quel peut être l'impact des émotions de l'infirmière dans l
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Institut de Formation en Soins InfirmiersCentre Hospitalier de Saint-Égrève3, rue de la GareB.P. 10038521 SAINT-EGREVE
Quel peut être l'impact des émotions de l'infirmière dans l'accompagnement des patientes venant de recourir à une
interruption volontaire de grossesse ?
Travail de Fin d'Etudes pour l'obtention du Diplôme d'Etat d'Infirmier
Novembre 2010
Isabelle RAT, épouse COMAS
Promotion 2007-2010
Guidante : Madame Colette SABA GRANIER
1
Non, non tu n'as pas de nomnon tu n'as pas d'existence
tu n'es que ce qu'on en pensenon, non tu n'as pas de nom
Oh non, tu n'es pas un êtretu le deviendrais peut-être
si je te donnais asilesi c'était moins difficile
. . .
Non, tu n'as pas de nom
texte et musique de Anne Sylvestre, 1974
2
SOMMAIRE
1. Introduction ……………...…………….……....………………………...…. page 1
1.1. Présentation …………………………………………………...…… page 1
1.2. Plan ………………………………...……………………………..… page 3
2. Etape Exploratoire ……………………………………….....………..……. page 3
2.1. L'exploration théorique ………………………...………………….. page 32.1.1. Le cadre législatif ………………………...……………… page 32.1.2. L'IVG en pratique …………………………...…………… page 42.1.3. Les émotions de l'infirmière face à l'IVG ……………… page 72.1.4. Le concept d'accompagnement ………………….…… page 102.1.5. L'impact des émotions sur l'accompagnement dans le cadre de l'IVG …………………………………..………………...…… page 12
2.2. L'enquête exploratoire ………………………….……………..… page 15
2.3. La confrontation entre les données de l'enquête et le cadre théorique ………………………………...………….……...………………….. page 17
2.4. La formulation de la question centrale ….…….....…………..… page 23
3. Problématique …………………...………….…...….……...............……. page 23
4. Conclusion ……………………………..…...………………...……......…. page 24
Bibliographie ……………………………..…...………………....……......…. page 26
1
1. Introduction
206 000 interruptions volontaires de grossesse ou IVG par an en France, pour
environ 800 000 naissances1. Une femme sur deux a recours à l'IVG dans sa vie, et
ce chiffre est stable depuis 20 ans. 81 % des femmes ayant recours à l'IVG ont entre 20
et 39 ans. 6% d'entre elles auront recours à l'IVG plus de 2 fois dans leur vie.
Cet acte médical si fréquent est pourtant largement tabou. Il soulève des questions
éthiques, morales et législatives qui ne peuvent laisser indifférent.
1.1. Présentation
Au cours de mes études, j'ai effectué un stage en salle de réveil, lieu où la
technique règne et où les relations humaines sont particulièrement intenses. J'en suis
repartie convaincue que la qualité de l’accueil lors du passage au bloc et en salle de
réveil conditionne le déroulement du séjour du patient à l'hôpital. J'y ai remarqué des
prises en charge de patients très différentes selon l'infirmière, la charge de travail, le
stress des infirmières, l'âge du patient. J'y ai aussi remarqué des rencontres avec des
patients qui ébranlaient l'infirmière, au point parfois que le comportement et les
décisions de l'infirmière en semblaient modifiés. Ceci était surtout observable
concernant les patientes venant interrompre leur grossesse.
Deux situations vécues dans ce stage illustrent les propos ci-dessus.
La première situation concerne Madame A. Elle vient de mettre au monde son
deuxième enfant par césarienne programmée sous anesthésie péridurale. Elle n'a donc
pas été endormie, et laisse éclater sa joie en salle de réveil, posant plein de questions
sur son enfant. Cette salle de réveil comporte 5 postes pour accueillir des patients dès
2 ans, provenant de 4 blocs opératoires : gynécologie & obstétrique, digestif,
orthopédie, ORL. J'effectue les surveillances post-opératoires habituelles auprès de
Mme A, puis je m'occupe de sa voisine, Mme B. Un paravent sépare les deux femmes.
Mme B pleure sans bruit. Je lui chuchote : "Est-ce que je peux regarder si vous avez
des saignements ?". A ce moment, Mme A s'exclame : "Ah, vous aussi vous venez
1 Source INED (Institut National d'Etudes Démographiques), cf. tableaux en annexe pour toutes les données démographiques citées dans l'introduction
2
d'accoucher ?". Mme B éclate en sanglots, parfaitement audibles cette fois : elle venait
d'interrompre sa grossesse.
La deuxième situation concerne une jeune femme qui vient d'interrompre sa
grossesse sous anesthésie générale. Elle est maintenant réveillée et surveillée en salle
de réveil. Elle pleure beaucoup et son EVA2 est à 6/10 malgré les antalgiques. Lorsque
je m'approche d'elle pour remettre correctement son brassard de tension automatique,
je ne réussis pas à la regarder dans les yeux, les miens étant mouillés par l’émotion
provoquée par ses pleurs. L'infirmière qui m'encadre a des larmes dans les yeux elle
aussi, et très rapidement, elle décide de faire sortir cette patiente de la salle de réveil
plus tôt que d'habitude pour lui faire rencontrer la sage-femme conseillère conjugale
dans le service de chirurgie ambulatoire, pensant qu’un soutien psychologique s’avérait
nécessaire.
La première situation a été le déclic pour mieux réfléchir à ma pratique en salle
de réveil. J'y ai eu le sentiment de n'avoir pas réussi à protéger Mme B de la curiosité
de sa voisine.
Dans la deuxième situation, j'ai ressenti physiquement l'impact que pouvait avoir sur
moi cette jeune femme. J'ai vu également son impact sur la décision de l'infirmière
concernant sa sortie de salle de réveil : d'habitude, l'EVA doit être redescendue à moins
de 3/10 pour autoriser la sortie de salle de réveil.
Pourquoi certaines interruptions de grossesse me faisaient-elles réagir plus que
d'autres ? Pourquoi certaines infirmières semblaient plus touchées par ces patientes
que par d'autres ? Dans la deuxième situation, une autre infirmière aurait-elle réagit de
la même façon, à savoir la sortie précoce de salle de réveil pour la jeune femme ? Que
se cache-t-il pour l'infirmière derrière les termes codés qui sont affichés sur le planning
des blocs opératoires lorsqu'une interruption de grossesse est programmée ?
Petit à petit, je me suis demandée si les expériences et le ressenti des infirmières
pouvaient modifier leurs relations avec ces patientes, peut-être même les soins
infirmiers apportés.
2 EVA : Echelle Visuelle Analogique ; échelle de douleur cotée de 0 (pas de douleur) à 10 (douleur maximale imaginable)
3
Toutes ces interrogations se résument dans la question de départ suivante : Quel peut
être l'impact des émotions de l'infirmière dans l'accompagnement des patientes
venant de recourir à une interruption volontaire de grossesse ?
1.2. Plan
Dans un premier temps nous aborderons les concepts et mots-clefs
d'interruption volontaire de grossesse, d'émotions de l’infirmière, et d'accompagnement
à travers le cadre légal et les opinions de différents auteurs, et en mettant en évidence
les similitudes et les différences.
Dans un deuxième temps, je présenterai le résultat de mes rencontres avec des
professionnelles pour recueillir leurs avis et leurs réflexions autour de l'IVG, des
émotions que cela peut générer chez elles, et la façon dont elles accompagnent les
patientes.
Dans un troisième temps, je confronterais l'avis des auteurs et des professionnelles sur
l'impact des émotions dans l'accompagnement de l'IVG, ce qui m'amènera à une
question centrale.
Puis je terminerai sur ce que m'a apporté ce travail, et quels bénéfices j'en retire pour
ma pratique professionnelle infirmière.
2. Etape Exploratoire
Dans ce travail, je me limiterai à l'IVG, en n'évoquant ni les interruptions
thérapeutiques de grossesse, ni les fausses couches spontanées.
2.1. L'exploration théorique
2.1.1. Le cadre législatif
L'interruption de grossesse en France était illégale et passible de la peine de
mort jusqu'en 1975, année du vote de la Loi dite "Veil" en hommage à la Ministre
Simone Veil qui a proposé et défendu cette loi. Cette loi stipule que "la femme enceinte
4
que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin
l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin
de la dixième semaine de grossesse3".
En 1982, une loi permet le remboursement de l'IVG4.
Puis en 1993, la Loi Neiertz5 crée le délit d'entrave à l’IVG, suite aux manifestations
parfois violentes de mouvements "pro-life" (littéralement "pour la vie"). Une peine
d’emprisonnement et une amende sont encourues par les personnes qui tentent
d’empêcher une procédure d’IVG.
Enfin en 2001, la Loi Veil est modifiée : trop de femmes partent à l’étranger pratiquer
une IVG car elles sont hors-délai en France. Le délai d'interruption de grossesse est
porté à 12 semaines de grossesse (soit 14 SA ou semaines d'aménorrhée), et
l'autorisation parentale pour les mineures est supprimée6.
2.1.2. L'IVG en pratique
Il existe actuellement deux méthodes, l'une chirurgicale, l'autre médicale. Près de
60 % des femmes utilisent les techniques chirurgicales d'aspiration ou de curetage,
tandis qu'environ 40 % utilisent l'IVG médicamenteuse qui sera très peu développée
dans ce travail7.
IVG Chirurgicale
Il s’agit d’une AEU (aspiration endo utérine) parfois complétée par un curetage.
Le contenu de l’utérus est aspiré jusqu’à 14 SA. L’hospitalisation est de 10 heures en
cas d’anesthésie générale, et de 6 heures en cas d’anesthésie locale.
3 Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, Art. L. 162-1, Journal Officiel, 18 janvier 1975, pp 739-7414 Loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure, Journal Officiel, 1er janvier 1983, page 155 Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, Titre II, Journal Officiel, 30 janvier 1993, page 15806 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Journal Officiel, 7 juillet 2001, pp 10823-108277 Source INED (Institut National d'Etudes Démographiques), cf. tableau J en annexe
5
IVG médicamenteuse8
Elle ne nécessite pas obligatoirement une hospitalisation. Il s’agit de la prise de
deux médicaments, la mifépristone et le misoprostol : le premier stoppe la grossesse, le
second pris 36 à 48 heures après évacue le contenu de l’utérus. Elle peut être
pratiquée jusqu’à 7 SA par un médecin libéral, ou jusqu’à 9 SA en milieu hospitalier.
Les démarches9
Deux consultations médicales sont obligatoires, espacées d'un délai de réflexion
d'une semaine. Pour les mineures, l’IVG est possible sans autorisation parentale, mais
il faut être accompagnée d’un adulte. Une échographie de datation et d'implantation de
la grossesse est souvent demandée. Un entretien psycho-social avec un professionnel
de santé, le plus souvent une conseillère conjugale, est obligatoire pour les mineures.
Un entretien post-IVG est systématiquement proposé. Une consultation médicale de
contrôle est absolument nécessaire 15 à 20 jours après l’IVG.
Suites et complications possibles
L'Association Nationale des Centres d'Interruption de Grossesse et de
Contraception (ANCIC) précise qu'il n'existe pas d'étude nationale en France
concernant les complications de l'IVG10. Elle se base sur les statistiques des Etats-Unis,
qui sont comparables à celles de la Suisse.
Le risque de décès est presque nul (3 sur 1 million11), ce qui est nettement moindre que
suite à un accouchement (1 sur 10 000 en France12). Les complications sont moins
nombreuses que celles liées à une grossesse menée à terme. Le taux de complication
est le plus bas jusqu’à 8 SA. Il y a moins de complications avec la méthode
médicamenteuse.
Le tableau suivant montre les principales complications suite à une IVG : infections
légères, saignements, deuxième aspiration nécessaire, fièvre.
8 Mouvement Français pour le Planning Familial, (page consultée le 3 décembre 2009), I.V.G., [en ligne], adresse URL : http://mfpf38.apinc.org9 Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, Interruption Volontaire de Grossesse, Paris, Direction Générale de la Santé, 2007, 44 pages10 ANCIC, (page consultée le 19 décembre 2009), Peut-on éviter les risques de l'IVG?, [en ligne], adresse URL : http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/techniques_risques.html11 ANCIC, (page consultée le 19 décembre 2009), Information aux patientes avec une IVG par aspiration, [en ligne], adresse URL : http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/techniques_infos.html12 Ministère de la Santé et des sports, (page consultée le 19 décembre 2009), Mortalité maternelle, [en ligne], adresse URL : http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/maternite/rapport3.htm
6
Complications jusqu’à la 12ème semaine, total (inclus vomissements post-anesthésiques, fièvres légères,saignements au-dessus de la moyenne)
6 - 10 %
Complications légèresInfections légères 0,2 - 10 %Saignements (plus abondants que la normale) 1 - 8,5 %Deuxième aspiration nécessaire (pour évacuation incomplète) 0,2 - 3 %Fièvre 0,6 - 4 %Lésion du col 0,01 - 1 %Anesthésie 0,02 %Complications gravesComplications graves, total(infections importantes avec fièvre élevée, saignements graves,transfusion sanguine, perforation utérine, blessure du col,thromboses [formation de caillots dans un vaisseau sanguin])
0,1 - 0,8 %
Saignements excessifs 0,1%Tableau 1 : complications post-IVG, données en Suisse13
La douleur est très souvent présente, qu’il s’agisse d’une IVG médicamenteuse ou
chirurgicale. Des traitements antalgiques sont proposés, mais pas toujours efficaces. Le
soutien psychologique est primordial tout au long de la procédure d’IVG. Il doit être
adapté individuellement, puisque les femmes qui avortent ne sont pas un groupe
homogène.
Vécu de l’IVG
Selon le docteur Annie Bureau, la réaction la plus fréquente après l'interruption
de grossesse est un sentiment de soulagement, dont il est très rarement fait état par les
équipes soignantes14. Mais le vécu de l’IVG est très différent d’une femme à l’autre,
d’un moment de sa vie à un autre. Il dépend de son histoire de vie, de son entourage
familial et amical, de sa religion, de ses représentations personnelles de l’acte,
notamment à travers les films et les livres15. L’IVG chirurgicale étant un geste invasif, le
choix de l’anesthésie locale ou générale modifiera le vécu.
Une femme peut éprouver de la tristesse, un sentiment d’échec par rapport à une
grossesse qu'elle n'est pas en mesure de mener à son terme, un sentiment d’une page
qui se tourne, ou au contraire un soulagement profond par rapport à une décision enfin
13 Union Suisse pour dépénaliser l’avortement, (page consultée le 19 décembre 2009), Les complications de l’IVG sont rares, [en ligne], adresse URL : http://svss-uspda.ch/fr/facts/complications.htm14 Dr BUREAU, Annie, CIVG Hôpital Broussais, ANCIC, (page consultée le 19 décembre 2009), Peut-on éviter les risques de l'IVG ?, [en ligne], adresse URL :
http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/techniques_risques.html15 Citons à ce propos trois films récents : Les Bureaux de Dieu de Claire Simon en 2008, 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu en 2007 (Palme d’Or à Cannes), Vera Drake de Mike Leigh en 2004. Concernant les livres, La Vacation de Martin Winckler a été publié en 1989.
7
prise. Rappelons que l’alternative à l’IVG est l’accouchement : élever un enfant, ou
l’abandonner. En outre, les trois quarts des femmes qui ont recours à l'IVG utilisaient
une méthode de contraception16 : beaucoup se sentent coupables d'un échec
contraceptif.
Telle femme (ou tel couple) souhaitera se prouver qu'elle est fertile, même sans aller au
bout de la grossesse. Telle autre hésitera encore même après l'acte, car elle aurait bien
gardé l'enfant mais ne l'a pas fait pour diverses raisons (situation de couple, âge,
situation professionnelle). Une autre subira des pressions de son entourage. Une autre
encore sera en conflit avec ses valeurs morales ou religieuses, et la réalité de la vie. La
décision d'IVG n'est jamais simple ; il ne peut y avoir un cas de figure unique.
Si une femme pense que l’IVG est un crime terrible et qu’elle avorte quand même, elle
ira probablement torturée à l’avortement, tandis que pour une autre femme, il pourra
s’agir d'une expérience émancipatrice d'un couple moderne, presque un acte militant17.
Entre ces deux extrêmes, toute une palette de vécus différents est possible. Il en est de
même des émotions de l’infirmière.
2.1.3. Les émotions de l'infirmière face à l'IVG
Tout d'abord, nous définirons le concept d'émotions, puis nous nous intéresserons plus
particulièrement aux émotions face à l'IVG.
Le concept d'émotions
Emotion vient du latin movere, mouvoir. De nombreuses expressions de langage
rappellent les transformations que notre corps subit sous l'émotion : rouge de colère,
blanc de peur, etc. Elles traduisent de réelles modifications physiologiques :
augmentation du rythme cardiaque, de la température, larmes, frissons, pâleur, etc.
Pour la psychothérapeute Isabelle Filliozat, les émotions sont notre langage commun18 :
"l'é-motion19 est un mouvement vers le dehors, un élan qui naît de soi et parle à
l'entourage, une sensation qui nous dit qui nous sommes et nous met en relation avec
le monde. Elle peut être suscitée par un souvenir, une pensée ou un évènement
16 BAJOS, Nathalie, in L'avortement…, France, Mouvement Français pour le Planning Familial de Loire Atlantique, 2007 (DVD)17 THIBOUT, Lorette, L'avortement vingt ans après, Paris, Albin Michel, 1995, page 17518 FILLIOZAT Isabelle, L'intelligence du cœur, s.l., Marabout, 2008, page 1819 Ibid., page 31
8
extérieur. Elle nous informe et nous guide en nous rappelant ce que nous aimons et ce
que nous détestons. Le rôle des émotions est de signaler les évènements qui sont
signifiants pour l'individu et de motiver les comportements permettant de les gérer. Elles
nous permettent d'avoir les réactions les plus appropriées aux situations".
La définition des émotions par Catherine Mercadier20 est proche de celle d'Isabelle
Filliozat. Elle en cite plusieurs : la gêne, la colère, la peur, la tristesse, le plaisir, le
dégoût, la fierté, etc. Elles peuvent être silencieuses, euphémisées, exacerbées, voire
intolérables. Pour elle, l'expérience émotionnelle est indissociablement liée à la
perception sensorielle et à la connaissance intellectuelle (reposant sur sa culture, son
expérience). Et cela, que l'émotion soit exprimée ou non.
Arlie Hochschild est une sociologue qui a créé le concept de travail émotionnel, qui peut
prendre deux formes21 :
- un travail de contrôle de son humeur et de son émotivité du moment,
- un travail portant sur les représentations, la façon de percevoir et de ressentir les
évènements pénibles.
Ainsi, pour ces trois auteures, les représentations et autres éléments déclencheurs
(découlant des a priori, de l'expérience, de la culture et des convictions religieuses ou
morales) provoquent les émotions ressenties par l'infirmière, qui seront tues ou
exprimées.
Les émotions face à l'IVG
Est-ce que pour toutes les infirmières, l'IVG est un acte d'une violence bouleversante et
dérangeante qui entrave leur activité professionnelle, comme l'a constaté un médecin
lors d'une intervention22 ? Probablement pas. Les émotions de l'infirmière face à l'IVG
découleront de ses expériences personnelles et professionnelles, de son ressenti, de
ses représentations. Ces dernières commencent déjà avec le vocabulaire employé.
Interruption volontaire de grossesse est un terme médical qui désigne "l'avortement",
terme familier de connotation souvent péjorative. Sur les planning des bloc opératoires,
20 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel des soignants à l'hôpital, 2ème éd., Paris, Seli Arslan, 2008, page 4421 CUDRE Delphine, Quand les infirmières racontent leurs émotions… au cœur d'une posture professionnelle authentique, mémoire de fin d'études pour diplôme infirmier, Lausanne, Haute Ecole de la Santé La Source, 2008, page 3322 GHEDIGHIAN-COURIER, J-Jeanne, Avortement, l'impossible avenir, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 187
9
"IVG" est souvent remplacé par un code (113, GA, 178, etc. selon les lieux). Pour des
raisons de confidentialité, mais probablement aussi par pudeur, ou honte de nommer
les choses ?
Selon J-Jeanne Ghédighian-Courier, "en 25 ans d'application de la loi, il n'a pu
apparaître à aucun moment que cette pratique s'était banalisée : celle-ci a toujours été
considérée avec détresse, comme un échec, comme un ultime recours à une
situation difficile23". C'est d'ailleurs l'esprit de la loi présentée par Simone Veil devant
l'Assemblée Nationale : "je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester
l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue24." Dans ce discours
célèbre, elle poursuit : "aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il
suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un
drame25." Cette représentation de l'IVG est largement répandue dans notre société : la
soignante l'a consciemment ou non en tête, même si la femme exprime son
soulagement et son sentiment de délivrance grâce à l'IVG.
Ensuite, les valeurs morales et religieuses peuvent retentir sur les émotions face à
l'IVG. La plupart des religions condamnent cet acte qu'elles considèrent criminel, et les
débats actuels de bioéthique n'ont toujours pas tranché sur le moment du début de la
vie. Les convictions personnelles de la soignante peuvent être lourdement ébranlées !
Le risque de phénomène de transfert et contre-transfert n'est pas à négliger26 : par
exemple, l'infirmière qui a un désir d'enfant et qui n'arrive pas à être enceinte peut en
vouloir à la femme qui a recourt à l'IVG. Or, de nombreuses infirmières sont jeunes, et
elles seront enceintes ou le désireront. Il y a là un risque de projection inconsciente ou
non. Et si l'infirmière elle-même a déjà eu recours à une interruption de grossesse, elle
risque de projeter sa propre expérience sur la patiente qu'elle accompagne.
Ensuite, les valeurs morales peuvent modifier les émotions de l'infirmière selon l'âge de
la grossesse que la patiente souhaite interrompre. Une IVG à 5 SA peut être vécue
différemment qu'une IVG à 14 SA (ne serait-ce que parce que dans un cas, l'IVG pourra
23 GHEDIGHIAN-COURIER, op.cit., page 9224 Journal Officiel (Assemblée Nationale, 70ème séance), 27 novembre 1974, page 699925 Ibid.26 CHIPON Anne-Sophie, En quoi les représentations des soignants peuvent influencer la prise en charge des patientes dans un service pratiquant des interruptions volontaires de grossesse ?, TFE pour diplôme d'état infirmier, Grenoble, IFSI La Tronche, 2009, page 20
10
être pratiquée à domicile, et que dans l'autre, une opération chirurgicale est
indispensable). Rappelons que dans le cas d'une grossesse menée à son terme, la
première échographie où l'on voit le futur bébé et où on entend battre son coeur
s'effectue vers 11 - 12 SA.
Les émotions ressenties peuvent être contradictoires : par exemple, deux médecins
livrent leurs émotions lors de l'acte de l'IVG : le docteur Marc Zaffran dit que "faire une
IVG, c'est désagréable", tandis que le docteur Gabrielle Fritz parle de réaction de
dégoût qui survient parfois. Cependant, tous deux sont heureux de "rendre service" aux
femmes27.
Enfin, selon son propre système de valeurs, l'infirmière pourra inconsciemment émettre
un jugement selon le motif de l'interruption de grossesse28 : viol, oubli répété de pilule,
contraception avec DIU29 ou absence de contraception ne seront pas accueilli de la
même manière (pas ressenti de la même manière) par l'infirmière. Quel
accompagnement en découlera ?
2.1.4. Le concept d'accompagnement
Après avoir défini l'accompagnement, nous nous intéresserons plus
particulièrement à l'accompagnement dans le cadre de l'IVG.
Le concept d'accompagnement
Accompagner vient de compagnon, du latin cum panis : celui avec qui on partage
le pain.
Selon Maela PAUL30, "accompagner n'est ni diriger, ni conseiller, ni protéger, mais il
passe de l'un à l'autre, dans un arrangement temporel (autrement dit un cheminement)
toujours singulier". Pour elle, plusieurs thèmes composent la notion
d'accompagnement :
27 SAHEL Jérémy, Code 178 : des mots sur l'avortement, France, Cauri films, 2008 (DVD)28 BAJOS, op.cit., (DVD)29 Dispositif Intra utérin, appelé aussi stérilet30 PAUL Maela, L'accompagnement : une posture professionnelle spécifique, Paris, L'Harmattan, 2004, page 305
11
- l'ajout, pour aider, seconder, collaborer
- le support, l'appui, la protection
- la dynamique d'un déplacement en commun
L'accompagnement serait alors pluriel et en évolution constante, mais chaque
accompagnement serait différent car chaque personne est unique.
Pour Chantal Birman, sage-femme, accompagner, c'est aller à la rencontre de la femme
là où elle en est, et faire un bout de chemin ensemble31. L'accompagnement serait alors
une rencontre, puis une aventure partagée. Les idées de cheminement, de
perpétuelle évolution et de mise en commun sont de nouveau présentes. Mais il ne
s'agit pas de se projeter sur la femme accompagnée, d'autant plus que bien souvent,
l'infirmière ne sait rien de son histoire, elle ne peut que l'imaginer (ou pas). Dans le cas
de l'avortement, elle ne connaît que son nom, son prénom, et parfois son âge.
Pour Anne-Sophie CHIPON32, accompagner c'est "être là, se proposer, se prêter à
l'Autre, habiter sa souffrance pour lui permettre de l'identifier. L'écoute est essentielle".
Pour elle aussi, l'accompagnement ne se fait pas "à la place de", mais "avec", et même
"au service de". Ce point fondamental est souligné à plusieurs reprises dans le cas
spécifique de l'accompagnement de l'IVG.
L'accompagnement de l'IVG
Pour certains auteurs, l'accompagnement de l'IVG est multidisciplinaire, reposant
sur l'assistance et le conseil33. Ces auteurs se posent prudemment la question
suivante : "peut-on aseptiser la parole, voire la supprimer pour aller plus vite ?" La
notion de temps dans l'accompagnement est donc posée. Et l'aspect "pluriel" de
l'accompagnement est à nouveau évoqué, par la multidisciplinarité.
Selon Chantal Birman, sage-femme, l'accompagnement de l'IVG est une "relation
d'aide incroyable. Pouvoir accompagner des femmes qui avortent est magique sur le
plan humain : les personnes qui travaillent dans les centres d'orthogénie ont une
gratification extraordinaire". Elle précise que les "merci" des femmes sont très forts,
31 BIRMAN Chantal, Au monde, ce qu'accoucher veut dire, Paris, La Martinière, 2003, 349 pages32 CHIPON, op.cit., page 533 PONS Jean-Claude, VENDITTELLI Françoise, LACHCAR Pierre, L'interruption volontaire de grossesse et sa prévention, Paris, Masson, 2004, pages 127 et 129
12
bien plus forts qu'après un accouchement, car pour avorter, une femme a besoin du
personnel médical, alors qu'elle peut accoucher toute seule34. Pour cette auteure, c'est
l'aspect relationnel et humain qui prime dans la notion d'accompagnement. Elle
souligne la gratification des équipes : ce n'est pas seulement la personne accompagnée
qui ressort gagnante de cette relation, mais aussi l'accompagnante. Il s'agit bien d'une
relation à deux.
Elle rappelle aussi35 qu'il ne faut jamais perdre de vue que le fait que les circonstances
qui amènent à ce choix-là sont chaque fois individuelles, particulières, précises. Donc
que le travail de l'accompagnant est d'écouter et de comprendre, ne pas précipiter les
choses, ne pas prendre position, être auprès des femmes sans décider pour elles,
savoir poser des questions dans faire intrusion dans leur intimité.
L'aspect du temps dans l'accompagnement est encore une fois évoqué, de même que
l'écoute. Celle-ci est même fondamentale pour Christiane E., infirmière et conseillère
conjugale, qui précise que "les femmes, il faut être capable de les écouter, car elles ne
vous diront que ce que vous êtes capable d'entendre. Si vous n'en êtes pas capables,
elles ne vous diront rien36".
Aucun auteur ne s'est attardé sur les soins infirmiers prodigués pendant
l'accompagnement : pour tous, l'accompagnement est avant tout une aventure humaine
qui se partage. Cependant, il nous semble que la façon de réaliser ces soins infirmiers
dépend de la façon dont on accompagne la personne : par exemple, une infirmière à
l'écoute d'une patiente saura repousser un soin au moment opportun, plutôt que de le
faire à tout prix au moment où cela l'arrange elle.
2.1.5. L'impact des émotions sur l'accompagnement dans le cadre de l'IVG
On a vu que pour Isabelle Filliozat, mieux comprendre nos émotions permettrait de
renforcer la coopération entre individus. Donc cela permettrait également de renforcer
l'accompagnement d'un patient par un soignant si l'on considère l'aspect de partage
dans le concept d'accompagnement. Selon elle, les émotions motivent les
comportements et permettent d'avoir les réactions les plus appropriées aux situations.
Elle ajoute que si on nie ses émotions, on nie sa propre existence.
34 SAHEL, op.cit., (DVD)35 BENHAMOU Olivia, Avorter aujourd’hui, Paris, Mille et une nuits, 2004, page 11036 Ibid., page 115
13
D'après ces concepts, nous nous demandons comment accompagner une personne si
on nie ses émotions, c'est-à-dire, si on n'existe même pas pour soi-même, comment
peut-on exister pour l'autre qu'on souhaite aider ? Un soignant ne peut être soi-niant.
Catherine Mercadier précise que les émotions du malade et de l'infirmière interagissent
en cascade tout au long du soin37. Ainsi, les émotions de l'infirmière ont un impact sur le
malade, et vice-versa. Elle rejoint en ce sens Isabelle Filliozat pour qui les émotions
sont notre langage commun. Encore une fois, nier nos émotions serait nier une partie
de nous-même et de l'autre, et même couper un canal de communication.
Nous tenons à souligner la modernité de ces deux auteures. En effet, pendant
longtemps, les normes définissant la "bonne soignante" voulaient que celle-ci soit
neutre émotionnellement. Quand l'infirmière transgressait la norme, son attitude
devenait inconvenante. L'apprentissage des soins se faisait dans le déni des émotions
des soignants38. Ne pas éprouver d'émotions permettait de ne pas confondre
sentiments et comportement. Mais est-ce vraiment la réalité ? Aujourd'hui, ce concept a
beaucoup évolué. D'ailleurs, Catherine Mercadier souligne que les émotions contribuent
à la prise de décision et à l'activité rationnelle39. Elle se demande comment toucher,
regarder l'autre sans être touché et regardé à son tour. Et pour Isabelle Filliozat, les
émotions participent complètement à la décision, consciemment ou non. L'impact
sensoriel et émotionnel du soin sur le soignant est posé. Cela modifie-t-il son
accompagnement ?
Jocalyn Lawler semble aller dans ce sens. Elle montre que le détachement émotionnel
des soignants enseigné pendant des années ne fonctionnerait pas, alors que
reconnaître ses émotions permettrait d'aider les patientes différemment40. Elle cite une
sage-femme41 : "je pense que cela aide d'avoir les larmes aux yeux, car cela leur donne
la permission de pleurer devant vous". Ainsi, reconnaître ou non ses émotions génère
un accompagnement différent. Or, les émotions font partie intégrante du quotidien des
infirmières42 !
37 MERCADIER, op.cit., page 4438 Ibid., page 20339 Ibid., page 1140 LAWLER Jocalyn, Apprendre à contrôler ses émotions, in La face cachée des soins, 2ème éd., Paris, Seli Arslan, 2002, pages 138-14341 Ibid., page 17642 CUDRE, op.cit.
14
Nous pouvons alors déduire que les représentations et autres éléments déclencheurs
ont des conséquences directes sur les émotions ressenties par l'infirmière face à l'IVG,
puis sur l'accompagnement par l'infirmière de la femme ayant recours à une IVG.
Confrontons cette théorie à celle d'autres auteures.
Selon Bernadette Avon43, si la neutralité ne semble guère possible dans
l'accompagnement de l'IVG, la disponibilité reste fondamentale, bien qu'elle ne
supprime pas nos limites, lesquelles sont parfois mises à rude épreuve. Elle cite
l'exemple d'une infirmière qui perdit ses moyens et agressa verbalement une femme
ayant recours à une IVG : l'infirmière avait enterré son père la veille, et reconnaissait
n'avoir plus eu de contrôle sur ses propres émotions.
L'infirmière Marie-Françoise Collière définit la profession d'infirmière comme une
"profession qui se réclame de croyances, qui elles-mêmes sont support d'idéologies
déterminant des comportements. [...] Il apparaît donc fondamental d'identifier les
concepts, les croyances et les valeurs auxquelles se rattachent telle ou telle approche
des soins infirmiers. [...] Ainsi, comportement et attitudes sont en quelque sorte la clé de
voûte de cette profession44". Alors, pour cette auteure aussi, nos croyances et nos a
priori ont un impact sur nos attitudes et nos comportements, donc sur notre
accompagnement infirmier.
L'intensité de cet impact est plus ou moins variable. Dans le cadre de l'IVG, au
croisement de la vie et de la mort (car c'est bien de cela qu'il s'agit), l'intensité des
émotions est-elle plus forte ? L'impact sur l'accompagnement plus perceptible ?
La loi stipule qu'un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une IVG, mais qu'il doit
informer sans délai l'intéressée de son refus45. Cette clause de conscience n'est pas
étendue aux autres personnels soignants car ils ne font pas l'acte. Mais s'ils ne le font
pas, ils y participent (l'infirmière sert le chirurgien qui aspire, ou donne le comprimé qui
déclenchera l'expulsion). Or, d'une personne à l'autre, l'acceptabilité de l'avortement est
variable46. Des émotions différentes en découleront selon les soignants. Et la qualité de
l'accompagnement sera modifiée.
43 AVON Bernadette, A l'écoute du symptôme IVG, accompagner la relation, Lyon, Chronique Sociale, 2004, page 4844 COLLIERE Marie-Françoise, Promouvoir la vie, Paris, InterEditions, 1982, pages 279 et 28045 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Article 8, Journal Officiel, 7 juillet 2001, page 1082346 Dr BUREAU, op. cit.
15
La journaliste Olivia Benhamou dénonce le fait que certains soignants jugent les raisons
qui conduisent les femmes à l'IVG47". En effet, ils exercent un pouvoir abusif sur les
femmes, les considérant comme coupables, méritant une sentence qu'ils leur
infligeront : refus de prendre en compte la douleur par exemple, ou "curetage
psychologique" selon l'expression du docteur Michel Teboul48. Elle souligne les
interrogations fondamentales de savoir à quoi l'avortement renvoie le soignant dans son
histoire personnelle, et la question de ce que cela leur fait de mettre un terme à une
grossesse. Elle a parfaitement perçu les relations entre émotions et accompagnement
qui en découle.
Selon elle, pour accompagner les femmes, il ne faut pas porter de jugement, ne pas
superposer leur histoire à notre expérience personnelle. Elles souligne l'importance de
l'accueil tout au long de l'IVG, et rappelle la difficulté morale à laquelle les soignants
sont parfois confrontés : les émotions ne sont pas forcément évidentes à supporter. Les
risques de transfert sont encore une fois évoqués... risques de transfert liés aux
émotions des soignants !
D'après Nathalie BAJOS, directrice de recherche à l'INSERM, selon que la femme qui
avorte est sous DIU (dispositif intra utérin, en langage populaire "stérilet"), avec
contraception, ou sans contraception, l'attitude du professionnel de santé sera
différente, parfois stigmatisante, voire culpabilisante49. Cette chercheuse estime que
60% des grossesses non prévues sont interrompues par une IVG, et que les trois
quarts de femmes qui ont recours à une IVG étaient sous contraception.
En résumé, reconnaître et accepter ses émotions est un concept récent. Plusieurs
auteurs pensent que les émotions influent sur les décisions, et donc sur
l'accompagnement des femmes ayant recours à une IVG. Nous allons confronter cette
théorie à l'expérience de 4 infirmières travaillant dans des services pratiquant des IVG.
2.2. L'enquête exploratoire
3 entretiens ont été menés dans 3 services différents (cf. annexes). Ils ont
chacun duré une vingtaine de minutes. Ils ont tous été effectués pendant les temps de
47 BENHAMOU, op.cit., page 2848 Ibid., page 12249 BAJOS, op.cit., titre 1, chapitre 4 (DVD)
16
travail des infirmières, sur rendez-vous. J'ai choisi de n'interviewer que des infirmières,
et pas d'infirmier, en partant du postulat que les émotions des hommes face à l'IVG
seraient différentes de celles des femmes. Toutefois il s'agit d'un postulat, qui serait à
confirmer ou infirmer dans un autre travail. J'ai choisi d'interviewer à la fois des jeunes
et des anciennes, en âge et en années d'exercice de la profession d'infirmière. Les
infirmières sont nommées A. et Y. pour l'entretien n°1&1bis, E. pour le n°2, T. pour le
n°3. Ces lettres ont été choisies au hasard, et ne correspondent pas à une initiale.
Les entretiens 1 et 1bis (A. et Y.) sont présentés ensembles, car à l'origine il ne
devait y avoir qu'un seul entretien dans ce service, mais il ne s'est pas déroulé comme
prévu. J'étais dans un bureau avec A., infirmière. Juste au moment où je commençais
l'enregistrement, l'infirmière Y. est entrée dans la pièce pour demander à assister à
l'entretien, et A. a dit oui en l'invitant à s'asseoir. Je n'ai pas osé lui demander de sortir.
De plus il semblait qu'elle avait très envie de venir : elle avait fini son service depuis 20
minutes et aurait déjà dû être rentrée chez elle. Ces deux infirmières sont des
"anciennes" en expérience.
Y. a écouté l'entretien, et j'ai eu l'impression que par moments elle était un soutien à A.
par les regards. Vers la fin de l'entretien, elle est beaucoup intervenue. Elle semblait
vraiment vouloir parler, alors je lui ai proposé de l'interviewer aussi, ce qu'on a fait dans
la foulée, avec la présence de A. qui n'était pas partie. L'échange était très intéressant,
dans le sens où j'ai eu le sentiment qu'elles avaient besoin toutes les deux de revenir
sur une situation qu'elles avaient vécu ensembles quelques mois auparavant.
J'ai donc préféré retranscrire ce double entretien, y compris quelques questions
supplémentaires à la fin.
Pour le second entretien (E.), nous avons été interrompues trois fois. La
première fois, nous avons changé de pièce. Les deux autres fois, la présence d'une
tierce personne semble avoir perturbé E. pour répondre. Peut-être que les réponses
étaient trop intimes pour être dévoilées à des collègues de travail. E. a éprouvé de la
gêne lors de la seconde interruption (rires, silence alors qu'elle parlait très vite - sa toux
était liée à une affection ORL, elle portait un masque). La troisième interruption, où une
tierce personne s'est installée à notre table sans demander si elle pouvait assister à
l'entretien, a mis fin de façon peut-être prématurée à l'entretien. E. est une jeune
infirmière, en âge et en année d'expérience, et d'ailleurs elle s'excuse de son peu
d'expérience.
17
Pour le troisième entretien (T.), nous n'avons jamais été interrompues. Il s'est
effectué avec une jeune infirmière en années d'expériences, mais d'âge mûr.
Cependant j'ai eu des difficultés à trouver un troisième service : lors des contacts
téléphoniques avec divers établissements, plusieurs m'ont répondu ne pas pratiquer
d'IVG, ou trop rarement. L'accueil téléphonique a parfois été très froid ; j'ai même été
renvoyée à la salle d'accouchement dans un établissement lorsque j'ai demandé le
service qui pratiquait les IVG : erreur ou volonté délibérée ? Finalement j'ai trouvé un
service où une infirmière a accepté l'entretien, mais après avoir refusé dans un premier
temps car selon elle, son service, une SSPI50, n'accompagne pas les femmes pour les
IVG. Il semblerait que le concept d'accompagnement est parfois compris dans une
dimension moins large que celle du terme "prise en charge".
2.3. La confrontation entre les données de l'enquête et le cadre théorique
Tout d'abord, nous remarquons qu'il existe plusieurs points communs aux 3 entretiens.
Le premier, c'est qu'aucune infirmière n'a choisi spécifiquement de travailler dans un
service pratiquant des IVG. Elles ont toutes choisi le service où elles travaillent ; il se
trouve qu'il s'y pratiquent des IVG, mais ce n'était pas le motif de leur choix.
Ensuite, c'est que toutes les infirmières parlent de patiente. Or, les femmes venant
pratiquer une IVG ne sont pas malades. D'ailleurs les infirmières le savent bien,
puisque dans un même entretien, elles parlent aussi bien de patiente, de personne, de
femme, de dame, ou de gens (masculin !). Toutes les appellations employées sont
répertoriées ci-dessous, à l'exception des pronoms elle et elles, presque sur-utilisés :
patiente (1&1bis : 34, 51, 95, 265) ; (2 : 23, 104, 136, 149, 162, 170, 171, 177, 188) ; (3 : 87, 101, 193)
personne (1&1bis : 20, 24, 36, 86, 88, 90, 248, 262, 294) ; (2 : 50, 51, 143, 182) ; (3 : 69, 142)
femme (1&1bis : 71, 218, 220, 222) ; (2 : 128) ; (3 : 23, 30, 39, 64, 102, 139, 162, 183, 201)
dame (1&1bis : 315) ; (2 : 76) ; (3 : 24, 27, 44, 69, 99, 131, 137, 163, 165)
gens (1&1bis : 250, 307, 315) ; (3 : 130, 207)
jeune (1&1bis : 110, 114, 197, 220) ; (2 : 160)
IVG (2 : 113, 115, 116)
mineure (1&1bis : 113) ; (2 : 144)
gamine (1&1bis : 231, 239)
femme enceinte (3 : 110)
50 SSPI : salle de surveillance post interventionnelle, ou "salle de réveil"
18
Ce passage d'une appellation à l'autre concerne les 3 entretiens avec les mêmes
fréquences. Seul l'entretien n°1&1bis, et dans une moindre mesure le n°2, utilisent plus
spécifiquement des termes rappelant la jeunesse de certaines femmes : jeune,
mineure, gamine. Seul l'entretien n°2 utilise le terme IVG pour parler des femmes, alors
qu'il s'agit d'une intervention. Seul l'entretien n°3 parle une fois de femme enceinte.
Enfin, quand les infirmières parlent d'émotions, c'est d'emblée une émotion ou une
expression majeure qui est évoquée, comme être très mal à l'aise (1&1bis : 79), être
bouleversée (1&1bis : 231), la peur (1&1bis : 246), pleurer (2 : 172, 177 ; 3 : 173), ou
crier (2 : 177). C'est systématiquement le côté péjoratif de l'émotion qui ressort. Seule
l'infirmière de l'entretien n°3 parle aussi de surprise (3 : 136) et d'étonnement (3 : 154),
sans préciser si cette émotion est négative ou positive.
Les autres similitudes entre les entretiens, et similitudes avec l'étape exploratoire, sont
présentées ci-dessous en même temps que les différences.
Les émotions
Catherine Mercadier (page 8) cite en exemple plusieurs émotions, dont la gêne et la
peur. Ce sont justement deux émotions ressenties par des infirmières (1&1bis : 79, 235-
238, 246). Selon les auteures présentées dans l'étape exploratoire, ces émotions
peuvent être tues ou exprimées (page 8). Nous remarquons que dans un premier
temps, toutes les anciennes infirmières (A. et Y.) refusent de reconnaître qu'elles
éprouvent des émotions, puis finalement, elles admettent ressentir des émotions. Cette
reconnaissance se fait d'emblée chez les deux infirmières nouvellement diplômées.
Cependant, les anciennes infirmières décrivent la nécessité de prendre du recul
(1&1bis : 284), ce qui pourrait correspondre au concept de travail émotionnel créé par
Arlie Hochschild (page 8). La forme de travail émotionnel portant sur les
représentations, la façon de percevoir et de ressentir les évènements semble
correspondre à ce que T. appelle le travail sur la distinction entre ce qu'on ressent, et la
prise en charge professionnelle des choses (3 : 90-91). On observe là une grande
similitude entre les concepts théoriques et les conseils pratiques donnés par les
infirmières.
19
Concernant les émotions reconnues d'emblée par E. (jeune infirmière), il s'agit de la
frustration (2 : 154) liée à un sentiment d'impuissance (2 : 157). Ce sentiment est
implicitement évoqué à la fin de l'entretien 1&1bis, lorsque les anciennes infirmières
recommandent de ne pas trop rentrer dans le détail (1&1bis : 303, 317), de ne pas
prendre toute la misère du monde sur les épaules pour ne pas craquer (1&1bis : 305),
ou encore disent qu'on ne peut pas faire grand chose pour eux (1&1bis : 252), ou qu'on
ne peut pas toujours trouver une réponse aux questions (1&1bis : 278). Elles précisent
qu'elles ne peuvent pas résoudre les problèmes sociaux des personnes ("on n'est pas
assistante sociale", 1&1bis : 314), et que "si on a pu l'aider tant mieux" (1&1bis : 316),
ce qui sous-entend le sentiment d'impuissance de l'infirmière face à certaines
situations. T. aussi parle implicitement d'impuissance à plusieurs reprises : quand elle
parle des difficultés à soulager (3 : 169) ou de l'impossibilité de travailler sur la douleur
psychique en salle de réveil (3 : 190). Ce sentiment d'impuissance semble donc
commun à toutes les infirmières interviewées, anciennes ou jeunes, avec ou sans
beaucoup d'expérience.
L'accompagnement
Dans un premier temps, le concept d'accompagnement semble peu compris dans sa
dimension globale. Pour les infirmières interviewées, l'accompagnement est fait en
amont, avant l'acte lui-même. Mes questions se faisant insistantes, elles finissent par
reconnaître qu'elles aussi pratiquent une forme d'accompagnement. Accueillir, bon
accueil, ne pas juger, être à l'écoute, se sentir en confiance, information, informer,
explication, rassurer, encadrer, réconforter sont des termes qui reviennent dans les trois
entretiens (1&1bis : 33-34, 202-204 ; 2 : 25-30, 43-44 ; 3 : 39-41, 66). Si certaines
choses sont spécifiques aux différents services, toutes ces notions sont communes au
concept d'accompagnement pour ces infirmières. Par contre, le cheminement, la
perpétuelle évolution, la mise en commun (page 11) ne sont pas des notions reprises,
comme si pour ces infirmières l'accompagnement était un mouvement d'une personne
vers une autre, sans échange ni retour, au lieu d'être un mouvement de va et vient.
Ainsi, si l'on se réfère à Anne-Sophie Chipon (page 11), les notions d'être là, d'écoute,
au service de sont partagées par toutes les infirmières interviewées, mais il manque la
dimension d' "avec".
20
Une infirmière semble mettre un soin tout particulier à l'environnement dans
l'accompagnement (3 : 31-33, 49-57). Cette notion n'a pas été abordée explicitement
par les différents auteurs : peut-être était-elle plus pratique que théorique ? Elle nous
semble pourtant très importante, dans le sens où l'environnement semble modifier les
soins infirmiers apportés. La perception et les représentations de la maternité de cette
infirmière l'amènent à modifier l'environnement de la femme ayant recours à l'IVG : ne
pas mettre de césarisées ou d'enfants en bas-âge à proximité, fermer la porte si une
césarienne est en cours à côté pour ne pas entendre les pleurs du bébé. Tous ces
gestes participent aux soins infirmiers, dans le but de rendre moins désagréable le
passage en salle de réveil, et d'atténuer la douleur psychique.
Je souhaiterais terminer ce paragraphe par une notion très peu abordée dans le cadre
théorique (page 6), qui est celle de la douleur physique. Or, elle est évoquée dans
chacun des trois entretiens (1&1bis : 46 ; 2 : 97, 103 ; 3 : 29-31, 60, 117, 119, 189), et
sa prise en charge fait partie de l'accompagnement pour chacune des infirmières. Cette
notion mériterait d'être plus approfondie dans le cadre de l'accompagnement de l'IVG,
où les auteurs parlent essentiellement de douleur morale (souffrance). Mais si la
douleur physique est mal prise en charge le jour de l'IVG, ne risque-t-on pas de raviver
cette douleur à chaque nouvelles règles, ou lors d'un accouchement ultérieur ?
L'impact des émotions dans l'accompagnement
Comme souligné dans l'étape exploratoire (page 9), toutes les infirmières interviewées
semblent d'accord que les convictions personnelles peuvent retentir sur les émotions et
l'accompagnement de l'IVG, avec des risques de projection, de transfert et de contre-
transfert. Elles parlent de la difficulté à accompagner qu'aurait une infirmière anti-IVG,
en attente d'être enceinte, ou à un stade avancé de grossesse (1&1bis : 130 ; 2 : 57,
169 ; 3 : 77-82, 89-90, 199). Elles disent clairement les mots de projection, transfert
(1&1bis : 198 ; 2 : 162), et l'une d'elle reconnaît en souffrir par rapport à sa propre fille
(1&1bis : 198-200).
Je souhaiterais détailler ce dernier point. Au début, A. et Y. sont mal à l'aise par le fait
qu'un soignant puisse se permettre un jugement, faire la morale (1&1bis : 75-80). Mais
elles ne laissent pas passer leurs émotions, et si elles ressentent des choses, elles
disent qu'il ne faut pas les montrer (1&1bis : 85, 92, 210). L'une souligne que travailler
21
dans un tel service lui a permis de prendre plus de recul et de ne pas porter de
jugement (1&1bis : 103-104), et selon elle, le propre vécu d'une infirmière peut
influencer l'accompagnement lors d'une IVG (1&1bis : 213). Cependant, le cas d'une
mineure l'a bouleversée et troublée (1&1bis : 230-235). D'un côté elle affirme qu'il ne
faut pas faire transparaître ses émotions, et de l'autre elle en éprouve qui s'expriment
(sentiment de mal à l'aise et peur, 1&1bis : 79, 235-238, 246) : elle semble dans la non-
reconnaissance de ses émotions. Ainsi, s'il ne faut pas faire transparaître ses émotions
(1&1bis : 210), paradoxalement, on peut réagir différemment sans laisser transparaître
(1&1bis : 216-217) !
Au fur et à mesure de l'entretien, ces infirmières qui étaient dans le déni des émotions
reconnaissent en éprouver sans les laisser transparaître, puis reconnaissent que ces
émotions peuvent modifier leur attitude (1&1bis : 260). Ce constat rejoint l'idée
développée page 13, selon laquelle pendant longtemps les soignantes devaient être
neutres émotionnellement, et que l'apprentissage des soins se faisait dans le déni des
émotions. Puis récemment, cette idée a été combattue par des auteures comme
Isabelle Filliozat et Catherine Mercadier (page 13). A. et Y. finissent effectivement par
revenir sur leurs premières déclarations. Cependant, cette "brèche" reste de courte
durée, car l'entretien se conclut par le fait que rester professionnelle, c'est garder des
distances et ne pas trop s'impliquer (1&1bis : 297-298, 309) pour se protéger. Il y a là
une certaine ambiguité. Néanmoins, la situation de la jeune mineure dont elles parlent
semble les toucher particulièrement. Le jour de l'entretien, une IVG était en cours pour
une mineure qui voulait que ce geste reste confidentiel : cette jeune fille leur a-t-elle fait
remonter des souvenirs et des émotions à la surface ? Les reconnaître, tout en gardant
des distances, ne permettrait-il pas non plus de se protéger ?
L'idée qu'il ne faut pas prendre position, que le rôle de la soignante est de comprendre
seulement (Chantal Birman, page 12) est partagée par toutes les infirmières. Elles
insistent sur la nécessité de ne pas émettre de jugement, de ne pas faire la morale, ne
pas culpabiliser les femmes, de rester neutre face aux situations rencontrées (1&1bis :
33, 52, 75, 80, 81, 91, 97,106, 272 ; 2 : 25, 27, 28, 57, 91, 167 ; 3 : 66, 71, 207, 209). La
notion de droit à l'avortement apparaît (1&1bis : 89 ; 3 : 200, 202). Et pourtant, lorsque
je me permets de renforcer mes questions sur les émotions, elles finissent toutes par
admettre qu'elles en éprouvent, et même l'une dit qu'elle prend les choses différemment
selon la raison de l'IVG (1&1bis : 219) - mais sans rien laisser transparaître vis à vis de
22
son accompagnement (1&1bis : 221). N'y a-t-il pas un jugement, même si l'infirmière
reste neutre dans son accompagnement ?
Olivia Benhamou partage l'idée de Chantal Birman que pour accompagner les femmes,
il ne faut pas porter de jugement, et même qu'il ne faut pas superposer leur histoire à
notre expérience personnelle (page 15). Cela est bien perçu par toutes les infirmières
interviewées lorsqu'elles parlent d'éviter les transferts et de ne pas juger. T. l'exprime
avec beaucoup de pertinence lorsqu'elle dit qu'il faut travailler sur la distinction entre ce
qu'on ressent, et la prise en charge professionnelle des choses (3 : 90-91).
Enfin, Catherine Mercadier estime que les émotions du malade et de l'infirmière
interagissent en cascade tout au long du soin (page 13), les émotions devenant un
langage selon Isabelle Filliozat (page 13). Chacune des infirmières semble avoir
remarqué ce fait, que les émotions de l'infirmière ont un impact sur le malade, et vice-
versa. A. répondrait à l'agressivité (1&1bis : 88), A. et Y. pourraient être plus attentives
face à certaines situations émotionnelles (1&1bis : 260-261), E. pense que notre
attitude influence un accompagnement, comme l'agressivité ou l'ouverture, mais aussi
la gestuelle, le ton de la voix, et que si l'infirmière est énervée dès le départ, les femmes
vont s'énerver encore plus et ainsi de suite (2 : 89-109). Enfin, T. estime que le ressenti
de la patiente est influencé par l'infirmière (3 : 86-87), et qu'il y a toujours quelque chose
qui se passe dans la relation entre l'infirmière et la femme (3 : 97).
La formation
Il y a un aspect qui n'a pas été abordé dans l'étape exploratoire : celui de la formation
des infirmières pour l'accompagnement des IVG. Certaines infirmières déplorent la
formation sur le tas (2 : 68-71), l'absence de formation spécifique à l'IVG et l'absence
d'accompagnement du personnel par une psychologue, et évoquent le besoin de parler
de certaines expériences en équipe (1&1bis : 132-141, 286-288). Une certaine
souffrance des soignants semble ainsi évoquée.
23
2.4. La formulation de la question centrale
Reconnaître et accepter ses émotions est un concept récent dans l'histoire des
soins infirmiers. Toutes les infirmières interviewées ont reconnu éprouver des émotions,
mais les anciennes l'ont fait beaucoup moins spontanément que les nouvelles, et
seulement grâce à l'insistance de mes questions. Pourtant, toutes ces infirmières
décrivent des exemples où les émotions influent sur l'attitude soignante : face à
l'agressivité, face à une situation particulière (le cas des mineures et des IVG
confidentielles, le cas du viol), la représentation personnelle de l'infirmière par rapport à
la maternité, etc. Globalement, après parfois une non-reconnaissance ou un déni de
leurs émotions, toutes les infirmières interviewées admettent que leurs émotions ont un
impact sur l'accompagnement des femmes ayant recours à l'IVG. Si ces émotions
étaient reconnues d'emblée, l'accompagnement offert serait-il sensiblement modifié ?
Ces réflexions m'amènent à la question centrale : Dans quelle mesure, pour
l'infirmière, la reconnaissance de ses propres émotions peut influencer
l'accompagnement d'une femme ayant recours à l'IVG ?
3. Problématique
"Auparavant, être professionnelle était "rester impassible". Maintenant c’est
reconnaître et accepter ses émotions51". Cette réflexion de Chantal Birman montre le
chemin parcouru depuis les débuts de l'enseignement des soins infirmiers. Ce chemin
également parcouru par les "anciennes" infirmières, qui au début de l'entretien nient
l'existence de leurs émotions, puis déclarent en éprouver qui ne transparaissent pas, et
finalement reconnaissent que leurs émotions influencent leur attitude dans
l'accompagnement des personnes, ce que les infirmières nouvelles reconnaissent
d'emblée.
Il se pose alors la question de la reconnaissance de ses propres émotions par
l'infirmière. Tout d'abord, comment reconnaître ses émotions ? Une première étape
pourrait être d'accepter d'avoir le droit d'avoir des émotions dans l'accompagnement.
Alors, parmi les multiples facteurs qui rentrent en jeu, quels sont les plus déterminants ?
L'éducation ? La formation ? L'équipe ? Les croyances ? La culture de l'établissement ?
51 BIRMAN, op.cit.
24
Pendant tant d'années, la reconnaissance des émotions a été découragée, voire niée.
Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui elle commence à être étudiée, voire encouragée selon
certaines écoles de pensée ?
Quel travail préalable permet à l'infirmière d'identifier ses émotions ? Existe-t-il des
soutiens (l'équipe, le service, la formation) ? Comment se protéger des émotions trop
fortes ?
On voit que la reconnaissance des émotions pose de nombreuses questions variées. Si
je devais continuer ce travail, je m'orienterais vers les pistes liées à l'équipe : l'existence
d'une libre parole ou non au sein des membres de l'équipe, la présence de discussions
même informelles, la création de groupes de paroles, de supervision ou d'analyse de la
pratique. Je chercherais aussi à étudier le travail individuel : propre travail sur ses
représentations personnelles, ou complément de formation professionnelle.
J'axerais également mes recherches sur l'utilité d'une formation spécifique à l'IVG (au
lieu d'une formation sur le tas). Celle-ci pourrait être le premier pas d'une
reconnaissance des émotions, au moins institutionnelle, ce qui pourrait encourager la
reconnaissance des émotions à titre personnel... et un changement des pratiques des
soins infirmiers ?
Enfin, je m'interrogerais sur que faire de cette reconnaissance des émotions ? Une fois
l'émotion reconnue, acceptée, comment travailler avec ? Dans quel sens ?
4. Conclusion
Ce travail a été pour moi l'occasion de m'informer sur l'IVG de manière générale,
et de mesurer lors de l'étape exploratoire l'étendue des tabous qui entourent encore
cette question : la fréquence élevée de cet acte en France (près d'une femme sur
deux), ou les échecs importants de la contraception par exemple. Cela place selon moi
l'IVG dans le domaine de la santé publique et non pas seulement de la sphère privée.
J'ai remarqué qu'à l'image des infirmières interviewées, moi aussi, à l'écrit comme à
l'oral, j'utilise les mêmes mots pour désigner les femmes ayant recours à l'IVG :
25
patiente, personne, femme, dame. En relisant les entretiens, cela m'a frappé : faut-il
que je regarde chez les autres pour m'apercevoir de ce que je fais moi aussi ? Pourtant
il me semblait avoir été attentive à ne pas utiliser le terme de patiente, ces femmes
n'étant pas malades ! Il y a déjà là un premier intérêt pour ma pratique professionnelle
grâce à ce travail de fin d'études : désormais, je ferai encore plus attention aux
terminologies employées concernant les personnes accueillies dans le service où
j'exercerai... ce qui devrait engendrer un changement de mon regard sur ces
personnes, et donc un changement de mon attitude générale envers elle.
Je me suis aussi beaucoup interrogée sur la distinction vie professionnelle / vie privée.
Même si on pense avoir la distance nécessaire, les émotions peuvent être
incontrôlables et avoir des répercussions importantes pour l'accompagnement des
personnes soignées, ou pour notre vie privée. Une interrogation profonde et sincère sur
cette distinction fondamentale entre vie professionnelle et vie privée devrait toujours
être posée lorsqu'on rencontre des difficultés dans sa vie professionnelle ou dans sa vie
privée. Et ce, d'autant plus que l'émotion n'est pas forcément là où on l'attend.
Au cours de mes stages, j'ai toujours eu beaucoup de plaisir à accompagner les
femmes ayant recours à l'IVG, indépendamment de mon statut de mère d'un très jeune
enfant. En effet, elles ne sont pas moi, je ne suis pas elle, et si j'ai pu les soulager
quelques instants, j'en suis heureuse. Les mercis et les sourires que j'ai reçus ont été
aussi gratifiants que le décrivait Chantal Birman (pages 11-12).
Je souhaite que cette expérience autour des émotions et de l'accompagnement par
l'infirmière des femmes ayant recours à l'IVG puisse être transposable à d'autres
spécialités que l'orthogénie : pédiatrie, oncologie, psychiatrie, etc.
Enfin, je m'excuse de n'avoir pas inclus les hommes dans ce travail. J'ai fait ce choix
car 90 % des titulaires du diplôme d'état infirmier sont des femmes, et 100 % des
personnes qui ont recours à l'IVG sont des femmes : même si parfois elles sont
accompagnées par un homme, ce sont bien elles qui vivent cet acte dans leur corps.
Néanmoins, l'accompagnement par un infirmier lors d'une IVG serait intéressant à
étudier : il se joue probablement d'autres choses dans la relation.
26
BIBLIOGRAPHIE
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AUTHIER-ROUX, Frédérique, Ces bébés passés sous silence, à propos des interruptions médicales de grossesse, Paris, Erès, 1999, 70 pages
AVON Bernadette, A l'écoute du symptôme IVG, accompagner la relation, Lyon, Chronique Sociale, 2004, 168 pages
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COLLIERE Marie-Françoise, Promouvoir la vie, Paris, InterEditions, 1982, 391 pages
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WINCKLER, Martin, La Vacation, Paris, P.O.L., 1989, 208 pages
Exercice de la profession, in Profession Infirmier, Uzès, SEDI, s.d., pp. 77-92
27
Revues :
CHAMPION Jocelyne, CAILLEUX-KREITMANN Jeanine, Aspects particuliers de l'IVG médicamenteuse, Soins gynécologie obstétrique puériculture pédiatrie, 1994, n° 154, pp. 18-20
TRABACCHI Ghislaine, Souffrances et avortements, Revue de l'infirmière, 1999, n° 45, pp. 31-33
TREGAN Danielle, CAILLEUX-KREITMANN Jeanine, NEGRE-GARNIER Catherine, Un suivi différent : homéopathie et sophrologie, Soins gynécologie obstétrique puériculture pédiatrie, 1994, n° 154, pp. 37-39
Travaux de Fin d'Etudes Infirmiers :
CUDRE Delphine, Quand les infirmières racontent leurs émotions… au cœur d'une posture professionnelle authentique, 58 pages, mémoire de fin d'études pour diplôme infirmier, Lausanne, Haute Ecole de la Santé La Source, 2008
CHIPON Anne-Sophie, En quoi les représentations des soignants peuvent influencer la prise en charge des patientes dans un service pratiquant des interruptions volontaires de grossesse ?, 27 pages, TFE pour diplôme d'état infirmier, Grenoble, IFSI La Tronche, 2009
Films :
LEIGH Mike, Vera Drake, Grande Bretagne, 2004
MUNGIU Cristian, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Roumanie, 2007 (Palme d'Or à Cannes)
SIMON Claire, Les Bureaux de Dieu, France, 2008
Documentaires :
Mouvement Français pour le Planning Familial de Loire Atlantique, L'avortement…, France, Mouvement Français pour le Planning Familial, 2007
SAHEL Jérémy, Code 178 : des mots sur l'avortement, France, Cauri films, 2008
Sites Internet :
Association Nationale des Centres d'Interruption de grossesse et de Contraception (ANCIC), (page consultée le 19 décembre 2009), Peut-on éviter les risques de l'IVG?, [en ligne], adresse URL : http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/techniques_risques.html
28
ANCIC, (page consultée le 19 décembre 2009), Information aux patientes avec une IVG par aspiration, [en ligne], adresse URL : http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/techniques_infos.html
Dr BUREAU, Annie, CIVG Hôpital Broussais, ANCIC, (page consultée le 19 décembre 2009), Peut-on éviter les risques de l'IVG ?, [en ligne], adresse URL : http://www.ancic.asso.fr/textes/ressources/techniques_risques.html
Institut National d'Etudes Démographiques : http://www.ined.fr
Ministère de la Santé et des sports, (page consultée le 19 décembre 2009), Mortalité maternelle, [en ligne], adresse URL : http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/maternite/rapport3.htm
Mouvement Français pour le Planning Familial : http://www.planning-familial.org
Mouvement Français pour le Planning Familial Isère : http://mfpf38.apinc.org/
Union Suisse pour dépénaliser l’avortement, (page consultée le 19 décembre 2009), Les complications de l’IVG sont rares, [en ligne], adresse URL : http://svss-uspda.ch/fr/facts/complications.htm
WINCKLER Martin, (page consultée le 21 décembre 2009), Vaccin anti-HPV : débat entre Véronique T., gynécologue et Martin W., [en ligne], adresse URL : http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=911
Journaux officiels :
Journal Officiel (Assemblée Nationale, 70ème séance), 27 novembre 1974, page 6999
Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, Art. L. 162-1, Journal Officiel, 18 janvier 1975, pp 739-741
Loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure, Journal Officiel, 1er janvier 1983, page 15
Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, Titre II, Journal Officiel, 30 janvier 1993, page 1580
Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Journal Officiel, 7 juillet 2001, pp 10823-10827
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ANNEXES
INED (Institut National d'Etudes Démographiques), tableau B : avortements suivant le groupe d’âge de la femme, 1 page
INED (Institut National d'Etudes Démographiques), tableau H : avortements suivant le nombre de grossesses antérieures et le nombre d’avortements antérieurs, 1 page
INED (Institut National d'Etudes Démographiques), tableau J : avortements suivant les techniques utilisées et le type d’anesthésie, 1 page
INED (Institut National d'Etudes Démographiques), statistiques de l’avortement en France, annuaire 2002, 1 page
Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, Art. L. 162-1, Journal Officiel, 18 janvier 1975, pp 739-741, 3 pages
Loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l'interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure, Journal Officiel, 1er janvier 1983, page 15, 1 page
Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, Titre II, Journal Officiel, 30 janvier 1993, page 1580, 1 page
Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Journal Officiel, 7 juillet 2001, pp 10823-10827, 5 pages
1
ENTRETIENS
Guide d'entretien
Entretiens n°1 & 1 bis
Entretien n°2
Entretien n°3
1
GUIDE D'ENTRETIEN
En italique est indiquée la question "ressource", au cas où l'interviewée n'arrive pas à répondre à la
première question.
Profil de l'infirmière
1. Quel âge avez-vous ?
2. En quelle année avez-vous été diplômée ?
3. Depuis quand travaillez-vous dans ce service ?
4. Est-ce un choix ou par hasard ? Pourquoi ce choix ?
L'accompagnement
5. Dans votre service, êtes-vous confrontée régulièrement à des IVG ?
6. Comment voyez-vous l'accompagnement d'une femme qui a recours à une IVG ?
Pour vous, l'accompagnement, c'est quoi ?
7. Dans votre service, qu'est-ce qui est mis en place de façon spécifique pour
l'accompagnement et l'accueil des femmes venant pour une IVG ?
8. Et vous, avec votre expérience, faites-vous quelque chose de spécifique ? Qu'est-ce
qui est important à vos yeux pour l'accompagnement de ces femmes ?
1
Les émotions
9. Selon vous, qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement lors d'une IVG ?
En dehors des facteurs organisationnels, quels facteurs humains peuvent influencer ?
10. Et vous, la dernière fois que vous avez accompagné une femme ayant recours à
une IVG, est-ce que vous vous souvenez de comment cela s'est passé ?
Qu'est-ce qui a pu être difficile ? Qu'est-ce qui a facilité cet accompagnement ?
11. Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ?
Etait-ce agréable ? Désagréable ?
12. Avec le recul de votre expérience, pensez-vous que l'émotion que vous ressentez
peut avoir un impact sur l'accompagnement ? Pourquoi ? Comment ?
Pour conclure
13. Qu'est-ce qui vous apporte le plus dans cette expérience d'accompagnement des
femmes ayant recours à l'IVG ?
2
ENTRETIEN N°1 & 1bis
EIDE (étudiante infirmière) : Quel âge avez-vous ?
A. : 38 ans
EIDE : En quelle année avez-vous été diplômée ?
A. : (elle réfléchit) En 93
EIDE : Depuis quand travaillez-vous dans ce service ?
A. : Depuis l'ouverture il y a... 2-3 ans, heu 2 ans et demi.
EIDE : Est-ce un choix ou par hasard ?
A. : Heu, non c'est un choix.
EIDE : Pourquoi ce choix ?
A. : Heu (elle réfléchit)... le service X, essentiellement pour des raisons personnelles, d'organisation
familiale.
EIDE : Ce n'était pas par rapport aux IVG ?
A. : Non, pas du tout.
EIDE : Dans votre service, êtes-vous confrontée régulièrement à des IVG ?
A. : Tout à fait.
EIDE : Comment voyez-vous l'accompagnement d'une femme qui a recours à une IVG ?
A. : Comment on voit l'accompagnement ... Heu (silence)... Ben, l'accompagnement se fait
beaucoup en amont, en fait. Bien avant heu... son arrivée ici, c'est vraiment la dernière partie de...
du suivi. La personne... Heu... Enfin c'est l'aboutissement en fait de la démarche. Le jour où la
personne vient ici, pour le jour de son IVG, mais tout l'accompagnement a été fait avant.
EIDE : Et ici, il y a quand même un accompagnement qui est fait ?
A. : Oui, d'accord, il y a un accompagnement, mais en général, heu... on sait pas heu... on sait pas
l'histoire de la personne, on la prend dans la dernière phase de son accompagnement, quoi. Si elle
a envie de parler, elle peut.
Y. : (elle coupe la parole)Tu vois au départ elle-même où elle en est dans son information, parce que
t'en as qui sont bien au courant de ce qu'on va leur faire, et t'en as d'autres qui sont quand même
moins au courant, donc bon après, c'est à toi à t'adapter suivant heu... ce qu'elle, elle sait ou pas.
En général, elles savent, ouais, elle savent comment ça va se passer, en général.
EIDE : Et pour vous, l'accompagnement, c'est quoi ?
A. : Accompagner. Le jour de son IVG, ici ?
EIDE : Oui. Qu'est-ce que ça veut dire ?
A. : Et bien déjà c'est l'accueillir. Lui montrer... ben notre... par notre comportement qu'on la juge
pas, qu'on l'accueille comme n'importe quel patiente. Et puis heu... on est à l'écoute si heu... elle a
envie d'en parler. Je ne pose jamais aucune question parce que je trouve que c'est pas du tout mon
rôle. Heu... si je sens que la personne a envie d'en parler, alors là d'accord je suis ouverte pour en
parler, mais je vais jamais lui demander pourquoi elle vient faire son IVG... heu... je rentre pas du
tout dans le... Ca, ça a déjà été fait en amont. Je trouve qu'il y a déjà assez d'intervenants pour que
nous on se mêle en plus de son histoire. Elle arrive avec son histoire, on la prend là où elle en est,
1
et puis si elle a besoin de parler on est là pour l'écouter. Et l'accompagnement c'est qu'elle passe
une journée la plus... heu... ben agréable c'est pas le bon mot, mais.. heu... qu'elle vive le mieux
possible son IVG le jour J.
EIDE : Dans votre service, qu'est-ce qui est mis en place de façon spécifique pour
l'accompagnement et l'accueil des femmes venant pour une IVG ?
A. : (silence) Heu... ben y'a la présence de la sage-femme, qu'elle peut voir quand elle veut, si elle
veut (silence). Sinon, heu... (silence)
Y. : L'accompagnement et l'accueil. On a un protocole aussi. On a un protocole pour la douleur, pour
l'anxiété.
A. : Ouais (silence).
EIDE : Et vous, avec votre expérience, faites-vous quelque chose de spécifique ? Qu'est-ce qui est
important à vos yeux pour l'accompagnement de ces femmes ?
A. : J'pense, c'est important qu'elles se sentent comme n'importe quelle patiente, quoi. Et que heu..
elles se sentent pas jugées, qu'elle se sentent en confiance, se sentent bien accueillies, qu'elles
sentent qu'elle peut appeler quand elle veut. Qu'on est là, quoi !
EIDE : Selon vous, qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement lors d'une IVG ?
A. : Heu... son propre vécu, j'imagine que pour une femme qui n'arrive pas à avoir d'enfant ça peut
être très difficile d'accompagner ce genre de choix... Heu... (silence) ouais son expérience, ses
idées aussi, sachant qu'on n'est pas du tout dans un servie d'orthogénie. On est arrivé ici sans
choisir de... d'être dans un service d'orthogénie, on ne le fait pas par choix.
INTERRUPTION pendant environ 1 minute par la sage-femme qui rentre dans le bureau à propos
d'une IVG dans le service qui ne se passe pas comme prévu.
Heu, sinon, qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement...lors d'une IVG... Ouais, ses idées
par rapport à ça, et son propre vécu, essentiellement.
EIDE : Et vous, la dernière fois que vous avez accompagné une femme ayant recours à une IVG,
est-ce que vous vous souvenez de comment cela s'est passé ?
A. : (silence)
EIDE : Qu'est-ce qui a pu être difficile ? Qu'est-ce qui a pu être facile ?
A. : Il y a vraiment tous les cas de figure dans notre service, il y a heu... tous les cas sont
particuliers. Non, d'une manière générale ça se passe bien... Après, celle qui m'a le plus marqué,
c'est ça que tu veux dire ?
EIDE : Oui, pourquoi pas.
A. : Heu... ce qui m'a le plus marqué c'était une femme de 40 ans qui était en recomposition
familiale, ils avaient tous les deux un passé heu... difficile, ils étaient tous les deux en instance de
divorce, et donc ils se mettent en semble, elle était enceinte, elle vient faire une IVG, mais ils
voulaient tous les deux cet enfant en fait. Mais la situation était vraiment difficile. Et en plus ils se
sont trouvés face à un gynéco qui leur a fait la morale, et j'ai trouvé ça vraiment horrible (rires
gênés).
Y. : Ouais, c'est clair.
A. : Voilà.
2
EIDE : Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ? Comment vous sentiez-vous ?
A. : Très mal à l'aise. Très mal à l'aise qu'un... qu'une personne du corps médical se permette un
jugement vis à vis d'une situation qui les regardait, c'était leur problème à eux, et je pense qu'on
n'avait surtout pas à juger et encore moins à leur faire la morale.
EIDE : Avec le recul de votre expérience, pensez-vous que l'émotion que vous ressentez peut avoir
un impact sur l'accompagnement ?
A. : Si je la laisse transparaître sûrement, mais d'une manière générale, j'ai pas l'impression de
(silence) j'pense pas laisser passer mes émotions. J'ai pas eu l'impression d'avoir eu une attitude
différente en fonction de l'histoire de la personne.
EIDE : Même quand c'est des IVG à répétition avec une patiente qui est agressive ?
A. : Ah, si la personne est agressive je vais répondre à son agressivité comme n'importe quel signe,
mais pas plus parce que c'est une IVG. Je pense que l'IVG c'est un droit, et voilà, quoi. (soupir).
Après si la personne vient pour sa 5ème IVG, ben elle a sûrement des raisons qui font qu'elle est là
pour sa 5ème IVG. Moi j'ai pas suivi en amont, donc je me permettrai pas une réflexion par rapport à
ça.
Y. : Voilà, disons que tu peux ressentir des choses, mais il faut pas les montrer.
A. : Ouais.
Y. : On a le droit aussi de ressentir, d'avoir un peu, de ...
A. : Voilà, mais on n'a pas à dire heu... par rapport à sa patiente, j'pense qu'il y a d'autres
intervenants qui sont... y'a la sage-femme, y'a le gynéco qui sont là pour... pour parler des moyens
de contraception. On peut en reparler, mais sans heu... sans faire la morale, j'pense que c'est
vraiment pas notre rôle.
EIDE : Quand vous avez trop d'émotions, vous passez le relais ?
A. : (silence) Non, ouais, j'ai jamais eu vraiment trop d'émotions qui m'ont vraiment ébranlée.
Y. : (en même temps) Ouais, moi non plus.
EIDE : Qu'est-ce qui vous apporte le plus dans cette expérience d'accompagnement des femmes
ayant recours à l'IVG ?
A. : (long silence). J'pense que par rapport au jugement ça m'a pas mal apporté. Essayer de prendre
un maximum de recul par rapport aux gens, par rapport à leur histoire, leur dire que je suis là pour
les soigner, pour être là ce jour-là, pour les accueillir, pour les accompagner dans cette démarche,
mais que en aucun cas je dois m'impliquer dans... heu... dans leur choix, quoi. Ni porter de
jugement, ni... (silence).
EIDE : Il y a des choses que vous avez envie de dire en plus ?
A. : (long silence) Heu... (elle réfléchit)
Y. : Moi je trouve que sur les IVG qu'on voit y'a énormément de... très jeunes. Très très jeunes. Donc
ou c'est un manque de communication, ou c'est un manque d'informations, mais j'trouve qu'il y en a
quand même beaucoup.
A. : Moi je trouve que c'est peut-être un peu faussé, parce que... y'en a pas tant que ça des
mineures.
3
Y. : Ouais mais des très très jeunes, j'sais pas des... j'sais pas (silence). Des jeunes qui sont en
couple. Enfin (long silence). Mmmh (long silence). Je pensais pas qu'il y en avait autant. Ca m'a...
ça m'a vraiment fait bizarre d'en voir deux ou trois par jour.
EIDE : j'ai l'impression que tu as aussi des choses à dire, si tu es d'accord je peux aussi
t'interviewer.
Y. : j'pense pas, j'pensais pas en voir autant, on m'avait dit qu'il y avait des IVG ici, j'imaginais pas
que c'était deux à trois par jour. J'trouve que c'est quand même beaucoup.
A. : Oui, mais c'est aussi parce qu'on est centre IVG pour le département.
Y. : Oui, oui voilà.
A. et Y. : (elles parlent toutes les deux en même temps pour approuver).
A. : Moi ce que je regrette, c'est qu'il n'y ait pas un service spécialisé en fait, qu'on soit pas une
petite unité heu... limite, qu'il y ait le service X, et une annexe qui n'accueille que l'orthogénie, et qu'il
n'y ait que des gens qui ont choisi de faire de l'orthogénie. En fait on se retrouve là, au départ, c'était
pas tellement dit dans le profil de poste qu'on ferait des IVG, et j'pense que heu.. après tout le
monde a son histoire et tout le monde a ses idées par rapport à ca, mais j'pense que c'est quand
même un choix de travailler dans ce genre de service.
Y. : Oui.
A. : On peut pas demander à tout le monde.
Y. : Oui.
A. : J'pense que ça mériterait quand même une unité un peu spécialisée avec une formation et un
suivi, avec un peu heu...
Y. : Une formation sur l'IVG, ouais, c'est vrai.
A. : Ouais, sur l'accompagnement, et un petit peu des temps aussi où on peut discuter entre nous,
Y. : (elle coupe la parole) Oui, discuter.
A. : Avec heu... ça, ça se fait pas du tout et c'est dommage.
EIDE : Vous en avez besoin parfois de discuter ?
A. : Ouais.
Y. : Ouais.
A. : Ouais, ouais tout-à-fait (silence).
EIDE : Par rapport à ce que ça a provoqué chez vous ?
A. : Ouais. Ouais, ouais. Notamment par rapport aux très jeunes. Regarde (elle regarde Y.), la petite
jeune de quatorze ans, là.
Y. : Que l'père il a débarqué en bas.
A. : Oui.
Y. : C'était confidentiel, oui, je me souviens.
A. et Y. : (elles parlent toutes les deux en même temps et c'est incompréhensible quelques
secondes ; on entend les mots "très impliqué" et "mal à l'aise").
A. : (se tournant vers moi) C'était la fille de copains en fait. De voisins copains.
Y. : Qui n'étaient pas au courant que leur fille
4
A. : (elle coupe la parole) Eux n'étaient pas au courant, et elle, elle venait et je me retrouvais... heu...
(sourire gêné)
EIDE : Elle aussi peut-être était mal à l'aise ?
A. : Et ben elle l'a pas du tout montré (sourire) ! Sûrement. Sûrement !
EIDE : Et toi, tu l'as montré ? Tu penses qu'elle l'a perçu ?
A. : Ben je suis allée la chercher au bloc, je lui ai tout de suite dit "j'pense que t'es étonnée que c'est
moi qui sois là, mais t'inquiètes pas, je respecterai ton choix, j'en parlerai pas à tes parents, ça te
regarde, moi je suis liée au secret médical et j'en parlerai pas, donc heu... tu peux avoir
complètement confiance... heu"... Voilà. Et puis il s'est avéré qu'entre-temps, quelqu'un
Y. : (elle coupe la parole) Ouais !
A. : Avait prévenu son père. Voilà.
Y. : Donc le père a débarqué en bas (silence).
A. : Puis la mère.
Y. : (se tournant vers A.) Tu l'avais vu l'papa, toi, après ?
A. : Non, mais je les ai revus après.
Y. : Ils t'en ont pas reparlé ?
A. : C'est moi qui suis allée leur parler.
Y. : D'accord.
A. : (se tournant vers moi) Et puis voilà. Ils m'ont dit "on comprend très bien que tu ne nous en aies
pas parlé". Je n'y allais pas pour discuter, j'y allais juste pour prendre des nouvelles. Et puis après
on a discuté tranquille.
Y. : C'était délicat.
A. : Ah, ce sont des situations... complexes. (silence).
∞
EIDE : Est-ce que tu veux que je t'interviewe, car j'ai l'impression que tu as des choses à dire ?
Y. : Non ! non, non, pas du tout !
EIDE : Vraiment ?
Y. : Ca rejoint beaucoup A. Ca rejoint beaucoup A., à part l'âge ( rires).
EIDE : Bon, j'te demande pas ton âge alors ? (rires) C'est intéressant quand même ?
Y. : 47
EIDE : 47. Et en quelle année tu as été diplômée ?
Y. : 86
EIDE : Depuis quand tu travailles dans ce service ?
Y. : Ici, depuis septembre... 5 mois
EIDE : Est-ce un choix ou par hasard ?
Y. : C'est un choix. Un peu les mêmes raisons que A. Organisation familiale, horaires. Et une grosse
envie de changement.
EIDE : C'était pas par rapport aux IVG ?
5
Y. : J'savais qu'il y en avait, si, si, j'savais qu'il y en avait. J'appréhendais un petit peu parce qu'il y
avait de la chirurgie aussi et que j'en ai jamais fait, mais heu... bon, j'avais surtout envie de changer
de service.
EIDE : Donc, dans ce service, des IVG il y en a très régulièrement. Tu disais tout à l'heure que tu ne
pensais pas qu'il y en avait autant ?
Y. : Ouais, moi j'imaginais qu'il y en avait... heu... moi ça m'a vraiment surpris...heu quand on disait
qu'il y avait des IVG dans ce service, j'pensais que c'était quelques... quelques unes par semaine, et
heu... c'est 2-3 par jour quoi. C'est surtout l'âge en fait, j'trouve qu'il y a vraiment des très très
jeunes. Et ça m'surprend, ouais. Alors parce que, est-ce que je fais le transfert sur
A. : (elle coupe la parole) : Oui
Y. : Sur ma fille, je sais pas, peut-être. (elle tousse).
EIDE : Comment voyez-vous l'accompagnement d'une femme qui a recours à une IVG ?
Y. : Ben c'est un peu la même réponse que A, hein. C'est un bon accueil, prendre le temps au
niveau, au moment de l'accueil. Et puis ben voir où elle en est dans son information à elle, et puis
compléter si, si y'a besoin, mais bon en général elles sont bien, bien informées quand même.
(silence).
EIDE : Dans ce service, qu'est-ce qui est mis en place de façon spécifique pour l'accompagnement
et l'accueil des femmes venant pour une IVG ? D'autres choses en plus que tout à l'heure ?
A. : Ben y'a l'appel du lendemain aussi, un petit peu ( long silence).
EIDE : Et avec ton expérience, fais-tu quelque chose de spécifique ? Qu'est-ce qui est important à
tes yeux pour l'accompagnement de ces femmes ?
Y. : (silence) : Ben c'est de heu... de pas faire transparaître ses émotions si y'en a, et puis heu... de
la prendre telle que, et, l'absence de jugement en fait ( silence).
EIDE : Qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement lors d'une IVG ?
Y. : (long silence) ben ton vécu à toi, le vécu de la patiente (silence)... son entourage aussi, ouais,
son vécu (long silence)
EIDE :Et ces émotions qu'il ne faut pas faire transparaître, ça modifierait l'accompagnement ?
Y. : (silence) je sais... heu.. ça doit pas modifier l'accompagnement, tu peux avoir, heu, tu peux
réagir différemment, mais heu... sans laisser transparaître, c'est toujours pareil, hein faut pas laisser
transparaître. C'est ce que je te disais l'autre jour, une femme qui vient pour une 4ème, ou une 5ème
IVG, qui a déjà 3 gamins, qui a 45 ans, ouais effectivement, je prends la chose différemment qu'une
jeune de 16 ans, tu vois. C'est heu.. pour moi... c'est une femme qui se prend pas en charge, mais
ça, c'est mes pensées à moi. Mais je peux pas les laisser transparaître vis à vis de mon
accompagnement, de l'accompagnement que je vais faire au niveau de cette femme. ( silence).
EIDE : Il y a une barrière entre ce qu'on ressent et la relation qu'on a avec la personne ?
A. : Oui
Y. : (en même temps) Oui, il faut, oui, bien sûr. Il faut.
EIDE : Et vous, la dernière fois que vous avez accompagné une femme ayant recours à une IVG,
est-ce que vous vous souvenez de comment cela s'est passé ?
Y. : (silence)
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EIDE : Qu'est-ce qui a pu être difficile ? Qu'est-ce qui a facilité cet accompagnement ?
Y. : (silence) ben moi j'en ai jamais eu vraiment qui se sont... moi celle dont je me souviens, c'est
celle de A. aussi parce que moi cette gamine ça m'a vraiment heu... bouleversée aussi, quoi... parce
que les parents pas au courant, ça m'a ... ça m'a vraiment heu... C'est toujours pareil, j'ai fait le recul
avec ma fille, et heu.. je me disais mais j'arrive pas à m'imaginer que moi personnellement en tant
que mère, je ne sois pas au courant de.. de ça, quoi. Et ça, ça m'a troublée un petit peu aussi.
(silence). Quand c'est c'est confidentiel, j'trouve que ça met mal à l'aise quand c'est confidentiel.
(silence).
EIDE : Vous dites que vous vous êtes sentie mal à l'aise. Il y a d'autres émotions qui sont arrivées ?
Y. : C'est pas vraiment des émotions. J'pense pas que ce sont des émotions, enfin, je sais pas,
j'appellerai pas ça une émotion. (silence).
A. : C'est aussi voir que les gens peuvent être dans une solitude... Cette gamine, elle l'avait dit à
personne. Personne n'était au courant dans son entourage. Elle avait pas trouvé une cousine, une
tante, une amie. Enfin, si, dans les amies, elle l'avait dit à ses copines. A 2-3 copines. Mais dans
l'environnement adulte, personne n'était au courant.
EIDE : Mais qui était l'accompagnant majeur ?
A. : C'était son copain qui avait tout juste 18 ans. ( silence). Mais souvent, voilà, ouais, quand ce sont
des IVG confidentielles, souvent, c'est...
Y. : Ben on a toujours peur en fait de... ben, pas de gaffer, mais de ... ouais il faut être plus vigilant
quand c'est confidentiel, enfin, j'sais pas. Au niveau de ce qu'on dit, de ce qu'on...
A. : Puis du coup, par rapport à la situation de la personne, on se dit ouais, si elle le cache, c'est que
heu... y'a une situation difficile derrière, quoi. C'est plus ça. On est complètement impuissant par
rapport à la situation des gens. C'est peut-être pour ça aussi que... moi je m'implique pas plus que
ça là-dedans, parce que c'est peut-être aussi une protection. Et puis tu peux pas. Parce que tu peux
pas améliorer, enfin, je veux dire, tu peux pas faire grand chose pour eux, quoi, à part les
accompagner, toi, tu peux pas arranger leur situation familiale, toi à ce niveau-là, tu peux
absolument rien faire. Donc tu as l'impression de les laisser un petit peu dans leur détresse et dans
leur heu... (silence).
EIDE : Avec le recul de votre expérience, pensez-vous que l'émotion que vous ressentez peut avoir
un impact sur l'accompagnement ?
Y. : Répète la question ?
EIDE : Est-ce que l'émotion que vous ressentez peut avoir un impact sur l'accompagnement ?
Y. : (silence).
A. : Peut-être qu'on sera plus attentive
Y. : Plus attentive, ouais, c'est ce que j'allais dire.
A. : Et puis après, il a aussi le feeling avec la personne. J'pense que c'est valable pour toute
personne qui vient dans le service, y'en a avec qui on va plus accrocher que d'autres.
Y. : Y'en a qui parlent beaucoup plus que d'autres, et y'en a qui sont vraiment très fermées. Ca
dépend aussi de... de la patiente que t'as en face. C'est comme tu disais tout-à-l'heure (se tournant
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vers A), moi je suis un peu comme toi, je vais pas aller leur poser des questions, heu... Si elle en
parle, elle en parle, si elle en parle pas heu... (silence).
EIDE : Qu'est-ce qui vous apporte le plus dans cette expérience d'accompagnement des femmes
ayant recours à l'IVG ?
Y. : (long silence) Ce qui m'apporte le plus... ( long silence)
EIDE : Est-ce que vous appris quelque chose depuis 5 mois et demi ?
Y. : Ben effectivement, peut-être une idée différente de l'IVG, ouais, effectivement. De pas juger les
gens. (long silence).
EIDE : C'est quelque chose que vous continueriez à faire ?
A. Oui, de l'orthogénie, s'il y avait une unité d'orthogénie, ouais, j'postulerai, ouais.
Y. : Mais c'est vrai qu'avec une formation, ce serait vraiment... sur l'accompagnement, ouais,
vraiment l'accompagnement. Quand elles te posent des questions, savoir heu.. bien répondre, sans
les brusquer, sans... sans les choquer... Sans... Trouver toujours une réponse aux questions, en fait.
A. : Oui
Y. : Etre professionnelle de l'IVG. Non, mais c'est vrai, ça doit être intéressant ( se tournant vers A).
A. : Oui, oui. Ou travailler en Planning Familial.
Y. : Ca doit être difficile aussi, parce que tu dois voir vraiment des situations vraiment dramatiques.
A. : Toutes sortes de situations (silence)
Y. : J'pense qu'il faut prendre du recul, il faut vraiment prendre beaucoup de recul là-dessus, parce
que sinon...
A. : Moi j'aimerais bien travailler dans une structure où il y a vraiment heu... un accompagnement du
personnel aussi...
Y. : Ouais, avec une psychologue, avec heu...
A. : On parlerait de nos réactions, de ce qu'on a dit, de... de tel cas qui nous a plus touché que
l'autre.
EIDE : Il y a donc des situations qui vous touchent, mais vous essayez de ne rien laisser
transparaître ?
Y. : Ouais, parce que c'est déjà difficile pour elles d'être là et de faire l'IVG, alors si en plus tu
rajoutes tes émotions
A. : Et j'pense que c'est aussi se mettre en danger soi, d'aller trop s'impliquer... une personne qui
arrive, qui est bouleversée, si on commence à aller trop au fond des choses avec elle, j'pense qu'on
peut vite se retrouver dans une situation coincée. Tu vois, qu'est-ce qu'on fait avec ça? On est là
pour la journée. Et après on ne la revoit plus. L'aider pour cette journée-là, d'accord, mais j'pense
qu'il faut pas trop s'impliquer non plus dans... Mais ça, j'pense que c'est valable dans beaucoup de..
de... Ca, tu l'apprends avec l'expérience, hein. Quand on travaille en cancéro, quand on travaille...
avec des gens en fin de vie... on n'est pas dans l'accompagnement, enfin, si on travaille dans un
service lambda, et qu'on est amené à recevoir ces gens-là, toxicomanes, j'sais pas moi, prostituées.
Moi j'ai bossé à Paris, j'ai eu pas mal de gens en hépato-gastro... y'a des gens qui sont dans des
situations familiales, sociales, heu... folles, quoi ! Si on commence à trop rentrer dans le détail, on se
retrouve avec tout le monde à la maison quoi ! Tu vois ?
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Y. : Puis toi, tu en prends le moins possible aussi, parce que si tu prends toute la misère du monde
sur les épaules, ben, tu craques
A. : Si tu veux faire quelque chose pour les gens, il faut plus... plus...
Y. : D'empathie.
A. : Ouais. Mais j'pense qu'il faut rester professionnelle et garder des distances... Et pour elles et
pour nous
Y. : Oui, mais c'est partout, pour les IVG, c'est dans toutes les pathologies.
EIDE : Donc rester professionnelle dès que vous sentez que ça vous fait quelque chose, prendre du
recul ?
A. : Oui. J'pense. On n'est pas assistante sociale, on n'est pas éducatrice spécialisée. On va pas
être amenée à vivre avec ces gens-là, quoi. A quatre heures, elle va repartir chez elle, la dame, et
puis voilà quoi. Il faudra qu'elle continue à se débrouiller. On a aura été...heu... Si on a pu l'aider,
tant mieux. Même lui donner des pistes pour après, enfin j'sais pas. Mais j'pense qu'il faut pas trop
rentrer dans le détail. (silence).
EIDE : Merci beaucoup.
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ENTRETIEN N°2
EIDE (étudiante infirmière) : Quel âge avez-vous ?
E. : 25 ans.
EIDE : En quelle année avez-vous été diplômée ?
E. : (elle réfléchit) En 2007... en novembre 2007.
EIDE : Depuis quand travaillez-vous dans ce service ?
E. : Novem, heu, décembre 2007.
EIDE : Est-ce un choix ou par hasard ?
E. : Un choix.
EIDE : Pourquoi ce choix ?
E. : Au départ je voulais être puer, et je voulais essayer de me rapprocher de X [confidentialité].
(silence). Je me disais ça pouvait se rapprocher pour plus tard, pour la formation de puer. Et je ne
voulais pas être directement avec les enfants tout de suite, parce que je ne me sentais pas prête.
EIDE : Dans votre service, êtes-vous confrontée régulièrement à des IVG ?
E. : Heu, oui, tous les jours. Quand on travaille en hôpital de jour, oui. On a au moins 6 IVG
chirurgicales, et 3, 3-4 médicamenteuses. Voire des fois plus, mais normalement, c'est 6 et 3.
EIDE : Donc ça fait une dizaine d'IVG par jour ?
E. : Oui.
EIDE : Et comment voyez-vous l'accompagnement d'une femme qui a recours à une IVG ?
E. : Heu... c'est-à-dire ?
EIDE : Comment vous imaginez l'accompagnement d'une femme qui a recours à l'IVG, pour vous,
qu'est-ce que c'est, l'accompagnement ?
E. : Ben déjà (elle tousse), c'est un bon accueil. Parce que l'accueil, ça fait tout. Quand la patiente
elle arrive, et qu'on l'installe dans la chambre, pour elle c'est un moment important, donc il faut
vraiment être à l'écoute. Heu... montrer qu'on est... Faut pas les culpabiliser, parce qu'elles sont déjà
vraiment heu... Elles ont déjà honte d'être ici, bon pas toutes, mais heu... la plupart elles ont honte,
elles culpabilisent, alors si en plus on leur montre qu'on les juge, c'est fini. Donc heu, vraiment être
très neutre, montrer qu'on est là, à leur écoute, qu'on les comprend, que... ( silence)
EIDE : Ca, c'est le début, l'accueil ?
E. : Oui, l'accueil est le plus important. Après, bien leur expliquer comment ça va se passer. Heu... et
répondre, elles ont beaucoup de questions, voire... certaines pas du tout, mais heu... écouter ce
qu'elles veulent. (en rigolant) J'sais pas si j'ai bien répondu à tes questions !
EIDE : Vous répondez comme vous le sentez ! Dans votre service, qu'est-ce qui est mis en place de
façon spécifique pour l'accompagnement et l'accueil des femmes venant pour une IVG ?
E. : Il peut y avoir une prise en charge par une psychologue. Elles viennent en pré-IVG, c'est-à-dire
dès qu'elles font les consultations, on leur propose une psychologue. Parce que le choix il est jamais
facile, certaines, ben, elles sont très indécises, y'en a qui viennent pas du tout aux rendez-vous, qui
reportent, d'autres ben, qui viennent, qui sont là, mais qui disent "ben non, faut que je réfléchisse
encore". Donc heu... y'a quand même la prise en charge psychologique par une psychologue. Mais
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le premier jour, heu le jour même, c'est rare qu'elles le demandent, c'est plus en amont... ou après...
Après, nous on est là, on écoute, on n'a pas de... on a rien de particulier, c'est juste une écoute
active, et heu... les rassurer, les encadrer...
EIDE : Et vous, avec votre expérience, faites-vous quelque chose de spécifique ?
E. : Non, un sourire, heu... leur montrer que je suis disponible, donc heu... je leur dis heu... à chaque
fois quand je les installe, que je suis là. C'est vrai que le matin, nous, c'est un peu à la chaîne, donc
je leur dis que ben là on les installe assez rapidement, mais qu'on est disponible toute la matinée...
avant, après le bloc, si elles ont besoin de quoique ce soit, on est là, qu'elles hésitent pas à sonner,
ne serait-ce même que pour parler, ou heu... qu'on les écoute. Parce que des fois, elles ont juste
besoin qu'on écoute ce qu'elles ont à dire. Et voilà ! Non, je n'ai pas de techniques particulières, je
reste moi-même, naturelle, et j'essaye de m'adapter à chaque personne, parce qu'elles sont toutes
différentes, et on sait pas ce qu'elles veulent vraiment. Il y a des personnes qui veulent pas qu'on
leur parle, alors on fait... ben le strict minimum. On leur explique comment va se passer
l'intervention, à quoi servent les médicaments, parce qu'on donne du Cytotec®, donc on leur
explique comment ça marche, les effets indésirables. En fait, elles savent tout, et généralement, ben
ça les rassure. Après heu... (elle tousse), on n'a pas de... de grille... Tout ce qui est soins
relationnels, on n'a jamais de... d'approche particulière. Le tout c'est de... c'est de pas arriver en leur
montrant que... qu'on est contre l'IVG, alors là, c'est perdu d'avance. De toutes façons, pour
travailler ici, faut pas être... contre, quoi ! Faut rester neutre.
EIDE : Qu'est-ce qui est important à vos yeux pour l'accompagnement de ces femmes ?
E. : C'est un peu difficile à répondre toutes ces questions, parce que, vu que c'est... le soin
relationnel c'est vague... préciser quelque chose... (silence)
EIDE : S'il y avait une chose qui était vraiment importante ?
E. : Dans notre prise en charge ? (elle tousse)
EIDE : Oui.
E. : (silence) J'ai... Un peu bloquée, là... je sais pas du tout... quoi répondre ! J'ai pas de remède
miracle en fait, donc heu... Désolée ! (elle rit)
EIDE : C'est pas grave.
E. : Comme quoi, de ne pas avoir énormément d'expérience, on ne peut pas répondre
concrètement... un truc précis... En plus, nous on n'a pas eu de formation. En tant qu'infirmières ici,
on n'a pas eu de formation heu... sur l'IVG en elle-même.
EIDE : Formées sur le tas ?
E. : Oui, en fait, on est formée sur le tas ! En fait, on a une feuille... là c'est une IVG
médicamenteuse (elle prend une feuille et me la montre), donc l'IVG, on a une feuille comme ça, là.
Donc le matin, quand elles arrivent, donc on voit avec elles... (elle me montre chaque item sur la
feuille) le terme, on récupère tout ce qui est paperasse, on leur explique les médicaments qu'elles
vont prendre, on vérifie bien qu'elles sont à jeun, la préparation cutanée, donc heu... Et après une
fois qu'elles sont installées, ben on part de la chambre, et on installe les autres dames au fur et à
mesure, après on retourne les voir si elles voulaient qu'on retourne les voir. Au retour de bloc, c'est...
On voit avec elles comment elles se sentent, mais y' pas de... quelque chose de particulier à faire.
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EIDE : Et selon vous, qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement lors d'une IVG ?
INTERRUPTION pendant environ 2 minutes : on change de pièce pour ne pas être dérangées par
ses collègues qui s'installent travailler là où on était. On va dans la tisanerie du personnel. Elle
prend le bip dans sa poche.
E. : Un soin relationnel, c'est difficile, c'est pas comme un soin technique. Il y a savoir, et savoir-être.
Alors, la question, c'était quoi ?
EIDE : Alors, la question, c'était selon vous, qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement lors
d'une IVG ?
E. : C'est qu'est-ce qui peut mal se passer, c'est ça ?
EIDE : Mal ou bien se passer, qu'est-ce qui pourrait influencer ?
E. : D'accord. Ce qui peut influencer, c'est déjà NOUS, notre attitude. C'est-à-dire en fonction de
l'attitude qu'on a, la patiente elle va percevoir heu... des choses. Si elles perçoivent qu'on est
agressive, ben elles vont mal le vivre, si elles perçoivent qu'on la juge, elles vont heu... mal le vivre.
Si elles perçoivent qu'on est là, qu'on est ouverte, qu'on est souriante, agréable, ben déjà ça va
beaucoup mieux se passer. Donc après... Déjà notre attitude physique, et après notre attitude aussi
gestuelle, et paroles. Tout ce qui est dit, la façon dont c'est dit, le ton aussi. Le ton de la voix, si on
parle tout doux, ben... si elles sont déjà énervées dès le départ et qu'on parle énervée, ben elles
vont s'énerver encore plus, et puis après... Des fois, y'en a qui arrivent là très agressives, parce que
elles viennent pas là pour une partie de plaisir... et heu... elles sont dans la nocivité et dans le...
dans la douleur, ce qui fait ben heu... il faut parler toujours avec un ton calme, posé ( elle fait le geste
avec sa main de poser un objet sur la table), et puis recadrer si vraiment... ça dépend... Donc
l'attitude déjà ça peut jouer. Ce qui peut jouer aussi sur l'accueil, c'est la personne qui l'accompagne,
le conjoint, l'amie... Elles sont accompagnées, hein, soit du conjoint, d'une amie, d'un parent. Des
fois, la présence de telle ou telle personne peut perturber la patiente soit en positif, soit en négatif,
donc heu... ça peut jouer sur la prise en charge... Le Cytotec® peut provoquer des douleurs, donc
heu... en fonction de la douleur qu'elles peuvent ressentir avec le médicament heu... Le
médicament, pour certaines patientes, c'est le moment où... où on va tuer pour elle l'enfant. Même si
c'est pas un enfant et qu'on leur redit bien que c'est pas un enfant, que c'est un embryon et que c'est
pas... c'est pas viable. Pour elles, prendre le médicament, c'est passer le cap, et donc prendre le
médicament, c'est pas si simple que ça, donc ça peut jouer aussi sur... heu...
EIDE : Même si elles ont déjà pris la Mifégyne® 48 heures avant ?
E. : Mais là c'est que pour les RU la Mifégyne®, donc heu... pour les autres, elles ont pas de
Mifégyne®.
EIDE : Vous pouvez me précisez vos protocoles IVG médicamenteuses et IVG chirurgicales ?
E. : En fait, les IVG médicamenteuses, elles ont la Mifégyne® 48 heures avant, et après elles ont
des prises de Cytotec® dans le service, à 8h, et à 10h, donc elles ont 4 comprimés. Par contre, les
IVG chirurgicales, elles arrivent, et elles prennent le Cytotec® à leur arrivée comme on a dit là, soit
si c'est des IVG tardives, elles en prennent 4 comprimés, 2 à leur arrivée, et 2 autres deux heures
plus tard. Donc elles ont jamais pris de comprimés avant. Pour elles, c'est LE moment où... c'est une
fois qu'elles ont pris le comprimé, on leur dit que c'est trop, quoi... entre guillemets, trop tard, elles
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ne peuvent pas revenir sur leur décision, parce que y'en a qui peuvent décider pendant
l'intervention, l'hospitalisation, de dire "ben moi, je ne veux plus être opérée", et elles partent. Elles
ont eu besoin de venir, et puis finalement elles se rendent compte qu'elles veulent pas être là, donc
elles repartent. Mais une fois que le comprimé il est pris... il est pris, hein. Donc on insiste bien sur le
fait que le médicament, c'est pas... c'est pas rien, quoi ! Après, qu'est-ce qui peut influencer ? Ce
sont les choses les plus importantes... (silence)
EIDE : Et vous, la dernière fois que vous avez accompagné une femme ayant recours à une IVG,
est-ce que vous vous souvenez de comment cela s'est passé ?
E. : C'était ce matin (rires). J'en ai installé 8, 10. Comment ça s'est passé ? Ben toutes très bien. J'ai
pas eu de... problèmes particuliers. Parce qu'il y'a des femmes qui vont arriver avec tous les papiers
sans soucis, qui, voilà, on va les installer, il n'y aura pas de problèmes, et il y a celles qui vont arriver
sans leur carte de groupe, sans rien, là on se dit, ben si elles ont oublié la moitié des choses, c'est
que derrière, finalement, elles ont peut-être pas envie d'être opérées, qu'elles ont peut-être pas
envie de subir une IVG, donc elles essayent de trouver un moyen détourné, mais c'est inconscient,
hein ? Pour soit retarder ou soit garder la grossesse. C'est souvent... le cas. Après heu... Là ce
matin j'ai eu aucune complications. Elles étaient toutes souriantes, ouvertes.
EIDE : Et vous vous souvenez d'une fois où ça a pu être difficile ?
E. : Oui. Une fois où (elle tousse) c'était une patiente qui voulait pas subir une IVG. C'était son
conjoint qui... la forçait. Donc heu, lui il arrêtait pas de l'appeler, donc après elle savait plus où elle
en était. Ah non, en fait, c'était elle qui voulait avorter, et lui il voulait pas justement qu'elle avorte.
Donc le jour où elle lui a annoncé, il a été... odieux avec elle, assez violent physiquement et
verbalement. Et ce qui fait que le jour même, ben il est venu, et il a tout fait pour pas qu'elle se fasse
avorter. Donc heu... des insultes, d'ailleurs lui il est venu vers moi et j'ai failli me faire taper (rires).
Bon voilà, des choses qui peuvent un peu mal tourner quand le conjoint il est pas du tout d'accord
avec la décision qui a été prise. Autrement, hier ou avant-hier, je sais plus, il y a quelques jours, il y
a une personne qui s'est fait violée, une mineure, au Congo, c'était son premier rapport, ben tombée
enceinte, et donc elle est venue avorter. Des situations comme ça, qui sont un peu difficiles... Elles
viennent pas toutes avorter pour heu... parce que ben, c'est un accident. C'est souvent parce que
derrière, il y a... une histoire un peu plus complexe.
EIDE : Et qu'avez-vous ressenti dans ces moments-là ?
E. : Ben quand c'est pas simple, on peut pas faire grand chose, mise à part le fait de... Soit la
patiente elle a des doutes, et on peut essayer de l'écouter et puis de voir avec elles ce qui... poser
les choses, souvent c'est la psychologue qui joue un rôle, parce que nous on n'est pas psychologue.
Des fois, elles ont plus de facilités à parler avec une infirmière qu'avec la psychologue, puisque
justement on n'est pas quelqu'un qui est là pour... analyser. Des fois elles ont juste besoin de parler.
Qu'est-ce que je ressens ? Ben des fois on est frustré, on est frustré parce que ben... on est un peu
perdu des fois, hein, c'est vrai, on sait pas quoi... Quand y'a le conjoint qui est là et qui dit "ben non,
faut pas que t'avortes", et puis elle, elle veut avorter, et puis nous, on est là au milieu, ben on peut
pas faire grand chose, mise à part faire tampon. Mais c'est vrai qu'on se sent impuissant,
impuissante. Après, ben qu'est-ce que je ressens ? Ben... Toute histoire elle touche, après on est là
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pour travailler, donc on essaye d'être neutre, de... pas prendre pour soi. Il faut vraiment avoir un
décalage entre ce qu'elles vivent elles, et ce que nous on vit, parce que des fois on peut dire,
expliquer à une jeune qui a mon âge, 25 ans, à qui il arrive telle ou telle histoire, ben ça touche,
alors forcément y'a l'émotion qui rentre en jeu, mais faut se dire... Faut rester détachée, c'est la
patiente, c'est pas moi. Parce qu'on a vite fait de faire des transferts... c'est le truc à éviter...
EIDE : Ca vous arrive, parfois ?
E. : Ca arrive, y'a des fois, on est touché... On peut pas ne pas être touché par certaines histoires.
C'est impossible... Pour être infirmière, il faut quand même être humaine, donc, si on n'a pas...
Après, faut juste pas... le montrer... Il faut juste pas que notre jugement se fasse en fonction de notre
ressenti. C'est-à-dire... (elle tousse), c'est pas parce que... je sais pas comment expliquer... Mais
bon, c'est comme si quelqu'un était contre l'IVG et qu'il travaillait là parce qu'il s'est retrouvé là... Et
ben quand il a des IVG en face, il va pas... être dans l'agressivité avec la patiente. Il faut essayer de
pas... Avoir de l'empathie sans heu... sans montrer ce qu'on ressent (silence). Si la patiente elle
pleure, tu vas pas te mettre à pleurer (silence). C'est touchant.
EIDE : Et avec votre expérience, pensez-vous que l'émotion que vous ressentez peut avoir un
impact sur l'accompagnement ?
Une personne entre dans la pièce et se sert à boire.
E. : (silence) Heu, sincèrement... Est-ce que ça peut avoir un impact ? Ben oui (silence). Après,
heu... lequel ? Ben tout dépend. Si on se met à pleurer... ou si on se met à crier ou... ça va perturber
la patiente... après, un impact... (silence). Je sais pas trop quoi répondre à cette question ( rires).
La personne qui était entrée dans la pièce repart.
EIDE : Vous pensez que c'est déjà arrivé, que vous ayez ressenti une émotion positive ou négative
et que ça ait eu un impact ?
E. : Absolument, parce que de toutes manières, la personne qui est en face elle ressent les choses
qu'elle perçoit. Il suffit que je fasse une gestuelle qui veut dire quelque chose pour elle, elle va le
prendre comme heu... comme un signe. Le truc, c'est que elles, souvent quand elles arrivent ici,
elles sont déjà heu... dans la culpabilité, assez dans le... elles se sentent déjà pas bien, certaines
ont honte d'être ici, alors des fois heu... la façon dont on peut se tenir, la façon dont... on parle, ou ce
qu'on peut dire, elles le prennent comme elles ont envie de le prendre. C'est-à-dire que je peut être
très agréable, et que la patiente peut se dire "elle m'agresse". Heu... C'est vrai que... dans
l'ensemble, leur ressenti, il est pas forcément le même que nous. Elles perçoivent, hein, de toutes
manières, je suis sûre qu'elles perçoivent au fond, ce qu'on peut ressentir, peut-être pas tout, mais si
elles pensent qu'on est touché par leur histoire et qu'elles pensent qu'on est vraiment à l'écoute, et
qu'on est vraiment attentive à ce qu'elles disent, ben c'est sûr qu'elles seront en confiance, et
qu'après ça va très bien se passer.
Une autre personne entre dans la pièce, se sert à boire, puis s'installe à côté de E., en face de moi.
EIDE : Et une dernière question. Qu'est-ce qui vous apporte le plus dans cette expérience
d'accompagnement des femmes ayant recours à l'IVG ?
E. : (rires). Qu'est-ce que ça m'apporte ? Heu... Déjà, comme pour le métier qu'on fait, un
enrichissement personnel, on apprend déjà beaucoup de choses sur nous-même, sur les autres...
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une ouverture d'esprit... ben vu que c'est relationnel... Ca fait mûrir, grandir... (se tournant vers
l'autre personne) C'est dur de répondre à ses questions, hein ? ( rires)
Autre personne : C'est pour quoi ?
E. : C'est pour un mémoire (rires) Mais alors... J'pense pas que je vais pouvoir m'étaler plus.
EIDE : (rires) C'est pas grave, c'est déjà très riche.
L'autre personne commence à manger à la table tout en regardant E.
E. : Dire ce qu'on ressent, c'est pas toujours... (silence, sourire gêné)
EIDE : Merci beaucoup, on peut arrêter là.
E. : Ouf, merci ! (rires).
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ENTRETIEN N°3
EIDE (étudiante infirmière) : Quel âge avez-vous ?
T. : 41 ans
EIDE : En quelle année avez-vous été diplômée ?
T. : 2007
EIDE : Depuis quand travaillez-vous dans ce service ?
T. : Depuis juin 2009.
EIDE : Est-ce un choix ou par hasard ?
T. : Non c'est un choix.
EIDE : Pourquoi ce choix ?
T. : Pour faire une préparation, après, en école d'IADE... pour préparer le concours en tous cas.
EIDE : Dans votre service, êtes-vous confrontée régulièrement à des IVG ?
T. : Oui.
EIDE : Combien de fois à peu près par jour ou par semaine ?
T. : Oh là là, ça dépend des périodes... mais on en a bien 4-5 par semaine... je pense.
EIDE : 4-5 par semaines .
T. : Oui, c'est une moyenne, je pense qu'il y en a 4-5 par semaines à peu près.
EIDE : Et comment voyez-vous l'accompagnement d'une femme qui a recours à une IVG ?
T. : Alors, c'est là la fameuse question de l'accompagnement... en SSPI, de toutes façons il faut bien
qu'on situe à quel endroit c'est, heu... l'accomp, heu, moi je ne peux pas parler d'accompagnement.
On fait une surveillance post-opératoire standard, à savoir on va surveiller tous les risques liés à
l'anesthésie, à la chirurgie, heu... après en terme de spécificités heu... y'a pas réellement de
spécificités, si ce n'est qu'il y a certaines femmes qui ont des réactions qui peuvent être différentes.
Y'a des dames qui sortent et qui vont être en pleurs. Heu... y'en d'autres qui vont ne rien dire du
tout.... et puis heu... heu... Bon ça, c'est heu... j'peux pas dire que j'ai d'interactions particulières là-
dessus dans la mesure où en salle de réveil on a toujours 2-3 patients en même temps, donc
l'intervention à proprement parler on n'en parle pas. Moi ce que je dis aux dames en général, c'est
que si elles ont besoin de pleurer, il faut qu'elles le fassent. Et que y'a vraiment pas de soucis, on
donne les kleenex, tout ce qu'il faut... Heu, on surveille la douleur, on la prend en charge au mieux,
parce que c'est déjà difficile psychologiquement je pense pour toutes les femmes, quelque soit le
contexte, c'est pas la peine d'en rajouter avec une douleur physique en plus. Heu... et puis après
voilà, on fait attention à pas mettre de césariennes à côté, si on a des enfants en bas âge on les
dispatche de façon à ce qu'ils soient pas dans la même salle de réveil. Heu, voilà, mais, ça va
s'arrêter là pour la salle de réveil.
EIDE : Mais la salle de réveil, ça fait quand même partie du parcours d'une femme qui a une IVG ?
T. : Oui, ça en fait partie, bien sûr.
EIDE : Et pour vous, de manière générale, l'accompagnement, c'est quoi ?
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T. : L'accompagnement c'est plutôt quelque chose qui est fait sur la durée. En ce qui concerne les
IVG, ça va être tout ce qui est heu... accompagnement sur la décision c'est-à-dire de, de...
d'accompagner la femme dans son choix, heu... de l'amener à être sûre de ce choix-là, de l'écouter,
et l'aider à faire les démarches nécessaires pour arriver à l'IVG. Et après, a posteriori, veiller à ce
qu'elle soit pas trop perturbée. C'est plus, voilà, à distance, la réconforter, la rassurer sur le fait
que... ça met pas fin à ses grossesses, que... Mais ça, c'est pas en salle de réveil qu'on le fait.
EIDE : Elles ne posent pas de questions à ce moment-là en salle de réveil ?
T. : Y'en a qui posent des questions, ça peut arriver, mais c'est pas général. Y a des dames qui
demandent heu... si elles vont saigner, si ça va faire comme des règles normales, mais ça reste
quand même quelque chose de très... très heu... lié à la symptomatologie, en fait. C'est pas des
questions qui touchent à sur... comment elles vont ressentir ça psychologiquement par la suite.
Donc heu...
EIDE : Est-ce que, avec votre expérience, vous faites quelque chose de spécifique pour ces
femmes ?
T. : (silence) Si ce n'est de faire attention à l'environnement, heu... je ne fais rien de plus. Juste lié à
l'environnement, à savoir pas d'enfant en bas âge à côté, pas de transfert de femmes qui vont
accoucher, s'il y a une césarienne à côté et qu'on entend les pleurs du bébé, je ferme la porte de la
salle de réveil pour que ça arrive pas heu... jusqu'à la salle. Mais c'est tout en fait, on fait rien de
plus, de plus heu... de plus particulier. Et de ne pas aborder leur heu... intervention de façon orale.
C'est pour ça qu'on appelle ici des X, aussi, de façon à ce qu'on puisse dire quand on annonce un
retour, c'est une X, et que ça ne parle pas aux gens qui sont autour. Parce qu'une X, ça veut dire,
enfin pour nous c'est un langage qui nous parle, heu... pour quelqu'un qui vient de l'extérieur, ça
veut rien dire de particulier.
EIDE : Et par rapport à la douleur, tu en parlais quand j'ai pris RV avec toi ?
T. : La douleur, elle est la même, enfin, en ce qui me concerne, la prise en charge de la douleur est
la même pour toutes les interventions. Donc l'évaluation est systématique, et la prise en charge et le
traitement de la douleur... bon, selon les prescriptions, elle est la même, et heu... en tous cas, elle
est la même. Il n'y a pas, il n'y a pas plus de raisons, qu'elles aient mal après une IVG, qu'après
heu... une appendicite ou après autre chose.
EIDE : Qu'est-ce qui est important à vos yeux pour l'accompagnement de ces femmes ?
T. : J'pense que c'est la préparation avant, en amont. J'pense qu'une femme qui est bien préparée, à
qui heu... qu'on a réconfortée, à qui on a bien expliqué que c'était son choix, heu... enfin son libre
choix et qu'on n'avait pas de jugement à porter là-dessus, et que personne ne porterait de jugement
sur ce choix-là... heu... j'pense que c'est ce qui est important, et ça, ça se fait en amont, et pas, et
pas au moment de passer au bloc opératoire et ... et en salle de réveil. Même si on peut, on peut
redire à la personne, parce que ça peut arriver, hein, qu'il y ait des dames qui nous expliquent,
quand il n'y a personne à côté, pourquoi elles ont fait ça, et qu'on leur redise à ce moment-là que
c'est bien leur choix, et que, et que nous, nous on n'a pas de jugement à porter là-dessus, j'trouve
que ça c'est important.
EIDE : Donc que aussi en salle de réveil, pas de jugement à porter ?
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T. : Non.
EIDE : Et selon vous, qu'est-ce qui peut influencer un accompagnement lors d'une IVG ?
T. : Alors, qu'est-ce qui peut accom, heu, influencer ? ... Alors j'pense qu'il y a beaucoup de choses
qui peuvent influencer. J'pense que quelqu'un qui est résolument anti-IVG, j'pense que ça peut
éventuellement jouer. Si la personne n'arrive pas à mettre à distance son propre ressenti et son
activité professionnelle. J'pense que ça, ça peut arriver. J'pense qu'une... une... une infirmière, qui
prendrait en charge heu... qui serait en train d'essayer d'avoir des enfants, et qui aurait des
difficultés à en avoir, ça peut éventuellement influencer, c'est possible. Heu... j'pense que la prise en
charge, aussi, d'IVG par quelqu'un qui est enceinte au 6ème ou au 9ème mois, j'suis pas sûre que ce
soit très indiqué non plus. Enfin (sourire)
EIDE : (je coupe la parole) Au 9ème mois, en général, elle ne travaille plus (rires) !
T. : (rires) : Elle ne travaille plus, mais j'pense que voilà, à ce moment-là, je suis pas sûre que ce soit
heu... idéalement prévu. Heu... j'sais pas si ça influence la prise en charge de l'infirmière, mais en
tous cas, ça va pouvoir jouer sur le ressenti de la patiente... d'avoir une femme enceinte à côté.
Heu... qu'est-ce qui peut jouer encore ? Heu... Je vois que ça, c'est tout ce qui me vient en tête.
J'pense que plus... heu quelqu'un qui aurait des difficultés à avoir des enfants peut-être, ou qui
serait résolument anti-IVG. Mais j'pense que dans ces cas-là, il faut travailler sur la distinction entre
ce qu'on ressent, et la prise en charge professionnelle des choses.
EIDE : Tout-à-l'heure, vous parliez de femmes qui seraient enceintes par rapport au ressenti de la
patiente.
T. : Oui.
EIDE : Et est-ce que le ressenti de la patiente pourrait aussi influer sur la prise en charge de
l'infirmière, est-ce qu'il y aurait quelque chose qui se jouerait entre elles, à votre avis ?
T. : Il y a toujours quelque chose qui se joue, en fait dans la relation. J'pense qu'après heu... on n'a
pas le temps en salle de réveil, de bien analyser à fond ce qui se passe. Mais c'est clair que heu...
une dame qui va sortir, je sais pas, qui va pleurer heu... à qui on va dire : "bon, vous pouvez
pleurer", ou au contraire, à qui on va dire "ben non, enfin, maintenant c'est fait". Enfin, je sais pas,
j'pense que ça peut heu... oui, ça peut jouer. Mais heu... est-ce que le ressenti de la patiente ? Elles
expriment pas beaucoup leur ressenti en fait, il y a assez peu de femmes qui évoquent
véritablement leur ressenti. Ca peut se traduire oui, par des larmes, par heu... heu... et puis, et puis
pas grand chose de plus en fait. J'pense que c'est un moment où elles se réveillent, elles émergent,
y'a eu une anesthésie avant. Donc heu... Y'a le ressenti par rapport au geste... de l'intervent, enfin
de l'interruption de grossesse, et puis après, ce qui se joue par rapport au stress de l'intervention en
elle-même, par rapport à la salle de réveil, et c'est difficile de faire la part des choses à ce moment-
là.
EIDE : Est-ce que ça influence...
T. : (elle coupe la parole) Est-ce que ça influence ma prise en charge ? Est-ce que le ressenti ?
Heu... Ce qui est sûr, c'est qu'une femme enceinte, qui va évoquer des choses, et qui va avoir
besoin de discuter, à partir du moment où il y a personne à côté, je vais pas lui dire "j'ai pas envie
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d'en parler". Heu... Je suis aussi là pour l'écouter. Donc heu... Mais, est-ce que ça influence... Pfou...
Je sais pas quoi répondre... J'suis pas sûre (silence).
EIDE : Parce qu'en salle de réveil, une patiente qui a subit une IVG, elle reste combien de temps à
peu près ?
T. : Elle reste heu... entre une demi-heure on va dire, et une heure. Je pense, en moyenne. En
sachant que de toutes façons, si elle a mal, on va la garder plus longtemps le temps de faire céder
la douleur, heu... Si, heu... Si elle est pas bien réveillée, on va la garder aussi le temps, en fait le
temps que les critères de sortie acceptables de salle de réveil soit remplis a minima, c'est-à-dire une
douleur qui soit suffisamment soulagée s'il y en a une, heu... Et un état de conscience satisfaisant,
et des constantes hémodynamiques normales, et pas de saignements alarmants.
EIDE : Et vous, la dernière fois que vous avez accompagné une femme ayant recours à une IVG,
est-ce que vous vous souvenez de comment cela s'est passé ?
T. : (silence) Qu'est-ce que tu veux comme ? Comment ça s'est passé ? C'est-à-dire, est-ce que ça
a été particulier ?
EIDE : Oui, est-ce qu'il y a eu quelque chose de particulier ?
T. : Non, rien, rien de particulier. Enfin, les deux dernières IVG, il y avait deux IVG dans la même
salle. Heu... Non, j'peux pas dire, y'en a une qui était accompagnée par son mari... heu...
EIDE : En salle de réveil ?
T. : Non, non, il attendait. Parce que bon, on vérifie quand même que les gens soient accompagnés
quand ils sortent avant de rentrer chez eux. Donc elle était accompagnée par son mari, et l'autre
dame, elle a mis un petit peu plus de temps à se réveiller, mais rien de particulier, en tous cas, qui
m'ait marquée.
EIDE : Est-ce qu'il y a une fois où vous vous souvenez, où ça a été particulièrement difficile, ou au
contraire particulièrement facile ?
T. : Alors particulièrement difficile ou facile, non. Particulièrement, en tous cas surprenant, une fois,
oui. J'ai une dame, qui m'a expliqué longuement son choix, et heu... voilà, qui s'est un petit peu
confiée on va dire. Et heu... et comme quoi les raisons de l'interruption volontaire de grossesse c'est
vraiment quelque chose qui appartient à chaque heu, chaque femme. Heu, parce qu'elle, elle avait
annoncé sa grossesse, et puis finalement, après, elle a pris la décision de l'interrompre, et donc elle
m'a expliqué que ... visiblement, c'était pour un problème, un souci d'économique (sic). Et bon, il se
trouve qu'elle avait besoin d'en parler, mais chaque personne dans son parcours, enfin, par rapport
à cette intervention-là, expose des raisons qui lui sont propres et qui lui appartiennent.
EIDE : Et là, à ce moment-là, vous avez pu l'écouter ?
T. : Oui, elle était toute seule à ce moment-là en salle de réveil. Donc, oui, j'ai pu l'écouter.
EIDE : Donc ça a facilité l'accompagnement, d'être toute seule avec vous ?
T. : Oui, bien sûr. J'pense. J'pense qu'en tous cas, ça lui a permis de parler facilement. Et puis c'est
vrai, quand on n'a qu'un patient en salle de réveil, on est plus centré sur ce patient-là, et ça, c'est
valable pour n'importe quelle intervention, que quand on a 4-5 patients à surveiller en même temps,
et où on va faire des tours, enfin en tous cas vérifier les constantes et l'état de chaque patient toutes
les 10 minutes ou tous les quarts d'heure.
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EIDE : Et qu'est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?
T. : Qu'est-ce que j'ai ressenti ? (long silence) En terme de... qu'est-ce que j'ai ressenti ? Comment
dire ça ? A la fois de l'étonnement et heu... J'ai été très étonnée de sa démarche d'avoir annoncé sa
grossesse à sa famille, et puis après d'avoir pris la décision de l'interrompre. Enfin, j'pense voilà que
c'est plus par rapport à cette heu... à cette démarche-là que j'ai été un petit peu étonnée. Après
heu... voilà, et de cette volonté de se confier heu... à ce moment-là.
EIDE : Vous n'avez pas eu d'accompagnement que vous avez ressenti comme étant désagréable ?
T. : Non... non, non, du tout.
EIDE : Ou agréable ?
T. : Agréable ? J'sais pas. Enfin, j'sais pas. Pour moi ça se passe bien, c'est agréable, quand les
femmes elles sortent, que visiblement c'est un choix qui est pas... qui est pas heu... qui est librement
fait. Ca peut arriver aussi hein, qu'on ait des dames... On sent bien, c'est plus douloureux pour
certaines que pour d'autres. Et dans ces cas-là on est quand même un peu touchée de leur
émotion, c'est évident. C'est clair, que quand une dame qui vient se faire avorter et qui sort en
pleurs, on sent bien que le choix il a pas été simple. Donc, donc voilà. C'est un petit peu aussi...
mais bon, ça c'est de l'empathie... basique. C'est vrai qu'on n'aime pas bien voir les patients en
pleurs quand ils sortent du bloc. Quelques fois l'intervention aussi, mais ça c'est valable aussi pour
les enfants, quand ils ont mal, et que, et qu'on a des difficultés à les soulager, parce qu'il faut un
petit peu de temps, parce que le papa et la maman sont pas là, parce que... C'est pas spécifique à
l'IVG.
EIDE : Et avec le recul de votre expérience, pensez-vous que l'émotion que vous ressentez peut
avoir un impact sur l'accompagnement ?
T. : (silence) Alors j'pense que bien évidemment, si je me mets à pleurer avec les patients, je pense
que ça va être heu... que ça va avoir des répercussions (sourire). Oui, j'pense que
émotionnellement, si à un moment donné on est dans un état émotionnel particulier, même, enfin,
qui n'a pas forcément grand chose à voir avec l'interruption volontaire de grossesse, hein, mais qui
heu... j'pense que si on est débordée, si on a un patient intubé ventilé qui est pas stable à côté, si on
est dans un état émotionnel qui fait qu'on sera moins disponible, bien évidemment heu..., mais ça,
c'est pas valable que pour les IVG, c'est pas en lien avec cette intervention-là. Mais bon çà, j'parle
pour moi, après heu... J'sais pas ce que ça peut amener à vivre des choses particulières à d'autres
infirmières heu... sur cette intervention-là. Enfin, j'ai pas le sentiment d'avoir une prise en charge très
différente. Heu... pour les IVG. Si ce n'est voilà, de veiller à l'environnement. Avoir un environnement
qui soit le moins... agressif possible pour ces femmes- là. Qui soit le moins... qui les renvoie le
moins possible à... la maternité, ce genre de choses (silence).
EIDE : Et qu'est-ce qui vous apporte le plus dans cette expérience d'accompagnement des femmes
ayant recours à l'IVG ?
T. : Alors (rires). Heu, moi j'vais parler de surveillance post-interventionnelle. Ce qui est important
pour moi, c'est qu'elles... c'est qu'elles sortent de salle de réveil apaisées en tous cas. Apaisées, et
que voilà, elles aient le moins de douleur possible. Physique, j'entends, parce que psychologique,
on ne peut pas, on ne travaille pas là-dessus en salle de réveil, enfin, pas beaucoup en tous cas.
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EIDE : Et est-ce que ça vous a apporté quelque chose de rencontrer ces femmes dans votre
travail ?
T. : Est-ce que ça m'a apporté quelque chose ? Alors j'avais déjà heu... dans le service où je
travaillais avant, on avait, heu, on a eu pendant un bon moment des patientes qui venaient pour des
IVG médicamenteuses. Donc, c'est pas tout nouveau. C'est une autre gestion, c'est une autre prise
en charge, parce qu'il n'y a pas de passage au bloc opératoire, et que là, ça se fait uniquement avec
des traitements par voie orale et puis, et puis heu... on attend que ça se passe. Heu... (silence)
Pfou, qu'est-ce que ça m'a apporté ? (silence) Est-ce que ça m'a apporté quelque chose de
particulier ? Heu... Je suis pas sûre que ça m'apporte quelque chose de particulier. J'pense que
c'est, c'est un droit. Après, ça a peut-être à voir avec l'opinion qu'on a sur l'interruption volontaire de
grossesse. Moi personnellement j'trouve que c'est un droit qu'on a accordé aux femmes, heu.. donc
ça rentre, heu... Le fait de prendre en charge, et de participer à la prise en charge de ces femmes-là,
heu... ça rentre dans le cadre du droit qu'on accorde aux femmes d'avoir une liberté par rapport à
leur maternité, par rapport à leur corps. Donc voilà, c'est plus dans ce sens-là que... Est-ce que ça
m'a apporté quelque chose de particulier à part ça ? Non, rien, enfin j'peux pas dire.
EIDE : Sur le plan personnel ou professionnel vous auriez appris quelque chose?
T. : (silence) Alors sur le plan professionnel ou personnel ? (silence) Heu... j'pense que ça rentre,
heu, ça va dans le sens que nous, on n'a pas de jugement à porter sur la façon dont les gens se
projettent dans la maternité, ou heu... J'pense que c'est plus par rapport à ça. C'est plus, c'est heu...
c'est aussi formateur dans le fait de heu....d'apprendre à ne pas juger quelle que soit la situation, et
quelle que soit la motivation de l'IVG.
EIDE : Est-ce que vous avez envie de parler de quelque chose qu'on n'aurait pas abordé ?
T. : Non, rien de particulier.
EIDE : Et bien merci beaucoup.
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RESUME
Alors que presque une femme sur deux aura recours à l'IVG dans sa vie, ce sujet
reste tabou. Y étant régulièrement confrontée lors de mes études, je me suis demandé
quel pouvait être l'impact des émotions de l'infirmière dans l'accompagnement des
femmes qui y ont recours. Les concepts d'émotions et d'accompagnement sont
présentés, puis confrontés à l'expérience de quatre infirmières, anciennement ou
nouvellement diplômées, travaillant dans différents services pratiquant des IVG. Aucun
infirmier n'est interviewé pour ce travail. L'enjeu principal est de comprendre les
interactions entre les émotions de l'infirmière et son accompagnement de la femme
ayant recours à l'interruption de grossesse. Cela amène finalement à s'interroger sur la
reconnaissance et l'acceptation des émotions.
MOTS-CLEFS
IVG - avortement - orthogénie - prise en charge - soins infirmiers - ressenti -
préjugés
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