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Dora Estela Celton Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 11 N°2. Amérique Latine. pp. 145-165. Citer ce document / Cite this document : Celton Dora Estela. Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine. In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 11 N°2. Amérique Latine. pp. 145-165. doi : 10.3406/remi.1995.1468 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_1995_num_11_2_1468

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Dora Estela Celton

Plus d'un siècle d'immigration internationale en ArgentineIn: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 11 N°2. Amérique Latine. pp. 145-165.

Citer ce document / Cite this document :

Celton Dora Estela. Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine. In: Revue européenne de migrationsinternationales. Vol. 11 N°2. Amérique Latine. pp. 145-165.

doi : 10.3406/remi.1995.1468

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_1995_num_11_2_1468

RésuméPlus d'un siècle d'immigration internationale en ArgentineDora Estela CELTONA partir du milieu du XIXe siècle, l'Argentine a été, comme les Etats Unis et le Brésil, une desprincipales destinations de l'émigration transocéanique européenne. Dans ce pays presque dépeuplé(1.700.000 habitants en 1869) on a assisté à l'arrivée de plus de six millions de personnes, ce qui aentraîné des transformations radicales de la structure socio-économique du pays.Après la crise des années trente, les effets d'un développement fondé sur l'exportation de produitsagricoles s'épuise, et la décélération de la croissance économique se combine à l'instabilité politiquepour entraîner la diminution des flux migratoires, malgré la dernière reprise de 1945-1952. A cettediminution de la migration internationale correspond un important changement des lieux d'origine.Depuis le début des années 50, la proportion des immigrants venus des pays limitrophes s'accroît, pourreprésenter 87 % de la migration nette pendant la décennie suivante. Pourtant, dans la populationrésidante, les étrangers des pays non limitrophes continuent à représenter plus de la moitié del'ensemble.Dans ce contexte historique, l'article analyse les politiques migratoires des gouvernements argentinssuccessifs, ainsi que la distribution spatiale des migrants et leur insertion dans le marché du travail.

ResumenMás de un siglo de inmigración international en la ArgentinaDora Estela CELTONA partir de la segunda mitad del siglo XIX, Argentina constituyó junto con Estados Unidos y Brasil, unode los destinos principales de atracción de la emigración europea hacia América. Un país casidespoblado (1.700.000 habitantes en 1889) presenció la llegada de más de seis millones de personasentre esta fecha y 1930, lo que produjo cambios radicales en la estructura socio-económica del país.Despues de la crisis de los años 30, se agotó el esquema de desarrollo agroexportador y ladesaceleración del crecimiento economico sumada a la inestabilidad política provocó la disminución delas flujos migratorios aunque la ultima oleada se produjo entre 1948 y 1952. La disminución de lamigration international contuvo, a su vez, un importante cambio en su composición por lugar de origen.A partir de la década del '50 aumentó la proporción de migrantes limítrofes que llegaron a constituir enla decada siguiente el 87 % del total de la migración neta. Pese a esto, los extranjeros de países nolimítrofes siguen representando el 50 % del total de los extranjeros residentes en el país. En esecontexto historico, el documento analiza a la inserción laboral y distribución espacial de los migrantes ya las politicas de gobierno destinadas a la regulación migratoria.

AbstractMore than a Century of International Immigration into ArgentinaDora Estela CELTONFrom the second half of the 19th century, Argentina was along with the United States and Brazil, one ofthe main destinations that attracted European emigration to America, an almost unpopulated country(1,700,000 inhabitants in 1869). The arrival of more of six million people between 1869 and 1930resulted in to radical changes in the socio-economic structure of the country.After the crisis of 1930s the impact of a development plan based on the export of agricultural productswaned out and the economic growth accompanied with political instability generated a slowing declineof migratory flows, despite a new wave between 1945 and 1952. The decrease of internationalmigration comes along with an important change in the composition by places of origin, the proportion ofbordering immigrants has increased since 1950 and it has represented in the next decade 87 % of thetotal net immigration. Foreigners from non bordering countries continue however to represent over 50 %of all foreigners residing in the country.In this historical context, the article analyses the successive migratory policies of Argentinagovernments as well as the migrants' spatial distribution and their incorporation in the labor market.

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Revue Européenne des Migrations Internationales Volume 1 1 - N° 2 1995

Plus d'un siècle d'immigration

internationale en Argentine

Dora Estela CELTON

L'immigration a pesé un tel poids dans la formation sociale et culturelle de l'Argentine, et elle compte tellement encore aujourd'hui, qu'on ne peut procéder à l'analyse de la réalité actuelle du pays sans s'y référer.

Du point de vue culturel, l'immigration a amené un mélange tellement diversifié, que l'amalgame commence seulement à se former, et que l'on en observe encore les effets sur les nouvelles générations. Effets dûs à la diversité des langues et des modèles culturels véhiculés par les différentes vagues migratoires, et, plus encore, à la diversité des attitudes et des valeurs que ces générations d'immigrés ont laissé à leurs enfants.

L'impact global de l'immigration sur la population a été très fort. En effet, depuis le milieu du siècle dernier, près de 6 millions d'étrangers sont entrés dans le pays en tant qu'immigrants. Dans ces années, l'Argentine a occupé la seconde place - après les Etats-Unis - parmi les pays d'accueil de populations européennes. Pendant cette période, la population du pays a été multipliée par dix, l'immigration étant en grande partie responsable de cet accroissement.

La provenance des étrangers établis dans le pays a varié selon les époques. Avant la Seconde Guerre Mondiale, les Italiens et les Espagnols occupaient une position dominante dans les flux. Pendant la guerre, la faiblesse de l'immigration européenne permet aux étrangers provenant des pays limitrophes d'occuper la première place ; mais une fois la guerre terminée, ce sont à nouveau les Italiens et les Espagnols qui forment les plus gros contingents, situation qui se prolonge jusqu'au milieu des années 50. L'immigration des pays voisins revient alors au premier plan. Aujourd'hui, les plus gros apports proviennent à nouveau des pays limitrophes, en particulier du Chili et du Paraguay.

Illustration non autorisée à la diffusion

146 Dora Estela CELTON

CARTE DE LOCALISATION

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Océan Pacifique

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/ Rio Negro

IAAT-REMI

Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine

LES FLUX MIGRATOIRES

Après plusieurs décennies de guerres civiles, l'Argentine a connu au milieu du XIXe siècle une période d'apaisement, marquée par une volonté d'organisation insti

tutionnelle. D'importantes mesures ont cherché à transformer les structures socio- économiques traditionnelles du pays, parmi lesquelles se place la politique d'immigration. Celle-ci prétendait en effet non seulement peupler le pays, mais aussi le moderniser, adoptant comme modèles les canons économiques et culturels européens, ainsi que leurs exigences de marché.

Ce projet impliquait, du point de vue extérieur, une association et une dépendance étroite de l' Argentne aux nouvelles puissances industrielles d l'époque, et tout particulièrement à l'Angleterre. D'un point de vue intérieur, il amène le début d'un cycle résolument capitaliste, l'accroissement et la complexification des fonctions de l'Etat, et l'installation d'un nouvel ordre des choses, qui allait s'étendre rapidement, déplaçant et isolant ce qui restait de la société coloniale.

L'application de cette politique entraîna pour l'Argentine un solde migratoire externe de plus de 4 millions de personnes pour la période 1870-1930. Ces mêmes années voient le taux de croissance moyen de la population dépasser les 3 % par an, l'immigration externe étant le principal facteur de cette croissance démographique. Les flux migratoires ont, bien évidemment, connu des variations, liées à la conjoncture économique. De 5 000 immigrants en 1860, on passe à 48 000 en 1873. La crise économique a fait chuter le chiffre, qui recommence à augmenter jusqu'à la fin de la décennie. Les années 80 connurent un accroissement accéléré des flux (65 000 entrées en 1886). A nouveau, la crise de 1890 produit des soldes migratoires négatifs. Le plus grand nombre d'immigrants arrive entre 1902 et 1913, atteignant un chiffre inédit jusque là : 323 000 pour la seule année 1912.

La guerre de 1914-18 poussa de nombreux immigrés à regagner leur patrie, ce qui se reflète dans l'apparition de soldes négatifs dans le mouvement migratoire argentin. (Recchini de Lattes y Lattes, 1975). Une fois le conflit terminé, l'immigration reprit, et s'accrut particulièrement dans les années 1921-1930 ; mais son poids dans la population argentine avait déjà beaucoup diminué.

De 1931 à 1946, le processus d'immigration souffrit d'une nouvelle récession, provoquée d'abord par la crise économique - laquelle a incité le pays à éviter la concurrence de la main-d'œuvre étrangère - ensuite par la Seconde Guerre Mondiale. Le solde migratoire de cette période reste positif mais faible. Puis, une fois le conflit terminé, le courant migratoire reprend, atteignant dans les années 1948-54 son niveau le plus élevé d'après guerre avant de décroître à nouveau, puis se stabiliser à un niveau faiblement positif.

La diminution de l'immigration internationale entraîne un important changement dans sa composition par lieux d'origine (Tableau 1). Ceci est particulièrement net à partir des années 50, qui voient la proportion d'immigrants des pays limitrophes augmenter. Boliviens, Chiliens et Paraguayens dans les années 60, et Uruguayens vers la fin de cette décennie, forment les courants les plus importants, et ce changement se fait sentir dans toutes les parties du territoire. (De Marco y Sassone, 1991). Entre 1970 et 1980, 87 % de la migration nette d'étrangers est originaire des pays voisins.

148 Dora Estela CELTON

Pourtant, Is étrangers de pays non limitrophes représentent encore en 1991, 50 % du total des étrangers résidant dans le pays. Dans ces dernières décennies, on a enregistré un accroissement du nombre d'immigrants d'origine asiatique, qui restent pourtant un groupe assez peu important. En fait, avec la réduction des flux, le solde migratoire a cessé d'être le principal facteur d'accroissement démographique du pays ; il a laissé la place à l'accroissement naturel.

TABLEAU 1 : Argentine. Immigrants étrangers, dont originaires des pays limitrophes, 1869-1991

Année de recensement

1869 1895 1914 1947 1960 1970 1980 1991

Population totale

1 737 076 3 954 911 7 885 237

15 893 827 20 010 539 23 390 050 27 947 446 32 615 528

% d'étrangers dans la pop. totale

12,1 25,4 29,9 15,3 13,0 9,5 6,8 5,0

% de limitrophes dans la pop. totale

2,4 2,9 2,6 2,0 2,3 2,3 2,7 2,5

% de limitrophes parmi les étrangers

19,7 11,5 8,6

12,9 17,9 24,2 39,6 50,2

Source : données des recensements, d'après MAGUID, 1993.

Parallèlement à ces évolutions, la proportion d'étrangers dans la population argentine n'a cessé de se réduire. En effet, en 1895 et en 1914, en pleine période d'accroissement massif de l'immigration , les étrangers étaient arrivés à constituer 25 et même 30 % des habitants du pays, proportions uniques dans l'histoire de l'immigration internationale. Ces chiffres ont ensuite connu une lente diminution, comme on peut l'observer sur le tableau 1, et aujourd'hui, seulement 5 % des habitants du pays sont nés à l'étranger. Le poids des immigrés venus des pays limitrophes, sur l'ensemble du siècle, s'est maintenu autour de 2,5 %, bien que relativement aux autres étrangers il ait notablement varié, oscillant entre 8 et 50 %, maximum atteint au tout récent recensement de 1991('). Pour ces dernières années, des indices semblent montrer que les flux d'immigrants limitrophes sont en train d'augmenter, encouragés par les possibilités de travail et les meilleurs salaires qu'offre l'Argentine.

HISTOIRE ECONOMIQUE ET POLITIQUES DTMMIGRATION

« PORTES OUVERTES » ET POLITIQUE DE COLONISATION DU TERRITOIRE

La Constitution Nationale de 1853 accorda des droits à tous les habitants, sans distinction de nationalité. Elle renforça aussi les mécanismes déjà existant destinés à promouvoir l'occupation du territoire national grâce à l'immigration étrangère, et dessina ainsi une politique migratoire que l'on peut appeler politique de la « porte ouverte ». En effet, le Préambule, qui fait appel à « tous les hommes du monde qui

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veulent habiter le sol argentin », est suivi de deux articles, 20 et 25, qui garantissent les droits et précisent les obligations des étrangers qui entrent dans le pays. Dans l'article 67, alinéa 16, les attributions du Congrès sont spécifiées; celui-ci doit « pourvoir à la prospérité du pays par la promotion de l'immigration ». Il fallait peupler l'Argentine, occuper le désert, transformer la société enracinée dans la culture espagnole et l'ouvrir aux étrangers, surtout à ceux de l'Europe du Nord.

La « loi Avellaneda », pivot de cette idéologie, stimula le mouvement. La loi comptait 121 articles portant sur l'immigration et la colonisation du territoire. A sa lecture on perçoit l'intérêt porté par le gouvernement à l'utilisation de la main d'oeuvre immigrée. La loi crée le Département Central d'Immigration, chargé du contrôle et de la promotion de cette activité. On créa des agences en Europe et on signa des accords destinés à abaisser les prix du voyage. Les immigrants qui arrivaient au port se dirigeaient vers l'Hôtel des Immigrants, qui les logeait gratuitement pendant 5 jours. Malheureusement ces mesures n'ont pas toujours été parfaitement appliquées, des désaccords sont apparus à plusieurs reprises entre les corps consulaires et les agents de l'immigration, lesquels, parfois, effectuaient leur tâche d'une manière peu scrupuleuse. Mais la loi Avellaneda reste une étape essentielle : aujourd'hui, alors que beaucoup de choses ont changé dans le pays et dans les textes, son esprit a perduré, de même que la perception du territoire comme un espace ayant besoin d'être peuplé.

Au XIXe siècle, la politique d'immigration était destinée à développer une colonisation agraire par des petits et moyens propriétaires. Cette politique eut un certain succès dans les provinces de Santa Fe, Entre Rios et plus tard celles de Chubut et Misiones (voir carte de localisation). Le mouvement de colonisation prit son essor dans les années 1860 et attira des immigrants recrutés en Suisse, en Allemagne, en France, en Italie, et même en Russie. Vers 1885, il existait 365 colonies dans la province de Santa Fe, 204 dans celle d'Entre Rios, 80 dans celle de Côrdoba, et pratiquement aucune dans la province de Buenos Aires, où les éleveurs manifestaient leur opposition à cette forme de peuplement. Cette politique de colonisation se ralentit, et fut abandonnée en 1890. La remise d'une terre gratuitement , ou avec des crédits très favorables fut limitée par les intérêts des propriétaires de latifundia et remplacée par le régime du fermage. L'échec de la colonisation, la forte augmentation du prix de la terre, les affermages, le fait même que beaucoup d'immigrants n'étaient pas des agriculteurs, enfin la croissance urbaine, tels sont les facteurs qui poussèrent un grand nombre d'immigrants vers les villes. Ainsi, Buenos Aires et Rosario devinrent les principaux foyers d'attraction.

La participation des immigrants à la vie politique fut relativement faible, d'autant plus que, tant qu'ils restaient étrangers, ils n'y avaient pas théoriquement accès. Pourtant, beaucoup de ceux qui arrivaient en Argentine avaient une formation politique. Ils organisèrent les premiers syndicats, publièrent des journaux pour les travailleurs, participèrent à la diffusion des idées socialistes et anarchistes. Cette participation, non souhaitée par la classe dirigeante, va amener certains secteurs de la société à développer une idéologie opposée à l'immigration avec, pour argument fondamental, le fait que les immigrés étaient partisans « d'idées étrangères » à la nation et à la tradition hispanique. Ce courant était surtout dirigé contre les anarchistes et les socialistes, associés « au chaos et au désordre social ». Il est à l'origine de lois répres-

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sives (Loi de Résidence de 1902, Loi de Défense Sociale de 1910), qui étaient dirigées contre les organisations ouvrières, leurs dirigeants et leurs militants, en majorité étrangers. (Novick, 1986).

Ces mesures très dures n'entraînèrent aucune modification dans l'apport de l'immigration, qui atteignait alors son niveau le plus élevé. La classe dominante devait assumer les risques que le processus d'expansion économique créait : l'immigration massive assurait une main d'oeuvre indispensable, mais, dans le même temps rendait possible la remise en question de tout l'édifice social. Bas salaires, journées de travail excessives, inaction des pouvoirs publics pour mettre en place une législation plus juste, inexistence du repos dominical et conditions de travail insalubres provoquèrent la réaction des ouvriers, et leur arme essentielle fut la grève, qui devint très fréquente au début du XXe siècle.

Vers 1914 le mouvement ouvrier comprenait parmi ses militants un fort pourcentage d'étrangers, surtout dans les régions littorales. Il était fortement influencé par les idéologies ouvrières les plus avancées d'Europe, et il avait très peu d'influence en dehors des grandes villes en cours de développement industriel (Buenos Aires, Rosario, Côrdoba, La Plata).

L'INDUSTRIALISATION DE L'ARGENTINE ET L'INFLÉCHISSEMENT DES POLITIQUES D'IMMIGRATION

La Grande Guerre freina le développement économique de l'Argentine. En effet les flux de commerce, de capitaux et d'immigration étaient paralysés. Dans l' après guerre, même si les tendances dominantes de la période précédente se sont rétablies, elle n'atteignirent plus le même niveau, ni la même intensité. Ainsi, les anciens courants commerciaux commencèrent à reprendre dans les années 20, mais les conditions du marché n'étaient plus les mêmes pour les pays exportateurs de produits agricoles; l'offre de matières premières, en effet, était supérieure à la demande, désormais réduite. A cette situation s'ajoutait l'implantation de barrières protectionnistes dans les pays européens, et l'aggravation des restrictions dans le marché des Etats- Unis, déjà quasiment impénétrable. Simultanément, devant la raréfaction des devises, on assista à un processus forcé de développement d'une industrie de substitution aux importations. Dans ce but des industries légères furent implantées dans le pays; industries métallurgiques, chimiques, textiles et autres. Ces industries furent crées grâce à l'apport de capitaux nationaux, qui se transférèrent de l'agriculture vers l'industrie, et de capitaux étrangers, surtout américains. La plupart des grandes entreprises argentines d'aujourd'hui datent de cette époque.

Ce climat économique n'était pas favorable à l'agriculture, dont les prix connurent une chute tendancielle. Les campagnes subirent donc une vague d'émigration, au profit des villes. Une partie des nouveaux arrivants provenaient des provinces les plus pauvres de l'intérieur, et, provoquèrent dans les villes du littoral, un métissage ethnique et culturel, mêlant les deux principaux éléments qui composent notre population, l'élément créole et l'élément immigré. Une bonne partie de cette nouvelle population urbaine trouva une place dans l'industrie naissante.

Cependant, bien que l'idée d'un apport migratoire nécessaire ait subsisté, toujours associée à la colonisation des terres (loi 12636 du 21/8/1940), la crise des

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années 30 inaugura une période de politique restrictive. L'image du pays de la porte ouverte à l'immigration fut remplacée par une autre, qui mettait en avant la protection de la main-d'œuvre nationale. Les frontières furent fermées à l'immigration de 1931 à 1938, et on établit que 60 % des ouvriers engagés dans les travaux publics devaient être de nationalité argentine. (Marmora, 1994).

Grâce aux richesses accumulées pendant la Seconde Guerre Mondiale, l'Argentine put pratiquer une politique de redistribution, qui éleva le pouvoir d'achat de la population, tant par l'augmentation du nombre des emplois que par celui du niveau des salaires. Par ailleurs, l'installation de nouvelles industries continua, et il y eut une forte croissance du secteur du bâtiment. Ce modèle industriel, fondé sur une plus grande consommation intérieure, demandait une intervention active de l'Etat. Celui-ci en vint à contrôler le commerce extérieur, et, en bonne logique, le système bancaire; ce qui lui donna un pouvoir suffisant pour orienter l'utilisation des ressources vers les objectifs fixés par les plans quinquennaux. L'Etat acquit aussi un plus grand pouvoir de décision en procédant à la nationalisation de la plus grande partie des services publics et des chemins de fer. Parallèlement, on assista à la fondation d'entreprises publiques destinées à créer une industrie de base.

Dans ce contexte, les plans quinquennaux du gouvernement péroniste considéraient la population comme la richesse fondamentale du pays (« capital humain »). Par conséquent l'immigration apparaissait toujours comme une nécessité, mais l'immigré devait être sélectionné en fonction de caractères ethniques, idéologiques, moraux et professionnels (Novick, 1986). On s'efforça d'attirer des techniciens industriels, des ouvriers spécialisés et des pêcheurs, qui devaient être orientés les uns vers l'intérieur du pays, les autre vers les ports de Rosario et de Bahia Blanca.

L'industrialisation s'accompagna d'une forte poussée de l'urbanisation. Dans un pays qui, avant même de commencer son développement industriel comptait déjà une importante proportion d'urbains, son accroissement prit, dans cette nouvelle phase, un rythme vertigineux. Depuis les années 30 la migration vers les grandes villes argentines des ruraux de l'intérieur du pays, mais aussi des pays limitrophes, s'était déjà intensifiée, mais c'est à partir des années 50 que ces phénomènes se généralisèrent. Parmi les principaux facteurs de cette migration, on peut citer l'attraction qu'exerçait l'industrie, demandeuse de main-d'œuvre, la rupture de l'isolement du monde rural, dû au développement des transports et des communications, et surtout la crise des structures agraires, facteur d'expulsion de population.

Face à cette trop grande offre de main-d'œuvre issue des migrations internes et de celles venues des pays limitrophes, les gouvernements, dans les décennies suivantes, et en particulier les dictatures militaires, reprirent des politiques restrictives en matière d'immigration qu'ils justifièrent par la plus forte pression des immigrés sur le marché du travail et les risques que cette pression faisait courir à la sécurité nationale. (Marmora 1994 : 127). Le gouvernement de facto du Général Ongania, interdit aux étrangers illégaux et temporaires de travailler (loi 17294/1967) et s'arrogea le pouvoir d'expulser les étrangers - même ceux qui disposaient d'un permis de séjour permanent - ayant des activités menaçant la paix sociale et la sécurité nationale (loi 18235/1969).

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Pendant la période du gouvernement militaire de 1976-83, les effets de la politique populationniste, officiellement affirmée, furent pratiquement annulés par des considérations de sécurité nationale, une méfiance vis à vis des pays limitrophes, et la recherche d'une homogénéité culturelle. On recherchait aussi à maintenir le plein emploi, dans une conjoncture défavorable à l'industrie locale. Pour toutes ces raisons, il n'était plus question de stimuler l'immigration limitrophe en général, mais plutôt de l'éviter, particulièrement dans les zones frontalières.

Le retour à la démocratie en 1983 marqua un retournement partiel de cette politique. Dans un premier temps, on reprit une politique d'ouverture, avec un décret d'amnistie permettant aux immigrés « sans papiers » de régulariser leur situation. Parallèlement les relations avec les pays voisins s'améliorèrent progressivement, et on abandonna certaines mesures discriminatoires dans le domaine culturel.

Pourtant, dans un deuxième temps, face à la profondeur de la crise économique qui affectait le marché du travail et mettait en échec les systèmes de protection sociale, on se résolut à adopter des mesures restrictives pour réguler l'entrée des étrangers en fonction de la capacité de réception (Décret n° 1434/1987). L'immigration limitrophe en fut affectée, à cause de son inadéquation aux nouveaux critères d'admission. La crise économique elle-même fut peut-être la barrière la plus efficace au maintien des flux.

Les années 1990 amenèrent un nouveau retournement dans la politique migratoire, et ce pour plusieurs raisons : le retour à la stabilité économique à partir de 1991, une forte tendance à l'intégration économique régionale, la recherche d'une meilleure collecte des impôts - qu'il est plus difficile de percevoir quand il existe un marché du travail d'immigrés clandestins, illégalement employés - enfin l'affirmation d'une idéologie libérale entraînant une plus grande confiance dans l' autorégulation des marchés. Ainsi, le Décret n° 1013/1992 mit en place un programme pour la régularisation des immigrés clandestins (amnistie), qui fut prorogé par deux fois. Par le même décret, dans le cadre d'une politique d'intégration régionale, on supprima pour les natifs des pays limitrophes, l'application des critères de sélection à caractère restrictif.

Les politiques actuelles cherchent à assurer une véritable régulation des mouvements migratoires, tout en respectant les droits de la population immigrée, en facilitant son intégration dans la société nationale, et en reconnaissant son apport social et culture], sa contribution au développement du pays.

MARCHE DU TRAVAIL ET CONCENTRATION SPATIALE DES IMMIGRÉS

IMMIGRATION D'OUTRE-MER ET CROISSANCE DES RÉGIONS LITTORALES

L'immigration d'outre-mer a marqué le profil de l'Argentine depuis la fin du siècle dernier, à travers l'accroissement démographique rapide de la région de la Pampa, l'expansion des activités agro-pastorales et l'intense processus d'urbanisation qui l'a accompagné. (Lattes 1979, p. 5).

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Le chemin de fer et l'immigration ont accentué l'écart entre la région de la Pampa et le reste du pays. La région de la Pampa, en effet, entrait dans sa période de plus grande prospérité, fondée sur l'augmentation de la demande de matières premières de la part des pays européens (en rapide industrialisation). Les autres régions, et tout particulièrement les provinces du Nord-Ouest, qui ne bénéficiaient pas de cette évolution, perdaient leur importance relative au sein du pays, tant en termes démographiques qu'économiques.

La relation privilégiée de la région de la Pampa avec l'Europe, et singulièrement avec l'Angleterre, rendit ce processus plus visible. Le tracé des voies ferrées en est une preuve. Ces voies débouchaient dans les ports tournés vers l'Europe, et servaient surtout à transporter à bas prix les matières premières (viande et céréales) produites dans la province de Buenos Aires et celles du littoral. L'exploitation extensive de la terre, ajoutée à l'amélioration des espèces bovines et ovines, ainsi que l'installation des premiers frigorifiques (1883), augmentèrent l'exportation des produits de l'agriculture et de l'élevage d'une façon spectaculaire, et provoquèrent un accroissement rapide du produit national entre 1880 et 1920.

A travers l'attribution à des colons de terres en friche, ainsi incorporées au système productif, les immigrants participèrent dans un premier temps à cette prospérité, surtout dans les provinces littorales. La population masculine augmenta, la population active totale s'accrut, et les petits noyaux urbains, centres de zones agricoles proliférèrent. La province de Buenos Aires connut une évolution différente : le maintien de l'élevage extensif, aux faibles besoins en main-d'œuvre, limita l'implantation d'immigrants dans l'espace rural, mais ils furent par contre nombreux à s'installer dans la capitale.

Mais très vite les possibilités d'accès à la propriété se raréfièrent pour les immigrants, , les terres fertiles étant rapidement accaparées par les propriétaires traditionnels ou par des spéculateurs. Les nouveaux arrivants ne se virent plus proposer que des exploitations en fermage ou en métayage. En 1914, après un demi siècle de colonisation, les immigrés, qui constituaient la moitié de la population active, ne possédaient que 10 % des terres exploitées, tandis que les régimes de faire valoir indirect fournissaient une main-d'œuvre bon marché à l'agriculture. Les fermiers qui cultivaient des céréales dans le cadre de contrats courts (environ trois ans), étaient condamnés dans leur grande majorité à errer, avec leur famille, à la recherche d'un nouvel emploi, après avoir rendu leurs terres déjà ensemencées.

L'impossibilité d'accéder à la terre provoqua l'enracinement d'une partie des paysans immigrés dans les villes, surtout à Buenos Aires et à Rosario, villes du littoral, la seule région bénéficiant de l'expansion, et aussi, dans une moindre mesure, à Côrdoba. Parallèlement, la forte demande en travail de la part de ces villes retint beaucoup de nouveaux immigrants. Cette population participa largement au développement des industries liées aux matières premières (notamment au développement des frigorifiques permettant l'exportation de viande), de la petite industrie, des activités portuaires et commerciales, des travaux publics, des transports, des services publics, etc. (Lattes 1979, p. 16). La production industrielle fut multipliée par 8 entre 1895 et 1914.

Dora Estela CELTON

Jusqu'en 1930, ce qui caractérisait l'économie de l'Argentine était le plein emploi et la grande mobilité de sa force de travail étrangère. Ainsi, devant un chômage cyclique, l'immigré devait choisir entre le retour au pays et la recherche d'un autre emploi. Cette fluidité du marché du travail était due à l'absence de spécialisation des immigrés, et aux caractéristiques des activités productrices. (Cortes Conde, 1979).

La crise mondiale de 1929 marqua la fin du schéma d'exportation fondé sur l'agriculture, et le début d'une période de développement d'industries de produits de consommation destinées, sur le marché national, à se substituter aux importations. En effet, la vague d'auto-approvisionnement qui submergea les pays clients de l'Argentine, obligea cette dernière à limiter ses exportations et, par conséquent, ses importations; on commença alors à fabriquer des produits qui jusque là étaient importés. La nouvelle industrie ainsi créée se localisa surtout dans l'aire métropolitaine du Grand Buenos Aires. L'offre de travail, toujours croissante dans cette région, ainsi que l'affaiblissement du secteur agricole en général provoqua un flux migratoire de millions de personnes vers Buenos Aires dans les années qui suivirent la crise ; ce qui dynamisa le processus d'urbanisation et augmenta la densité de la population urbaine de façon spectaculaire. La croissance des migrations de ruraux nationaux vers les villes ne put être compensée par l'immigration étrangère vers les campagnes, - comme cela avait été le cas dans les années 1895-1915 -, parce que l'immigration était désormais en diminution, et que le secteur rural n'attirait déjà plus les étrangers. (Lattes 1979, p. 23).

Entre 1945 et 1954 le pays connut une situation qui s'était déjà produite au début du siècle, mais dans un contexte socio-économique complètement différent. Il s'agit de la combinaison de l'exode rural de nationaux, avec une immigration urbaine d'étrangers, dernière vague d'Européens que reçut le pays. Pendant cette période le pays eut un solde migratoire international supérieur à 720 000 personnes, dont environ 60 % provenaient d'Italie et d'Espagne. (Lattes 1979, p. 27).

IMMIGRATION LIMITROPHE : UNE DISTRIBUTION SPATIALE DIFFÉRENTE

Entre 1955 et 1970, l'immigration étrangère se réduisit notablement, et les lieux d'origine changèrent : des immigrés limitrophes arrivèrent à la place des Européens.

Les espaces d'implantation de ces nouveaux immigrants ne sont pas les mêmes que ceux des immigrants européens de la période précédente : les zones frontalières l'emportent sur le Grand Buenos Aires (la capitale fédérale et sa zone d'influence). Ces formes nouvelles de localisation sont liées au développement des économies régionales de certaines provinces, à l'expansion des cultures industrielles et fruitières, de l'élevage ovin et de l'industrie minière. Au milieu des années 40, on note un substantiel accroissement du nombre d'étrangers venus des pays limitrophes dans les régions frontalières avec la Bolivie, le Chili et le Paraguay. En 1947 il y avait plus de 300 000 limitrophes dans le pays, soit 50 % de plus qu'en 1914. Presque 88 % des Boliviens étaient installés dans les provinces de Jujuy et Salta, pour seulement 7 % dans celle de Buenos Aires. De même, 77 % des Chiliens vivaient dans les provinces

Illustration non autorisée à la diffusion

Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine 155

de Mendoza et San Juan et en Patagonie, tandis que 79 % des Paraguayens étaient localisés dans les provinces de Formosa, Misiones et Chaco (De Marco y Sassone, 1991). Depuis, avec l'accentuation actuelle de l'intégration économique des pays du cône Sud, on assiste à la formation de marchés bi-nationaux, avec des échanges permanents de population et d'activité économique réalisés dans le cadre de marchés communs. On peut le constater le long de la frontière argentino-uruguayenne, comme entre les villes de Posadas en Argentine et Encarnaciôn au Paraguay. (Maguid, 1.993).

Même s'il s'est relativement affaibli, le grand Buenos Aires garde, au moins jusqu'au début des années 80, un réel pouvoir d'attraction sur les immigrés limitrophes, surtout les Uruguayens, mais aussi les Paraguayens et les Boliviens.

LA VARIÉTÉ DES ORIGINES ETHNIQUES

L'idée des gouvernants lors de la mise en place des premières politiques d'immigration au milieu du XIXe siècle (voir ci-dessus) était d'attirer les immigrants originaires du Nord de l'Europe. Mais lorsque l'Argentine connut sa période d'afflux la plus importante, les courants provenant de cette région étaient déjà en déclin, tandis que se renforçaient les flux venus du Sud et de l'Est du vieux continent. Dans ce cadre, l'originalité de la situation argentine est d'avoir accueilli les deux courants quantitativement les plus importants de toute l'Amérique latine. Entre 1870 et 1970, plus de trois millions d'Italiens et deux millions d'Espagnols sont entrés dans le pays.

TABLEAU 2 : Argentine. Principales nationalités des étrangers résidant dans le pays, 1869-1947

Etrangers

dont Non limitrophes Allemands Espagnols Français Italiens Juifs* Syro-Libanais**

Limitrophes Boliviens Brésiliens Chiliens Paraguayens Uruguayens

1869 total

210 330

4 991 34 068 32 336 71403

6194 5919

10 883 3 288

15 076

% 100,0

2,4 16,2 15,4 33,9

2,9 2,8 5,2 1,6 7,2

1895 total

1 066 838

17 143 198 685 94 098

492 636 6 085

871

7 361 24 725 20 594 14 562 48 650

% 100,0

1,6 18,6 8,8

46,2 0,6 0,1

0,7 2,3 1,9 1,4 4,6

1914 total

2 391 171

27 734 841 149 80 570

942 209 116 000 64 754

18 256 36 629 34 568 28 592 88 656

% 100,0

1,2 35,2 3,4

39,4 4,9 2,7

0,8 1,5 1,4 1,2 3,7

1947 total

2 435 927

51618 749 392 33 465

786 207 219 877 64 514

47 774 47 039 51563 93 248 73 640

% 100,0

2,1 30,8

1,4 32,3 9,0 2,6

2,0 1,9 2,1 3,8 3,0

* Personnes recensées avec cette religion en 1914 et 1947. ** Les Syto-libanais sont appelés Turcs au recensement de 1895 et Ottomans en 1914. Sources : Direction Nationale des Statistiques et Recensements, 1956. Dujovne M. y otros, Los Judios en la Argentina, éd. Betenu, Buenos Aires, 1986.

156 Dora Estela CELTON

D'autres immigrations européennes (Français, Anglais, Allemands) furent numériquement plus faibles, mais jouèrent un rôle économique et culturel important. Ces immigrés avaient généralement une qualification professionnelle, un degré d'instruction élevé, et ils apportèrent avec eux des capitaux qu'ils investirent dans l'industrie.

Les immigrations syro-libanaise et juive se distinguent des précédentes par leur arrivée plus tardive, et aussi par leurs langues, leurs religions, leurs coutumes.

Le tableau 2 regroupe des données sur les principales nationalités implantées en Argentine entre 1869 et 1947. Nous décrirons rapidement les caractéristiques des ces communautés.

ITALIENS ET ESPAGNOLS

L'immigration italienne a été favorisée par plusieurs facteurs convergents : l'existence d'un courant pionnier de commerçants, la stagnation économique de l'Italie, due à une politique agricole archaïque, l'existence traditionnelle d'une route maritime sud américaine à partir de Gênes, et l'action des agents de l'immigration argentine, implantés dans les principales villes européennes.

Sur un total de 2.325.005 Italiens entrés en Argentine entre 1880 et 1930, à peine 5 % sont restés dans le pays. Comme on peut l'observer sur le tableau 2, les Italiens restent la nationalité la plus nombreuse, représentant plus du tiers du total des immigrés tout au long du siècle. Les régions italiennes qui ont fourni les plus gros contingents sont le Piémont, la Calabre et la Sicile, avec respectivement 16,3 %, 13,6 % et 11,3 % du total des Italiens. (Cacopardo, 1984).

A la fin du siècle, la plus grande colonie italienne d'Argentine, et peut-être du monde, était, sans aucun doute, Buenos Aires. Grâce à son importance numérique, ses industries, ses commerces, ses capitaux et les professions de ses membres, cette communauté occupait une place prééminente dans la vie économique et sociale de la ville. La population italienne était aussi très importante dans la province de Santa Fe : à Rosario, sur 120 000 habitants, 35 000 étaient italiens.

D'une façon générale, les activités des Italiens étaient liées à leur région d'origine : les Piémontais et les Lombards se livraient à des tâches agricoles, les Ligures à la navigation de cabotage, tandis que les Italiens du Sud préféraient la capitale et les centres urbains où ils s'occupaient de commerce et d'activités diverses. (De Rosa, 1986). Ceux qui s'établissaient à la campagne y ouvraient des commerces non spé

cialisés, dans lesquels l'on trouvait toutes sortes de marchandises, que ce soit pour les colons ou pour l'ensemble des habitants du village. Si leurs bénéfices le leur permettaient, ils élargissaient leur champ d'action, et créaient, parfois simultanément, des exploitations agricoles et des entreprises immobilières. Certains ont même exercé des activités bancaires, prêtant de l'argent contre hypothèque aux agriculteurs.

L'immigration espagnole, quant à elle, est particulièrement faible pendant la première moitié du XIXe siècle. Ceci pourrait s'expliquer par les difficultés qu'éprouvaient l'Argentine et l'Espagne à développer de bonnes relations, et à oublier leurs vieux ressentiments. En réalité, l'émigration fut freinée par la croissance économique que connut l'Espagne à ce moment là, bénéficiant d'une conjoncture favorable : une

Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine

forte demande mondiale en fer, surtout, ainsi que d'excellentes exportations de vin vers la France. Mais cette croissance s'acheva vers la fin du siècle, avec une chute des prix vers 1887, des maladies dans les vignobles et la perte graduelle des marchés coloniaux, celui de Cuba en particulier.

L'émigration espagnole de la fin du siècle reflète l'échec de la modernisation agricole, la pression démographique et la lenteur du rythme de croissance industrielle (Sanchez Alonso, 1988, p. 210). Quant au choix de l'Argentine comme destination, il s'explique, au delà de la raison évidente des liens culturels, par la disponibilité en terres et les différences de salaires entre les deux pays. Cette association apparaît clairement si l'on précise que le plus grand nombre d'arrivées espagnoles se produisit entre 1905 et la veille de la première guerre mondiale. (Sanchez Alonso, 1988, p. 215). De 1895 à 1914, la communauté espagnole quadrupla, rivalisant avec la communauté italienne, jusque là la plus nombreuse. En 1914, les Espagnols résidant en Argentine atteignaient leur chiffre le plus élevé, avec 841 149 personnes. Il s'agissait surtout d'originaires des provinces du Nord de l'Espagne (65 %), de Galice surtout, des Asturies dans une moindre mesure.

L'arrivée tardive des immigrants espagnols rendit difficile leur accès à la propriété de la terre, déjà distribuée et exploitée. Ceci explique qu'ils se soient majoritairement insérés dans la classe moyenne urbaine et dans le prolétariat industriel, alors naissant. En 1914, les Espagnols dépassaient les Italiens dans les villes de Tucuman, Mendoza et Côrdoba, et se retrouvaient presque à égalité à Buenos Aires. Ils ont toujours été présents dans le commerce et l'industrie, et bien qu'on les retrouve souvent à la tête de commerces généraux, leurs points forts étaient les cafés, les restaurants et les hôtels.

LES AUTRES IMMIGRANTS OUEST-EUROPEENS

On a noté ci-dessus les caractéristiques particulières de ces immigrés dont la qualification et le niveau d'instruction sont plus élevés. Ces caractéristiques apparaissent tôt : dans les années 1870 l'Argentine reçut un groupe déjeunes intellectuels français et allemands, qui arrivèrent avec l'idée de profiter de la conjoncture et d'étendre leurs recherches dans un pays totalement vierge dans ce domaine. Ce petit groupe fut à l'origine de l'apparition dans la ville de Côrdoba, de l'Académie Nationale des Sciences, de la Faculté des Sciences Physiques et Mathématiques, et de la Faculté des Sciences Chimiques. Vers la fin du siècle, d'autres chercheurs vinrent travailler à l'Université de Côrdoba, et plus tard à celle de La Plata, dans l'idée de poursuivre l'oeuvre commencée par ce groupe pionnier. Ils jouèrent un rôle actif pour permettre à l'Argentine de réaliser des progrès notables dans des domaines scientifiques aussi divers que la géologie, la paléontologie, les mathématiques, la physique ou la médecine.

Les immigrés français ont été les premiers à arriver en Argentine encouragés par le nouvel ordre institutionnel. L'année même de la rédaction de la nouvelle Constitution, 1853, deux contrats ont été signés pour l'implantation de familles françaises dans le pays : Nueva Burdeos, dans la province de Corrientes est fondée par des agriculteurs du Sud de la France, tandis qu'Esperanza, dans la province de Santa Fe regroupe des colons français et suisses.

158 Dora Estela CELTON

A cette époque, l'Argentine manifeste sa volonté d'attirer des professionnels, techniciens et ouvriers spécialisés français, pour certaines tâches, comme l'extension du réseau de chemin de fer, la construction du port de Buenos Aires, de routes, du télégraphe. La propagande en France se faisait à travers quatre agences à Paris et à Marseille, en relation directe avec la Commission Centrale d'Immigration de Buenos Aires. (Celton, 1983). Entre 1857 et 1946, 261 020 Français sont entrés dans le pays, dont 37 % ont décidé de s'installer définitivement. La période de plus grand afflux est comprise entre 1881 et 1890, avec un solde net de 69 303 français. Quantitativement, ils ont occupé la troisième position parmi les immigrés recensés jusqu'en 1914, année où la Guerre les rappella dans leur patrie d'origine. La seconde vague d'Européens, arrivée entre 1948 et 1954 ne laissa, comme solde, que 4 230 Français.

Pourtant, durant le XXe siècle, l'influence française a été décisive dans les domaines éducatifs et culturels à Buenos Aires, Cordoba et Rosario. Parmi les provinces du Nord, elle l'est aussi à Tucuman, sur le terrain économique grâce à l'impulsion donnée par l'installation d'usines sucrières, et aussi sur le terrain éducatif avec le rôle de deux personnalités, Amadeo Jacques et Paul Groumac, qui ont forgé une génération d'habitants de cette province.

Les Allemands aussi sont arrivés attirés par une législation favorable et la possibilité de trouver des terres et du travail. Les années de plus grand afflux dans le pays correspondent à la période 1883-1890. Après cette date de courtes périodes de hausse et de baisse se succèdent, le solde devenant négatif pendant la Première Guerre Mondiale.

Les Allemands se sont installés principalement à Buenos Aires, sur le littoral et à Cordoba. A la fin du siècle, ils se sont orientés aussi vers Mendoza et Tucuman (lors du développement des productions de vin dans la première de ces provinces, de sucre dans la seconde), ainsi que vers Santa Cruz, Misiones, La Pampa et Chubut. (Vera, 1991). Les 27 734 Allemands recensés en 1914 constituaient 1,2 % du total des étrangers en Argentine. Selon les professions déclarées, on trouve, parmi les arrivés, une majorité d'agriculteurs, colons et fermiers. On trouve aussi un grand nombre de professionnels et de techniciens, qui sont arrivés comme employés d'entreprises allemandes, dans leurs succursales d'Argentine. Celles ci ont développé toutes sortes d'activités, liées aux banques, aux entreprises financières et immobilières, aux assurances, aux services publics, etc.

Après la Seconde Guerre Mondiale, on assiste à une reprise de l'immigration allemande; en effet, le recensement de 1947 comptait 51 618 Allemands sur tout le territoire, et entre 1948 et 1954 on enregistrait un solde net de 13 401 Allemands. Les nouveaux arrivants se sont surtout installés sur le littoral, dans la province de Côrdoba et en Patagonie.

Malgré les étroites relations économiques qui liaient l'Argentine à la Grande Bretagne au XIXe siècle, il n'y eut jamais d'afflux massif de Britanniques vers l'Argentine. La plupart des immigrés anglais sont venus pour des raisons différentes des Européens du Sud. Ceux qui ont rejoint les villes l'ont fait pour participer, avec les compagnies anglaises dont ils étaient employés, dirigeants, voire actionnaires, à l'extension du réseau ferré, au développement de compagnies de tramways, d'éclairage, de téléphone, de gaz, ou de sociétés financières anglaises.

Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine 159

Certains Britanniques entrèrent aussi dans le pays comme colons : 45 000 entre 1857 et 1909, s 'occupant surtout d'élevage ovin dans le Sud de la province de Buenos Aires, et dans les provinces de Neuquen, Rio Negro, Chubut et Santa Cruz. (Vera, 1987). Parmi ceux qui se sont installés dans la région de la Patagonie, le cas des colons gallois de la province de Chubut mérite d'être cité. En effet, malgré les difficultés propres à la Patagonie, comme l'isolement et le manque de communications, ils ont réussi à s'adapter, à tel point qu'en 1947, la moitié de la population de la province était d'ascendance galloise. Aujourd'hui, ces colonies sont fermement enracinées et donnent des caractères particuliers à la région.

LES AUTRES IMMIGRATIONS D'OUTRE-MER

Parmi les autres groupes d'immigrants, deux seulement atteignent des niveaux quantitatifs significatifs : les Syro-Libanais, de langue arabe et les Juifs, venus de Russie et d'Europe Centrale, de langue germanique (yiddisch).

Les arabes, terme désignant les Syriens et les Libanais dans le pays, ont atteint leur niveau d'entrées le plus élevé entre 1887 et 1913, avec 130 939 personnes, ce qui coïncide avec le pic maximum atteint par l'immigration d'outre mer en Argentine. On a estimé à 15,1 % le taux de retours pour le début du siècle, ce qui est nettement inférieur à celui des autres communautés, qui s'élève à 58,6 %. Entre 1914 et 1960, le poids des Syriens et des Libanais par rapport à l'ensemble des étrangers a augmenté. Ce qui s'explique du fait que l'immigration des autres nationalités a quasiment cessé, tandis que la leur, bien que peu nombreuse, s'est poursuivie pendant toute la période. (Tasso, 1989).

Ils s'installèrent dans tout le pays, mais les provinces du Nord ouest en reçurent la plus grande partie. Le commerce fut leur principal moyen d'existence : les premiers arrivants débutèrent comme vendeurs ambulants dans les villes comme dans les campagnes. Par la suite, ils ouvrirent des merceries, des magasins de tissus, des épiceries, et même des maisons d'import-export, ou des établissements bancaires.

Les premiers contingents de juifs arrivèrent en 1889 à Buenos Aires à bord du Wesser ; au nombre de 800, ils ont implanté leur première colonie à Moises Ville, dans la province de Santa Fe. A cette même époque, commencent à arriver des juifs russes de langue allemande, expulsés d'Europe pour des raisons à la fois politiques et religieuses. La protection offerte par le baron Hirsch rendit possible l'installation de 6 757 personnes, réparties en 910 unités agricoles dans les provinces de Buenos Aires, Santa Fe et Entre Rios. (Vera, 1991).

Jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale la population des juifs argentins connaît une croissance rapide et continue, interrompue seulement pendant les années de la Première Guerre Mondiale, quand l'immigration était quasiment paralysée. Dans l'après guerre et jusqu'en 1960, cette immigration se prolonge, avec un accroissement plus modeste. Des déficits migratoires apparaissent entre 1963 et 1965, ainsi que dans les années 70, mais, malgré tout, l'Argentine comptait, vers 1982 la moitié de la population juive latino-américaine. (Dujovne, 1986).

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160 Dora Estela CELTON

En dehors de l'agriculture, d'autres possibilités d'emploi s'offrirent aux premiers immigrants, liées à la construction des voies ferrées, aux travaux de drainage et à l'exploitation des forêts de « quebracho » dans le Nord. Beaucoup se consacrèrent à la vente ambulante, à la vente de meubles, de tissus et d'ornements ; d'autres étaient tailleurs, menuisiers, horlogers. Dans un recensement effectué en 1935, d'autres professions apparaissent : médecins, pharmaciens, ingénieurs, architectes, etc. ce qui montre l'extraordinaire mobilité socio-économique de cette communauté dans le pays.

L'IMMIGRATION DES PAYS LIMITROPHES

L'immigration provenant des pays limitrophes est ancienne en Argentine - des immigrants sont présents dès la fin du XIXe siècle - mais son ampleur et son importance sont récentes, datant des années 1940 seulement. L'évolution de ces populations selon les données des recensements (Tableau 3) est le résultat de processus socio-économiques différents de ceux qui expliquent l'immigration d'outre-mer.

TABLEAU 3 : Argentine. Immigrants venus des pays limitrophes selon leur nationalité, 1947-1980

Année de recensement

1947 1960 1970 1980

Boliviens

47 774 89 155

101 000 118 141

Chiliens

51563 118 165 142 150 213 623

Paraguayens

93 248 155 269 320 050 262 799

Uruguayens

73 640 55 934 58 300

114 108

Source : GURRIERI (J.), « Las migraciones desde los paises limftrofes, Primeras Jornadas de Estudios de Poblaciôn Argentina, Cordoba, 1991 »

L'évolution des effectifs varie selon les nationalités, comme on peut l'observer sur le tableau ci dessus. Ce sont les arrivées de Boliviens, Chiliens et Paraguayens qui expliquent l'essentiel de la croissance de l'immigration limitrophe pendant la période intercensitaire 1947-1960. Pendant les années soixante, les Paraguayens ont gardé leur taux de croissance élevé (3,8 pour mille), tandis que la croissance des populations chilienne et bolivienne se ralentissaient. Pendant les années soixante dix, les effectifs de tous les groupes ont continué à augmenter, la décélération de la migration paraguayenne et bolivienne s'opposant à l'accélération de celle des Chiliens et des Uruguayens.

Les Uruguayens, le groupe d'immigrés limitrophes le plus important au début du siècle, a connu une nette décrue entre 1947 et 1960. L'inversion de cette tendance est très nette pour la dernière période : le taux de croissance de cette population est de 6,4 pour mille entre 1970 et 1980 (Gurrieri, 1991).

La population paraguayenne, la plus nombreuse parmi les immigrants des pays limitrophes, s'est d'abord installée dans le Nord Est du pays, surtout dans les provinces de Formosa, Chaco et Misiones. Sa présence massive est liée au développe-

Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine 161

ment des cultures de coton, d'herbe à maté, et de thé ainsi qu'à celui de l'exploitation forestière. Les flux migratoires du Paraguay sont sujets à des oscillations, provenant des crises successives de l'économie régionale. (De Marco y Sassone, 1991).

Le courant d'immigration chilienne se dirigea vers la Patagonie, pour travailler dans la tonte des moutons depuis 1900. L'expansion de l'élevage lainier, intégré à l'activité frigorifique à partir de 1935 se fit avec la participation de main-d'œuvre chilienne, dans un processus qui favorisa l'occupation de terres peu peuplées jusque là.

Malgré les conflits politiques entre l'Argentine et le Chili et les restrictions migratoires imposées par le gouvernement argentin, le courant venu de ce pays s'intensifia dans les années 70. Ce courant répondait à l'offre de travail dans les zones urbaines et dans l'hôtellerie des centres touristiques de Patagonie. De son coté le bâtiment reçut une forte impulsion, à cause de l'exploitation d'hydrocarbures et de la politique de promotion industrielle en Terre de Feu. Dans les années 80 le secteur agro-pastoral n'avait presque plus d'incidence sur l'emploi de la main-d'œuvre chilienne. Plus de la moitié des Chiliens d'Argentine (60 %) vivaient en 1980 en Patagonie, ce qui explique l'importance de l'impact régional de cette immigration.

L'immigration bolivienne en Argentine date d'il y a plus de 100 ans. Au XXe siècle, elle a augmenté de façon significative à cause de l'expansion des cultures de canne à sucre et de tabac dans les provinces septentrionales de Salta et Jujuy. De plus les dures conditions de vie dans les régions boliviennes de « l'enclave minière » expliquent les départs. Plus tard, dans les années 60, les Boliviens se sont dirigés aussi vers la région de Cuyo pour participer aux vendanges et aux récoltes maraîchères.

Le développement technologique que connut le Nord Ouest de l'Argentine, en particulier la mécanisation qui accompagna l'intensification de l'exploitation de la canne à sucre fit lentement disparaître l'emploi de la « population vagabonde » bolivienne. Ces journaliers recherchèrent alors du travail sédentaire dans les régions rurales sucrières de la province de Tucuman comme dans les régions urbaines sous d'autres latitudes (Buenos Aires et Cordoba). Ils ont investi d'abord, lentement mais solidement, les ceintures horticoles des villes. On assistera ensuite, dans les années 80, à la prolifération des petits marchands de légumes - légaux ou illégaux -, tandis que d'autres s'emploient comme ouvriers dans le bâtiment ou comme domestiques. Plus tardivement ils vont vendre dans la rue, des vêtements de confection modeste et bon marché.

A la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe, les Uruguayens constituaient, par leur volume, la première communauté parmi les étrangers limitrophes installés dans le pays. Comme les Européens, ces immigrés s'installèrent dans la Pampa, surtout dans la province d'Entre Rios. A la fin des années 1970 commence une nouvelle vague migratoire, de telle sorte que les Uruguayens occupent désormais la troisième place parmi les étrangers limitrophes.

EN GUISE DE CONCLUSION

Nous avons tenté une description du phénomène migratoire, de ses composantes et de ses liens avec les conditions politiques et économiques de ce siècle en Argentine.

162 Dora Estela CELTON

La politique de transformation du pays fondée sur l'expansion de la terre, de l'immigration et du capital, obtint des résultats spectaculaires dans les soixante-dix premières années d'application de la Constitution. Ce développement s'est fait à partir de la croissance constante de l'étendue de la zone cultivée et de celle de la demande internationale des produits de l'agriculture et de l'élevage. Le début de la Première Guerre Mondiale mit en évidence la vulnérabilité de ce modèle, et marqua le ralentissement de la croissance économique comme de l'arrivée des immigrants. Finalement la crise des années 30 mit fin à ce modèle, et marqua le début d'une nouvelle période pour l'Argentine moderne, dans laquelle les déplacements intérieurs et l'immigration des étrangers limitrophes prirent la première place. L'attraction urbaine se renforça dans cette période, à cause de l'implantation d'une industrie destinée à se substituer aux importations, de la formation d'une nouvelle classe ouvrière et des aléas de la croissance de la production. Actuellement, devant les défis de la globalisation économique et de l'intégration régionale, qui imposent des échanges de biens, de services et de technologies, on assiste à de nouveaux modèles de mobilité frontalière.

Issu de ce complexe réseau de facteurs politiques, sociaux et économiques qui amenèrent des mouvements de population, le pays se présente aujourd'hui comme une mosaïque plurielle, intégrant des groupes ethniques divers. Dans ce processus, ni schématique ni linéaire, les relations pré-migratoires, et leur re-formulation dans la société d'accueil furent essentielles, car elles créèrent des lieux de rencontre et de solidarité ethnique qui favorisèrent la persistance de groupes ethniques dans la nouvelle société.

(Traduit de l'espagnol par Hélène GUILLON)

Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine 163

Notes et références bibliographiques

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Plus d'un siècle d'immigration internationale en Argentine

Dora Estela CELTON

A partir du milieu du XIXe siècle, l'Argentine a été, comme les Etats Unis et le Brésil, une des principales destinations de l' émigration transocéanique européenne. Dans ce pays presque dépeuplé (1. 700.000 habitants en 1869) on a assisté à l'arrivée de plus de six millions de personnes, ce qui a entraîné des transformations radicales de la structure socio-économique du pays.

Après la crise des années trente, les effets d'un développement fondé sur l'exportation de produits agricoles s 'épuise, et la décélération de la croissance économique se combine à l' instabilité politique pour entraîner la diminution des flux migratoires, malgré la dernière reprise de 1945-1952. A cette diminution de la migration internationale correspond un important changement des lieux d'origine. Depuis le début des années 50, la proportion des immigrants venus des pays limitrophes s'accroît, pour représenter 87 % de la migration nette pendant la décennie suivante. Pourtant, dans la population résidante, les étrangers des pays non limitrophes continuent à représenter plus de la moitié de l'ensemble.

Dans ce contexte historique, l'article analyse les politiques migratoires des gouvernements argentins successifs, ainsi que la distribution spatiale des migrants et leur insertion dans le marché du travail.

More than a Century of International Immigration into Argentina

Dora Estela CELTON

From the second half of the 19th century, Argentina was along with the United States and Brazil, one of the main destination that attracted European emigration to America, an almost u npopulated country (1.700.000 habitants in 1869). The arrival of more of six million people between 1869 and 1930 resulted in to radical changes in the socio- economic structure of the countiy.

After the crisis of 1930s the impact of a development plan based on the export of agricultural products waned out and the economic groth accompanied with political instability generated a slowing decline of migratory flows, despite a new wave between 1945 and 1952. The decrease of international migration comes along with an important change in the composition by places of origin, the proportion of bordering immigrants has increased since 1950 and it has represented in the next decade 87 % of the total net immigration. Foreigners from non bordering countries continue however to represent over 50 % of all foreigners residing in the country.

In this historical contexte, the article analyses the successive migratory policies of Argentina governments as well as the migrants ' spatial distribution and their incorporation in the labor market.

Mas de un siglo de inmigraciôn international en la Argentina

Dora Estela CELTON

A partir de la segunda mitad del siglo XIX, Argentina constituyô junto con Estados Unidos y Brasil, uno de los destinos principales de atracciôn de la emigraciôn europea hacia America. Un pais casi despoblado (1.700. 000 habitantes en 1889) presenciô la lle- gada de mâs de seis millones de personas entre eslafecha y 1930, lo que produjo cam- bios radicales en la estructura socio-econômica del pais.

Despues de la crisis de los ahos 30, se agotô el esquema de desarrollo agroexpor- tador y la desaceleraciôn del crecimiento economico sumada a la inestabilidad politica

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provocô la disminuciôn de las flujos migratorios aunque la ultima oleada se produjo entre 1948 y 1952. La disminuciôn de la migration international contuvo, a su vez, un importante cambio en su composition por lugar de origen. A partir de la década del '50 aumentô la proportion de migrantes limitrofes que llegaron a constituir en la decada siguiente el 87 % del total de la migration neta. Pesé a esto, los extranjeros de paises no limitrofes siguen representando el 50 % del total de los extranjeros résidentes en el pais.

En ese contexto historico, el documento analiza a la insertion laboral y distribution espacial de los migrantes y a las politicas de gobierno destinadas a la regulation migra- toria.