psychotraumatologie : apports de la psychiatrie militaire et de la
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UNIVERSITE DE ROUEN FACULTE DE MEDECINE
Anne 2012
THESE POUR LE DOCTORAT EN MEDECINE
Psychotraumatologie :
Apports de la Psychiatrie Militaire et de la Psychiatrie Civile.
Prsente et soutenue publiquement le 20 septembre 2012
par Isabelle de VITTON
Prsidente de jury : Madame le Professeur Florence THIBAUT Directeur de thse : Monsieur le Docteur Christian NAVARRE
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Par dlibration en date du 3 mars 1967, la Facult a arrt que les
opinions mises dans les dissertations qui lui seront prsentes doivent tre considres comme propres leurs auteurs et quelle nentend
leur donner aucune approbation ni improbation.
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Remerciements Aux membres du jury de cette thse :
Madame le Professeur Florence THIBAUT qui ma fait lhonneur daccepter de prsider le jury, Monsieur le Docteur Christian NAVARRE qui a dirig ce travail, ainsi que les Professeurs Pierre DCHELOTTE et Bernard PROUST.
mes matres :
le Professeur Florence THIBAUT et le Gnral Louis CROCQ, pour lexcellence de leur enseignement et leur prcieux soutien.
Je tiens galement leur tmoigner toute ma gratitude pour leurs encouragements et les opportunits quils mont offertes dentrer en relation avec certaines personnes particulirement comptentes dans la problmatique aborde.
mon directeur de thse et chef de service au Centre Hospitalier du Rouvray :
le Docteur Christian NAVARRE, qui fut pionnier dans le rseau des CUMP et sans lequel je naurais pu raliser ce travail.
Il ma transmis sa passion de la psychotraumatologie et ma guide au cours de mon internat. Quil en soit sincrement remerci.
Aux chefs de service qui mont accueillie et forme :
le Professeur Humbert BOISSEAUX grce qui jai eu le privilge de connatre la psychiatrie militaire, le Professeur Priscille GRARDIN, le Docteur Christian NAVARRE, le Docteur Annie NAVARRE, le Docteur Gal FOULDRIN, le Docteur Laurent FABRE, le Docteur Marie-Nolle VACHERON, le Docteur Mounir SAMY et le Docteur Batrice BEAUFILS, ainsi que leurs quipes.
Ils ont fait de moi la psychiatre que je suis aujourdhui. Je leur suis profondment reconnaissante de tout ce quils mont apport.
Aux enseignants du Diplme Universitaire sur le stress de Paris V :
notamment le Gnral CROCQ, Madame DENTAN et Monsieur CABON. Mes remerciements vont galement au Docteur Franois DUCROCQ pour
son aide prcieuse dans mes recherches bibliographiques.
Aux militaires qui ont accept de se prter aux entretiens. Je ne saurais suffisamment remercier pour la qualit de leur accueil les deux
rgiments qui se reconnatront. Aux patients qui ne sauront jamais quel point ils mont enrichie au cours de ma formation.
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Je ddie cette thse mes parents,
mon arrire-grand-pre le Colonel HIRIART, ancien dport,
et mon oncle Pierre LONARD, mort sous les drapeaux 23 ans.
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Sommaire
I. Introduction
II. Historique de la psychotraumatologie
A. En milieu militaire 1. Ds lAntiquit 2. Lexprience napolonienne 3. Les grands conflits arms mondiaux 4. Guerres post-coloniales et terrorisme
B. En milieu civil 1. Les catastrophes civiles 2. Psychiatrie de secteur et psychiatrie durgence
C. Interactions et apports rciproques
1. Les psychiatres et les guerres 2. Cration des CUMP 3. SAMU et EPRUS
III. Clinique et thrapeutique de ltat de stress aigu et de ltat de stress post-traumatique
A. Clinique de ltat de stress aigu et de ltat de stress post-
traumatique 1. Dfinitions 2. LESA 3. LESPT
B. Thrapeutique en milieu militaire 1. Programmes daide aux soldats
a. BMT b. Buddy Aid c. ERASE
2. CISPAT et psychiatre dOPEX a. SSA b. CISPAT
3. Le debriefing
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C. Thrapeutique en milieu civil 1. La psychothrapie
a. Analytique b. TCC c. Hypnose d. EMDR e. Approches ltude
2. La pharmacothrapie a. Hypothses physiopathologiques b. Psychotropes
IV. Prise en charge du stress de combat en milieu militaire : une volution rcente
A. Le sas de fin de mission de Chypre
1. Pourquoi un sas de fin de mission ? 2. Droulement du sas 3. Objectifs
B. Observations cliniques 1. Militaires ntant pas passs par le sas 2. Militaires tant passs par le sas 3. Commentaires
C. Evolution de la socit et du Service de Sant des Armes
1. Une arme professionnalise 2. volution des mentalits 3. Un partenariat renforc
V. Discussion
VI. Conclusion Bibliographie Annexes Rsum
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I. Introduction Le domaine de la psychotraumatologie, encore mconnu il y a quelques dcennies, a
formidablement volu au cours de lHistoire.
Bien que des descriptions de cas correspondant au syndrome psychotraumatique aient t
rapportes depuis lAntiquit, cest au cours des grands conflits arms du XXe sicle que la
psychotraumatologie a connu son plein essor.
lheure o les mdias parlent de plus en plus des cellules de soutien psychologique
dployes en cas de catastrophe civile, et o larme franaise dsengage ses troupes du
thtre militaire afghan, ce travail se propose de reprendre le dveloppement de la
psychotraumatologie au travers de lvolution conjointe de la psychiatrie militaire et de la
psychiatrie civile.
Aprs un rappel clinique et thrapeutique, un expos du rcent dispositif de sas de fin de
mission au sein de larme franaise ouvrira la discussion sur la complmentarit de ces
deux approches mdicales. Des mthodes psychothrapeutiques similaires peuvent en effet
sappliquer aux victimes civiles de catastrophes.
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II. Historique de la psychotraumatologie Le dveloppement de la psychotraumatologie sest articul autour des vnements
martiaux de lHistoire qui furent des moments de rupture et de rnovation.
Les progrs de lhygine mdicale faisant reculer les grands flaux pidmiques qui
dominaient les questions de sant, notamment en milieu militaire, laissaient progressivement
voir limpact de la bataille sur ltat psychologique du soldat.
A. En milieu militaire
Alors que la nvrose traumatique a t identifie par le neurologue allemand
OPPENHEIM ds 1888 chez les accidents des tout rcents chemins de fer (109), ce sont
surtout les conflits arms du XXe sicle qui ont fait le jour sur ce qui fut dnomm la
nvrose de guerre , et qui en ont permis les grandes avances thrapeutiques.
La pathologie psychotraumatique, dj retrouve dans les rcits relatant les rves de
bataille dans lAntiquit, prit successivement diverses appellations.
Du syndrome du vent du boulet lors des guerres napoloniennes, aux hystries
traumatiques de la Grande Guerre, la connaissance de ce trouble sest enrichie des grands
conflits arms du XXe sicle.
Le nouveau type de guerre que connat le XXIe sicle offre de nouveaux dfis aux
psychiatres militaires contemporains, qui oeuvrent de plus en plus en partenariat avec leurs
homologues civils.
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1. Ds lAntiquit
Selon L. CROCQ (34), la rflexion sur le trauma a toujours accompagn la violence de
lHomme et sa rencontre avec lincomprhensible de la mort.
On en retrouve ainsi des traces dans le rcit lgendaire plurimillnaire de lpope
msopotamienne de Gilgamesh en 2000 av. JC, ou encore dans lIliade dHOMRE (900 av.
JC)
On retrouve dans lAntiquit de nombreux autres cas en lien avec des combats :
Le cas du guerrier athnien EPIZELOS, atteint de ccit hystrique motionnelle en
pleine bataille de Marathon, constitue une vritable observation clinique rapporte par
HRODOTE en 390 av. JC (cit par L.CROCQ en 2003 (35)).
On peut aussi en retrouver dans la Chanson de ROLAND (Bataille de Roncevaux) vers
1110, et dans les Chroniques de FROISSART (Guerre de Cent Ans) en 1338.
Ambroise PAR, chirurgien franais des champs de bataille, recueille au lendemain du
massacre de la Saint Barthlemy (1572) auprs du jeune roi Charles IX qui en fut tmoin, ses
plaintes dhallucinations et cauchemars terrifiants en faire dresser les cheveux sur la tte .
Dans son pome Les Tragiques, AGRIPPA dAUBIGN dcrit par cette mme image ( Mes
cheveux tonns hrissent en ma tte ) les atrocits auxquelles il a assist en tant
quhuguenot lors des guerres de religion.
Cest cette poque que SHAKESPEARE mentionne les rves de bataille dans ses pices
Romo et Juliette, et Henry IV, et dcrit, dans Macbeth, les symptmes psychotraumatiques
du couple Macbeth, tortur par la culpabilit de ses crimes. (35)
2. Lexprience napolonienne
Les vnements de la Rvolution et de lEmpire fournirent des cas de nvroses de la
circulation ou de la respiration , prfigurant la nvrose traumatique.
Il faut rappeler que la discipline psychiatrique nexistait pas en tant que telle avant le
XIXe sicle (ESQUIROL, PINEL), et quelle ne sest autonomise de la neurologie quau
milieu du XXe sicle.
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Les dsordres psychiques observs jusqualors trouvaient une explication
neuropsychiatrique, et les pathologies infectieuses telles que syphilis et tuberculose taient
combattues en premier chef par les mdecins du Service de Sant des Armes. (CLERVOY
2008 (26))
DESGENETTES, PERCY et LARREY, mdecins de la Grande Arme, dnomment
syndrome du vent du boulet ltat stuporeux qui saisit les combattants pargns de
justesse par un boulet pass tout prs deux. (CROCQ 2003 (35)). Le concept de la commotion
est leffet lsionnel sur les mninges et les vaisseaux crbraux de la succession dondes de
pression et de dcompression accompagnant lexplosion de lobus.
Il est intressant de noter que le Syndrome Post-Commotionnel est une entit clinique
actuelle, comme le rappellent AUXEMERY et RIBETON de lHIA Legouest Metz dans
leur travail de 2012 La ralit post-commotionnelle du syndrome subjectif des patients
traumatiss crniens (6) :
Le syndrome post-commotionnel rside aux confins de symptmes somatiques
(cphales, vertiges, fatigue), cognitifs (trouble de mmorisation et de concentration), et
affectifs (irritabilit, labilit motionnelle, dpressivit, anxit, troubles du sommeil). Partant
du constat que de nombreux traumatiss crniens lgers examens clinique et paraclinique
normaux prsentent une souffrance durable, les auteurs affirment que la recherche de
microlsions crbrales est ncessaire afin dobjectiver latteinte neuropathologique et de
proposer un modle tiologique, mais ne doit pas faire dissocier le psychique du somatique
(dissociation thorique cerveau-esprit) dans lapproche thrapeutique de ces patients.
Une tude amricaine de mai 2012 de GOLDSTEIN et son quipe a t publie sur le
syndrome post commotionnel (57). Ils ont ralis des autopsies de cerveaux de vtrans de
larme amricaine ayant t exposs des blasts (souffles dexplosion) et/ou
concussion (commotion crbrale) et ont retrouv une encphalopathie neurodgnrative
lie la protine tau, l encphalopathie traumatique chronique , connue chez des joueurs
de baseball antcdent de traumatisme crnien lger.
Lexprience que GOLDSTEIN a alors monte sur modle murin blast a retrouv la
tauopathie associe une neuro-inflammation chronique, une axonopathie, et des lsions
microvasculaires sans hmorragie ni lsion crbrale macroscopiques. Ces lsions
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expliqueraient les troubles mnsiques observs au dcours des traumatismes. Il a t dmontr
que limpact dltre des ondes de choc passait par (et pouvait ne se limiter qu) loscillation
de la tte. Les rsultats identifient donc des dterminants pathogniques communs
lencphalopathie traumatique chronique chez les militaires exposs des blasts et chez les
sportifs traumatiss crniens. Il sagit pour les auteurs dune preuve mcanique du lien entre
lexposition des traumatismes crniens lgers (commotions crbrales) et les dficits
persistants des fonctions neurophysiologiques que sont lapprentissage et la mmoire.
Dans son article Psychiatrie du combattant : volution sur trois sicles, P. CLERVOY
crit en 2008 (26) Dans son acte auprs du bless de guerre, le dvouement du chirurgien, sa
prsence et son engagement moral, sont dj la forme dun soin psychologique.
Henri DUNANT rapporte en 1863 (43) lhorreur du champ de Bataille de Solferino le 24
juin 1859 les yeux hagards , la prostration et les soldats agits dun branlement
nerveux et dun tremblement convulsif .
la mme poque, DA COSTA, mdecin dans larme nordiste lors de la Guerre de
Scession amricaine dcrivait le soldiers heart ( cur de soldat ), manifestation
cardiovasculaire danxit due lpuisement et la frayeur.
Cest au cours de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 que fut instaure la doctrine de
la psychiatrie de lavant par le psychiatre russe AUTOCRATOV : le transsibrien
ntant pas achev, cest par charrettes hippomobiles que les psychiatres parcouraient le front
la recherche de blesss psychiques afin doprer un triage et de les traiter proximit du
front. Lallemand HONIGMAN, qui y participait comme psychiatre volontaire de la Croix
Rouge, cra le terme de nvrose de guerre en 1908.
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3. Les grands conflits arms mondiaux
La Premire Guerre Mondiale oublia cette pratique de psychiatrie de lavant et vit
vacuer sur les hpitaux de larrire une masse de blesss psychiques qui reprsentait une
attrition notable deffectif au front. Leurs cas firent lpoque lobjet de nombreuses
publications.
Comme le rapporte le Docteur NAVARRE en introduction de son ouvrage de 2007
Psy des catastrophes, dix annes auprs des victimes (105), ces combattants rescaps des
assauts meurtriers, englus de la boue des tranches en tte tte forc avec les cadavres
grimaants de leurs camarades, ces soldat saturs dexplosions, dclats dobus et de bombes,
ahuris aprs lacharnement dun corps corps o ils ont peru la frocit dans le regard de
lennemi, () reviennent effrays de ce nant des enfers .
Les blesss nerveux qui ne sont pas morts au front sont des poilus qui nont jamais eu
droit la reconnaissance publique, tant ils renvoyaient une image terrible de la guerre en
complte contradiction avec les lauriers de lhrosme.
Un mdecin militaire, le mdecin-major MILIAN, est en janvier 1915 lun des premiers
dcrire les cas de psychonvrose que prsentent ces hommes frapps de terreur dans son
article intitul Lhypnose des batailles paru dans la revue Paris Mdical (96).
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Dans Le Courage (1917) (66) et Le Cafard (1918) (67), Paul VOIVENEL et Louis HUOT
tudient le stress post-traumatique, analysant la dcharge motionnelle diffre ( hmorragie
de la sensibilit ) contenue durant lassaut sous le coup de lhorreur de la situation. Ce nest
qu lissue des vnements que leffroi submerge le Poilu.
La Premire Guerre Mondiale marqua une grande rupture pour les mdecins militaires
qui se retrouvrent confronts une incidence inattendue de conversions hystriques.
En 1916, ROUSSY et BOISSEAU (cits en 2011 dans le livre de LE NAOUR Les
soldats de la honte (90)) notaient que ds le dbut de la guerre, les troubles nerveux tant
organiques que fonctionnels prirent une importance qui ne laissa pas de surprendre mme les
gens les plus autoriss .
Lhypothse pathognique commotionnelle a laiss place lhypothse motionnelle
avec lattribution dune signification symbolique au symptme conversif.
Ainsi, il a t observ des tics de la face chez le soldat ayant billonn un ennemi au
visage, ou des spasmes abdominaux chez dautres qui avaient poignard ladversaire
labdomen, ou encore des ccits conversives chez des snipers.
Un ouvrage de psychiatrie militaire de 1930 (RODIER et FRIBOURG-BLANC (113)),
cit par CLERVOY (26), sattachait dmontrer quil nexistait pas de clinique psychiatrique
spcifique au temps de guerre.
Cinq ans plus tard, les mmes auteurs publirent un autre ouvrage (FRIBOURG-BLANC
et GAUTHIER (52)) qui souligne pourtant les spcificits dune pratique psychiatrique aux
armes, comme le reprendront en 1969 les psychiatres JUILLET et MOUTIN dans leur
ouvrage Psychiatrie Militaire (72) qui synthtise les travaux psychiatriques de la Seconde
Guerre Mondiale. Les pathologies des temps de paix y sont distingues des pathologies des
temps de guerre en adoptant de nouveaux termes dnus de jugement moral ( conduite de
fugue au lieu de lchet , conduite addictive au lieu d ivrognerie )
Les articles du Gnral CROCQ (2005 (37)) ainsi que du Docteur NAVARRE (1991 (102))
ce sujet soulignent combien les profils cliniques, hypothses pathogniques et attitudes
thrapeutiques ont suivi lvolution du conflit.
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En effet, on a vu que MILIAN avait surnomm hypnose des batailles ltat confuso-
stuporeux des combattants puiss lt 1914. Lanne suivante, une fois le front stabilis,
cest le terme anglosaxon de shell shock (qui signifie littralement choc dobus , et traduit
leffet des ondes de choc caus sur le cerveau des combattants par les tirs dartillerie) ou celui
d obusite qui fut employ par GAUPP, MYERS et CHAVIGNY pour traduire les
squelles (en fait plus post-motionnelles que post-commotionnelles) des soldats pilonns au
fond des tranches qui prsentaient une obnubilation. Puis, avec lenlisement du conflit et la
baisse du moral des troupes, LPINE voque des hystries de guerre ou neurasthnies, dont
on sest inquit de lafflux quasi pidmique, alors que ces grandes hystries la
CHARCOT avaient quasiment disparu avant la guerre. De nombreuses observations
cliniques relevaient des troubles psychosomatiques touchant principalement la peau
(psoriasis), les phanres (canitie), le systme endocrinien (glande thyrode, pancras causant
des diabtes), et linnervation autonome (palpitations du cur du soldat de DA COSTA,
hyperhydrose palmaire). Enfin, la fin de la guerre voit apparatre les termes de
psychonvrose de guerre et nvrose traumatique par ROUSSY, MILLIGAN, FERENCZI et
LHERMITTE.
Ainsi, pour ROUSSY et LHERMITTE (1917 (116)), laccident nvropathique survient en
trois phases. Une premire phase de renforcement dune prdisposition motive
constitutionnelle dans le contexte martial, une phase d incubation silencieuse au cours de
laquelle linstinct de conservation suspend les ractions dangereuses de sidration ou
dagitation en milieu dcouvert et inspire au sujet des conduites de sauvegarde , puis une
phase de fixation o les symptmes nvropathiques sinstallent et se prennisent par
enfouissement dans linconscient.
Quant aux hypothses pathogniques, elles furent dabord organiques et biologiques avec
la confusion mentale de guerre de CAPGRAS, la paralysie nerveuse rflexe de
BABINSKI et OPPENHEIM, et lexplication post-commotionnelle de SARBO, MAIRET et
MOTT (rminiscence du Syndrome du Vent du Boulet de lpoque napolonienne).
Constatant que de nombreux tableaux se rduisaient aux troubles motionnels et affectifs mais
taient dpourvus des symptmes cognitifs de confusion, ltiologie commotionnelle cda la
place lhypothse post-motionnelle (par effroi et autosuggestion, comme le dcrivait
LPINE ). Les symptmes pseudo-neurologiques taient en ralit aberrants et changeants, ce
qui voquait une pathologie purement nvrotique (hystrique ou neurasthnique). Cest enfin
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les hypothses psychodynamiques qui simposrent avec les notions d effondrement
narcissique de rgression libidinale et de complexe de peur dveloppes par
FREUD, FERENCZI et ABRAHAM (51).
Sur le plan thrapeutique, on sinspira dabord de la thrapie applique par lAmricain
W. MITCHELL (qui posait le diagnostic d hystrie masculine ) en ayant recours aux
moyens usuels de sdatifs ou psychostimulants assortis de repos et nourriture abondante. On
insista ensuite sur la suggestion (KAUFMAN), ventuellement au moyen de coercition
faradique comme la pratiquait Clovis VINCENT, qui fut sans succs. En revanche, les
abractions cathartiques sous hypnose ou narcose (PROCTOR, CHIADINI) firent la preuve
de leur efficacit. ABRAHAM et SIMMEL en tablirent des applications de la psychanalyse.
On souligne la radicale divergence entre la mthode douce (de repos, balnothrapie,
hliothrapie, et massages) et celle du torpillage lectrique , qui rvle lambigut du
corps mdical face ces consquences de la guerre. Comme le disait PASTEUR, La
Science na pas de patrie, mais le savant en a une . Le dilemme du psychiatre militaire se
trouvait entre lexigence patriotique de la gurison la plus prompte pour renvoyer les soldats
leur devoir au front dont ils ont cherch se soustraire , et le soulagement de la
souffrance dun patient.
Les conversions hystriques posent la dlicate question de la simulation. On note
dailleurs que lhystrie, qui emprunte des symptmes de pathologie somatique sans aucune
anomalie organique, tait surnomme grande simulatrice par CHARCOT. BABINKSI,
lve de CHARCOT, rebaptise lhystrie en 1901 pithiatisme (dont ltymologie grecque
signifie persuader ). Il considre en effet que ce trouble nat de lautosuggestion, et que sa
gurison est affaire de persuasion. La simulation hante les proccupations des soignants, dont
le neurologue Andr LERI de Rennes, cit par LE NAOUR (90) : Ce qui augmente de plus
en plus cest lenttement complet et le parti pris bien arrt des simulateurs de ne cder
aucune espce de menace ou de contrainte ; il apparat de faon nette que des leons leur ont
t faites, et bien faites, [] leur assurant limpunit par limpossibilit frquente dune
dmonstration absolue.
En voquant les ractions de stress aigu inadaptes (comportement automatique, fuite
panique (CYGIELSTREJCH 1916 (39)), les mdecins militaires de la Grande Guerre
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identifient le caractre pathologique de ces soldats qui se mettent en danger (en jaillissant des
tranches et courant sous la fusillade) l o la justice militaire a parfois condamn mort un
fugueur /dserteur. LOGRE, dans son article Sur quelques cas de fugue pathologique devant
lennemi (92) en 1916 relate ces cas. On parle alors de peur morbide , de poltronnerie
pathologique .
Face la justice militaire et la terrifiante perspective du peloton dexcution l o le
commandement pouvait ne voir quun abandon de poste, lexpertise psychiatrique avait un
rle crucial : du certificat mdical pouvait dpendre la vie ou la mort de laccus. Aprs
plusieurs graves et lourdes erreurs mdico-judiciaires, lthique mdicale prvalut vers la fin
de la guerre.
Quand un homme recouvrait pleinement sa raison dans le confort relatif dun hpital de
larrire, il tait trs probable quil retomberait malade ds quon le renverrait lavant.
En 1917, LEPINE constatait que plus nous allons, et plus nous constatons dans cette
guerre que la prdisposition perd sa valeur et que les circonstances occasionnelles
apparaissent au contraire comme le vritable facteur. (91). On reconnaissait que la violence
du conflit pouvait conditionner leffondrement des rsistances du combattant.
Par ailleurs, bien que prconise ds 1915 par GRASSET, sinspirant dAUTOCRATOV,
la psychiatrie de lavant ne fut applique que deux annes plus tard par les Franais
(DEMAYE).
LAmricain SALMON la formalisera ultrieurement par ses cinq principes
Immediacy Centrality Expectancy Proximity Simplicity que lon peut traduire par
Immdiatet, centralit, espoir de gurison, proximit, et simplicit des soins
Mais nouveau, la Seconde Guerre Mondiale est marque par les vacuations vers
larrire des blesss psychiques. Cest au bout de quatre annes de guerre, quavec la
circulaire BRADLEY du 26 avril 1943, les psychiatres anglo-amricains ont eu ordre de
traiter les victimes dexhaustion (puisement) sur place pendant une semaine. Ce systme de
camps de repos et de rentranement a permis de limiter la fonte deffectif dans les rangs
allis.
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On retient cet t-l les incidents PATTON : gnral qui invectiva et gifla des soldats
traumatiss au combat.
Au lendemain des deux Grandes Guerres Mondiales, les souffrances psychiques
conscutives la guerre taient mconnues des psychiatres et mdecins de famille ny voyant
que de banales dpressions qui sattnueraient avec le temps. (AL-SAFFAR, BORGA, et
HALLSTROM 2002 (3)) (HOWGEGO, OWEN, et MELDRUM 2005 (65))
Leuphorie dune paix retrouve plongeait les soldats dans loubli ou lindiffrence qui
sajoutait un trauma encore plus indicible.
La spcificit de la nvrose de guerre ntait en fait connue que du cnacle
restreint des psychiatres militaires.
Cette pathologie particulire ne peut tre traite selon les mmes mthodes que celle de la
psychiatrie courante.
Les psychiatres militaires font ds lors la distinction entre les ractions aigus au combat,
et les nvroses de guerre, pathologie chronique qui en rsulte. Lhypnose et la narco-analyse
sont pratiques grande chelle dans le cadre de programmes de rhabilitation
(sociothrapie).
4. Guerres post-coloniales et terrorisme
Pendant la Guerre de Core (56) (1950-1953) et la guerre du Vietnam (1954-1975), les
principes de SALMON furent appliqus (38), mais le nombre des post-Vietnam syndromes
(25% des combattants) a montr combien une psychiatrie de lavant qui se contente de
rprimer les symptmes du stress sans aborder la question du trauma ntait pas thrapeutique
long terme. Ces post-Vietnam syndromes ont clos aprs un temps de latence pouvant aller
jusqu' plusieurs annes. Les vtrans cherchaient se gurir entre eux par la parole et
lcoute dans des rap groups, car ils avaient limpression de ne pas tre compris des
psychiatres. Les problmes poss aux Etats-Unis par lafflux des post-Vietnam syndromes ont
relanc lintrt pour cette pathologie et abouti en 1980 lentre de l tat de stress post-
traumatique ou Post Traumatic Stress Disorder (PTSD) dans les catgories
diagnostiques du DSM-III (Diagnosis and Statistical manual of Mental disorders) (89),
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remplaant les dnominations de nvrose traumatique (H. OPPENHEIM) ou de nvrose
deffroi du psychiatre allemand E. KRAEPELIN.
La pathologie psychotraumatique avait en effet disparu de la nosographie psychiatrique
au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Le diagnostic Gross Stress Reaction du DMS I avait disparu du DSM II (1968), alors
mme que les militaires au Vietnam connaissaient les conditions traumatiques dun combat
intensif avec loffensive du Tt. SHATAN, psychiatre canadien, qui observait leurs
reviviscences, leur agressivit, leurs ruminations, leur tat dalerte et leur transfiguration de
la personnalit , contribua la rintgration du PTSD dans le DSM III. Le rseau des Vet
Centers (structures extra-hospitalires destines aux vtrans et comprenant des psychiatres,
conseillers juridiques et assistants sociaux) a connu un immense succs, rvlant ltendue
des squelles psychiques, et le besoin dun suivi adapt au long cours.
Plus rcemment, un soutien psychologique mieux conu (avec dbriefings) a t appliqu
en Isral (1982), pendant la premire guerre du Golfe (1991), auprs des forces de lONU en
Ex-Yougoslavie (1992) et dans les forces franaises lors des missions outre-mer comme au
Rwanda en 1994.
Aprs de longues annes dimmobilisme apparent de la Guerre Froide, les soldats
franais se trouvent de nouveau impliqus dans des conflits arms, mais les conditions en ont
radicalement chang : il sagit doprations dinterposition et de maintien de la paix sous
mandat international de lONU et de lOTAN, des missions de police au profit du Tribunal
International, laccueil humanitaire de populations rfugies. On parle de Syndrome des
Casques Bleus pour voquer le stress permanent -li aux menaces individuelles et la
limitation des conditions douverture du feu- auquel ils sont exposs.
Les troupes de lONU affectes des missions dinterposition et de secours humanitaires
ont dvoil de nouveaux profils de psychotraumatismes de guerre avec dmotivation et
exaspration. (LASSAGNE et al. 1995 (78))
Les guerres post-coloniales (dIndochine, dAlgrie, dAngola), qui nont pas appliqu un
dispositif de psychiatrie de lavant efficace, ont un profil particulier : ce sont des guerres
faible intensit (i.e. sans grosse puissance de feu). Il sagit de gurillas. Linscurit y est
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permanente (risque dembuscades). Les Amricains parlent de low intensity combat
psychiatry war profile.
Avec lapparition du terrorisme, qui frappe limproviste des civils en temps de paix, et
essentiellement depuis les attentats du 11 septembre 2001, est apparu un nouveau type de
guerre. Alors quune technologie de plus en plus sophistique ne fera jamais parade aux
traumatismes psychologiques, le soldat du XXIe sicle doit faire face des ennemis masqus.
La France, qui navait pas connu dengagement dur depuis longtemps, est confronte
cette problmatique depuis que ses armes interviennent en Afghanistan.
Les guerres contre le terrorisme (Irak, Afghanistan) se caractrisent par leur asymtrie,
confrontant des forces armes traditionnelles une menace ubiquitaire propre aux gurillas,
avec de nouveaux enjeux stratgiques, diplomatiques et psychologiques : Les armes se sont
installes dans une guerre asymtrique opposant forces occidentales richement dotes mises
en chec par le harclement de gurillas protiformes, mobiles, noyes dans la population
locale, habiles fabriquer des engins explosifs improviss qui font des piges de chaque
maison ou chaque voiture. (CLERVOY, de MONTLEAU, et ANDRUETAN 2010 (27))
On y observe un scnario en deux temps : une courte offensive o la supriorit
technologique fait la diffrence, puis une priode floue de guerre aprs la guerre o les
troupes sinstallent dans les centres urbains pour des oprations de police et scurisation
rvlant la difficult dassurer loccupation sur le long terme.
Des armes structures pour le combat classique doivent faire face des actions de
gurilla avec vacuation de ressortissants, interposition, actions civilo-militaires, intervention
dans une ambiance dhostilit de la population civile.
Mme sans combat de haute intensit, les contraintes psychologiques sont trs fortes. Ces
conflits modernes engendrent de nouveaux facteurs de stress pour le combattant.
Le stress vient de lattente dans des FOB (Forward Operating Base : base oprationnelle
avance) qui peuvent tre cibles de roquettes, des TIC (Troop In Contact : confrontation,
attaque), et de lexposition des IED (Improvised Explosive Device : bombe artisanale) lors
des convois.
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Dans son article Intervention planifie : le vcu du risque vital. Tmoignage dun
psychiatre militaire (2010 (114)), le Professeur RONDIER dveloppe en quoi la
confrontation au risque vital -de la menace terroriste celle des actions de combat, en dehors
mme de la survenue dun trauma- peut bouleverser les amnagements psychiques des soldats
qui y sont exposs.
Larticle Les nouvelles dimensions des engagements militaires contemporains du
Docteur VAUTIER (2010 (142)), recense certains facteurs de dstabilisation sur le terrain :
! La menace ubiquitaire et permanente, imprvisible dans le temps et dans
lespace (absence de front, darrire, de dmarcation, de zone franche / sanctuaire,
de rpit) qui cre un tat de stress prolong avec vigilance constante qui se rvle
puisante au long cours. Le risque est bien rel pour ces soldats la merci des IED
(Improvised Explosive Devices), des snipers sur les toits ou de bombes humaines
au milieu de civils ; mais les cibles des attentats sont galement imprvisibles
(convois dapprovisionnement, personnels civils humanitaires, ambassades, htels,
coles, hpitaux, cimetires ).
Pour les units interagissant directement avec les forces armes locales (en
OMLT : Operational Mentoring and Liaison Team), la notion dinterlocuteur
jouant pour certains un potentiel double jeu (insurg masqu) vient compliquer les
relations et la cohabitation au quotidien.
Frler la mort de prs : Un militaire ma rapport le cas dun de ses camarades de combat qui,
le soir dun TIC, a retrouv en se dshabillant, une balle crase qui avait ricoch et tait
venue se loger lintrieur de son gilet pare-balles.
! Le sentiment dimpuissance malgr la supriorit technologique.
Les insurgs afghans ont pour eux la matrise du terrain, la furtivit et la mobilit.
De plus, ils ne sont pas identifiables, ce qui impose une discipline de tir trs stricte
(hantise de toucher un civil mais galement des tirs amis) et rend difficile le reprage
dans les oprations de maintien de lordre.
Leurs armes artisanales (IED) mutilent plus quelles ne tuent, ncessitant souvent
des amputations multiples qui offrent le spectacle atroce de camarades mutils. La
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crainte dtre bless, ou de la blessure du camarade, est un important facteur de
traumatisme psychologique.
! Limpression denlisement, sans perspective de victoire .
Le combattant moderne (ainsi que sa famille) attend la fin de sa mission sachant
quil scoulera quelques mois avant quil ne reparte dans les mmes conditions.
Laugmentation du nombre, de la dure et de la frquence des projections a un
effet daccumulation faisant craindre une habituation au stress et lhorreur qui
favorise les comportements de dcrochage moral long terme (augmentation des
crimes et dlits aux USA depuis 2005 suite la guerre dIrak), voire un burn out
(puisement). De nombreux cas de dcrochage moral ont t rapports avec la
confrontation lhorreur des charniers au Rwanda, et chez les Casques Bleus en
Bosnie confronts la dtresse des rfugis avec un sentiment dimpuissance face la
barbarie.
De plus les revirements stratgiques sajoutent la diversit des missions avec des
sorties parfois trop rapproches pour laisser aux soldats le temps dassimiler le sens
des missions quils effectuent. linverse, certaines missions peuvent engendrer des
sentiments dltres dennui et dinutilit.
! Le choc des cultures et lhostilit de la population civile.
Il ressort que les soldats sont perus par la population locale comme des troupes
doccupation et non comme librateurs. Dautres difficults se font sentir telles que
des situations didentification (militaires particulirement sensibles la dtresse de
rfugis, ou jeunes pres de famille celle des enfants), ou encore le manque
dinterprtes.
Les modalits dadaptation culturelle comportent notamment lobligation
demployer des femmes pour la fouille des Afghanes en burqa.
Les situations de guerres actuelles, telles quen Afghanistan, rassemblent la plupart
des facteurs de dcrochage moral : menace constante, stress quasi continu,
engagement peu clair et but peu prcis, pas ou peu de sparation entre les insurgs et
la population civile.
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B. En milieu civil
1. Les catastrophes civiles
La vie civile est le thtre de catastrophes naturelles, industrielles et humaines qui
confrontent de manire brutale et imprvisible ses victimes la mort et au chaos.
Comme le constate L.CROCQ (2003 (35)), Par-del lexprience des militaires, toute
une srie dobservations et de rflexions sur les traumatismes psychiques survenus dans
la socit civile, en temps de paix, est venue toffer le corpus de travaux sur le PTSD :
catastrophes naturelles ou technologiques, accidents individuels ou collectifs, agressions,
viols, prises dotage, etc
En effet, depuis quexiste la violence des hommes, les dsordres psychiques lis au
trauma sont connus et rapports dans la littrature, mais cest avec les accidents de train de la
fin du XIXe sicle que lon commena parler de nvrose traumatique .
Le Docteur Christian NAVARRE prcise dans son livre de 2007 (105) que par les
destructions matrielles, les catastrophes civiles de grande ampleur engendrent une
dsorganisation sociale et une altration des rseaux fonctionnels tels que les rseaux
production-distribution-consommation dnergie, de nourriture, deau potable et non
potable, de soins mdicaux, de circulation des biens et des personnes, de communication-
information, dducation, de maintien de lordre, de gestion des cadavres .
Dans son article Historiques des catastrophes urbaines et industrielles de 2004 (36), le
Gnral CROCQ revient sur lruption volcanique de Pompi en 79 de notre re, lincendie
de Rome en 64, les fortes mortalits suite des mouvements de panique de foules tels qu
Byzance en 963 ou plus rcentes dans nos stades, le sisme de Lisbonne en 1755, linondation
de Paris en 1910, et tant dautres exemples.
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Les attentats des tours jumelles du World Trade Center Manhattan le 11 septembre
2001, qui ont caus la mort de prs de 3000 personnes et fait prs de 6300 blesss, sont un
exemple de catastrophe humaine majeure.
Ces vnements ont dailleurs t vcus presque en temps rel par des centaines de
millions de tlspectateurs travers le monde, ce qui a provoqu un choc psychologique
considrable. Les images de l'avion heurtant la deuxime tour et celles de l'effondrement des
tours ont en effet t diffuses en direct.
Dix jours plus tard, lexplosion de lusine AZF de Toulouse, faisant 31 morts, 2500
blesss et de lourds dgts matriels, a constitu une catastrophe industrielle franaise.
Un exemple de catastrophe naturelle rcente est le sisme dHati en janvier 2010 qui a
fait plus de 300 000 morts et 300 000 blesss et a laiss le pays dans un tat de grande
prcarit.
lchelle individuelle, le philosophe PASCAL manque, en 1654, dtre prcipit dans
la Seine avec son carrosse par ses chevaux emballs. Il ressent ensuite tous les symptmes de
lactuel tat de stress post traumatique avec reviviscences, et vitement des situations
anxiognes lies au souvenir traumatique.
PINEL, qui reprendra son cas, parle en 1818, dans sa Nosographie philosophique, ou
la mthode de lanalyse applique la mdecine, cite par L.CROCQ (2003 (35)), de
nvroses de la circulation et de la respiration conscutives aux motions morales.
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Dans son Trait mdico-philosophique (111) paru en 1801, PINEL rapporte galement le
cas dun jeune militaire de 22 ans frapp de terreur par le fracas de lartillerie, dans une
action sanglante o il prend part aussitt aprs son arrive dans larme.
Cet aliniste de Bictre rapporte une autre observation qui montre son intrt pour les
troubles psychiques de guerre : A la mme poque, deux jeunes rquisitionnaires partent
pour larme, et dans une action sanglante, un dentre eux est tu dun coup de feu ct de
son frre ; lautre reste immobile et comme une statue ce spectacle.
Il prcdait JANET et FREUD qui rvlrent le rle pathogne du souvenir traumatique
qui opre une forme de dissociation entre la conscience et l inconscient traumatique ,
premier pas vers le concept de l inconscient .
BRIQUET devance CHARCOT en dcrivant, dans son Trait clinique et thrapeutique de
lhystrie (cit par L.CROCQ (35)), de nombreux cas d hystrie ractionnelle des frayeurs
et autres chocs moraux .
La nvrose traumatique tait en effet assimile par CHARCOT -qui optait pour la thse
motionnelle- des varits traumatiques de la neurasthnie et de lhystrie, au vu de la
disproportion entre les tableaux cliniques parfois spectaculaires et les chocs physiques
minimes senss les avoir dtermins.
En 1888, lAllemand OPPENHEIM dfinit la nvrose traumatique daprs les cas
daccidents de chemin de fer (reviviscences de laccident de chemin de fer, labilit
motionnelle, sidrodromophobie ou phobie des chemins de fer ). OPPENHEIM adopte
alors la thse psychognique incriminant leffroi qui provoque un branlement psychique
tellement intense quil en rsulte une altration psychique durable. Les effets neurologiques
mcaniques de la commotion crbrale taient lpoque gnralement avancs pour
expliquer la pathologie psychique conscutive aux accidents de chemin de fer.
Dans sa thse lAutomatisme psychologique (1889), Pierre JANET prsente vingt-et-un
cas dhystrie, dont une dizaine sont traumatiques. Il montre que ces hystries peuvent se
rsoudre sous hypnose, et attribue leur pathognie une dissociation de la conscience , la
partie non impacte par le souvenir traumatique permettant un comportement adapt.
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En 1893, FREUD reprend JANET cette ide de dissociation du conscient, et nomme
rminiscence les reviviscences que JANET dsignait par ide fixe . Il prne, pour ces
hystries traumatiques, une thrapeutique cathartique en faisant revivre lvnement assorti
de toute sa charge daffect. Du grec , la catharsis aristotlicienne est en effet
lpuration, la purgation des motions par leur expression maeutique, limage du dernier
acte des tragdies o lintrigue trouve son dnouement.
Aprs la mort de CHARCOT, la nvrose traumatique a eu droit de cit, et en Allemagne,
KRAEPELIN lintgrait en 1899 sa nosographie dans la sixime dition de son trait de
psychiatrie.
Cest entre les deux Grandes Guerres Mondiales que S. FREUD, S. FERENCZI, K.
ABRAHAM (51), E. SIMMEL ou encore O. FENICHEL ont prcis la smiologie et la
physiopathologie de la nvrose traumatique. Ainsi, la thorie sur le trauma du psychanalyste
hongrois FERENCZI, prend racine dans la violence prcoce dune confusion de langage entre
la mre et lenfant. LAllemand ABRAHAM, qui fut lun des pionniers de la psychanalyse,
attachait une importance centrale au traumatisme sexuel infantile.
Et cest seulement aprs les nombreuses guerres meurtrires du XXe sicle que lon a
cess de considrer ce champ de pathologie comme marginal en psychiatrie.
Au dbut du XXe sicle, lorientation est neuropsychiatrique : les dsordres psychiques
sont attribus une pathologie de lencphale ou de ses enveloppes.
Les premires avances de la psychanalyse ont inscrit la pathognie traumatique dans les
avatars de la libido narcissique.
L. CROCQ (2005 (37)), partant des crits dABRAHAM, explicite clairement le concept
d effondrement narcissique : La guerre impose ces hommes de renoncer tous leurs
privilges narcissiques, de supporter passivement les pires agressions, dtre capables de tuer
et dtre prts sacrifier leur vie pour la collectivit. Ces sujets pulsions htrosexuelles
labiles (sont) privs du soutien de leur pouse. Lamour du dehors qui venait leur manquer,
ils le remplaaient en saimant eux-mmes. Mais ds quun traumatisme les frappe, ils
perdent lillusion narcissique de leur invulnrabilit et de leur immortalit et seffondrent dans
labattement total avec obsession de la mort.
Un an avant sa mort, FNICHEL parle dans sa Thorie psychanalytiques des nvroses
(1987 (47)) de triple blocage des fonctions du moi : fonction de relation au monde
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(filtration des stimuli environnementaux), fonction de relation aux autres (sexualit, relations
sociales), et fonction de relation soi (tre prsent soi, prserver son quilibre, sa
personnalit).
LAmricain KARDINER (1947 (73)) se dmarque du freudisme en opposant lego
effectif, impliqu dans les nvroses de guerre, lego affectif des nvroses de transfert.
LAllemand SIMMEL notait dj le changement dme que lon retrouve aujourdhui
dans le symptme changement de personnalit .
La fin de la Seconde Guerre Mondiale a t marque par la dcouverte des camps
dexterminations nazis. En 1960, EITINGER (psychiatre norvgien, lui-mme survivant de
lHolocauste) a introduit au sein de la communaut psychiatrique anglophone le terme de
KZ Syndrome ( Konzentrationslger Syndrome : syndrome des camps de
concentration) pour dsigner ltat dasthnie et dhypermnsie motionnelle prsent par les
survivants de lHolocauste. Les rescaps des bombes atomiques dHiroshima et Nagasaki,
confronts des scnes apocalyptiques voquant pour eux lenfer bouddhique, ont galement
t des sujets dobservation et dtude de lESPT.
Sur le plan thrapeutique, au-del du repos et de toute la gamme des sdatifs de lpoque,
la narco-analyse sous ther ou chloral, lhypnose et la psychothrapie appuye de persuasion
furent essayes. K ABRAHAM (1918 (1)) tentait une sorte de psychanalyse simplifie, mais
ce que Clovis VINCENT mit au point et pratiqua est autrement plus agressif : le torpillage
faradique qui correspond un conditionnement aversif par excitation lectrique
douloureuse. En revanche, les abractions cathartiques sous hypnose ou narcose (PROCTOR,
CHIADINI) firent la preuve de leur efficacit. ABRAHAM et SIMMEL en tablirent des
applications de la psychanalyse.
Lcole franaise, comme quelques voisins belges, italiens, espagnols ou suisses, cultive
une conception pathognique, clinique et thrapeutique centre sur la notion de trauma, ce qui
len distingue de lcole nord amricaine fonde sur le concept neurobiologique de stress.
Ainsi, L. CROCQ, G. BRIOLE, F. LEBIGOT, C. BARROIS, psychiatres aux armes
franaises se rfrant la psychanalyse lacanienne, saccordent dire que le trauma
rencontre authentique avec le rel de la mort- constitue un court-circuit dans le signifiant chez
des sujets dont le rel tait jusque-l dulcor par le fantasme et le rve.
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Dun point de vue phnomnologique, la nvrose traumatique nmerge pas dans
l aprs-coup (selon une conception linaire du temps), comme la rsultante de
mcanismes, mais bien comme une exprience de rupture de sens avec alination de la
personnalit. La temporalit est en effet bouleverse par limmuabilit du trauma et son
omniprsence. La mort vraie ne pouvant avoir de reprsentation psychique, sa rencontre
phmre se heurte une impossibilit de se rfrer des signifiants, et de linscrire dans la
temporalit du sujet qui tente alors vainement (inhibition, dissociation, rptition) de faire
obstacle leffroi (ml de fascination) de la mort du soi comme vrit ultime .
2. Psychiatrie de secteur et psychiatrie durgence
Les annes 1960 ont t marques par lmergence de lantipsychiatrie qui sopposait au
dispositif asilaire, jug nfaste et dsocialisant. La France daprs guerre est domine par un
vaste mouvement de dsinstitutionalisation et une politique de sectorisation de la psychiatrie,
autour du psychiatre Lucien BONNAF.
La sectorisation des soins psychiatriques consiste prendre en charge le malade dans
l'aire gographique proche de son domicile. Par le dveloppement de structures intermdiaires
extra-hospitalires, elle permet d'assurer la continuit des soins en permettant le maintien des
personnes hors des murs, constituant une rupture totale avec l' asile .
Si la naissance officielle de la sectorisation date de 1958, la premire circulaire
ministrielle parat en 1972.
On voit l aussi la volont de rintgrer les malades dans la communaut, au sein mme
de la socit, au plus proche de leur milieu de vie, grce des structures de jour alternatives
aux hospitalisations.
La psychiatrie durgence (ou psychiatrie de catastrophe) merge avec cette ide que le
psychiatre peut quitter son service hospitalier ou son cabinet pour aller au-devant des victimes
de catastrophe.
Dans son livre Psy des catastrophes paru en 2007 (105), le Docteur Christian
NAVARRE relate ses nombreuses expriences dintervention durgence mdico-
psychologique, ainsi que les rflexions quelles lui ont apportes sur cette discipline.
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Ses rflexions portent notamment sur la temporalit de laide psychologique proposer,
constatant, lors des inondations de juin 1997 louest de Rouen, que la priorit tait aux
besoins de premire ncessit (logement, nourriture, vtement, proccupations matrielles) et
que leffondrement motionnel ne se manifestait que dans un second temps. Il rapporte par
ailleurs limportance de la prise en charge de lentourage, quil sagisse d attendants ou
d endeuills . Il aborde galement la question de la culpabilit des survivants, et celle des
deuils traumatiques (sans dpouille honorer). Il est aussi question des diffrences entre
le dbriefing de victimes et celui de secouristes, de la place des interprtes lorsque la langue
fait barrire.
Il en ressort un besoin de pragmatisme, dexprience de terrain et dhumanit, profil
mlant celui du psychiatre hospitalier, et celui de lhumanitaire / missionnaire.
Des auteurs tels que WOLF et MOSNAIM (1984 (144)), ou encore EVERLY et LATING
(1995 (46)) ont contribu au dveloppement de ce champs de la psychiatrie durgence.
C. Interactions et apports rciproques
En 1994, plusieurs vnements fortement mdiatiss produisent des effets conjugus
qui ont donn naissance des innovations en matire dintervention psychologique
prcoce. Deux attentats terroristes dans les transports en commun parisiens, une intervention
militaire au Rwanda avec des morts par milliers lors dune pidmie de cholra dans un camp
de rfugis, la prise dotage de militaires franais sous mandat de lONU en ex-Yougoslavie
et enfin la libration des passagers victimes dune prise dotage sur laroport de Marseille-
Marignane ; chaque fois est improvise une intervention psychologique prcoce au profit
des victimes et des sauveteurs. En association avec les psychiatres militaires, les pouvoirs
publics prennent en compte la dimension de souffrance associe un traumatisme
psychologique. Aujourdhui, dans chacune des armes comme en milieu civil, des
procdures sont institutionnalises pour mettre en place en quelques heures des cellules
dassistance psychologique en cas de catastrophe ou dattentat. (CLERVOY 2008 (26))
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1. Les psychiatres et les guerres
On voit bien comme les avances de la psychiatrie militaire et de la psychiatrie civile se
sont mutuellement nourries au cours de lhistoire. Ce sont des accidents civils (chemin de fer)
qui ont ouvert lintrt pour ce syndrome, et lenchanement des interventions armes du
sicle suivant qui ont beaucoup contribu faire avancer la psychotraumatologie.
Une illustration en est la mobilisation aux armes dABRAHAM (TREHEL 2007 (137)) et
FERENCZI, lves de FREUD, lors de la Premire Guerre Mondiale, et les cliniques quils
ont pu faire sur les champs de bataille, avec toute lavance thorique qui en a dcoul. (51)
FREUD, prcisment, dont les trois fils, un gendre et un neveu partirent au front,
dveloppa, dans Au-del du principe de plaisir (1920 (50)), sa thorie du destrudo, qui,
rpondant la pulsion de vie contenue dans la libido, correspondrait une pulsion de mort,
une fascination de la mort. Il fonde sa rflexion sur le paradoxe quil note du cauchemar
traumatique qui contrevient au plaisir hdonique du rve. Il identifie alors une compulsion
de rptition qui viserait rpter le dsagrable pour sy habituer. Il clarifie aussi cette
poque ce quil entend dans ltiologie sexuelle des nvroses de guerre : il convient dy voir
la thorie de la libido dans les nvroses plutt que ltiologie sexuelle des nvroses. En
effet, le danger est interne dans les nvroses de transfert, tandis quil est extrieur dans les
nvroses de guerre et les nvroses traumatiques.
BION, psychanalyste britannique qui fut capitaine lors de la Premire Guerre Mondiale,
fut pionnier de la psychothrapie et de la psychanalyse de groupe. Aprs avoir servi comme
capitaine sur un char dassaut lors de la Premire Guerre Mondiale, il devint psychiatre de la
Deuxime Guerre Mondiale et pratiqua les analytic hours ( heures analytiques ). Sa
pense fut fortement influence par son exprience vcue des traumatismes de guerre, tels que
rapports dans Mmoires de guerre. Juin 1917- janvier 1919 (9). Pour lui, la base du
dveloppement mental et de la vrit est lexprience motionnelle.
Le mdecin et sociologue franais LE BON tudia la psychologie des foules, notamment
autour de la Grande Guerre. On peut lire dans son ouvrage Premires consquences de la
guerre. Transformation mentale des peuples (1916 (88)) comportant des chapitres intituls
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Variations de personnalits cres par la guerre ou encore perturbations morales rsultant
de la vie militaire : Toute lchelle des valeurs se trouve transpose en effet par la guerre.
Ce qui tait considr comme respectable cesse dtre respect. Les meurtres, les incendies,
les destructions, crimes en temps de paix deviennent des vertus. Le respect de la proprit et
celui de la vie humaine, fondements mmes de la socit, svanouissent. () on peut dire
quil sera bien difficile de rappeler la vie paisible et au respect des lois les hommes dont le
mtier a t de tuer et de dtruire. () Les lois civiles finissent par peser bien peu, quand on
est accoutum naccepter que des lois militaires indpendantes de laction des
lgislateurs. S'adapter un nouveau milieu, c'est forcment changer de personnalit.
Pareille adaptation offre gnralement de grandes difficults. () On va, on vient, on
travaille, () et lofficier, le soldat surpris lheure du repas le plus gai, se retrouvent
instantanment () face la mort.
2. Cration des CUMP
Le principe des CUMP (Cellules dUrgence Mdico-Psychologique) est celui de la
psychiatrie de lavant appliqu la sphre civile.
Au lendemain de lattentat la bombe qui fit dix morts et une centaine de blesss la
station de RER Saint-Michel le 25 juillet 1995, le Prsident J. CHIRAC demande au ministre
de la Sant de crer un dispositif adquat pour prendre en charge la souffrance psychique au
mme titre que la souffrance physique de ce type de victimes de catastrophes. Il stait en
effet rendu, accompagn du ministre de lAction humanitaire durgence Xavier
EMMANUELLI, au chevet des blesss hospitaliss la Salptrire, et avait constat que
beaucoup taient encore sous le choc motionnel.
Cest sous la direction du Gnral Louis CROCQ, en tant que mdecin gnral et
psychiatre des armes expriment en psychiatrie de guerre, quun groupe dune douzaine de
psychiatres et psychologues comptents en traumatisme psychique a assur cette mission.
Au moment de lattentat, le plan rouge avait immdiatement t dclench, et les
victimes avaient t prises en charge par les sauveteurs et le personnel mdical durgence du
SAMU 75 (Service dAide Mdicale dUrgence) et du corps de sant de la BSPP (Brigade des
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Sapeurs Pompiers de Paris). Mais lintervention psychiatrique durgence ntait pas institue
ni systmatique dans le civil.
Il sagissait de crer un rseau chelle nationale, den rglementer laction, et de rgir la
formation de personnel en psychiatrie de catastrophe.(32)
Le rseau franais des CUMP applique le principe de la psychiatrie de lavant, en
immdiat et post-immdiat, auprs des victimes dattentats et de catastrophes.
Le 27 mai 1997, le ministre de la sant a dict un dcret, accompagn le lendemain
dune circulaire dapplication (146), complte en 2003 (147), crant lactuel Rseau National
des Cellules dUrgence Mdico-Psychologique.
Chaque dpartement est ds lors dot dun psychiatre rfrent volontaire, nomm par le
prfet, qui coordonne la CUMP dpartementale, en troite collaboration avec le SAMU.
Chaque CUMP se compose dune quinzaine de personnels (psychiatres, psychologues et
infirmiers de psychiatrie) volontaires et forms, mobilisables lorsquune alerte est dclenche
par le prfet.
Les CUMP sont appeles se dployer dans les cas de catastrophes, accidents collectifs
ou incidents graves ayant une forte rpercussion psychologique sur les groupes et les
communauts.
Une antenne de secours mdico-psychologique est alors dpche sur les lieux, intgre
aux lments dintervention du SAMU (port dune chasuble SAMU PSY ), sous lautorit
du directeur des secours mdicaux. Elle a notamment pour mission de mettre en place un
poste durgence mdico-psychologique (PUMP) proximit du Poste Mdical Avanc
(PMA), et dvacuer, si ncessaire, vers des tablissements de sant les cas les plus lourds.
On retrouve l tout lesprit de la psychiatrie de lavant , instaur par les
psychiatres militaires. (CREMNITER 2004 (30))
Un vritable partenariat est ncessaire pour la bonne coordination des soins.
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LAFORCUMP-SFP (Association de Formation et de Recherche des Cellules dUrgence
Mdico-Psychologique, Socit Franais de Psychotraumatologie) est, avec lALFEST
(Association de Langue Franaise pour lEtude du Stress et du Traumatisme), charge de la
formation de ces professionnels.
Par ailleurs, sur demande du ministre des Affaires Etrangres (ou dautres ministres), les
CUMP peuvent tre amenes envoyer des quipes volontaires ltranger, le plus
frquemment pour venir en aide des pays francophones traverss par des situations de crise
de grande ampleur et qui ne disposent pas dun dispositif quivalent. Un exemple rcent en
est le sisme dHati le 12 janvier 2010.
Un Comit national de lurgence mdico-psychologique en cas de catastrophe veille
la cohrence de lensemble du dispositif (valuer les actions, dfinir les objectifs).
Si les cellules durgences rapidement mises en places lors des catastrophes civiles et
relayes par les mdias ont t adoptes par notre socit, cest en grande partie aux
ttonnements et lvolution de la psychiatrie militaire lors des grands conflits du XXe et
XXIe sicles que lon doit les importantes avances en matire de psychotraumatologie.
3. SAMU et EPRUS
Les prmices de lactuel Service dAide Mdicale Urgente (SAMU) remontent 1956,
lorsque le Professeur CARA cra Paris le premier service mobile de ranimation (en
loccurrence une seule ambulance mdicalise, base lHpital Necker, pour toute la
France) pour transporter des patients trs fragiles sous assistance respiratoire dun hpital un
autre. Et cest en 1965 que les SMUR hospitaliers furent officialiss grce au Professeur
SERRE de Montpellier. Ils dpendent du SAMU rgional qui est le centre rgulateur des
urgences sanitaires de la rgion.
Contrairement au Scoop&Run nord-amricain qui consiste ramasser et courir
(cest--dire transporter au plus vite la victime lhpital le plus proche), la doctrine du
Service Mobile dUrgence et de Ranimation (SMUR) franais est Stay&Play
(littralement rester et jouer , soit assurer les soins de premire urgence sur place, avant de
transporter le malade vers un lieu de soins adapt). Les urgentistes et ranimateurs des SMUR
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ont emprunt bon nombre de techniques et mthodes leurs homologues militaires qui de tout
temps ont eu lexprience du terrain sur les champs de bataille.
Comme nous lavons vu, les CUMP sont rattaches ces SAMU.
Paris, elles travaillent en troite collaboration avec la BSPP qui relve de larme et est
dote dun service mdical militaire.
Lors de la cration du SAMU Mondial en 2006 linitiative du Ministre de la Sant
Xavier BERTRAND, les Mdecins en chef PENACINO et CAVALLO du Service de Sant
des Armes (SSA) ont t consults au titre dexperts lors des comits de rflexion. Cette
filiale du SAMU de France emprunte dailleurs bon nombre de termes au lexique militaire
( EVASAN pour les vacuations sanitaires, OPEX pour les oprations extrieures, base
arrire).
limage de larme, lEtat a dcid de se doter dune rserve sanitaire et a institu,
le 5 mars 2007, lEtablissement de Prparation et de Rponse aux Urgences Sanitaires
(EPRUS), qui dpend du Ministre de la Sant et est dirig par Thierry COUDERT.
Lobjectif de lEPRUS est de rpondre aux urgences sanitaires, dapporter un renfort en
cas de crise de grande ampleur en facilitant lorganisation et le dploiement des forces de
sant. Pour ce faire, cet tablissement possde des stocks de mdicaments (notamment
vaccins, antidotes, antiviraux, pastilles diode en cas dattaque nuclaire, tenues NRBC et
marques) stratgiquement dissmins sur le territoire. Il coordonne galement les rservistes
qui sont des professionnels de sant qui sengagent volontairement pour trois ans, appels
intervenir en situation durgence et de catastrophe, y compris lors doprations de secours et
dassistance menes par la France ltranger. Leurs missions (indemnises financirement et
couvertes sur le plan juridique) se font en complment des missions des autres services
(scurit civile, arme ). Ces rservistes peuvent tre en activit, retraits ou en fin
dtudes.
Depuis cinq ans, ce dispositif prend de plus en plus dampleur. Il a par exemple envoy
du personnel en Cte dIvoire et en Hati en 2010, a apport son aide aux franais expatris au
Japon lors de la catastrophe nuclaire de Fukushima en mars 2011, est intervenu en Libye
durant lhiver 2011 pour la prise en charge mdicale dune centaine de blesss graves. Dans le
domaine psychiatrique galement, lEPRUS a particip au suivi psychologique des enfants en
cours dadoption lors du sisme dHati en janvier 2010 (en complment du dploiement
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CUMP), et a envoy en mai 2011 deux rservistes au Maroc afin dapporter un soutien
mdico-psychologique suite lattentat sur la Place Jama el-Fna de Marrakech.
LEPRUS travaille en troite collaboration avec le Service de Sant des Armes, mais
galement le SAMU, des ONG internationales type Mdecins Sans Frontires, la Direction
Gnrale de la Scurit Civile et de la Gestion des Crises, et lensemble des autres organismes
comptents dans la gestion des crises sanitaires et France et ltranger.
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III. Clinique et thrapeutique du stress aigu et de ltat de stress post traumatique :
A. Clinique ESA et ESPT
On la vu, la clinique post-traumatique a vari au cours de lHistoire.
Les cas dhystrie de la Grande Guerre, avec les ccits ou myodsopsies, aphonies/
miaulements/ aboiements/ bgaiements/ jactations/ hoquets spasmodiques, surdits ou
acouphnes, paralysies, contractures, camptocormies, convulsions, anesthsies, hyperalgies,
tremblements, tics, astasie-abasie, et autres symptmes conversifs (se fixant gnralement sur
une partie du corps antrieurement atteinte -sans lsion organique-), ont disparu.
Les militaires qui rentrent traumatiss des thtres doprations contemporains prsentent
plus sournoisement une intoxication alcoolique, une agressivit, un repli sur eux-mmes, des
idations et passages lacte suicidaire,
Tout lenjeu est alors de dpister, derrire ces symptmes aspcifiques, le syndrome
psychotraumatique quil faudra sattacher dnouer par une mthode cathartique.
Les psychiatres franais restent trs attachs la dimension psychopathologique du
trauma, et distinguent la clinique du trauma de celle du stress.
Avec la dnomination d tat de stress post-traumatique , le DSM met laccent sur la
dimension biophysiologique du trouble, tout en introduisant une confusion entre stress et
trauma.
Aussi le Gnral CROCQ lui prfre-t-il lappellation Syndrome psychotraumatique ,
tout en prcisant quil recouvre en fait tout le panel des tats pathologiques immdiats, post-
immdiats ou diffrs, phmres, transitoires ou durables, pauci- ou plurisymptomatiques,
modrs ou svres, plus ou moins invalidants, qui sont causs par un traumatisme psychique (31).
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1. Dfinitions
Le trauma (ou traumatisme psychique ) est le phnomne deffraction psychique et
de dbordement des dfenses caus par la survenue dun vnement menaant la vie ou
lintgrit (physique ou psychique) dun individu, qui y est expos en tant que victime, tmoin
ou acteur. Cette exprience est ressentie dans leffroi, lhorreur et labsence de secours.
Issu du vocable chirurgical, il reprend lide de lirruption dun corps tranger au sein de
lappareil psychique, provoquant des efforts dassimilation ou dexpulsion.
Les catastrophes, du latin catastropha, lui-mme du grec ancien (compos
de vers le bas et tour ) sont des vnements destructeurs et soudains,
causant un grand nombre de victimes et provoquant une dsorganisation sociale (par
altration des rseaux de transport, de communication etc). Elles gnrent chez les impliqus
un sentiment de grande dtresse associ la perte de contrle de son destin.
Lhomme y a longtemps vu la colre des dieux. La mythologie en rapporte dailleurs de
multiples exemples, comme le rappelle le mdecin-gnral Louis CROCQ dans ses
ouvrages (33) :
Le mythe de Sisyphe condamn par Zeus recommencer sans cesse un effort
puisant et vain, vient faire cho au syndrome de rptition dvelopp plus
loin. Pour avoir confront la mort dans le face face avec Thanatos, et lui
avoir chapp, Sisyphe incarne lexpiation de la faute du rescap ( culpabilit
du survivant ).
Le mythe platonicien dEr est celui dun soldat autoris par les dieux revenir
des enfers pour tmoigner de la vision dhorreur des chtiments imposs aux
mes impies.
Le mythe dOrphe met en scne la perte itrative et le deuil impossible.
limage dOrphe, le traumatis perd de sa prsence au monde par le souvenir
traumatique qui simpose lui de manire rptitive, harcelante et incoercible.
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Le Professeur de psychiatrie militaire C. BARROIS (1988 (7)) voit dans lorphisme une
rfrence au traumatisme originaire, -ce chaos dont nous extrait la naissance-, et dans le vcu
traumatique en cas de catastrophe, une menace de retour vers le nant, le non-humain.
linstar des hros mythologiques revenus des enfers, les traumatiss psychiques auraient
entraperu le chaos originel, le non-sens, le nant.
Le stress est la raction bio-physio-psychologique immdiate, dalarme, de mobilisation
et de dfense de lindividu face une agression ou une menace. Cest une raction rflexe qui
met en uvre un processus neurobiologique complexe (axes catcholaminergique et
corticotrope, peptides opiacs et systme immunitaire), et qui est utile et adaptative, bien
quaccompagne de symptmes neurovgtatifs gnants (sudation, tachycardie, tremblement,
pleur, ).
Daprs le DSM IV-TR (4), le trouble de ladaptation peut tre retenu devant une
souffrance marque et une altration durable du fonctionnement relationnel en lien avec un
stress environnemental. Il peut tre associ une symptomatologie thymique, anxieuse et/ou
comportementale. Les symptmes surviennent dans les trois mois qui suivent lapparition du
facteur de stress, et ne durent pas plus de six mois aprs la disparition de ce facteur.
Selon la CIM 10 (108), les troubles de ladaptation sont des tats de dtresse et de
perturbation motionnelle entravant le fonctionnement et les performances sociales, qui
surviennent au cours dune priode dadaptation un changement existentiel important ou
un vnement stressant. Les dlais dapparition et de dure sont les mmes que dans le DSM
IV-TR, mais la CIM 10 insiste sur la prdisposition et la vulnrabilit individuelle, prcisant
cependant que le trouble ne serait pas advenu en labsence du facteur de stress en cause.
2. tat de Stress Aigu
Dans la conception interactionnelle de LAZARUS et FOLKMAN (1984 (79)), le stress est
le rsultat dune relation dynamique entre les contraintes ou exigences de lenvironnement,
les ressources individuelles et socitales pour faire face ces demandes, et la perception par
lindividu de cette relation.
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linstant t dun vnement stressant, les auteurs dcortiquent la raction de stratgie
adaptative dun individu en deux temps :
- lvaluation primaire o lindividu se demande quels sont les enjeux dans cette situation
de stress. (perte, menace, )
- et lvaluation secondaire o il considre les diffrentes options qui soffrent lui
(acceptation, fuite, )
On distingue galement les stratgies centres sur le problme de celles qui sont centres
sur les motions.
Cependant, si cette raction est trop intense, trop prolonge ou rpte de trop courts
intervalles, elle devient une raction inadaptative de stress dpass , telle que sidration,
agitation, fuite panique ou comportement automatique.
Cela correspond la phase aigu, immdiate, appele Etat de Stress Aigu (ESA) (DSM
IV TR).
En situation oprationnelle, on emploie galement la dnomination amricaine de
Combat Stress Reaction (raction de stress de combat).
Sensuit la priode post-immdiate, pendant laquelle peut soprer un retour la normale,
ou linstallation torpide dun syndrome psychotraumatique par la fixation du souvenir brut de
lvnement.
Les ESA qui correspondent une raction de stress dpass sont plus risque de se
chroniciser sous la forme dun ESPT (Etat de Stress Post Traumatique), mais la
correspondance nest pas absolue.
Si la dissociation pri-traumatique est le plus fort prdicteur dESPT, ltude de BRYANT
de 2003 (21) note cependant que 56% des patients de ltude prsentant un ESPT navaient pas
t diagnostiqus avec un ESA, soit une majorit des cas.
La forme et lintensit des troubles psychiques aigus de guerre ne sont pas des
indicateurs pronostiques fiables. crit CLERVOY en 2008 (26).
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3. tat de Stress Post Traumatique
Selon les publications, 10% (STECKLER et RISBROUGH 2012 (130)) 30 % (NICE et
NHS 2005 (106)) des individus exposs un vnement traumatique dvelopperaient un ESPT.
Dans environ 15% des cas (106), les symptmes apparaissent de manire diffre, aprs
une phase de latence, bien connue des cliniciens du XIXe sicle (S. FREUD, JM
CHARCOT, P. JANET) qui lappelaient phase dincubation, mditation, contemplation ou
rumination.
Il sagit dune priode de quelques jours plusieurs mois, asymptomatique ou
paucisymptomatique ( queue de stress ) avec parfois des dcharges motionnelles liquidant
la tension anxieuse rprime en phase aigu (notamment en cas daction).
Cest donc parfois de faon diffre que sobserve le trouble chronicis communment
appel PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), ou ESPT en franais, qui correspond la
triade reviviscence, vitement, hyperactivation neurovgtative :
" Les reviviscences sont des intrusions involontaires et itratives, type de
cauchemars, hallucinations, flashbacks. Elles constituent un syndrome de
rptition qui est pathognomonique de lESPT. Le sujet revit alors
pleinement lvnement traumatogne, assorti de toute sa charge affective et
sensorielle.
" Le comportement dvitement concerne tous les stimuli vocateurs du trauma
(couleur, son, situation de foule par exemple-, lieu, ). terme, il aboutit
frquemment une modification durable de la personnalit avec irritabilit,
dtachement motionnel (le terme anglosaxon de emotional numbing ), repli
sur soi (major par le sentiment dincommunicabilit de lexprience),
marginalisation, parfois assortie de troubles des conduites (agressivit, troubles
du comportement alimentaire), mais galement de troubles psychosomatiques.
S. SIMMEL (1918) parlait d ensevelissement de la personnalit et de
changement dme ; A. KARDINER (1941) de nouvelle personnalit
tablie sur les ruines de lancienne ; CF SHATAN (1972) de transfiguration
de la personnalit , et L. CROCQ (1974) de personnalit traumatico-
nvrotique .
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" Lhyperactivation neurovgtative (hyperarousal en anglais) se manifeste
essentiellement par des sursauts, des troubles du sommeil, un tat dalerte
permanent.
Ces atteintes sont dsormais dpistes et quantifies (JACOBSON et TRUAX 1991 (70))
par diffrentes chelles standardises telles que lIES (Impact Event Scale : Echelle dImpact
de lEvnement) dHOROWITZ (64) (20) rvise, et la PCL-S (PTSD CheckList Scale :
Echelle de critres dEtat de Stress Post Traumatique).
ct de cette triade symptomatique, il ne faut pas ngliger tous les troubles co-
morbides, au premier rang desquels se trouvent les conduites addictives (alcool, drogues), les
syndromes dpressifs avec haut risque suicidaire, mais galement les troubles du spectre
anxieux.
On comprend aisment combien lESPT impacte la vie sociale, professionnelle et
familiale, du sujet, et constitue par l un lourd handicap (KESSLER 2000 (74)).
Pourtant, malgr une dtresse majeure, il existe souvent un important retard au diagnostic
de lESPT de par la rticence des personnes concernes voquer leurs difficults, ou par le
diagnostic diffrentiel des troubles co-morbides. (106)
Sous un regard psychodynamique, laltration de la personnalit peut tre apprhende
comme un blocage de la triple fonction du moi :
! dans sa fonction de filtration de lenvironnement
! dans sa fonction de prsence dans le monde
! dans sa fonction de relation autrui.
Le Professeur LEBIGOT, psychiatre militaire, rappelait, dans son allocution lors de la
Journe de lAlfest le 31 mais 2012, que limage traumatique, qui est une image de
nantisation, envahit le psychisme et repousse hors du champ de la conscience le signifiant.
Dpouill du parltre lacanien (i.e. dpouill du langage), le sujet traumatis vit une
exprience de dshumanisation, avec les prouvs de honte et dabandon qui y sont associs.
Il est confront ce rel de la mort, qui selon FREUD, avait t initialement refoul de
lappareil psychique.
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Il est noter que les anomalies biologiques de lESPT diffrent de celles du stress
chronique : Il y a dans lESPT des altrations spcifiques de laxe corticotrope (hypothalamo-
hypophyso-surrnalien) qui sont inverses de celles observes dans le stress prolong.
Mme si la menace vitale est constante, il faut bien distinguer le stress oprationnel qui
peut engendrer des difficults de radaptation-, du trauma dont le risque est lESPT.
La logique est adaptative dans le cas du stress oprationnel (stress linaire), avec la
possibilit pour le sujet de tenter de reculer son point de rupture, mais elle est celle du tout
ou rien dans le cas du traumatisme psychique, o lvnement traumatique convoque le
sujet face sa propre mort (provoquant une rupture radicale dans la vie du sujet).
Nanmoins, le trauma subi en situation oprationnelle lest dans un contexte dexposition
tout un ensemble de facteurs de stress qui peuvent avoir un effet de fragilisation.
(BOISSEAUX 2010 (13))
B. Thrapeutique en milieu militaire
Contrairement aux catastrophes qui frappent les civils de manire alatoire et
imprvisible, le propre du milieu militaire est de projeter des soldats sur des thtres
dopration o lon sait quils risquent de connatre un traumatisme psychique.
Il est alors possible de faire de la prvention sous forme dinformation et prparation
des troupes avant dploiement et daccompagnement adapt pendant lOPEX.
Nous reviendrons sur les approches thrapeutiques qui ne sont pas lapanage des
psychiatres militaires dans le paragraphe suivant sur larsenal thrapeutique en milieu civil.
Nous allons ici plutt nous attacher aux spcificits du milieu militaire, savoir les
programmes daccompagnement psychologique et daide aux combattants.
Bien quelles soient gnralises la psychiatrie civile durgence mdico-psychologique,
nous dvelopperons galement dans cette partie limportante question des interventions
prcoces connues sous le terme de dbriefing (84) (LEBIGOT, LASSAGNE, et
GAUTHIER 1997 (83)).
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Lengagement militaire impose une capacit dadaptation des facteurs de stress trs
spcifiques dont lvaluation est difficile. La rsistance du combattant est mise lpreuve
non seulement en raison de lintensit des stresseurs, de la dure dexposition mais aussi de
leur effet cumulatif. Leffet quun vnement va avoir sur un individu dpend surtout
dlments constitutifs de sa propre structure psychique. Le reprage des difficults prcoces
lors de la priode initiale est essentiel, mais des vnements de vie peuvent aussi influer sur
son quilibre psychologique, do limportance du suivi rgulier tout au long de la carrire.
Le dpart la retraite est galement un temps o peuvent se rvler des troubles compenss.
Cependant, les publications de BREWIN en 2000 (17) et OZER en 2003 (110), rapportent
que les facteurs immdiats dintensit du traumatisme mais galement dtayage social sont
plus fortement corrls la probabilit de dvelopper un ESPT en cas dexposition
traumatique que des facteurs plus lointains comme le droulement de lenfance ou lexistence
dune psychopathologie familiale.
Cest dans cet esprit quont t dvelopps, outre-Atlantique, des programmes daide aux
soldats.
1. Programmes daide aux soldats
a. BMT
Le BMT (Battle Mind Training, que lon peut traduire par Entranement lesprit de
combat ) (ANDRUETAN et CASTRO 2010 (5)) est un programme pdagogique dvelopp
par lUS Army et mis en place en 2006 pour identifier et corriger les comportements
inadquats des combattants au retour dopration. Il sagit dun programme global, de
prvention et de traitement des patients, stendant de la phase de prparation jusquau retour
du dploiement des troupes, et incluant militaires, commandement et familles. Cest
linitiative la plus structure et documente dans ce domaine.
Le BattleMind se dfinit comme la capacit du combattant faire face aux ralits de
lenvironnement avec courage, confiance et rsilience, ce qui signifie se prparer aux dfis de
lentranement, des oprations, du combat et du retour au foyer. Le principe du BMT est
dutiliser les ressources guerrires du combattant rentrant du thtre dopration comme
outils de radaptation.
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Lentranement sappuie sur une approche fonde sur la volont, utilisant des systmes de
self-aid ou buddy-aid, et dveloppant le rle du commandement dans le maintien du bien-tre
psychique des combattants.
labor en sinspirant des Thrapies Cognitivo-Comportementales (TCC) et construit
partir des caractristiques de lexprience de combat moderne (Afghanistan, Irak), le
programme est constitu dune srie de courtes sances centres sur des postures identifies
comme inadquates lors des diffrents rythmes de vie du combattant (les diffrentes phases
du dploiement oprationnel, le retour de mission). Un orateur ayant lui-mme connu ces
situations oprationnelles aborde dans les modules lhyperractivit (agressivit, violence,
impulsivit envers les proches) lie au rflexe de Targeted aggressions , les situations de
repli affectif, de labilit motionnelle (fluctuation de lhumeur), la conduite agressive de
vhicule, la dtention darme, lhypervigilance, labus dalcool, les troubles du sommeil, le
sentiment de culpabilit, lexcs de volont de contrle. Tous ces conseils sont galement
divulgus sur Internet via le site www.behavioralhealth.army.mil/battlemind/index.html
Ce concept permet aux chefs, aux soldats, aux membres de la famille et mme aux civils
de larme de reconnatre les soldats en dtresse et de les aider.
Un premier volet de ce programme du BMT a donc pour objectif de permettre au soldat
de retour au foyer de bien se radapter la vie quotidienne en temps de paix.
Le deuxime volet concerne laccs au soin dans des structures spcialises (Hpitaux de
vtrans Vet Centers- ou systme Health Care public). Il rappelle aux soldats qui traversent
une priode difficile quils ne sont pas seuls. Leur prise en charge est finance par le ministre
de la Dfense, et une stricte confidentialit est assure.
Le BMT a donc sa place la fois avant et aprs le dploiement. Il sinscrit dans un
systme dducation sanitaire qui implique notamment les familles.
Les rsultats de ce programme de coaching pragmatique sont encore difficiles valuer,
mais le Canada et la France sen sont inspirs. court terme (4-6 mois aprs le dploiement
oprationnel), le BMT semble montrer une amlioration de la qualit du sommeil, et une
diminution de la frquence des symptmes dpressifs et anxieux.
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b. Buddy Aid :
Dans une tude que la psychiatre et colonel de larme amricaine Elspeth CAMERON
RITCHIE a mene en octobre 2008 en Irak auprs des combattants amricains (GORIN 2010 (58)), les soldats exprimaient le besoin de savoir reconnatre les problmes chez leurs
camarades de combat, et les aider.
Le principe du programme Battle Buddy est que chaque soldat reoit une carte ACE
quil conserve sur lui comme pense-bte pour Ask your buddy, Care for your buddy and
Escort your buddy ( interrogez votre copain, occupez-vous de votre copain, accompagnez
votre copain ), afin de simpliquer suffisamment, davoir la volont de comprendre ce qui se
passe et de ne jamais laisser un collgue dans lisolement.
Ds la priode de prparation, les soldats reoivent rgulirement une information sur les
tats pr-suicidaires et le risque de dvelopper des addictions ( lalcool, des drogues), voire
des troubles des conduites. Le principe du binme est de permettre de dtecter ces signes chez
son camarade et de ladresser un spcialiste. Au retour, les binmes sont invits rester en
contact et se rendre visite en famille, ce qui diminue le sentiment disolement et permet une
observation lors de la priode dlicate du retour la vie normale. Ce programme complte
celui du BMT.
c. Programme ERASE
Le programme ERASE est un programme amricain de gestion du stress dispens de
manire prventive, dont le but est de rduire lexposition aux stresseurs, rpondre aux
besoins physiologiques de base (repos, hygine, nourriture), faire intervenir le support amical
/ professionnel / familial / institutionnel, apporter de linformation et du sens, et souligner
lespoir de revenir une situation normale.
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2. CISPAT et psychiatre dOPEX
Actuellement, au sein des armes franaises, le commandement est responsable du bien-
tre de ses hommes. Sous sa direction, les psychologues des armes assurent le soutien
psychologique du personnel pendant et aprs la mission.
Dans lArme de Terre, les registres daction mdico-psychologique et psychosociale
sont bien diffrencis, avec des acteurs spcifiques dont les responsabilits se compltent
mais ne se recouvrent pas. Dun ct les personnels mdicaux et paramdicaux du Service de
Sant des Armes (SSA), et de lautre les psychologues institutionnels, les OEH (cf. ci-aprs),
les personnels de laction sociale aux armes, les membres des cellules daide aux blesss, les
officiers de culte.
Le Professeur BOISSEAUX (2010 (13)) rappelle quil est essentiel que le combattant
puisse saisir quelle est la place des uns et des autres. Le SSA gre la prise en charge mdico-
psychologique, tandis que la CISPAT (Cellule dIntervention et de Soutien Psychologique de
lArme de Terre) gre le versant psychosocial. Lintervention mdico-psychologique est
oriente vers les individus et la spcificit des troubles quils prsentent. La cible de
lintervention psychosociale est le groupe, et son objet en est le fonctionnement.
a. SSA
Alors que la discipline psychiatrique stait individualise et que les spcificits des
pathologies en temps de guerre taient reconnues, les conflits de la seconde moiti du XXe
sicle ont vu larrive de psychiatres au front .
Sous limpulsion de Bernard LAFONT (76) se met en place une doctrine sur la place et le
rle du psychiatre en opration, auprs du commandement et en association avec le mdecin
dunit. Depuis la Guerre du Golfe en 1991 et dans lhritage de la psychiatrie de lavant ,
le SSA envoie dans les zones de guerre des psychiatres (qui peuvent notamment dcider des
vacuations sanitaires pour motif psychiatrique). Ainsi, tant que leffectif de spcialistes est
suffisant, un psychiatre est intgr aux structures mdico-chirurgicales projetes sur les
thtres dopration. (CLERVOY 2008 (26))
Dans lexemple du conflit afghan, il y a en permanence, par rotations de trois mois, un
psychiatre du SSA bas en service hospitalier Kaboul, qui travaille en partenariat avec les
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mdecins dunit (accompagnant leurs troupes sur le terrain) pour la prise en charge des
dcompensations psychiatriques, rapatriant au besoin le militaire dans un Hpital
dInstruction des Armes (HIA) en France mtropolitaine. Le relais est alors pris par lquipe
mdicale du HIA qui assurera le suivi spcialis et jugera de laptitude du militaire concern
poursuivre son contrat.
Claude BARROIS (7), puis Franois LEBIGOT (83) et Guy BRIOLE (18), psychiatres
militaires franais contemporains qui ont dirig de nombreux travaux dans le champ des
nvroses traumatiques, ont donn une orientation psychanalytique leurs lves.
Au contact des vtrans des conflits de la seconde moiti du XXe sicle, trois gnrations
de psychiatres militaires dveloppent une approche conceptuelle de leur pathologie et de leur
traitement. Selon lorientation et le travail de chacun, la narcoanalyse puis lapproche
psychanalytique, la prise en charge des blesss psychiques se prolonge sur plusieurs annes.
(LEBIGOT, BRIOLE, et LAFONT 1994 (82))
Le SSA assure :
- le suivi mdical, notamment par les VSA (Visites Systmatiques Annuelles), tout
au long de