pierre de grauw - sculptures, dessins, peintures
DESCRIPTION
Pierre de Grauw est né à Utrecht (Pays-Bas), le 3 décembre 1921. Il pratique la sculpture et la peinture dès son plus jeune âge, en autodidacte. Il réalise de nombreuses commandes pour les églises de son pays, tout en poursuivant des études de philosophie et de théologie. Arrivé en France en 1950, il s’adonne plus particulièrement à la sculpture sur bois et étudie le dessin au Centre d’art sacré de Paris, sous la direction de Jacques Le Chevallier. Il fréquente, entre autres, les ateliers de René Leleu et Bernard Mougin. Sa réflexion le porte vers des sujets souvent inspirés de la Bible, qu’il place dans une perspective humaniste et philosophique. En 1983, il devient professeur de sculpture aux Ateliers d’arts plastiques de Bagneux. Après une exposition à Sèvres — où il vit actuellement —, ses sculptures ont pris la route de Pont-Scorff (Morbihan) où la Ville a ouvert un espace dédié à son œuvre.TRANSCRIPT
Pierrede GrauwSculptures, dessins, peintures
Éditions Apogée
Pierre de Grauw est né à Utrecht (Pays-Bas), le 3 décembre 1921.
Il pratique la sculpture et la peinture dès son plus jeune âge, en auto-
didacte. Admirateur de Charles Eyck et Otto Van Rees, il réalise de
nombreuses commandes pour les églises de son pays, tout en poursui-
vant des études de philosophie et de théologie. Arrivé en France en
1950, il s’adonne plus particulièrement à la sculpture sur bois et étudie
le dessin au Centre d’art sacré de Paris, sous la direction de Jacques
Le Chevallier. Il fréquente, entre autres, les ateliers de René Leleu et
Bernard Mougin.
Sa réflexion le porte vers des sujets souvent inspirés de la Bible,
qu’il place dans une perspective humaniste et philosophique. En 1983,
il devient professeur de sculpture aux Ateliers d’arts plastiques de
Bagneux.
Après une exposition à Sèvres — où il vit actuellement —, ses
sculptures ont pris la route de Pont-Scorff (Morbihan) où la Ville a
ouvert un espace dédié à son œuvre.
En couverture :Le Sacrifice d’Abraham (détail) © Studio Dupif
En quatrième de couverture :Pierre de Grauw dans son atelier en 2010 © Studio Dupif
26 € - Éditions ApogéeISBN 978-2-84398-409-9
Pier
re d
e G
rauw
Scul
ptur
es, d
essi
ns, p
eint
ures
Cet ouvrage a été publié avec le soutien de
à qui nous exprimons nos vifs remerciements
© Éditions Apogée, 2012
ISBN 978-2-84398-409-9
Les sculptures en bronze et en cuivre ont été réalisées
par les ateliers Candide - Bronze d’Art, Vitry-sur-Seine (94)
Pierre de GrauwSculptures, dessins, peintures
Éditions Apogée
Étude de femme Terre cuite, 12 x 30 x
10 cm, 1980
5
pas forcément dire ; des mots et des phrases
viennent alors, comme des évidences, sur ce
qui n’arrivait pas à s’exprimer.
Mais cette pédagogie n’occulte en rien la
force et la contradiction que Pierre de Grauw
illustre et vit en permanence. Au-delà de la
rugosité des matériaux et de leur traitement,
se terre une évidente sensibilité faite d’huma-
nité ; très souvent le creux révèle le volume,
l’angle la rondeur, le silence la parole, et réci-
proquement.
Ce livre est enfin en parfaite cohérence
avec l’ouverture de l’Espace Pierre de Grauw
à Pont-Scorff, en Bretagne. Il vient comme
un remerciement à tous ceux qui ont cru et
soutenu la pérennité de l’œuvre au sens le plus
large du terme. Nul doute que ce livre soit
effectivement un moyen de plus, et non des
moindres, propre à transmettre l’œuvre et la
pensée de Pierre.
Qu’il me soit enfin permis une approche
plus personnelle : je connais Pierre de Grauw
depuis plus de 55 ans. En 1956, il était aumô-
nier du collège Saint-Gabriel à Bagneux et,
déjà, son enseignement ne se limitait pas à
une initiation à la lecture des textes bibliques ;
les grandes encycliques sur la doctrine sociale
de l’Église catholique, la compréhension des
grands mouvements philosophiques, domi-
née à l’époque par la pensée marxiste, étaient
au cœur de sa réflexion. Je me souviens aussi
de Pierre animateur des jeunes dont je faisais
partie, de la chorale qu’il avait fondée, de ces
représentations du mystère de la Passion par
lesquelles, de paroisse en paroisse et sur la base
Préface
C’est un grand honneur et un réel plaisir
pour le président de l’association des Amis
de Pierre de Grauw de préfacer ce livre. Les
raisons en sont multiples.
La première, et non des moindres, est liée
à ce que représente Pierre pour notre associa-
tion. Nous sommes tous « ami » de Pierre,
mais chacun d’entre nous l’a rencontré dans
des conditions et circonstances différentes,
révélatrices des multiples dimensions de sa
personnalité et de son œuvre. Notre association
est donc ce lieu de rencontre où s’échangent et
se partagent ces différents regards sur l’œuvre
et la personnalité de Pierre artiste certes, mais
aussi philosophe, théologien, sociologue… et
c’est bien ce que révèle et illustre ce livre.
L’enracinement biblique de la réflexion de
Pierre de Grauw permet à chacun de situer
son histoire personnelle dans cette formi-
dable perspective de la libération de l’homme
impliqué dans la création tournée vers l’avè-
nement de « la Jérusalem céleste », cité qu’il
lui appartient de construire là où il se trouve.
Nous ne sommes pas toujours à l’aise
devant l’œuvre d’art ; notre « ressenti » est à la
fois technique et subjectif ; il peut très vite se
paralyser. Entrer dans le parcours de l’artiste,
le suivre avec d’autres dans son itinéraire,
explique et révèle ce que nous ne saurions
tale de Pierre concrétisée dans ses œuvres,
réflexion sur l’homme qui, malgré ses pesan-
teurs et incapacités, reste libre et participe à
l’évolution du monde en perpétuelle création.
Pierre de Grauw a fait partie de cette petite
dizaine de personnes dont je dis sincèrement
que je ne serais pas ce que je suis si je ne
l’avais pas rencontré. Je sais que beaucoup de
nos amis de l’association sont dans ce même
constat.
Je ne peux terminer ce propos sans remer-
cier tant personnellement qu’au nom de
l’association, tous ceux qui s’inscrivent si bien
dans la contribution à la pérennité de l’œuvre
de Pierre : Georgine, bien sûr, dont la présence
aimante et active rend les choses possibles,
mais aussi tous les amis qui se reconnaî-
tront : Marc, Jean-Pierre, Françoise, François,
Catherine, Emmanuel, Marie, Paule, Bernard,
Rémy, Candide… et tellement d’autres.
Pierre Berger,
Président de l’association
des Amis de Pierre de Grauw
d’un texte original et d’une véritable « mise
en scène », nous invitions les spectateurs à
la compréhension de cet incompréhensible
procès… La préoccupation artistique et esthé-
tique — beauté et simplicité des costumes,
musique, poésie des textes — portait et carac-
térisait cette démarche.
J’ai suivi la construction de l’œuvre artis-
tique de Pierre : j’y ai vu notre condition
d’homme, dans toute sa beauté et son ambi-
guïté, s’exprimer par la représentation des
grandes figures de l’Ancien et du Nouveau
Testament, du roi David à Absalom, de Loth
aux pèlerins d’Emmaüs.
Pierre est aussi celui qui s’est confronté
aux rigidités et blocages de l’institution
ecclésiale, en approfondissant le sens de la
règle, y compris la règle monastique ; règle
qui n’enferme pas l’homme dans un tissu de
contraintes formelles mais qui l’accompagne
vers sa libération.
Il y aurait tellement d’autres choses à
dire… mais c’est l’objet de ce merveilleux
livre que d’expliquer la réflexion fondamen-
7
SOMMAIRE
Toute sculpture intrigue…
Mon atelier, Pierre de Grauw - 10
Autour du Sacrifice d’Abraham,
une œuvre paradoxale et singulière, François Boespflug - 20
« J’aime le monumental », Pierre de Grauw - 32
Sculpture et parole
Parole créatrice - 50
Parole dialogue - 74
Parole question - 84
Parole dévoilée - 92
Parole historique, parole prophétique - 100
Parole absence - 118
Parole incarnée - 124
Jeu des formes, images de la vie
Les psaumes dessinés, Georgine de Grauw - 140
Un artiste qui interroge, François Boespflug - 148
Une liturgie debout, Albert Rouet - 154
Un nouveau temple, Jean-Baptiste Michel - 162
Des médailles, traces d’histoire, Georgine de Grauw - 168
Œuvres majeures et expositions - 172
Crédits photographiques - 175
8
9
Toute sculpture intrigue…
… Elle impressionne car elle fait sentir et admirer une présence. Depuis la nuit des temps
et dans toutes les religions, une statue est facilement identifiée avec la divinité ou la personne
héroïque qu’elle représente. Alors, tout logiquement, surgit la question : Comment a-t-elle été
faite ? Comment tel morceau de bois est-il devenu une sculpture si « parlante » ? Par quel miracle ?
De là également, dans la logique des choses, cette interrogation : Dans quel endroit ensorcelant
ce travail a-t-il été effectué ? Où l’artiste réalise-t-il son œuvre ? Sans doute est-ce pour cela que
l’on profite avec tant d’enthousiasme d’une journée portes ouvertes d’ateliers d’artistes : trouver la
réponse à ces questions et satisfaire sa curiosité, tel est le mobile de l’amateur.
L’ouvrage que voici ouvre la porte de mon atelier — à Bagneux, dans les Hauts-de-Seine —
où j’ai travaillé pendant soixante ans. Il raconte l’histoire et la vie de cet endroit merveilleux. Il
vous dévoilera des secrets : comment sept traverses de chemin de fer sont devenues Sept Prophètes et
comment, avec du plâtre, à force de petites touches, j’ai peu à peu modelé de grands personnages,
souvent inspirés de la Bible.
Notre ami François Boespflug nous accompagnera par ses réflexions et son commentaire
passionnant du Sacrifice d’Abraham. Ensuite nous quitterons Bagneux pour une visite à ma dernière
exposition en région parisienne. Elle a eu lieu à Sèvres, dans un site merveilleux, l’île de Monsieur,
où l’architecture moderne s’est implantée en bord de Seine, sur une terre chargée d’histoire. Je
vous ouvrirai ensuite la porte de l’espace de Pont-Scorff, autrefois mairie-école de cette commune
du Morbihan où mes sculptures, dessins et peintures ont trouvé une hospitalité pleine de sens.
Par une porte grande ouverte, j’essaierai de vous donner accès à la parole de mes personnages
qui vous accueilleront comme dans leur maison.
Pierre de Grauw
Atelier de Pierre de Grauw, Bagneux, 2010.
10
le maréchal fit construire une nouvelle aile,
avec un joli salon. Le boudoir existe toujours,
avec son beau décor de boiseries peintes de
motifs légers, plein de charme : des fleurs, des
papillons, des vases. Sur la boiserie du milieu,
le portrait de la bien-aimée nous regarde,
inachevé. Les événements politiques ont
probablement empêché le décorateur de finir
son travail. Des traits de fusain à gauche et à
droite du visage montrent que l’artiste n’a pas
pu ou pas voulu terminer son œuvre.
Une telle demeure, accotée à l’église parois-
siale du xiiie siècle, se devait d’être entourée
d’un jardin avec au fond, tout logiquement,
les communs — de quoi loger un cheval, une
voiture et un cocher. Même si ces quelques
bâtiments ont été flanqués d’une baraque où
les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, pendant
la deuxième guerre mondiale, préparèrent la
soupe populaire, l’ensemble a gardé son carac-
tère romantique. On imagine aisément le
remue-ménage, chaque fois que le respectable
et savant curé devait se rendre à Paris.
À l’étage auquel on accède par un esca-
lier en bois, étroit et raide — un escalier de
meunier —, s’ouvrent à gauche deux petites
pièces, probablement l’habitat d’un cocher, à
moins qu’on y ait tout simplement stocké du
matériel. À droite, je découvris, un jour du
mois de septembre, une pièce dont les poutres
étaient apparentes et la charpente dénudée :
probablement le grenier à foin, comme le
laissait supposer une large porte en chêne au
fond de la pièce. Ce fut une découverte impor-
tante car c’est dans ce grenier d’environ 40 m²
qu’à l’automne 1950, j’installai mon atelier.
Mon atelier
L’ancien presbytère où je fus logé en 1950
avait l’allure d’un hôtel particulier, malgré sa
façade lépreuse et noircie par les intempéries.
Il fut construit en 1760 par le curé de
Bagneux, François de Chabannes de Rhodes,
également docteur en théologie à la Sorbonne,
et qui avait visiblement jugé indispensable
d’habiter dans un presbytère conforme à cette
double dignité.
Il suivit personnellement la construction
de sa demeure, car elle devait être solide et
robuste pour témoigner dans les siècles à
venir, du rang exceptionnel qu’un simple
curé de campagne avait occupé dans le monde
des savants parisiens. Pouvait-il se douter, le
pauvre révérend, qu’à peine un demi-siècle
plus tard, son beau presbytère serait acheté
par André Masséna, maréchal d’Empire, pour
y loger sa maîtresse, la belle Eugénie Renique,
danseuse de l’Opéra ? Soucieux d’offrir à
cette demoiselle une demeure confortable,
L’ancien presbytère, place de la
République, Bagneux,
1950.
11
d’avaler aussi bien du bois que du charbon. Il
fut pendant des années un compagnon fidèle,
dont il fallait s’occuper, certes, mais qui était
l’élément stable autour duquel, surtout l’hi-
ver, s’organisait mon travail.
Depuis longtemps, je désirais faire de la
sculpture sur bois. Un établi monté dans mon
grenier-atelier, quelques gouges et ciseaux, et
ce vieux rêve se réalise. Par chance, je trouve
dans la commune voisine un entrepôt de
vieilles traverses de chemin de fer que l’on
vend à bas prix : 10 traverses pour 11 francs.
Une aubaine.
En toute liberté, je commence à tailler une
de ces traverses très abîmées — ou faut-il dire
blessées — par les milliers de trains passés
dessus. Sans aucune maquette, pas même un
croquis sur un bout de papier, je m’attaque à
cette poutre récalcitrante qu’il faut convaincre,
si j’ose dire, de lâcher prise. Le bois est dur et
malodorant ; il faut le prendre tantôt dans un
sens, tantôt dans l’autre. Tout doucement, le
travail cesse d’être un travail brutal et domi-
nateur pour devenir une sorte de dialogue au
cours duquel le bois me guide pour creuser
là où il faut, pour tracer les lignes là où cela
devient évident.
Au bout de quelques semaines, ma
première statue en bois se dresse là, tout
simplement, dans mon atelier, comme si elle
y avait toujours habité. Dans ce petit espace
lumineux, nu et silencieux, elle se trouve
chez elle. Elle raconte, par le seul fait d’être
là, comment Job, l’homme des douleurs, a
été « frappé par un ulcère malin depuis la
plante des pieds jusqu’au sommet de la tête »
(Job 2,7) [cf. p. 120].
Je fis ouvrir deux lucarnes dans la toiture
pour assurer un bel éclairage. J’achetai une
lourde sellette en chêne que je hissai avec
difficulté, par ce sacré escalier de meunier,
jusque là-haut, dans ce qui allait devenir
mon « jardin secret », où je commençai tout
de suite à modeler un Christ en croix pour la
chapelle de la communauté.
À l’approche de l’hiver, j’achetai un poêle
d’atelier en fonte, une « cloche », capable
Les pièces
à l’étage.
20
Autour du Sacrifice d’Abraham
une œuvre paradoxale et singulière
En général, l’on fait comprendre aux
diserts de mon genre qu’ils auront de toute
façon à s’excuser d’aligner des mots, lorsqu’il
s’agit de commenter des œuvres d’art. Qu’au
moins les miens n’ajoutent pas un péché à un
autre, évitent la surcharge et s’en tiennent à
un sobre va-et-vient d’une part entre l’œuvre
et ma sensibilité, et d’autre part entre celle-ci
et la manière dont Pierre parle de celle-là.
L’œuvre instaure un débat auquel on ne
coupe pas, me semble-t-il. Et ce à plusieurs
niveaux. C’est premièrement un débat entre
nous et ce qui se joue dans le texte de réfé-
rence de cette œuvre (Gn 22). Il est ensuite
entre chacun et la perception qu’il a du groupe
sculpté de Pierre. Et enfin, entre les mots qui
spontanément me viendraient et les mots que
Pierre a choisis pour décrire lui-même son
œuvre.
Dans le livre qui a été publié sur sa sculp-
ture — il est bien connu que l’on ne lit pas
les livres d’art, et qu’on se contente de les
feuilleter — la description que Pierre donne de
son groupe est excellente, si je puis permettre
ce compliment (celui-ci n’est pas si déplacé
qu’il semblerait, car ce ne sont pas tous les
artistes, tant s’en faut, qui s’acquittent hono-
rablement du soin de décrire leurs propres
œuvres) : « Derrière une sorte de dolmen ou
table de pierre sur laquelle est à moitié couché
un adolescent, se tient un homme robuste,
un peu court sur ses jambes. Ses deux bras
désignent dans un geste d’offrande 1 le garçon
qui se redresse sur son bras droit et regarde
son père, étonné, comme s’il ne devait ou ne
pouvait pas comprendre ce qui allait lui arri-
ver. Le père, lui, ne comprend pas non plus :
légèrement courbé, sa grosse tête penchée, il
suggère la stupéfaction devant l’incompréhen-
sible, l’absurdité du sacrifice humain 2. »
Ces mots-là sont parfaits, à telle enseigne
qu’il me paraîtrait plus prudent maintenant
de se taire. Mais je le répète, l’œuvre d’art,
toute œuvre d’art qui mérite cette désignation
par l’excellence du savoir-faire qui a présidé
à sa lutte avec la matière, est ouverte au
commentaire, indéfiniment. J’ose donc ajouter
quelques mots à ceux de Pierre, pour souli-
gner d’abord le triple paradoxe de ce groupe
sculpté, avant d’en relever quatre caractéris-
tiques. Il est paradoxal à trois titres : par son
titre, par son sujet, et par son style.
1/Paradoxe de son titre, d’abord — qu’il
partage avec bien des œuvres juives ou chré-
tiennes des siècles passés, inspirées du même
thème biblique. L’œuvre s’intitule en effet
Abraham sacrifie Isaac 3, mais ne montre pas un
sacrifice. Que montre-t-il ?
21
Le Sacrifice d’AbrahamPlâtre, 240 x 70 x 170 cm, 1958
32
des Beaux-Arts de Paris. Cette visite m’est
pourtant restée en mémoire. Après un tour
attentif de mon atelier, il déclara que je
travaillais bien — c’était un homme avare
de compliments — mais : « Cela se sent,
vous n’avez jamais travaillé d’après modèle
vivant ! » C’était vrai. J’étais un autodidacte.
Je n’avais fréquenté aucune école d’arts, à
part quelques cours de modelage dans un
centre d’arts appliqués d’Arnhem, pendant
ma deuxième année d’études théologiques.
Là, lorsque dans le local voisin il y avait une
séance de modèle vivant, on fermait précipi-
tamment la porte : l’apprenti sculpteur Pierre
de Grauw, en habit religieux, devait exclusi-
vement s’appliquer à reproduire en terre un
modèle de canard en plâtre !
« Si cela vous tente, venez dessiner au
centre d’art sacré, place Fürstenberg ! »
« J’aime le
monumental »
J’aime le monumental ! Je me plais à le
répéter ! Et pour avoir la place nécessaire
sur mon lieu de travail, j’appliquai, dès les
années soixante, la politique des « territoires
occupés ». Lorsque le frère menuisier aban-
donna son atelier au rez-de-chaussée, j’eus vite
fait d’y mettre quelques ébauches en plâtre.
Ensuite, pour mettre mes personnages à l’abri,
je fis construire derrière le chœur de l’église
un appentis.
Ces statues ne pouvaient rester en plâtre si
je voulais qu’elles soient implantées quelque
part. Un ami sculpteur, Jacques Conter, qui
travaillait le cuivre comme assistant du sculp-
teur César, à l’école des Arts décoratifs, accepta
de réaliser un de mes grands plâtres en cuivre
martelé et soudé. C’est le Christ aux outrages
qui fut choisi. Une fois le travail terminé, je
ne pus qu’admirer et constater combien ma
sculpture, dans cette matière plus noble, plus
lumineuse, avait gagné en beauté plastique.
Il y a bien longtemps déjà que mon Christ
aux outrages se trouve à l’église Saint-Merri de
Paris où il est placé à même le sol, comme un
croyant parmi les croyants, participant à une
liturgie dont il est pourtant le centre.
Je ne sais plus en quelle année, ni à quelle
occasion j’eus la visite de Jacques Le Cheval-
lier, maître verrier et professeur à l’école
Pierre de Grauw dans son atelier,
travaillant sur le modelage d’un nu en
terre.
33
« Il est placé à même le sol, comme un croyant
parmi les croyants, participant à uneliturgie dont il est
pourtant le centre. »
Christ aux outragesCuivre, 172 x 55 x 60 cm, 1966, église Saint-Merri, Paris IVe.
49
Sculpture et ParoleNous, humains, sommes les seuls êtres dotés de ce pouvoir de la parole, pouvoir si extraor-
dinaire que l’homme biblique en a d’emblée attribué la source et le déclenchement à son dieu. Dans la Bible, le dieu des Hébreux est un dieu qui parle ; il est le vrai dieu parce qu’il parle. Il communique tandis que les idoles, elles, « ont une bouche mais ne parlent pas ». (Psaume 113B,5 (h 115) et 134, 16 (h 135)).
Ainsi pourrait-on dire que l’homme biblique fait un dieu à son image.
Comme la sculpture a besoin de lumière pour rayonner, le son de la parole a besoin d’air pour vibrer. Tout ce que l’on voit s’entend, parce que donné dans l’espace pour être reçu, interprété, en un mot : partagé.
Dans un espace composé de lieux successifs, s’animent des matières et des formes.La parole s’éveille sous la liberté du regard.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : les expressions graphiques et plastiques proposées dans ce livre ne veulent pas illustrer la Bible. Au contraire, c’est la Bible qui illustre nos vies d’hommes et de femmes. C’est en ce sens qu’elle est universelle et qu’elle provoque l’artiste.
Si le sculpteur transpose visuellement un texte de psaume ou s’il taille des visages qui portent un nom biblique connu, c’est parce qu’il y décèle l’incarnation d’expériences communes aux hommes et aux femmes de tous les mondes et de toutes les époques.
Sa préférence va aux personnages et aux situations qui affrontent la question de toujours : le mystère de l’existence humaine.
L’artiste a sculpté des visages et des mains comme en arrêt sur image, figés mais supposant un mouvement en avant et en après. Un avant et un après qu’il appartient au lecteur de déchiffrer, au visiteur de l’espace de découvrir.
« Non point récit, non point langage,point de voix qu’on puisse entendre,Mais par toute la terre en ressortent les lignesEt les mots jusqu’aux limites du monde. »(Psaume 18, 4-5 / h 19)Crayon sur papier, 100 x 210 cm, 2011
52
Torse d’homme ou KourosBois, 165 x 30 x 35 cm, 1989
53
Adam tiré du solBronze, 47 x 5 x 9 cm, 1985
FragilitéBronze, 32 x 4 x 7 cm, 1996
64
« Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle !
Tes yeux sont des colombes. »(Cantique des Cantiques 1,15)
L’AdolescenteBronze, 74,5 x 8,5 x 13 cm, 1989
65
Femme sur les coudesBronze, 32 x 9 x 10 cm, 1991
L’AttenteBronze, 40 x 11 x 20 cm, 1990
78
« Voilà qu’une échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient… »(Genèse 28, 12)
Le Rêve de JacobBois et cuivre, 70 x 15 x 20 cm, 2011
79
« Sagesse cachée,trésor invisible,à quoi servent-ilsl’un et l’autre ? »(Sagesse 20,30)
Le SecretBois et cuivre, 51 x 17 x 22 cm, 1995
94
« L’Ange de Dieu se manifesta à Moïse sous la forme d’une flamme de feu jaillissant du milieu d’un buisson. Moïse regarda : le buisson était embrasé mais ne se consumait pas. » (Exode 3, 2-5)
Le Buisson ardentBas-relief sur ardoise, 180 x 55 x 19 cm, 2009
95
« Les deux tables du Témoignage étaient dans la main de Moïse quand il descendit de la montagne… »(Exode 34, 29)
Moïse et la LoiBois et cuivre, 220 x 17 x 30 cm, 1993
106
« L’objet de leur réflexion, la crainte de leur cœur,c’est l’attente anxieuse de leur mort.Depuis celui qui trône dans la gloire,jusqu’au miséreux assis sur la terre et la cendre,depuis celui qui porte la pourpre et la couronne,jusqu’à celui qui est vêtu d’étoffe grossière. »(Ecclésiastique 40, 2-4)
Le Roi se meurtBronze, 190 x 170 x 95 cm, 1996
107
Le roi s’en va…Sa couronne n’est qu’un rêve,son sceptre une ombre qui passe.Tout pouvoir s’use,se disloqueà jamais.
139
Jeu des formes, images de la vie
140
Des psaumes dessinés
Les psaumes sont des poèmes, poèmes
chantés au son d’un instrument à cordes, le
psaltérion.
Comme la toile de fond du théâtre de
l’existence, ils ont toujours accompagné le
peuple juif au cours de son histoire.
Pour nous, aujourd’hui, il peut en être de
même, à condition de se laisser toucher par la
poésie des images et des mots.
Pour le visiteur parti à la rencontre des
patriarches, des rois et des prophètes de la
Bible, les psaumes résonnent en arrière-plan,
prolongent et répercutent ses impressions et
ses visions, le transportant ailleurs.
Car si l’on entend les psaumes ou si on les
chante, on peut aussi les voir.
On les voit mieux lorsqu’un artiste nous
montre sa vision du poème. Chaque psaume,
en effet, décrit une expérience, un événement,
parfois un drame. Et chaque dessin met en
scène un acte du drame. Pour bien le voir et le
comprendre il faut saisir l’action toute entière
et reconnaître l’instant du poème représenté.
Ainsi, comme le son de l’instrument ou
de la voix, le crayon du dessinateur nous fait
passer par l’âme du psalmiste, à la découverte
d’un secret, celui de notre propre existence.
Georgine de Grauw « Je ressemble au pélican du désert,je suis pareil à la hulotte des ruines.Je veille et gémis solitaire, pareil à l’oiseau sur un toit. »(Psaume 101, 7-8 / h 102)
141
« Je ressemble au pélican du désert,je suis pareil à la hulotte des ruines.Je veille et gémis solitaire, pareil à l’oiseau sur un toit. »(Psaume 101, 7-8 / h 102)
« Pour eux point de tourment,Rien n’emtame leur riche prestance. »(Psaume 72,4 / h 73)
« Jérusalem, bâtie comme une ville
Où tout ensemble fait corps. »
(Psaume 121, 3 / h 122)
156
Vue d’ensemble de la chapelle Saint-Bernard de la gare Montparnasse, Paris XVe, autel, ambon, candélabre, 1970-1971.
157
Tabernacle (bois et bronze) et Christ en croix (bois), chapelle Saint-Bernard de la gare Montparnasse, 1970-1971.
166
Tête de prophèteCarton gratté, 40 x 20 cm, 1975
Je me penche sur ton icône lépreuse…Crayon, 40 x 25 cm, 1999
167
Christ souffrantHuile, 45 x 33 cm, 1983