puzzle, fractale, mosaïque

Revue lectronique du CRH

09 | 2012 :Varia

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Si ta photographie n'est pas bonne, c'est que tu n'tais pas assez prs Robert Capa

La nouveaut des apports de la microstoria italienne, la dfinition de lamicrohistoire au sens large du mot, ou limportance de lapproche micro-historique,ne font pas lobjet dun consensus dans la littrature historiographique1. Dune part,le conseil cit dans la formule de Robert Capa est probablement valable pourlhistorien. Dautre part, en ce dbut du XXIe sicle, largument le plus prgnant enfaveur de la micro-histoire consiste mettre en valeur sa capacit dallierharmonieusement les approches de lhistoire sociale et celles de lhistoireculturelle2. videmment, une multitude dautres arguments peuvent servir la causede la micro-histoire dans le dbat, mais dans ce qui suit, je voudrais montrer la forceexplicative de trois mtaphores : le puzzle, la fractale et la mosaque.

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Comme bien dautres avant lui, Richard J. Evans affirme que lhistoire (en gnral2

Puzzle, fractale, mosaque. Penses sur la micro-histoire http://acrh.revues.org/4241

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[...] le langage et la grammaire ne sont point des signifiants arbitraires, aucontraire, elles se sont formes en relation avec la ralit pour dsigner deschoses relles.9

et non la seule micro-histoire) ressemble lassemblage dun puzzle. Lhistorien nefait autre chose que dassembler les pices la fois incompltes et endommagesdun jeu de puzzle3. Le problme de cette mtaphore est quelle suggreimplicitement lexistence antrieure dun pass parfait et complet4. Je ne veuxcertes pas nier lexistence du pass (une accusation rpandue contre les positionsdes thoriciens relativistes de lhistoire) ; par contre je pense que le pass estchaotique et que seule la rflexion rtrospective peut crer du sens. Comme ditOscar Wilde : Nimporte quel fou peut faire de lhistoire, mais il faut avoir dugnie pour lcrire.

Au cours de ces dernires dcennies, les historiens comme Evans, qui considrentque lactivit de lhistorien consiste en une reconstruction, ont fortement tcritiqus au nom du linguistic turn (tournant linguistique), et avant tout par lesreprsentants du postmodernisme. Bien que la parution en 1973 de Metahistory,uvre de Hayden White, soit le point de dpart de ces dbats, il est pourtant noterque le scepticisme relativiste avait depuis longtemps dj attaqu les basesthoriques empiristes de lhistoriographie officielle, depuis Croce, Becker, Beard, etCollingwood. Pourtant, Metahistory nest pas encore une uvre postmoderne etHayden White a raison de rfuter tous ceux qui la considrent ainsi. En fait, sonouvrage est purement formaliste, et un produit du modernisme5. Pour ma part, jeconsidre que lagressivit des dbats au nom du linguistic turn est due au fait quela thorie de lhistoire devait subir les effets du postmodernisme des annes1960-70 en mme temps que linfluence retarde du modernisme n au dbut duXXe sicle. Ainsi le chevauchement et linterfrence des ides redoublaient leurseffets.

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Le plus simple moyen de distinguer entre les conceptions du modernisme et dupostmodernisme est de voir ce quelles disent sur le langage. Les historiens avaienttout leur temps pour apprendre de Saussure ou de Wittgenstein que le langage nepeut pas tre nglig, quil nest pas simplement un outil, mais la forme delexistence humaine6. Le modernisme affirme que, au lieu dtre mimtique, lelangage est gnratif : au lieu de reflter la ralit, il la construit. Lepostmodernisme fait un pas de plus selon lui, le langage est indomptable, lauteur est mort , il nest pas capable de contrler la signification de son texte7.Ces deux courants de pense sur le langage sont lorigine des deux conceptionscardinales de la thorie de lhistoire : l'affirmation ou la ngation d'unecorrespondance entre la ralit du pass et le texte historique.

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Or, les dbats autour du linguistic turn ont donn naissance une troisimeconception qui se veut intermdiaire entre les deux extrmes. Par exemple, nouspouvons citer les noms dAppleby, de Hunt ou de Jacob qui, au lieu de nier (avec lepostmodernisme), ou affirmer (avec le ralisme naf) lexistence de lacorrespondance avec la ralit, soutiennent un ralisme pratique , selon lequellhistorien, malgr la faiblesse de la correspondance entre son texte et la ralit dupass, doit travailler la crer. Leur ralisme pratique essaie de ragir au dfi dupostmodernisme professant linfinit des significations et lindomptabilit dulangage. Citant Hilary Putnam, Appleby, Hunt et Jacob affirment quil y a bien unerelation entre les lments du langage et la ralit, puisque dune part, les motsnaissent dune raction au monde et avec lintention de communiquer et, dautrepart, ceci est dune importance capitale le feedback cre lui aussi un lien entrelangage et ralit8. Cette conception correspond celle de Richard J. Evans. Seloncelui-ci :

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Il affirme en outre que la reconstruction du pass ne peut tre que partielle ettemporaire, mais, sans tre objective, elle est quand mme vraie10.


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Les fractales sont des systmes structure gomtrique complexe, o lesgrossissements de diffrentes chelles rvlent des structures de plus en plusfines mais semblables loriginal.18

Lautosimilarit est la symtrie des chelles, elle dsigne la rptition, le motif(pattern) dans le motif.19

Selon Antal Bkay, le langage sert de mdiateur entre l'intriorit chaotique delhomme et le monde extrieur, galement chaotique, et fait ainsi de ce doublechaos un ordre double11. Face au doute jet par le postmodernisme sur notrecapacit contrler le langage, il est tentant de penser que lordre prtendu dumonde nest lui aussi quune illusion. De la mme faon, Levi dit que les historiensprojettent une chronologie ordonne, une personnalit cohrente et des dcisionsrationnelles dans les sources qui nous parviennent sur un personnage du pass12.De mme, Bourdieu parle dillusion rhtorique, dune illusion biographique quiconsiste prsenter une entit cohrente13. Si, avec Bourdieu, nous remettons enquestion lun des membres de lquation de Saussure, celui notamment de lunit cre par le langage de lindividu, le doute serait bien fond quant lapertinence du deuxime membre : le langage aurait-il vraiment pu mettre de lordredans le chaos du monde ? De sorte qu'il semble juste daffirmer que limagesuggre par la mtaphore du puzzle, celle dun pass parfait et complet, nestelle-mme rien dautre quillusion. Lhistoire ne peut pas tre une reconstructionpuisquil ny a rien reconstruire.

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Une fois rejete la mtaphore du puzzle, une autre se prsente nous, celle de lafractale, cette fois-ci non pas pour dcrire lhistoire en gnral, mais pour parler dela micro-histoire.

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La micro-histoire est souvent considre comme une forme dhistoiretypiquement postmoderne et certains de ses adeptes confirment cetteinterprtation14. La revue russe de micro-histoire, Casus, dclare dans le mottoquelle sest choisie quelle soccupera de tout ce qui relve de lindividuel et delexceptionnel dans lhistoire . Dautres, et avant tout les reprsentants de lamicrostoria italienne, persistent fermement dans lide que lhistorien doit tendre faire des observations gnrales, et ainsi les tudes de micro-histoire doivent-ellesaller dans ce mme sens.

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Plusieurs tentatives intellectuelles ont t faites dans le but dtablir le cordonombilical logique entre le niveau microscopique des recherches historiquesconcrtes et le niveau plus lev des observations gnrales. Il suffit de rappeler lanotion d exceptionnellement normal ou la conception du changementdchelle15. Malgr tout, le problme nest pas rsolu ; selon Ricur de nouveauxefforts sont ncessaires16. En fait, il semble que les hommes, dans ce cas prcis leslecteurs des livres dhistoire, soient convaincus que, dans la vie, la rgle est meilleurguide que lexception. Autrement dit, ils sintressent lexceptionnel mais ilschoisissent la rgle. Do vient que la micro-histoire doit imprativement trecapable de ramener ses rsultats au niveau du gnral. Et cest justement ici quelvocation des fractales peut tre utile.

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L'un des lments centraux des nombreuses conceptions relativement nouvellesdes sciences naturelles, unifies par la thorie du chaos17, est la notion de fractale.

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Leur caractre essentiel est donc lautosimilarit.

Cette autosimilarit ne se limite pas aux mathmatiques ou au monde inorganique,comme les images reprsentant les solutions de certaines quations selon diffrents


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paramtres, les nuages ou le trac du littoral20. Au contraire, nous devons voir quele monde vivant a tout intrt calquer ses mcanismes sur lautosimilarit. Leschromosomes ne pourraient pas stocker toutes les informations concernant lastructure et disposition spatiale du poumon, tandis que sa structure ramifieautosimilaire est trs facile coder21. Lautosimilarit devient galement manifesteen dautres domaines, comme par exemple dans la rpartition des tremblements deterre plus ou moins violents22. De la mme manire, lautosimilarit apparat dansles domaines de lconomie et du social. Lautosimilarit se prsente dans lescourbes parfaitement correspondantes de lalternance mensuelle et journalire desprix du coton, tudies par Benot Mandelbrot23. Les causes et le sens de cesphnomnes restent encore claircir, mais les phnomnes eux-mmes sont toutde mme vidents. Par exemple le rseau ferroviaire de lEurope peut tre considret analys comme une fractale ; voire, un seul coefficient de la dimension fractalesuffit rendre compte de leffectivit du rseau dans sa capacit approcher unmaximum de points dans le pays concern24. Les dessins de Picasso sont galementsoumis lanalyse fractale et certains pensent que la musique de Bach est aussiautosimilaire25. Serait-il possible de transposer cette rflexion dans le domaine delhistoire ?

premire vue, lide parat insense. Les prix du coton ont beau appartenir aumonde du social, leur autosimilarit se dploie partir dune srie de donneshomognes. Lhistoire est bien loin de cela. Si notre prsent est chaotique, le pass,avec sa dimension supplmentaire, sera encore plus compliqu. Commentpourrait-on parler dautosimilarit dans le cas dune telle complexit ?

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Une application possible des ides de la thorie du chaos dans le domaine delhistoire est propose dans le travail trs impressionnant de Donald McCloskey. Aulieu dtre dterministe, dit-il, le monde o nous vivons est plutt chaotique, aumoins dans certaines priodes. Dans ce cas-l, la narration de lhistoire peut treremise en question tant la trajectoire de notre systme dpend de tout petitshasards ( sensibilit aux conditions initiales , effet papillon , le nez deCloptre )26. Si un gnral a suffisamment de temps pour vrifier lesincorporations, il ne se trompe pas, et le colonel Chamberlain nassume pas ladirection de lunit qui, au moment cl de la plus importante bataille de la guerrecivile amricaine, tant bout de poudre, a dfendu une butte stratgique par unecharge la baonnette27. Selon McCloskey, la seule chose que lhistorien puisse faireest de retrouver les priodes qui semblent chaotiques et de rester prudent leurgard . Apparemment, il nie toute possibilit de retrouver des motifs simples danslhistoire.

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Pour ma part, je pense quune approche diffrente pourrait permettrelidentification dune certaine rcurrence. Lide de lautosimilarit dans lhistoirene sent le fagot que si lhistoire nous voque le pass. videmment, la tentativedtablir une autosimilarit entre linfinie complexit du pass et un ouvrage demicro-histoire analysant un petit dtail, cest--dire entre la ralit et lune de sesreprsentations (encre et papier), est voue demble lchec. Par contre si comme jai essay de le montrer le pass nest que du chaos mis en ordre parlhistorien, limage parfaite et complte du pass, cest--dire lHistoire ne peut treautre quune entit discursive, une reprsentation. Dans ce cas, lautosimilaritsuppose de la micro-histoire et de lHistoire devrait exister entre deuxreprsentations. Ainsi ne serait-il pas demble impossible de retrouver les mmesmotifs dans le cas prsent selon les mthodes micro-historiques et au niveaubeaucoup plus gnral de lhistoire totale. Et comme ces deux reprsentations nesont pas indpendantes lune de lautre, tant donn les mcanismes de feedbackqui les unissent, cette possibilit est beaucoup plus que thorique. En fait, commentse fait la micro-histoire ? Cest en fixant de son regard intrieur limagemacroscopique esquisse par son intuition que lhistorien construit, sappuyant sur

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ses sources, pas pas, son ouvrage micro-historique. Je peux donc affirmer que cesreprsentations, en plus dtre homognes, concernent en fin de compte la mmechose.

Le livre de Lajos Fr, intitul Le tumulte de Bercel, prend une question commepoint de dpart : pourquoi un beau jour de printemps en 1784, Boldizsr Bessenyei,ancien membre de la garde nobiliaire hongroise de Vienne a-t-il battu lautreseigneur foncier du village de Tiszabercel dans lardeur de la dispute occasionnepar la rpartition des champs de melon ?28 Avec plusieurs dcennies dexpriencedhistorien agraire, lauteur avait une vision claire sur lconomie et la socitagraires hongroises du XVIIIe sicle. Il a retrouv, au cours de son travail dans lessources, un cas individuel o il a reconnu ce mme motif. En fait, il a reconnu legrand dans le petit. Cest ainsi que son livre peut tre une excellente micro-histoiremme s'il est priv de larrire-plan thorique. Il na pas seulement cherch larponse de grandes questions dans de petits lieux (citant la dfinition de lamicro-histoire par Charles Joyner29), mais il a effectivement trouv la rponse sesgrandes questions dans de petites choses. Lhistorien qui fait de la micro-histoirenourrit une vision totale et comprhensive que, tout dun coup, il aperoit dans uncas individuel. Cest le coup de foudre : la vision idale prend corps. Prenonslexemple du sculpteur : il contemple le bloc de pierre et y reconnat la statue quilveut depuis longtemps sculpter. De la mme faon, en contemplant un sujet micro,un cas particulier, matire premire de la micro-histoire, lhistorien reconnat lapossibilit qui lui est offerte de raconter ce quil veut dire depuis longtemps sur letout. Le moment dcisif est celui du choix. Pendant des annes, les historienstravaillent dans les archives et rencontrent des douzaines de cas individuels : parmiceux-l, il sen trouve un seul o ils reconnaissent le tout et celui-l fera lobjetdune criture de micro-histoire. Apparemment, il y a autosimilarit entre dune partlhistoire totale comme vision imagine, reprsentation latente, non fixe et dautrepart la micro-histoire comme reprsentation limite, donc ralisable, texte qui peuttre crit. Dans cette approche, le caractre fractal de la micro-histoire nest pas uneconcidence incroyable due au hasard mais une ncessit logique.

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premire vue, cette ide de reconnaissance pourrait sembler tre dinspirationplatonicienne. Selon Platon, la connaissance est le souvenir des ides ternellesdans lme. Comme il crit dans le Phdon : nous ressouvenons-nous ensuite dece que nous connaissions dj.30 Par ailleurs, quand lhistorien crivant de lamicro-histoire reconnat le tout dans le dtail, il ne sagit point dune rminiscenceplatonicienne, ni de la dcouverte miraculeuse dune correspondance unique, maisdune approche graduelle vers quelque chose dimagin par laquelle, soudain, il faitun grand pas avant. Autrement dit, les expriences recueillies au cours desdcennies de travail dhistorien se cristallisent dun coup ; ce qui tait une ideopaque devient conscient et, aprs une longue phase prparatoire, son intuitionrend lhistorien capable de formuler ses ides clairement ce moment peut ensuitetre suivi de plusieurs petits pas conscutifs.

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Ce phnomne est dcrit par la notion dabduction de Charles S. Peirce : la thorieest recherche partir des faits. Nous procdons par des conjectures mais pas laveuglette ; il sagit plutt de lapplication de notre intuition, ce qui veut dire larestructuration soudaine des informations jusquici inconscientes dans unenouvelle forme31. Je pense que la micro-histoire se fait par abduction, sappuyantsur le phnomne dautosimilarit. Aid par son intuition ne de sa longueexprience de chercheur, lhistorien choisit un sujet bien dlimit o il a aperuloccasion de raconter tout ce quil voulait dire du tout. Entre lhistoire totaleimagine, rve mais inexistante et la micro-histoire reconnue puis graduellementralise, entre donc ces deux reprsentations, existe une ressemblance qui peut trequalifie dautosimilarit de lhistoire.

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Or, la micro-histoire ne simagine pas seulement en fractale. Il y a dix-huit ans,17


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Ceux qui exagrent jusqu lobsession la minutie mthodologique ressemblentau patient dcrit par Freud qui na cess de nettoyer ses lunettes sans jamais lesmettre.33

Notes

1 V. Giovanni LEVI, On microhistory , in Peter Burke (rd.), New Perspectives on Historical

jai retrouv les documents de la vie scandaleuse dune femme noble dans lesArchives Dpartementales du Comt de Somogy. Un jour, je serai peut-tre capablede traiter ce cas par un travail de micro-histoire si javais dj accumullexprience de plusieurs dcennies comme chercheur spcialiste de lpoque deMaria Tallian et si je voyais clairement ce que je peux en extraire, ce que je dois yvoir. La mthode que jentends utiliser ressemble la ralisation dune mosaque.Vues de loin, les petites pierres de la mosaque forment une image complte, ellessont pourtant homognes individuellement : toute rouges, toute bleues ou toutedors. De manire identique, je voudrais sparer et traiter sparment chaquesource, utilisant dans leur tude les mthodes adquates danalyse sansaucunement dtruire lhomognit interne de ces petites briques de la narration,sans dlaver leurs contours, et sans les corriger par de petites modifications pourforger une image harmonieuse partir des lments constitutifs htrognes lorigine. Ce serait peut-tre un moyen de rsister la tentation de recrerl illusion biographique . Il y a dix ans, jai parl de mon projet Simona Cerutti,qui a attir mon attention sur louvrage dArsenio Frugoni, intitul Arnaud deBrescia dans les sources du XIIe sicle un livre dhistoire qui avait ralis monprojet dj en 195432.

Comment donc nous figurer la micro-histoire, en fractale ou en mosaque ? Si lalumire peut tre de nature ondulatoire et corpusculaire la fois, la micro-histoireelle aussi peut tre considre dun ct comme fractale et dun autre ct commemosaque. Ou encore, de le mme faon que lhistoire gnrale, elle pourrait tretenue pour un puzzle aussi, si nous modifions la comparaison en disant que nonseulement les historiens doivent assembler le puzzle, mais ils ont galement confectionner les lments constitutifs du jeu. condition quils respectent lesrgles du jeu de la profession dhistorien et ne contredisent pas leurs sources(considres dignes de foi par la communaut des historiens), ils arriveront raliser des fractions dimages qui seront les lments dun puzzle tronqu. Ce jeuest plus difficile assembler, puisquil ncessite un effort intellectuel plusimportant que la lecture de la littrature de fiction. Cette caractristique de lhistoire accompagne de son ralisme (au sens de sa fidlit aux sources) constitueratoujours une ligne de partage entre lhistoire et la littrature. Un traitement attentifdes sources peut convaincre lhistorien de modifier, et mme de changer sesconvictions originelles. Ces distinctions jouent un rle important dans la survie long terme du discours de lhistoire comme pratique culturelle spcifique de lacivilisation occidentale.

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Ainsi la micro-histoire est-elle une branche de lhistoire pleine de promesses ?. Sinous nous rapprochons suffisamment du pass, nous apercevons non seulement lesdtails invisibles de loin, mais galement des lments qui pourront rpondre nosquestions concernant le tout. Cest exactement cela qui rend meilleure limage crepar le micro-historien, cest--dire la reprsentation quil offre du pass. Au lieu dela thorie, cest la pratique de la microhistoire qui est lessentiel : le fait quelhistorien entre finalement aux archives pour sessayer son tour lamicrohistoire. Comme le dit Pierre Bourdieu :

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Chaussons donc nos lunettes de micro-historien !20


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Writing, Polity Press, Cambridge, 1991. p. 93-113 ; Hans MEDICK, Mikro-Historie inWinfreid Schulze (rd.), Sozialgeschichte, Alltagsgeschichte, Mikro-Historie. Eine Diskussion.Vandenhoeck & Ruprecht, Gttingen, 1994, p. 40-53.

2 Voir larticle de Simona Cerutti, qui voque un rapprochement entre les approches dhistoiresociale et dhistoire culturelle au sein de la micro-histoire. (Simona CERUTTI, Microhistory:Social Relations Versus Cultural Models? in Anna Maija Castren, Markku Lonkila and MattiPeltonen, Between Sociology and History. Essays on Microhistory, Collective Action, andNation-Building, SKS, Finnish Literature Society, 2004. p. 17-40.)

3 Richard J. EVANS, In Defence of History, Granta, London, 2000, p. 89.

4 Conf. Gbor GYNI, Relatv trtnelem, Typotex, Budapest, 2007, p. 204-206.

5 Ewa DOMANSKA, Encounters. Philosophy of History after Postmodernism, University ofVirginia Press, Charlottesville / London, 1998. p. 19, 26, 27. (Entretien avec Hayden White.)

6 Antal BKAY, Irodalomtudomny a modern s posztmodern korban, Ed. Osiris: Budapest,1997, p. 133-134.

7 Gabrielle M. SPIEGEL, History, Historicism and the Social Logic of the Text in the MiddleAges , Speculum, 65 (1990), p. 59-86.

8 Joyce APPLEBY, Lynn HUNT and Margaret JACOB, Telling the Truth About History, Norton,New York / London, 19952, p. 247-250.

9 EVANS, In Defence, op. cit., p. 112.

10 Ibid., p. 249. Ailleurs dans son livre, Richard J. Evans affirme que le savoir historiqueobjectif est accessible . (Ibid., p. 253.)

11 BKAY, Irodalomtudomny, op. cit., p. 145. (Voir les ides semblables de Wittgenstein,ibid., p. 259.) Cf. La pense, chaotique de sa nature, est force de se prciser en sedcomposant. Il ny a donc ni matrialisation des penses, ni spiritualisation des sons, mais ilsagit de ce fait en quelque sorte mystrieux, que la pense-son implique des divisions et quela langue labore ses units en se constituant entre deux masses amorphes. , Ferdinand DESAUSSURE, Cours de linguistique gnrale. Publi par Charles Bally et Albert Sechehaye avec lacollaboration de Albert Riedlinger. Payot et Cie, Paris, 19222, p. 156.

12 Giovanni LEVI, Les usages de la biographie , Annales ESC, 44 (1989), p. 1326.

13 Pierre BOURDIEU, Lillusion biographique , Actes de la recherche en sciences sociales62-63 (1986), p. 69-70.

14 Selon lopinion de Frank R. ANKERSMIT, lhistoire postmoderne est caractrise par saconcentration sur les petits dtails, par sa forme littraire et par son caractre narratif. Sesrsultats ne sont pas comparables, et la micro-histoire a dnonc lespoir datteindre laconnaissance du pass. Il cite les travaux de Natalie Zemon Davis, dEmmanuel Le RoyLadurie, de Carlo Ginzburg et de Georges Duby comme exemples. Par contre les micro-historiens italiens nacceptent pas la qualification de la micro-histoire comme histoirepostmoderne. (Carlo GINZBURG, Microhistory: Two or Three Things I Know About It ,Critical Inquiry,20 (1993), p. 10-35.)

15 Voir Carlo GINZBURG e Carlo PONI, Il nome e il come. Scambio ineguale e mercatostoriografico , Quaderni storici 1979, n 40, p. 181190; LEVI, On microhistory ; BernardLEPETIT, De lchelle en lhistoire , in Jacques Revel (rd.), Jeux dchelles : La micro-analyse lexprience. Gallimard-Seuil, Paris, 1996, p. 71-94 ; Jacques REVEL, Micro-analyseet construction du social , Ibid., p. 15-36 ; Matti PELTONEN, Clues, margins, monads: Themicro-macro link in historical research , History and Theory, 40 (2001), p. 347-359.

16 Paul RICOEUR, La Mmoire, lhistoire, loubli, Seuil, Paris, 2000, p. 276-277.

17 La thorie du chaos dcrit les parties de la nature caractrises par les quationsdiffrentielles non linaires ordinaires. (Gyula MURAKZY, A kosz elmlete s tanulsgai ,in Nikosz Fokasz (rd.), Rend s kosz. Fraktlok s koszelmlet a trsadalomkutatsban,Replika Kr, Budapest, 1997, p. 39-66.

18 Ibid., p. 54.

19 GLEICK, Kosz, p. 122.

20 ct des fractales gomtriques, il existe des fractales abstraites dcrivant un dynamisme,derrire lesquelles nous trouvons des quations plus simples. (MURAKZY, A kosz elmlete,p. 58-59.)

21 GLEICK, Kosz, p. 137.

22 Ibid., p. 122-123.

23 Ibid., p. 104.

24 Nikosz FOKASZ, kos KOPPER, Mt MARDI, Gbor SZEDENICS, Az eurpai nemzeti sregionlis vasthlzatok fraktljellegrl , in Fokasz (rd.), Rend s kosz, p. 266-267.


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25 Lajos NYIKOS, Lszl BALZS, Rbert SCHILLER, A kubizmustl a fraktlizmusig , Ibid.,p. 245-255 ; Kenneth J. HS, A zene fraktlgeometrija : a madrdaloktl a Bach-fgkig ,Ibid., p. 298.

26 Pascal cite le problme du nez de Cloptre pour montrer le rle du hasard dans lhistoire :si la reine dEgypte avait eu un nez moins beau, Marc Antoine ne serait pas tomb amoureuxdelle, naurait pas perdu la bataille dActium en face dOctavien, il ny aurait point eu dEmpireRomain et toute lhistoire du monde aurait pris une tournure diffrente. Comme le dit Pascal : Le nez de Cloptre, s'il et t plus court, toute la face de la terre aurait chang. Leffetpapillon a t cit pour la premire fois par Edward Lorenz pour dmontrer que dans unsystme dynamique toute modification, mme infime, des conditions initiales peut changerdrastiquement le fonctionnement long terme du systme. Selon la comparaison : un simplebattement dailes dun papillon au Brsil peut provoquer une tornade au Texas.

27 Une rflexion identique peut amener choisir un autre vnement fortuit pendant uneautre bataille comme le tournant de la guerre civile : avant darrter linvasion des sudistes Antietam, le gnral des nordistes a pu mettre la main sur le plan doprations de lennemi,dcouvert par hasard, sur le sol, par les soldats nordistes qui lont repr cause des cigaresrouls dans la feuille. (Michael SHERMER, A trtnelem kosza. Egy kaotikus modellrl,amely a vletlen szksgszer szerept reprezentlja a trtnelmi folyamatokban , Ibid.,p. 150-153.)

28 Lajos FR, A berceli zenebona, 1784. Ksrlet a trtnelmi pillanat megragadsra, Ed.Osiris, Budapest, 2000.

29 Cit par Crandell SHIFFLETT, Review of Gary W. Gallagher (ed.), The FrericksburgCampaing. Decision on the Rappahannock , H-Civ-War, H-Net Reviews, sptembre 1995,http://h-net.org/reviews/showrev.php?id=174 (2009.12.29.)

30 PLATON, Phaidon, xxi, 76a.

31 Edward MUIR, Introduction: Observing Trifles , in Edward Muir, Guido Ruggiero (rds.),Microhistory and the Lost Peoples of Europe,The Johns Hopkins University Press: Baltimore-London, 1991, vii-xxviii. Cf., Thomas A. SEBEOK, Jean Umiker SEBEOK, You know my method.A juxtaposition of Charles S. Peirce and Sherlock Holmes, Gaslight Publication, Bloomington,s.d.

32 Arsenio FRUGONI, Arnaud de Brescia dans les sources du XIIe sicle. Belles Lettres,Paris,1993.

33 Pierre BOURDIEU, Jean-Claude PASSERON, Jean-Claude CHAMBORDERON, Le Mtier dusociologue, cole Pratique des Hautes tudes, Mouton et Bordas, Paris, 1968 p. 16.

Pour citer cet article

Rfrence lectroniqueIstvn Szijrt, Puzzle, fractale, mosaque. Penses sur la micro-histoire , LAtelier duCentre de recherches historiques [En ligne], 09 | 2012, mis en ligne le 17 fvrier 2012,consult le 06 juin 2013. URL : http://acrh.revues.org/4241 ; DOI : 10.4000/acrh.4241

Auteur

Istvn SzijrtUniversit Etvs, Budapest, [email protected]://szijarto.web.elte.hu/

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