pour une poietique de l'apres-numérisation
DESCRIPTION
Memoire de Master 2 entre rémanences picturales & volonté d’autodéfinitionTRANSCRIPT
Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne - UFR 04 arts et sciences de l’art
SEPTEMBRE 2007
Séverine HETTINGERMaster 2 arts et médias numériques
sous la direction d’Anne-Marie DUGUET
POUR UNE POÏÉTIQUE DE L’APRÈS-NUMÉRISATION
POUR UNE POÏÉTIQUE DE L’APRÈS-NUMÉRISATION :entre rémanences picturales & volonté d’autodéfinition
PLAN
POUR UNE POÏÉTIQUE DE L’APRÈS-NUMÉRISATION :entre rémanences picturales et volonté d’autodéfinition
INTRODUCTION
- Réception et description de la proposition plastique
- Annonce : Positions, Engagement, Postulats
I. « L’IMAGE QUI SIMULAIT » AU REGARD DE LA PEINTURE : LES MANQUES À L’IMAGE...
1.1 L’ÉLABORATION DE L’IMAGE : DE LA MATIÈRE ABSENTE À LA DISPARITION DU CORPS
1.1.1 DE LA MATIÈRE ABSENTE À LA DISPARITION DU TANGIBLE
- à propos de l’image algorithmique...
1.1.2 L’IMAGE NUMÉRISÉE : D’UNE PRÉSENCE SIMULÉE AU MODE DE L’APPARITION
- l’image numérisée: une présence
- la simulation comme un rappel au corps du regardeur
1.1.3 DE LA DISPARITION DU CORPS DE L’ARTISTE AU « GESTE INTERFACÉ »: PROLONGEMENTS THÉORIQUES
- Effacement du corps et hégémonie du visible : modifications des paramètres
- Le doigt : métonymie du corps qui s’efface
- de la grammatisation des gestes artistiques dans les softwares au devenir du geste interfacé
1.1.4 CORPS IMAGINAIRE ET PROTHÈSE
1.1.5 DE LA DISPARITION DE L’EMPREINTE À L’ÈRE DU VISUEL : LA « DÉSACRALISATION » DE L’IMAGE
- L’image hors tangible : une image sans empreinte
- Le manque à l’image: la matière, un problème théorique ancien.
1.2. L’IMAGE ABSENTE DE LA CHAIR DU MONDE1.2.1 INOPÈRANCE DU TERME DE MATIÈRE
- la matière: un dualisme
1.2.2 LA CHAIR DU MONDE RÉDUITE À UN IDÉAL PYTHAGORICIEN ?
- La crise de l’image
II . L’APRÈS-NUMÉRISATION: INVENTER LA NOUVELLE TENEUR DE L’IMAGE NUMÉRIQUE
2.1 D’UNE « IMAGE TECHNOLOGIQUE SANS NATURE PARTICULIÈRE » À UNE AUTODÉFINITION
2.1.1 REPRODUCTIBILITÉ, INSTABILITÉ : LES PRÉSUPPOSÉS PÊCHÉS DE L’IMAGE NUMÉRIQUE - Quelques à propos sur la numérisation
- La numérisation de la réalité: aux mêmes procès que la photographie
2.1.2 FACE À L’IMAGE INTANGIBLE : TOUCHER LA TENEUR DE VÉRITÉ ?
2.2 TEXTURES
2.2.1 TEXTURE : LE DOUBLE-LIEN
- Pour une texture numérique
2.2.2 UNE TEXTURE DITE « OSTENSIVE » COMME SPÉCIFICITÉ DU SUPPORT NUMÉRIQUE
- petite archéologie de la notion de texture : de la peinture aux nouvelles images
- Une texture « spécifique »
- re-présentation & présentation : mises en abîme, questions et jeux
- l’autoréférentialité, méthode pour la définition d’un système autonome
2.3 DE L’AUTORÉFÉRENTIALITÉ TRANSCENDÉE PAR LE COMIQUE DE SITUATION
2.3.1 LE PIXEL: UN CARRÉ OUVERT SUR LES SYSTÈMES DE REPRÉSENTATION
- Citations, redondances
- Autocitations
2.3.2 LA NUMÉRISATION COMME PASSAGE TRANSACTIONNEL À L’HYBRIDE
- De la mort de la peinture à la mort de l’auteur
- De la mort de l’auteur : l’image est faîte de strates
2.3.3 DE LA TEXTURE PIXELLAIRE COMME SIGNE ICONIQUE
À LA DISCRÉTISATION ET AUTRES REMANIEMENTS COMME SIGNE PLASTIQUE.
- Le filtre pixellisation: les « fausses » défaillances du numérique
- De la discrétisation, moyen d’élaboration de textures aux signes plastiques
- De la macule comme tautologie
- L’encodage de la production des signes plastiques dans les softwares, « la logique de la transmission »
III. IMAGINAIRE S & CONTAMINATIONS : PICTURAL, LITTÉRAIRE, NUMÉRIQUE
3.1. RÉMANENCES : DES SIGNES DU PAYSAGE INFORMATIQUE AU NOUVEL IMAGINAIRE NUMÉRIQUE
- Un « à propos » : l’invention des signes
- De l’image mentale qui précède à toutes images
- La place de l’imaginaire
3.2 DE L’INVENTION DES NOUVELLES SIGNIFICATIONS & DE L’IMAGINAIRE PICTURAL
3.2.1 DE LA FENÊTRE VIRTUELLE « OUVERTE », À LA RÉAPPARITION DE L’HISTORIA DANS LES SOFTWARES.
3.2.2 L’ ÉCRAN-SURFACE COMME « ÉPIPHANIA »
-L’écran: une surface bi-face
-L’écran épiphania
3.3. IMAGINAIRE LITTÉRAIRE & IMAGINAIRE PICTURAL EN PRISE AVEC LES NOUVEAUX MÉDIAS
3.3.1 À PROPOS D’UNE RÉ-ACTUALISATION DE L’EKPHRASIS
- Une fin en soi : l’imaginaire littéraire ré investi
- Pixel et pigment : une généalogie commune fictive ?
3.4 UNE HISTOIRE DE PEAU NUMÉRIQUE...3.4.1 DE LA TENTATIVE DE RÉHABILITER LA CHAIR DU MONDE AU CAPITON NUMÉRIQUE
3.4.2 LA NAISSANCE D’UNE PEAU...
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES NOTIONS
7
1
INTRODUCTION
— RECEPTION ET DESCRIPTION DE LA PROPOSITION PLASTIQUE —
Les réalisations multimédias accompagnant ce mémoire sont constituées d’ « images en
mouvement » réalisées sous la plate forme multimédia Flash MX. Cette plate forme a servi
de plan de montage aux images précédemment traitées sous Photoshop. Il s’agit donc
d’images 2D. Ces images fixes ont été traitées une à une, indépendamment, comme de
petits « tableaux ». Dans le traitement de ces images j’ai utilisé des opérations plastiques
simulant des procédés utilisés dans l’histoire des arts plastiques au XXe siècle : collage,
création de textures, placage de textures, recolorisation de photographie en niveaux de
gris et nombres d’autres... Outre la référence à ces procédés artistiques appartenant à
l’histoire des arts du XXe, à l’intérieur de ces animations est mis en mouvement citations
2
de dispositif technologique appartenant à un « Old Tech » collectif : citation de la chrono-
photographie de MUYBRIGDE, où dans Comment attraper un pixel, des images fixes en noir
et blanc découpent le mouvement et l’action, citation du cinéma muet avec utilisation d’in-
tertitres pixellisés, citation de l’art cinématographique d’auteur où avec des images fixes,
des travelling sont montés et recomposés comme dans le film de CHRIS MARKER La jetée.
Ces emprunts à des modes de production antérieurs vont s’effacer dans un second temps
de création où une esthétique plus propre à l’expérimentation du médium numérique va
être tentée. Cette première phase d’hybridation semble tout du moins inévitable dans la
découverte d’un nouveau médium, ainsi MARSHALL MCLUHAN écrivît à ce propos :
Le contenu d’un nouveau médium est généralement un médium plus
ancien : le contenu de l’écriture est la parole ; celui de l’imprimerie,
l’écriture ; celui du télégraphe, l’imprimerie ; celui du cinéma, le roman ;
celui de la télévision, le film1
Dans un article nommé « Les promesses de l’hybridation numérique : prolongement et
renouvellement des arts figuratifs »2 EDMOND COUCHOT soutient l’idée que l’hybridation est
née avec l’art moderne et ne fait que se prolonger dans l’art numérique. Pour COUCHOT
l’hybridation et le calcul automatique sont en eux-mêmes « le substrat technologique de
cet art »3. On trouve des équivalents de cette esthétique tout au long du siècle : « Raus-
chenberg, inspiré par la « Théorie de l’inclusion » conçue par John Cage - qui favorise
1. MCLUHAN, (Marshall), D’oeil à oreille : la nouvelle galaxie, Paris, Denoël, 1977, p. 172. 2. COUCHOT, (Edmond), « Les promesses de l’hybridation numérique : prolongement et renouvellement des arts figuratifs » in Images numériques : l’avent du regard, sous la dir. de, BLIN (Odile) et de SAUV (Jacques), p.29. 3. Ibid., p. 13.
3
l’assimilation de la musique aux rencontres hasardeuses, l’accident, l’hétéroclite, les
courts circuits entre l’art et la vie - met au point un système plastique équivalent »4.
L’esthétique de l’hybridation va naître selon lui avec l’apparition du collage dans les ta-
bleaux des peintres cubistes qui incorporent du sable, des fragments d’objets réels, des
partitions musicales comme PICASSO et encore bien d’autres matériaux.
À ce sujet ANNE BEYAERT-GESLIN va incorporer cet import d’élèments hétèrogènes dans
le tableau moderne dans l’histoire de la texture au XXe :
Les collages surréalistes présentent l’intérêt de réunir les deux régimes
épistémologiques de la texture. Tantôt ils reproduisent la texture, tan-
tôt ils présentent un fragment de l’objet lui-même, une feuille de jour-
nal par exemple: la texture ostensive. Présenté plutôt que représenté,
l’objet agit alors « comme un véritable double comportant la modifi-
cation maxima propre au double », selon l’expression de Deleuze.5
Dans ces images un travail d’élaboration texturale a été mené : ces images crées sous
logiciel combinent à la fois des parties générées sous ordinateur - aplats de couleur, textu-
res - et des fragments numérisés issus de différentes sources : objets scannés directement,
appropriation de visuels de jeux vidéos trouvés sur google, photos numériques. Ces images
échappent à la distinction binaire entre image de synthèse et image numérisée. Dans la ter-
minologie informatique courante ces images sont qualifiées de composites, est composite
les images résultant à la fois d’un processus de simulation et de numérisation tandis
4. Ibid., p. 106. 5. BEYAERT-GESLIN, (Anne), « Texture, couleur, lumière et autres arrangements de la perception », in Lumières, www.erudit.org/revue/pr/2003/v31/n3/008439ar.html, Volume 31, numéro 3, hiver 2003, Département des arts et lettres, Université du Québec à Chicoutimi.
4
qu’en esthétique elles sont considérées comme hybrides. Ce qu’il nous intéressera donc
c’est de considérer l’après-numérisation de l’image, c’est à dire tout ce qui touche aux
processus de création et d’élaboration de ces images composites.
— ANNONCE : POSITIONS, ENGAGEMENT, POSTULATS —
L’expérience se trouvera au cœur de ce travail, expérience que j’ai pu me construire
de la « fabrication des images », de ce passage dans ma pratique artistique de l’image
traditionnelle à l’image numérique. Mon regard est en effet un regard éduqué par l’expé-
rience du vécu : «... ce n’est pas en quelques mois, ce n’est pas non plus dans la soli-
tude qu’un peintre entre en possession de sa vision (...) sa vison en tout cas n’apprend
qu’en voyant, n’apprend que d’elle-même »7. Nous tenterons donc ici de partir de l’ex-
périence de celle8 qui a peint et celle « qui va toucher à l’image numérique » et se retrou-
ver bousculée dans la perception habituelle qu’elle avait des choses. Quand REGIS DEBRAY
nous parle d’image numérique c’est pour dire : « Notre œil déserte de mieux en mieux la
chair du monde. Il lit des graphismes, au lieu de voir des choses. »9. L’image numéri-
que bouleverse la conception romantique de l’image « chair » et « chair du monde » du
peintre, et pour suivre le modèle parodié par JEAN LE GAC, de l’artiste-peintre.
Avant l’arrivée du modèle numérique dans le champ de la création plastique, nous
pouvions avec certitude affirmer que toute œuvre d’art, peinture, sculpture, photographie 6. Nous entendrons par image traditionnelle l’image prise dans le paradigme de l’empreinte cf. p. 19
7. MERLEAU-PONTY, (Maurice), l’oeil et l’esprit, Paris , Gallimard, 1985, p.25.
8. Nous adopterons la même position que LEV MANOVICH qui dans « La logique de la selection » cité dans Art, réseaux,
média, emploie le pronom personnel féminin singulier pour rendre hommage aux femmes travaillant dans les nouveaux
médias.
9. DEBRAY, (Régis), Vie et Mort de l’image, Paris, Gallimard, Collection Folio,1992, p.415.
5
installation, environnement, portait en elle les traces de sa fabrication et s’inscrivait dans
le paradigme de l’empreinte, paradigme de l’empreinte que nous développerons ultérieu-
rement. Matérialité, temporalité et spatialité se définissaient par rapport à notre corps
percevant et imaginant « C’est en prêtant son corps au monde que le peintre change
le monde en peinture »10 et cela tant du point de vue poïétique de la production que du
point de vue poétique de la réception de l’œuvre. Nous n’approcherons le corps dans
cette analyse qu’en fonction de la fabrication de cette dite image composite s’affichant
sur écran et ne prendrons pas en compte des dispositifs introduisant capteurs et autres
technologie dans une possible hybridation du corps à l’œuvre.
La plupart de ces images sont issues, on l’a dit, de numérisations qui ont été en-
suite retouchées/retravaillées sous ordinateur, elles ne tiennent aucun lien avec l’image de
synthèse. Ces images constituées en mode filmique n’accusent aucune interactivité, elles
s’affichent simplement sur la surface perceptible de l’écran, hors l’interactivité est selon
COUCHOT la condition sine qua non qui permet de classer une réalisation dans le champ des
arts numériques. Toutefois, selon la réflexion de COUCHOT ce sont les conditions d’élabora-
tion de ces images qui sont placées sous un mode interactif - un logiciel comme photoshop
est interactif et fonctionne en temps réel - et bien que leurs conditions de réception n’ac-
cusent selon la terminologie de COUCHOT aucun mode dialogique ces images appartiennent
au champ esthétique des arts numériques. C’est pourquoi une partie de notre réflexion se
précisera sur les conditions d’élaboration de ces images et nous essayerons d’en dégager
10. in l’oeil et l’esprit p.16
6
une poïétique possible, c’est à dire ce qui est en amont de l’œuvre, les volontés créatrices
mises en relation avec les concepts de production, d’élaboration et leurs nombreux corol-
laires... « Ce n’était donc pas l’image qui m’intéressait mais la fabrication de l’image :
les conditions techniques et matérielles de sa production. »11. Nous nous intéresserons
donc à la « faisance » de l’œuvre, à la perception de la machine et de ces nouveaux outils
par celle qui a peint, et si nous nous intéresserons partiellement aux conditions de récep-
tion de l’œuvre c’est parce que l’artiste est toujours en position schizophrène, en regard
du travail des autres artistes et de son propre travail en train de se faire, c’est pourquoi
doublement nous nous intéresserons aussi à la position du regardeur. Nous nous intéres-
serons aussi à la perception et aux conditions de production des signes compris dans ces
nouvelles images, perception et fabrication des images étant comme nous le verrons les
mêmes facettes d’un même pièce . Dans un article consacré à JOHN MAEDA, ANNE BEYAERT-
GESLIN déplore que la sémiotique qui décrit couramment peintures, photographies, films
ou affiches - découragée sans doute par le présupposé technologique - ne semble guère
intéressée par le mode d’élaboration actuel de ces objets visuels. C’est pourquoi nous
emprunterons quelques concepts simples à la sémiotique visuelle pour rendre compte de
la façon dont ces signes visuels, dans ces images numériques stabilisées par leur inclusion
dans un film d’animation, existent.
11. NAM JUNE PAIK, cité par FLORENCE DE MÈREDIEU in Art et nouvelles technologies, art vidéo, art numérique, Paris, Edition
Larousse, 2003, p. 32
7
I. « L’IMAGE QUI SIMULAIT » AU REGARD DE LA PEINTURE :
LES MANQUES À L’IMAGE...
1. L’ÉLABORATION DE L’IMAGE : DE LA MATIÈRE ABSENTE À LA DISPARITION DU CORPS
1.1 MATIÈRE ABSENTE & DISPARITION DU TANGIBLE
-QUELQUES PROPOS SUR L’IMAGE ALGORITMIQUE-
EDMOND COUCHOT a dit de l’art numérique qu’il s’agit d’ « un art sans matière »1. Si
JEAN-PIERRE BALPE se retrouve dans ces mêmes termes c’est pour lui avant tout le « moment
1. COUCHOT, (Edmond), La Technologie dans l’art: de la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 2002.2. BALPE, (Jean-Pierre), « Quelques concepts de l’art numérique » in Transitoire Observable, 2006, http://transitoireobs.free.fr/to/article.php3?id_article=42
8
simulé d’une matière absente »2.
Avant tout montage et tout traitement d’images, j’avais pour débuter ce tra-
vail des photographies numériques que j’avais prises et qui se présentaient à mes
yeux « sans teneur »3, c’est à dire que, photographies, il s’agissait tout comme la
photographie argentique de captures de la réalité , mais elles n’étaient que des
succédanés à la photographie argentique. Ce qui fait dire à HANS BELTING que : « Quand
elle est numérique, la photographie possède en outre un caractère « intermédial »,
puisque les images ainsi produites rappellent le médium photographique primitif, sans
être cependant issues de la même technique. »4 À l’opposé de la photographie ar-
gentique elles ne s’incarnaient dans aucun corps physique, je ne pouvais les pren-
dre en main, c’est à dire me les approprier comme toutes les images que j’avais
connues auparavant. Précisons-le, nous n’entendons pas par image numérique les ima-
ges imprimées : si j’avais voulu imprimer ces photographies numériques, elles auraient alors
cessé d’être des images matricielles pour devenir une image ou un visuel imprimé d’encre,
c’est à dire selon la fameuse définition « stèlaire » de MAURICE DENIS sur laquelle s’est soute-
nue toute l’histoire des arts plastiques du XXe siècle « ...une surface plane recouverte de
couleurs en un certain ordre assemblées ». Captures de la réalité, elles n’en demeuraient
pas pour le moins insaisissables du fait de leur programmacité.5
3. cf. Chapitre II
4. BELTING, (Hans), Pour une anthropologie des images, p.67
5. « Ce qui caractérise les œuvres informatiques ce n’est pas tant l’idée vulgairement répandue de leur immatérialité car
elles sont là bien présentes et interagissent sur nos sens, mais leur programmacité » DUGUET,(ANNE-MARIE), Images de syn-
thèse, environnements virtuels : questions de l’art contemporain, p.173
9
À mes yeux de peintre, l’image numérique ne pouvait être qu’un leurre qui m’avait
fait prendre conscience d’un manque, celui de la matière de l’image. Je la définissais donc
encore en fonction de l’image peinte. Avant comme le spécifie HANS BELTING « Représen-
ter une image, cela signifiait tout d’abord la fabriquer physiquement »6. Cette image
allégée, n’a pas de relief et me pertube quant à la perception que j’ai habituellement des
images que j’ai pu connaître. Il me manque ce quelque chose que je ne peux toucher.
Potentiellement investie de polymorphie, dépendante du support sur laquelle on
l’affiche, l’image numérique est totalement insaisissable. Image-Matrice pouvant être infi-
niment transformable par le calcul, changeant de forme à souhaits, on pourrait dire d’elle
qu’elle est versatile. Si elle est ce « moment simulé d’une matière absente », comme va
le nuancer ANNE-MARIE DUGUET elle n’en est pas pour autant immatérielle comme on a bien
voulu qualifier les œuvres algoritmiques depuis Les Immatériaux en 1985. Nos difficultés
en première abord à l’appréhender résident dans le fait que l’image numérique reste en
amont une équation algoritmique, libre ou pas de s’incarner à l’écran visuellement, c’est
à dire qu’elle existe toujours dans la virtualité de se montrer ou de ne pas se montrer. Ce
qui fait dire à JEAN-PIERRE BALPE « Cela ne signifie nullement que dans ses réalisations de
surface il [l’art numérique] se réalise hors de toute matière, puisqu’il est mémorisé
sur des supports matériels et doit, pour s’actualiser, investir celles de divers espaces
- écrans , environnements, volumes. »7.
Hors de ces considérations, l’image numérique est attachée à son écran de diffusion
et à la « boite noire » de l’ordinateur, c’est un dispositif lourd qui fait d’elle cette image-
6. in Pour une anthropologie des images p. 39 7. in « Quelques concepts de l’art numérique » in Transitoire Observable, 2006, http://transitoireobs.free.fr/to/article.
10
machine intouchable derrière son écran de verre. Contrairement au tableau merleau-pon-
tien, avec l’image numérique « visible et tangible » selon l’expression Merleau-Pontienne
sont scindés et n’appartiennent plus au même monde. L’image numérique appartient à cet
autre ordre que va définir EDMOND COUCHOT.
1.2 L’IMAGE NUMÉRISÉE : D’UNE PRÉSENCE SIMULÉE AU MODE DE L’APPARITION
— L’IMAGE NUMÉRISÉE : UNE PRÉSENCE —
Les images composites traitées ici sont issues, on l’a déjà dit, d’éléments numérisés et
d’éléments générés sous ordinateur. Dans le cas d’une image numérisée, cas qui nous
regarde ici, des capteurs vont traduire à partir de données extérieures (peintures, photos
scannées) des nombres en images, il y a un codage de l’information pour une reconstitu-
tion de cette information. « ... la numérisation rompt la liaison - cette sorte de cordon
ombilical - entre l’image et le réel »8 Qu’il s’agisse de modélisation dans l’image de syn-
thèse ou de la numérisation de données - comme ci-présent - toutes deux sont caracté-
risées par un même processus de simulation. Il n’y a pas comme dans le cas de l’image
traditionnelle l’enregistrement d’une trace du réel (outil, pinceau, lumière) mais la reconsti-
tution du réel : sa simulation. Il ne faut donc pas oublier que la numérisation, sur laquelle
va porter la majeure partie de ce mémoire, est aussi une Simulation. La numérisation d’un
objet sensible - comme peut l’être le scan d’un bout de tissu - va surtout nous offrir hors
la simulation de l’apparence de cet objet dont la ressemblance obtenue tiendra surtout de
8. in La Technologie dans l’art : de la photographie à la réalité virtuelle p.136
l’illusion référentielle, une simulation concernant l’existence non-physique de cette image
qui nous apparaît . L’image numérique ou simulée brouille la distinction entre représen-
tation et présentation parce qu’elle ne résulte pas de l’enregistrement d’une empreinte
elle est « le résultat d’un processus où le calcul se substitue à la lumière, le traitement
de l’information à celui de la matière et de l’énergie ».9 Comme l’explique ce passage
théorique :
Conjointement, l’image numérique n’a pas de dimensions telles que
l’espace et le temps, et la matière de la représentation ou de la pré-
sentation survient au niveau de la médiation secondaire, c’est-à-dire la
simulation. Les caractéristiques constitutives des images numériques
se fondent sur la base des nombres et des symboles. Cela signifie que
par contraste avec les formes présentationnelles et représentationnel-
les de l’image, le numérique est un effet de simulation, ce qui signifie
qu’il peut aussi bien présenter ce qui est (physiquement) et ce qui n’est
pas.10
— LA SIMULATION COMME UN RAPPEL AU CORPS DU REGARDEUR —
L’image numérique se caractériserait en fonction de sa présence, d’une présence
simulée. COUCHOT distingue deux ordres : l’ordre optique, comme celui de la représentation,
et l’ordre numérique, comme celui de la simulation. Selon lui nous serions maintenant dans
l’ordre de la simulation. La simulation est un artefact humain, elle suppose que nous con-
9. Op. cit., p. 137
10. COUCHOT, (Edmond) in Dialogues sur l’Art et la Technologie autour d’Edmond Couchot, sous la direction de SOULAGES
(François), Paris, L’Harmattan, 2002, p.113-114.
12
naissions, puis imaginions bien les processus mentaux du « regardeur » pour produire un
phénomène physique qui si il possède une apparence illusoire est connu pour son caractère
artificiel et expérimental. La simulation est toujours la production d’un dispositif humain. Si
l’illusion tente de nous tromper, nous ne nous pouvons jamais nous laisser berner par la si-
mulation car c’est le propre de la simulation de nous permettre de maîtriser une expérience
qu’on sait artificielle et qui nous permet à la fois d’explorer le monde. Si la simulation dans
son acceptation première provoque l’illusion des sens du regardeur, un rappel à la réalité
s’effectue toujours par la contrainte du dispositif simulatoire nous ancrant au corps lui-
même. Le corps origine de notre lien au monde s’affirme comme étant le meilleur garant
de désillusion. Cette conscience par le corps rabat la simulation au statut d’apparition.
1.3 DE LA DISPARITION DU CORPS DE L’ARTISTE AU « GESTE INTERFACÉ » : PROLONGEMENTS THÉORIQUES
— EFFACEMENT DU CORPS ET HÉGÉMONIE DU VISIBLE, MODIFICATIONS DE PARAMÈTRES —
Dans l’ordre de la simulation, le langage programmatique analyse et reconstitue l’objet,
dans toutes ses dimensions spatiales et chromatiques et dans son mouvement. Il n’en pro-
pose plus une représentation mais une simulation capable de générer une infinité d’images
potentielles. Selon la terminologie de COUCHOT, l’ordre optique enlignait dans l’espace et
dans le temps le « Sujet », l’ « Objet » et l’ « Image », quant au nouvel ordre visuel, il remet
en question cet alignement et transforme « l’image-trace » en « image-matrice ». Le lan-
gage informatique s’est substitué à l’objet et à la lumière qui en émane. Un perception à
distance s’établit dans l’ordre de la simulation. De l’ancien ordre, l’ordre optique, celui du
13
tableau, la pensée Merleau-Pontienne nous offre une description :
... visible et tangible appartiennent au même monde. C’est une mer-
veille trop peu remarquée que tout mouvement de mes yeux - bien
plus, tout déplacement de mon corps - a sa place dans le même uni-
vers visible que par eux je détaille et j’explore, comme, inversement,
toute vision a lieu quelquepart dans l’espace tactile.11
Dans cet nouvel ordre de la simulation, la critique a longtemps insisté sur le fait que
l’hégémonie du regard a aliéné toutes les autres perceptions. Le tangible est chassé, le
corps se trouve réduit à être juste porteur de vision. Par ce qui se joue derrière l’écran d’or-
dinateur, la simulation, le corps est exclu de cette image qu’il ne saurait toucher. De plus,
il, ce corps, est aussi exclu de la fabrication des images.
C’est pour cela, que d’un point de vue terminologique, nous pouvons constater que
le terme fabriquer qui d’après Le Petit Robert signifie faire (quelque chose) par un travail
exécuté sur une matière ne semble plus convenir à l’image numérique qui est, rappelons-
le, cette image sans matière ... Nous lui préférons dans ce mémoire le terme de créer qui
indique selon le Littré, dictionnaire normatif de la langue française, « ...inventer, imaginer
en parlant de l’homme. Créer des mots », ou encore celui d’élaborer, qui prend en compte
cette notion de persistance dans le travail au sens de « faire subir un labeur, par un travail,
par une combinaison, une modification spéciale », et ne prend pas compte la notion de
matière.
11. MERLEAU-PONTY, (Maurice), le visible et l’invisible, suivi de Notes de travail, Paris , Gallimard (23 janvier 1979), p.177
14
— LA DOIGT QUI CLIQUE COMME UNE MÉTONYMIE DU CORPS QUI S’EFFACE —
Ce que je remarque subjectivement, c’est que mon corps entier ne suit plus
le chemin de ma pensée pour être amené vers l’image, comme le peintre de tout
son corps épousait sa toile, juste ma main s’active, du bout des doigts, dans un
périmètre réduit entre l’écran d’ordinateur et le bureau, à cliquer sur la souris.
Pour MERLEAU-PONTY ce qui intéresse l’artiste c’est l’énigme de la perception, le peintre ne
pourrait pas peindre s’il n’avait pas de corps. « C’est en prêtant son corps au monde que
le peintre change le monde en peinture »12. Dans le cas de la création d’image numérique,
l’auteur n’est pas le peintre dont MERLEAU-PONTY parle, la presque totalité de son corps est
exclue de ce point de rencontre entre lui et la machine, immobilisé à l’extérieur de l’écran.
Le corps tout entier est relégué au bout du doigt qui clique. Le doigt devient la métonymie
de ce corps qui s’efface. C’est à ce point de rencontre pensé et transmué en techno-logie
pour instaurer le dialogue et l’interaction entre homme et machine où se situe ce que l’on
appelle l’interface homme-machine (I.H.M), invention récente qui date des années 1980.
Avec les pratiques numériques l’interface s’est interposée au contact direct du corps
de l’artiste et de l’œuvre, entre ce corps et cette machine productive d’images auxquelles
ce peintre ne pourra jamais toucher. Au delà de ce que l’interface a d’abord désigné, ce
que JEAN-LOUIS WEISSBERG appelle les « organes matériels de communication homme/machi-
ne » qui comprennent souris, clavier et autres appareillages, se tient la notion d’interface
graphique. L’interface graphique n’a pas toujours existé et date d’un long cheminement
qui va du couplage du moniteur vidéo à l’ordinateur par DOUGLAS ENGELBART EN 1963, puis à
12. in L’oeil et l’esprit
15
sa première proposition d’interface graphique à la fin des années 1970 qui allait permettre
une meilleur compréhension de l’utilisateur face au système informatique. L’ interface gra-
phique désigne à la fois les outils de navigation dans un programme multimédia ainsi que
l’organisation logique de l’application, telle qu’elle apparaît sur l’écran. Lorsque j’ai crée
sous photoshop ces images: c’est à dire détourage, rééchantillonage, utilisation
de filtres c’est sous cette figure d’interface graphique interactive qui me permet
« d’utiliser des actions » comme « prendre le pot de peinture » que je travaille.
— GRAMMATISATION DU GESTE ARTISTIQUE DANS LES SOFWARES AU DEVENIR DU GESTE INTERFACÉ —
Dans la retouche d’images, contrairement à la peinture de tableaux, le geste artistique est
saturé. Le geste artistique est limité physiquement à mouvoir l’objet-souris et à cliquer sur
un potentiel tapis de souris représentant un espace très réduit, il se trouve délesté de ses
opérations habituelles déléguées au software. On assiste dans les softwares à une gram-
matisation13 du geste artistique au sens où l’entend SYLVAIN AUROUX14 . Il est discrétisé et
comme le concept de discrétisation inclut toujours une perte, elle se manifeste ici dans la
disparition de la catégorisation des gestes au profit d’un seul et même geste pour l’utili-
sateur, le graphiste ou le musicien, que JEAN-LOUIS WEISSBERG appelle le geste interfacé. Le
geste artistique n’a pu lieu d’être. Loin d’être uniquement une régression sémantique ou
une atrophie du corps, STIEGLER croit à ce « devenir-doigt »15 de la main et de ses intentions:
« Le doigt manipule aussi les touches du magnétophone et le clavier alphanumérique 13. « La grammatisation est la production et la discrétisation de structures (qui trament des milieux préindividuels et des organisations transindividuelles » STIEGLER, (Bernard), De la misère symbolique: 1. L’époque hyperindustrielle, Editions Galilée, 2004, p.114. 14. cité par STIEGLER, Ibid. p.111 15. Ibid. p. 2216. Ibid. p. 22
16
pour une genèse algorithmique et digitale de formes, ce qui engendre de nouveaux
matériaux artistiques (plastiques tout aussi bien que musicaux) »16. C’est JEAN-LOUIS
WEISSBERG, qui dans la définition d’un nouvel vocabulaire critique a appelé ce couplage du
doigt et de la souris « geste interfacé » :
...c’est le mouvement manuel canalisé par la souris (ou plutôt asservi
aux contraintes de la souris : déplacement analogique contrôlé par
l’œil) qui mute en exploration visuelle guidée par la main. (comme
l’on éclaire avec une torche). Il y a court-circuit entre ce que désigne le
geste interfacé (soumis aux contraintes de la souris) et le regard, ceci
dans une seule et même nouvelle perception.17
1.4 CORPS IMAGINAIRE ET PROTHÈSE
En empruntant un concept de l’esthétique cinématographique, JEAN-LOUIS WEISS-
BERG va développer le concept de corps imaginaire acté. Le corps imaginaire serait ce que
j’imagine de mon corps naturel en sujet pris dans un dispositif spécifique. Le corps ima-
ginaire au cinéma se manifeste par le fait que devant un film nous devons oublier notre
corps propre pour adopter un corps imaginaire selon ESQUENAZI - celui que le film construit
pour nous. Si on ne peut pas se mouler dans cette proposition corporelle, on ne peut pas
comprendre le film. Cette idée est chaînée à celle de perception immédiate. Comprendre
un film, c’est explorer le corps imaginaire que le film nous propose. Situation radicalement
différente dans la perception à distance, le geste interfacé construirait un corps imaginaire
acté qui résulterait de ces nouvelles perceptions ressenties dans le mode dialogique, celui
17. WEISSBERG, (Jean-Louis), « l’image actée » in BARBOZA, (Pierre), WEISSBERG, (Jean-Louis), L’image actée scénarisations numé-
riques, parcours du séminaire, l’action sur l’image, Paris, L’Harmattan, 2006, p.59
17
de l’interactivité homme-machine.
La gestuelle informatique est profondèment infiltrée par la logique de la prothèse
que l’on retrouve tout au long de l’invention technique humaine, ainsi FELIX GUATTARI dans
Chaosmose écrit :
Si nous déconstruisons un marteau en lui ôtant son manche, c’est tou-
jours un marteau mais à l’état « mutilé ». La « tête » du marteau --
autre métaphore zoomorphe -- peut être réduite par fusion. Elle tran-
chera alors un seuil de consistance formelle où elle perdra sa forme
; cette gestalt machinique oeuvre d’ailleurs autant sur un plan tech-
nologique qu’à un niveau imaginaire, si l’on évoque le souvenir dé-
suet de la faucille et du marteau. Nous ne sommes en présence que
d’une masse métallique retournée au lissage, à la déterritorialisation
qui précède son entrée dans une forme machinique. Pour dépasser ce
type d’expérience, comparable au morceau de cire cartésien, tentons,
à l’inverse, d’associer le marteau et le bras, le clou et l’enclume. Ils en-
tretiennent entre eux des rapports d’enchaînement syntagmatiques. Et
leur « danse collective » pourra redonner vie à la défunte corporation
des forgerons, à la sinistre époque des anciennes mines de fer, aux
usages ancestraux des roues ferrées... Leroi-Gourhan soulignait que
l’objet technique n’était rien en dehors de l’ensemble technique auquel
il appartient »18
De ces « organes matériels de communication homme/machine », souris, clavier
et autres appareillages nous pourrions faire le rapprochement avec ce que UMBERTO ECO
considère comme des prothèses : caméras vidéo ou appareils photo qui nous aident à sai-
sir un fragment de réalité. Toutefois même si l’un de ces groupes techniques tient pour le
18. GUATTARI, (Felix), Chaosmose, ed. Galilée, Paris, Galilée, 1992, p.56-7.
18
premier de la fabrication des images et le second de la perception, HANS BELTING n’hésite
pas à ajouter : « La perception et la fabrication des images sont comme les deux faces
d’une même pièce (...) la fabrication des images est elle-même un acte symbolique,
puisqu’elle influe et façonne en retour notre regard et notre perception iconique. »19
ECO définit ces prothèses comme nous offrant:
... fut-ce de façon médiate, des données sensorielles dont autrement
nous ne pourrions disposer pour tenter une hypothèse perceptive. (...)
Piaget et Pierce ont démontré (notions reprises ensuite en neurophysio-
logie et en sciences cognitives) que des processus sémiosiques étaient
déjà « en acte » dans la perception. 20
Certes il est vrai que le corps s’efface pour se focaliser sur ce doigt qui clique, que ce
corps immobilisé devant l’ordinateur devient un corps prothésé. Mais en retour, à travers
ses interfaces, la machine nous remodele un autre corps. - il n’y a pas de corps absolu,
permanent et stable. Le corps est toujours en devenir - ce corps altéré que nous renvoie la
machine s’organise autour des nouvelles perceptions, des nouvelles synesthésies, qu’elle
provoque. Cette mutation perceptive EDMOND COUCHOT va l’appeler « sujet appareillé ». Il
désigne cet état perceptif dans lequel se trouve un artiste lorsqu’il manipule des techniques
plus précisèment figuratives. C’est en empruntant les méthodes d’analyses de MERLEAU-
PONTY sur la perception que COUCHOT va décrire cet état du moi appareillé : tous les appa-
reillages du sujet avec les dispositifs techniques se fait sur un mode perceptif impersonnel,
19. in Pour une anthropologie des images, p. 8 20. ECO, (Umberto), la production des signes, L.G.F - Livre de poche, 1992, p. 6
19
commun à tous les utilisateurs de ces techniques que COUCHOT appelle le mode du ON, à
ce mode s’impose un autre mode perceptif qui est propre à l’artiste en tant que sujet sin-
gulier irréductible à tout mécanisme et automatisme technique - le mode du JE que nous
explorons plus tard dans ce mémoire par la réinvention par les artistes de l’historia dans
les softwares.
1.5 DE LA DISPARITION DE L’EMPREINTE À L’ÈRE DU VISUEL : LA « DÉSACRALISATION » DE L’IMAGE
— L’IMAGE HORS TANGIBLE : UNE IMAGE SANS EMPREINTE —
Au vue de ces particularités, corps atrophié, nié, la thèse de HANS BELTING sème le trouble
« La fabrication des images est une conséquence de la connaissance que nous avons de
notre corps. ». En effet selon l’auteur, l’imaginaire réside dans la connaissance que nous
avons de notre corps et si l’art numérique « ...extrait l’homme de son propre corps, elle
l’en éloigne et elle l’en affranchit »21 nous postulons comme COUCHOT que « ... le corps est
têtu. On ne s’en débarrasse pas si facilement. »22
Dans l’image traditionnelle il était toujours question d’empreinte de corps dans la
matière du médium. La notion d’empreinte induit une connivence de l’icône et de l’index
« eicon » « eidolon », il s’agit d’une notion phénoménologique : nous adhérons à l’image
car nous nous y reconnaissons « je serais bien en peine de dire où est le tableau que je
21. in la Technologie dans l’art, p. 149
22. Ibid., p.149
23. in L’Œil et l’Esprit
20
regarde, je vois selon ou avec lui plutôt que je ne le vois ».23 En photographie argentique
la notion d’indice exprime une relation de connexion physique au réel : l’empreinte de la
lumière sur la pellicule photographique. L’imaginaire romantique de la peinture a été mar-
quée par l’empreinte du corps de l’artiste. DELACROIX voulait dominer sa toile. Le corps de
POLLOCK voulait se laisser guider par sa « psyché » dans se célèbres dripping. MERLEAU-PONTY
quand il parle de peinture ne cesse de citer VALERY : « Le peintre « apporte son corps » dit
Valery »24 . L’imaginaire de l’image traditionnelle s’était érigé dans le temps par les traces
qui peu à peu s’organisent sur le support grâce au corps de l’artiste qui se déplace et cir-
cule dans le réel et grâce au corps du spectateur qui retrouve dans ces mêmes traces (acti-
vant ses perceptions) le chemin d’éclosion de la re-présentation.
Cette dite « non-matière » de l’image numérique ne permet pas au corps de s’y
imprégner, on n’y lit plus cette coïncidence du corps de l’artiste et de son médium, nous
sommes subjugués par la techno-logie de ces nouvelles images ainsi HANS BELTING souligne
que :
Le monde ne nous est plus accessible autrement que par l’entremise
des médiums, comme Susan Sontag l’a démontré à propos de la pho-
tographie.(...) Dans l’image, la part qui revient au médium accapare
tellement l’attention qu’on ne sait plus y reconnaitre le « pont » reliant
l’image au corps qui la perçoit, mais qu’on la tient au contraire pour
la vraie nature de l’image. La consèquence c’est que le discours sur la
perception en devient plus abstrait que la perception elle-même, qui
demeure, quoi qu’on veuille, un phénomène corporel.25
24. Ibid., p.16 25. in Pour une anthropologie des images, p. 41
21
Quant à RÉGIS DEBRAY, il appelle ce monde décrié par BELTING « vidéosphère ». Éta-
blissant une distinction entre visuel et image, à cette époque où « ...de plus en plus les
médias nous parlent des médias »26, l’image se meurt et s’y substitue le visuel. L’image
ne s’ouvre plus sur autre chose à nous montrer, si elle a perdu selon la prophétie de WALTER
BENJAMIN son aura, cet aura n’a pas pour autant disparu mais entoure maintenant la figure
désolatrice de l’artiste. Triste sort où l’image n’a plus besoin d’être mais où le visuel « in-
dique, décore, valorise, illustre, authentifie, distrait mais ne montre pas. Il est destiné
à identifier le produit en une seconde, et non à être regardé pour lui-même. L’image
déstabilisait, le visuel sécurise. »27.
En disparaissant des images l’empreinte, nous a fait entrer dans l’ère du visuel. Nous
ne pénétrons plus au sein d’une image qui ne saurait jamais être totalement lue car « sa-
crée » mais d’un œil distrait nous lisons dans une satisfaction immédiate signes et graphis-
mes visuels.
Comment dans la production d’une image numérique exprimée dans ce mémoire
comme une apparition en transit qui ne prend pas corps dans le tangible, mais dont la nu-
mérisation opère comme une véritable « grammaticalisation du visible » au grand dam
de DEBRAY pour qui le visible ne doit pas être le lisible, lui rendre cette profondeur qui
chez DEBRAY semble perdue ? Comment en traitant l’image, c’est à dire tout ce qui concerne
l’après-numérisation, lui trouver cette empreinte qui permettrait d’y adhèrer ?
— LE MANQUE À L’IMAGE : LE PROBLÈME THÉORIQUE DE LA MATIÈRE, UN PROBLÈME ANCIEN —
26. DEBRAY, (Régis), Vie et Mort de l’image, édition Gallimard, Collection Folio,1992, p.416 27. Ibid., p. 325.
22
L’image numérique bi-face , en aval « moment simulé d’une matière absente » percepti-
ble lors de l’affichage sur l’écran et en amont traitement et flux d’informations, invisible à
nos yeux, se définit encore en fonction de ses manques et on trouve nombres de tentatives
théoriques de l’y réconcilier ainsi ANNE-MARIE MORICE parle d’une « matière logique » ou
encore JEAN PIERRE BALPE de « matière-concept » :
La matière de l’image numérique est une matière théorique. À l’op-
posé, par exemple, des collages cubistes qui poussent le souci de ma-
tière jusqu’à en intégrer des fragments, l’image numérique sait par
définition qu’elle ne peut jouer qu’avec son apparence. La matière de
l’image numérique est doublement construite, tout d’abord par son
concepteur obligé à des manipulations théoriques, par son lecteur en-
suite confronté à des illusions de matière qui s’affiche et qu’il ne peut
plus lire qu’à travers cette convention qu’il accepte ou rejette.28
Du « moment simulé d’une matière absente » à la notion de « matière théori-
que », la question de la matière continue de se poser, comme si il fallait immanquablement
définir l’image numérique en fonction d’une matière et donc en fonction d’un manque.
Depuis les Immatériaux les définitions tergiversant autour des termes de matière, non-
matière, ou immatériel dans les arts numériques ne cessent de nous questionner. Hors
qu’est ce que la matière ? Nous pourrions nous accorder à dire que la matière c’est le réel.
Hors qu’est-ce que le réel ? La matière a sans cesse été ramenée à la notion de substance,
notion qui traversera toute l’histoire de la philosophie à partir d’ARISTOTE, et que BACHELARD
dénoncera comme un parti pris philosophique qui aura été remise en cause par BERKELEY au
28. MORICE, (Anne-Marie), « Une image technologique sans nature particulière », in Synesthésie n°8, http://image.synesthesie.com/morice/index.htm.
23
profit d’une pensée originale du réel et que nous n’aurons ni l’ambition, ni la prétention
de retracer ici. Ceci dit c’est à BERKELEY que nous devons le concept d’ « immatérialisme
». Prolongeant et radicalisant l’empirisme de JOHN LOCKE, BERKELEY nie l’existence de la ma-
tière pour affirmer que la seule réalité est celle qui est perçue par nos sens. La matière est
une abstraction qui n’a aucune concrétude, c’est une vue de l’esprit sans existence. Ce
qui existe, c’est l’immatière, perçue par nos sens et que nous traduisons en toutes sortes
de langages pour en relever la réalité. La seule réalité qui existe car : « Esse est percipi aut
percipere », exister c’est être perçu ou percevoir. La perception a été au cœur des travaux
de MERLEAU-PONTY, image-chair sa conception de l’image se trouve renversée ici par notre
nouvelle image, numérique, absente de sa chair du monde. Simulation et perception à
distance, elle est en étroite opposition de sa conception de l’artiste pour qui la retraçabilité
du monde qui l’entoure sur sa toile témoigne de sa perception brute deconceptualisée des
choses de ce monde.
1.2. L’IMAGE ABSENTE DE LA CHAIR DU MONDE
1.2.1 INOPÈRANCE DU TERME DE MATIÈRE
— LA MATIÈRE : UN DUALISME —
Actuellement si l’on cherche une définition du terme de matière on trouve vulgaire-
ment dans les dictionnaires ou les encyclopédies courantes que la matière est la substance
qui compose tout corps ayant une réalité tangible. Si l’on mène une brève archéologie du
24
terme de matière on peut se rendre compte qu’il s’agit d’une notion qui a été discutée en
philosophie tout au long de l’histoire de la pensée occidentale à travers plusieurs étapes :
Les anciens, les modernes avec DESCARTES puis la pensée contemporaine bouleversée par la
physique quantique qui aboutit à une conception invisible de la notion de matière résumée
ici par FLORENCE DE MÉRÉDIEU :
Les découvertes de le science contemporaine ont amené à reconsidè-
rer la notion même de matière. La nature corpusculaire de la matière,
si elle rejoint la vieille conception atomiste de Démocrite et de Lucrèce,
n’en ébranle pas moins la perception substancielle et chosiste de la
matière. Désormais ramenée à l’onde, au corpuscule, à l’electron, la
matière se voit en quelque sorte, sublimée, dématérialisée.29
Le mot matière peut être entendu en philosophie de deux manières différentes. Chez
les grecs anciens la matière s’opposait à la forme : en ce sens, la matière c’est ce dont
une chose est faite, c’est la substance d’ARISTOTE, to hypokeimenon, la causa materialis
des scolastiques. Les premiers penseurs à tenter d’élaborer un concept de matière furent
les philosophes ioniens, VIIe et VIe siècles av. J.-C. , puis par EMPÉDOCLE et HÉRACLITE, coïnci-
dant, le plus souvent avec les quatre éléments, dont l’un ou l’autre prédominait, auquel
EMPÉDOCLE avait joint, l’Amour et la Haine. La première forme de dualisme de la matière
et de l’esprit - la précision est nécessaire car d’autres types de dualismes sont possibles -
peut être attribuée à PLATON, Ve siècle av. J.-C.. Celui-ci oppose en effet le monde des Idées
intelligibles, des archétypes, et le monde des apparences, des ombres, monde des choses
29. MEREDIEU, de, (Florence), Histoire matérielle et Immatérielle de l’art moderne, Paris , Larousse, 2004, p. 36.
25
sensibles qui sont des copies imparfaites des Idées. Du point de vue « anthropologique
», PLATON distingue le corps qui attache irrémédiablement l’homme au monde sensible et
l’âme dont la partie supérieure est en mesure de contempler les Idées.
— DE DESCARTES À MERLEAU-PONTY : DE LA RES EXTENSA À « LA CHAIR DU MONDE » —
De PLATON à DESCARTES le dualisme allait de soi. Sur cette base DESCARTES va cadrer
une théorie de la matière qui s’oppose à l’esprit. Le philosophe opposait deux types d’être,
deux « substances » fondamentales différant par essence : la substance étendue « res ex-
tensa » – dont relève tout ce qui se donne à moi sur le mode de la sensation, à savoir non
seulement les choses qui m’entourent, mais également mon propre corps – et la substance
pensante « res cogitans », cet être « dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser,
et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle ». De
cette dichotomie entre les deux substances - la chose qui pense sans pour cela avoir besoin
d’occuper un espace et la chose étendue mais incapable de penser - découlent deux autres
distinctions : celle du sujet - l’être que je suis - et de l’objet - l’être qui n’est pas moi mais
me fait face - celle de l’âme et du corps.
MERLEAU-PONTY va réeccuser le cartésianisme. Pour lui DESCARTES substitue l’analyse
au réel, le concept au vécu. Pour MERLEAU-PONTY, il s’agit de sortir du cartésianisme en
formulant « une expérience du monde, un contact avec le monde qui précède toute
pensée sur le monde ». Alors que DESCARTES part d’une évidence logique - le cogito, « Je
pense, donc je suis » - mon existence propre étant la seule réalité dont je ne peux en aucun
cas douter – contrairement à la réalité de l’objet qui semble par certains aspects aussi fra-
26
gile que nos songes-, MERLEAU-PONTY part d’une évidence sensible : celle de notre être au
monde. La phénoménologie merleau-pontienne a pour fonction de revenir « aux choses
mêmes »: retrouver l’expérience originaire de la perception sous les modèles qu’on en a
construits et qui nous masquent ce qu’elle est vraiment dans la mesure où nous la voyons à
travers eux. En cherchant à percer le mécanisme de la perception, la science la reconstitue
avec ses idées sur elle, au lieu de s’installer en elle. Le rationalisme de DESCARTES mettait
en doute l’existence du monde, MERLEAU-PONTY au contraire s’appuie sur l’évidence de sa
présence – évidence qu’il nomme « foi perceptive » et qui ne saurait être niée que par un
artifice intellectuel.
Visible et mobile, mon corps est au nombre des choses, il est l’une d’el-
les, il est pris dans le tissu du monde et sa cohésion est celle d’une cho-
se. Mais, puisqu’il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de
soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont
incrustées dans sa chair, elles font parties de sa définition pleine et le
monde est fait de l’étoffe même du corps.30
Par ce corps pris dans ce tissu des choses et étoffe même à la fois de ces choses
MERLEAU-PONTY nous parle d’un concept de sa phenomènologie, la chair du monde. N’ap-
paraissant que dans Le Visible et L’invisible et ses Notes de travail ce concept reste ina-
chevé. Il désigne une forme de coincidence avec les choses, une texture, qui rend le corps
et le monde des choses indissociables. Devant cette pensée, l’inopèrance et l’étroitesse du
concept de matière de la pensée dualiste se fait sentir, chez MERLEAU-PONTY il est transcendé
30. in L’oeil et l’esprit p.19
27
largement par le concept de chair. Il n’y a pas d’acrobaties intellectuelles à priori pour se
définir existant, je ne pense pas avant d’être : je sens. L’homme est un être au monde qui
perçoit directement par son corps qui est touché et touchant, pris dans dans le tissu du
monde « ... cette chair de mon corps est participé par le monde, il la reflète, il empiète
sur elle et elle empiète sur lui »31 se fait sentir : « La chair n’est pas matière, n’est pas
esprit, n’est pas substance. Il faudrait, pour la désigner, le vieux terme d’élément »32.
1.2.2 LA CHAIR DU MONDE RÉDUITE À UN IDÉAL PHYTAGORICIEN ?
— LA CRISE DE L’IMAGE —
En se situant toujours dans cette perspective Merleau-Pontienne, poétique et philo-
sophique, et en continuant à percevoir l’image numérique en fonction de l’image peinte,
nous dirons que l’image numérique reste absente de cette chair du monde. Cette nou-
velle vision signe une crise qui rompt avec toute cette vision romantique de l’image-trace,
l’image « chair du monde » que partageaient nombre d’auteurs dont BARTHES, BAZIN, DE-
BRAY, HEIDDEGER. Ce qu’on entend par image ne sera jamais plus juste l’empreinte ni la trace
laissée par un corps physique sur une surface ou sur un autre corps. En fonction de cette
ancienne définition l’image numérique étale ses manques.
« Grammaticalisation du visible. » selon BERNARD STIEGLER sans fin, où est l’artiste
romantique dont parlait MERLEAU-PONTY qui offrait sa perception brute à la célèbration de
la chair du monde ? « C’est en prêtant son corps que le peintre change le monde en 31. Ibid., p. 302 32. Ibid., p. 30233. Ibid. p. 16
28
peinture »33 Image sans chair, l’image numérique brouille les distinctions habituelles entre
re-présentation et présentation, c’est une présence temporaire qui ne se joue plus que
sur le mode de l’apparition. Affichée dans son état transitoire sur l’écran elle est attachée
ontologiquement à sa surface de diffusion, appelée aussi image-surface, image-écranique,
nous ne percevons pas son invisibilité chiffrée. Sa nature oscille sans cesse entre visibilité et
invisibilité. C’est alors que RÉGIS DEBRAY dans Vie et Mort de l’image en pointant du doigt
ce qu’il appelle « la Bombe numérique » finit par se demander si cette chair du monde
transformée en un être mathématique comme les autres serait l’utopie de ces nouvelles
images ?
29
II . L’APRÈS-NUMÉRISATION:
INVENTER LA NOUVELLE TENEUR DE L’IMAGE NUMÉRIQUE
2.1 D’UNE « IMAGE TECHNOLOGIQUE SANS NATURE PARTICULIÈRE »
VERS UNE AUTODÉFINITION
2.1.1 REPRODUCTIBILITÉ, INSTABILITÉ : LES PRÉSUPPOSÉS PÊCHÉS DE L’IMAGE NUMÉRIQUE
— QUELQUES À PROPOS SUR LA NUMÉRISATION —
Rappelons-le, la numérisation est un procédé de codage de l’information qui se fait
par des chiffres en mode binaire. Elle est rendue possible par les capteurs que possèdent
30
les appareils photos numériques et les scanners qui vont transformer l’énergie lumineuse
reçue en énergie électrique jusqu’à un codage de l’information par le système numérique.
L’image numérique en résultant « ...est le résultat d’un calcul effectué par un ordina-
teur. Ses processus de fabrication ne sont plus physiques mais computationnels, lan-
gagiers. »1. Dans sa forme perceptible sur l’écran d’ordinateur, l’image numérique : « ...
se présente sous l’aspect d’une matrice à deux dimensions de points élémentaires
lumineux et colorés - les pixels - coïncidant exactement avec une matrice numérique
- dite « mémoire d’image » - qui contient les valeurs mathématiques (couleur et lu-
mière) attribuées aux pixels »2 Une image numérique appelée aussi BITMAP, se compose
d’une matrice de pixels disposant chacun d’une adresse individuelle dans la memoire vive
de l’ordinateur. Chaque pixel est manipulable à souhaits « La numérisation - le calcul,
donc - permet d’exercer un contrôle total sur l’ultime constituant physique de l’image :
le point, que l’on appelle pixel en synthèse d’image. Ainsi, les techniques de contrôle
de l’image sont-elles passées du plan à la ligne et de la ligne au point. »3
— LA NUMÉRISATION DE LA RÉALITÉ: LES MÊMES PROCÈS QUE LA PHOTOGRAPHIE —
Image instable, manipulable à souhaits, l’image numérique a tout de suite été sus-
pectée de tromperie. La photographie argentique, produisant des analogons de la réalité,
semblait capturer la réalité telle qu’elle était. Elle témoignait du « ça a été barthésien ».
On connaît le mot d’ARAGO à la chambre des députés en 1829, convoquant pour défendre
1. COUCHOT, (Edmond), HILLAIRE, (Norbert), « L’art numérique : comment la technologie vient au monde de l’art » p.23 2. Ibid., p.23 3. COUCHOT, (Edmond), « La mosaïque ordonnée ou l’écran saisi par le calcul », in Communications n°48, 1988, pp. 79-87
31
le daguerréotype « l’exactitude » photographique » et qui confondait image et réfèrent.
Toutefois il s’agit d’un leurre typiquement occidental que raconte ici STIEGLER:
Bien avant que n’existe la photo numérique, les exploitations de la
possibilité accidentelle de la manipulation de la photo analogique
existaient, et elles se sont génèralisées au cours des dernières années
dans les médias de masse.(...) L’opinion publique a subitement pris
conscience de cette duplicité avec des affaires comme celles de Timi-
soara, de la fausse interview de Fidel Castro ou, plus énorme et plus
complexe, avec le role de la CNC durant la guerre du Golf 4
Avec cette image à la potentialité d’apparences multiples s’est substitué au « ça a
été barthésien » un « ça peut être numérique ». L’image numérique est de nature instable.
L’image numérique crée « son propre présent, parmi une quasi-infinité de présents pos-
sibles »5
À ses débuts l’image numérique a suscité défiances et controverses. On semblait lui
réitérer le procès fait à ses commencements à la photographie: image-machine, on accusait
ses défenseurs de technophilie. Actuellement, au fur et à mesure qu’elle va s’autodéfinir
dans son champ de création, l’image numérique semble se délivrer de ses atteintes à son
existence. REGIS DEBRAY explique dans Vie et Mort de l’image que la photographie com-
mença à entrer dans les musées et les photographes comme ATGET ou BRASSAI à être élévés
au statut d’artistes à ce moment dans les années 1970 où la vidéo entrait sur le champ de
la création contemporaine et canalisait la critique qui délaissa alors la photographie. Plus
4. STIEGLER, (Bernard), « L’image discrète » in DERRIDA, (Jacques), STIEGLER (Bernard), Échographies de la télèvision : entretiens filmés, Galilée, Ina, 1996, p. 169 5. in « la mosaique ordonnée ou l’écran saisi par le calcul »
32
la photographicité selon terme baudelairien gagnait en « dignité » en s’institutionnalisant
plus elle gagnait parrallèlement en « indiffèrence », et en entrant dans les musées elle
célèbrait sa mort. L’image numérique encore très peu institutionnalisée, mobilisant autant
les pratiques amateures que professionnelles, est en plein dans le berceau de la création du
moment, serait-elle cette image à laquelle on croirait au sens où l’entend REGIS DEBRAY ?
2.1.2 FACE À L’IMAGE INTANGIBLE : TOUCHER LA TENEUR DE VÉRITÉ ?
— LA TENEUR CHEZ BENJAMIN —
La numérisation a été au coeur des débats dès l’apparition des T.I.C : tout d’abord
vue en termes de reproductibilité, la numérisation aurait été perçue comme une menace
vis à vis de l’œuvre originale qui met en péril, comme l’a souligné WALTER BENJAMIN, la soli-
darité de son contenu et de sa forme mais aussi, fondamentalement, ce qu’elle entretient
avec son support en tant qu’il participe de sa texture. WALTER BENJAMIN nommait teneur
cette solidarité du contenu et de la forme.6 Dans Sens Unique7 il oppose « l’oeuvre » au
« document ». Le document reste pour lui une source didactique permettant de renseigner
les masses tandis que l’oeuvre enseigne aux artistes leur métier. À ce propos il et écrit :
« VI. Le contenu et la forme sont une même chose dans l’oeuvre d’art : « la teneur »
(...) Dans les documents la matière règne totalement ». « ...La teneur est ce qui est
éprouvé.(...) L’artiste va à la conquête des teneurs »8
6. Toutefois il est utile de préciser que BENJAMIN n’a pu finir d’élaborer ce concept de teneur et qu’il peut demeurer sous certains aspects dans ses écrits assez flou. 7. BENJAMIN, (Walter), Sens Unique, Enfance berlinoise, Paysages urbains, Paris, M. Nadeau, 1991, 313 p. 8. BENJAMIN, (Walter), Charles Baudelaire : Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme. Traduit par Jean LACOSTE. Petite bibliothèque Payot, 1979, 291 p.
33
Dans un essai d’une centaine de pages écrit en 1922 et publié en 1925 sous le titre «
Les affinités électives de Goethe » WALTER BENJAMIN va distinguer dans l’œuvre de l’écrivain
deux formes de teneur : la teneur de vérité de l’œuvre de la teneur chosale. La teneur
de vérité est ce qui reste et s’affirme au fur et à mesure que le temps passe tandis que la
teneur chosale s’amenuise et perd de son « essentialité ». Voici le passage où il développe
ses concepts de « teneur »:
Plus le temps passe, plus l’exégèse de ce qui est dans l’oeuvre étonne
et dépayse, c’est à dire sa teneur chosale, devient pour tout critique
tardif une condition préalable.
(...) Car, en se dissociant dans l’oeuvre elles décident de son immorta-
lité. En ce sens l’histoire des oeuvres prépare leur critique et augmente
ainsi la distance historique de leur pouvoir. Si l’on compare l’oeuvre
qui grandit à un bûcher, le commentateur est devant elle comme le
chimiste, le critique comme l’alchimiste. Alors que pour celui-là bois
et cendres restent les seuls objets de son analyse, pour celui-ci seule
la flamme est une énigme, celle du vivant. Ainsi le critique s’interroge
sur la vérité, dont la flamme vivante continue de brûler au-dessus des
lourdes bûches de passé et la cendre légère du vécu.9
Dans l’une des animations présentées, BARBIE rencontre MARIO BROS. Ces deux
figures populaires, MARIO BROS à l’image de BARBIE, issues de la mondialisation éco-
nomique et culturelle sont devenues des icones post-modern. Des artistes contem-
porains comme MARK NAPIER se sont ré-appropriés BARBIE où la poupée, scannée, apparaît
deformée par retouche numérique. Barbie déformées (distorted Barbies) a crée la dis-
9. BENJAMIN, (Walter), « Les Affinités électives de Goethe », in Essais 1. 1922-1934, Paris, Denoël 1983, p. 25-26.
34
The Distorted Barbies, images composites, MARK NAPIER, 1996.
35
corde à la maison MATTEL qui s’empressa de savoir, comme traditionnellement elle le fait,
si oui ou non il fallait intenter un procès à l’auteur. Bien sûr, il s’agissait d’une critique de
l’artiste quant à l’image toute puissante de BARBIE et ses dicktats de beauté occidentale
ainsi qu’une provocation vis à vis de l’empire MATTEL qui dans son agitation popularisa
l’œuvre et l’artiste. S’il s’avère un jour, quand les poupées se seront succédées, que l’on ne
sache plus très bien qui était BARBIE et que l’on ne sache plus tout à fait restituer la teneur
chosale rèsidant dans les œuvres critiques de ces artistes toutefois l‘on pourra trouver la
teneur de verité localisée ici dans cet effort à critiquer les diktats esthétiques d’une société
donnée, contre-pouvoir esthètique qui s’est exercée de MANET à nous jours. Ainsi sur Les
affinités electives de GŒTHE, à la recherche d’une teneur de vérité WALTER BENJAMIN écrit
que le contenu du livre : « apparaît comme un jeu d’ombres mythologiques déguisées
en personnages contemporains »10. La teneur de vérité est ce qu’il y a de spécifique à
l’œuvre d’art et est mise à l’usure du temps.
— PROPOSITION: « RETROUVER UNE NOUVELLE FORME DE TENEUR » —
Dans un article « De la teneur à l’hypertexture numérique de l’œuvre : l’esthétique
de la dissémination à l’ère de la reproduction multimédia. » datant de 2000/2001 ISABELLE
RIEUSSET-LEMARIÉ va réutiliser le concept de teneur. Elle va s’écarter progressivement des
problématiques liées à la reproductibilité comme il l’a été fait ici : « On examinera dans
quelle mesure, si l’on veut éviter l’écueil dualiste de la reproduction multimedia, l’en-
jeu de l’œuvre d’art est de retrouver une nouvelle forme de teneur dans la relation
10. Ibid., p. 45 11. http://biblio-fr.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d07/7rieusset-lemarie.html
36
qu’elle entretient avec sa texture numérique elle-même »11 pour laisser poindre la no-
tion de « texture numérique ». Quelle serait cette texture numérique qui assure la solidarité
du contenu et de la forme ? Au-delà de la situation spécifique où la teneur benjamienne est
évoquée dans un contexte de narration chez GOETHE, ISABELLE RIEUSSET-LEMARIÉ prècise que ce
qui relève de la teneur, et qui met en jeu « la spécificité de l’œuvre d’art, repose sur cette
relation organique par laquelle une forme signifiante s’incarne dans la matérialité
d’une substance qui ne saurait être considérée comme un simple support inerte dans
la mesure où elle participe au processus d’engendrement de cette forme. »12. Ainsi
tout en suivant la méthodologie d’ISABELLE RIEUSSET-LEMARIÉ, nous pourrions commencer par
nous poser plusieurs questions sur la future élaboration de ces travaux numériques : ainsi,
comment ces animations qui encadrent un récit et ces images fixes qui figurent
des scènes et des personnages ultra-contemporains, MARIO et BARBIE - ou encore un
pastiche littéraire d’une poésie de PRÉVERT que tous connaissent et ont appris en
primaire - vont prendre corps avec leur support ? Comment faire pour que le sup-
port numérique soit beaucoup plus qu’une vitrine du récit ?
2.2 TEXTURES
2.2.1 TEXTURE : LE DOUBLE-LIEN
— POUR UNE TEXTURE NUMÉRIQUE —
Une texture numérique serait donc une texture sans matière toutefois comme le ra-
12. Ibid., http://biblio-fr.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d07/7rieusset-lemarie.html 13. BEYAERT-GESLIN, (Anne), « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans l’oeuvre graphique de John Maeda », in Communication et Langages : Medias, internet, pub, graphisme, sociologie, formation, sept 2003 : edition Armand Colin, n°137.
37
pelle ANNE BEAYERT-GESLIN dans l’une de ses études13, la texture d’une image ne se confond
ni avec la matière ni avec l’empâtement, il n’y aurait donc rien de paradoxal à parler d’une
texture numérique. De plus, certains auteurs ont évacué toute notion d’épaisseur dans la
définition de la texture ainsi le Groupe µ en rendant compte des résultats de BELA JULESZ
relatifs aux lois statistiques de production des textures, distingue les textures selon leur
luminance et leur granularité et donne cette définition de la texture : « ...la texture d’une
image est sa microtopographie, constituée par la répétiton d’élèments [ élèments que
le groupe appelle les texturèmes . Il s’agit d’une propriété de la surface, au même
titre que la couleur ».14
Il s’agit d’une nouvelle typologie de texture dans le sens où avant l’apparition des
technologies de simulation graphique la texture n’existait pas en dehors de la dite « ma-
tière » : dans le paradigme de l’image comme empreinte, la texture était donnée en pein-
ture par la répétiton d’une touche uniforme du peintre sur une suface donnée tandis qu’en
photographie argentique il s’agissait de traces lumineuses mises en vigueur par la granula-
rité de la surface du papier photo-sensible.
À l’origine, le terme texture partage avec le mot texte la même racine latine Textus
signifiant littéralement « ce qui est tramé, tissé », comme l’indique le dictionnaire nor-
matif Littré de la langue française, paru entre 1872 et 1877, texture désignait d’abord :
« 1. Action de tisser. / État d’une chose tissue » puis « Dans le langage didactique, la
disposition, l’entrelacement des parties qui composent un corps. [...] 3. En termes de
littérature, la liaison des différentes parties d’un ouvrage etc... La texture d’une pièce
14. GROUPE Traité du signe visuel : pour une rhétorique de l’image, Paris, Seuil, 1992, p. 197.
38
de théâtre ».
Comme on le voit texture - le terme - s’est très vite détaché des dénotations pures et
simples le renvoyant à une qualité physique. La texture est devenue une métaphore usitée
en littérature : « La théorie actuelle du texte se détourne du texte-voile et cherche à
percevoir le tissu dans sa texture, dans l’entrelacs des codes, des formules, des signi-
fiants, au sein duquel le sujet se place et se défait, telle une araignée qui se dissou-
drait elle-même dans sa toile »15
D’après BENJAMIN et LEUMARRIÉ la teneur de l’œuvre numérique se comprend dans
cette relation drûment tissée, la texture, qui va lier organiquement contenu figuré et sup-
port électronique. Entre métaphore littéraire, concept philosophique et à la fois propriété
de surface la texture est en proie à un double-lien et se rapproche des questions théori-
ques qu’à travers le trait, HUBERT DAMISCH dans Traité du trait - par emprunt à WITTGENSTEIN
(Tractatus logico-philosophicus) - aborde , par exemple le concept de“trait”: qu’est-ce que
le concept de “trait” nous donne à voir dans un dessin? Et surtout, là où nous sommes
concernés: de quelle conséquence un concept peut-il être sur notre vision ? Comment un
concept en vient-il à passer dans ce qu’on voit ?
2.2.2 UNE TEXTURE DITE « OSTENSIVE » COMME SPÉCIFICITÉ DU SUPPORT NUMÉRIQUE
— PETITE ARCHÉOLOGIE DE LA NOTION DE TEXTURE :
DE LA PEINTURE AUX NOUVELLES IMAGES —
15. BARTHES, (Roland), « Théorie du texte » in Dictionnaire des genres et notions littéraires, Paris, Éd. de l’Encyclopaedia Uni-versalis.
39
Dans l’histoire de la peinture, l’étude de la texture a toujours eu une dimension ancillaire
en comparaison de la couleur. Habituellement on va distinguer la texture réelle de l’œuvre
d’art de la texture représentée. En arts plastiques la texture désigne le rendu de la qualité
d’une surface, dans l’histoire de la peinture elle a été longtemps liée à la mimesis. La tex-
ture est dans le langage merleau-pontien la couche première de la perception. Comme le
rapporte ANNE BEYAERT-GESLIN, le biologiste NINIO sans jamais dénommer la correspondance
intersensorielle, développe une conception synesthésique de la texture fonctionnant par
transposition visuelle. En Infographie 3D il existe une vaste production d’objet-textures :
pour subvenir aux besoins de vraissemblance necessités par les objets modelisés en image
de synthèse de nombreuses textures hyperréalistes sont créées sous photoshop simulant
l’aspect du chrome, le grain du sable, le velour. Photoshop qui est un logiciel d’imagerie
bidimentionnelle se prêtre très bien à la création de ces texture simulée s.
Génèralement la texture implique la répétition assez rapprochée d’un ou de plusieurs
éléments. ISABELLE RIEUSSET-LEMARIÉ va signaler deux versants de la texture compris dans
l’histoire des arts :
Le « rendu réaliste » de la texture de la surface de l’objet représenté
passe par le choix de la texture picturale et de la « touche » qui va per-
mettre de donner l’illusion de la présence de la texture simulée. L’ap-
proche traditionnelle en arts plastiques exacerbe cette opposition en
donnant deux définitions de la texture : la première désigne la texture
de la surface réelle de l’oeuvre d’art tandis que la seconde se réfère à
la surface de l’objet représenté par le peintre.16
16. in « De la teneur à l’hypertexture numérique de l’œuvre : l’esthétique de la dissémination à l’ère de la reproduction multi-média. »
40
Ces deux définitions de la texture correspondent effectivement à ce que ANNE BEYAERT-
GESLIN dans son acceptation merleau-pontienne va appeler « chair de la peinture » (texture
réelle de l’œuvre d’art) et où la texture représentée se voit comme une fiction représenta-
tive de la « chair du monde »:
L’une qui définit l’apparence d’un objet représenté – fruits, fleurs ou
ailes de mouche –, ce qui se laisserait décrire comme « la chair du
monde », l’autre qui renvoie à une propriété de surface du tableau,
c’est-à-dire la « chair de la peinture ». D’un côté, la texture est une
fiction du monde offerte à la perception ; de l’autre, c’est une pro-
priété de la surface. L’une qui définit l’apparence d’un objet représenté
– fruits, fleurs ou ailes de mouche –, ce qui se laisserait décrire comme
« la chair du monde », l’autre qui renvoie à une propriété de surface du
tableau, c’est-à-dire la « chair de la peinture »17 .
On va le remarquer, quand ANNE BEYAERT-GESLIN apprèhende les effets texturaux dans
l’image numérique c’est aussi à travers un imaginaire pictural qui l’a menée de la peinture
aux nouvelles images. Dans les analyses sémiotiques qu’elle nous livre autour du phéno-
mène textural, ANNE BEYAERT-GESLIN va opposer un régime de représentation de la texture
- la texture représentée et chair du monde - à un régime de présentation ou d’ostension
- la texture comme chair de la peinture -. L’ostension est comprise ici dans son registre sé-
miotique, UMBERTO ECO la définit ainsi :
L’ostension a lieu quand un objet ou un évènement donné, produit de 17. BEYAERT-GESLIN, (Anne), « Texture, couleur, lumière et autres arrangements de la perception », in Lumières,www.erudit.org/revue/pr/2003/v31/n3/008439ar.html, Volume 31, numéro 3, hiver 2003, Département des arts et lettres - Université du Qué-bec à Chicoutimi.
41
la nature ou de l’action humaine (intentionnellement ou inintention-
nellement), fait parmi les faits est selectionné par un individu et dési-
gné pour exprimer la classe des objets dont il est membre. (...) C’est
un langage purement ostensif qui a été décrit par Swift à propos des
sages de l’île de Laputa, qui transportaient dans un sac tous les objets
dont ils voulaient parler.18
Ainsi si je veux citer cette couleur rouge et que je ne peux l’exprimer parce que, soit je n’en
connais pas le mot, soit je ne parle pas la même langue que mon interlocuteur, et que je
montre cet objet de couleur rouge en guise de définition, j’ai procédé à une définition par
ostension, c’est la première convention employée par deux personnes qui ne connaissent
pas le même langue. La texture ostensive est « ...en même temps le signifiant et le réfè-
rent d’un acte référentiel »19.
Même si l’image simulée brouille les distinctions entre re-présentation et présenta-
tion et que celles-ci n’arrivent qu’en niveau secondaire, au fur et à mesure que la nouvelle
image cherche à se définir face au champ de l’art, des artistes explorent l’imaginaire pictu-
ral à la recherche d’une grammaire visuelle autonome de l’imagerie numérique , démarche
en concordance avec l’esthétique d’ARDORNO pour qui chaque art doit s’interroger sur sa
spécificité en en contemplant un autre.
— UNE TEXTURE « SPÉCIFIQUE » —
Nous verrons que l’on trouve dans les « tableaux numériques » de FLORIAN SCHNEIDER
cette notion de texture ostensive. FLORIAN SCHNEIDER est le lauréat du prix d’image numéri-
18. ECO, (Umberto), la production des signes, L.G.F - Livre de poche, 1992, p.79 19. Ibid., p.79
42
Peintures numériques, images composites, FLORIAN SCHNEIDER, 2004.
43
que ARCIMBOLDO 2004 qui a été suivi d’une exposition à la Maison Européenne de la Pho-
tographie à Paris en 2004 intitulée « Peinture numérique ». Son travail numérique s’inscrit
en regard de la peinture. Toujours dans ses analyses sémiotiques du phénomène textural,
certains peintres note ANNE BEYAERT-GESLIN ne cessent d’entremêler les deux acceptions,
la texture représentée et la texture ostensive. À titre d’exemple, elle évoque les portraits
du peintre britannique GLENN BROWN, dérivés d’oeuvres célèbres, « qui, en exagérant les
contrastes texturaux et chromatiques, confondent la chair de la peinture et la chair
de l’être représenté : le visage peint d’après l’autoportrait de Rembrandt est-il affligé
de profondes cicatrices ou s’agit-il des marques d’une énonciation? »20 Par parallé-
lisme, on pourrait dire que FLORIAN SCHNEIDER semble se situer dans cette même démarche :
des textures simulées occupent les surfaces figurant masses de cheveux, zones charnelles
mais défient toute vraisemblance. La texture numérique dépasse l’idée de ressemblance
: dans un régime ostensif elle se montre dans toutes ses possibilités : irriguée de couleurs
et d’effets non-naturels, elle afflue. Il est certain, que outre la référence à la peinture et à
une « simulation de la chair de la peinture » et bien plus, on assiste à une présentation du
numérique textural, a une ostension de ses spécificités.
— RE-PRÉSENTATION & PRÉSENTATION : MISES EN ABîME, QUESTIONS ET JEUX —
La texture ostensive est ce que l’art pictural du XXe siècle nous lègue en laissant pas-
ser la Présentation devant la Re-présentation. Ainsi quand la peinture fût délivrée de son
rôle de faiseuse d’images par la photographie, le peintre « s’est vu contraint d’abandon-
20. in « Texture, couleur, lumière et autres arrangements de la perception ».
44
ner un territoire qui a été le sien pendant plus de cinq siècles, pour s’engager dans la
quête inlassable de ce qui lui serait propre et qui se rétrécit toujours »21 Dès MAGRITTE,
le déictique - comme l’appelleraient les linguistes - du « Ceci n’est pas une pipe », c’est à
dire le « Ceci », pointait l’index vers la représentation - il présentait tout d’abord l’image
à la fois comme distincte de son réfèrent - et faisait émerger la présentation comme une
forme artistique plastique où les mots avaient toute leur légitimité. De DUCHAMP avec sa
célèbre Foutain jusqu’à BROODTHAERS l’art se fait présentation comme par une tradition
toute neuve. ANNE BEYAERT-GESLIN voit dans l’œuvre de JOHN MAEDA une réappropriation du
concept de ready made :
À la recherche de « l’unité programmatique parfaite », Maeda s’est
intéressé au pixel lui-même, dont il a mis à jour le caractère rayé, basé
sur « des petits éléments rayonnants rouges, verts et bleus de forme
oblongue ». L’artiste s’est également approprié des objets du monde
naturel pour se doter d’une version personnelle sinon du « ready made »
de Duchamp du moins des « objets trouvés » (Louise Bourgeois). C’est
le cas de ces ordinateurs Sony ou des capuchons de feutres de la mar-
que TOO, pris pour unité programmatique de l’affiche.22
Les nouvelles formes artistiques virtuelles s’emparent d’une mise en abîme
des concepts : ainsi dans « Comment attraper un pixel », je peins un tableau et y
convoque donc la question la Re-présentation, enserrée dans ce film numérique,
inversion du temps, inversion des valeurs. C’est d’un carré, métaphore du pixel
21. COUCHOT, (Edmond), La Technologie dans l’art: de la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 2002, p. 19. 22. BEYAERT-GESLIN, (Anne), « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans l’oeuvre graphique de John Maeda », in Communication et Langages : Medias, internet, pub, graphisme, sociologie, formation, sept 2003 : edition Armand Colin, n°137.
45
dont je me suis emparée dans « Comment attraper un pixel ? », carré se baladant
dans le ciel du film qui opère aussi comme un « objet trouvé ». Les premières
images de l’animation s’ouvrent sur un texte « filmé » composé de deux lignes de
textes : « Les aventures du pixel rose présentent » séparé par deux points de ponc-
tuation « Comment attraper un pixel ? ». La différence de couleurs et de tailles
des polices des deux expressions signalent d’emblée que l’on a affaire à deux in-
formations différant.
Ce texte filmé, « Les aventures du pixel rose présentent...» collé sur cet in-
tertitre - ou encore carton - est directement emprunté à une esthétique du cinéma
muet. On pourrait lui substituer la marque d’apposition - on y pense directement
- d’une boite de production célèbre dès débuts du cinéma comme « la warner
compagnie présente ». En en empruntant la forme plastique - l’intertitre au fond
noir et ornementé de blanc - Les aventures du pixel rose en emprunte aussi le
mécanisme de légitimation. « Les aventures du pixel rose présentent » pointe
l’index vers le pixel, cette unité d’affichage dont les mesures sont d’environ un
demi-millimètre sur un demi-millimètre et dont trois luminophores (ou phospho-
res), émetteurs de lumières rouge, verte et bleue, disposés côte à côte dans le
sens horizontal, composent approximativement un carré. Cette unité, comme le
dit si bien la définition, se perd dans la banalité des milles autres unités générées
en masse par l’ordinateur, pour en être tirée et pointée du doigt par cette forme
présentative : « les aventures du pixel rose présentent ». Derrière « Les aventures
du pixel rose présentent », renforcé par le pluriel de « présentent » semble ce ca-
46
cher toute la multiplicité d’une boite imaginaire de production. Ici le pixel - cette
banale unité d’affichage - est ready made. Dans notre époque postduchampienne
le film ici - ce défilement d’images de droite à gauche - fait office de présentoir
au pixel, le pixel de ready made et « Les aventures du pixel rose présentent » se
substitue au présentateur et à son « Ceci est de l’art ».
Les nouvelles technologies dans leurs manifestations artistiques ont assimilé tout un
pan de l’art du XXe siècle, qui comportait la volonté de DUCHAMP « d’abolir les frontières
entre l’art et la vie ».
— L’AUTORÉFÉRENTIALITÉ, MÉTHODE POUR LA DÉFINITION D’UN SYSTÈME AUTONOME —
Héritier de DUCHAMP, dans les années 1960 avec l’art conceptuel l’objet d’art ne se
réfère plus qu’à lui-même et la peinture commence par se passer de réfèrent extérieur.
Comme CLÉMENT GREENBERG va le théoriser dans les années 1950 la peinture moderniste se
doit d’être une présentation de ses spécificités. Pour GREENBERG l’essence ou le domaine
propre de chaque art coïncide avec tout ce que la nature de son médium a d’unique et qu’il
ne partage pas avec aucun autre art. C’est la « spécificité » du médium qui est à explorer.
Selon ses conceptions la spécificité de la peinture reste la surface plane ou la planéité.
Pour moi, l’esprit moderne se définit par l’intensification, l’exacerba-
tion presque de cette tendance à l’autocritique dont Kant est à l’origine
(...) selon moi, l’essence de l’esprit moderne se définit par l’utilisation
de certaines méthodes propres à une discipline pour critiquer cette dis-
23. GREENBERG, Clément.- « la peinture moderniste » in Art en théorie 1900-1994 : une anthologie, HARRISON, (Charles), Paul Hazan. p.831
47
cipline elle-même, non pas dans un but subversif mais afin de délimiter
son domaine de compétence.23
L’emprunt à GREENBERG s’arrêtera à cette notion d’autoréférentialité. Ses théories
considérées comme dogmatiques ont été mises à mal à l’apparition dès pratiques FLUXUS
et de la vidéo qui ne prenaient pas en compte l’obsession greenbergienne de la spécificité
et hybridaient les genres. Actuellement l’hybridation se trouve être un substrat de l’art
numérique sur lequel les nouvelles images techniques ont poussé. L’une des situations de
l’autoréférentialité est l’autopoïèse. Le terme autopoïèse vient du grec auto (soi-même), et
poièsis (production, création). Il définit la propriété d’un système à se produire lui-même.
Dans le domaine artistique l’autopoïèse concernera la délimitation d’un domaine pas ses
moyens propres vers la conquête de son autonomie.
2.3 DE L’AUTORÉFÉRENTIALITÉ TRANSCENDÉE PAR LE COMIQUE DE SITUATION
2.3.1 LE PIXEL: UN CARRÉ OUVERT SUR LES SYSTÈMES DE REPRÉSENTATION
— CITATIONS, REDONDANCES —
La spécificité de l’image numérique sa texture pixellaire, est une texture constituée
de la répétition d’unités semblables, les pixels. Nous dirons que l’image numérique est tis-
sée de pixels. Si sous photoshop j’agrandis avec l’outil « loupe » une photographie
numérique je peux voir que l’image se compose d’une multitude de pixels que je
perçois « carrés ». ANNE BEYAERT-GESLIN décrit ainsi cette vision:
48
...l’unité programmatique implique cependant un point de vue rappro-
ché. Elle suppose un changement de focale, un balancement entre le
point de vue rapproché qu’exige la partie et ce point de vue plus éloi-
gné qui permettra d’intégrer le tout dans le champ visuel et autorisera
son identification. Tendue entre une visée locale et une visée globale,
la partie et le tout, l’attention visuelle de l’observateur est intensément
activée.24
Habituellement on nous figure le pixel sous une représentation carrée. Or et à ce
propos, l’artiste informaticien JOHN MAEDA nous avertit que : « Le vrai pixel moyen, celui
que l’on peut trouver sur un affichage cathodique, n’est jamais parfaitement carré,
il est plus flou qu’autre chose »25. Le pixel carré est une convention du numérique. En
sémiotique visuelle il correspond à un un signe. En sémiologie saussurienne on dirait que
le pixel est un signe dont le signifiant nous est donné sous une représentation carrée. : «
Le signe est utilisé pour transmettre une information, pour dire ou indiquer une chose
que quelqu’un connaît et veut que les autres connaissent également »26. Ses signifiés
sont polysémiques et on en trouve un certain inventaire dans ce descriptif d’ANNE BEYAERT-
GESLIN :
Si ce schème carré se conçoit alors globalement comme une méta-
phore du tableau, il évoque en outre, par sa récurrence, des mouve-
ments tels que le Suprématisme, le Constructivisme ou l’Abstraction
géométrique. Une telle filiation rappellerait très simplement que bien
avant l’invention de l’ordinateur, des artistes recherchaient une repré-
24. in « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans l’oeuvre graphique de John Maeda » 25. MAEDA, (John), NEGROPONTE, (Nicholas), Maeda@Media, Paris, Thames & Hudson, 2006, p. 66-67.
49
sentation systématisée du monde à partir de la géométrie élémen-
taire. S’il impose certaines ressemblances, ce carré insistant se conçoit,
de façon plus essentielle, comme une convention du numérique, une
forme contrainte qui détermine l’énoncé. John Maeda a souligné cette
prégnance de la forme angulaire (esthétique du pixel)27
Dans un article intitulé « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans
l’oeuvre graphique de John Maeda » ANNE BEYAERT-GESLIN remarque en cette forme con-
trainte du signe iconique /pixel/ ouvre de nombreuses citations comprises dans l’art mo-
derne ; dans Journal d’un explorateur du numérique MAEDA va expliquer ses influences :
Influencé par Kazimir Malevitch, l’un des premiers suprématistes rus-
ses, je voulais initialement intituler ce livre (Ode à Malevitch). Le cou-
rage qu’il a eu d’abandonner toute ornementation dans sa quête des
formes les plus simples , un carré tout seul par exemple, m’a amené à
envisager des carrés noirs qui n’existeraient pas que sur ordinateur.28
Il est intéressant de noter que LEV MANOVICH partage cette idée et qu’il voit une réinven-
tion du modernisme dans le software art, c’est à dire l’art sous logiciel, dans « Flash géné-
ration » il écrit :
En résulte un nouveau modernisme de la visualisation des données,
filets vectoriels, grilles larges d’un pixel, flèches: le design Bauhaus
au service du design de l’information. Au lieu d’un assaut Baroque de
médias commerciaux, la génération Flash nous offre une esthétique
moderne, et la rationalité du logiciel. Le design d’information est uti-
27. in « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans l’oeuvre graphique de John Maeda ». 28. MAEDA, (John), NEGROPONTE, (Nicholas), Journal d’un explorateur du numérique:Maeda@Media, Paris, Thames & Hud-son, 2006, 480 p.
50
lisé comme outil donnant du sens à la réalité, tandis que la program-
mation devient un outil de prise de pouvoir. [...] De manière stylistique,
beaucoup de travaux font implicitement référence au modernisme vi-
suel (John Simon semble être le seul jusqu’ici à tisser de manière expli-
cite des références modernistes).29
Le pixel est une métaphore visuelle extrêmement féconde qui permet en « Profitant
de la forme du carré, il [le pixel] peut en effet actualiser et rénover des systèmes de
représentation antérieurs construits sur une géométrie élémentaire : de l’archaïque
mosaïque au suprématisme de Malevitch »30 Nombreux sont les artistes qui ont usé de
cette forme visuelle ainsi, à propos du CD rom artistique Pixelismus réalisé par NIL YALTER,
, DAVID APIKIAN et NICOLE CROISET, NIL YALTER explique que cette œuvre fut inspirée par la vi-
site d’une église byzantine de la CHORA à ISTANBUL. De cette visiste elle retint les mosaïques
représentant les apôtres aux vêtements décorés de croix. Établissant une correspondance
visuelle entre ces croix et les formes suprématistes, notamment dans les œuvres de MA-
LÉVITCH elle poussa cette comparaison jusqu’à nos actuels pixels, qu’elle considère comme
une sorte de mosaïque virtuelle. NIL YALTER décida alors d’élaborer une œuvre explorant
des liens entre la mosaïque et le pixel confrontant les théories de MALÉVITCH sur la lumière,
la couleur et le mouvement aux nouvelles technologies. On le voit la matrice pixellaire
convoque des modèles archaïques comme la mosaïque. L. DÄLLENBACH a montré l’influence
de la mosaïque sur l’esthétique de la fin du vingtième siècle, celle-ci s’affirmant comme
un nouveau « modèle culturel » possible succédant au puzzle des années 1970 et 1980.
29. MANOVICH, (Lev), « Génération Flash », in Flashxpress, http://www.flashxpress.net/content/view/289/47/, 2004. 30. BEYAERT-GESLIN, (Anne), « Crénelage, capiton et métadiscours (où l’image numérique résiste à la ressemblance) » in Protée : L’archivage numérique : conditions, enjeux, effets, http://www.erudit.org/revue/pr/2004/v32/n2/011175ar.html, Volume 32, numéro 2, automne 2004, Département des arts et lettres, Université du Québec à Chicoutimi.
51
Pixelismus, cd-rom, captures d’écran, NIL YALTER, DAVID APIKIAN & NICOLE CROISET.
52
L’auteur a parfaitement souligné l’actualité du modèle, montré son importance pour l’art
contemporain et noté la coïncidence avec le mode d’élaboration des images par ordina-
teur, la temporalité de la mosaïque archaïque, objet promis à durer et apprécié comme tel,
rencontrant de façon paradoxale la temporalité instantanée du numérique.
— AUTOCITATIONS —
L’apparence formelle sous laquelle nous nous représentons un pixel, un quadrilatère,
un carré ou un rectangle le fait entrer en redondance avec des formes visuelles passées.
Ainsi le signe /pixel/ utilisé dans ces animations s’inscrit en réminiscence à la for-
me du cadre, du quadratto, du tableau de la renaissance italienne. Dans ces ani-
mations, outre ce « pixel volant » dans « Comment attraper un pixel ? » on trouve
pour parler en terme génèrique, la forme quadrilatère comme récurrente : tableau
que je peins pour attendre que le pixel arrive, transition marquée par l’incrusta-
tion en fondu enchainé d’une palette de bois dont la structure rappelle celle du
chassis et ouvre le récit sur une mise en abime de la peinture.
La forme carrée ou rectangulaire du pixel lui permet d’apparaître comme une « figu-
re hyperbolique »31 du multimédia qui réconcilie l’image programmatique avec les figures
de représentations antèrieures. Dans de nombreuses images la rectangularité devient une
forme de citation et d’autocitation du monde du multimédia à ce propos JOHN MAEDA émet
la remarque que : Le moniteur que nous utilisons est rectangulaire, les pixels qui le rem-
plissent le sont également, les fenêtres qui recouvrent notre interface, ses boutons,
31. in « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans l’oeuvre graphique de John Maeda ».
53
ses curseurs et ses commandes, tout est rectangulaire. L’écriture de tout programme
repose sur cette hypothèse fondamentale de la rectangularité32. Délivré de la mimesis,
comme le dit magnifiquement RÉGIS DEBRAY :
L’art s’est conquis contre l’aliénation, s’est grandi dans l’autonomie,
est mort d’autoréférence. (...) Le point d’inflexion de la courbe, juste
entre l’autonomie et l’autoréfèrence, serait peut-être l’autocitation. À
manier avec prudence, car elle fait justement passer chaque art de la
maturité à la virtuosité. Le miroir dans le miroir vide les salles, à la fin.
(...) L’image est vie, donc naïveté. Trop d’ironie peut la tuer. Narcisse
est un être de crépuscule, et le narcissisme un vice funèbre. À trop se
mettre en abyme on y roule.33
Rectangularité, pixel carré, écran et tableau, tableau dans l’écran et écran dans le
tableau, l’autoréférentialité est présente tout au long de cette démarche plastique. À la
conquête de son propre monde cette démarche reflexive comme toute démarche réflexive
pourrait s’épuiser à force de trop se contempler, comme le si magnifiquement DEBRAY, en
elle-même. Hors, l’apport du comique, irruption de l’étrangeté et du burlesque crée une
déchirure ou une ouverture vers un en-dehors de ce monde réflexif, en-dehors de ces jeux
formels. Se met en place burlesque, répétition sans fins des mêmes paroles dans Comment
attraper un pixel et absurde et grotesque sont convoqués dans cette rencontre entre
BARBIE et MARIO BROS. Dans son Essai sur l’autoréfèrence en Art, CHRISTOPHE GENIN fait du
comique une liberté que s’arroge l’art en dehors des contraintes et de toutes sortes de
determinations. Ainsi, particulièrement, le comique est ce en quoi :
32. in Journal d’un explorateur du numérique:Maeda@Media, p. 97 33. in Vie et Mort de L’image, p.90-91
54
L’art réflexif ne se déchire pas mais coïncide avec lui-même car ce ren-
versement montre qu’une prétention à l’Absolu peut-être relativisée et
signale l’indépendance de l’esprit non en se scindant de l’objet et du
particulier, mais en révèlant les absurdités inhèrentes à une situation
sociale, politique ou intellectuelle, tout en ironisant sur soi. (...) Il [le
comique] se présente comme un artifice décent pour faire admettre
une intolèrable vérité: le renversement des pouvoirs les plus assurés, la
reversabilité immanente du monde.34
2.3.2 LA NUMÉRISATION COMME PASSAGE TRANSACTIONNEL À L’HYBRIDE
— DE LA MORT DE LA PEINTURE À LA MORT DE L’AUTEUR —
Entre volonté d’autodéfiniton et réfèrences à des dispositifs antérieurs, la citation
de l’art pictural revêt une place particulière dans ce travail. L’animation « Pour faire le
portrait d’un pixel » introduit la figure romantique du tableau, depassée et dé-
suette. Cette citation de la vision romanesque du peintre du dimanche s’est faite
un exercice en soi dans l’art contemporain qui n’a cessé de convoquer la présence
de la peinture, un art dit « moribond ». Dans le dispositif burlesque de PIERRICK
SORRIN La Belle Peinture est derrière-nous un visiteur, en participant involontaire-
ment à l’oeuvre, filmé par une caméra cachée, est pris à partie par l’artiste par jeu
d’images interposées: “Poussez-vous! Je suis en train de regarder la belle peinture
qui est derrière vous...”. L’œuvre de SORRIN succède par reférence aux saynètes
34. GENIN, (Christophe), Essai sur l’autoréfèrence en Art, Paris, Kimé, 1998, p.349
55
photographiées de BOLTANSKY qui ironisaient avec poésie sur la figure lègendaire
de « l’artiste-peintre ». Les recherches structuralistes et BARTHES ont mis en pièces cette
notion d’auteur et l’esthétique kantienne et son concept de génie. « L’auteur est mort »
déclama ROLAND BARTHES. L’esthétique postmoderne est un concept forgé par JENCKS (1939-
) en 1972 en architecture et témoigne d’un éclectisme prononcé et d’une hybridation des
codes (classique, baroque). Dans La condition postmodern LYOTARD reprend le concept de
JENCKS et redéfinit le postmodernisme comme cette période où l’homme occidental consta-
te la chute des metarécits issus de la modernité . Le XXe siècle a vu les idéaux issus du siècle
des lumières périr : seconde guerre mondiale, crime contre l’humanité, faillite des systèmes
communistes. On ne croit plus à l’idée humaniste de progrès humain comme l’exprime
la célèbre question d’ADORNO : « Comment écrire de la poésie après Auschwitz ? » Tout
cela entraîne inévitablement des conséquences sur l’esthétique : on a dit la peinture morte
car ancrée dans une tradition picturale du portrait qui plaçait l’être humain au centre du
monde comme l’ont fait les théories humanistes.
— DE LA MORT DE L’AUTEUR : L’IMAGE EST FAîTE DE STRATES —
Caractérisée par un recyclage sans fin des formes du passé qui s’éprouve dans la ci-
tation, le pastiche, la parodie dans les arts et la littérature, les ruptures formelles d’un siècle
d’avant-gardes sont évincées au profit d’une relecture critique des œuvres du passé. Écho
aux théories structuralistes où là où la modernité plaçait l’auteur et son œuvre au centre de
son esthétique, l’esthétique postmoderne met en avant tout recyclage et toute inauthen-
ticité. L’œuvre est faite de strates auxquelles correspondent l’apport de plusieurs auteurs
56
et époques. « Le texte est fait d’écritures multiples, issues de plusieurs cultures »35 Pour
MANOVICH le développement des G.U.I - automatisation des copié-collés et des logiciels de
manipulation d’images comme photoshop- sont des logiciels postmodernes participant à
ce que l’auteur appelle une « logique de selection » génèralisée :
...en encodant les opèrations de selections et d’arrangement dans les
interfaces mêmes des logiciels de montage et de création, les nou-
veaux médias les légitiment [...] le Web agit comme une matérialisa-
tion parfaite de cette logique. Il est une gigantesque bibliothèque de
graphisme, de photos, de vidéos, de sons, de concepts, de codes infor-
matiques et de textes »36
Pour créer certaines de ces images j’ai du aller glaner sur google des visuels
de jeux vidéos première génération Mario Bros. L’acte est différent d’autres actes
d’acquisition comme une série de photographies numériques que j’ai prises pour
contribuer à l’élaboration de ces créations multimédias. Ces images numériques
sont faîtes de strates diffèrentes. L’artistique de l’acte appropriatif sur internet a
été mis en scène par « google : art, acte 1 » qui eut lieu à Paris à la galerie Kam-
chatka du 6 octobre au premier novembre 2006. Cette installation transposait le
résultat d’une recherche image, avec le mot-clé : art, sur les murs d’un espace,
quelques 6000 « tableaux » formaient une topographie de l’image-art du moment
sur le web. Dans la création de ces animations multimédias, les procédés d’ac-
quisition des élèments à incorporer diffèrent, qu’il s’agisse de photographies numériques
35. BARTHES, (roland), cité par BUREAUD, (Annick), MAGNAN, (Nathalie) (sous la dir.), Connexion, art, réseaux, médias, Paris , Ed. ensb-a, 2002, p.142 36. MANOVICH, (Lev), « la logique de la selection », in BUREAUD, (Annick), MAGNAN, (Nathalie) (sous la dir.), Connexion, art, réseaux, médias, Paris , Ed. ensb-a, 2002, p. 387
57
GOOGLE : ART, RAPHAËL DENIS, CHARLES PÉPIOT, ADRIEN LÉCURU, GABRIEL LÉGER, MARTIN GAUTRON
58
ou de scans d’objet, certaines images témoignent d’un projet de capture de la réalité et
constituent un acte photograhique tandis que les visuels MARIO BROS restent des créations
graphiques générés sous ordinateur et glanés sur google. L’animation finale est un assem-
blage homogénéisé de ces élèments provenant de natures différentes. Quant à la relation
qu’elles entretiennent avec ces élèments disparates réunis dans l’image pour tisser un fil
d’histoire, ces créations multimédias sont « hybrides ». Sont hybrides les œuvres :
...qui invitent à opérer une « transaction » entre des éléments ressentis
d’emblée comme hétérogènes [...] Nous réservons donc le terme d’hé-
térogène à l’objet décrit dans sa phase pré-transactionnelle et celui
d’hybride au même objet considéré dans sa phase transactionnelle ou
post-transactionnelle.37.
La numérisation est ce procédé transactionnel permettant le passage à l’hybride.
La numérisation va uniformiser scans de textures, visuels, photographies par un applatis-
sement des images, réduction à ce tout pixellaire qui n’est que la forme perceptible de ce
codage binaire de toutes informations, textes, images ou sons, indistinctement :
La numérisation, parce qu’elle semble mettre sur le même plan des
images, des textes, des données de calcul, oblige à penser le monde
dans une sémiotique génèral, comme Charles Peirce l’avait pressenti.
Yannick Maignien38
37. BATT, (Noël), « Que peut la science pour l’art ? » in L’Art et l’hybride, Vincennes, Presses Universitaires de Vincennes, coll. «Esthétique hors cadre», 2001, p.74-75. 38. MAIGNIEN, (Yannick). « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction numérisée » in L’écrit entre imprimé et électronique, http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/frontoffice/1996/01/document.xsp?id=bbf-1996-01-0016-002/1996/01/fam-dossier/dossier&statutMaitre=non&statutFils=non, 1996.
59
Une opération de numérisation prend en compte deux autres paramètres techniques
inséparables : la définition de l’image et sa résolution. La définition désigne le nombre de
pixels d’une image numérique tandis que la résolution définit le rapport entre la densité
des informations et les dimensions de l’image et peut-être remaniée en réechantillonnant
soit l’un soit l’autre. Plus ces paramètres seront élevés moins la matrice pixellaire sera visi-
ble et plus la ressemblance au réel sera atteinte. Toutefois, à l’inverse de cette volonté de
ressemblance qui pousse le high tech à aller toujours plus loin dans les définitions d’images
proposées, des artistes font des accrocs à l’image afin de clamer l’origine numérique de
l’image, sa texture pixellaire.
2.3.3 DE LA TEXTURE PIXELLAIRE COMME SIGNE ICONIQUE À LA DISCRÉTISATION ET AUTRES
REMANIEMENTS COMME SIGNE PLASTIQUE.
— LE FILTRE PIXELLISATION: LES « FAUSSES » DÉFAILLANCES DU NUMÉRIQUE —
Le remaniement de la résolution d’une image, c’est à dire sa diminution entrainera un effet
de pixellisation. On se représente habituellement la pixellisation sous la forme d’une image
fragmentée en petits cubes lumineux que sont les pixels or il ne s’agit que de l’image men-
tale que nous nous faisons de la pixellisation. La pixellisation poussée à son paroxysme va
créer des zones de flous, discrétisées. Le terme discrétisation nous vient de la cartographie
où elle désigne le découpage d’une carte en unités statistiques. En imagerie numérique
la discrétisation désigne l’échantillonnage discret d’une réalité continue: la numérisation
consiste au passage du monde réel - infini - au monde discret - fini -. Comme il est impos-
60
sible de rendre parfaitement la réalité continue en discrétisant, la discrétisation entrainera
forcément une perte. Plus on va discrétiser une image plus sa texture sera appauvrie.
En étudiant les publicités de JOHN MAEDA, ANNE BEYAERT-GESLIN remarque que l’ar-
tiste-informaticien procède à des accentuations texturales telles qu’elles témoignent d’une
activité métadiscursive39 qui clame là l’origine de leur modèle numérique. Loin d’être un
épiphénomène, un tel discours sur l’origine était une façon commune, pour GREENBERG, de
s’inscrire dans la modernité. Chez JOHN MAEDA la création de ces textures s’effectue par
la réitération du signe /pixel/ carré jusqu’à la création d’une icone - en sémiologie, icône
désigne l’image qui, s’articulant avec un sens, se rapporte à une entité physique ou sim-
plement représentative -. Ces procédés d’invention de textures sont donc bien loin d’une
réelle discrétisation. J’ai moi-même dans ces images crée des textures sous logiciel
qui sont tramées de multiples carrés et « trouent » l’image soudainement. Pour
créer ces textures, j’ai directement utilisé des filtres dont le filtre pixellisation qui
propose différentes options: fragmentation, mosaique, mezzo-tinto etc... Ce fil-
tre pixellisation sur un aplat de couleur bleue a fragmenté cet élément coloré en
une mosaïque d’unités carrées.
Les applications développées sous logiciel ont donc intégré les images mentales sous
lesquelles nous nous représentons par exemple un procédé de pixellisation, loin de n’être
qu’un simple appareillage virtuel nous permettant d’effectuer des « retouches d’images »
39. in « L’esthétique du pixel : L’accentuation de la texture dans l’oeuvre graphique de John Maeda ».
61
les logiciels regorgent de signes à utiliser. Les logiciels seraient des « extensions de notre
pensée », ainsi GOLAN LEVIN, élève de JOHN MAEDA au M.I.T écrit : «... poser la question
« L’ordinateur est-il un outil ? » n’a pas beaucoup plus de sens aujourd’hui que de se
demander si le langage est un outil »40, et JOHN MAEDA de spécifier « Ce n’est pas un
outil [l’ordinateur], c’est un nouveau matériau d’expression »41
— DE LA DISCRÉTISATION,
MOYEN D’ÉLABORATION DE TEXTURES AUX SIGNES PLASTIQUES —
La pixellisation est plus génèriquement une opération de crênelage.
Le crénelage est cet artefact qui traduit, par une forme d’escalier, la
perte de continuité d’un signal. Cette conversion de l’arrondi et de la
diagonale en angle, inhérente aux images à faible définition, peut être
compensée par une opération intitulée, selon le cas, anticrénelage ou
lissage. L’effet d’escalier est alors supprimé ou, à tout le moins, atté-
nué par un calcul des moyennes de tracés. restaurant ainsi courbes et
obliques.42
Rappelons-le : plus il y aura de pixels pour traduire l’aspect visuel de mon
image au « cm2 » plus la résolution de mon image sera élevée et meilleure sera
l’adhésion de la ressemblance de cette photographie au réel. Au départ j’avais
donc nombre de photographies numériques que j’allais retoucher et remanier
40. in Journal d’un explorateur du numérique:Maeda@Media, p. 140 41. in MAEDA, (John), Code de création, Paris, Thames & Hudson, 2004, p. 239 42. in « Crénelage, capiton et métadiscours (où l’image numérique résiste à la ressemblance) »
62
pour créer une composition finale. J’ai donc opèré sur certaines images un crê-
nelage volontaire obtenu par diminution directe de la résolution de l’image visant
à pixelliser l’image ou encore par l’agrandissement et l’étirement de parties et/
ou certaines surfaces choisies de l’image ayant pour résultat ce qui a été appe-
lées « défaillances du numérique » volontaires. Défaillances qui n’ont rien d’aléatoire
mais témoignent selon ANNE BEYAERT-GESLIN : « ... d’une stratégie discursive de l’énoncia-
teur .».43
Sans s’engouffrer dans une analyse trop pointue et mal maitrisée d’une discipline
comme la sémiotique visuelle dont la pensée ne cesse d’évoluer et qui risque de nous
emmener dans des impasses théoriques dont le but n’est pas ici de débattre nous lui em-
prunterons quelques concepts simples, de SAUSSURE au groupe . On peut remarquer
dans ces images numériques l’importance du signe iconique /nuage/. Numérisa-
tion, puis crênelage, filtre pixellisation, détourage à l’outil « baguette magique »,
mauvais « nettoyage de l’image », aléas techniques et volontaires, superposition
de textures déjà appauvries et fusion, toutes ces étapes d’élaboration de l’image
ont participé à la création de ces signes iconiques /nuages/ que l’on retrouve un
peu partout dans ces créations multimédias. Les signes /nuages/ sont donc issus
de textures appauvries.
Dans Super Mario Clouds CORY ARCANGEL a capturé les signes iconiques /nuages/ du
célèbre jeu vidéo Super Mario. Le signe iconique /nuage/ coloré de blanc, qui se découpe
43. in « Crénelage, capiton et métadiscours (où l’image numérique résiste à la ressemblance) »
63
Super Mario Clouds, Projection, CORY ARCANGEL
64
tout en arrondis sur un ciel bleu clair, est parcouru de quelques lignes courbes de pixels qui
allusionnent à l’aspect gazeux de l’enveloppe nuageuse que nous percevons habituelle-
ment. Ces nuages sont présentés dans un « Dirt Style » conformément à leur usage de dé-
part, visuels de jeux premières générations aux moyens graphiques réduits. Selon UMBERTO
ECO :
Si le signe [iconique] a des propriétés communes avec quelque chose,
il les a non avec l’objet mais avec le modèle perceptif de l’objet; il est
constructible et reconnaissable d’après les mêmes opérations menta-
les que nous accomplissons pour construire le perçu, indépendamment
de la matière dans laquelle ces relations se réalisent.44
Même si ces visuels ont été produits dans un style brut, tramé de pixels, on ne leur en re-
connaît pas moins un réfèrent, une idée du nuage. Ces images d’ « empyrée céleste » d’
ARCANGEL ne s’inscrivent pas moins dans une histoire de l’art allant des études de nuages
en peinture à l’huile de JOHN CONSTABLE, datant du XIXe siècle, aux Clouds (2001) de l’artiste
conceptuel VIK MUNIZ. Dans La théorie du nuage : pour une histoire de la peinture (1972)
HUBERT DAMISCH en analysant les ciels peints DU CORRÈGE propose une sémiologie de la pein-
ture qui découple le signe iconique, ici le nuage, de sa texture . Ainsi la texture nuageuse
- c’est à dire son traitement pictural qui tient de la « fabrication de l’image » - devient un
signe sémiotique à part entière : en sémiologie saussurienne on dirait composé d’un signi-
fiant et d’un signifié. Il amorce ainsi cette proposition théorique :
44. Eco, (Umberto), “Sémiologie des messages visuels”, in Communications n°15, 1970, p. 21.
65
Le traitement de l’image ne serait-il pas, bien plutôt, le signifiant, d’un
sens second, d’un message connoté correspondant au « style » de la
représentation, et qui se superposerait en quelque façon au message
dénoté, fondé celui-là sur l’imitation, sur une analogie entre signifiant
et signifié qui n’emporterait pas la position d’un code ?45
Trouvant une redondance quelques années plus tard dans les recherches du groupe ces
derniers ont établi une distinction fondamentale entre le signe iconique et le signe plasti-
que incluant « l’existence de signes à la fois visuels et non iconiques »46. Le signe plas-
tique, loin de n’être qu’une caractéristique formelle du signifiant du signe iconique, peut
se manifester sous des dehors divers : grain, texture, etc... Ce type de signe reste occulté
par de nombreux discours sur l’image, et ce de deux façons : tantôt il est considéré comme
signifiant du signe iconique, tantôt, ainsi que le développent certains théoriciens de l’art
abstrait, il est perçu comme dépourvu de toute valeur et de toute signification. Voilà com-
ment propose le groupe d’étudier le signe plastique:
Un énoncé plastique peut être examiné au point de vue des formes,
au point de vue des couleurs, au point de vue des textures, puis à ce-
lui de l’ensemble formé par les uns et les autres. Il faut en outre noter
que ces données sont coprésentes, de sorte que l’image est d’emblée
tabulaire.47
Nous nous ne mènerons pas ici une démonstration de sémiotique exhaustive et dans les
rigueurs de la discipline, nous constaterons seulement l’existence possible de signes plasti-
ques dans ces animations : textures de nuages obtenues par assemblage d’éléments
45. DAMISCH, (Hubert), La théorie du nuage : pour une histoire de la peinture, Paris, Seuil, 1972, p. 25-26. 46. in Traité du signe visuel : pour une rhétorique de l’image, p. 114 47. Op. cit., p. 189
66
de faible résolution ajustés et/ou fusionnés à coté d’éléments à haute résolution
qui conservent la trace d’un découpage maladroit et imprécis et laissent apparaî-
tre en bordure des pixels défectueux.
— DE LA MACULE COMME TAUTOLOGIE —
Différents nuages parcourent les ciels de mes images en mouvement. Les textures
capturées ont été défigurées volontairement par remaniement de la résolution :
ainsi si on identifie le signe iconique, la barbie, sa texture capturée a été appau-
vrie de telle façon, qu’elle n’est plus en aucun cas un analogon textural du plas-
tique de la poupée Barbie. Un conduit vert a été « étiré » de telle façon qu’il en
a perdu toute netteté et ne présente plus qu’une surface floue et poreuse. Je me
suis volontairement laissée aller à des remaniements texturaux tels que l’on pourrait les
qualifier de « macules ». Le groupe qualifie ainsi la macule: « ... la discrétisation plus ou
moins poussée de l’élément texturale, quand cet élément s’inscrit dans deux dimensions
seulement »48. Il s’agit donc de la discrétisation des texturèmes. Rappelons-que le groupe
écrit à propos de la texture « La qualifier de microtopographie implique en effet l'inter-
vention de deux paramètres que l'on pourrait nommer les texturèmes (comme il y a des
formènes et des chromènes) : celui des élèments répétés, qui sont des figures, et la loi de
la répétition de ces éléments »49. La discrétisation de ces signes plastiques auraient une
portée tautologique : toujours utiliser le même matériau, la texture pixellaire , discrétisée
jusqu’au paroxysme et ne travailler qu’avec le même matériau. Toutefois si l’étirement d’un
47. in Traité du signe visuel, p. 206 48. Ibid., p. 197
67
tissu/texture aboutirait sur un trou, une déchirure dans la toile, la texture numérique discré-
tisée, elle, ne se crève jamais. La boite noire de l’ordinateur recalcule automatiquement, ce
que l’on ose appeler juste pour ce paragraphe, cette matière simulée. Les apparences sont
trompeuses: si la macule apparaît discrétisée l’ordinateur n’en a pas pour le moins recalcu-
lée un « poids » en information. Ainsi la macule numérique est encore plus une tautologie,
problème ou processus dont on ne se sort pas, discrétisation à l’extrême elle ne se perd
jamais réellement.
Ces discrétisations volontaires, signes plastiques, c’est à dire signes visuels mais non iconi-
ques portent en eux-mêmes comme le disait ANNE BEYAERT-GESLIN à propos des textures de
JOHN MAEDA les trace d’une énonciation : celui du sujet JE que nous racontait COUCHOT en
amont des opérations du On-technique des softwares qui reconquiert au fur-et-à mesure
le droit à une composition sensée de corps assemblés, c’est-à-dire l’historia.
— L’ENCODAGE DE LA PRODUCTION DES SIGNES PLASTIQUES DANS LES SOFTWARES, « LA LOGIQUE DE
LA TRANSMISSION » —
Comme nous l’avons déjà vu précédemment avec « la logique de sélection » de LEV
MANOVICH et son idée des softwares comme des objets DATA postmodernes s’illustrant dans
l’éclectisme proposé par ces bibliothèques qui regorgent d’images, de sons, de boutons à
disposition de l’utilisateur et qui débouchent sur une standardisation des créations visuelles
rencontrées parmi les utilisateurs des new medias, nous savons que l’on trouve sous un lo-
giciel comme Photoshop nombre d’opérations plastiques automatisées préexistantes dans
68
l’histoire des arts. Le copier-coller est un avatar culturel de pratiques plus anciennes qui
ont émergé avec BRAQUE, DUCHAMP, les dadaïstes et autres avants-gardes : photomontage,
collage, inclusion de fragments dans les années 1910, lorsque certains artistes se mirent à
assembler collages et montages à partir d’éléments culturels existant, photos, fragments
de journaux et que les méthodes industrielles de production pénétrèrent dans le domaine
de l’art. L’import de textures, du ressort de l’indiciel, l’importance de la gestualité de l’ar-
tiste donnée par la trace des outils, les jeux de traces qui firent irruption dans la peinture
moderne, tous ces imports sous formes d’artefacts simulés se retrouvent sous un logiciel
comme photoshop.
Nous postulerons que sous photoshop se trouve l’encodage et la production de
certains signes plastiques : nous avons avant comme le démontre le groupe constater
l’autonomie du signe plastique. L’histoire de l’art moderne qui a rencontré la naissance
de l’art abstrait, abstraction lyrique de Kandinsky et autoréférentialité, dissolution de la
ressemblance au réel , a vu naître l’apparition de ces signes particuliers : « ... Tout le débat
autour de l’art abstrait a tourné autour du statut à donner à des objets bien paradoxaux,
puisqu’on n’hésitait pas à les nommer signes en même temps qu’on leur déniait toute si-
gnification. Il s’impose , ici encore, de donner un statut sémiotique précis à ces signes »50.
C’est pour cette raison que dans la possibilité de l’existence de signes plastiques, c’est à
dire des signes visuels mais non-iconiques, le groupe va redéfinir le réfèrent comme
un « désignatum actualisé » : « C’est l’objet entendu non comme somme inorganisée des
stimuli, mais comme membre d’une classe (ce qui ne veut pas dire que ce référent soit
50. Ibid., p. 11451. Ibid., p. 135
69
nécessairement réel) »51
Ainsi tout un apanage de brosses se trouve disponible simulant la trace - le signe plastique
potentiel - d’outils ayant existé dans l’histoire des arts : du pinceau humide au pinceau sec,
des formes calligraphiques au formes d’outils naturels. On y trouve aussi des textures si-
mulant le papier gaufré, humide. L’outil crayon peut simuler selon les besoins le pastel ou
l’aquarelle. Des filtres photos proposent des tons sépias ou une accentuation simulant le
grain de la photographie argentique. Différents filtres sont aussi proposés : grain photo,
papier gaufré, mosaïque pour n’en citer que quelques uns. C’est ainsi que nous postulons
que sous photoshop se trouve l’encodage en quelque sorte de pratiques culturelles artisti-
ques, donnant lieu à des signes plastiques simulées.
70
III. CONTAMINATIONS & IMAGINAIRE S :
PICTURAL, LITTÉRAIRE, NUMÉRIQUE
3.1. RÉMANENCES : DES SIGNES DU PAYSAGE INFORMATIQUE AU NOUVEL IMAGINAIRE NUMÉ-
RIQUE
- UN À PROPOS : L’INVENTION DES SIGNES -
Comme JOHN MAEDA le précisait1 toute notre interface graphique fenêtrée est basée
sur la rectangularité, la forme rectangulaire est un archétype de notre paysage visuel occi-
1. cf. note 32 p.50 Chap. II
71
dental.
Dans la conception assistée par ordinateur où la notion de créateur se couple à celle
d’utilisateur vers laquelle la conception - l’ergonomie - d’un programme-logiciel se tourne,
nous connaissons actuellement une interface I.H.M fenêtrée appelée WIMP, acronyme an-
glais pour « Windows, Icons, Menus and Pointing device » qui n’est qu’un paradigme
parmi tant d’autres. En effet c’est le docteur DOUGLAS ENGELBART qui fut le premier dès les
années 1950 à coupler l’ordinateur d’un écran vidéo, en 1963 il inventa la souris telle que
nous la connaissons après avoir expérimenté d’autres modalités de dialogie hommme-
machine puis en 1968 présenta un environnement informatique fenêtrée dont l’idée fut
empruntée à un texte visionnaire de VANNEVAR BUSH « As We May Think » (1945). Il est
important de souligner que cette interface fenêtrée telle que nous la connaissons n’a été
qu’une proposition retenue parmi d’autres qui fut adoptée par MACINTOSH et se globalisa
sous la plupart des systèmes d’exploitations dans les années 1980. L’écran graphique n’est
donc qu’une extension contingente de la « boite noire » que constitue l’ordinateur. Dans
une autre société, elle aurait pu ne pas être. On parle couramment de l’écran comme une
nouvelle forme de fenêtre ouverte sur le monde. Cette « réappropriation culturelle » d’un
objet donné se trouve être un mode d’ « invention » de signes au sens où l’entend UMBERTO
ECO2.
Ainsi le paysage informatique n’est pas absent de signes que notre regard va recon-
2. Umberto Eco définit l’invention comme la : « projection directe d’une représentation perceptive sur un continuum ex-pressif on obtient une forme de l’expression qui fixe les règles de production de l’unité de contenu ». in La production des signes p.106 L’invention selon l’auteur « constitue l’un des modes de production comme beaucoup d’autres » Ibid., p. 106 3. Ibid., p.72 « un processus de reconnaisance a lieu quand un objet ou un évènement donné, produit de la nature ou de l’action humaine (intentionnellement ou inintentionnellement), fait parmi les faits, est interprêté par un destinataire comme l’expression d’un contenu donné, soit en fonction d’une corrélation déjà prévue par un code, soit en fonction d’une cooréla-tion établie directement par le destinataire »
72
naitre3 et produire comme tels. Par paysage informatique nous entendrons aussi bien ces
« organes matériels de communication homme/machine » (moniteur, tour, souris) que les
nouvelles images. De l’écran à l’interface graphique et aux productions potentielles de la
machine nous allons y projeter « nos désirs de signes » à ce sens où HANS BELTING entendait
ces « désirs d’images ».
- DE L’IMAGE MENTALE QUI PRÉCÈDE À TOUTES IMAGES -
L’interface graphique développée chez MACINSTOSH en 1983 utilisa pour la première
fois des « icones » graphiques. La plupart de ces « icones » fonctionnent comme des mé-
taphores. Il s’agit de la création volontaire de signes. Inversement comme nous l’avons
déjà précisé les utilisateurs ou artistes dans des mécanismes perceptifs vont projeter sur ce
nouveau paysage informatique le « déjà connu »4 de leur propre expérience. Nous avons
dès le départ de ce travail écrit dans l’introduction postulé que la perception était marquée
par nos expériences vécues.5
En parlant de l’image, HANS BELTING déplore que l’analyse de ces nouveaux signes
-n’oublions pas dans ce parcours réflexif que toute image est un signe mais tout signe
n’est pas une image- qu’il appelle « images techniques » ne se fassent le plus souvent
qu’en fonction de leur appartenance à la technique : « il est encore d’usage d’en décrire
le processus de production plutôt que de les considérer dans le contexte du dialogue
médial qu’elles instituent avec un spectateur qui projette sur elles ses désirs d’ima-
ges, tout en faisant à leur contact de nouvelles expériences dans le domaine du visi-4. Ibid., p. 110 5. cf. note 7 p. 4 Intoduction 6. In Pour une anthropologie des images, p. 59
73
ble ».6 Il met en avant la réappropriation par l’imaginaire du spectateur de ces nouveaux
signes. BACHELARD, epistémologue des sciences, a réhabilité l’imaginaire chez l’être pensant
dans notre culture cartésienne, l’imaginaire « ...est plutôt la faculté de déformer les ima-
ges fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images
premières, de changer les images »7. Pour lui, l’imagination est l’une des facultés propres
à l’être humain, qui le vitalise, qui se trouve être « ...l’une des formes de l’audace hu-
maine. On en reçoit un dynamisme novateur »8. Écarté par les présupposés techniques
de ces nouvelles images comme l’a écrit ANNE BEYAERT-GESLIN nous en avons oublié le rôle
dévolu à l’imaginaire, ce prédécesseur en toute production d’images.
Ainsi dans une pensée plus contemporaine et dans d’autres terminologies BERNARD
STIEGLER dans son essai L’image discrète décrète :
L’image en générale, n’existe pas. Ce que l’on appelle l’image-objet,
toujours inscrite dans une histoire, et dans une histoire technique,
sont deux faces d’un seul et même phénomène qui ne peuvent pas être
plus séparées que le signifié et le signifiant qui définissaient, dans le
passé, les deux faces du signe linguistique [...] Si sans image mentale,
il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’images-objets (...),
l’image mentale est toujours le retour de quelque image-objet, sa ré-
manence »9.
- LA PLACE DE L’IMAGINAIRE -
Selon ces auteurs l’image mentale précéderait à toute image culturelle, c’est dans ce pos-
7. BACHELARD, (Gaston), L’air et les songes : esssai sur l’imagination du mouvement, Paris, José Corti, 1994, p.7. 8. Ibid., p.13 9. in L’image discrète, p. 165-166
74
tulat que nous nous situons. Ainsi dans notre société humaine « ...les hommes investissent
et réorganisent sans cesse les codes »10, il s’agit d’un phénomène culturel incessant et
connu de l’histoire de l’humanité, « les morts de l’art se suivent de siècle en siècle »11 et
sont décriées par les réactionnaires hostiles à l’invention de nouveaux codes.
Cette crise de l’image, entre vie et mort, dénoncée pour cause d’atrophie du corps,
de disparition de l’empreinte, et cette réduction algorithmique de la chair du monde ne se
résoudrait -elle pas là où intervient l’imaginaire du spectateur ? Où, entre corps imaginaire
et corps imaginant, de nouvelles conventions apparaissent, où « ce qui n’a pas encore été
dit »12 est soutenu par « ce qui a déjà été dit »13? Ainsi comme l’exprime UMBERTO ECO : « La
sémiosis ne surgit jamais ex novo ni ex nihilo. Ce qui revient à dire que toute nouvelle
proposition culturelle se profile toujours sur un fond de culture déjà organisée »14. Il
n’y aurait pas grâce à cette proposition plus de rupture fondamentale ou irréversible que
celle prédit lors de l’apparition de la photographie il y a plus de cent cinquante ans. De
l’écran qui a été vulgarisé comme nouvelle forme de fenêtre ouverte sur le monde à ce que
COUCHOT appelle les « technologies diffuses »15 qui va des logiciels graphiques aux divers
dispositifs intégrant les techniques de numérisation utilisés par certains artistes qui mettent
l’accent sur une continuité d’avec les médiums traditionnels comme SOPHIE LAVAUD ou DAVID
EM, nous pouvons dire, nous allons le voire par la suite que l’imaginaire pictural réinvestit
les nouvelles technologies.
10. in La production des signes, p. 110 11. in Vie et Mort de l’image, p. 332. 12. in La production des signes, p. 12 13. Op. Cit., p. 12 14. Op. Cit., p. 110 15. in La technologie dans l’art, p. 211
75
3.2 DE L’INVENTION DES NOUVELLES SIGNIFICATIONS & DE L’IMAGINAIRE PICTURALE
3.2.1 DE LA FENÊTRE VIRTUELLE « OUVERTE », À LA RÉAPPARITION DE L’HISTORIA DANS LES SOTFWARES.
LÉON BATTISTA ALBERTI dans De La Pictura a défini le système figuratif occidental ca-
ractérisé par l’archétype du tableau. Ses rudiments de peinture sont construits comme l’a
démontré D.R. EDWARD WRIGHT16 sur une systématique calquée sur la rhétorique classique.
Le tableau est une invention récente née avec la mise en place de la perspective au Quat-
trocento. COUCHOT remarque que la perspective apporte deux changements fondamentaux
dans la manière de figurer le monde sur une surface bidimensionnelle dont l’un est : « ...
l’introduction d’un certain automatisme, sans commune mesure avec les procédés an-
térieurs »17 Avec De la pictura le peintre dispose de la première fois d’un critérium précis
qui lui apprend à faire un tableau, tâche à tâche comme par automatisme. On trouve la
définition du tableau dans De La Pictura au Livre I :
D’abord j’inscris sur la surface à peindre un quadrilatère à angles
droits aussi grand qu’il me plait, qui est pour moi en vérité comme une
fenêtre ouverte à partir de laquelle l’histoire représentée pourra être
considérée18
16. cité par SCHEFER ( Jean-Louis) in ALBERTI,(Léon Battista), De Pictura (1435), Paris, Macula, Dédale, coll. « La littérature artis-tique », 1992. 269 p. Préface, traduction et notes par Jean-Louis Schefer. Introduction par Sylvie Deswarte-Rosa. Figures et commentaires. 17. in La technologie dans l’art, p. 22 18. ALBERTI,(Léon Battista), De Pictura (1435), Paris, Macula, Dédale, coll. « La littérature artistique », 1992. 269 p. Préface, traduction et notes par Jean-Louis Schefer. Introduction par Sylvie Deswarte-Rosa. Figures et commentaires.
76
Le tableau est cette « fenêtre ouverte... » Deux de ces créations multimedias pré-
sentées sont de petits « tableaux » - au sens d’images fixes retouchées une à une -
encadrées par une fenêtre virtuelle flash MX et qui vont s’ouvrir sur un récit.
Des contresens ont souvent été formulés et ont été repris pour dire que l’écran était
une nouvelle forme albertienne de fenêtre ouverte sur le monde. Toutefois comme nous
le verrons plus loin nous considérons dans ce travail l’écran comme une surface et inver-
sement rien n’a été plus controversé que cette notion de fenêtre ouverte sur le monde : en
effet chez ALBERTI, cette fenêtre encadre une représentation narrative; elle n’ouvre pas sur
la nature mais sur l’ histoire, « l’historia ». Dans la version italienne de son traité, ALBERTI
emploie le mot storia qui, comme historia, correspond au muthos d’ARISTOTE. ALBERTI définit
ainsi l’historia: « L’histoire est une combinaison sensée de corps qui sont eux-mêmes
une combinaison harmonieuse de surfaces »19En note, JEAN-LOUIS SCHEFFER précise qu’il
s’agit d’un des concepts majeurs du De Pictura :
Ni le terme d’histoire, ni celui d’anecdote ou de sujet ne convient tout
à fait. L’historia est l’objet même de la peinture qui résulte d’une in-
vention (le sujet, qui peut faire l’objet d’une narration ou d’une des-
cription) et d’une composition achevée (agencement des formes, des
parties, des corps). On ne peut cependant exclure cette acception sim-
ple : le programme « réaliste » d’Alberti exige que la peinture montre
et raconte. Dans sa définition la plus formelle, l’historia est un agence-
ment de parties (de corps, de personnages, de choses) doté de sens.20
19. Ibid., p. 7
20. Ibid.
77
L’historia ne se limite pas au récit et est un concept qui combine à la fois savoir-faire
et technicité de la part de l’artisan (composition ordonnée sur une surface) et l’invention
de l’artiste. Cette conception est d’une nouveauté inouïe à l’époque où la peinture appar-
tenait aux arts mécaniques et où le peintre était encore considéré comme un artisan et
commençait seulement à parapher ses œuvres. COUCHOT souligne que l’historia est le lieu
« ... où s’affirme et s’élabore la singularité irréductible d’un sujet, ce qu’il possède en
lui de propre et qui échappe à l’automatisation »21. L’automatisation est l’une des idées
majeures de COUCHOT, apparue chez ALBERTI, elle se serait incarnée au plus haut point avec
la photographie et aurait délivrée en même temps le peintre de son rôle de « faiseur d’ima-
ge » pour le retrancher de plus en plus dans ce que le modernisme appellera les spécificités
de son médium. Au fur et à mesure que les automatismes techniques se sont développés,
ils ont non seulement dépossédé sans cesse le sujet de ses capacités à figurer le monde
mais ils l’ont aussi privé de son privilège principal : concevoir l’historia. Avec les softwares
en traitement graphique, le mode dialogique, réintroduit ce pouvoir de l’historia : de la
numérisation - qui est l’une des formes les plus élaborées actuellement d’automatisation
de la production d’image - au traitement de l’image, l’après-numérisation, l’artiste a de
nouveau « la main mise » sur son image. L’historia se retrouve donc au cœur de l’après-
numérisation: elle concerne cette élaboration qui s’effectue sous un mode dialogique dans
ces fenêtre virtuelles présentes sous les logiciels de traitement graphique.
21. in La technologie dans l’art, p. 231
78
3.2.2 L’ ÉCRAN-SURFACE COMME « ÉPIPHANIA »
— L’ÉCRAN: UNE SURFACE BI-FACE —
Pour délimiter formellement l’objet dont nous allons parler nous pouvons dire que
l’écran d’ordinateur est le terminal sur lequel l’image dans sa forme perceptible va s’affi-
cher. Il est aussi appelée communément moniteur et est défini par un cadre plastique. POUR
LEV MANOVICH (Texte de sa communication Cinema and Digital Media présentée à Multime-
diale 4 en 1995 à Karlsruhe.) l’écran présente les mêmes caractéristiques que la peinture,
la photographie ou le cinéma : un cadre qui délimite deux espaces et le rapport frontal du
spectateur « immobilisé » par rapport à l’œuvre. Pour construire son tableau, comme on la
vu précédemment ALBERTI trace un cadre qui délimitera la surface à peindre. ALBERTI définit
ainsi la surface :
[la surface] est cette partie la plus superficielle d’un corps qui ne se
connaît pas par sa profondeur, mais par sa seule longueur et sa seule
largeur, et qui est déterminée par la juxtaposition de plusieurs lignes
disposées comme les fils d’une toile.22
C’est cette surface qui nous intéresse : l’écran électronique comme l’appelle ANNE-
MARIE DUGUET pourrait donc bien être cette surface à peindre. Dans les vidéos de THIERRY
22. in ALBERTI,(Léon Battista), De Pictura (1435), Paris, Macula, Dédale, coll. « La littérature artistique », 1992. 269 p. Pré-face, traduction et notes par Jean-Louis Schefer. Introduction par Sylvie Deswarte-Rosa. Figures et commentaires.
79
KUNTZEL on voit émerger une réflexion sur la nature du support électronique. Partant du
principe que l’écran est avant tout une surface biface, KUNTZEL substitue systématiquement
à la profondeur tridimensionnelle « ... la suggestion d’une épaisseur et à l’étagement
des plans leur rabattement, leur superposition (...) »23. Dans ces vidéos KUNTZEL invite à
un dialogue sur l’ontologie de la peinture :
Dans toutes les réalisations de Thierry Kuntzel, (sauf Nostos II), il y a de
la couleur. (...) Une couleur de prédilection, le bleu, variant en intensité
et en luminosité du noir au blanc. Le bleu de cet azur qui hantait le
poète Mallarmé. Une couleur idéelle. Une couleur pure comme celles
utilisées par Matisse soucieux d’en « restituer le pouvoir émotif ». (...)
Thierry Kuntzel ne vise pas plus à produire une scène abstraite qu’une
scène figurative mais, entre les deux précisément, à manifester ce qui
se joue de l’une à l’autre. C’est le procès de l’abstraction ou celui de
la figuration qu’il met en œuvre : un acte et non son résultat. Voilà
pourquoi la vidéo s’est imposée. La référence à la peinture s’arrête là
où l’on reprend en considération la nature temporelle de la matière
électronique
On l’aura retenu l’écran n’est que surface, si il s’est agit parfois de le qualifier d’in-
terface entre diffusion et réception, WEISSBERG rappelle qu’il n’y a d’interface qu’interactive
et c’est ce qui la différencie de la surface uniquement perceptible. Nous évincerons donc
l’idée d’interface pour l’écran d’ordinateur et retiendrons le concept d’écran-surface.
— L’ÉCRAN ÉPIPHANIA —
23. DUGUET,(Anne-Marie), Déjouer l’image : Créations électroniques et numériques, Nimes, Jacqueline Chambon, 2002,
p.64
24. Ibid., p. 66-67
80
À la surface où le système perspectiviste projetait l’illusion de corps réels, se subs-
titue actuellement la profondeur de l’écran, terminal d’affichage de l’image. Toutefois le
moniteur n’épouse pas cette logique et comme le souligne BILL VIOLA25, l’ordinateur ou
les moniteurs fonctionnent davantage sur le modèle de la « boite noire » de notre espace
mental où se déploient mémoire et pensée, que sur celui de la camera obscura, strictement
optique. Sans partir dans des descriptions techniques pointues sur les différences constitu-
tives de ces écrans il est nécessaire de rappeler que l’écran génère sa propre lumière. Dans
un texte que nous examinerons plus loin infiltré par l’imaginaire pictural, SANDRINE MAURIAL
en soulignant la différence qui oppose la surface picturale à surface écranique épouse
cette même conception :
Pigments et pixels sont des éléments de surface, visuels et sensibles,
qui ne pénètrent ni dans les fibres de la toile, ni dans les réseaux de
l’ordinateur. [...] Alors que la surface pigmentaire renvoie la lumière
qui la touche et la détermine, l’écran, boite crânienne de l’ordinateur,
crée sa propre lumière26
Sans lumière l’écran ne peut fonctionner et l’image ne s’affiche pas. Pour LEV MANO-
VICH l’image numérique existe à deux niveaux différents: ce qu’il appelle le niveau de sur-
face, ce qui est montré à l’écran, et le code sous-jacent. Nous appellerons écran-surface
ce lieu où l’image apparaît.
Nous avons noter précédemment que LEON BATTISTA ALBERTI dans De Pictura définit
25. entretien avec Bill Viola, Raymond Bellour, hors série n°14 « Où va la vidéo » des cahiers du cinéma, juillet 1986 26. MAURIAL, (Sandrine), « Une alchimie lumineuse : le pigment sublimé en pixel », in Communication et Langages : Medias, internet, pub, graphisme, sociologie, formation, dec. 2004, edition Armand Colin, n°142, p. 100-101.
81
ainsi la surface : « La surface est cette partie... ». Dans De Pictura (1435) ALBERTI emprunte
le titre de son livre I intitulé Élèments à Euclide et introduit ses propos : « Pour écrire ces
brefs commentaires sur la peinture, afin que notre exposé soit plus clair, nous emprun-
terons tout d’abord aux mathématiciens les élèments qui nous semblent concerner
notre sujet »27 .Dans ses Eléments (300 av. J.-C.), Euclide définit donc la surface « ce qui a
seulement longueur et largeur ». Le mot qui y est utilisé pour « surface » est ,
« epiphaneia » de de « sur » et de « se montrer, faire voir ».
« Epiphaneia » provient d’une très ancienne définition de la surface faisant appel à
la lumière et à la vision des objets dont seule la surface peut apparaître comme éclairée.
désignait « ... à la fois l'apparition subite d'un objet ou d'un être absent ou
caché auparavant, ou ce qui est visible d'un corps opaque... »28 ainsi que « ... à Parmé-
nide d’Elée, le terme acquiert le sens purement géométrique de surface
d’un corps solide. »29 Au XIIe siècle, a donné naissance au latin ecclésiastique
epiphania désignant une fête chrétienne. Le terme a pris tardivement une tournure es-
thétique chez l’écrivain irlandais JAMES JOYCE (1882 – 1941) chez qui le concept désigne la
manifestation soudaine et spirituelle d’un souvenir, d’une image, d’une émotion puis on la
retrouve chez ROLAND BARTHES dans La Chambre Claire ou encore L’obvie et l’obtus sous la
forme apparente du haïku.
C’est dans cette acceptation première du terme de surface défini dans les premiers
éléments de géométrie puis repris dans les rudiments de peinture d’ALBERTI, que l’on com-
27. in ALBERTI,(Léon Battista), De Pictura (1435), Paris, Macula, Dédale, coll. « La littérature artistique », 1992. 269 p. Préface, traduction et notes par Jean-Louis Schefer. Introduction par Sylvie Deswarte-Rosa. Figures et commentaires, p.73. 28. Dictionnaire historique de la terminologie optique des grecs: douze siècles de dialogues avec la lumière, Paris, librairie C. Klincksieck, 1964, études et commentaires, p. 166-167 29. Ibid., p.167
82
prendra le concept d’écran-surface : cette surface écranique, mode d’apparition de l’image
numérique, qui renoue avec son acceptation première.
3.3. IMAGINAIRE LITTÉRAIRE & IMAGINAIRE PICTURAL EN PRISE AVEC LES NOUVEAUX MÉ-
DIAS
3.3.1 À PROPOS D’UNE RÉ-ACTUALISATION DE L’EKPHRASIS
— L’IMAGINAIRE LITTÉRAIRE RÉINVESTI—
Le point de vue techniciste sur ces nouveaux dispositifs artistiques semble découra-
ger une certaine critique. RÉGIS DEBRAY résume :
La technologie électro-magnétique a refroidi l’écrit, et notamment fait
décliner deux genres littéraires capitaux : l’ekphrasis ou description des
œuvres d’art par un tempérament (Stendhal en Italie, si l’on veut) et la
réecriture en différé de l’histoire vécue (le Chateubriand des Mémoires
d’Outre-Tombe ou le Journal à la Gide). La mémoire analogique (pelli-
cule ou ruban) qui permet à l’évènement ou à l’œuvre de se présenter
à nous motus proprio, dévalorise la mémoire « fait main », cette ruse
d’artisan.30
L’Ekphrasis dont parle DEBRAY est une forme de critique littéraire, qui dépasse le niveau
purement descriptif et dont la particularité est de se passer du tableau réel pour parler
d’un tableau absent. Cete forme particulière d’Ekphrasis a été innovée par DIDEROT dans
30. in Vie et Mort de l’image, p.405
83
ses Salons toutefois cette pratique de la description de peintures absentes est une pratique
ancienne, héritée de la seconde sophistique antique où, sous le nom d’, elle a
joué un rôle fondamental. Toutefois si l’ekphrasis antique s’adressait à une œuvre en lieux
et temps différés, l’ekphrasis était calqué sur un modèle rhétorique normé qui ne tolérait
pas l’écriture subjective. La forme interprétative qu’a donné DIDEROT à la critique d’art au
XVIIe siècle s’inscrit dans l’Ut pictura poesis erit : L’ekprasis essayait de rivaliser avec les arts
visuels à l’appui des mots, et de démontrer que les mots peuvent décrire les scènes vivides
sans se recourir aux images visuelles. BAUDELAIRE en emboîtant le pas de DIDEROT tentera
d’en fonder un système esthétique et au XXe WALTER BENJAMIN voulut faire entrer la critique
en philosophie, critique au XXe qui vit apports de différents systèmes théoriques, sémiolo-
gie, linguistique, psychanalyse...
On commence à trouver chez les auteurs la tentative de réconcilier écriture inter-
prétative et nouveaux dispositifs sans prendre écueils sur les présupposés technologiques.
Ainsi dans un texte poétique « Une alchimie lumineuse : le pigment sublimé en pixel » paru
dans la revue Communication (2004), SANDRINE MAURIAL établit un concept de ressemblan-
ce entre le pigment, « particule pigmentaire ou phosphoreuse »31 et le pixel qu’elle décrit
comme « constitué de molécules colorantes infinitésimales qui renferment toute une
dynamique. Disposés en triade dans leur contexture, ces particules phosphoreuses
cristallisent le corps luminescent de l’image »32. SANDRINE MAURIAL se place ici dans une
tradition bachelardienne. Ainsi sans se limiter à l’analyse des modes de « productions des
nouvelles technologies » elle ouvre sa pensée sur un fil conducteur qui nous mène l’alchi-
miste d’hier au physicien et informaticien de maintenant : 31. in « Une alchimie lumineuse : le pigment sublimé en pixel » p. 97 32. Op. cit., p.97
84
Dès les premiers temps, l’homme a été confronté au problème de la
production de couleurs. [...] Loin des procédés actuels de simulation,
l’artiste et le chimiste d’autrefois, l’alchimiste, ont toujours été à la
recherche d’une substance colorante qui permettrait de reproduire de
manière encore plus fidèle les couleurs de la nature (...) Dès lors, après
l’alchimie et la chimie des couleurs, la production des couleurs reste
au coeur des nouvelles technologies ordonnant aux pixels de l’ordina-
teur la création d’une infinité de teintes. Pigment et pixel témoignent
de l’ingéniosité et de l’ardeur avec lesquelles l’homme a su mener une
aventure scientifique et technique fascinante33
Par le biais d’un écriture interprétative qui semble être une ré-actualisation de l’ekphrasis,
et qui rivalise avec la réalité de ces nouveaux dispositif cités pour créer par le discours du
visuel, [note à définir] SANDRINE MAURIAL tente deux réconcilier deux mondes, le monde de
l’image-trace et le monde de l’image matricielle. Pigment et pixel ont la similitude d’être
« ...saisis comme des « interfaces » entre deux mondes (...) »34.
— PIXEL ET PIGMENT : UNE GÉNÉALOGIE COMMUNE FICTIVE ?—
Pour SANDRINE MAURIAL, tel qu’elle l’écrit : « Aujourd’hui, l’art numérique ne peut être im-
perméable à son passé et se nourrit d’un certain héritage pictural »35. Dans ce langage
poétique et fécond qui rappelle à des milliers de lieux de ça, la poésie est une peinture
parlante de l’ « Ut pictura poesis » MAURIAL fonde un passé commun entre pigment et le
pixel ouvert sur avenir artistique riche en probabilités :
33. Op. cit., p. 97-98 34. Op. cit., p. 97 35. Op. cit., p. 98
85
À l’image du pigment qui concrétise un lieu intermédiaire, le pixel sym-
bolise un lieu d’hybridation où s’entrecroisent intimement le calcul et
l’image.[...] Nous savons que dans l’art virtuel, le constituant élémen-
taire de la couleur est le pixel. Mais de quelles nouvelles ambivalences
cette particule virtuelle se chargera-t-elle dans les pratiques artistiques
et techniques des humains ?36
Par le biais du langage, MAURIAL a tissé une généalogie commune au pigment et au
pixel. Elle jumelle par le biais du textuel une génèalogie picturale commune du pigment
au pixel. Rappelons-le BARTHES comprend le texte comme un tissu il dit par ailleurs: « ...
nous accentuons maintenant, dans le tissu, l’idée générative que le texte se fait, se
travaille à travers un entrelacs perpétuel ; perdu dans ce tissu - cette texture - le sujet
s’y défait, telle une araignée qui se dissoudrait elle-même dans les sécrétions cons-
tructives de sa toile »37. En 1964 dans Communications n°4, ROLAND BARTHES, a montré
dans un rapport théorique fondamental que tout système de signes ou de significations
et de communication se mêle étroitement de langage verbal. Il a montré que dans toute
image le langage verbal double la substance visuelle et entretient alors, dans presque tous
les cas, un rapport structural avec le message visuel. Pour ROLAND BARTHES : « percevoir ce
qu’une substance signifie, c’est fatalement recourir au découpage de la langue: il n’y
a de sens que nommé et le monde des signifiés n’est autre que celui du langage... »38
Pour CHRISTIAN METZ, la nomination, la possibilité de transcoder en « mots » une chose per-
36. Op. cit., p. 108 37. BARTHES, (Roland), Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 2000, p. 116 38. Ibid.
86
çue complète la perception elle-même en tant qu’elle n’a pas atteint cette étape n’est pas
socialement achevée. Ces processus linguistiques que l’on retrouve chez SANDRINE MAURIAL
auraient donc une pleine importance dans l’invention de nouveaux codes artistiques.
3.4 UNE HISTOIRE DE PEAU NUMÉRIQUE...
3.4.1 DE LA TENTATIVE DE RÉHABILITER LA CHAIR DU MONDE AU CAPITON NUMÉRIQUE
La vision romantique de l’image-chair semblait avoir été tuée par la nature technique de
l’image numérique. Dans Vie et Mort de l’image REGIS DEBRAY déplore que notre œil déserte
la chair du monde et sa profondeur au profit d’une lecture systématique et survolée des
nouveaux graphismes. Or l’imaginaire collectif que nous partageons réinvestit ces nouvel-
les technologies aussi bien sous un mode littéraire que par des modifications liées à nos
perceptions. Ainsi SANDRINE MAURIAL va-t-elle jusqu’à écrire : « Le pixel évoque l’élément
premier de l’image, le substrat de l’image, le microcosme dont sera faite la chair de
l’image ».39 ou encore « Dès les premiers temps, le pigment se dote d’une dimension
mystique .»40 Dans un autre article « La chair entre l’organique et le numérique » en se rap-
pelant que « Dans la phénoménologie de Merleau-Ponty la chair n’est pas seulement la
substance d’un corps mais l’élément qui fonde la dimension même du sensible »41 elle
tente d’établir une correspondance entre chair de la peinture et probable chair numérique.
L’imaginaire romantique d’une peinture-chair a contaminé les pratiques numériques:
39. in « Une alchimie lumineuse : le pigment sublimé en pixel » p. 101 40. Op. cit., p. 99 41. MAURIAL, (Sandrine), « La chair entre l’organique et le numérique », in La chair à l’image, sous la dir. BERNAS, (Steven), DAKHLIA (Jamil), Paris, L’Harmattan, 2006, p.127
87
Désormais, nombre d’artistes issus des arts technologiques touchent à
la texture et au corps sensible de l’image. Ils travaillent sur les pixels,
sur la dilution des particules colorées et s’intéressent aux qualités plas-
tiques de l’image au niveau des couleurs et de sa matière numérique.
Les plus infimes constituants de l’image font émerger une véritable
matière visuelle picturale. Ces éléments donnent chair et vie à l’image
en lui conférant un aspect plastique et des tonalités expressives42
SANDRINE MAURIAL est fortements inspirée par les analyses sémiotiques d’ANNE BEYAERT-
GESLIN. Dans « Crênelage, capiton et métadiscours » cette dernière compare judicieuse-
ment le pixel apparent des images à un « capiton numérique ». Hypoicône43 selon elle
qu’on trouve dans une publicité utilisant une photographie de la villa NOAILLES de ROBERT
MALLET-STEVENS où le capiton numérique rénove l’esthétique fonctionnaliste de ce dernier
aux publicités où la surcharge adipeuse est mise en scène par le capitonnage numérique.
On remarque les utilisations récurrentes de ce capitonnage numérique dans les nouveaux
médias à partir d’images de peaux. Cette accentuation de la texture numérique a souvent
pour fonction dans la plupart des visuels actuels de masquer « ...les visages des prévenus
dont la culpabilité n’a pas été démontrée, des mineurs ou des témoins qui souhaitent
déposer dans l’anonymat »44. C’est l’un de ses usages premiers. ANNE BEYAERT-GESLIN relè-
ve que dans des publicités actuelles le capiton numérique - ce « grossissement des pixels »-
est exploité comme « comme support métaphorique d’une promesse de réduction du
42. Op. cit., p. 135 43. in « capiton, crênelage et metadiscours » 44. Op. cit. 45. Op. cit.
88
capiton de cellulite (encore appelé peau d’orange). »45. Défaillance ou dysfonctionne-
ment du numérique, le capiton numérique indique que là sur cette zone critique désignée
par l’épaississement de la texture numérique a lieu un dysfonctionnement cutané masqué
car immontrable, au sens de hideux.
3.4.2 LA NAISSANCE D’UNE PEAU
Tout un imaginaire se tisse autour d’une peau numérique. Déjà JOHN MAEDA compa-
rait la surface écranique à une peau46. La plate-forme incident.net, bouillon artistique de
pratiques contemporaines, avait lancé en 2005 un appel à contribution sur le thème du
nu. On y retrouve nombres d’artistes numériques qui ont ciblé leur recherche sur l’organe
peau. Ainsi l’artiste JACQUES PERCONTE photographie le corps comme une surface sensible
dans des plans rapprochés qui révèlent la texture charnelle où le pixel très présent se con-
fond avec le grain de la peau. Il approche visuellement le corps de l’être aimé afin de le
photographier dans ses parties les plus intimes jusqu’à l’abstraction et la sublimation de ce
dernier dans un corps numérique.
L’apparition de la notion de peau numérique semble être une forme de résistance
à l’expulsion de notre corps de la fabrication des images, à l’anesthésie de nos sens où
l’on ne touche plus, où l’on ne sent plus. La peau est cet organe contenant qui instaure
une limite entre le dehors et le dedans, pourvu d’une grande nécessité de récepteurs et
système de plusieurs organes de sens (toucher, pression, chaleur... ), beaucoup plus qu’une
enveloppe charnelle elle est profondément marquée par notre psychisme au sens où l’en-
46. in Journal d’un explorateur du numérique, p. 25 47. ANZIEU, (Didier), Le moi-peau, Paris, Dunod, 1995, 291 p.
89
I love You, photographies numériques retouchées, JACQUES PERCONTE
90
tendait DIDIER ANZIEU dans sa notion de moi-peau47. Le moi-peau porte les marques d’une
énonciation. Au cœur des pensées du moment, parmi la jeune création actuelle, AURÉLIE
CHAVANNE a élaboré une interface tactile vivante, surfaces de peaux numérisées réagissant
au toucher de l’utilisateur et retranscrivant les réactions d’une peau physique. On pourrait
y voire un poème interactif s’inscrivant en hommage aux recherches picturales sur la car-
nation de l’histoire des canons physiques de la peinture occidentale. Il y a ici un renverse-
ment : si nous sommes toujours à l’extérieur de l’image emprisonnée, ce n’est plus notre
corps touché qui est pris dans le tissu des choses mais c’est cette peau numérique qui est
activée par notre corps touchant, entre étrangeté et réhabilitation de l’émotion et d’une
identification probable d’un moi-peau, qui est touché qui est touchant ?
91
Peau numérique, objet de réactions, installation / interface tactile, AURÉLIE CHAVANNE. http://www.lesabattoirs.org/lettres/2006/10/crea-multimedia/crea-
tions-multimedia.htm
92
CONCLUSION
Les nouvelles images sont attachées à tout un débat qui se déplace d’une crise supposée
de l’image à une crise du corps. Certains invoquent sa disparition et mettent au piloris
les nouvelles technologies en proférant que le « corps est un brouillon que le monde
occidental veut transférer voir « liquider »1 d’autres delestent cette crise du corps de ce
parfum de tout-technologique en invoquant sa prolongation par un corps imaginaire in-
terfacé et dans son sillage le développement de perceptions nouvelles. Certains remettent
en compte directement cette crise dans le sens où cette prétendue crise du corps suppose,
comme le confirme ÉRIC ALLIEZ2 une norme du corps naturel dictée par une phénoménolo-
gie arbitraire.
Plusieurs réconciliations semblaient possibles.
1. in la chair à l’image p.142 2. cité par BELTING, (Hans) dans Pour une anthropologie des images.
93
Une réconciliation par la création d’un nouvel imaginaire s’érigeait : imaginaire hy-
bridé entre rémanences picturales et traitement d’images, l’après-numérisation s’est cons-
truite autour d’un rapport de manque face à l’image traditionnelle, l’image-empreinte,
l’image-trace.
Imprégnée par toute une vision romantique de l’image-chair, fidèle à la pensée mer-
leau-pontienne pour qui la vision de l’artiste est comme désintellectualisée « ... or l’art et
notamment la peinture puisent à cette nappe de sens brut dont l’activisme ne veut
rien savoir » je me suis située comme Celle qui a peint et celle qui a ressenti ce creux/ce
manque entre l’image fabriquée (l’image peinte) et l’image élaborée (l’image numérique),
intouchable derrière sa surface de verre. Attachée à cette vision romantique de la peinture-
chair, où mon corps se trouve indistinctement entre sentant et senti, « touchant » et « tou-
ché » je me suis sentie déstabilisée devant la surface-écranique de ces nouvelles images,
tenues à l’intérieur du moniteur, sans hors-champ, expulsées qu’elles le sont de « la chair
du monde » et du tangible. Mon corps expulsé de la « fabrication des images » ressentait
ce manque qu’il fallait combler par l’élaboration, selon la formule benjamienne, d’une
teneur de l’image numérique. Qu’elle aurait été cette teneur ? Partie à la recherche de tex-
tures et de spécificités à l’image numérique je me suis arrêtée sur la texture pixellaire et les
jeux de mises en abîme auxquels le signe pixel pouvait se prêter. Pixel de forme rectangu-
laire qui rénove des systèmes de représentations anciens, pixel hyperbolique qui se prête
comme objet trouvé ou encore comme le note ANNE BEYAERT GESLIN, ready-made, texture
pixellaire que l’on peut discrétiser à outrance, jeux tautologiques, la matière numérique
selon l’expression d’ANNE-MARIE DUGUET dans son passage dédié à KUNTZEL, est une matière
94
qui ne cesse de se régénérer car elle est avant tout une suite d’informations quantifiables,
recalculable à souhaits, qui défient la temporalité et la spatialité qui étaient auparavant at-
tachée ontologiquement à l’image empreinte, c’est une matière infinie qui de copie en co-
pie, c’est à dire par le biais des procédés de reproductibilité, ne se dégrade pas. La praxis,
le besoin aussi d’éprouver cette matière était donc au cœur de ce travail. Ces attitudes,
ces questionnements concernent une probable poïétique au sens où l’entendait VALÉRY3
en 1937. Créer c’est penser (Pierre Reverdy). À la recherche d’une grammaire propre à ces
images je suis partie en quête d’autodéfinition : des mises en questions du pixel et de la
texture pixelaire, l’autoréférentialité était au cœur de ce travail, autoréférentialité qui est
comme le précise CHRISTOPHE GENIN cette « faculté poïétique » nécessaire pour générer un
système propre à ces images. À la différence d’autres dispositifs relevant des arts numéri-
ques, où l’interactivité fait partie de la réception poétique de l’oeuvre, dans l’image numé-
risée, l’interactivité se manifeste dans le mode dialogique qui selon COUCHOT caractérise la
relation entre créateur et logiciel interactif en temps réel lors de l’élaboration de l’image.
C’est ce moment précis, interactif, de la « faisance de l’œuvre » qui la fait entrer dans le
champ des arts numériques. En cela les modes d’élaboration qui s’inscrivaient ici dans une
relation de manque face à l’image traditionnelle, revêtaient une importance particulière et
nous pouvons dire que la poïétique comme discours artistique en train de se produire est
l’un des élément justifiant de la présence de l’image numérisée ou composite au sein des
arts numériques. C’est ainsi que la plupart des questionnements de ce mémoire se sont
inscrits dans le pendant de l’élaboration des images. Cette interactivité dans la « faisance
3. Valéry légitimait par là l’étude des conditions de la génération d’une œuvre d’art, science de l’homme qui se propose, selon RENÉ PASSERON, d’examiner la relation entre l’homme et l’œuvre pendant l’élaboration de celle-ci.
95
de l’œuvre » réintroduit une possibilité d’historia, c’est à dire comme on a pu le voir ce
que l’histoire de l’automatisation de la production des images avait supprimé à l’artiste
selon COUCHOT là « où s’affirme et s’élabore la singularité irréductible d’un sujet, ce qu’il
possède en lui de propre et qui échappe à l’automatisation ». Ainsi l’inventio de nouveau
considéré, un sujet JE en amont des opérations, le corps imaginant et percevant se trouve
de nouveau face à la machine. Invention de nouveaux codes sur un « déjà connu », l’écran
est vite compris comme surface entre rémanences picturales et nouvelles technologies.
Discrétisation des gestes artistiques en un seul geste interfacé, mon corps ne disparaît pas
mais réapparaît comme question lancinante dans les nouvelles pratiques électroniques: la
peau sous toutes ses coutures réapparaît sous la souris des artistes, ainsi la carnation d’une
Barbie se trouve pixellisée à outrance pour habiter tout le champ visuel de certaines images.
L’image continue comme le proférait HANS BELTING à avoir besoin d’une manifestation du
corps, présence simulée d’une matière absente, pour être validée comme image. Si la chair
du monde était désertée selon DEBRAY par les nouvelles images, chair du monde où selon
MERLEAU-PONTY mon corps entre touchant et touché est confondu indistinctement, avec
l’interface tactile vivante, peau numérisée qui réagit à une pression extérieure sur l’écran,
on ne sait plus très bien qui est touché ou qui est touchant et où se trouve cette frontière,
ce heurt technologique qui expulsait notre corps des nouvelles images. Ainsi la citation de
COUCHOT sonne comme une prédiction vraie si l’art numérique « ...extrait l’homme de son
propre corps, elle l’en éloigne et elle l’en affranchit mais le corps est têtu. On ne s’en
débarrasse pas si facilement. »
96
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http://www.incident.netPlateforme digitale artistique
http://projetk2006.free.fr/Google Art
http://www.sophielavaud.org
104
Index des notionsSymboles
A
apparition 3 3 10 12 21 28 32 37 47 68 74 81 88autocitation 52 53AUTODÉFINITION 4 29automatisme. 75autoréfèrence 53 54 99autoréférentialité 46 47 53 68
B
C
chair 3 5 4 23 25 26 27 28 40 43 74 86 87 92 93 95 100citation 2 52 54 55 95corps 3 5 8 11 12 13 14 15 16 18 19 20 21 23 24 25 26 27 36 37 67 74 76 78 79 81 83 86 87 88 90 92 93 94 95
D
discrétisation 4 15 59 60 61 66 67
E
écran 5 5 9 13 14 15 21 28 30 31 51 53 71 72 74 76 78 79 80 81 95 99 100empreinte 3 4 5 11 19 20 21 27 37 74 93 94
F
fabrication 4 5 6 13 17 18 19 30 64 88 93fenêtre 5 71 74 75 76 77
G
grammaticalisation 21
H
hybridation 2 3 5 47 55 85 99hybride 4 54 58 98 101
I
image 3 4 5 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 16 19 20 21 22 23 27 28 29 30 31 32 33 35 36 37 39 40 41 44 47 50 52 53 55 56 58 59 60 61 62 64 65 72 73 74 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 90 92 93 94 95 97 98 99 100 101
imaginaire 3 5 16 17 19 20 40 41 45 70 72 73 74 75 80 82 86 88 92interface 14 15 52 70 71 72 79 90 91 95
J
K
L
l’historia 5 19 67 75 76 77le numérique 11 86 100
M
macule 4 66 67matière 3 7 8 9 11 13 19 20 21 22 23 24 25 26 27 32 36 37 64 67 79 87 93 94 95 99modernisme 49 50 77
105
N
O
ostension 40 41 43
P
peinture 4 4 5 14 15 20 27 37 38 39 40 43 46 52 54 55 64 65 68 75 76 77 78 79 81 84 86 90 93 99perception 3 4 6 9 12 14 16 17 18 20 23 24 26 27 39 40 43 72 73 85 98pictural 40 41 43 54 64 74 80 82 84poïétique 5 6 94postmoderne 55présentation 4 11 20 27 40 41 43 44 46programmacité 8prothèse 3 16
Q
R
re-présentation 4 20 27 41réfèrent 30 41 44 46 64 68rémanence 73rémanences 1 92représentation 4 10 11 12 40 44 47 48 50 65 71 76représentations 52 93reproductibilité 4 29
S
signe 4 27 37 48 49 52 59 60 62 64 65 66 68 69 72 73 93 99signe iconique 4 49 59 62 64 65 66signe plastique 4 59 65 68 69signifiant 37 41 48 64 65 73signifié 64 65 73simulation 3 3 10 11 12 13 37 43 84spécificité 4 36 38 41 46 47surface 5 5 8 9 27 28 37 38 39 40 46 66 75 76 77 78 79 80 81 88 93
T
teneur 4 8 32 33 35 36 38 39 93 101texture 4 3 26 32 35 36 37 38 39 40 41 43 44 47 48 49 52 59 60 64 65 66 85 87 88 93 94 98trace 10 12 27 66 67 68 69 78 84 93
U
V
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