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Par dela le Boubou et la Cravate: Pour une Sociologie de L'innovation politique en Afrique Noire Author(s): Denis Martin Source: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol. 20, No. 1 (1986), pp. 4-35 Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African Studies Stable URL: http://www.jstor.org/stable/484693 . Accessed: 14/06/2014 11:50 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Taylor & Francis, Ltd. and Canadian Association of African Studies are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.113 on Sat, 14 Jun 2014 11:50:05 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Par dela le Boubou et la Cravate: Pour une Sociologie de L'innovation politique en AfriqueNoireAuthor(s): Denis MartinSource: Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Vol.20, No. 1 (1986), pp. 4-35Published by: Taylor & Francis, Ltd. on behalf of the Canadian Association of African StudiesStable URL: http://www.jstor.org/stable/484693 .

Accessed: 14/06/2014 11:50

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Par dela le Boubou et la Cravate: Pour une Sociologie de l'innovation politique en Afrique Noirel

Denis Martin

Abstract When attempting to depict and analyse the political realities of the African continent, one is faced with a general state of fluidity, of constant transforma- tions. African politics has been shaped by colonialism and the many reactions

to it built on traditional political situations very often filtered through kinship

relationships. The most helpful theoretical frameworks to "read" the African

political dynamics talk about pluralism, dynamism, and multiple causality. Those theoretical perspectives give the lead to a new sociological approach, a

sociology of innovation, which puts emphasis on the originality of the African political dynamics instead of looking at it through a Western definition of the

state.

"Ainsi, il peut bien y avoir plusieurs thdories differentes se rapportant aux memes faits, comme il y a autant de perspectives correctes que I'on veut du meme geometral." MANNONI 1982, 28

"Dans ces r6flexions sur le multiple, sur le m6lange, sur les ensembles barioles, nues, tigres, zebres, sur la foule, j'ai tente de penser un nouvel objet, multiple dans I'espace et mobile dans le temps, instable et fluctuant comme une

flamme, relationnel."

SERRES 1982, 152

Introduction

"Zombi, 6 zombi Le zombi ne parlera pas si vous ne lui dites pas de parler Le zombi n'ira pas si vous ne lui dites pas d'aller Le zombi ne viendra pas si vous ne lui dites pas d'aller Le zombi ne va pas penser si vous ne lui dites pas de penser" (Fela Anikulapo-Kuti, "Zombie." Disque Polydor-Nig6ria 1077)

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La guitare reprend sans cesse un court motif melodico-rythmique, les vents ont hume le parfum du rhythm and blues mis naguere en boite a Memphis ou a Detroit, les paroles que profere Fela Anikupalo-Kuti denoncent

l'alienation et la zombification des Africains qui marchent comme des

petits soldats commandos d'ailleurs. On entend ici une conjonction remar-

quable d'appel contestataire et de musique, ne correspondant A rien de deji etalonn&. L'innovation musicale porte A la surface le bouillonnement social dont toute la societ6 subit I'effet; elle est, non pas simplement parce que les mots se veulent rebellion mais parce qu'ils sont indissociables d'une organi- sation globale du son oui s'entremrlent de multiples projets creatifs.

La musique, ainsi comprise, dit souvent plus, bien qu'on ait tendance A l'entendre moins. Mais elle n'est pas seule A nous parler du mouvement social. Fela se presente comme un correspondant des anciens esprits yoruba (Moore 1982). Il nous renvoie, sans le savoir peut-etre, a ces jeunes combat- tants de la ZANLA zimbabw6enne, mobilises pour liberer leur terre, parfois frottes d'un socialisme scientifique, puis6 A des sources surtout chinoises,

qui cherchaient orientation tactique et avis quant A la place des caches

d'armes, aupres d'une vieille femme, m6dium de Nehanda (Martin and John- son 1981, 49-50, 73-78). Cette imbrication d'une croyance ancienne dans des situations inedites, de la capacit6 premiere A impulser des comportements dans les secondes ne releve pas simplement de l'anecdotique ou du folklore.

Ce qu'on voit A l'oeuvre dans ces rencontres, c'est l'6mergence de langages politiques nouveaux, capables de rendre compte dans l'ordre du previsible et du comprehensible de ce qui a priori semble imprevisible et absurde, capa- bles de maitriser et finalement de permettre l'action.

Ces langages en Afrique sont, de necessit6, composites. Le choc colonial, comme rencontre de cultures sous le signe de la violence, en a provoqu6 la

creation; ils melent les ordres, les r6ferents, passent des uns aux autres, sans solution de continuite, sans non plus integrer les uns dans les autres, plut6t comme bruit de fond, rumeur d'oiI, a la faveur d'une fluctuation particuliere pourra sortir le jusqu'alors inoui (Serres 1982).

Un dernier exemple. L'annee 1983 fut, au Kenya, le temps de la chute de Charles Njonjo. Ancien Attorney General, ministre des affaires constitu-

tionnelles, associe du groupe Kenyatta, artisan, parmi d'autres, de l'avenement de Daniel Arap Moi, son image de marque 6tait celle d'un

negatif de Lord anglais et lui valait A l'occasion l'interpellation derisoire de Sir Charles. Son ambition etait connue, son pouvoir semblait inendiguable. Ii a pourtant chu. Or, au depart de l'engrenage qui mena A sa defaite, il y eut un evenement assez peu politique en apparence mais qui, s'inscrivant dans la culture politique forgee au Kenya depuis l'independance, pouvait faire effet de detonateur: un dimanche matin, en une 6glise presbyterienne de la Province centrale, un sermon oui la parabole et les images des proverbes

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anciens se recouvraient de telle sorte que nombre de K6nyans y entendirent une demolition allegorique du President Moi.

Alors, pendant de longs debats parlementaires, au fil des colonnes de jour- naux, le langage de l'oralite classique, celui de la Bible et celui de la politique "moderne" furent conjointement mis en jeu, dans une lutte pour le pouvoir d'Etat, afin de mobiliser des appuis, tout en rendant cet affrontement

tolerable, decryptable dans un pays aux multiples cultures oiL la division se dit ordinairement sous le couvert de l'unit6 (The Weekly Review, 17 et 24

juin 1983). Par trois fois, et l'on aurait pu multiplier les illustrations, nous nous

sommes done trouves devant des phenomenes politiques dont l'analyse pol- itologique classique a du mal A rendre compte, dont elle ne perqoit le plus souvent qu'un seul aspect et juge les autres impertinents pour cause de non conformite avec des modeles figes et ethnocentristes. Or ce qui frappe, c'est l'importance de ces nouvelles tonalites du politique; tonalite, pour suivre la

metaphore musicale, permet de comprendre que s'il y a bien concurrence

pour le pouvoir - donc politique dans le sens le plus gendralement accept6 - celle-ci se joue selon des regles, des assemblages, des combinaisons differentes. Si donc, il y a 1A objet d'investigation relevant de la "science pol- itique," les conditions dans lesquelles la discipline s'est formee, ses caracteres propres, son sens d'une harmonie qui est peut-etre restreinte a certaines aires culturelles lui posent un probleme lorsqu'elle doit s'interesser a l'Afrique. D'autant plus que l'illusion de conformite

metropolitaine tend A s'estomper au fur et A mesure qu'on s'6loigne de l'ere des independances. C'est ce que, d'un autre point de vue, constate Goran Hyden lorsqu'il 6crit:

Quiconque a suivi la vie politique africaine au cours des deux demieres decennies tombera probablement d'accord pour dire que les differentes tenta- tives faites pour la conceptualiser et la comprendre ont kt6 plut6t decevantes (1983, 33).

Ii faut sans doute partir de cette constatation; donc revenir aux realites, non pas en leurs aspects familiers mais au contraire en ce qu'elles ont de plus deroutant. I1 parait opportun de r6habiliter le bizarre comme exercice d'eveil du scientifique, etant entendu que le bizarre est subjectif, vu d'ailleurs par un individu ou un ensemble d'idees qui y ont leurs racines.

De ces trois evocations des nouveaux langages politiques africains, on peut tirer quelques indices susceptibles de servir de points de depart. Puis, en parlant de nouveaux langages, on essaiera d'aller du langage actuel vers le neuf en elargissant progressivement le champ de ses manifestations. Mais, pour le moment, qu'avons nous rencontr6?

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Des langages composites (une maniere de polytonalite) et distinctement

multiples: dans leur structure aussi bien que dans leur aptitude a transmet- tre: on dira done A la fois composites, pluriels et multiples meme si cela sonne redondant.

Ces langages fonctionnent, les cas cites pourraient en fournir la preuve, et

l'on peut 6mettre l'hypothese que s'ils fonctionnent, c'est parce qu'ils sont

composites, pluriels, multiples: ils parviennent a tre "parlant," "touchant" pour des populations de conditions diverses, partageant de multiples traits culturels.

Ils sont, en un premier temps, analysables comme des codes

polysemiques innoves a forte composante symbolique, transmettant des informations et des affects indissolublement lies mais encore susceptibles de lectures distinctes: ils peuvent tre requs et dechiffres (a l'interieur d'une

marge d'uniformit6 fluctuante) par des individus places en differentes instances de la realite sociale.

Dans cette perspective, il y a de fortes chances pour que le neuf apparaisse d'abord sous l'angle du relationnel: le symbole fait lien entre emetteur et

recepteur, tout en conservant A chacun sa liberte d'interpretation, a l'interieur d'un systeme qui les englobe tous deux et qui n'exclut pas even- tuellement la manipulation de symboles rendus vides (Mannoni 1982).

Cette mise en relation opere enfin dans la diachronie comme dans la syn- chronie, elle culbute le temps et cumule les temps; le neuf donne l'idee instantanee de l'innovation comme processus dynamique.

Quoi de neuf? Une fois poses ces points de repere, on peut essayer d'aborder plus globale- ment les phenomenes politiques de l'Afrique contemporaine, en conservant

l'eclairage particulier qu'ils envoient pour y retrouver ce qui releve de

dynamiques d'innovation acceptant des elements culturellement disparates dans un tout pertinent pour des groupes sociaux varies l'interieur d'un

systeme donne, dans un tout coherent en depit de son caractere pluriel.

FACE A L'INNOVATION POLITIQUE

Ainsi, meme ce que la science politique etait de prime abord le mieux capa- ble de couvrir, peut receler ces langages composites: elections, partis, Etat, par exemple, les requierent et qui plus est, se transforment sous leur effet. Le mecanisme electoral appartient au present de l'Afrique apres avoir 6t6 import6 par la colonisation; s'il n'est pas utilise, il est rare qu'il soit categoriquement repouss6 (Abeid Karume fut, A Zanzibar, un des seuls diri- geants A le recuser). Les observateurs l'ont d'abord envisage A partir de l'experience historique particuliere oiN il fut forge, definissant dans ce con- texte ses objectifs et ses fonctions. Puis ils durent constater qu'il y avait

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"derapage," que s'il subsistait en Afrique un discours classique sur les 1lec- tions, leur pratique, leur deroulement, leurs consequences 6taient en train de changer. Le dilemme fut alors de decider s'il s'agissait de "vraies" 1lec- tions, ou dans une terminologie plus jolie encore, d'1lections "sinceres" ou non. Ii fallut quelque temps avant qu'on accepte de regarder ces consulta- tions telles qu'elles se deroulent, en prenant acte de leurs implications, plut6t que de s'acharner a les faire cadrer avec des schemas pr4etablis ail- leurs.

Aux fonctions "classiques" des elections, il fallut en ajouter d'autres, ori- ginales; aux conceptions de leur organisation dans les democraties occiden- tales ou populaires, vinrent s'additionner des types insoupqonnes, tels ceux

qui institutionalisent une competition surveillee, avec pluralit6 de candida- tures endossee par un parti unique. Enfin, leur nature multiple fut mise en evidence: les elections en Afrique permettent de toucher (ce qui ne signifie pas mobiliser pour la participation) les differents secteurs de la population qui peuvent y saisir, dans le langage qui leur est propre, la mesure de leur influence sur les decisions qui les concernent et alors adopter le comporte- ment qu'ils jugent convenable (Martin 1975; CEAN / CERI 1978).

L'attention pret~e aux partis politiques africains suivit un itineraire a peu pres semblable: des typologies inspirees par les systhmes occidentaux ou socialistes a la constatation de leur inadaptation tournee en termes de con- damnation. Fleurirent alors les theories des "non-partis," les questionne- ments du type "Est-ce la fin des partis politiques en Afrique noire?" (Lavroff 1970, 121), avant qu'on en vienne a admettre l'irreductibilite des forces poli- tiques organisees en Afrique a des modeles empruntes ailleurs. L'idee de mode particulier de structuration d'un champ politique specifique impli- quant des r6les propres s'imposa (Bayart 1979; Coulon 1978) et les partis concrets furent replaces dans des analyses plus vastes, visant a demAler les reseaux de relations tisses autour du pouvoir.

Cette epoque de la science politique africaniste est tout particulierement

interessante: elle montre que ce n'est certes pas la reference a des

phenomenes nonafricains qui est dommageable, mais bien leur erection en modeles. Ainsi, I'exploration des theories traitant des machines (Bienen 1978), des clienteles (Lemarchand and Eisenstadt 1981), des factions (Belloni and Beller 1978), devait-elle d6boucher sur une conception globalisante des reseaux politiques africains.

Trop souvent en effet, les relations de pouvoir ont 6te presentees sous des

generiques exclusifs tels que tribalisme ou clientelisme, le premier portant les stigmates d'un passe archaique et nefaste, le second d'une pr6-modemit6 devant etre depassee. Une vaste etude de sociologie politique rurale comparee montrerait sans doute que l'important reside dans la transforma- tion des types de relations et de communications qui se produit lors du

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passage de communautes A la fois ouvertes, soumises A des 6changes intenses et aux frontieres perques comme proches, de communautes oui les contacts face A face informent la d616gation et le pouvoir, de communautes oiu l'autorite est soit relativement diffuse, soit relativement centralisee, mais contrebalancee par des mecanismes sociaux, generationnels, rituels ou

magiques, A des societes mediatisees, oiu l'autorite dominante est saisie comme distante et parfois arbitraire.

Ce passage n'est pas celui de la "tradition" a la "modernite," il se situe totalement dans ce que cette terminologie qualifierait d'epoque de la

modernite ou, pour mieux dire, dans l'actuel. Cela implique qu'un systeme politique enracine dans ces communautes, comme cela fut frequemment le cas au moment des independances africaines, mais dont les centres d'autorite sont necessairement implantes en ville doit jeter des passerelles rattachant les valeurs rurales en cours de transformation qui ont fourni les fondations de ses representations et l'energie de ses moyens de mobilisation, a la nouvelle culture urbaine qui s'amorce et l'entoure quand elle ne le

penetre pas. Ces passerelles auront ainsi tendance A s'appuyer sur les piliers que four-

nissent les solidarites de groupe d'origine (plut6t que le "tribalisme," tant il est vrai que selon les societes, ces solidarites fonctionnent d'abord au niveau des clans, des voisinages et des villages, des fractions ethniques, des tribus ou d'agregats de differents groupes dont les limites sont changeantes), les relations de clientele (Jobert 1983), les factions et les alliances qu'elles peu- vent former (Belloni and Beller 1978; Lemarchand A paraitre).

Reprenant les descriptions donnees du clientelisme par Rene Lemarc- hand (1981) et Christian Coulon (1978), on pourrait dire que ces reseaux ne constituent pas "un type specifique de structure sociale," mais plut6t un ensemble de pratiques sociales canalisant des echanges inegalitaires, en meme temps que fournissant un mecanisme de contr6le des classes subal- ternes. Ils forment des organisations pyramidales, donc transclassistes, informelles branchees sur plusieurs niveaux de competition pour le pouvoir et les ressources: de l'echelon local au national. Ils peuvent agreger des machines politiques locales, des groupes de clientele, des factions politiques nationales; des alliances conclues A la fois horizontalement (c'est-A-dire par exemple entre machines politiques locales) et verticalement (d'une machine locale A une faction nationale en passant, eventuellement, par une clientele). Les mecanismes de mobilisation peuvent ainsi utiliser les solidarites de groupe A differents

niveaux, aussi bien et en mime temps que les sentiments de classe, les interets economiques ou les affinites ideologiques; les coali- tions supposees contradictoires n'y sont pas exclues en fonction des condi- tions de la competition pour le pouvoir.

En bref, ces reseaux sont articules de sorte qu'ils peuvent fonctionner '

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differents niveaux de la societe en jouant sur les multiples registres (ou systemes de representations), legitimes ou non, inclus dans un espace poli- tique determine. Un type ideal cumulatif verrait des factions nationales

(composees de politiciens puissants et / ou d'entrepreneurs et/ou de mili- taires), se mettre en place sur la base d'interets economiques, utiliser des relations de clienteles leur apportant l'appui de "patrons intermediaires," s'appuyer sur des machines locales et mobiliser un soutien de masse en

lanqant, d'un c6te des appels A la conscience de classe, de l'autre des invita- tions A la solidarite d'origine.

On peut voir dans ces reseaux un schema qui n'est pas proprement afri- cain mais qui se realise de maniere particuliere (dans l'agencement de ses divers elements, notamment) en Afrique noire. On pourrait suivre le meme raisonnement en ce qui concerne le r6le des armees et les regimes militaires. Mais ceci est peut-etre mieux reconnu (Rouquie 1981). Ii vaut mieux evo-

quer ici le r6le de la religion comme sociabilite politique possible et conser- vatoire d'une morale opposable au pouvoir. L'allusion au Kenya, placee en

introduction, en fournit un exemple; l'etude des prophetismes et des

syncretismes religieux a mis en lumiere la symbiose du religieux et du poli- tique dans l'Afrique contemporaine (Balandier 197I, 2II; MacGaffey 1983,

9); on a pu montrer egalement comment les Eglises internationales et recon- nues pouvaient, sur un tel arriere-plan, jouer le r6le de forces politiques (Bayart 1973). Mais il faut sans doute faire attention de ne pas tomber dans le

piege qui ferait de la religion la seule voix de contestation; etant dans le poli- tique, elle est des deux bords et se prete a la defense comme a la defiance du

pouvoir. L'aventure ambigue du Kimbanguisme l'a montre et I'intrert dont beneficie l'islam africain contemporain a permis d'en preciser les conditions

(Coulon 1983).

VWcu des elections, partis, r6seaux, expressions religieuses balisent poli- tiquement l'espace et le temps africains. Ce pluriel social changeant, des recherches africanistes recentes en reconstituent la trame, les trames

combinees. Du c6te de l'economie, le debat a souleve la question du degre de

penetration du mode de production capitaliste, de son emprise au stade

actuel des formations sociales africaines. L'insistance sur l'existence d'un mode de production paysan, lie a une pratique affective de l'6conomie est, de ce point de vue, salutaire. Quelles que soient les r6serves que l'on puisse emettre quant a la qualification de "mode de production" au sens conven- tionnel, elle oblige A concevoir des relations qui sont a la fois de pouvoir et de production, d'6change, d'6chappatoire et de resistance, infiniment plus riches que les analyses en termes d'exploitation des campagnes par les villes ou de revolte ineluctable de la paysannerie. Toutefois, cette reconnaissance d'une maniere particuliere de vivre l'economie dans certaines paysanneries africaines doit resoudre la question de l'historicite de ce que Hyden a baptise

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"mode de production paysan" (i980, 1983). S'il s'agit, comme on croit par- fois le comprendre, d'une remanence issue des temps precoloniaux, il ne

parait guere pertinent aux societes d'aujourd'hui. S'il s'agit, par contre, d'une innovation para-capitaliste, c'est-a-dire suscitee par la penetration du mode de production capitaliste, mais p6ripherique a celui-ci et entretenant avec lui des rapport contradictoires de complmentarit6 et de rejet, alors il semble d'autant plus stimulant qu'il esquisse le correspondant rural de ce

qu'A la ville, ou autour, Claude de Miras (1984) appelle l'6conomie populaire spontan6e et suggere le moyen de comprendre ce qui transite de l'un a l'autre.

Ici encore, les id6es de relation et d'articulation sont centrales, car elles montrent que le dualisme villes-campagnes est vain, que les changements d'un c6te se repercutent de l'autre bien stir, mais aussi qu'ils le font A leur

rythme propre avec des decalages potentiels, sources de dynamisme jusqu'A l'explosion. L'6conomie de l'affection peut tre un mode d'adaptation A des situations nouvelles; elle peut s'6tendre jusqu'aux portes de la ville; elle ne l'envahit pas, elle y rencontre, y retrouve (pourrait-elle l'y preceder?) une nouvelle culture urbaine homologue mais non semblable (Houchon 1982). C'est aussi sur ce multiple-lA, demultiplie, que s'articule le politique, investi par lui et s'efforqant de le mettre en "ordre."

Des lors, on se heurte A l'Etat. Chez les africanistes, il parait avoir mau- vaise presse; on le dit en crise; il est qualifi6 de mou et disqualifie pour etre en quelque sorte "suspendu au-dessus de la realite sociale," sans veritables racines (Hyden 1983). Et pourtant il demeure et persiste. Que les systemes politiques africains obtiennent le respect de certaines regles de competition, ou qu'elles soient systematiquement transgressees, l'objet de la lutte n'en reste pas moins le pouvoir d'Etat, meme dans les cas extremes oui l'appareil d'Etat s'est fissure, voire effondre (Lemarchand A paraitre). L'Etat est donc ainsi une representation qui occupe le centre du systime politique, meme lorsque sa realit6 est absente; et il fonctionne tout autant comme

representation lorsque l'institution en est solide. C'est pourquoi il est

l'enjeu decisif de la politique: on ne peut guere realiser en Afrique sans se situer d'abord par rapport a l'Etat, que ce soit pour se l'accaparer, pour le

s'duire, pour le contourner ou lui 6chapper. C'est que cette representation existe de concert avec une machine A accumuler. L'Etat independant, s'appuyant en cela sur l'h6ritage de nombreuses pratiques coloniales, est devenu l'instrument privilegi6 de l'accumulation locale, direct (par la nationalisation de l'&conomie et la multiplication des societes nationales, meme dans les regimes consideres superficiellement comme 6conomique- ment liberaux tels le Kenya ou la C6te d'Ivoire), et indirect (par la reglementation de la production et des 6changes et le contr6le du cr6dit).

Il en decoule normalement que les proces de structuration sociale sont

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modeles par le poids de l'Etat: d'une part la propriete ou le contr6le (qui, dans ce contexte est aussi important que la propriete A proprement parler) des grands moyens de production ou d'echange sont tres largement conditionnes par la situation des individus et des groupes sociaux par rap- port au pouvoir d'Etat; d'autre part, les ideologies unificatrices, secretees

pour 16gitimer les pouvoirs d'Etat apres les independances (Benot 1975), ser- vent correlativement a justifier un pouvoir economique derive de l'Etat. Si l'on accepte qu'il existe en Afrique des bourgeoisies, en formation plus ou moins avancee sans doute mais ni impotentes ni totalement dependantes, (quelles que soient les relations symbiotiques qu'elles entretiennent avec des puissances economiques etrangeres) (Faur6 et Medard 1982; Martin et Dauch 1985; Sklar 1984; Swainson 1980), il en resulte que, dans leurs aspira- tions ou efforts hegemoniques, elles pretexteront d'une legitimite politique avant la legitimite 6conomique que leur vaudrait un r6le progressiste ou modernisateur vante par Karl Marx et recemment redecouvert. De la meme

maniere, elles s'appuieront sur des reseaux transclassistes pour renforcer le ciment injecte dans la societe par les ideologies des independances. Cette combinaison de facteurs redefinit 6videmment le r6le de l'Etat comme instrument de contr61le social: la prise de conscience propre des classes subalternes se trouve freinee par ces representations et par l'6ventuelle capacit6 de marchandage que leur abandonne la concurrence des reseaux.

En tout cela, le pouvoir est partiellement espoir, tension vers des objectifs imparfaitement realis6s; I'Etat-enjeu n'est pas encore, semble-t-il, investi

par une hegemonie de classe. Si l'Etat lui-meme n'apparait pas hegemonique, ce ne serait donc pas tant a cause de sa "mollesse" que par suite de sa correspondance avec un proces de structuration sociale imma- ture. On pourrait meme dire, renversant l'argument, que bien loin de

temoigner de la s6paration de l'Etat d'avec la realite sociale, cette situation demontre que le premier rend bien compte de la seconde: c'est parce que l'Etat opere dans un environnement social pluriel non totalement encadre, strie de circulations et d'6changes mais pas trame d'une domination

univoque, sur un soubassement de forces productives faiblement

developpees, qu'il n'est pas fort; mais cela doit-il prejuger de ses potentialites?

Cette interpretation du phenomene 6tatique inviterait alors a mettre en question les theories trop rigides de la fissure entre societ6 civile et Etat; plus encore, elle incite a se demander si, dans le devenir de l'Etat ainsi perqu, n'est pas inscrite la realisation du pouvoir d'Etat comme rapport de produc- tion dominant?2

LES MODELES REDUCTEURS

Ces quelques coups de projecteurs dans les realites politiques africaines ne

pretendent pas en donner une vision gen6rale; diriges en des points choisis,

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parce que juges nodaux des systemes politiques, ils visent A convaincre que l'Afrique est toujours en invention: sur la grille des schemas universels de la volonte de domination, du consentement, de la fuite et de la resistance au pouvoir, elle improvise des formes inedites; ces formes, fugitives, multiples, diverses, floues, confuses ... sont A decouvrir, a reorganiser analytiquement, meme pour qui croit bien connaitre les grilles classiques.

Pour comprendre ces formes, il faudra garder A l'esprit la structure que propose la grille, ne serait-ce qu'afin de noter les 6carts pratiques A partir d'un type revendique. Mais l'essentiel ne sera-t-il pas de s'attacher A demonter son organisation interne, particuliere, unique? Ce que je propose ici, c'est d'aborder les phenomenes politiques africains sous l'angle de l'innovation et non sous celui des transferts, des adaptations, des modeles; sous l'angle de la creativite et non sous celui de la maladresse, de l'incapacite, de l'echec. C'est une invite aussi a tenter de depasser la faqade des institutions, I'apparence des mecanismes ou des structures qui refletent encore une certaine idee que la colonisation diffusa des appareils metropolitains, qu'elle imposa ou incita a emprunter, pour aller voir plus precisement ce qu'ils cachent, comment ils fonctionnent, quels r1les ils jouent.

La curiosite qui pousse A passer de l'autre c6te du miroir donne d'ailleurs a l'idee d'innovation l'optique qui lui convient: elle la designe comme rela- tion dynamique. La definition usuelle du mot indique d'emblee que l'innovation n'est pas creation exnihilo, mais intervient dans un environne- ment dont elle ne peut tre detachee, et qu'il existe un lien dialectique entre les processus de changement et le milieu oPi ils operent. L'6tude de l'innovation devra donc se construire sur ces axes: relations, interaction, dialectique, dans leur pleine dimension historique.

De ce fait, l'evolution du continent est laissee ouverte par l'analyse; celle-ci ambitionne assez peu de jouer les pythonisses, se garde d' tre conseillere. Une sociologie de l'innovation se situe par consequent aux antipodes des theories de la modernisation qui firent naguere flores; elle ne

conqoit pas les cultures africaines comme devant faire place au neuf mais le voit deji inscrit en elles, deja a l'oeuvre; elle ne considere pas la tradition comme un synonyme de passe, mais comme un proces continu reliant l'hier a l'aujourd'hui; le probleme n'est donc pas celui d'une "reponse" de la tradi- tion a la modernite, mais celui de l'intrication de principe, originelle, de l'une et de l'autre, d'autant que les dynamiques externes ne sont pas necessairement les facteurs uniques de modernisation (Apter 1965, 8i). En fait, ces theories se sont averees largement inoperantes, a la fois comme description et prediction, parce qu'elles confondaient modernisation et occidentalisation et assignaient a celle-la des objectifs tels que le parlemen- tarisme, la technicisation de la politique et la politisation de la technique pour esquisser un grand dessein d'elitisme scientiste que 1984, heureuse-

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ment, ne nous a pourtant pas apporte ... Les etapes de la croissance semblent

aujourd'hui suffisamment essouflees pour que l'on cesse aussi d'adherer a ce schema oblige d'etapes de la modernisation.3

Un singulier pluriel L'innovation echappe a cet itineraire et suppose le complexe, le pluriel. L'histoire de l'Africanisme comme discipline, la constitution de ses

methodes, de ses theories posent immediatement

son travail comme rap- port entre des hommes, des situations, des idees nes dans des cultures dis-

tinctes, meme si depuis un bon bout de temps liees les unes aux autres. Cet originel ne doit pas etre pris comme peche; il est, simplement; il contient le

benefice potentiel des regards croises pour autant que l'on accepte le dialo-

gue et que l'on souhaite la reciproque. Mais pour cela, il est indispensable qu'il ne soit pas occulte, qu'il soit integre a une theorie de la pratique de recherche afin d'eviter les ecueils d'une familiarite instillee de l'exterieur qui trompe sur l'identite (m me reportee au futur) comme sur la difference

(Bourdieu 1972) et rend aveugle a la vision que l'autre, l"'observe," peut con- cevoir et utiliser de ce rapport (MacGaffey 1983).

Ce pluriel-la est la scene sur laquelle se joue l'analyse; il est demultiplie par les dimensions propres de l'Afrique. Il y a, bien stir, ce qui ressortit A la taille et a la variet6 des cultures; ce qui tient aux niveaux et aux vitesses de

developpement; il y a le poids d'une histoire qui ne ressemble vraiment ia aucune autre.

LES PARADOXES DE LA COLONISATION

L'experience qu'il faut ici prendre en consideration est constitude par une

serie de rencontres culturelles qui se sont d6roulees au fil de plusieurs siecles. L'impact de la "decouverte" de l'Afrique par des Europeens sur

l'evolution du continent a 6te amplement 6tudie et continue de l'etre, comme l'ont ete les consequences de la traite des esclaves. Meme consti- tuant l'aboutissement de ces contacts et de ces rapports de force, la conquete coloniale systematique introduisit une difference radicale. Elle imposa la permanence des interactions culturelles sur le plus large territoire possible tout en leur donnant la forme d'une domination durable rendue possible par la superiorite des armes, et, exercee par l'enserrement dans une machine administrative de conception etrangere, elle fut portee, nourrie par la

periode d'intense fermentation philosophique et ideologique d'o i le monde occidental ressortit dote, en plus d'un nouveau mode de production, d'un mod le original d'organisation politique.

Cette evolution mondiale eut, pour l'univers de la colonisation, un cer- tain nombre de consequences: la conqu te devait tre 1kgitim~e en termes de "democratie"; celle-ci 6tait offerte comme l'un des aspects majeurs de la

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"civilisation" en une sorte de paquet incluant la religion chretienne et la

technologie. La colonisation ne pouvait des lors avoir d'autre but avoue que d'apporter a un monde barbare et paien la civilisation et ses enluminures

democratiques. Toutefois, la colonisation en tant qu'entreprise "civilisatrice" etait par-

courue de contradictions. Elle ne pourrait durer que le temps de l"'immaturit6" des indigenes, et si elle ne parvenait pas a les faire "mfirir" a la demoncratie, elle 6talait sa faillite. De l'autre c6t6, le fait que la victoire militaire ou psychologique de l'Europe ait 6te accompagnee de la diffusion d'une conception du monde exclusive, refusant tout partage avec les soumis, put faire croire que la superiorit6 qu'elle pretendait detenir avait quelque fondement. Convaincus ou contraints, les conquis, apres une periode de resistance initiale, s'efforcerent d'entrer dans ce monde nouveau, accordbrent une attention certaine aux valeurs de la victoire. Mais un monde n'efface pas l'autre; une cosmologie n'en supprime pas obligatoire- ment une autre. La reconnaissance de la defaite fut certainement aveu de

faiblesse, pas rejet total de la culture d'origine. Collaboration, resistance, strategies individuelles d'ascension sociale face A et dans l'ordre colonial recoururent aux valeurs et symboles issus des cultures locales comme de celles des colonisateurs pour tenter d'obtenir le meilleur des deux mondes.

Dans le meme temps, le combat pour la participation au gouvernement colonial, puis pour l'autonomie interne, puis pour l'independance fut model6 par le type ideal de la d6mocratie occidentale qui etait, du meme mouvement, offerte pour destination ultime et toujours refusee par les colonisateurs.

De cette obligation d'affronter l'adversaire dans ses lices, de lui aban- donner l'avantage du choix des armes decoula, entre autres, un certain type de rapport vis-A-vis du pouvoir, de perception du pouvoir. Si l'on accepte que le pouvoir n'est pas simplement le moyen d'une contrainte unilaterale, mais

relive plut6t d'un partage de valeurs communes et de circuits d'6change inegal dans les domaines materiel, ideologique et symbolique, l'autorit6 mise en forme dans les situations coloniales, basee sur l'imposition de valeurs 6trangeres presentees comme universellement superieures, s'exprime dans des relations contradictoires unissant les mondes confrontes. Le pluriel politique peut alors se materialiser fort loin du plural- isme car il se joue dans la fusion de l'allegeance qui se doit et de la rebellion provoquee par l'agression; la distance A l'6gard du pouvoir - distance ima- ginaire ou concre'te - pourra informer les comportements politiques aussi en leur laissant une plus ou moins grande marge de manoeuvre. En bref, et cela fut decrit ainsi a l'occasion de l'6tude des elections, toute pratique politique en Afrique se trouve tributaire de trois ordres d'experiences qui, eux-memes, se recouvrent et ne peuvent tre qu'artificiellement distingues, qui

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structurent le vecu politique et ouvrent des registres sur lesquels les acteurs sont en position de jouer simultanement:

le souvenir des organisation precoloniales, souvenir direct, lointain et donc extrement distordu; ou souvenir re-suscite par des ideologies de negritude, de socialisme africain ou d'authenticite; le souvenir et / ou l'experience de la colonisation en tant que: a) destruction, destructuration, d6tournement des

organisations politiques precoloniales et des representations qu'elles pro- duisaient; b) pourvoyeuse de pratiques et d'ideologies nouvelles; l'experience vecue de l'independance dans sa double dimension de pratique d'innovation et de reappropriation, de re6valuation de tous les pass6s, dans le developpement aigu des contradictions internes aux societes africaines (Martin 1977).4

LE PRINCIPE DU MULTIPLE

J'ai cherche, plus haut, a montrer par des exemples qui en aucun cas ne sau- raient fournir une description exhaustive des societes africaines, le foisonnement de pratiques politiques originales, assumees ou abritees derriere le paravent d'institutions, d'organismes, de mecanismes nommes selon les usages du monde. Ces temoins de l'innovation affleurent dans un sol non seulement forme par accumulation de strates historiques, mais par un bouleversement de la geologie provoquant une coexistence active de la diversit6: situation ne pouvant qu'etre definie dans les champs du multiple et du pluriel. I1 reste a convaincre que l'une est structuree par les autres: que l'innovation est a la fois consequence et formalisation du multiple et du plu- riel.

Le postulat qui guide cette ambition reconnait l'omnipresence du multi- ple et sa pr6gnance dans la vie; loin de le considerer comme un obstacle a la connaissance, il en fait une exigence heuristique:

Le multiple tel quel, laiss6 brut, rarement unifie, n'est pas un monstre epistemologique, il est, au contraire, l'ordinaire des situations, y compris des situations du savant ordinaire, le savoir usuel, le travail quotidien, bref, notre objet commun. Que ladite connaissance scientifique depouille son arrogance, son drape magistral, 6cclesial, qu'elle de1aisse son agressivite martiale, la haineuse pretention d'avoir toujours raison, qu'elle dise vrai, qu'elle descende, pacifice, vers la connaissance commune (Serres 1982, 20).

Cette petition de principe ne seduit pas seulement pour sa beaute for- melle, elle vaut parce qu'elle entraine dans son sillage le multiple comme possible, comme ouverture, comme capacite. Des lors, il permet de con- cevoir que la forme nait du chaos, que la structure s'etablit un moment en sourdant de la turbulence. Le multiple se pense relationnel ou s'ignore; il

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fait apparaitre, parce que relationnel incessant et turbulent, les carrefours, qui sont points de rencontre et bifurcations: zones de choix, dans quelque sens qu'on le prenne (Serres 1982, 45,

moo, 152, 179).

La determination historique du multiple africain, constatee dans toute etude des contacts Europe / Afrique et de la colonisation renvoie, entre

autres, a la theorisation operee par George Balandier des rapport entre le "dedans" et le "dehors."s

Le multiple en Afrique se repartit entre ces dynamiques dont le jeu n'a

pas pris fin avec la colonisation puisque se sont poursuivis et, d'une certaine

maniere, se sont intensifies les contacts, les echanges avec un monde plus immense et plus culturellement divers que jamais. Ce multiple est gros de

changements, de mutations; il porte de ce fait l'innovation et l'on peut s'&tonner que la richesse de la litterature consacree aux religions nouvelles n'ait pas stimule dans cette direction l'imagination des observateurs du poli- tique. Capacite de jouer sur differents registres, production d'un neuf irreductible A ses composants supposes ont 6te demontees et peuvent tre etendues aux spheres sociales et politiques dont elles enrichissent la dimen- sion de "l'approximatif" (Serres 1982, 62-63).

Ces processus d'innovation, infiltres dans l'approximatif et entraines par le multiple, ne sont pas lineaires ou tranquilles ou harmonieux. Ils partici- pent de la noise chere a Michel Serres. Ils operent par la force de nombreuses contradictions: le pluriel est necessairement contradictoire. Le "noyau rationnel" de la dialectique hge1lienne, recuperee par le marxisme, implique non seulement la complementarit6 des opposes dans une relation d'alterite determinante,6 il dit la necessit6 du depassement de la contradic- tion, des contradictions, effaqant l'ancien pour produire un nouveau, con- tradictoire egalement, dynamique (Centre d'etudes et de recherches marx- istes 1975, 162).

A nouveau l'Afrique nous ramene A l'universel en montrant comment s'y realisent avec des specifications culturelles particulieres des phenomenes plus generaux. L'id~e althusserienne de "surdetermination de la contradic- tion" s'applique ici fort bien a justifier ce va-et-vient.7

SAISIR L'INSAISISSABLE

Etablir le passage du multiple au nouveau ne suffit pourtant pas. I1 convient de se donner les moyens de l'analyser, c'est-a-dire a la fois de le detecter et de le comprendre. Et sans pour cela en 1laguer les qualites plurielles et relation- nelles. C'est pour cette raison sans doute que Michel Serres se mefie autant des typologies et denonce les dangers du classement; il ne craint pas de suggerer la rehabilitation du confus comme objet de connaissance, provo- quant ainsi l'exigence de travail sur les relations et les processus plut6t que les categorisations categoriques (Serres 1982, 15 6, 162, 189). Ii appelle de ses

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voeux une maniere d'impossible, seule capable de rendre compte de

l'integralite des possibles, une ichnographie:

C'est 1'ensemble des profils possibles, l'integrale des horizons. L'ichnographie est le possible, ou le connaissable, ou le productible, c'est le puits aux

phenomenes (Serres 1982, 41).

A dWfaut de le mener A bien, ii n'est pas inutile de la voir; elle peut etre

l'utopie stimulante du savoir, prenant du meme coup la place d'un garde- fou. Celui-ci permettra de rester A l'interieur d'une "exigence de saisie glo- bale au dela des parcellisations que provoque l'analyse" (Balandier 197Ib, 6); un imperatif qui rappelle le souci de saisir les "phenomenes sociaux totaux" inlassablement reitere par George Gurvitch apres Marcel Mauss.

Le retour a Gurvitch s'impose sans doute ici. Parce qu'il fournit des con-

cepts operatoires, parce qu'aussi sa crainte de tomber dans l'ossifie, dans le

fige, dans le mort social I'a conduit, tout en eprouvant la necessite d'etablir des typologies, a les faire en quelque sorte imploser par infinite de richesse et de nuances. En ressort l'idee qu'il faut a tout le moins toujours croiser variables et coordonnees, qu'il est indispensable de penser I'articulation de

l'1ekment ou du phenomene isole pour les besoin de la cause au "reste" de la

globalite sociale a laquelle il appartient (Gurvitch 1957, 1963; Balandier

1972). Dans ces conditions, l'apprehension du politique en Afrique devrait

eviter de se decouper en tranches, de trop focaliser sur le "bas," apres avoir

pense prioritaire de s'occuper des dirigeants et des elites. Sans nul doute, la formulation "politique par le bas" riposte, et avec une heureuse vigueur, a cette derive-li qui n'etait pas denu~e d'arrieres-pensees politiques. Et il est clair que si elle met le "bas" en avant ce n'est pas pour l'isoler de ce que serait un "haut" (Bayart 198 I).

I1 est sans doute plus interessant encore de voir comment repondre a l'interrogation sur les "frontieres du populaire," sur la distinction entre tac-

tique et strategie posee au terme de cette quite du "bas"; ou plut6t n'est-il pas plus pertinent de rechercher ce qui passe, ce qui continue, ce qui transgresse, ce qui tout ensemble desire, soutient et rejette, que de traquer des barrieres peut-etre irreelles?

Pour y parvenir, les sciences sociales ne sont pas avares d'idees. Compte tenu de la specificite du multiple africain et de la nature des innovations

qu'il sous-tend, trois ensembles conceptuels paraissent fournir des clefs ouvrant quelques portes: certains aspects de la sociologie dynamique gur- vitchienne; les developpements auxquels a donne lieu la recherche des echanges ideologiques, du partage et de la negation des representations, au sein d'une meme societe; enfin les diverses interpretations donnees a la

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notion de formation 6conomique et sociale et le deboulonnage de la causalite qu'elles autorisent.

Gurvitch pensait que toute societ6 recouvre une multiplicite de "paliers en profondeur." Ces paliers designent en fait a la fois une pratique scientifique, l'architecture de l'investigation qui conduit a chercher quelles questions poser a la realite, oui et quand, et la globalit6 sociale elle-meme. Ils ne forment ni hierarchie ni grille; ils designent plut6t des lineaments sou- ples qui permettent de ne jamais evacuer le pluriel. En ce sens, leur valeur

epistemologique est indispensable (Gurvitch 1957, 63). Les typologies gurvitchiennes, cela a souvent ete constat6, sont d'un

emploi impossible si on cherche ' les appliquer rigidement. Mais celle qui

concerne les paliers en profondeur invite, en sa progression vers le moins evident, vers le moins accessible, a s'attacher aux attitudes collectives, en tant que producteurs et produits des idees et des valeurs collectives. De 1a, on glisse vers les symboles, signes d'une espece particuliere valant notam- ment par leur fonction d'instrument de participation operant dans une

sphere de l'ambiguite. Et, tres logiquement, on arrive alors aux "conduites

effervescentes, novatrices et creatrices" effectivement presentes a tout instant de l'existence de la realite sociale, participant en consequence A la constitution de chaque phenomene social total. Du jeu de piste propose par Gurvitch, ce sont les trois etapes qui semblent pouvoir aider A explorer le

paysage africain parce qu'elles s'enfoncent au dela des apparences pour pieger les conditions de production du neuf dans l'interaction du multiple (Gurvitch 1957, 87, 92-93, Ioo-IoI).

Elles doivent etre deroulees dans une perspective temporelle qui renforce ce caractere. C'est celle de la "multiplicit6 des temps sociaux." Celle-ci pro- vient de la diversite sociale et de la subjectivit6 de la perception temporelle (qu'on peut, plus loin, relier aux manieres de faire, aux techniques de pro- duction, aux langages du corps et A la memoire motrice). Elle est contradic-

toire, aussi. Car chaque groupe social a tendance A se mouvoir dans un

temps qui lui est propre quand la societe ne peut vivre sans s'efforcer d'unifier cette multiplicite des temps sociaux (Gurvitch 1963, 325, 340). Le

temps, battu et contrebattu, le delai, le decalage, l'intervalle sont des elements capitaux de toute pratique sociale, donc de toute strategie des indi- vidus et des groupes. Et Pierre Bourdieu de preciser:

Pour restituer a la pratique sa v6rit6 pratique d'improvisation reglee et sa fonc- tion qui, dans sa definition complete, peut englober, comme dans la cas de l'change, la dissimulation des fonctions objectives, il faut reintroduire le temps dans la representation d'un pratique temporellement structuree, donc

intrinshquement definie par son tempo (1972, 226).

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Ces strategies temporalisees designent a la fois I'union et I'affrontement avec la societ6; elles sont I'un des lieux oui on peut s'entr'apercevoir de ce

qui passe entre les individus, les groupes et une societe globale. Marc Auge a defini ce complexe comme ideo-logique:

somme differentielle (en ce sens que le "texte" de l'ideo-logique en est

simultandment le mode d'emploi et definit implicitement ce qui peut etre

pense, dit et fait par chacun en fonction de sa position dans le systhme social). [Elle] voudrait permettre de briser I'alternative sens / fonction et de compren- dre les mecanismes de l'efficacite symbolique (I198I, 6).

Toutefois, ce que definit l'ideo-logique n'est pas permissif: si elle donne coherence a la realite sociale, cette coherence ne correspond a aucune har- monie sociale. Elle est, dit Auge, d'ordre syntaxique: elle decrit les contrad- ictions reelles dans le language des possibles, des tolerables en ce qu'elle autorise simultanement des interpretations contradictoires. Elle ne peut donc etre que virtuelle.8 Plus encore, sa definition de ce qui est faisable ou

pensable, son art d'accomoder les contradictions ne peuvent etre separes des

rapports de pouvoir et de domination; elle y est, de faqon decisive, instrumentale. Le discours de l'id6o-logique beneficie a quelques uns; il fait de l'ordre social la mesure de l'ordre individuel:

obligeant en definitive tout individu a respecter, pour vivre et pour compren- dre, la regle qui parle d'une minorit6, a inscrire le destin de l'individu dans les silences d'une thdorie qui identifie sa reproduction a celle de l'ordre social (Aug6 1975, xix).

Pour etre efficace, cette ideologique doit etre reconnue par tous; ou

plut6t, simplement, elle ne peut etre mise en cause. Mais inscrite dans le temps et recouvrant des temps sociaux potentiellement decales, elle doit evoluer pour demeurer. Les exemples donnes par Auge de sa plasticite, de sa capacite d'amortissement et d'absorption, de son aptitude a s'adapter et a favoriser un mode d'adaptation aux temps qui ne mette pas en peril les rap- ports de domination, ces exemples tires de l'etude des prophetes Harris et Atcho sont eloquents. Ils laissent a penser qu'on peut etendre le champ de l'ideo-logique au dela des societes restreintes auxquelles sont consacrees ses "etudes de cas en C6te d'Ivoire" et invite a s'interroger sur la pertinence d'un concept d'ideo-logique (ou de "super-ideo-logique") applique aux societes africaines des Etats de l'independance. On pourrait ainsi concevoir que, la oiu les equipes au pouvoir ont ete en mesure de produire des representations et des langages symboliques integres dans une ideo-logique "parlant" a tous les paliers en profondeur, modulant son debit sur la

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multiplicite des temps sociaux, la ou' elles ont su prendre en charge l'emergence de nouvelles cultures politiques, dans ces pays-lI, coherence et stabilite politiques ont pu tre assurees pendant une periode (au Kenya; en Tanzanie; en C6te d'Ivoire; au Cameroun sans doute; dans le Gabon de Bongo, dans le Togo d'Eyadema, peut etre) et que lorsque cette id6o-logique s'enkyste pour ne plus prendre la peine de suivre le mouvement social, les risques de craquement s'amplifient (Martin et Dauch 1985).

Cette ideo-logique rejoindrait structurellement ce que Bourdieu nomme habitus:

entendu comme une systeme de dispositions durables et transposables qui, int6grant toutes les experiences pass6es, fonctionne a chaque moment comme une matrice de perceptions, d'appreciation et d'actions, et rend possible l'accomplissement de tAches infiniment differencides, grace aux transferts analogiques de schemes qui permettent de resoudre les problemes de meme forme et grace aux corrections incessantes des resultats obtenus, dialectique- ment produites par ces r6sultats (1972, 178-179).

Il y a, dit joliment Bourdieu, "orchestration sans chef d'orchestre"; en pensant a Count Basie, on pourrait parler "d'arrangement de tete." Metaphore point absurde, car elle indique bien comment la matrice s'adapte sans se briser: du fait, en premier lieu de la relation dialectique entre habitus et situations; en second lieu, des consequences qui en resultent pour la transmission des habitus a travers un "continuum d'inculcation." L'apprentissage absorbe le non-dit, l'implicite, ce qui "va de soi" aussi bien que l'enseigne; et le passage de I'un A I'autre, vestibule d'une situation oi la contestation de l'habituel devient possible voire n6cessaire.

Cet apprentissage est en effet senti dans les modes de domination: il vise a les reproduire mais peut egalement pousser A les contredire, parfois, souvent du meme mouvement. La domination repond a cette tension en se

plaqant sur une courbe qui va de la violence pure A la manipulation sym- bolique (autre forme de violence, d'ailleurs). Mais le commun appartient davantage a la seconde et se perpetue avec la complicite du groupe tout entier tant que chacun y trouve, ou croit y trouver, son avantage (Bourdieu 1977, 183-197). Autrement dit:

des deux elements qui composent indissolublement tout pouvoir de domina- tion, la force la plus forte n'est pas la violence mais le consentement ideologique des dominds a leur domination (Godelier 1973, I:zI ).

Ii faut qu'il y ait, en une p6riode donnee, partage des memes repr6sentations par les domines et les dominants pour que s'opere la

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domination; il faut que celle-ci incarne un putatif bien commun sur lequel se fait I'accord. Les rapports de domination et d'exploitation comportent done une part d'6change, echange de services, 6change de symboles, par- courant I'ensemble de la societe globale, constituant une syntaxe des possi- bles (donc n'excluant pas la rebellion) du penser et de I'agir, structure structuree et structurante transmise et changeante.

Le rapprochement op6re de diverses manieres par ces auteurs entre domi-

nation, exploitation, systemes de representations, ideologies, langages sym- boliques impose de reconsiderer les rapports qu'ils entretiennent. Ii s'agit du vieux debat sur les aventures conjointes de la superstructure et de

l'infrastructure, sur la determination, en instance derniere ou non, de leurs

positions respectives. Pour respecter les imp6ratifs dict6s par la rencontre du

pluriel, du complexe, par le d6sir de saisir d'abord les relations, les articula-

tions, les carrefours, les contradictions, il faut abandonner I'antique causalite oii la superstructure, meme pourvue d'un semblant d'autonomie

relative, sortait de I'infrastructure comme Venus des eaux.

L'anthropologie, le travail sur les rapports de parente en particulier, nous aident a y voir plus clair en ce domaine:

D'une part, les structures non 6conomiques ne peuvent "sortir" des rapports economiques, et la causalit6 de l'6conomique ne peut se presenter comme la

genese de la superstructure hors du sein de l'infrastructure. D'autre part, les structures non economiques ne sont pas de simples "phenomenes" accompag- nant l'activite 6conomique et n'ayant qu'une action passive sur la vie sociale alors que les rapports 6conomiques auraient seuls une causalit6 active aux effets plus ou moins "automatiques." Dans les deux cas, on ne voit guere par quel bizarre alchimie l'economie deviendrait par exemple la parent6, ou quelle mysterieuse raison elle devrait se cacher, mal, sous la parent&. Ii faut donc chercher ailleurs et 6tudier de plus prbs la notion de "correspondance" entre structures (Godelier 1973, 2:I 07-108).

Cette correspondance n'exclut nullement la causalit6, elle ne la prevoit pas m6caniquement une fois pour toutes, elle indique le champ des possi- bles des causalit6s des structures les unes sur les autres, sans

pr'd'termination, sans pr6juger de la nature, des formes, des fonctions - et du nombre des fonctions - qu'elles peuvent supporter (Godelier 1973, 1:28-

32). On accede ainsi a la formulation d'une "causalite buissonnante," veritable surmultipliee de la dialectique, moteur des formations economiques et sociales.

Celle-ci ont, nouveau, provoque des querelles de definition: on a vu en elles soit "une totalite structuree qui se fonde sur l'existence d'au moins deux modes de production, en interrelation avec leurs superstructures

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propres" (Centre d'etudes et de recherches marxistes 1975, 306); soit, par un retour a l'authenticite marxienne, ce qui a trait tout ensemble a la succes- sion historique des modes de production et leur engendrement (Godelier 1982). D'un point de vue non dogmatique, constatons simplement que, pour l'objet qui nous occupe ici, le concept v6ritablement op6ratoire serait celui

qui cumulerait ces deux acceptions. Dans ces conditions, on pourrait en

revenir, un moment au moins, aux definitions proposees naguere par Mau- rice Godelier:

Par mode de production (au sens restreint), ils (d'autres anthropologues tels Marshalls Sahlins, Jonathan Friedman, Maurice Godelier, Emmanuel Terray et

...) designent la combinaison, susceptible de se reproduire, des forces produc- tives et des rapports sociaux de production sp6cifiques qui determinent la structure et la forme du proces de production et de circulation des biens materiels au sein d'une societ6 historiquement d6terminee. Ils supposent qu'a un mode de production determine (au sens restreint) correspondent, dans une relation a la fois de compatibilit6 et de causalite structurales, diverses formes determin6es de rapports politiques, ideologiques, etc ... et d6signent l'ensemble de ces rapports 6conomiques et sociaux analyses dans leur articulation

sp~cifique sous le nom, egalement, de mode de production (pris au sens large cette fois).... De plus, comme il est frequent qu'une societ6 concrete soit

organisee sur la base de plusieurs modes de production articules les uns aux autres d'une maniere specifique, et sous la domination de l'un d'entre eux, on

recourt, pour designer de tels ensembles articules de modes de production, a la notion de "formation economique et sociale" (1973, 1:57).

La "rectification" op6r6e par Godelier dans le Dictionnaire critique du marxisme doit servir, en outre, a renforcer la dimension dynamique de la notion de formation 6conomique et sociale qui fait de toute r6alit6 sociale le resultat en mouvement d'un proces dote de conditions d'existence et de

reproduction sp6cifiques. Quant ~ la formation 6conomique et sociale, son 6volution est bien entendu commandee par l'interaction des contradictions internes a chaque structure et des contradictions entre structures (Godelier 1973, 1:35).

A propos de l'Afrique contemporaine, ce qui est stimulant dans ce panache de concepts, c'est qu'il permet de mieux comprendre comment se constitue la structuration sociale de concert avec une reorganisation des rap- ports de domination et d'exploitation et une mise a jour des id6o-logiques et des habitus, aucun de ces phenomenes n'occupant de position necessaire d'ant6riorit6 ni de determination causale, tous pesant les uns sur les autres dans une relation de causalite buissonnante.

Par exemple, la creativite portee par les "conduites collectives efferves- centes," li~e e un decalage des temps sociaux entre le monde rural et

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l'univers urbain (chacun dans une double dimension concrete et fantasmee), correspondant a des proces de transformation de modes de production specifiques, reagira sur ces proces de transformation en inventant de nouvelles relations sociales, et de nouvelles formulations de ces relations

sociales, dans une "6conomie populaire spontanee" ainsi que des modes ori- ginaux d'implication dans le politique et de repr6sentation des positions d'autorite et des rapports de pouvoir. Une sociologie de l'innovation voudrait rendre compte de la totalit6 de ces relations.

L'obligation d'inventer La societ6, en Afrique aussi, est "plusieurs." Ce multiple projette vers l'innovation. La relation de I'un ~ l'autre n'est pas impenetrable mais peut- etre dem•lee par divers concepts et m6thodes d6ji 1labor6s dans l'histoire des sciences sociales. Pourtant, il ne faut pas croire que l'innovation est, en

quelque sorte, automatique, qu'elle est le produit inevitable et ordinaire de l'evolution des societes. Vouloir la constituer comme cat6gorie du savoir

perdrait alors tout sens. Sans doute est-elle un possible, un virtuel, a ce titre

toujours presente dans toute realit6 sociale. Mais elle doit etre actualis6e et le probleme est alors d'en reconnaltre les conditions; de la situer, pour com-

mencer, / I'entrecroisement des temps sociaux.

S'agissant de I'Afrique, on 6prouve le sentiment que les societes de ce continent ne pouvaient pas innover. II faut en revenir encore une fois a l'impact particulier des contacts Europe / Afrique et A l'exp6rience d6shumanisante de la colonisation.

La culture des Africains 6tait niee; les matrices sociales etaient d6truites; les symboles devenaient inoperants. Et l'homme qui se voit refuser la

qualit6 d'homme se doit de prouver son humanite: a lui-meme d'abord, pour survivre; a ceux de son groupe pour les r6conforter, peut-etre pour les emmener; a celui qui la lui denie, pour pouvoir le seduire, le tromper ou le combattre, retablissement de l'6change dans tous les cas. Or la manifesta- tion la plus claire, la plus 6vidente de l'6tat d'etre humain est probablement la cr6ation. L'Afrique devait inventer, se re-inventer pour etre et devenir autre chose qu'un appendice des metropoles europeennes. L'innovation fut donc mobilis6e, tiree hors de son douillet virtuel, pour faire face au trauma- tisme de la mise en relations permanentes et in6gales avec l'Europe, de la colonisation. Elle permit de resister aux entreprises de d6culturation et aux formes deshumanisantes de l'oppresion et de l'exploitation.

Elle oeuvra en divers paliers de la soci6t6 et ne fut pas que r6sistance; elle conduisit l'adaptation au monde nouveau en impulsant sa transformation. L'innovation fut et est, dans des conditions historiques particuli res (que les independances n'ont pas abolies, qu'elles ont seulement reorientees), le moyen d'articuler de maniere coherente, pertinente et efficace du point de

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vue des Africains les dynamiques du dehors et les dynamiques du dedans; le subi de la domination et la resistance face a elle.

LES STATEGIES D'INNOVATION

L'innovation, conduite effervescente et creatrice, affecta tous les aspects, toutes les structures, de la realit6 sociale. Mais, sans doute parce qu'elle est la contradiction absolue de la colonisation et des rapports de domination

(meme s'ils parlent le langage de l'aide, du conseil, de la solidarite) installes sur l'Afrique, elle ne suscita guere l'attention des observateurs (on sait qu'il y eut des exceptions insignes). Ii valait mieux, sans doute, pour eux se con- centrer sur l'ancien, l'exotique et le nostalgique; sur le paisible convaincu

(et faussement convaincant) d'immobilisme. Tres vite, il est vrai, des hommes tels que Jean Dresch ou Georges Balandier soulignerent l'importance de ce qui commenqait d'apparaitre;9 ce n'est guere sans doute

pas un hasard si l'un s'interessait aux villes quand l'autre decouvrait les reli-

gions nouvelles. Ces religions, parce qu'elles s'insinuaient sous les cosmologies

importees, parce que leur dimension politique etait indeniable, s'imposaient en effet. Elles ont plus que d'autres pratiques te' etudiees et, de ce fait, four- nissent des indications propres a servir a la compr6hension des innovations

politiques. Ii faut en retenir l'effort de depassement d'une defaite, investi dans les messianismes (Auge 1979, 14); les syncretismes et, plus encore, I'utilisation des zones de recouvrement existant entre visions du monde autochtone et etrangere (recouvrement oui l'oralite-6crite de la Bible inter- vient avec une forme particuliere; l'6nergie contenue dans l'ambivalence qui fait desirer et rejeter, glorifier et denoncer, comme chez le prophete Atcho, une certaine image de la "modernite" participant a la fois des projec- tions coloniales et des innovations locales) (Auge 1975; Balandier 197Ib; Jules-Rosette 1975; MacGaffey 1983).

Structurellement, les categories de combinaison des visions du monde, de zones de recouvrement, de detournement des valeurs coloniales pour pro- duire un depassement general et d'ambivalence motrice, paraissent pouvoir etre &tendues au domaine politique. Ii faut se mefier toutefois de ne pas res- ter tributaire de considerations largement derivees de la periode coloniale ou de l'epoque qui succeda immediatement aux independances. Ii faut, juste- ment, replacer ces categories dans la dynamique d'apres les independances. Notamment en ce qui concerne les rapports a une "tradition" de plus en plus fantasmee et ideologisee, alors meme que les rapports au pouvoir peu- vent toujours etre evoques dans certains de ses langages et de ses codes sym- boliques. Mais la capacite des acteurs politiques contemporains (A quelque niveau de pouvoir et de decision qu'ils appartiennent, dans tous les groupes sociaux), de mettre en avant simultandment plusieurs interpretations du

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reel, de la place qu'ils y occupent et de l'autorit6 qu'elle leur confere, d'arguer de plusieurs 16gitimit6s ou de s'opposer au nom d'un nombre

equivalent de croyances, cette capacite ne doit surtout pas etre sous- estimee. Et il faut, encore un coup, lui garder sa force dynamique. Ii serait dangereux de donner A I'ambivalence ici d6tectee (et relev6e aussi d'ailleurs, dans le temps et dans l'espace, par Frantz Fanon (1952), une connotation

pathologique qui, tiree d'interpretations conques pour I'individu, ne peut sans autre forme de proces etre 6tir6e vers le social. Si la relation aux valeurs, institutions, organisations import6es par le colonialisme s'exprime bien dans un couple fascination-repulsion, adhesion-rejet, sa qualit6 proprement sociale en Afrique la situe aux antipodes de la schizophrenie: il n'y a ni dis-

sociation, ni incoherence, encore moins d6tachement; au contraire, com- binaison, fusion, logique, volonte d'etre au monde, voire de le transformer.

Quitte a puiser dans le fonds commun de la psychologie et de la

psychanalyse, il serait pref6rable d'envisager I'entrelacs forme par ces differents "registres" tel un m6canisme qui procederait un peu comme celui de la condensation. Gurvitch signalait que le symbolisme social ne se laisse

pas r6duire au symbolisme onirique, mais que I'on peut trouver entre eux de communs denominateurs (1963, 93-95); on aurait ici une analogie: chaque acte r6ference, rapporte A un ordre, une legitimite, une vision du monde, ne serait pas en fait exclusif des autres qui coexistent avec lui dans un temps donn6, il offrirait comme:

une representation unique [quij represente a elle seule plusieurs chaines associ- atives a l'intersection desquelles elle se trouve. Du point de vue 6conomique, elle est alors investie des energies qui, attachees a ces differentes chaines, s'additionnent sur elle (Laplanche et Pontalis 1967, 89).

Dans les situations de la colonisation, la combinaison de I'ambivalence (entendue au sens g6neral et non, rep6tons-le, pathologique) et de la conden- sation fournit I'ing6nierie necessaire au depassement de ces situations, proces que I'on ne peut pas juger dans l'instantan6 mais dans la dur6e. Elle permet de clarifier le rapport entre le "dedans" et le "dehors"; les energies de tous bords ont ete cumulkes, non pour permettre aux Africains de s'adapter ou d'interpr6ter l'univers colonial, mais pour le transformer en fonction de leurs besoins. Bennetta Jules-Rosette (I980) insiste a juste titre sur l'inter&t d'une analyse comparative des innovations en Afrique et dans les Ameriques pour une meilleure comprehension de leurs processus des deux c6tes de l'Atlantique; pourquoi ne pas emprunter au poete haitien Rene Depestre (1970, 1980) l'idee si riche de marronnage, de "creolite inventive," de l'adapter A I'organisation du politique contemporain?

Cette imagination innovatrice tournant a son avantage la dynamique de

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l'angoisse liee a l'ambivalence, a la fois r6sistance et adaptation, permit aux colonises d"'inventer de nouvelles regles de vie en soci6te qui restruc- turaient leur personnalit6" (Depestre I980, o102). Ce faisant, ils operaient une authentique "creolisation" de leur monde (Nettleford 1984). Creolisation, terme que je crois applicable a l'Afrique egalement, et non indigenisation, parce qu'il signale la dynamique de creation d'une culture encore inconnue a partir de la rencontre d'61lments d'origines diverses, places dans un rapport d'inegalit6 quand le second vocable ne voit que l'implantation de l'16ment 6tranger dans la culture locale.

L'INNOVATION EFFICACE

Le d6passement aboutit la creolisation, utilisant les ambivalences cr66es par la situation coloniale, A l'interieur desquelles coincidence de recouvre- ments et proces de condensation servent d'arc-boutant A un maronnage systematique des constituants de la colonisation. L'innovation est, dans cette optique, indissolublement affirmation et subversion, couple d'attitudes forge strat6giquement et retransmis comme cadre d'apprehension global des rapports au pouvoir.

Concretement, le marronnage signifie que ce qui avait et6 importe pour opprimer est saisi et transmue, reorganise dans deux dimensions: A la sur- face des phenomenes, les conduites peuvent sembler d'adhesion aux regles nouvellement impos6es, elles manifestent apparemment l'acceptation de la domination ou meme quelque chose comme un effort maladroit d'imitation qui conforte le colonisateur - sinon plus tard l'observateur de la scene poli- tique africaine - dans l'idee que ces "gens" sont inferieurs ou, plus aimable- ment, qu'ils ne sont pas encore "prets" pour la democratie. Au dela de cette surface s'elabore un code d'usage interne au groupe opprim6, tourne vers l'affirmation de l'individu, de la collectivite, vers la resistance, la liberation, la creation. Bien stir, il s'agit ici d'une "mise a plat" passablement artificielle car les choses de la realite ne sont jamais aussi clairement definies. Mais ce schema "ideal" montre encore une fois le rble moteur de l'ambivalence, son efficacite, dans les strat6gies de resistance et de production du nouveau. L'adh6sion peut etre feinte ou partielle, jamais integralement cynique; reprendre les armes de l'adversaire, maitriser leur maniement revient a les interioriser et le savoir ainsi acquis ne se perd pas, continue a intervenir dans la maniere dont la lutte est pensee. Les illustrations esth6tiques de ce phenomene sont nombreuses; les manifestations politiques aussi, pour peu qu'on veuille bien les voir sous cet angle.

Cela aiderait sans doute a comprendre comment se sont formes les partis et syndicats indigenes des colonies et ne pas trop se laisser surprendre par leur evolution. Pourquoi l'exigence de suffrage universel et la pratique des elections se sont transform6es? Pourquoi les assembl6es, parlementaires ou

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autres, ont improvise sur le r6le qui leur avait ete assign6? Pourquoi les mili- taires, des civils les soutenant dans ces entreprises, ont pense ne pas devoir

simplement jouer les muets du serail? Pourquoi les mecanismes de mobili- sation sont si divers, si apparemment composites, si 6tranges?

Ce qui s'est pass6 naguere, ce qui se passe aujourd'hui, ne sont rien d'autre que des proces d'6mergence de nouvelles formes d'organisation poli- tique et sociale ne se contentant pas de reproduire ce qui existe dans d'autres cultures. Meme si ces proces produisent des crises, ofi faut-il mettre l'accent, sur la crise ou sur l'innovation? L'6tude de l'histoire des crises euro-am6ricaines devrait nous guider ici.

Ce serait l'objet d'un autre travail comparatif. Pour l'heure, j'ai seule- ment essaye de montrer pourquoi je crois fondee une recherche de l'innovation, et tent6 de voir selon quels axes elle peut etre organisee. Si tout cela ne releve pas de l'absurde, il faudra en revenir au concret et le verifier dans des etudes de cas. Ce qui m'incite a persister pourrait etre resume dans une hypothese triple de l'efficace des strategies d'innovation politique.

Une efficace de communication dans des societ6s plurielles en muta- tions: la production de codes symboliques nouveaux capables de sensi- biliser, de canaliser, 6ventuellement de mobiliser passions et 6motions dans toutes les instances, dans toutes les structures du complexe social,1o permet de transmettre informations et affects dans l'ensemble du systeme poli- tique.

Une efficace de transition: elle permet l'adaptation et la transformation des langages, mecanismes et institutions politiques en fonction des muta- tions sociales et des mutations concomitantes des imaginaires et des systemes de repr6sentation.

Une efficacit6 de marchandage, enfin: articulee sur la multiplicit6 des temps sociaux et la diversite des pratiques sociales, elle permet que les rela- tions entre gouvernants et gouvernes se perp6tuent tout en etant toujours remises en cause, a travers un double mouvement de tentative des uns pour d61imiter et imposer un espace politique legitime et un temps unifie, et de d6bordements, de transgression des autres, visant a preserver leurs temps et leurs tempos, leurs types de relation et leurs modes d'affection.

Conclusion: Pour une sociologie de l'innovation politique Finalement, une sociologie de l'innovation politique appliquee A l'6tude des soci6t6s africaines pourrait pr6senter, au moins, une demi-douzaine d'avantages. Elle se preoccupe de dynamiques et de relations. Elle situe donc le pouvoir au centre de l'analyse politique puisqu'elle l'envisage comme adaptation, relation et echange (Bourdieu i977, 183-197). L'Etat et la "soci6t6 civile" s'y trouvent r6unis, au moins tres 6troitement reli6s, et, en tout cas, leurs relations s'inscrivent dans celles, plus larges, qui s'organisent

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autour du pouvoir. Le pouvoir parait alors tentative, parfois couronnee de succes, d'obtenir le consentement ou la tolerance pour decider; le consente- ment ou la resignation pour s'enrichir; au benefice d'individus ou de

groupes, les premiers ne pouvant etre abstraits des seconds." On conqoit en consequence que la sociologie de l'innovation politique

ambitionne de ne plus voir oppos6es analyse de classe et analyse culturaliste mais de tirer pleinement avantage de leur combinaison et de leur immersion dans une histoire en mouvement. La causalite buissonnante dynamisant les formations economiques et sociales montre que la diversite dynamique des modes de production, les proces particuliers de structuration sociale, les

systhmes de representations, leurs accords en ideo-logique rendent

indispensable le recours a ces deux schemas. L'etude de l'innovation politique impose de se pencher sur ces

"rveelateurs sociaux" qui permettent dans l'6thique ou dans l'esthetique de "detecter les courant du changement sous les eaux mortes de la continuit6"

(Balandier 197Ib, 86). C'est le domaine des "objets politiques non identifies"

(OPNI), frappes d'incredulite parce que ne parlant (presque) jamais du

pouvoir tout en evoquant inlassablement le pouvoir. Religions, strategies de

mariage, d'heritage, jeux, litterature orale ou ecrite, evolutions linguis- tiques, musiques (pas seulement reduites aux paroles des chansons) (Con- stant 1982), autant de points oii l'imagination sociale peut se d6couvrir dans sa complexite, ses ambiquites, ses ambivalences. Car les OPNI delaissent le reve d'une creativit6 "populaire" tout entiere vou6e a la revolte, pour admet- tre que les "elites" peuvent aussi inventer et que tous disent, de plusieurs point de vue, en plusieurs langages qui doivent &tre confrontes, le r6el dans ses contradictions.

Cette sociologie de l'innovation ouvre sur des perspectives compara- tistes, susceptibles d'aider au depassement de la querelle sur l'universalite et la specificite de l'Afrique. Elle voudrait repondre "a la n6cessite intellec- tuelle de penser l'autre a la fois comme different et comme identique" (Auge 1979, 32) en etudiant les proces, dans ce qu'ils ont d'universel et leurs aboutissements temporaires, en ce qu'ils portent la marque de cultures particulieres.

L'id~e d'innovation surmonte l'ambiguit6 qui semble decouler d'une "mondialisation de la culture": elle indique que l'intensification des echanges ne signifie pas universalisation mais, par la dialectique du "dedans" et du "dehors" intervenant dans un espace culturel et un temps donnes, derechef, innovation. Elle aboutit done a un cycle infini: diffusion, creolisation, diff6rences, diffusion. La musique fournit de nombreux exem- ples de son fonctionnement.

Corr1lativement, la sociologie de l'innovation doit se situer, en son prin- cipe, par dela le bien et le mal. Elle recuse l'idee, rencontr6e par exemple

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chez David Apter (1965, 13-14), que le jugement moral n'est jamais premature dans l'6tude d'un systeme politique (et que le "systhme d6mocratique occidental" peut lui servir de point de r6ference), en revenant a la regle durkheimienne qui implique de traiter les objets sociaux comme des choses et d'en aborder l'etude en acceptant qu'on ignore absolument ce

qu'ils sont.12

Enfin, une sociologie de l'innovation retrouve encore Gurvitch pour deboucher sur une nouvelle appr6hension de la nature culturelle du savoir et des potentiels specifiques (mais applicables i l'universel) dont sont charges les savoirs issus de cultures particulieres.

Elle suppose que le savoir classique de l'Afrique n'a pas toujours ete

reconnu, que ses mani res de faire sont effectivement une maniere originale de se colleter avec le reel, que l'innovation peut apporter les r6ponses aux

problemes (et il n'est pas question de nier ici qu'ils sont dramatiques, offrant

trop souvent l'alternative entre la survie et la mort) que l'Afrique vit

aujourd'hui. Tant il est vrai que

... si la creativite, au lieu d'&tre cette facult6 d'adaptation ... 6tait "aussi," dans les sciences comme dans la vie, face aux problemes pos6s par les contradictions d'une culture, la faculte d'accepter le heurt des espaces civilis6s, la capacit6 d'inventer, dans la deviance - autrement dit hors des proc6dures habituelles d'encadrement - des voies radicalement nouvelles" (Mudimbe 1982, 8o),

alors l'Afrique ne pourrait-elle sans doute pas trouver de "raccourcis vers le

progres," mais elle se revelerait capable de tracer de nouveaux chemins.

i. Ce texte reprend, et essaye de developper, les idees presentees dans des com- munications faites lors d'une table ronde du CREDU organisee A Nairobi le 19 sep- tembre 1984 et au cours de la 27eme r6union annuelle de l'African Studies Associa- tion qui s'est tenue ' Los Angeles en octobre 1984. Je tiens '

remercier ici le Social Research Council de m'avoir donne les moyens de participer a la rencontre de Los Angeles.

A divers moments de son elaboration, et sous des formes variees, cette etude a benefici6 des avis et commentaires de Jean-Francois Bayart, Jean Copans, Christian Coulon, Goran Hyden, Bogumil Jewsiewicki, Rene Lemarchand, Shem Migot- Adholla, M. Nyangira, Atieno-Odhiambo, H.W.O. Okoth-Ogendo, Richard Sand- brook, Immanuel Wallerstein, et Tatiana Yannopoulos. Je souhaite leur exprimer ma gratitude tout en pr6cisant, comme de coutume, que je reste seul responsable de sa forme et de son contenu.

2. Le pouvoir d'Etat, compris comme relation, serait du type de ces rapports sociaux qui "determinent l'acces aux ressources, aux moyens de production et au pro- duit du travail social, et qui distribuent les individus et les groupes a diverses places du proces de travail" (Godelier 1973, I:Io).

3. La multiplication des types prend chez David Apter l'allure d'une manie taxi- nomique et fait songer

' un Carl von Linn6 qui aurait abouti ' une classification

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systematique des especes introuvables. D'autre part, le verdict modernisateur octroyd aux societes ganda, ashanti, ou ibo conduit B s'interroger au vu de ce qu'elles ont connu depuis vingt ans. Plus generalement, c'est l'id6e meme de modele occidental qui doit &tre remise en cause, et son corrollaire de p6riple modernisateur qui con- duirait d'un "systeme neo-mercantiliste" a un

"systhme de reconciliation" en passant par "un systeme de mobilisation" (Apter 1965).

4. On peut noter que l'espace est semblablement traite qui, devenu officiellement la propriete de l'Etat national decidant de sa repartition en arguant et des codes fon- ciers importes et des pratiques coutumieres, abrite en fait la rencontre de deux matrices spatiales, gendratrices de "bricolages" d'oui peut-etre 6mergera une nouvelle conception correspondant

' des dynamiques de structuration sociale inedites: Face A une ideologie de la modernite s'exprimant dans le theme du "paysan modele," du "chef de famille pr6voyant" ou de la "mbre responsable," certaines reponses s'expriment faute d'autres references, en utilisant le langage de l'autochtonie, de la communaut6 de classe d'age, de la parente voire de la sorcel- lerie. Inversement, pour tenter de resoudre des problemes inherents a la matrice spatiale pr6-capitaliste, certains paysans n'hesitent pas

' recourir aux instruments de la matrice capitaliste. Le coutumier de l'administrateur, la carte du terroir dressee par le geographe sont alors detournes de leur objet premier et servent de preuve "irrefutable" parce que fond~e sur I'6criture (Le Bris et Le Roy 1982, 398). Et l'accord s'6tablit aussi pour reconnaitre dans l'Afrique actuelle la coexistence de

plusieurs modes de production. Cette diversite, synchrone et articulee, est 6videm- ment importante pour comprendre la maniere dont s'ordonnent et se relient groupes et classes sociales:

La coexistence de modes de production differents suscite une het6rogeneit6 sociale profonde et une superposition complexe de principes de stratification sociale qui rend extremement difficile la formulation de strategies de lutte sociales fondees sur le seul principe des classes ... De ce fait, l'ensemble de la soci6te ne s'ordonne pas autour d'un axe unique de stratification et de domination qui structurerait l'ensemble de la societe civile (Jobert 1983, 538). 5. Georges Balandier pose pour commencer, "la societe comme ordre approxima-

tif et toujours mouvant" (197Ib, 8) et pr6cise plus loin: "La dynamique est une propriet6 n6cessaire du systeme social et ... toute soci6te ne peut etre qu'un systeme approximatif" (I197Ib, 34). Toutefois cette force interne poussant a la transformation sociale s'etiole analytiquement lorsque saisie isolement; elle doit, tout particulierement dans les situations ayant 6t6 marquees de faqon decisive par la colonisation, /tre mise en relation avec des facteurs externes. A la suite de Max Gluckman, Balandier affirme que les changements sociaux et culturels y resultent d'une dialectique des "dynamiques du dedans" et des "dynamiques du dehors." Il indique que, "la dynamique du "dehors" peut non seulement inflechir, ou modifier profondement celle du "dedans," mais aussi intervenir a la maniere d'une 6preuve - ou d'une quasi-exp6rimentation, du point de vue de l'observateur" (197 Ib, 39).

6. "La relation de complmentarite entre deux oppos6s implique que chacun d'eux soit djai l'autre de l'autre pour se poser, en meme temps qu'il l'exclut de soi, comme autre" (Lazzeri 1982, 205).

7. "La 'contradiction' est inseparable de la structure du corps social tout entier dans lequel elle s'exerce, ins6parable de ses conditions d'existence, et des instances meme qu'elle gouverne ... elle est donc elle-meme, en son coeur, affect6e par elles, determinante mais aussi determin6e dans un seul et meme mouvement, et d6termin~e par les divers niveaux et les diverses instances de la formation qu'elle

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anime: nous pourrions la dire surdetermin6e dans son principe" (Althusser 1965, 99- I00).

8. "L'ideo-logique comme discours theorique possible est unique.... Si elle est surditerminee, c'est bien dans la mesure oui, fonctionnant 'au coup par coup,' elle commande (bien plus qu'elle exprime) la pratique des uns et des autres et la vie des groupes comme la vie des individus. Elle est dans la pratique de tous. De ce fait, elle ne se manifeste jamais dans un discours concret (un diagnostic, une accusation, une priere) que partiellement: l'explication d'un evenement, le choix d'une conduite n'exigent jamais, a eux seuls, la prise en compte de tous les ordres de repesentation, de l'ideo-logique dans son ensemble. L'id6o-logique constitue en quelque sorte une virtualite qui ne s'actualise qu'en enonces partiels: la totalite du discours et sa syn- taxe (qui fait sa part, rappelons-le, A l'implicite, a !'allusif) sont une reconstitution de l'observateur" (Aug& 1975, 4Io-4II).

9. Voir, par exemple, les textes de ces auteurs dans Guernier (1950). iO. Voir, par exemple, les reflexions faites des 1922 a partir des recherches de Sig-

mund Freud par le juriste viennois Hans Kelsen: "Le concept d'Etat et la psychologie sociale avec pour r6ference particuliere la theorie des masses selon Freud" (Kelsen 1984).

I I. Cela renvoie encore une fois A l'ambiguit6 de la relation de pouvoir: L'ambiguit6 est donc un attribut fondamental du pouvoir. Dans la mesure oih il s'appuie sur une in6galit6 sociale plus ou moins accentude, dans la mesure ofi il assure des privileges a ses detenteurs, il est toujours, bien qu'A des degres variables, soumis a contestation. Il est en mime temps accept6 (en tant que garant de l'ordre et de la securite), revere (en raison de ses implications sacrees) et contest6 (parce qu'il justifie et entretient l'inegalite) (Balandier 1967, 49). 12. Cette regle a si souvent 6t6 mal comprise qu'il vaut peut-&tre mieux la resti-

tuer plus longuement: Les faits sociaux doivent etre traites comme des choses ... Est chose tout objet de connaissance qui n'est pas naturellement compen6trable i l'intelligence.... Traiter des faits d'un certain ordre comme des choses, ce n'est donc pas les classer dans telle ou telle categorie du r6el; c'est observer visa vis d'eux une certaine attitude mentale. C'est en aborder l'etude en prenant pour principe qu'on ignore absolu- ment ce qu'ils sont ... (Durkheim 1963, 12-13).

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