phantom of the paradise de brian de palma, ou comment la captation sauve de la mort

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Volume ! 3 : 0 (2004) Rock et Cinéma ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ François Ribac Phantom of the Paradise de Brian De Palma, ou comment la captation sauve de la mort ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique François Ribac, « Phantom of the Paradise de Brian De Palma, ou comment la captation sauve de la mort », Volume ! [En ligne], 3 : 0 | 2004, mis en ligne le 30 août 2006, consulté le 14 octobre 2012. URL : http:// volume.revues.org/2144 Éditeur : Editions Seteun http://volume.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://volume.revues.org/2144 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Editions Seteun

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François Ribac

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  • Volume !3 : 0 (2004)Rock et Cinma

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    Franois Ribac

    Phantom of the Paradise de Brian DePalma, ou comment la captation sauvede la mort................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

    Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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    Rfrence lectroniqueFranois Ribac, Phantom of the Paradise de Brian De Palma, ou comment la captation sauve de la mort,Volume ! [En ligne], 3 : 0|2004, mis en ligne le 30 aot 2006, consult le 14 octobre 2012. URL: http://volume.revues.org/2144

    diteur : Editions Seteunhttp://volume.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://volume.revues.org/2144Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Editions Seteun

  • Franois RIBAC, Phantom of the Paradise, ou comment la captation sauve de la mort , Volume ! La revue des musiques populaires, hors-srie n 1, 2004, p. 35-43.

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    Jai rcemment lu sur un site web consacr Brian De Palma, quil avait eu lide du film aprs quil ait entendu une version instrumentale dune chanson des Beatles dans un ascenseur, ce que lon appelait dans les annes soixante-dix la muzak, une musique dambiance ralise pour les lieux publics base de tubes rarrangs.

    Mais Brian de Palma na pas seulement ralis un film sur les relations du rock et du show-bizz et une parodie froce des producteurs. Le film est galement une rflexion trs aboutie sur la faon dont les supports denregistrements (quil sagisse de la pellicule ou du disque) ont profondment modifi les rapports entre les auteurs (au sens large), les diteurs, les inter-prtes et le public. De Palma nous livre sa version du mythe faustien, aprs les inventions des Frres Lumire et de Thomas Edison.

    Remake rock dun film muet intitul le Fantme de lOpra, lui-mme adaptation du roman ponyme de Gaston Leroux, Phantom of the Paradise se droule dans lunivers du glam-rock et du milieu des annes soixante-dix.

    Phantom of the Paradise de Brian De Palma, ou commentla captation sauve de la mortpar

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    Acte ISwan, un producteur vedette, dont Phil Spector semble tre en partie linspirateur, dniche un extraordinaire jeune auteur-compositeur-interprte de pop, Winslow, lors dune audition. Il mandate son homme de main pour lui drober sa grande uvre, une sorte de cantate rock sur Faust. Swan veut lutiliser pour louverture du Paradise, une salle quil projette douvrir. Abus par des promesses, dpouill de sa musique et repouss par les sbires du producteur sans scrupule, le compositeur finit par comprendre quil ne pourra faire valoir ni ses droits, ni mme tre consi-dr comme lauteur lgitime de sa cantate. Victime dune machination, il se retrouve en prison, humili et oubli. Nanmoins, lorsquil apprend que le Paradise fera son ouverture avec sa musi-que, il russit svader et sintroduit par la force dans les bureaux de Death records (le label de Swan) o il entreprend de dtruire les disques de son uvre, kidnappe par linfme producteur. Sacharnant sur une presse disques, Winslow a le visage et une partie du corps broys et perd aussi sa voix. Du coup, sa difformit physique et son incapacit chanter le privent dfinitivement de la possibilit dinterprter lui-mme sa propre musique. Ainsi le compositeur nest pas seulement en butte la voracit de lditeur-producteur de rock (comme le cinaste est confront aux diktats du producteur ou des studios) mais il est galement dpossd de son uvre par le support. Mutil par la presse disques, il sera contraint de dlguer des interprtes, choisis au mpris de ses dsirs et de ses recommandations, lexcution de sa musique. Lallgorie de la prison comme celle de la presse disques voquent lenfermement, la fixation quoprent le support et les bouleversements qui en rsultent dans lart. Ce nest sans doute pas pour rien que le label de Swan ( la recherche du temps perdu justement) sintitule death et quun oiseau mort sert de logo. Le support comme le produc-teur capturent la musique du compositeur et Winslow est rduit ntre plus quun fantme, celui de sa propre musique. Assoiff de vengeance, il erre dans les coulisses de lopra (ici le Paradise). Tout le film montre ce combat, finalement dsespr, de lauteur pour conserver ses droits et sa matrise sur son uvre. De Palma nous parle du passage de lge classique (comme la musique du mme nom) lpoque moderne (le rock), quand de nouveaux supports sajoutent aux anciens. Compositeur traditionnel utilisant du papier musique et rdigeant une cantate sur le mythe de Faust, Winslow se heurte aux nouveaux moyens de production. Sa place dans la chane nest plus la mme quauparavant, il est dpossd de la dcision et de la direction artistique.

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    Acte IIFinalement squestr par le producteur, qui lui fait signer un contrat qui les lie vie, le composi-teur, dont le visage mutil est dsormais protg par un masque, travaille dans un rduit, entour de machines clignotantes et de potentiomtres frmissants, une sorte de home-studio vingt ans avant son apparition. Le gnie noircit des partitions au milieu des dispositifs lectroniques et chante devant un micro, tandis que les magntophones (espions) tournent... Grce des filtres, lhorrible gargouillis qui schappe de son gosier est (magiquement) re-converti en chant par Swan. Par la mtaphore des traitements sonores et des filtres, qui rendent au Phantom sa voix, De Palma nous rappelle que le producteur de rock supervise souvent lenregistrement et le mixage dun disque. Il a justement pour fonction de traduire ce que les artistes proposent, de les rendre audibles au public. Jour aprs jour, Swan bourre de pilules le Phantom pour quil finisse temps la partition que lui, lintermdiaire, prsentera au Paradise puisque cest lui qui finance lenregistrement et les spectacles et qui fait le pari de conqurir le public. Le producteur est bien cette figure ambigu, mi-parasite, mi-accoucheur, mi-chemin entre lentrepreneur, le renifleur et le rvlateur de talents. De Palma dcrit les liens profonds qui unissent en ralit, les crateurs (mme) reclus et ceux qui les portent, via les disques et la production, la lumire. Est-ce quil parle, par analogie, des rap-ports entre les cinastes et les producteurs de cinma ? Il ny a aucune raison den douter. Dailleurs, historiquement les producteurs viennent du cinma.

    Et effectivement, Winslow compose son Faust rock sur son piano lectrique futuriste, entour de ses machines, pour une chanteuse quil a repre et que Swan a finalement consenti engager. Ici le modle du compositeur semble clairement Brian Wilson, compositeur reclus des Beach Boys et sorcier des studios. Celui-ci arrta de se produire en concert pour se consacrer exclusive-ment lcriture musicale et lenregistrement. Il faut dailleurs noter que la figure du musicien reclus est une sorte de classique du rock : dans son livre Unknown Legends of rocknroll (1998), Richie Unterberger consacre ainsi un chapitre ( Mad geniuses & eccentric recluses ) des musi-ciens comme Syd Barrett, Nick Drake ou limmense Scott Walker. Ces artistes ont en commun davoir quasiment renonc au monde extrieur et la clbrit. Rfugis dans leur folie ou dans la composition, ils incarnent une sorte de souverainet. Selon une thmatique trs proche de ce que Luc Boltanski et Laurent Thvenot ont appel le monde inspir, lisolement de ses crateurs a souvent t interprt par le monde rock comme une sorte de libert conquise sur le show bizz.

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    Significativement, dans son livre Sur le rock, Franois Gorin a fait de Wilson, Walker et Drake des figures tutlaires et dans un registre proche, le critique anglais Nick Kent, dont on peut lire les chroniques de disques dans Libration, a consacr Brian Wilson et Syd Barrett des Pink Floyd, galement reclus, des articles importants.

    Acte IIIMais Phantom est bien plus quune allgorie sur le dsir dindpendance des crateurs vis--vis des producteurs et de lindustrie. De Palma ajoute lhistoire du fantme de lopra, deux autres mythes : lhistoire de Dorian Gray et le pacte faustien avec le diable. Plus exactement, du pacte rsulte le tableau.

    Dans une extraordinaire scne, enregistre bien des annes avant louverture du Paradise, le pro-ducteur annonce devant une camra quil va mettre fin ses jours, au motif quil ne supporte pas de vieillir. Au moment de passer lacte, le diable surgit et lui propose un pacte, aussitt tabli par la signature dun contrat sign avec le sang de Swan. Dans son film 24 hours Party People (2002), Michael Winterbottom nous montre galement le producteur Tony Wilson, fondateur du label anglais Factory, signer de son sang ses premiers contrats avec ses groupes. Toujours la thmatique du pacte

    Mais revenons au Phantom. Selon les termes de laccord, Swan pourra rester ternellement jeune la condition expresse que la pellicule, qui a fix le pacte, demeure intacte. la faon du portrait de Dorian Gray, cest sur ce support, et seulement cet endroit, que Swan vieillira. Nul ne devra ni voir ni dtruire ce film sous peine de condamner lternel jeune homme la mort aprs quil est recouvr son vrai visage, dfigur par les annes. Dans une cache connue de lui seul, il visionne rgulirement les derniers vnements et, on le devine, contemple le visage fltri que la pellicule conserve, labri du regard des autres. Le pouvoir de Swan vient de sa capacit saisir le temps et les tres et de rembobiner. De cette faon, il voit des choses qui chappent aux autres. Lui seul se drobe au processus inexorable du vieillissement, justement parce que son double, celui qui est sur la pellicule du pacte, vieillit sa place. Conserver le temps qui passe, cest tre immortel. Et pour se drober aux lois de la nature, nul autre que lui ne doit pouvoir fixer son visage sur un support. Coiff de lunettes noires, le producteur interdit donc systmatiquement la presse de le photographier,

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    cest--dire de lui ravir son image. Pendant les rptitions au Paradise il se tient toujours lcart, au fond dune loge obscure, sadressant parcimonieusement aux interprtes et toujours au moyen dun micro, sans trop sexposer au regard dautrui. Lorsquil clbre son mariage sur la scne du Paradise, il apparat masqu.

    De Palma transforme donc en fable diabolique le processus par lequel une image ou la voix dun interprte fixe sur un support lui assure, littralement, la vie ternelle, la condition expresse que le support conserve lui aussi son intgrit et ne soit pas, son tour, dgrad ou endommag.

    Acte IVOn peut interprter lomniprsence des camras tout au long du film comme une dnonciation du mdia tlvisuel ou un prescience de la tlsurveillance. Je crois quil sagit surtout pour le cinaste dvoquer le pouvoir de fixation des choses et des tres que possde le cinma : cette capacit qua le support de capturer les corps et arrter leur vieillissement. Finalement, le pacte de Swan nest que la transcription, sur un mode fantastique (un genre o De Palma excelle), de ce qui se passe lorsque nous sommes photographis ou quand un chanteur enregistre dans un studio. Alors quil (ou elle) continue vieillir, lenregistreur fixe ce moment sur une bande. Le support suspend le temps, saisit le grain de la voix dont parlait Roland Barthes que lon appelle aussi laura. Dans son livre sur la photographie, Susan Sontag rappelle que le clich pris quand nous tions enfant nous permet de nous connatre tel-l-e-s que nous avons t auparavant. Le support conserve la mmoire de notre apparence passe, il nous donne une expression de ce que nous avons t, divers moments de notre existence.

    De Palma inverse le processus : alors que cest nous qui normalement vieillissons quand le fixateur arrte le temps, dans Phantom of the Paradise, cest le support qui vieillit la place du pro-ducteur et lui garantit lternelle jouvence. Et cest cette inversion que le Phantom va rageusement dtruire pour se venger. Alors quil avait ordonn son homme de main de tuer devant les camras de tlvision linterprte fminine, qui a succd un premier chanteur assassin par le Phantom, Swan succombe, sous loeil des camras de la tlvision, la vengeance du compositeur. Winslow a en effet trouv la cachette secrte de Swan, dcouvert lenregistrement du pacte avec Satan et la livr aux flammes. Si le support disparat alors limmortel disparat immanquablement son tour,

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    le temps le rattrape, le pacte est rompu. L aussi linversion du rel est la rgle puisque normalement cest nous qui mourrons et la cassette qui restera. Edison avait dailleurs affirm maintes reprises que le phonographe servirait enregistrer la voix des mourants

    Mais, en brlant le support, le Phantom se dtruit galement puisquil tait lui aussi li par un pacte au producteur. Toute la chane de coopration, comme dirait Howard Becker, a disparu. Li au producteur, aux machines presser les disques, aux interprtes, le compositeur est emport son tour. Il a oubli quil est li aux autres et que sans eux il nest rien. Seule la chanteuse chappe la mort mais sans rpertoire et sans manager-producteur pour la prsenter au public.

    Le film nous parle donc la fois de limmortalit des interprtes fixs sur les supports mme aprs leur mort (le label sappelle, comme je lai dj mentionn, Death) et des conflits entre les auteurs, les interprtes, les diteurs et les producteurs pour le contrle de cette vie ternelle , raison pro-bable pour laquelle le music-hall de Swan a pour nom le Paradise. Le film nous parle les liens qui unissent tous ceux et celles qui participent la ralisation (terme franais pour dsigner la produc-tion musicale) dune musique ou dun film. Phantom nous rappelle que si nous allons la musique (par exemple voir une cantate rock au Paradise), elle vient dsormais galement nous, grce lenregistrement. Lors dune scne tonnante, Swan, assis au centre dune immense table ronde bai-gnant dans lobscurit, se livre une sorte daudition virtuelle. Il cherche son interprte principal pour Faust. Les uns aprs les autres, surgissant du nant, des groupes, des solistes, des ensembles a cappella interprtent lair principal de la cantate dans des styles diffrents. Ils disparaissent ins-tantanment ds que le producteur les congdie dun geste. On devine quil ne fait finalement que visionner (et jouer) des rushes et diffrents arrangements musicaux. Swann coute et visionne des dmo jusqu ce quil trouve le bon interprte et le style musical adquat, ce que lon appelle en jargon musical la production : le son, les arrangements. Cest donc aussi du pouvoir que conf-rent les supports aux producteurs dont parle le film. Lexpression tirer les manettes prend ici tout son sens. Significativement, quand Swan prsente sa nouvelle vedette la presse, celle-ci merge dun cercueil. Parodie grotesque des chanteurs glam (T. Rex, Bowie, Alice Copper, Roxy Music, Sweet), ce chanteur a la gestique et le gabarit de Frankestein. Comme si, simple crature de Swan, il ntait anim que par llectricit, comme un disque. Et cest dailleurs dlectrocution dont il meurt, transperc en scne par un clair lectrique envoy par le Phantom. Fidle son gout des citations, De Palma a dailleurs situ la premire rencontre du Phantom et du chanteur glam dans

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    une douche, en une allusion vidente la fameuse scne de la douche dans le Psycho de Hitchcock. De Palma dcline l encore sa rfrence au support, y compris ceux o figurent les images qui ont nourri son propre vocabulaire. Malgr les apparences, Phantom of the Paradise nest donc pas vritablement un film sur lavidit des directeurs dopra, des producteurs de rock ou de cinma. Cest un film sur la force (et la fragilit) des supports et sur limmortalit quils confrent. Le final macabre, o le producteur et le Phantom meurent sur la scne de lopra quils ont finalement men bien ensemble, nous rappelle que la mort est inscrite dans le passage du temps et que nous recherchons toutes les possibilits pour retarder ce processus. Une des faons pour conjurer cette fatalit consiste fixer par divers moyens, certains moments, des sons, des images, des textes, des informations, des inscriptions mortuaires. Michel Serres a parl de ce paradoxe fascinant qui fait quun corps mort (une sculpture de pierre, le support quutilisait les scribes, une feuille de papier, une cassette, la pellicule dun film) rendent les choses et les personnes qui y figurent immortelles. Cette proximit de la musique et le cinma est doublement intressante puisquelle touche la fois la technique et la mtaphysique (ou au rapport la mort si lon prfre). Cest parce que nous connaissons la mort et la matire inerte que nous savons que nous sommes humains.

    pilogueEnfin, le film contient une ultime mise en abme puisque le personnage du producteur est (remar-quablement) interprt par Paul Williams, vritable compositeur de la musique du film. Par cet artifice, Palma semble nous suggrer, au moins ironiquement, que cest bien le concepteur, in fine, qui tire les ficelles : cest bien lil du ralisateur du film qui, derrire les camras (celles du tour-nage comme celles qui surveillent) observe ses personnages et les manipule. Finalement le support ne vole rien, il ne fait que restituer ce que celui qui lutilise souhaite faire. De la mme manire lusa-ger dun lectrophone ou le spectateur de cinma jouent les supports, ce sont eux qui actionnent les touches et dcident daller dans une salle obscure. Ni fable nostalgique, ni conte moderniste, Phantom of the Paradise est une mditation fine, quilibre et pleine dhumour sur les relations entre lart et ce qui le fixe. Quont en commun le cinma et le rock ? Bien des choses mais une chose en particulier : le recording. La grande diffrence entre le papier musique ou le texte dune pice de thtre et la bande magntique ou le film, cest que le support magntique ou numrique conserve (ou fige) la chair de linterprte, sa voix, son corps. On devine que cest grce cette innovation capi-

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    tale que les stars (du cinma puis du rock) mergent et quelles acquirent leur longvit. Mme mortes, elles restent jeunes et belles parce que leur chair est fige sur du dur (une matire inerte qui rappelle elle aussi la mort). Palma a bien vu que le cinma et le rock ralisent, de faon imprvue, le rve faustien de jeunesse ternelle. Dailleurs, en crivant ces lignes, jcoute la voix juvnile et hoquetant de Buddy Holly, mort il y a bien longtemps mais tellement prsent

    Biblio-disco-vido-graphie slective #2

    Roland BARTHES (1994), uvres compltes, Tome II, Paris, Seuil.

    Syd BARRETT (1994), The Madcaps Laughs, EMI Records CD.

    The BEACH BOYS (1993), Pet Sounds, Capitol-1993 CD.

    Howard BECKER (1988), Les mondes de lart [1982], traduit de langlais par Jeanne Bouniort, Paris, Flammarion.

    Howard BECKER (1999), Propos sur lart, traduit de lamricain par Jean Kempf, Jean Marie Fournier, Vincent Michelot & Axel Nesme, Paris, lHarmattan.

    Luc BOLTANSKI & Laurent THVENOT (1991), De la justification, les conomies de la grandeur, Paris, Gallimard.

    Luc BOLTANSKY & ve CHIAPELLO (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.

    David BOWIE (2002), The Rise & Fall of Ziggy Stardust, EMI CD.

    David BOWIE (1993), The Singles collection, EMI CD.

    Alice COOPER (1972), Schools out, Warner Bros-1998 CD.

    Brian DE PALMA (1974), Phantom of the Paradise, Harbor Productions DVD.

    Nick DRAKE (1970), Bryter Layter, Island CD.

    Nick DRAKE (1970), Five Leaves Left, Island CD.

    Nick DRAKE (1972), Pink Moon, Island CD.

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    Franois GORIN (1998), Sur le rock, Paris, lOlivier-Le Seuil.

    Buddy HOLLY (1991), The collection, MCA Records CD.

    Rupert JULIAN (1925), film muet, The Phantom of the Opera VHS BFI.

    Nick KENT (1994), The dark stuff selected writings on rock music, London, Da Capo Press.

    Franois RIBAC (2003b), Lentre en rock , Entretien avec Franois Gorin, Volume, n 3, Clermond-Ferrand, Mlanie Seteun.

    Franois RIBAC (2004), Lavaleur de rock, paratre aux ditions de la Dispute en octobre.

    Roxy Music (1973), For you Pleasure, Virgin EG Records CD.

    Susan SONTAG (1993), Sur la Photographie [1979], traduit de langlais par Philippe Blanchard en collaboration avec lauteur, Paris, Christian Bourgois.

    Michel SERRES (1987), Statues, le second livre des fondations, Paris, d. Franoise Bourin.

    Phil SPECTOR (1963), A Christmas Gift for You, EMI-1991 CD.

    SWEET (1997), The Sweet, Stemra CD.

    T REX (1971), Electric Warrior, Polygram CD.

    T REX (1969-1970-1971), Bolan Boogie, Castle Communications-1988 CD.

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    Scott WALKER (1983), Climate of Hunter,Virgin CD.

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