rapport racisme 2011 cncdh

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Commission nationale consultative des droits de lhomme

LA LUTTE CONTRE LE RACISME, LANTISMITISME ET LA XNOPHOBIE Anne 2011

En application du Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992, une reproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication est strictement interdite sans autorisation de lditeur. Il est rappel cet gard que lusage abusif de la photocopie met en danger lquilibre conomique des circuits du livre. Direction de linformation lgale et administrative, Paris, 2012. ISBN : 978-2-11-008813-0

RAPPORT dE LA COMMISSION NATIONALE CONSULTATIvE dES dROITS dE LHOMMEPRSENT MONSIEUR LE PREMIER MINISTRE

Loi no 2007-292 du 5 mars 2007 relative la Commission nationale consultative des droits de lhomme Article 1 La Commission nationale consultative des droits de lhomme assure, auprs du Gouvernement, un rle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de lhomme, du droit international humanitaire et de laction humanitaire. Elle assiste le Premier ministre et les ministres intresss par ses avis sur toutes les questions de porte gnrale relevant de son champ de comptence tant sur le plan national quinternational. Elle peut, de sa propre initiative, appeler publiquement lattention du Parlement et du Gouvernement sur les mesures qui lui paraissent de nature favoriser la protection et la promotion des droits de lhomme. La commission exerce sa mission en toute indpendance. Elle est compose de reprsentants des organisations non gouvernementales spcialises dans le domaine des droits de lhomme, du droit international humanitaire ou de laction humanitaire, dexperts sigeant dans les organisations internationales comptentes dans ce mme domaine, de personnalits qualifies, de reprsentants des principales confdrations syndicales, du dfenseur des droits, ainsi que dun dput, dun snateur et dun membre du Conseil conomique, social et environnemental dsigns par leurs assembles respectives.

http://www.cncdh.fr/

LOI N 90-165 DU 13 jUILLet 1990 teNDANt rprImer tOUt Acte rAcIste, ANtIsmIte OU xNOphObe. ARTICLE 2 : LE 21 MARS dE CHAqUE ANNE, dATE RETENUE PAR LORGANISATION dES NATIONS UNIES POUR LA jOURNE INTERNATIONALE POUR LLIMINATION dE TOUTES LES fORMES dE dISCRIMINATION RACIALE, LA COMMISSION NATIONALE CONSULTATIvE dES dROITS dE LHOMME REMET UN RAPPORT SUR LA LUTTE CONTRE LE RACISME. CE RAPPORT EST IMMdIATEMENT RENdU PUBLIC.

SommaireNote au lecteur 7 Avant-propos 9 Introduction 11CNCDHPremIre PArtIe

tAt deS lIeux: le rAcISme, lANtISmItISme et lA xNoPhobIe eN FrANce 13chapitre 1

Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie 15Prsentation de lenqute dopinion et lments danalyse 17CNCDH

Prsentation des rsultats de lenqute dopinion 26Institut CSA

Racisme et xnophobie en hausse: retournement historique ou effet de contexte ? 37Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj

chapitre 2

les manifestations du racisme en France en 2011 53les actes et menaces caractre raciste 55Prsentation des statistiques du ministre de lIntrieur 55CNCDH

Actes et menaces caractre raciste, antismite et antimusulman commis en 2011 57Ministre de lIntrieur

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Analyse des statistiques du ministre de lIntrieur 99CNCDH

racisme et discrimination raciale lcole 111Les actes caractre raciste, xnophobe ou antismite en milieu scolaire 111Ministre de lducation nationale

Mesurer le racisme lcole: analyse des donnes fournies par le ministre de lducation nationale 118CNCDH

le racisme sur lInternet 123Lorsque les prcheurs de haine se multiplient sur le Net 123Marc KnobeldeuxIme PArtIe

lA lutte coNtre le rAcISme, lANtISmItISme et lA xNoPhobIe 139chapitre 1

la rponse institutionnelle 141la rponse judiciaire pnale 143Prsentation de la contribution du ministre de la Justice 143CNCDH

Rponse pnale et politique pnale en matire de lutte contre le racisme en 2011 144Ministre de la Justice et des Liberts

lments danalyse de la rponse pnale 163CNCDH

Le discours de haine raciste et/ou antismite en France Aspects juridiques 173Sabrina Goldman

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Sommaire

les rponses du Gouvernement 179Prsentation des rponses du Gouvernement et Plan national daction contre le racisme et lantismitisme 179CNCDH

Contribution du ministre de lIntrieur, de lOutre-mer, des Collectivits territoriales et de lImmigration 184 Contribution du ministre des Affaires trangres et europennes 202 Contribution du ministre de lducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative 207 Contribution du ministre du Travail, de lEmploi et de la Sant 219 Contribution du ministre de lEnseignement suprieur et de la Recherche 224 Contribution du ministre de la Fonction publique 226 La politique du Gouvernement en matire de lutte contre le racisme, lantismitisme et la xnophobie 228CNCDH

chapitre 2

les actions de la socit civile dans la lutte contre le racisme, lantismitisme et la xnophobie 237les organisations non gouvernementales 239Contribution dATD Quart Monde 239 Contribution de la Ligue des droits de lhomme (LDH) 244 Contribution de la Ligue internationale contre le racisme et lantismitisme (LICRA) 247 Contribution du Mouvement contre le racisme et pour lamiti entre les peuples (MRAP) 259 Contribution de SOS Racisme Touche pas mon pote 267

Sabrina Goldman GoldmanSommaire

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les syndicats 277Contribution de la Confdration franaise dmocratique du travail (CFDT) 277 Contribution de la Confdration franaise des travailleurs chrtiens (CFTC) 281 Contribution de la Confdration gnrale du travail Force ouvrire (CGT-FO) 284 Contribution de lUnion nationale des syndicats autonomes (UNSA) 290

conclusion et recommandations 295CNCDH

ANNexeS 301

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Sommaire

Note au lecteurLe rapport de la CNCDH sur la lutte contre le racisme, lantismitisme et la xnophobie est compos de diffrents chapitres rdigs par des acteurs divers: la CNCDH elle-mme, des ministres, des ONG, des chercheurs, des instituts de sondage, etc. Pour que le lecteur identifie plus facilement les diffrentes parties du rapport, les textes et analyses rdigs par la CNCDH se voient attribuer un code couleur (rouge), une typographie et une mise en page diffrente. Par ailleurs, le lecteur trouvera en bas de page un rappel de lauteur qui a crit le chapitre quil est en train de lire. Les textes rdigs par la CNCDH ont t adopts en assembles plnires les 26janvier et 23fvrier 2012. Les autres textes sont des contributions au rapport qui nengagent que leurs auteurs. Afin dharmoniser et damliorer les contributions de tous la rdaction de son rapport, la CNCDH a souhait engager un dialogue avec les ministres et les diffrents acteurs de la socit civile. Elle a donc labor une liste de questions indicatives, afin de les guider dans la rdaction de leur contribution. Elle a par ailleurs pu interroger directement (lors dauditions ou par courrier) les ministres ayant apport une contribution substantielle, afin de leur demander des prcisions ou des claircissements sur certaines de leurs affirmations. Afin de permettre au lecteur de comprendre comment les contributions ont t labores, les questions poses par la CNCDH sont insres en rouge et avec une typographie diffrente dans le corps du texte rdig par les ministres ou les acteurs de la socit civile. Ce rapport a t labor dans le cadre des travaux de la sous-commission B Racisme, xnophobie, discriminations , prside par Marc Leyenberger, avocat honoraire, membre au titre de la France de la Commission europenne contre le racisme et lintolrance du Conseil de lEurope (ECRI). Pour la rdaction de ce rapport, les membres de la sous-commission ont pu bnficier de laide de Ccile Riou-Batista, charge de mission au secrtariat gnral de la CNCDH.

Avant-proposVoila maintenant vingt-deux ans que la Commission nationale consultative des droits de lhomme (CNCDH) remet au Premier ministre son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, lantismitisme et la xnophobie. Au cours de ces annes passes, non seulement les expressions du racisme ont chang, mais les ides et les faons daborder le racisme se sont, elles aussi considrablement transformes. Face un phnomne multiforme qui ne cesse dvoluer et qui peut sexprimer de diverses faons, allant de la stigmatisation lagression, en passant par la discrimination, le rapport de la CNCDH est devenu, au fil des ans, un outil danalyse prcieux. Parce quil croise les analyses ministrielles, acadmiques, associatives et autres, sur le racisme, le rapport de la CNCDH permet la mise en perspective des mutations de notre socit et des volutions de laction politique. Sil est vrai que cet instrument de mesure et danalyse reste toujours perfectible, le srieux et la pertinence du travail dont il est le rsultat sont salus tant par les organisations internationales que par les observateurs et les chercheurs. Mais il est et doit rester avant tout, le moyen privilgi du dialogue entre la CNCDH, dont les membres reprsentent une large partie de la socit civile dune part, et le gouvernement dautre part. cet gard, notre commission se flicite de lexcellente coopration qui a prsid, tout au long de cette anne, llaboration du Plan national daction contre le racisme et lantismitisme. Depuis plusieurs annes, la CNCDH dans des recommandations jointes son rapport annuel invitait le gouvernement laborer et mettre en uvre un plan national de lutte contre le racisme, en rappelant que si la France est certes engage dans la lutte contre le racisme depuis de nombreuses annes, et si de multiples dispositions lgislatives, rglementaires ou administratives permettent prcisment de combattre le racisme, beaucoup de chemin restait encore parcourir, notamment en termes de prvention, dducation et dinformation. Il convient de souligner la qualit du travail ralis par lensemble des services ministriels qui ont particip llaboration du Plan national et de saluer lesprit de dialogue du Gouvernement, qui a tenu associer notre Commission aux diffrentes tapes de sa rdaction. De grands espoirs sont dsormais placs dans ce Plan national prsent au dbut de lanne 2012, qui doit permettre la France de dmontrer la ralit de ses engagements, dans un domaine aussi essentiel que celui de la lutte contre le racisme.

Avant-propos

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Ce Plan est aussi loccasion de rappeler que, quelle que soit la forme quil emprunte, le racisme est et demeure intolrable tant pour notre socit que pour les victimes. La persistance du phnomne raciste appelle une vigilance sans faille. ce titre, la CNCDH se doit de rappeler la responsabilit des femmes et des hommes politiques dont le discours ne saurait laisser place quelque forme de stigmatisation que ce soit pas plus qu lexpression ou la manifestation de discrimination lgard de l Autre . Il convient de souligner ici le rle pdagogique que peut jouer le discours politique qui se doit dtre exemplaire et irrprochable, en matire de tolrance et douverture l Autre . Cette responsabilit incombe aussi aux mdias et tous ceux qui sadressent lopinion publique. Elle est videmment celle de chaque citoyen. Enfin, rappelons ici que, si le rapport de la CNCDH a pour mission de relever les lments proccupants et mettre en vidence un certain nombre de lacunes, il convient toutefois de garder lesprit que le niveau de tolrance dans notre pays reste heureusement lev et que depuis de nombreuses annes la France peut se fliciter davoir poursuivi sans relche la lutte contre le racisme, lantismitisme et les discriminations avec force et dtermination. Yves Repiquet Prsident de la CNCDH

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Avant-propos

IntroductionCNCDHLe racisme, la xnophobie, les discriminations ne sont pas des sujets marginaux, encore moins des affaires communautaires: ils sont au cur de lvolution de notre socit. La France considre, depuis toujours, comme lun des pays o les principes des droits de lhomme marquent fortement les institutions et la socit, voit sourdre et se dvelopper des concepts et des comportements discriminatoires dont le champ ne fait que slargir. Ainsi lidal partag dgalit et de fraternit est-il confront quotidiennement et dans de larges couches de la socit des attitudes de discrimination et de rejet. Quelle soit illustre par des cas exemplaires dvelopps dans les mdias, vcue individuellement ou diffuse dans lair du temps , la perception de lexistence dun racisme est largement partage par les analystes, mais aussi par une large part de la population. En juillet 1990, le lgislateur, conscient de la ncessit davoir une meilleure connaissance dun phnomne pour le combattre de manire adquate, a confi la Commission nationale consultative des droits de lhomme (CNCDH) le soin dlaborer et de remettre tous les ans au Gouvernement un rapport sur la lutte contre le racisme. Depuis vingt ans, la CNCDH sest attache remplir cette mission avec srieux et dtermination. Face des phnomnes complexes dans leur nature, et variables dans leurs manifestations, elle a toujours cherch faire preuve dobjectivit et mesurer et analyser les donnes en prenant tout le recul ncessaire. Elle remplit, avec ce rapport, une double fonction de veille et de proposition, afin de faire progresser la lutte contre le racisme, lantismitisme et la xnophobie. La composition pluraliste de la Commission, son indpendance, lexpertise de ses membres, mais aussi son rle de conseil et de recommandation auprs des pouvoirs publics, ainsi que ses missions auprs des organisations internationales, font de la CNCDH un interlocuteur privilgi des autorits publiques et de la socit civile en matire de racisme, dantismitisme et de xnophobie. Le premier objectif du rapport de la CNCDH consiste en une valuation quantitative la plus proche possible des ralits et des diffrentes manifestations du racisme. Constatant que lapprhension de ce phnomne quon le minimise ou quon le dnonce est entache dune forte part dirrationnel, il est primordial den prendre la plus juste mesure, en multipliant les garanties dobjectivit.

CNCDH

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Cette approche quantitative serait incomplte, et peut-tre dformante, sil ntait pas procd des analyses qualitatives des phnomnes, prenant en compte leurs causes ainsi que les contextes dans lesquels ils se manifestent. Le troisime objectif consiste rpertorier les mesures de lutte mises en uvre chaque anne, celles-ci pouvant faire lobjet dajustements danne en anne en fonction des lments quantitatifs et qualitatifs recueillis. Le rapport a la particularit de runir les contributions des ministres et institutions concernes par la lutte contre le racisme, ainsi que les lments dactions et de rflexion de la socit civile reprsente dans son pluralisme au sein de la CNCDH. Depuis de nombreuses annes, par ses diffrents travaux, la CNCDH a pu mettre en vidence la ncessit dune coordination et dune harmonisation des diffrentes actions de lutte. Ces trois premiers objectifs concourent videmment une mme exigence: formuler des recommandations et des propositions de renforcement des mesures de lutte existantes, pouvant mme conduire la mise en uvre de dispositifs nouveaux, plus adapts la ralit quantitative et qualitative du phnomne. Le rapport 2011 sarticule autour de deux grands axes: ltat des lieux du racisme en France dune part et la lutte contre le racisme dautre part. On trouvera en fin de rapport les recommandations de la Commission adresses au Gouvernement. Elles se prsentent comme un bilan des lments contenus dans lensemble du rapport do se dgage ces recommandations, qui ouvrent des perspectives pour les annes venir. Le premier chapitre de la premire partie du rapport est consacr au racisme, lantismitisme et la xnophobie tels que perus par lopinion publique. Lobjectif nest pas daffirmer de manire lapidaire que la France est, ou nest pas, un pays raciste. Cela naurait pas de sens et ne recouvrirait aucune ralit. Il sagit plutt dvaluer les perceptions et les attitudes vis--vis du racisme, danalyser les opinions lgard de lautre , que ce soit du fait de son origine, sa religion ou sa couleur de peau, et de comprendre comment ces diffrentes attitudes et opinions sarticulent entre elles ou avec dautres lments. Le deuxime chapitre est quant lui consacr aux diffrentes manifestations du racisme en France. Dans la seconde partie consacre la lutte contre le racisme, la CNCDH sest attach rapporter les lments issus de la consultation la fois des pouvoirs publics (ministres) et de la socit civile (ONG et syndicats). La Commission dresse un tableau des diffrentes mesures mises en uvre et des bonnes pratiques susceptibles damliorer la lutte contre le racisme. Lensemble de ces lments contribuent dresser un tableau le plus complet possible de la lutte contre le racisme en France.

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Introduction

PREMIRE PARtIE

tAt deS lIeux: le rAcISme, lANtISmItISme et lA xNoPhobIe eN FrANce

chapitre 1

Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

Prsentation de lenqute dopinion et lments danalyseCNCDHAussi prcieuses que soient les statistiques ou les donnes chiffres tablies par les diffrents ministres et les associations qui observent les manifestations de racisme, dantismitisme, de xnophobie et de discrimination raciale, il est ncessaire, pour avoir une vision plus juste de ces phnomnes en France, de les complter par une approche de nature plus sociologique. Depuis 1990, la CNCDH procde donc une enqute sur ltat de lopinion publique en France lgard des phnomnes de racisme, de xnophobie et de discrimination. Ces phnomnes peuvent en effet tre valus, sinon mesurs, grce aux opinions exprimes par les personnes rsidant en France et les attitudes qui transparaissent dans leurs rponses aux questions poses dans un sondage. En matire de racisme, dantismitisme et de xnophobie, la perception du phnomne par lopinion publique, eu gard son caractre subjectif, est toute aussi importante que la ralit des faits et des chiffres. En effet avant de sexprimer au travers de comportements objectivement observables et quantifiables (injures, menaces, dgradations, actions violentes), le racisme salimente dune part importante dirrationnel, de prjugs et dattitudes lgard de lautre (quil soit tranger, immigr, Franais dorigine trangre ou personne dune religion diffrente). Lenqute dopinion commande par la CNCDH tente de donner la mesure de ces attitudes. Elle essaye de comprendre de quelle manire se construisent les systmes de rfrences et sarticulent les diffrentes prises de position. Il sagit de proposer une sorte de photographie de lopinion publique en matire de racisme, dantismitisme et de xnophobie, en ayant bien lesprit que les opinions mesures ne prjugent pas de comportements de rejet ou de discrimination raciale, qui peuvent tomber sous le coup de la loi.

Sur la mthodeComme par le pass, la CNCDH a choisi la technique du sondage pour recueillir ces donnes sur lopinion publique. La Commission est consciente des imperfections de lexercice et des dbats quil peut susciter. Afin de pallier les diffrentes limites pouvant dcouler de la technique du sondage, la CNCDH sentoure dun certain nombre de garanties.

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Lchantillon, tout dabord, est construit partir de la technique des quotas. Il est reprsentatif de la population rsidant en France mtropolitaine et ge de plus de 18 ans, 1 033 personnes ont t interroges ce qui assure aux donnes une significativit statistique correcte, en rduisant la marge derreur 1. Le questionnaire ensuite, les questions poses ne sont pas cres de toute pice. Elles ont t discutes par les membres de la Commission, avec linstitut de sondage ; beaucoup sont issues de grandes enqutes sociologiques et leur pertinence a t teste par des chercheurs. Les questions du sondage reprennent, sous une forme moins brutale, les strotypes et les prjugs courants que lon peut entendre lorsque lon explore les reprsentations des autres partir dentretiens approfondis ou de questions ouvertes ; ou encore ceux que lon peut entendre dans le discours public. En outre, dautres propositions qui soulignent lapport que reprsente limmigration pour la socit ou encore la ncessit du combat contre le racisme sont galement soumises au jugement des personnes interroges. Les questions ne sont jamais formules dans un sens univoque qui risquerait de consolider, voire de crer, des prjugs racistes et xnophobes. Lobjectif du sondage nest pas de piger les personnes interroges, les questions ninsinuent rien, elles demandent aux personnes interroges de se situer, dans un sens ou dans un autre, par rapport diffrentes propositions. Enfin, dans lanalyse et linterprtation des rsultats, la CNCDH cherche viter que certaines donnes chiffres ou que certaines volutions de tendances soient interprtes de manire isole ou hors contexte. Lanalyse ne sarrte pas des moyennes brutes un moment donn, elle cherche croiser les rponses entre elles, mettre en lumire leurs principes de cohrence, et comparer les volutions dans le temps. Lintrt du sondage de la CNCDH tient principalement son effet baromtrique permettant de mettre en perspective les rsultats avec ceux des annes prcdentes et doffrir ainsi au lecteur un tableau de comparaison, sans exclure lintroduction de nouvelles questions, refltant les problmatiques actuelles au sein de la socit franaise. Le travail ralis par Nonna Mayer, Guy Michelat et Vincent tiberj met particulirement en lumire cette dimension baromtrique et fournit une analyse croise et approfondie des rsultats. Le sondage constitue donc un outil prcieux pour amliorer la connaissance du racisme et de ses mcanismes.

1. En statistiques, la marge derreur est une estimation de ltendue de la variation des rsultats dun sondage si lon recommence lenqute. Plus la marge derreur est importante, moins on peut estimer que les rsultats du sondage sont proches de la ralit. La marge derreur se calcule partir de la taille de lchantillon. On estime qu partir de 950 individus sonds la marge derreur est acceptable.

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

racisme, xnophobie, discrimination: de quoi parle-t-on ?Dans le sondage, les rsultats dune question attirent traditionnellement lattention ; le sentiment personnel dtre raciste ou pas, recueilli dans les termes suivants: En ce qui vous concerne personnellement, diriez-vous de vous-mme que vous tes: plutt raciste (7%) / un peu raciste (19%) / pas trs raciste (23%) / pas raciste du tout (49%) ? . Abondamment repris par les mdias, ces rsultats se prtent pourtant mal un commentaire rapide ; cette question en effet ne doit tre analyse quen relation avec les rponses donnes aux autres questions du sondage. Cela est dautant plus vrai quil nexiste pas chez les personnes interroges de dfinition commune du racisme, comme le rvlent les rponses la question ouverte qui invite les sonds fournir leur propre dfinition du racisme. On observe une grande varit de dfinitions du racisme, mais le plus souvent il est associ un rejet des autres, en particulier des trangers. Ainsi 31% des personnes interroges assimilent le racisme la xnophobie. De manire plus gnrale, lenqute montre que le plus souvent elles apprhendent la notion de racisme comme le refus de lautre en raison de sa diffrence, laquelle peut stablir sur une grande varit de critres (couleur de peau, nationalit, religion, culture, orientation sexuelle, etc). Le racisme est donc dfini dans un sens trs large. Les rsultats montrent que la perception de son propre racisme par les personnes interroges dpend du sens que chacun donne au terme racisme. Ces prcautions poses, il convient tout de mme de noter que la proportion de personnes dclarant ne pas tre raciste du tout est en baisse pour la deuxime anne conscutive: 49% en novembre 2011, 50% en janvier 2011 contre 54% en novembre 2009. En parallle, le niveau de racisme assum est en hausse: 7% des personnes interroges novembre 2011 se dclarent plutt racistes , contre 4% en janvier 2011. Ces rsultats doivent tre rapprochs des autres rsultats de lenqute, qui tmoignent dune certaine monte de lintolrance dans la socit franaise (voir les derniers paragraphes de cette analyse). Si lapprhension du racisme est trs diverse, on observe en revanche un assez large consensus, dans les rponses une question ouverte 2, sur les principales cibles du racisme: il sagit des personnes originaires des pays du Maghreb ou les musulmans (47%), suivies de personnes dorigine africaines ou noires (30%), puis les trangers de manire gnrale (29%). On remarque que les Franais sont cits en cinquime position2. La question est pose de la manire suivante: Quelles sont, votre avis, les principales victimes de racisme en France ? , aucune propositions de rponses nest donne, les personnes interroges rpondent comme elles le souhaitent. Les catgories mentionnes dans ce paragraphe sont donc celles utilises par les sonds eux-mmes. Pour avoir plus de dtails sur les rponses, il convient de se reporter aux tableaux figurant en annexe.

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comme victimes de racisme (8% des personnes interroges jugent que les Franais sont les principales victimes de racisme en France ). noter, en lespace de deux ans, et sans doute dans le sillage des vnements de lt 2010, la progression de la part des personnes qui estiment que les tsiganes, Roms et gens du voyage sont les principales victimes de racisme en France : 10% en novembre 2011 contre 3% en novembre 2009. Afin de mieux comprendre comment le racisme peut-tre peru, deux questions ont t poses sur le racisme vcu: celle de savoir si les personnes interroges pensent avoir t victimes de racisme au cours des cinq dernires annes et celle de la raison de ce comportement raciste leur gard. Une trs large majorit des personnes interroges (73%) pense navoir jamais t victime de racisme. Seuls 4% des sonds dclarent tre souvent victimes de racisme et 17% le sont parfois . Parmi ceux qui dclarent navoir jamais t victimes de racisme, 74% sont de nationalit franaise, alors que la proportion tombe 44% pour les personnes de nationalit trangre. Relevons que les Franais dont les parents et grands-parents sont galement franais sont 79% dclarer navoir pas t victimes de racisme, alors que seulement 43% des Franais ayant au moins un ascendant tranger non europen dclarent la mme chose ; ces Franais dorigine trangre se disent tre souvent victimes de racisme. Les personnes qui dclarent avoir t lobjet de comportements racistes souvent ou parfois attribuent ces comportements leur nationalit (34%) ou leur couleur de peau (29%) et dans une proportion plus faible leur religion (9%).

dans un contexte gnral dinscurit, la banalisation du racisme ?Le fait quune trs large majorit des personnes vivant en France estime ne pas avoir t victimes de racisme est un lment rassurant sur le fonctionnement de notre socit. Il vient aussi clairer les rponses dautres questions du sondage. Il peut tre mis en relation avec le fait que seuls 9% des personnes interroges citent le racisme comme tant lune de leurs principales craintes pour la socit franaise (en baisse constante depuis 2004), il apparat en sixime position, loin derrire le chmage (62%), la crise conomique (57% ; +14 point par rapport janvier 2011), la pauvret (50%, +12 points) et linscurit (35%, en hausse constante depuis 2009) 3. Les personnes interroges nayant elles-mmes pas eu affronter de comportements racistes, se montrent plus proccupes par des menaces qui leur semblent plus imminentes et plus concrtes (la perte demploi, la baisse du pouvoir dachat ou la dlinquance). Le racisme ne3. total suprieur 100%, les personnes interroges ayant pu donner trois rponses.

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

semble pas les toucher directement ; il est peru comme une menace plus thorique qui est susceptible dbranler la socit en gnral, mais qui reste sans impact sur leur quotidien. Pour autant, 87% des sonds estiment que le racisme est une chose rpandue (28% trs rpandue , 59% assez rpandue ). Par ailleurs, 58% des personnes interroges estiment que certains comportements peuvent parfois justifier des ractions racistes (87% chez les personnes se dclarant plutt racistes et 85% chez celles se dclarant un peu racistes , contre 36% pour les personnes pas racistes du tout ). la lecture de ces diffrents rsultats, mais aussi des contributions ministrielles et associatives, on peut sinterroger sur une tendance une certaine banalisation du racisme. Si la trs grande majorit des personnes interroges peroit le racisme comme une attitude rprhensible, socialement non admise (les trois quart de lchantillon considrent que les propos racistes doivent tre condamns et jugent graves les comportements discriminatoires), on constate toutefois certains ajustements qui tendent minorer le phnomne: le terme est vid de son sens. Il est compar dautres phnomnes jugs plus graves: le phnomne raciste est peru comme rpandu, mais il nest pas identifi comme une menace pour lindividu ni comme un pril pour la socit. Cette apprhension du racisme ne peut se comprendre que si lon garde lesprit quelle sinscrit dans un contexte plus gnral de perception globalement ngative et pessimiste de la socit franaise ; les sonds semblent en effet trs marqus par les proccupations conomiques et scuritaires qui tourmentent la socit. Un premier lment qui ressort de la lecture des rsultats des enqutes concerne linfluence des vnements et du contexte actuel dans la perception, par le public interrog, des phnomnes et attitudes racistes et xnophobes. lissue dune anne difficile marque par la confirmation des consquences de la crise financire et bancaire internationale dans lconomie relle, la crise de lEuro et par la monte du chmage, la crise conomique, le chmage et la pauvret sont voqus comme les premiers facteurs anxiognes dans la population. Or, comme cela a pu tre montr dans diverses tudes scientifiques, les attitudes racistes et xnophobes restent fortement lies ces inquitudes socio-conomiques, et on constate en effet que les personnes dfavorises conomiquement ou les personnes les moins diplmes ont plus tendance se dclarer racistes (28% des personnes de catgories socioprofessionnelles dfavorises se dclarent plutt ou un peu racistes, contre 20% parmi les catgories socioprofessionnelles plus aises, 35% des personnes sans diplme se dclarent racistes contre 22% parmi les titulaires du bac et 14% parmi les titulaires dun bac +2).

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Cette anne, aux craintes conomiques viennent sajouter des craintes plus scuritaires: 35% des personnes interroges citent linscurit comme une de leurs principales craintes (contre 28% en janvier et 22% en novembre 2009) Cette inscurit est triple: inscurit conomique et sociale, inscurit cause par les questions identitaires et inscurit physique. Ces proccupations scuritaires semblent associes par une proportion importante de personnes interroges limmigration et une perception de replis communautaristes. Ainsi, linscurit sociale se manifeste par des crispations accrues vis--vis dun modle social jug comme trop favorable aux immigrs. Linscurit identitaire ressentie par certaines des personnes interroges invite tre particulirement vigilants tant certains indicateurs semblent indiquer les prmices dun rejet plus important du multiculturalisme, peru comme un risque atteinte lidentit de la France.

une vision segmente de la socit franaiseLes rsultats de lenqute rvlent que les personnes interroges ont, comme en 2010, une perception ngative de la socit franaise actuelle: elles semblent partager une vision dgrade des relations entre les individus en France. Elles dplorent une fragmentation de la socit deux niveaux: conomique et social dune part, entre communauts dautre part. Ce sentiment est renforc par les vnements politiques des dernires annes: dbats sur lidentit nationale, sur linterdiction du voile intgral, sur la dchance de la nationalit, sur limmigration, sur la situation des Roms en France, sur les prires de rue ; ces diffrents lments viennent soutenir limpression dune fragilit de la socit franaise. Leur accumulation sur une courte priode donne penser que la question des trangers en France et de leur intgration est devenue un vritable problme et quaujourdhui la question de la diffrence est de plus en plus visible et de moins en moins accepte. Ds lors, la quasi-totalit des personnes interroges estime quil existe aujourdhui une profonde remise en cause du vivre ensemble dans la socit franaise. Sur ce point, les rsultats du sondage interpellent: pour la deuxime anne conscutive lide que certaines populations forment des groupes part dans la socit va grandissant. Ainsi, le sentiment que les musulmans forment un groupe part dans la socit a augment de 7 points en deux ans (51% en novembre 2011, 48% en janvier 2011 contre 44% en 2009) ; il en va de mme pour ce qui concerne les Maghrbins (+7 points) et les Asiatiques (+9 points). toutefois, la majorit des personnes interroges considre que les diffrentes catgories de la population cites ne forment pas des groupes part : quelle que soit la catgorie, plus de 50% des sonds considrent quelles ne forment pas un groupe

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

part ; lexception des gens du voyage qui sont toujours perus comme un groupe part dans la socit franaise (pour 72% des sonds, stable par rapport la prcdent enqute), et des Roms qui sont considrs comme formant un groupe part pour 77% des sonds (+9 points). En ce qui concerne lintgration, un lment non ngligeable est confirm cette anne: plus de la moiti des personnes interroges (57%) considrent que lintgration des personnes dorigine trangre fonctionne mal en France. Et parmi ceux qui constatent un chec de lintgration 62% dentre eux estiment que cet chec est imputable aux personnes dorigine trangre et non pas la socit. On note ce sujet que 89% des personnes interroges estiment qu il est indispensable que les trangers qui viennent vivre en France adoptent les habitudes de vie franaise .

une socit plus intolrante ?Ce contexte gnral nest pas de nature favoriser une apprhension sereine de ltranger. On constatait lan pass une relative dgradation des perceptions de l autre , immigr ou personne dorigine trangre ; alors que lon notait depuis trois annes conscutives un reflux de lintolrance. En examinant les rsultats de lenqute de cette anne et la lecture de lanalyse quen font Nonna Mayer, Guy Michelat et Vincent tiberj, on peut estimer que lvolution esquisse lan pass se trouve renforce cette anne. Bien plus, nassiste-t-on pas un renversement de tendance: une monte du rejet des trangers, des immigrs et des musulmans plus profonde que la pousse de fivre xnophobe de la fin de lanne 2005 ? Cette progression de lintolrance est en tout cas proccupante et appelle la plus grande vigilance. 59% des personnes interroges estiment cette anne qu il y a trop dimmigrs en France , soit une augmentation de 3 points par rapport janvier 2011 et de 12 points par rapport 2009. Un coup dil sur les catgories de personnes qui affirment qu il y a trop dimmigrs aujourdhui en France est rvlateur des tendances rcentes: 72%, soit le taux le plus lev, chez les personnes sans diplme, 58% parmi les catgories socioprofessionnelles les plus fragiles, 51% chez les chmeurs, 85% chez les sympathisants de droite et, enfin, 66% chez ceux qui ne comptent pas ou comptent peu dtrangers dans leur commune. Force est de constater que tous ces pourcentages sont en augmentation par rapport janvier 2011, o lon avait dj constat une nette augmentation par rapport novembre 2009. Paralllement ce constat, une majorit des personnes interroges, soit prs des deux tiers de la population (69%), continue avoir le sentiment que le nombre dimmigrs a augment au cours des dix dernires annes. Cette proportion doit tre considre la lumire

CNCDH

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de linquitude ambiante, gnre par la crise conomique, le chmage et la prcarit. Ainsi, parmi les 59% de personnes qui pensent quil y a trop dimmigrs en France, 57% ont le sentiment que cela pose un problme pour lemploi et le niveau de chmage. On note par ailleurs une baisse (5 points en deux ans) du nombre de personnes qui estiment que les travailleurs immigrs doivent tre considrs ici comme chez eux puisquils contribuent lconomie franaise . toutefois, cette affirmation recueille toujours lassentiment dune large part de la population (76%). la lecture des rsultats du sondage, il semble que limmigration est perue cette anne plus quauparavant comme pouvant tre source de dangers pour la France: les prjugs selon lesquels les immigrs vivraient en fraudeurs et en parasites de la socit sont en augmentation. Ainsi, 70% des interviews (+3 points par rapport janvier et +8 points par rapport 2009) estiment que de nombreux immigrs viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale , et parmi ceux qui considrent quil y a trop dimmigrs en France, 29% pensent que cela pose problme pour lquilibre des comptes sociaux . Enfin, prs de la moiti des personnes interroges (48% soit une augmentation de 4 points par rapport janvier et de 12 point par rapport 2009) jugent que limmigration est la principale cause de linscurit en France .

Persistance de la mfiance lgard des musulmansLes rsultats de lenqute ralise cette anne viennent confirmer le constat tabli depuis deux ans: lislam et les musulmans souffrent dune perception ngative de la part des personnes interroges. En effet, si une large part des sonds (72%) pense que les Franais musulmans sont des Franais comme les autres, cette proportion est en baisse de 4 points et cette baisse est continue depuis 2009. On note par ailleurs une certaine mfiance lgard de la religion musulmane. Ainsi, cette religion nvoque-t-elle quelque chose de positif que pour 29% des personnes interroges. De toutes les religions, cest celle qui suscite le plus dimages ngatives, avec un niveau dopinions positives infrieur de 6 points celui de la religion juive et de 15 points celui de la religion catholique. On notera galement que certaines pratiques suscitent, comme par le pass, des sentiments de mfiance. Le port du foulard continue poser problme pour 75% des personnes interroges (+7 points par rapport janvier 2011).). Il faut noter que si lon voque plus prcisment du port du voile intgral , la proportion de ceux qui estiment que cela pose problme grimpe 90%. Dautres pratiques rituelles suscitent un certain rejet comme par exemple le sacrifice du mouton de lAd-elKebir (37% ; +3 points). Une hausse du taux de mfiance est constate

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

lgard des prires (34%, +4 points). Peut-tre des discours assimilant les prires dans la rue une occupation de lespace public ou encore le dbat sur la lacit qui sest focalis sur cette question ont-ils jou un rle. On constate une mfiance lgard des populations musulmanes qui trouve sa source dans linquitude exprime par les sonds quant la volont dintgration des personnes pratiquant la religion musulmane dans la socit franaise, voire de lincompatibilit des pratiques musulmanes avec les pratiques culturelles franaises. Dans son prcdent rapport, la CNCDH sinterrogeait sur une monte de lintolrance en France, hsitant affirmer clairement lexistence dune telle tendance relle partir des seules donnes des enqutes de lanne 2010. La lecture des rsultats de lenqute dopinion de lanne 2011 ne donne pas une vision trs optimiste des attitudes des personnes vivant en France lgard du racisme. Le phnomne est banalis, les immigrs et les musulmans sont perus de manire plus ngative que par le pass et le systme dintgration la franaise semble ne pas avoir atteint ses objectifs, avec un risque de remise en cause de la possibilit dun vivreensemble dans la socit franaise. Aprs avoir constat sur une priode de vingt ans le recul de lintolrance et des prjugs, la dynamique dune plus grande ouverture sur le monde et sur les autres semble stoppe. Pour la premire fois, la trs grande part des indicateurs disposition sont inquitants sur deux annes conscutives, comme si le phnomne sancrait dans la dure. Cette volution sur deux annes conscutives est proccupante. La crise conomique que traversent la France et lEurope peut expliquer une partie de cette volution, mais lconomie elle seule ne peut expliquer cette hausse continue de lintolrance depuis deux ans. Ce phnomne trouve aussi sa source dans un contexte politique national peu propice louverture vers lautre : travail de ddiabolisation du parti dextrme-droite, dbats sur lidentit nationale et la lacit, durcissement des politiques migratoires Dans ce contexte, et alors que souvre en France une priode lectorale importante (lections prsidentielle et lgislative), la CNCDH se montrera trs vigilante. Elle rappelle au gouvernement et aux personnels politiques quil convient demployer des propos modrs et respectueux de la dignit de chacun, en particulier dans les discours politiques sur limmigration, lintgration, linscurit ou portant sur des populations particulires.

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Prsentation des rsultats de lenqute dopinionInstitut CSA la demande de la Commission nationale consultative des droits de lhomme et du Service dinformation du Gouvernement, linstitut CSA a ralis un sondage en face face, du 28novembre au 5dcembre 2011, auprs de 1033 personnes ges de 18 ans et plus, rsidant en France, constitu daprs la mthode des quotas (sexe, ge, profession du chef de mnage), aprs stratification par rgion et catgorie dagglomration. Si le principe de la lutte contre le racisme demeure largement dfendu et les discriminations lencontre des minorits rprouves, cette nouvelle vague dinterrogation de dcembre 2011 confirme une recrudescence des opinions hostiles limmigration, voire xnophobes. Cette enqute rvle aussi la perception de replis communautaristes et son corollaire dune intgration en panne dont la responsabilit apparat de plus en plus attribue aux trangers eux-mmes plutt qu la socit.

Un contexte marqu par le primat des proccupations conomiques et socialesLe chmage demeure la principale crainte des personnes interroges pour la socit franaise, devant la crise conomique et la pauvret, en forte progressionLes proccupations dordre socio-conomique apparaissent encore plus prioritaires que lors de la prcdente enqute. Comme dans cette dernire, le chmage constitue la principale crainte des interviews pour la socit franaise, avec 62% qui le citent parmi leurs trois premires proccupations (+2 points). En forte progression du fait de lactualit de ces derniers mois, la crise conomique arrive en deuxime position avec 57% de citations (+14). Les Franais anticipant sans doute les consquences sociales venir de la crise conomique, la pauvret progresse galement trs sensiblement (50%, +12). En quatrime place, linscurit est quant elle cite par 35% des personnes interroges (+7 par rapport janvier 2011 et mme +13 par rapport novembre 2009). linverse, la crainte du terrorisme baisse fortement (9%, 17). Notons en parallle la stabilit de limmigration, avec 10% de citations, tandis que la crainte lgard du racisme apparat son plus bas niveau depuis 1999 (9%, 2).

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

Il est intressant dobserver sur ce point que les craintes lgard de limmigration et du racisme se manifestent dans des catgories dge et des segments politiques opposs. Limmigration proccupe ainsi davantage les 50 ans et plus (14%, contre 6% parmi les moins de 30 ans et 7% parmi les 30-49 ans), tandis que le racisme proccupe avant tout les moins de 30 ans (19%, contre 9% parmi les 30-49 ans et 7% parmi les 50 ans ou plus). De mme, limmigration inquite 16% des sympathisants de droite, contre 5% de ceux de gauche, tandis que le racisme suscite les craintes de seulement 1% des premiers, contre 14% des seconds. Se manifeste ainsi lopposition entre luniversalisme dominant gauche et la tendance la fermeture au monde et la dfense de lidentit franaise dune partie de llectorat de droite. Graphique 1 Pouvez-vous me dire quelles sont vos principales craintes pour la socit franaise ? En pourcentages sur total des rponses61 57 51 52 50 43 44 39 39 36 33 28 30 27 16 10 8 3 0 23 18 14 10 10 11 11 14 19 16 16 14 41 38 32 32 24 24 21 19 17 13 8 4 8 8 6 9 2 10 8 3 27 22 21 23 28 22 16 40 37 39 35 29 23 26 24 21 15 10 11 9 7 2 4 12 11 8 2 7 0 1 11 11 10 6 3 13 11 10 10 9 9 88 2 22 26 28 38 35 58 52 48 49 43 44 50 60 60 62 57

47

49

34

16 12

8

Rappel Dc. 1999

Rappel Oct. 2000

Rappel Nov. 2001

Rappel Dc. 2002

Rappel Dc. 2003

Rappel Dc. 2004

Rappel Nov. 2005

Rappel Nov. 2006

Rappel Nov. 2007

Rappel Nov. 2008

Rappel Nov. 2009

Rappel janv. 2011

Le chmage La pauvret La crise conomique Linscurit

Le terrorisme Le racisme Lintgrisme religieux

L'immigration La perte de lidentit de la France Lantismitisme

Une dfinition stable de lattitude racisteLes dfinitions que donnent les personnes interroges au terme raciste sont trs proches de celles observes en janvier dernier. Les interviews citent ainsi en premier des lments relatifs la xnophobie et au rejet de ceux qui viennent dun autre pays (31%).

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Dcembre 2011

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Viennent ensuite le rejet de la diffrence (21%), lexpression de sentiments ngatifs comme par exemple lintolrance, la peur de lautre et le sentiment de supriorit (19%), le rejet dun physique diffrent du sien (18%), le rejet dune race, dune ethnie (11%) et le rejet dune autre religion que la sienne (10%).

La confirmation de la perception dun regain du racisme en France depuis 2008Lenqute confirme la perception dun regain du racisme dans lhexagone depuis 2008. La proportion de personnes interroges estimant que le racisme est rpandu en France est en effet passe de 76% en 2008 84% en 2009 et 87% en janvier 2011, ce score tant nouveau observ en dcembre 2011, soit une hausse de 11 points en trois ans. Les Franais confirment donc leur sentiment que les crispations et tensions de la priode actuelle sont susceptibles dengendrer un regain du racisme. En effet, alors que le taux tait la baisse depuis 2006 et avait atteint son plus faible niveau en novembre 2008, cette vague confirme la croissance observe depuis 2009, avec notamment un renforcement du sentiment que le racisme est trs rpandu (17% en 2008, 19% en 2009, 26% en janvier 2011 et 28% en dcembre 2001). Dautre part, interrogs sur les principales victimes de racisme en France, les enquts citent 47% les Nord Africains et les musulmans et 30% les Africains et les noirs . Les perceptions sur ce point nont pas volu depuis la dernire enqute. Graphique 2 Diriez-vous quen ce moment, le racisme est en France trs rpandu, plutt rpondu, plutt rare ou trs rare ? En pourcentages.Rpandu91 88 88

dont : Trs rpandu87 90 88 88 81 76 87

84

87

29

28

34 26 25 25

27

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Un niveau de racisme assum en hausseAlors quen janvier 2011 seuls 4% des personnes interroges avouaient tre plutt racistes , elles sont dsormais 7% en dcembre, soit une progression statistiquement significative. Prs dun Franais sur quatre (19%) se dclare un peu raciste (1), tandis que 23% se disent pas trs racistes (1) et 49% pas racistes du tout (1). Notons que le niveau de racisme assum slve avec lge. Il est en effet plus lev parmi les 50 ans ou plus (11%) que parmi les 30-49 ans (5%) et les moins de 30 ans (3%). Il baisse linverse avec laugmentation de la proportion dtrangers dans la commune de rsidence des personnes interroges, avec 10% qui dclarent tre plutt racistes dans les communes o le taux dtrangers est infrieur 5%, contre 5% dans celles o il est de 5 moins de 9% et 4% dans celles o il est de 9 35%. Graphique 3 En ce qui vous concerne personnellement, diriez-vous de vous-mme que ? En pourcentages.52 49 48 45 44 40 48 54 50 49

31 28 26

33 28 23 22 25 25 24 21 21 25 23 23 21 18 19 20 24 23 24 22 23 19

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12 11 4 9 8 7

6

5 3 4

7

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Rappel Dc. 2003

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Rappel Nov. 2009

Vous tes plutt raciste Vous n'tes pas trs raciste

Vous tes un peu raciste Vous n'tes pas raciste du tout

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Rappel Nov. 2006

Rappel Nov. 2008

Rappel Janv. 2011

Rappel Fev. 2006

Rappel Nov. 2007

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Une recrudescence confirme des rcriminations lencontre de limmigrationUne vision de plus en plus atomise de la socit franaiseAlors que la vague denqute de 2009 avait t marque par une vision lgrement moins segmente de la socit de la part des Franais par rapport aux annes prcdentes, lenqute de janvier 2011 semblait enregistrer un retournement. Ce dernier est confirm voire amplifi: la quasi-totalit des groupes tests en fin danne 2011 sont davantage perus quen janvier 2011 comme constituant un groupe part. Les populations les plus perues comme des groupes part dans la socit franaise sont les Roms (77%, +11) et les gens du voyage (72%, inchang). Suivent les Maghrbins (40%, +5), les Asiatiques (38%, +6), et les noirs (21%, +2). Concernant les communauts religieuses, ce sont les musulmans (51%, +3) qui sont les plus considrs comme formant un groupe part dans la socit, devant les juifs (25%, +2), les protestants (10%) et les catholiques (6%, 3). Notons enfin que les homosexuels sont jugs comme constituant un groupe part par 19% des personnes interroges (2). Graphique 4 Pour chacune des catgories suivantes, dites-moi si elle constitue pour vous actuellement en France ? Pourcentages de Un groupe part .84 74 63 57 48 36 32 19 11 13 7 14 8 57 51 41 35 26 54 57 49 35 34 29 27 37 32 29 26 23 48 43 37 34 28 27 24 16 7 48 44 40 37 31 21 18 10 33 29 18 17 10 35 32 25 21 19 10 6 40 38 25 21 19 10 6 48 51 76 69 72 66 77 72

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Rappel Nov. 2006

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Les gens du voyage Les musulmans Les maghrbins

Les juifs Les asiatiques Les noirs

Les homosexuels Les catholiques Les antillais

Les africains Les roms Les protestants

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Dcembre 2011

Rappel Nov. 2009

Dans le dtail, le sentiment que ces diffrentes catgories forment des groupes part dans la socit saccrot sensiblement avec lge. Ainsi, le sentiment que les Maghrbins constituent un groupe part est par exemple partag par 23% des moins de 30 ans, 34% des 30-49 ans et 50% des 50 ans et plus. En outre, les personnes les moins diplmes se reprsentent davantage que les plus diplmes la socit franaise comme laddition de groupes isols. Par exemple, les Maghrbins sont ainsi perus comme un groupe part par 47% des personnes peu ou pas diplmes contre 35% des titulaires dun diplme de niveau Bac +2.

La perception dune intgration en panne, avec une responsabilit de plus en plus impute aux trangers eux-mmes plutt quau reste de la socitInterrogs sur le fonctionnement de lintgration des personnes dorigine trangre, 57% des enquts considrent quelle fonctionne mal (2), dont 40% assez mal et 17% trs mal. 41% expriment un jugement contraire. En outre, la responsabilit de ce mauvais fonctionnement est nettement plus impute aux trangers qu la socit. 62% des interviews jugent en effet que ce sont avant tout les personnes dorigine trangre qui ne se donnent pas les moyens de sintgrer. Seules 27% pensent que cest avant tout la socit franaise qui ne donne pas les moyens aux personnes dorigine trangre de sintgrer. Soulignons que ce rejet de la responsabilit sur les trangers a progress de 14 points depuis 2008. Graphique 5 Selon vous, en France, lintgration des personnes dorigine trangre fonctionne-t-elle trs bien, assez bien, assez mal ou trs mal ? En pourcentages.Ne se prononce pas 2 % (-3) Trs mal 17 % (+3) Assez bien 34 % (+2) Assez mal 40 % (-5)

Trs bien 7 % (+3)

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Graphique 6 Laquelle de ces deux phrases se rapproche le plus de ce que vous pensez ? En pourcentagesNe se prononce pas 7%

C'est avant tout la socit franaise qui ne donne pas aux personnes d'origine trangre les moyens de s'intgrer 27%

Ce sont avant tout les personnes d'origine trangre qui ne se donnent pas les moyens de s'intgrer 62 %

On mesure peut-tre ici les effets sur le public des changements dans le cadrage politique et mdiatique de la question de lintgration. Durant les trois dernires annes, le discours consistant insister sur la ncessit pour les trangers de faire davantage defforts pour sintgrer a en effet eu tendance prendre de lampleur mdiatiquement au dtriment de celui insistant sur la ncessit pour la socit de donner aux trangers les moyens de sintgrer. Ds lors, ce cadrage a pu inciter une partie des citoyens changer dopinion et attribuer les problmes dintgration aux trangers eux-mmes plutt qu la socit. En outre, lorsquils couvrent ces questions, les mdias (et en particulier la tlvision) privilgient souvent un traitement pisodique, en se contentant de dcrire des situations individuelles, un traitement thmatique, qui consisterait insister sur les causes socitales des difficults dintgration. Or, des recherches universitaires montrent que le cadrage pisodique des problmes publics par les mdias incite les citoyens en attribuer la responsabilit aux individus plutt qu la socit 4. ces deux phnomnes sajoutent videmment le contexte conomique et les inquitudes en matire sociale qui taraudent les Franais et peuvent inciter une partie dentre eux adopter des opinions plus critiques lgard des immigrs.

4. Voir notamment Shanto Iyengar, Is anyone responsible ? How television frames political issues, Chicago, the University of Chicago Press, 1991.

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

Notons par ailleurs que limputation de la responsabilit aux trangers augmente ici aussi avec lge. Elle concerne en effet 48% des moins de 30 ans, 57% des 30-49 ans et jusqu 70% des 50 ans ou plus. Cette attribution diminue linverse avec le niveau de diplme (68% parmi les sans diplme/Primaire et les BEPC/CAP/BEP, 61% parmi les niveaux Bac, 49% parmi les Bac +2 et 45% parmi les plus de Bac +2). Cette opinion est en outre nettement plus rpandue parmi les citoyens se positionnant droite (85%) que parmi ceux qui se positionnent gauche (45%). Enfin, elle diminue avec le taux dtrangers dans la commune de la personne interroge (avec 69% dans les communes o la proportion dtrangers est la plus faible et 51% dans celles o elle est la plus forte). Tout se passe donc comme si le fait de ctoyer des trangers et de mieux connatre leur situation incitait les rendre moins responsables du mauvais fonctionnement de lintgration.

Le renforcement du sentiment quil y a trop dimmigrs en FranceLa vision de plus en plus atomise de la socit franaise et la perception dune intgration en panne saccompagnent dun renforcement trs prononc du sentiment quil y a trop dimmigrs aujourdhui en France. En effet, 59% des personnes interroges se dclarent tout fait daccord (34%, +7 par rapport janvier 2011) ou plutt daccord (25%, 4) avec cette opinion, soit une progression de 12 points par rapport 2009. Cette question est en outre trs clivante. Les personnes ges de 50 ans et plus (71%) la partagent ainsi nettement plus que les moins de 30 ans (51%) et les 30-49 ans (48%). Quant aux catgories socioprofessionnelles les moins favorises (58%), elles partagent plus frquemment cet avis que les catgories socioprofessionnelles suprieures (43%). Il apparat galement que moins les enquts sont diplms, plus ils pensent quil y a trop dimmigrs aujourdhui en France. Cest en effet le cas de 39% des plus de Bac +2, 38% des niveaux Bac, 52% des niveaux Bac, 69% des BEPC/CAP/ BEP et 72% des sans diplme/Primaire. Les catholiques (69%) expriment davantage cette opinion que les personnes dune autre religion (45%) ou sans religion (45%). Par ailleurs, les individus qui se situent droite (85%) sont beaucoup plus de cet avis que ceux se situant gauche (40%). Enfin, les personnes de nationalit trangre sont elles-mmes 45% partager cette opinion. Dans le mme temps, 55% des enquts considrent quaujourdhui on ne se sent plus chez soi comme avant (dont 30% tout fait daccord et 25% plutt daccord), soit une hausse de 14 points par rapport novembre 2009 et de 5 points par rapport janvier 2011. Notons que les personnes qui dclarent que le nombre dimmigrs est trop important dans lhexagone sont 57% considrer que cela pose surtout problme pour lemploi et le niveau de chmage en France (inchang), 29% citant lquilibre des comptes sociaux (2) et 20% la scurit (inchang). Alors que les emplois occups par les trangers concernent assez souvent des postes dlaisss, dans des domaines caractriss par

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une pnurie de main-duvre, la crise conomique et les angoisses sociales autour de la peur de perdre son emploi ou de ne pas en trouver alimentent ainsi la crainte que les immigrs occupent des emplois qui auraient pu ltre par des Franais.

La perception en hausse que le nombre dimmigrs a augment au cours des dix dernires annesPlus de deux tiers des personnes interroges (69%, +5) estiment que le nombre dimmigrs en France a augment au cours des dix dernires annes, contre 4% qui pensent quil a diminu (+1) et 21% quil est rest stable (5). Cette perception dune hausse du nombre dimmigrs est particulirement forte parmi les 50 ans et plus (76%), les milieux populaires (69%), les sans diplme/Primaire (77%), les catholiques (76%) et les citoyens sautopositionnant droite (89%). Parmi les personnes qui ont le sentiment quil y a plus dimmigrs en France aujourdhui quil y a dix ans, 72% ont le sentiment que cela rend plus difficile la situation des personnes comme elles qui vivent en France , soit une hausse de 11 points par rapport janvier 2011 et de 18 points par rapport novembre 2009. Ce sentiment dune situation rendue plus difficile est surtout partag par les interviews gs de 50 ans et plus (78%), les employs et les ouvriers (72%), les retraits (75%) et les personnes se positionnant droite (82%). Peut-tre davantage encore que comme une menace pour lidentit nationale, limmigration est ainsi perue comme un danger pour soimme. Dans un contexte de crise conomique, la concurrence de nouveaux arrivants peut en effet tre perue comme une menace pour laccs au logement et lemploi.

Des critiques de plus en plus rpandues lencontre des pratiques de la religion musulmaneInvits se prononcer sur la lacit et les principales religions, les personnes interroges sont 68% avoir une opinion positive lgard de la lacit (+3), 44% vis--vis de la religion catholique (1), 43% sur la religion en gnral (+7), 37% propos de la religion protestante (inchang), 35% au sujet de la religion juive (1) et 29% lgard de la religion musulmane (+5). Cest parmi les 65 ans et plus (35%), les sympathisants de droite (42%), les personnes se dclarant plutt racistes (71%) et celles qui habitent dans les communes o la proportion dtrangers est la plus faible (37%) que les opinions sont les plus ngatives vis--vis de la religion musulmane. Si limage de la religion musulmane est un peu moins ngative quen janvier, les Franais sont cependant de plus en plus critiques sur les pratiques associes cette religion. Ils sont en effet 90% estimer que le port du voile intgral pose problme pour vivre en socit (+2). Les proportions slvent 75% pour le port du voile (+7), 39% pour linterdiction de montrer limage du prophte Mahomet, 37% pour le sacrifice du mouton de lAd-el-kbir (+3), 34% pour les prires (+6), 26% pour le jene du ramadan (+6) et 22% pour linterdiction de consommer de la viande de porc ou de lalcool (+6).

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

Graphique 7 Pour chacune des opinions suivantes, dites-moi si vous tes tout fait daccord, plutt daccord, plutt pas daccord ou pas daccord du tout ? Pourcentages de daccord .90 85 81 73 72 65 60 51 50 46 46 36 25 Rappel Oct. 2000 Rappel Nov. 2001 21 26 44 48 79 74 70 79 75 71 65 78 76 71 70 89 82 82 73 63 93 88 81 81 71 62 77 76 72 67 76 74 72 70 89

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Il est indispensable que les trangers qui viennent vivre en France adoptent les habitudes de vie franaises Les travailleurs immigrs doivent tre considrs ici comme chez eux puisqu'ils contribuent l'conomie franaise Il faut permettre aux musulmans de France d'exercer leur religion dans de bonnes conditions En France, tout le monde peut russir quelle que soit sa couleur de peau De nombreux immigrs viennent en France uniquement pour proter de la protection sociale L'immigration est la principale cause de l'inscurit Les enfants d'immigrs ns en France ne sont pas vraiment franais

85 74 70 58

85

86

88 76

90 79

Rappel Janv. 201188

76 74 65 56 72 70 64 59 55 46

71

74

74 69 68 55 70

72 73 59

56

67 56 47

68 58 51

66 54 46

51

50

52 39

47 50 47 41

50 48

50 41

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Rappel Nov. 2001

Rappel Oct. 2000

Rappel Dc. 2003

Rappel Janv. 2011

Les Franais Juifs sont des Franais comme les autres Les Franais musulmans sont des Franais comme les autres Les gens du voyage de nationalit franaise sont des Franais comme les autres La prsence d'immigrs est une source d'enrichissement culturel Il y a trop d'immigrs aujourd'hui en France Aujourd'hui en France, on ne se sent plus chez soi comme avant Il faudrait donner le droit de vote aux lections municipales pour les trangers non europens rsidant en France depuis un certain temps Il faut faciliter l'exercice du culte musulman en France La France donne trop souvent l'asile politique des trangers perscuts dans leur pays Toutes les religions se valent

Institut CSA

Dcembre 2011

Rappel Dc. 2002

Rappel Nov. 2005

Rappel Nov. 2006

Rappel Nov. 2007

Rappel Nov. 2008

Rappel Nov. 2009

Rappel Dc. 2004

Dcembre 201186 44

Rappel Dc. 2003

Rappel Dc. 2002

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Rappel Nov. 2008

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Un souhait dune lutte vigoureuse contre le racisme et une condamnation des discriminations ethniques qui se maintiennent malgr toutDeux interviews sur trois estiment que toutes les races humaines se valentComme lan pass, 66% des personnes interroges considrent que toutes les races se valent, tandis que 21% jugent que les races humaines nexistent pas. La thse selon laquelle il y a des races suprieures dautres est quant elle dfendue par 8% des enquts. Elle est particulirement rpandue parmi les personnes ayant les revenus les plus faibles (35%), les chmeurs (21%), les femmes au foyer (20%), les moins diplms (18%) et les sympathisants du Front National (26%).

Une lutte vigoureuse contre le racisme souhaite par six Franais sur dixCette perception majoritaire dune galit entre les races saccompagne du souhait dune lutte vigoureuse contre le racisme en France, avec 59% des interviews qui choisissent cette option (+4), contre 35% (4) qui pensent quune telle lutte nest pas ncessaire. Notons que cette lutte est davantage souhaite par les plus diplms (69%) que par les moins diplms (51%). Elle est galement plus dfendue par les sympathisants de gauche (67%) que par ceux de droite (48%). Elle est en outre davantage souhaite par les habitants des communes o le taux dtrangers est le plus important (69%) que par ceux des communes o il est plus faible (53%). Enfin, les discriminations lgard des personnes noires et maghrbines sont trs largement dnonces. Les personnes interroges jugent ainsi par exemple quil est grave de refuser lembauche dune personne noire qualifie pour le poste (89%, inchang par rapport janvier) ou lembauche dune personne dorigine maghrbine qualifie pour le poste (84%, inchang).

Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

racisme et xnophobie en hausse: retournement historique ou effet de contexte ?Nonna Mayer, CEE-Sciences Po-CNRS Guy Michelat, CEVIPOF-Sciences Po-CNRS Vincent Tiberj, CEE-Sciences Po-CNRSDepuis 1990 la CNCDH commande tous les ans 5 un sondage explorant sous toutes leurs facettes le racisme, lantismitisme et la xnophobie en France. Il permet de suivre lvolution de toutes les formes de prjugs lgard de lautre , quil soit peru comme diffrent par son origine, sa nationalit, sa couleur de peau, sa religion ou sa culture. Pendant vingt ans, la tendance globale dans la socit franaise a t celle dun lent recul des prjugs, port par le renouvellement gnrationnel, le dveloppement de linstruction, louverture sur le monde. Depuis deux ans cette dynamique parat stoppe. Lenqute 2010, effectue exceptionnellement en janvier 2011, observait dj une monte du rejet des trangers, des immigrs, des musulmans. Loin de disparatre, la tendance sest accentue entre janvier et novembre-dcembre 2011. Elle est corrobore par dautres sondages notamment celui de TNS Sofres sur limage du Front national, effectu en janvier 2011 juste avant le congrs du parti et llection de Marine Le Pen, et reconduit en Janvier de cette anne 6. Ce phnomne semble donc pour lheure plus marquant que la pousse de fivre xnophobe qui avait suivi les meutes urbaines de 2005. Il parat plus durable. Ce chapitre va tenter den mesurer lampleur et den expliciter les causes.

Lvolution des prjugs: un retournement de tendance entre 2009 et 2010La baisse de lindice longitudinal de tolrancePour mesurer de manire globale les variations des attitudes lgard des autres , on dispose de lindice longitudinal de tolrance (encadr 1), mis au point par Vincent Tiberj 7, qui permet de saisir sur la longue dure et de manire synthtique ces volutions.5. Sauf en 2001 o le sondage a t remplac par une approche qualitative base dentretiens. 6. Baromtre dimage du Front national pour Le Monde, Canal +, France Inter, 3-4janvier 2011, en face face, chantillon national de 1000 reprsentatif de la population franaise de 18 ans et plus. Le nouveau Baromtre qui sappuie sur une enqute plus rcente que celle de la CNCDH (6-9 Janvier 2012) montre une stabilisation la hausse sur les mmes indicateurs, plus faible (de lordre de 2 ou 3 points) que celle intervenue entre janvier 2010 et 2011 (hausses de lordre de 7 ou 8 points sur le sentiment quil y a trop dimmigrs, quon ne se sent plus chez soi comme avant etc.). 7. Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent tiberj, Le racisme lheure de la crise , in Commission nationale consultative des droits de lhomme, La lutte contre le racisme et la xnophobie. 2009, Paris, La Documentation franaise, 2010, p.102-123.

Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj

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Encadr 1. Prsentation de lindice longitudinal de tolranceLindice longitudinal de tolrance a t cr en 2008 selon la mthode labore par James Stimson 8. Son objectif est de mesurer de manire synthtique les volutions de lopinion publique lgard de la tolrance la diversit avec une mesure comparable dans le temps. Plutt que de se fonder sur une seule question susceptible dtre affecte par des biais de mesure et derreur dune anne lautre, ou de ne pas tre repose chaque anne, lindice agrge 62 sries de questions poses au moins deux reprises dans le baromtre CNCDH, qui couvre dsormais la priode 1990-2011. Pour 21 dentre elles, soit environ un tiers, elles ont t poses au moins 8 reprises. Outre la condition dtre rptes dans le temps, ces sries ont t slectionnes si, et seulement si, la question portait sur une dimension prjudicielle lgard dune minorit ethno religieuse touchant directement lindividu dans son rapport lautre. Sont exclues les questions sur lhomosexualit, la peine de mort ou le sentiment dinscurit par exemple. En revanche toutes les questions relatives la tolrance lgard des juifs, des musulmans, des noirs ou des Roms ont t inclues, tout comme des questions plus gnrales ayant trait au jugement sur limmigration ou au multiculturalisme. Chacune des sries utilises dans le calcul de lindice prend pour chaque anne une valeur calcule en rapportant la proportion de positions tolrantes dans lchantillon la somme des proportions de rponses tolrantes et intolrantes. Si la question les immigrs sont la principale source dinscurit obtient une note de 54, cela signifie que parmi les personnes ayant rpondu cette question, 54% rejettent cette ide. Une fois ces valeurs calcules pour les 62 sries, une procdure statistique est applique qui permet de rsumer linformation quelles contiennent pour aboutir cette mesure synthtique. Au final on obtient une note globale de tolrance pour lanne considre, qui peut thoriquement voluer de 0 si les personnes interroges ne donnaient jamais la rponse tolrante, 100, si elles la donnaient systmatiquement. Lavantage des scores calculs pour chacune des annes est quils sont comparables. Ainsi une augmentation de lindice sur une anne quivaut une progression de la tolrance dans lopinion publique franaise, une diminution un retour vers lintolrance. Surtout, lavantage de ce mode de calcul est que ces volutions savrent beaucoup plus fiables quune question ou un ensemble de questions. Ainsi, pour un chantillon de 1000 personnes, la marge derreur pour une question est denviron +/-3,2%. Par exemple si 56% des personnes interroges estiment que les Roms forment un groupe part dans la socit, on sait quil y a 95 chances sur 100 que la proportion correcte varie entre 59,2% et 52, 8%. Pour lindice global en 2009 par exemple, avec les 62 sries, la marge derreur globale est de +/ 1,6% pour le mme intervalle de confiance (95%).

8. Voir Nonna Mayer, Guy Michelat et Vincent tiberj, Structures et dynamiques des reprsentations de lautre: anciens et nouveaux prjugs , in Commission nationale consultative des droits de lhomme, La lutte contre le racisme et la xnophobie. 2008, Paris, La Documentation franaise, 2009, p.90-117 ; et James Stimson, Vincent tiberj, Cyrille thibaut, Le mood, un nouvel instrument au service de lanalyse dynamique des opinions: application aux volutions de la xnophobie en France (1999-2009) , Revue franaise de science politique 5/2010 (Vol. 60), p.901926 (disponible ladresse suivante: www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2010-5-page-901.htm).

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

Entre 2005 et 2009, lindice a t systmatiquement la hausse, gagnant prs de 8,5points en quatre ans, pour atteindre son record historique de tolrance en 2009 un niveau denviron 69,5. Depuis il a subi une baisse de prs de 6 points en deux ans, pour revenir en novembre 2011 un niveau de 63,5 comparable celui de 2006 (63). Cest la premire fois depuis la priode 1999-2001 quon constate une baisse de lindice sur deux annes conscutives. Cette baisse nest pas explicable par un vnement unique comme en 2005 avec les meutes en banlieue. Lenqute 2010 a t effectue dans les premiers jours de janvier 2011, juste aprs les premiers signes du printemps arabe . Les craintes dun afflux dimmigrs en France, et la manire dont Marine Le Pen a su jouer sur ces peurs, ont pu susciter une raction xnophobe, mais la baisse a continu par la suite. On observe des reculs consquents sur des questions classiques du baromtre. 79% des personnes interroges considraient en 2009 que les Franais musulmans taient des Franais comme les autres, ils sont 72% deux ans aprs, soit autant quen 2007. La proportion de celles qui voient limmigration comme un enrichissement culturel est passe dans le mme temps de 72% 64%, le niveau le plus bas enregistr depuis dcembre 2002, tandis que la part dentre elles se disant hostile au droit de vote des trangers non europens pour les lections locales a chut de 59 44%. Et dans le mme temps la part des personnes interroges qui ne se sentent plus chez soi a grimp de 41% 55%. Figure 1 Lindice longitudinal de tolrance (1990-2011)7569,44

7065,97

6561,92 63,47 61,00

60 5553,161 56,63

501990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj

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La baisse de lindice ne semble pas obir la logique thermostatique , qui dpend de la majorit politique au moment de lenqute, quon avait identifie comme principale responsable de ses hausses et de ses baisses depuis 1995. Ainsi lindice de tolrance montait une fois que la droite, plus ferme sur les questions dimmigration, tait au pouvoir, et il diminuait quand la gauche, traditionnellement plus tolrante, lavait emport. Or entre 2009 et 2011 on ne retrouve absolument pas cette logique. Quant lexplication conomique, celle de la xnophobie comme rponse la crise, faisant des immigrs un bouc missaire, elle nest pas suffisante, puisque lindice de tolrance a continu monter en 2008 et en 2009, donc aprs les dbuts de la crise ouverte par laffaire des subprimes et la faillite de la banque Lehman Brothers. Dailleurs mme avant 2008 on ne constatait aucune relation significative entre lindice et ltat de lconomie 9. Lexplication est plutt chercher dans un contexte spcifique, une ambiance, une accumulation dvnements. Le racisme et la xnophobie sont des attitudes, forges sur le long terme, parfois ds lenfance et le milieu familial. Mais ce ne sont que des prdispositions, comme le montrent de nombreux travaux, sensibles la conjoncture, des vnements marquants jouant le rle de dclencheur. Stanley Feldman et Karen Stenner ont tudi les conditions de menace normative qui activent des prdispositions autoritaires et les font sexprimer en paroles voire en comportements intolrants et racistes 10. Paul Kellstedt lui, dans la ligne des travaux de John Zaller, souligne lambivalence des attitudes lgard des autres . Le mme individu peut prsenter simultanment des dispositions la tolrance et aux prjugs, la prvalence des unes sur les autres dpendant fortement de lenvironnement, des informations reues, dvnements rcents qui lont marqu 11. Ainsi la crise des banlieues en 2005 a eu un impact ngatif sur lindice, et cette crispation xnophobe ne sest compltement estompe quaprs llection de Nicolas Sarkozy la prsidence de la Rpublique. Clairement aujourdhui on observe un phnomne similaire. Les annes 2010-2011 ont t marques par la conjonction de plusieurs vnements susceptibles de cristalliser les peurs. Il y eu en juillet 2010 les violents affrontements entre la police et les habitants du quartier de la Villeneuve, Grenoble, aprs la mort de Karim Boudouda, au terme dune course-poursuite aprs le braquage dun casino. Puis ce sont les rvolutions arabes qui dbutent en Tunisie en dcembre de la mme anne, lissue incertaine, faisant craindre la perce lectorale des islamistes. Et si la surenchre du FN tait attendue, la prsidente a tout de suite agit la menace dun afflux massif dimmigrs et dune gnralisation de la charia, la majorit au pouvoir

9. Voir Nonna Mayer, Guy Michelat et Vincent tiberj, Structures et dynamiques des reprsentations de lautre: anciens et nouveaux prjugs , in Commission nationale consultative des droits de lhomme, La lutte contre le racisme et la xnophobie. 2008, Paris, La Documentation franaise, 2009, p.90-117 ; et James Stimson, Vincent tiberj, Cyrille thibault, Le mood, un nouvel instrument au service de lanalyse dynamique des opinions: application aux volutions de la xnophobie en France (1999-2009) , Revue franaise de science politique, vol. 60, no5, 2010, p.901-926 10. Voir notamment Stanley Feldman, Karen Stenner, Perceived threat and Authoritarianism, Political Psychology, 1997, 18, p.741-770 et Karen Stenner, The Authoritarian Dynamic, Cambridge: Cambridge University Press, 2005. 11. Paul Kellstedt, The mass media and the dynamics of American racial attitudes, Cambridge, Cambridge University Press, 2003

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

a galement largement contribu une augmentation de la xnophobie, que lon songe par exemple au discours de Nicolas Sarkozy Grenoble aprs les meutes, demandant la dchance de nationalit pour les dlinquants trangers, liant criminalit et immigration, et stigmatisant la minorit Rom, ou aux dbats autour de la burqua, puis des prires de rue. Cest sans doute laddition de ces lments qui peut expliquer un tel recul de lindice. Clairement en 2010 et 2011, elle a pu faire basculer des Franais ambivalents , partags sur ces enjeux, du ct de lintolrance.

volutions de lindice selon la minorit discrimineLes indices longitudinaux pour chaque minorit confirment certaines de ces hypothses. Figure 2 Les indices de tolrance des minorits90 85 80 75 70 65 60 55 50 451990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 201159,34 55,55 63,30 81,7 77,09 75,59 71,72

81,96

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Islam/musulmans

Juifs

Maghrbins

Noirs

Note: les indices ont t construits suivant la mme mthode que lindice longitudinal de tolrance, mais nont t retenues que les sries de questions dsignant un groupe particulier. Pour obtenir un indice suffisamment robuste il faut disposer dun nombre correct de sries de questions (entre 6 et 12 selon les groupes). Par ailleurs lenqute CNCDH pose des questions assez similaires pour les diffrents groupes ce qui permet une comparaison entre indices des groupes. Enfin, dans les prochaines annes on pourra constituer un nouvel indice sur les Roms, mais pour lheure il reste trop fragile statistiquement pour tre prsent ici.

Si lon dtaille les prjugs en fonction des groupes cibles, de nettes diffrences se font jour. Lindice ne baisse vraiment que pour deux minorits, celles des Musulmans et celle des Maghrbins. Ainsi la tolrance lgard des premiers a recul de presque 4 points en deux ans et lgard des seconds de 8,5 points, soit une baisse plus importante que celle de lindice global (6 points). Les opinions lgard des Maghrbins,

Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj

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la minorit la plus nombreuse, et la plus prsente dans les dbats publics, apparaissent dailleurs toujours comme les plus ractives au contexte, dans un sens ngatif aprs les meutes de 2005, mais aussi parfois dans le sens positif, puisque cest le groupe qui avait vu la tolrance son gard le plus progresser depuis la crise des banlieues. En revanche lacceptation de la minorit noire apparat quasi stable, lindice marquant juste un lger recul (de 77 75,5), nettement infrieur celui de lindice global de tolrance. Quant aux juifs, ils apparaissent la fois comme la minorit la mieux accepte, avec un indice record de 82, et la moins sensible aux variations de la conjoncture, malgr les turbulences du conflit isralo palestinien. La tolrance leur endroit na pas vari depuis 2009. Si on compare notre poque celle davant la guerre, on pourrait dire que quactuellement le Musulman, ou le Maghrbin, a remplac le Juif dans les reprsentations et la construction dun bouc missaire.

Une polarisation politique des prjugsLvolution moyenne vers plus de tolrance, observe sur lensemble de lchantillon, peut toutefois cacher des situations contrastes au sein des diffrentes composantes de la socit franaise. La cration dun fichier cumul des enqutes CNCDH depuis 1999 12 permet daller plus loin, et de mesurer les volutions de lindice longitudinal en tenant compte de trois facteurs dont on sait quils sont particulirement importants pour expliquer les prjugs racistes et xnophobes des individus: le niveau de diplme, la cohorte de naissance, et lorientation politique des individus 13. Ce dernier claire dun jour particulier les volutions luvre dans lHexagone. Figure 3 Lindice longitudinal de tolrance par orientation politique75 70 65 60 55 50 45 40 35 3037,86 42,42 61,31 69,46

Gauche59,18

68,61

Centre

56,49

51,74

Droite

43,20

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

12. Grce au travail minutieux de Camille Bedock que nous remercions. Impossible dintgrer les donnes antrieures 1999, celles-ci nayant pas t conserves. 13. Comme par le pass, on note que lindice augmente mesure que le niveau dducation des personnes interroges croit et que chaque nouvelle gnration se montre plus tolrante que celles qui la prcdent.

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

2011

Dans toutes les enqutes pour la CNCDH, lacceptation des immigrs, des trangers, des minorits, est toujours plus leve gauche quau centre et au centre qu droite, et lenqute de 2011 le confirme (figure 3). Mais jusquici on avait affaire des publics parallles selon lexpression de Christopher Wlezien. Autrement dit les mouvements dopinions touchaient lensemble des groupes dans des proportions peu prs similaires. Ce nest plus le cas. Entre 2008 et 2009 dj on observe un petit dcrochement des interviews de droite, dont le niveau de tolrance chute de deux points alors quil continue crotre au centre et gauche. Depuis le dcrochage na fait que saccentuer. gauche on note quune progression quasi linaire de la tolrance: la crise des banlieues a fait baisser son indice d peine 0,5 point (contre 4,5 parmi les individus se plaant au centre et 8 points droite) et entre 2009 et 2011, celui-ci a recul de moins dun point. Au centre, on ne note quun faible recul (2,7 points). Mais droite la chute de lindice en deux ans dpasse 8,5 points, et tombe sous la barre des 50, ce qui le ramne son niveau de lanne 2000. Alors quauparavant, les personnes se classant au centre apparaissaient trs proches de celles de droite, depuis 2008 leurs attitudes divergent nettement. Entre 1999 et 2005 les indices de tolrance de ces deux groupes diffraient au maximum de 4,5 points, en 2011 lcart est suprieur 13 points. Et comme il sest stabilis pour les interviews de gauche, jamais la polarisation droitegauche na t aussi forte, plus de 25 points sparant aujourdhui les deux camps. Ce processus de radicalisation des lecteurs et sympathisants de droite est confort tant par le durcissement de la politique du gouvernement lgard de limmigration et de lIslam que par la dynamique du Front national et de ses ides, avec lesquelles prs dun tiers des Franais se dit daccord 14.

La structure des prjugs: un syndrome ethnocentriste-autoritaireLindice de tolrance permet de suivre lvolution des prjugs travers le temps mais il ne permet pas de vrifier quelles relations stablissent entre eux. Ces opinions forment-elles toujours un pattern cohrent, symptomatique dune attitude ethnocentriste-autoritaire au sens o lentendaient Adorno et ses collgues, cest--dire dune disposition valoriser les groupes auxquels on sidentifie, et dvaloriser et infrioriser les autres , les outgroups 15, quels quils soient, y compris les minorits sexuelles ? Voit-on se confirmer une tendance, amorce depuis quelques annes, lautonomisation de certaines composantes de ce syndrome, notamment celle des opinions lgard des musulmans et de lIslam, dont les pratiques susciteraient un rejet distinct des prjugs anti-immigrs classiques ? Pour le vrifier, nous avons repris la technique des chelles dattitudes utilise dans les prcdents rapports (encadr 2).

14. Sondage tNS-Sofres janvier 2012 prcit, la proportion passant de 18% en janvier 2010, 22% en 2011 et 31% en 2012. 15. thodor W. Adorno et al., tudes sur la personnalit autoritaire (trad. Hlne Frappat), Paris, Allia, 2007.

Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj

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Encadr 2. Les chelles dattitudes hirarchiques 16Lattitude est une variable latente, que lon infre partir des rponses donnes aux questions du sondage. Elle rend compte de la cohrence des opinions exprimes propos dun stimulus par exemple le fait de systmatiquement donner des rponses ngatives aux questions sur les trangers, les immigrs, les minorits dnotera une attitude ethnocentriste. La technique des chelles dattitude permet de vrifier sil existe bien une telle attitude. Elle permet de classer les individus sur un continuum, des moins aux plus porteurs de lattitude concerne partir dun ensemble de questions dont on fait lhypothse quelles relvent de lattitude mesurer (hypothse dunidimensionnalit), et de leur attribuer un score selon lintensit de leur attitude. Il existe de multiples techniques pour construire une chelle. On retient ici une variante de lanalyse dite hirarchique, celle de Loevinger, la plus exigeante. Au lieu de postuler une mtrique identique pour toutes les rponses (par exemple en donnant par convention la rponse tout fait daccord la note 4, plutt daccord la note 3, plutt pas daccord la note 2 et pas du tout daccord la note 1, quelle que soit la question), elle recherche la rponse qui dnote la plus forte intensit de lattitude concerne, en cherchant chaque fois la meilleure dichotomie possible en fonction de la cohrence avec les autres items de lchelle. Cette technique implique que les rponses aux questions soient rduites deux ventualits, lune positive, lautre ngative par rapport lattitude en question, variables dune question lautre. Le couple question/rponses dichotomises est un item. Ainsi dans lchelle ethnocentrisme (tableau 1) le premier item oppose la rponse ethnocentriste pas du tout daccord avec lide que les Franais juifs sont des Franais comme les autres toutes les autres rponses, tandis que litem 5 oppose toutes les autres les rponses plutt pas daccord ou pas daccord du tout avec lventualit daccorder le droit de vote aux trangers non Europens. Le second postulat est quil existe une hirarchie des items, de celui qui dnote la forme la plus intense de lattitude la moins intense. Dans une chelle parfaite, tout sujet qui a rpondu positivement un item rpond positivement aux items suivants ; et deux sujets ayant le mme score auront rpondu positivement aux mmes questions. Dans la ralit, la structure de rponses ne correspond quimparfaitement cette structure, le degr de concordance avec lchelle parfaite est mesur par le coefficient de Loevinger qui calcule la matrice des coefficients de hirarchisation des items pris 2 2 pour lensemble des questions testes. Il varie de 1 si lchelle et parfaite 0 sil ny a aucune concordance entre les 2 structures. Enfin, une telle chelle constitue un instrument de mesure synthtique de lattitude tudie. Chaque sujet se voit attribuer une note dchelle selon le nombre de rponses positives quil aura donnes.

16. Pour une prsentation dtaille de ces deux techniques et de leurs avantages respectifs voir Guy Michelat, Les chelles dattitudes et de comportements , in Cevipof, Llecteur franais en questions, Paris, Presses de Sciences Po, 1990, p.229-236 et Guy Michelat, Eric Kerrouche, Les chelles dattitude , Revue Internationale de Politique Compare, 6 (2), t 1999, p.463-512.

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Perceptions du racisme, de lantismitisme et de la xnophobie

Lethnocentrisme autoritaire en 2011Tableau 1 chelle dethnocentrisme (%)2011 Les Franais musulmans sont des Franais comme les autres: Tout fait daccord, plutt daccord, plutt pas daccord SR / Pas daccord du tout (7%) Les Franais juifs sont des Franais comme les autres: Tout fait daccord, plutt daccord, SR / Plutt pas daccord, pas daccord du tout (7%) Les travailleurs immigrs doivent tre considrs ici comme chez eux puisquils contribuent lconomie franaise: Tout fait daccord, plutt daccord, SR / Plutt pas daccord, pas daccord du tout (14%) Il faut permettre aux musulmans de France dexercer leur religion dans de bonnes conditions : Tout fait daccord, plutt daccord, SR / Plutt pas daccord, pas daccord du tout (13%) La prsence dimmigrs est une source denrichissement culturel: Tout fait daccord, plutt daccord, SR / Pas daccord du tout, plutt pas daccord (21%) Il faudrait donner le droit de vote aux lections municipales pour les trangers non europens rsidant en France depuis un certain temps: Tout fait daccord, plutt daccord, SR / Plutt pas daccord, pas daccord du tout (33%) Il y a trop dimmigrs aujourdhui en France: Tout fait daccord, plutt daccord (46%) / Plutt pas daccord, pas daccord du tout, SR Les enfants dimmigrs ns en France ne sont pas vraiment Franais: Tout fait daccord, plutt daccord, plutt pas daccord (47%) / Pas daccord du tout, SR Limmigration est la principale cause de linscurit: Tout fait daccord, plutt daccord, plutt pas daccord (68%) / Pas daccord du tout, SR De nombreux immigrs viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale: Tout fait daccord, plutt daccord, plutt pas daccord (80%) / Pas daccord du tout, SR Entre parenthses les proportions observes en 2009. 9 10 19

24

29

49

58 58

76 84

Le premier lment de validation de lexistence dun tel syndrome est la possibilit de constr