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28 RappoRt d’échec 2012

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Rapport d’échec Avant-propos : On ne doit pas seulement lutter contre la pauvreté. On doit se montrer plus futé qu’elle.

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RappoRt d’échec 2012

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Avant-propos : On ne doit pas seulement lutter contre la pauvreté. On doit se montrer plus futé qu’elle.

Ashley GoodLeader d’[email protected]

Voici le cinquième Rapport d’échec annuel d’Ingénieurs sans frontières. Il ne s’agit pas seulement d’une occasion de réfléchir aux échecs passés, mais aussi d’un déclencheur pour examiner les tendances des échecs ainsi que les stratégies et les valeurs qui en sont à l’origine. De cette façon, nous nous assurons non seulement de « voir et résoudre les problèmes », mais aussi de nous demander sans cesse comment nous interagissons avec eux et les résolvons.

Le Rapport d’échec encourage cette réflexion – mais cette année, nous voulions être un exemple à suivre. J’ai donc demandé à des membres d’ISF à travers le réseau de partager leurs perspectives sur la raison d’être du Rapport d’échec. Comment l’utilisez-vous? Comment peut-il être amélioré? Les réponses ont été surprenantes.

À priori, on pourrait penser que le Rapport d’échec vise avant tout à éviter de répéter ce qu’on a appris au sein de l’organisation. Mais si vous le lisez attentivement, vous verrez que les mêmes échecs continuent d’être évoqués année après année. Kaveesh Padiachy parle de l’importance de comprendre les réalités du terrain — une histoire qui rappelle celles de Mark Hemsworth et de Mike Klassen. Clément Bourgogne décrit les problèmes de communication entre son équipe décentralisée et le bureau national, une réalité dont l’équipe décentralisée d’engagement des jeunes avait parlé dans le rapport de 2011 et que Jon Fishbein avait également dépeinte selon la perspective du bureau national en 2010. Erica Barnes et Heather Murdock ont toutes deux parlé des échecs découlant de la mise en place d’un pipeline de leadership dans les sections étudiantes. Nous commençons à vraiment voir ce qui se passe — Alix Krahn a même parlé cette année de

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son échec, et celui d’ISF, à apprendre du Rapport d’échec.

Je pourrais invoquer le fait que ces échecs profonds et sérieux ne peuvent pas être résolus du jour au lendemain. Mais en réalité, ce n’est pas parce qu’une histoire est racontée dans le Rapport d’échec qu’elle devient pour autant une priorité ou sera suivie de mesures.

Ces histoires sont choisies parce qu’elles mettent en lumière des enjeux systémiques, soulignent des valeurs importantes, incitent à accepter davantage les risques inhérents à l’innovation, et démontrent la force et la résilience des personnes qui choisissent d’y contribuer. Ce sont toutes des choses importantes. Mais si nous évaluons la performance du rapport en tant qu’outil d’apprentissage ou plateforme de gestion des connaissances, un constat d’échec s’impose. Si nous n’apprenons pas de nos échecs, que faisons-nous?

ISF a bâti une solide culture de conscience de soi, de transparence et d’humilité. Cela se retrouve dans nos valeurs, notre vision et notre leadership. Heureusement, cette culture signifie que nous parlons de nos échecs tout au long de l’année – les membres des équipes s’efforcent continuellement de

diagnostiquer les échecs rapidement et s’adaptent en conséquence.Ce rapport souligne notre culture et la renforce de façon tangible. Il représente souvent le premier contact avec ISF, et il attire des employés potentiels qui apprécient le défi du changement systémique et qui savent que l’apprentissage par la pratique est valide. Ce rapport interpelle aussi les donateurs qui y voient une façon d’encourager

l’innovation — à défaut d’accepter l’échec, il est peu probable que nous fassions preuve d’une audace pourtant nécessaire pour trouver des solutions novatrices à des problèmes complexes. Après tout, il faut savoir prendre des risques pour accomplir de grandes choses.

Mais cela ne suffit pas. Dans un souci d’innovation et d’apprentissage, nous cherchons toujours à faire de ce rapport un outil d’apprentissage plus efficace. Quelques idées intéressantes sont nées de nos cogitations, mais nous aimerions connaître les vôtres! N’hésitez pas à communiquer avec nous. Alors que nous nous demandons comment ISF s’attaque à la difficulté que pose la création d’une solide culture d’apprentissage organisationnel, nous avons besoin de votre collaboration pour améliorer et faire évoluer le Rapport.

Bonne lecture.

Ces histoires sont choisies parce qu’elles mettent en lumière des enjeux systémiques, soulignent des valeurs importantes, incitent à accepter davantage les risques inhérents à l’innovation, et démontrent la force et la résilience des personnes qui choisissent d’y contribuer.

Tombé entre deux chaises

Introduction

On devrait toujours lire les conditions, même si c’est nous qui les avons rédigées

Le séjour au village

La chèvre doit être halal : des leçons du terrain sur la mise à l’échelle de l’assainissement total piloté par la communauté

Conduite dangereuse

Tess BakerPage 8

George RoterPage 8

Michael Creighton Page 10 Mark Abbott Page 16 Kaveesh Padiachy Page 11

Michael Kennedy, Kristina NilssonPage 12

Ayon ShahedPage 14 Alex Joyce Page 17

Table des matières :

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

Perdre de vue les arbres de la forêt : un échec pour tester continuellement nos hypothèses

Un échec à ressentir

Un échec à ressentir

Échouer à organiser des solutions

Aveuglée par la transparenceQuand l’ambiguïté débouche

sur une occasion

La lenteur est plus rapideMoins de tremblements de terre pour

le bien du mondeÉchouer à apprendre du Rapport d’échec

Mark AbbottPage16

Erin Aylward Page 17

Sarah GrantPage 18

Sal AlajekPage 20

Boris Martin Page 23Anna SmithPage 24

Alix KrahnPage 26

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

Qui prend les décisions? Clément BourgognePage 22

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Cher lecteur,

Qu’espérez-vous lire dans un document intitulé « Rap-port d’échec » provenant d’Ingénieurs sans frontières Canada (ISF)? Des histoires de projets ayant échoué au Ghana, au Malawi, au Burkina Faso ou en Ouganda? Des rapports sur la mauvaise communication, des partenariats mis à l’épreuve au point où leur efficacité est limitée ou des résultats clairement négatifs pour les communautés où nous travaillons? Des leçons qui nous aideront à éviter une répétition de ces échecs? Si c’est le cas, vous ne serez pas déçus. Par contre, vous pourriez être surpris du fait que plus de la moitié du contenu du rapport de cette année concerne les opérations internes d’ISF : les proces-sus de planification et de communication, la prise de décisions organisationnelles et les parcours de leadership personnels. Ce sont les échecs d’une or-ganisation dynamique et en croissance qui essaie de fonctionner différemment, et ils reflètent l’évolution d’ISF au cours des deux dernières années. Nous avons pris le temps de redéfinir la vision d’ISF, de nous as-surer qu’elle cadre avec ce que nous avons appris en tant qu’organisation. Cette réflexion nous a permis de nous positionner pour progresser davantage, et augmenter notre impact et notre influence dans les années à venir. Cette introspection peut vouloir dire que certains de ces échecs n’ont un sens que dans le contexte d’ISF : nous sommes certes un groupe étrange mais efficace et qui s’assume comme tel. Par contre, les plus grandes forces peuvent souvent être aussi des faiblesses, et c’est pourquoi vous me permettrez de décrire trois di-mensions qui rendent ISF unique et qui sont à la base de notre succès, mais aussi des causes potentielles de nos échecs :

1) Une culture forte avec une prise de décisions décentraliséeIl y a une « manière ISF » de faire les choses. Nous avons nos propres valeurs, notre propre langue (dictionnaire : http://my.ewb.ca/dictionary/), nos cadres, nos mé-thodes de compréhension et d’analyse du changement social et nos activités communes. Cette « manière » forme la base de notre culture et permet à chacun de nos bénévoles et de nos membres de représenter l’organisation en leaders et de mettre en pratique leurs idées et leur créativité. En fait, c’est comme cela que le tout premier « Rapport d’échec » a été ré-digé : une poignée de bénévoles en Afrique croyaient que l’échec était une composante importante de la culture d’ISF qu’il fallait renforcer. Ils ont donc com-pilé un rapport de leurs échecs, l’ont fait imprimer et l’ont présenté à l’assemblée générale annuelle cette année-là. En tant que président de l’organisation, j’ai seulement appris l’existence de ce rapport quand il a été distribué du-rant l’assemblée.

Ce genre d’autonomie et de décentralisation permet aux bonnes personnes de prendre des décisions au niveau adéquat de l’organisation et de tirer profit de plus d’idées, de potentiel et d’énergie. Mais elle pose aussi des difficultés, surtout au niveau de la gestion et des communications, comme les histoires d’échecs à l’interne de ce rapport l’illustrent.

2) Dire les vérités et assimiler les dilemmesÀ l’interne comme à l’externe, nous n’avons pas peur des débats difficiles. Les sujets les plus discutés dans notre communauté Internet, myEWB.ca, consistent à déterminer si nous devrions envoyer des bénévoles outre-mer, comment nous devrions interagir avec les compagnies spécialisées dans l’extraction de res-sources naturelles comme les compagnies minières, et

un groupe étrange mais efficace et qui s’assume comme tel

George RoterPré[email protected]

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si nous agissons conformément à nos valeurs organi-sationnelles. Nous assumons et confrontons de tels débats fondamentaux au cœur d’ISF. Par exemple, tout en incitant les leaders africains à stimuler le développement de leur pays, nous utili-sons un modèle qui donne le contrôle à des étrangers (nous). Nous ne trouvons pas toujours de solutions à ces dilemmes, mais nous sommes davantage capables de faire face aux tensions qu’ils créent parce que nous en avons discuté ouvertement.

Ce faisant, nous jouons un rôle partial dans la dé-couverte d’une solution. Par exemple, nous refusons de choisir entre une collecte de fonds efficace et la description de la diversité et de la complexité de l’Afrique. Nous cherchons plutôt à assimiler ce dilemme pour trouver une méthode plus créative et productive de recueillir des fonds et de décrire la complexité et la diversité de l’Afrique. Notre récente campagne Imagine (http://imagine.ewb.ca) en est un excellent exemple.

Nous avons subi plusieurs échecs en nous frayant un chemin dans les vérités et les dilemmes. Nous nous leurrons parfois en pensant qu’il existe une solution qui convienne à tout. Parfois, nous intellectualisons les problèmes et les rendons trop compliqués, ce qui ralentit notre apprentissage et nos interventions. Il nous arrive aussi de jeter la discorde en mettant en jeu des vérités auxquelles nous ne sommes pas prêts à faire face.

3) Dorothée est notre objectifLe « test Dorothée » — nommé d’après un militant zambien contre le SIDA qui a inspiré le concept – est au cœur de la responsabilité d’ISF. Nous demandons à chaque personne travaillant au sein d’ISF de se de-mander : Qui est votre Dorothée et quel choix ferait-elle si elle avait la même information que vous? Cela a deux effets importants. Tout d’abord, ce test

oriente notre responsabilité vers le bas. C’est la raison pour laquelle nous avons un rapport d’échec – les bé-névoles qui ont rédigé le premier rapport ne se sont

pas posé les ques-tions suivantes : « De quelles informations les donateurs d’ISF ont-ils besoin? »; « Que penseront nos sympathisants? » Ils se sont demandé « Comment pouvons-nous être aussi

responsables que possible envers Dorothée? », ce qui nous a obligés à voir si nous réussissons ou non et à faire les changements nécessaires si la réponse est non.

Par la suite, le « test Dorothée » expose un incroyable paradoxe : Dorothée peut-elle faire le mauvais choix? Évidemment. Parce que le développement est complexe, il y a plusieurs Dorothée et leurs besoins peuvent entrer en conflit. Il faut au départ une grande humilité qui est cruciale à l’apprentissage de ses échecs.

À quoi mène tout cela? L’objectif de ce rapport d’échec est de renforcer une culture consistant à apprendre des échecs au sein d’ISF. C’est nécessaire pour réussir à concrétiser des changements profonds et durables – nous devrons investir dans des « projets » qui peuvent échouer.

Ce n’est pas tout. Nous devons aussi faire notre auto-examen, être prêts à échouer et à apprendre de nos échecs, à l’interne et à l’externe. C’est la base d’une culture où l’échec est accepté et une grande partie d’une organisation réellement extraordinaire.

Cordialement,

George RoterPrésidentIngénieurs sans frontières Canada

L’objectif de ce rapport d’échec est de renforcer une culture consistant à apprendre des échecs au sein d’ISF.

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Tess BakerMembre de la section [email protected]

Lors de la retraite régionale de l’Ouest, la présidente de notre section à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) a décidé de commencer la réunion en célébrant ce qui était, pour elle, un grand succès : bien que nous n’ayons plus de financement de la part d’AMEC pour notre programme de stages en développement international (ce financement avait couvert les coûts d’un stagiaire par année au cours des cinq dernières années), nous avions tout de même été en mesure d’envoyer deux stagiaires cette année. Tout un exploit! Attendez un peu. Pourquoi avions-nous perdu le soutien d’AMEC?

Premier gros échec : pas de responsabilités claires.Notre contrat de cinq ans était venu à échéance et personne n’avait cherché à savoir quelles seraient les prochaines étapes. On ne savait pas au juste qui devait s’occuper des commandites avec les entreprises : le président, les anciens ou les prochains stagiaires, les vétérans de la section, le vice-président, Finances ou le vice-président, Collecte de fonds. Tous étaient responsables d’entretenir les relations d’UBC avec AMEC, mais il n’était pas évident de déterminer qui

devrait réellement s’en occuper.Les gens qui avaient pris part à l’origine à la création du partenariat avaient quitté la section il y a plusieurs années et n’avaient plus accès aux documents. La proposition ne se trouvait pas non plus dans la bibliothèque de ressources d’ISF. Cependant, Paul, l’un des partenaires initiaux d’AMEC, était encore là et souhaitait nous soutenir. Il a donc recruté Jude, un autre employé bien placé d’AMEC, et tout semblait en place pour renouveler notre relation et notre commandite.

Deuxième gros échec : tenir pour acquis que nous ne représentions pas grand-chose à leurs yeuxLors de notre premier entretien, Paul et Jude m’ont présenté la perspective d’AMEC : « Puisque nous n’avions pas entendu parler de vous dans la période qui a précédé et l’année qui a suivi l’expiration du contrat, nous avons émis deux hypothèses : soit que vous nagiez dans l’argent et n’aviez donc plus besoin de nous; soit que vous étiez trop désorganisés pour nous contacter. La première hypothèse nous paraissant improbable, nous avons donc présumé

Tombé entre deux chaises

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

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que la deuxième était la bonne. » J’avais présumé qu’une somme de 6 000 $ par année était négligeable pour une compagnie de la taille d’AMEC et qu’on ne remarquerait même pas que nous avions failli. Faux. Ils l’avaient remarqué, en avaient parlé et avaient tiré des conclusions. Et ils avaient visé juste.

Pendant cinq mois, j’ai travaillé avec Paul et Jude pour développer une proposition en vue de rebâtir la relation d’ISF UBC avec AMEC. Il s’agirait d’un partenariat : UBC s’engagerait à fournir le temps et les ressources nécessaires pour le maintenir; nous savions clairement ce que nous avions à offrir à AMEC; et ils comprenaient qu’ils nous donnaient plus qu’un chèque par année. Nous avons aussi clarifié et normalisé les responsabilités au sein de la section en les ajoutant dans les contrats des stagiaires.

Malgré ces changements, la proposition finale n’a pas fait bouger la direction d’AMEC. Ils ne souhaitaient pas établir un partenariat avec un groupe aussi éphémère et peu professionnel que la section d’UBC. Comment leur en vouloir, nous qui avions omis de les contacter avant l’expiration du contrat?

À mon avis, il y a trois façons de s’y prendre pour les sections qui désirent obtenir un financement à long terme de la part d’une entreprise :

1. Abstenez-vous de faire des promesses que vous ne pourrez peut-être pas tenir. Par exemple, nous ne pouvions pas promettre que cinq ans plus tard, les stagiaires effectueraient deux présentations par année. Tenez-vous-en à des engagements

mutuels à plus court terme.

2. Si vous prenez des engagements pour des gens que vous ne connaissez pas encore, soyez très clairs et insistez sur l’importance de la responsabilité lors de la rotation de fin d’année.

3. Recherchez des partenariats avec des organisations nationales et incluez des engagements locaux dans les sections. Les employés du bureau national (BN) pourraient avoir des responsabilités officielles dans le cadre du partenariat alors que les sections locales s’occuperaient des responsabilités locales telles que les dîners-conférences et les ateliers. Les partenaires de section du BN pourraient faire le lien entre les deux et s’assurer que les sections respectent leurs engagements. Les sections recevraient une partie du financement en contrepartie de leurs efforts.

Si j’avais une deuxième occasion de rebâtir le partenariat UBC-AMEC, je choisirais la troisième option. Nous devons tirer parti des forces à tous les niveaux d’ISF.

...on ne remarquerait même pas que nous avions failli. Faux. Ils l’avaient remarqué, en avaient parlé et avaient tiré des conclusions. Et ils avaient visé juste.

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Michael CreightonFair Trade Ottawa Équitable, Section d’[email protected]

On devrait toujours lire les conditions, même si c’est nous qui les avons rédigées

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

Au printemps 2011, une coalition d’organismes partageant la même vocation et de personnes s’est réunie pour former « Fair Trade Ottawa Équitable » (FTOÉ), un groupe ayant pour but de faire d’Ottawa une ville équitable. En tant que président fondateur, on m’a demandé d’aider à bâtir la structure organisationnelle. Heureusement, nous n’étions pas seuls et avons pu compter sur les ressources de membres comme ISF, à savoir leurs réseaux, leurs occasions de sensibilisation, leur espace physique et leurs échantillons de produits équitables. Notre partenariat avec la section ISF d’Ottawa (SO) présentait des avantages pour FTOÉ, notamment un budget modeste offert par la section pour la promotion du commerce équitable, un statut d’œuvre de bienfaisance et une assurance légale pour les événements, des éléments qui peuvent parfois faire la différence entre le succès et l’échec d’un événement.

Pendant que FTOÉ s’occupait d’officialiser son existence et ses relations avec les organisations partenaires, j’ai tenté de lancer un projet pilote avec la section d’Ottawa, dans l’intention de le reproduire avec les autres partenaires. Nous allions proposer un

accord institutionnel résumant notre aide et notre reconnaissance mutuelles, et un accord financier décrivant comment FTOÉ aurait accès aux fonds de la SO et justifierait leur utilisation.

L’accord institutionnel a été un succès, ce qui n’est pas le cas de l’accord financier.

En tant que représentant de FTOÉ, je pensais avoir suivi tous les protocoles; mais en réalité, je n’en avais aucune idée. L’accord était juridique et nous semblait bien fait, de sorte que nous l’avons signé. C’est en voulant le mettre en œuvre que les choses ont déraillé : mon équipe n’a pas été consultée et n’était pas certaine de ce qui avait été signé. La SO s’attendait à recevoir des reçus alors que nous avions prévu nous en occuper en interne, et elle ne savait pas ce qui se passait. L’accord prévoyait que la SO gérerait les fonds de FTOÉ, même si nous avions notre propre compte en banque (dont j’ignorais l’existence). Un échec sur toute la ligne.

Lorsque nous avons réalisé l’ampleur du désastre, nous avons annulé les ententes signées. L’accord était une bonne idée en théorie, à condition d’être mis en œuvre correctement. Je me suis aliéné mes collègues de FTOÉ et de la SO et certaines relations personnelles sont devenues tendues. Il nous a fallu huit mois pour repenser et créer un nouvel accord financier avec la collaboration de tous. Nous sommes toujours engagés dans ce partenariat, mais avons laissé passer beaucoup d’occasions et perdu beaucoup de bonne volonté à cause de ce qui n’a pas été fait correctement la première fois.

Ce que j’ai appris : 1. Il faut consulter les intervenants. Je le sais depuis

des années, mais je ne l’ai pas pris assez au sérieux.

2. On doit lire les conditions et en comprendre toutes les conséquences. Si vous ne vous sentez pas à la hauteur, trouvez quelqu’un qui en a les capacités.

3. Les trésoriers et les vice-présidents, Finances ont leur raison d’être, alors laissez-les s’occuper des dossiers financiers.

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Le séjour au village fournit des possibilités d’apprentissage inestimables à la fois pour ISF, ses bénévoles et des milliers de Canadiens dans leur foyer. C’est un pilier essentiel qui permet à ISF de garder les pieds sur terre et d’avoir un impact réel sur la subsistance en milieu rural.

Durant mon séjour, j’ai été placé dans une famille d’accueil par l’entremise d’un collègue zambien. Mon hôte était une mère célibataire qui avait été contrainte de prendre sa retraite lorsque le gouvernement au pouvoir avait changé, un phénomène souvent poliment appelé « prendre sa retraite dans l’intérêt national ». Cette femme vivait avec sa nièce et l’aidait aussi dans ses études. J’ai donc eu la chance de découvrir sur le tas les subtilités de la vie zambienne tout en vivant dans un foyer.

Au bout de deux mois, la nièce a reçu ses notes de mi-session; elle avait échoué toutes ses matières. J’ai offert de devenir son tuteur pour l’aider. Je me suis alors vite rendu compte du faible niveau de scolarisation du village, ce qui ne permettait pas de donner une formation suffisante pour les besoins de la nièce. D’un autre côté, il était évident que la pension que je payais n’aidait guère à atténuer le stress financier que subissait la tante avec sa perte d’emploi.

Le mois suivant, j’ai dû déménager à Lusaka, en Zambie, pour un emploi. Cela a eu pour effet d’interrompre les progrès que mon tutorat avait permis et a brusquement accru les difficultés financières de cette famille.

Mon échec est relié au fait que je n’ai pas saisi les implications que ma profonde insertion dans cette famille pourrait avoir. La pension que je payais l’avait amené à changer ses habitudes d’achat et la famille était devenue financièrement dépendante de moi. De plus, j’ai essayé de résoudre leurs problèmes d’une manière directe et dérangeante par le biais de mon appui scolaire, ce qui a accru la dépendance à mon égard. Je devais rester deux mois de plus et mon départ impromptu a replongé la famille dans une crise et a provoqué des conflits entre nous.

Avec du recul, j’aurais dû en apprendre davantage sur ma famille d’accueil avant mon arrivée. L’excitation créée par cette occasion d’épanouissement personnel m’a fait perdre de vue les implications qu’aurait mon départ sur la vie de ma famille d’accueil. Je ne réalisais pas à quel point une somme de 120 $ par mois pouvait créer de la dépendance. Au lieu d’observer et de comprendre comment les problèmes familiaux sont résolus, je me suis fortement impliqué — une faute majeure de ma part d’autant plus que je n’avais pas encore bien compris le milieu culturel.

J’ai surtout appris qu’en tant que bénévoles résidant à l’étranger, nous ne sommes pas uniquement des observateurs de la subsistance en milieu rural. À l’avenir, je crois qu’il sera crucial pour les membres d’ISF de se remettre en question quand il s’agit de leur propre jugement sur la bonne solution. Bien que les connaissances acquises par un séjour dans un village soient sans aucun doute bénéfiques pour tout le monde dans l’organisation, il est important d’être conscient des implications lorsque l’on vit dans une famille, et des effets à long terme après notre départ. De même que nous essayons systématiquement de vérifier si nos innovations comportent des stratégies de sortie pour assurer le succès de nos organisations partenaires, nous devrions en faire autant avec les familles d’accueil. C’est ainsi que le séjour au village viendra également appuyer les principes et valeurs du travail d’ISF.

Kaveesh PadiachyServices de développement d’entreprises, [email protected]

Le séjour au village

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

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Michael Kennedy & Kristina NilssonEau et assainissement, [email protected] / [email protected]

« Pour la fête, dit le chef de groupe du village, nous voulons les noms des villages sur les chandails et la chèvre doit être halal. »

« De quoi parlez-vous? », répondit le représentant perplexe d’une ONG

La chèvre doit être halal : des leçons du terrain sur la mise à l’échelle de l’assainissement total piloté par la communauté

En 2011, l’équipe Eau et assainissement d’ISF s’est associée avec une ONG menant des activités d’assainissement total piloté par la communauté (ATPC) dans un district du Malawi. L’ATPC est une approche de l’éducation sur l’hygiène qui cherche à « convaincre » les villages de cesser de déféquer n’importe où. Notre objectif était d’influencer le processus par lequel l’ONG à laquelle nous étions associés gère son programme et nous avons essayé de l’amener à adopter un système de mise en place et de suivi qui pouvait être transféré efficacement au gouvernement local à la fin du projet.

Les contrats ont été signés et nous avons commencé comme convenu. ISF conseille de faire appel à des fonctionnaires entraînés pour effectuer des activités d’ATPC. Nous avons consulté des directeurs de district et collaboré avec des leaders communautaires et des

fonctionnaires pour concevoir différentes itérations de processus et de formulaires de collecte de données. Nous avons demandé l’avis des gouvernements de district et du personnel de terrain pendant la conception de notre programme. Les gens étaient contents et nous étions fiers de notre travail.

L’ATPC a démarré dans plusieurs endroits; les fonctionnaires faisaient un suivi et on a remarqué que dans plusieurs villages, les gens ne déféquaient plus n’importe où. En prévision du transfert, nous avons établi les rôles et les responsabilités du programme ATPC et nous les avons présentés aux directeurs de district. Nous avons prévu deux mois pour que le transfert au gouvernement soit entièrement effectué. On nous a remerciés et un sous-directeur a été nommé à la suite de notre travail.

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

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Il s’agissait d’un jeune homme compétent et dynamique, qui croyait dans le bien-fondé de l’ATPC. Très vite, il a été prêt à effectuer le premier essai du programme ATPC sans le soutien de l’ONG.

Pendant ce temps, nous avons commencé à organiser des célébrations ATPC dans les communautés connues pour avoir enrayé ce problème de défécation. Nous avions un petit budget pour acheter un Fanta à chaque participant. C’est à ce moment que le chef de groupe du village est venu nous demander des t-shirts et de la viande de chèvre. On a vite compris qu’une autre ONG travaillant à proximité disposait d’un budget plus gros que le nôtre – elle se proposait de fournir une bicyclette-ambulance à chaque village, en plus de t-shirts et de viande de chèvre. Nous avons discuté avec l’autre ONG des implications qu’aurait le fait de créer des attentes que nous ne pouvions absolument pas satisfaire. L’autre ONG a répondu qu’elle comprenait, mais que son budget était fixé et qu’il lui fallait le dépenser.

Le jeune directeur chargé de faire l’essai de notre programme ATPC s’est alors joint à la conversation. Il ne pouvait mobiliser que la moitié de ses fonctionnaires, car il n’avait pas les moyens de payer les indemnités quotidiennes que nous et l’ONG à gros budget avions versées pour la mise en train. Les fonctionnaires auxquels il pouvait faire appel avaient de la difficulté à rassembler les communautés – un chef de village, qui s’était aperçu que son village n’aurait pas de célébration grandiose pour avoir enrayé la défécation n’importe où, a dit aux villageois de ne pas participer au programme. La conversation ne s’est pas cantonnée aux implications de la distribution de Fanta : les moyens employés par les deux ONG pour les activités d’ATPC ont créé des attentes que le gouvernement local, avec ses ressources limitées, ne pouvait absolument pas satisfaire.

Il semble aussi que le processus minutieux de suivi de l’ATPC n’était pas viable parce que les représentants ne pouvaient pas couvrir les coûts du carburant nécessaire pour récupérer les formulaires comme nous l’avions établi. L’entrée des données était aussi plus longue que ce que le directeur assigné pouvait se

permettre – nous avons finalement appris qu’on lui avait demandé de gérer la suite de l’ATPC depuis son bureau.

Que s’est-il donc passé? L’autre ONG a eu ses grosses célébrations et nous avons eu les nôtres. Des photos ont été prises. Des poignées de main ont été échangées.

En tant qu’ONG, nous avons structuré excessivement l’ATPC sans le vouloir : nos interventions ont créé un environnement qui rendait plus difficile l’exécution de l’ATPC pour le gouvernement local étant donné ses ressources disponibles et son budget limité. Nous avons introduit des notions sur la gestion du programme dont le gouvernement doit se débarrasser pour le rendre plus gérable.

Nous n’avons pas réussi à travailler en tenant compte des contraintes du gouvernement local. Nous étions intéressés par la conception d’un système transférable, mais nous devions aussi prouver qu’il était fonctionnel. Nous croyions que des consultations régulières et des plans détaillés de transfert suffiraient à prouver que notre système était transférable – ce n’était pas le cas. Pour assurer la durabilité, les projets-pilotes doivent être entièrement conçus en tenant compte des contraintes en ressources de l’organisation qui fera la mise à l’échelle. Au lieu de cela, et comme nous étions pressés d’obtenir des résultats, nous avons consacré du temps, de l’énergie et des ressources pour atteindre des objectifs. N’importe quel système peut fonctionner à l’intérieur d’un environnement artificiel qui favorise sa réussite et c’est ce que nous avons conçu. Nous avons « fait » fonctionner notre projet-pilote et c’est pourquoi notre succès n’était pas durable.

N’importe quel système peut fonctionner à l’intérieur d’un environnement artificiel qui favorise sa réussite et c’est ce que nous avons conçu.

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Ayon ShahedDirecteur de la Course contre la pauvreté[email protected]

Conduite dangereuseEn février dernier, je me suis joint au bureau national d’ISF dans un but bien précis : apporter mon soutien à la campagne pour la Course contre la pauvreté (Run to End Poverty, ou R2EP). Comme j’avais récemment codirigé R2EP 2011 à Toronto — à l’époque, la plus importante activité de financement jamais menée par une section d’ISF — j’ai vu R2EP devenir l’événement phare d’ISF qui allait permettre de recueillir plus d’un demi million de dollars au cours des trois années suivant mon embauche.

Échec no 1 — Aucun freinMa proposition consistait principalement à voir simultanément au soutien du réseau, à la planification stratégique, à la tenue de l’événement et à la livraison rapide du matériel de soutien. J’ai passé l’année à éteindre des feux. Je me suis plongé dans la préparation de l’événement et la recherche de leaders locaux alors que j’avais peu de temps pour préparer et mettre au point le contenu et la stratégie. Je n’ai donc pas eu le temps de réévaluer les attentes initiales ni de modifier l’objectif.

Échec no 2 — Aucune feuille de routeJ’avais formulé deux grandes hypothèses : en nous concentrant sur le nombre de coureurs inscrits, nous pourrions augmenter d’autant les recettes totales; et en éduquant les coureurs, nous pourrions susciter un engagement envers la course, ISF et l’activité de financement. Il s’est avéré que ces deux hypothèses, fondées en partie sur mon expérience à Toronto, étaient trop simplistes. Ma feuille de route pour la réussite était désuète et incomplète.

Échec no 3 — Permis inadéquat Les équipes de tout le Canada se sont surpassées; elles étaient passionnées, enthousiastes et prêtes à se surpasser.

Chacune puisait son énergie dans celle des autres; et je me concentrais pour ma part sur la planification des R2EP locales. Mais un certain nombre de leaders avaient besoin de soutien pour diriger leurs équipes. Comme cela leur avait échappé, ils savaient sur quoi axer leurs efforts, mais ils ne disposaient pas de tous les outils nécessaires pour réussir.

Le recommencementL’objectif initial pour 2012, qui était de 250 000 $, a été ramené à 200 000 $ et nous avons fini par amasser 170 135 $. Les échecs dont j’ai parlé plus haut nous montrent la voie à suivre : nous étudions les analyses démographiques des participants et faisons une distinction entre l’engagement et les objectifs de nature éducative, nous étoffons la boîte à outils mise à la disposition des équipes, nous améliorons l’accessibilité des outils permettant de recueillir des fonds et nous menons des entrevues auprès d’autres personnes du même environnement. Mais je dois encore réfléchir à la signification de ces échecs pour moi et pour l’organisation.

Du point de vue de l’organisation, ces échecs prouvent qu’il faut un contrepoids à l’ambition, un contrepoids qui met en évidence l’audace et fait la promotion de l’ambition tout en montrant comment fixer les principales étapes et annoncer les obstacles prévus. Ces échecs font aussi état d’une absence de surveillance et d’évaluation de l’organisation qui sont adaptées aux fonctions opérationnelles et aux équipes. Les méthodes de surveillance et d’évaluation mises en application sont tirées de divers projets dont le taux de succès varie.

Personnellement, j’ai le sentiment d’avoir failli à mon engagement. J’ai le sentiment d’avoir omis de demander un soutien supplémentaire lorsque j’en avais besoin. J’ai le sentiment de ne pas avoir établi de priorités par crainte de perdre des occasions et, par-dessus tout, j’ai le sentiment d’avoir laissé tomber ceux qui comptaient sur moi.

J’éprouve également un profond sentiment de gratitude et d’autonomie. En effet, on m’a demandé de soutenir les résultats de cette année, et j’ai reçu un appui pour examiner R2EP et observer la campagne d’une façon objective. Il a été fondamental pour moi de faire la distinction entre l’échec personnel et l’échec stratégique. Cela me permet de les examiner et de les aborder séparément afin de réussir ma campagne en 2013.

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

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Alex JoyceGouvernance et infrastructures rurales, Ghana [email protected]

Perdre de vue les arbres de la forêt : un échec pour tester continuellement nos hypothèses

Dan Boland et moi travaillions avec l’unité de planification et de coordination de la région du Nord (NRPCU) à Tamale, au Ghana; nous coconcevons et mettons en place un programme en vue de gérer les systèmes de données dans six nouveaux districts de la région du Nord.

Pour que Dan et moi puissions prendre des décisions, découvrir et expliquer nos hypothèses, améliorer la gestion des connaissances et évaluer le programme, nous avons décidé de tester nos hypothèses. Nous avons établi une liste d’environ 50 hypothèses clés à propos des acteurs, de leurs incitatifs, de la base de données et de son utilisation, et de ce qui constitue un bon développement des capacités. Nous pensions qu’il y avait trop d’hypothèses, mais nous avons quand même poursuivi avec enthousiasme, notant nos observations afin de commencer à accumuler des faits confirmant ou infirmant chaque hypothèse à propos de la conception et de la mise en œuvre du programme. Nous commencions à réunir de plus en plus de faits sur plusieurs aspects de notre programme, ce qui était GÉNIAL.

Mais quand nous nous sommes assis pour créer un protocole d’évaluation, notre échec principal nous a sautés aux yeux. Nous avions ajouté des faits dans notre document d’hypothèses, mais omis de réviser ou d’ajouter des hypothèses à mesure que nous accumulions plus d’expérience. Nous étions impressionnés par la quantité d’hypothèses que nous avions déjà, mais ces hypothèses ne représentaient qu’une photo instantanée de notre pensée à un moment précis dans le temps au lieu de représenter l’évolution de notre réflexion au cours de l’année. Notre document aurait dû changer sur deux plans alors que nous n’ajoutions des éléments qu’à l’un d’eux.

Le fait de baser notre évaluation sur ces hypothèses signifie ni plus ni moins que nous répondons à des questions que nous nous posions il y a un an et non à celles que nous avons accumulées au cours de l’année. Nous avons dû revenir en arrière pour tenter de nous souvenir pourquoi nous avons pris certaines décisions et sur quelles hypothèses elles se fondaient. C’est exactement le genre de « réflexion inversée » que nous voulions éviter. C’est aussi un constat d’échec pour notre équipe puisqu’elle va perdre ces deux membres à compter de décembre 2012. La réflexion inversée sera impossible pour nos nouveaux coéquipiers, ce qui veut dire que la majeure partie des connaissances sera perdue.

Suivre les hypothèses était un exercice utile pour que l’équipe puisse voir la forêt au-delà des arbres au cours de la mise en œuvre, pendant l’évaluation, lors du partage entre collègues et pour la gestion des connaissances, mais nous devons trouver une façon de saisir les deux dimensions lorsque nous testons des hypothèses. Nous devons continuer à recueillir des faits tout en nous servant de nos réflexions antérieures pour apprendre par l’expérience.

Échecs quant aux projets et à la mise en œuvre

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Un échec à ressentir

Mark AbbottVice-président, [email protected]

Croyez-vous que les sentiments devraient être freinés et dosés avec parcimonie dans un environnement de travail? Que le rôle d’un leader est de faire preuve de confiance et d’assurance? Je l’ai cru et j’ai connu une longue période marquée par une perte de confiance en moi et un parcours jalonné d’obstacles évitables pour toute l’équipe que je gérais à l’époque.

Tout a commencé par le lancement d’un difficile processus de répartition des res-sources. J’étais nouveau à mon poste de leadership à ISF, après 14 années dans le domaine du génie-conseil. J’avais une conception as-sez rigide de la définition d’un bon leader, qui prove-nait de mon ancien poste et de ma formation et qui a entretenu mon obstination à mesure que les réunions et les conversations devenaient de plus en plus char-gées émotionnellement. J’ai donc été de l’avant mal-gré des doutes et une incertitude croissants.

À l’époque, je pensais avoir bien réussi à cacher mes sentiments; mais en y repensant, je me dis que je suis davantage parvenu à me faire illusion qu’à tromper mon équipe! La différence croissante entre ce que je ressentais et la façon dont je me comportais a érodé la confiance des autres envers moi et, par ricochet, ma confiance en moi-même; cela m’a poussé à cacher mes sentiments encore plus, ce qui a davantage érodé la confiance de l’équipe envers moi. J’étais dans une spi-rale descendante.

Les choses étant devenues très dures au travail et dans d’autres aspects de ma vie, j’ai décidé de sortir de cette spirale en tenant compte de mes sentiments plutôt que de les ignorer. Après avoir fait ce constat, j’ai dû trouver le courage de partager ces sentiments. Les résultats ont été spectaculaires. Le fait d’ignorer mes sentiments et de cacher ma vulnérabilité avait créé un cycle descendant, mais la décision de renverser la situation m’a permis de rebâtir ma confiance person-nelle et celle de l’équipe envers moi. En renonçant au

besoin d’être perçu comme un leader fort et en adop-tant une approche plus collaborative dans l’équipe, j’ai obtenu de meilleurs résultats.

L’expérience a radicalement changé ma conception d’un leadership fort. Il vient un temps où un leader doit assumer ses responsabilités avec confiance et aussi accepter ses sentiments et sa vulnérabilité.

Je crois que l’environnement de travail à ISF offre déjà beaucoup plus de soutien que la plupart des organi-sations pour ce type d’exploration et de travail per-sonnel. Mais en réfléchissant à mon expérience, je me dis que nous pouvons faire davantage pour créer des espaces sécuritaires et pour renforcer notre culture de rétroaction solidaire. En tant que vice-président, Talent à ISF je suis bien placé pour poursuivre cette réflexion pour que cela devienne une réalité.

Nous pouvons faire davantage pour créer des espaces sécuritaires et pour renforcer notre culture de rétroaction solidaire.

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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Erin AylwardLiaison entre les [email protected]

Échouer à organiser des solutions

La question des sexes peut être un sujet particulièrement juteux, mais tout aussi épineux lorsqu’il s’agit de l’introduire dans une organisation; le fait d’aborder l’inégalité entre les sexes peut tout aussi bien bouleverser l’état des choses que créer un sentiment de frustration et d’impuissance et des conflits. Mon plus grand échec dans la manière d’aborder les sexes au sein d’ISF a été de me focaliser sur les problèmes épineux que pose cette question, plutôt que de mettre en évidence les points forts et les solutions entre les sexes.

Début 2012, j’ai demandé une bourse pour aider ISF à améliorer sa capacité d’organisation afin de favoriser le leadership des femmes. Mon projet consistait essentiellement à m’occuper des initiatives de vulgarisation agricole et de gouvernance et d’infrastructures rurales au Ghana. Mais j’ai passé le premier mois à mieux comprendre certaines occasions et contraintes concernant l’égalité entre les sexes au sein du bureau national, que j’ai explorées dans le cadre d’entretiens, d’ateliers et d’un document de travail.

Que s’est-il passé? Cela a donné lieu à des conversations, des contacts et des points de vue incroyables, et fait ressortir bien des défis et vulnérabilités, sans toutefois se traduire par de « grandes avancées ». Par exemple, les nouveaux membres du personnel des programmes

africains étaient conscients qu’ils pourraient être amenés à être témoins de cas de violence domestique dans une famille d’accueil, et certains membres du personnel du bureau national étaient plus à l’aise pour parler de la manière dont les styles de leadership féminins sont souvent sous-évalués dans l’organisation, mais ces nouvelles connaissances n’ont permis en aucun cas aux membres d’ISF d’aborder ces problèmes. Au lieu de cela, beaucoup se sentaient frustrés par ces problèmes, mais étaient incapables d’y remédier, alors que ceux qui n’étaient pas engagés se sentaient impuissants ou alarmés par ces idées.

Mon principal échec a été de ne pas parvenir à fournir à ISF les outils, stratégies et modèles de communication qu’il fallait pour faire avancer ces idées sur la question des sexes. J’avais bien veillé à ce que mon approche soit surtout participative et très peu normative, mais j’avais omis de tenir compte du fait que la plupart des membres d’ISF manquent de temps, de contacts et de ressources pour aborder des problèmes comme l’égalité entre les sexes, même s’ils aimeraient pouvoir le faire. En creusant un peu, je me dis qu’il m’est aussi arrivé de ne pas avoir la détermination voulue pour mettre de l’avant certaines idées qui ont été recueillies ou pour proposer mes propres solutions.

À l’avenir, j’adapterais mon approche de la conduite des changements organisationnels de plusieurs façons. Je dois tout d’abord identifier les occasions en plus des problèmes. Même si cela doit prendre plus de temps pour repérer et mettre en valeur ce qui fonctionne déjà, il est possible de générer un plus grand élan avec cette approche. Ensuite, si je suis amenée à aider les autres à cerner un problème, je dois également participer aux solutions. Le fait de révéler toute une série de problèmes sans avoir d’abord identifié les parties prenantes pertinentes et sans s’être engagé à travailler avec elles pour organiser des solutions peut être irresponsable et préjudiciable. Cela obligera parfois à rétrécir l’axe, mais avec plus de chances de créer des solutions durables.

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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Sarah GrantLeader d’[email protected]

Mon échec est relié aux processus de répartition des ressources pour les initiatives menées en 2012, processus qui se sont déroulés à l’automne 2011. Cet événement m’a amenée à réfléchir sérieusement à mes valeurs personnelles et, je crois, à grandir comme leader. Cette expérience m’a surtout appris que la transparence en tant qu’unique valeur guidant mes décisions n’est pas toujours la meilleure façon de procéder.

Je suis pour la transparence, mais pas quand il s’agit de la seule valeur qui guide les décisions. Il y a des moments où le fait d’être complètement ouvert au moindre détail peut avoir des effets néfastes. Il faut penser, réfléchir et partager avec prudence lorsque l’on détient des informations qui pourraient blesser autrui.

Que s’est-il passé?Vers la fin de 2011, Boris Martin et moi avons reçu les plans ambitieux des leaders d’initiatives africaines pour 2012; les ressources qu’ils demandaient étaient le double de ce qui avait été prévu. Nous savions

que les ressources disponibles seraient confirmées au plus tard en janvier 2012, mais nous devions décider avant cela de leur répartition en fonction de ce que nous connaissions. Nous avons alors choisi de préparer tout le monde au pire scénario possible en 2012, c’est-à-dire financer seulement trois des six équipes. Nous pensions bien agir en prenant une décision financièrement responsable et en présentant la situation comme elle était.

Le message a été difficile à accepter en Afrique, car les gens pensaient qu’il y avait 50 % de risque que leur emploi n’existe plus en 2012. Ils ont réagi comme on pouvait s’y attendre en apprenant que leur emploi et le travail qui les passionne n’étaient plus assurés – certains ont été débrouillards et ont cherché d’autres sources de financement; d’autres ont décidé que c’était hors de leur contrôle et ne se sont pas inquiétés; d’autres encore nous ont fait part de leurs frustrations. Boris et moi avions provoqué ces réactions.

Notre désir de ne rien cacher de la réalité financière, des décisions possibles et des raisons derrière ces décisions

Aveuglée par la transparence

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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venait d’une bonne intention. Nous estimions que c’était important. Mais cette volonté de transparence nous a fait oublier une autre valeur : celle des gens. Par conséquent, nous avons dû consacrer beaucoup de temps et d’énergie à regagner la confiance des gens en Afrique. Ce fut une rude leçon.

Pourquoi est-ce important de partager cette histoire?Douze mois plus tard, je crois que cette expérience d’apprentissage commence finalement à prendre racine. Le fait de raconter cette leçon aura été utile. J’ai revécu l’expérience en pensée plusieurs fois. J’ai réfléchi à différents scénarios et j’en suis venue à la conclusion que même si j’aurais préféré montrer la réalité financière, je changerais la façon de la partager. Nous aurions dû nous assurer que les gens pouvaient canaliser dans la mesure du possible leur énergie vers ce qui est le plus important – créer un changement formidable en Afrique.

Je partagerais probablement l’information avec plus de contexte – probablement pas par courriel, mais par téléphone (ou, dans le meilleur des cas, en allant en

Afrique pour en discuter en personne). Il ne s’agirait pas du message principal, mais plutôt d’un message sur les changements apportés par ISF à la répartition des ressources, notamment les répercussions sur les initiatives africaines. Je me préparerais aux réactions différentes que la nouvelle allait provoquer (certaines personnes sont passées plus rapidement au travers des stades de déni, de colère, de marchandage, de dépression et d’acceptation).

Peu importe le choix, les difficultés financières ne sont jamais faciles à vivre. Le message n’est pas agréable à entendre, peu importe la façon qu’il est communiqué. Si c’était à refaire, je garderais cela en tête lorsque je communiquerais de l’information afin de faire preuve de plus d’empathie et de soutenir davantage les gens.

Le message a été difficile à accepter en Afrique, car les gens pensaient qu’il y avait 50 % de risque que leur emploi n’existe plus en 2012.

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Sal AlajekChef d’équipe, génie [email protected]

L’histoire débute en octobre 2011. J’avais commencé mon nouveau rôle au bureau national d’ISF quelques semaines auparavant. La tâche s’annonçait excitante, quoiqu’intimidante. ISF surveillait de près nos programmes canadiens (incluant le génie global) pour les façonner de sorte qu’ils aient un impact à la grandeur du système. Pour moi, il était évident que la clé pour avoir les répercussions désirées était de concentrer nos ressources limitées sur des interventions dans les programmes académiques en génie global. L’équipe savait qu’une stratégie ciblée comportait des avantages et des inconvénients, mais nous ignorions alors que ce serait au détriment de notre aptitude à soutenir des idées novatrices et transformatrices.

Avant qu’ISF n’établisse des processus pour investir dans de nouvelles initiatives, les chefs d’équipe étaient souvent à l’origine d’idées de changement systémique. J’ai été approché par des bénévoles d’ISF qui voyaient comment l’industrie du génie pourrait réellement incarner les principes du génie global et qui cherchaient un soutien pour leur idée. Leur vision

consistait à tester plusieurs idées d’interventions dans une série de dialogues axés sur les ingénieurs professionnels. Si tout allait comme prévu, les gens impliqués dans les dialogues formeraient un groupe qu’ils avaient appelé le « Conseil de leadership en génie » (CLG).

Je sentais que leur idée de travailler avec les ingénieurs professionnels menaçait ma stratégie ciblée sur les programmes académiques, stratégie qui était nécessaire au succès du génie global selon moi. Comme j’avais un budget de plus en plus limité pour les programmes académiques, j’ai commencé à trouver que leur idée suivait une « pente glissante » et m’éloignait de mon objectif plutôt qu’être une occasion d’innover qui pourrait libérer des ressources autrement non disponibles.

Je n’ai donc pas vraiment facilité les six premiers mois de contacts avec les leaders du CLG. Ma peur de cette « pente glissante » m’a incité à me concentrer sur des questions de compatibilité accessoires par rapport à l’image de marque et au nom du génie global et du

Quand l’ambiguïté débouche sur une occasion

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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CLG. Mon modèle mental était enraciné dans la protection de la touche du génie global sur les interventions dans les programmes académiques, ce qui m’a fait perdre de vue l’occasion qu’offrait le CLG. Mon encadrement a découragé les leaders passionnés du CLG, mis en péril leur capacité à créer du changement et ralenti les progrès de l’équipe.

Plus les discussions progressaient, plus j’y voyais une occasion plutôt qu’une menace. Notre deuxième phase de discussions était beaucoup plus concentrée sur la création de possibilités. Nous avons trouvé une façon de fournir un certain soutien au CLG sans compromettre la portée stratégique sur les programmes académiques. Depuis, le CLG a été en mesure d’attirer encore plus de soutien, prouvant ainsi qu’une idée réellement transformatrice peut faire apparaître des ressources là où il ne semble pas y en avoir.

Le fait de croire d’une façon déraisonnable dans une possibilité peut faire la différence entre la gestion de risques calculés et la peur des menaces. Il était beaucoup plus facile de voir le changement comme une menace à gérer plutôt qu’une occasion d’optimisation. Même si le constat final est de ne pas saisir toutes les occasions qui se présentent, la peur bloque notre créativité et garantit l’échec.

Comme j’avais un budget de plus en plus limité pour les programmes académiques, j’ai commencé à trouver que leur idée suivait une « pente glissante » et m’éloignait de mon objectif plutôt qu’être une occasion d’innover qui pourrait libérer des ressources autrement non disponibles.

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Clément BourgognePrésident du congrès national de [email protected]

Qui prend les décisions?Au printemps 2011, six membres d’ISF ont été choisis pour organiser le congrès national de 2012 à Ottawa. Cette nouvelle équipe décentralisée serait soutenue par le personnel du bureau national, mais elle serait entièrement responsable de la planification et de l’exécution. Cette approche a marqué un changement important par rapport au congrès de 2011, qui a été tenu et organisé à Toronto en faisant grandement appel au bureau national, notamment en désignant un membre du personnel à temps plein pour présider le congrès.

Au début de l’automne 2011, le groupe s’occupant du congrès de 2012 a augmenté considérablement quand 25 autres bénévoles ont joint ses rangs. Le temps alloué à la promotion de la collaboration entre le bureau national et les membres de l’équipe a souffert de ce recrutement tardif. La rareté des interactions entre les deux équipes a d’ailleurs empêché d’instaurer une relation de confiance.

Au cours des mois qui ont précédé le congrès national de 2012, ISF a également travaillé activement à élaborer et à formuler sa nouvelle vision. Ce processus a apporté un changement nécessaire à l’organisation, mais a obligé bon nombre des membres de l’équipe à y mettre beaucoup de temps. Durant la même période, l’équipe du congrès a demandé au personnel du bureau national de donner une rétroaction sur le contenu du congrès, le marketing et l’affectation des ressources; le bureau national ne s’est toutefois guère empressé d’offrir le soutien demandé. Cela a eu pour effet

de retarder les décisions et de détériorer certaines relations. Nous avons aussi commencé à prendre des décisions sans consulter le bureau national et sans avoir son approbation, ce qui n’a fait qu’exacerber les tensions de part et d’autre.

L’équipe du congrès avait en effet fait une supposition qui a façonné l’interaction avec les membres du personnel : elle pensait que le congrès les enthousiasmait déjà, et qu’ils en avaient fait leur priorité. Par conséquent, elle n’a pas jugé bon de motiver le personnel du bureau national et a axé les communications sur les détails logistiques et administratifs.

De plus, les deux équipes n’avaient jamais clairement établi de limites quant aux décisions pouvant être prises par l’une sans l’approbation de l’autre. Cette faille du processus de planification a causé de la frustration et démoralisé les gens : les décisions « définitives » prises par une équipe étaient infirmées par l’autre.

Il a été possible d’améliorer l’engagement du personnel du bureau national en créant un bulletin dédié au congrès pour mieux communiquer les détails passionnants et les progrès de l’équipe du congrès. Cela a permis d’améliorer grandement la relation entre les deux équipes, et nous avons alors commencé à recevoir des réponses beaucoup plus positives du bureau national. Cela dit, nous n’avons jamais réglé complètement le problème plus profond des limites concernant la prise de décisions.

Le fait d’être décentralisée et indépendante du bureau national a, on s’en doute, donné à l’équipe du congrès un sentiment d’engagement inégalé; cela nous a poussés à redoubler d’efforts pour assurer le succès du congrès. Mais dans un tel contexte, il faut établir des limites pour s’assurer de prendre les meilleures décisions. En tant qu’organisation, nous aurions dû aborder ce processus de façon plus stratégique. À l’avenir, nous devrons continuer de donner aux équipes décentralisées un sentiment d’engagement aussi fort que possible, tout en apprenant davantage à décentraliser la prise de décisions.

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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Boris MartinVice-président, stratégie et [email protected]

La lenteur est plus rapideIl y a un an, alors qu’Ottawa était sous la neige, l’hôtel où se tenait notre congrès national ressemblait à l’état actuel d’ISF : je sentais que nous étions en construction! Nous venions de terminer un dernier sprint pour articuler notre vision, après deux ans d’exploration. Nous avions fait plusieurs erreurs au niveau de notre implication individuelle et des communications avec les membres d’ISF. Nous avions perdu notre confiance les uns envers les autres en cours de route. Alors que nous commencions à peine à plonger dans le langage de l’innovation systémique, le malaise et l’ambiguïté étaient palpables. Ne sous-estimons pas le coût de cette tension et de cette ambiguïté sur notre aptitude à aller de l’avant. Je ne peux qu’imaginer tout ce nous aurions pu accomplir de plus si l’ambiance avait été différente.

Quand nous avons commencé à penser à ISF et à en parler en tant qu’incubateur d’innovations systémiques en 2011 et 2012, je ne pensais pas qu’il faudrait autant de conversations et d’exploration conjointe pour développer un sentiment tangible de ce dont nous parlions tous. Il était clair que les mots n’étaient pas et ne sont toujours pas compris de la même façon à l’échelle d’ISF. C’était une chose de déclarer que nous avions une vision (le document) et une autre de partager une vision à travers ISF.

Lorsque la tension s’est manifestée, cela m’a frustré. Je n’ai pas adopté une attitude ouverte et je n’ai pas jugé bon de prendre du recul et d’ajuster notre démarche.

La tension qui en a résulté nous a empêchés de nous poser les questions difficiles auxquelles ISF doit s’attaquer si nous voulons apporter une contribution significative dans le monde en tant qu’incubateur d’innovations systémiques. Nous posions des questions ancrées dans la peur du genre « Pouvons-nous allouer des ressources à nos initiatives d’une façon stratégique si cela crée un climat de compétition entre elles? » au lieu de nous demander « Quel processus et quels éléments de notre culture devons-nous préserver pour que nous puissions affecter nos ressources à des initiatives de façon stratégique, tout en nous assurant que les initiatives investissent dans le succès les uns des autres? » Il s’agit là d’une mentalité intégratrice qui sera cruciale au succès d’ISF alors même que nous définissons notre approche unique en tant qu’incubateur.

Avec le recul, il y a quelques leçons à tirer pour des processus similaires qui sont à venir (par exemple, la vision d’ISF en 2030) :• Créer un espace permettant d’exprimer les

préoccupations. Prioriser une multitude de conversations. Bâtir une vision tangible. Prendre le temps de le faire ensemble.

• Préparer les gens à gérer l’ambiguïté et le changement. Nous sommes uniques et humains tout à la fois. Il y a des choses que nous savons à propos des processus de changement et de la façon dont les êtres humains y réagissent. Il est bon d’en informer tout le monde avant de commencer.

• Au niveau personnel, ma capacité à gérer efficacement ce type de situation trouve sa source dans mon aptitude à embrasser la diversité, à avoir l’empathie voulue pour anticiper l’ambiguïté ressentie par les autres dans ce genre de situation, à la reconnaître lorsqu’elle survient et à m’y attaquer de façon adéquate. Il s’agit d’un élément que j’ai intentionnellement ajouté à mon plan de perfectionnement personnel.

• Au niveau organisationnel, je crois que nous devons reconnaître que certaines transitions prennent du temps. ISF doit développer notre aptitude à anticiper notre rythme de changement et à prendre des décisions en conséquence.

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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Anna SmithLeader d’[email protected]

Je pense que la pire chose qu’on nous ait jamais dite est de faire ce qu’on nous dit.

J’ai payé mes études universitaires comme serveuse dans un restaurant qui avait pour thème la jungle; je portais un short kaki et j’avais droit aux fameux mardis « Toucan Dine ». Les motivations de cette jungle et, pour être franche, le système éducatif qui avait précédé, m’avaient préparée à suivre les consignes à la lettre.

Puis je suis entrée à ISF. En tant que leader d’initiative, je choisis mon horaire, je définis mes objectifs et j’évalue mon progrès. Techniquement, je suis à la tête de la chaîne de mise en place des orientations.

J’ai souvent eu l’occasion de me délecter de cette liberté, ce qui ne m’a pas empêché de lutter tout aussi souvent avec les défis qu’elle comporte. Il a été particulièrement difficile pour moi de mettre en place des orientations en prenant les pensées des autres pour des idées plutôt que des directives et en n’hésitant pas à faire des choix stratégiques. En fin de compte,

j’ai trop souvent échoué à penser par moi-même.

J’ai été une serveuse appréciée et enthousiaste parce que j’ai vu ce qu’on gagnait à suivre les consignes, et j’ai tendance à rechercher encore une fois ce succès en faisant – en prédisant même — ce qu’on attend de moi. Je veux impressionner les autres en accomplissant ce qu’ils pensent être juste. Je veux avoir la satisfaction de rendre les gens fiers.

Le problème est que j’ai mon mot à dire dans cette démarche pour une raison bien précise et qu’en suivant les pensées des autres, je me disperse et je perds ma résolution. J’essaie à tout prix de m’adapter et de contenter tout le monde en même temps.

Ce printemps, j’ai dû me débattre avec ça tous les jours. Ma vision changeait chaque semaine. Ces modifications incessantes et l’adaptation qu’elles demandaient ont presque eu raison de l’équipe décentralisée et du réseau. Et comme je doute de mes propres capacités, j’ai rapidement perdu confiance en moi. Maintenant, et bien que j’ai davantage conscience

Moins de tremblements de terre pour le bien du monde

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de ce comportement, il m’arrive encore de me tourner vers l’équipe actuelle en remettant en question la stratégie, en paniquant parce que nous avons pris une mauvaise décision, en demandant si nous ne devrions pas plutôt abandonner et changer de cap. Je n’arrête pas de rendre le sol instable sous leurs pieds, ce qui a aussi un effet négatif sur eux. Pas plus tard qu’hier soir, mes coéquipiers m’ont fait part de leur vœu collectif : moins de crises, et moins de tremblements de terre pour le bien du monde.

Le problème, quand on apprend à faire ce qu’on vous dit de faire, c’est qu’on n’apprend pas seulement à se conformer, mais aussi à ignorer son instinct et à dévaloriser ses pensées.

Je suis incapable de me valoriser, d’atteindre mon plein potentiel et d’en faire autant avec cette initiative. C’est un échec douloureux parce que ce n’est pas aussi simple que d’apprendre et d’éviter les erreurs. Je le fais encore aujourd’hui. Mais plus j’en parle, plus je trouve de soutien : mes réunions de gestion sont mises en place de sorte que je sais que je ne suis pas censée

répondre à toutes les questions et aux pensées qui sont partagées. Cela m’évite de céder à la tentation de « donner la bonne réponse », et me permet d’écouter, de réfléchir et de me demander ce que j’en pense et pourquoi j’agis de la sorte.

Cela semble fort simple, mais c’est d’une grande complexité. J’ai appris très tôt à faire ce qu’on me dit, à extérioriser la validation et à suivre les règles. Seulement voilà, cette attitude est l’opposé de l’innovation, l’antithèse du changement, et ce n’est pas pour cela que je suis ici.

Il m’arrive encore de me tourner vers l’équipe actuelle en remettant en question la stratégie, en paniquant parce que nous avons pris une mauvaise décision, en demandant si nous ne devrions pas plutôt abandonner et changer de cap.

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Alix KrahnCoprésidente, Section de l’Université de l’[email protected]

L’an passé, j’ai parlé dans le Rapport d’échec d’ISF d’un manque de communication entre diverses sphères d’ISF : il s’agissait de l’échec d’un système de ges-tion des connaissances. Voici brièvement ce dont il s’agit : en décembre 2010, j’ai rencontré un député d’Edmonton et appris à cette occasion qu’il était déjà en relation avec ISF au niveau national. Cette relation était si bien développée qu’il allait participer au con-grès national en janvier, avant d’aller au Ghana avec ISF.

Depuis que cet échec a été publié, qu’est-ce qui a changé? Pas grand-chose, à mon avis. Il y a une légère volonté de créer un outil de suivi des relations avec les députés, mais pas (encore) de soutien généralisé et très peu de partage entre le bureau national et les sec-tions en ce qui concerne les actions et l’information liées aux députés.

Pourquoi n’avons-nous donc pas appris du Rapport d’échec? Voici un aperçu du processus, selon ma per-spective :

Il y a en premier lieu une personne ou un groupe précis qui vit un échec et en subit les conséquences. Quand on sollicite des contributions pour le Rapport d’échec, cette personne ou ce groupe peut décider de répon-dre et l’échec figure alors dans le rapport de l’année en question, qui est distribué au congrès national en janvier et auquel on fait parfois référence par la suite.

Ce processus comporte trois échecs :

Premièrement, ce ne sont pas nécessairement les bonnes personnes qui apprennent des échecs soumis. Il y a un manque d’alignement entre celui qui subit les conséquences de l’échec et celui qui peut le résoudre à la base.

Deuxièmement, le Rapport d’échec met l’accent sur les solutions individuelles et fait pression sur une seule personne pour qu’elle apprenne de l’échec ou y remédie. Cela ne facilite pas l’apprentissage générali-sé par l’erreur et n’incite pas à procéder à un change-ment institutionnel pour éviter de répéter le même échec.

Échouer à apprendre du Rapport d’échec

Échecs quant au leadership et au changement organisationnel

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Troisièmement, il y a très peu de suivi après la dis-tribution du Rapport d’échec au congrès national, à l’exception de l’apprentissage au niveau personnel.

En regardant l’échec que j’ai soumis l’an passé, c’est la qualité du travail de plaidoyer qui en souffre. Dans ce cas, les représentants des sections subissent les échecs immédiats, mais la solution vient d’un changement mené à de nombreux niveaux au sein de l’organisation (et doit impérativement inclure l’équipe de plaidoyer au bureau national). Ce ne sont pas toujours les per-sonnes qui subissent les conséquences immédiates de l’échec qui peuvent amener le changement requis. Le

changement et l’apprentissage doivent être l’affaire de l’organisation au complet et ne pas se borner à une seule personne.

Bien que le Rapport d’échec soit une première étape importante, il ne parvient pas à créer un apprentissage organisationnel. Cela dit, Ashley (la personne qui gère le Rapport d’échec) m’a suggéré de parler à James, le gestionnaire de portefeuille responsable des efforts de plaidoyer d’ISF, afin d’explorer davantage l’enjeu du partage des connaissances et d’ouvrir le dialogue pour s’y attaquer. Il est donc clair que le Rapport a contribué à faire progresser la résolution de l’échec.

J’ai appris que l’apprentissage organisationnel n’est pas inhérent au rapport, mais peut être catalysé par son utilisation. Il est de la responsabilité de chacun de nous, les membres d’ISF, d’agir. En tant qu’organisation, nous devrions tous chercher active-ment les parties prenantes concernées afin d’avoir les discussions requises pour apprendre de nos échecs et nous adapter.

Depuis que cet échec a été publié, qu’est-ce qui a changé? Pas grand-chose, à mon avis.

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