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document.doc 49 Chapitre 3 Des approches socio-techniques et techno-organisationnelles de l’innovation: l’utilisateur comme co-producteur de l’innovation au sein d’un réseau socio-technique L'analyse qui précède nous a permis d'identifier la forte interdépendance et l'entrelacement, entre dynamique technologique d'une part et changements sociaux et organisationnels de l'autre. Les approches séquentialistes aussi bien qu' "interactionnistes"( quoique ces dernières aient apporté une meilleure compréhension des mécanismes d'innovation strictement technologiques) sont apparues, dans les chapitres 1 et 2, comme inaptes à proposer une appréhension simultané e et co-évolutive de ces deux dimensions du changement technique. Le présent chapitre se propose donc d'aborder une sélection d'auteurs et d'approches, qui ont pour perspective commune d'aborder simultanément les dimensions technologiques et sociales, techniques et organisationnelles, du processus d'innovation. L'intérêt que représente cette approche pour notre problématique de l'innovation repose sur le fait qu'une figure active de l'utilisateur ne peut véritablement être appréhendée sans une véritable conceptualisation théorique de l'organisation (dont l'organisation utilisatrice), tant dans sa structure et que dans sa dynamique de changement. Le concept de routines, développé dans le cadre de leur théorie de la firme par Nelson Créé le 04/10/1999 Modifié : 14/06/2001 04:21:00 PM Date Imp. : le 14/06/2001 05:55:00 PM

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Chapitre 3 Des approches socio-techniques et techno-organisationnelles de l’innovation: l’utilisateur comme co-producteur de l’innovation au sein d’un réseau socio-technique

L'analyse qui précède nous a permis d'identifier la forte interdépendance et l'entrelacement,

entre dynamique technologique d'une part et changements sociaux et organisationnels de

l'autre. Les approches séquentialistes aussi bien qu' "interactionnistes"( quoique ces dernières

aient apporté une meilleure compréhension des mécanismes d'innovation strictement

technologiques) sont apparues, dans les chapitres 1 et 2, comme inaptes à proposer une

appréhension simultané e et co-évolutive de ces deux dimensions du changement technique.

Le présent chapitre se propose donc d'aborder une sélection d'auteurs et d'approches, qui ont

pour perspective commune d'aborder simultanément les dimensions technologiques et

sociales, techniques et organisationnelles, du processus d'innovation.

L'intérêt que représente cette approche pour notre problématique de l'innovation repose sur le

fait qu'une figure active de l'utilisateur ne peut véritablement être appréhendée sans une

véritable conceptualisation théorique de l'organisation (dont l'organisation utilisatrice), tant

dans sa structure et que dans sa dynamique de changement. Le concept de routines, développé

dans le cadre de leur théorie de la firme par Nelson et Winter (1982), prolongeant des

analyses de Simon (1976), nous permettra de fonder théoriquement l'activité de production

d'usages innovants, réalisée par l'utilisateur autour d'un objet technique en construction1.

L'approche actor-network theory de Callon et Latour (notamment, 1988,1990, et 1992), telle

que la désignent les Anglo-saxons, fournira un soubassement théorique solide pour mettre en

lumière la co-évolution et l'interpénétration entre changement technologique et changement

social. Le concept associé de "script" d'usage, incorporé dans l'objet technique, développé par

Akrich (1987 et 1991), nous permettra de préciser les fondements microéconomiques de la

co-évolution entre changement technique et changement social ou organisationnel, à travers le

processus dynamique d'incorporation d'usages innovants.

Dans la première section, nous présenterons différentes approches qui, sans chercher en

priorité à comprendre l'interdépendance entre changement organisationnel et changement

1 Voir les développement de cet aspect en partie II.

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Jollivet, 03/01/-1,
PAGE: 154 Etat des corrections : correction de mère sur les 3 sections intégrées et validées par moi.
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technique, permettent néanmoins d'en développer la notion. Nous passerons en revue

quelques théoriciens de l'innovation en commençant par Von Hippel, fondateur du concept de

l'utilisateur comme innovateur. Ses recherches où l'utilisateur s'avère dominant dans le

processus d'innovation, mettent en relief certaines caractéristiques organisationnelles et

technologiques typiques d'une telle configuration. Nous développerons ensuite l’approche de

l’innovation comme processus d’interaction entre utilisateur et producteur, dont Lundvall est

un contributeur majeur. Nous conclurons ce chapitre par l'examen de l'approche socio-

technique , initiée par Callon, Latour et Akrich.

Section 1 Une problématique de la co-production de l'innovation chez Lundvall

L'approche développé par Von Hippel a permis de poser la pertinence d'une appréhension de

l'innovation comme processus distribué et marqué par d'importants phénomènes co-

productifs. Lundvall offre un cadre d'analyse autorisant d'aller plus loin dans cette

perspective. A partant de son concept d'apprentissage par l'interaction, développé dans son

article de 1985, il construit progressivement une approche de l'innovation comme processus

d'interaction, dans lequel sa nature co-productive est explicitée (notamment dans ces écrits de

1988, 1992 et 1993). Trois caractéristiques de ce processus nous intéressent tout

particulièrement. L'utilisateur s'y affirme comme producteur à travers son rôle privilégié dans

la production de valeur d'usage du produit innovant, notamment via la production de

caractéristiques d'usages de celui-ci. De nouvelles compétences foncières de l'organisation

innovante apparaissent, influant fortement sur sa compétitivité et sa capacité d'innovation: la

capacité à coopérer. Enfin, l'auteur propose une première intégration de variables sociales

dans l'analyse du processus d'innovation à travers son approche des Systèmes Nationaux

d'Innovation (SNI).

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1) Une problématique centrale pour le processus d'innovation : la qualité des relations entre

les acteurs plus que l’excellence technologique des parties

L'approche de Lundvall nous semble apporter un déplacement des lieux de l'analyse du

processus d'innovation : alors que les approches présentées dans les sections et chapitres

précédents se focalisaient surtout d'une part sur la forme et le rythme de l'innovation, et

d'autre part sur les lieux et acteurs du processus, Lundvall se concentre sur la nature et la

dynamique des relations (relationships) qui lient ces acteurs de l'innovation entre eux. Ces

relations entre acteurs, quand elles étaient mentionnées, étaient jusqu'à lors principalement

supposées, à savoir considérées en grande partie comme déjà existantes. La perspective et la

pertinence de leur endogéneisation n'était que peu évoquée. Les modalités de leur

constitution, et plus encore de leur production, ne faisaient pratiquement pas partie du champ

d'investigation considéré pertinent. L'étude de la nature des relations que les acteurs de

l'innovation produisent (notamment, les processus d'interaction), nous montre Lundvall,

importe peut être plus pour la compréhension de leur capacité collective d'innovation, que

l'analyse des différentes tâches constituant le processus et leur allocation (1992, 1993).

Nous allons ici analyser comment Lundvall construit progressivement cette nouvelle

problématique, dans le champ de l'économie de l'innovation, et les différentes implications

dont elle est porteuse.

2) Un dépassement de l'opposition entre marché et hiérarchie : le "marché organisé", lieu

privilégié de réalisation du processus d'innovation

L'incertitude est une des caractéristiques fondamentales du processus d'innovation. Au-delà de

son éventuel constat empirique, nous avons noté combien les cadre théoriques séquentialistes

et "interactionnistes" créaient, en interne à chacun de ces systèmes, une incertitude qui nous

avait paru excessivement radicale2. L’auteur rappelle tout d’abord que l’incertitude, vis-à-vis

du processus d’innovation, est renforcée par la division technique du travail : "une part

substantielle des activités d'innovations se situent dans des unités séparées de celles des 2 Notamment, nous avons montré que l'approche en terme de trajectoire et de paradigme de Dosi pouvait engendrer un processus d'innovation (théorique) caractérisé par une incertitude radicale, du fait que l'économique n'y intervenait qu'a son "étape" ultime, celle de la mise sur le marché.

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utilisateurs potentiel des innovations" (1988, p. 349). A travers une professionnalisation de

l’activité d’innovation, cette spécialisation induit un éloignement fonctionnel entre le

producteur de l’innovation et son consommateur-utilisateur.

Dans l'approche Williamsonnienne (telle qu’elle est notamment présentée dans Williamson,

1975), l’incertitude vis-à-vis du processus d’innovation est analysée comme un des moteurs

des stratégies de concentration verticale (intégration). Les deux modalités théoriques de

coordination des activités économiques, posées dans ce cadre comme étant le marché et la

hiérarchie, sont reconnues en effet ne pas suffire à limiter l'incertitude à des niveaux

compatibles avec les prises de risque soutenables par l'innovateur.

Lundvall, dans son article de 1992, s'inscrit en faux contre une telle conclusion. Il soutient que

cette insuffisance (théorique) du marché et de la hiérarchie vis-à-vis des niveaux de risques

assumables par l'innovateur ont une conséquence tout autre : ces deux concepts ne permettent

pas de rendre compte de la réalité des modalités de coordination au sein du processus

d'innovation. Celui-ci se réalise de manière privilégiée dans une "structure" particulière, celle

du « marché organisé » [organized market], qui intègre des relations organisationnelles entre

des unités "formellement indépendantes" » (1988, p. 352). Dans celle-ci, les comportements

des acteurs appartiennent bien plus à la coopération qu'à la seule concurrence (théorique) sur

les marchés, ou à l'autorité au sein d'organisation hiérarchique. Cette structure particulière

autorise que le flux d’information ne se limite pas à des informations en prix et en quantité

mais laissent apparaître "des flux d'informations qualitatifs et des coopérations directes"

(1988, p. 352). La coopération, ou l'interaction productive, s’affirme ainsi comme modalité

de réponse alternative à l'incertitude, dans le cadre de marché organisé. Il semble que l’auteur

ne se satisfasse par d’une interprétation de ces « marchés organisés » comme exceptions,

voire comme formes hybrides, secondes en quelque sorte par rapport aux deux références que

constituerait le marché et la hiérarchie. Tout au contraire, il ressort de son argumentation que

ce « marché organisé » s’affirme, empiriquement comme la situation la plus fréquente, et

conceptuellement comme le cadre de référence majeur. Les formes de coordination par le

marché ou la hiérarchie se verrait ainsi reléguées au statut de cas extrêmes, ou à une utilité

surtout didactique.

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Jollivet, 03/01/-1,
PAGE: 179 Je pense qu’il faut mettre une autre référence : je crois me rappeler un article nommé : « Neither hirachichy, nor market : hybrid forms of coordination » .... de je crois Williamson.
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Cette position théorique est, pour l'auteur, un préalable pour pouvoir appréhender, par un

cadre conceptuel adéquat, les processus effectifs d'innovation dans les économies

contemporaines.

3) Un fondement théorique de l'utilisateur : l'utilisateur comme producteur de valeur d'usage à

travers les caractéristiques d'usage du produit innovant

L'auteur se focalise sur deux sources particulières de l'incertitude vis-à-vis du processus

d'innovation : celle relative aux performances techniques du produit innovant, et celle

concernant les caractéristiques pertinentes de celui-ci. Concernant le premier type, Rosenberg

(1982) a montré leur importance (voir chapitre 2). Nous nous concentrons ici sur la deuxième

source qui, bien qu'ayant déjà été mise en exergue par ce même auteur, est ici approfondie par

Lundvall. Il explique dans son introduction que la problématique pertinente, pour l'économie

de l'innovation et du changement technique, n'est pas tant l'allocation optimale de ressources

rares à valeurs d'usage déjà définies (comme le fait la tradition néoclassique), mais surtout la

production de « nouvelles valeurs d'usages » (1988, p. 350) 3 (use value). Dans une approche

classique de Demand Push par exemple, implicitement, le produit innovant est déjà défini sur

le marché, avec des caractéristiques pertinentes d’usages établies. Or, souligne Lundvall,

"beaucoup d'innovations en apparence purement déterminées par la demande, ont leurs

racines dans une interaction user -producteur très en amont [early]de la chaîne de

l'innovation" (1988, p. 358). La question pertinente est donc d’analyse comment, dans ce

processus d’interaction coproductif, se réalise cette production de valeur d’usages vis-à-vis

l’innovation en cours d’élaboration. Ce point est d'importance car il induit un déplacement

de l'attention sur les processus, dynamiques, de production de ces valeurs d'usages, dans le

cadre d'un processus d'innovation. Or, comme nous l'avons vu dans notre section dédiée à

l'analyse du learning by using de Rosenberg (1982), et en nous référant aussi aux apports de

Lancaster (1966), un des attributs déterminants de la valeur d'usage d'un bien est constitué par

3 Le cadre circonscrit de cette thèse ne nous permet pas d’entrer dans la problématique de la théorie de la valeur. Nous n’utilisons notamment pas ici la notion de valeur d’usage en référence particulière à la problématique développée par Marx en termes de valeur d’usage, valeur-travail, et valeur d’échange. Nous l’entendons plutôt, à l’instar de l’usage qu’en fait Lundvall (1988), dans une acception large, proche de la notion de valeur-utilité, et qui la met en relation avec les caractéristiques pertinentes d’un bien, tels que les a théorisées Lancaster (1966). Ce qui nous importe donc surtout ici, c’est que l’utilité d’un bien va croître avec la production progressive des caractéristiques pertinentes d’usages qui lui seront associées. Cette approche est particulièrement intéressante pour aborder l’évolution de l’utilité qu’un client-utilisateur pourra tirer d’un logiciel, à travers le développement progressif de différentes fonctions (fonctionnalités), autorisant de nouveaux usages du produit.

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ses caractéristiques pertinentes et, comme le précise Lundvall, par ses caractéristiques

d'usages. « Nous choisirons de nous focaliser sur la capacité d'une économique à produire et

diffuser des valeurs d'usages avec des nouvelles caractéristiques" (1988, p 350)

Ainsi, la problématique des caractéristiques pertinentes d'un bien se déplace progressivement

de la question de leur seule identification (avec la question associée de leur dite révélation) à

la question de leur production. C'est à ce niveau que l'utilisateur intervient, au niveau

théorique, comme un acteur déterminant. Von Hippel a montré qu'une raison centrale pour

laquelle, dans certaines configurations techno-organisationnelles, les utilisateurs s'affirmaient

comme innovateurs consistait en leur aptitude inégalée à produire des caractéristiques

pertinentes relatives à l'usage, économiquement utile, d'un produit innovant. Lundvall élargie

cette analyse, jusqu'à lors surtout appliquée au cas "extrême" de l'utilisateur exclusif

innovateur, pour l'étendre, en l'enrichissant, à celle de l'innovation distribuée entre plusieurs

acteurs.

De l'identification des besoins à la production de valeur d'usages : un début de

valorisation théorique de l'activité productive du consommateur-utilisateur

Ainsi, non seulement la Demande n'apparaît-elle plus, au niveau théorique, comme quelque

chose de donné (puisqu'il y a de l'activité productive qui préside à son existence) mais plus

encore, elle ne s'affirme plus nécessairement dans une opposition dichotomique avec l'Offre.

L'utilisateur participerait à une production de la demande. Une piste théorique est ouverte

pour une conceptualisation forte du consommateur-utilisateur, comme réalisant des activités

aptes à être qualifiées de productives. Au-delà de la seule problématique de l'utilisateur

comme innovateur, la question théorique plus vaste de l'utilisateur-consommateur comme

producteur est donc posée.

Lundvall pose donc une première fondation théorique générique d'un utilisateur véritablement

coproducteur dans le cadre du processus d'innovation.

Pourtant, on est obligé de constater que sa conceptualisation de l'utilisateur n'est pas toujours

constante, même au sein d'un même article, comme celui de 1988. En effet, parfois il

participe clairement d'une approche de l'utilisateur comme producteur (notamment producteur

de valeur d'usage à travers l'élaboration de caractéristiques pertinentes d'usage) et à d'autre

moment il le positionne comme simple objet d'une activité menée par le producteur, visant à

révéler ses dits besoins. Dans ce dernier cas, il ne fait que reproduire une analyse déjà

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développée, notamment par Freeman (1982) selon lequel « dans l’innovation, la connaissance

des besoins des utilisateurs est plus importante que l’innovation technique » (p. 124 ). Malgré

son intérêt, cette assertion est porteuse d’une conceptualisation de l'utilisateur bien moins

riche que la première approche de Lundvall, qui intégrait les apports de Von Hippel en la

matière.

4) Du learning by interacting à l'innovation comme processus co-productif

Lundvall est surtout mentionné dans la littérature économique pour deux de ses apports : le

concept d'apprentissage par l'interaction (learning by interacting) et son approche en terme

de Système National d'Innovation. Souvent, son article sur l'innovation comme processus

interactif de 1988, est ramené au seul concept d'apprentissage par l'utilisation. Or, entre les

deux, la pensée de l'auteur s'est considérablement enrichie.

Dans son article de 1985, Lundvall positionne sa problématique surtout dans le cadre de

l'analyse des modalités d'apprentissage des individus et organisations. Il reste donc dans le

cadre relativement circonscrit du "paradigme" de l'apprentissage, en tant que processus

important et longtemps négligé permettant des gains de productivité et de la création de

richesse. En ce qui concerne l'innovation, elle est principalement pensée comme processus

d'apprentissage, que l'auteur enrichie en y ajoutant une modalité d'apprentissage nouvelle,

l'apprentissage qui se réalise à travers l'interaction entre producteur et utilisateur.

Ces développements ne sont pas sans intérêt mais, dans l'article de 1988, l'auteur va plus loin :

il passe d'une approche de l'innovation comme processus d'apprentissage interactif, à une

innovation comme processus d'interaction. Analysons ici le chemin parcouru et sa portée

théorique.

La question qui se pose est celle de la possibilité de ramener le processus d'innovation à un

processus d'apprentissage, aussi riche et complexe soit ce dernier. La littérature

évolutionniste est prolifique sur le sujet de l'apprentissage et de son exploitation théorique en

terme économique. Mais, comme Paulré (1997) le note, ses acceptions sont variées, et pas

toujours cohérentes : elles vont par exemple d'un apprentissage déterministe que nous avons

qualifié "d'automate", dans l'analyse que nous avons faite du learning by doing, à ce que

Paulré dénomme un apprentissage cybernétique, bien plus riche, complexe et indéterminé.

Les apports les récents des théories de l’apprentissage en économie (tels que présentés

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notamment dans Foray, 1994) valorisent un modèle de l'apprentissage en double boucle

(double looop) particulièrement riche, au sein duquel les individus, dans le système dont ils

font partis, s’exercent à apprendre à apprendre. Une certaine capitalisation des capacités

individuelles et organisationnelles d'apprentissage est ainsi permise. La dynamique

d’apparition de nouvelles routines, comme résultats de routines de search (Nelson et Winter,

1982) peut être considérée comme procédant d’un tel processus d'apprentissage double.

L'apprentissage se trouve ainsi liée à l'apparition de nouveauté de par le fait qu'elle génère de

la connaissance supplémentaire. La caractérisation de cette connaissance supplémentaire

comme nouveauté requiert cependant de définir l'espace dans lequel on se situe. Si l'on se

situe dans un espace cognitif entièrement "ouvert" (la connaissance disponible sous toutes ses

formes dans le monde entier) peu de ces connaissances issues de l'apprentissage pourront être

qualifiées de nouvelles, dans l’absolu. Par contre, si elles sont rapportées à un espace

circonscrit, une organisation donnée par exemple, l'association théorique entre apprentissage

et production de nouvelle connaissance peut être argumentée dans une optique de portée plus

générale. Mais c'est surtout à travers la notion de connaissance contextuelle4 (une

connaissance d’utilité relative à un contexte) que la caractéristique de nouveauté peut être

abordée de la façon la plus riche. Si la connaissance contextuelle, à savoir une connaissance

dont la valeur d'usage est circonscrite à un contexte productif particulier, est d'une valeur

économique générale, alors le processus d'apprentissage peut être légitimement abordé en

terme de production de connaissance nouvelle.

Une fois cet aperçu de différents modes de conceptualisation de la connaissance vis-à-vis du

processus d'apprentissage effectué, il reste à définir sa relation avec l'innovation. La

connaissance issue de l'apprentissage, au-delà de son éventuelle nouveauté au sein d'un

contexte donné, peut-elle être qualifiée d'innovation ? Si l'on se réfère à la définition la plus

répandue, initialement développée par Schumpeter (1935) la caractérisant par une mise sur la

marché, une majeure partie de ces connaissances ne peuvent pas être considérées comme

innovation. Mais cette définition fait fi de la possibilité qu'une innovation soit

économiquement utile, sans pour autant être effectivement mise sur le marché. Le cas se

présente notamment pour certaines innovations de processus, pour lesquelles l'organisation

innovante préfère ne pas diffuser l'innovation. Si l'on se rapporte maintenant à la

caractéristique selon laquelle une innovation est un changement qui induit des gains majeurs

en terme de profitabilité, alors une connaissance contextuellement nouvelle, issue de

4 Nous développerons ces notions dans la section dédiée aux approches d'économie de la connaissance.

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l'apprentissage, est effectivement susceptible d'être qualifiée d'innovation. En effet, comme

Rosenberg l'a notamment montré dans son article de 1982 sur le learning by using, une

modification mineure du design d'un produit innovant, issu de l'apprentissage par l'utilisation,

peut avoir une incidence majeure sur la valeur d'usage de ce produit pour l'utilisateur-

consommateur.

La sphère de validité potentielle d'une approche théorique de l'innovation comme processus

d'apprentissage est donc loin d'être nulle. Cependant, il nous semble, au regard de toutes les

hypothèses ci-dessus mentionnées, que le processus d'innovation ne saurait être, dans le cas

général, réduit au seul processus d'apprentissage.

Ainsi, le passage que réalise Lundvall entre une appréhension de l'innovation comme

apprentissage (selon la modalité particulière de l'apprentissage par l’interaction) et une

appréhension de l'innovation comme processus interactif (incluant mais ne se limitant pas à

un processus d'apprentissage) n'est-il pas trivial. L'innovativité ne se limite pas, bien qu'il

puisse y jouer un rôle central, au processus d'apprentissage.

Le rôle de l'interaction dans le processus d'apprentissage, tel que notamment développé par

Lundvall, peut être compris rapidement en faisant l'analogie avec le cas particulier de

l'apprentissage comme mode de formation privilégié dans les métiers de l'artisanat. C'est à

travers la pratique, et l'interaction avec son "maître artisan", que l'apprenti accédera

progressivement à l'état de l'art dans son métier ? Plus généralement, des spécialistes de

sciences de l'éducation, tels Piaget (1966) et plus encore, avant lui, Freinet (notamment dans

1938), ont souligné la centralité de l'interaction entre apprenants dans le processus

d'apprentissage, et plus globalement dans celui d'acquisition de connaissance5.

Le rôle de l'interaction dans le processus d'innovation, développé par Lundvall (1988) dans

son article de NN, est plus novateur dans sa théorisation. La complexité systématique des

technologies mobilisées dans nombre de processus d'innovation contemporain y joue un rôle

central. Comme l'avait souligné Rosenberg (1976), c'est une caractéristique de l'évolution

historique des économies contemporaines, notamment depuis l'avènement du capitalisme, que

5 C'est à ce titre que nombre d'expériences novatrices sont menées dans les écoles primaires visant à intégrer les NTIC dans le processus d'apprentissage et dans l'enseignement.

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de recourir à (et de générer) des technologies de plus en plus complexes, entretenant entre

elles des relations systémiques. Lundvall (1988) précise ici qu'autant l'inventeur de la charrue

pouvait maîtriser l'ensemble des connaissances et techniques nécessaires à son invention,

autant la majorité des innovations contemporaines ne l'autorisent plus. Ainsi, la réalisation

d'une innovation nécessite des connaissances de plus en plus réparties en des lieux et des

individus distants. De plus, du fait des relations systémiques qu'elles entretiennent

fréquemment entre elles au sein de l'innovation technologique, l'articulation de ces

connaissances peut mal se prêter à une simple division technique du travail et à une

coordination par l'organisation ou le marché. L'interaction entre les différents acteurs

détenteurs de ces connaissances, en relation systémique au sein de l'objet innovation, apparaît

ainsi comme une modalité privilégiée non seulement de leur coordination mais, plus encore,

de la genèse même de l'innovation. Cowan (2000) montre notamment que c'est la structure

réticulaire des "small words" (littéralement, petit mondes) qui intègre une importante

minorité d'hétérogénéité et de distance entre les acteurs du réseau (entre 5% et 10% des

effectifs), qui s'avère, sous certaines hypothèses, la forme la plus propice à l'innovation. Le

processus d'interaction, au-delà de son seul intérêt en terme de coordination, se révèlerait

ainsi, à travers la confrontation à l'altérité et à la différence, être un puissant facteur

d'innovativité.

5) Le processus d'innovation par l'interaction entre utilisateur et producteur : modalités et

étapes (process theory)

L’analyse d’un processus d’innovation, demande, dans la perspective de process theory tracée

par Wolfe (1994), d’identifier les motifs et incitations des différents acteurs à adopter les

différents comportements décrits.

a) Motivations et incitation de la firme à s’engager dans un processus interactif de

coproduction avec l’utilisateur

Lundvall (1988) mentionne cinq types d’incitations, pour la firme productrice, à développer

des relations fortement interactives et de proximité avec la firme utilisatrice dans le cadre de

son processus d’innovation :

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L’identification et la facilitation de l’appropriation de l’innovation par les

utilisateurs

Son ici concernées les modalités d'appropriation par l’utilisateur des innovations

d’équipement de procès. Ce cas se présente quand le producteur est un fournisseur

spécialisé de bien d’équipement auprès du client-utilisateur. La qualité et la vitesse

d’appropriation de produit innovants par une base de client (existant ou potentiel) vont

en effet fortement influer sur l’avantage compétitif que le producteur pourra obtenir à

travers sa stratégie d’innovation6. L’appropriation ne doit pas être ici entendue comme

seul acte d’achat (contrairement à l’acception fréquente chez les économistes du mot

adoption) mais comme acte productif, réalisé par l’utilisateur.

L’innovation de produit chez l’utilisateur peut engendrer des demandes en

innovation de procès chez le fournisseur spécialisé

Lundvall souligne que « les innovations de produits au niveau de l’utilisateur peuvent

impliquer des demandes nouvelles pour des équipements de procès" (p. 352) [process

equipment]. Ce point est particulièrement intéressant. Il peut être mis en relation avec

le fait que l’innovation, au niveau intra-organisationnel, advient fréquemment sous

forme de  cluster. L’innovation de produit d’une firme étant par exemple fortement

liée à des innovations de procès autorisées par l’adoption de nouveaux biens

d’équipement. Nous développerons cet aspect dans le chapitre 4. Notons simplement

ici, qu’un fondement supplémentaire à l’hypothèse d’entrelacement entre activité

d’innovation du producteur et l’activité de production de l’utilisateur est ici apporté :

une part importante de la demande en bien d’équipement de procès innovant

proviendra d’activité d’innovation de produit de la part des clients-utilisateurs. On

voit donc l’intérêt pour le producteur de tels biens d’une forte proximité avec

l’utilisateur afin d’identifier la forme (le design) que ces équipements innovants,

« tirés » par l’innovation de produit du client, devront prendre.

Cette analyse peut être considérée comme un approfondissement du cas de l’utilisateur

comme innovateur de Von Hippel, dans le cadre plus général de la coproduction de

l’innovation par l’interaction. Le cas que nous développerons dans la partie II, sur la

co-évolution du produit de GED/Workflow de Bull avec les innovation de produits et 6 Ces variables de rythme de l’appropriation son notamment particulièrement importantes dans des environnements concurrentiels de type  winner takes all  ou dans lesquels les processus de standardisation de facto sont prononcés.

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organisationnelles de son client-utilisateur Axa-Alpha, s’intègre parfaitement dans un

tel cadre d’analyse.

L’incorporation des connaissances de l’utilisateur issue du learning by using dans

un nouveau produit innovant

"Troisièmement, la connaissance produite par l'apprentissage-par-l’utilisation ne peut

être transformée en des nouveaux produits que si les producteurs sont en contact direct

avec les utilisateurs" (p. 352). Ce motif et le processus qu’il induit nous paraissent très

importants pour ce qui est de la dynamique de l’innovation dans les NTIC. Nous

développerons cet aspect dans les chapitres 4 et 5.

L’appariement (matching) entre solution (technologique) et problème de

l’utilisateur

La question du rythme de diffusion de l’innovation, est abordée par nombre d’auteurs

contemporain en terme de problème d’appariement entre caractéristiques de

l’organisation et caractéristiques de la solution technologique7. Nous en présenterons

les limites dans la section suivante. Mentionnons ici que Lundvall mentionne aussi cet

appariement comme un des motifs de la proximité entre utilisateur et producteur, et de

leur nécessité qui en découle de fortes interactions entre les deux parties. Mais que

cette question fait référence à un problème plus vaste : celui, en terme de théorie des

organisations et de la décision, de la « rencontre » entre problème et solution. Le

modèle du garbage can, tel qu’il est développé par March (1972), souligne

notamment la dynamique de co-évolution et de co-construction qui s’engage entre

problèmes et solutions au sein du processus de décision dans les organisations. Le

concept d’appariement, qui suppose généralement une préexistence des problèmes aux

solutions, ne rendrait ainsi que partiellement compte des problèmes organisationnels

se posant lors des processus d’adoption de nouvelles technologies dans les

organisations, et de leur diffusion conséquente.

Veille techno-organisationnelle et prestation de service en organisation et

stratégie auprès de l’utilisateur

7 Un survey récent peut en être trouvé dans Paillard (1998).

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"Enfin, le producteur peut être intéressé dans le suivi et le management [monitoring]

de la compétence et du potentiel d'apprentissage des utilisateurs dans l'optique

d'estimer leur capacité respective à adopter de nouveau produits" (p. 352). Lundvall

trace ici la perspective que le producteur, non seulement identifie les capacités

d’adoption et d’innovation de l’utilisateur, mais plus encore s’investisse auprès de

l’utilisateur pour l’évolution de celles-ci. Nous reprendrons cet aspect dans le chapitre

4. La pertinence de cet investissement peut être entendue à travers la complémentarité

et l’interdépendance entre vente de produit (l’innovation l’équipement innovant), et

prestation de services, notamment en matière de transmission des best practices  (état

de l’art en matières d’usages de nouvelles technologies) voire de conseil en

organisation et stratégie8.

b) Processus de production versus processus d'innovation

Dans le processus d’innovation par l’interaction entre utilisateur et producteur, les activités de

production et d’innovation se trouvent interdépendantes, voire en partie entrelacées. Lundvall

(1988) commence son exposé en opposant tout d’abord, conformément à la tradition, la nature

de ces deux types d’activités mobilisées : « La production est un processus répétitif » et l’

« on peut la quantifier en terme de quantité et de prix » (1988, p. 362). En contraste, « le

processus d’innovation peut être continu et cumulatif, mais il y aura toujours un élément

unique, soulignant l'importance de la créativité, en opposition avec la prise de décision

routinière » (p. 362). Il précise que dans un tel processus d’innovation « les flux entre les sous

systèmes] seront des informations complexes et systémiques, difficile à traduire en terme

quantitatif » (p. 362).

On peut alors tenter d’appréhender les phénomènes d’interdépendances entre production et

innovation en considérant que l’activité de production, à travers l’apprentissage, procure

certains inputs à l’activité d’innovation : « L’interdépendance entre production et d'innovation

vont dans les deux sens. D'un coté, l'apprentissage qui se réalise dans la production - comme

"l'apprentissage par la pratique" ou comme "l'apprentissage par l'utilisation" - constituent un

input important dans le processus d'innovation » (p 363). De l’autre, l’adoption de nouveaux 8 Cet aspect est d’importance. Nous appliquerons cette analyse aux stratégies comparées, et assez opposées, des firmes IBM et Bull en la matière.

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équipements innovants par l’organisation utilisatrice vont fortement impacter les

caractéristiques et performances du processus de production.

Mais l’auteur s’inscrit en faux contre une telle perspective, critiquant cette vision de

l’interdépendance en terme d’interaction dans l’opposition : « Mais il n'est pas évident qu'une

telle division du travail [entre activité de production d’un coté et d’innovation de l’autre] soit

"naturelle" et appropriée » (p 363). A la façon de Callon et Latour (1990) qui critiquaient les

approches des relations entre la science et l’économique en simples termes d’interaction dans

l’opposition, chaque terme étant supposé se caractériser par une nature bien distincte,

Lundvall remet en cause la distinction entre deux processus supposés être de natures

différentes, la production et l’innovation. Il y a de l’innovation et de la créativité dans la

production, de même qu’il y a de la routine dans le processus d’innovation.

Ainsi, son approche de l’innovation comme processus d’interaction vise-t-elle à intégrer cette

interdépendance entre processus de production et d’innovation non plus dans l’opposition,

mais dans le chevauchement et l’entrelacement. Dans la présentation de son processus

d’innovation, Lundvall intégrée bien les apports de Von Hippel, valorisant l’innovativité de

l’utilisateur.

Lundvall souligne que pour ce qui est des processus d’innovation concrets, la pratique des

firmes en terme d’interactions est très pauvre. Il constate en effet que « pour la majeure partie

des biens de consommation, l'interaction est exclusivement organisée par les producteurs

récoltant de l'information sur les besoins des consommateurs et les traitant » (p. 365). Une

étude récente (Haddon et Paul , 1999) menée à l’échelle européenne, sur les pratiques du user

centered design (développement de l’innovation centré sur l’utilisateur) des firmes de

l’industrie de NTIC, parvient à un constat empirique similaire : les firmes des NTIC en

Europe ne pratiquent que très peu l’innovation par interaction entre utilisateur et producteur,

et sont toujours fortement imprégnées d’une culture du techno push. Les innovations

insatisfaisantes que l’industrie peut développer sont, argumente Lundvall, à mettre en relation

avec ces absences de pratiques interactives.

Comme nous l’avions noté dans notre analyse de l’approche du learning by using de

Rosenberg (1982), l’interaction est ici fortement asymétrique, l’utilisateur s’inscrivant dans

une relative passivité, en tant que support, pour le producteur, d’une activité de récolte

d’informations que ce dernier mène.

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6) Les capacités organisationnelles et culturelles à réaliser le processus d’innovation

(organizational innovativess)

En suivant une heuristique présentée notamment par Wolfe (1994), Lundvall, après avoir

exposé les modalités et étapes de ce processus particulier d'innovation par interaction,

s'attache à en établir les conditions organisationnelles, et comme on le verra, culturelles, de

réalisation.

Le premier point concerne les compétences respectives des parties conditionnant l'effectivité

du processus d'innovation par interaction. Pour la première fois, parmi les auteurs et

approches que nous avons abordés jusqu'à maintenant, des caractéristiques nécessaires

concernant l'utilisateur sont explicitées. Pour que cette co-production de l'innovation se

réalise, l'utilisateur doit être doté d'un caractère (au sens de caractéristique) "compétent et

exigeant" (p. 358) ("competent and demanding"). Cette analyse provient d’études, auxquelles

l’auteur fait références (Gregersen, 1984; Braengaard et al., 1984), identifiant comme facteur

particulièrement explicatif d’échecs9 de processus d’innovation « le manque de compétence

des utilisateurs » (p. 355).

Cette compétence de l'utilisateur se réfère aux connaissances technologiques mobilisées par le

producteur pour développer l'innovation. Sa nécessité est tout d'abord rapprochée par l'auteur

de la nécessité d'une sémantique partagée pour qu'une compréhension commune entre les

acteurs puisse advenir. Se référant à certains apports des sciences de l'information et de la

communication, il explique en effet qu'une communication interactive requiert non seulement

des canaux de communication communs (éventuellement à construire), sur lesquels

l'information va transiter, mais également un code partagé afin que les opérations cognitives

de codage et de décodage puissent se réaliser10. Il soutient que dans le cas de communication

interactive participant d'un processus de développement d'innovation, du fait de la nouveauté

même des connaissances mobilisées ou associées, ainsi que de la nouveauté éventuelle de la

mise en relation des acteurs, ces canaux de communication, tout comme le code commun,

seront en général à construire.

9 Les échecs mentionnés sont dénommées par Lundvall comme « innovations insatisfaisante ». Nous reviendrons sur ce concept dans la conclusion de cette section.10 Ne critiquerons ultérieurement ces références aux théories de l'information, qui s'avèrent quelque peu datées, sinon en partie dépassées. Elles suffisent pour l'instant à l'illustration de la problématique abordée.

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L'auteur ébauche alors une approche conceptuelle novatrice : un des facteurs essentiels

conditionnant l'effectivité du processus d'innovation par interaction consiste en la production

de ces relations, interpersonnelles et inter-organisationnelles, sous formes notamment de

production de nouveaux canaux de communication, et de production d'une sémantique

partagée.

Un deuxième apport conceptuel est en conséquence développé par l'auteur. L'élaboration

commune et collective de ces canaux et sémantique ne peut se réaliser qu'à travers un mode

relationnel particulier : la coopération. La coopération entre les différents acteurs s'affirmerait

ainsi comme une des variables déterminantes des capacités à mener à bien un processus

d'innovation. Pour les firmes et organisation pratiquant la compétition par l'innovation, une

des compétences foncières (core competence au sens de Teece, 1987) consisterait en l'aptitude

à coopérer. Plus précisément, elle consisterait en l'aptitude à produire de la coopération, à

savoir à développer et nouer des relations coopératives, entre une communauté d'acteurs

hétérogènes.

L'efficience du processus d'innovation ne serait pas tant fonction de l'excellence

technologique des parties, ni de la seule existence formelle de forme organisationnelle en

réseau, que de l'aptitude de ces parties à produire, de façon collective, de la coopération et

des réseaux de relations.

7) Une première intégration du social dans le processus d'innovation : le Système National

d'Innovation

Cette qualification théorique générale du processus d'innovation ouvre la possibilité d'aborder

des dimensions plus meso-économique ou macro-économique du phénomène. C'est ce que

fait Lundvall, à travers son analyse en terme de Système National d'Innovation.

Lundvall passe d'un niveau d'analyse jusqu'à lors surtout développé dans un cadre micro (les

capacités d'innovation de la firme ) ou meso-économique ( les relations entre acteurs au sein

d'une filière) à un niveau plus macro : l'efficience d'un système d'innovation, au niveau d'une

nation. Nous ne développerons pas la pertinence d'un niveau d'appréhension strictement

national, dans un contexte de mondialisation des processus économiques, dont Lundvall

s'explique.

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Sa démarche est d'analyser les capacités d'innovations d'un système d'innovation en le

regardant à la grille de la capacité et la pratique de relations interactives et coopératives entre

différents acteurs et institutions, notamment entre utilisateurs et producteurs.

L’attention que porte Lundvall aux caractéristiques de la demande, en tant que catégorie

macroéconomique, ne saurait être confondue avec une approche de Demand Pull. L’auteur

s’en distingue nettement, critiquant la qualification de la demande en terme de prix et de

quantité, expliquant que « la "demande", tenant un rôle important [dans le processus

d’innovation], doit en effet ne pas tant être approchée en terme de quantité que de "qualité" »

(p. 358). Il soutient que l’approche en terme de processus coopératif d’interaction permet de

sortir de l’opposition entre ces deux transcendances de la traction et de la poussée. En

empruntant ici une optique complémentaire à celle de Von Hippel, il illustre sa position en ces

termes : « des clients très compétents et exigeants [demanding] ont provoqué des innovations

radicales dans des domaines où le volume de dépense était minuscule » (p. 358), tel que dans

le domaine de l'instrumentation scientifique, alors que dans l'automobile, l’absence de ces

caractéristiques chez les utilisateurs-consommateurs a eu pour conséquence qu’une demande

considérable n’a pas induit la moindre innovation radicale.

L’approche de Lunvall s’avère ici dépasser l’interprétation que Dosi (1982) fait de l’échec des

approches Demand Pull. Car ce dernier en déduit que les caractéristiques de la demande en

général ne semblent pas avoir d’influence particulière, et développe en conséquence une

approche de l’innovation dominée par la poussée par des paradigmes et des trajectoires

technologiques, dans laquelle l’utilisateur disparaît.

Les critères déterminants de l'efficience du processus d'innovation évoluent pour passer d'un

niveau plutôt microéconomique à un niveau davantage macro. Ainsi, les variables de codes

communs se développent-elle en culture commune et langage commun. La question des

pratiques coopératives interindividuelles et inter-organisationnelles évolue vers une notion de

culture de coopération. L'efficience d'un Système National d'Innovation se voit fortement

dépendre de notions qui semblaient appartenir davantage au langage des sociologues, la

culture commune et la culture de la coopération.

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Cette approche en terme de SNI a trouvé une forte résonance, notamment parmi les

"praticiens" des politiques technologiques et économiques. Ainsi, l'OCDE (notamment, 1997)

fonde bien de ces analyses récentes sur cette approche.

En effet, la lenteur de la diffusion de NTIC telle qu'Internet, tant en Europe en général qu'en

France en particulier (EITO, 1996), comparé à son développement aux Etats Unis, semble

effectivement coïncider avec des traits culturels contrastés et marqués en terme d'origine

géographique, en matière de coopération, et notamment de culture de management.

La littérature sur le management interculturel est d’ici d’intérêt. Selon des travaux en

management interculturel, notamment ceux initiés par G. Hofstede au sein de l' Institute for

Training in Intercultural Management (ITMI) , qui s'appuient sur des enquêtes

sociométriques internationales de grandes ampleurs, les entreprises françaises présenteraient

des traits organisationnels et culturels peu propices au développement de pratiques

coopératives, tant en horizontal qu'en vertical. Ces recherches sont à rapprocher de celles de

P. d'Iribarne (1989), notamment vis-à-vis de l'analyse internationale de la natures des règles

structurant l'organisation dans différents pays : en France, les règles se caractériseraient par un

décalage entre les règles officielles et officieuses, aux Etat Unis par leur caractère précis et

contractuel, et aux Pays Bas par leur nature non contraignante.

Ces différences s'avèrent ne pas être sans lien avec la diffusion et l'adoption très constatée des

NTIC entre grandes zone économiques d'une part (Etats Unis, Japon , Europe), et entre les

pays européens d'autre part.

Le rapport de 1997 du Cigref développe : " Et l’on voit bien les freins qu’une technologie

comme le Workflow peut rencontrer dans une entreprise française soumise à la « logique de

l’honneur » : difficulté à établir des règles, contournement de ces règles lorsqu’on a pu les

établir, querelles de préséance entre « barons » rendant difficiles la coopération de processus,

etc. […] Dans la logique contractuelle, contrairement à la logique de l’honneur, les activités

sont fortement codifiées et réglementées (transparence des processus et des contributions

relatives) ; les règles sont claires et engendrent des contrats très précis, lesquels sont par

conséquent respectés ; les acteurs coopèrent plus facilement ; la transparence des processus,

des règles et des échanges permet de savoir sur quoi reposera le jugement des supérieurs et

donc d’éviter l’arbitraire.." (p. 85).

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Nous avons posé la rupture paradigmatique des NTIC comme technologies de production

coopérative de connaissance assistée par ordinateur, et nous avons précisé combien le rapport

homme-machine d'Assistance (cognitive et relationnelle) se différenciait du déterminisme de

la performance caractéristique du machinisme industriel : l'assistance machinique à la

coopération, pour être source d'efficience, demande que la coopération sociale ou

organisationnelle lui préexiste, dans la culture et la pratique.

Il pourrait apparaître que nous parvenions de la sorte à fonder un déterminisme technologique

sur le social, ou sur l'organisationnel; du moins dans sa dimension de condition

organisationnelle et culturelle ("organizational requirements") à l'usage efficient d'une

nouvelle technologie. Il en découlerait logiquement la possibilité d'une normativité culturelle

et organisationnelle, sous le critère d'efficience. Ce déterminisme ne saurait nous satisfaire,

dans l'optique d'une conceptualisation socio-technique du changement, et d'une

endogéneisation du changement technologique. En effet, dans l'esprit des "script d'usage"

(scénario d'utilisation plus ou moins prescrits) incorporés dans l'objet technique, tels que

développés par Akrich), un ensemble de technologies (telles que les NTIC) peuvent être

considérées comme incorporant des cultures, notamment nationale. Ainsi, le Cigref (op. cit.)

précise : "Inversement, la majorité des méthodes de gestion d’origine anglo-saxonne reposent

sur une logique contractuelle. Bien des technologies, tel le Workflow ou le Groupware,

intègrent au cœur de leur fonctionnalité cette culture de gestion". (p. 85). Ce sont non

seulement les usages des objets techniques qui y sont incorporés, mais plus encore des

cultures nationales. Adopter ces techniques requiert, si elles sont prises comme telles (non

modifiées), d'adopter une culture.

Ces analyses sont à mettre en relation avec nos développements sur l'innovation techno-

organisationnelle, liée aux usages, en tant que consubstantielle au processus d'adoption et à la

diffusions de NTIC. Adopter les NTIC en France exige généralement, étant donné la culture

organisationnelle hexagonale, de réaliser des changements organisationnels et culturels.

Ces résultats aboutissent-ils à une normativité (plus qu'un déterminisme) culturelle, conditions

à l'accession aux nouvelles technologies, et aux gains de productivité et au progrès technique

qu'ils sont censés induirent ? En la matière, le Gigref rappèle qu' " Il ne s’agit pas de juger de

la performance d’une culture donnée. Seulement, chaque pays disposant d’une culture propre

à son histoire, les principes de gestion doivent y être repensés spécifiquement". (p 85). Nous

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rajouterons que non seulement les principes et la culture de gestion doivent être repensé, mais

aussi, et peut être surtout, la technique elle-même : pour réduire le mismatching entre en objet

socio-technique, tels les divers systèmes inspirés des NTIC, et une entité sociale, il est non

seulement possible de modifier l'organisation sociale de l'entité postulant à l'adoption, mais

aussi de modifier l'objet technique lui-même, afin que les conditions culturelles et

organisationnelles qu'il incorpore correspondent mieux aux profils organisationnels et

culturels de l'organisation considérée, fasse-t-elle elle même l'objet d'un changement.

Ainsi, l'adoption s'affirme-t-elle bien comme innovation, sociale et technique, et ce de façon

interdépendante et co-évolutive. Deux conséquences théoriques en découlent :

1 - l'organisation utilisatrice, en tant qu'individus qui la constituent, mais aussi comme

collectif social, est ainsi co-innovateur de l'objet technique qu'elle adopte, de part les

modifications techniques qu'elle y apporte.

2 - l'innovation est bien un processus graduel et non déterminé dans lequel la diffusion

participe de l'innovation, la "consommation" participe de la production, et ce de manière

active, notamment à travers le processus d'innovation par l'utilisation.

D'autres auteurs ont développé de telles approches sur des comparaisons plus approfondies et

qualitatives sur deux pays, tel que Pateau (1996) entre la France et l'Allemagne. Les analyses

statistiques, multivariées, de ces résultats d'enquête font apparaître des clusters qui recoupent

en majeure partie les frontières des différentes nations étudiées. Ces résultats semblent donc

confirmer statistiquement l'existence et la prégnance de cultures nationales différenciées entre

pays pour ce qui est des pratiques coopératives, notamment dans un cadre managerial et

organisationnel.

Ainsi, l'hypothèse selon laquelle ces différences nationales de culture de coopération aient un

effet non négligeable sur la vitesse de diffusion de nouvelles technologies semblent ne pas

être statistiquement incohérentes en tant que perspectives de recherche.

Lundvall développe son analyse sur deux points supplémentaires. Il utilise le concept de

proximité culturelle . La proximité géographique entre acteurs de l'innovation peut être

considérée comme pertinente pour l'appréciation de leur capacité à coopérer. Mais, dans

l'optique de l'auteur elle n'est qu'un des éléments permettant de forger une proximité basée sur

une culture fortement partagée. "Plus important encore [que la proximité géographique des

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habitant d'un pays ] un langage commun et une proximité culturelle [ et une proximité en

terme d’] organisation sociale " (1988, p. 360)

On peut noter que d'autres auteurs (au premier desquels Rallet) s'intéressent à cette notion de

proximité, tant en terme organisationnel (Divry, 2000) que de proximité cognitive. Parmi eux,

M.-C. Bélis-Bergouignan (1997) et M.-C. Bélis-Bergouignan et C. Carrincazeaux (1998)

repèrent deux types de proximité déterminantes dans l’émergence de nouvelles industries :

spatiale et cognitive. Ils y définissent les proximités cognitives comme des « représentations

en fonction desquelles les agents inscrivent leurs pratiques » (Bélis-Bergouignan et al., 1998,

p.2).

Nous conclurons par ce qui nous semble le plus intéressant pour notre problématique, à savoir

la caractérisation au niveau macroéconomique de l'utilisateur au sein d'un système national

d'innovation. Notant que fréquemment, des processus d'innovation échouent par manque de

compétence des utilisateurs, il en conclue qu'au niveau d'un SNI le caractère exigeant et

compétent des utilisateurs sera une variable déterminante de son efficience. L'excellence

différenciée et la spécialisation technologique de certains pays trouvent leur " explication dans

l'interaction rapprochée entre des producteurs de telles machines et un secteur national avec

des utilisateur compétent et exigeant » (1988, p. 260).

Conclusion et ouverture

Un enrichissement peut être apporté à la notion de dérive innovationnelle que nous avions

aperçue chez Dosi (1982, ) à travers le concept d’ "innovations insatisfaisantes" de Lundvall

(1988, p. 356). L’auteur fait état de cas et de situations dans lesquelles "des activités

innovantes et des trajectoires technologiques dévient systématiquement des besoins des

utilisateurs" (p. 356). Il explique qu’elles adviennent tout particulièrement "quand les

relations utilisateurs-producteurs se caractérisent par une forte dominance des producteurs en

terme de puissance financière ou de compétence technique" (p. 356). Dans son étude sur

l’industrie du lin au Danemark (Lundvall et al., 83), il identifie une telle configuration, à

travers la focalisation des acteurs dans une trajectoire "d’hyper-automation" (p. 356). Mais il

montre aussi comment des liens trop exclusifs entre un producteur et un utilisateur particulier,

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peuvent également générer des trajectoires insatisfaisantes. Dans ce cas, c’est à travers même

cette interaction coproductive, que la formes et la direction de l’innovation devient trop

spécifique à l’utilisateur particulier.

Ces dérives innovationnelles, qui peuvent s'exprimer en des trajectoires technologiques (ou

techno-organisationnelles) s'avérant à posteriori fortement singulières et éventuellement sous-

optimales11, peuvent donc trouver comme facteurs explicatifs la figure d'un utilisateur

insuffisamment compétent et exigeant, ou dominé financièrement par le producteur. La

direction de la trajectoire ne pourrait de ce fait qu'être très peu influencée par le groupe des

utilisateurs de l'innovation. Selon Lundvall, cette situation induirait des trajectoires

technologiques « déviant systématiquement de ce qui serait "satisfaisant" » (p. 359). Dans

cette configuration, la perspective que des ruptures paradigmatiques, ou l'émergence de

nouvelles trajectoires, aient pour source directe et dominante l'utilisateur parait ainsi d'autant

plus probable12.

Evoquons pour conclure quelques implications et perspectives, que nous développerons dans

la section dédiée à cet aspect, pour les politiques technologiques et les stratégies d’innovation

des firmes. Concernant les premières, l’impact principal est une puissante remise en questions

tant de politiques technologiques d’obédience techno push et demand pull, que celles

exclusivement basées sur les concepts de paradigme technologique et de trajectoires. La

« qualité » de la demande (dont l’innovativité de l’utilisateur) s’affirmant comme un variable

déterminante dans l’efficience du processus d’innovation et d’un Système National

d’Innovation, les lieux pertinents d’action pour la puissance publique s’affirment devoir

porter sur des aspect de natures bien plus socio-économiques et culturelles, que simplement

financières et scientifico-technologiques: notamment, au niveau d’une nation, la culture

technologique « généraliste », et la culture de coopération. Concernant les stratégies

compétitives de firmes, les incidences de cette approche sont aussi d’importance, et proches

de celles que nous avons mentionnées à travers l’étude de Von Hippel. En terme de stratégies

vis-à-vis de l’environnement de la firme, elle souligne à nouveau la centralité de stratégies (et

surtout de pratiques) de coopération, notamment entre producteur et utilisateur, pour 11 Nous avions mentionné comme exemple, lors de notre analyse des paradigmes et trajectoires, la trajectoire du "gros système" centralisé et hiérarchique, dominant jusqu'à la fin des années soixante-dix dans l'industrie informatique. 12 Le cas de l'émergence de l'ordinateur individuel, puis des technologies du Word Wide Web sur Internet, semblent se prêter à une telle analyse (voir le chapitre introductif pour un plus grand développement).

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l’obtention d’avantage compétitif effectif à travers l’innovation. Logiquement liée, la stratégie

organisationnelle de la firme est également affectée, tant en terme d’innovation de forme (vers

la firme-réseau et les réseaux de firmes par exemple), qu’intra-organisationnelle (vers une

évolution des formes de savoir et de compétences).

Section 2 Des approches en terme de réseaux socio-techniques d’innovation

Un certain nombre d’auteurs, parmi lesquels Callon, Latour et Akrich, partagent une approche

du processus d’innovation en terme d’analyse socio-technique, basée notamment sur la

théorie acteur/réseau (actor/network theory). Leur analyse se propose d’aborder

simultanément les dimensions technologiques et sociales en œuvre dans les processus

d’innovation, permettant une véritable analyse en terme de processus de co-évolution. Elle

rend compte du fait qu’au cours du processus d’innovation, non seulement l’objet technique

innovant se transforme, mais aussi le groupe social qui lui est associé change. Les deux entités

n’évoluent pas selon de simples interdépendances au sein desquelles les dimensions sociales

constitueraient des contraintes à la diffusion d’une technologie. Mais plutôt, leurs

dynamiques et moteurs d’évolution s’affirment fortement entrelacés.

Nous commencerons par l’analyse d’un article qui permet de construire certains ponts, entre

cette approche provenant initialement plutôt de la sociologie des sciences et des techniques, et

les approches économiques précédemment présentées : l’article de 1992 de Callon, présent

dans l’ouvrage de Freeman et Foray. Ce texte se focalise cependant surtout sur la construction

d’un cadre formel pour développer une telle approche. Nous l'approfondirons en prenant pour

base un article antérieur, de 1988, rédigé par les trois contributeurs majeurs ci-dessus

mentionnés. La nature de ces processus de co-évolution y sera précisée, à travers notamment

les concepts d’intéressement, de représentant et d’adhésion. Mais ce dernier texte n’étudie pas

en particulier la figure de l’utilisateur. Ainsi, nous conclurons cette section avec l’examen des

apports d’Akrich (notamment 1987, 1989a et 1991) dans lesquels les relations entre

innovation de l’utilisateur et modification de l’objet technique pourront être explicitées.

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Une perspective commune lie les auteurs, qui est fort proche de la conclusion évoquée par

Kuhn (1983) dans son analyse des révolutions scientifiques. L’inscription sociale de l’espace

de production des faits scientifiques et des dispositifs techniques implique que l’étude de la

genèse et de l’évolution des innovations ne peut se faire sans celle des dynamiques sociales

qui en sont les vecteurs. Callon introduit son texte de 1992, en soulignant cette filiation :

« M. Akrich, M. Callon, BB. Latour et J. Law ont montré que la production de faits

scientifiques et de dispositifs techniques ne peut être séparée de l'établissement de réseaux qui

fixent leur espace de circulation et contribuent à fabriquer des irréversibilités… » (p. 278)

(Akrich, 1989a, 1989b, 1991, Callon et al, 1986, Callon, 1986, 1987, 1989, 1991, Latour

1979, 1986, 1989; Law 1986, 1987, 1988).

Un processus d’innovation réticulaire, avec co-évolution entre technique et social : le modèle « tourbillonnaire »

Nous allons dans cette section développer plus largement certains concepts de l'approche

socio-technique, tels que l'intéressement, l’adhésion, et la représentation, et présenter le

modèle "tourbillonnaire" de l'innovation, conçu par Akrich, Callon et Latour (1988). Ce

modèle analytique partage nombre de concepts avec le précédent, mais il se focalise

davantage sur la dynamique d'évolution, dans le temps, d'une innovation, et ne s'occupe pas de

formalisation. Il nous permettra d'asseoir, dans la partie II, un modèle de l'innovation basé sur

la dynamique d'innovation par l'utilisation.

8) Un dépassement des figures du génie isolé de l’inventeur et de l’entrepreneur-innovateur

schumpeterien

L’approche socio-technique repose tout d’abord sur une critique et un dépassement non

seulement de la figure mythique de l’inventeur « génial » isolé, mais également de la figure de

l’entrepreneur-innovateur schumpeterien, du moins dans sa supposée centralité dans le

processus d’innovation. Concernant le premier point, et dans la lignée de Khun (1983),

Callon et Latour ont montré dans leur ouvrage de 1990, la dimension centralement collective

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et réticulaire de la dynamique des avancées scientifiques. Le repérage d’un auteur de

référence, initial ou final, n’a, si ce n’est dans une perspective journalistique, que peu d’intérêt

pour la compréhension de la dynamique d’innovation. « Progressivement, et c’est un des

grandes créations du début du siècle, l’entrepreneur schumpétérien a été remplacé par une

foule d’intervenants diversifiés [...] La mise en relation du marché et de la technologie, par

lesquels se construisent patiemment et les inventions et les débouchés qui les transforment en

innovation, est de plus en plus souvent le résultat d’une activité collective et non plus

seulement le monopole d’un individu inspiré et obstiné » (Akrich et al., op. cit, p. 17). Kidder

(1982), a réalisé un travail empirique particulièrement intéressant : il a suivi pendant près de

deux ans, dans une approche de type anthropologie des techniques, la conception « à chaud »

d’un nouveau micro-ordinateur, au sein de la firme Data General . Les trois auteurs de l’école

des Mines en font l’analyse suivante : « Les acteurs qui interviennent pour prendre ces

décisions sont tellement nombreux, et celles-ci sont tellement embrouillées qu’en bout de

course plus personne ne sait à qui attribuer la paternité des résultats [ .... ] Dans le feu de

l’action, il n’ y a pas un décideur mais une multitude, il n’y a pas un plan, mais dix ou vingt

qui s’affrontent » (op. cit., p 19). Plus que dans l’individu, l’entité sociologique pertinente

pour l’analyse de cette dynamique tient dans la notion de communauté, de groupe, et de

réseau socio-technique. Parallèlement, en rupture avec une certaine tradition de dichotomie

entre une logique de la science et une logique du marché, la nature entrepreneuriale (au sens

de l’entrepreneur shumpéterien) du scientifique est soulignée. Law (1988) montre dans

l’étude monographique d’un laboratoire scientifique, comment l’activité du responsable de

laboratoire de recherche, à travers la recherche de contrat, les décisions d’investissement, la

gestion du personnel, etc., présente bien des caractères communs avec celle d’un

entrepreneur-innovateur. Mustar (1988) fournit des développements intéressants à une telle

intégration de dynamique de marché au sein même de la démarche scientifique, à travers ces

études empiriques d’enquêtes sur les créations d’entreprises par des chercheurs scientifiques

en France. Un autre apport majeur des trois chercheurs du Centre de Sociologie de

l’Innovation (CSI) consiste à montrer combien les dynamiques sociales et scientifiques,

notamment à travers les controverses scientifiques, se trouvent entremêlées, et nécessitent une

appréhension simultanée.

Ces analyses constituent des critiques radicales de deux types de dichotomies, longtemps

présentes dans la littérature sur l’économie de l’innovation :

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- la dichotomie entre « sphère » et logique de la science, et « sphère » et logique du

marché : non seulement le marché pénètre la science dès l’amont, mais plus encore,

travers la dimension entrepreneuriale, les compétences pour « inventer » ne différent pas

tellement des compétences pour innover sur le marché.

- La dichotomie entre une dynamique scientifique et une dynamique sociale: elle est

notamment présente dans les analyses du processus d’innovation en terme

« d’acceptabilité » sociale d’une innovation, une fois celle-ci mise sur le marché. Selon

les trois auteurs, le social pénètre la dynamique scientifique dès l’amont, et la

compréhension des dynamiques d’avancées scientifiques et de changement technique ne

peut se faire sans l’analyse parallèle et intégrée des dynamiques sociales qui les portent.

Ces deux résultats sont intéréssants pour notre problématique de l’utilisateur. Tout d’abord,

pour l’intégration dans un cadre général d’analyse de la figure de l’utilisateur scientifique

comme innovateur (cas souligné notamment par Von Hippel à propos de l’instrumentation

scientifique (1994); mais également pour la compréhension de phénomènes d’innovation au

sein desquels s’affirme une forte imbrication d’innovations de produits et de changements

sociaux, et notamment pour le cas de l’émergence de l’ordinateur individuel au milieu des

années soixante dix, qui ne s'expliquent en des termes ni strictement scientifiques ni même

techniques.

Concernant les figures clefs du processus d’innovation, les auteurs présentent également les

limites d’une conception du processus d’innovation centrée sur la figure de l’entrepreneur-

innovateur schumpétérien et de son génie individuel. Certes, des individus pouvant incarner

une telle figure certes existent. Mais ces individus « héroïques » représentent plutôt

l’exception que la norme. Pour se limiter au seul argument de cette faiblesse de

représentativité, cette figure ne peut prétendre à constituer la référence exclusive, voire

centrale, dans le processus d’innovation. L’innovation est fondamentalement un processus

collectif et, si une figure théorique est candidate à sa modélisation, c’est plutôt l’organisation

innovante, ou les réseaux socio-techniques de l’innovation.

9) Une remise en cause de la centralité de la rationalité économique dans le processus

d’innovation et de diffusion

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L’approche socio-technique comprend également une critique et un dépassement de la

centralité de la rationalité économique dans le processus d’innovation et de diffusion. Un

point est tout particulièrement concerné, celui portant sur la rentabilité du nouvel

investissement comme moteur de la diffusion de l’innovation.

Les auteurs, en s’appuyant sur l’analyse de la diffusion de l’innovation de procédé constituée

par la coulée continue de l’acier réalisée par Gold (1981), montrent comment la diffusion

initiale de l’innovation s’y est plutôt faite contre l’évidence de la non-rentabilité de

l’investissement novateur, qu’en s’appuyant sur elle : « Si la rentabilité financière était le seul

critère pour évaluer l’opportunité d’une innovation, les installations actuelles devraient être

considérées comme d’indéniables échecs » (Gold, op. cit., cité dans Akrich et al., op. cit., p.

20). Les trois chercheurs commentent l’étude en ces termes : « Si la nouvelle technologie

élimine la précédente, n’est ce point parce que son rendement est meilleur, parce qu’elle

économise de l’énergie et de la main-d’œuvre ? Ce n’est pas si simple, le rentabilité de la

coulée continue n’est acquise que plus de quinze ans après son introduction dans l’industrie

[...] la mise en place se traduisait [...] par une augmentation des coûts et non par leur

diminution » (Akrich et al., 88 a, p. 20). Ce point constitue un premier élément de critique des

approches épidémiologiques du processus de diffusion, notamment de celle de Mansfield dans

laquelle les perspectives et les réalisations de profits associés à l’investissement novateur

constituent les paramètres principaux de la diffusion par imitation d’une innovation.  « Sur le

papier, la coulée continue paraît plus avantageuse : dans la pratique, toutes les expériences

tentées montrent l’inverse » (Akrich et al., op. cit., p. 20). Le Bas et Foray critiquent

également l’explication du succès des innovations par leur rentabilité supposée (1986).

Comment peut-il se faire que la faisabilité et la rentabilité d’un projet innovant s’avèrent

constituer, contrairement à un certain sens commun, des notions si mouvantes ? "La réalité, la

faisabilité et la représentativité d’un projet sont des concepts progressifs mais aussi

controversés, d’où la difficulté de se faire une idée claire des techniques". (p. 62). Les auteurs

précisent, "dans le cas de projets difficiles il est impossible de se fier aux phases et à leurs

jolis ordonnancements puisque, selon les interlocuteurs et les périodes, le projet peut aller de

l’idée au réel ou du réel à l’idée… " (p. 63). L’opposition, si souvent présentée, entre une

logique de la technique (dont font partie les attributs de faisabilité) et une logique sociale

s’avère assez inopérante : "Impossible, on le conçoit, d’opposer le monde de la technique –

réel et froid, efficace et rentable – au monde de l’imagination – irréel et chaud, fantasque et

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gratuit – puisque les ingénieurs, industriels, les exploitants, les exploités et les exploiteurs se

battent pour définir le degré d’irréalité, de faisabilité, d’efficacité et de rentabilité" (p. 63)

Le moteur de la diffusion de l’innovation ne peut ainsi pas être la révélation progressive des

performances de la technologie, tel que le stipule Mansfield. Car la technologie passe

progressivement (ou ne passe pas) d’un état de non-rentabilité à un état de rentabilité. La

question qui s’impose devient alors : quel est ce processus sous-jacent qui fait qu’une

nouvelle technologie devient rentable alors qu’elle ne l’était pas, et pourquoi ce processus

peut-il s’étendre sur une si longue durée ?

Il se réalise au cours de ce processus de diffusion une activité productrice de valeur qui ne

peut être résumée à la seule révélation d’information sur les performances réelles. Les trois

auteurs avancent la thèse suivante : « la productivité, la rentabilité, sont les résultats d’une

action obstinée qui vise à créer une situation dans laquelle la nouvelle technologie ou le

nouveau produit pourront faire valoir toutes leurs présumées qualités » (p 20). Cette

considération inclut les phénomènes d’interdépendance, mis en évidence à leur époque par

Gilles (1978) et Ellul dans leur approche du système technique, comme structuré par des lois

et des exigences de cohérence interne. Mais elle ne s’y résume pas, car elle souligne

également l’existence d’activité productrice de valeur, transformatrice de l’objet technique

lui-même, s’exerçant lors de la diffusion, à l’occasion de l’adoption du produit innovant.

10) « Adopter, c’est adapter » : vers une figure générique d’un utilisateur comme innovateur

« Adopter une innovation, c’est l’adapter, en se prêtant à des compromis qui sont toujours de

nature socio-technique» (Akrich et al., op.cit, p. 24). L’observation empirique de la

sociologie des sciences et techniques permet de consolider certaines développements

théoriques soutenus par des économistes de l’innovation, et notamment celui de Sahal selon

lequel la diffusion participe de l’acte innovateur. Ce travail empirique montre en effet que

l’adoption est modificatrice du dispositif adopté, que l’utilisation est modificatrice, et de ce

fait, qu’adoption et utilisation sont susceptibles de constituer des activités innovantes à part

entière. L’approche socio-technique offre un cadre théorique autorisant la compréhension et la

conceptualisation de ce phénomène d’adoption modificatrice. L’innovation ne peut être

réussie qu’à condition qu’un accord s’établisse entre technogramme et sociogramme. Cet

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Jollivet, 03/01/-1,
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accord ne peut se réaliser qu’à travers l’élaboration de compromis, et par un processus

d’adaptation réciproque de nature incrémentale et expérimentale. Or, c’est précisément lors de

cette phase dite (de façon réductrice) de diffusion que la confrontation entre technogramme et

sociogramme se réalise de façon privilégiée.

Cette appréhension de l’adoption comme adaptation permet de s’affranchir de la

conceptualisation simplificatrice de l’adoption en terme de problème d’implémentation ou de

mise en œuvre, face à un dispositif technique supposé déjà entièrement constitué.

Si le processus d’adoption, loin de se limiter à un calcul informationnel atemporel de

rentabilité suivi d’un acte d’achat, contient de façon intrinsèque des activités modificatrices

du dispositif innovant, alors, une figure générique d’un utilisateur actif dans le processus

d’innovation, modificateur de celle-ci, peut être conceptualisée. Akrich, avec sa notion de

script d’usage, fournira des éléments supplémentaires pour consolider de tels développements

(voir section suivante).

11) L’illusoire recours à la pragmatique du « besoin du client » : « le client ... l’abstraction la

plus forte qui soit ! »

Un dernier apport de l’analyse socio-technique nécessite d’être explicité avant de présenter le

modèle tourbillonnaire : la critique et le dépassement du concept de besoin du client en tant

qu’extérieur au processus d’innovation lui-même. La littérature économique standard (et

notamment l’approche néoclassique standard) aussi bien qu’une certaine rhétorique présente

dans le monde des affaires, se réfèrent à la notion de besoin du client en tant que donnée

objective concrète, extérieure et pré-existant au processus d’innovation lui-même. Le

processus d’innovation apparaît ainsi d’une grande simplicité : il suffit d’être proche du client,

afin de pouvoir identifier ses besoins, et de faire correspondre les fonctions du produit

innovant à ces besoins. Les trois auteurs de l’article de 1988 montrent combien une telle

conception est déconnectée de la réalité des processus d’innovation. Moins encore que la

rentabilité de l’innovation, le client et ses supposés besoins ne sont déterminés et concrets.

« Le client ? Quand on l’invoque, on croit tenir un être concret alors qu’il s’agit de

l’abstraction la plus forte qui soit [...] ; au lieu d’un seul représentant ou d’un seul porte-

parole, vous êtes confrontés à plusieurs intermédiaires qui prétendent vous dire ce que veulent

les utilisateurs » (p. 22). Le client, tout comme l’innovation, est une entité conceptualisée, qui

se construit progressivement au fil du développement de l’innovation, qui change et évolue

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avec elle, et qui ne pourra constituer un référant concret qu’au moment de l’utilisation

effective du produit innovant. « Le client est roi, [mais] c’est un être énigmatique. C’est

pourquoi les études de marché ou le contact avec les utilisateurs ressemblent parfois à des

traques nécessaires mais désespérées » (p. 22)

12) Les processus à l’œuvre dans la co-évolution entre technologie et marché, entre technique

et social : l’analyse socio-technique

L’analyse socio-technique permet de donner un contenu empirique et analytique aux

processus sous-jacents à la dynamique de co-évolution entre changement technique et

changement social, parmi lesquels figure la co-évolution entre technologie et marché.

Nombre d’économistes, situent une des difficultés majeures du processus d’innovation au

niveau de la rencontre entre technologie et marché, qui nécessite un processus de couplage

(coupling process) que Freeman (1974) définit en ces termes: « L’innovation est un

processus de couplage : la capacité entrepreneriale et manageriale repose sur l’aptitude à lier

ensemble ces possibilités techniques et celles relatives au marché en combinant ces deux flux

d’information »13 La difficulté de ce couplage est un des éléments de l’incertitude

caractéristique du processus d’innovation. « Le caractère fascinant de l’innovation repose sur

le fait que tant la technologie que le marché sont en perpétuel changement » (Freeman, op.cit)

ce qui fait dire aux trois chercheurs du CSI que « pour avoir une idée de la complexité du

processus d’innovation, il faudrait imaginer une fusée pointée vers une planète [le marché] à

la trajectoire inconnue, et décollant d’une plate-forme mobile aux coordonnées mal

calculées » (Akrich et al., p. 18).

La question qui se pose alors est celle de la nature des activités et des processus en œuvre

dans cette dynamique de co-évolution, permettant, à travers l’établissement d’un couplage, la

mise en existence d’une innovation ? Un des concepts dominants, depuis le modèle de liaison

en chaîne de Rosenberg (1982), est celui d’interaction : c’est le processus d’interaction, entre

une multitude d’acteurs hétérogènes, constituant un réseau de relations plus ou moins stable,

qui permet de construire progressivement une rencontre entre technologie et marché. Mais la

nature de ces interactions, les conditions de leur réalisation, et la question de la constitution du

réseau d’acteur lui-même, demeurent, dans la littérature sur l’économie de l’innovation, peu

explorés.

13 Cité in Akrich et al., p. 17

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Les auteurs mettent au cœur de la dynamique de co-évolution entre technologie et marché

aboutissant à l’innovation, l’activité d’intéressement, et la tension toujours renouvelée

provenant de l’adaptation mutuelle entre entité technique et entités sociales.

« Il faut accepter l’idée qu’un objet n’est repris que s’il parvient à intéresser des acteurs de

plus en plus nombreux. Faire comme si le contexte socio-économique était connu une bonne

fois pour toutes, le produit pouvant être défini en dehors de toute interaction avec lui, est

contraire à tout ce que nous savons de l’innovation. Celle-ci est perpétuellement en quête

d’alliés. Elle doit s’intégrer dans un réseau d’acteurs qui la reprennent, la soutiennent, la

déplacent ». (Akrich, Callon et Latour, 1988 a). Le processus d’interaction entre technologie

et marché ne peut ainsi se résumer à la sélection opérée par le marché sur des technologies

disponibles : « Comme on est loin des simplettes métaphores biologiques qui parlent de la

sélection des innovations par leur environnement sans voir que l’environnement se fabrique

en même temps que l’innovation qu’il va juger » (op. cit, p 25). Les processus sous-jacents à

ces interactions, qui autorisent une dynamique de co-évolution, de définition simultanée et

d’adaptation mutuelle entre technique et social, sont les « compromis socio-techniques et [les]

négociations [qui] sont les deux notions essentielles qui permettrent de comprendre ce travail

d’adaptation mutuelle qui commande l’adoption » (op. cit, p. 25)

L’élément déterminant de l’analyse porte alors sur le fait, tout d’abord, que les choix

techniques opérés vont fortement déterminer l’identité des acteurs du réseau de l’innovation

(fournisseur, distributeurs, concepteurs, institutions, et utilisateurs), ainsi que leur degré

d’intéressement. Mais, réciproquement, l’intéressement d’un acteur particulier de ce réseau,

et son « enrôlement » final va fortement déterminer certaines caractéristiques techniques de

l’objet (des éléments de son design analytique). "Il faut donc ajouter au travail

d’intéressement des humains un travail d’intéressement et d’attachement des non-humains.

Au sociogramme, qui dessine les intérêts et les traductions des hommes, il faut ajouter le

technogramme, qui dessine les intérêts et les attachements des non-humains". (Callon, 1992,

p. 56).

Ainsi, pour chaque innovation, dans un état donné de son évolution, peut-on tracer un

diagramme socio-technique, associant à chaque caractéristique technique de l’objet les acteurs

socio-économiques concernés, et leur degré d’intéressement. « Les caractéristiques de

l’innovation se transforment alors en autant de propriétés qui permettront de s’attacher à, ou

au contraire se détacher de, toute une série de groupes sociaux qui vont décider de son avenir

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» (op. cit., p 23). Ces caractéristiques « correspondent à des décisions techniques qui

contribuent à définir les groupes sociaux concernés, établissent les uns en alliés, les autres en

adversaires ou en sceptiques. » (op. cit., p 23).

« L’analyse socio-technique souligne que le mouvement d’adoption est un mouvement

d’adaptation. Adopter une innovation c’est l’adapter [ ... ] et cette adaptation résulte en

général d’une élaboration collective, fruit d’un intéressement de plus en plus large. » (p. 24).

Parmi cette pluralité d’acteurs qui adoptent et contribuent ainsi à modifier l’innovation,

l’utilisateur tient une place particulière : « Dans le cas de biens destinés à des utilisateurs

extérieurs à l’entreprise, le travail collectif d’adoption englobe les clients « leaders » qui

jouent, comme cela a été souvent souligné, un rôle essentiel » (p. 24). Les auteurs illustrent le

rôle-clef que peut jouer l’intéressement d’utilisateurs pionniers dans le processus

d’innovation, et leur participation active à la transformation de l’objet technique, à travers la

comparaison de deux stratégies opposées menées dans le domaine de la CAO.

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Exemple de diagramme socio-technique : un kit d’éclairage photovoltaïque

(Akrich et al., 1988)

«  MacDonnel à la fin des années 1970 est en avance dans le domaine des logiciels de CAO,

mais sa politique est d’en conserver la propriété. Loockeed entre sur le marché, vend ses

logiciels à plus de 200 utilisateurs qui les améliorent rapidement. En deux ans, Loockeed

rattrape MacDonnel. » ( p. 24). Les auteurs mentionnent un cas similaire dans la concurrence

entre IBM et General Electrics. Nous présentons, dans la deuxième partie, une étude de cas

visant à comparer deux stratégies différenciées (celles de Bull et de Wang) en matière

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d’intégration par les constructeurs des capacités modificatrices et innovatrices des utilisateurs,

et parvenons à des résultats similaires. Ce type de phénomène y est analysé à travers le

concept de rendement croissant de socialisation.

Ainsi l’utilisateur, au même titre que les fournisseurs, distributeurs et autres membres du

réseau socio-technique mobilisés par l’innovation, participe activement, dans un processus

évolutif d’adaptation, à la définition du design même de l’objet technique novateur. En

conséquence, le choix de tel ou tel utilisateur( tout particulièrement les utilisateurs pionniers)

va s’avérer critique pour le succès du processus d’innovation. Les auteurs soulignent en effet

que « l’enjeu est dans tous les cas d’identifier les utilisateurs les mieux placés pour

transformer l’innovation » (p. 24). Que des utilisateurs pionniers soient mal choisis ou

insuffisamment représentatifs, et ils tireront l’innovation vers un design ne trouvant pas de

valeur d’usage chez suffisamment d’utilisateurs pour assurer le succès commercial de

l’innovation.

L’on parvient au deuxième élément clef de l’approche socio-technique, intimement lié à la

question de l’intéressement des acteurs : le choix des représentants ou « porte-parole ». Qui

désigner et choisir comme représentant légitime du groupe socio-économique que l’on

souhaite impliquer et mobiliser dans l’innovation ? « Le destin de l’innovation, son contenu

mais aussi ses chances de succès, résident tout entier dans le choix des représentants ou des

porte-parole qui vont interagir, négocier pour mettre en forme le projet et le transformer,

jusqu’à ce qu’il se construise un marché [...] Tout dépend de l’identité des protagonistes qui

sont mobilisés : dites-moi avec qui et avec quoi vous innovez, et je vous dirai en quoi

consistent vos innovations et jusqu’où elles se répandront » (p. 28). Qui croire, qui considérer

comme légitime représentant ? « Voilà où gît l’incertitude » concernant le processus

d’innovation (p 28).

13) Le modèle tourbillonnaire de l’innovation : une innovation récursive où co-évoluent

technique et social

Le modèle tourbillonnaire de l’innovation d’Akrich, Callon et Latour, se base sur l’hypothèse

d’une multiplicité de sources de l’innovation, à laquelle sont associées la multiplicité et

l’hétérogénéité fondamentale des différents acteurs de l’innovation : « L’innovation part de

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n’importe où. Les scientifiques et les ingénieurs n’ont pas le monopole de l’imagination. Elle

peut aussi bien naître dans un centre de recherche que dans un service commercial, chez un

client, ou dans une usine. » (p. 26). La complexité de ces interactions en réseau fait que le

processus de constitution progressive des entités techniques et des réseaux sociaux qui les

portent se réalisera selon un processus à forte dimension expérimentale et itérative, en

plusieurs « passes ». L’innovation résulte ainsi d’un processus « d’expérimentation tous

azimuts et par des itérations successives » ( p 26). Le modèle génère une dynamique

d'innovation et de ré-innovation récursive : il présente un "tourbillon", dynamique dans le

temps, de l'innovation. Il procède par expérimentation-transformation successive, avec

plusieurs "boucles" de l'innovation, auxquelles sont associées des transformations socio-

techniques successives.

Ainsi, à la séquence linéaire R&D-production-distribution, qui ne confrontait l’innovation au

marché qu’un fois l’objet technique intégralement achevé, se substitue un processus voyant se

succéder des boucles d’innovation. « Dans le modèle linéaire, la seule possibilité

d’adaptation, si celle-ci s’avère nécessaire, est la complexification progressive du projet et des

dispositifs sur lesquels il débouche [ ...] dans le modèle tourbillonnaire, l’innovateur collectif,

au lieu de retarder les sanctions et les jugements, suscite toutes les critiques et toutes les

objections, [ceci peut mener à ] éviter des investigations scientifiques incertaines en

changeant son public pour identifier celui qui se satisfera de l’innovation en l’état. » (p. 27).

Si le mot « recherche » s’applique à l’innovation, c’est dans ce sens précis, de la recherche

des évaluations et des épreuves de toutes sortes auxquelles on désire se soumettre » (p. 27)

Chaque confrontation au marché et aux différents acteurs mobilisés induit des adaptations

(constituant parfois des changements radicaux dans le design) qui relancent un processus

d’innovation quasi complet, mobilisant de nouveaux acteurs, et modifiant la conception

analytique de l’objet (voir schéma). « Dans ce schéma, l’innovation se transforme en

permanence au gré des épreuves qu’on lui fait subir, c’est- à- dire des intéressements qu’on

expérimente. Chaque nouvel équilibre se trouve matérialisé sous la forme d’un prototype qui

teste concrètement la faisabilité du compromis imaginé » (p 26) « Le premier prototype

réalisé est parfois, mais rarement, suffisamment convaincant. En général, plusieurs passes

sont nécessaires. A chaque boucle, l’innovation se transforme, redéfinissant ses propriétés et

son public. » (p 26)

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Schéma : Le modèle tourbillonnaire :

(à partir de Akrich et al., 1988)

L’innovation peut soit continuer perpétuellement à évoluer selon ce processus (l’industrie

informatique peut être représentative de cette situation), soit se stabiliser.

14) L’innovation et la notion de communauté

Un enjeu central pour le processus d’innovation est donc de constituer, dès l’amont du

processus, « un microcosme qui représente sous une forme simplifiée mais fidèle de toutes les

forces, tous les alliés qu’ [il] faudra enrôler » (p. 28). La figure clef du processus

d’innovation s’affirme ainsi être bien plus celle de la communauté que celle de l’innovateur

génial et isolé. Les trois auteurs illustrent cette notion à travers l’analyse du « cas Edison »,

relatif à l’émergence de l’éclairage électrique aux Etats-Unis. « Melo Park, grâce à son

éloignement des lieux de distraction, devient une véritable communauté. On y vit en famille,

on y travaille collectivement, sans se préoccuper des horaires réglementaires, on y goûte tous

les plaisirs de la vie. La règle est simple : une fois recrutés les porte-parole [...] les faire

interagir en permanence [...]. En négociant le projet, en le transformant pour qu’il soit

convaincant à l’intérieur de Menlo Park, ils préparent collectivement son succès à l’extérieur

de Menlo Park. Car si les porte-parole, les intermédiaires de toutes sortes ont été bien choisis,

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le microcosme que constitue le laboratoire représente dans toute sa richesse et sa complexité

le macrocosme que forme la société américaine, en sorte que les solutions acceptables pour le

premier le sont également pour le second » (p. 29)

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Conclusion générale : l’innovation comme processus diffus de coproduction en réseau à fort caractère coopératif

Les différents approches que nous avons abordées nous ont fournis certains outils conceptuels

pour mieux penser la figure de l’utilisateur comme innovateur, tout particulièrement quant à

sa relation parculière avec les NTIC.

Rappelons brievement quelques uns de ces apports ou limites. L’approche néoclassique se

révèle peut apte à appréhender la dynamique de l’innovation, du fait notamment de son

ancrage dans une perspective d’analyse statique fondée sur l’équilibre. L’utilisateur ne peut y

être pensé que comme simple consommateur, principalement passif . Les approches nommées

« déterministes » et séquentialistes permettent d’esquisser une figure plus pleine de

l’utilisateur, mais l’impossibilité d’y penser les processus d’interaction (notamment entre

technologie et marché) détermine la nécessité de leur dépassement (chap. 1).

Les approches que nous avons regroupées sur le vocable d’interactionnistes (au sein

desquelles les processus d’interaction et d’apprentissage sont jugés centraux) permettent

d’établir une figure d’un utilisateur participant activement au processus d’innovation, mais de

façon limitée. : l’utilisateur agit surtout comme révélateur, à travers son processus

d’apprentissage,(par la pratique, par l’usage, par l’interaction) d’informations qualitative utile

pour le producteur de l’innovation (chap. 2)

L’approche socio-technique autorise une figure bien plus riche de l’utilisateur. Elle nous

propose d’appréhender l’innovation comme étant d’une nature d’emblée socio-technique,

fruit d’un processus interactif fortement socialisé de coproduction en réseau. Elle nous paraît

se caractériser par trois apports majeurs, pour l’économie de l’innovation en général, et pour

notre problématique de l’utilisateur comme innovateur en particulier.

Une conceptualisation forte de la notion de réseau

Depuis le modèle de Liaison en Chaîne de Kline et Rosenberg (1986) qui a entraîné la chute

du modèle linaire de l’innovation, la notion de réseau, dans des acceptions plus ou moins

riches, fait l’objet d’une utilisation croissante. Pourtant, sa définition se limite souvent à une

appréhension strictement formelle, un réseau y étant constitué d’arcs et de points, formant des

graphes, orientés ou non. L’apport de chercheurs du CSI est alors ici double. Tout d’abord,

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ils fournissent un contenu sociologique dense à cette forme du réseau, en l’ancrant dans des

dynamiques sociales et techniques. Ensuite, ils en proposent une conceptualisation formelle

qui, sans être nécessairement très novatrice, présente l’intérêt d’être finement articulée avec la

réalité sociologique mentionnée plus haut, et permet des simulations. Des perspectives

s’ouvrent alors d’endogéneisation partielle de l’émergence de ces formes

« organisationnelles » que sont les réseaux, alors que dans nombre de travaux d’économie de

l’innovation, les réseaux sont fréquemment donnés sous forme exogène.

Un contenu à la notion d’interaction

Depuis ce même modèle de Liaison en Chaîne, l’interaction tient une place centrale dans

l’analyse du processus d’innovation. Pourtant, elle n’est souvent appréhendée qu’en termes

strictement informationnels (échanges à double sens d’informations qualitatives) ou de façon

assez floue. L’approche socio-technique fournit des éléments pour analyser quels sont les

processus sous-jacents à l’interaction, et comment naissent ou meurent des interactions

interpersonnelles ou inter-organisationnelles. L’interaction participe de processus de

négociations, visant à l’adaptation mutuelle et pouvant donner naissance à des compromis qui

permettent l’accord entre acteurs multiples et hétérogènes. Des éléments sont fournis pour

comprendre comment sont produites des interactions fécondes, qui participent à la production

de réseaux socio-techniques et des entités sociales particulières que sont les communautés.

Un cadre théorique pour comprendre les phénomènes d’interdépendances et de co-

évolution entre changement technique et changement social

L’affirmation de la notion d’innovations organisationnelles, les interdépendances qui les lient

avec l’innovation technologique, font, depuis une dizaine d’années surtout, l’objet de

nombreux débats parmi les économistes. L’approche socio-technique, qui se fonde sur une

appréhension simultanée des dynamiques sociales et techniques, nourrit utilement ce débat

sur les co-évolutions entre social et technique, y compris celle entre changement

organisationnel et technique. Bien que les NTIC puissent y jouer un rôle spécifique, il n’y a

dans cette approche co-évolutive rien de surprenant , car « adopter une innovation, c’est

l’adapter » (Akrich et al., p. 25) et simultanément s’adapter à elle dans un processus

débouchant sur un compromis socio-technique.

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Des pistes théoriques pour construire une figure d’un consommateur-utilisateur actif

dans le processus d’innovation

A travers les doubles notions d’adoption comme adaptation, et de script d’usage incorporé

dans l’objet technique, se dessine une figure active de l’utilisateur dans le processus

d’innovation.

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