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Prise en compte des différentes temporalités dans les
situations de soins palliatifs en réanimation néonatale.
Pierre Bétrémieux, Marie-Luce Huillery
Les situations de fin de vie et de soins palliatifs qui se déroulent dans les services de
réanimation néonatale se caractérisent, entre autres, par des différences dans le vécu de la
temporalité entre les personnes qui entourent l’enfant dans ces moments. Quand reconnaît-on
l’obstination déraisonnable ? Combien de temps l’enfant va-t-il vivre ? – sont quelques-unes
des questions que se posent les différents protagonistes. Les acteurs de ces situations sont
l’enfant, ses parents et sa famille proche, les soignants, infirmières, puéricultrices et
auxiliaires de puériculture principalement, et les médecins de l’équipe. Tous ont des
représentations différentes de la fin de vie et de la mort ainsi que de leur rôle dans les
processus, ce qui peut conduire à des désaccords [1,2]. Chacun des acteurs évolue à son
propre rythme et pourtant la réflexion, la décision, la mise en œuvre des soins palliatifs
nécessitent une véritable synchronisation. De ces variations dans le vécu du temps qui passe et
du temps qui reste, naissent parfois des conflits entre parents et équipe, ou bien des conflits
internes à l’équipe [3]. La connaissance et la reconnaissance des différences de temporalité
permettent une compréhension réciproque favorable à l’établissement d’un climat de
confiance bénéfique à tous et un éventuel aménagement des différentes étapes que sont la
réflexion, la décision et la mise en œuvre de la limitation ou arrêt des traitements de
suppléance vitale ou la sédation.
Le temps du patient
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Le patient est évidemment au centre de la problématique de la temporalité. Il est « l’horloge
interne du processus ». De l’évolution de la situation de l’enfant découlent l’ensemble des
réactions des parents, des soignants et des médecins.
1) Ou bien la situation du patient s’aggrave inexorablement, raison pour laquelle
on décide de ne pas s’acharner et de mettre en œuvre des soins palliatifs. C’est le cas par
exemple d’une insuffisance respiratoire sévère avec hypertension artérielle pulmonaire de
plus en plus réfractaire aux traitements successifs proposés. C’est une situation relativement
« simple » car tous les acteurs (parents et proches, infirmières, puéricultrices et auxiliaires de
puériculture et médecins) se rendent plus ou moins rapidement à l’évidence de la dégradation
inéluctable
2) ou bien, et cela est beaucoup plus fréquent en néonatalogie, ce sont des examens
réalisés au fil du temps qui apportent la conviction de la gravité évolutive de la situation
clinique : la qualité de vie future est compromise, l’obstination à mettre en œuvre des
traitements de suppléance vitale, initialement raisonnable, devient déraisonnable; on doit
envisager une limitation ou un arrêt de ces traitements et donc la mise en œuvre de soins
palliatifs. C’est ce qu’on rencontre habituellement au décours de l’anoxie cérébrale sévère
contemporaine de la naissance. Cette situation est beaucoup moins « simple » que la
précédente car tous les acteurs (parents et proches, infirmières, puéricultrices et auxiliaires de
puériculture et médecins) ne voient pas la même chose : les non médecins voient un nouveau-
né dont l’aspect semble normal et qui progresse plus ou moins au fil des jours ; les
professionnels de santé s’appuient sur la valeur prédictive de différents examens (clinique
mais aussi examens électrophysiologiques et imagerie) pour affirmer la catastrophe future.
Au début de la vie du nouveau-né gravement malade, il existe un temps pendant lequel il est
totalement dépendant des traitements de support vital : ventilation mécanique, amines
vasopressives, etc… A ce stade, l’arrêt des traitements de support vital va le plus souvent
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entrainer le décès rapide du patient. Mais cette période est très courte, car du fait de la qualité
intrinsèque de la plupart des systèmes physiologiques chez le nouveau-né, la récupération
cardiaque, pulmonaire, ou rénale est beaucoup plus rapide qu’à d’autres âges de la vie. Dans
les situations d’atteinte neurologique grave, qui représentent au moins 40% des situations de
soins palliatifs en réanimation néonatale [4], une fois passée cette dépendance aux traitements
de suppléance vitale, l’autonomisation des grandes fonctions vitales fait que l’arrêt de
réanimation n’entraîne plus toujours le décès mais parfois une survie en état neurologique
profondément dégradé. Pourtant, la récupération de fonctions vitales correctes sans
récupération cérébrale ne permet pas d’envisager sereinement la poursuite de la réanimation.
Cette période a reçu le nom de « fenêtre d’opportunité » [5,6]. Si la réanimation est arrêtée, le
plus souvent le patient décède rapidement (en soins palliatifs) car une des fonctions vitales
n’est plus suppléée.
Le temps de vie du patient gravement malade en néonatalogie est donc dépendant, d’une part,
de l’évolutivité propre de la maladie et d’autre part, et contrairement à d’autres situations
médicales à d’autres âges de la vie, dépendant aussi des décisions médicales de limitation ou
d’arrêt de thérapeutiques fondées largement sur la prédiction de la qualité de sa vie future [7].
C’est particulièrement vrai dans les situations consécutives à une anoxie cérébrale sévère
contemporaine de la naissance [8].
Le temps des parents
« Les parents » sont d’abord deux personnes distinctes aux histoires différentes. Il s’agit
souvent d’un homme et d’une femme qui de fait ont des traits psychiques différents,
l’investissement de l’un et l’autre dans la grossesse peut être inégal, tout ceci rendant leur
cheminement asynchrone.
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Les études [9] rapportent un fort sentiment de culpabilité chez la plupart des mères qui n’ont
pu mener à bien leur grossesse, soit qu’elles aient accouché trop tôt (prématurité) soit qu’elles
se considèrent comme responsable d’un accident aigu de la naissance (difficulté obstétricale,
infection néonatale…) ou d’une malformation sévère du fœtus. Chez les pères c’est le
sentiment d’impuissance qui prédomine, associé à un désir de protéger leur conjointe.
Résignation et acceptation (ou non opposition)
On rencontre souvent une première phase de sidération et/ou de dénégation de durée variable
pendant laquelle les entretiens se succèdent sans parfois permettre une verbalisation de la part
des parents. Survient souvent ensuite une phase d’espoir, plus ou moins longue, que la
proposition de limiter certains traitements et de mettre en œuvre des soins palliatifs vient
effondrer.
Une période de réflexion va s’installer, qui ouvre le plus souvent une phase de résignation ou
d’acceptation du pronostic et des soins palliatifs, voire même une simple « non-opposition » à
ce que proposent les médecins; ceci dépend beaucoup de l’alliance qui a pu se tisser entre
parents et médecins (et de la situation 1 ou 2 ci-dessus).
Les entretiens avec l’équipe médicale, les infirmières, la psychologue aboutissent en général à
une certaine acceptation du caractère inéluctable de l’évolution et à une compréhension
éclairée des conséquences d’une poursuite de la réanimation.
Parfois le scénario est différent : l’un ou l’autre des parents, quelquefois les deux,
demandent l’arrêt immédiat et total de tous les traitements. Ils expriment le besoin « d’aller
vite », de « tourner la page ». Décision brutale dont les professionnels se méfient car il existe
toujours une ambivalence et ces souhaits sont souvent remis en question au fil du temps.
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Mais le tableau est extrêmement polymorphe : certains parents vont demander à l’équipe
de « faire le maximum », d’autres refusent de croire au diagnostic et au pronostic tandis que
d’autres peuvent s’installer dans l’attente « d’un miracle ».
L’état de l’enfant compte beaucoup dans cette appréciation : Si l’enfant s’est autonomisé sur
le plan respiratoire et cardiaque et présente quelques mouvements spontanés, il leur est
extrêmement difficile de croire à la gravité du pronostic annoncé par les médecins. On est
donc fréquemment en présence de mécanismes de défense psychique des parents qu’il est
capital de respecter car ils leur permettent « de tenir » dans cette épreuve particulièrement
difficile.
Si l’un des parents a présenté des antécédents psychiatriques, il faut lui prêter une attention
soutenue et lui proposer une prise en charge spécialisée car le risque de décompensation est
réel.
Le temps qui passe risque d’aggraver les conflits entre les parents et l’équipe même si au
départ tout le monde est d’accord sur le pronostic et la conduite à tenir : Une équipe de
Montréal a rapporté 75% de conflits au bout d’une semaine de soins palliatifs en réanimation
néonatale [3]. Fournier & Maglio [10] rapportent également un mauvais vécu parental lorsque
le temps de l’agonie se prolonge. Ces constatations ont d’ailleurs donné lieu en juillet 2013 à
une recommandation du Conseil Consultatif National d’Ethique dans l’avis 121: chez le
nouveau-né, « Il est souhaitable que la loi soit interprétée avec humanité afin que grâce à la
manière de mener la sédation le temps de l’agonie ne se prolonge pas au-delà du
raisonnable ».
Les parents sont aussi issus de leurs deux histoires familiales ; il existe dans certaines
familles des dates « fatidiques » remémorant à chacun des événements dramatiques du passé ;
éviter à tout prix un nouveau décès à ces dates peut être source d’atermoiements incompris de
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l’équipe si la cause n’en est pas clairement exprimée. Or il peut être très difficile pour un
parent de raconter cette histoire aux soignants et encore plus aux médecins. De même, les
parents peuvent vouloir éviter certaines dates festives pour prendre une décision, avec l’idée
de protéger leurs autres enfants ou leurs proches d’un décès survenant à Noël ou à une date
anniversaire par exemple. Ils peuvent également souhaiter la présence d’un être cher à leurs
côtés avant de se résoudre à accepter la limitation ou le retrait des thérapeutiques. Dans
d’autres situations, ils souhaitent la venue d’un proche pour le baptême avant l’arrêt de
réanimation, et le temps sera suspendu jusqu’à l’arrivée de cette personne.
Il faut aussi laisser le temps aux parents de « remplir leur malle aux trésors » selon
l’expression d’A Ernoult, temps qui correspond souvent au délai entre la décision d’arrêter
des traitements et la mise en œuvre de cette décision; c’est la période où les mères prennent
parfois pour la première fois leur bébé dans les bras.
Temporalité et culture
Il est certain que selon le milieu culturel et religieux dont est issue la famille, la temporalité
peut être vécue de manière très différente. Il nous a été donné de constater que la question
« Combien de temps cela va-t-il durer », fréquemment posée par les parents dans les services
de réanimation est moins souvent le fait des parents d’origine maghrébine et pas du tout celui
des familles d’origine asiatique, comme si l’immense incertitude de l’avenir était plus
présente dans ces cultures ou comme si elles avaient développé une sagesse vis-à-vis de
l’immanence , que notre culture a gommée en rêvant de maitriser le temps y compris celui du
mourir….
Comment travailler avec les deux parents dans cette différence de temporalité ?
Il n’est certainement pas possible de gommer ces écarts de temporalité entre parents mais les
entretiens conjoints, les entrevues itératives des deux parents avec l’équipe et les médecins, la
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constance des informations rapportées par un nombre limité d’interlocuteurs [9] permettent de
donner simultanément aux deux parents un minimum d’informations communes qui leur
permettent de discuter ensemble et avec leurs proches de la situation, et ainsi de s’ajuster
progressivement. Une information spécifique vers les proches, en particulier les grands
parents, peut d’ailleurs être organisée par les médecins à la demande et en la présence des
parents. Les parents rapportent qu’il leur est d’un grand secours de pouvoir discuter en dehors
du service avec d’autres personnes au courant des problèmes et conscientes des enjeux (et
cela également en dehors des situations de fin de vie).
Il faut comprendre aussi que le cheminement parental est source d’angoisse, de culpabilité et
que l’ambivalence est constante, ce qui explique les possibles changements d’attitude
survenant d’un jour à l’autre et qui nécessitent des explications renouvelées, si possible sans
jugement et sans changement de cap de la part du corps médical. Ces apparents allers-retours
sont un mode habituel d’évolution des parents dans la difficile intégration de l’inéluctable
réalité. Parallèlement, le soutien psychologique qui leur est proposé devra s’ajuster au rythme
psychique de chacun.
Au total, prise de conscience, acceptation ou résignation demandent aux parents un temps
beaucoup plus long que pour les soignants.
Le temps des soignants paramédicaux
Comment s’organise le temps pour l’équipe soignante ?
Là encore soulignons la multiplicité des intervenants qui fait que le terme « équipe » ne rend
pas forcément compte d’une unanimité. Ce sont souvent les infirmières qui perçoivent en
premier le risque d’obstination déraisonnable ou tout au moins rapportent des doutes sur la
légitimité de la poursuite des traitements de suppléance vitale ou de certains d’entre eux. Cette
perception est probablement liée à la proximité des soignants avec l’enfant. De même que ce
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sont souvent les soignants qui alertent sur la douleur ressentie par le patient, de même le
temps quotidien passé au chevet de l’enfant et dans des circonstances variées, leur donne une
pertinence dans la description clinique des divers états du nouveau-né. Les infirmières et les
auxiliaires connaissent en effet les réactions de leur patient aux différents stimuli que sont
l’aspiration trachéale, la toilette, les prélèvements et tout ce que la vie en réanimation rend
nécessaire et elles peuvent les comparer au cours des phases d’éveil et de sommeil. Les
soignants intègrent par ailleurs le contenu des transmissions médicales si elles se font en leur
présence, ce qui est considéré comme souhaitable et bénéfique à la circulation optimale de
l’information dans nombre de services.
Leur perception peut néanmoins être troublée par deux phénomènes :
D’une part un état clinique (inquiétant) marqué par de faibles réactions aux stimuli et une
communication pauvre ou nulle peut être dû à des traitements sédatifs, anticonvulsivants ou
antalgiques majeurs prescrits en raison de l’état de l’enfant, entraînant une perte partielle ou
totale de conscience qui peut être impressionnante et durer plusieurs jours, alors même qu’il
s’agit d’un état réversible. Inversement, la présence de mouvements spontanés ou des réflexes
archaïques ne témoigne pas d’un potentiel neurologique ultérieur intact.
Deuxièmement la proximité des soignants et l’alliance qu’ils tissent avec les parents sont
réelles. Il existe non seulement une proximité dans les soins mais également souvent une
proximité générationnelle : même âge, mêmes soucis personnels liés à la parentalité récente
ou imminente, mêmes angoisses et mêmes projections parfois négatives sur l’éventualité
d’élever un enfant gravement handicapé, entraînent une facilité d’identification du personnel
majoritairement féminin avec la mère. Les infirmières peuvent dès lors transmettre aux
médecins, consciemment ou inconsciemment, une angoisse ou une impatience qui leur est
personnelle et qu’elles rapportent comme étant celles des parents. Certes les études
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d’infirmière ou de puéricultrice sont l’occasion de décrypter et de repérer les mécanismes de
projection et d’identification sur le patient ou sa famille, mais en situation de réanimation où
le stress et l’angoisse (dus à la gravité de la maladie et à la mort toujours possible) peuvent
occuper une place majeure, il est parfois plus difficile d’éviter ces écueils de projection
pourtant connus. Avec l’expérience, les soignants prennent généralement plus de recul mais
ces phénomènes d’identification peuvent être difficiles à éviter pour de multiples raisons liées
à l’histoire et à l’évolution psychique de chacun.
De même qu’il existe parfois des dates symboliques que les parents souhaitent éviter,
l’approche de dates festives (Fête des mères, Noël) est parfois l’occasion pour les soignants de
surseoir à des décisions importantes par souci d’humanité.
La communication interdisciplinaire entre en jeu dans l’organisation de la temporalité des
soignants. Dans plusieurs enquêtes [1,2] les infirmières expriment le sentiment de ne pas être
entendues ni écoutées par le corps médical, alors même que les médecins ont le souhait et
l’impression de les écouter et de les entendre. Les réunions d’équipe et la (ou les) réunion(s)
collégiale(s) successives devraient être le lieu privilégié d’expression et d’écoute des
soignants par le reste de l’équipe médicale et paramédicale. Il est nécessaire qu’existe un
temps de partage des informations pour comprendre la situation clinique, comprendre et
partager la décision prise au terme d’une délibération collégiale.
Enfin les relations interpersonnelles et la communication informelle restent des moyens
privilégiés pour que chacun exprime aussi librement que possible son point de vue et son avis.
Le temps des médecins
Le médecin est légalement responsable de la décision de limiter ou suspendre les traitements
de suppléance vitale après avoir suivi la procédure collégiale (car le patient est incapable
d’exprimer sa volonté) et après avoir recueilli l’avis des parents (car il s’agit d’un mineur). La
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procédure collégiale nécessite de recueillir l’avis d’un médecin consultant voire deux,
d’organiser une réunion avec l’équipe et de transcrire le sens des concertations et des
discussions dans le dossier.
Cette décision est lourde de conséquences car l’arrêt de réanimation aboutit généralement à la
mort du patient (94% des cas dans la série de N Mazille et al [6]). La survie après arrêt de
réanimation, même si elle est rare (6% des arrêts dans cette série), est aussi très perturbante
lorsque l’on a annoncé à la famille l’extrême gravité du pronostic qui a légitimé le retrait des
thérapeutiques de soutien vital, le sous-entendu (malgré tout parfois énoncé) étant qu’il
vaudrait mieux que l’enfant n’ait pas à vivre cette vie qui se profile.
Etablir un pronostic demande du temps : la répétition des examens comme l’Imagerie par
Résonnance Magnétique Nucléaire, l’électro-encéphalogramme, doit suivre une temporalité
particulière ; les images et les enregistrements n’ont pas la même valeur pronostique d’un jour
à l’autre [11]. Certains traitements comme l’hypothermie contrôlée nécessitent du temps puis
le réveil de l’enfant et une nouvelle évaluation neurologique avant de porter un pronostic plus
précis. [8].
La réflexion éthique aussi demande du temps. Il faut assurer les rencontres réitérées avec les
parents pour cerner au mieux leur avis (aller plus loin que « recueillir leur avis » comme le
prescrit la loi), nouer avec eux une relation de confiance qui débouche sur une alliance [12].
On peut ainsi cerner peu à peu avec eux le meilleur intérêt de l’enfant et le rapport bénéfice-
risque des thérapeutiques mises en œuvre, en appréciant les conséquences non seulement pour
l’enfant mais également pour sa famille, ce qui est certainement une particularité de la
démarche palliative périnatale.
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Il faut organiser également des réunions d’équipe si la situation sort de la routine afin que
chacun comprenne la maladie et les risques immédiats et à long terme. Il faut enfin organiser
la réunion collégiale.
L’équipe médicale peut être traversée par la tentation d’utiliser la « fenêtre d’opportunité » où
la vie du patient est dépendante des techniques et des thérapeutiques, après quoi l’autonomie
(respiratoire et cardiaque) imposera d’autres contraintes en termes de limitation ou d’arrêt de
thérapeutiques (comme l’arrêt de nutrition et d’hydratation artificielles et la sédation associée
par exemple). Mais une décision précoce risque d’être mal étayée, mal comprise, mal assumée
et peut survenir trop tôt dans l’évolution psychique parentale. Pour beaucoup d’équipes
françaises [13], il semble plus raisonnable de ne pas céder à la hâte, mais ce n’est pas l’avis
de certaines équipes américaines [14].
Il peut arriver aussi que les médecins soient tentés d’aller vite, de ne pas se mettre au tempo
des parents quand la situation apparaît catastrophique et que la décision médicale est partagée
par tous les professionnels. Il s’agit d’un écueil à éviter.
Enfin on peut aussi observer une tentation de convaincre les parents plutôt que les écouter et
de les laisser cheminer à leur rythme.
Les temporalités des différents protagonistes peuvent-elles s’harmoniser?
Il est important d’abord de reconnaître que l’angoisse, la culpabilité et l’ambivalence que
nous avons mentionnées comme des constantes de la vie psychique des parents habitent aussi
mais différemment et en miroir, les soignants et les médecins. Tous auront intérêt à
reconnaître que d’un jour à l’autre eux aussi changent dans leur appréciation de la gravité de
la situation, de même qu’ils oscillent d’un moment à l’autre entre le désir de sauver le patient
et celui de le voir mourir.
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Le patient est « l’horloge interne » qui donne le tempo de cette période. L’observation
clinique répétée et le renouvellement des examens complémentaires sont la base d’une
évaluation de qualité qui demande du temps.
Le temps des parents répond lui aussi à un système complexe qu’on ne peut modifier mais
que l’on peut tenter de comprendre.
A partir de ces deux données sur lesquelles on a peu de prise, la connaissance et la
reconnaissance des différences d’appréciation de la temporalité des uns et des autres permet
aux équipes et aux médecins d’éviter un certain nombre d’incompréhensions et de conflits
d’une part avec la famille et d’autre part entre eux, au sein de l’équipe médico-soignante.
Comment faire ?
Des réunions explicatives permettent aux médecins et aux soignants de synchroniser
leur raisonnement sur la pathologie en cause, surtout s’il s’agit d’une maladie rare.
Les contacts quotidiens entre les infirmières et les parents permettent aux équipes de
comprendre où en sont les parents dans leur réflexion, à condition que chaque discussion de
poids soit retranscrite dans le dossier infirmier, que cette problématique du temps soit
délibérément abordée et que l’expression de leur ressenti soit sollicitée et non laissée au
hasard des discussions.
Les rencontres médecins parents gagnent à se dérouler en présence d’un membre de
l’équipe soignante qui pourra reprendre ensuite avec eux les points obscurs ou mal compris et
aussi communiquer de manière informelle envers le reste de l’équipe sur « ce qui s’est dit ».
Les parents ont le plus souvent besoin d’entendre plusieurs fois l’argumentaire médical pour
pouvoir se l’approprier, d’autant plus lorsque de nouvelles informations leur sont données.
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La loi impose un certain nombre de contraintes qui vont modifier la temporalité :
organiser la réunion collégiale, recueillir l’avis d’un ou plusieurs consultants, recueillir l’avis
des parents, tout cela va « prendre du temps ». On peut aussi considérer qu’en fait ces
contraintes vont « donner du temps » aux parents, à l’équipe, aux médecins pour réfléchir et
avancer ensemble vers l’évaluation du rapport bénéfice-risque de la poursuite des traitements
et du meilleur intérêt de l’enfant. Le respect des contraintes légales impose un rythme
favorable à la réflexion et au recueil des différentes composantes de la décision. Ecoute et
compréhension réciproques sont la base d’une synergie opérationnelle profitable à tous.
Il est important qu’à la fin du processus les parents aient la sensation d’avoir été
écoutés, qu’ils aient perçu qu’on a pris le temps d’évaluer sans hâte tous les possibles pour
leur enfant en intégrant ces perspectives dans la dynamique familiale, que la loi a été
respectée et que la mise en œuvre des soins palliatifs a été respectueuse de leurs besoins et de
ceux de leur enfant. De même les membres de l’équipe doivent pouvoir témoigner qu’on les a
non seulement écoutés (en « recueillant leur avis », au sens de la loi) mais aussi entendus en
adaptant les décisions en partie à leur appréciation, à tout le moins en expliquant les
éventuelles divergences de points de vue et les conséquences pratiques qui en découlent. Il
nous semble essentiel de favoriser l’expression de la multiplicité éventuelle des points de vue
et non de viser un idéal d’unanimité.
Pour l’ensemble de ces raisons il est important qu’après le décès de l’enfant l’équipe
se réunisse pour retracer ensemble le fil des événements qui ont jalonné cette histoire et en
tirer les enseignements pour l’avenir en l’analysant sous l’angle de la temporalité des uns et
des autres.
Si tout ceci a pu se réaliser dans un climat apaisé, l’enfant pourra mourir dans la
dignité, les parents et la famille pourront évoluer dans leur deuil propre et entamer une
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période de rétablissement, et l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale, enrichie de
cette expérience, pourra en tirer un bilan positif réutilisable dans les nouvelles situations
qu’elle rencontrera.
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