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LLaa rrcceeppttiioonn ddee lliiccoonnooggrraapphhiiee lleeuussiinniieennnnee
ddaannss llaa ccrraammiiqquuee iittaalliioottee
GGrraahhaamm CCUUVVEELLIIEERR
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OOrriieennttaattiioonn ggnnrraallee -- OOppttiioonn AAnnttiiqquuiitt mmddiitteerrrraanneennnnee -- FFiinnaalliitt aapppprrooffoonnddiiee
DDiirreecctteeuurr :: TThhoommaass MMOORRAARRDD
LLeecctteeuurrss :: VViinncciiaannee PPIIRREENNNNEE--DDEELLFFOORRGGEE eett RRiicchhaarrdd VVEEYYMMIIEERRSS
II
UUnniivveerrssiitt ddee LLiiggee FFaaccuulltt ddee PPhhiilloossoopphhiiee eett LLeettttrreess
AAnnnnee aaccaaddmmiiqquuee 22001144--22001155
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Sophocle, Triptolme
(TrGF IV, fr. 598)
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Tables des matires
Introduction p. 1
I. La Grande Grce et la cramique italiote p. 2
Comment faut-il comprendre Grande Grce ? p. 2
Les Grecs en Occident p. 4
La cramique italiote figures rouges p. 7
La cramique italiote du XVIe au XXIe sicle p. 9
II. Eleusis, le site, son culte et son iconographie p. 12
Le site et son histoire p. 13
Les Mystres dEleusis p. 15
Liconographie leusinienne dans la cramique attique p. 20
III. Liconographie leusinienne dans la cramique italiote p. 42
Lenlvement de Kor la kathodos de Persphone lanodos de Kor p. 42
Lerrance de Dmter p. 51
Le dpart de Triptolme, les filles dAnios et Marn p. 56
Aux Enfers p. 65
Le sanctuaire dEleusis p. 82
IV. Limagerie leusinienne comme tmoignage de la prsence de cultes de type
leusinien en Grande Grce ? p. 93
Evocation de cultes de type leusinien p. 93
La torche en croix p. 101
Conclusion p. 109
Appendice : le fragment Kiev 147 a p. 111
Abrviations bibliographiques p. 113
Rfrences bibliographiques p. 114
Table des figures p. 127
Planches A AJ
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1
Introduction
Liconographie leusinienne a t bien tudie pour ce qui concerne lAttique. Elle a
cependant connu, en Grande Grce, durant le IVe sicle avant notre re, un dveloppement
dont aucune tude, ma connaissance, na vraiment cherch rendre compte. Cest ce quoi
je me suis attel dans le cadre et dans les limites de ce mmoire. Le support par excellence de
limagerie grecque tant les vases peints, jai consacr mon tude la cramique italiote1.
Le premier chapitre a pour but de poser de faon plus approfondie quand cela a t
ncessaire les cadres gographique et chronologique dans lesquels cette production italiote a
vu le jour. En traitant de liconographie leusinienne, je ne pouvais pas ngliger de faire un
dtour par lAttique. Le deuxime chapitre est donc consacr au site et aux cultes dEleusis
puis liconographie leusinienne telle quelle apparat dans la cramique attique. Les deux
chapitres suivants entrent dans le vif du sujet, dabord par ltude de scnes mythologiques en
lien plus ou moins direct avec le cycle leusinien ; ensuite, pour le quatrime chapitre, par la
prsentation de thmes renvoyant plutt la sphre cultuelle. Ce dernier chapitre pose
galement une srie de problmatiques auxquelles je nai pas forcment pu donner les
dveloppements quelles mriteraient car ils auraient dpass le sujet et le cadre de ce
mmoire. Mais elles pourraient faire lobjet dune tude plus large et plus approfondie.
Tous les vases prsents dans ce mmoire sont accompagns, dans le catalogue, dune
description prcise que jai tenu appuyer, pour chacun deux, par une ou plusieurs
illustrations. Ce texte contient plthore de notes de bas de page. Elles ont pour but de
permettre diffrents niveaux de lecture, sans en briser le rythme, car elles abordent
essentiellement des problmatiques priphriques sans lesquelles le texte peut, selon moi, tre
compris. Outre les rfrences bibliographiques et/ou textuelles grce auxquelles je nourris
mes raisonnements, jai voulu quelles fournissent des complments dinformations que jai
pu glaner au fil de mes lectures. Certaines dentre elles contiennent des pistes que je nai pas
eu loccasion dapprofondir ou que jai bel et bien approfondies mais pour lesquelles je nai
pas voulu trop entrer dans des dtails qui seraient devenus marginaux. Cest, par exemple, le
cas lorsquil est question des cultes mystres dEleusis, sujet combien riche et vaste dans
quelque domaine des sciences historiques que ce soit. Liconographie, elle aussi, entrane de
nombreuses observations, interprtations et conclusions. Certaines sont intuitives et ne sont
pas videntes dmontrer car la mise en srie nest pas toujours possible. Dautres, au
contraire, semblent acquises jusquau jour o un seul tmoignage suffit les remettre en
question. Mais cest cela aussi qui donne tout son charme ltude de liconographie antique.
1 Je dis support par excellence mais il faut bien garder lesprit quil en tait tout autrement durant
lAntiquit, poque laquelle dailleurs les artisans qui peignaient les scnes de ces vases ne jouissaient pas du
statut et de la reconnaissance de leurs contemporains qui sillustraient dans la grande peinture, dans
larchitecture ou dans la sculpture. Si nous connaissons bien souvent grce la littrature antique et pas
forcment par la conservation de leurs uvres les noms dartistes comme Phidias, Praxitle, Lysippe,
Polygnote, Zeuxis, Parrhasios, Apelle, Ictinos ou Callicls, la grande majorit des imagiers qui ont ralis les
dcors des vases que nous possdons doivent se contenter dtre des Peintres de . Les vases sont le support
par excellence de lart grec car la plus grande partie des images antiques que nous possdons ont t conserves
sur les productions cramiques. Mais l encore, il faut rester conscient que nous ne conservons trs certainement
quune infime partie de tous les objets qui ont pu sortir des ateliers des potiers grecs durant lAntiquit.
Des estimations sont proposes par METZGER, Dionysos, pp. 4-5.
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2
I. La Grande Grce et la cramique italiote
Comment faut-il comprendre Grande Grce ?
Grande Grce vient de lexpression latine Magna Graecia qui, elle-mme,
correspond au grec ancien . Il me semble important, dans ce premier chapitre,
de dfinir correctement la ralit gographique et culturelle quimplique ce terme.
Lexpression semble apparatre au IIe sicle avant notre re. On la trouve, par
exemple, chez Polybe o elle dsigne une partie dun territoire que lhistorien appelle 2.
Cet autre terme grec, translittr Italia dans la langue latine, existe quant lui au moins
depuis le Ve sicle avant notre re3. Strabon, citant Antiochos de Syracuse, un historien du
Ve sicle, rapporte qu dsigne ce que lon appelait auparavant ,
lntrie, terre du vin et foyer des ntres4. Cette population de lge du Fer occupait
un vaste territoire allant du sud de la Campanie la Calabre, autrement dit toute lItalie
mridionale5. Un peu plus haut dans la Gographie, Strabon dsigne par le
territoire occup par les cits grecques implantes sur la cte ionienne de lItalie6. La Grande
Grce correspond donc la partie mridionale de lItalia, ancienne ntrie, occupe par les
cits grecques. Etant donn quil cite maintes reprises Antiochos, on pourrait se demander si
Strabon ne lui reprend pas aussi le terme de Grande Grce, ce qui le ferait remonter au
Ve sicle7. Quoi quil en soit, le concept de apparat avec certitude au
IIe sicle avant notre re et durant les premiers sicles de notre re Porphyre parle encore
dune 8.
Concernant la signification de ce terme, on est en droit de se demander en quoi cette Grce est
grande9. Le premier rflexe serait videmment de mettre cette grandeur en lien avec
lampleur et lextension territoriale que ces cits donnrent au monde grec. Une autre
hypothse maintenant communment accepte mais qui devrait peut-tre tre nuance est
que sa grandeur soit aussi rapporter la culture et la philosophie particulires qui se
sont dveloppes dans cette partie du monde grec notamment et notablement suite
linfluence du pythagorisme puis des autres courants de pense inscrits dans la tradition
pythagoricienne10. La connotation pythagoricienne de la Grande Grce est indniable dans le
2 Polybe, II, 39 : . 3 Il se retrouve, par exemple, chez Hrodote, I, 24 ; Xnophon, Hellniques, V, 1, 26 ; Sophocle, Antigone, 1118. 4 Strabon, VI, 1, 4 (p. 254). Denys dHalicarnasse, I, 35 renvoie aussi Antiochos de Syracuse pour la mme
information. Virgile, Enide, I, 532 cite les notri dans les populations prcdant larrive dEne en Italie. 5 Cest par la suite et plus significativement aprs la conqute romaine que lItalia dsignera toute la
pninsule italique et couvrira le territoire que nous appelons actuellement Italie. 6 Strabon, VI, 1, 2 (p. 253). Pour les commentaires, je renvoie RADT, Geographika, VI, pp. 143-144. 7 Un dveloppement complet de cette ide se trouve chez MUSTI, Strabone, pp. 61-94. 8 Porphyre, Vie de Pythagore, 20. 9 Notons que ladjectif qui la qualifie nest ni un comparatif ni un superlatif. Il ne sagit donc pas dune
Grce plus grande qui renverrait une plus petite (qui serait en loccurrence l telle quon la trouvera plus tard chez Plutarque, Vie de Timolon, 37, 5), ni dune Grce plus grande de faon absolue. 10 VON MATT & ZANOTTI-BIANCO, Grande Grce, pp. 14-16 ; MOREL, Grande Grce, p. 2 ; PARRA & SETTIS,
Magna Graecia, pp. 37-39. En effet, fuyant Samos dirige par le tyran Polycrate, Pythagore, le clbre
philosophe prsocratique du VIe sicle, traverse la Mditerrane et arrive Crotone. Il y instaure une vritable
communaut pythagoricienne, une secte dont les membres sont essentiellement issus de laristocratie et qui
suivent un mode de vie et de pense asctique dict par les du philosophe. Des communauts du
http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=7952;957;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=964;959;8150;962;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=954;945;964;8048;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=964;8052;957;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=7992;964;945;955;8055;945;957;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=964;8057;960;959;953;962;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=954;945;964;8048;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=964;8052;957;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=924;949;947;8049;955;951;957;http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/polybe_hist_02/precise.cfm?txt=7961;955;955;8049;948;945;
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passage de Porphyre cit prcdemment et il en est de mme chez Jamblique11. Polybe mettait
galement en lien la Grande Grce et les Pythagoriciens. Si lexpression est
bien apparue au IIe sicle avant notre re, alors il semble que cest effectivement une
connotation pythagoricienne quil faille lui attribuer.
Ce que nous dsignons donc actuellement par lexpression Grande Grce correspond au
territoire occup par les cits grecques implantes sur la cte ionienne de lItalie12 ainsi que
les nouvelles cits que celles-ci ont leur tour fondes dans tout le sud de lItalie. Ltendue
gographique recouverte par la Grande Grce volue donc au fil du temps, paralllement
au dveloppement de ces cits mais aussi lexpansion de la culture grecque en Italie
mridionale. Il sagit alors de laire gographique (fig. 1) dont Cumes est la limite
septentrionale et dont la limite mridionale est forme par le littoral de la Mer Ionienne, entre
Rhegion et Crotone, puis par le Golfe de Tarente. Ces implantations grecques sont
essentiellement ctires13 et, de plus, la chane apennine mridionale ne permet pas doccuper
facilement larrire-pays ou de sy dplacer ( moins dutiliser le rseau hydrographique).
Cette aire gographique peut ensuite tre divise en trois ensembles. Le premier, lApulie,
correspond au talon de la botte italienne, clt le Golfe de Tarente et stend ensuite au nord en
remontant le long du littoral adriatique. La Campanie est borde par la Mer Tyrrhnienne et
entoure le Golfe de Naples. La Lucanie correspond la partie mridionale de cette aire.
A louest, elle stend jusqu la cte tyrrhnienne, au sud de la Campanie. Elle embrasse
ensuite toute la partie infrieure du Golfe de Tarente. Au-del, pour toute la pointe de la botte
italienne, jusquau dtroit de Messine, il sagit de la Calabre, lantique Bruttium. Les cits
grecques sont moins nombreuses dans cette rgion ; on y trouve, par exemple, Crotone,
Locres Epizphyrienne et Rhegion. De lautre ct du dtroit de Messine se trouve la Sicile
mais cette le est considrer comme une aire gographique propre qui ne fait pas partie de la
Grande Grce14. Dans le cadre de ce mmoire, je ne traverserai pas le dtroit et ne
maventurerai pas dans cette entit particulire quest la Sicile. La Grande Grce et la Sicile
forment alors deux ples distincts de lexpansion grecque en Occident mais, sil ne faut pas
les considrer comme faisant partie du mme ensemble gographique, ces considrations ne
doivent toutefois pas sappliquer aux domaines historique et politique15.
mme genre apparaissent, entre autres, Tarente, Syracuse, Sybaris et Mtaponte o le philosophe mourut
au dbut du Ve sicle. Une synthse concernant Pythagore, sa philosophie et son impact sur la pense grecque
puis occidentale se trouve chez MATTEI, Pythagore. Quoi quil en soit, parler dune vritable culture voire dune
religion pythagoricienne en Grande Grce me semble risqu. 11 Porphyre, Vie de Pythagore, 20 ; Jamblique, Vie de Pythagore, 166. 12 A ceci prs que Cumes, la premire cit de Grande Grce, se trouve sur la cte tyrrhnienne. 13 Elles sont, bien entendu, mettre en rapport avec laccs la mer mais aussi en tout cas pour les toutes
premires installations avec la position stratgique quelles pouvaient constituer en cas de mauvais rapports
avec les populations autochtones. Comme nous le verrons par la suite, cest le cas de Pithcusses et dOrtygie
qui ont, dans un premier temps, constitu des avant-postes permettant aux Grecs dvaluer la situation avant la
fondation des cits de Cumes et de Syracuse. Le mme phnomne sobserve en Mer Noire : les Grecs de Milet
se sont dabord installs sur lle de Borysthnes avant de fonder Olbia. 14 Chez Hrodote, I, 24 et Xnophon, Hellniques, V, 1, 26, on trouve bien la distinction entre et .
Seul Strabon, VI, 1, 2 (p. 253) propose de considrer la Sicile comme faisant aussi partie de la Grande Grce. 15 Ni au niveau culturel dailleurs car la pense pythagoricienne a bel et bien travers le dtroit de Messine et
lon donnerait alors raison Strabon (cfr supra, note prcdente) qui considre la Sicile comme faisant partie de
la Grande Grce si lon accepte la connotation exclusivement pythagoricienne de cette expression.
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Les Grecs en Occident
Lexpansion grecque en Mditerrane est un phnomne bien particulier sur lequel on
aurait trop rapidement tendance projeter lacception que nous donnons au terme
colonisation . Comme cest bien souvent le cas pour ce type de projections modernes, des
nuances sont ncessaires. Les implantations de Grecs hors du territoire que nous concevons
actuellement comme tant la Grce ne correspondent en aucun cas au colonialisme tel quil a
t envisag durant la seconde moiti du XIXe sicle. En effet, ces tablissements de Grecs en
territoires originellement non grecs ont donn lieu la fondation de cits autonomes et
autarciques sans dpendance profonde une mtropole16. Si relation il y a entre la cit
dorigine et la cit nouvelle, il sagit davantage de filiation culturelle et religieuse que de
dpendance ou de soumission de lune par rapport lautre. Dailleurs, les habitants de ces
nouvelles cits ne sont plus citoyens de celle quils ont quitte. De plus, certaines de ces cits
nouvelles donnent, leur tour, naissance dautres cits suivant le mme processus. Peut-tre
serait-il donc prfrable de parler de cits-mres donnant naissance des cits-filles au
lieu de parler de mtropoles et de colonies 17 ?
Les contacts entre le monde grec et la zone gographique qui va devenir la Grande Grce
remontent dj la fin de lge du Bronze et sont attests par la prsence de matriel
mycnien ou dinfluences mycniennes dans ces rgions. Ces contacts sont essentiellement
commerciaux et visent lchange et limportation de matires premires comme le cuivre, le
plomb ou lobsidienne. La vritable expansion grecque en Mditerrane commence au dbut
de lpoque archaque et se produit suivant deux phases. La premire prend place entre
environ 770 et 670 A.C.N. et il en dcoule la fondation des premires cits de Grande Grce
et de Sicile. La seconde phase stale entre environ 670 et 550 A.C.N. et touche davantage
lAnatolie, le Pont Euxin mais aussi le sud de la France. Les raisons qui poussrent des Grecs
quitter leur cit dorigine pour se lancer dans cette aventure sont bien souvent lies
lexigut du territoire cultivable qui ne peut suivre laugmentation dmographique.
Il est parfois aussi question de conflits politiques internes menant lexil volontaire ou forc
dune partie des membres de la cit. Il ne faut cependant pas exclure les aspects conomiques
et commerciaux motivs par le besoin en matires premires ou par les productions agricoles.
Les premiers Grecs simplanter en Occident sont des Eubens venus de Chalcis qui, vers
770 A.C.N., sinstallent, dans un premier temps, sur lle de Pithcusses puis fondent la cit de
Cumes sur la terre ferme. Ensuite, vers 730 A.C.N., dautres Chalcidiens fondent Naxos, la
premire cit grecque de Sicile. Ces Chalcidiens sont suivis par des Corinthiens qui, la
mme poque, sinstallent sur la presqule dOrtygie puis stendent sur la terre et fondent
Syracuse. Je ne vais pas davantage entrer dans lnumration de la fondation et de lorigine de
toutes les cits de Grande Grce et de Sicile18 mais il me semble encore ncessaire dajouter
16 Je veux ici parler des implantations de type ( habitat dtach ) et donc de vritables cits fondes
par une communaut dindividus dans loptique de sy installer de faon durable et dont le but nest pas
ncessairement de regrouper en un mme endroit des contacts commerciaux comme cest le cas des installations
de type telles Naucratis dans le nord de lEgypte ou Emporion sur la cte est de la pninsule ibrique. 17 Colonie , du latin colonia, dsigne un type dtablissement o la dpendance la mtropole est
omniprsente et ne correspond pas la situation qui sobserve en Grande Grce (GUZZO, Magna Grecia, p. 14). 18 Lune des premires tudes modernes concernant limplantation de Grecs en Occident a t mene par
DUNBABIN, Western Greek. Lorigine la fois lgendaire et historique de ces cits grecques telle quelle est
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cinq dentre elles car leur importance historique et artistique ne pourra tre nglige dans la
suite de ma recherche. Cest le cas de Sybaris, dans le nord de la Calabre, sur le Golfe de
Tarente, fonde vers 720 A.C.N. par des Achens qui, son tour, fonde Poseidonia, prs de
lembouchure du fleuve Sele, sur la cte tyrrhnienne la fin du VIIe sicle. Des Spartiates
fondent Tarente, en Apulie, dans le golfe qui prendra son nom, la toute fin du VIIIe sicle.
Dans ce mme golfe, des Achens fondent Mtaponte au milieu du VIIe sicle. Prs de deux
sicles plus tard, en 444/443 A.C.N., une expdition constitue essentiellement dAthniens
mais aussi de Grecs venant des quatre coins du Ploponnse et des les de la mer Ege
aboutit la fondation de Thourioi sur le site laiss vide par la destruction de la seconde
Sybaris suite un nime conflit entre les Sybarites et les Crotoniates19. Pricls charge
Hippodamos de Milet den raliser les plans urbanistiques et, daprs la tradition, cest
Protagoras qui rdige la constitution de cette cit panhellnique . Thourioi devient
galement le dernier sjour dHrodote qui sen proclamait citoyen.
En plus des ventuels conflits territoriaux avec les populations autochtones, ces multiples
cits connaissent galement des diffrends entre elles, notamment en raison de lorigine
ethnique de leurs habitants20. En effet, les Ioniens occupent plutt la cte tyrrhnienne
avec des cits comme Cumes et Ele mais aussi, partir de la seconde moiti du Ve sicle, le
Golfe de Tarente avec la cit de Thourioi21. Les Doriens, quant eux, occupent la majeure
partie du Golfe de Tarente, louest de la cit ponyme. Ils sont galement prsents dans
toute la partie mridionale de la Sicile. Enfin, les Achens se concentrent sur la cte ionienne
de la Calabre avec des cits comme Sybaris et Crotone mais aussi dans le Golfe de Tarente
avec Mtaponte et sur la cte tyrrhnienne avec Poseidonia. Ces clivages ethniques
soprent particulirement durant le dernier tiers du Ve sicle, lorsque les Guerres du
Ploponnse arrivent dans la partie occidentale du monde grec. Ce conflit qui marque la fin de
lhgmonie athnienne, dfinitivement brise suite sa capitulation finale en 40422, se
rpercute en Occident et linfluence dAthnes connat un dclin notamment suite lchec,
en 413 A.C.N., de lexpdition militaire envoye, deux ans plus tt, vers la Sicile.
Au dbut du IVe sicle23, les cits de Grande Grce se trouvent prises entre deux feux.
Dune part, Syracuse, sortie victorieuse du volet occidental des Guerres du Ploponnse, a
acquis un puissant statut sous le rgne de Denys. Dautre part, il se produit ce que lon
dsigne de faon abusive si lon tient compte de la remarque prcdente concernant la
prsente dans la littrature antique a fait lobjet de BRARD, Colonisation. Une synthse des tablissements
grecs en Italie mridionale durant les VIIIe et VIIe sicles se trouve aussi chez GRAHAM, Colony qui insiste
notamment sur la filiation religieuse entre cits-mres et cits-filles et chez GUZZO, Magna Grecia, pp. 27-49.
Concernant les Grecs en Occident, je cite encore BOARDMAN, Overseas qui, en alliant les points de vue
historique et archologique, met laccent sur les problmes commerciaux et conomiques. Un tableau
chronologique trs complet se trouve chez PARRA & SETTIS, Magna Graecia, pp. 72-82. Un autre tableau du
mme genre se trouve chez DENOYELLE & IOZZO, Cramique, pp. 239-242. 19 Les Sybarites vaincus fuient alors vers la cte tyrrhnienne o ils sont accueillis par Poseidonia. On peut dire
quau dcs de la cit-mre , cest la cit-fille qui hrite de ses habitants. 20 Un dveloppement complet de cette rpartition ethnique se trouve chez OSANNA, Grogriechenland. 21 Les Ioniens taient essentiellement prsents en Sicile, autour du dtroit de Messine et sur la cte tyrrhnienne. 22 Le monde grec continental est ensuite affaibli par les luttes incessantes pour cette hgmonie qui, durant la
premire moiti du IVe sicle, passe dans les mains de Sparte puis de Thbes pour finalement se retrouver, aprs
la bataille de Chrone, dans celles de Philippe II de Macdoine et bientt de son fils Alexandre le Grand. 23 Le paragraphe suivant a pour but de mettre en place les grandes lignes de lhistoire de la Grande Grce durant
le IVe et le dbut du IIIe sicle. Il rsulte de la synthse de DE JULIIS, Magna Grecia, pp. 247-262 ; PUGLIESE
CARRATELLI, Histoire, pp. 164-176 ; LAMBOLEY, Occident Grec, pp. 136-160 ; BASLEZ, Histoire, pp. 164-170.
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projection de ralits anachroniques comme un phnomne de dcolonisation , entam
depuis le sicle prcdent24 suite lmergence des populations indignes. Cette constitution
dEtats indignes se dveloppe principalement chez les Lucaniens et, dans une moindre
mesure, chez les Brettiens25. Il ne faut cependant pas voir la dcolonisation comme un
soulvement rvolutionnaire des populations locales mais plutt comme une reprise en main
de leur territoire. De plus, ces populations indignes sont fortement hellnises et
entretiennent toujours des contacts avec les cits grecques. En rponse ces deux menaces,
une premire Ligue Italiote se constitue en 393/392 A.C.N et rassemble Thourioi, Crotone et
Rhegion. Bien quelle ait pu contenir la pression indigne, elle est rapidement dissoute par
Denys de Syracuse. Cest alors Tarente qui passe sur le devant de la scne. En effet, les
Messapiens, indignes dApulie, ne se montrent pas aussi vhments que les Lucaniens et de
plus, Archytas, stratge de Tarente, a toujours entretenu de bonnes relations avec Denys.
Cette entente fait que Syracuse et Tarente, deux cits doriennes, se rpartissent lhgmonie
sur la Grande Grce. Archytas fonde galement une nouvelle Ligue Italiote, constitue, entre
autres, de Thourioi, Mtaponte et Hracle. Cette seconde Ligue fait davantage le poids face
aux Lucaniens en profitant aussi de lappui de Syracuse si bien quune paix est obtenue avec
les indignes autour de 360 A.C.N. qui garantit la prosprit de la Grande Grce et de la
Sicile. Cependant, au milieu de IVe sicle, une nouvelle coalition indigne se forme et runit
cette fois les Lucaniens, les Brettiens et les Messapiens. Affaiblie par le dcs dArchytas et
de Denys, la Ligue Italiote ne parvient plus contenir les indignes et Tarente doit, deux
reprises, faire appel des intervenants extrieurs. Elle se tourne dabord, en 342 A.C.N., vers
Sparte qui lui envoie Archidamos III mais la campagne de ce dernier est un fiasco et
Archidamos meurt quelques annes aprs son arrive en Italie. Tarente sollicite ensuite de
laide du ct de la Grce continentale qui, elle, tait alors passe sous la domination
macdonienne. Cest donc Alexandre Ier dEpire dit le Molosse, frre dOlympias et oncle
dun autre Alexandre, qui rpond lappel26. Le roi dEpire prend la tte de la Ligue Italiote
en se prsentant comme le dfenseur de lhellnisme en Grande Grce et parvient matriser
et repousser les indignes en Apulie. Fort de ce succs, le Molosse dcide de passer sur la
cte tyrrhnienne et cest alors quil sallie avec un nouvel acteur qui interviendra par la suite
dans le jeu politique de la Grande Grce : Rome27. Cependant Tarente se retire des entreprises
conqurantes du Molosse qui meurt en 331. A cette poque, Rome devient un nouveau
protagoniste dans lhistoire politique de la Grande Grce28 et elle entame son avance dans la
pninsule italique. En raison de leur alliance avec les Lucaniens, Tarente se montre hostile
aux Romains. Elle appelle alors nouveau laide Sparte et Clonymos, envoy par celle-ci,
parvient signer une paix avec Rome en 303. Quelques annes plus tard, ce trait de paix est
24 Cette dcolonisation semble avoir eu lieu davantage du ct tyrrhnien. Par exemple, la fin du Ve sicle,
Cumes tait passe sous la coupe des Campaniens et Poseidonia tait devenue la Phaistos lucanienne. 25 Lorigine des Brettiens (ou Bruttiens), moins hellniss que les Lucaniens, reste obscure tout comme les
conditions de leur mergence. Une confdration brettienne se formera au milieu du IVe sicle. Leur territoire
correspond ce qui deviendra le Bruttium des Romains, lactuelle Calabre. 26 LEpire se situant juste en face de la Grande Grce, le Molosse voit dans cet appel laide loccasion dimiter
en Occident le projet qua son neveu pour lOrient. Bien quil vienne galement dEpire, il ne faut pas confondre
ce Molosse avec un dnomm Pritas. 27 Rome est alors en guerre avec les Samnites, une autre population indigne originaire de Campanie.
Les Samnites tant allis aux Lucaniens, Alexandre voit donc un ami en lennemi de son ennemi. 28 LUrbs avait obtenu la reddition de Naples en 326 et avait de nouveau vaincu les Samnites en 304.
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enfreint par les Lucaniens, toujours allis de Rome et Tarente se tourne cette fois vers
Agathocls de Syracuse mais son intervention naboutit rien et il meurt rapidement.
La mme anne, Rome se lance dans une dernire guerre contre les Samnites qui prend fin en
290 A.C.N. Tarente, toujours rticente la prsence de Rome, repousse une expdition
romaine en Mer Ionienne et le Snat romain lui dclare donc la guerre en 281 A.C.N.
Pour la dernire fois, Tarente se tourne vers la Grce continentale et cest Pyrrhos, un autre
roi dEpire qui lui rpond29. Pyrrhos parvient sallier les Lucaniens et les Samnites si bien
quon peut cette fois parler dune vritable Ligue Italique unie contre Rome. Pyrrhos remporte
une srie de victoires et propose donc un trait de paix Rome qui le lui refuse.
Dans la foule de son succs, Pyrrhos est appel par les cits grecques de Sicile pour
repousser les Carthaginois mais son expdition se solde par un chec. Les Romains avaient
profit de son absence pour vaincre dfinitivement la Ligue Italique et Pyrrhos dcide
finalement de rentrer en Epire. Enfin, Rome assige et prend Tarente en 272. Cest cette
priode de la fin du premier tiers du IIIe sicle que lon place conventionnellement la fin de
lhistoire des Grecs en Occident et la totale mainmise de Rome sur la pninsule italique mais
il faut bien entendu garder lesprit que ces changements politiques et culturels ce que lon
pourrait qualifier de romanisation ne se sont pas oprs du jour au lendemain et
certaines cits grecques, notamment en Sicile, ou indignes ont encore rsist Rome aprs la
prise de Tarente. De plus, des cits comme Naples pourtant trs proche, gographiquement
parlant, de Rome resteront des centres de lhellnisme en Italie alors que la domination
romaine sera bien tablie. Viennent ensuite les trois Guerres Puniques dans lesquelles les cits
de Grande Grce auront aussi un rle jouer. On constate donc quau cours du IVe et du
dbut du IIIe sicle, cest Tarente qui, avec lappui dune srie dintervenants extrieurs
provenant essentiellement de Grce continentale, affirme son hgmonie sur la Grande Grce.
La cramique italiote figures rouges
On parle de cramique italiote pour qualifier la production qui fut mise en uvre dans
les ateliers des potiers de Grande Grce30. Le terme italiote provient du grec ancien
employ pour dsigner les Grecs installs en Grande Grce31. Tout comme la
cramique attique, la production italiote a vu la technique dite de la figure noire supplante
par la technique de la figure rouge. Cest cette dernire qui mintresse dans le cadre de ce
mmoire32. La cramique figures rouges fut produite durant une priode stalant du dernier
tiers du Ve sicle la toute fin du IVe sicle A.C.N. Bien videmment, la priode de vie de
cette production est mettre en rapport avec le contexte historique tel quil a t dvelopp
29 Pyrrhos se trouve dans une situation analogue celle dAlexandre le Molosse. A nouveau, lOrient est
bouch cette fois par les Diadoques et Pyrrhos voit dans cet appel laide de Tarente lopportunit
dtendre son pouvoir en Occident. Une des sources littraires principales concernant ce roi dEpire est la Vie de
Pyrrhos que nous a laisse Plutarque (en gardant lesprit que ce dernier vcut aux Ie et IIe sicles de notre re). 30 Etant donn les prcisions dordre gographique mentionnes prcdemment, il ne sera pas ici question de la
production sicliote. La Sicile antique forme galement une entit artistique diffrente de celle de la Grande
Grce. Des tudes sur la cramique sicliote ont t menes dans le LCS et ses supplments, dans le RVSIS,
pp. 233-242, chez DENOYELLE & IOZZO, Cramique, pp. 165-179 et chez TODISCO, Ceramica, I, pp. 329-379. 31 Ce terme est employ, entre autres, chez Hrodote, IV, 15. Thucydide, VI, 90 distingue Italiotes et Sicliotes. 32 La cramique figures noires en Grande Grce est aborde, entre autres, chez BOARDMAN, EVP, pp. 114-117
et chez DENOYELLE & IOZZO, Cramique, pp. 67-95.
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dans les lignes prcdentes. A partir du milieu du Ve sicle, limportation attique en Grande
Grce est nettement en baisse. Cette tendance stait dj amorce en Italie du nord ds le
dbut du Ve sicle suite au recul des Etrusques33 particulirement friands de ce type de vases.
Les productions attiques se font donc plus rares en Grande Grce34. Cette diminution de la
prsence et donc de linfluence de la cramique attique est lun des facteurs qui ont par la
suite conduit les peintres italiotes saffranchir des objets continentaux . Rappelons
toutefois que des artisans venant dAttique avaient migr en Italie partir du milieu du
Ve sicle, notamment suite la fondation de Thourioi. Ds lorigine de la production en
Grande Grce dans le dernier tiers du Ve sicle, les artisans italiotes ont donc pu puiser leur
inspiration au contact de ces migrs attiques ou bien dans les productions attiques prsentes
surtout dans les ncropoles35. Les imagiers italiotes smanciprent galement en partie de la
toute puissante tradition iconographique attique forge durant la seconde moiti du VIe sicle
et le Ve sicle avant notre re. Liconographie italiote a recours dautres schmas et
dautres systmes de lecture iconographiques et iconologiques36.
La cramique italiote se divise en quatre catgories stylistiques lies des centres de
production se situant dans les ensembles gographiques mentionns prcdemment. On parle
donc de cramique lucanienne dans la rgion de Mtaponte ; de cramique apulienne dans la
rgion de Tarente ; de cramique campanienne dans la rgion de Cumes et de Capoue ; de
cramique paestane dans la rgion de Poseidonia37. Contrairement aux objets attiques
imports grande chelle travers toute la Mditerrane, les productions des ateliers de
Grande Grce nont quun rayonnement local et trs peu de cramiques italiotes ont t
retrouves loin de leur lieu de production. Sur le nombre denviron vingt mille objets connus
lheure actuelle produits en Grande Grce et en Sicile, une bonne moiti provient des
ateliers apuliens38. La cramique campanienne vient au deuxime rang avec environ un
cinquime des objets suivie de la paestane avec environ un dixime. La cramique lucanienne
est la moins reprsente avec environ mille cinq cents objets. Le reste est de production
sicliote. Les formes mises en uvre par les potiers italiotes sont galement diffrentes de
celles que lon trouve en Attique. Les plus typiques et les plus impressionnantes sont les
fameux cratres volutes apuliens dont les dimensions toujours plus imposantes au fil du
IVe sicle ont pu atteindre un mtre cinquante. Ces amples volumes offrent de plus grandes
surfaces qui peuvent accueillir un dcor plus dvelopp. Les grandes dimensions de certains
vases sont indniablement mettre en lien avec le contexte funraire dans lequel la majeure
33 Les contacts entre les Grecs et les Etrusques en Italie mridionale se sont transforms en conflits durant le
dernier tiers du VIe sicle. Une alliance de Cumes et Syracuse, mene par Hiron de Syracuse, parvient
repousser de faon significative la flotte trusque lors dune bataille navale au large de Cumes en 474 A.C.N.
Cest ensuite avec les Romains que les Etrusques durent en dcoudre partir du dbut du IVe sicle. 34 Athnes cherche un nouveau march quelle trouve notamment dans les cits grecques entourant le Pont Euxin
issues de la seconde vague de colonisation ; on parle alors du style de Kertch. 35 Concernant ces productions proto-italiotes , je renvoie aux paragraphes idoines du LCS et du RVAp.
Linfluence et la prsence des artisans attiques lorigine de la cramique italiote sont encore un sujet dbattu. 36 Notamment le recours de trs nombreux objets et attributs ainsi qu la composition en deux trois registres
superposs. Cette composition en registres fait lobjet de ltude de MORARD, Darius. 37 La cramique paestane ne se dveloppe qu partir du deuxime quart du IVe sicle notamment suite au
dplacement dartisans campaniens et sicliotes dans la rgion de Poseidonia. Elle se caractrise par une volont
de la part de ces artisans de se dmarquer par un style propre. Il sagit galement de la seule production italiote
fournir des signatures des peintres Astas (RVP, pp. 84-103) et Python (RVP, pp. 136-172). 38 Jemprunte ces chiffres et ces estimations (ainsi que les suivantes) au RVSIS, p. 7.
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partie dentre eux furent dcouverts ce qui explique aussi la valeur symbolique du dcor de
ces objets. Dailleurs, remplir de vin ces fameux cratres les ferait tout simplement scrouler
sous le poids du liquide tant donn la finesse de leurs parois. Bien videmment, la
destination funraire de la cramique italiote implique que les sujets mythologiques quelle
arbore revtent galement une signification eschatologique. La production de cramique
italiote figures rouges connat un vritable ge dor en Apulie dans le dernier tiers du
IVe sicle puis finit par diminuer partir du tournant des IVe et IIIe sicles. Durant le premier
tiers du IIIe sicle, apparat, en Apulie toujours, la cramique dite de Gnathia (le site ponyme
tant lactuelle Egnazia), caractrise par lusage de la technique du vernis noir sur lequel est
surpeint un dcor polychrome39. Enfin, de mme que la prsence macdonienne en Grce
continentale avait progressivement entran la fin de la production attique de cramique
dcor figuratif, il semblerait que ce soit la prsence puis la domination romaine en Grande
Grce qui aient tout aussi progressivement mis un terme la production italiote.
Contrairement aux Grecs, ce nest pas dans la cramique que les Romains donneront libre
cours leur art.
La cramique italiote du XVIe au XXIe sicle
Les premires collections de vases italiotes se constiturent dj ds le XVIe sicle
en Italie40. Bien entendu, les quelques rudits qui en taient propritaires navaient pas en tte
dtablir de classements particuliers dans la srie de curiosits au sein desquelles, lpoque,
ces vases taient considrs comme des antiquailles trouves ou plutt la plupart du temps
pilles dans des tombes et surtout dans des tombes trusques pour ce qui est de la cramique
attique. Ce collectionnisme typique de lpoque va grandissant au cours du sicle suivant mais
ce sont vritablement les fouilles qui parfois sont plus proches du pillage que de
larchologie entreprises partir du milieu du XVIIIe sicle qui commencent mettre au
jour des vases italiotes et sicliotes en contexte41. Bien quil existe toujours des collections
prives42, ces objets enrichissent galement les muses des grandes villes europennes o ils
peuvent devenir un objet dtude pour des grands amoureux de lart antique comme Johann
Joachim Winckelmann. Les fouilles archologiques en Italie du sud battent leur plein durant
le sicle suivant et lun des grands noms de larchologie apulienne est celui de la famille
Jatta qui fouilla pendant plus de cent ans sur le site de Ruvo43. Labondance du matriel
dcouvert obligea les archologues porter un regard nouveau sur les vases italiotes, les
incitant en rechercher les centres de production et tenter la classification stylistique dun
matriel qui devenait de plus en plus abondant. Dans un premier temps, cette classification se
fait daprs le lieu de dcouverte mais, malgr le fait que la cramique italiote sexportait
39 FORTI, Gnathia ; GREEN, Gnathia ; DENOYELLE & IOZZO, Cramique, pp. 207-214. 40 FAVARETTO, Collezioni. ; DENOYELLE & IOZZO, Cramique, p. 23 ; HIGGINSON, History, pp. 10-18. 41 Un tableau chronologique recensant lactivit archologique en Grande Grce (tout au moins les tapes principales) entre 1732 et 1972 se trouve chez PARRA & SETTIS, Magna Graecia, pp. 83-85. 42 Lun des cabinets de curiosits sur toile dAlexandre-Isidore Leroy de Barde titr Vases grecs et trusques
(1797) tmoigne du got de lpoque pour ce genre dobjets, cest dailleurs un cratre italiote qui se dresse au
centre de la toile. Le clbre comte de Caylus possdait lune de ces collections qui contenait une grande
quantit de vases provenant dItalie du Sud (HIGGINSON, History, pp. 23-26). 43 Un historique complet de larchologie Ruvo du XIXe sicle nos jours se trouve chez MONTANARO, Ruvo.
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relativement peu durant lAntiquit, cette mthode ne peut tre applique de faon absolue.
Entre 1904 et 1932, Adolf Furtwngler et suite, Friedrich Hauser et Ernst Buschor
publient les trois volumes de la Griechische Vasenmalerei. Auswahl hervorragender
Vasenbilder44 o ils sattellent notamment mettre en place une classification stylistique de la
cramique italiote qui a davantage de sens et qui a permis de dterminer les quatre groupes
prcdemment dfinis. Cest Furtwngler que lon doit lide que cest lors de la fondation
de Thourioi que des artisans dAthnes avaient migr en Grande Grce et ainsi fond les
ateliers italiotes. Ce sont par la suite les travaux dArthur D. Trendall qui constituent la
rfrence fondamentale en ce qui concerne ltude de la cramique de Grande Grce et de
Sicile. Trendall avait publi en 1936 son tude sur la cramique paestane Paestan Pottery.
A Study of the Red-figured Vases of Paestum, quil refond dans une tude entirement
nouvelle en 1987 dans The Red-figured Vases of Paestum45. Trendall sinspire de la mthode
et de lapproche selon lesquelles John Beazley avait abord la cramique attique dans Attic
Black-figure Vase-painters (1956) et Attic Red-figure Vase-painters (1963). Il publie ensuite,
en 1967, les deux volumes de The Red-figured Vases of Lucania, Campania and Sicily, suivis,
entre 1970 et 1973, de trois supplments46. En parallle, entre 1978 et 1982, avec la
collaboration dAlexander Cambitoglou, Trendall publie les trois volumes de The Red-figured
Vases of Apulia, augments de deux supplments entre 1983 et 199247. Quelques annes plus
tard, en 1989, Trendall ralise le manuel Red Figure Vases of South Italy and Sicily.
A Handbook48. Plus rcemment, en 2009, Martine Denoyelle et Mario Iozzo ont produit
ltude synthtique La cramique grecque dItalie mridionale et de Sicile. Productions
coloniales et apparentes du VIIIe au IIIe sicle av. J.-C.49 Enfin, en 2012, Luigi Todisco et
son quipe ont publi les trois volumes de La ceramica a figure rosse della Magna Grecia e
della Sicilia qui tentent de prolonger et de tenir jour les travaux de Trendall50.
Je reviens en quelques lignes sur le fait que certains vases et pas forcment ceux qui
provenaient des fouilles les plus anciennes ont plutt t le produit de pillages que de
vritables fouilles. Ce genre de pratique encore actuelle coupe de faon dfinitive ces
objets de leur contexte archologique. Les vases ainsi mis au jour se retrouvent sur le march
de lart et, pour la plupart, finissent dans des collections prives auxquelles nont accs que de
rares chercheurs. Parmi eux figure Konrad Schauenburg qui a publi, entre 1999 et 2010, dans
les quatorze volumes des Studien zur unteritalischen Vasenmalerei, une certaine partie de ces
objets difficilement accessibles51. Comme cest aussi bien souvent le cas sur le march de
lart, lorsque la demande se faire sentir, une production de faux apparat pour lui rpondre et
cette pratique a fait lobjet, en 1999, dun article de Didier Fontannaz intitul Falsare
humanum est. Un atelier de faussaires en Italie mridionale52. Actuellement, la vigilance des
autorits locales et internationales permet dapporter une aide face ces problmatiques.
44 FR I-III avec illustrations du peintre Karl Reichhold. 45 TRENDALL, Paestan Pottery et RVP. 46 LCS et LCS Suppl. 47 RVAp et RVAp Suppl. 48 RVSIS. 49 DENOYELLE & IOZZO, Cramique. 50 TODISCO, Ceramica. 51 SCHAUENBURG, Studien, I-XIV. 52 FONTANNAZ, Falsare. Concernant les mmes problmatiques : HIGGINSON, History, pp. 105-111.
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En ce qui concerne ltude iconographique de la cramique italiote, elle commena ds le
milieu du XVIIIe sicle, en mme temps que les premires dcouvertes, et volua donc
paralllement la recherche archologique. Au cours du temps elle a abouti deux visions
qui se veulent opposes, voire inconciliables53, dans la faon daborder limagerie italiote.
Lapproche dite philodramatiste est partisane dune histoire de lart davantage
philologique. Elle considre que liconographie italiote puise directement son inspiration dans
la tragdie et plus particulirement dans celle dEuripide. Lanalyse dun vase se rsumerait
alors dterminer la pice quil illustre. Parmi les premiers reprsentants de cette approche
figurent Carl Robert et son Archologische Hermeneutik. Anleitung zur Deutung klassicher
Bildwerke (1919) et Louis Schan dans ses Etudes sur la tragdie grecque dans ses rapports
avec la cramique (1926)54. Plus tard, en 1971, Arthur Trendall et Thomas Webster publient,
dans le mme ordre dides, Illustrations of Greek Drama55. Plus rcemment, Oliver Taplin,
dans son Pots and Plays. Interactions between Tragedy and Greek Vase-Painting of the
Fourth Century B.C. de mme que Luca Giuliani dans son Tragik, Trauer und Trost.
Bildervasen fr eine apulische Totenfeier continuent envisager lart italiote sous cet angle56.
Il est vrai quen Grande Grce, les mythes sont davantage connus sous la forme que leur a
donne la tragdie et particulirement Euripide57 mais considrer lart grec comme une
illustration de la littrature me semble passiste. Il est donc abusif destimer que toute
reprsentation figure dun mythe est lillustration dune tragdie. Dailleurs, lorsque cette
mthode se montre inefficace, ses partisans ont tendance faire appel largument du silence,
celui dune tragdie perdue dont liconographie constituerait le dernier tmoignage.
Lautre approche, dite iconocentriste , consiste en une analyse base sur le langage
iconographique par ltude de la mise en place, du dveloppement et de la transmission de
motifs et de schmas au sein de la culture visuelle grecque. Cest pour ma part cette seconde
vision de lhistoire de lart qui me parat la plus pertinente et que jadopte dans ma recherche.
Deux grands reprsentants de cette tradition furent Charles Dugas et Henri Metzger qui ont
alors apport une contribution trs prcieuse ltude de liconographie grecque58.
Cette approche a t applique merveille la cramique italiote en 1975 par Jean-Marc
Moret dans sa thse sur LIlioupersis dans la cramique italiote. Les mythes et leur expression
figure au IVe sicle ainsi que dans de nombreux articles dont Les dparts des Enfers dans
limagerie apulienne (1993)59. En 1994, Christian llen se penche sur le rle que jouent les
personnifications dans le langage iconographique italiote dans A la recherche de lordre
cosmique. Forme et fonction des personnifications dans la cramique italiote60.
Tout rcemment, en 2009, dans sa thse Horizontalit et verticalit. Le bandeau humain et le
bandeau divin chez le Peintre de Darius, Thomas Morard analyse la mise en place et la
fonction des registres superposs dans liconographie italiote61.
53 De lordre est cependant remis dans larticle MORET, Arbitres. 54 ROBERT, Hermeneutik ; SCHAN, Etudes. 55 TRENDALL & WEBSTER, Drama. 56 TAPLIN, Pots ; GIULIANI, Tragik. 57 MORET, Ilioupersis, pp. 260-272 ; MORARD, Darius, pp. 55-72 ; MORARD, Motivation. 58 DUGAS, Mde ; DUGAS, Triptolme ; METZGER, Reprsentations ; METZGER, Recherches. 59 MORET, Ilioupersis ; MORET, Enfers. 60 LLEN, Personnifications. 61 MORARD, Darius.
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II. Eleusis, le site, son culte et son iconographie
Beaucoup dencre a coul propos dEleusis et des cultes mystres tels quils y
taient clbrs en lhonneur des Deux Desses, Dmter et sa fille Kor-Persphone62.
Les expressions Mystres ou cultes mystres peuvent prter confusion, cest
pourquoi jen pose demble la dfinition opratoire donne par lminent Walter Burkert :
[les Mystres consistent] en des actions rituelles spcifiques grce auxquelles un individu
tait intgr un groupe et ce groupe se runissait pour un culte dont la fonction essentielle
tait cette crmonie dinitiation [] Llment sotrique, le secret, est un corollaire du fait
que ladmission dpend de linitiation individuelle 63. Les Mystres dEleusis constituent une
problmatique particulirement complexe qui touche diffrents domaines de ltude de
lAntiquit et qui mriterait donc un dveloppement de bien des pages. Toutefois le chapitre
qui suit ne cherche pas entrer dans tous les dtails de ce dveloppement tche mon avis
plus quardue et de toute faon, l nest pas le sujet de ma recherche ni proposer une
nime tentative de reconstitution, dinterprtation ou de dcryptage de ces Mystres.
Il se propose dtudier labondante imagerie attique ce qui me permettra par la suite dtablir
des comparaisons avec liconographie leusinienne telle quelle apparat dans la cramique
italiote. Toutefois, il serait tout fait prilleux de dissocier compltement liconographie
leusinienne des cultes mystres et cest pourquoi il me semble ncessaire, dans un premier
temps, de procder un rappel, plus ou moins dtaill et approfondi, quant aux principaux
lments entourant ce culte si particulier.
La caractristique principale des Mystres dEleusis est de mler un culte agraire
primitif 64 une initiation destine assurer celui qui la recevait une vie heureuse ante
puis post mortem. Ces aspects eschatologiques et agraires du culte se retrouvent et se
rejoignent dans le cycle mythologique leusinien qui comprend les pisodes de lenlvement
de Kor-Persphone par Hads puis de son retour sur terre auprs de sa mre ce qui produit la
renaissance vgtale et surtout amne Dmter enseigner aux Eleusiniens les secrets de
lagriculture que Triptolme a pour mission de communiquer au reste de lhumanit. Il nest
cependant pas question Eleusis de vaincre la mort mais plutt de sassurer par linitiation la
bienveillance des divinits qui sapplique dabord cette vie grce aux bienfaits de
lagriculture et qui se reporte ensuite sur la mort lorsque liniti, de mme que le fait
priodiquement Kor-Persphone, est amen rejoindre le royaume dHads.
62 En voici une liste non exhaustive : FARNELL, Cults, III, pp. 126-213 ; FOUCART, Eleusis ; BRILLANT, Eleusis ;
DEUBNER, Feste, pp. 69-92 ; MAGNIEN, Eleusis ; NILSSON, Religion, I, pp. 469-477 et II, pp. 90-103 ; GRAF,
Eleusis ; MYLONAS, Eleusis, pp. 224-285 ; HARRISON, Prolegomena, pp. 150-162 ; CLINTON, Iconography ;
BURKERT, Mystres ; COSMOPOULOS, Mysteries, pp. 1-78 ; BURKERT, Homo Necans, pp. 315-372 ; CLINTON,
Mysteries ; BRARD, Mystres ; BOWDEN, Mystery Cults ; BURKERT, Religion, pp. 377-383. 63 BURKERT, Homo Necans, pp. 315-316. Il existe galement lexpression cultes mystriques calque sur
ladjectif grec . La majeure partie des termes se rapportant aux Mystres se rattachent au verbe ,
qui veut dire initier , mais dont la signification premire est se fermer , notamment en parlant des yeux
(CHANTRAINE, Dictionnaire, III, p. 728, s.v. ) et aussi de la bouche, en lien vident avec le secret entourant
les Mystres mais peut-tre aussi avec la manire dont linitiation tait vcue (cfr infra, n. 79). Concernant les
cultes mystres, ltude fondamentale est celle de BURKERT, Mystres. 64 Il nest peut-tre pas risqu de faire remonter lorigine dun culte agraire celui de lhypothtique Desse
Mre du Nolithique mais il est dangereux daffirmer que tout culte de ce type en descend directement.
Laspect primitif dun culte agraire tient plutt au fait que lagriculture est la proccupation primordiale de
toutes les civilisations et que donc les cultes qui lui sont associs apparaissent logiquement en premier lieu.
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Le site et son histoire
Eleusis (lactuelle Elefsina) se situe en Attique et tait relie Athnes durant
lAntiquit par la Voie Sacre dune trentaine de kilomtres. Les liens entre ces deux sites
sont bien attests ds le VIe sicle, poque partir de laquelle Eleusis figure parmi les dmes
de lAttique. Linfluence, voire la mainmise, dAthnes sur Eleusis est un sujet dbattu65.
Quoi quil en soit, la position exceptionnelle dAthnes tous les niveaux de la culture
grecque na pu qutre un tremplin de premier choix pour le rayonnement et le succs des
Mystres dEleusis dans toute la Mditerrane antique. Lpope dAlexandre le Grand durant
la seconde moiti du IVe sicle et encore plus lentre de la Grce dans le giron de Rome au
milieu du IIe sicle leur ont confr une vritable dimension universelle ( lchelle du
monde connu de lpoque bien videmment).
Lactivit archologique Eleusis a dbut en 1882 avec Ioannitis Travlos et les fouilles ont
permis de dgager les structures dans lesquelles se droulait le culte. La fouille a galement
mis au jour une importante quantit de documents essentiellement des reliefs et des
inscriptions dont il sera question dans les lignes qui suivent. Les vestiges architecturaux
montrent que le trac du peribolos entourant le sanctuaire a beaucoup fluctu au cours du
temps et ce paralllement aux agrandissements et aux reconstructions frquentes du site, ce
qui a fini par rendre trs complexe son tude chrono-stratigraphique66. Eleusis fut occupe ds
lge du Bronze comme lont rvl, sur son acropole, des structures mycniennes dont le
btiment qualifi de mgaron B lemplacement du futur sanctuaire67. Les premiers
difices religieux remonteraient au dbut du VIIIe sicle mais leur interprtation reste dlicate.
Pour la priode allant du dbut du VIe sicle jusqu la priode romaine, larchologie a
permis dtablir une srie de ramnagements dont les principaux concernent le trac du mur
dlimitant lenceinte du sanctuaire et surtout les diffrentes reconstructions du Telesterion.
Ce btiment est considr comme tant le temple des Deux Desses mais il tait avant tout le
lieu o se droulait linitiation68. Il consistait en un grand espace quadrangulaire et en son
centre se trouvait un dicule rectangulaire appel Anaktoron69 dont la position est reste
immuable au fil des reconstructions du btiment et dont le sol tait constitu par la roche
65 Des pistes et autres lments de rponses se trouvent chez SOURVINOU-INWOOD, Eleusinian cult, pp. 26-27.
Aristote, Constitution dAthnes, 57, 1 donne comme premire prrogative de larchonte-roi dorganiser les
Mystres ce qui dmontre bien limplication voire le contrle dAthnes sur les cultes dEleusis. 66 Concernant larchologie Eleusis, on consultera les publications de Ioannis Travlos mais surtout celles de
George Mylonas qui reprit la fouille partir de 1930, louvrage majeur tant MYLONAS, Eleusis. Le plan
synthtique des phases doccupation quil prsente sur la double page 352-353 montre la fois la richesse et la
complexit du site. Dautres plans du mme type, plus clairs mais moins complets car ciblant des phases prcises
se trouvent chez CLINTON, Iconography, p. 15 et BOWDEN, Mystery Cults, p. 36, fig. 22. 67 Concernant ce mgaron B et lge du Bronze Eleusis, je renvoie MYLONAS, Bronze Age et
COSMOPOULOS, Mycenian. Envisager une continuit de fonction et/ou de contenu religieux entre ces structures
protohistoriques et les btiments qui les suivent est un sujet pineux dans lequel je nentrerai pas davantage.
Cependant MYLONAS, Eleusis, pp. 33-49 nhsite pas proposer un rapprochement entre ce mgaron B et le
temple dont Dmter ordonne la construction dans lHymne homrique Dmter, 270-272, 296-302. 68 drive du verbe renvoyant lide daccomplissement de linitiation. Elle-mme est aussi
appele (PIRENNE-DELFORGE, Pausanias, pp. 292-295). Le Telesterion dEleusis accueillait galement
des sacrifices (cfr infra, p. 18) et sa toiture tait perce dune grande ouverture permettant lvacuation de la
fume. A propos des sacrifices lintrieur des temples, je renvoie HELLMANN, Architecture, pp. 125-126. 69 Il y a parfois confusion entre le Telesterion et lAnaktoron notamment chez certains auteurs comme Maxime
de Tyr, 39, 3, 100 ou Athne, I, 64 qui laisseraient penser que les deux termes seraient quivalents mais
Plutarque, Pricls, 13, 4-5 prouve bien que lAnaktoron ntait quune partie du Telesterion.
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naturelle affleurant sous le Telesterion. Tmoins du succs croissant des Mystres, les
agrandissements successifs de ce btiment attestent galement que les responsables de ces
amnagements (Solon, Pisistrate, Cimon et Pricls) ont voulu instaurer des liens toujours
plus troits entre Eleusis Athnes70. La phase du site la mieux documente et la mieux
connue archologiquement parlant est assez logiquement la dernire, c'est--dire celle qui
remonte au IIe sicle de notre re. A lextrmit de la Voie Sacre dont il a t question
prcdemment, on trouvait le temple dArtmis Propylaia et celui de Posidon Pater.
On pntrait ensuite dans le sanctuaire proprement dit via les Grands Propyles datant de
lpoque de Marc Aurle71. Le puits dit , une des stations de la procession des
Mystres, bordait ces Grands Propyles72. On parvenait ensuite, via les Petits Propyles datant
de lamnagement du site par Pisistrate, sur une terrasse naturelle o se trouvait un sanctuaire
de Ploutn et la grotte abritant ce qui tait probablement considr par la tradition
leusinienne comme l , une autre station des Mystres associe au deuil de
Dmter73. Au bout du parcours, au centre du temenos, se dressait le Telesterion dont jai
parl plus haut. Dautres lieux appartenant au territoire dEleusis taient aussi associs aux
cultes comme la plaine de Rharion qui faisait partie de la grande plaine thriasienne stendant
entre les territoires dAthnes et dEleusis ou encore le pont qui enjambait le fleuve Cphise
qui, lui, marquait la frontire entre Athnes et Eleusis. En effet, bien quon parle des
Mystres dEleusis , il ne faut pas oublier quune certaine partie du programme et des
crmonies se droulait Athnes notamment dans lEleusinion, le sanctuaire athnien des
Deux Desses situ sur le ct oriental de la Voie Panathnaque, entre le versant
septentrional de lAcropole et lentre mridionale de lAgora.
Jai crit plus haut que les diffrents ramnagements du site tmoignaient du succs des
Mystres mais il faut galement signaler deux grandes destructions : celle quordonna Xerxs
dans la foule du sac dAthnes durant les Guerres Mdiques74 et, plus tard, celle qui a suivi
le pillage du site par les Costoboces en 171 de notre re. Enfin, comme ce fut le cas de tous
les autres cultes paens, ldit de Thodose en 391 mit un terme lactivit du sanctuaire et
donc aux Mystres quil clbrait chaque anne. Le sanctuaire des Deux Desses fut dtruit
quelques annes plus tard par Alaric la tte des Goths. Il dut alors attendre quelque quinze
sicles avant de revoir la lumire du jour mais les Mystres quil avait clbrs pendant prs
dun millnaire avaient, eux, bel et bien disparu jamais.
70 Pour le dtail de chaque phase de construction, je renvoie nouveau MYLONAS, Eleusis, pp. 67-70 (Solon),
78-90 (Pisistrate), 111-113 (Cimon), 113-124 (Pricls), 160-162 (poque romaine). Une synthse de lvolution
des plans du Telesterion se trouve chez HELLMANN, Architecture, p. 241, fig. 330. 71 Cette description est aussi donne par Pausanias, I, 38, 6-7 qui se refuse par la suite dcrire lintrieur du
sanctuaire prtextant quun songe len empche (il utilise le mme prtexte en I, 14, 3 concernant lEleusinion
dAthnes). Les Grands Propyles dEleusis sont inspirs de la partie centrale de ceux de lAcropole dAthnes
(MYLONAS, Eleusis, pp. 163-166). Les deux arcs de triomphe qui bordent lesplanade dentre dans le sanctuaire
datent aussi du IIe sicle (MYLONAS, Eleusis, pp. 166-167). 72 Cet endroit est cit deux reprises dans lHymne homrique Dmter, il est dabord appel puits (99) et ensuite puits (272). MYLONAS, Eleusis, pp. 97-99 ; CLINTON, Iconography, pp. 27-28. 73 Pseudo-Apollodore, I, 5, 1 ; Ovide, Fastes, IV, 503-504. MYLONAS, Eleusis, pp. 99-100 ; CLINTON,
Iconography, pp. 14-27 ; CLINTON, Mysteries, pp. 346-347. Dautres lieux dEleusis taient associs aux mythes
leusiniens. Pausanias, II, 38, 5 parle dun figuier qui marquait lendroit o Hads avait enlev Kor-Persphone. 74 Cet pisode est rappel par Hrodote, IX, 65.
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Les Mystres dEleusis
La toute premire mention de cultes mystres Eleusis apparat la fin du
VIIe sicle avant notre re dans lHymne homrique Dmter75 ; ils auraient t instaurs par
la desse en personne. Dans les faits, le culte des Deux Desses a t clbr Eleusis et
Athnes durant une priode allant au minimum de la fin du VIIe sicle (lpoque de lHymne)
jusqu la fin du IVe sicle de notre re. Cette longue dure dexistence implique que le rituel
a d connatre des volutions et que tout tmoignage son propos, de quelque nature quil
soit, doit toujours tre considr en relation avec lpoque concerne. Le culte tait assur par
deux familles sacerdotales leusiniennes : parmi les Eumolpides de la ligne dEumolpos76
se recrutait lhirophante (, celui qui montre les choses sacres ), qui, durant
linitiation, rvle les ( les choses secrtes ) ; aux Kryces se rattachaient
lhirokryx (, hraut sacr ) et le dadouque (, porteur de torches ).
Le culte de Dmter tait assur en permanence par une prtresse. Le participant linitiation,
appel myste (), pouvait tre un homme, une femme voire un esclave ; la condition
sine qua non tait de comprendre et de parler la langue grecque77. En revanche, tout individu
ayant les mains souilles par le sang tait catgoriquement exclu78. Aprs avoir reu
linitiation ( ou ), le myste pouvait, lanne suivante, se prsenter une nouvelle
fois en tant qupopte (, celui qui observe ). Il y avait donc deux degrs dinitiation
ce qui pose notamment la question du droulement de ces deux types dinitiation durant la
crmonie79. Grce aux sources littraires, pigraphiques80 et dans une certaine mesure
iconographiques, de nombreux auteurs ont tent de reconstituer ce quoi devaient ressembler
les cultes leusiniens. Il faut bien entendu garder lesprit que beaucoup dlments sont
75 On parle dHymnes homriques pour dsigner un ensemble de trente-trois pomes consacrs chacun une
divinit. Lpithte homrique vient de leur composition en hexamtres dactyliques qui est caractristique
des deux popes attribues Homre. Cependant leur attribution Homre ou du moins, sans entrer dans la
problmatique de la question homrique, lpoque qui serait celle dHomre est errone car certains dentre
eux, comme lHymne Ars, sont bien plus tardifs. Cest pourquoi il serait prfrable de parler dHymnes
pseudo-homriques. Celui qui est ddi Dmter est peut-tre le plus ancien et fait partie des plus longs avec
ceux qui sont ddis Apollon, Herms et Aphrodite. Ltude majeure concernant lHymne homrique
Dmter est RICHARDSON, Hymn mais ce pome est galement abord chez CLINTON, Iconography, pp. 13-37,
96-99 ; BOWDEN, Mystery Cults, pp. 26-29, 46-47. En plus du mythe de lenlvement de Kor-Persphone,
cet hymne contient des pisodes qui font cho des lments des Mystres (cfr infra, p. 17). 76 Eumolpos est cit dans lHymne homrique Dmter, 154 et 475. Etymologiquement, provient de
et renvoie donc lide de chanter juste mais aussi de prononcer sans dfaut des paroles rituelles. 77 Les Barbares ntaient pas accepts mais partir du IIe sicle avant notre re, aprs lentre dAthnes
dans le giron de Rome, linitiation tait ouverte aux Romains (BOWDEN, Mystery Cults, p. 33). Il faut cependant
garder lesprit que beaucoup de Romains parlaient galement le grec et ntaient donc pas des Barbares . 78 Ces deux interdits sont rappels par Isocrate, Pangyrique dAthnes, 157. 79 La terminologie amnerait penser que, si lpopte voit bien quelque chose durant linitiation, le myste, lui, ne
verrait rien ce qui renverrait, encore une fois, la signification premire de . LSS 15, 35 apprend que,
durant linitiation, le myste tait guid par un . Faut-il en dduire que ce mystagogue guidait un
myste non-voyant ou tait-il un simple accompagnateur, un parrain linitiation (CLINTON, Stages, pp. 50-60) ? 80 Le corpus pigraphique dEleusis est trs riche de par les nombreuses inscriptions (dcrets, comptes,
inscriptions honorifiques ou inscriptions sur objets votifs). En plus des IG consacres lAttique, toutes les
inscriptions concernant le sanctuaire dEleusis sont runies et commentes chez CLINTON, Inscriptions.
La majeure partie de ces textes fournissent des informations dordre pratique et administratif mais elles peuvent
quelquefois nous renseigner sur le culte. Par exemple, IG I 6 rappelle que linitiation est rserve aux adultes
sauf pour celui qui est initi au foyer , c'est--dire le (cfr infra, p. 18) ; IG I 78 rglemente les
offertes aux divinits leusiniennes ; IG II 1672 stipule le cot des diffrents lments de linitiation ;
IG II 1078 retrace une partie du programme de la fte et rglemente les deux processions.
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inconnus et que ces tentatives de reconstitution ne sont que des hypothses fluctuantes dun
auteur lautre. Je me suis essay les rsumer dans les lignes qui suivent en mappuyant sur
les recherches de ces spcialistes.
Avant la clbration des crmonies Eleusis, des petits Mystres avaient lieu Agra,
prs dAthnes. Ceux-ci se droulaient durant le mois dAnthestrion81 et prenaient place dans
le temple de Mter prs du fleuve Ilissos82. Ces crmonies consistaient essentiellement en
des rituels de purification. Les cultes dAgra taient probablement lorigine de Mystres du
mme type que ceux dEleusis mais de moindre importance. Il est probable quils furent
ajouts la trame leusinienne par Athnes pour renforcer les liens quelle stait applique
forger avec Eleusis ds le Ve sicle. A partir du IVe sicle, tous ceux qui voulaient tre initis
aux grands Mystres devaient au pralable lavoir t aux petits mais, au cours du
temps, cet impratif a fini par progressivement disparatre83.
Les grands Mystres se clbraient la fois Athnes et Eleusis, du 14e au 23e jour de
Bodromion84. Ils taient annoncs dans lensemble du monde grec par des ambassadeurs
appels qui invitaient toute personne qui le souhaitait se faire initier Eleusis.
Cela marquait en mme temps le dbut dune trve sacre85. Le premier jour des clbrations,
une procession partait dEleusis pour apporter les hiera Athnes, dans lEleusinion.
Le 15 avait lieu l, le rassemblement, devant la Stoa Poikil, des participants qui
coutaient lhirokryx prononcer la , le discours daccueil. Etaient galement
nonces les deux conditions dadmission mentionnes prcdemment : parler la langue
grecque et ne pas avoir les mains souilles par le sang. Le troisime jour, les mystes taient
invits par la formule se rendre, munis dun porcelet, la mer pour une
baignade purificatrice dans la baie de Phalre. Ils sacrifiaient ensuite ce porcelet dans
lEleusinion86. Le quatrime jour, les mystes se reposaient tandis que se droulaient,
Athnes, les Epidauria ou Asclpiia, instaurs dans le dernier tiers du Ve sicle en lhonneur
dAsclpios87. Le lendemain tait apparemment un jour de repos88. Le sixime jour tait
81 BURKERT, Homo Necans, p. 328 donne la date du 20 Anthestrion alors que MYLONAS, Eleusis, p. 239 pense
quils pouvaient avoir lieu plusieurs fois durant ce mois. Pour la correspondance entre les mois du calendrier
athnien et les ntres, cfr infra, n. 84. Le Pseudo-Apollodore, II, 5, 12 raconte quHrakls voulait tre initi
Eleusis afin de pouvoir descendre aux Enfers chercher le chien Cerbre mais, comme il tait souill par le sang
des Centaures, un rite de purification supplmentaire dut tre instaur. Ainsi apparurent les petits Mystres
dAgra. MYLONAS, Eleusis, p. 239 ; BURKERT, Homo Necans, p. 328 ; BOWDEN, Mystery Cults, p. 32. 82 Polyen, V, 17, 1. Lidentit de cette desse nest pas claire. Est-ce Rha ou Cyble ? Quoi quil en soit, elle a
t associe Dmter. Chez Euripide, Hlne, 1302 et 1320, Dmter est appele . 83 On apprend, par exemple, chez Platon, Gorgias, 497c quun certain Callicls fut initi aux grands
Mystres avant de lavoir t aux petits . Chez Plutarque, Dmtrios, 26, on apprend mme que, sa
demande, le roi Dmtrios Poliorcte fut initi aux petits et aux grands Mystres le mme mois et, en
plus, durant le mois de Munychion. MYLONAS, Eleusis, p. 239 ; BURKERT, Homo Necans, p. 328. 84 Une synthse du calendrier athnien et ses correspondances avec notre calendrier se trouve chez Anatole
BAILLY, Dictionnaire Grec-Franais, Paris 1985, p. 2200. Je renvoie aussi BICKERMAN, Chronology. 85 Ce type de trve nest pas propre aux clbrations leusiniennes, elle tait instaure loccasion de tous les
vnements panhellniques, les plus clbres tant les Jeux organiss en lhonneur de Zeus Olympie. 86 La formule se trouve chez Polyen, III, 11, 2. Le terme dsigne la mer en renvoyant au sel. Le nettoyage leau de mer garantissait la puret. On le retrouve, li aux crmonies funraires, dans une
inscription de lle de Cos datant du Ve sicle (IG XII, 5, 593 ; LSCG, 3, 97). Plutarque, Phocion, 28, 6 parle
dun myste qui se baigne avec ce porcelet et la baignade a lieu Kantharos, une partie du Pire. LSCGS 3C
39-42 indique que le sacrifice prliminaire () de ce porcelet pouvait aussi avoir lieu Eleusis. 87 Pausanias, II, 26, 8 et Philostrate, Vie dApollonios, IV, 18 rapportent que ces ftes taient lies larrive
tardive dAsclpios qui ncessita donc de nouvelles purifications. Selon Aristote, Constitution dAthnes, 56, 4,
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organise la procession vers Eleusis, mene par le dadouque. Les mystes aussi portaient des
torches ainsi que le (ou ), constitu de rameaux de myrte89. Cette procession
tait place sous la protection dIakkhos90. Lors du passage sur le pont du fleuve Cphise, les
mystes subissaient les ( railleries du pont )91. La procession tait entrecoupe de
diffrentes stations notamment devant lautel et sur laire de battage de Triptolme92 dans la
plaine de Rharion o, selon la tradition, Dmter avait rvl Triptolme les secrets de
lagriculture et lui avait montr pour la premire fois comment semer le bl. Le cortge
arrivait finalement Eleusis. Le septime jour, celui qui prcdait la nuit de linitiation, tait
consacr au jene et une srie dactions rituelles par lesquelles le myste devait parfaire sa
purification. Lune delles tait la consommation du , une mixture base de grains et
dune herbe qui tait visiblement de la menthe pouliot93. Si lon se rfre lHymne
homrique Dmter (206-211), le myste imitait ainsi la geste de la desse. A en croire
certains auteurs, cette boisson avait des effets hallucinognes sur les mystes affaiblis par un
jene94. Un autre rite consistait en la manipulation dobjets dposs tour tour dans une kist
et dans un kalathos. Cette information est donne de faon assez allusive par Clment
dAlexandrie : Voici le mot de passe ( ) des Mystres dEleusis : jai jen et
jai bu le cycon, jai pris dans la kist ( ) et aprs avoir opr (), jai
remis dans le kalathos ( ), [jai pris] dans le kalathos et [jai remis] dans la kist
mais il nen dit pas plus95. Le myste accomplissait un troisime rite de purification,
la (ou ). Il se trouvait, tte voile, assis sur un sige couvert dune peau
de blier tandis quon dansait autour de lui et quun tait agit au-dessus de sa tte et
une torche approche de son corps ; il tait ainsi purifi par lair et par le feu96. A nouveau, le
lien avec lHymne (192-199) me semble simposer. A la tombe de la nuit, les mystes,
accompagns de leur mystagogue, et les poptes entraient dans le Telesterion. Cest ce
lorganisation de la procession tait confie larchonte-roi tandis que les mystes restaient la maison
( ). Selon MYLONAS, Eleusis, p. 251, ces clbrations avaient lieu le cinquime jour. 88 BURKERT, Religion, p. 379. Toutefois BOWDEN, Mystery Cults, p. 35 y place une procession reliant Athnes et
Eleusis, compose uniquement de prtres et de prtresses, qui avait pour but de ramener les hiera Eleusis. 89 Les torches sont associes lerrance de Dmter. Elles sont prsentes dans lHymne homrique Dmter,
47-48 et 61. Diodore de Sicile, V, 4 et Ovide, Fastes, IV, 493-494, narrent que Dmter les alluma dans les
flammes de lEtna. Le terme renvoie aussi lide de gerbes de bl frachement moissonnes. 90 Iakkhos tait dans un premier temps la personnification du cri qui rythmait cette procession comme on le lit
chez Aristophane, Grenouilles, 317-318. Dans le mme ordre dides, Hrodote, VIII, 65 raconte une piphanie
dIakkhos durant les Guerres Mdiques. Chez Strabon, X, 3, 10 (p. 468), il est considr comme un de
Dmter ou bien il est rapproch de Dionysos. Cest visiblement chez Sophocle, dipe Roi, 211, quil devient
pour la premire fois un surnom de Dionysos sous la forme (BURKERT, Religion, p. 397). 91 Aristophane, Gupes, 1363, sur le ton de la parodie, fait rfrence cette tape du trajet. BURKERT, Homo
Necans, pp. 336-337 associerait cette tape lpisode dIamb qui divertit Dmter dans lHymne (201-205).
Chez Clment dAlexandrie, Protreptique, II, 20, 3, les grimaces dIamb sont remplaces par celles de Baub. 92 Pausanias I, 38, 6 parle dune . 93 Une autre recette est donne dans lIliade, XI, 624-641. Ltude majeure est celle de DELATTE, Cycon.
La question du cycon est aussi aborde par MYLONAS, Eleusis, pp. 259-261 ; BURKERT, Homo Necans, p. 334. 94 BURKERT, Mystres, pp. 106-109 ; BOWDEN, Mystery Cults, p. 43. La menthe pouliot aurait certes des
proprits revigorantes mais faut-il vraiment aller jusqu la considrer comme une substance psychotrope ? 95 Clment dAlexandrie, Protreptique, II, 21, 2 (traduction personnelle). Concernant la nature de ce qui est
contenu dans ces deux rcipients, des hypothses se trouvent chez BURKERT, Homo Necans, pp. 330-333.
La plus convaincante est pour lui celle du pilon et du mortier pour moudre le grain de la prparation du cycon. 96 Dion Chrysostome, Discours, XII, 33 parle du myste assis autour duquel les initiateurs ( ) se
mettent danser. Aristophane, Nues, 254-268 samuse parodier ce rituel. La semble apparatre
davantage dans liconographie que dans la littrature (cfr infra, pp. 39-40).
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moment que tombait le voile des Mystres. Certains temps forts de linitiation sont connus
mais cest leur droulement et leur articulation qui font dbat de sorte quil faut se contenter
dhypothses et de tentatives de reconstitution. Une obscurit inquitante devait rgner dans le
Telesterion et dans la pnombre se droulaient des , mises en scne inquitantes
destines crer une ambiance dincertitude voire de dtresse. Les participants assistaient
alors des , des reprsentations dramatiques dpisodes mythologiques leusiniens
comme le rapt de Kor, lerrance de Dmter et bien entendu, la runion des Deux Desses.
Ils apprenaient aussi des , des rvlations et des explications propres Eleusis sur
certains aspects de la mythologie. Ceux qui pouvaient observer taient galement confronts
des , des ostentations dobjets sacrs97. Subitement, lAnaktoron souvrait et
rpandait une vive lumire dans le Telesterion ; lhirophante en sortait et prsentait aux
initis les hiera98. Il est aussi question dun grand feu associ lhirophante et peut-tre
procdait-on alors au sacrifice dun blier99. Ce foyer sacrificiel pourrait aussi tre mis en lien
avec le , le seul enfant qui chaque anne recevait lhonneur dtre initi100.
Au moyen dun gong () de bronze, lhirophante appelait Kor-Persphone et linvitait
revenir la surface de la terre depuis les profondeurs101. Lhirophante prsentait ensuite
lassemble silencieuse lobjet qui constituait lacm de linitiation : un pi de bl moissonn
( ) et enfin, il proclamait la naissance dun nigmatique enfant
Brimos mis au monde par Brim ( )102.
Le neuvime jour, avaient lieu les tirant leur nom des rcipients avec lesquels on
procdait des libations devant le Telesterion, lune vers lOrient, lautre vers lOccident, au
son de lultime prire ( pleus et sois fconde ) adresse au ciel et la terre103.
On sacrifiait aussi des bufs ports bout de bras par des phbes104. Enfin, le dixime et
97 Daprs Clment dAlexandrie, Protreptique, II, 12, 2, les reproduisaient des pisodes de lHymne
homrique Dmter (le rapt de Kor, lerrance de Dmter et son deuil). Dion Chrysostome, Discours, XII, 33
parle de . MYLONAS, Eleusis,
pp. 261-272 (), 272-273 (), 273-274 () ; BURKERT, Mystres, p. 88 ; BURKERT,
Homo Necans, p. 337 ; CLINTON, Mysteries, p. 344 ; BOWDEN, Cults, p. 45 ; BURKERT, Religion, pp. 380-381. 98 Ce retour soudain la lumire est un lment rcurrent dans la littrature antique. Il apparat chez Platon,
Phdre, 250c ( ) ; Plutarque, Des progrs dans la vertu, 10 (81E)
( , ) ; Plutarque, De lme, fr. 178 ( []
) ; Dion Chrysostome, Discours, XII, 33 ( ). Lapparition de lhirophante se retrouve aussi dans les inscriptions IG II 3764 et IG II 3811.
La nature des hiera montrs par lhirophante est impossible dterminer, peut-tre sagissait-il de xoana ? 99 Hippolyte de Rome, Rfutations, V, 8, 40. Cest BURKERT, Homo Necans, p. 336 qui avance lhypothse du
sacrifice du blier, justifiant le silence des sources par le fait quil sagissait dune . 100 Cfr supra, n. 80. BURKERT, Homo Necans, pp. 337-339 voit un lien entre linitiation de lenfant et
lhypothtique sacrifice du blier ci-dessus. On pourrait galement rapprocher cet enfant de lpisode de
Dmophon plong dans les flammes tel quil est prsent dans lHymne homrique Dmter, 239-240. 101 Apollodoros, FGrH 244 F 110b. 102 Hippolyte, Rfutations, V, 8, 39-40. Lidentit de lenfant et de sa mre a donn lieu de nombreuses
hypothses. La mre est srement lune des Deux Desses mais laquelle ? Brimos a t associ Dionysos, fils
orphique de Persphone ou Ploutos, fils de Dmter (BURKERT, Homo Necans, pp. 342-343 et BURKERT,
Religion, p. 381). Hsiode, Thogonie, 969-974 et Homre, Odysse, V, 5, 125 prsentent Ploutos comme tant
le fils de Dmter et Iasin. La symbolique de lpi de bl semble insondable (MYLONAS, Eleusis, p. 275 ;
BURKERT, Homo Necans, pp. 343-344 ; BURKERT, Religion, pp. 381, 383 ; BURKERT, Mystres, pp. 76-77). 103 Athne, XI, 93 ; Hippolyte, Rfutations, V, 7, 34 ; Proclos, Commentaires sur le Time, III, 176, 28 (Diehl). 104 Ce sacrifice est mentionn par IG II 1008, 9 et par SEG XV, 104, 11-12. Le bovid viendrait ainsi clore le
cycle sacrificiel suid / ovid / bovid (BURKERT, Homo Necans, pp. 344-345 ; BURKERT, Mystres, p. 108).
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dernier jour tait celui du retour chez eux des nouveaux initis qui repartaient entours de
toute la bienveillance des Deux Desses.
Voici, dans les grandes lignes, ce que devaient tre les Mystres dEleusis dont lanciennet et
la puret ont assur la renomme105. A raison dune moyenne de prs de mille initis par
clbration, on peut estimer que des centaines de milliers voire des millions de personnes,
venant des quatre coins du monde mditerranen, y avaient pris part106. Bien que le chtiment
encouru pour toute rvlation ait t la peine de mort107, il serait impensable que certains
lments de ce culte naient jamais t dvoils. Daucuns ont trahi le secret des Mystres tout
fait volontairement, par exemple, un certain Diagoras de Mlos, qui, se dclarant athe,
racontait qui voulait lentendre le moindre dtail de linitiation108. Dautres, comme Eschyle,
le natif dEleusis le plus clbre, aurait rvl par inadvertance le contenu de certains
109. Et comme nous lavons vu, la littrature apologtique chrtienne, avec des
auteurs comme Hippolyte de Rome et Clment dAlexandrie, ne sest pas gne pour livrer au
grand jour les secrets paens. Cependant, ces potentielles trahisons du secret nont jamais
affect le succs des Mystres peut-tre mme, dune certaine faon, y ont-elles seulement
contribu. En effet, pour accder la batitude ante et post mortem quils promettent110, les
Mystres devaient tre vus, cela est clairement sous-entendu dans ltymologie des termes
et et concrtement manifest dans le rle de la lumire jaillissant de
lAnaktoron lors de la rvlation poptique. On ne pourrait en aucun cas rduire des mots ce
genre dexprience. Cest dans la mise en condition que subissait liniti et surtout dans le
ressenti quelle provoquait chez lui que consistait la vritable initiation. On entre ainsi dans
le domaine de lmotion personnelle et lon ne pourra donc jamais savoir ce quun myste
voyait ou pensait voir. tait initi celui qui avait vcu les Mystres et connatre leur contenu
ny aurait contribu en rien. Synsios attribue Aristote la phrase suivante :
111. Les mystes ne doivent pas apprendre mais prouver et tre mis en condition
pour recevoir linitiation dans les meilleures dispositions. Maxime de Tyr exprime la mme
ide en rappelant que lon nest pas initi tant quon na pas pntr dans lAnaktoron
( )112.
105 Isocrate, Pangyrique dAthnes, 30 ; Diodore de Sicile, V, 4, 4 ; Pausanias, X, 31, 11. 106 BURKERT, Homo Necans, p. 315. Daprs BOWDEN, Cults, p. 37, le Telesterion, dans ses dimensions
maximales (une superficie proche des 2500 m), a pu contenir jusqu trois mille personnes. Strabon, IX, 1, 12
(p. 395) dit que le de lpoque de Pricls pouvait contenir autant de monde quun thtre. 107 Dans son discours Sur les Mystres (par exemple aux paragraphes 31-33), la ferveur dAndocide se
dfendre de laccusation davoir profan les Mystres montre bien quel point la sentence tait vraiment prise au
srieux. 108 Krateros, FGrH, 342 F 16. 109 Aristote, Ethique Nicomaque, III, 1111a ; Clment dAlexandrie, Stromates, II, 14, 60, 3. PETRE, Eschyle. 110 Hymne homrique Dmter, 480-482 et 486-489 ; Sophocle, TrGF IV, fr. 837 ; Isocrate, Pangyrique
dAthnes, 28. Platon, Phdon, 69c rappelle encore le destin post mortem bienheureux des initis et dit quau
contraire, celui qui naura pas reu linitiation se retrouvera dans lHads allong dans de la boue (
). Lorsquil dcrit la Nekyia de Polygnote de Thasos dans
la Lesch des Cnidiens Delphes (cfr infra, pp. 65-66, 73-74 et n. 148), Pausanias, X, 31, 9 relate que des
damnes sont accompagnes de linscription et plus loin, en X, 31, 11,
il confirme quil sagit bien des Mystres dEleusis auxquels ces femmes ont nglig de se faire initier. 111 Synsios, Dion, 10, 48a (Aristote fr. 15 Ross). 112 Maxime de Tyr, 39, 3, 100. Concernant lemploi d dans ce passage, cfr supra, n. 69.
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Liconographie leusinienne dans la cramique attique
Avant dentamer ce chapitre, il me parat important de rappeler que texte et image sont
deux modes diffrents dexpression de la tradition mythique et cultuelle des Grecs.
Il ne faut donc pas considrer liconographie comme lillustration de la tradition littraire ni
comme la restitution photographique dinstants dun culte ou de toute autre manifestation
religieuse. Ceci tant dit, par iconographie leusinienne , jentends lensemble des images
dont le thme renvoie la tradition mythique leusinienne et aux cultes tels que je viens de les
prsenter. Il faudrait donc distinguer liconographie mythologique, logiquement relativement
abondante, de liconographie cultuelle, plus rare et plus dlicate apprhender. Cependant,
cette distinction mythologique/cultuel doit tre nuance car, dans des scnes plutt
mythologiques, on trouve des allusions au culte et, dans des scnes prtendument cultuelles,
des personnages mythologiques prennent part laction. Ma division est donc purement
opratoire. En dpit de quelques renvois la sculpture et dautres supports, jaborderai
essentiellement ces deux catgories iconographiques telles quelles apparaissent dans la
cramique attique figures noires et figures rouges. Mon but nest pas non plus de prsenter
toutes les scnes de vases attiques figurant un thme leusinien l nest pas le sujet de ce
mmoire mais plutt de slectionner une srie dobjets dont liconographie pourra tre mise
en parallle avec liconographie italiote qui interviendra dans le chapitre suivant.
Le premier point commun ces deux sri