Patrice Gélard : Droit constitutionnel, Montchrestien, Paris, 2000, pp. 301-305. 962 Voir la préface de Bertrand MATHIEU de la thèse publiée d’Anne-Laure VALEMBOIS, La

constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français (Préface de Bertrand MATHIEU), L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique Tome 122 », Paris 2005.

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328

d’occasions pour encourager le mouvement de constitutionnalisation de la sécurité

juridique dans les systèmes normatifs nationaux de leurs États.

499. Par ailleurs, la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire,

bien qu’entourée de garanties juridiques est mise à mal. Du fait des limites révélées par sa

contextualisation dans des États où la pratique du pouvoir politique contribue à alimenter

les zones d’ombre qui y font obstacle, la concrétisation des règles d’équilibre entre ces

deux notions de valeur constitutionnelle constitue un véritable problème.

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TROISIEME PARTIE.

LES LIMITES A LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

FRANCOPHONE

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– Introduction du titre II –

500. La conciliation qu’exigent les constitutions des États de l’Afrique subsaharienne

francophone doit faire face à d’importantes contradictions. Ces contradictions ne

concourent pas à une application aisée des règles constitutionnelles en la matière. En effet,

depuis les fondements constitutionnels jusqu’aux garanties juridiques, la conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire a subi un important processus d’ancrage

constitutionnel. Dans son ensemble, le droit constitutionnel composé de la Constitution, de

la jurisprudence constitutionnelle sans négliger l’apport de la doctrine constitutionnelle et

de la jurisprudence administrative participent d’un formidable effort de construction

juridique indispensable au respect de la conciliation. Les constituants ont reconnu

l’importance d’une inscription constitutionnelle des droits et libertés fondamentaux. Mais,

les droits que la Constitution garantit ne sont pas des droits absolus même dans les grandes

démocraties contemporaines. Ces droits ont des limites. La première de ces limites est

l’ordre public dans sa conception matérielle, celle qui renvoie à l’ordre public sécuritaire.

Cet ordre public est une composante de l’intérêt général. L’intérêt général prime sur les

intérêts particuliers. La préservation de l’ordre public sécuritaire et la satisfaction de

l’intérêt général autorisent alors le législateur à prendre des mesures restrictives générales.

Quant à l’autorité de police administrative, celle-ci est invitée à édicter des mesures

restrictives circonstancielles de l’exercice de la liberté d’opinion.

501. Pourtant, l’aménagement de cette conciliation avec son effet « boule de neige »

connaît des limites indéniables encore plus perceptibles en Afrique subsaharienne

francophone. Il faut alors scruter le tableau idyllique de la conciliation peint par les

constituants pour en faire ressortir aussi bien les imperfections juridiques que les

conséquences dues aux réalités politiques. Ces réalités ont un impact négatif sur

l’articulation de la conciliation. Elles représentent l’essentiel des limites à la conciliation

de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. La première de ces limites réside

dans les insuffisances de la qualification juridique des actes sanctionnables découlant de

l’exercice de la liberté d’opinion (Chapitre I). La seconde limite est contenue dans les

lacunes des garanties juridiques de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire (Chapitre II).

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CHAPITRE I.

LES INSUFFISANCES DE LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES ACTES SANCTIONNABLES DECOULANT DE LA LIBERTE D’OPINION

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502. Jean RIVERO écrivait que : « Les mots dont la définition varie avec ceux qui les

emploient inspirent, à qui veut les utiliser pour une recherche, un sentiment

d’insécurité »963. Si arpenter le difficile chemin de la précision de certaines infractions peut

s’avérer dangereux, l’insécurité l’est encore plus pour les auteurs de ces infractions. En

effet, certaines infractions spécifiques qui découlent de l’exercice de la liberté d’opinion

échappent à la rigueur du langage juridique. Ces actes incriminés s’entourent d’une

nébulosité qui en rajoute à la complexité de la protection de la liberté d’opinion dans les

États de l’Afrique subsaharienne francophone. Or, si « les restrictions à la liberté

d’expression sont d’interprétation étroite »964, celles qui concernent cette liberté vénérable

mais combien vulnérable qu’est la liberté d’opinion doivent l’être davantage. Assurément,

l’imprécision de la qualification juridique des infractions résultant de l’exercice de la

liberté d’opinion témoigne d’un objectif bien défini. Il répond à la volonté délibérée des

pouvoirs exécutif et législatif d’éluder la justesse des termes d’un langage juridique qu’ils

souhaiteraient discrétionnairement apprécier au gré des opportunismes politiques ou à ce

que Paul ROUBIER a appelé de pures considérations d’opportunité, reprenant ainsi l’idée

de Carl SCHMITT965. Une partie de la doctrine estime qu’en les rendant délibérément

imprécis, ils réalisent parfois un compromis politique qui permet de débloquer des

situations autrement sans issue966.

503. Originellement, en se référant à la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, l’on

y perçoit des irrégularités de la liberté d’opinion qui engagent la responsabilité juridique de

leurs auteurs. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme oppose une première

limite967 à la liberté d’opinion : l’ordre public. En poursuivant, le texte dans son article 11

963 Jean RIVERO, « Consensus et légitimité », Pouvoirs, n° 5, 1978, pp. 57-64, spéc. 57. 964 Cass. crim., 14 février 2006, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 2006,

n°42, pp. 165-168, spéc. p. 167. 965 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit. Histoire des doctrines juridiques et philosophie des valeurs

sociales, op. cit., p. 334. 966 Alessandro PIZORUSSO, « Standards et contrôle de constitutionnalité des lois », Revue de la Recherche

Juridique, 1988, p. 987. Cité par Marc BODIN, Les notions relatives en droit civil, Thèse pour l’obtention du doctorat en droit, dactyl., Université Montesquieu Bordeaux IV, 2011, p. 12.

967 Jean MORANGE écrit à propos des limites aux libertés qu’ :« Elles n’ont et ne doivent avoir pour seule finalité que de répondre aux besoins et nécessités de la vie sociale et de concilier les droits, parfois opposés, des individus. Elles sont, par définition, diverses et il revient aux pouvoirs publics de les ajuster et de les adapter en permanence en fonction du contexte et de son évolution. Elles ne sont,

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336

rappelle que la contre partie de la libre communication des opinions est de répondre de

l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi968. Les rédacteurs du texte

révolutionnaire soulignent alors que l’exercice abusif de la liberté d’opinion n’est pas

protégé par la loi. La préscience dont ils ont fait preuve s’apprécie encore plus aujourd’hui

à l’heure des progrès techniques, numériques en l’occurrence, qui laissent apparaître de

nouveaux modes d’expression des opinions. Le constituant, puis le législateur, ont bien

compris que la liberté d’opinion ne saurait être comprise ni pensée de manière absolue.

Guy CARCASSONE l’a d’ailleurs reconnu dans une belle formule : « (…) de cet

inévitable pas de deux que dansent ici les interdits et la liberté d’expression – inévitable car

on sait bien qu’il n’est pas, en vérité, de liberté “générale et absolue” qui ignorerait

l’interdit- le Conseil ne connaît qu’une partie des chorégraphies, faute d’être invité à

regarder les autres »969.

504. Aussi, certaines expressions des opinions peuvent-elles paraître abusives dans leur

forme critique tant elles recouvrent un caractère outrageant notamment à l’égard des

institutions publiques. Sur ce point, l’infraction que constitue le délit d’offense (Section II)

n’est pas plus explicite dans les textes qui le reconnaissent, que ne l’est la notion

d’ « abus », point de départ de la sanction de certaines expressions en matière d’exercice

de la liberté d’opinion (Section I).

cependant, pas déterminées de façon arbitraire. Elles découlent de l’aménagement des libertés, d’une part. Elles dépendent des choix exprimés par la société, d’autre part ». « Les limites de la liberté », in Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Fabrice MELLERAY (ss. la dir. de), Le Professeur Rivero ou la liberté en action, Dalloz, Coll. « Thèmes et commentaires », Paris, 2012, pp. 75-89, spéc. p. 78.

968 Guy CARCASSONNE admiratif de la liberté d’expression, estime que seul l’abus peut être sanctionné dans le cadre de l’exercice de cette liberté vénérable. Il rajoute alors qu’ « hors cela, son exercice est affranchi de toute contrainte et c’est justement à cela qu’on reconnaît les libertés les plus immédiates comme les plus essentielles ». « Les interdits et la liberté d’expression », op. cit., p. 56.

969 Idem, p. 55.

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SECTION I.

L’INDETERMINATION DE LA NOTION D’ « ABUS » DE LA LIBERTE D’OPINION

505. La théorie de l’abus de droit en matière civile est apparue vers la fin du XIXe siècle

puis au début du XXe siècle. Une partie de la doctrine juridique a réfuté l’idée de l’abus

des droits970. Pour les auteurs de cette doctrine, l’abus de droit « est un non sens et une

contradiction in terminis »971. Pourtant, les constituants et la doctrine notamment celle de

Louis JOSSERAND972 ont contribué à l’essor de cette nouvelle théorie qui démontre que

l’usage licite d’un droit finit là où commence l’abus. Et l’abus, ainsi que l’a souligné Louis

JOSSERAND, c’est le détournement de l’institution par rapport à l’esprit dans lequel elle

doit régulièrement fonctionner973. Juan Antonio MARTINEZ MUNOZ justifiait

l’apparition de l’abus de droit à partir de plusieurs raisons. Le développement du

970 Léon DUGUIT, Marcel PLANIOL, Adhémar ESMEIN font partie de ces auteurs qui ont souligné le

caractère contradictoire de cette théorie dite de l’abus de droit. Marcel PLANIOL disait en effet : « Si j’ai le droit de faire un acte déterminé, je ne suis pas en faute pour l’avoir accompli, et si j’ai le droit de m’abstenir, je ne suis pas en faute pour avoir omis de la faire », Traité élémentaire de droit civil, Tome II: Obligations, contrats, sûretés réelles, Librairie Générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1943, p. 335. Il ajoutait même que la formule de l’usage abusif des droits repose tout entière, sur un langage insuffisamment étudié. Il s’agit selon lui d’une « logomachie, car si j’use de mon droit, mon acte est licite, et quand il est illicite, c’est que je dépasse mon droit et que j’agis sans droit (…) Il ne faut donc pas être dupe des mots ; le droit cesse où l’abus commence, et il ne peut pas y avoir usage abusif d’un droit quelconque pour la raison irréfutable qu’un seul et même acte ne peut être à la fois conforme au droit et contraire au droit ». Op. cit., p. 336. Cité par Alain SÉRIAUX, « Abus de droit », Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., pp. 2- 4, spéc. p. 3 ; Voir également Marcel PLANIOL, Traité pratique de droit civil français, Tome III : Les biens, 2ème éd., Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1952, pp. 452-454.

971 Mario ROTONDI s’opposait à cette thèse dans son article « Le rôle de la notion de l’abus du droit », Revue trimestrielle de droit civil, 1980, pp.66- 69, spéc. 66.

972 Louis JOSSERAND affirmait si bien qu’ : « (…) il y a droit et droit ; et l’acte abusif est tout simplement celui qui accomplit en vertu d’un droit subjectif dont les limites ont été respectées, est cependant contraire au droit envisagé dans son ensemble et en tant que juricité, c’est-à-dire en tant que corps de règles sociales obligatoires. On peut parfaitement avoir pour soi tel droit déterminé et cependant avoir conte soi le droit tout entier ; et c’est cette situation, non point contradictoire mais parfaitement logique, que traduit l’adage fameux : summum jus summa injuria ». De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits (Préface de David DEROUSSIN), Dalloz, Coll. « Bibliothèque DALLOZ », Paris, 2006, p. 333.

973 Idem, p. 214.

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338

subjectivisme du droit, du dépassement de l’absolutisme des droits subjectifs, de la

réaction contre l’individualisme974 du droit, de l’assignation d’une fonction sociale au

droit, de l’adaptation du droit aux circonstances sociales et de la correction du droit strict

par l’équité975, sont autant d’arguments qui militent en faveur de la reconnaissance de

l’abus d’un droit fondamental. À défaut d’avoir une notion dégagée avec précision par les

constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone, il faudra se référer à la

jurisprudence de même qu’à la doctrine pour faire ressortir les critères de l’abus de la

liberté d’opinion (§ I). Ces critères serviront de fondements pour la modélisation de la

notion d’abus de la liberté d’opinion (§ II).

§ 1. LES CRITERES DE LA DETERMINATION DE L’ABUS DE LA LIBERTE D’OPINION

506. L’abus peut être défini comme le mauvais emploi, l’usage excessif ou injuste d’une

chose. Le caractère excessif, mauvais ou injuste d’une chose renvoie à la finalité de l’acte

dont il est question. Tout droit ou liberté garanti par la Constitution revêt à la fois un aspect

fonctionnel et un aspect finaliste qui, somme toute, doit contribuer au rayonnement de

l’État de droit conformément à l’esprit du constituant. L’institution de la liberté d’opinion

en l’occurrence n’échappe pas à cette règle. Bien que mal précisé, l’abus de droit joue

cependant un rôle utile en ce qu’il participe au maintien de l’équilibre entre l’ordre

juridique et le milieu social976.

507. Sa définition en matière des droits fondamentaux n’étant pas expressément

mentionnée dans les textes fondateurs des États étudiés, son approche soulève une

interrogation centrale : Quels sont les points de repère qui permettent de modéliser l’abus

de ce droit-liberté 977? Plusieurs indices appartenant tant au droit civil qu’au droit

974 Jean-Louis BERGEL, Théorie Générale du droit, 5ème éd., Dalloz, Coll. « Théorie générale du droit »,

Paris, 2012, p. 36. Dans la pensée individualiste pour BERGEL, « la personne humaine constitue la fin suprême du droit et les règles de droit ne peuvent être établies qu’en fonction de l’homme lui-même ».

975 Juan Antonio MARTINEZ MUNOZ, Abuso del derecho ?, Thèse de doctorat en droit, Universidad complutense de Madrid, Faculté de droit, 1998, p. 130. Cité par Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel (Préface de Thierry DÉBARD), L’Harmattan, Coll. « Logiques juridiques », Paris, 2010, p. 150.

976 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit…, op. cit., p. 117. 977 En se fondant sur la Constitution yougoslave, Stojan CIGOG disait que « même si dans la Constitution,

il n’y a pas une mention directe générale concernant les abus des droits, on y trouve beaucoup

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339

constitutionnel sont à relever en vue d’harmoniser les critères de l’exercice abusif de la

liberté d’opinion978. Le droit privé a, à cet effet, constitué un terreau fertile pour la

croissance de la théorie de l’abus de droit. Des critères d’origine constitutionnelle peuvent

être progressivement systématisés (B) avec pour point de départ, les critères d’origine

civiliste (A).

A. LES CRITERES D’ORIGINE CIVILISTE DE L’ABUS DE DROIT

508. Notion aux origines civilistes, l’abus de droit fait aujourd’hui partie de ces notions

floues qui participent au mouvement d’hybridation des différentes branches du droit.

Aussi, la transposition d’une notion privatiste en droit constitutionnel ne relève-t-elle plus

d’une opération dangereuse979 en raison des nouvelles exigences scientifiques. Le droit

civil et le droit constitutionnel ne sauraient voir leurs relations se réduire comme une peau

de chagrin. Comme le dit Bertrand MATHIEU : « Même si “c’est une aventure que de

pénétrer dans le domaine d’autrui ” civilistes et publicistes ont des choses à se dire, les uns

et les autres ont à gagner à se rencontrer et à confronter les concepts qui sont les leurs »980.

L’envie de goûter à ce vin nouveau981 qu’est l’interaction progressive entre droit civil et

droit constitutionnel permet d’apprécier à partir de leurs origines civilistes (1), les critères

dégagés par le droit privé en matière d’abus de droit (2).

1. Les origines civilistes de l’abus

509. En étudiant les règles du droit civil relatif à l’abus de droit, l’on s’aperçoit

rapidement que cette notion est très présente dans le droit des obligations. Ainsi, le Code

civil allemand de 1900, Bürgerliches Gesetzbuch (BGB), en son paragraphe 226 rattache la

d’allusions qui indiquent les limites au-delà desquelles le droit n’existe plus », « L’abus de droit dans la doctrine et la jurisprudence yougoslaves », Revue Trimestrielle de Droit civil, 1980, p. 15, p. 18.

978 Le droit pénal constitue également un outil non négligeable en la matière. 979 Sergio DIAZ RICCI, Revista Péruana de derecho publico, n° 6, 2003, pp. 121-123, spéc. pp. 121-

122 : « En outre, il est extrêmement dangereux de déplacer des concepts développés par la dogmatique juridique de droit privé vers la dogmatique constitutionnelle. Surtout, en matière de droits humains qui reconnaissent une origine pré-étatique, un contenu essentiel, parce que la “dignité de la personne humaine est antérieure à la Constitution” » (Traduit par nos soins).

980 Bertrand MATHIEU, «Droit constitutionnel et droit civil : « de vieilles outres pour un vin nouveau », Revue Trimestrielle de Droit Civil, Janvier-Mars 1994,n° 1, pp.59-65, spéc. pp.64-65.

981 Idem, p. 65. Bertrand MATHIEU associait à cette image de « vin nouveau », la constitutionnalisation du droit civil et la « civilisation » du droit constitutionnel.

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340

notion d’abus à la volonté délibérée de nuire à autrui : « L’exercice d’un droit est illicite

lorsqu’il ne peut avoir d’autre but que de causer un préjudice à autrui »982. À cela,

s’ajoute le paragraphe 826 qui pose le principe de la responsabilité civile délictuelle en ces

termes : « Celui qui agissant intentionnellement et contrairement aux bonnes mœurs cause

un préjudice à autrui est obligé envers celui-ci à la réparation du dommage »983. De cet

article, il découle une extension du principe général de responsabilité984. Il se limite aux

atteintes intentionnelles et est de ce fait beaucoup plus précis que l’article 1382 du Code

civil français de 1804. Cet article 1382 pose les bases de la responsabilité délictuelle ou

quasi-délictuelle. La responsabilité peut résulter d’un acte illicite et aboutir à l’exercice

abusif d’un droit subjectif. Il dispose que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à

autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». L’article

1383 ajoute en ces termes : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non

seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». À partir

des ces principaux fondements textuels, comment déterminer les critères civilistes de

l’abus ?

2. La détermination des critères civilistes de l’abus

510. Ces illustrations textuelles qui consacrent l’abus soulignent que tout droit ou toute

liberté individuelle doit s’exercer avec responsabilité. La relativité des droits et libertés

vient de ce que tout acte accompli en dehors de la finalité sociale à laquelle il correspond

engage la responsabilité de son auteur. C’est en cela que Louis JOSSERAND a reconnu

que l’intention de nuire constitue la pièce maîtresse du système à qui elle donne son

aliment ordinaire985. À ce propos, les maximes Malitiis non est indulgendum 986 et fraus

omnia corrumpit987 permettent de retracer dans le droit romain, l’histoire de la notion de

982 Raymond LEGEAIS, Michel PEDAMON, Code civil allemand= Bürgerliches Gesetzbuch, BGB

(Traduction commentée), Juriscope-Dalloz, Coll. « La lettre des lois », Paris, 2010, p. 74. 983 Idem, p. 304.

984 Ernest BARRE, Le Code civil allemand et le Code civil français comparés entre eux, (Traduit de l’allemand par Jacques HARTMANN), C. Heymann, Berlin, 1899, p. 179.

985 Raymond LEGEAIS, Michel PEDAMON, Code civil allemand= Bürgerliches Gesetzbuch, BGB (Traduction commentée), op. cit., p. 368.

986 Il ne faut montrer aucune indulgence envers ceux qui sont de mauvaise foi. 987 La fraude entache de nullité tout acte accompli sous son couvert.

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341

l’abus sur le fondement de l’intention de nuire. En revanche, l’exercice d’un droit en

matière civile peut tout autant être abusif même en l’absence de toute intention de nuire.

De ce fait, le caractère abusif de l’acte revêt aussi bien une action positive qu’une

abstention si l’on se réfère aux notions de « négligence » et d’ « imprudence » que

mentionne l’article 1383 du Code civil. En plus cet acte, lorsqu’il cause à autrui un

dommage voulu ou non intentionnel de la part de son auteur, entraîne à son égard une

obligation de réparation. Bien que l’intention de nuire puisse être une condition pour

qualifier l’exercice d’un droit d’abusif988, l’absence de cette intention n’en permet pas

moins de déceler un abus dans l’exercice d’un droit989. L’abus de droit devient alors un

quasi-délit en ce que son exercice est dommageable mais non intentionnel990. Il s’ensuit

une complexité apparente de l’appréciation du caractère abusif de l’exercice d’un droit en

matière civile. La définition de l’abus en droit privé est à cet égard fuyante et incertaine991.

Elle l’est d’autant plus qu’elle impose au juge, l’appréciation d’un élément psychologique

qui peut se révéler délicate.

511. Les États de l’Afrique subsaharienne francophone ayant hérité des principes et

règles du Code civil de 1804 se réfèrent également à ces règles civilistes pour déterminer et

sanctionner tout abus de droit du moins en matière civile. Au vu de ce qui précède, quatre

critères civilistes de l’abus de droit peuvent être dégagés. D’abord, la volonté

intentionnelle et manifeste de causer un préjudice à autrui en exerçant son droit. Ensuite, la

faute dans l’exécution de son droit pouvant résulter d’une imprudence, d’une négligence,

d’une volonté non intentionnelle de nuire (Faute simple) ou d’ « un acte de malice et de

mauvaise foi, ou du moins un acte d’erreur grossière équipollente au dol »992 (Faute grave).

Dans ce deuxième cas, la faute grave rejoint le critère intentionnel évoqué. Aussi, une

988 Voir par exemple Cass. crim., 3 août 1901, Dalloz Périodique, 1903, 1ère partie, p. 133 ; Cass. crim., 30

déc. 1904, Dalloz périodique, 1906, 1ère partie, p. 361. Note LE POITEVIN ; Req., 24 avril 1914, Dalloz Périodique, 1918, 1ère partie, p. 96 ; Cass. Crim., 24 janvier 1920, Dalloz Périodique, 1920, 1ère partie, p. 48.

989 Louis JOSSERAND disait à cet effet que l’intention de nuire est « un minimum, une première étape dont on a pu se contenter pendant longtemps, mais qui a été délibérément franchie et dépassée grâce à la prise en considération d’autres critères plus amples et plus féconds », De l’esprit des droits et de leur relativité…, op. cit., p. 378.

990 Marcel PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, op. cit., p. 324. 991 Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel, op. cit., p. 156. 992 Cass. Civ., 14 août 1882, Dalloz Périodique, 1883, 1ère partie, p. 255.

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absence d’intérêt à agir en exerçant son droit. Cette absence d’intérêt est constitutive d’un

abus du fait de sa contradiction avec l’objet économique et social qui lui est assigné. Ce

critérium fait valoir l’abus de droit au regard du fait qu’il y a une disproportion flagrante

entre le préjudice qu’inflige à autrui une certaine manière d’exercer son droit et le profit

que ce mode d’exercice procure au titulaire de ce droit993. Enfin, un critère finaliste : le

détournement du droit de sa fonction sociale conformément à l’esprit du législateur.

512. En accordant des droits et libertés aux individus, c’est bien plus parce que l’État

entend assurer sa propre conservation994 que parce qu’il veut faire œuvre d’altruisme à

l’égard des individus. De ce fait, l’exercice des libertés individuelles n’est légitime qu’à

partir du moment où cet exercice participe au bien-être de la collectivité dans son

ensemble. L’exercice d’un droit ou d’une liberté ne peut donc se faire de façon totalement

égoïste. Ces indices généraux995 peuvent s’appliquer à tous les droits et libertés quels qu’ils

soient. Cependant, les critères dégagés à la lumière des textes constitutionnels viendront

préciser le cas particulier de l’exercice abusif de la liberté d’opinion.

B. LES CRITERES D’ORIGINE CONSTITUTIONNELLE DE L’ABUS DE LA LIBERTE D’OPINION

513. L’abus d’un droit fondamental au regard du droit constitutionnel pose

indéniablement un problème lié à la nature même de la prérogative à analyser (1). Le

cheminement suivi pour la résolution de ce problème conduit d’ores et déjà à analyser les

sources constitutionnelles (2). Ces sources serviront par la suite, de fondements pour

l’identification des critères constitutionnels de l’abus dans l’exercice de la liberté d’opinion

(3).

993 André de BERSAQUES, « L’abus de droit », note sous C.A. Gand, 20 novembre 1950, Revue critique

de jurisprudence belge, Bruylant, Bruxelles, 1953, p. 20. 994 Léon DUGUIT, L’État, le droit objectif et la loi positive (Préface de Franck MODERNE), Dalloz,

Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2003, p. 613. 995 Ces critères relativement pertinents ont été dégagés par Louis JOSSERAND dans l’essai de

systématisation qu’il entendait faire du concept de l’abus. De l’esprit des droits et de leur relativité…, op. cit., p. 366.

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1. L’énoncé du problème

514. En matière constitutionnelle, la recherche des critères pour qualifier l’exercice d’un

droit d’abusif est une opération délicate. En 1964, Louis DUBOUIS qualifiait déjà la

notion d’abus d’obscure et de difficile dont le juge n’aimait pas faire une franche

application996. Aujourd’hui, cette notion reste l’une des plus inavouables difficultés du

juriste en droit public. La rareté des études sur la notion en droit public et plus encore en

droit des libertés fondamentales est la preuve de l’âpreté de la démonstration de l’abus de

droit en cette matière. En dehors des études menées par des auteurs hispanophones dont

une partie de la doctrine qualifiait la notion de « dangereuse »997, l’abus des droits

fondamentaux n’a fait l’objet d’aucune étude approfondie publiée par des juristes

francophones998.

515. En s’y attelant, il est question d’appréhender la liberté d’opinion comme un droit

fondamental. Évidemment comme toute liberté, cette dernière n’échappe pas à la théorie de

la relativité999 contrairement à ce qu’en a pensé une partie de la doctrine en France1000. Elle

n’est pas totale. Elle connaît des limites prévues par les différents textes constitutionnels.

La liberté d’opinion relève de cette catégorie juridique qui se compose de droits-libertés

dont la complexité appelle à des réserves. Cette liberté fondamentale n’est pas une liberté

quelconque. Parce qu’elle contribue à déterminer la qualité et la nature de l’État en tant que

liberté politique, elle est une arme redoutable contre le pouvoir politique. De ce fait, et

c’est le revers de la médaille, elle fait l’objet d’une suspicion constante de la part de ce

pouvoir. À cet égard, les limites qui l’encadrent doivent être des limites objectives. Or, si

l’on se réfère aux critères civilistes, on remarque qu’ils revêtent pour certains d’entre eux

996 Louis DUBOUIS, « La théorie de l’abus de droit et la jurisprudence administrative », Revue

Internationale de Droit Comparé, Vol.16,n° 1, Janvier-Mars 1964, pp. 231-233. 997 Sergio DIAZ RICCI, « El abuso del derecho en materia constitucional. Una categoria peligrosa »,

Revista Peruana de derecho público,n° 6, 2003, pp. 111-123 ; Antonio ROVIRA VINAS, El abuso de los derechos fundamentales, Ediciones Penínsulas, Barcelone, 1983 ; Antonio Enrique PEREZ LUÑO, Los derechos humanos. Significación, estatuto jurídico y sistema, Publicaciones de la Universitad de Sevilla, Séville, 1979.

998 L’expression « juristes francophones » employée ici englobe les juristes spécialistes du droit français national et ceux des Etats africains subsahariens d’expression française dont le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

999 Louis JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité…, op. cit. 1000 Marcel PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, op. cit., p. 337.

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un caractère purement subjectif, de l’ordre de la psychologie. Marcel PLANIOL s’est

d’ailleurs inquiété de l’opportunité de ces critères, notamment lorsqu’il évoque le pouvoir

d’appréciation du juge en la matière : « Mais alors, le juge est obligé de scruter les

consciences, de connaître et de peser les motifs ; le côté psychologique devient dominant.

Il est à craindre que la législation civile n’entreprenne là une œuvre au-dessus de ses

forces »1001. Dès lors, les critères civilistes peuvent-ils être retenus pour ce qui concerne

particulièrement l’abus de l’exercice de la liberté d’opinion ?

516. L’auteur de l’abus considéré est l’individu, bénéficiaire de cette liberté d’opinion.

Aussi, si l’on retient à titre d’illustration l’intention de nuire et le caractère incertain de la

preuve qu’elle implique, comment rapporter la preuve de cette intention en droit

constitutionnel ? De plus, quel est le seuil de l’abus de la liberté d’opinion politique dans

sa forme critique puisque bien qu’incluant le droit de critiquer autrui, elle n’ira pas jusqu’à

supporter des injures ou à admettre des formes de velléités d’attaque de nature à porter

atteinte à l’image et à l’honneur de la personne physique qui incarne l’autorité publique?

517. Les limites au-delà desquelles l’individu engage sa responsabilité pénale ou civile

du fait de l’exercice abusif de la liberté d’opinion doivent demeurer des limites

impersonnelles. Ces limites dans le cadre spécifique de la liberté d’opinion mais de façon

générale, dans le cadre de la liberté, ne doivent pas être des restrictions intuitu personae1002

au sens strict de l’État de droit. L’État de droit est en cela « marqué par l’empire des règles

générales »1003. Il est important en matière de droits fondamentaux pour le juge de veiller à

empêcher les excès du pouvoir politique. Même au seul motif de la sauvegarde de l’ordre

public sécuritaire, le juge ne saurait procéder à une appréciation sommaire du pouvoir de

l’autorité de limitation de la liberté d’opinion. Les constitutions étudiées en matière d’abus

des droits fondamentaux doivent donc être débarrassées de toute ambigüité. Cette

démarche contribuera à éviter toutes possibilités d’interprétations opportunistes tant de la

part du pouvoir politique que de celle du juge qui est aussi un acteur du jeu politique et

surtout lorsqu’il s’agit du juge constitutionnel.

1001 Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel, op. cit., p. 220. 1002 Jean MORANGE, Manuel des droits de l’homme et libertés publiques, op. cit., p. 209. 1003 Léo HAMON, Les nouvelles constitutions africaines, La documentation française, Coll. « Notes et

études documentaires », Paris, 1965, p.703.

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2. Les origines constitutionnelles de l’abus de la liberté d’opinion

518. En analysant les constitutions des différents États étudiés, l’on s’aperçoit que la

notion d’abus est rarement utilisée et quand elle l’est, elle fait l’objet d’une rédaction assez

évasive. La jurisprudence constitutionnelle n’est pas plus explicite sur ce point. En lieu et

place de l’imprécision qui appelle une certaine confusion, la Constitution doit être aussi

claire que possible même en étant brève. Les constituants modernes s’attellent à élaborer à

cet effet des constitutions détaillées1004. Ces constitutions sont renforcées par les révisions

du pouvoir constituant dérivé de sorte que les lois fondamentales contiennent de plus en

plus des formules assez longues et détaillées sans que le texte soit forcément plus fourni en

articles1005. Cette clarté doit traverser tout le texte constitutionnel puisqu’elle est exigée

tant dans le cadre des droits et libertés consacrés, dans les limites qui entourent leur

exercice que dans le cadre des pouvoirs dévolus aux autorités publiques.

519. La Déclaration des droits de l’Homme de 1789 constitue en France le texte de

référence en matière de droits de l’Homme, en ce qui concerne particulièrement l’abus de

droit dans ce domaine. L’article 11 de la Déclaration souligne ainsi que tout abus dans le

cadre de la libre communication des pensées et des opinions engage la responsabilité du

citoyen, auteur dudit abus sans préciser les caractéristiques de l’abus1006. Quant au

constituant allemand, toujours soucieux de la protection des droits fondamentaux, il

1004 La Constitution du Bénin de 1990 est remarquable à cet égard tant le texte regorge de formulations non

équivoques. 1005 Alors qu’en Allemagne, la Constitution de 1919 ou Constitution de Weimar comportait 181 articles, la

Loi Fondamentale renferme 141 articles. La Constitution française de 1958 dans sa forme originelle se constitue de 92 articles. Aujourd’hui, après de multiples révisions et l’intervention du Conseil constitutionnel en 1971, le texte brut se compose de 89 articles. Dans sa forme élargie, il renferme 151 articles quand on y inclue la Déclaration de 1789, les 18 alinéas du préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004. Les États africains à l’inverse ont été prolixes à l’occasion de l’élaboration des Constitutions qui ont suivi les années 1990. Ainsi, La 1ère Constitution ivoirienne de 1960 se composait de 76 articles. En 2000, la nouvelle Constitution fait l’objet de 133 articles. Au Sénégal, la Constitution de 2001 se compose de 108 articles alors que celle de 1963 renfermait 92 articles. Clairement, la priorité était pour les États africains, nouvellement indépendants, l’organisation des institutions, manifestation de leur souveraineté, d’où l’absence d’une consécration détaillée des droits et libertés fondamentaux en dehors des proclamations « de principe » de leur attachement aux déclarations des droits de l’homme.

1006 La Charte française de 1814 en son article 8 paraphrasait l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 en ces termes : « les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté ».

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évoque la notion d’abus des droits fondamentaux en y dévoilant l’un des objectifs :

« combattre l’ordre constitutionnel libéral et démocratique »1007.

520. Dans les constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone, l’abus

n’est pas une notion sur laquelle se sont attardés les constituants en exposant les limites à

l’exercice de la liberté d’opinion1008. C’est plutôt vers la jurisprudence constitutionnelle

qu’il faut se tourner pour voir explicitement promue la notion. Dans sa décision D.C.C. n°

03-134 du 21 août 2003, le juge constitutionnel béninois a dégagé une formule éclairée. Il

a admis qu’il résulte de la disposition des articles 23 et 25 de la Constitution de 1990 « que

la jouissance des libertés par le citoyen, doit se faire dans le respect de l’ordre public

établi par la loi et les règlements ; que de telles conditions visent à éviter les abus tant

dans la jouissance desdites libertés par les citoyens que dans leur restriction par les

autorités chargées de l’Administration territoriale». En 2006, le juge réitère son

interprétation au mot près dans une décision relative aux limites de la liberté de

manifestation1009. La notion ainsi dévoilée, quels sont les critères que peut en dégager le

droit constitutionnel lorsqu’il s’agit de la confronter aux droits et libertés fondamentaux ?

3. L’identification des critères constitutionnels

521. L’abus est l’exercice régulier d’un droit qui cause pourtant un préjudice à autrui. Il

doit alors être recherché dans la conduite. En droit civil, selon les critères dégagés par

Louis JOSSERAND, l’intention de nuire, l’absence d’intérêt pour agir et le mobile

légitime qu’il associe à la finalité du droit considéré sont des critères caractérisés par la

subjectivité. En revanche, en droit constitutionnel, en vue de la protection des droits et

libertés fondamentaux, ces critères ne peuvent pas constituer des critères autarciques car ils

manquent de précision. Tout au plus, ils sont des indices de repérage. Les traces

découvertes dans le corpus constitutionnel de la notion d’abus sont alors des outils

déterminants pour la modélisation des critères constitutionnels de l’abus de la liberté

1007 Art. 18, L.F. de la R.F.A., 1949, relatif à la déchéance des droits fondamentaux. 1008 Si l’on estime que les préambules font partie intégrante des constitutions, alors la Déclaration des droits

de l’Homme de 1789 rappelée dans le préambule de la Constitution de la République du Sénégal de 2001 est la première source constitutionnelle de la notion de l’abus de la liberté d’opinion dans cet État.

1009 Décision D.C.C. n° 06-047 du 05 avril 2006.

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d’opinion. Si l’on se soumet au même exercice que le juge constitutionnel béninois dans

ses deux décisions précédemment évoquées, les restrictions en la matière qui concernent

« le respect de la loi, des droits d’autrui, de la sécurité nationale et de l’ordre public »1010

concluent également à dessiner les contours des abus de l’exercice de la liberté d’opinion.

Autrement dit, tout exercice de la liberté d’opinion doit se faire conformément à la loi et à

la finalité qu’elle assigne à cette liberté. La conduite à cet égard doit se faire dans le respect

des droits d’autrui sans porter atteinte ni à la sécurité des personnes, ni à celles des

institutions, ni à l’ordre public.

522. Dès lors, les critères déterminants de l’abus de la liberté d’opinion, et par delà des

droits et libertés fondamentaux, doivent être recherchés à partir de critères précis. Ces

critères sont principalement la relation de l’exercice de la liberté d’opinion avec sa finalité

sociale dans un État (a), son impact objectif sur l’ordre public sécuritaire (b), le caractère

même de l’exercice de la liberté d’opinion à savoir s’il est anormal ou excessif (c).

a. L’inadéquation de l’exercice de la liberté d’opinion par rapport à sa finalité sociale

523. L’appréciation du caractère inadéquat de l’exercice de la liberté d’opinion ne se

fera que pour autant que l’on aura déterminé en priorité la finalité sociale1011 assignée à

cette liberté fondamentale. Toute prérogative ou tout pouvoir qui découlent de la règle de

droit tant dans son essence que dans la mission qu’il est destiné à remplir ont une finalité

sociale. En effet, l’exercice de la liberté d’opinion en tant que droit-fonction est un indice

non négligeable pour l’appréciation de la démocratie dans un État. Elle en est une jauge.

Qu’il s’agisse de la liberté d’opinion dans sa forme politique, syndicale ou religieuse,

toutes participent à la construction de la démocratie d’autant plus qu’elle suppose un choix

éclairé entre plusieurs possibilités. Ces différentes possibilités permettent in fine d’aboutir

à une compétition électorale équilibrée, du moins pour ce qui est principalement de la

1010 Art.9, Const. ivoirienne, 2000. 1011 Nous n’associerons pas expressément de finalité économique à la liberté d’opinion, car ce critère

finaliste est insuffisant et ne correspond pas de façon pertinente à l’institution de la liberté d’opinion.

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liberté d’opinion politique1012. Louis JOSSERAND disait à propos du critère finaliste de

l’exercice des droits que « nous sommes tenus de mettre nos facultés juridiques au service

d’un motif adéquat à leur esprit et à leur mission, sinon, nous ne les exerçons plus à vrai

dire, mais nous en abusons »1013.

524. L’exercice de la liberté d’opinion suppose la confrontation de deux intérêts en

présence : l’intérêt de l’individu, bénéficiaire de la liberté d’opinion, et l’intérêt général, au

bénéfice de la communauté dans son ensemble. Pour le législateur, ces deux intérêts

doivent être protégés dans un rapport d’équilibre, à défaut de les maintenir intacts. En

exerçant sa liberté d’opinion, l’individu extériorise sa pensée, sa croyance. Pour maintenir

ce rapport d’équilibre, cette extériorisation ne sera permise que dans des limites objectives

contenues dans les dispositions constitutionnelles bien définies : le respect d’autrui, la

sécurité des personnes et l’ordre public. L’abus se présente dès lors que l’acte est contraire

aux prescriptions du constituant renforcées par celles du législateur. L’exercice de la

liberté d’opinion peut en effet représenter une menace pour les fondements de la

démocratie alors même que cette liberté est censée en constituer un intérêt socialement

utile pour sa consolidation.

525. La complexité du caractère abusif de la liberté d’opinion réside dans le fait que ce

caractère se confond avec les infractions découlant de l’exercice de ce droit-liberté. L’abus

ici ne semble donc pas se situer aux frontières de la légalité comme c’est le cas en droit

civil, puisqu’en tant qu’élément constitutif d’une infraction, il est clairement illégal et

répréhensible1014. Il est dans ce cas « un outil nécessaire pour suppléer des réponses extra-

pénales inefficaces, en même temps qu’il vient rappeler la supériorité de certains intérêts

1012 La Constitution sénégalaise de 2001 met un point d’honneur à démontrer l’importance du pluralisme en

matière politique (la liberté d’opinion politique étant un préalable à sa réalisation). Elle proclame à cet effet dans son préambule : « la volonté du Sénégal d’être un État moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et un État qui reconnaît cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique ».

1013 Louis JOSSERAND, De l’esprit des droits…, op. cit., p. 401. 1014 En matière civile, l’exercice d’un droit peut être illicite alors même qu’il demeure légal. L’illicéité

réside dans le dommage causé à autrui et dans la finalité qu’en recherche l’auteur du dommage en exerçant son droit.

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plus généraux, dont on attend des individus qu’ils les respectent »1015. En fait, le critère de

l’inutilité1016 de l’acte permet d’apprécier l’inadéquation de l’exercice de la liberté

d’opinion par rapport au but qu’en recherche le constituant. C’est notamment le cas des

infractions de presse, qui peuvent être assimilées à des abus. La liberté du journaliste en

matière d’information s’oppose à l’honneur et à la considération des individus. Si

l’honneur ou la considération de l’individu ont été gravement atteints et ce de façon inutile

quand on compare le bénéfice qu’en tire son auteur et le préjudice qu’en subit la victime,

alors l’exercice de la liberté d’information du journaliste n’est plus en conformité avec la

finalité sociale que lui a assignée la Constitution. Cette finalité étant de contribuer à la

formation des consciences. La nuance dans l’idée sus évoquée réside dans le fait que même

si le juge ne peut ignorer l’intention de nuire quitte à mener une opération intrusive moins

évidente dans la pensée de l’individu, il est des actes, des paroles ou des écrits qui ne sont

pas sanctionnés sur le plan pénal.

526. Malgré tout, ces actes qui extériorisent les opinions restent incompatibles avec la

finalité sociale de l’institution de la liberté d’opinion. Bien qu’ils soient en théorie

irréprochables, ils tombent sous le coup de la loi, notamment en droit français avec l’article

1382 du Code civil. Tel est le cas des paroles ou écrits qui causent un préjudice à autrui

sans qu’en amont, ces paroles ou écrits n’aient été produits dans l’intention de nuire.

Lucien CAMPION écrivait dans le même esprit que « si à un moment donné, la lésion de

l’intérêt du préjudicié apparaît comme plus grave, au point de vue social, qu’une atteinte à

l’intérêt du sujet, il y a rupture de l’intérêt menacé »1017. Pour cet auteur, l’idée de l’abus

réside dans le déséquilibre des intérêts en présence, alors que pour d’autres, l’abus réside

plutôt dans la disproportion flagrante. Louis JOSSERAND dira finalement que l’abus est

constitué lorsqu’il y a détournement d’un droit par rapport à sa destination, à sa mission

sociale1018. En raison de la nature même de cette liberté, l’abus de la liberté d’opinion ne

1015 Emmanuelle LAJUS-THIZON, L’abus en droit pénal (Préface de Philippe CONTE), Dalloz,

Coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », vol. 105, Paris, 2011, p. 8. 1016 L’inutilité se rapporte ici au fait que l’auteur de l’exercice de la liberté d’opinion a usé de son droit sans

grand intérêt pour lui-même. Il n’y a aucun avantage, aucune contrepartie qui pourrait lui donner satisfaction personnelle.

1017 Lucien CAMPION, De l’exercice antisocial des droits subjectifs : la théorie de l’abus des droits, Bruylant-L.G.D.J., Bruxelles, Paris, 1925, p. 301.

1018 Louis JOSSERAND, De l’esprit des droits et de leur relativité…, op. cit., p. 386.

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peut être que légalement prévu d’autant plus qu’il s’agit d’une technique de délimitation de

la liberté d’opinion. Le constituant de même que le législateur ne sauraient en confier

l’entière responsabilité à l’autorité de police administrative, quant à plus forte raison, cette

autorité jouit en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire considérable.

527. Inadéquation, déséquilibre, disproportion, l’abus de l’exercice de la liberté

d’opinion ne continuera à être précisé qu’au regard de l’impact objectif qu’il engendre sur

l’ordre public sécuritaire. En d’autres termes, l’inadéquation de l’exercice de la liberté

d’opinion ne sera perceptible qu’en confrontant cet exercice au résultat produit, car

considéré tout seul, ce critère présente des insuffisances. Le résultat de l’exercice de la

liberté d’opinion a-t-il été préjudiciable à l’intérêt général ?

b. L’impact de l’exercice de la liberté d’opinion sur l’ordre public sécuritaire

528. Devant l’exercice de la liberté d’opinion, se dresse le maintien de l’ordre public. En

reconnaissant la liberté d’opinion, les constitutions donnent compétence aux pouvoirs

publics de veiller au respect de cet ordre sans porter atteinte aux droits et libertés

fondamentaux, dans la mesure du possible. L’abus de la liberté d’opinion ne pourra être

constitué qu’à partir du moment où l’exercice de cette liberté aura produit un effet sur le

maintien de l’ordre public sécuritaire, un effet qui rendrait difficile son maintien. Mais

même ici, l’impact peut être indépendant de la volonté de l’auteur de l’acte qui en est à

l’origine. Dans ce cas d’espèce, l’abus est-il constitué pour pouvoir être sanctionné ?

529. L’intérêt de ce critère est ailleurs. La question de l’impact se situe bien évidemment

en aval au regard de l’effet produit par l’exercice de la liberté d’opinion. Toute opinion

n’entre dans le champ de compétences du législateur que pour autant qu’elle s’extériorise.

Son extériorisation peut prendre diverses formes : écrits, paroles, manifestations, etc. Les

décisions rendues par les juridictions constitutionnelles et administratives en matière de

sanction de la liberté d’opinion en ses différentes manifestations conduisent ipso facto à

considérer comme un exercice abusif de la liberté d’opinion, tout exercice qui entraîne

dans l’espace public des troubles de quelque ordre que ce soit. Ce critère à lui seul pourrait

constituer un élément constitutif de l’abus de l’exercice de la liberté d’opinion. Toutefois,

la réflexion doit être approfondie.

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c. Le caractère anormal ou excessif de la liberté d’opinion

530. À quel moment l’exercice de la liberté d’opinion devient-il anormal, excessif ? La

réponse à cette interrogation impose de procéder par avance à la détermination du contenu

juridique de la normalité, de la mesure. Et même dans cette démarche analytique, la

difficulté est celle de dégager un contenu juridique à la normalité puisque découvrir ce

contenu marquera les limites du positivisme juridique pour faire place à des éléments

extrajuridiques qui relèvent de la règle morale. En d’autres termes, ce critère fait

résolument appel à des présupposés d’ordre moral circonscrits tant d’un point de vue

temporel que d’un point de vue spatial.

531. La normalité renvoie à ce qui est conforme à la norme, à l’état le plus fréquent, le

plus habituel, qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel. Elle est comme l’a affirmé

Laurent ECK, un concept à géométrie variable qui fait référence à des coutumes sociales, à

l’usage socialement admis1019. Le caractère anormal de l’exercice de la liberté d’opinion

s’apprécie différemment d’un espace géographique à un autre. Il est fonction du contexte,

des standards de comportement admis par la conscience publique. Cette notion induit

l’idée de valeurs sociales. La nuance ici qu’il faut souligner est le refus de confusion entre

la conformité à la norme et la conformité à la règle de droit. L’exercice de la liberté

d’opinion peut être un exercice tout à fait normal sans pour autant être légal car la

normalité n’est pas la légalité. A contrario, la légalité peut se confondre avec la normalité

dans la mesure où la première aboutit à la seconde. La légalité induit l’édiction d’un

ensemble de normes juridiques qui dans un espace donné et à un moment donné, normalise

les comportements autorisés. Il en découle alors que l’abus de droit peut être considéré

comme une irrégularité découlant d’un acte qui accompli régulièrement, a pourtant un

caractère anormal par rapport au mode d’exercice habituel d’un tel droit1020.

532. Quant à l’excessivité, elle renvoie dans le langage courant au regard d’une norme

morale, à ce qui dépasse la mesure, le degré convenable par sa force, son intensité ou sa

violence. L’excès en tout est un défaut selon le proverbe. L’exercice de la liberté d’opinion

devient excessif lorsque son auteur dépasse les limites objectives de cette liberté. Lorsque

1019 Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel, op. cit., p. 161. 1020 Marcel PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, op. cit., p. 337.

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le droit romain pose le principe « Summum jus, suma injuria » ou « Comble du droit,

comble de l’injustice », c’est alors toute la substance de la question de l’exercice excessif

d’un droit poussé à l’extrême qui est posée. Cet acte excessif voire extrême, Louis

JOSSERAND le distingue de l’acte abusif en ce sens que l’acte excessif est un acte

exécuté en vertu d’un droit et conformément à l’esprit de l’institution1021. Pour notre part,

cette distinction présente des faiblesses puisque l’exercice de la liberté d’opinion comme

de tout droit et liberté devient abusif quand on dépasse l’exercice raisonnable de ce

droit1022. L’exercice abusif renferme alors une part d’excessivité. La distinction opérée par

Louis JOSSERAND1023 qui fait de l’acte abusif et de l’acte excessif, deux catégories

hétérogènes ne réussit donc pas à dissiper le doute sur la confusion pouvant exister entre

ces deux aspects de l’exercice de la liberté d’opinion. En effet, l’exercice excessif de la

liberté d’opinion1024 tout comme l’exercice abusif transgresse avec la finalité sociale

assignée à la liberté d’opinion. Cette finalité sociale constitue d’ailleurs la ligne de

démarcation entre l’usage normal d’un droit et l’abus qui résulte de l’exercice de ce droit.

L’exercice excessif de la liberté d’opinion est constitutif d’un acte abusif puisque l’acte

excessif et l’acte abusif sont des actes qui, non seulement, dépassent à tort la mesure

normale, mais la dépassent à tort1025. Pourtant, autant l’abus se dessine lorsqu’à la lecture

de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, le respect de l’ordre

public et les droits d’autrui en constituent les limites, autant aucun texte constitutionnel pas

plus qu’une jurisprudence constitutionnelle ne donne la mesure avec laquelle doit être

exercée la liberté d’opinion. Il semble appartenir au juge en tant qu’interprète de la norme

juridique d’apprécier la mesure avec laquelle a été exercée la liberté d’opinion. 1021 Louis JOSSERAND, De l’esprit des droits…, op. cit., p. 343. 1022 Marcel PLANIOL, op. cit., p. 336. 1023 François PETIT résumait cette distinction en ces termes : « (…) On ne saurait admettre que celui qui

excède les limites de son droit commet un abus. En réalité, il ne peut exercer son droit, puisqu’en l’absence de certaines conditions, son droit n’existe pas. Ensuite, lorsqu’un abus est commis par le titulaire d’un droit subjectif, les mobiles du détournement comptent tout autant que les conséquences, excessives ou non, de l’exercice de ce droit, alors que la constatation de l’excès ne nécessitent pas l’examen des raisons qui l’ont inspiré », « Observations sur la notion d’excès en droit privé », Revue de la Recherche Juridique, 2001, pp. 255-269, spéc. 257.

1024 Dans son Vocabulaire juridique, Gérard CORNU définit l’adjectif « excessif » comme le caractère « outrancier, exagéré, immodéré, démesuré, énorme qui outrepasse la mesure ; qui franchit les bornes légitimes, le seuil du tolérable et que, justement, la loi ne tolère pas. », op. cit., voir Excessif, ive, p. 427.

1025 André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Voir excès, op. cit., p. 316.

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353

533. En somme, ces différents critères paraissent assez instables. En tout état de cause, la

notion même de l’abus renvoie à une nature subjective bien qu’en matière d’exercice de la

liberté d’opinion, les critères objectifs soient plus protecteurs de l’exercice de cette liberté.

Ces critères pour chacun d’entre eux contiennent à la fois des forces et des faiblesses. Ils

contribueront néanmoins à modéliser l’abus de la liberté d’opinion à partir des caractères

combinés.

§ 2. UN ESSAI DE MODELISATION DE LA LIBERTE D’OPINION A PARTIR DES CRITERES COMBINES

534. Louis JOSSERAND écrivait : « Chacune de nos facultés tend à un but qui est

déterminé par l’esprit de l’institution : c’est la théorie de l’abus qui les maintient dans le

droit chemin, qui les empêche de s’en écarter et qui les conduit ainsi, d’une impulsion sûre,

jusqu’au but à atteindre »1026. Ainsi, le critère de l’abus des droits, mais plus

spécifiquement le critère de l’abus de la liberté d’opinion trouve son fondement dans

l’esprit de cette liberté. L’esprit de la liberté d’opinion est perceptible à travers les critères

objectifs tenant à la légalité de son exercice (A) auxquels il convient d’associer les critères

subjectifs tenant à la légitimité de cette liberté (B).

A. LA PRIMAUTE DES CRITERES OBJECTIFS TENANT A LA LEGALITE DE L’EXERCICE DE LA LIBERTE D’OPINION

535. Les critères objectifs déjà précisés s’appuient sur des outils normatifs dont la

preuve peut être rapportée. En référence à l’article 18 de la L.F. de la R.F.A. de 1949, l’on

s’aperçoit que la notion d’abus en matière d’exercice de la liberté d’opinion, notamment

lorsque ces opinions sont exprimées, se déduit de tout acte qui en la matière combat l’ordre

constitutionnel libéral et démocratique. Aussi, l’appréciation de l’abus de la liberté

d’opinion sera aiguillée à partir des indices montrant qu’il y a contrariété entre l’intention

du constituant et l’exercice de ce droit-liberté (1). À cela, s’ajoute les prescriptions du

législateur pénal qui sanctionnent les débordements de l’exercice dans ce cadre (2).

1026 Louis JOSSERAND, De l’esprit des droits…, op. cit., p. 415.

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354

1. La contrariété de l’exercice de la liberté d’opinion avec l’intention du constituant

536. L’intention du constituant se laisse découvrir tant à travers l’esprit de la

Constitution1027 qu’à travers la lettre même du texte1028. Elle revêt une importance capitale

notamment en matière d’appréciation du caractère abusif de l’exercice de la liberté

d’opinion. François LUCHAIRE affirmait d’ailleurs que « l’intention du constituant peut

faciliter l’interprétation du texte »1029. En instituant la liberté d’opinion, les différents

constituants attendent des bénéficiaires de cette prérogative constitutionnelle que l’exercice

qu’ils en font participe à la consolidation de la démocratie.

537. Les différents préambules des constitutions des États de l’Afrique subsaharienne

francophone sont parfaitement illustratifs de l’intention des constituants lorsque ces

derniers consacrent les droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté d’opinion. Le

préambule de la Constitution béninoise de 1990 affirme à cet effet la détermination du

peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste en s’appuyant sur la

protection et la promotion des droits fondamentaux. Ces droits fondamentaux constituent

« la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque béninois

tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle ». Le constituant ivoirien de

2000 poursuit dans la même dynamique dans la mesure où le respect et la protection des

libertés fondamentales tant individuelles que collectives constituent des valeurs

démocratiques. Autrement dit, l’exercice des droits et libertés fondamentaux doit concourir

à la consolidation de l’idéal de démocratie. La Constitution de 2001 au Sénégal fait du

respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen, la base de la société 1027 L’esprit de la Constitution, ainsi que l’ont affirmé certains auteurs, « désigne celui dont les constituants

ont voulu qu’il anime le texte constitutionnel. Mais l’ « esprit » désigne également le fonctionnement général d’un système constitutionnel ». Cf. Thomas GIRAUD, L’interprétation de la Constitution par les organes non juridictionnels, Thèse pour le doctorat en droit, Université Paris X, dactyl., 2005, p. 161.

1028Ainsi que les disaient une partie de la doctrine : « Rigoureusement parlant, la “ lettre” renvoie à une signification littérale, une signification qui privilégie les éléments d’interprétation sémantiques (et notamment les enseignements lexicologiques qu’attestent les dictionnaires) et les informations syntaxiques qui dérivent de l’application des règles de grammaire. À la limite, l’interprétation selon la lettre exclut la prise en compte de tout autre élément : clara non sunt interpretanda ». Cf. François OST et Michel VAN DE KERCHOVE, Entre la lettre et l’esprit. Les directives d’interprétation en droit, Bruylant, Bruxelles, 1989, p. 8.

1029 François LUCHAIRE, « De la méthode en droit constitutionnel », Revue du Droit public, 1981, p. 275, p. 316.

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355

sénégalaise. À la lecture du préambule de ladite Constitution, l’on peut déduire que

l’intention du constituant sénégalais est que l’exercice de la liberté d’opinion ne soit pas un

motif de destruction et de désagrégation de l’unité du peuple sénégalais. Ces différentes

intentions des constituants sont complémentaires les unes des autres et s’inscrivent toutes

dans la même dynamique de construction de la démocratie et de fondement de l’unité

nationale.

538. L’exercice de la liberté d’opinion doit alors être compatible avec cette vision

altruiste des droits et libertés fondamentaux. La finalité qu’assigne le constituant à ces

prérogatives constitutionnelles se distingue de celle des prérogatives qu’organise le droit

privé dans les rapports sociaux entre individus. Alors que les droits et libertés

fondamentaux ont une finalité sociale, les droits et libertés que le droit civil gouverne ont

une vocation individualiste. La finalité sociale de la liberté d’expression des opinions au

regard de la L.F. de la R.F.A. de 1949 est participative du renforcement de l’ordre

constitutionnel libéral et démocratique. En effet, en exposant l’une des conséquences à

laquelle peut aboutir l’exercice abusif de la liberté d’expression des opinions à savoir

combattre l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, le constituant allemand insiste

sur un critère qui se confond indiscutablement avec l’intention de nuire de l’auteur de

l’acte abusif. Cet ordre sur lequel insiste tout au long de la L.F. de 1949 le constituant

allemand1030 est une notion plus extensive que la notion d’ordre public que consacrent les

constitutions africaines. Mais, la notion d’ordre public recouvre également un caractère

extensible. Cette notion inclut finalement au-delà de la trilogie classique à laquelle le juge

administratif français a rajouté la dignité de la personne humaine1031 et la moralité

publique1032, des éléments émanant de l’intention même du constituant perçue

subjectivement. Toute la construction constitutionnelle des droits et libertés fondamentaux

obéit à un esprit de cohérence du système juridique qui irrigue l’ensemble des dispositions

1030 Le constituant allemand de 1949 emploie les expressions « ordre constitutionnel » et « ordre

constitutionnel libéral et démocratique » et fonde la cohérence de l’ensemble de la Loi Fondamentale sur les valeurs qu’elles traduisent. Voir art. 2 (1) ; art. 9 (2) ; art. 10 (2) ; art. 20 (3) ; art. 20 a ; art. 21 (2) ; art. 28 (1) et (3) ; art. 73 (1) 10. b ; art. 87 a (4) ; art. 91 (1) ; art. 98 (2) de la L.F. de 1949.

1031 C.E. Ass., 27 octobre 1995, Commune Morsang-sur-Orge, Rec. Lebon, p. 372 ; Grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, Coll. « Grands arrêts », Paris, 2011, pp. 691-699.

1032 CE., Sect., 18 décembre 1959, Société Les Films Lutétia, n° 36385 36428, Rec. Lebon ; Grands arrêts de la jurisprudence administrative, op. cit., pp. 510-517.

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356

qui y sont relatives. Cet esprit qui se confond avec les valeurs sociales généralement

acceptées est un parfait indice avec lequel aucun droit ou aucune liberté ne saurait entrer en

contradiction. Pourtant, le juge constitutionnel français a estimé que ce critère relatif à

l’esprit de la loi était un critère subjectif1033. Subtile ou expresse, l’intention du constituant

se prolonge et se renforce à travers les prescriptions du législateur pénal. Pour ce dernier,

les abus recouvrent des formes variées d’infractions qu’il sanctionne.

2. La complémentarité des prescriptions du législateur pénal et de l’intention du constituant

539. Moins ambigus et plus stables que l’intention du constituant, les prescriptions du

législateur pénal restent tout de même complexes et semblent se confondre avec l’abus.

Mais, peut-on employer la notion d’abus en droit pénal alors que les actes qualifiés comme

tels en la matière sont illégaux ? En effet, en raison du principe de la légalité criminelle, les

comportements abusifs ne doivent pas être déduits d’une interprétation de l’esprit de la

norme juridique. Ils doivent faire l’objet de qualifications et de sanctions clairement

prévues par le législateur pénal. La notion d’abus en droit pénal est une notion protectrice

de la vulnérabilité dont peuvent être victimes certains sujets de droit. Ici, l’abus consiste

très généralement « en l’exploitation d’une autorité reliée à un pouvoir juridique de nature

à porter atteinte à la finalité de celui-ci, et pouvant être résumée comme étant un excès de

pouvoir par le détournement de l’autorité qui y est reliée »1034. Cette approche pénaliste de

la notion de l’abus fonde les incriminations des actes qualifiés d’abus d’autorité, d’abus de

pouvoir, d’abus de confiance, d’abus de faiblesse, etc. Partant de là, deux critères refont

leur apparition : l’excès de l’exercice et le détournement de la finalité de la prérogative

juridique considérée. Ces deux critères rappellent et complètent l’intention du constituant à

savoir la protection des valeurs sociales considérées comme des valeurs essentielles et

1033 C.C., décision n° 73-49 D.C. du 17 mai 1973, Résolution tendant à modifier certains articles du

règlement du Sénat. Le 7ème considérant est ainsi formulé : « Considérant que l’irrecevabilité d’un sous-amendement ayant “pour effet de dénaturer l’esprit” de l’amendement auquel il s’applique risque d’aboutir à une telle suppression ; qu’en effet le dépôt d’un sous-amendement par un membre du Parlement ou par le Gouvernement implique un désaccord avec le texte qui fait l’objet de ce sous-amendement ; qu’on ne voit pas sur quel critère objectif pourrait s’appuyer le sénat (…) ». Georges BERLIA, Revue du Droit public, numéro spécial, 1973, p. 1031. Décision disponible sur le site internet institutionnel du Conseil constitutionnel français : www.conseil-constitutionnel.fr.

1034 Emmanuelle LAJUS-THIZON, L’abus en droit pénal, op. cit., p. 193.

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357

nécessaires au développement harmonieux du peuple duquel il détient son pouvoir. Aussi,

laissent-ils entrevoir certains éléments constitutifs du comportement matériel abusif

sanctionné par le législateur en matière pénale.

540. Il est des infractions qui concernent spécifiquement ce que le constituant allemand a

appelé la liberté d’expression des opinions. Pour que l’auteur dont la liberté d’expression,

est qualifiée d’abusive, ce dernier doit tirer profit de la prérogative constitutionnelle en

vertu de laquelle toute opinion doit pouvoir librement s’exprimer sous les formes que

reconnaît la Constitution. En tirant avantage de l’expression de son opinion, la finalité de

l’acte considéré pour l’auteur peut être de porter atteinte à l’ordre public sécuritaire. À la

lecture des différents codes pénaux, il est un acte qui pourrait s’assimiler à un abus de la

liberté d’opinion : la provocation. En droit pénal, la provocation peut se définir « comme

une incitation envers autrui à commettre une infraction ou à adopter un comportement

dangereux incriminé soit en tant que forme de complicité, soit en tant qu’infraction

autonome »1035. Il recouvre un aspect intentionnel. En la matière, la provocation par

l’expression des opinions commande à la commission d’actes à l’origine d’un trouble à

l’ordre public. Le Code pénal sénégalais, dans la continuité de l’intention du constituant à

préserver l’ordre promu par l’État, réserve des développements spécifiques aux troubles à

l’ordre public commis par les ministres des cultes et des autorités religieuses dans

l’exercice de leur ministère1036. En conséquence, l’expression des opinions religieuses

comme prétexte à des discours contenant des critiques malveillantes à l’égard du

gouvernement et de tout autre acte de l’autorité publique est punissable1037. De même, la

provocation directe à la désobéissance aux lois et aux autres actes des autorités

publiques1038 ou toute critique ouverte qu’aura exprimée par écrit une autorité religieuse et

à travers laquelle, elle censurera ou critiquera le gouvernement ou toute autre autorité

publique1039 est punissable1040. Cet article du Code pénal sénégalais se rapproche de

1035 Vocabulaire juridique, op. cit., Voir Provocation, p. 826. 1036 Voir arts. 179 et s. du Code pénal sénégalais du 21 juillet 1965. 1037 Code pénal sénégalais précité, Art. 179. 1038 Idem, art. 180. 1039 Idem, art. 181.

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358

l’esprit de l’article 34 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Église et de

l’État, cependant plus précis sur la nature des critiques1041. Toutefois, contrairement à

l’abus dans sa forme originelle qui implique un lien de causalité entre l’acte fautif et le

préjudice subi, l’expression des opinions des autorités religieuses au Sénégal n’est pas

forcément conditionnée par la survenance d’un préjudice pour être sanctionnée1042. Dans

les deux autres États de l’Afrique subsaharienne francophone étudiés, la provocation est

également un acte punissable dont l’expression peut recouvrir divers supports d’expression

des opinions. Le Code pénal ivoirien punit toute provocation par geste, propos, cri ou

menace, par écrit, image, dessein, imprimé, document, placard ou affiche susceptible de

porter atteinte à l’ordre public1043. De même, La diffamation, l’injure ou la menace faites

dans les conditions sus évoquées tombent sous le coup de la loi pénale1044.

541. À cet effet, tant en Côte d’Ivoire, au Bénin qu’au Sénégal, les paroles ou écrits qui

extériorisent les opinions et qui présentent un caractère délictueux sous la forme des

outrages, des injures ou des diffamations peuvent être, à raison, considérés comme des

expressions abusives de la liberté d’opinion1045. L’intention de nuire à l’honneur et à la

considération de la victime n’est pas une donnée indépendante de la qualification de ces

actes en délits. La diffamation et l’injure en l’occurrence excluent l’argument d’un

exercice de la liberté d’opinion de bonne foi1046. Ainsi que l’a souligné Louis

JOSSERAND, « (…) la seule conscience du préjudice causé à la victime fait présumer,

chez l’agent, l’intention de nuire, étant d’ailleurs entendu qu’il s’agit là, non point d’une

présomption légale, mais seulement d’une présomption de l’homme qui peut être

1040 Ces incriminations confirment sans nul doute la volonté du législateur pénal sénégalais à la suite du

constituant de 2001 de renforcer la séparation du pouvoir spirituel (dont les autorités politiques sont conscientes de l’influence certaine sur la vie institutionnelle sénégalaise) d’avec le pouvoir politique.

1041 Cet article prévoit que « tout ministre du culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public sera puni d’une amende de 25.000 F. et d’un emprisonnement d’un an , ou de l’une de ces deux peines seulement ».

1042 Voir arts. 179 et 182 du Code pénal sénégalais. 1043 Code pénal ivoirien précité, Art. 174. 1044 Idem, Art. 199. 1045 Voir supra. Première partie, Chapitre II, Section I, § 2, B. 1046 La jurisprudence française a d’ailleurs admis que : « Les imputations diffamatoires sont réputées de

droit faites avec l’intention de nuire (…) ». Cass. Crim, 3 août 1901, Dalloz périodique, 1903. I. 133.

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359

combattue par la preuve contraire »1047. Il rajoute judicieusement qu’en doctrine tout

comme en jurisprudence « (…) la diffamation et l’injure sont, à l’instar de la presque

totalité des délits du droit pénal, des infractions d’ordre intentionnel dans la constitution

desquelles la moralité de l’agent joue un rôle décisif »1048. L’on en déduit que l’exercice

abusif de la liberté d’opinion se caractérise par un exercice de mauvaise foi qui détourne

cette liberté noble de sa fonction sociale puisque son auteur a manifestement l’intention de

nuire. En 2007, le Tribunal correctionnel de Paris, réuni en sa 11ème chambre, a d’ailleurs

évoqué des éléments qui peuvent contribuer à l’appréciation de l’abus de la liberté

d’expression des opinions. En effet, le juge pénal a admis qu’en dépit du caractère

choquant des caricatures vis-à-vis de « la sensibilité des musulmans », le contexte et les

circonstances de la publication des caricatures de Mahomet apparaissent exclusifs « de

toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans ;

que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont pas été dépassées »1049. Il en

découle alors que l’abus de la liberté d’expression des opinions est le dépassement des

limites admissibles dans un but de porter un préjudice moral direct et sans intérêt d’une

personne ou d’un groupe d’individus. Encore, faudrait-il définir les limites admissibles.

542. En définitive, les prescriptions du législateur pénal qui complètent et renforcent

l’intention du constituant sont des critères qui trouvent une assise légale. L’intention de

nuire n’est plus un critère purement psychologique. Il est sanctionné par le législateur

pénal. À ces critères positivistes, l’on doit combiner des critères d’ordre moral qui trouvent

un intérêt certain dans la recherche de la modélisation de l’abus de la liberté d’opinion.

B. L’INTERET DES CRITERES SUBJECTIFS TENANT A LA LEGITIMITE DE L’EXERCICE DE LA LIBERTE D’OPINION

543. La Constitution doit être « l’expression d’un pacte de vie en commun établi sur des

convictions philosophiques, morales, sociales partagées »1050. Dmitri Georges LAVROFF a

d’ailleurs regretté que la Constitution dans l’ordre juridique français ne soit pas 1047 Louis JOSSERAND, De l’esprit des droits…, op. cit., p. 217. 1048Idem, p. 218. 1049 T.G.I. Paris, 11ème Ch. correctionnelle, 22 mars 2007, L’affaire des caricatures de Mahomet…, op. cit. 1050 Dmitri Georges LAVROFF, « À propos de la Constitution », in Mélanges Pierre Pactet : L’esprit des

institutions, l’équilibre des pouvoirs, Dalloz, Paris, 2003, p. 296.

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360

expressément attachée à cet idéal. Cet idéal fait résolument appel à l’équité, à la raison, à la

morale, en somme aux valeurs éthiques qui irriguent et conditionnent l’usage des

prérogatives juridiques de la société considérée. Les droits et libertés fondamentaux

doivent s’y conformer sous peine de sanctions prononcées par le juge en vertu de son

pouvoir d’interprétation de la règle de droit. De ce fait, l’abus ne peut pas être

exclusivement appréhendé comme une pure violation de la règle de droit. Il implique des

données extrajuridiques liées au contexte sociologique dont il est question. Des limites à

l’exercice de la liberté d’opinion peuvent donc être recherchées aussi bien dans la moralité

du droit (1) que dans les valeurs éthiques de la société en question (2).

1. La moralité du droit, indice d’appréciation de l’abus de la liberté d’opinion

544. La maxime qui pose le principe de l’équité et du bon dans l’élaboration de la règle

de droit « Jus est ars boni et aequi » ou « le droit est l’art du bon et de l’équitable » prend

ici tout son sens. Le droit en tant que droit objectif ou lato sensu comme ensemble des

normes juridiques qui régissent la vie des hommes en société a pour objectif idéal la justice

et la satisfaction de l’intérêt général. Si c’est bien en vertu de ce droit objectif que

l’individu peut jouir de prérogatives individuelles, ces prérogatives n’échappent pas au

principe de l’équité et du bon. « On peut parfaitement avoir pour soi tel droit déterminé et

cependant avoir contre soi le droit tout entier »1051.

545. Ce célèbre aphorisme de Louis JOSSERAND pose en des termes clairs et concis la

problématique de l’usage légal d’un droit subjectif face à la moralité du droit objectif. À

première vue, la moralité du droit semble être une réflexion hasardeuse tant il est

impossible d’établir avec exactitude son existence. Aussi, pourrait-elle relever du non-sens

pour les positivistes. Le droit pour ces derniers ne peut être fondé que sur les faits

juridiques et toute la réflexion doit s’appuyer sur l’observation rigoureuse des faits. Il ne

saurait exister en dehors de la règle de droit des valeurs qui lui soient transcendantes. A

fortiori, lorsqu’il s’agit de dégager les limites à l’exercice d’un droit ou d’une liberté.

Pourtant, derrière le droit se dessine un ensemble de règles morales auquel doit se

1051 Louis JOSSERAND, op. cit.,, p. 333.

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361

conformer l’exercice des droits et libertés fondamentaux. La distinction entre la règle de

droit et la règle morale se situe au niveau de la formation et de la sanction qui en découle.

546. Toutefois, le droit constitue une partie de la morale considérée comme une valeur

relative et non absolue en ce qu’elle est différente des usages d’une société à une autre1052.

Aussi, la règle juridique dans sa dimension morale aiguille-t-elle l’office du juge en

matière d’appréciation de l’exercice abusif de la liberté d’opinion. L’étude de la moralité

du droit comme indice d’appréciation de l’exercice abusif de la liberté d’opinion permet

alors d’affirmer que la liberté d’opinion ne doit point s’exercer en contradiction avec la

dimension morale de la règle de droit dans une société déterminée. Jean DABIN reprenant

l’idée sus évoquée de Louis JOSSERAND disait ainsi qu’ « on peut avoir pour soi tel droit

légal (et par conséquent la légalité toute entière) et avoir contre soi la moralité »1053.

547. Quel est donc le contenu de cette moralité ? Elle se compose d’un ensemble de

standards à forte connotation morale. Ces standards attestent de la normalité de l’exercice

de la liberté d’opinion. Ils font référence, ainsi que l’a rappelé Dominique FENOUILLET,

aux principes de dignité, d’égalité, de fraternité, de cohérence, de proportionnalité, de

précaution, de bonnes mœurs. Elle les considère d’ailleurs comme des « impératifs

juridiques directs »1054. Ces impératifs juridiques sont marqués du substrat d’une moralité à

laquelle se soumet tacitement la règle qui les consacre. Moralité du droit et finalité sociale

de la prérogative juridique semblent se confondre. Pourtant, si la finalité du droit à

connotation sociale concerne comme l’a mentionné Louis JOSSERAND, le but de

l’institution, son esprit, la moralité renvoie à des valeurs traduites en obligations juridiques

que le constituant systématise. L’on considère avec Arnaud MARTIN que « la morale est

constituée de règles de morales proprement dites, c’est-à-dire de préceptes fondés sur une

conception du bien dont la violation doit être sanctionnée, mais elle n’a d’existence que

dans la mesure où elle est considérée comme imposant un comportement ». Il poursuit sa

démonstration en soulignant que « (…) la règle morale est certes une règle de mœurs, mais

1052 Hans KELSEN, Théorie pure du droit (Traduit par Charles EISENMANN), Bruylant-L.G.D.J.,

Bruxelles, Paris, 1999, pp. 70-71. 1053 Jean DABIN, Le droit subjectif, Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz », Paris, 2007, pp. 294-295. 1054 Dominique BUREAU, France DRUMMOND et Dominique FENOUILLET (ss. la dir. de), Droit et

morale, Dalloz, Coll. « Thèmes & Commentaires », Paris, 2011, pp. 1-26, spéc. p. 23.

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362

elle trouve naturellement son efficience, non dans la conscience individuelle, mais dans la

règle de droit dont l’édiction constitue une reconnaissance de son autorité et de sa

légitimité »1055. L’efficience de la moralité du droit se renforce à travers les valeurs

éthiques de la société que rappellent les différents constituants et qui influencent

certainement l’exercice de la liberté d’opinion.

2. Les valeurs éthiques de la société considérée, limites intrinsèques de la liberté d’opinion

548. Lorsqu’il s’agit d’extérioriser les opinions, la force de leurs expressions est

principalement fonction des limites légales qui les encadrent. Toutefois, il existe un « ordre

de valeurs »1056 découlant de la Constitution et qui est doté d’une efficacité juridique

propre. Cet ordre de valeurs s’exprime précisément à travers les notions de valeurs sacrées

qu’elles soient spirituelles, morales et sociales que rappellent les constitutions des États de

l’Afrique subsaharienne francophone. Le fondement du droit dans les sociétés africaines

qui se conçoit dans une relation permanente au sacré et en favorise d’ailleurs le respect

pourrait certainement désarmer le juriste laïcisé, habitué à des droits rationalisés édifiés sur

une hiérarchie formelle des normes juridiques1057.

549. Le Bénin, dans le Préambule de la Constitution de 1990, rappelle à cet égard que

« les changements successifs de régimes politiques et de gouvernement n’ont pas émoussé

la détermination du Peuple Béninois à rechercher dans son génie propre, les valeurs de

civilisation culturelles, philosophiques et spirituelles qui animent les formes de son

patriotisme ». Le constituant béninois poursuit en rappelant dans l’article 10 de la Loi

suprême que « l’État a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs nationales

de civilisation tant matérielles que spirituelles, ainsi que les traditions culturelles ». En

Côte d’Ivoire, le constituant de 2000 évoque dans le préambule du texte constitutionnel

que le Peuple est profondément attaché « (…) à la dignité de la personne humaine, aux

valeurs culturelles et spirituelles ». Il reprend l’esprit du constituant béninois puisqu’il 1055 Arnaud MARTIN, « Le droit et les valeurs dans la pensée de Léon DUGUIT », op. cit., p. 467. 1056 Stéphane PIERRÉ-CAPS, « La Constitution comme ordre de valeurs », in Mélanges en l’honneur de

Dmitri Georges LAVROFF, op. cit., pp. 283-296. 1057 Maurice KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique noire, L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque africaine et

malgache », Paris, 1987, p. 57.

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363

affirme que « L’État a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs nationales de

civilisation ainsi que les traditions culturelles non contraires à la loi et aux bonnes

mœurs »1058. La Constitution sénégalaise de 2001 affirme dès sa première phrase

l’attachement du peuple sénégalais à « ses valeurs culturelles fondamentales qui

constituent le ciment de l’unité nationale». Si tous ces textes juridiques fondamentaux se

réfèrent à un ensemble de valeurs duquel découlent les principes juridiques1059, quel peut

être le sens de la notion de « valeurs » ?

550. Les valeurs sont fonction du milieu dans lequel évoluent les individus. L’exercice

de la liberté d’opinion ne doit donc pas se faire en contradiction avec les valeurs morales

du milieu social considéré. Autrement dit, autant le droit repose sur une philosophie des

valeurs1060, autant la liberté d’opinion est dépendante d’un ensemble de valeurs entraînant

des obligations pour celui qui l’exerce. En dehors des principes juridiques communs à

l’exercice de l’ensemble des droits et libertés et auxquels doivent se conformer le

législateur, le juge, l’autorité de police administrative et les individus entre eux, il existe

des valeurs éthiques qui sont propres aux sociétés africaines. Le rapport de l’exercice de la

liberté d’opinion à la tradition, réservoir des valeurs, est inséparable de l’inégalité sociale :

les aînés et les cadets, les hommes et les femmes, etc. En Afrique subsaharienne

francophone, la liberté d’opinion doit donc se soumettre dans une certaine mesure à un

ensemble de coutumes sociales telles que des valeurs d’ordre sociologique : le respect du

sacré dans l’ordre religieux notamment, la mesure dans l’expression de ses opinions, le

respect de l’autorité et le respect dû aux aînés, etc. Ces coutumes sociales, sans en justifier

les excès, peuvent sembler anecdotiques et pourtant, elles constituent des « principes

généraux non écrits de convenance »1061. Elles conditionnent encore aujourd’hui l’exercice

de la liberté d’opinion et fondent bien souvent les sanctions prises par l’autorité de police

1058 Art. 7, al. 3, Const. Côte d’Ivoire, 2000. 1059 Arnaud MARTIN résumait parfaitement l’idée en disant que « les règles juridiques sont l’expression de

règles morales », « Le droit et les valeurs dans la pensée de Léon DUGUIT », op. cit., p. 462. 1060 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit…, op. cit., p.317. 1061 Pour reprendre l’idée de Walter VAN GERVEN : « Les limites formelles du droit subjectif telles

qu’elles sont fixées par exemple par la loi, font paraître que tout ce qui se situe dans ces limites est justifié. La théorie de l’abus de droit détruit cette apparence en pénétrant également à l’intérieur des frontières et ce, sur la base d’un principe général non écrit de convenance ». Cité par Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel, op. cit., p. 175.

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364

administrative renforcées par les décisions des autorités judiciaires, vis-à-vis des auteurs

d’un exercice jugé anormal de la liberté d’opinion. Ces autorités publiques considèrent en

effet comme normal, un comportement qui est fonction d’un constat objectif porté sur la

réalité observable. Aussi, faut-il admettre que la conception que les juridictions

constitutionnelles se font du droit est quasi systématiquement « le reflet de la volonté du

peuple souverain » largement exprimée dans les différents préambules des constitutions

des États1062. Le juge, dans son interprétation de l’exigence de conciliation « peut faire

intervenir la réalité sociale, le besoin social, une appréciation sociale »1063. De là, il ressort

que contrairement à l’idéologie individualiste des droits de l’homme qui a prévalu dans la

Déclaration de 1789, l’individu en Afrique est tout entier tourné, même dans l’exercice de

ses droits et libertés fondamentaux, vers la cohésion, l’harmonie et la pérennisation de la

collectivité dans laquelle ses intérêts particuliers se fondent. En retour, il appartient à cette

collectivité de préserver ses droits et libertés dans tous les domaines où l’individu doit

évoluer1064. Toutefois, cette considération court le risque d’être entachée d’une part de

subjectivité puisqu’il n’est pas possible d’occulter le jugement de valeur auquel se livreront

ces juridictions dans la recherche des limites à l’exercice de la liberté d’opinion.

L’interprétation juridique à laquelle se livrent les autorités judiciaires est en effet, « une

fonction de la volonté »1065 d’autant plus que de tous les choix d’interprétation dont elles

disposent, le choix pour lequel elles opteront traduit leurs préférences subjectives. Le

danger étant prégnant si le juge constitutionnel décide de tenir compte d’autres règles qui

vont au-delà de la Constitution.

551. Les critères relevant du droit constitutionnel qui pourraient permettre de qualifier

l’exercice d’un droit découlent de la finalité sociale que le constituant associe à la

consécration des droits et libertés des citoyens. De là, un abus de droit est l’usage anormal

et disproportionné d’une permission d’agir ou de s’abstenir entraînant un préjudice en

1062 Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux. L’exemple du

Sénégal, op. cit., p. 153. 1063 Hugues RABAULT, L’interprétation des normes : l’objectivité de la méthode herméneutique,

L’Harmattan, Coll. « Logiques juridiques », Paris, 1997, p. 229. 1064 Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux. L’exemple du

Sénégal, op. cit., p. 153. 1065 Michel TROPER, La philosophie du droit, 3ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Que sais-je », Paris,

2011, p. 99.

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365

raison d’un résultat contraire aux finalités de la Constitution. Sans l’enfermer dans une

définition trop stricte, l’abus en matière d’exercice de la liberté d’opinion est constitué si

cet exercice disproportionné eu égard aux intérêts en présence se détourne de la finalité

sociale que le constituant assigne à la liberté d’opinion et affecte directement ou

indirectement le maintien de l’ordre public sécuritaire. Cette définition souligne toute la

subtilité de la frontière entre l’exercice licite et l’exercice abusif de la liberté d’opinion.

552. En dehors de l’abus, la liberté d’opinion ne saurait donner lieu à toute sorte de

critique envers la chose publique, car utilisée sous cette forme, elle représente un danger

pour l’autorité de l’État et les institutions chargées de la mettre en œuvre. La liberté

d’opinion dans cette hypothèse, peut faire l’objet d’une sanction pénale.

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SECTION II.

LES INCERTITUDES DE LA « CRITIQUE ENVERS LA CHOSE PUBLIQUE »

553. Il est indéniable que l’incrimination de la critique envers la chose publique soit de

nature à assurer une protection générale à la République. Le Chef de l’État en l’occurrence,

en tant que première institution à la tête de l’État, doit être protégé contre les attaques dont

il pourrait faire l’objet. Ces attaques, forme d’abus de l’expression des opinions, peuvent

être de nature à fragiliser son autorité et entraîner des risques pour le maintien de l’ordre

public sécuritaire. Toutefois, tant l’interprétation extensive de l’offense au Chef de l’État

(§ I) que l’approximation des critiques sous certaines formes envers les autres institutions

publiques (§ II) sont de parfaites illustrations des limites au bien-fondé des limites de la

critique envers la chose publique.

§ 1. L’INTERPRETATION EXTENSIVE DU DELIT D’OFFENSE AU CHEF DE L’ÉTAT

554. Le délit d’offense au Chef de l’État est généralement prévu par le législateur pénal.

Il est également considéré comme une limite spécifique à la liberté de la presse. Aussi, en

Côte d’Ivoire, ce délit est-il prévu par l’article 244 du Code pénal de 1981. En tant que

délit de presse, il est prévu par l’article 74 de la loi n°2004-643 du 14 décembre 2004

portant régime juridique de la presse. Au Sénégal, c’est l’article 254 du Code pénal du 21

juillet 1965 qui s’y consacre. Le Bénin l’assimile à un délit de presse puisque le délit

d’offense au Chef de l’État y est prévu par l’article 277 de la loi 2015-07 portant Code de

l’information en République du Bénin1066. La loi n°97-010 du 20 août 1997 portant

1066 Le délit d’offense au Chef de l’État a également été reconnu comme un délit de presse en France avec

l’article 26 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il a été supprimé par la loi 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la Justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France. Le Chapitre XIII de cette loi de 2013 est d’ailleurs relatif aux dispositions abrogeant le délit d’offense au Chef de l’État afin d’adapter la législation française à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 mars

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libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits

en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin énonce

également en son article 81, la sanction pouvant être prononcée à l’encontre de l’auteur du

délit d’offense au Chef de l’État. Ces différentes législations nationales protègent ainsi

l’institution présidentielle en sanctionnant la critique sous la forme d’une offense au Chef

de l’État (A). Toutefois, en raison de l’imprécision qui entoure la notion, son appréciation

n’échappe pas à une certaine part de subjectivité (B).

A. LA NOTION D’OFFENSE AU CHEF DE L’ÉTAT

555. Benjamin CONSTANT qui était un fervent défenseur de la liberté de la presse

disait à propos de la liberté de critique envers ceux qui exercent les plus hautes fonctions

étatiques : « (…) ce ne sont pas des hommes, ce sont des pouvoirs. Mais, de même qu’il ne

faut pas qu’ils redeviennent des hommes, sans quoi leur fonction serait dénaturée, il ne faut

pas non plus qu’ils puissent être attaqués comme d’autres hommes. La loi garantit les

citoyens de toute agression de leur part : elle doit aussi les garantir de toute agression de la

part des citoyens. Outragé dans sa personne, le Chef de l’État redevient un homme. Si vous

attaquez l’homme, l’homme se défendra, la Constitution sera détruite »1067. Benjamin

CONSTANT justifie ainsi l’incrimination des critiques vis-à-vis du Chef de l’État. Des

éléments constitutifs permettent sommairement de qualifier une critique de délit d’offense

au Chef de l’État (1). De là, cette qualification entraîne pour l’auteur des critiques

incriminées une sanction pouvant être de plusieurs ordres dans les États en Afrique

subsaharienne francophone (2).

1. Les éléments constitutifs du délit d’offense au Chef de l’État

556. L’ensemble des textes législatifs incriminant l’offense sont silencieux sur la

définition de ce délit. Tout au plus, ils en dégagent les éléments constitutifs. La loi

ivoirienne de 2004 portant régime juridique de la presse s’est évertuée à définir les

2013. En lieu et place du délit d’offense au Chef de l’État, les délits d’injure et d’outrages au Chef de l’État sont aujourd’hui reconnus.

1067 Benjamin CONSTANT, Principes de politique, voir chapitre XVI : De la liberté de la presse. Cité par Bertrand de LAMY, La liberté d’opinion et le droit pénal, op. cit., p. 241.

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contours des éléments constitutifs du délit d’offense au Chef de l’État en ces termes : « Le

délit d’offense au Président de la République est constitué par toutes allégations

diffamatoires tant dans sa vie publique que privée et qui sont de nature à l’atteindre dans

son honneur et dans sa dignité »1068. La loi n°2015-07 portant Code de l’information et de

la communication en République du Bénin emploie les mêmes termes de la rédaction1069.

557. Les éléments constitutifs peuvent être déduits à partir de cet essai de définition. Le

premier élément constitutif du délit d’offense au Chef de l’État est l’existence d’une

offense. L’offense est synonyme d’injure, d’outrage1070. Son contenu peut également

s’assimiler à une diffamation. Dans un cas comme dans l’autre, elle porte atteinte à

l’honneur et à la considération d’une personne1071. Le terme d’offense n’est employé dans

les différents textes qui le consacrent que lorsque la critique vise le Président de la

République. L’offense a été retenue en France et l’est toujours dans les États de l’Afrique

subsaharienne francophone, en raison de la protection spécifique à laquelle a droit le

Président de la République. Le rapporteur du projet de loi du 27 juillet 1849 qui réintroduit

la notion d’offense dans la législation française sous la IIIème République expliquait

d’ailleurs que : « Le mot outrage serait impropre, car le dénigrement systématique peut se

concilier avec un certain ménagement dans l’expression (…) Le mot offense a paru à la

commission seul propre à y pourvoir, parce qu’il comprend toutes les nuances d’attaque,

sans porter atteinte au droit de critique et de libre discussion. Ce droit est incontestable ; les

limites qui en séparent le légitime exercice des attaques malveillantes ou passionnées, c’est

au jury de les marquer dans une souveraine et consciencieuse appréciation (…) »1072.

Ainsi, l’offense peut être qualifiée de délit exceptionnel du fait de la qualité de la personne

1068 Art. 74, al. 1 de la loin° 2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse en Côte

d’Ivoire 1069 Art. 277, al. 1 de la loin° 2015-07 portant code de l’information et de la communication en République

du Bénin. 1070 Rappelons toutefois que l’histoire du délit d’offense en France permet de mettre en exergue la

jurisprudence selon laquelle il pouvait y avoir délit d’offense envers la personne du souverain, le roi en l’espèce, bien qu’il n’y eût ni diffamation, ni injure proprement dite. Voir Cass. crim., 4 mars 1831, D. Pr.-out.,n° 642.

1071 Vocabulaire juridique, op. cit. , voir Offense, pp. 705-706. 1072 Cité par Georges BARBIER et alii., Code expliqué de la presse, op. cit., p. 339.

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370

à laquelle s’adresse la critique, le Chef de l’État1073. Elle n’est autre chose que la

qualification donnée à la diffamation ou à l’injure lorsque les propos constituant ce délit

concernent le Président de la République. Le délit d’offense assure à la fois la protection de

la dignité de la fonction présidentielle, c’est-à-dire le pouvoir érigé par la Constitution qu’il

représente, et celle de la personne physique l’incarnant. L’offense exclue donc les outrages

dont peuvent faire l’objet les autres personnalités et institutions publiques de l’État. Le

Président de la République n’étant pas un citoyen ordinaire, celui-ci doit être protégé à

travers des mécanismes spécifiques liés à son statut institutionnel.

558. L’offense est qualifiée comme telle car la critique qui en constitue le fondement

s’adresse au Président de la République en exercice ou à celui qui en exerce tout ou partie

des fonctions de Chef de l’État1074. Il doit être lui-même directement concerné. Des

critiques formulées à l’encontre des membres de son gouvernement dont il peut en être le

Chef notamment au Bénin1075 ne peuvent en principe être qualifiées d’offense au Chef de

l’État. De même, l’offense ne peut être retenue lorsque les critiques formulées d’une façon

ou d’une autre concernent son entourage ou même des membres de sa famille. De plus, la

critique qui constitue une offense au Président de la République doit viser un acte de sa vie

publique ou de sa vie privée, que l’acte ait été commis sous son mandat ou avant sa prise

de fonction1076.

559. Par ailleurs, la critique doit être rendue publique par les moyens auxquels renvoient

les législateurs nationaux, soit dans les codes pénaux soit dans les textes législatifs relatifs

1073 Bertrand de LAMY rappelle à cet effet que dans le projet de la loi de 1881 relatif à la liberté de la

presse en France, le rapporteur du Sénat affirmait que l’offense est « le terme consacré, par cela seul qu’il est exceptionnel, il convient mieux à la situation exceptionnelle du Chef de l’État ». La liberté d’opinion et le droit pénal, op. cit., p. 243.

1074 Art. 254, al. 2, Code Pénal Sénégal précité. L’on peut comprendre par ces précisions que le délit d’offense au Chef de l’État protège également les autorités exerçant la fonction présidentielle par intérim.

1075 Art. 54, al. 1, Const. béninoise, 1990 : « (…) Le Président de la République est le Chef du Gouvernement (…) ».

1076 En France, la juridiction supérieure en matière pénale a parfaitement résumé ce qu’est une offense au Chef de l’État : « le délit prévu et puni par l’article 26 de la loi sur la presse est matériellement constitué, par toute expression offensante ou de mépris, par toute imputation diffamatoire qui, à l’occasion tant de l’exercice de la première magistrature de l’État que de la vie privée du Président de la République, ou de sa vie publique antérieure à son élection, sont de nature à l’atteindre dans son honneur ou dans sa dignité ». Cass., Ch. Crim., 21 décembre 1966, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, n°300.

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371

à la liberté de la presse ou au domaine de l’audiovisuel. Pour le législateur pénal sénégalais

par exemple, l’offense au Chef de l’État est constituée lorsque la critique a été diffusée

publiquement par voie de radiodiffusion, de télévision, de cinéma, de presse, d’affichage,

d’exposition, de distribution d’écrits ou d’images de toutes natures, par des discours, des

chants, des cris ou « des menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, et

généralement tout procédé technique destiné à atteindre le public »1077. Énumérant les

mêmes moyens, le législateur pénal ivoirien y ajoute cependant les gestes1078. On peut

comprendre qu’il s’agisse de gestes ayant une connotation particulière, des gestes

irrévérencieux notamment qui soient de nature tout comme les autres moyens énumérés, à

affaiblir publiquement l’autorité du Président de la République. Le législateur béninois n’a

pas été plus original sur la question avec les articles 20 et 23 de la loi de 1960 sur la liberté

de la presse.

560. Dans chacune de ces législations, le critère commun de l’offense au Chef de l’État

est le caractère public de la critique. Les moyens de publicité soulignés par les différents

législateurs nationaux montrent bien que l’offense est un délit intentionnel. Pas d’offense

sans intention d’offense. Le caractère intentionnel du délit ne tient pas seulement au

contenu de l’offense. Il tient aussi au moyen dont se sert son auteur pour porter atteinte à la

dignité et à la considération du Président de la République. L’auteur de l’offense ne sera

pas exempté de condamnation même si les faits sur lesquels reposent les critiques sont

avérés. En d’autres termes, l’offense n’est conditionnée ni par le défaut de preuve des faits

rapportés, ni par le défaut de la bonne foi de son auteur. L’exceptio veritatis et l’exception

de bonne foi qui assurent l’impunité dans des cas où l’infraction de diffamation est

constituée1079 ne font pas disparaître la responsabilité pénale de l’auteur en matière de délit

d’offense au Chef de l’État1080. La diffamation dont il peut être victime n’est pas une

diffamation quelconque. Elle est un délit spécial qui prend le nom de l’offense, et échappe

1077 Art. 248, Code pénal sénégalais de 1965. 1078 Art. 174, Code pénal ivoirien de 1981. 1079 Jacques LEROY, Droit pénal général, 2ème éd., L.G.D.J., Coll. « Manuel », Paris, 2007, p. 266. 1080 Georges BARBIER représentait d’ailleurs cette idée en ces termes : « Cette exception au droit commun

se justifie par la distinction exceptionnelle du Chef de l’État, qui ne saurait descendre dans l’arène judiciaire, et livrer sa personne et sa vie aux débats de l’audience sans compromettre sa dignité ». Georges BARBIER et alii., Code expliqué de la presse, op. cit., p. 344.

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372

alors aux règles de la diffamation dont peuvent être victimes les fonctionnaires publics ou

tout autre individu dans l’exercice de ses fonctions.

561. Toutefois, exprimer son opinion par une critique s’adressant au Chef de l’État n’est

pas systématiquement constitutif d’une offense à l’institution qu’il incarne. L’offense, ainsi

que l’a rappelé Georges BARBIER et ses coauteurs, « est non seulement dans la nature de

l’imputation, mais dans sa portée et dans son intention »1081. User de l’expression de sa

liberté d’opinion n’est pas offenser lorsque l’on ne s’écarte pas des formes de respect dues

au rang du premier magistrat de la République. Les actes du Président de la République

peuvent être censurés ou critiqués. Il s’agit là de prérogatives reconnues par la Constitution

dont peut user tout citoyen. Le libre droit de critique doit être préservé. Les critiques

adressées au Chef de l’État peuvent, tout en étant fondées, s’exprimer dans un langage qui

bien que respectueux, n’échappe pas à l’emportement de leur auteur exalté par une

conviction passionnée dans la défense d’une opinion. Ces critiques ne sauraient être

qualifiées d’offense car il y a absence d’intention coupable. Elles s’inscrivent dans le cadre

du libre débat d’idées. La passion dans l’expression des opinions dont le but est d’éclairer

et d’enrichir le débat politique doit être distingué de l’insolence, de la haine qui entoure des

critiques outrageantes dont l’un des objectifs est d’avilir, de ridiculiser, d’exposer l’autorité

et la personne du Président de la République à l’opprobre. Rappelons que les différentes

constitutions étudiées disposent en substance que le Président de la République incarne

l’autorité de l’État. Ce sont donc les critiques visant à altérer son autorité qui sont

punissables au regard des différentes législations nationales analysées.

2. La sanction du délit d’offense au Chef de l’État

562. Les opinions exprimées sous la forme de critiques et qui sont constitutives

d’offense au Chef de l’État exposent leurs auteurs à des peines aussi diverses que variées.

Les peines privatives de liberté, les sanctions pécuniaires, les saisies de journaux par voie

judiciaire, les suspensions de journaux, les suspensions ou les radiations des journalistes

condamnés constituent l’essentiel des sanctions. Ces sanctions pénales, civiles,

disciplinaires et administratives sont prononcées par le juge pénal, le juge civil ou

1081 Georges BARBIER et alii., Code expliqué de la presse, op. cit., p. 339.

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373

l’autorité administrative indépendante compétente, à l’encontre des auteurs des délits

d’offense au Président de la République. Les poursuites peuvent être engagées même en

l’absence de plainte déposée par la principale victime. En Côte d’Ivoire par exemple, le

parquet peut engager des poursuites pour offense au Chef de l’État sans plainte préalable

du Président de le République1082.

563. La dépénalisation des délits de presse en Côte d’Ivoire depuis 2004 et au Bénin

depuis 20151083 n’entraîne pas l’absence de sanctions civiles ou disciplinaires pour leurs

auteurs1084. Lorsque que l’offense au Chef de l’État est le fait d’un journaliste de la presse

écrite, ce délit peut entraîner la suspension du quotidien, voire la radiation du journaliste

concerné et une amende considérable, s’il a été commis par voie de presse. En Côte

d’Ivoire, la suspension du journal, celle du journaliste ou la radiation de ce dernier peut

être prononcée par le Conseil National de la Presse, autorité administrative indépendante

du secteur de la presse écrite1085. La juridiction pénale est compétente pour prononcer une

peine d’amende à l’encontre du directeur de publication du journal concerné1086 ou le

directeur de l’entreprise du secteur audiovisuel condamnée. À l’inverse, le Bénin

conservait jusqu’en 2015 les peines d’emprisonnement à l’endroit des journalistes lorsque

ces derniers étaient condamnés pour avoir offensé le Président de la République. Ainsi,

pouvant être le fait d’un journaliste de la presse écrite, le délit d’offense au Chef de l’État

était passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 10 000 à

5 000 000 de francs C.F.A. (soit une amende d’environ 15,24 à 7622 euros)1087. Quand ce

délit engage la responsabilité d’un professionnel du domaine de l’audiovisuel, l’offense au 1082 Art. 74, al. 1 de la loi n° 2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse. 1083 Le Bénin a dépénalisé le délit d’offense au Chef de l’État en 2015, suite à l’adoption de la loi n°2015-

07 portant code de l’information et de la communication, qui supprime les peines privatives de liberté pour les délits de presse. L’art. 277, al. 2 dudit Code dispose : « L’offense commise publiquement envers le Président de la République sera punie d’une amende de un million (1 000 000) à dix millions (10 000 000) de francs C.F.A. ».

1084 Loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire. précit, art. 68, al. 1 : « La peine d’emprisonnement est exclue pour les délits de presse ».

1085 Idem, Art. 38 : « Il est créé une instance de régulation dénommée Conseil National de la Presse (…), autorité administrative indépendante qui est chargé de veiller au respect par les entreprises de presse et les journalistes des obligations prévues par la présente loi. À ce titre, il dispose d’un pouvoir disciplinaire».

1086 Loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée, Art. 68, al. 1 ; Art. 5 : « Tout journal ou tout écrit périodique est placé sous la responsabilité d’un directeur de publication ».

1087 Art. 23, loi n°60-12 du 30 juin 1960 sur la liberté de la presse.

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374

Chef de l’État au Bénin exposait son auteur à « (…) un emprisonnement d’un à cinq ans et

d’une amende d’un million à dix millions de francs [soit une amende d’environ 1524 à

15 244 euros] »1088. Depuis 2015, seule la peine d’amende de un million de francs C.F.A.

est retenue.

564. Lorsque le délit d’offense n’est pas le fait d’un journaliste agissant dans l’exercice

de ses fonctions, ce délit relève des juridictions pénales. En Côte d’Ivoire, ce dernier peut

être condamné à une peine d’emprisonnement pouvant aller de trois mois à deux ans et

d’une amende de 300 000 à 3 000 000 de francs C.F.A. (soit une amende d’environ 457 à

4573 euros), ou de l’une des deux peines seulement1089. Au Sénégal, ce délit est puni d’une

peine d’emprisonnement de « 6 mois à 2 ans et d’une amende de 1 000 000 à 1 500 000

francs C.F.A. [soit une amende d’environ 1524 à 2286 euros] ou de l’une de ces deux

peines seulement »1090. À titre de comparaison, les peines privatives de liberté et les

importantes sanctions pécuniaires en matière d’offense au Chef de l’État ne sont pas une

exception africaine. Les grandes démocraties contemporaines condamnent également

l’offense au Chef de l’État dans le même esprit. L’article 26 de la loi de 1881 sur la liberté

de la presse en France modifié en 1994, condamnait jusqu’en 2000 l’offense au Président

de la République d’une peine d’emprisonnement d’un an1091. S’y ajoutait jusqu’en 2013

une amende de 45 000 euros à laquelle s’exposait tout auteur de critiques condamné pour

délit d’offense au Chef de l’État1092. En Allemagne, la notion d’offense n’est pas consacrée

par le Code pénal. Toutefois, une peine d’emprisonnement de 6 mois minimum est prévue

pour quiconque porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne exerçant

1088 Art. 81 de la loi n°97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions

pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin.

1089 Art. 243, Code pénal ivoirien précité. 1090 Art. 254, al. 1, Code pénal sénégalais précité. 1091 L’article 26 de la loi de 1881 a été modifié par la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992, entrée en

vigueur le 1er mars 1994. 1092 Cette amende, pour adapter sa valeur en euros, aux termes de l’ordonnance n°2000-916 du 19

septembre 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2002, a été fixée à 45 000 euros. Toutefois, comme nous l’avons déjà rappelé, l’article 26 de la loi de 1881 relatif au délit d’offense au Chef de l’État a été abrogé avec la loi n° 2013-711 du 5 août 2013.

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375

des fonctions politiques, lorsque les motifs qui fondent les allégations se rapportent à la

situation que la victime occupe dans sa vie publique1093.

565. En somme, la protection de la fonction présidentielle n’est pas un privilège

spécifiquement réservé à la personne incarnant cette fonction. Le traitement dérogatoire au

droit commun qui s’applique profite à l’institution puisqu’en tant qu’individu, la personne

physique qu’il est ne bénéficie d’aucun traitement de faveur. En tant que Président de la

République, l’institution qu’il représente doit être à l’abri de toute attaque pouvant ébranler

l’autorité étatique dont il en est le garant. Cette protection découle du statut de l’institution

qu’il incarne. Son autorité ne doit pas être affaiblie. L’institution ne doit pas être exposée

aux attaques car elles en fragiliseraient les fondements constitutionnels. La liberté

d’opinion peut effectivement s’en trouver menacée puisque l’offense au Chef de l’État

représente une forme de censure qui perdure dans le système actuel de protection des droits

et libertés fondamentales. La frontière n’est pas étanche entre l’objectivité des critiques

politiques qui relèvent du libre droit de la critique et la subjectivité de l’appréciation dont

elles peuvent faire l’objet.

B. LA SUBJECTIVITE DE L’APPRECIATION DU DELIT D’OFFENSE AU CHEF DE L’ÉTAT

566. De prime abord, l’appréciation du délit d’offense au Chef de l’État ne peut

s’analyser qu’au regard des décisions jurisprudentielles rendues en la matière. Toutefois, il

est à noter que les données jurisprudentielles relatives aux condamnations pour délit

d’offense au Chef de l’État font défaut dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone. Aussi, les coupures de presse à défaut de sources jurisprudentielles fiables

sont-elles à analyser avec prudence. Néanmoins, les décisions de justice rendues par les

juridictions de droit commun et rapportées par voie de presse permettent d’en apprécier la

teneur.

567. L’offense au Chef de l’État est diversement appréciée au regard des nombreuses

condamnations prononcées à l’encontre des auteurs de critiques s’adressant au Chef de

l’État. À titre d’exemple, en septembre 2008, El Malick Seck, directeur de publication du

1093 Art. 187 a), Code pénal allemand précité.

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376

journal sénégalais 24 Heures chrono, a été condamné à trois ans de prison ferme. Le

tribunal correctionnel de Dakar a également prononcé la suspension de son journal pendant

3 mois pour offense au Chef de l’État Abdoulaye Wade. En l’espèce, El Malick Seck avait

publié un article intitulé : « Plusieurs milliards volés en Côte d’Ivoire : Wade et son fils

mouillés dans une affaire de blanchiment d’argent ». En février 2009 dans cette affaire, le

délit d’offense au Président de la République n’a pas été retenu comme chef d’accusation

par la Cour d’appel de Dakar. La juridiction d’appel a retenu entre autres chefs, la

« diffusion de fausses nouvelles et actes et manœuvres de nature à troubler l’ordre

public ». Elle a toutefois confirmé la peine prononcée en première instance1094. Dans ce cas

d’espèce, peut-on affirmer que l’honneur et la considération du Président de la République

ont été atteints par l’article pour que le tribunal de première instance retienne le délit

d’offense au Chef de l’État ? Les libertés d’opinion et d’information du journaliste n’ont-

elles pas été entravées ? Si l’on se réfère à la classification des délits, ce titre en l’absence

de toute preuve constitue tout au plus une diffamation à l’endroit du Président de la

République et de son fils. Fort heureusement, la Cour d’appel s’est orientée vers un autre

chef d’accusation. On peut alors y voir dans la décision de la Cour d’appel, une occasion

d’espérer sans rien affirmer que l’annonce d’un fait jugé inexact du fait d’un journaliste ne

saurait constituer de facto une offense au Chef de l’État. Bien que le juge de fait soit seul

compétent pour apprécier la véracité ou la fausseté de la nouvelle annoncée, la possibilité

est ouverte pour le journaliste de rapporter la preuve de son affirmation.

568. Par ailleurs, alors que le délit d’offense n’est en principe constitué que lorsque la

critique concerne directement le Chef de l’État lui-même, certaines juridictions nationales

ne s’y sont pas appuyées pour prononcer des condamnations à l’encontre d’auteurs de

critiques accusant l’entourage du Président de la République. L’exemple est celui de la

première condamnation pour délit d’offense au Chef de l’État depuis 1990 prononcée par

le tribunal de première instance de Cotonou au Bénin le 16 janvier 2013. Cette juridiction

1094 Le journaliste El Malick Seck fut libéré le 24 avril 2009 après huit mois de détention. Sa libération

intervint suite à la grâce présidentielle dont il bénéficia de la part d’Abdoulaye Wade, Président de la République d’alors.

Page 376: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

377

condamna Berthe Cakpossa à trois mois de prison ferme1095 et à 500 000 francs C.F.A. (soit

environ 762 euros) pour offense au Chef de l’État après avoir diffusé des propos critiques à

l’endroit de l’entourage du Président de la République au Bénin. Des faits, il ressort que le

18 septembre 2012, Me Lionel Agbo, ancien collaborateur de Yayi Boni, Président de la

République du Bénin, donna une conférence de presse intégralement diffusée sur les

antennes de Canal 3, une chaîne de télévision privée dont Berthe Cakpossa en assure la

direction. Au cours de cette conférence de presse, l’intervenant critiqua une partie du

proche entourage de Yayi Boni en l’accusant de corruption. Il affirma par ailleurs que cette

situation n’était pas étrangère au Président de la République. Ces propos étaient les

suivants : « Dans ce palais [présidentiel] que je connais, il y a des hommes et des femmes

qui ont fait fortune ; un petit groupe est devenu milliardaire, et le Chef de l’État sait que je

sais qu’il sait (…) ». Ces accusations ont valu, en plus de la condamnation pénale de la

directrice de la chaîne, à Lionel Agbo d’être également reconnu coupable de délit d’offense

au Chef de l’État. Il fut condamné le 23 janvier 2015 à six mois d’emprisonnement ferme

et une amende de 500 000 francs C.F.A. pour « complicité d’offense au Chef de l’État ».

Curieusement, la peine d’emprisonnement prononcée pour le complice de l’offense est plus

lourde que celle de l’auteur du délit alors que l’un des principes du droit pénal est que le

complice emprunte à la criminalité de l’auteur.

569. En l’espèce, le Président de la République du Bénin a été présenté comme complice

des actes de corruption de son entourage. Toutefois, ce dernier n’était pas le principal

concerné par les critiques de Lionel Agbo même si lors de la conférence de presse qu’il a

prononcée, l’intervenant accusa le Président de la République de vouloir se maintenir au

pouvoir au-delà de la limite des deux mandats que prévoit la Constitution de 19901096.

570. Bien que dans ces deux affaires évoquées, l’issue soit la libération anticipée des

condamnés suite aux décisions de leur accorder la grâce présidentielle, le délit d’offense au

1095 En droit des médias au Bénin, l’autorité judiciaire délivre un mandat de dépôt lorsque la condamnation

est de six mois minimum d’emprisonnement ferme. Ce qui signifie en l’espèce que la condamnée ne purgera pas sa peine de trois mois dans une prison.

1096Les condamnés furent graciés par le Président de la République quelques mois après leurs condamnations respectives dans « un souci d’apaisement ». Ainsi que le souligne le communiqué qui y est relatif, le Président Yayi Boni « (…) agissant en Père de la Nation, a décidé de retirer sa plainte et de leur accorder son pardon et sa grâce conformément aux prérogatives que lui confère la Constitution (…) ».

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378

Chef de l’État, survivance du crime de lèse-majesté, représente une menace permanente

pour les libertés d’opinion et d’information des journalistes en particulier1097

. Une autre

critique envers la chose publique qui constitue un délit mérite que l’on s’y attarde pour

tenter de le préciser : les critiques envers les institutions publiques.

§ 2. L’APPROXIMATION DE L’APPRECIATION DES CRITIQUES ENVERS LES AUTRES INSTITUTIONS PUBLIQUES

571. Dans une société démocratique, la liberté d’opinion s’oppose à la protection de la

réputation des institutions et des administrations publiques. Ces institutions doivent être

mises à l’abri contre ceux qui leur jetteraient l’anathème. Cette protection est nécessaire à

la défense de l’ordre public. En dehors du délit d’offense aux chefs d’État étrangers très

peu utilisé bien que consacré par les législations nationales en Afrique1098, des sanctions

sont prévues à l’encontre de critiques spécifiquement définies (B), visant certaines

institutions publiques nationales (A).

1097 En Europe, l’affaire Hervé EON c./ France portée devant la C.E.D.H. a été l’occasion pour la Cour

européenne de faire la distinction entre une critique de nature politique et une attaque personnelle gratuite. Elle a tenu à préciser que le délit d’offense au Chef de l’État « n’était pas une mesure nécessaire dans une société démocratique (…), d’autant plus que l’incrimination de diffamation et d’injure, qui est proportionnée au but poursuivi suffit à tout Chef d’État, comme à tout un chacun, pour faire sanctionner des propos portant atteinte à son honneur ou à sa réputation ou s’avérant outrageants ». C.E.D.H., Hervé Éon c./ France, 14 mars 2013, req. n° 26118/10.

1098 La consécration du délit d’offense envers les Chefs d’États étrangers répond au souci de conserver et d’assurer la tranquillité des relations diplomatiques de ces États avec les autres États. Dès lors, l’article 277, al.1 du Code de l’information de 2015 au Bénin condamne l’offense commise publiquement envers les chefs d’État étrangers, les chefs de gouvernements étrangers et les ministres des affaires étrangères des gouvernements étrangers. Le législateur pénal ivoirien aux termes de l’article 244 du Code pénal condamnait déjà en 1981, quiconque offense publiquement un Chef d’État ou de gouvernement étranger, d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 300 000 francs C.F.A. (soit une amende d’environ 457 euros). En tant que délit de presse, l’article 76 de la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire souligne que les poursuites en cas d’offense aux Chefs d’État et de gouvernements étrangers, ne peuvent être engagées que sur plainte de la personne concernée. Au Sénégal, l’offense commise publiquement envers les Chefs d’État étrangers, les chefs de gouvernements étrangers et les ministres d’un gouvernement étranger est punie aux termes de l’article 265 du Code pénal d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs C.F.A. (soit une amende d’environ 152 à 2286 euros) ou de l’une de ces deux peines seulement.

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379

A. LA DETERMINATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES

572. Le souci de protéger et de défendre l’autorité publique est perceptible à travers la

sanction qui est plus sévère que lorsque les critiques s’adressent à un citoyen ordinaire. Le

terme « institutions publiques » renvoie tant aux personnalités présentant un caractère

public (1) qu’aux personnes morales institutionnelles (2).

1. Les autorités publiques protégées

573. Certaines personnes physiques limitativement énumérées par les législations

répressives nationales en raison de leurs qualités respectives et des fonctions qu’elles

occupent sont particulièrement protégées contre les critiques dont elles peuvent faire

l’objet. Les critiques envers elles dans l’exercice de leurs missions de service public sont

sévèrement punies par les législations nationales. L’analyse peut s’avérer redondante s’il

n’est pas tenu compte de la spécificité de ces « serviteurs de l’État »1099. Ainsi, le

législateur ivoirien distingue expressément la protection contre les attaques résultant de

l’expression des opinions du Président de l’Assemblée nationale de celles visant les

membres du Parlement, à savoir les députés. En tant que Président d’institution, il est

expressément protégé par le Code pénal ivoirien contre les critiques dont il peut faire

l’objet dans l’exercice de ses fonctions1100. Au Bénin et au Sénégal, il est protégé au même

titre que les autres membres du Parlement1101. Les membres du Gouvernement sont

également protégés de la critique sous certaines formes incriminées par les lois des

États1102. Les présidents des autres institutions à savoir le Président du Conseil économique

et social, le Président de la Cour suprême1103de même que les membres de ces

institutions1104 sont également protégés à cet effet.

1099Bernard BEIGNIER, L’honneur et le droit (Préface de Jean FOYER), L.G.D.J.- Lextenso éd.,

Coll. « Anthologie du droit », Issy-les-Moulineaux, 2015, p. 299. 1100 Art. 247 du Code pénal ivoirien précité. 1101 Art. 260 du Code pénal sénégalais précité. ; art. 270 du Code de l’information du Bénin précité ; 1102 Art. 270 du Code de l’information du Bénin précité ; art. 248 du Code pénal ivoirien précité ; art. 80 de

la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée ; art. 260 du Code pénal sénégalais précité.

1103 Art. 247 du Code pénal ivoirien précité. 1104 Art. 270 du Code de l’information du Bénin précité ; art. 248 du Code pénal ivoirien précité.

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380

574. Il en de même pour les fonctionnaires publics1105 tout comme les dépositaires de

l’autorité publique1106. Ces derniers sont assurés, dans l’exercice ou à l’occasion de leurs

fonctions, d’être à l’abri d’éventuelles formes de critiques pouvant mettre en cause leur

autorité. Le Code pénal ivoirien de 1981 désigne comme fonctionnaire public « tout

magistrat, fonctionnaire de l’État, officier public ou ministériel, agent, préposé ou commis

soit de l’État ou de toute autre personne morale de droit public, soit d’un officier public

ministériel, tout officier ou sous-officier public des forces armées, tout militaire de la

gendarmerie et d’une façon générale, toute personne chargée même occasionnellement

d’un service ou d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion

de ses fonctions »1107. Les fonctionnaires de l’enseignement public, les policiers, les

militaires, les préfets, les sous-préfets sont donc concernés par la protection qu’assurent les

législations nationales contre les critiques. À titre de comparaison, en France, sur la base

de l’article 31 de la loi de 1881 relatif aux critiques émises à l’endroit des fonctionnaires

publics dans l’exercice de leurs fonctions, sont exclus de la protection contre les critiques

incriminées les officiers ministériels1108, contrairement à la Côte d’Ivoire et au Sénégal1109,

de même les secrétaires de mairie1110.

575. Quant aux dépositaires de l’autorité publique, il s’agit de « toute personne qui est

titulaire d’un pouvoir de décision et de contrainte sur les individus et les choses, pouvoir

qu’elle manifeste dans l’exercice de ses fonctions, permanentes ou temporaires, dont elle

est investie par délégation de la puissance publique »1111. Par délégation de puissance

1105 Art. 251 du Code pénal ivoirien précité. 1106 Art. 270 du Code de l’information du Bénin précité ; art. 251 du Code pénal ivoirien précité ; art. 80 de

la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée; art. 260 du Code pénal sénégalais précité.

1107 Art. 223 du Code pénal ivoirien précité. 1108 C’est notamment le cas des commissaires priseurs et des notaires : Voir Cass. Crim, 24 juillet 1884,

Recueil Dalloz, 1886, 1ère partie, p. 93 ; Cass. Crim, 5 janvier 1935, Recueil Dalloz, 1935, p. 165. 1109 Art. 196 du Code pénal sénégalais précité. 1110 Dans un arrêt rendu en France en 1987 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, les juges du

droit ont estimé que « les secrétaires de mairie, auxiliaires des mairies, ne sont pas investis d’une portion de l’autorité publique même si un intérêt public s’attache à leurs fonctions ». Voir Cass. Crim., 2 juin 1987, Revue de science criminelle 1988, p. 304.

1111 André VITU, Outrage envers un dépositaire de l’autorité publique : art. 433-5 du Nouveau Code pénal, Juris-Classeur pénal, p. 4.

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381

publique, il faut entendre délégation de compétence ou de signature1112. Cette catégorie,

ainsi que le souligne une partie de la doctrine, n’est pas réductible à la fonction publique et

peut concerner des agents contractuels1113. En dehors des autorités publiques

limitativement énumérées par les différentes législations nationales telles que le Président

de la République, les ministres, l’on peut convenablement déduire que par cette

dénomination, la règle de droit entend protéger les élus nationaux et locaux. Les maires, les

conseillers municipaux, les présidents des conseils régionaux sont détenteurs d’un pouvoir

temporaire du fait de leur élection. C’est donc en toute logique qu’au même titre que les

fonctionnaires et agents publics de l’État, ils doivent également être protégés contre les

atteintes liées à l’expression des opinions dont ils pourraient faire l’objet dans l’exercice de

leurs fonctions.

576. En dehors des personnes physiques présentant un caractère public, les législations

nationales assurent aux personnes morales institutionnelles, la protection contre les

critiques pouvant porter atteinte à l’autorité publique dont elles sont investies.

2. Les personnes morales institutionnelles

577. De façon presque unanime, les législations des différents États étudiés protègent

des personnes morales présentant un caractère public bien précis. Ainsi, les critiques sous

certaines formes envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les

corps constitués et les administrations publiques1114 sont passibles de peines

d’emprisonnement ferme et d’amendes.

1112 La Chambre criminelle de la Cour de Cassation en France a ainsi jugé qu’un conseiller du Premier

Ministre chargé des relations avec le parlement n’était pas revêtu des prérogatives de puissance publique. Il ne pouvait pas à ce titre bénéficier de la protection découlant de l’article 31 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Voir Cass. crim., 14 janvier 2003, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, 2003, n° 7, pp. 25-30, spéc. p. 28 : « aux motifs que Guy Carcassonne avait été nommé conseiller pour les relations avec le parlement par un arrêté du 17 mai 1988 portant nomination au cabinet du Premier ministre ; que cette qualité de collaborateur d’un membre du pouvoir exécutif, était, à elle seule, insuffisante pour lui conférer la protection de l’article 31 qui ne pouvait être reconnue qu’aux personnes détentrices d’une parcelle de l’autorité publique (…) ».

1113 Bernard BEIGNIER, Bertrand de LAMY et Emmanuel DREYER (ss. la dir. de), Traité de droit de la presse et des médias, Litec, Coll. « Traités », Paris, 2009, p. 469.

1114 Arts. 30 et 33 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse en France précitée ; Art. 259 du Code pénal sénégalais précité ; art. 84 de la loi n°97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel en République du Bénin ; art. 79 de la loi portant régime juridique de la presse en Côte

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382

578. La référence aux cours et tribunaux permet de préciser qu’il s’agit de protéger les

juridictions constituant l’autorité ou le pouvoir judiciaire contre les attaques dont elles

pourraient faire l’objet dans l’exercice de leur mission de service public.

Vraisemblablement, la raison est d’éviter par l’expression des opinions qu’il soit jeté le

discrédit sur une décision ou un acte juridictionnel1115. L’autorité de la justice et son

indépendance étant des principes constitutionnels, il ne saurait y être porté atteinte même

par un droit fondamental, en l’occurrence la liberté d’opinion. La protection de l’armée

contre les formes de critiques incriminées par les législations nationales inclut toutes les

unités institutionnelles structurées visant à défendre le territoire conformément aux

objectifs politiques de l’État. Elle n’a fait l’objet que d’un rare contentieux, voire inexistant

en la matière en Afrique subsaharienne francophone.

579. Quant aux corps constitués, autres personnes morales protégées en la matière, ils ne

sont pas définis par les lois nationales. En France, cette notion a été progressivement

précisée par la jurisprudence française. La Cour de Cassation a ainsi considéré que les

corps constitués sont « les seuls corps ayant une existence légale permanente, et auxquels

la Constitution ou les lois ont dévolu une portion de l’autorité ou de l’administration

publiques »1116. Y sont incluses les collectivités territoriales que sont les régions, les

départements et les communes1117.

580. Pour ce qui concerne les administrations publiques, cette expression est entendue au

sens large comme une notion qui couvre l’administration centrale de l’État et les

administrations locales. De ce fait, tous les services publics déconcentrés bénéficient de la

protection découlant des textes incriminant les critiques visant les administrations

publiques. En revanche, les établissements exerçant une mission de service public et

poursuivant un but commercial sont exclus de cette protection1118.

d’Ivoire précitée ; art. 269 et 306 de la loi n° 2015-07 portant code de l’information en République du Bénin précitée.

1115 Art. 198, al. 1 du Code pénal sénégalais précité ; art. 252 du Code pénal ivoirien précité 1116 Cass. crim., 26 avril 1952, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, 1952,

n° 106 ; Recueil Dalloz, 1952, jurisprudence. p. 492. Cité par Bernard BEIGNIER et alii., Traité de droit de la presse et des médias, op. cit. p. 466.

1117 Art. 72, Const. française de 1958. 1118 Cass. crim., 25 juin 1953, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, 1953,

n°224, pp. 384-385 : « Mais attendu que le caractère d’administration publique ne saurait être reconnu

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383

581. Au vu de ce qui précède, il est tout à fait logique et compréhensible que l’État soit

protégé, à travers ses démembrements, contre les critiques pouvant fragiliser son autorité et

ébranler la confiance que les citoyens doivent avoir en lui. En revanche, l’incertitude

provient de la qualification et de la constitution juridique des critiques incriminées.

B. LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES CRITIQUES INCRIMINEES

582. Au-delà de leur qualification juridique, l’incrimination de ces critiques est

nécessaire. Ainsi que l’a admis Bertrand de LAMY, ces expressions, si elles se

manifestaient sans conséquences, pourraient finir par « étouffer les discours et l’argument

relayés par la presse et qui seuls nourrissent la vie de la démocratie »1119. Soulignons-le, la

liberté de la presse constitue à ce jour la matrice de l’expression des critiques incriminées.

Les législations pénales et les différents textes juridiques relatifs à la liberté de la presse

énoncent alors certaines critiques précises qui sont sanctionnées par le droit répressif. Il

s’agit des outrages (1), des injures (2) et des diffamations (3).

1. Les outrages

583. Les outrages sont des délits spécifiques que les législateurs nationaux qualifient

comme tels en vue de protéger les personnes physiques détentrices de l’autorité publique,

contre toute expression irrespectueuse portant atteinte à la dignité de la fonction qu’elles

exercent. Reprenant certains termes du législateur pénal français, le législateur béninois,

sans définir l’outrage, a voulu souligner que l’incrimination de cette critique visait à

protéger les personnes investies d’une mission de service public. Ainsi, aux termes de

l’article 278 du Code de l’information du Bénin de 2015, le délit d’outrage est constitué

aux Houillères ; que, poursuivant un but commercial, elles s’administrent elles-mêmes, en se conformant aux lois et règlements qui les régissent »; Cass. crim., 19 janvier 1954, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation,1954, n° 20, pp. 38-40. La chambre criminelle déclara : « (…) il n’est pas possible de trouver dans les statuts de l’ « Électricité et Gaz d’Algérie » le fondement d’une qualification d’administration publique à laquelle cette entreprise n’est d’ailleurs pas soumise ; qu’elle ne fait que succéder aux anciens concessionnaires du Gaz et de l’Électricité en Algérie et que son activité essentiellement industrielle et commerciale lui confère en même temps qu’une complète autonomie financière, le droit, comme une personne morale du droit privé, de réaliser des bénéfices eux-mêmes soumis aux dispositions fiscales de droit commun ».

1119 Bertrand de LAMY, « La Constitution et la liberté de la presse », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel. Dossier : La liberté d’expression et de communication, n°36, juin 2012, pp. 19- 29, spéc. p. 19.

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384

« par des paroles, des gestes, des menaces, des images et des envois d’objet à l’encontre

d’une personne chargée d’une mission de service public ou dépositaire de l’autorité

publique afin de porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à sa fonction ». Aux termes

de cet article, la finalité des actes constitutifs du délit d’outrage doit être sans ambigüité. Ils

doivent clairement jeter le discrédit sur la personne physique investie de l’autorité

publique1120. Ainsi, l’intention coupable est requise puisque l’auteur de l’infraction doit

avoir conscience de la qualité de la personne outragée et ne pas ignorer les conséquences

de l’outrage sur la dignité de la fonction publique qu’elle exerce.

584. À la différence du législateur français, son homologue béninois n’insiste pas sur le

caractère non public des actes constitutifs de l’outrage, afin de les différencier de la

diffamation et de l’injure. En France, les éléments constitutifs de l’outrage ne doivent pas

avoir été rendus publics1121. S’ils le sont, ces actes constitueront, dans ce cas, des délits de

presse et seront sanctionnés par la loi de 1881. Au Bénin, le critère de la publicité n’étant

pas clairement précisé, l’on peut craindre un risque de conflits des lois applicables entre la

loi pénale et les textes relatifs aux délits de presse. Contrairement au Code de l’information

du Bénin, le Code pénal ivoirien en son article 174 indique que sont punis les éléments

matériels du délit d’outrage exprimés « soit dans un lieu public, ou ouvert au public, soit

par un moyen permettant le contact visuel ou auditif du public (…) ». On constate que le

législateur pénal ivoirien insiste bien sur le fait que l’outrage doit avoir été réalisé avec

l’intention de rendre l’acte incriminé visible du public. Il pourrait alors se confondre avec

la diffamation ou l’injure. Au Sénégal, le Code pénal condamne des outrages à la fois non

rendus publics notamment envers les magistrats, les officiers ministériels et agents

dépositaires de la force publique et les outrages publics envers les représentants des États

étrangers. Les opinions critiques qui sont de nature à porter atteinte à la dignité et au

1120 Tel ne semble pas être le point de vue du juge constitutionnel fédéral en Allemagne. En effet, la Cour

constitutionnelle fédérale allemande a rendu le 26 février 2015, une décision dans laquelle elle a estimé que les inscriptions « FCK CPS » (abréviation pour Fuck cops), sur un vêtement exhibé en public « n’est pas en soi répréhensible, en raison du droit fondamental à la liberté d’expression ». Cette décision a donc cassé l’arrêt rendu par la Cour du district de Bückeburg, qui avait condamné la plaignante pour outrage à agent de police, alors que celle-ci arborait, sur un vêtement qu’elle portait, les inscriptions non équivoques qui étaient de nature à remettre en cause l’autorité publique dont est détentrice la police. Voir BVerfGE, 2015, rk 20150226 bvr 1036/14. Décision accessible sur le site de la Cour constitutionnelle fédérale : www.bundesverfassungsgericht.de/. Consulté le 12 octobre 2015.

1121 Art. 433-5 du Code pénal français précité

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385

respect dû à la fonction des autorités publiques évoquées sont sévèrement sanctionnées.

Aussi, tant le Code pénal sénégalais, le Code pénal ivoirien, la loi portant régime juridique

de la presse en Côte d’Ivoire que le Code de l’information du Bénin protègent de l’outrage

les présidents d’institution, les magistrats, les fonctionnaires publics, les commandants de

la force publique de toute critique pouvant viser autant les personnes physiques investies

de l’autorité publique que les fonctions qu’elles exercent.

585. Au-delà de l’élément légal, l’élément matériel renvoie tant à la qualité de la

personne outragée qu’à l’expression outrageante. Ainsi, le délit d’outrage peut être

constitué par la parole, premier des moyens d’expression de l’opinion. Ce premier élément

comprend non seulement les mots exprimés en langue française, langue officielle

constitutionnellement reconnue comme telle dans les États de l’Afrique subsaharienne

francophone, mais aussi des mots exprimés dans l’une des langues nationales1122. Les

onomatopées tels que les tchips1123, les huées, les sifflets1124 sont des expressions par la

parole qui peuvent tomber sous le coup de la sanction pénale pour délit d’outrage envers

une autorité publique.

586. Les images, les écrits ou les dessins constituent un autre mode d’expression de

l’outrage. Si en France, ils doivent ne pas avoir été rendus publics, dans les États de

l’Afrique subsaharienne francophone, le caractère public importe peu. Toujours est-il que

se pose une fois de plus la question de la loi applicable. Les législations pénales étant plus

sévères que les textes législatifs en la matière, un journaliste accusé du délit d’outrage dans

l’exercice de ses fonctions n’est pas « couvert par la clémence» des textes législatifs

régissant sa profession. Cette ambigüité entraîne une situation très peu protectrice de la

liberté d’information du journaliste. Le parquet peut alors engager des poursuites et

l’auteur de l’outrage peut être condamné à une peine d’emprisonnement ferme alors même

1122 Art. 1er, al. 2, Const. Sénégal, 2001. 1123 Tchiper (en Afrique et aux Antilles), c’est exprimer sa désapprobation envers quelqu’un en émettant un

son avec la bouche. En février 2015, l’actuelle Ministre de la justice en France, Christiane TAUBIRA disait même lors d’une émission sur une chaîne d’information continue, que le tchip est un « concentré de dédain ».

1124 En France, les sifflets au passage d’un ministre ont été sanctionnés pour délit d’outrage. Voir Cass. crim., 23 juillet 1925, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 1925, n°234. Cité par Robert VOUIN, Droit pénal spécial, op. cit., p. 664.

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386

que les délits de presse sont tous dépénalisés en Côte d’Ivoire. Au Bénin, seuls certains

d’entre eux le sont. Tel est le cas pour l’outrage1125.

587. Dans le cas précis de ces éléments matériels, l’auteur de l’outrage ne peut pas

échapper aux rigueurs de la loi pénale même lorsque ses paroles, ses écrits, ses dessins ou

images le sont dans un but d’intérêt public. En exprimant ainsi ce qu’il considère comme

un moyen d’alarmer les destinataires de l’information qu’il donne, et qui est dénonciatrice

des travers de l’autorité publique, il ne peut prétexter de la preuve de la véracité de ses

imputations pour échapper à la sanction du délit d’outrage. Ces actes sont réprimés dès

l’instant où ils sont en lien avec la fonction exercée par l’autorité publique concernée. Or,

le législateur français condamne les expressions outrageantes non publiques. Quel est donc

le fondement de cette condamnation alors même que l’acte incriminé, non public, n’a pas

exposé à la critique populaire l’autorité dont est investie la personne physique, victime de

l’outrage ? En revanche, les propos outrageants rendus publics comme l’a retenu le

législateur pénal ivoirien, par quelque moyen que ce soit exposent considérablement la

victime puisqu’ils sont de nature à fragiliser l’autorité publique dont elle est revêtue.

Bertrand de LAMY affirme alors que le « délit d’outrage vise moins à garantir la confiance

due à l’autorité, qu’à assurer celle-ci qu’elle ne sera pas victime de la moindre

manifestation d’irrespect »1126. Autrement dit, le délit d’outrage vise à empêcher toute

expression irrespectueuse tant en privé qu’en public qui porterait atteinte à la dignité de la

fonction publique exercée par la victime du délit.

588. Autre élément caractéristique du délit d’outrage, les gestes constitutifs du délit

d’outrage doivent être distingués des gestes constitutifs de violences physiques ou de voies

de fait à un degré moindre, en tant que délits spécifiques1127. Les gestes dont il s’agit

1125 Il s’agit notamment selon le Code de l’information adopté en 2015, de l’offense au Chef de l’État, de la

diffamation, de l’outrage, de l’injure. En revanche, la publication d’un article de nature à troubler la paix publique ou la publication d’un article qui incite à la violence exposent leurs auteurs à des peines d’emprisonnement.

1126 Bertrand de LAMY, La liberté d’opinion et le droit pénal, op. cit., p. 266. 1127 Art. 255 du Code pénal ivoirien précité ; art.433-3, al. 5 du Code pénal français précité ; art. 201 du

Code pénal sénégalais précité

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387

s’entendent de toute action simple, comme par exemple un doigt d’honneur1128, un point

levé en signe de défiance envers l’autorité publique. En l’espèce, ces gestes doivent être

suffisamment clairs et non équivoques.

589. Les deux derniers éléments que sont l’envoi de tout objet et la menace ne

véhiculent pas à proprement parler d’opinions contrairement aux gestes, aux paroles, aux

écrits, aux dessins, aux images. Ils sont toutefois constitutifs du délit d’outrage. Sans s’y

attarder, le délit d’outrage peut être constitué par l’envoi de tout objet adressé à une

personne chargée d’une mission de service public. Il s’agit clairement d’objet de toute

nature avec pour caractère déterminant, sa nature outrageante au regard des circonstances.

Les objets jugés irrespectueux sont de nature à porter atteinte à la dignité et au respect

d’une personne physique investie de l’autorité publique.

590. Enfin, la menace suppose des actes d’intimidation. Ainsi, une menace est « un

acte d’intimidation consistant, pour une personne, à inspirer à une autre la crainte d’un mal

projeté contre sa personne, sa famille ou ses biens, par l’annonce (écrite ou verbale,

publique ou privée) de la mise à exécution de ce projet (…) »1129. Elle peut l’être par geste,

par écrit, par la parole, bref, par tout acte faisant craindre à l’autorité publique que l’auteur

de la menace représente sans équivoque un danger tant pour elle que pour ses proches.

591. En somme, l’outrage doit s’adresser à une personne chargée d’une mission de

service public avec la ferme intention de porter atteinte à l’honneur ou à la dignité de la

personne physique et de la fonction qu’il exerce. Robert VOUIN dira ainsi qu’il s’entend

« de toute expression dont la signification, menaçante, diffamatoire ou injurieuse, est

propre à diminuer l’autorité morale du fonctionnaire qui en est l’objet ainsi que le respect

dû à sa fonction »1130.

1128 Le doigt d’honneur est un geste suffisamment précis, pouvant à la fois constituer une insulte et un

outrage lorsqu’il s’adresse à une autorité publique dans l’exercice de ses fonctions. Il est incontestable que ce geste a une signification qui n’est pas inconnue du grand public.

1129 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Menace, pp. 650-651, spéc. p. 650. 1130 Robert VOUIN, Droit pénal spécial (par Michèle Laure RASSAT), 6ème éd., Dalloz, Coll. « Précis

Dalloz », Paris, 1988, p. 664.

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388

2. Les injures

592. Par la parole, par les gestes, par l’écrit, les injures offensent en proférant des

discours méprisants qui portent atteinte à l’honneur et à la dignité de la personne physique,

détentrice de l’autorité publique. Si l’injure envers les particuliers est réprimée par les

textes répressifs nationaux, celle commise envers les corps et personnes désignées l’est

encore plus sévèrement en Afrique subsaharienne francophone. Il est vrai que tous ces

textes s’entendent sur la définition de l’injure. Il s’agit de « toute expression outrageante,

tous termes de mépris ou invectives qui ne renferment l’imputation d’aucun fait »1131.

593. La différence fondamentale entre ces États se situe plutôt au niveau de la répression

prévue par les législateurs. La loi française de 1881 relative à la liberté de la presse

condamne de 12 000 euros, l’injure commise envers les corps et autorités publiques qu’elle

protège. Cette amende est la même que celle qu’a prévue le législateur pour les injures

envers les particuliers si elle n’est pas précédée de provocation1132. À l’origine, la loi

initiale de 1881 relevait l’injure envers une autorité publique d’une sanction plus grave que

celle commise à l’encontre d’un particulier1133.

594. Dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone, la Côte d’Ivoire est l’État

qui est le plus sévère en matière d’amende car la loi de 2004 portant régime juridique de la

presse prévoit une amende allant de cinq millions (environ 7622 euros) à quinze millions

de francs C.F.A. (environ 22 867 euros), pour les journalistes auteurs d’une injure envers

tout corps ou personne désignée par ladite loi1134. Le Sénégal est le plus tolérant dans la

prononciation des amendes, si l’on peut employer ce terme, puisqu’il ne prévoit qu’une

amende de vingt mille (environ 30 euros) à un million de francs C.F.A. (environ 1524

euros). En revanche, les délits de presse n’y étant pas dépénalisés, le législateur pénal 1131 Art. 272, al. 1, Code de l’information du Bénin précité ; art. 78, al.3, loi portant régime juridique de la

presse en Côte d’Ivoire précitée ; art. 258, Code pénal sénégalais précité ; art. 29, al.2, loi de 1881 relative à la liberté de la presse en France précitée.

1132 En France tout comme au Sénégal, la répression de l’injure envers les personnes publiques ne fait pas de distinction selon que le propos incriminé aura été ou non précédé de provocation, contrairement à la répression de l’injure envers les particuliers.

1133 La loi de 1881 prévoyait à l’origine une peine d’emprisonnement de six jours à trois mois et une amende de dix-huit francs à cinq cents francs aux termes de l’art. 33, al. 1, contre une peine d’emprisonnement de cinq jours à deux mois et une amende de seize francs à trois cents francs prévue pour une injure envers un particulier selon l’art. 33, al. 2.

1134 Art. 83, al.1, Loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée.

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389

prévoit une peine d’emprisonnement d’un à trois mois1135. Le législateur béninois de 2015,

quant à lui, punit l’injure envers les corps et personnes publiques expressément désignées

d’une amende d’un million à cinq millions de francs C.F.A.1136. Ces amendes ont

clairement un effet dissuasif vu le montant élevé qu’elles représentent. De plus, le juge

pénal n’a pas plus en cette matière qu’en une autre à motiver le montant de l’amende dont

il punit l’auteur de l’injure. Elles sont prononcées à titre de peine principale pour les délits

de presse en Côte d’Ivoire et au Bénin et éventuellement au Sénégal si le juge ne retient

que cette sanction.

595. Le caractère outrageant de l’expression constitutive du délit d’injure est au cœur du

contentieux. L’expression doit être méprisante, assez blessante et porter atteinte tant à la

dignité de la fonction qu’exerce la personne publique, victime de l’infraction qu’à son

honneur personnel. Ainsi que l’a estimé le juge de cassation en matière criminelle en

France, l’injure doit recouvrir « une volonté certaine de mépris et d’insulte de nature à

porter atteinte à son honneur et à sa dignité [de l’Armée en l’occurrence]»1137. La

vulgarité ou la grossièreté de l’expression ne doit pas être une condition exclusive

déterminante. En d’autres termes, les propos incriminés doivent clairement jeter le

discrédit sur la personne physique détentrice de l’autorité publique. Cette dernière doit

donc être clairement désignée par l’expression outrageante. De plus, la personne injuriée

doit l’être en raison de sa fonction ou de sa qualité particulière sans qu’il soit besoin, si

l’on se réfère à la jurisprudence française, de distinguer la personne publique de la

personne dans sa vie privée1138. Par ailleurs, les expressions outrageantes pour être

qualifiées d’injures ne doivent renfermer l’imputation d’aucun fait, dont la preuve pourrait

être rapportée. Autrement, ils constitueraient des actes diffamatoires.

1135 Art. 262, al.1, Code pénal sénégalais précité 1136 Art. 272, al. 2 du Code de l’information précité 1137 Cass. crim., 9 octobre 1974, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation,

1974, n° 282. 1138 Cass. crim., 7 mars 1895, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 1895,

n°76. Cité par Bernard BEIGNIER et alii., Traité de droit de la presse et des médias, op. cit., p. 497.

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390

3. Les diffamations

596. La qualité des personnes visées influence considérablement le degré de répression

auquel s’expose l’auteur d’actes diffamatoires. L’article 29 de la loi française de 1881, que

reprennent les législateurs des États de l’Afrique subsaharienne francophone, qualifie de

diffamation « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la

considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Pour qu’il y ait

diffamation envers tout corps ou toute personne désignée par les législateurs nationaux, il

faut d’abord l’imputation d’un fait. Ensuite, il faut que ce fait porte atteinte à l’honneur et à

la considération de la personne publique. Enfin, l’auteur de l’acte incriminé doit être de

mauvaise foi.

597. Les différents éléments de ce délit ont déjà été précisés dans nos développements

précédents1139. Il sera envisagé ici la qualité de la victime de la diffamation et l’impact que

l’acte diffamatoire peut avoir sur la dignité de la fonction publique qu’elle exerce de même

que sur l’autorité publique dont elle est investie. En tant que délit, la diffamation qui sera

prise en compte sera celle qui aura été divulguée par un moyen de publicité. En effet, toute

allégation d’un fait qui aura été rendu publique par voie de reproduction ou de publicité est

punissable même si le corps constitué ou la personne physique détentrice de l’autorité

publique n’est pas nommément citée1140. Dès l’instant où son identification est rendue

possible « par les termes du discours », des cris, des menaces, des écrits, des imprimés, des

dessins, des films, des placards ou des affiches incriminés, l’acte est punissable1141. Ici, ne

sera pas retenu le motif qui justifie la publication du fait qui porte atteinte à l’honneur et à

la considération de la victime de l’acte diffamatoire. Le caractère légal des imputations

1139 Voir supra, Section I du Chapitre II de la Première partie. 1140 En France, la Cour de cassation a considéré que la diffamation est constituée même si « elle est

présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation »pour tenter de dissimuler l’imputation de ce fait précis en employant des termes qui appellent à la prudence, grâce aux subtilités de la langue française. Voir Cass. crim., 30 mai 1996, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 1996, n° 228, pp. 699-702, spéc. 701.

1141 Art. 268, al. 2 du Code de l’information du Bénin précité ; art. 78, al.2 de la loi portant régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire précitée ; art. 29, al.1 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse en France précitée ; art. 258 du Code pénal sénégalais précité.

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391

diffamatoires s’apprécie d’après la nature du fait rapporté1142. Une fois de plus, même si la

preuve du fait allégué peut être rapportée, la liberté d’information du journaliste qui

contribue à la qualité du débat public est secondaire par rapport à l’honneur et à la

considération du corps ou de la personne physique détentrice de l’autorité publique.

598. La liberté d’opinion s’oppose alors à la préservation de l’honneur des institutions,

quand bien même le fait rapporté par le journaliste se base sur le libre droit à la critique

dont il jouit dans son rôle d’informateur. À titre de comparaison, en Allemagne, le Code

pénal de 1872 protège les personnalités publiques des critiques pouvant entraîner une

image négative de leurs fonctions politiques. En effet, quiconque est accusé de diffamation

à l’encontre d’une « personne jouant un rôle dans la vie politique du peuple » peut être

condamnée à trois mois et plus, lorsque la diffamation est de nature à entraver

sérieusement l’activité publique de ladite personne1143. La nature de la diffamation retenue

par le législateur pénal allemand vise à protéger la fonction qu’exerce la personne physique

détentrice de l’autorité publique. Bien que Bernard BEIGNIER ait admis qu’il n’y a pas

d’atteinte à deux vitesses selon la qualité de la personne mise en cause, l’on est en droit de

reconnaître que l’honorabilité de la victime influence considérablement la décision du juge.

1142 Cass. crim., 15 mars 1983, Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, 1983,

n° 82. 1143 Une peine d’un an au moins peut être prononcée à l’encontre de toute personne accusée d’injure

diffamatoire et trois mois au moins sont requis pour quiconque aura diffamé une personnalité politique. Cf. art. 186 et s. du Code pénal allemand de 1871.

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392

CONCLUSION DU CHAPITRE I

599. L’imprécision juridique de la qualification des infractions découlant de la liberté

d’opinion impacte nécessairement le respect de la conciliation de cette liberté avec l’ordre

public sécuritaire. Bien que l’abus soit reconnu comme une source de difficulté en droit

constitutionnel1144, cette notion peut être modélisée à partir de la combinaison des critères

objectifs et des critères subjectifs. Dans un idéal de justice, la sanction de l’abus vise

essentiellement à « contenir, dans des limites plus raisonnables, l’excès des droits

individuels déchaînés »1145. Dès lors, l’abus peut constituer une infraction autonome à part

entière. Il n’est plus admis aujourd’hui d’affirmer : « je dis ce que je pense tant que c’est

légal » car bien qu’étant légal, l’usage effectif de la liberté d’opinion peut nuire aux

intérêts particuliers des individus. Elle peut a fortiori nuire aux intérêts même de la société

en tant que collectivité. La Convention européenne des droits de l’homme insiste à cet effet

sur le fait que: « L’exercice de ces libertés [dont la liberté d’opinion] comportant des

devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions,

restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans

une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté

publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou

de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la

divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du

pouvoir judiciaire »1146.

600. La deuxième limite au respect de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire retenue est l’incertitude qui entoure les critiques incriminées et qui visent

les personnes physiques et institutions détentrices de l’autorité publique avec à leur tête, le

Chef de l’État. Ce dernier jouit dans l’exercice de la fonction présidentielle, d’une

protection particulière contre les critiques. En érigeant en délit, l’offense au Chef de l’État,

le législateur pénal dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone fait du Président

de la République, une personne au dessus des critiques, ce qui est incompatible avec les

1144 Laurent ECK, L’abus de droit en droit constitutionnel, op. cit., p. 181. 1145 Paul ROUBIER, Théorie générale du droit…, op. cit., p. 326. 1146 Art. 10, al. 2, Convention Européenne des Droits de l’Homme.

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393

valeurs démocratiques. L’appréciation par le juge du délit d’offense laisse planer une zone

d’ombre qui tend heureusement à se dissiper grâce au processus d’affirmation en cours de

l’autorité judiciaire. De plus, l’offense au Chef de l’État paraît superflue d’autant plus que

sa constitution se rapproche de l’outrage. Avec l’injure et la diffamation, ces infractions

visent à sanctionner les critiques s’adressant aux autres institutions et personnes physiques

détentrices de l’autorité publique. Au sommet de la hiérarchie des personnes protégées, se

situe le Président de la République. Sa primauté et l’interprétation qui en résulte

constituent avec les lacunes des garanties juridiques sont un autre frein à la conciliation de

la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire.

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CHAPITRE II.

LES LACUNES DES GARANTIES JURIDIQUES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

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601. En droit, une lacune se définit dans une première acception comme « un état

d’incomplétude de l’appareil normatif ». Dans la seconde acception qui sera retenue, elle

désigne négativement « un manque ou une déficience quelconque affectant la solution

juridique d’un problème particulier »1147. Les garanties juridiques déjà évoquées ne sont

pas parfaites. Elles présentent des insuffisances liées pour l’essentiel au contexte

sociopolitique dans lequel elles ont vocation à s’appliquer.

602. Considérée comme une caractéristique des démocraties libérales1148, la liberté

d’opinion ne se déploie que dans un environnement favorable au pluralisme politique et

religieux. Cela suppose l’existence d’un contexte propice à l’accession aux moyens de

diffusion de l’opinion. La constance de la conciliation de la garantie de l’exercice de la

liberté d’opinion avec le maintien de l’ordre public sécuritaire dans les limites prévues par

le constituant et précisées par le législateur, puis par le pouvoir réglementaire, a été

démontrée. Il n’en demeure pas moins que le contraste avec la réalité est saisissant puisque

l’efficacité de l’exigence de conciliation reste entièrement tributaire de l’environnement

sociopolitique. L’analyse juridique doit alors tenir compte de l’impact politique dans lequel

évolue cette exigence de conciliation. La dépendance qui est ainsi soulignée révèle toute la

fragilité de l’aménagement institutionnel et matériel érigé par le droit positif.

603. Par ailleurs, le droit positif, notamment le droit constitutionnel qui consacre les

droits et libertés fondamentaux, s’est évertué à schématiser une dépendance fonctionnelle

des différents droits subjectifs les uns avec les autres. Si l’évidence est moins probante

pour les autres droits et libertés, l’exercice de la liberté d’opinion est indiscutablement

dépendant d’un ensemble de prérogatives fondamentales. L’effectivité de ces droits et

libertés fondamentaux en conditionne l’exercice ainsi que l’a relevé Henri

OBERDORFF1149. Ainsi, l’articulation de la conciliation est rendue complexe en raison

même de la délitescence des garanties institutionnelles de conciliation qui accentuent la

permanence de la crise de la liberté d’opinion dans sa forme politique (Section I). De plus, 1147Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, « Les lacunes en droit constitutionnel », in Rafâa BEN

ACHOUR (ss. la dir. de), Le droit constitutionnel normatif. Développements récents, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp.53-61, spéc. p. 53.

1148 Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, 8ème éd., Sirey, Coll. « Sirey Université », Paris, 2009, p. 412.

1149 Henri OBERDORFF, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op. cit., p. 502.

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398

face à la psychose permanente des situations de crise dans les États de l’Afrique

subsaharienne francophone, il se pose aujourd’hui avec insistance la problématique de la

mutation subtile de la sécurité en un droit fondamental (Section II).

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SECTION I.

LES REPERCUSSIONS DE LA RELATIVITE DES GARANTIES INSTITUTIONNELLES SUR LA LIBERTE D’OPINION

604. Dans sa forme politique, la liberté d’opinion est mise en mouvement grâce au

pluralisme politique qui en est la matrice. Ce pluralisme politique est la garantie de la libre

création et de la libre action des partis et groupements politiques légalement constitués.

Leur liberté d’action inclut le droit de critique vis-à-vis de l’action gouvernementale de

même que la possibilité pour les actions politiques d’être accessibles et visibles au plus

grand nombre par la voie des canaux d’expression et de diffusion des opinions. Cette

accessibilité contribue au renforcement de la liberté d’opinion dans sa forme politique.

Pour autant, la primauté du Président de la République, à la fois Chef de l’État et Chef de

parti politique en Afrique subsaharienne (§ I) de même que les vicissitudes de la séparation

des pouvoirs (§ II) influencent négativement l’effectivité de l’exercice de la liberté

d’opinion politique. Le service public de la justice qui aurait pu servir de bouclier aux

citoyens pour la défense et le respect de l’exigence de conciliation laisse planer un doute

fondé sur son efficacité à assurer cette mission de protection des règles de conciliation de

la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire (§ III).

§ 1. UNE LIBERTE D’OPINION POLITIQUE TRIBUTAIRE DE LA PRIMAUTE DU CHEF DE L’ÉTAT

605. Les régimes politiques africains sont des régimes dans lesquels le Président de la

République occupe la première place au sein de la vie institutionnelle et sociale. Cette

primauté du Président de la République n’est pas sans conséquences. La pratique politique

dans les États n’est pas toujours fidèle à l’esprit et à la lettre de leurs constitutions. Si pour

Frédéric Joël AIVO, « l’institution présidentielle est et reste au cœur des crises qui

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400

secouent la grande majorité des pays subsahariens »1150, l’imperium du Président de la

République est au cœur de la crise permanente que subit la liberté d’opinion dans ces États.

En effet, les dispositions constitutionnelles sont à l’origine de la primauté du Chef de l’État

(A). L’impact de cette primauté s’en ressent d’ailleurs sur l’accessibilité aux canaux

d’expression des opinions (B).

A. UNE PRIMAUTE DEDUITE DES DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES

606. L’on se doute bien qu’il n’était pas de la volonté des constituants des États de

l’Afrique subsaharienne francophone de faire du Président de la République, l’homme fort

du régime constitutionnel. Une partie de la doctrine a reconnu que les transitions politiques

amorcées dans les années 1990 n’ont pas profondément modifié la prépondérance du Chef

de l’État au sein de l’appareil institutionnel1151. La primauté du Président de la

République1152 y est persistante1153. Certes, ce dernier occupe une place centrale dans

l’organisation des institutions politiques. Mais, cette place n’avait absolument pas vocation

à faire de lui un personnage omniprésent au point que la liberté d’opinion, droit

fondamental, soit étouffée par l’hégémonie de ses opinions.

607. Des dispositions constitutionnelles, il ressort que tant le mode de désignation du

Président de la République (1) que sa place au sein des institutions (2) ont milité en faveur

d’une subordination des organes institués, lesquels organes sont pourtant chargés de

participer au respect de l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire (3).

1150 Frédéric Joël AÏVO, Le Président de la République en Afrique noire francophone : Essai sur les

évolutions institutionnelles de la fonction au bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, Thèse pour le doctorat en droit, Université Jean Moulin Lyon III, dactyl., p. 23.

1151 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone, Académia-Bruylant, Coll. « Publications de l’institut universitaire André Ryckmans », n°4, Louvain-la-Neuve, 2010, p. 59.

1152 Fabrice HOURQUEBIE, « Quel statut pour le Chef de l’État africain ? Entre principes théoriques et pratique du pouvoir », Afrique contemporaine. Les tabous du constitutionnalisme en Afrique francophone, op. cit., pp. 73-86, spéc. p. 75.

1153 Jean Du BOIS de GAUDUSSON, « Quel statut constitutionnel pour le chef d’État en Afrique », in Mélanges en l’honneur de Gérard Conac : Le nouveau constitutionnalisme, Economica, Paris, 2001, pp. 329-337, spéc. p. 333.

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401

1. Le mode de désignation du Président de la République

608. Moyen de pérennisation du Chef de l’État au pouvoir1154, l’élection au suffrage

universel direct demeure le mode commun de désignation du Président de la République

dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone1155. Ce mode de désignation est

l’expression directe de la volonté du corps électoral qui use ainsi de son droit de vote. Le

pouvoir qui en découle est ainsi que l’a rappelé Jean-Luc PARODI, indivisible et son

bénéficiaire est unique1156. Ainsi, le candidat est marqué d’une onction populaire, d’une

forme de « sacre électif »1157. Quant à la « légitimité populaire renforcée »1158 qui en est

issue, elle est une arme puissante mise au service du candidat vainqueur1159. À l’issue du

vote, le candidat élu doit l’avoir été à la majorité absolue des suffrages exprimés1160 pour

être déclaré vainqueur par la juridiction constitutionnelle. Cette dernière est généralement

compétente en matière électorale pour ce qui concerne la proclamation des résultats de

l’élection présidentielle. La majorité absolue requise donne nécessairement un nombre non

négligeable de voix à l’élu et assied son autorité1161. En conséquence, le candidat élu jouit

alors d’une légitimité populaire propre et distincte de celle des membres du parlement1162

en vertu notamment de l’investiture nationale dont il bénéficie1163. Il ne s’agit pas d’une

légitimité fractionnée si l’on compare l’étendue du suffrage à celle des membres du

1154 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique

francophone, op. cit., p. 61. 1155 Art. 43, Const. du Bénin, 1990 ; art. 35, Const. de la Côte d’Ivoire, 2000 ; art. 26, Const. du Sénégal,

2001. 1156 Jean-Luc PARODI, « Effets et non effets de l’élection présidentielle au suffrage universel direct», in

Élire un Président, Pouvoirs, n°14, septembre 1980, pp. 5-14, spéc. p. 7. 1157 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, « Devenir candidat : quels filtres ? », Pouvoirs, n°138, pp. 19-

31, spéc. p. 19. 1158 Marie-Anne COHENDET, Le Président de la République, 2ème éd., Dalloz, Coll. « Connaissance du

droit », Paris, 2012, p. 27. 1159 Jean-Luc PARODI, « Effets et non effets de l’élection présidentielle au suffrage universel direct», op.

cit., p. 7. 1160 Art.45, Const. Bénin, 1990 ; art.36, al. 1, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; art.33, al. 2, Const. Sénégal,

2001. 1161 Francis HAMON et Michel TROPER, Droit constitutionnel, 36ème éd., L.G.D.J.-lextenso éditions,

Coll. « Manuel », Paris, 2015, p.368. 1162 Michel VERPEAUX, Droit constitutionnel français, 2ème éd. mise à jour, P.U.F., Coll. « Droit

fondamental », Paris, 2015, p. 278. 1163 Jean GICQUEL, « Le présidentialisme négro-africain : l’exemple camerounais », in Mélanges offerts à

Georges Burdeau : Le pouvoir, L.G.D.J., Paris, 1977, pp. 701- 725, spéc. p. 704.

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402

parlement puisqu’il est le seul élu du peuple tout entier1164. Le Président de la République

dispose à cet égard d’une grande autorité1165. Ainsi, de ce mode de désignation auquel il

convient de rajouter la durée du mandat présidentiel, il en résulte une hégémonie du

Président de la République « dans l’institutionnel des régimes politiques africains »1166. Il

devient alors un « Président tout-puissant »1167.

609. Par ailleurs, en raison de la constitutionnalisation de la reconnaissance des partis

politiques et de l’institutionnalisation du jeu démocratique, l’élection du Président de la

République au suffrage universel direct fait des candidats à la magistrature suprême, des

adversaires politiques. Comme l’ont fait remarquer Eric SALES et Didem YILMAZ, ce

mode de désignation entraîne forcément « la présence de candidats qui se sont imposés en

tant que leader de leur formation politique de rattachement sur laquelle ils s’appuient

naturellement pour mener la compétition électorale »1168. À cet égard, le Président de la

République qui a d’abord été candidat d’une formation politique sauf exception, « se coule

naturellement dans le rôle du leader d’opposition, magnifié, transfiguré par les atours du

chef de l’État »1169. Pendant la compétition électorale, les opinions politiques des candidats

sont scrutées, décortiquées, analysées et contredites. Elles entrent en concurrence les unes

avec les autres puisque cette compétition électorale oppose des opinions totalement ou

partiellement divergentes. Le candidat vainqueur issu de ces élections devient le porte-

flambeau du projet d’un parti politique pour la mise en œuvre de son programme de

gouvernement. Il est clair que la neutralité politique qu’exige la fonction présidentielle

peut difficilement être respectée vu le rôle joué par le Président de la République au sein

du parti politique qui l’a porté à la tête de l’État. Il s’ensuit presqu’inévitablement une

politisation de cette fonction qui influence profondément le traitement équitable des

1164 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, op.cit., p. 577. 1165 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, op. cit., p. 371. 1166 Frédéric Joël AÏVO, Le Président de la République en Afrique noire francophone…, op. cit., p. 44. 1167 Georges BERGOUGNOUS, « La normalisation de la fonction présidentielle est-elle possible ?

Réflexions sur une exception française », in Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel : Constitutions et pouvoirs, Montchrestien-Lextenso éditions, Paris, 2008, pp. 25-42, spéc. p. 30.

1168 Éric SALES et Didem YILMAZ, « L’élection du Président de la République au suffrage universel direct en Turquie », Revue de Droit public, n°5, L.G.D.J.-lextenso éditions, Paris, septembre-octobre 2012, pp. 1437-1458, spéc. p. 1448.

1169 Georges BERGOUGNOUS, « La normalisation de la fonction présidentielle est-elle possible ? Réflexions sur une exception française », op. cit., p. 30.

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403

opinions politiques1170. De ce mode de désignation, l’on en vient à une phase de

récupération, de manipulation des procédures démocratiques et de dosage de l’État de

droit1171 de sorte qu’on en arrive au même résultat qu’à l’époque des régimes autoritaires, à

savoir l’évanescence de la liberté d’opinion politique. L’élection d Président de la

République au suffrage universel direct pérennise le Chef de l’État et altère l’effectivité de

cet aspect de la liberté d’opinion dans la mesure où l’absence d’alternance politique se fait

au profit de la réélection du président sortant. En outre, le mode de désignation du

Président de la République exacerbe considérablement l’amplitude du statut du Président

de la République au sein des institutions.

2. Le statut constitutionnel du Président de la République

610. Les fonctions du Président de la République se laissent entrevoir déjà à travers son

statut. Si l’article 5 de la Constitution française de 1958 a inspiré la rédaction des articles

relatifs au statut présidentiel en Afrique subsaharienne francophone, les constituants

africains sont allés au-delà de la conception hexagonale du statut du Chef de l’État. En

raison des modalités de sa désignation à la magistrature suprême, son pouvoir est ainsi

voué à la superbe. D’un point de vue de son statut, la primauté du Président de la

République se traduit déjà par la formulation employée par les constituants béninois de

1990 et ivoirien de 2000 : « Le Président de la République est le Chef de l’État »1172.

Pourquoi ces constituants se sont attelés à mentionner expressis verbis ce statut? Doit-on y

voir une volonté constitutionnelle de sacraliser, voire de patrimonialiser la fonction

présidentielle en faisant du titulaire de cette fonction la personne qui tient le premier rang

au sein de l’État ? Si l’on se réfère à l’histoire, les représentations culturelles et les

pratiques sociales récurrentes influencent l’interprétation de la notion de « Chef de l’État ».

De ce fait, le pouvoir du Chef de l’État est imprégné d’une forme de sacré dont le caractère

inviolable s’impose à tous. Il y a dans cette notion presqu’un sentiment de vénération plus

ou moins religieux. Maurice KAMTO écrivait que « Si le pouvoir est sacré, c’est bien

1170 Voir le B du § 1 de la présente section. 1171 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique

francophone, op. cit., p. 61. 1172 Art. 41, al. 1, Const. Bénin, 1990 ; art. 34, Const. Côte d’Ivoire, 2000.

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404

parce que la présence du religieux est à l’origine de toutes les sociétés humaines »1173. Il

ajoute du reste que dans l’univers africain, la sacralisation du pouvoir « tire sa permanence

de la pression constante que le passé exerce sur le présent » en référence au passé qui

précède l’époque coloniale.

611. Pour une partie de la doctrine, le titre de « Chef de l’État » en Afrique renvoie à des

contradictions. Il est à la fois comme le protecteur et le persécuteur, le prédateur et la

providence1174. Il est au centre de tout et se confond avec le système politique lui-même

qu’il contrôle1175. Son statut constitutionnel de Chef de l’État lui confère assurément une

hégémonie sur l’ensemble des institutions puisqu’il est également chef du

Gouvernement1176, chef du parti politique majoritaire, chef de guerre en cas de

nécessité1177.

612. En plus, les constituants mentionnent que le Président de la République incarne

l’unité nationale1178. La sacralisation constitutionnelle de l’unité nationale semble être un

excellent moyen de lutte contre les idées tribalistes ou séparatistes que pourraient nourrir

certains hommes politiques. Il appartient alors au Chef de l’État de tout mettre en œuvre

pour parvenir à la construction et à la consolidation d’une population unifiée qui sache

faire abstraction des particularismes ethniques ou régionaux. Pourtant, c’est bien souvent

au nom de cette unité nationale que le Président de la République exerce des pressions

1173 Maurice KAMTO, Pouvoir et droit en Afrique noire : essai sur les fondements du constitutionnalisme

dans les États d’Afrique noire francophone, L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque africaine et malgache », Paris, 1987, p. 68.

1174 François FERAL, « Introduction », in François-Paul BLANC, Jean du Bois de GAUDUSSON, Alioune FALL, François FERAL (ss. la dir. de ), Le Chef de l’État en Afrique…Entre traditions, état de droit et transition démocratique, Cahiers du centre d’études et de recherches juridiques sur les espaces méditerranéen et africain francophones, n°9, Presses universitaires de Perpignan, 2001, pp. 5-27, spéc. p. 9

1175 Gérard CONAC, « Portrait d’un Chef d’État », op. cit., p. 121. 1176 Art. 54, al. 1, Const. Bénin. La Côte d’Ivoire et le Sénégal confient théoriquement cette responsabilité

au Premier ministre. Voir art. 41, al. 2, Const. Côte d’Ivoire, 2000 ; art. 53, al. 1, Const. Sénégal, 2001. 1177 Le cas ivoirien est illustratif à cet effet. Le Ministère de la défense est en pratique assuré par le

Président de la République qui délègue compétence, à un Ministre auprès du Président de la République, chargé de la défense. Le Président de la République exerce en priorité les pouvoirs en matière de défense depuis son accession au pouvoir en 2011, certainement en raison de l’instabilité sécuritaire latente due à la crise post-électorale de 2010.

1178 Art. précité, Const. Bénin; art. précité, Const. Côte d’Ivoire ; art. 42, al. 1, Const. Sénégal.

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405

ouvertes ou subtiles vis-à-vis des acteurs politiques exerçant une liberté d’opinion jugée

menaçante pour la stabilité de son pouvoir politique.

613. Au-delà de l’unité nationale, les différents textes fondamentaux personnifient l’État

et la République en faisant du Président de la République le garant du fonctionnement

régulier des institutions, de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du

respect de la Constitution1179. Ils en font également le garant du respect de la Constitution,

voire son gardien1180. Les différentes constitutions confient alors à deux organes

constitutionnels distincts, le Président de la République et la juridiction constitutionnelle,

la mission d’assurer le respect de la Constitution. Autant l’un que l’autre ont le pouvoir

d’interpréter la Constitution. L’interprétation qui prévaudra en dehors du contrôle de

constitutionalité à l’issue duquel l’interprétation du juge constitutionnel s’impose à tous les

pouvoirs, est fonction du rapport de force entre les deux organes. Dans sa fonction

consultative, l’avis simple émis par la juridiction constitutionnelle ne prévaut pas sur

l’interprétation du Président de la République. Le dernier mot revient ici au Chef de l’État.

614. De toutes les fonctions constitutionnelles du Président de la République, celle qui

aura retenu notre attention est celle qui fait du Chef de l’État, celui qui détermine et

conduit la politique de la Nation1181. C’est en vertu de cet attribut que le Président de la

République décide de la politique présidentielle, autrement dit des grandes orientations que

le premier ministre et les membres du gouvernement sont chargés de mettre à exécution.

En effet, le fait que le Président de la République soit celui qui impulse la vie politique est

un excellent moyen pour lui d’occuper pleinement l’espace public, l’espace médiatique

pour une meilleure visibilité de ses actions. Or, cette occupation constante n’est pas sans

effets sur la neutralité politique dont il doit faire preuve de même que sur le traitement

équitable des opinions politiques dans l’espace public. Le Président de la République 1179 Art. 41, al. 2, Const. Bénin 1990 ; art. 34, Const. Côte d’Ivoire 2000 ; Art. 42, al.1, Const. Sénégal

2001 : « Le Président de la République est le gardien de la Constitution (…) » ; L’alinéa 2 de l’article précité fait du Président de la République, le garant de l’indépendance nationale.

1180 L’article 41 de la Constitution béninoise de 1990 fait du Président de la République, le garant du respect de la Constitution. Quant au constituant ivoirien de 2000, il donne mission au Président de la République de veiller au respect de la Constitution aux termes de l’article 34 du texte constitutionnel. Le Sénégal opte pour une mission plus radicale. Le Président de la République y est le gardien de la Constitution selon l’article 42 de la Constitution de 2001.

1181 Art. 54, al.1, Const. Bénin précitée ; art. 50, Const. Côte d’Ivoire précitée ; art. 42, al. 3, Const. Sénégal précitée.

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406

mettra un point d’honneur à faire appliquer sa politique en matière sécuritaire, pièce

maîtresse de son programme de gouvernement. La sécurité des personnes et des biens est

en effet la première limite que le Président de la République peut légalement opposer à

l’exercice des droits et libertés fondamentaux.

615. La subordination des organes constitutionnels n’est donc rien d’autre que la

conséquence du mode de désignation du Président de la République. Son élection au

suffrage universel direct l’auréole d’une légitimité populaire dont il se délecte tout au long

de son mandat présidentiel. Si l’on y adjoint son statut constitutionnel, il est clair que la

recherche d’un rapport d’équilibre entre les différents organes institués est « théoriquement

et politiquement improbable »1182.

3. La subordination des contre-pouvoirs

616. Le Chef de l’État en Afrique subsaharienne francophone est un prince « loin d’être

apprivoisé »1183. Cette observation est en grande partie la conséquence des prérogatives

constitutionnelles du Président de la République. La situation est celle d’un Chef de l’État

« autoritaire mais modéré, dictatorial sans être sanguinaire. Il manifeste délibérément peu

de souci à l’égard des principes, sans les ignorer totalement ; il est répressif et tolérant,

traditionnaliste et moderne ; il est pragmatique »1184.

617. Les pouvoirs législatif et judiciaire auraient pu remarquablement contribuer à

encadrer l’exercice du pouvoir présidentiel. Pourtant, ces pouvoirs vêtus « des habits neufs

des contre-pouvoirs » sont subordonnés au pouvoir du Chef de l’État. L’oxymore contenu

dans cette présentation traduit on ne peut plus mieux la contradiction entre l’esprit du

constituant et la pratique politique. Contrairement aux vœux des constituants africains, il

n’existe pas de logique concurrentielle entre les différents organes constitutionnels. Les

1182 Théodore HOLO, Étude d’un régime militaire…, op. cit., p. 259. 1183 Armel Le DIVELLEC, « Le prince inapprivoisé. De l’indétermination structurelle de la présidence de

la Ve République », Droits, n°44, P.U.F., Paris, 2006, pp. 101-137, spéc. p. 101 et s. 1184 René Djénoan BOGNON, « La situation en Côte d’Ivoire : présidentialisme et représentation

nationale », in Henry ROUSSILLON (ss. la dir. de), Les nouvelles constitutions africaines : la transition démocratique, 2ème éd. modifiée et augmentée, Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, Toulouse, 1995, chapitre 9, p. 1.

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407

organes législatif et judiciaire sont apprivoisés par le pouvoir exécutif1185. Or, l’on aurait

pu croire à la lecture des différentes constitutions que si l’exécutif, mais plus encore le

Président de la République, est le pouvoir principal, le parlement et le pouvoir judiciaire

auraient constitué d’excellents instruments de défense contre les abus du Chef de l’État. En

tant que contre-pouvoirs, il semble que ces derniers auraient dû modérer l’influence de

l’exécutif. Leur apport aurait pu être de s’opposer au besoin aux décisions de l’exécutif qui

iraient à l’encontre de l’exigence de conciliation des droits et libertés fondamentaux avec

l’ordre public dans sa conception matérielle, laquelle conception s’articule autour de la

sécurité des personnes et des biens. Pourtant, ces contre-pouvoirs restent de façon

pragmatique, assez platoniques dans leur fonctionnement1186.

618. La position stratégique du Président de la République au sein du parti majoritaire

fait de lui, l’organe « suprême » au sein des organes constitutionnels. S’il est l’organe

suprême, cela signifie qu’il se situe au sommet d’une hiérarchie institutionnelle de fait. La

résurgence des réflexes autoritaires des premières années d’indépendance influence le

fonctionnement du régime politique. Cela est encore plus perceptible dans les systèmes

ayant opté pour un parlement monocaméral dans lequel l’unique chambre qui le constitue

est soumise au Président de la République, tel que c’est le cas au Bénin et en Côte d’Ivoire.

Ainsi que l’a dénoncé Gérard CONAC, « quels que soient le modèle de référence, les

régimes politiques qui se mettent en place personnalisent le pouvoir et placent l’assemblée

législative unique dans la dépendance du Chef de l’État »1187. Une autre partie de la

doctrine parlera du Président de la République comme d’un acteur central qui continue de

dominer les organes primo-ministériels et parlementaires1188.

1185 Nous nous référons à l’expression de Frédéric Joël AIVO : « des contre-pouvoirs apprivoisés », Le

Président de la République en Afrique noire francophone…, op. cit., p. 526. 1186 Slobodan MILACIC, « Le contre-pouvoir, cet inconnu » in Études à la mémoire de Christian

Lapoyade-Deschamps, Presses universitaires de Bordeaux, 2003, pp. 675-697, spéc. p. 675. 1187 Gérard CONAC, « Présidentialisme. Les présidentialismes africains : habillage constitutionnel de la

personnalisation du pouvoir », in Olivier DUHAMEL et Yves MENY (ss. la dir. de), Dictionnaire constitutionnel, P.U.F., Paris, 1992 p. 814.

1188 André CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Le Chef de l’État dans les Constitutions d’Afrique francophone », in Le Chef de l’État en Afrique…Entre traditions, état de droit et transition démocratique, op. cit., pp. 313-351, spéc. p. 313.

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408

619. Bien que le Parlement, premier contre-pouvoir de nature politique et autre organe

élu au suffrage universel existe, ce dernier s’en trouve réduit à un rôle résiduel par rapport

à celui que joue l’exécutif dans la vie politique. L’immixtion du Président de la République

dans la fonction législative va au-delà de la vision du constituant. En théorie, le Président

de la République est extérieur au processus de formation de la loi. Jean GIQUEL et Jean-

Éric GICQUEL diront qu’il intervient à ses extrémités. Il détient l’initiative de la loi, ce

qui a pour conséquence d’affaiblir le pouvoir du parlement en matière législative. Il

dispose également du pouvoir d’attester l’existence d’une loi en donnant ordre aux

autorités publiques de l’observer et de la faire observer, par l’acte de promulgation1189.

Cependant en pratique, le détenteur initial voire exclusif du pouvoir exécutif fait

indirectement œuvre législative puisqu’il influence fortement le travail des parlementaires,

notamment en matière d’édiction des garanties d’exercice des droits et libertés

fondamentaux des citoyens, bien que la Constitution en donne compétence au parlement.

620. De plus, la politisation des organes constitués n’est pas sans effets sur les rapports

du parlement avec l’exécutif. D’abord, la majorité des parlementaires représentent des

partis politiques, des groupes d’intérêt politique ou social. La majorité parlementaire est en

règle générale issue du même bord politique que le Chef de l’État. Ensuite, c’est en tant

que membres (actifs pour certains) du parti politique vainqueur de l’élection présidentielle

que ces derniers sont promus en qualité de candidats aux élections législatives et intègrent

le parlement en cas de victoire. Le parti politique majoritaire devient alors l’arrière-cour de

l’organe législatif pour la confection des textes législatifs. Et par-dessus tout, c’est le

Président de la République, fort de sa maîtrise des leviers du pouvoir politique qui

supplante le paysage des organes constitutionnels. En fait, le système institutionnel est

organisé autour d’une inféodation de toutes les autres institutions et même d’un système de

prédation visant à baliser et à sécuriser l’exercice plutôt sultanique de la fonction

présidentielle1190. La relation tutélaire1191 qu’entretient le détenteur du pouvoir exécutif

avec le parlement en Afrique fait de cet organe, un « prolongement », une « arrière cour de

1189 Jean GICQUEL et Jean-Éric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p. 603. 1190 Daniel BOURMAUD, La politique en Afrique, Montchrestien, Coll. « Clefs Politique », Paris, 1997, p.

93. 1191 Frédéric Joël AÏVO, Le Président de la République en Afrique…, op. cit., p. 178.

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409

l’exécutif »1192. Le parlement, ne joue pas efficacement son rôle de contre-pouvoir et perd

son « utilité constitutionnelle »1193.

621. On aurait pu croire que la juridiction constitutionnelle viendrait combler les lacunes

du parlement en tant qu’autre contre-pouvoir juridictionnel mais il est difficile d’y

répondre par l’affirmative. Le juge constitutionnel en Afrique subsaharienne francophone

s’est longtemps trouvé dans une « situation de grande dépendance »1194. Cette situation n’a

pas connu de bouleversements assez significatifs même après les années marquant la

lancée du constitutionnalisme sur l’ensemble du continent pour pouvoir aujourd’hui

affirmer avec certitude, l’effectivité de son rôle de contre-pouvoir institutionnel. Toutefois,

contrairement au contre-pouvoir politique que constitue le parlement, la juridiction

constitutionnelle, contre-pouvoir émergent, tend à se démarquer lentement mais sûrement

de sa réputation de « bras droit de l’exécutif »1195 et dont les décisions ont rarement

contredit le Chef de l’État. La pernicieuse primauté du Chef de l’État n’est pas sans

incidences sur les moyens d’expression des opinions de nature politique. Le libre accès aux

canaux de diffusion de ces opinions, bien que fondamental, ne paraît pas aussi évident en

dépit du rappel de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 : « La libre

communication des pensées et des opinions reste l’un des droits les plus précieux de

l’homme ».

B. UNE PRIMAUTE PRESIDENTIELLE DEFAVORABLE A L’EGALITE DE TRAITEMENT DES OPINIONS POLITIQUES

622. En Afrique subsaharienne francophone, les canaux d’expression des opinions

politiques ne sont pas soumis dans la pratique à une égalité d’accès pour une meilleure

diffusion des opinions politiques et une meilleure qualité des débats publics1196. Deux

1192 Frédéric Joël AÏVO, Le Président de la République en Afrique…, op. cit., p. 180. 1193 Marie-Claire PONTHOREAU, « L’opposition comme garantie constitutionnelle », Revue du Droit

public, n° 4, 2002, pp. 1127-1162, spéc. p. 1157. 1194 Gérard CONAC, « Le juge constitutionnel en Afrique : censeur ou pédagogue ? », in Gérard CONAC

(ss. la dir. de), Les Cours suprêmes en Afrique, Tome 2, Économica, Paris, p. VIII. 1195 Alioune Badara FALL, Préface à l’ouvrage d’El Hadji Omar DIOP, La justice constitutionnelle au

Sénégal…, op. cit., p. 5. 1196 À titre d’exemple, lors de la révision constitutionnelle en France du 23 juillet 2008, le pouvoir

constituant dérivé a souligné l’importance de la liberté d’expression dans la vie démocratique d’un État

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410

catégories s’opposent : les médias d’État et ceux de l’opposition. Les médias d’État

constituent de véritables relais des directives gouvernementales et du parti politique au

pouvoir. Ces catégories de médias de façon indistincte concernent essentiellement la presse

dans sa forme écrite (1) et dans sa forme audiovisuelle (2).

1. L’inégalité de traitement des opinions politiques dans la presse

623. La diffusion des opinions politiques par voie de presse écrite est caractéristique de la

liberté de communication des opinions telle que reconnue par l’article 11 de la Déclaration

des droits de l’Homme de 1789, comme l’un des droits les plus précieux de l’homme. À

l’occasion de la décision n° 86-210 D.C. du 29 juillet 1986, le Conseil constitutionnel

français a parfaitement précisé l’apport du pluralisme en matière de presse écrite dans la

construction d’un État de droit. Le pluralisme des quotidiens d’information a été déclaré

objectif de valeur constitutionnelle. Les sages ont en effet que : « la libre communication

des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la D.D.H.C. de 1789, ne serait pas

effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un

nombre suffisant de publication de tendances et de caractères différents »1197. Les juges

poursuivent en affirmant que : « l’objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au

nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la

Déclaration des droits de l’Homme de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans

que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres

décisions ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché »1198. De cette décision, il

découle que la libre communication des pensées et des opinions est effective si trois

conditions minimales sont respectées.

624. D’abord, les publications doivent être en nombre suffisant. Le caractère suffisant ne

s’apprécie qu’au regard de la possibilité pour chaque citoyen d’avoir accès à la publication

en ces termes : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Art. 4, al. 4, Const. française, 1958.

1197 C.C., décision n°86-210 D.C. du 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse. Considérant n° 20. Voir note Etien ROBERT, Le pluralisme : objectif de valeur constitutionnelle, Revue administrative, 1986 ; Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Pouvoirs, n°40, février 1997, p. 179 ; Louis FAVOREU, Revue du Droit public, n°2, mars-avril 1989, p. 399.

1198 Ibidem.

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411

de son choix. Ensuite, les publications doivent être de tendances et de caractères

différents1199. Cela signifie qu’elles doivent être représentatives de l’ensemble des opinions

politiques, philosophiques, religieuses, etc. Enfin, les destinataires sont libres dans leurs

choix. Cette liberté de choix suppose l’absence de l’intervention des pouvoirs publics et du

secteur économique qui pourraient exercer une pression de quelque ordre que ce soit afin

d’orienter insidieusement les choix des lecteurs. L’importance de la liberté de la presse a

également été souligné par la C.E.D.H en 1986 lorsqu’elle déclarait que : « La liberté de la

presse fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les

idées et attitudes des dirigeants. Le libellé de l’article 10 [de la Convention européenne

des droits de l’homme] le souligne en mentionnant le droit, pour le public, de recevoir des

informations et des idées. Plus généralement, le libre jeu des débats politiques se trouve au

cœur même de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout

entière »1200. Dans la même logique, le Code de l’information de 2015 adopté au Bénin a

consacré le pluralisme de l’information en précisant que les organes d’information assurent

dans l’intérêt général. Il leur est assigné « des missions de service public qui visent à

favoriser le débat démocratique, la formation du citoyen, les échanges entre les différents

composantes de la société de même qu’assurer en toute honnêteté dans le respect du

principe d’égalité de traitement et des décisions de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de

la Communication, l’indépendance et le pluralisme de l’information ainsi que l’expression

pluraliste des courants de pensée et d’opinion »1201. Le pluralisme des quotidiens

d’information reconnu comme un objectif de valeur constitutionnelle par le juge

constitutionnel français de même que l’égalité des traitements des courants de pensée et

d’opinion reconnue comme un principe par le législateur béninois sont les critères à l’aune

desquels sera démontrée l’inégalité dont souffrent les opinions politiques en Afrique

1199 Jean MORANGE regrette d’ailleurs que le milieu médiatique ait « tendance à adopter des méthodes

comparables, à manifester des goûts semblables, à constituer, au-delà de sa diversité, un ensemble autonome par rapport au reste de la société » malgré la diversité des personnes participant au pluralisme des médias, en prenant l’exemple des sociétés libérales. Il rajoutait en outre que « comme c’est le cas pour d’autres groupes sociaux, le mimétisme se développe à partir du mode de vie ou des méthodes de travail ». La liberté d’expression, op. cit., p. 228.

1200 C.E.D.H., 8 juillet 1986, Lingens c./Autriche, § 42. 1201 Art. 18 du Code de l’information du Bénin de 2015.

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412

subsaharienne francophone. Cette inégalité est la conséquence de la primauté du Chef de

l’État du fait du défaut dans la pratique du pluralisme des quotidiens d’information.

625. Les quotidiens d’information politique constituent l’essentiel de la presse écrite en

Afrique subsaharienne francophone. Jusque dans les années 1990, cette forme de presse se

limitait à la parution quotidienne d’un journal gouvernemental. Les journaux

gouvernementaux des États de l’Afrique subsaharienne francophone étaient dans les

années qui ont suivi les indépendances, rompus aux pratiques du « griotisme »

journalistique1202. La presse gouvernementale était alors en charge de la diffusion des

activités gouvernementales, des activités politiques des partis desquels sont issus les

détenteurs du pouvoir politique. Ils ne devaient en aucun cas s’éloigner du costume du bon

père de famille que s’évertuaient à se tailler les premiers Chefs d’État. Cependant, il ne

s’agit pas d’une spécificité des États de l’Afrique subsaharienne francophone puisque dans

les grandes démocraties contemporaines, les opinions politiques ne sont pas véhiculées

autour d’un respect strict du principe d’égalité1203.

626. À partir de 1990, l’avènement du constitutionnalisme a été l’occasion pour le secteur

de la presse écrite d’obtenir une reconnaissance constitutionnelle avec l’édiction d’un

cadre juridique permissif dont le principe est celui du pluralisme en matière de presse

écrite. Le régime juridique de la presse écrite a en conséquence été adapté au nouveau

paysage médiatique pluraliste. Les législateurs du Bénin à travers la loi n° 2015-07 portant

Code de l’information et de la communication en République du Bénin de même que la loi

n° 2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse ont alors prolongé

l’action protectrice des constituants en matière d’activités de presse. Par cette

reconnaissance, il est désormais admis que le premier apport des médias, et plus

particulièrement de la presse écrite au mouvement actuel de démocratisation, c’est la

1202 Marie-Soleil FRÈRE, « Dix ans de pluralisme en Afrique subsaharienne francophone », Les Cahiers

du journalisme, n° 9, Automne 2011, pp. 28-59, spéc. p. 28. Disponible en ligne : http://www.com.ulaval.ca/fileadmin/contenu/Cahiers_Journalisme/PDF/9/02_Frere.pdf. Consulté le 09 septembre 2015.

1203 Jean MORANGE précise à cet effet que « les États démocratiques véhiculent plus ou moins explicitement un certain nombre de convictions et d’idéologies au premier rang desquelles on trouve les idées politiques majoritaires, telles qu’elles se dégagent des instances élues. Mais au-delà, les institutions et services de l’État servent de relais aux pensées dominantes sinon majoritaires ». La liberté d’expression, op. cit., p. 232.

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413

possibilité de dénoncer la langue de bois, de dénoncer les tares de la politique, de

l’économie et de la société1204. D’ailleurs, en adoptant ces lois relatives à la liberté de la

presse, les législateurs de ces États ont mis un point d’honneur à consacrer le pluralisme de

l’information et de la presse. Le Bénin, à titre d’exemple, en adoptant le Code de

l’information de 2015, prévoit que « les organes et agences de presse sont tenus d’assurer

et de respecter le pluralisme de l’information ». Le législateur béninois poursuit en

intimant à ces organes et agences, l’ordre de prendre « toutes mesures de nature à garantir

le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ainsi que la

crédibilité de l’information et son indépendance à l’égard des partis et regroupements

politiques, des lobbies d’intérêts économiques, religieux et philosophiques »1205. Il va s’en

dire que l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion entraîne la possibilité

pour les acteurs de la presse écrite de critiquer l’action gouvernementale. Tel est supposé

être le rôle de la presse privée qui se réserve alors le droit de critique de l’autorité

politique. Or, le libre droit à la critique s’oppose au délit d’outrage des autorités publiques

et au délit d’offense au Chef de l’État. Et bien souvent, le délit d’offense l’emporte sur le

libre droit à la critique. Face aux craintes de l’autorité politique de voir étalées ses

compromissions ou ses malversations, cette dernière adopte un comportement assez radical

vis-à-vis de la presse privée. En effet, la presse privée qui s’oppose aux médias d’État,

s’est donnée pour mission de dénoncer les dysfonctionnements des autorités politiques tels

que les violations des droits de l’homme, les manipulations politiques, les abus d’autorité

et les détournements de pouvoir. De plus, la diversification du nombre d’acteurs politiques

aboutit dans l’exercice du jeu politique à la confrontation des opinions que les médias de la

presse écrite relaient.

627. Mais les nouveaux médias qu’ils constituent dans des États où il n’existe pas de

tradition de diffusion de l’information publique1206 n’échappent pas aux intimidations des

1204 André-Jean TUDESQ, L’espoir et l’illusion : actions positives et effets pervers des médias en Afrique

subsaharienne, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, Talence, 1998, p. 90. 1205 Art.14 du Code de l’information de 2015 du Bénin précité. 1206 Pourtant, au Sénégal par exemple, la loi du 22 février 1996 en son article 26 reconnaît aux journalistes

le droit d’accéder à l’information détenue par les organes publics pour « toutes les sources d’information non confidentielles ». Il s’agit pour le législateur de mettre un point d’honneur à la transparence de l’administration publique, ce qui constitue un critère déterminant à la consolidation de l’État de droit.

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414

autorités politiques. Si le Chef de l’État continue à considérer les médias d’État à son

service, il leur assigne comme mission celle de diffuser l’information politique en tant que

relais de ses actions politiques. Et lorsque certains journalistes consciencieux ont trop à

cœur de respecter leur devoir d’équilibre dans la diffusion de l’information politique, ils

sont presque systématiquement rappelés à l’ordre. Quant aux activités des partis politiques

de l’opposition, ces derniers ne bénéficient presque pas d’une couverture médiatique

suffisante de la part des médias d’État. Lorsque ces médias s’y intéressent, il est

principalement question pour eux de montrer les discordes au sein de ces partis de

l’opposition. Le parti politique au pouvoir jouit à n’en point douter d’un quasi monopole

sur les moyens de communication. Certes, la presse gouvernementale se fait l’écho des

activités du Président de la République en tant qu’institution et telle est sa mission. Mais,

se faisant, elle sert aussi de canal de diffusion et de tribune aux activités du parti politique

duquel est issu le Président de la République de même que l’ensemble des membres des

différentes institutions politiques. En conséquence, les partis politiques de l’opposition, les

organisations non gouvernementales, les mouvements et groupements d’intérêt social ne

bénéficient pas d’un traitement équitable lorsqu’ils entrent en concurrence avec le parti

politique au pouvoir.

628. Pourtant, la création par la voie législative d’instances de régulation de médias dans

le domaine de la presse écrite est un moyen juridique et institutionnel pour asseoir une

culture du pluralisme médiatique dans ces États. Le Conseil National de la Presse en Côte

d’Ivoire s’est d’ailleurs donné pour mission de garantir le pluralisme de la presse écrite1207.

Bien que son rôle ne soit pas purement consultatif, cette autorité administrative

indépendante reste assez proche du pouvoir politique ainsi que l’a admis Moustapha

SAMB1208. Quant à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication au Bénin,

1207 La garantie du pluralisme de la presse écrite est inscrite au titre des missions du C.N.P. détaillées sur le

site officiel de l’institution : http://www.lecnp.ci/. Consulté le 14 septembre 2015. Le pluralisme de la presse écrite est également souligné à l’article 39 de la loi de 2014 relative au régime juridique de la presse en Côte d’Ivoire comme une mission assignée au Conseil National de la Presse.

1208 Moustapha SAMB, « Médias, pluralisme et organes de régulation en Afrique de l’Ouest », Les Cahiers du journalisme, n° 20, Automne 2009, pp. 218-236, spéc. p. 219. Disponible en ligne à l’adresse : http://www.cahiersdujournalisme.net/cdj/pdf/20/11_samb.pdf. Consulté le 14 septembre 2015.

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415

elle assure d’une manière générale, le respect de l’expression pluraliste des courants de

pensée et d’opinion dans la presse1209.

629. Le fait que les récépissés d’enregistrement des titres de presse soient accordés avec

plus de facilité par les autorités que ne le sont les fréquences pour le secteur audiovisuel

aggrave l’inégalité de traitement des opinions dans la presse audiovisuelle.

2. L’inégalité de traitement des opinions politiques dans la presse audiovisuelle

630. Dominique ROUSSEAU écrit que la liberté de communication pour être effective,

implique que « le public puisse disposer d’un nombre suffisant de publications de

tendances et de caractères différents, de programmes audio-visuels qui garantissent, dans le

secteur public comme dans le secteur privé, l’expression de tendances et de caractères

également différents (…) »1210. Dans la presse audiovisuelle, l’on distingue les chaînes de

radio des chaînes de télévision. La libéralisation du secteur de l’audiovisuel dans les

années 1990 n’a pas été synonyme d’éclosion immédiate des chaînes de télévision et radios

privées dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone.

631. De plus, lorsqu’il s’en est timidement suivi la création d’organes de communication

audiovisuelle, puis ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler la prolifération de ces derniers,

ces organes n’ont pas fait de l’information politique leur cheval de bataille. Une large part

de leurs programmes était réservée au divertissement ou à l’information confessionnelle

selon la nature de l’organe de diffusion1211. La difficulté d’accès aux sources d’information

politique n’a également pas contribué à faire de ces organes de communication

audiovisuelle des spécialistes de l’information politique. Si les radios de proximité ont

foisonné ces dernières années, les chaînes de télévision l’ont été beaucoup moins

notamment en raison du coût que leur création implique.

1209 Art. 17 du Code de l’information précité 1210 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel (Préface de Georges VEDEL), op. cit.,

p. 366. 1211 En Côte d’Ivoire, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (H.A.C.A.) enregistre à ce jour

deux chaînes de télévision qui relèvent toutes du service public et plus d’une soixantaine de chaînes de radios locales. Les chiffres sont disponibles sur le site institutionnel de la H.A.C.A. : www.haca.ci.

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416

632. Aussi, et comme l’a souligné Marie-Frère SOLEIL, « la télévision reste un média

citadin et élitiste dont la consommation est collective, contrairement à la radio dont

l’écoute s’est individualisée grâce au transistor »1212. Et pour les populations équipées de

poste de télévision, le pluralisme en matière d’information est quasi inexistant. À titre

d’exemple, les résultats d’une étude réalisée en 1999 et publiée en 2004 montrent que dans

le journal télévisé de la Radio Télévision Ivoirienne (média d’État), 77% des informations

sont consacrées aux activités gouvernementales et aux activités du parti politique au

pouvoir1213. Le dernier rapport de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle

(H.A.C.A.) en Côte d’Ivoire, disponible en date du 3 avril 2013, relatif au temps d’antenne

et de parole des partis politiques sur la période allant de janvier à Mars 2013, relève que

plus de 35% du temps d’antenne et un peu plus de 20% du temps de parole était accordé au

Rassemblement des Républicains, parti politique au pouvoir1214. Cet exemple est

symptomatique de l’usage de l’instrument qu’est la télévision en Afrique subsaharienne

francophone car dans les États qui composent cette partie du continent africain, 90% des

chaînes de télévision restent sous le contrôle des dirigeants politiques1215.

633. En dehors des constitutions, des lois qui instituent ces instances de régulation dans le

domaine de la communication audiovisuelle, aucun autre instrument juridique, à savoir la

jurisprudence constitutionnelle, n’a encore eu l’occasion de participer de façon

significative au renforcement du respect par les acteurs du secteur de la communication

audiovisuelle, du pluralisme des opinions. En revanche en France, la jurisprudence

constitutionnelle a été d’un apport considérable dans la consécration constitutionnelle de la

conciliation de la communication audiovisuelle. D’une part, « les contraintes techniques

inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle » et d’autre part, « les objectifs

de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la

1212 Marie-Frère SOLEIL, « 10 ans de pluralisme en Afrique francophone », op. cit., p. 29. 1213 Vincent Sosthène FOUDA, Les médias face à la construction de l’État-Nation en Afrique noire : un

défi quotidien pour le Cameroun, Tome 1, L’Harmattan, Paris, 2004, p. 30. 1214 Si l’on ajoute à ces résultats, ceux des partis politiques ayant fait une coalition avec le parti politique au

pouvoir, l’on atteint un peu plus de 55% du temps d’antenne et un peu plus de 30% du temps de parole réservé à la coalition politique dominante. Voir Rapport disponible sur le site institutionnel de la H.A.C.A. : www.haca.ci.

1215 Vincent Sosthène FOUDA, « Les médias face à l’ouverture démocratique en Afrique noire : doutes et certitudes », Les cahiers du journalisme, n°19, Hiver 2009, pp. 202-211, spéc. p. 207. Disponible en ligne : http://www.cahiersdujournalisme.net/cdj/pdf/19/16_fouda.pdf. Consulté le 15 septembre 2015.

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417

liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression

socioculturels auxquels ces modes de communication, par leur influence considérable, sont

susceptibles de porter atteinte »1216.

634. La faiblesse de la contribution des mass médias à l’effectivité d’une liberté

d’opinion qualitative notamment en matière politique est une conséquence de

l’environnement de travail, de la qualité des acteurs, de la difficulté d’accès des

destinataires de l’information, des conditions d’exercice du métier. En clair, la précarité de

la liberté d’opinion est une conséquence des pesanteurs liées aussi bien au contexte

politique en présence qu’au contexte socio-économique.

§ 2. LES VICISSITUDES DE LA SEPARATION DES POUVOIRS

635. L’évolution de la vie politique et institutionnelle a progressivement fait apparaître

les premières limites à l’application de la théorie de la séparation des pouvoirs. Ainsi, les

premiers partis politiques apparurent en Angleterre au milieu du XIXème siècle et en

France, ce fut au début du XXème siècle. En Afrique, et notamment dans la partie

subsaharienne de l’espace francophone, le phénomène est plus récent ainsi que l’a fait

remarquer Dmitri - Georges LAVROFF, puisque leur avènement remonte au lendemain de

la seconde guerre mondiale1217. Ce phénomène qui est en pleine expansion (A) influence

fortement les relations entre les différents pouvoirs. Au sein même de ces pouvoirs, la

fonction juridictionnelle en Afrique connaît des réalités qui modifient profondément la

mission du juge dans l’articulation des rapports d’équilibre entre la liberté d’opinion et

l’ordre public sécuritaire (B).

A. L’EMERGENCE D’UN PARTI POLITIQUE DOMINANT

636. Dans les États étudiés, qu’il s’agisse des États ayant adopté une séparation souple

des pouvoirs ou des États dans lesquels les constituants ont organisé une collaboration

fonctionnelle des pouvoirs, la vie politique et institutionnelle est animée par les élections

1216 C.C., décision n°86-217 D.C. du 18 septembre 1986 pour la loi relative à la liberté de communication.

op.cit. 1217 Dmitri-Georges LAVROFF, Les partis politiques en Afrique noire, P.U.F., Coll. « Que sais-je ? »,

Paris, 1970, p.9.

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présidentielles et législatives. Seule la Loi Fondamentale allemande fait élire le Président

fédéral par l’Assemblée fédérale1218. Trois partis politiques s’y sont succédé et animent la

vie politique de l’Allemagne réunifiée. Il s’agit du Parti chrétien-démocrate (C.D.U.)1219,

du Parti social-démocrate (S.P.D.) et du Parti libéral-démocrate (F.D.P.), les trois partis

étant représentés au Bundestag, la chambre des députés. Avec l’obtention de 311 sièges

pour la coalition C.D.U./C.S.U. sur un total de 631 sièges, soit un taux de représentation de

41,55% au Bundestag, l’élection du 23 septembre 2013 est celle qui donne le plus

d’aisance à Angela Merkel, chancelière fédérale allemande, pour mettre en œuvre sa

politique1220. Ailleurs, l’animation de la vie politique emporte un enjeu considérable. Cet

enjeu découle de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République,

selon le même mode de désignation que les parlementaires (du moins des membres de la

chambre basse dans le cas d’un parlement bicaméral), ou des membres de l’Assemblée

nationale (dans le cas d’un parlement monocaméral).

637. En France, c’est le Parti socialiste (P.S.), parti d’idéologie libérale, au pouvoir

depuis 2012 avec l’élection de François Hollande, avec un score de 51,64% des suffrages

exprimés au second tour1221, qui est ainsi devenu la première force politique nationale de

laquelle sont issues les grandes décisions politiques.

638. En Afrique subsaharienne francophone, il n’y a guère de différence dans la

configuration du jeu politique. En 2010, le Rassemblement Des Républicains (R.D.R.) en

Côte d’Ivoire est le parti politique duquel est issu l’actuel Chef de l’État, Alassane

Dramane Ouattara, avec un score de 54,10% de votes au second tour de l’élection

présidentielle. Curieusement, au Bénin, la situation est assez inédite. L’actuel Président

Yayi Boni s’est présenté en 2011, à l’élection présidentielle sans être rattaché à un

1218 Aux termes de l’Article 54 (3), l’Assemblée fédérale se compose des membres du Bundestag et d’un

nombre égal de membres élus à la proportionnelle par les représentants du peuple dans les Länder. 1219 Le C.D.U. a fait alliance avec le C.S.U., parti de la même inspiration chrétienne-démocrate, à la fois

libérale et conservatiste. Cette coalition a ainsi été portée au pouvoir par le biais de l’élection de la Chancelière Angela MERKEL en 2013.

1220 Cette élection permet ainsi à la Chancelière allemande d’accomplir son troisième mandat, étant entendu que sa première élection en cette qualité remonte à 2005, et que des élections sont organisées tous les quatre ans.

1221 Résultats publiés sur le site du Ministère français de l’intérieur : http://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__PR2012/(path)/PR2012/FE.html. Consulté le 26 mars 2015.

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419

quelconque parti politique. Il remporta l’élection dès le premier tour avec un pourcentage

de 53,14% des suffrages exprimés. Quant au Sénégal, le Président de la République Macky

Sall fut élu avec 65,80% des votants ayant exprimé leur suffrage au second tour.

639. L’élection du Président de la République au suffrage universel tend à personnaliser

la compétition électorale dans la mesure où une seule personne sera choisie suite à une

élection qui oppose plusieurs candidats. Il y a là une dimension personnelle qui au-delà du

vote en faveur d’un parti politique, sera aussi l’expression du choix en faveur du leader de

ce parti1222. Le mode de désignation du Chef de l’État au vu de ce qui précède, conforte ce

dernier dans l’exécution de son programme politique. En plus, le Chef de l’État dispose

selon les différentes constitutions étudiées à l’exception de l’Allemagne, de prérogatives

importantes qui font de lui l’homme fort du régime et le détenteur unique du pouvoir

présidentiel.

640. L’organisation des élections sur la base des règles du jeu démocratique aboutit in

fine au fait majoritaire qui n’est rien d’autre que la conséquence de l’addition des votations

individuelles. En effet, les élections qu’elles soient présidentielles ou législatives mettent

en compétition plusieurs candidats issus de différents partis politiques. Chaque parti

politique attirant à lui des électeurs sur la base d’un programme politique censé

révolutionner la vie des individus et du pays. Les candidats élus sont ceux qui ont remporté

le plus de voix. C’est donc la majorité qui l’emporte. Lorsque les différents décomptes des

voix montrent une distance nette entre le vainqueur et le ou les vaincus, ce dernier se sent

investi d’une sorte de légitimité renforcée qui lui donne caution pour mettre en œuvre le

programme politique qui a séduit les électeurs et grâce auquel il a été porté au pouvoir.

641. Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET estiment que la qualité

du jeu politique est fonction de la qualité numéraire des partis politiques. Car plus il y a de

partis, moins la compétition électorale est aboutie. Moins, il y a de partis, plus le choix des

électeurs est précis et éclairé1223. Ce point de vue n’a pas encore eu un écho favorable en

Afrique subsaharienne où les partis politiques surtout à l’approche des élections

1222 Jean-Luc PARODI, « Effets et non-effets de l’élection présidentielle au suffrage universel », Pouvoirs,

n° 14, septembre 1980, pp. 5-14, spéc. p.7. 1223 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, op.cit., p. 82.

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foisonnent, dont certains sans véritable projet politique. Et le choix des électeurs lors de

l’élection présidentielle se confirme aux élections législatives. Aussi, le parti politique aux

couleurs desquelles s’est présenté le candidat vainqueur à l’élection présidentielle est en

général celui qui remporte la majorité des sièges à l’Assemblée nationale lors des élections

législatives, et ce en raison du calendrier de ces deux types d’élection qui se suivent

presque. Le fait que l’élection présidentielle soit l’évènement central de la vie politique

nationale participe de la présidentialisation des partis politiques1224.

642. Quant à la montée en puissance des partis politiques sur la scène de l’accession au

pouvoir d’État, elle entraîne la politisation des pouvoirs institutionnalisés. Cette

politisation irrigue l’ensemble des pouvoirs avec au centre, le leader du parti politique qui

devient la vedette1225. La situation est toute aussi vraie en France que dans les États de

l’Afrique subsaharienne francophone. En conséquence, cette configuration influence

fortement les rapports entre les deux organes à finalité politique, l’organe exécutif et

l’organe législatif.

B. L’INFLUENCE DU PARTI POLITIQUE DOMINANT SUR LA CONFIGURATION DES RAPPORTS ENTRE LES ORGANES EXECUTIF ET LEGISLATIF

643. L’émergence de la politisation de la vie institutionnelle donne lieu à une nouvelle

interprétation de la séparation des pouvoirs. Cette technique constitutionnelle de

modération des différents pouvoirs oppose désormais la majorité à l’opposition politique

lorsque l’alternance politique permet un équilibre du jeu politique. Dès lors, se découvre

un nouveau contre-pouvoir : l’opposition politique. L’opposition politique doit pouvoir

disposer de moyens pour exercer sa tâche de modérateur. Elle doit être en mesure

d’exercer une pression en permanence sur le gouvernement, et de l’influencer. Les

principales mesures que sont « le financement public des activités politiques au sein des

instances délibératives parlementaires, les immunités, la publicité des débats, le droit de

parole, le droit d’enquête, le droit de questionner les ministres, le droit de censurer

éventuellement, le droit d’une représentation minimum dans les instances parlementaire. À

1224 Hugues PORTELLI, « La présidentialisation des partis français », Pouvoirs, n° 14, septembre 1980, pp.

97-106, spéc. p. 100. 1225 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, op. cit. , p.16.

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421

ces conditions, l’opposition devient un véritable contre-pouvoir, un pouvoir modérant les

envolées de la majorité parlementaire »1226. Ces mesures, l’opposition en Afrique

subsaharienne francophone se les accapare péniblement. Elle assume non sans difficultés

son rôle de contre-pouvoir politique. Et même lorsqu’il existe une opposition parlementaire

suffisamment représentative de la minorité politique, cette dernière est assez rapidement

« neutralisée »1227.

644. L’apparition des majorités politiques solides est également visible dans les grandes

démocraties contemporaines. Louis FAVOREU a pu ainsi dire que les majorités

parlementaires, sous la Vème République française « font bloc avec le président et la

volonté qu’exprime souvent le parlement, en votant les lois, est celle du gouvernement

soutenu et suivi par une majorité sans faille : la loi exprime une volonté majoritaire et non,

une volonté générale »1228.

645. En effet, une fois le Président de la République et les membres du Parlement élus,

l’organe exécutif met en œuvre la politique d’un parti en initiant dans la majeure partie des

cas, l’initiative1229 des lois. Cet organe exécutif édicte également un ensemble de mesures

de nature réglementaire avant leur ratification qui portent sur des matières relevant en

principe de la loi. Néanmoins, l’organe exécutif édicte ces actes avec la permission du

parlement selon les conditions légales prévues à cet effet, qui une fois ratifiés, acquièrent

valeur législative. Les lois sont aussi préparées par le Gouvernement et traduisent les

grandes lignes du programme politique du parti, vainqueur aux élections.

646. Sans être évanescent, le parlement se retrouve alors dans la position assez

paradoxale d’exécutant du pouvoir exécutif dans la mesure où l’organe exécutif dirige et

1226 Pascal JAN, « Les séparations du pouvoir », in Mélanges en l’honneur de Jean GICQUEL :

Constitutions et pouvoir, Montchrestien, Paris, 2008, pp. 255- 264, spéc. p. 260. 1227 Olivier DUHAMEL et Yves MENY définissent l’opposition comme « des partis ou groupements qui

sont en désaccord avec le Gouvernement ». Dictionnaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 677. 1228 Louis FAVOREU, La Constitution et son juge (Préface de Didier MAUS, Xavier PHILIPPE, André

ROUX), Economica, Paris, 2014, p. 8. 1229 Maurice HAURIOU définit l’initiative comme le pouvoir de prendre ou de ne pas prendre, de choisir le

moment « pour prendre une mesure déterminée et qui implique essentiellement une appréciation d’opportunité ». Cf. Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel (Présentation par Jacky HUMMEL), op. cit., p. 377.

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422

l’organe législatif délibère1230. Plus encore en Afrique subsaharienne francophone,

« compte tenu des conditions de son élaboration et du système politique en vigueur, la loi

apparaît comme l’expression de la volonté du chef de l’exécutif ; (…) le Parlement,

lorsqu’il existe, se bornant à avaliser en quelques jours les mesures édictées »1231. L’action

de délibérer reconnue au Parlement ne devient qu’une formalité puisque l’adoption du

texte de loi sera rarement entravée, même par l’opposition qui ne bénéficie pas de voix

suffisantes pour s’opposer efficacement à l’adoption du projet de loi1232. Toujours est-il

qu’en votant contre, elle prend par là même le corps électoral à témoin en lui faisant

connaître son désaccord et montre ainsi qu’elle se désolidarise des éventuelles

conséquences du texte en question.

647. Sur le parlement, le Président de la République joue de techniques de persuasions et

le gouvernement n’a de cesse de tester assez souvent sa majorité au parlement pour

ressouder les liens. En clair, et comme l’ont souligné Ferdinand MÉLIN-

SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET : « un gouvernement assuré d’une majorité fidèle

dispose à la fois du législatif et de l’exécutif. Il serait donc vain d’opposer ceux-ci, qui non

seulement ne sont plus antagonistes mais encore vont travailler en étroite association

(…) »1233.

648. Le phénomène des partis politiques a considérablement réduit en peau de chagrin les

« facultés d’empêcher » de chaque pouvoir que MONTESQUIEU évoquait si bien. En

occident, les situations de cohabitation politique ont souvent permis au parlement de

reprendre la main sur sa faculté d’empêcher du pouvoir exécutif au sein de l’appareil

1230 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, op.cit., p. 111. 1231 Jean du Bois de GAUDUSSON, « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone »,

Afrique contemporaine, La justice en Afrique, numéro spécial, La documentation française, 4ème trimestre 1990, pp. 6-12, spéc. p. 9.

1232 Le Bénin en la matière fait figure d’exception dans la mesure où le parlement est élu pour un mandat de 4 ans contre un mandat de cinq ans pour le Président de la République. Le Parlement est bien souvent dominé par l’opposition et constitue l’endroit par excellence où se déroule le débat politique de même que le contrôle de l’action gouvernementale. Maîtresse de son ordre du jour, l’Assemblée nationale peut en outre déclencher la procédure de déchéance du Président de la République. Cf. Théodore HOLO, « Les idées constitutionnelles du Professeur Ahanhanzo-Glèlè », in La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice Ahanhanzo-Glélé, L’Harmattan, Coll. « Études africaines », Paris, 2014, pp. 233-242, spéc. p. 240.

1233 Jean du BOIS de GAUDUSSON, « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone », op. cit., p. 9.

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423

institutionnel. En Allemagne par exemple, la cohabitation entendue au sens de la doctrine

française n’a pas posé de problèmes institutionnels majeurs. En effet, il y eut cohabitation

en Allemagne de mai 1979 à octobre 1982 avec la coexistence du Président fédéral Karl

Carstens de la C.D.U. et du gouvernement du Chancelier Helmut Schmidt de la coalition

S.P.D. / F.D.P. Cette configuration n’a posé aucun blocage particulier dans l’action des

institutions puisque le Président fédéral ne dispose pas de prérogatives aussi importantes

qu’en France pour contrecarrer l’action de la majorité parlementaire1234.

649. En Afrique subsaharienne francophone, cette hypothèse de cohabitation tant dans sa

version française que dans sa version allemande est rare. La simultanéité des élections

présidentielle et législatives prédispose assez souvent, et ce de façon quasi exclusive, la

direction des affaires de l’État par un parti majoritaire1235.

650. Par ailleurs, l’essentiel des pouvoirs de l’État est détenu par l’organe exécutif. Celui-

ci a une capacité de direction et de décision. C’est en fait le maître d’ouvrage de la

politique nationale. Il prend des décisions, met en œuvre des programmes d’action, dispose

de l’appareil administratif sur lequel il a un pouvoir de sanction en cas de défaillance ou

pour des raisons purement subjectives qu’il peut seul justifier. L’appareil administratif lui

est donc subordonné. C’est bien cet appareil qui exécute la politique conduite par

l’exécutif. Les organes législatifs ne font qu’approuver les décisions de l’exécutif. Leur

pouvoir de contrôle dans les régimes de collaboration des pouvoirs devient un pouvoir

formel qu’ils exercent sans aucune volonté de censure, étant entendu qu’ils relèvent du

même appareil politique que l’organe exécutif dont ils ont approuvé et validé le

programme de campagne.

651. L’émergence des partis politiques réorganise foncièrement les rapports entre

l’organe exécutif, dont le Chef est élu au suffrage universel direct, et le ou les organe(s)

législatif(s), également revêtu(s) d’une légitimité démocratique, et issu(s) du même parti 1234 La cohabitation dans sa version allemande n’existe que si l’opposition au Bundestag est majoritaire au

Bundesrat, organe représentant les États fédérés ou Länder. Cette forme de cohabitation s’est installée des années 1969 jusqu’en 1982 avec la coexistence de la coalition gouvernementale S.P.D. /F.D.P. et la coalition législative C.D.U. / C.S.U. Pour en apprendre davantage, lire : Adolf KIMMEL, « Chronique- La cohabitation à l’allemande », Pouvoirs, n°84, Janvier 1998, pp. 177-189.

1235 Exception faite des périodes de crise qui obligent le Président de la République à nommer des membres dans le gouvernement, qui n’appartiennent pas nécessairement au parti majoritaire. Ces gouvernements prennent souvent l’appellation de « gouvernement d’union nationale ».

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424

politique que les membres de l’exécutif. La théorie de la séparation des pouvoirs présentée

à l’époque de la construction de la philosophie des Lumières est alors en total déphasage

avec la réalité de l’aménagement des rapports entre ces deux organes à finalité politique.

§ 3. DE L’EFFICACITE DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE A PROTEGER LA LIBERTE D’OPINION

652. Troisième fonction constitutionnelle des États, la fonction juridictionnelle ne s’est

pas totalement éloignée de la vision qu’en avaient les théoriciens de la séparation des

pouvoirs, du moins en apparence. Juger en équité et en droit demeure la finalité de toutes

les garanties qui entourent la mission du juge. Cependant, nombre de facteurs infléchissent

l’efficacité et l’effectivité de la fonction juridictionnelle, surtout en tant que protecteur

ordinaire des droits et libertés fondamentaux, dont la liberté d’opinion. Le mal est encore

plus profond en Afrique subsaharienne francophone. D’une part, la pratique de la fonction

juridictionnelle fait remarquer un infléchissement des principes de fonctionnement du

service public de la justice (A). D’autre part, l’impopularité à laquelle doit faire face le

juge dans son office juridictionnel (B) met sérieusement à mal l’efficacité de la fonction de

juger.

A. L’INFLECHISSEMENT DES PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

653. Le service public de la justice renvoie à l’ensemble des juridictions dont le rôle est

de dire le droit. Martin BLÉOU lui dégage deux sens. D’un point de vue organique, il

définit le service public de la justice comme « les institutions constituant le système

juridictionnel et dont le rôle est de dire le droit ». Au sens fonctionnel, il s’agit pour lui,

des « activités de ces institutions et vise spécialement les décisions rendues »1236. De

manière indifférenciée, le service public de la justice est donc régi par des règles

d’accessibilité (1) et de gratuité pour les usagers (2), dont la mise en œuvre est sujette à de

1236 Martin Djézou BLÉOU, « Quel service public de la justice en Afrique francophone ? Constat,

interrogations et suggestions », in Fabrice HOURQUEBIE (ss. la dir. de), Quel service public de la justice en Afrique francophone, Bruylant, Bruxelles, 2013, pp. 11-17, spéc. p. 11.

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nombreuses difficultés que l’on rencontre bien souvent dans les États de l’Afrique

subsaharienne francophone.

1. De l’accessibilité au service public de la justice

654. L’accès à la justice est un droit. Creuset du développement démocratique et pierre

angulaire de l’État de droit1237, il permet au citoyen de s’adresser en toute liberté au service

public de la justice pour faire entendre sa cause et défendre ses intérêts, sous réserve des

conditions légales de régularité et de recevabilité de sa requête. Certaines constitutions font

de l’accessibilité à la justice, un droit fondamental1238. Tel est le cas en Côte d’Ivoire1239.

Cette reconnaissance implique d’ailleurs que le citoyen puisse opposer aux autorités

législatives et administratives, le défaut d’accès à la loi lorsque cette loi constitue le

fondement des poursuites à son encontre. Le constituant allemand de 1949 le consacre sous

la forme du droit au recours juridictionnel en cas de violations des droits fondamentaux de

l’individu par la puissance publique1240. En France, le droit d’exercer un recours

juridictionnel est un droit que le Conseil d’État a élevé au rang de principe à valeur

constitutionnelle1241. Pour sa part, le Conseil constitutionnel français a rappelé le droit

reconnu « aux personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction »

sur la base de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 : « Toute

société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs

déterminée n’a point de constitution »1242.

1237 Alioune Badara FALL, « L’accessibilité à la justice en Afrique », in Emmanuel DECAUX (ss. la dir.

scientifique de), Justice et droits de l’homme, XXVIIIe Congrès de l’Institut International du Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises, Institut International du Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises, Coll. « Droit d’expression et d’inspiration françaises », Paris, 2003, pp.323-339, spéc. p. 323.

1238 Dominique D’AMBRA, « Réformer l’aide juridictionnelle », in Mélanges en l’honneur de Serge Guinchard : Justices et droit du procès. Du légalisme procédural à l’humanisme processuel, Dalloz, Paris, 2010, pp. 85-98, spéc. p. 92.

1239 Art. 20, Const. Côte d’Ivoire, 2000. 1240 Art. 19 (4), L.F. de la R.F.A., 1949. 1241 C.E. sect., 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France, n°188715, Rec. Lebon, p. 313. 1242 C.C., décision n°96-373 D.C. du 09 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la

Polynésie française. Cf. Considérant 83. Voir note Bertrand MATHIEU et Michel VERPEAUX, Les petites Affiches, 1996, pp. 6-8 ;

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426

655. L’accès au service public de la justice peut recouvrir deux formes : un aspect

géographique et un aspect linguistique qui tient à la clarté du langage juridique. Mais

ajoutons à ces deux aspects principaux, un troisième aspect non-négligeable : l’accès au

droit de saisir la justice. Cet accès donne le droit d’exercer son droit devant les

juridictions1243. Ce droit ne sera effectif que dès lors que le justiciable verra sa cause

entendue sous réserve des conditions de recevabilité et de régularité. Ces conditions ne

seront respectées que si elles sont familières aux justiciables. Car en principe, tout individu

a le droit d’ester en justice pour que sa cause soit entendue et défendue. Néanmoins, il

existe un minimum de règles communes1244 qui entourent la saisine de l’autorité judiciaire

afin d’éviter d’avoir un service public de la justice surchargé et lent. Ce minimum de règles

assure ainsi la célérité dans le traitement administratif et juridictionnel des requêtes.

656. Sur l’aspect géographique, bon nombre d’auteurs ont posé la problématique de

l’accès au service public de la justice en termes de proximité géographique1245. Mais avant

d’évoquer cet aspect très juste au demeurant, il convient en tout premier lieu de souligner

que le service public de la justice conçu en tant qu’institution composée des tribunaux et

cours d’appels et juridictions supérieures existe bel et bien. L’effectivité d’un pouvoir

judiciaire matériel est la condition sine qua non à toute action en justice. Toutes les

constitutions africaines étudiées instituent ce service public. Le déploiement de ce pouvoir

judiciaire sur l’ensemble du territoire engendre des frais conséquents que les différents

pouvoirs politiques ne sont pas toujours en mesure d’assurer.

657. L’exemple peut être donné avec le cas en Côte d’Ivoire. La Constitution de 2000 a

institué des juridictions supérieures avec la création d’un Conseil d’État et d’une Cour de

cassation1246. Sauf qu’à ce jour, les lois organiques qui en fixent l’organisation et le

fonctionnement n’ont toujours pas été votées. En effet et comme l’a souligné Martin

1243 Abraham GADJI, « L’accès à la justice entre quête, requête et conquête : quelques observations sur un

droit fondamental à valoriser en Côte d’Ivoire », in Fabrice HOURQUEBIE (ss. la dir. de), Quel service public de la justice en Afrique francophone, Bruylant, Bruxelles, 2012, pp. 95-121, spéc. pp. 100-101.

1244 La compétence territoriale de la juridiction ou ratione loci, la compétence matérielle de la juridiction ou ratione materiae, la compétence personnelle du justiciable qui este en justice ou ratione personae, le délai de saisine de la juridiction sont autant de conditions communes de recevabilité des requêtes devant les juridictions.

1245 Alioune Badara FALL, « L’accessibilité à la justice en Afrique », op. cit., pp. 325-326. 1246 Art.102, al.1, Const. ivoirienne, 2000.

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427

BLÉOU, la dualité de juridictions qu’engendre la création de ces institutions

juridictionnelles supérieures est « coûteuse du point de vue financier et en termes de

ressources humaines, ce que les États africains n’ont pas toujours (…) »1247. La

spécialisation des juridictions paraît d’une urgence secondaire par rapport à la proximité

géographique des tribunaux et cours déjà existants et plus familiers à l’environnement

social et institutionnel, d’autant plus que la proximité dépend de l’envergure du

déploiement. Ainsi, les tribunaux et cours d’appel restent insuffisants à ce jour en termes

de matériels, de personnels et d’infrastructures pour rapprocher au maximum le citoyen du

service public de la justice. À titre d’exemple, chacun des trois États africains étudiés

disposent convenablement d’une cour suprême avec des chambres spécialisées

(administrative, civile, commerciale, etc.)1248. Quant aux juridictions de première instance

en Côte d’Ivoire et au Bénin, ou tribunaux départementaux et régionaux au Sénégal,

malgré leur nombre appréciable, ils sont encore insuffisants et dotés de moyens humains et

matériels peu performants1249.

658. Sur le point de l’accès aux décisions rendues par les juridictions, ces décisions sont

souvent rédigées dans un langage juridique obscur pour le citoyen lambda. Ce dernier s’en

trouve éloigné et peu concerné par les effets de ces décisions dans son quotidien immédiat.

De plus, c’est souvent dans un langage particulièrement complexe, que seuls peuvent

comprendre les initiés de la linguistique juridique, que sont rédigées les motivations qui

fondent l’irrecevabilité d’une requête. Jean du Bois de GAUDUSSON parle même d’un

« excessif juridisme des règles et procédures »1250. Sans compter que c’est au prisme des

1247 Martin Djézou BLÉOU, « Quel service public de la justice en Afrique francophone ? Constat,

interrogations et suggestions », op. cit., p. 15. 1248 La Côte d’Ivoire qui compte une superficie de 322 462 km² et une population qui avoisine les vingt-

cinq millions d’habitants dispose d’autant de cours d’appel que le Bénin et le Sénégal (deux pays moins importants par la taille) c’est-à-dire trois Cours d’appel fonctionnelles dans chacun de ces États, à ce jour. Même si la densité démographique y est faible (moins de 100 habitants au km²), cette donnée démographique revêt une importance non négligeable.

1249 Il en découle pour conséquence qu’une décision rendue en première instance et qui ne satisfait pas le citoyen lorsque celui-ci dénonce une violation de ses droits puisse difficilement faire l’objet d’un appel, surtout si ce dernier est géographiquement éloigné de la Cour d’appel, du ressort territorial duquel il relève.

1250 Jean du Bois de GAUDUSSON, « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone », Afrique contemporaine, La justice en Afrique, numéro spécial, La documentation française, 4ème trimestre 1990, pp. 6-12, spéc. p. 6.

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428

prétentions et des moyens des parties que le juge élabore un discours juridique pur qui perd

souvent le justiciable au lieu de l’éclairer.

659. En exemple, si l’on se réfère à la catégorie juridique de la liberté d’opinion, il va de

soi pour l’ensemble des juristes qu’il s’agit d’un droit fondamental. Ce droit fondamental

emporte pour conséquence de s’imposer aux autorités exécutives, législatives et judiciaires.

En tant que tel, la liberté d’opinion constitutionnellement consacrée ne saurait perdre son

essence même lorsque les besoins de maintien de l’ordre public sécuritaire l’exigent. Pour

l’ensemble des justiciables de l’Afrique subsaharienne francophone en revanche, la liberté

d’opinion semble être une liberté comme une autre. Dès l’instant où c’est le pouvoir

politique en tant qu’autorité exécutive qui porte atteinte à la liberté d’opinion pour

maintenir l’ordre public sécuritaire, il est difficile qu’une requête qui attaque l’acte

réglementaire restreignant l’exercice de la liberté d’opinion (considérée comme simple

liberté publique) aboutisse devant le juge, mais encore que le juge y fasse droit. Aussi, les

actes d’audience et les justifications qui fondent la solution contenue dans le dispositif de

la décision de rejeter la demande ne font-ils qu’accroître aux yeux du justiciable,

l’inaccessibilité du service public de la justice1251.

660. Il ne s’agit pas d’abandonner le langage juridique qui a l’avantage de qualifier en

des termes précis les concepts juridiques puisque certains mots n’ont de sens autre que

juridiques. Il faut pouvoir offrir au citoyen la possibilité de s’informer, de se former et de

s’éduquer pour parvenir à une compréhension acceptable du langage juridique. Cette

possibilité lui offre également la capacité de compréhension des discours juridictionnels

lorsque ceux-ci ne lui ont pas été favorables pour qu’il puisse s’y référer à l’avenir. Il doit

également être informé, même en cas d’irrecevabilité des voies de recours qui s’offrent à

lui pour contester le jugement en sachant que les délais pour statuer en appel ou en

cassation sont bien souvent excessivement longs et coûteux.

1251 Arrêt C.E.D.H., Geouffre de Lapradelle c./ France, 16 décembre 1992, Requête n° 12964/87. Le juge

européen a estimé que l’extrême complexité du droit positif, telle qu’elle résulte de la combinaison de la législation, de même que la longueur de la procédure sont de nature à créer une cohérence et une clarté insuffisantes. Ce système peut de ce fait, empêcher le requérant de bénéficier d’un « droit d’accès concret et effectif au Conseil d’État ».

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429

661. Par ailleurs, l’accès à la justice n’a de sens que dans la mesure où ce droit qui donne

lieu à une décision de justice est entièrement satisfait avec l’exécution de la décision de

justice. Le justiciable à qui le juge a fait droit à la demande peut au besoin requérir une

exécution forcée de la décision de justice grâce aux voies d’exécution. Ainsi, une voie

d’exécution est « un moyen par lequel une personne peut, avec le concours de l’autorité

publique, obtenir l’exécution forcée des engagements pris envers lui, spécialement

contraindre celui qui a été condamné ou s’est engagé dans certaines formes à satisfaire à

ses obligations »1252. Sauf que lorsque ce sont les actes de l’administration qui sont

déclarés irréguliers par l’autorité juridictionnelle (juge administratif ou juge ordinaire),

comment obtenir une exécution forcée dans la mesure où les moyens qui peuvent être mis

à disposition du justiciable pour que soit exécutée la décision de justice dépendent de

l’administration ? Pour terminer, il convient de rappeler que l’accès au service public de la

justice qui implique l’accès à la règle de droit n’est effectif qu’à partir du moment où tout

individu peut prendre connaissance de la loi à condition qu’il ne soit pas illettré1253.

L’éducation est alors un facteur non négligeable pour l’effectivité de l’accès à la loi.

Intimement liée à l’accessibilité, la gratuité de ce service public qu’est la justice peut être

un élément déclencheur de l’activité juridictionnelle.

2. De la gratuité du service public de la justice

662. Par principe, en tant que service public, l’accès à la justice est gratuit. La gratuité du

service public de la justice n’est pas un principe auquel se sont attachés les constituants

africains. Ce sont plutôt les législateurs qui se sont évertués à en fixer la règle. Le

législateur français des 16-24 août 1790, proclame pour la première fois, la gratuité du

service public de la justice en ces termes dans l’article 2 : « Les juges rendront

gratuitement la justice ». Désormais, c’est à l’État de prendre en charge, la rémunération

des juges1254. Le législateur béninois, lors de l’adoption de la loi n° 2001-37 portant

organisation judiciaire en République du Bénin consacre à son tour de façon principielle

1252 Vocabulaire juridique, op. cit., voir Voie de fait, pp. 1079-1080. 1253 François JULIEN-LAFERRIÈRE, « L’État de droit et les libertés », in Pouvoir et Liberté-Études

offertes à Jacques MOURGEON, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 153-176, spéc. p. 156. 1254 Cette règle de la gratuité rompt avec l’ancien régime sous lequel les plaideurs ou requérants offraient

des présents au cours du procès. Désormais, les plaideurs n’auront plus à payer les offices judiciaires.

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430

plus large et plus précise que le législateur français, la gratuité du service public de la

justice aux termes de l’article 6 de ladite loi : « La justice est gratuite sous les seules

réserves des dispositions légales et réglementaires concernant les frais de justice, les

droits de timbre et d’enregistrement ». Le législateur donne la responsabilité à l’État dans

l’alinéa 2 dudit article, d’assurer l’effectivité de la gratuité de la justice.

663. La gratuité du service public de la justice signifie qu’en principe, il n’appartient pas

aux plaideurs de rémunérer les juges. Ceux-ci en tant que fonctionnaires de l’État sont

rétribués par l’État. Ceci dit, et comme l’a souligné le législateur béninois, cette gratuité ne

s’étend pas aux taxes et timbres fiscaux, aux frais légaux de procédure que prévoit le

législateur. Aussi, ne s’étend-t-elle pas aux honoraires des professions libérales et des

auxiliaires de justice à savoir les huissiers de justice, les avocats, les experts judicaires. Par

contre, au terme d’un procès, la partie à laquelle le tribunal a fait droit à la demande peut

demander à la partie adverse, le remboursement de certains des frais qu’il a engagé comme

les frais de procédure dus aux avocats. Étant entendu que ces frais peuvent représenter des

sommes considérables pour les populations en Afrique subsaharienne francophone qui

dans leur grande majorité, sont assez démunies, les différents pouvoirs politiques ont mis

en place un régime d’assistance judiciaire.

664. L’assistance judiciaire ou aide juridictionnelle est en fait un pan de l’aide juridique

qui dans le prolongement de l’aide judiciaire a pour fin de permettre à une partie à un

procès dépourvue de moyens financiers suffisants, de bénéficier d’une remise des frais dus

au Trésor, d’une dispense de certains frais et d’une prise en charge, totale ou partielle, par

l’État, des honoraires des auxiliaires de justice1255. En Côte d’Ivoire, l’assistance judiciaire

est organisée par le décret n° 75-319 du 9 mai 1975 fixant les modalités d’application de la

loi n° 72-833 du 21 décembre 1972 portant Code de procédure civile, commerciale et

administrative. Si en France et en Allemagne, l’aide juridictionnelle peut être totale, dans

les États de l’Afrique subsaharienne francophone, elle reste partielle lorsqu’elle est

effective bien que les différents législateurs prévoient la possibilité d’une aide

juridictionnelle totale. Elle prend en compte l’information sur les droits et obligations du

plaideur assisté, l’accomplissement de toutes les démarches judiciaires pour favoriser la

1255 Vocabulaire juridique, op.cit., voir Aide, pp. 50-51, spéc. p.51.

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431

recevabilité de sa requête auprès du juge, l’assistance dans la rédaction et la conclusion des

actes juridiques.

665. Cependant, malgré tout l’arsenal juridique qui organise le régime de l’assistance

judiciaire qui ne se cantonne qu’à certains domaines juridiques notamment en droit du

travail et en droit pénal, le véritable problème est celui de la complexité de la procédure, du

manque de vulgarisation de cette assistance auprès des populations démunies et de

l’éloignement géographique des bureaux d’assistance judiciaire. De même, la gratuité du

service public de la justice est à relativiser en raison du coût important des frais de justice.

En effet, il est des procédures contentieuses qui obligent le plaideur à se faire représenter

par un conseil juridique, fût-il de son choix, lorsque le dossier est sensible et que les enjeux

pécuniaires sont considérables. Le coût de la procédure contentieuse couvre les droits

prévus par le législateur de même que les honoraires consentis versés au conseil juridique

par le plaideur. Au surplus, la recevabilité d’une requête dans le cadre de certaines

procédures contentieuses est conditionnée par le versement préalable d’une somme pour le

paiement des frais de procédure. Aussi, les voies de recours qui s’offrent au justiciable

atténuent-elles vraisemblablement la gratuité du service public de la justice. Plus le

plaideur avance dans les voies de recours pour contester une décision de justice rendue,

plus les frais de procédure deviennent de plus en plus importants.

666. Il apparaît à la lumière de ces difficultés ainsi exposées que la gratuité du service

public de la justice n’est pas une fin en soi. Elle est en fait à l’origine de l’accès à ce

service public. Comme l’ont fait remarquer certains auteurs, la gratuité « peut être, pour les

usagers, à la source d’un droit d’accès aux services publics essentiels »1256. En tant que tel,

la gratuité du service public de la justice constitue le fondement du rapport du justiciable

au juge. Moins cette gratuité est effective, plus le justiciable s’en éloigne pour s’orienter

vers des modes alternatifs de règlement des conflits lorsque ces conflits opposent des

individus dans leurs rapports privés. L’infléchissement de la règle de la gratuité et de

l’accès à la justice accroît considérablement les doutes qui pèsent sur l’office même du

juge.

1256 Gilles J. GUGLIELMI et Géneviève KOUBI, Droit du service public, 3ème éd., Montchrestien-lextenso

éditions, Coll. « Domat droit public », Paris, 2011, p. 656.

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432

B. L’IMPOPULARITE DU JUGE

667. La problématique que soulève l’impopularité du juge donne l’occasion de préciser le

contexte d’analyse. Tant que la violation de la liberté d’opinion est le fait d’une personne

privée, l’égalité entre l’auteur présumé de la violation et la victime, personne privée

également, a l’avantage de rendre l’office du juge judiciaire moins complexe. Cette

complexité s’accentue toutefois avec le poids financier de chacune des parties pouvant être

à l’avantage de l’une ou de l’autre d’entre elles par le triste phénomène de la corruption,

phénomène qui se nourrit de l’ignorance.

668. A contrario, lorsqu’un litige survient entre une personne de droit privé et une

personne publique qui agit en tant qu’autorité de police administrative, la solution pour le

juge administratif est plus délicate. Et lorsqu’il s’agit de contester une disposition

législative ou réglementaire devant le juge constitutionnel, elle l’est encore plus. Se pose

alors la question centrale de l’indépendance du juge. Est-elle supposée ou réelle (1) ?

Aussi, les capacités professionnelles du juge sont fortement remises en cause dans ce cas

de figure (2).

1. L’indépendance réelle ou supposée du juge

669. Dans un État de droit, toute autorité doit éventuellement répondre de ses actes

devant un juge indépendant1257. L’insistance sur le caractère indépendant du juge est une

garantie d’efficacité de la responsabilité des autorités. Cependant, ce principe

d’indépendance du juge peut être remis en cause dans des États enclins à la corruption.

Maurice KAMTO décrivait à juste titre la réalité de l’influence de la corruption sur

l’indépendance du juge en Afrique en ces termes : « La justice souffre dans la plupart des

pays africains de l’atteinte de sa crédibilité. Minée par la corruption, ce fléau qui gangrène

les administrations en Afrique, elle n’est plus porteuse de l’idée de Justice. Et cela est

contraire à la représentation de la Justice, dans les sociétés africaines traditionnelles où

l’institution judiciaire est créditée d’une autorité morale qui fonde en définitive son autorité

en tant qu’instrument de régulation sociale. On comprend alors le désenchantement et la

1257 Gérard CONAC, « Le juge de l’État en Afrique francophone », Afrique contemporaine, La justice en

Afrique, numéro spécial, La documentation française, 4ème trimestre 1990, pp.13-20, spéc. p. 13.

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433

désaffection des justiciables encore enracinés dans la culture traditionnelle, ou peu

fortunés, devant cette justice négociable et monnayable qui accrédite si souvent cette

maxime du Fabuliste français : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les

jugements de la Cour rendront blanc ou noir ” »1258.

670. La corruption, principale gangrène qui ronge les services publics en Afrique peut se

définir comme le fait de solliciter ou d’agréer des offres, promesses, dons ou présents pour

faire ou s’abstenir de faire un acte de sa fonction ou de son emploi qui n’était pas sujet à

salaire1259. S’il y a un phénomène qui a très mauvaise réputation dans les services publics

en Afrique, c’est bien celui de la corruption. Cette gangrène s’étend même au service

public de la justice qui est pourtant la seule institution protégée par la règle de

l’indépendance ancrée dans les textes constitutionnels. Or la corruption lorsqu’elle est

acceptée dans ce service public, elle lie moralement le corrompu à l’égard du corrupteur.

Ce dernier se sent presque obligé de rendre une décision judiciaire en sa faveur, et bien

souvent le corrupteur est celui qui est accusé. Alors, le juge n’apparaît plus comme le

serviteur de la loi. Sa décision n’est pas indifférente au plus offrant1260. La corruption

lorsqu’elle existe et qu’elle est financière, se pratique dans les relations de particulier à

particulier. L’autorité publique du fait de sa simple autorité et du pouvoir qu’elle détient en

pratique sur les institutions n’y a recours que très rarement.

671. De plus, les violations de la liberté d’opinion faites par les autorités de police le sont

couramment contre l’opinion politique. Nombreux sont donc les contentieux portés à la

connaissance du juge pénal et qui sont pourtant des procès politiques. Même s’il convient

d’apporter une nuance à ces propos, dans certains États africains, la réalité est celle-ci : «

(…) Pour éviter tout risque d’indépendance des magistrats, les dirigeants africains ont

repris de l’arsenal juridique occidental l’ensemble de la panoplie des lois d’exception, des

procédures spéciales et des cours spéciales. Seulement celles-ci, statistiquement, sont de

1258 Maurice KAMTO, « Une justice entre tradition et modernité », Afrique contemporaine, La justice en

Afrique, op. cit., pp. 57-64, spéc. p. 63. 1259 Hyacinthe Cabogo SARASSORO, « La corruption et l’enrichissement sans cause en Afrique

aujourd’hui », Jean du Bois de GAUDUSSON et de Gérard CONAC (ss. la dir. de), Afrique contemporaine, Justice, morale et droits de l’homme, numéro spécial, La documentation française, pp. 195-206, spéc. p. 195.

1260 Martin Djézou BLÉOU, « Quel service public de la justice en Afrique francophone ? Constat, interrogations et suggestions », op. cit., p. 13.

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434

loin les plus utilisées et l’on peut compter sur les doigts de la main les cas de procès

politiques qui ont bénéficié de procédures de droit commun respectant les droits de la

défense. Ainsi, nomination de juges par le dirigeant, utilisation extensive des notions

d’atteinte à la sécurité de l’État pour pouvoir employer les tribunaux militaires

d’exception, sont monnaie courante. Et, si cela ne suffit pas, le dirigeant violera sa propre

légalité déjà très répressive afin de juger lui-même des offenses qui lui ont été faites en

remettant en cause son autorité et la sacralité de sa parole. Sans théorie de la

représentation, le pouvoir est en effet incarné dans un homme qui le détient et le gère à sa

guise, le déléguant plus ou moins à son entourage mais pouvant le reprendre à tout

instant »1261. Le contentieux judiciaire survenu suite à la crise postélectorale de 2010 en

Côte d’Ivoire en est un exemple palpant. Les nombreux individus et sympathisants

politiques du principal parti d’opposition furent arrêtés, certains sans motif autre que

politique. Les procès en cours suite à leurs arrestations, sans résultats officiels des enquêtes

menées, si elles l’ont été véritablement, restent pour la grande majorité des membres de

l’opposition, des procès arrangés. Le sort des magistrats et des avocats de l’accusation à

ces procès est subtilement lié à leurs plaidoiries et aux décisions rendues. Dans cette

hypothèse, le juge lui-même confronté à des affaires ayant une implication politique, est

dans une situation inconfortable. De plus, sans parler de l’opportune théorie des actes de

gouvernement ou de l’acte politique, il sera face à un dilemme : soit il refuse de se

prononcer d’invoquer des arguments de procédure, soit il refuse de recourir à des principes

d’interprétation ménageant la suprématie présidentielle. « Même lorsqu’il est courageux et

fait preuve d’impartialité, il n’est pas en mesure d’entrer en conflit ouvert avec le pouvoir

politique. Sa marge de manœuvre est des plus restreintes. Il ne peut être que prudent car il

se sait vulnérable »1262.

672. Il est clair que le rapport du juge au pouvoir politique n’est pas de nature à établir un

climat de confiance entre le juge et le justiciable, surtout pour les moins fortunés. Pourtant,

le juge, que Denys de BÉCHILLON qualifie de tiers, doit être totalement désintéressé et 1261 Didier BIGO, « Pouvoir politique et appareil judiciaire en Afrique au sud du Sahara », Afrique

contemporaine, Justice et pouvoir politique, numéro spécial, La documentation française, Paris, 1990, pp. 166-175, spéc. p. 173.

1262 Gérard CONAC, « Le juge de l’État en Afrique francophone », Afrique contemporaine, La justice en Afrique, op.cit., pp. 14-15.

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435

impartial1263 pour que son existence ne soit pas mise en cause. À cela, s’ajoute le doute qui

porte sur les compétences professionnelles du juge.

2. Les compétences professionnelles du juge

673. L’adoption du système juridictionnel moniste dans les États de l’Afrique

subsaharienne francophone n’est pas de nature à faciliter la compréhension des règles

techniques du droit public pour des magistrats dont la base de la formation fait la part belle

au droit privé1264. Le droit administratif et le droit constitutionnel en l’occurrence doivent

pourtant être interprétés par des magistrats rompus aux règles techniques du droit public. Si

la spécialisation des règles intervient à travers la subdivision de la Cour suprême en

différentes chambres affectées au règlement de litiges relevant de domaines précis (privé,

administratif, constitutionnel1265, sociale, commerciale, etc.), cette subdivision doit aussi se

faire au sein des juridictions inférieures. Le contentieux constitutionnel en revanche doit

relever de la compétence exclusive du juge constitutionnel.

674. Par ailleurs, la vulnérabilité à laquelle est exposé le juge, dans les États de l’Afrique

subsaharienne francophone, se traduit par les décisions rendues suite à des procès auxquels

sont parties les pouvoirs politiques. En effet, le juge selon la configuration de la séparation

des pouvoirs, est l’arbitre régulateur des compétences de l’exécutif et du législatif.

Pourtant, les Chefs d’État se soumettent difficilement au contrôle du juge. La preuve en est

la rareté des saisines du juge en matière de contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires

puisqu’il s’agit d’une faculté réservée aux détenteurs de l’initiative de la loi. Le juge

intervient beaucoup plus en matière consultative qu’en matière contentieuse. Il devient de

ce fait, coauteur de la loi selon Gérard CONAC1266 et se trouve en ce sens lié par les avis

qu’il donne. Il importe alors que le juge constitutionnel, de même que les juges ordinaires,

chaque fois qu’une de leurs décisions intervient dans le cadre d’un contentieux

1263 Denys de BÉCHILLON, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l’État

(Préface de Pierre BON), Economica, Coll. « Droit public positif », Paris, 1996, p. 110. 1264 Martin Djézou BLÉOU, « Quel service public de la justice en Afrique francophone ? (…) », op. cit., pp.

13-16. 1265 Au Sénégal notamment, la Cour suprême comprenait une chambre constitutionnelle jusqu’en 1992 avec

l’adoption de la loi organique portant organisation du Conseil constitutionnel. 1266 Gérard CONAC, « Le juge de l’État en Afrique francophone », Afrique contemporaine, op.cit., p. 15.

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436

administratif ou constitutionnel auquel est partie le pouvoir politique, fassent preuve de

prudence et d’une certaine mesure. En effet, le rôle premier du juge aujourd’hui est de faire

reconnaître et faire accepter son office. La bonne tenue de son office est également une

garantie efficace pour le respect de l’ordre constitutionnel établi, et dont le Chef de l’État

en est le gardien. C’est alors au juge de juger certes avec diplomatie, mais en droit et

uniquement en droit dans l’intérêt général lorsqu’il est saisi.

675. La prudence et l’audace doivent se concilier dans sa mission de protection des droits

et libertés fondamentaux en sanctionnant les violations du pouvoir politique. De façon

spécifique, la juridiction constitutionnelle doit agir avec précaution pour « se faire accepter

tant du pouvoir politique que des autres juridictions »1267, mais elle doit, en Afrique, se

faire également accepter par les personnes privées. Quant à l’audace dont elle doit faire

preuve, elle permettra à la juridiction constitutionnelle de se constituer « un véritable

corpus constitutionnel propre à s’imposer dans l’ordre juridique »1268. Ce n’est qu’à ce

prix que la justice, dans l’idéal que nous partageons avec John RAWLS participera à la

construction d’une société ordonnée, « conçue pour favoriser le bien de ses membres » et

dans laquelle « chacun accepte et sait que les autres acceptent les mêmes principes de la

justice et où, (…) les institutions de base de la société satisfont, en général, et sont

reconnues comme satisfaisant ces principes »1269.

1267 Bertrand MATHIEU et alii., Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1983, Dalloz,

Coll. « Grandes délibérations », Paris, 2009, p. 7. 1268 Ibidem. 1269 John RAWLS, Théorie de la justice (Traduit de l’anglais par Catherine AUDARD), Essais,

Coll. « Points », Paris, 2009, p. 31.

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SECTION II.

LES REPERCUSSIONS D’UN POTENTIEL DROIT FONDAMENTAL A LA SECURITE SUR LA LIBERTE D’OPINION

676. Marcel GAUCHET écrit que la sécurité est l’objet même de l’engagement en

société1270. L’État doit alors en assurer la protection. Et dans le même temps, la sécurité est

une exigence de l’ordre public protectrice des droits et libertés fondamentaux1271. Loin

d’être une formule incantatoire1272, l’affirmation de la sécurité comme un droit

fondamental permet de confronter cette notion à un droit fondamental explicitement

consacré en tant que tel, la liberté d’opinion. En effet, la question de l’amorce d’une

mutation de la sécurité1273, élément clé de l’ordre public matériel en un droit fondamental

trouvera un début de réponse à travers les normes supralégislatives qui influencent

profondément la notion même d’ordre public sécuritaire.

677. En raison de la place extrêmement importante qu’elle occupe aujourd’hui, la notion

d’ordre public sécuritaire tant dans les grandes démocraties contemporaines que dans les

États de l’Afrique subsaharienne francophone tend à muer de façon certainement

insidieuse mais cette mutation s’affirmera avec plus d’ampleur dans les années à venir.

Une partie de la doctrine a reconnu à juste titre que : « Toute affirmation d’un droit

fondamental présuppose l’existence d’une norme de droit fondamental

1270 Marcel GAUCHET, La démocratie contre elle-même, Gallimard, Coll. « Tel », Paris, 2002, p. 215. 1271 Etienne PICARD, « Introduction générale », in Marie-Joëlle REDOR (ss. la dir. de), L’ordre public :

ordre public ou ordres publics ?..., op. cit., p. 19. 1272 Patrice JOURDAIN, « Existe-t-il un droit subjectif à la sécurité ? », in Marc NICOD (ss. la dir. de),

Qu’en est-il de la sécurité des personnes et des biens ? Actes du colloque des 19 et 20 octobre 2006, L.G.D.J., Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, Coll. « Les travaux de l’IFR-Mutation des Normes juridiques », n°7, Toulouse, 2008, pp. 77-83, spéc. p. 83.

1273 Sur la base des usages qu’expose Paul ROBERT dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, la sécurité se définit comme : 1° : un état d’esprit confiant et tranquille de celui qui se croit à l’abri du danger (…). 2° : une situation, des conditions matérielles, économiques, politiques…propres à créer un tel état d’esprit.

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438

correspondante »1274. Aussi, la recherche du caractère fondamental de la sécurité des

personnes et des biens passe-t-elle d’abord par la preuve de son inscription au sein des

normes de valeur supralégislative qui sont elles-mêmes des normes de droit

fondamental1275 (§ I). Ensuite, puisque l’inscription au sein des normes supralégislatives ne

constitue pas un critère exclusif de détermination de la nature fondamentale d’un droit, l’on

devra alors s’interroger sur la sécurité en tant que droit subjectif (§ II).

§ 1. LA NOTION DE SECURITE AU SEIN LES NORMES SUPRALEGISLATIVES

678. La recherche de la fondamentalité de la sécurité des personnes et des biens oblige à

une réflexion autour de deux axes. Notre réflexion débutera alors sur la possibilité d’une

assise constitutionnelle (A) avant d’en arriver à une éventuelle consécration

conventionnelle (B) d’un droit à la sécurité.

A. LA RECHERCHE D’UNE ASSISE CONSTITUTIONNELLE D’UN DROIT FONDAMENTAL A LA SECURITE

679. Sécurité publique1276, sécurité nationale1277, sécurité intérieure1278, etc. Toutes ces

appellations qui ont pour dénominateur commun la sécurité peuvent s’apparenter à des

synonymes. Lorsque les constituants des États de l’Afrique subsaharienne francophone

emploient ces termes, ils ne font pas nécessairement référence à la sécurité en tant que

droit fondamental. Il est plutôt envisagé ici la sécurité comme un état de tranquillité dû à

1274 Didier RIBES, L’État protecteur des droits fondamentaux. Recherches en droit comparé sur les effets

des droits fondamentaux entre personnes privées, Thèse pour le doctorat en droit, dactyl., Université Paul-Cézanne, Aix-Marseille, 2005, p. 52.

1275 Etienne PICARD affirme d’ailleurs que : « Si un droit est fondamental, ce n’est pas réellement parce que la Constitution le consacre comme tel : c’est bien plutôt parce que ce droit est jugé fondamental qu’il peut et doit, le cas échéant, recevoir cette consécration constitutionnelle et jurisprudentielle : plus spécifiquement, c’est parce qu’il est fondamental que la Constitution écrite ou interprétée finit par le recevoir pour le formaliser ». « Introduction générale : la fonction de l’ordre public dans l’ordre juridique », in L’ordre public : ordre public ou ordres publics. Ordre public et droits fondamentaux, op. cit., p. 40.

1276 La Constitution béninoise de 1990 emploie cette formulation lorsqu’elle évoque les forces armées. Cf. art. 64, art. 65 relatifs aux forces armées ; art. 98 relatif au domaine de compétence de la loi.

1277 Art. 9, Const. ivoirienne, 2000. 1278 Art. 5, Const. sénégalaise, 2001.

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439

l’absence de risques et de menaces pesant sur le territoire de l’État. La sécurité s’apparente

ici au maintien de l’ordre1279.

680. En revanche, lorsqu’ils précisent que tout individu a droit à la sécurité, se dessine là

toute la spécificité de ce droit. Le constituant béninois de 1990 consacre ainsi au même

titre que le droit à la vie et le droit à la liberté, un droit à la sécurité et à l’intégrité des

personnes1280. Il en va de même pour le constituant sénégalais1281. Le constituant ivoirien

reste à l’inverse silencieux sur la question. La formulation d’un droit à la sécurité selon

cette configuration rédactionnelle fait-elle de ce droit, un droit de même valeur que le droit

à la vie ? Si la logique du constituant en consacrant le droit à la vie est de convertir ce

droit-créance en un droit fondamental, alors l’on peut aisément déduire qu’il entend

également consacrer dans les termes de même valeur, un droit fondamental à la sécurité.

Ainsi que l’a affirmé Louis FAVOREU, « il n’y a pas de distinction à faire selon que telle

ou telle liberté serait plus fondamentale que d’autres dès lors que ces libertés sont

protégées constitutionnellement ou internationalement »1282. En d’autres termes, autant le

droit à la vie est un droit fondamental parce que consacré par ces constituants, autant le

droit à la sécurité semble l’être puisque consacré par le même instrument normatif. Il n’y a

là, aucune hiérarchisation à établir dès l’instant où ces deux libertés bénéficient de la même

protection constitutionnelle. De plus, « il n’y aurait hiérarchie entre les droits et libertés

fondamentaux que si le juge constitutionnel faisait prévaloir ceux appartenant à telle

catégorie sur ceux relevant d’une autre »1283.

681. À titre de comparaison, en France, en l’absence de toute formalisation

constitutionnelle, il serait malvenu d’employer l’expression d’ « un droit fondamental à la

sécurité ». C’est le législateur qui dans une sorte d’emballement sécuritaire1284 a qualifié la

1279 Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, L.G.D.J., Coll. « Droit et société », 2003, p. 52. 1280 Art. 15, Const. béninoise précitée: « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à

l’intégrité de sa personne ». 1281 Art. 7, al.2, Const. sénégalaise précitée : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au

libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle notamment à la protection contre toutes mutilations physiques ».

1282 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, Dalloz, Coll. « Précis », Paris, 2015, p. 896. 1283 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 897. 1284 Marc-Antoine GRANGER, Constitution et sécurité intérieure. Essai de modélisation juridique (Préface

de Jean-Louis DEBRÉ et Olivier LECUCQ), op. cit., p. 331.

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sécurité de droit fondamental dans un contexte grandissant de menace sécuritaire avant de

revenir sur cette qualification1285. Évidemment, cette qualification n’a qu’une valeur

législative et n’emporte pas les mêmes conséquences que l’inscription de la sécurité

comme droit au sein de la Constitution.

682.Quelle est la portée réelle de cette reconnaissance législative ? Marc-Antoine

GRANGER y répond en ne lui reconnaissant qu’ « une portée symbolique et aucune portée

juridique »1286. Si cet avis est partagé, il faut alors en tirer comme conséquence, ainsi que

l’a dégagé le Conseil d’État français que : « Si l’autorité administrative a pour obligation

d’assurer la sécurité publique, la méconnaissance de cette obligation ne constitue pas, par

elle-même, une atteinte grave à une liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du

Code de justice administrative »1287. Pour observer une trace de la notion de sécurité en

tant que droit fondamental dans le patrimoine constitutionnel français, la Déclaration de

1789 semble constituer l’instrument normatif incontournable, en tant que matrice des droits

et libertés fondamentaux en France. Or dans ce texte, il est plutôt fait mention au droit à la

sûreté comme droit naturel et imprescriptible de l’homme. Ce droit à la sûreté1288 ne

renvoie pas à la même réalité que celle que recouvre la sécurité des biens et des personnes.

L’existence d’un droit fondamental à la sécurité est donc absente en France de sorte

qu’aucune conséquence juridique qui lierait l’État ne s’y rattache.

683.La fondamentalité d’un droit à la sécurité au-delà de la consécration constitutionnelle

s’en trouve renforcée par un ancrage conventionnel bien que comme l’a d’ailleurs souligné

Étienne PICARD, la fondamentalité d’un droit va au-delà de son inscription

supralégislative.

1285 L’article 1er de la loi n°95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la

sécurité l’affirmait en son premier alinéa : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives ». Toutefois, cet article a été abrogé avec l’ordonnance n°2012-351 du 12 mars 2012 en son article 19.

1286 Marc-Antoine GRANGER, « Existe-t-il un droit fondamental à la sécurité », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2009, pp. 273-296, spéc. p. 278.

1287 C.E., ord. 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu-la-Napoule, n°236196. 1288 Art. 2, Déclaration des droits de l’Homme, 1789 : « Le but de toute association politique est la

conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».

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441

B. LA RECHERCHE D’UNE ASSISE CONVENTIONNELLE D’UN DROIT FONDAMENTAL A LA SECURITE

684. Les principaux instruments internationaux et régionaux de référence seront

essentiellement constitués de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et

la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981. Ces textes n’ont pas la

même valeur. L’un, la Déclaration universelle n’a qu’une valeur purement déclarative.

L’autre, la Charte Africaine des droits de l’Homme de 1981 a une valeur juridique certaine.

Toutefois, les préambules des constitutions des États de l’Afrique subsaharienne

francophone (ré) affirment leur adhésion aux principes, droits et libertés reconnus par ces

textes. Le constituant béninois précise d’ailleurs, dans son préambule, que les dispositions

de la C.A.D.H.P. de 1981 « font partie intégrante de la Constitution de 1990 et du droit

interne et ont une valeur supérieure à la loi interne ».

685. Bien qu’ayant une valeur morale symbolique, n’y aurait-il alors aucune

conséquence juridique à tirer de l’affirmation constitutionnelle d’adhésion des États de

l’Afrique subsaharienne francophone aux principes, droits et libertés découlant de la

Déclaration universelle de 1948 ? Si ainsi que Gaston JÈZE l’a soutenu, les déclarations

de droit sont de véritables règles juridiques, il faut alors en tirer les conséquences. Aussi,

sans qu’il soit besoin d’insister sur la valeur symbolique de ce texte déclaratoire, il

convient de préciser la portée du droit à la sûreté, droit qui se rapproche de la sécurité

matérielle, à laquelle il y fait mention. La Déclaration universelle se réfère à la notion de

« sûreté » comme une prérogative individuelle à laquelle peut prétendre tout individu

autant qu’il a droit à la vie, à la liberté1289. Doit-on alors y voir un synonyme de la sécurité

avec la notion de « sûreté » ? Rien n’est moins sûr. La notion de sûreté se rapproche de la

notion de sécurité puisque la sécurité apparaît le plus souvent dans le sillage du droit à la

sûreté1290, sans pour autant se confondre avec celui-ci. Si pour Patrice JOURDAIN, la

sûreté renvoie à « la liberté de circulation et la garantie que l’individu ne peut ni être arrêté,

ni détenu arbitrairement »1291, pour notre part, la sûreté à laquelle il est fait référence dans

1289 Art. 3 de la Déclaration universelle de 1948 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté

de sa personne ». 1290 Patrice JOURDAIN, « Existe-t-il un droit subjectif à la sécurité ? », op. cit., p. 78. 1291 Ibidem.

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442

la Déclaration universelle de 1948 renvoie à la sécurité de l’individu1292. Bien que de façon

concrète, ce texte ne lie aucunement les États qui adhèrent aux principes, droits et libertés

qui en découlent, la « valeur » indéniable dont il est revêtu, en dépit des débats autour de

son caractère universel, fait peser sur ces derniers une certaine « obligation morale ».

686. Sur le plan régional, la Charte africaine de 1981, texte ayant une véritable portée

juridique, dispose expressis verbis que la sécurité est un droit auquel doit prétendre tout

individu autant que le droit à la liberté1293. La sécurité jouit alors d’une assise

conventionnelle que certains constituants dont celui du Bénin intègrent dans leur appareil

normatif national. Aussi, en l’absence de toute référence à un droit fondamental à la

sécurité dans la Constitution ivoirienne de 2000, la fondamentalité de ce droit doit-elle être

recherchée du côté de la Charte de 1981 ? Ce texte régional de promotion des droits et

libertés régulièrement ratifié par l’État de Côte d’Ivoire. le 6 janvier 1992 est intégré dans

l’appareil normatif national avec une valeur et une autorité supérieure à celles des lois1294.

Les droits et libertés qui en découlent sont donc opposables à l’État de Côte d’Ivoire.

687. Louis FAVOREU considérait que le droit fondamental est d’abord et avant tout un

droit subjectif. Ce droit de valeur constitutionnelle ou conventionnelle, disait-il «

s’accompagne d’un mécanisme de contrôle juridictionnel lui permettant de produire ses

effets à l’encontre des normes inférieures »1295. Aussi, outre la consécration

supralégislative d’un droit à la sécurité, il faut désormais s’intéresser à la sécurité comme

1292 La définition de la sûreté dans la Déclaration universelle qui correspondrait à celle qu’en donne Patrice

JOURDAIN s’éclaire à la lecture des articles 9, 10 et 11 de la Déclaration universelle de 1948. Ces articles précisent les implications et les garanties de la sûreté telle que présentée par l’auteur. Cf. : art. 9, Déclaration universelle, 1948 : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé » ; art. 10: « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; art. 11, Déclaration universelle, 1948 : « 1. Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. 2. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux a été commis ».

1293 Art. 6 de la C.A.D.H.P. de 1981 : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ». 1294 Art. 87, Const. ivoirienne, 2000 : « Les Traités ou Accords régulièrement ratifiés ont, dès leur

publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque Traité ou Accord, de son application par l’autre partie ».

1295 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, op. cit., p. 104.

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443

un droit subjectif opposable à tous les pouvoirs, mais aussi aux individus dans les rapports

privés qu’ils entretiennent entre eux. Autrement dit, quelles conséquences emporte

l’inscription d’un droit à la sécurité au sein de la norme juridique suprême ?

§ 2. LA SECURITE, UN DROIT SUBJECTIF ?

688. La recherche du caractère subjectif du droit fondamental à la sécurité matérielle

s’appuiera nécessairement sur la conception des droits subjectifs publics, objet d’une

doctrine abondante en Allemagne. Ottmar BÜHLER définit le droit subjectif comme « la

situation juridique d’un sujet (Untertan) par rapport à l’État dans laquelle, sur le fondement

d’un acte juridique ou d’une norme contraignante (Rechtsatz) édictée pour protéger ses

intérêts individuels, qu’il doit pouvoir invoquer à l’encontre de l’administration, il peut

exiger quelque chose de l’État ou envers lequel il peut faire quelque chose »1296.

689. Il ressort alors de cette définition doctrinale une observation essentielle. En dehors

de la nécessaire consécration d’un droit à la sécurité par une norme juridique, les caractères

d’un droit fondamental à la sécurité reposent sur la possibilité pour l’individu, titulaire du

droit à la sécurité, d’exiger de l’État, destinataire du droit à la sécurité, la protection de sa

sécurité de même que celle de ses biens (A). En cas de défaut de protection, le risque pour

l’État est de voir sa responsabilité engagée. La question reste toutefois celle de la véritable

nature juridique de l’obligation étatique qui en découle (B).

A. L’EXIGIBILITE DE LA PROTECTION D’UN DROIT A LA SECURITE

690. Les droits fondamentaux sont reconnus en Allemagne comme des « droits publics

subjectifs »1297. Cette notion ne s’est exportée ni en France ni dans les États d’Afrique

1296Ottmar BÜHLER, Die subjektiven öffentlichen Rechte und ihr Schutz in der Verwaltungrechtsprechung,

1914. Cité par Thomas MEINDL, La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines constitutionnelles françaises et allemandes (Préface de Dominique ROUSSEAU), L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 112, Paris, 2003, p. 280.

1297 La notion et les implications juridiques des « droits publics subjectifs » ont été développées par : David CAPITANT, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, L.G.D.J., Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Paris, 2001, pp. 27-53; Norbert FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrés : émergence d’un concept en droit administratif français du XIXème au XXème siècle, Dalloz, Coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », Paris, 2003 ; Patrick FRAISSEIX, « Les droits fondamentaux : prolongement ou dénaturation des droits de l’Homme ? », Revue de Droit public, 2001, pp. 531- 553.

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444

étudiés. La doctrine française de droit public avec à sa tête Léon DUGUIT1298, a rarement

promu la notion de droit subjectif en dehors de Roger BONNARD1299. Ce dernier définit le

droit subjectif comme « le pouvoir d’exiger de quelqu’un, en vertu d’une règle de droit

objectif, quelque chose à laquelle on a intérêt, sous la sanction d’une action en justice ; le

contenu de la chose exigible étant fixé immédiatement soit par le droit objectif, soit par un

acte juridique individuel »1300. Apparaît alors l’idée de l’exigibilité d’un droit à la sécurité,

potentiel droit subjectif.

691.Thomas MEINDL qualifie la protection du droit subjectif comme un élément

matériel ou abstrait. Cette protection, objet même du droit à la sécurité, dit-il, « est

l’élément inhérent à ce droit qui permettrait, à lui seul, de le définir comme étant subjectif

car il porte sur son contenu »1301. La protection, sans laquelle ne saurait exister aucun droit

subjectif est un élément indispensable ainsi que l’affirmait Jean DABIN1302. La protection

du droit à la sécurité semble alors être l’élément déterminant pour révéler le caractère

subjectif de ce droit. Le droit à la sécurité reconnu par certaines des constitutions des États

de l’Afrique subsaharienne francophone répond à l’aspiration grandissante et légitime des

populations de voir leur intégrité physique et la sécurité de leurs biens protégées. Cette

protection vise d’abord à empêcher les abus de pouvoirs ou les mesures arbitraires du

pouvoir politique comme ceux qui ont pu être commis avant les années 1990. Ensuite, elle

garantit la sécurité de l’individu contre les agissements de ses semblables. Les constituants

ont donc voulu faire oublier ces années d’autoritarisme dont ont été victimes les

populations surtout lorsqu’elles revendiquaient spécifiquement l’exercice de leur liberté

d’opinion. Le droit à la sécurité de par sa reconnaissance supralégislative devient alors un

« droit essentiel »1303 pour les individus. Le support de sa reconnaissance à savoir la

1298 Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, 3ème éd., E. de Boccard, Paris, 1927. 1299 Dans son Traité élémentaire de droit administratif, André de LAUBADÈRE présente Roger

BONNARD comme un auteur isolé de la doctrine portant sur les droits publics subjectifs en France. André de LAUBADÈRE, Traité élémentaire de droit administratif. Cité par Thomas MEINDL, La notion de droit fondamental…, op. cit., p. 280.

1300 Roger BONNARD, « Les droits publics subjectifs des administrés », Revue de Droit Public, 1932, pp. 695- 728, spéc. p. 707.

1301 Thomas MEINDL, La notion de droit fondamental…, op. cit., p. 283. 1302 Jean DABIN, Le droit subjectif (Préface de Christian ATIAS), Dalloz, Coll. « Bibliothèque Dalloz »,

Paris, 2008, p. 98. 1303 Patrice JOURDAIN, « Existe-t-il un droit subjectif à la sécurité ? », op. cit., p. 78.

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445

Constitution donne alors compétence au pouvoir étatique notamment aux pouvoirs

législatif et réglementaire de combattre « les actions nuisibles à la société »1304.

692. Critère abstrait, l’exigibilité de la protection du droit à la sécurité se pose plus à

l’égard de l’État qu’à l’égard des tiers puisqu’il en est le principal destinataire. Jean

DABIN définissait le concept d’exigibilité comme étant la faculté, pour le titulaire du droit

subjectif, de faire « usage ou non en vertu de son droit de disposition même, de requérir le

respect, la non-violation de son droit »1305. En matière de droit fondamental entendu

comme un droit subjectif reconnu et protégé par la norme juridique, l’exigibilité de la

protection du droit à la sécurité est assurée par la Constitution. L’individu a donc le droit

d’en revendiquer la protection et le respect d’autant plus que « juridiquement sinon

moralement, socialement sinon logiquement, c’est n’avoir pas de droit que de ne pouvoir

recourir à l’État pour le faire triompher »1306 . Mais ici, il semble bien que ce droit ne

s’assimile pas au pouvoir d’exiger que Roger BONNARD soumet à deux conditions :

l’obligation juridique pour le sujet passif et l’intérêt personnel in casu pour le sujet

actif1307. L’intérêt peut être avéré pour le sujet actif à savoir le titulaire du droit à la

sécurité.

693. En revanche, s’il existe à l’encontre de l’État, destinataire et sujet passif du droit à

la sécurité, une obligation juridique, cette obligation doit en toute logique découler de la

norme juridique qu’Ottmar BÜHLER qualifie de contraignante. La Constitution serait-elle

en l’espèce une norme contraignante ? Si la question a fait son chemin ailleurs et a fini par

y trouver une réponse positive, en Afrique subsaharienne francophone, elle se pose

aujourd’hui avec acuité. Le droit constitutionnel dans son ensemble avec en son sein la

Constitution semble y apparaître comme « un ensemble de recommandations politiques,

non assorties de sanctions, dont l’observation [est] laissée à l’appréciation des gouvernants,

à leur bonne volonté, à leur sens moral »1308. La normativité de ce droit est alors remise en

question puisqu’il se pose la question de la sanction qui avec l’exigibilité de la protection 1304 En rappel de l’art. 5 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789. 1305 Jean DABIN, Le droit subjectif, op. cit., p. 96. 1306 Idem, p. 96. 1307 Roger BONNARD, « Les droits publics subjectifs des administrés », op. cit. , p. 706 et s. 1308 Rafâa BEN ACHOUR, « Rapport introductif », in Rafâa BEN ACHOUR (ss. la dir. de), Le droit

constitutionnel normatif. Développements récents, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 1-17, spéc. p. 3.

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446

constituent les deux faces d’une même pièce. Aussi, le droit à la sécurité proclamé par les

constitutions béninoise et sénégalaise ne sera considéré comme un droit subjectif que pour

autant qu’il pèsera sur l’État, en tant que destinataire de cette exigibilité, une obligation

juridique contraignante.

B. LA NATURE DE L’OBLIGATION DE PROTECTION DU DROIT A LA SECURITE

694. Le constituant béninois précise que : « La personne humaine est sacrée et

inviolable. L’État a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger (…) »1309. Quant

au constituant sénégalais, il est encore plus précis lorsqu’il fait explicitement peser sur

l’État l’obligation de respecter et protéger la personne humaine. Suite à la précision de

cette obligation, il poursuit en reconnaissant le droit à la sécurité de l’individu1310. De là,

on peut déduire que le droit à la sécurité garanti par ces normes juridiques suprêmes fait

peser sur l’État une obligation afin d’assurer à l’individu la protection de sa personne et

celle de ses biens contre les atteintes dont il peut faire l’objet, notamment du fait de

l’exercice de la liberté d’opinion. Cette obligation est-elle juridique ? L’obligation

juridique est en effet, « la norme juridique dans sa relation à l’individu dont la conduite

constitue un délit »1311. Si l’obligation est absolue, alors l’exigibilité de la sécurité l’est tout

autant. En conséquence, le citoyen pourrait objectivement opposer ce droit à l’État puisque

si la Constitution lui reconnaît le droit à la sécurité, elle lui donne les moyens de se

protéger des atteintes portées à sa personne et à ses biens1312. Le droit à la sécurité pourrait

donc être assimilé à un droit-créance. Ce droit n’a à ce jour fait l’objet d’aucun recours

juridictionnel devant les différentes juridictions constitutionnelles du Bénin et du Sénégal

notamment. Toutefois, la seule inscription constitutionnelle d’un droit à la sécurité vaut,

1309 Art. 8, Const. béninoise, 1990. 1310 Art. 7, Const. sénégalaise, 2001. 1311 Hans KELSEN, Théorie générale du droit et de l’État suivi de La doctrine du droit naturel et le

positivisme juridique (Traduit par Béatrice Laroche et Valérie Faure), Bruylant-L.G.D.J., Bruxelles, Paris, 1997, p. 129.

1312 Jacques POUMARÈDE, « De la sûreté à la sécurité : itinéraires historiques », in Marc NICOD (ss. la dir. de), Qu’en est-il de la sécurité des personnes et des biens ? Actes du colloque des 19 et 20 octobre 2006, L.G.D.J., Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, Coll. « Les travaux de l’IFR-Mutation des Normes juridiques », n° 7, Toulouse, 2008, pp. 69-75, spéc. p. 69.

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447

même en l’absence de toute jurisprudence constitutionnelle qui viendrait en renforcer la

portée.

695. L’obligation juridique de l’État qui constitue le deuxième caractère d’un droit

subjectif ne saurait être écartée dans un État de droit. En effet, si le contenu matériel de ce

droit est vérifié, son caractère subjectif ne vaut que lorsque l’individu a la possibilité de

faire valoir la protection de ce droit devant les juridictions compétentes afin d’obtenir

réparation en cas de violation. L’exclure « revient à introduire un aléa dans la possibilité

pour le particulier d’exercer juridiquement son droit qui ne permet pas de lui garantir la

mise en œuvre des moyens de protection juridique permettant de mettre fin à la situation

d’arbitraire »1313. La possibilité d’engager la responsabilité de l’État est donc une

conséquence du caractère subjectif du droit à la sécurité.

696. Toutefois, à y regarder de près, le droit à la sécurité inscrit dans les constitutions

béninoise et sénégalaise est-il un réel droit subjectif ou un objectif constitutionnel

découlant de la rédaction d’une norme « qui ne ferait qu’indiquer des intentions sans

obligations correspondantes »1314 ? Répondre par l’affirmative à cette interrogation

implique alors que le droit à la vie, le droit à la liberté soient également de simples

déclarations d’intention, ce qui n’est nullement le cas puisqu’il s’agit en l’occurrence de

véritables droits subjectifs. En revanche, répondre par la négative suppose qu’en cas

d’atteinte au droit à la sécurité, tout individu puisse légalement faire valoir ce droit devant

les juridictions compétentes afin d’obtenir réparation. Marc-Antoine GRANGER soulève

alors la dangerosité de cette deuxième hypothèse qui « aboutirait à des conclusions

“absurdes” où quiconque pourrait, en tant que titulaire de son droit à la sécurité,

« prétendre vivre sans courir le moindre risque », ou du moins, « prétendre vivre en ne

courant que les risques qu’il a dûment accepté »1315.

697. L’appréciation du caractère subjectif du droit à la sécurité à travers l’exigibilité de

la protection est donc une entreprise délicate. L’État peut-il être sanctionné en cas de

défaut de protection de la sécurité du fait précisément de l’exercice de la liberté

1313 Thomas MEINDL, La notion de droit fondamental…, op. cit., p. 286. 1314 Louis FAVOREU et alii., Droit des libertés fondamentales, op. cit., p. 112. 1315 Marc-Antoine GRANGER, « Existe-t-il un droit fondamental à la sécurité ? », op. cit., p. 282.

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448

d’opinion ? L’obligation constitutionnelle absolue à laquelle sont soumis les États dans

lesquels les constituants ont pris le soin de reconnaître précisément l’existence d’un droit à

la sécurité ne se délite-t-il pas finalement en un devoir juridique assigné à l’État ? Dans la

pensée politique, la sécurité a longtemps été présentée comme le « premier devoir de

l’État »1316. Le devoir se définit comme un impératif de conscience, considéré dans sa

généralité, qui impose à l’homme-sans l’y contraindre nécessairement- d’accomplir ce qui

est prescrit en vertu d’une obligation de caractère religieux, moral ou légal. Rapporté à

l’État, le devoir de protection de la sécurité des personnes et de leurs biens engendre une

obligation absolue expressément soulignée par les constitutions béninoise et sénégalaise. Il

constitue alors un impératif pour l’État. La société confie donc à l’État la mission de veiller

tant sur la personne des uns et des autres que sur leurs biens. À travers le prisme de la

Constitution, le droit à la sécurité revêt pour le destinataire à savoir l’État, un caractère

double : à la fois obligation juridique et devoir.

698. Certes, le droit à la sécurité reconnu par certaines constitutions traduit la volonté

des constituants de pouvoir assurer à ce droit la plus haute protection juridique à laquelle

pourrait prétendre son titulaire. En effet, il faut estimer avec Jean RIVERO qu’ « un droit

par définition implique quatre éléments : la détermination exacte de son titulaire, la

définition précise de son objet, l’identification de celui ou de ceux auxquels il est

applicable et, enfin, la possibilité d’une sanction propre à en assurer le respect »1317. Par

suite, ne disposant pas d’un caractère juridique suffisant1318, la sécurité ne peut être

considérée comme un droit subjectif en l’absence d’une possibilité pour le titulaire de ce

droit d’en réclamer une sanction propre à en assurer le respect. Le droit à la sécurité est un

droit qui a certainement un débiteur à savoir l’État mais il n’a pas de véritable

créancier1319. Ce droit est alors un droit objectif1320. Il reste toutefois que le droit à la

sécurité demeure un objectif constitutionnel. Le droit à la sécurité matérielle est « une

1316 Didier TRUCHET, Le droit public, P.U.F., Coll. « Que sais-je ? », Paris, 2003, p. 63. 1317 Jean RIVERO, « Déclarations parallèles et nouveaux droits de l’homme », Revue Trimestrielle des

Droits de l’Homme, n°4, 1990, pp. 323-329, spéc. p. 324. 1318 Jean MORANGE, « Les limites de la liberté », op. cit., p. 82. 1319 Bertrand MATHIEU et Michel VERPEAUX, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, op.

cit., p. 435. 1320 Idem, p. 436.

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449

obligation de moyens à laquelle l’État serait tenu, une véritable exigence qui pèse sur les

pouvoirs publics »1321. Ainsi, le droit à la sécurité devient désormais un droit qui entre en

concurrence avec une autre norme constitutionnelle, la liberté d’opinion. Comment

parvenir à la conciliation de ces deux prérogatives ?

§ 3. LA CONCURRENCE DE DEUX NORMES CONSTITUTIONNELLES : LIBERTE D’OPINION ET SECURITE

699. La liberté d’opinion est un droit sacré inaltérable dans une société démocratique.

Toutefois, l’affirmation de ce postulat n’est pas contraire à la sanction de certaines

conséquences prescrites, notamment sur la sécurité proclamée comme un droit par

certaines constitutions des États de l’Afrique subsaharienne francophone. Ces États se

réclament tous de l’ordre juridique libéral. Ils reconnaissent les droits et libertés

fondamentaux et ne manquent pas d’inscrire au sein même du système normatif, un droit à

la sécurité. Il a été démontré l’aménagement des rapports d’équilibre devant exister entre la

liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire. Tant que la liberté d’opinion, droit

fondamental, qui oblige l’État à s’abstenir d’agir, était confrontée à l’ordre public

sécuritaire qui oblige l’État à agir, l’aménagement restait classique. La consécration

constitutionnelle d’un droit à la sécurité est-elle détachable de l’ordre public ? Renouvelle-

t-elle la problématique de leurs rapports ? En d’autres termes, quelles conséquences ont tiré

les États de l’Afrique subsaharienne francophone suite à la consécration constitutionnelle

d’un droit à la sécurité ?

700. À la lecture des constitutions concernées en l’occurrence celles du Bénin et du

Sénégal, l’on observe que les constituants semblent à première vue n’avoir tiré aucune

conséquence significative d’un droit constitutionnel à la sécurité. L’aménagement n’en

serait donc pas plus novateur que celui de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire en Côte d’Ivoire, État n’ayant pas consacré au niveau constitutionnel un droit à

1321 Nicolas ARPAGIAN, Liberté, égalité…sécurité, Dalloz, Coll. « Institut PRESAGE », Paris, 2007, p.

180.

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450

la sécurité. Ces trois États se reconnaissent à la fois comme des tenants de l’ordre mais

aussi comme des tenants d’un certain intégrisme de la liberté1322.

701. Pourtant à y regarder de près, la consécration constitutionnelle d’un droit à la

sécurité peut être de nature à accroître les pouvoirs discrétionnaires du législateur et de

l’autorité de police administrative afin de garantir la protection et le maintien de l’ordre

public. Ce droit à la sécurité n’apparaît pas comme un droit détachable de l’ordre public. Il

en devient au contraire l’illustration juridique. À titre de comparaison, en France, même en

l’absence d’un droit fondamental à la sécurité reconnu par la norme juridique suprême, la

sécurité en raison d’un contexte grandissant de menace sécuritaire, semble l’emporter sur

l’équilibre des rapports avec la liberté d’opinion. Quant aux juges constitutionnels béninois

et sénégalais, ces derniers n’ont à ce jour opéré aucune distinction formelle entre le droit à

la sécurité et l’ordre public lorsqu’ils ont été saisis dans le cadre d’un recours en violation

des droits et libertés fondamentaux. Il en résulte que l’inscription de ce droit au sein de la

Constitution qui au départ n’apporte a priori pas de bouleversements significatifs dans le

respect de l’exigence de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire devient au contraire un moyen de renforcer la primauté de l’ordre public

sécuritaire sur la liberté d’opinion.

702. Finalement, les pouvoirs publics sont invités selon des formules similaires et

pratiquement inchangées depuis l’avènement du constitutionnalisme en 1990, à restreindre

la liberté d’opinion lorsque cette limitation s’avère nécessaire pour la préservation de

l’ordre public sécuritaire. L’ordre public sécuritaire continue donc de constituer avec la

sécurité, sa composante essentielle, le soubassement nécessaire des limites apportées à

l’exercice de la liberté d’opinion.

1322 Jean RIVERO, Les libertés publiques, Tome I. Cité par Jean MORANGE, « Les limites de la liberté »,

op. cit., p. 79.

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451

CONCLUSION DU CHAPITRE II

703. Les quelques développements qui précèdent conduisent inéluctablement au constat

des défaillances que comporte l’applicabilité des garanties juridiques de conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire. Entre la stabilité et l’instabilité des

garanties institutionnelles et la mutation mitigée d’un droit fondamental à la sécurité,

l’exigence de conciliation semble difficile à respecter pour plusieurs raisons.

704. D’abord, l’impossibilité pour les individus de librement exercer leur liberté

d’opinion trouve un lien direct avec la primauté du Chef de l’État. Ensuite, l’apparition des

partis politiques redéfinit les rapports entre les différents pouvoirs avec l’émergence d’une

opinion politique dominante qui écrase littéralement les opinions politiques concurrentes.

Enfin, la sécurité reconnue comme un droit par les constituants béninois de 1990 et

sénégalais de 2001 ne peut être retenue ni comme un droit subjectif, ni comme un droit

fondamental a fortiori. Tout au plus, pourrait-il s’agir d’une prérogative sui generis dont la

consécration constitutionnelle ne ferait qu’accroître et renforcer les pouvoirs des autorités

législatives et administratives en matière d’appréciation du risque d’atteinte à l’ordre

public.

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452

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE

705. L’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire

aurait pu conduire à une osmose entre ces deux notions constitutionnelles dans leur mise en

œuvre. Toutefois, les rapports entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire ne sont

pas d’une articulation originale en Afrique subsaharienne francophone. Aussi, comporte-t-

elle les mêmes imprécisions que celles contenues dans les grandes démocraties

occidentales. À côté de ces imprécisions communes, il a paru convenable de relever les

lacunes spécifiques liées au contexte sociopolitique et juridique de ces États qui fragilisent

les garanties consacrées par la règle de droit suprême. Toutes ces défaillances ne sont

évidemment pas de nature à faciliter l’application des règles d’exigence de la conciliation

de ce droit fondamental avec l’objectif constitutionnel qu’est l’ordre public. Cette exigence

est constamment exposée à certains risques1323 tenant à l’architecture institutionnelle des

États africains étudiés comme à l’évolution de la qualification d’un droit à la sécurité qui

reste incertaine.

706. Si l’on considère que les limites de l’exercice des droits et libertés fondamentaux

constituent davantage des garanties pour leur protection que des facteurs de limitation, les

limites à l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire

sont en revanche de réels obstacles à la consolidation des règles de conciliation. Les

faiblesses de la conciliation sont contenues tant dans les normes constitutionnelles elles-

mêmes, dans les normes législatives, que dans l’interprétation du juge constitutionnel.

Mais, elles sont surtout le résultat de l’absence d’une condition préalable : un contexte

sociopolitique favorable à l’application des règles juridiques de conciliation en Afrique

subsaharienne francophone.

1323 Pour des développements complémentaires sur la notion du risque pour les libertés fondamentales, voir

Sylvie JACQUOT-BARRAULT, « La Constitution de la Vème République. Quelques remarques sur les risques pour les libertés publiques », in Placide M. MABAKA, (ss. la dir. de), Constitution et Risque(s), L’Harmattan, Coll. « Droit, société et risques », Paris, 2010, pp. 347-353.

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CONCLUSION GENERALE

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707. À travers notre réflexion, l’on a tenté un travail d’interprétation et d’argumentation

ainsi que l’exige le travail du juriste1324. Parvenus au terme de la recherche, il paraît alors

nécessaire de dresser un bilan succinct de notre recherche avant d’envisager des pistes de

réflexion et suggérer des propositions qui contribueraient sans doute au renforcement de

l’exigence de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire dans les

États de l’Afrique subsaharienne francophone. Au départ, notre réflexion a eu pour objet

de systématiser, à partir des éléments préexistants de droit constitutionnel comparé,

l’articulation de deux notions constituant séparément, puis conjointement, des objectifs

constitutionnels dans un État de droit. Aussi, l’essai de systématisation n’a-t-il pas

empêché de s’interroger sur l’applicabilité de la conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone à partir des

moyens constitutionnels à la disposition des autorités étatiques.

708. Tout d’abord, les États étudiés ont à quelques singularités près, connu les mêmes

bouleversements politiques, institutionnels et juridiques. L’ancrage constitutionnel de la

conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire dans ces États s’inspire

assurément de la modélisation qu’en ont faite les constituants des grandes démocraties

contemporaines. Toutefois, notre analyse autour des fondements constitutionnels de la

conciliation ne va pas sans une analyse rétrospective du contexte politique et juridique

dans lequel a évolué la liberté d’opinion comme liberté publique, puis comme liberté

fondamentale. Constitutionnalisée, cette prérogative juridique ne relève plus du contenu

abstrait de la notion des droits de l’Homme. Pour que cette liberté devienne effective, il a

fallu lui donner corps en la juridicisant. Tout en affirmant leur aspiration constante à la

culture de la démocratie, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont semble-t-il, rompu

avec l’abstraction à laquelle renvoyaient les droits de l’Homme. Désormais, la liberté

d’opinion devient un droit concret, un droit effectif1325. La République Fédérale

d’Allemagne aura, sans doute, été un exemple pour la constitutionnalisation de la liberté

d’opinion, comme liberté fondamentale, puisque la notion même de droit fondamental y a

été constitutionnellement définie.

1324 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 98. 1325 Thomas MEINDL écrit à cet effet que : « La notion de droit fondamental marque une volonté de

rupture avec l’abstraction, synonyme d’ineffectivité, des droits de l’homme ». La notion de droit fondamental dans les jurisprudences et doctrines françaises et allemandes, op. cit., p. 467.

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456

709. Ensuite, la conciliation, devenue une exigence, ne sera respectée qu’au regard de la

mise en œuvre d’un ensemble de garanties juridiques qui en assurent l’effectivité. À

première vue, les constituants des États de l’Afrique subsaharienne francophone semblent

irréprochables sur les moyens favorables à la construction et à la consolidation de cette

articulation d’équilibre entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire. Les garanties

institutionnelles et matérielles découlant de la Constitution traduisent de ce fait la

concrétisation de ces moyens. Alors que les garanties institutionnelles sont expressément

consacrées par les constituants des États étudiés, certaines garanties matérielles nécessaires

au renforcement de l’exigence de conciliation le sont, non sans une certaine ambigüité.

710. De plus, c’est à travers le prisme du contexte sociopolitique que l’équilibre des

rapports entre la liberté d’opinion et l’objectif constitutionnel du maintien de l’ordre public

sécuritaire montrera ses limites. L’imprécision entourant certains actes découlant de

l’exercice de la liberté d’opinion et susceptibles de porter atteinte à l’ordre public

sécuritaire, est un facteur de déséquilibre des rapports de l’un avec l’autre. Par ailleurs, le

cadre politique, social et juridique n’est pas sans influence sur le respect de la conciliation.

La primauté constitutionnelle du Chef de l’État et son interprétation politique de même que

l’éloignement des populations de l’idéal de la liberté d’opinion accroissent la

désarticulation des rapports de ces objectifs constitutionnels de protection de la liberté

d’opinion et de sauvegarde de l’ordre public sécuritaire. En effet, usant des moyens de

communications de masse, le Chef de l’État, également leader d’un parti politique, peut

aujourd’hui et plus facilement « s’adresser directement (…) à chaque individu et le

convaincre beaucoup plus aisément de la justesse de sa politique »1326. Quant aux

populations à qui il s’adresse, celles-ci reçoivent son discours avec un lourd handicap, la

faiblesse de leur éducation citoyenne. Le bilan de notre analyse s’articulera autour de deux

idées maîtresses qui constituent, par la même occasion, des pistes de réflexion. En effet, la

difficulté d’application de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire est finalement liée à l’absence d’une véritable éducation citoyenne (§ I). Ce

défaut qui n’est que la conséquence d’un contexte social, politique, juridique et

économique défavorable, conduit alors à repenser la modélisation des rapports entre ces

1326 Bernard CHANTEBOUT, Droit constitutionnel, op. cit., p. 289.

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457

deux notions constitutionnelles dans les États de l’Afrique subsaharienne francophone (§

II).

§ 1. L’IMPORTANCE DU DROIT A L’EDUCATION POUR LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE

711. Nos développements n’ont eu de cesse de rappeler que tout individu aspire par la

parole et par la diffusion de sa pensée à la transmission de ce qu’il croit être vrai. Les

destinataires de l’expression de son opinion seront alors en mesure de connaître son

jugement de valeur, ses convictions et d’y adhérer ou pas1327. L’une des conséquences de la

reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion est, dans un État de droit,

l’obligation pour le pouvoir politique d’ériger un cadre de formation juridique, sociale et

économique pour l’expression et la diffusion d’opinions qualitatives. Le schéma sociétal de

la diffusion de l’opinion qui suppose un émetteur et un ou des destinataires offre la

possibilité d’influencer le comportement des individus et ainsi de bouleverser l’ordre moral

puis l’ordre matériel d’une société toute entière. Lorsque l’ineffectivité du droit à

l’éducation1328 entraîne une difficulté supplémentaire pour les citoyens dans

l’appropriation de leur liberté d’opinion, c’est toute la structure de ce schéma sociétal qui

est mise en cause.

712. Dans les États dits développés au sein desquels l’Allemagne et la France font bonne

figure, ce débat relatif à l’accès à l’éducation semble résolu tandis qu’il garde tout son sens

dans les États dits en transition démocratique parmi lesquels l’on retrouve le Bénin, la Côte

d’Ivoire et le Sénégal. L’éducation suppose le droit à l’information1329, à une information

1327 L’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’Homme dispose d’ailleurs que : « Toute

personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

1328 L’éducation doit tourner le dos à la propagande. En effet, la nature de l’instruction découlant de l’éducation considérée ici est une instruction libérale. En effet, le droit à l’éducation dans les pays autoritaires peut s’assimiler à l’accès à une éducation qui développe chez l’apprenant, un sentiment accru de loyauté vis-à-vis du pouvoir en place. Jean STOEZEL affirme à cet égard que « la formation scolaire dirige les attitudes politiques dans le sens de l’esprit du cours. Et comme cet esprit sera souvent libéral, pacifiste, etc., les attitudes seront d’autant plus libérales, pacifistes, etc., que les études seront plus avancées… ». La théorie des opinions, op. cit., p. 282.

1329 L’information à laquelle nous nous référons peut être définie comme « l’acte par lequel sont rendus publics certains faits ou certaines opinions» par le biais d’un support matériel, qu’il soit visuel ou auditif. Voir Xavier AGOSTINELLI, Le droit à l’information face à la protection civile de la vie privée

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458

libre, à la formation et à l’instruction. Ce droit consacré par les constitutions des

démocraties contemporaines l’est également dans les pays en voie de consolidation

démocratique. Aux termes des constitutions ivoirienne et béninoise, l’État garantit à tous

les citoyens, l’égal accès à l’éducation, à l’information, à la culture1330. Cette formulation

constitutionnelle de la garantie du droit à l’éducation n’est pas sans rappeler celle du

Préambule de la Constitution française du 27 octobre 19461331. En revanche, l’originalité

des constitutions africaines étudiées réside dans la place accordée aux institutions

nationales qu’elles soient publiques ou privées. Les constituants y mentionnent que celles-

ci ont le devoir d’alphabétiser leurs membres et de participer ainsi à l’effort national

d’alphabétisation. L’accès à l’éducation et à l’alphabétisation peut être mis en œuvre à

travers les structures confessionnelles, les structures communautaires. L’enseignement peut

même être dispensé dans les langues locales ou nationales1332.

713. Les constituants des États de l’Afrique subsaharienne francophone ont donc porté

haut le devoir pour les pouvoirs politiques d’assurer le droit à l’éducation. Ce droit à

l’éducation passe par un accès à l’information reconnu comme un droit fondamental pour

l’émergence d’une opinion de qualité, d’une opinion citoyenne, en somme, d’une opinion

constructive de l’État de droit. D’ailleurs, à titre de comparaison, le législateur français a

admis que le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa

personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie

sociale et professionnelle mais aussi et surtout d’exercer sa citoyenneté1333. Il précise en

outre que les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur

sont chargés d’ « assurer une formation à la connaissance et au respect des droits de la personne ainsi qu’à la compréhension des situations qui y portent atteinte »1334. Le lien

entre l’éducation ou l’instruction et la citoyenneté est alors clairement établi car

l’instruction contribue à faire tomber le voile de l’ignorance. Ces développements

(Préface de Charles DEBBASCH), Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence éditeur, Coll. « Éthique et déontologie », Aix-en-Provence, 1994, pp. 60-61.

1330 Art. 8, Const. béninoise, 1990 ; art. 7, al.2, Const. ivoirienne, 2000. 1331 Préambule de la Constitution française de 1946, al.13 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et

de l’adulte à l’instruction à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».

1332 Art. 22, al. 4, Const. sénégalaise, 2001. 1333 Art. L. 111-1 du Code de l’éducation. 1334 Art. L. 121-1 du Code de l’éducation.

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459

permettent ainsi de révéler toute la subtilité juridique de la liberté d’opinion, à la fois

liberté-autonomie et droit-créance. Liberté-autonomie, elle oblige l’État à s’abstenir afin

que l’individu conserve toute son autonomie dans le choix de ses opinions et de leur

expression. Droit-créance, la liberté d’opinion oblige l’État à agir puisque la

reconnaissance constitutionnelle de cette liberté entraîne « des obligations pesant sur l’État

en matière sociale »1335. La liberté d’opinion, liberté intangible, trouve un terrain favorable

dans un contexte pluraliste respectueux des consciences individuelles informées,

éduquées1336.

714. Le constat selon lequel la stabilité d’un État est entre autres, fonction du taux

d’instruction et d’alphabétisation n’est pas une lapalissade. L’importance de ce taux est

une arme efficace au service du respect des règles dans un État de droit. Selon le rapport

annuel 2013 sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le

Développement (P.N.U.D.), près de la moitié des populations dans les États africains

étudiés est analphabète1337. Pourtant, il est indiscutable que les citoyens avantagés par une

certaine qualité de l’éducation savent quand et comment exprimer leurs opinions. Ils

connaissent également les procédures à suivre pour le rétablissement de leurs droits et

libertés fondamentaux dont la liberté d’opinion. Jean STOEZEL dira par exemple que

« l’information, l’éducation, les études, déterminent intellectuellement les opinions d’un

sujet » en tant que « facteurs d’assimilation sociale »1338. En effet, l’accès à l’éducation et à

l’instruction permet de faire de l’individu un être profondément ancré dans sa culture et

dans son milieu de vie. L’individu prend progressivement conscience de ses responsabilités

politiques et civiques de même que de ses devoirs vis-à-vis de l’État, de son rôle en tant

que citoyen participant à l’instauration et à la consolidation de l’État de droit

démocratique1339.

1335 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p.

138. 1336 Jean MORANGE, « La liberté de conscience en droit comparé », op. cit., p. 34. 1337 Le rapport annuel 2013 du P.N.U.D. sur le développement humain consacré à L’essor du sud : dans un

mode diversifié estime en effet que le Bénin détient un taux d’alphabétisation de 41,7%. Quant à la Côte d’Ivoire, le taux d’alphabétisation y est de 55,3% et au Sénégal, ce taux est de 49,7%. À titre de comparaison, ce taux en Allemagne est de 99,11% et en France, de 99,02%.

1338 Jean STOEZEL, Théorie des opinions, op. cit., p. 282. 1339 Jean MORANGE admet ainsi qu’ « une éducation spécifique à la liberté d’expression [des opinions]

devrait être incluse dans l’éducation aux droits de l’homme. Une société peut admettre d’autant plus

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460

715. Dans les États qui détiennent un fort taux d’analphabétisation, les populations

espèrent peu car désavouées par le pouvoir politique. Ce pouvoir contraignant use de

facteurs psychologiques déterminants pour faire asseoir son autorité. Il est en effet

conscient qu’au-delà de la masse analphabète jugée inapte à jouer le jeu démocratique1340,

« le poids de la tradition, la croyance en la légitimité des gouvernants, le sentiment de

l’impossibilité ou de l’inutilité d’un renversement de l’ordre établi »1341 joue en sa faveur.

Quand bien même ces populations exercent leur liberté d’opinion dans sa forme politique,

cet exercice manque souvent de profondeur1342. De plus, ces populations éprises de liberté

peuvent laisser éclater leur colère. Quand finalement la colère explose, elles se fient à leur

instinct de révolte, parfois violent en cas d’atteinte à leurs droits et libertés. Il est dans la

logique humaine que tout individu assoiffé de liberté et de justice, qui estime être l’objet

d’une injustice bout intérieurement, s’indigne et combat pour ce qui lui semble juste, en ne

mettant pas fin à ses nobles efforts « avant d’avoir atteint son but, quitte à en

mourir (…)»1343. Comment exprimer leurs opinions quand elles ne savent pas ce que la loi

leur permet de dire, quand le dire, comment le dire et où le dire ? L’on s’aperçoit

clairement qu’il devient difficile pour le citoyen de s’approprier ce droit fondamental que

lui reconnaît pourtant la Constitution, puisqu’ainsi qu’a reconnu sur ce point Jean

RIVERO, « l’acte libre est impossible pour ceux dont les besoins fondamentaux ne sont

pas satisfaits »1344.

716. Dans ce contexte sociologique qui impacte négativement la mise en œuvre de la

conciliation, il faut alors nécessairement repenser l’ensemble du modèle d’articulation des

rapports entre la liberté d’opinion et l’ordre public sécuritaire.

facilement une grande diversité d’expressions [des opinions] que ses membres sont attachés à ses propres fondements, faute de quoi ces derniers seraient atteints en profondeur. En outre, il convient de ne jamais perdre de vue que les droits de l’homme, dont la liberté d’expression [des opinions], n’ont de chances d’être préservés que si tout le corps social est convaincu de la nécessité absolue de respecter la dignité humaine ». La liberté d’expression, op. cit., p. 233.

1340 Jacques ROBERT et Jean DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, op.cit., p. 601. 1341 Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN et Pierre PACTET, Droit constitutionnel, op. cit., p. 11.

1342 Michaël BRATTON, « Populations pauvres et citoyenneté démocratique en Afrique », Afrique contemporaine, n°220, 2006, pp.33-64, spéc. p. 36.

1343 Platon, La République, Flammarion, Coll. « G.F. », Paris, 2004, p. 250. 1344 Jean RIVERO, « Les limites de la liberté », Mélanges Jacques ROBERT. Libertés, op. cit., pp. 189-194,

spéc. p. 191.

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461

§ 2. REPENSER LA NATURE DE LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE

717. L’actuelle constitutionnalisation de la conciliation de la liberté d’opinion avec

l’ordre public sécuritaire nous a conduit à une réflexion sur les défaillances du système

normatif de conciliation et à en redéfinir les contours. En effet, le système normatif lui-

même n’est effectif qu’à partir du moment où « il est reçu et respecté par la société, par les

destinataires »1345. L’effectivité s’entendant comme « le degré de réalisation, dans les

pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »1346.

718. Ainsi, au terme de notre analyse, la conciliation doit être repensée. Théoriquement,

l’exigence de conciliation s’impose tant aux pouvoirs publics qu’aux personnes privées.

Les effets horizontaux des droits fondamentaux entre personnes privées ont du reste été

théorisés par la doctrine allemande Drittwirkung, telle que rappelée par Louis

FAVOREU1347et irriguent l’ensemble du système de protection des droits et libertés

fondamentaux1348. Toutefois, la conciliation n’emporte pas les mêmes conséquences d’un

point de vue de la sanction. Du côté des pouvoirs publics, ces derniers demeurent la source

de la conciliation, en tant qu’auteurs des normes qui en découlent. L’effectivité de la

sanction à leur encontre, au-delà de la sanction juridique que peut constituer le contrôle de

constitutionnalité1349, est donc plus problématique que la sanction à l’encontre des

individus. En effet, le droit constitutionnel a ceci de caractéristique que « le lien entre la

règle de fond et la sanction n’est pas l’automacité qu’elle revêt en droit pénal ou en droit

civil, [il] est cousin du droit international public, dans la mesure où il est confronté à la

1345 Clara-Maud PHILIPPE, « Entre effectivité et validité du droit : l’exemple du droit du public à

l’information », in Véronique CHAMPEIL-DESPLATS et Danièle LOCHAK (ss. la dir. de), À la recherche de l’effectivité des droits de l’homme, Presses universitaires de Paris 10, 2008, pp. 59-71, spéc. p. 5.

1346 P. LASCOUMES « Effectivité », cité par Clara-Maud PHILIPPE, « Entre effectivité et validité du droit : l’exemple du droit du public à l’information », op. cit., p. 5.

1347 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., p. 928. 1348 Vanessa BARBÉ, Le rôle du Parlement dans la protection des droits fondamentaux. Étude

comparative : Allemagne, France, Royaume-Uni (Préface de Otto PFERSMANN), L.G.D.J.-lextenso éditions, Coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Tome 131, Paris, 2009, p. 72.

1349 Michel VERPEAUX, La Constitution, Dalloz, Coll. « Connaissance du droit », Paris, 2008, p. 68.

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462

question de l’effectivité de la règle »1350. La réponse à la question de la mutation de

l’exigence de conciliation en un principe constitutionnel pourrait s’inspirer de la rédaction

quasi similaire de la consécration de la liberté d’opinion dans les constitutions étudiées. La

liberté d’opinion est garantie à tous sous la réserve du respect de l’ordre public1351.

719. La conciliation peut être alors considérée comme un principe parce qu’elle est une

norme qui bien que n’étant pas expressément consacrée par les constituants, doit être

considérée comme une règle première qui est « au fondement d’autres dispositions »1352.

En tant que norme, elle est une proposition indiquant un modèle de conduite impératif1353

qui s’impose tant aux personnes privées qu’à l’État. La norme de conciliation a pour

fonction essentielle de prescrire ce que doivent être les rapports entre la liberté d’opinion et

l’ordre public sécuritaire. Elle dit ce qui doit être1354. En plus de prescrire, la norme de

conciliation habilite également les autorités publiques à prendre les mesures nécessaires

afin de préserver l’ordre public sécuritaire en portant des atteintes minimales à la liberté

d’opinion1355. Le principe de conciliation demeure par conséquent le fondement, le moteur

de l’édifice1356 de protection des droits et libertés fondamentaux. Par ailleurs, la

conciliation, pour notre part, est un principe à valeur constitutionnelle1357 distinct des 1350 Olivier BEAUD, Le sang contaminé : essai critique sur la criminalisation de la responsabilité des

gouvernants, P.U.F., Coll. « Béhémoth », Paris, 1999, p. 158. 1351 Art. 9, Const. ivoirienne de 2000. 1352 Michel VERPEAUX, « Les principes en droit constitutionnel », in Sylvie CAUDAL (ss. la dir. de), Les

principes en droit, Economica, Coll. « Études Juridiques », Paris, 2008, pp.149-159, spéc. p. 151. 1353 Denys de BÉCHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de Droit ?, Éd. Odile Jacob, Paris, 1997, p. 171. 1354 Hans KELSEN, Théorie générale des normes (Traduit de l’allemand par Olivier Beaud et Fabrice

Malkani du titre original « Allgemeine Theorie der Normen », ManzVerlag Wien, 1979), P.U.F., Coll. « Léviathan », Paris, 1996, p. 125.

1355 Idem, p. 126. 1356 Denys de BÉCHILLON, Qu’est-ce qu’une règle de Droit ?, op. cit., p. 156. 1357 Le principe de conciliation peut être considéré comme un principe à valeur constitutionnelle en se

référant à la conception dégagée par le Juge constitutionnel béninois, s’agissant du « Consensus national ». En effet, le consensus national a été reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle à l’occasion de la décision D.C.C. n°06-074 du 8 juillet 2006. La Cour constitutionnelle du Bénin a ainsi opéré une hiérarchie entre les lois constitutionnelles et les principes à valeur constitutionnelle. En l’espèce, la Loi constitutionnelle n°2006-13 adoptée le 23 juin 2006, portant révision de l’article 80 de la Constitution de 1990, a été déclarée contraire à la Constitution par le Juge constitutionnel. Les dispositions de cette Loi constitutionnelle, adoptées de façon régulière au regard des règles constitutionnelles de révision de la Constitution, s’opposent cependant à « la détermination du peuple béninois à créer un État de droit et de démocratie pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et la cohésion nationale commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le consensus national, principe à valeur constitutionnelle ». Le principe constitutionnel de conciliation dégagé dans le cadre de cette étude est

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463

principes fondamentaux et des principes généraux consacrés par le juge français1358. La

conciliation peut dès lors être érigée en norme fondamentale qui doit servir de guide au

pouvoir juridictionnel et au juge constitutionnel1359. Aussi, la norme de conciliation ne sera

pas conditionnée par son efficacité et par son caractère répressif1360, puisqu’en tant que

principe constitutionnel, il existe même en l’absence de sa réalisation effective.

720. De manière idéale, du fait même de son inscription dans les constitutions, le

législateur ne saurait transgresser le principe de conciliation en raison de la nature de la

norme de reconnaissance et de l’objectif poursuivi. Au contraire, il lui appartient de même

qu’au juge de contribuer à ce que les règles de conciliation produisent des effets. Le

respect du principe de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire

suppose que les règles d’encadrement de l’exercice de la liberté d’opinion ne soient pas des

règles disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi de sauvegarde de l’ordre public

sécuritaire. Il doit s’agir de règles devant contribuer à ce que cet exercice soit possible dans

les limites du respect de l’ordre public sécuritaire. La structuration même des droits et

libertés fondamentaux conduit à admettre l’impossibilité de leur caractère absolu. Ces

droits sont par nature, conciliables entre eux1361. Le cas échéant, le juge constitutionnel,

pour l’essentiel, doit être le principal acteur institutionnel, voire le principal organe de

protection du principe de conciliation1362. Or, pour que son office de gardien du principe de

conciliation soit efficace, il convient d’envisager un renforcement de ce principe à travers

les garanties qui en assurent l’effectivité au sein même de la Constitution.

sur cette base, un idéal constitutionnel fondamental qui doit guider le pouvoir politique dans la mise en œuvre des mécanismes de construction de l’État de droit. Voir Décision D.C.C. n° 06-74 du 8 juillet 2006, Luc SINDJOUN, Les grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine. Droit constitutionnel jurisprudentiel et Politiques constitutionnelles au prisme des systèmes politiques africains, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 311-337.

1358 Pour approfondir la question de la distinction entre les principes fondamentaux, les principes généraux et les principes à valeur constitutionnelle, voir Jean-Paul COSTA, « Principes fondamentaux, principes généraux, principes à valeur constitutionnelle », in Conseil constitutionnel et Conseil d’État. Colloque des 21 et 22 janvier 1988 au Sénat, L.G.D.J.-Montchrestien, Paris, 1988, pp. 133-144, spéc. p. 133.

1359 Michel VERPEAUX, « Les principes en droit constitutionnel », op. cit., p. 157. 1360 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, op. cit., pp. 66-67. 1361 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p.

144. 1362 Idem, p. 135.

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464

721. Au regard de la fragilité de l’exigence constitutionnelle de conciliation modélisée

en un principe constitutionnel, il convient d’envisager un certain nombre de pistes de

réflexion pour en assurer le respect. D’abord une inscription constitutionnelle des moyens

de promotion de la liberté d’opinion ne serait pas superflue. Le droit à l’éducation, le droit

à l’information, la liberté de communication et les droits économiques doivent être

pleinement garantis, au-delà de leur consécration constitutionnelle, pour assurer à la liberté

d’opinion sa pleine effectivité. Le renforcement des moyens de protection de la liberté

d’opinion naît de l’idée selon laquelle la liberté d’opinion, droit fondamental s’adresse à

l’individu en tant que destinataire principal de sa consécration. Toutefois, cet individu,

surtout en Afrique, n’existe qu’à travers la communauté dont il fait partie. Son opinion est

alors influencée par diverses données sociologiques et ethnologiques dont il convient de

tenir compte. Le bien de l’individu passe par la prise en compte du contexte social sans

lequel « il n’est qu’une entité décharnée et irréelle »1363. La proclamation des droits

fondamentaux, expression de l’individualisme1364 en occident, ne saurait avoir la même

dimension en Afrique. Aussi, le droit à l’éducation, le droit à l’information, la liberté de

communication, la liberté d’opinion politique et la liberté d’opinion religieuse se

construisent-ils forcément dans les États africains étudiés au sein d’une communauté

sociale stratifiée qui contribue à en façonner la portée.

722. Par ailleurs, l’effectivité des droits économiques impacte indéniablement la

concrétisation de la liberté d’opinion et de son rapport à l’ordre public sécuritaire. En effet,

l’ineffectivité des droits économiques primaires entraîne une forme de dépendance, une

relation de subordination qui existe entre le citoyen et les pouvoirs politique et religieux.

Toute subordination inclut pour le subordonné, le risque de subir des pressions de tout

ordre de la part du sujet subordonnant. Pourtant, d’une part, l’effectivité de la liberté

d’opinion entre en totale contradiction avec l’idée d’une quelconque subordination du

bénéficiaire de ce droit-liberté vis-à-vis de celui à qui son respect peut être opposé. D’autre

part, la dépendance a pour corollaire le risque d’influence que peut exercer les pouvoirs

politique ou religieux sur le citoyen dépendant. La sujétion psychologique à laquelle

1363 Georges BURDEAU, Les libertés publiques, 4ème éd., L.G.D.J., Paris, 1972, p. 7. 1364 Georges BURDEAU présente l’individualisme comme une théorie qui « s’appuie sur l’irréductible

autonomie de l’homme pour faire du droit individuel et de la liberté, une valeur essentiellement négative se définissant par l’absence de contrainte ». Idem, p. 9.

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465

s’expose l’individu influencé fait de lui, un individu à la merci du pouvoir influençant. En

lieu et place d’un militantisme citoyen, l’on assiste alors à une relation de clientélisme

informelle politique1365 et religieuse. Ainsi, l’État de droit en construction dans les États

étudiés est véritablement confronté à une « crise de société »1366 puisque face à la crise

socio-économique, « ni l’appel aux valeurs libérales »1367, ni l’arsenal des dispositions

législatives en réponse aux requêtes sociales « ne sont capables de surmonter les difficultés

de la crise »1368. C’est dans ce contexte que la liberté d’opinion de même que sa

conciliation avec l’ordre public sécuritaire révèle toute sa précarité.

723. Ensuite, les limites que pose l’ordre public à l’exercice de la liberté d’opinion

doivent être explicites et clairement définis par le constituant pour éviter que le législateur,

lié par une « loyauté politique » vis-à-vis du pouvoir exécutif ne devienne un « législateur

de circonstance ». Et lorsque la Constitution donne compétence au pouvoir législatif

d’encadrer et de protéger l’exercice de la liberté d’opinion, ce pouvoir ne doit pas

seulement voter des lois les unes à la suite des autres. Il pourrait simplement faire sienne et

mettre en application cette belle pensée de RIVERO : « Réglementer, certes, mais

réglementer moins, et réglementer mieux »1369. Pour une meilleure législation protectrice

de la liberté d’opinion et le renforcement de la sécurité juridique de l’individu, la notion

d’abus de la liberté d’opinion doit être précisée dans les constitutions. Pour ce qui concerne

les délits découlant de l’exercice de cette liberté, ils doivent être précisés dans les textes

répressifs afin de donner au juge tous les moyens nécessaires à l’exercice de son office. En

somme, la liberté d’opinion apparaît trop fondamentale pour être laissée dans sa mise en

œuvre à la discrétion du législateur. Le constituant doit pouvoir lui-même aménager son

exercice autant qu’il l’a fait avec la liberté individuelle dans ses relations avec la procédure

pénale1370. Lorsque l’exercice de certaines libertés fondamentales et essentielles en

démocratie peut être mis en cause pour la protection de l’ordre public sécuritaire, il

1365 Michaël BRATTON, « Populations pauvres et citoyenneté démocratique en Afrique », op. cit., p. 36. 1366 Simone GOYARD-FABRE, L’État. Figure moderne de la politique, Armand Colin, Coll. « Cursus »,

Paris, 1999, p.96. 1367 Ibidem. 1368 Ibidem. 1369 Jean RIVERO, « Les limites de la liberté », op. cit., p. 193. 1370 Philippe ARDANT, « Le temps dans les constitutions écrites », in Mélanges en l’honneur de Pierre

Avril : La République, Montchrestien, Paris, 2001, pp. 503-515, spéc. p. 505.

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466

appartient au pouvoir constituant de s’assurer que les modalités de cette mise en cause

soient explicites. Si la définition des sanctions peut être à la charge du législateur, les

fondements de ces sanctions doivent être établis expressément par le pouvoir constituant.

724. L’idée selon laquelle une bonne constitution est une constitution brève ne vaut plus

aujourd’hui dans un contexte de menace permanente à l’ordre public et à la liberté

d’opinion. Les États de l’Afrique subsaharienne francophone, en plein apprentissage

démocratique1371 ont un impératif. De même qu’il ne saurait exister d’État de droit sans

liberté, de même il n’y a de libertés qu’au sein d’un État de droit1372. Aussi, les États

africains étudiés doivent-ils, dans leur processus de construction d’un État de droit fiable,

accorder au juge tous les instruments constitutionnels nécessaires à la sauvegarde de

l’ordre public, à la protection des droits et libertés fondamentaux, à la légitimation de son

office de protection de ces prérogatives spécifiques, et des États eux-mêmes.

1371 Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, op. cit., p.

427. 1372 François JULIEN-LAFERRIÈRE, L’État de droit et les libertés, in Études offertes à Jacques

Mourgeon : Pouvoir et Liberté, op. cit., pp. 153-176, spéc. p. 153.

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commentaires », Paris, 2008, pp. 1.

4/ MEMOIRES ET THÈSES

AIVO (Frédéric Joël), Le président de la République en Afrique noire francophone : essai

sur la sociologie et les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au

Cameroun, au Gabon et au Togo, thèse pour le doctorat en droit, Université Jean

Moulin Lyon 3, 2006.

BENELBAZ (Clément), Le principe de laïcité en droit public français, thèse pour le

doctorat en droit, Université de Bordeaux, 2009.

BLÉOU (Djézou Martin), Le président de la République ivoirienne, thèse pour le

doctorat en droit, Université de Nice, 1984.

BODEN (Didier), L’ordre public : Limite et condition de la tolérance : Recherches sur le

pluralisme juridique, thèse pour le doctorat en droit, Université Paris I, 2002.

BODIN (Marc), Les notions relatives en droit civil, thèse pour le doctorat en droit,

Université Montesquieu Bordeaux IV, 2011.

GIRAUD (Thomas), L’interprétation de la Constitution par les organes non

juridictionnels, thèse pour le doctorat en droit, Université Paris X, 2005.

HOLO (Théodore), Étude d’un régime militaire : le cas du Dahomey (Bénin) (1972-

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JACQUINOT (Nathalie), Ordre public et constitution, Thèse pour le doctorat en droit,

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LE DIVELLEC (Armel), Le parlementarisme allemand, thèse pour le doctorat en droit,

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LINOTTE (Didier), Recherches sur la notion d’intérêt général en droit administratif

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SALAMI (Ibrahim), La protection de l’état de droit par les cours constitutionnelles

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Université de Paris-Faculté de Droit, 1954

SY (Papa Mamour), Le développement de la justice constitutionnelle en Afrique noire

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doctorat d’État, ès Sciences juridiques, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar,

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513

5/ Textes et documents officiels

- DES ÉTATS DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE (BENIN- COTE

D’IVOIRE- SENEGAL)

Décret n° 2003-124 du 10 mai 2003 mettant fin au couvre-feu et abrogeant le décret

n°2002-462 du 22 septembre 2002 portant institution du couvre-feu en Côte d’Ivoire.

DESOUCHES (Christine), CONAC (Gérard) et DU BOIS de GAUDUSSON (Jean),

Les constitutions africaines publiées en langue française, Tome 1, La

documentation française, Coll. « Retour aux textes », Paris, Bruylant, Bruxelles,

1997.

DESOUCHES (Christine), CONAC (Gérard) et DU BOIS de GAUDUSSON (Jean),

Les constitutions africaines publiées en langue française, Tome 2, La

documentation française, Coll. « Retour aux textes », Paris, Bruylant, Bruxelles,

1998.

Loi de la République de Côte d’Ivoire n° 59-231 du 7 novembre 1959 sur l’état d’urgence.

Loi n° 90-32 du 11 Décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin.

Loi de la République de Côte d’Ivoire n° 2000-513 du 1er Août 2000 portant Constitution

de la République de Côte d’Ivoire.

Loi n° 2001-03 du 22 Janvier 2001 portant Constitution de la République du Sénégal

modifiée par la loi constitutionnelle n°2008-34 du 07 Août 2008.

Textes Constitutionnels du Sénégal du 24 janvier 1959 au 15 mai 2007 (Textes réunis et

présentés par FALL Madior Ismaïla), CREDILA, Dakar, 2007.

- DES GRANDES DEMOCRATIES CONTEMPORAINES (ALLEMAGNE- FRANCE)

Code civil allemand=Bürgerliches Gesetzbuch, BGB (Traduction commentée par

Raymond LEAGAIS et Michel PEDAMON), Juriscope-Dalloz, Coll. « La lettre des

lois », Paris, 2010.

Page 513: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

514

Code constitutionnel et des droits fondamentaux (commenté par Michel LASCOMBE et

Christelle de GAUDEMONT), 5ème éd., Dalloz, Paris, 2015.

Code pénal allemand (traduit par Albert RELINGER), 2ème éd. mise à jour au 1er Février

1955, Wervereis, Baden-Baden, 1955.

Constitution de la République française (Texte intégral présenté par Ferdinand MÉLIN-

SOUCRAMANIEN), Dalloz, Paris, 2015.

Les grandes démocraties. Constitutions des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Espagne et de

l’Italie (Textes intégraux présentés par Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN),

Dalloz, 2010.

Loi de la République française des 16-24 Août 1790 sur l’organisation judiciaire.

Loi de la République Française n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations

des fonctionnaires.

Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 de la République française dite « loi Gayssot ».

Loi de la République française d’orientation et de programmation relative à la sécurité du

21 Janvier 1995.

- DE DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

Le pacte international relatif aux droits civils et politiques : commentaires article par

article (Présenté par Emmanuel DECAUX), Économica, Paris, 2008.

OBERDOFF (Henri) et ROBERT (Jacques), Libertés fondamentales et droits de

l’homme : textes français et internationaux, 12ème éd., Montchrestien-Lextenso

éditions, Paris, 2014.

6/ DICTIONNAIRES, ENCYCLOPÉDIES, VOCABULAIRES ET LEXIQUES

ALLAND (Denis) et RIALS (Stéphane), Dictionnaire de la culture juridique, 1ère éd.,

PUF, Paris, 2003.

Page 514: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

515

ANDRIANTSIMBAZOVINA (Joël), GAUDIN (Hélène), MARGUENAUD (Jean-

Pierre), RIALS (Stéphane), SUDRE (Frédéric), Dictionnaire des Droits de

l’Homme, P.U.F., Coll. « Quadrige », Paris, 2008.

AVRIL (Pierre) et GICQUEL (Jean), Lexique de droit constitutionnel, P.U.F.,

Coll. « Que sais-je ? », Paris, 2004.

CADIET (Loïc) (ss. la dir. de), Dictionnaire de la Justice, 1ère éd., P.U.F, Paris, 2004.

CHAGNOLLAUD (Dominique) et DRAGO (Guillaume), Dictionnaire des droits

fondamentaux, Dalloz, Paris, 2010.

CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, 10ème éd. mise à jour, P.U.F.,

Coll. « Quadrige », Paris, 2014.

ISSA- SAYEGH (Joseph) et NDIAYE (Birame) (ss.la dir. de), Encyclopédie juridique de

l’Afrique, Tome huitième : Droit des relations professionnelles (Travail, sécurité

sociale et fonction publique), Les Nouvelles Éditions Africaines, Abidjan-Dakar-

Lomé, 1982.

LALANDE (André), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 10ème éd. revue

et augmentée, Coll. « Société française de philosophie », Paris, 1962.

ROLAND (Henri), Lexique juridique des expressions latines, 4ème éd., LexisNexis,

Coll. « Objectif Droit », Paris, 2014.

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516

INDEX THEMATIQUE

Page 516: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro To cite this version

517

Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes.

A

Adéquation : 488, 489, 490.

Allégation : 597

Amendement : 367

Arrestations arbitraires : 109, 204, 274, 279, 316, 317

Autorité :

- administrative : 146, 288, 292, 302, 315, 317, 334

- de police administrative : 41, 107, 348, 424, 427, 482, 483, 550, 701

- judiciaire : 271, 334, 354, 357, 655

B

Blasphème : 444

C

Caricature : 437, 442, 443, 541

Citoyen : 41, 57, 123, 130, 202, 208

Clarté de la mesure de restriction : 459, 460, 461, 462, 464

Comparaison : 63

Constitutionnalisme : 4, 51, 61, 62, 70, 80, 96, 116, 141, 155, 197, 225, 333, 403.

Contrôle :

- de constitutionnalité : 155, 398, 401, 402, 403, 405, 674, 717

- de légalité : 425

Corruption : 377, 568, 569, 667, 669, 670

D

Délit d’offense : 554, 556, 557, 563, 564, 567, 568, 626

Démocratie : 18, 21, 62, 65, 71, 80, 84, 114, 141

Détournement de pouvoir : 428, 494

Dépendance économique : 377

Dérogation : 41, 422, 484

Droit :

- à l’honneur : 257, 262

- à l’humour : 441, 442, 443

- de grève : 70, 221, 225

- à la sécurité : 41, 680, 683, 687, 689, 691

- fondamental : 41, 63, 77, 90, 219, 224, 226, 253, 297, 311, 333, 409, 413, 430

- subjectif : 41, 117, 426, 509, 545, 687, 688, 690, 691, 692, 695, 698, 704

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518

E

Equité : 352, 505, 543, 544, 692

Espace public : 240, 243, 252, 444, 454, 529, 614

Etat d’urgence : 112, 312

Ethnie : 96, 178, 180, 181, 183, 184, 261

Excès :

- de pouvoir : 302, 352, 480, 539

- dans l’exercice de la liberté d’opinion : 532, 539, 599

F

Finalité : 297, 447, 510, 521, 522, 523, 525.

Fonctionnaire : 246, 247, 248, 249, 268, 281, 283

I

Immoralité : 26

Impartialité : 251, 282, 353, 376, 379, 380, 599,

Influence : 380

Injure : 258, 262, 263, 264, 592

Intérêt général : 294, 295, 297

Interprétation : 78, 155, 337, 359, 418, 420, 422, 452, 462, 465, 466, 467, 479, 495, 517, 520

Invective : 264, 266, 267, 592

J

Justice : 351, 352

L

Liberté :

- d’association : 219, 221, 222, 478

- de communication : 20, 22, 100, 129, 310, 332, 623, 630, 721

- d’expression : 19, 21, 127, 169, 169, 211, 249, 310, 332, 428, 436, 437, 441, 443, 446, 447, 502

- de la presse : 22, 211, 256, 259, 262, 277, 332, 333, 554, 559, 564, 624

- de manifestation : 127, 299, 311, 313, 478, 479

- de réunion : 212, 221, 302, 311

- publique : 63, 118

Limitation : 24, 39, 43, 56, 150, 156

M

Marge d’appréciation : 90, 171, 233, 243, 243, 244, 423

Multipartisme : 59, 70, 99, 186

O

Objectif de valeur constitutionnelle : 24, 64, 131, 164

Opinion publique : 207,258, 264, 437, 624

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519

Outrage : 263, 266, 557, 583, 584, 585

P

Partis politiques : 62, 128, 129, 182, 212, 636, 637, 638, 639, 640, 641, 648, 651

Parti unique : 85, 93, 97, 98, 113, 145

Pouvoir discrétionnaire : 423, 424, 425, 426, 487, 430

Présidentialisme : 80, 84, 102

Principe :

- constitutionnel : 412, 421, 450, 718, 719

- d’égalité : 217, 245, 260, 280, 287, 409, 412, 413

- de laïcité : 191, 194, 234, 235, 243, 244, 246, 250, 251

- de proportionnalité : 302, 345, 425, 487, 488, 489, 491, 492, 493

Provocation : 540

Puissance publique : 46, 92, 345, 423, 492

R

Religion : 189, 190, 231, 232

S

Sécurité : 24, 27, 30, 32, 49

U

Utilité commune : 6, 416, 476

V

Valeurs morales : 308, 550

Vide constitutionnel : 89, 90, 91

Vide juridique : 89, 90, 96

Voie de fait : 264, 430

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520

INDEX DE LA JURISPRUDENCE

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Les décisions sont répertoriées dans l’ordre chronologique

Les numéros renvoient aux paragraphes Les numéros en caractère italique renvoient aux notes de bas de page

JURISPRUDENCE BENINOISE

Décision D.C.C. 96-060 du 26 septembre 1996 396

Décision D.C.C. 96-067 du 21 octobre 1996 419, 814

Décision D.C.C. 97-019 du 06 mai 1997 237

Décision D.C.C. 97-033 du 10 juin 1997 376, 699, 700

Décision D.C.C. 97-039 du 07 juillet 1997 237, 431

Décision D.C.C. 00-041 du 29 juin 2000 491, 945

Décision D.C.C. 00-049 du 31 Août 2000 237, 431

Décision D.C.C. 01-009 du 11 Janvier 2001 396

Décision D.C.C. 03-134 du 21 août 2003 402, 520, 564, 571

Décision D.C.C. 03-140 du 25 septembre 2003 237, 431

Décision D.C.C. 06-047 du 05 avril 2006 520, 1009

Décision D.C.C. 06-074 du 8 juillet 2006 1357

Décision D.C.C. 07-170 du 27 décembre 2007 491, 945

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522

Décision D.C.C. 08-018 du 04 février 2008 491, 945

Décision D.C.C. 08-034 du 03 mars 2008 237, 431

Décision D.C.C. 12-138 du 28 juin 2012 478, 929

Décision D.C.C. 13-071 du 11 juillet 2013 769

Décision D.C.C. 14-006 du 14 janvier 2014 419, 813

Décision D.C.C. 15-023 du 12 février 2015 419, 815

JURISPRUDENCE IVOIRIENNE

C.S.C.A., 11 décembre 1970, Ody Yapi c./ ministère de la Fonction publique 817

C.S.C.A., 28 octobre 1992, Arrêt n° 32, 92-06 A.D 480, 931

C.S.C.A, 24 juin 1998, Chérif Vahivoua c/ Ministère des ressources minières et pétrolières 480,932

JURISPRUDENCE SENEGALAISE

Conseil constitutionnel, décision n° 11/93 du 23 juin 1993 235, 417, 803

Conseil constitutionnel, décision n°2/C/94 du 27 juillet 1994 419

Conseil constitutionnel, décision n°1/E/ 2000 456, 892

Arrêt n° 35 du 13 octobre 2011, Alioune TINE c/ État du Sénégal 649

JURISPRUDENCE FRANÇAISE

I) JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

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523

C.E., Ass., 10 mai 1912, Abbé Bouteyre 251, 460

C.E., 8 août 1919, Labonne 347, 634

C.E., 19 mai 1933, Benjamin 310, 566, 931

C.E., 29 janvier 1937, Sté Zed 26, 83

C.E., 08 décembre 1948, Demoiselle Pasteau 284, 516

C.E, Sect., 3 mars 1950, Demoiselle Jamet 249, 456

C.E., Ass., 28 mai 1954, Barel 284, 515

C.E., 1er octobre 1954, Guille 284, 517

C.E., 23 octobre 1959, Doublet 547

CE., Sect., 18 décembre 1959, Société Les Films Lutétia 538, 1032

C.E., 24 avril 1963, Durrieu 284, 518

Cass. Ass. Plén., 19 mai 1978, Dame Roy c./ Institution Sainte-Marthe 286, 521

C.E. Ass., 27 octobre 1995, Commune Morsang-sur-Orge 538, 1031

C.E Ass., avis, 24 octobre 1997, Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Riom 238, 433

C.E. sect., 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France 654, 1241

C.E., Juge des référés, 9 janvier 2014, Ministère de l’intérieur c/ Société Les Productions

de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala 302

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524

II) JURISPRUDENCE CIVILE

Cass. Civ., 14 août 1882 511, 992

C.A. Versailles, Ch. Réunies, 21 mars 1990 470

III) JURISPRUDENCE SOCIALE

Cass. soc., 19 mars 2013, Mme Fatima Laouej c/l’association BabyLoup 286, 522

IV) JURISPRUDENCE PENALE

Cass. crim., 4 mars 1831 1070

Cass. Crim, 24 juillet 1884 574, 1108

Cass. crim., 3 août 1901 510, 988, 1046

Cass. crim., 30 déc. 1904 510, 988

Req., 24 avril 1914 510, 988

Cass. Crim., 24 janvier 1920 510, 988

Cass. crim., 23 juillet 1925 1124

Cass. Crim., 22 novembre 1934 466

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525

Cass. Crim., 5 janvier 1935 574, 1108

Cass. crim., 26 avril 1952 579, 1116

Cass. crim., 25 juin 1953 580, 1118

Cass. crim., 19 janvier 1954 580, 1118

Cass. Crim., 21 décembre 1966 1076

Cass. Crim., 17 février 1981 262, 489

Cass. crim., 15 mars 1983 597, 1142

T.G.I. Paris, 17ème Ch. correctionnelle, 9 janvier 1992 865

Cass. crim., 30 mai 1996 1140

Cass. crim., 14 janvier 2003 1112

Cass. crim., 14 février 2006 502, 964

T.G.I. Paris, 11ème Ch. correctionnelle, 22 mars 2007, L’affaire des caricatures de Mahomet: Liberté de caricature et respect des croyances 437, 853, 542, 1049

T.G.I. Paris, 17ème Ch. correctionnelle, 22 mars 2007, Sté des Habous et des lieux saints de

l’Islam et a. c./ Philippe Val et Sté Éditions Rotative 443, 858

V) JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE

C.C., décision n°71-44 D.C. du 16 juillet 1971 31, 107, 417

C.C., décision n°73-49 D.C. du 17 mai 1973, Résolution tendant à modifier certains articles du règlement du Sénat 538, 1033

C.C., décision n°73-51 DC du 27 décembre 1973, Taxation d’office 417

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526

C.C., décision n°82-141 D.C. du 27 juillet 1982, Loi du 29 juillet 1982 sur la

communication audiovisuelle 68, 82, 239

C.C., décision n° 84-181 D.C des 10-11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse

310, 565

C.C., décision n° 86-210 D.C. du 29 juillet 1986, Régime de la presse 623

C.C., décision n° 86-217 D.C. du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication 511, 524, 633, 1216

C.C., décision n°91-290 D.C. du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité

territoriale de Corse 324

C.C., décision n°96-373 D.C. du 09 avril 1996, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française 654, 1242

C.C., décision n°99-421 D.C. du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnance, à l’adoption de la partie législative de

certains codes 470, 918

C.C., décision n° 2004-500 D.C. du 29 juillet 2004, Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales 462, 909

C.C., décision n°2005-514 D.C., 28 avril 2005, Loi relative à la création du registre

international français 464, 910

C.C., décision n°2005-530 D.C. du 29 décembre 2005, Loi de finances de 2006 472, 923

C.C., décision n°2010-613 D.C. du 07 octobre 2010, Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public 244, 544, 250, 458

C.C., décision n°2010-93 Q.P.C. du 4 février 2011, Comité Arkis et Vérité (Allocation de

reconnaissance) 421, 823

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527

C.C., décision n° 2014-401 Q.P.C. du 13 juin 2014, M. David V. (Recours au contrat de travail à durée déterminée et exclusion de l’indemnité du versement de fin de contrat)

421, 823

C.C., décision n° 2014-422 Q.P.C. du 17 octobre 2014, Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT-Taxis 421, 823

C.C., décision n°2014-447 Q.P.C. du 6 février 2015, Époux R. (effets du plan de

redressement judiciaire à l’égard des cautions) 421, 822

JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE ALLEMANDE

BVerfGE, 23 octobre 1951 413, 785

BVerfGE , 30 mars 1952 421, 820

BVerfGE, 7 mai 1953 421, 819

BVerfGE, 16 mai 1995 455

BVerfGE 10 octobre 1995 9, 22

BVerfGE, 24 septembre 2003 248, 448

BVerfGE, 26 février 2015 1120

JURISPRUDENCE EUROPEENNE

C.E.D.H, 26 avril 1979, Sunday Times c./ Royaume-Uni 916

Comm. EDH, 11 janvier 1961, Autriche c./ Italie 169, 311

C.E.D.H., 8 juillet 1986, Lingens c./Autriche 624, 1200

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528

C.E.D.H., 16 décembre 1992, Geouffre de Lapradelle c./ France 659, 1251

C.E.D.H., 20 septembre 1994, Otto-Preminger-Institut c./ Autriche 447, 863

C.J.C.E, 8 juillet 1999, Nunes et de Matos 950

C.J.C.E., 7 décembre 2000, Andrade 950

C.E.D.H., 11 janvier 2005, Phull c. / France 244, 443

C.E.D.H., 14 février 2008, July et SARL Libération c./ France 261, 481

C.E.D.H., 5 mars 2008, Morsli c./ France 244, 443

C.E.D.H., 6 novembre 2008, Leela Förderkreis E.V. et a c./ Allemagne 240

C.E.D.H., 18 mars 2011, Lautsi et autres c. / Italie 233, 421

C.E.D.H., 14 mars 2013, Hervé Éon c./ France 1066, 1097

.

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TABLE DES MATIERES

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SOMMAIRE .......................................................................................................................................... 7SIGLES ET ABREVIATIONS ............................................................................................................... 11INTRODUCTION ................................................................................................................................ 16

Section I : Les précisions terminologiques ................................................................................................. 20§ I : La liberté d’opinion ........................................................................................................................... 21

A- L’approche philosophique de l’opinion .......................................................................................... 22B- La distinction de la liberté d’opinion avec les autres libertés intellectuelles .................................. 25

§ II : L’ordre public sécuritaire ................................................................................................................ 29A- Une composante essentielle de l’ordre public ................................................................................. 30B- Une exigence constitutionnelle spécifique ...................................................................................... 34

§ III : Le concept de « conciliation » de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire .................. 36A. L’acception courante du concept de « conciliation » ........................................................................ 37B. La transposition du concept de « conciliation » en droit ................................................................. 38

Section II : L’intérêt de la recherche .......................................................................................................... 42§ I : La conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire, un fondement-objectif de

l’État de droit ..................................................................................................................................... 42§ II : La circonscription géographique de l’Afrique subsaharienne francophone .................................... 44

A. La communauté d’un héritage de protection des Droits de l’Homme ............................................. 451. L’attachement des États de l’Afrique subsaharienne francophone à la philosophie occidentale des droits de

l’Homme ......................................................................................................................................................... 452. La tentative de constitutionnalisation des droits et libertés ............................................................................... 47

B. La simultanéité des mutations constitutionnelles nationales ........................................................... 49Section III : La méthode d’analyse retenue ................................................................................................ 51

§ I : Une double approche comparative .................................................................................................... 52A. Une comparaison horizontale entre les États de l’Afrique subsaharienne francophone ................... 53B. Une comparaison verticale avec les grandes démocraties contemporaines ...................................... 55

§ II : La formulation de la problématique ................................................................................................ 56§ III : La structure de l’analyse ................................................................................................................. 57

PREMIERE PARTIE. LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DE L’EXIGENCE DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE .......................................... 59

Chapitre I. Entre négation politique et encadrement constitutionnel de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ………………………………………......................... 63Section I. D’une conciliation niée à une conciliation affirmée .................................................................. 67

§ 1. La négation de la conciliation inhérente à une démocratie inexistante ............................................. 67A. Un cadre institutionnel défavorable à l’exercice de la liberté d’opinion .......................................... 68

1. La méconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion ............................................................................ 692. L’instauration des systèmes de parti unique ...................................................................................................... 72

B. Le prétexte politique de la protection de l’ordre public sécuritaire ................................................... 761. L’ordre public sécuritaire, prétexte au renforcement de l’autorité politique ..................................................... 762. L’ordre public sécuritaire, prétexte à la censure de la liberté d’opinion politique ............................................ 78

§ 2. L’affirmation de la conciliation liée à la transition démocratique .................................................... 82A. La reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’opinion ............................................................. 83

1. La liberté d’opinion, une liberté de rang constitutionnel ................................................................................... 832. La liberté d’opinion, une liberté devenue fondamentale .................................................................................... 85

B. La modélisation de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ............... 891. La constitutionnalisation de la conciliation ....................................................................................................... 892. Les incertitudes de la conciliation ...................................................................................................................... 90

Section II. Le cadre juridique standard de la conciliation renforcée par des valeurs spécifiques ............. 95§ 1. Le cadre juridique standard de la conciliation : l’État de droit ......................................................... 96

A. L’adhésion systématique au contenu de l’état de droit ..................................................................... 961. Une adhésion de principe à l’Etat de droit formel ............................................................................................. 96

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2. Le contenu de l’État de droit ............................................................................................................................. 99B. La réception de l’héritage juridique international ........................................................................... 105

1. L’influence de l’internationalisation de la liberté d’opinion ........................................................................... 1062. L’influence de la régionalisation des droits et libertés .................................................................................... 108

§ 2. La particularité de la consécration constitutionnelle de la liberté d’opinion .................................. 112A. La prise en compte constitutionnelle de la diversité ethnique ...................................................... 113

1. La constitutionnalisation de la diversité ethnique ........................................................................................... 1132. L’interdiction constitutionnelle d’instrumentalisation de la diversité ethnique .............................................. 116

B. L’encadrement constitutionnel de la diversité religieuse ................................................................ 1191. La constitutionnalisation de la diversité religieuse ......................................................................................... 1192. L’interdiction d’instrumentalisation de la diversité religieuse ........................................................................ 120

CONCLUSION DU CHAPITRE I ...................................................................................................................... 123Chapitre II. De l’exigence de conciliation à l’impérieuse nécessité de maintenir l’ordre public

sécuritaire ........................................................................................................................................... 125Section I. Une conciliation protégeant les principales composantes de la liberté d’opinion .................. 129

§ 1. Les opinions protégées .................................................................................................................... 129A. La liberté d’opinion politique ......................................................................................................... 130

1. Une prérogative fondamentale du citoyen ....................................................................................................... 1302. Une liberté dépendante d’autres formes de liberté .......................................................................................... 133

B. La liberté d’opinion syndicale ......................................................................................................... 1361. Une prérogative fondamentale du travailleur .................................................................................................. 1372. Le régime juridique de la liberté d’opinion syndicale ..................................................................................... 141

c. La liberté d’opinion religieuse ......................................................................................................... 1441. La liberté de croyance .................................................................................................................................. 1452. La liberté de manifester ses croyances ............................................................................................................ 149

§ 2. Les limites liées aux exigences de conciliation des droits et libertés ............................................. 154A. Les tempéraments à l’expression de la liberté d’opinion .............................................................. 154

1. Dans l’espace public ........................................................................................................................................ 1552. Dans les services publics ................................................................................................................................. 158

B. Les opinions attentatoires à l’honneur et à la considération des personnes .................................. 1631. La diffamation .............................................................................................................................................. 164

a. Les fondements de la sanction de l’acte diffamatoire ............................................................................... 164b. La répression de la diffamation ................................................................................................................. 165

2. L’injure ............................................................................................................................................................ 170Section II. L’impérieuse nécessité de maintenir l’ordre public sécuritaire ............................................. 175

§ 1. Un maintien à concilier avec le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions ............................. 175A. L’interdiction constitutionnelle du délit d’opinion ......................................................................... 176B. L’interdiction constitutionnelle des discriminations fondées sur l’opinion .................................... 180

1. Une interdiction protégeant le personnel des services publics ........................................................................ 1802. Une interdiction protégeant les usagers des services publics .......................................................................... 184

§ 2. Une conciliation à relativiser pour la sauvegarde de l’ordre public sécuritaire .............................. 186A. La prééminence de la protection permanente de l’ordre public sécuritaire .................................... 187

1. Une prééminence qui assure la satisfaction de l’intérêt général .................................................................. 1872. Une prééminence qui oblige l’État à agir ........................................................................................................ 191

B. La protection relative de la liberté d’opinion .................................................................................. 194CONCLUSION DU CHAPITRE II ..................................................................................................................... 201

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ........................................................................................ 203DEUXIEME PARTIE. LES GARANTIES JURIDIQUES DE CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION

AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE ..................................................................................... 205Chapitre I. Les garanties institutionnelles de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire ........................................................................................................................................... 209Section I. La séparation des pouvoirs classiques, technique de préservation de la conciliation de la

liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ................................................................................ 213§ 1. La distinction classique des pouvoirs-fonctions ............................................................................. 214

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A. La fonction législative dans la mise en œuvre de la conciliation .................................................... 2151. Le titulaire de la fonction législative ............................................................................................................ 2152. Les enjeux de la fonction législative pour l’exercice de la liberté d’opinion .................................................. 217

B. La fonction exécutive de conciliation dans la mise en œuvre de la conciliation ............................. 2201. Le titulaire de la fonction exécutive ................................................................................................................. 2212. Une spécificité de la fonction exécutive : la police administrative .................................................................. 223

C. La fonction de juger dans la mise en œuvre de la conciliation ..................................................... 2261. Le titulaire de la fonction de juger ................................................................................................................... 2262. L’institution juridictionnelle, pouvoir ou autorité ? ..................................................................................... 229

§ 2. L’aménagement constitutionnel de la séparation des pouvoirs ....................................................... 232A. Le choix constitutionnel d’une séparation des pouvoirs ................................................................. 233

1. La collaboration organique .............................................................................................................................. 2332. La collaboration fonctionnelle ......................................................................................................................... 235

B. Le choix d’une séparation organique des pouvoirs ......................................................................... 237C. L’unanimité constitutionnelle de l’indépendance du pouvoir juridictionnel ................................... 238

1. L’indépendance statutaire du pouvoir juridictionnel .................................................................................... 2392. L’indépendance fonctionnelle du pouvoir juridictionnel ............................................................................. 242

Section II. L’aménagement spécifique d’un pouvoir novateur : la juridiction constitutionnelle ............ 247§ 1. La composition de la juridiction constitutionnelle .......................................................................... 249

A. Le mode de désignation des membres des juridictions constitutionnelles .................................... 249B. La sociologie des juridictions constitutionnelles ........................................................................... 252

§ 2. La mise en œuvre de la justice constitutionnelle ............................................................................. 256A. La saisine de la juridiction constitutionnelle ................................................................................... 256B. La portée du contrôle exercé par la juridiction constitutionnelle .................................................... 261

CONCLUSION DU CHAPITRE I ....................................................................................................................... 265Chapitre II. Les garanties matérielles de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public

sécuritaire ............................................................................................................................................ 267Section I. Les principes constitutionnalisés renforçant l’exercice de la liberté d’opinion ...................... 271

§ 1. Le respect du principe d’égalité ...................................................................................................... 271A. Un principe clairement affirmé ....................................................................................................... 272

1. Dans les textes constitutionnels ....................................................................................................................... 272a. Une application générale de principe ............................................................................................................. 273b. Les interdictions expresses des discriminations fondées sur les opinions ..................................................... 276

2. Dans la jurisprudence constitutionnelle ........................................................................................................... 278B. Le principe d’égalité au prisme du pouvoir discrétionnaire de l’autorité de police administrative 283

§ 2. Le respect du principe de laïcité dans l’encadrement de la liberté d’opinion religieuse ................. 287A. La signification constitutionnelle du principe de laïcité ................................................................. 288

1. La neutralité religieuse de l’État ...................................................................................................................... 288a. La neutralité religieuse au sens strict ............................................................................................................. 289b. La neutralité religieuse de l’État face à l’émergence d’une société pluri-religieuse ................................. 290

2. Le respect des croyances .................................................................................................................................. 292B. Le principe de laïcité en Afrique subsaharienne francophone ........................................................ 297

1. Un principe constitutionnel aux contours indéterminés ................................................................................... 2982. Les carences du dispositif juridique de protection du principe de laïcité ........................................................ 301

Section II. La sécurité juridique, un principe en voie de constitutionnalisation pour le renforcement de la protection de la liberté d’opinion ....................................................................................................... 305

§ 1. La construction d’une légistique formelle ....................................................................................... 306A. L’exigence constitutionnelle de clarté de la norme restrictive de la liberté d’opinion ................... 307

1. Les sources de l’exigence de clarté de la norme restrictive ............................................................................. 3072. La signification de l’exigence de clarté de la norme restrictive ....................................................................... 308

B. L’exigence constitutionnelle d’intelligibilité de la mesure restrictive de la liberté d’opinion ........ 3111. Les sources de l’exigence de l’intelligibilité de la mesure de restriction ........................................................ 3112. La signification de l’intelligibilité de la norme de restriction .......................................................................... 312

§ 2. L’adaptation des mesures de restriction de la liberté d’opinion aux fins d’intérêt général ............. 313A. La nécessité de la mesure restrictive de la liberté d’opinion ........................................................... 314

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1. Le critère de la justification de la mesure restrictive ....................................................................................... 3142. L’exceptionnelle atteinte à la liberté d’opinion ............................................................................................... 317

B. La proportionnalité de la mesure restrictive de la liberté d’opinion ............................................... 3201. Le critère de l’adéquation de la mesure restrictive .......................................................................................... 3212. Une limite à la sévérité de la mesure restrictive .............................................................................................. 323

CONCLUSION DU CHAPITRE II ..................................................................................................................... 325CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ....................................................................................................... 327

TROISIEME PARTIE. LES LIMITES A LA CONCILIATION DE LA LIBERTE D’OPINION AVEC L’ORDRE PUBLIC SECURITAIRE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE FRANCOPHONE .................. 329

Chapitre I. Les insuffisances de la qualification juridique des actes sanctionnables découlant de la liberté d’opinion ................................................................................................................................. 333

Section I. L’indétermination de la notion d’ « abus » de la liberté d’opinion ......................................... 337§ 1. Les critères de la détermination de l’abus de la liberté d’opinion .................................................. 338

A. Les critères d’origine civiliste de l’abus de droit ............................................................................ 3391. Les origines civilistes de l’abus ....................................................................................................................... 3392. La détermination des critères civilistes de l’abus ............................................................................................ 340

B. les critères d’origine constitutionnelle de l’abus de la liberté d’opinion ........................................ 3421. L’énoncé du problème ..................................................................................................................................... 3432. Les origines constitutionnelles de l’abus de la liberté d’opinion .................................................................... 3453. L’identification des critères constitutionnels .................................................................................................. 346

a. L’inadéquation de l’exercice de la liberté d’opinion par rapport à sa finalité sociale .............................. 347b. L’impact de l’exercice de la liberté d’opinion sur l’ordre public sécuritaire ............................................... 350c. Le caractère anormal ou excessif de la liberté d’opinion .............................................................................. 351

§ 2. Un essai de modélisation de la liberté d’opinion à partir des critères combinés ............................ 353A. La primauté des critères objectifs tenant à la légalité de l’exercice de la liberté d’opinion ........... 353

1. La contrariété de l’exercice de la liberté d’opinion avec l’intention du constituant ....................................... 3542. La complémentarité des prescriptions du législateur pénal et de l’intention du constituant ........................... 356

B. L’intérêt des critères subjectifs tenant à la légitimité de l’exercice de la liberté d’opinion ............ 3591. La moralité du droit, indice d’appréciation de l’abus de la liberté d’opinion ................................................. 3602. Les valeurs éthiques de la société considérée, limites intrinsèques de la liberté d’opinion ............................ 362

Section II. Les incertitudes de la « critique envers la chose publique » .................................................. 367§ 1. L’interprétation extensive du délit d’offense au chef de l’État ....................................................... 367

A. La notion d’offense au Chef de l’État ............................................................................................. 3681. Les éléments constitutifs du délit d’offense au Chef de l’État ........................................................................ 3682. La sanction du délit d’offense au Chef de l’État ............................................................................................. 372

B. La subjectivité de l’appréciation du délit d’offense au Chef de l’État ............................................ 375§ 2. L’approximation de l’appréciation des critiques envers les autres institutions publiques .............. 378

A. La détermination des institutions publiques ................................................................................... 3791. Les autorités publiques protégées .................................................................................................................... 3792. Les personnes morales institutionnelles .......................................................................................................... 381

B. La qualification juridique des critiques incriminées ....................................................................... 3831. Les outrages ..................................................................................................................................................... 3832. Les injures ....................................................................................................................................................... 3883. Les diffamations .......................................................................................................................................... 390

CONCLUSION DU CHAPITRE I ........................................................................................................ 392Chapitre II. Les lacunes des garanties juridiques de conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre

public sécuritaire ................................................................................................................................ 395Section I. Les répercussions de la relativité des garanties institutionnelles sur la liberté d’opinion ...... 399

§ 1. Une liberté d’opinion politique tributaire de la primauté du Chef de l’État ................................... 399A. Une primauté déduite des dispositions constitutionnelles .............................................................. 400

1. Le mode de désignation du Président de la République .................................................................................. 4012. Le statut constitutionnel du Président de la République ................................................................................. 4033. La subordination des contre-pouvoirs ............................................................................................................. 406

B. Une primauté présidentielle défavorable à l’égalité de traitement des opinions politiques ............ 409

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1. L’inégalité de traitement des opinions politiques dans la presse ..................................................................... 4102. L’inégalité de traitement des opinions politiques dans la presse audiovisuelle ............................................... 415

§ 2. Les vicissitudes de la séparation des pouvoirs ................................................................................ 417A. L’émergence d’un parti politique dominant .................................................................................... 417B. L’influence du parti politique dominant sur la configuration des rapports entre les organes exécutif

et législatif ..................................................................................................................................... 420§ 3. De l’efficacité du service public de la justice à protéger la liberté d’opinion ................................. 424

A. L’infléchissement des principes de fonctionnement du service public de la justice ..................... 4241. De l’accessibilité au service public de la justice .............................................................................................. 4252. De la gratuité du service public de la justice ................................................................................................... 429

B. L’impopularité du juge .................................................................................................................. 4321. L’indépendance réelle ou supposée du juge ................................................................................................. 4322. Les compétences professionnelles du juge ................................................................................................... 435

Section II. Les répercussions d’un potentiel droit fondamental à la sécurité sur la liberté d’opinion ..... 437§ 1. La notion de sécurité au sein les normes supralégislatives ............................................................. 438

A. La recherche d’une assise constitutionnelle d’un droit fondamental à la sécurité .......................... 438B. La recherche d’une assise conventionnelle d’un droit fondamental à la sécurité ........................... 441

§ 2. La sécurité, un droit subjectif ? ....................................................................................................... 443A. L’exigibilité de la protection d’un droit à la sécurité ...................................................................... 443B. La nature de l’obligation de protection du droit à la sécurité pesant sur l’État ............................... 446

§ 3. La concurrence de deux normes constitutionnelles : liberté d’opinion et sécurité .......................... 449Conclusion du Chapitre II ........................................................................................................................ 451

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE ...................................................................................................... 452CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................... 453

§ 1. L’importance du droit à l’éducation pour la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ......................................................................................................................................... 457

§ 2. Repenser la nature de la conciliation de la liberté d’opinion avec l’ordre public sécuritaire ......... 461BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 467INDEX THEMATIQUE ...................................................................................................................... 516INDEX DE LA JURISPRUDENCE ............................................................................................................. 520TABLE DES MATIERES .................................................................................................................... 529